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notes pour future intro

table de substitution expliquée

Dieu = grâce pour … = Nature, Souffle

Dieu = Maître

Jésus-Christ = Maître = « petit maître »

on laissera les notes de fin telles notre levée mais on signalera leur existence comme pouvant servir


observer l’inflexion religieuse qui nuit à la perception mystique par ex. dans Doctrine spirituelle… Mère Marie-Véronique infra (ce qui rend tout à coup le travail de correction pénible!)


page oubliée repère « µ »


!reprendre notre explication du bien-fondé de l’édition progressive par les sœurs (dans les Amitiés… 336-337) qui ainsi suivent un plan judicieux (d’où l’intérêt de cette compilation)


A l’écoute... est le meilleur ouvrage relevant Mectilde

J. LECLERCQ Moine de Clervaux belle intro

!excellent choix relevé par les diverses communautées (j’en ai sélectionnées en n fin ; le bon choix est établi pour aider en tous états donc à tous niveaux d’où un recueil « large » débordant le domaine que nous suggérons sous le terme ‘mystique’) [je n’ai jamais douté de la ‘valeur de ce que je fais si mal’ dont le choix, etc].


expliciter le recours à « Dieu » = l’élargissement à « l’Immensité » dont le cosmos visible est la partie visible à nos sens incluant le mens. Aujourd’hui nous avons la chance d’une vision élargie y compris en physique au-delà de l’espace-temps Kantien. En fait il ne s’agit pas de l’immensité qui n’est que manifestation (‘photographie instantanée de notre perception) où se crée dynamiquement tout, au-delà de tout champ, « vibration » est un bon terme associant support et dynamisme - le meilleur analogue pour notre cerveau – nous ne savons rien ou plutôt une bulle sphère dans l’immense.

Sur l’obéissance : pour ne pas obéir extérieurement aux hommes / ni intérieurement à sa raison ou soi-même > transmission puiqu’on l’accepte sans intervenir autrement que dans la quiétude etc difficile à décrire ; j’obéis au bon beau juste mais pièrre de touche pour authentifier ces ors ?




Un TOTUM de et sur MECTILDE


Présentation


Ce gros dossier ne peut être lu rapidement ni en entier. Il ne saurait être réduit ni même simplement « retaillé » sans perdre une grande partie de son intérêt. Des regards très variés et complémentaires convergent sur la mystique figure de Mectilde.

Ce Totum – il demeure incomplet - constitue l’« ouverture » vers d’innombrables manuscrits accumulés en plusieurs siècles par les copistes bénédictines des écrits de leur fondatrice. Nous sont proposées quelques études incontournables comprenant des textes intérieurs soigneusement choisis par des religieuses intérieures. Ces transmettrices demeurent méconnues. Le labeur de plusieurs siècles mérite reconnaissance et redécouverte.

Destinés à usage interne, les supports papier édités au sein d’un Ordre à l’avenir incertain deviennent rares. Il m’a semblé urgent d’en photographier un Essentiel – j’ai eu la chance d’être guidé par des archivistes de l’Ordre aujourd’hui disparues.

Transcrits à l’aide d’un bon outil en reconnaissance de caractères et corrigés a minima pour en assurer la lecture aisée, cela permet de proposer ces ouvrages convertis en présentations informatisées (fichiers doc, odt, pdf, epub) pour une découverte par de futurs inconnu(e)s 1. Quelques-uns en recherche d’intériorité seront comfortés et prêts à suivre l’exemple offert par des « aîné(e)s », s’ils y ont accès sans déplacement ni limitation géographique ou culturel.

C’est le devoir de transmettre les traces de toute Tradition authentique.

Je propose deux forts volumes (en format A4 proche des antiques in-folio, en corps Garamond petit mais lisible), après avoir réédité les principaux écrits mystiques de « l’autre » mystique de même mouvance : Madame Guyon, « Sœur dans le monde », et pour qui Mectilde était « une sainte ».

L’ancienne fut religieuse, la plus jeune demeura laïque ; changement d’époque. Ce sont les deux grandes mystiques qui ont atteint la fin du Grand Siècle.

Le fonds manuscrit protégé dans l’Ordre fondé par la Mère Mectilde est partiellement couvert dans ce Totum. Celle que ses proches appelaient également « notre Mère » - en compagnie de Fénelon « notre Père » - a été sauvé par des disciples dont le fidèle pasteur-imprimeur Poiret. Des milliers de textes de Mectilde recueillis, copiés et recopiés sur trois siècles par ses « filles » sont présentés en un « Fichier Central »2. Le Totum Mectilde repose sur une Base Mectilde.

C’est fort surprenant et unique - peut-on y voir un effet de grâce ?- que de disposer de deux immenses ensembles de textes intérieurs3.

Un travail comparatif devrait être entrepris : les deux femmes ont bien des points communs même si elles ont vécus fort distinctement, ce qui élargit encore le spectre des conditions et milieux rencontrés, des monastères aux Cours, des puissants aux prisons.

On relève l’approche intérieure commune qui leur a attiré des « ennuis » au sens ancien fort de prisons pour Guyon, de vieillesses sans repos pour les deux qui partagèrent le même souci de service à rendre, lavement des pieds de jeunes bénédictines ou de disciples et visiteurs étrangers. Même intensité exigeante – elle provient de leur origine intérieurement commune puisqu’elles sont rattachées à une filiation née du franciscain Chrysostome de Saint-Lô, passant par Monsieur de Bernières (son chapelain Bertot dirige la jeune Guyon).

Même dons d’écriture et de parole qui porte intérieurement. Contacts successifs avec deux épouses royales, donc expérience des Puissants. Les différences seraient les espaces où elles rayonnent : celui « interne » clôturé du monastère, celui « externe » - à peine plus libre - de la ville et de la Cour.


Revue par ouvrage


Ce dossier rassemble les imprimés dans l’Ordre d’Ame offerte …. à Rouen suivi de contributions en collection Mectildiana.


Mes préférences :


Partout : lettres de Mectilde à sortir de ce Totum.

Dans Ame offerte, ‘Comme un encens devant la face du Seigneur’ de dom Joël Letellier, une clé bibliographique.

Dans Ecrits Châteauvieux, l’Introduction de Louis Cognet & son choix dans le Bréviaire : certaines pièces sont admirables, d’autres sont faibles et suspectes [confirmation faite par l’archiviste Molette].

Dans Amitié, Introductions : de Molette très utile pour l’histoire des mss et sa confirmation de réécritures ; de Dupuis et Milcent [dont on peut omettre première lecture, aussi ne sont-elles pas corrigées soigneusement] – Lettres nombreuses mais moins intéressantes que le choix d’ Ecrits Chateauvieux opéré par Louis Cognet. [réécritures  suggérées par Molette]  - A la lecture il me semble que l’ouverture du Bréviaire aux ‘filles’ par Mectilde a du s’accompagner d’une refonte. Hypothèse à étendre sur d’autres mss. provenant de l’Ordre (?) d’où s’impose UN CHOIX mystique plutôt qu’une édition intégrale aveugle ...Sauf si le ms. Paris ou tel autre révèle une source pure ignorée ...Sauf si le recours direct aux mss. révèle une saisie avant manipulations 4. Etude de Mectilde à faire en partant du Fichier central, ce qui demanderait un temps considérable.

[...]

Itinéraire spirituel, Origines…, Entretiens familiers... ont été revus car ces oeuvres de sœurs « intérieures » remarquables ont été auparavant formatées livre pour réédition éventuelle.

Dans Pologne l’histoire douloureuse polonaise culmine par le récit des années de guerre.



Dimensionnements


1500 pages A4

6 853 000 car sans espaces

soit ~4500 car / page A4

page nbp date L


Avertissement 16

Ame offerte 16 84 98 L-

Ecrits Châteauvieux 98 50 65 L-

Amitié Châteauvieux 148 182 89 L

Documents historiques 330 151 79

Ecoute 481 88 88

Inédites 569 169 76 L

Itinéraire spirituel 738 68 97-

Origine des recueils de Conférences [M.-V. Andral] 806 7

Entretiens familiers [Sœur Castel] 813 32 84

Pologne 845 180 84 L

Rouen 1025 180 77 L-

Collection MECTILDIANA 1205 1

Les Amitiés Mystiques de Mère Mectilde 1205 155 17

Correspondance Bernières 1360 135 16 L

Fin 1495


Avertissement

Il s’agit de « sauver » l’universel mystique au moment où les Traditions qui l’accueillent au sein de chaque culture ancienne (chrétiennes, en terres d’Islam, bouddhistes… ) ne résistent pas aux bouleversements qui caractérisent notre siècle. Au moment où l’écriture laisse place au direct visuel, il faut transmettre l’intériorité vécu et suggérée par paroles recueillies de figures exemplaires.

Dans le cas particulier du dix-septième siècle et pour Mère Mectilde / Catherine de Bar, il y a urgence car l’Ordre qu’elle fonda ne recrute plus guère de nos jours des jeunes désirant devenir bénédictines. Les archives centrées sur elle5 sont très soigneusement stockées et classées à Rouen – aujourd’hui sous la houlette de sœur Marie-Hélène Rozec du couvent proche de Craon, avec laquelle j’ai exploré le fonds ; ayant eu la chance de rencontrer quinze ans auparavant lors de brefs séjours à Rouen ses prédécesseurs archivistes, je pouvais lui être utile et même guide. Mais ces dossiers connaîtront peut-être le sort des fonds de la bibliothèque jésuite de Chantilly : ces derniers sont préservés physiquement à Lyon, mais perdus quant à l’orientation spirituelle qu’ils transmettaient. Seuls des bibliothécaires d’antan pouvaient la suggérer aux visiteurs (dans mon cas, la transmission eut lieu par André Derville qui assura la bonne fin de l’édition du Dictionnaire de Spiritualité jusqu’à la dernière lettre Z)6.

J’ai constitué entre 2002 et 2017 une base photographique unique par sa taille (37 000 photographies de 74 000 pages choisies – quelques centièmes des archives – 39 Gigaoctets) et son organisation structurée (racine unique ouvrant sur 454 dossiers et sous-dossiers). Dom Joël Letellier, animateur de la collection « Mectildiana », ami sur une vingtaine d’années, m’a accueilli dans sa collection7.

Il s’agit aujourd’hui de mettre à la disposition des chercheurs spirituels le « double » informatisé de manuscrits choisis outre le présent fichier rassemblant les principaux ouvrages sur Mectilde publiés par ses soeurs. En recommandant sa première étude qui suit immédiatement cet Avertissement. digée par dom Joë, elle est le guide qui ouvre sur des travaux et sur leur esprit (rares aux deux sens du terme : difficiles d’accès, peut-être bientôt perdus ? Qui révèlent l’exceptionnelle profondeur de vie de leurs auteures).

Il s’agirait maintenant de l’exploiter : je n’ai qu’effleuré les contenus de ces manuscrits.


Tome premier

Ame offerte

= Catherine de Bar 1614-1698 Une âme offerte à Dieu en saint Benoît, Téqui, 1998

Quatrième de couverture :


En cette année 1998, aura lieu la célébration du troisième Centenaire de l'entrée dans la « vie» de Mère Mectilde du Saint-Sacrement, Catherine de Bar (1614-1698).

A cette occasion, un ouvrage collectif voudrait montrer la place de la fondatrice des Bénédictines du Saint-Sacrement dans ce XVIIe siècle si riche en spiritualité. Pour cela, les Bénédictines de Rouen ont puisé dans leurs archives.

Grâce à l'aide bénédictine fraternelle et compétente, ce livre illustre l'action de leur fondatrice à son époque, sa postérité, et son rayonnement spirituel jusqu'à nos jours.

En couverture : Plan Turgot de 1731.

Monastère construit par l'architecte Gabriel Gitard en 1658, rue Cassette, Paris (6e).

ISBN 2-7403-05542-7


Page titre :


Catherine de Bar 1614 – 1698 Mère Mectilde du Saint-Sacrement

Une âme offerte à Dieu en Saint Benoît

PIERRE TÉQUI, éditeur, 82, rue Bonaparte, 75006 PARIS

ISBN : 2-7403-0542-7

PRÉFACE

"De par sa nature, l'Eucharistie est au centre de la vie consacrée, personnelle et communautaire... L'adoration assidue et prolongée du Christ présent dans l'Eucharistie permet en quelque manière de revivre l'expérience de Pierre à la Transfiguration : "Il est heureux que nous soyons ici". Ces quelques phrases, tirées de l'Exhortation apostolique sur La vie consacrée (25 mars 1996, § 95), montrent ce que l'Eucharistie est pour toute vie chrétienne : "centre de vie"; elles soulignent aussi le bonheur tout particulier que peut causer l'adoration eucharistique prolongée. Mère Mectilde de Bar, dont nous allons fêter le tricentenaire de la mort (6 avril 1698) et à laquelle ce livre est consacré, l'ayant nettement perçu, a placé l'adoration perpétuelle de l'Eucharistie au centre de l'Institut des Bénédictines fondé par elle.

Dès l'origine, la vie monastique a voulu mettre en pratique le précepte de l'évangile "qu'il faut toujours prier sans jamais se lasser" (Lc 18,1); elle le fait par la récitation communautaire de la prière des Heures du jour et de la nuit, qui sont comme les piles du pont de la prière personnelle par lequel le moine tend vers l'autre rive où il trouve Dieu. Saint Benoît nous apprend que le fondement de la vie spirituelle du moine est la présence de Dieu dans toute sa vie ; sur cette base il dresse l'échelle de l'humilité par laquelle le moine va vers Dieu (Règle de saint Benoît, chap.7). Mère Mectilde a compris que l'Eucharistie, "centre de la vie chré-9-tienne", pourrait concrétiser cet idéal de la prière continuelle et cette foi en la présence incessante de Dieu dans la vie du moine. Elle a donc enrichi le charisme monastique qui, de son temps, prenait un nouvel élan, de toute la richesse de la présence du Seigneur Jésus dans l'Eucharistie. De là est né l'Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement, qui persiste et porte ses fruits, après plus de trois siècles d'existence, en différents pays d'Europe.

Comme toute fondatrice, Mère Mectilde a connu des adversités, mais celles-ci n'ont eu d'autre effet que de l'enraciner dans sa vocation. L'Eucharistie n'est pas seulement le sacrement de la présence du Seigneur Jésus, mais aussi le sacrement de sa Passion rédemptrice. Celui ou celle qui se consacre à l'adoration du Saint-Sacrement s'unit aussi à sa Passion et à sa Mort. En ce XVIIe siècle, si riche, en France, d'auteurs spirituels, Mère Mectilde est parmi les plus grands. Elle parle le langage de son époque, qu'il faudra savoir traduire pour le faire passer en notre temps ; mais le message de Mère Mectilde reste actuel et, en ce sens, elle est une sainte pour notre époque ; nous avons en effet un besoin urgent de retrouver la richesse de l'adoration eucharistique.

Il est heureux que nous soyons ici, disait saint Pierre lors de la Transfiguration du Seigneur Jésus. La même chose vaut pour ceux et celles qui placent l'adoration du Christ, présent dans l'Eucharistie, au centre de leur vie chrétienne. Que le centenaire qu'on va célébrer donne un nouvel élan au charisme si riche de Mère Mectilde de Bar.

D. Vincent TRUIJEN osb abbé émérite de Clervaux, Luxembourg.


Comme un encens devant la face du Seigneur DOM JOEL LETELLIER

I - De la naissance à la mort, la même adhésion à Dieu par Jésus et Marie

1 - Du rêve de l'enfant à la vérité de Dieu

Il y a peu de temps, une maman me racontait que, se trouvant dans une église avec ses enfants, sa petite dernière lui demanda soudain : "Maman, tu as ton mouchoir ?". La maman de répondre intriguée "Mais oui, pourquoi, tu en as besoin ?" Et la petite, en montrant du doigt une grande croix où le Christ se trouvait là tout pantelant et plein de meurtrissures, lui répondit aussitôt : "Vite, il a mal, il saigne !" Parole d'enfant, parole vraie où par ces simples mots et une spontanéité tout enfantine, se révèle un coeur qui sait compatir et qui ne peut rester indifférent à la souffrance d'autrui.

Autre anecdote confiée par une autre maman plus récemment encore, qui vit bondir sur elle, à une heure bien matinale et alors qu'elle était encore couchée, son petit garçon de sept ans impatient 10 d'avoir enfin une réponse à sa question : "Dis, maman, comment je peux être sûr que Dieu pense à moi, maintenant et ici ?".

Combien de parents pourraient témoigner à leur tour de ces mots d'enfants qui décapent et qui obligent tout à la fois ? Tel encore ce père qui me confie avoir demandé à son jeune fils d'une dizaine d'années ce qu'il désirait pour son cadeau d'anniversaire et qui s'était entendu répondre tout simplement : "Oh, papa, si je pouvais avoir un calice pour célébrer la messe et faire comme Jésus !"

Loin de nous l'idée que ces enfants sont déjà de petits saints ; ils savent être aussi espiègles que leurs camarades mais, si nous pouvons sourire et nous amuser de cet imaginaire enfantin, nous devons également être attentifs à l'action mystérieuse de Dieu dans le coeur et l'âme des petits. A leur manière, ils nous enseignent peut-être plus simplement et plus immédiatement ce que, dans notre langage compliqué d'adultes, nous appelons transcendance et immanence de Dieu, relation au monde et présence à Dieu, prière et vie sacramentelle, oblation et sacrifice, adoration et réparation...

Catherine de Bar aussi a été une enfant et, dans un des manuscrits rédigés par l'une de celles qui la connaissaient le mieux1, nous apprenons que toute petite encore, elle s'était fabriqué un petit ostensoir, un "soleil" pour mieux se retirer avec Jésus et le prier dans le secret. Et devant cette "figure du Très Saint-Sacrement", ajoute la biographe, "elle allumait de petites bougies, et puis les soufflait, pour, de la fumée, faire une espèce d'encens". On voit là toute l'ingéniosité de cet enfant pour imiter au mieux ce qu'elle avait pu observer dans les cérémonies religieuses où ses

1. Manuscrit N 248, rédigé par Mère Marguerite de la Conception de l'Escale. Ce manuscrit, provenant du monastère de Toul où il se trouvait jusqu'à la Révolution, fut emporté avec les autres à Saint-Nicolas-de-Port où il y demeura jusqu'en 1904. Il se trouve actuellement aux archives du monastère de Bayeux.

parents avaient l'habitude de l'emmener. Sa grand-mère, quand elle découvrit cela, comprit qu'elle ne pourrait procurer à l'enfant plus de joie qu'en lui complétant sa petite panoplie de la parfaite adoratrice. "Cette bonne dame lui fit faire aussitôt un petit encensoir, lui donna de l'encens, et les autres petites choses nécessaires pour contenter sa dévotion..."

Étrange destinée que celle de cette petite fille de Lorraine née à Saint-Dié de parents fort chrétiens en ce dernier jour de l'année 1614, baptisée le jour même, insouciante encore de toutes les turpitudes de l'humaine condition comme de l'incomparable grâce baptismale qu'elle venait de recevoir.

Deux autres biographies de Catherine de Bar, toutes deux du XVIIe siècle dont l'une écrite par sa propre nièce' et l'autre par le Provincial des Frères Minimes', nous attestent qu'à un âge précoce, elle s'était résolue à se donner à Dieu pour toujours. Sa première communion, à l'âge de neuf ans, ce qui était tôt pour l'époque, lui apporta une grâce toute particulière. C'est de cette période que nous avons le témoignage de sa confiance ardente envers la Sainte Vierge Marie en des mots qu'il nous faut rapporter ici tant ils dépeignent la personnalité de l'enfant atteint dans sa sensibilité mais non dans sa foi. Sa maman était tombée gravement malade et même si elle ne partit vers le ciel que quelques années plus tard, la petite Catherine la voyant déjà proche de quitter ce monde lui déclara : "Je vous en prie, ma bonne maman, quand vous irez en Paradis après que vous aurez fait la révérence à

2. Le registre (les baptêmes de l'église de Sainte-Croix (aujourd'hui cathédrale) de Saint-Dié a été retrouvé sous les cendres en 1944.

3. Il s'agit de Mlle de Vienville, petite nièce de Catherine de Bar - soit Gertrude de Vienville, soit sans doute plus vraisemblablement sa soeur Catherine, filleule de Catherine de Bar - dont la biographie qu'elle a écrite de sa tante nous a été conservée par le manuscrit P 101 provenant de la rue Cassette à Paris. Il se trouve actuellement conservé aux archives du monastère de Rouen.

4. François Giry (1635-1688), Vie des Saints, art., La vénérable Mère Catherine des Religieuses de l'Adoration perpétuelle, t. 3, Paris, 1719, col. 217-256 ; ibid., t. 4, suppl., Paris, 1860, col. 220-249.

13 la Sainte Trinité, de lui demander pour moi la grâce que je sois religieuse. Après, vous vous tournerez vers la Très Sainte Vierge et la supplierez qu'elle me prenne sous sa protection et me serve de mère".

Comment ne pas rapprocher ces quelques paroles de celles qu'au soir de sa vie, en l'année 1698, il y a donc exactement trois cents ans, la même Catherine de Bar devenue Mère Mectilde du Saint-Sacrement prononçait à quelques jours de sa Pâque : "Il faut que je remette l'Institut entre les mains de la Sainte Mère de Dieu... Je me sens attirée et pressée d'aller à Dieu ; la seule douleur de mes chères filles me fait peine, mais il faut qu'elles s'y disposent, et dans peu... Je m'en vais à mon Dieu, je m'en vais à mon Père". Et le jour même de sa mort, le 6 avril, alors dimanche de Quasimodo, son confesseur, le Père Paulin, lui demande : "Ma Mère, que faites-vous ? A quoi pensez-vous ?" Et elle de lui répondre par ces deux mots sublimes : "j'adore et me soumets". Quelques instants plus tard, alors que les Soeurs se sont rassemblées autour d'elle pour le dernier souffle, elle a encore la force de se faire entendre du Père Paulin qui sollicitait d'elle une dernière parole pour ses filles qui l'entouraient : "Dites-leur, mon père, qu'elles me sont et me seront toujours présentes. Qu'elles se jettent à corps perdu dans les bras de la Sainte Vierge." Quelques instants après, Mère Mectilde s'éteint doucement. A quatre-vingt trois ans, elle vient de remettre son âme à Dieu par l'entremise de Marie.

C'est évidemment à dessein que le début et la fin de sa vie ont été ainsi juxtaposés : depuis son baptême - le jour même de sa naissance, ce qui est loin d'être sans importance lorsqu'on connaît la spiritualité de Mère Mectilde - et ses jeux d'enfant tout imprégnés de piété profonde jusqu'à son dernier souffle de vie, la continuité est frappante. D'une façon radicale, Catherine de Bar a appartenu à Dieu de tout son être - Ego Dei sum était sa devise d'annonciade qu'elle a certainement dû garder toute sa vie - et Marie a toujours été celle de qui elle a tout appris et de qui elle- même comme ses Soeurs doivent tout attendre. Souvenons-nous à ce sujet de ces quelques confidences qu'elle a pu livrer sur ses débuts dans la vie religieuse alors qu'elle était annonciade à Bruyères : "Un jour, me trouvant dans de grandes peines et n'ayant personne à qui ouvrir mon coeur, je m'adressai à la Sainte Mère de Dieu : "O Très Sainte Vierge, m'auriez-vous amenée ici pour me faire périr... vous voyez que je ne sais pas prier, ni faire oraison. Servez-moi donc s'il vous plaît, de mère et de maîtresse. Apprenez-moi tout ce qu'il faut que je sache." Et Mère Mectilde d'ajouter avec le recul du temps : "Je puis dire que c'est de la Très Sainte Vierge que j'ai appris tout ce que je sais. Elle a toujours été depuis ce temps, ma sainte maîtresse. J'étais toujours appliquée à elle, m'y adressant pour toutes choses."

Et l'on sait en quelles circonstances et en quels termes, le 22 août 1654, la Très Sainte Vierge Marie, selon la volonté si expresse de Mère Mectilde, est élue abbesse perpétuelle. Quant à sa dévotion eucharistique, il est trop évident qu'attirée dès sa tendre enfance par cette mystérieuse hostie rayonnante qui captivait déjà ses yeux et son coeur, elle n'allait jamais cesser d'être comme fascinée dans sa pensée, dans sa prière et dans son adoration par cette présence surnaturelle du Christ dans son Eucharistie et, disons le plus exactement, par le mystère de son Incarnation. Si la petite Catherine de Bar "jouait" à la parfaite adoratrice et si ses yeux aimaient à regarder les flammes des bougies et les volutes si attrayantes de la fumée, c'est parce que son intérêt se portait déjà bien davantage vers ce centre invisible et inaccessible où les yeux de sa foi discernaient celui que son coeur aimait par dessus tout. Dieu, mystérieusement, était à l'oeuvre dans cette âme d'enfant comme lui seul a le secret d'être présent dans les coeurs purs. Alors qu'elle regardait l'invisible, Dieu, par un regard tout intérieur et par sa présence agissante, travaillait déjà son âme et la prédisposait à recevoir ses dons. On ne se moque pas de la prière d'un enfant.

16

Cinq ou six ans après sa première communion dont on sait avec quelle ferveur elle la reçut, elle fut bouleversée par le récit qu'elle entendit des horreurs des guerres de religion et des actes sacrilèges qui avaient été commis en Allemagne, en cette année 1629, contre le Très Saint-Sacrement. Aussitôt elle eut l'immense désir de réparer ces actes atroces et de s'offrir comme "victime" pour compenser le mal qui avait été fait. Là encore, quelle continuité, de son enfance jusqu'à sa mort, dans cette offrande d'elle-même en union aussi intime que possible avec son Seigneur, dont elle sait très bien que lui seul a mérité pour tous, pour que de son oblation puisse surgir quelque compensation que Dieu, dans sa grande justice et miséricorde, pourrait prendre en considération. Rien cependant, dans cette perspective, d'un quelconque doloris-me mal placé mais un grand sens de la communion des saints fondé sur une perception très juste de la portée de l'Incarnation et de la valeur unique du sacrifice du Christ dans son exemplarité et dans son efficience. Là encore, on connaît, immortalisé par le pinceau de Philippe de Champaigne, la scène de l'Amende honorable où, en présence de Mère Mectilde et de ses Soeurs, la reine de France Anne d'Autriche, devant le Saint-Sacrement exposé, fait réparation au monastère de la rue Férou à Paris, le 12 mars 1654, demandant ainsi pardon à Dieu de tous les actes criminels qui ont pu offenser la Majesté Divine.

2 - Les tribulations d'une âme assoiffée de Dieu

De la naissance à la mort, d'une naissance à l'autre pourrait-on dire puisque la mort n'est autre que le dies natalis, le jour de la naissance au ciel, Catherine de Bar n'a cessé d'appartenir à Dieu avec cet immense désir qui a toujours habité son coeur : celui de ne faire qu'un avec Jésus-Hostie s'immolant en victime sainte, sans tache, donnant sa vie en rançon pour la multitude. Une telle continuité dans cette sequela Christi de la part d'un caractère entier, volontaire et fougueux est vraiment remarquable mais il ne faudrait pas s'imaginer, parce que le propos est identique à la fin comme au début, qu'il n'y a eu ni difficultés ni progression. A vrai dire d'ailleurs, il n'y aurait eu ni progrès ni même continuité s'il n'y avait pas eu d'embûches ni d'épreuves. Celles-ci ne manquèrent pas, et de toutes sortes.

Devenue en 1632 Soeur Saint-Jean-l'Evangéliste chez les annonciades de Bruyères, de Badonviller et de Commercy puis Soeur Catherine-Mectilde5 chez les Bénédictines de Rambervillers à partir de 1639 et enfin Soeur Mectilde du Saint-Sacrement à partir de son passage à Saint-Mihiel deux ans plus tard, Catherine de Bar continue d'avancer et de tenir bon sur le chemin si particulier que Dieu semble lui tracer au jour le jour. Au milieu des pires tribulations et de mille péripéties qui tinrent du véritable roman, en pleine guerre de Lorraine, à travers les dévastations de la soldatesque suédoise luthérienne et de toutes les atrocités dont elle est le témoin, craignant à juste titre le pire pour elle-même comme pour ses Soeurs, pour leur vie comme pour leur pureté et leur détermination religieuse, notre jeune moniale nous étonne par sa personnalité et son intrépidité. Elle se trouve pourtant confrontée à de lourdes épreuves intérieures. Qu'importe, avec ses Soeurs toujours chassées par les troupes et allant de refuge en refuge, obligées de se disperser en petits groupes de deux ou trois et livrées à la merci de tout un chacun, Mère Mectilde est consciente du travail intense de décapage que le Seigneur est en train d'accomplir



5. Il s'agit de Mechtilde de Hackeborn, célèbre mystique du XIVème siècle dont la vie et les oeuvres avaient été publiées en français au XVIIème siècle par Jacques Ferraige, à Paris, chez Michel Joly, 1623. Sainte Mechtilde de Hackeborn (1241-1299) est entrée au monastère (le Rodersdorf où sa soeur aînée Gertrude était déjà moniale. Celle-ci devait être élue abbesse à l'âge de 19 ans et pendant quarante années (1251-1291) gouverner la communauté qu'elle transféra pour des raisons pratiques à Helfta en 1258. C'est en 1261 qu'une enfant (le 5 ans du nom de Gertrude fut confiée à la responsabilité de Mechtilde. C'est sous sa direction que cette petite fille devint sainte Gertrude la grande (1256-1301).

Au sujet de Mère Mectilde du Saint-Sacrement, nous trouvons les deux orthographes : Mechtilde et Mectilde, cependant la découverte et la publication de sa signature - et nous possédons maintenant plus d'une dizaine (le signatures autographes - nous fait prendre en considération le fait qu'elle signe toujours : Mectilde.

18 en elle. Ce qu'on serait tenté d'appeler un mauvais début représente en réalité pour Mère Mectilde le creuset où la Providence divine a permis que soit forgée cette âme hors du commun.

Sans doute était-ce là chose nécessaire avant de connaître enfin la paix bénédictine au sein de la grande abbaye de Montmartre réformée et dirigée par Marie de Beauvilliers. Une paix bien relative toutefois car le séjour ne durera qu'à peine une année, du 25 août 1641 au 7 août 1642, une année féconde certes mais au cours de laquelle Mère Mectilde eut à s'affronter elle-même dans un épuisant combat spirituel, dans la nécessité où elle se trouve de crucifier ses désirs pour mieux se conformer à la volonté divine. Elle n'a encore que 28 ans d'âge et cependant elle a déjà passé dix années de vie religieuse sinon dans le cloître du moins à l'école de l'abandon à Dieu, cet abandon qu'il lui faudra encore davantage pratiquer dans les années suivantes.

En août 1642, avec ses Soeurs de Lorraine réfugiées dans la région de Paris, elle doit quitter Montmartre pour la Normandie où avaient trouvé refuge également d'autres moniales de la pauvre communauté dispersée de Lorraine. L'une d'entre elle se trouvait malade à la Sainte-Trinité de Caen et réclamait d'ailleurs la visite de Mère Mectilde. Le petit groupe de religieuses fut ainsi reçu par l'abbesse de l'abbaye de la Sainte-Trinité avant d'essayer de trouver un lieu pour reconstituer une communauté autonome puisque là était la mission que leur avait confiée Mère Bernardine, prieure de Rambervillers. Et c'est non loin de Caen, à Barbery, à proximité d'une abbaye cistercienne que Mère Bernardine et ses trois Soeurs dont Mère Mectilde purent s'installer. Ce fut de courte durée car dix mois après, il fallut de nouveau partir pour la région parisienne, à Saint-Maur-des-Fossés où une vaste maison leur avait été signalée comme pouvant enfin accueillir toute la communauté de Lorraine qui ne pouvait se regrouper en Normandie. Si le séjour à Barbery fut encore plus bref que celui de Montmartre, il eut comme on le sait les plus grandes incidences sur l'évolution spirituelle de Mère Mectilde par les rencontres providentielles qu'elle y fit et la direction qu'elle y reçut.

A Saint-Maur-des-Fossés où la communauté de Lorraine put effectivement se rassembler peu à peu, Mère Mectilde eut la grâce non seulement de connaître une certaine stabilité qui dura environ trois années mais aussi de recevoir là encore de bonnes et riches influences.

Elle fut déchirée à la pensée de devoir quitter ces lieux et surtout parce qu'on lui demandait de revenir dans la région de Caen, en tant que prieure cette fois pour relever un monastère qui s'en allait à la dérive et à qui il fallait redonner vie. Il s'agissait d'une ancienne fondation de Montivilliers près du Havre, implantée primitivement à Pont-l'Evêque et transférée en 1644 dans la ville de Caen. C'est là que Mère Mectilde dut se rendre pour trois ans non sans faire preuve, lorsqu'on le lui demanda, d'une obéissance crucifiante et, sur les lieux, d'un habile savoir-faire à l'efficacité pleine de tact et de discrétion. Elle gagna vite les plus récalcitrantes et, à son départ, elle fut beaucoup regrettée.

Il fallut de nouveau partir, c'était en août 1650, car on la rappelait à Rambervillers où le monastère redevenait florissant mais à peine était-elle arrivée dans sa Lorraine natale que la guerre de nouveau apporta ses ravages avec la Fronde et la lutte contre l'Espagne. Mère Mectilde dut encore s'exiler avec quatre autres moniales. Le petit groupe tenta de reprendre le chemin de Saint-Maur-des-Fossés en passant par Paris. Mais voilà que Paris aussi était en révolte et elles s'y trouvèrent bloquées. La Providence voulut qu'elles puissent se retrouver avec les six religieuses de Saint-Maur-des-Fossés qui avaient trouvé un lieu de refuge rue du Bac, au faubourg Saint-Germain. Là, dans cette ancienne maison de prostitution, le dénuement était complet, la pauvreté était extrême et Mère Mectilde tomba malade.

3 - Un sanctuaire habité par Dieu

C'est peut-être à ce moment là, à ce moment précis où tout semblait anéanti, qu'un concours de circonstances fit surgir de 20 part et d'autre des amis et bienfaiteurs, des relations et influences qui transformèrent en peu de temps ce couvent de fortune en un haut-lieu de prière et d'adoration. Non sans difficultés, tout alla cependant très vite et d'une façon vraiment inattendue. Désormais, les moniales seraient vouées à l'adoration perpétuelle du Saint-Sacrement en réparation de tous les sacrilèges et crimes commis pendant les guerres de religion et le monastère serait ainsi une vivante action de grâce pour la victoire sur l'impiété. Le 25 mars 1653, le jour de l'Annonciation, eut lieu la première exposition du Saint-Sacrement en ce premier emplacement. Huit mois après, les Soeurs purent trouver non loin de là, rue Férou, une maison plus acceptable et c'est le 12 mars 1654, date mémorable, que Dom Placide Roussel, prieur de l'Abbaye voisine de Saint-Germain-des-Prés, établit la clôture et exposa le Saint-Sacrement. Anne d'Autriche, la régente, se trouvait devant l'autel, la corde au cou et un flambeau à la main ; entourée de moniales, elle lut l'acte de réparation et c'est ce jour que débuta l'adoration perpétuelle. Bénédictines, Mère Mectilde et ses Soeurs le restaient mais elles devenaient officiellement réparatrices et victimes à la suite du Christ, unies à son sacrifice, pour racheter tous les méfaits commis.

Cinq mois plus tard, le 22 août 1654, Mère Mectilde, selon son plus grand désir, proclamait Marie abbesse et supérieure perpétuelle. Mère Mectilde, qui n'avait pas encore ses quarante ans, venait d'accomplir à la suite d'événements pourtant si imprévisibles ses voeux les plus chers qui ne l'avaient à vrai dire jamais quittée depuis sa tendre enfance. Mais que d'épreuves à surmonter, que de souffrances dans cette instabilité permanente depuis son entrée en religion ! Incontestablement, Mère Mectilde restera toujours marquée par cette première période de sa vie. Meurtrie par la guerre et les horreurs dont elle a été souvent le témoin, marquée aussi par les rencontres et influences diverses qui ont été déterminantes dans son orientation religieuse et son cheminement spirituel, elle connut alors des années décisives pour son évolution personnelle, humaine et spirituelle à la fois.

Il n'est pas besoin ici, me semble-t-il, de continuer à suivre Mère Mectilde et ses Soeurs dans l'évolution de leur communauté, transférée peu après rue Cassette où fut construit pour elles un authentique monastère. C'est dans ce lieu, c'est là qu'enfin Dieu put être loué et adoré pendant longtemps, c'est de là aussi que Mère Mectilde put rayonner pour de nouvelles fondations ou affiliations, c'est là encore que la Mère fondatrice se donna davantage à Dieu et à ses Soeurs dans un dévouement inlassable et une mort continuelle à elle-même pour que Dieu vive toujours plus en elle et dans ses moniales.

C'est enfin rue Cassette que Mère Mectilde, comme on l'a vu au début de ces lignes, se laissa prendre par le Seigneur venu la chercher. Entre son enfance et sa mort, certes, ce sont les mêmes dispositions mais que de souffrances et d'épreuves entre les deux pôles et quelle ascension dans l'anéantissement volontaire de ses propres vues pour qu'en elle le Christ soit maître ! Identité peut-être dans les propos et le désir d'adhésion mais purification intense qui peut nous faire entrevoir que malgré la continuité réelle, il s'est opéré un total renouvellement de l'être. Ne pourrait-on pas dire de Mère Mectilde qu'elle fut d'abord un sanctuaire fait pour Dieu et qu'elle devint le lieu où Dieu habitait ? Car tout accomplissement spirituel pourra toujours se traduire par les mots mêmes de saint Paul, éternellement neufs et vrais : "Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi."

Mère Mectilde n'est pas seulement "la grande dame en noir qui parle toujours de la mort", c'est aussi et surtout cette enfant choisie par Dieu et qui a choisi de devenir et de rester enfant du Père, enfant bien-aimée et crucifiée avec le Fils, sous le regard et la conduite de Marie et de l'Eglise, sa mère, pour que tous ressuscitent et vivent pour toujours de la vie même de Dieu. 22

Il - Un demi-siècle de recherches

1. Le retour aux sources

S'il est vrai que les moines du Moyen-Age sont célèbres pour les innombrables oeuvres profanes ou spirituelles héritées de l'Antiquité qu'ils ont, en rajeunissant leur support, transmises aux générations suivantes, on a peut-être moins conscience du rôle irremplaçable, plus modeste, il est vrai, mais tout aussi indispensable, des moines et des moniales copistes qui, au cours des siècles ultérieurs y compris ceux qui ont vu naître et se généraliser le procédé de l'imprimerie, ont transmis à leur tour l'héritage du passé. C'est qu'en effet, tout n'est jamais livré aux imprimeurs et encore moins commercialisé. Il reste des documents d'archives d'autant plus précieux qu'ils sont dispersés, souvent uniques, quelquefois inachevés. Leur auteur n'a pas jugé bon de les éditer ou bien ils ne le méritaient pas pour l'époque ou encore ils ne le pouvaient pas pour diverses raisons.

La correspondance, entre autres genres littéraires, échappe la plupart du temps à l'édition, car l'on n'a pas toujours conscience de la valeur de cette littérature particulière. Les lettres sont habituellement personnelles, il est vrai, mais précisément, c'est à cause de cela qu'elles constituent un véritable trésor et qu'elles sont souvent bien nécessaires pour reconstituer le tissu d'une époque ou d'une personnalité. Elles nous fournissent en général un aspect plus vivant, plus familier et plus concret que ne pourrait souligner aucun autre écrit parallèle et plus officiel. Il en va de même pour des entretiens familiers, des conférences ou des discours improvisés pris au vol par des "scribes" volontaires ou désignés, des sténographes qui transcrivent et qui, éventuellement, font approuver par l'auteur leur texte pour en garantir l'authenticité, qui enfin les transmettent à d'autres, lesquels à leur tour les recopient ou les classent dans les biens de famille.

C'est bien ce qui s'est produit - et de façon admirable - dans la famille monastique de Mère Mectilde, de son vivant déjà puis 23 après sa mort, de la part de celles notamment qui la connaissaient le mieux. Chaque monastère appartenant à l'Institut désirait avoir une copie des recueils ainsi constitués et transmis des dits et faits de la vénérable Mère fondatrice. Au gré des circonstances, durant les trois siècles qui nous séparent maintenant de sa mort, certains textes manuscrits autographes, un peu plus d'une centaine, sont arrivés jusqu'à nous, précieusement, gardés par le monastère de Rouen qui a hérité des documents de Paris et par celui de Varsovie. Certaines lettres autographes sont également conservées à Evreux. Toutes les autres archives, sont des copies, la plupart très fidèles et comparables entre elles ; certaines sont uniques et particulièrement fiables, d'autres sont sujettes à caution à cause de leur mauvaise transmission, de la volonté d'adaptation qui a parfois prévalu, au dix-neuvième siècle notamment, ce qui, du coup, fausse la perspective et supprime la confiance.

Sans compter ce qui se trouve dans plusieurs bibliothèques diocésaines et municipales, à la Bibliothèque Nationale ou à la Sorbonne, ce sont plus de 200 volumes manuscrits conservés uniquement dans les différents monastères des Bénédictines du Saint-Sacrement qui nous fournissent aujourd'hui une riche matière. Certains de ces volumes rassemblent entre autres la surprenante correspondance de Mère Mectilde qui comprend plus de trois mille lettres. Trop peu encore sont éditées de nos jours et cependant il y a là un trésor pour la spiritualité, la littérature et l'histoire tout court. Si deux mille lettres environ sont adressées à des religieuses, les autres - un millier - sont écrites à des personnalités du monde jusqu'aux reines de France, de Pologne et d'Angleterre. La part spirituelle y est toujours dominante car ce sont principalement des lettres de direction mais on y trouve tant d'éléments divers qu'elles dépassent ce cadre strict. Les manuscrits nous transmettent également environ trois cents conférences ou chapitres que Mère Mectilde a donnés à ses Soeurs assemblées en salle capitulaire. C'est là sans doute, ainsi que dans sa correspondance et dans quelques autres entretiens familiers qu'on a pu recueillir d'elle, plus encore peut-être que dans les documents 24 officiellement transmis, imprimés et souvent interpolés, qu'il faut aller chercher le "véritable esprit" de Mère Mectilde.

Le tout est considérable et l'éparpillement des sources manuscrites n'a pas facilité le travail parfois fastidieux mais combien nécessaire et exaltant auquel s'est livrée dans les années soixante de ce siècle finissant, une équipe de moniales des plus motivées, à l'esprit entreprenant et à la persévérance éprouvée. Sans le travail de cette première équipe, rien de valable dans la suite n'aurait pu être entrepris car il fallait d'abord réunir, inventorier, classer, transcrire, comparer et discerner avec un jugement sûr. L'essentiel était d'aller aux sources et aux vraies sources.

Cette première équipe, à partir de 1960, et principalement en 1964, se réunissait à Paris, et pour une quinzaine de jours chaque fois, au monastère de la rue Tournefort où se trouvaient déjà bon nombre d'archives. Un fichier central, actuellement à Rouen, fut constitué, donnant pour chaque manuscrit un numéro d'ordre et la mention de l'incipit et de l'explicit. Les sages conseils de Melle Vieillard, maître de recherche au CNRS, furent sur ce point comme sur tant d'autres hautement appréciés. Cette équipe internationale de sept moniales Bénédictines du Saint-Sacrement était constituée de Soeur Marie-Joseph Max, du monastère de Peppange au Luxembourg ; Soeur Marie-Catherine Castel, de Bayeux ; Soeur Marie-Véronique Andral, de Mas-Grenier, actuellement au monastère de Rouen ; Soeur Maria-Magdalena Monticelli, de Milan ; Soeur Marie-Béatrice Juan, de Paris, actuellement au Mas-Grenier ; Soeur Jeanne-d'Arc Lervack, de Dumfries en Ecosse, actuellement à Craon et Soeur Claire-Marie Grafeuille, de Paris.

C'est grâce à leur travail que fut élaboré, entre autres réalisations, un recueil de conférences et chapitres de Mère Mectilde où les pièces douteuses ont été évacuées pour ne retenir qu'un ensemble sûr qu'on appelle communément le corpus ou le "dossier de Bayeux", puisque c'est là que la frappe originale se trouve et que c'est ce monastère qui en assura la diffusion auprès de 25 chaque monastère de l'Institut. L'ensemble retenu regroupe 265 textes relatifs soit à la liturgie selon le déroulement du temporal ou du sanctoral, soit à la vie monastique proprement dite. Chaque document, qui peut comporter plusieurs pages, possède un numéro d'ordre ainsi que les références au manuscrit de provenance et celles du fichier central. Pour chaque texte, la commission a opté avec sagesse et discernement pour une division en paragraphes établis en fonction de la progression des idées et pour plus de clarté. Les paragraphes n'ont pas été numérotés mais je me permets de suggérer qu'ils le soient sur chaque exemplaire afin de faciliter les renvois à des textes relativement longs pour la plupart. On aurait ainsi le numéro d'ordre de la conférence dans le corpus de Bayeux suivi du numéro du paragraphe concerné. Cela pourrait beaucoup simplifier les recherches.

2. Les imprimés des XVIIe, XVIlle et XIXe siècles

Avant d'inventorier, même de façon rapide, les principales études qui ont contribué à mieux faire connaître la vie, la spiritualité et la doctrine de Mère Mectilde, depuis une cinquantaine d'années, il me faut signaler les quelques écrits de Mère Mectilde elle-même qui furent publiés de son vivant et qui nous sont donc parvenus à l'état imprimé. Il s'agit principalement du Cérémonial des religieuses6 (1668), du Propre des fêtes et offices de la Congrégation7 (1668), des Constitutions8 (1675), de l'Occupation intérieure pour les

6. Cérémonial des religieuses Bénédictines de l'Institut de l'adoration perpétuelle du Très Saint-Sacrement. le Partie. A Paris, chez Robert Ballard, seul imprimeur du Roy pour la musique, 1668.

7. Propre des fètes et offices de la Congrégation des religieuses Bénédictines de l'adoration perpétuelle du Très Saint-Sacrement, approuvé d'autorité apostolique. Cardinal de Vendôme, légat en France, à la Mère Mectilde, pouvoir de N.T.S. Père, le Pape Clément IX - 26 mai 1668.

8. Constitutions des religieuses Bénédictines de l'Institut de l'Adoration perpétuelle du Très Saint-Sacrement de l'Autel, à Paris. 20 juin 1675. La première rédaction est de 1666 et, après l'édition de 1675, il y a eu des retouches jusqu'en 1698.

26 âmes associées9 (1682), du Véritable esprit des religieuses adoratrices10 (1683), des Exercices spirituels11 (1686) et du Règlement des offices (1688). D'autres imprimés ont été édités au XVIIIe siècle, ainsi par exemple les Constitutions, à Varsovie en 1758, et un recueil contenant les Offices solennels de la Réparation et du Précieux Sang, les Actes de consécration et réparation et le Petit office, à Rouen en 1777.

Après la Révolution, certains monastères ont voulu éditer des textes encore laissés manuscrits ou rééditer des ouvrages propres à la vie monastique de l'Institut. Cependant, il faut être prudent pour les éditions de ce XIXe siècle car les écrits de Mère Mectilde ainsi repris ont été "arrangés" au goût de l'époque et selon les besoins. Il y a donc des suppressions, des ajouts, des retouches et des permutations. Ce fut principalement l'oeuvre des monastères d'Arras, de Saint-Louis-du-Temple, de Saint-Nicolas-de-Port et de Sainte-Geneviève de Paris. Les monastères qui avaient des élèves ont également composé des manuels de prières pour leurs pensionnaires. C'est ainsi que le Véritable Esprit a connu plusieurs rééditions depuis 1803 jusqu'en 1900, de même pour les Constitutions (Paris, 1817 ; Lyon 1851 et Arras, 1862), les Exercices spirituels (Paris, 1817 et Lille, 1841), le Propre des fêtes (1827), la Journée religieuse (Lille, 1833, 1841, 1859), les Heures du Saint-Sacrement (Lille, 1835 et 1841), le Règlement des offices (Lille, 1839, 1863) et le Cérémonial (Lille, 1840)12.

Pour ce qui concerne les éléments biographiques de Mère Mectilde, outre les manuscrits que nous possédons encore de nos jours, et qui ne sont pas encore publiés ou qui ne le sont que partiellement13, il faut signaler les plus anciennes éditions imprimées.

9. Occupation intérieure pour les âmes associées à l'Adoration perpétuelle du Très Saint-Sacrement de l'Autel, à Paris, chez la veuve Georges Josse, rue Saint-Jacques, à la couronne d'épines, 1682.

10. Véritable esprit des religieuses adoratrices perpétuelles du Très Saint-Sacrement de l'Autel, à Paris, chez Christophe Journel, rue Saint-Jacques, au petit Saint-Jean, 1683. (10 ch.) ; nouvelles éditions à Paris, chez Edme Couterot, rue Saint-Jacques, au bon pasteur en 1684 (16 ch.) et 1690 (19 ch.). Au XIX' siècle : rééd. à Chartres, (An XI) 1803 ; Paris, 1817 ; Versailles, 1853, 1864 et Paris, 1900.

11. Exercices spirituels ou la pratique de la Règle de saint Benoît à l'usage des religieuses Bénédictines de l'Adoration perpétuelle du Très Saint-Sacrement de l'Autel, 10 juin 1686. Il s'agit d'une adaptation de l'ouvrage de Dom Claude Martin, le fils de Mère Marie de l'Incarnation.

12. Pour ne parler que du XIX' siècle, les traductions sont aussi nombreuses, ainsi par exemple : le Véritable Esprit est publié en allemand à Einsiedeln successivement en 1849,1853, 1856, 1859 et 1898 ; les Constitutions sont traduites en allemand à Bonn en 1867, en italien à Milan en 1888, en néerlandais à Utrecht en 1899, etc. Dans la suite de ce travail, nous n'avons indiqué les rééditions et traductions de ces différents ouvrages, au XXe siècle, qu'à titre occasionnel.

13. Nous pensons au manuscrit P 101 aujourd'hui à Rouen. Il s'agit de la biographie de Mère Mectilde, rédigée par sa nièce Gertrude ou Catherine de Vienville. La lettre d'approbation, signée du Chanoine Simon Gourdan, de l'abbaye de Saint-Victor est datée du 26 avril 1701.

Par ailleurs, le monastère de Tourcoing possède un texte de l'abbé Berrant, resté inédit, donnant une Vie abrégée de la vénérable Mère Catherine de Bar. Il y a aussi une biographie du XIXe siècle, restée inédite, celle écrite par Dom Firmin-Dunstan Collet (1824-1892), profès de Solesmes (1848). Il quitte son abbaye vers 1865 et devient secrétaire de Mgr Mermillod, évêque de Genève. Son manuscrit, écrit avant 1865, conservé pendant longtemps à l'abbaye de Pradines, se trouve maintenant à Rouen. Une copie manuscrite se trouve à Limon.

Il y a également, toujours à la fin du XIX' siècle, un autre moine de Solesmes, Dom Joseph Rabory (1843-1916), profès de Solesmes en 1871, envoyé à Marseille en 1873, puis à Ligugé en 1886, qui avait entrepris d'écrire une vie de Mère Mectilde. Il en a rassemblé les éléments dès 1893 mais en 1895, il confie à Dom Alphonse Pothier, le frère de Dons Joseph Pothier, que le travail n'avance que lentement. (Correspondance de Dom J. Rabory à Dom A. Pothier : lettres du 11 avril 1893, du 15 juillet et du 9 octobre 1995. Ces lettres sont conservées aux Archives de l'abbaye de Saint-Wandrille). Dom Joseph Rabory devient alors aumônier successivement à Tours, Marmoutier et SaintLouans. Après quoi, il doit se rendre dans un prieuré dépendant de Ligugé, à Cogullada en Espagne, où il meurt en 1916. Nous n'avons pas pu, jusqu'ici, trouver trace de son manuscrit ni de ses notes sinon d'un commentaire inédit du Véritable Esprit, conservé à Limon. Je tiens à remercier ici Soeur Marie Christine Gillier, Dom Louis Soltner et Dom Hugues Leroy, respectivement archivistes de Limon, Solesmes et Saint-Wandrille, pour les recherches entreprises à ce sujet. Mentionnons toutefois que parmi les nombreuses publications de Dom Joseph Rabory se trouvent notamment La vie de Louise de Bourbon, princesse de Condé, fondatrice du monastère du Temple, Solesmes, 1988 ; la Correspondance de la princesse Louise de Condé, Solesmes-Paris, 1889 ; l'introduction de l'Histoire d'un monastère. Les Bénédictines de Saint-Laure-nt de Bourges, Bourges, 1891 et Marie-Casimire Sobieska, reine de Pologne, clans la Revue du Monde Catholique, t. 105 (1891) p. 51-68 et 244-257.

Enfin, au début du XXe siècle, peu avant 1912, Henri Boissonnot a écrit une biographie de Mère Mectilde intitulée : Une âme mystique au XVIIC. Le manuscrit se trouve au monastère de Tourcoing. Nous devons par ailleurs au Chanoine Henri Boissonnot un très intéressant ouvrage intitulé La Lydwine de Touraine, Anne-Berthe de Béthune, abbesse de Beaumont-les-Tours, 1637-1689, Paris, Lecoffre, 1912. Dans ce livre de plus de 400 pages, l'auteur présente un grand nombre de lettres de Mère Mectilde adressée à Mère Anne de Béthune.

28 Nous avons tout d'abord une lettre circulaire14 de 1698, puis au XVIIIe siècle, une biographie éditée par Pierre-Hippolyte Helyot et Maximilien Bullot en 1718 15, celle du Provincial des Minimes François Giry publiée en 1719 16 et celle de l'abbé Arnaud-Bernard Duquesne, de 1775 en 474 pages 17. N'oublions pas la notice que le savant abbé de Senones Dom Augustin Calmet a consacrée à Mère Mectilde dans sa Bibliothèque lorraine, col. 651-653, de l'année 1751 18.

Au XIXe. siècle, signalons en premier lieu une biographie de Mère Mectilde éditée en allemand à Osnabrück par l'abbé B. F. Brust, alors vicaire à la cathédrale d'Osnabrück et en lien avec le monastère des Bénédictines du Saint-Sacrement de cette ville. Cet ouvrage de 300 pages contient en outre un choix de prières de Mère Mectilde 19. Il nous faut surtout mentionner l'oeuvre entreprise par Monseigneur Ildefons Hervin, alors aumônier du monastère d'Arras avec la collaboration de l'abbé Marie Dourlens, qui nous a valu, en 1883, plus de 800 pages d'une biographie bien

14. Lettre circulaire du premier monastère des religieuses Bénédictines du Saint-Sacrement de Paris, le lerjuillet 1698. Soeur Marie-Anne du Saint-Sacrement, prieure. Paris, imprimerie de la V. d'Etienne Chardon, rue Galande, 1698.

15. Pierre Hippolyte Helyot et Maximilien Bullot, Histoire des Ordres monastiques, religieux et militaires et des congrégations séculières de l'un et l'autre sexe, Paris, Jean-Baptiste Coignard, rue Saint-Jacques, 1718, t. VI, p. 370-390 ; traduction italienne en 1737.

16. François Giry, Vie des Saints, art., La vénérable Mère Catherine des Religieuses de l'Adoration perpétuelle, t. 3, Paris, 1719, col. 217-256 ; ibid., t. 4, suppl., Paris, 1860, col. 220-249 ; traduction polonaise, à Varsovie en 1738.

17. Arnaud-Bernard d'Icard Duquesne, Vie de la Vénérable Mère Catherine de Bar, dite en religion Mechtilde du Saint-Sacrement, Nancy, chez Claude-Sigisbert Lamort, 1775.

18. Augustin Calmet, Bibliothèque lorraine ou histoire des hommes illustres qui ont fleuri en Lorraine, Nancy, 1751, col. 651-653. Cet ouvrage forme le tome IV de son Histoire de Lorraine dans l'édition de Nancy, 1745-1757, en 7 volumes.

19. B. F. Brust, Lebensgeschichte der ehrwürdigen Mutter C. Mechtilde, der Stifterin und ersten Oberin vom Orden der Ewigen Anbetung des Allerheiligsten Altarsakramentes. Nebst Anhang von Gebeten für die Mitglieder der Brudersche vom h. Altarsakramente, Osnabrück, 1856.

29 documentée20. Mgr Hervin, la même année, a résumé cette ample biographie en une Vie abrégée qui ne comporte plus que 432 pages21. Peu de temps après, Monseigneur Paolo Angelo Ballerini, originaire de Milan, nommé archevêque de cette ville en 1859, sans pouvoir cependant exercer sa charge pour des raisons diplomatiques et qui devint en 1867 patriarche latin d'Alexandrie, publia en 1886 une biographie de Mère Mectilde22 en s'inspirant de celle de Monseigneur Ildefons Hervin. Une deuxième édition revue et augmentée parut en 1895. Signalons en 1891-1892 une contribution importante de Dom Gerard van Caloen, de l'abbaye de Beuron, avant qu'il ne devienne abbé au Brésil, publiée dans la Revue Bénédictine sur les Bénédictines du Saint-Sacrement23. A cette même époque signalons aussi une Note sur le nom de "Catherine de Bar" par Léon Germain en 189224, également les pages d'Arthur Benoît dans sa contribution aux Mémoires de l'Académie Stanislas concernant Les Dames du Saint- Sacrement à Nancy, publiée en 1895 25 , ainsi que la biographie écrite par Christian Pfister, Catherine de Bar, sa vie et son oeuvre, publiée en 1986 2 6. L'année sui

20. Ildefons Hervin et Marie Dourlens, Vie de la Très Révérende Mère Mechtilde du Saint-Sacrement, Paris, Bray et Retaux, 1883 ; traductions allemandes en 1887 et 1899 et polonaise en 1943.

21. Ildefons Hervin et Marie Dourlens, Vie abrégée de la Très Révérende Mère Mechtilde du Saint-Sacrement, Paris, Bray et Retaux, 1883.

22. Paolo Angelo Ballerini, La Madre Metilde del SS. Sacramento, Milano, 1886 ; 2e édition revue et augmentée, 1895. Voir ci-après les dernières lignes de la note 45.

23. Gerard van Caloen, Les Bénédictines du Saint-Sacrement, dans la Revue Bénédictine, 8 (1891) p. 242-254, 299- 308, 396-406 ; 9 (1892) p. 385-391, 433-441, 481-490.

24. Léon Germain, Note sur le nom de "Catherine de Bar", dans le Bulletin de la Société Philomatique Vosgienne, 15 (1891-1892) p. 41-44. Cet article de Léon Germain est une mise au point qu'il a rédigée très utilement à la suite des remarques inexactes de Paul de Boureulle dans L'abbaye de Remiremont et Catherine de Lorraine, ibid. (1883- 1884) p. 33 (appendice B) et dans sa note Note sur le nom de "Catherine de Bar", ibid. 16 (1890-1891) p. 322-323.

25. Arthur Benoît, Les Dames du Saint-Sacrement à Nancy, dans les Mémoires de l'Académie Stanislas, 1895, p. 215- 248.

26. Christian Pfister, Catherine de Bar, sa vie et son oeuvre, dans le Bulletin de la Société Philomatique Vosgienne (1896-1897) p. 215s. et dans Histoire de Nancy, 3 vol., 1902-1909, vol. 1, Nancy, 1909, p. 757-774.

30 vante, en 1897, l'Abbé J.- B.-Edmond L'Hote consacre une notice de plusieurs pages à Mère Mectilde dans sa Vie des Saints et autres pieux personnages 27.

3. La première moitié du XXe siècle et l'éveil de l'année 1953.

Abordons maintenant le XXe siècle. Les études concernant Mère Mectilde, rares dans la première moitié, ont pris un essor remarquable ces cinquante dernières années. En premier lieu, les études du début de ce siècle : un ouvrage des moniales de Rosheim, écrit par Mère Scholastique Parisot, prieure de Nancy, publié en 1922 28 suivi, l'année suivante et à propos de ce dernier livre, d'une étude de Dom Pie de Kerchove 29. Dans son ouvrage sur le monastère de Rouen, publié en 1923, l'Abbé Auguste Reneault, alors aumônier des Bénédictines, relate l'époque de la fondation d'un monastère à Rouen avec les voyages de Mère Mectilde dans cette ville30. En 1924, les Bénédictines de Paris, rue Tournefort, éditent une petite Notice abrégée sur la Révérende Mère Mectilde du Saint-Sacrement31. En 1932, Dom Paul Séjourné, de l'abbaye Sainte-Marie de Paris, écrit l'article consacré à Catherine de Bar dans le Dictionnaire d'Histoire et de Géographie Ecclésiastiques32 et, de son côté le célèbre abbé Bremond, dans sa

27 J.-B.-Edmond L'Hote, Catherine de Bar, en religion, Soeur Mechtilde du Saint-Sacrement, dans son ouvrage La vie des saints, bienheureux, vénérables et autres pieux personnages du diocèse de Saint-Dié, t. 2, Saint-Dié, 1897, p. 403-417.

28 Anonyme (Mère Scholastique Parisot, prieure de Nancy), Catherine de Bar, Mère Mectilde, Publication bénédictine "Pax", Montauban, Prunet, 1922.

29 Pie de Kerchove, Mère Mectilde du Saint-Sacrement, dans la Revue Liturgique et Monastique, 8 (1922) Maredsous, p. 261-266.

30 Auguste Reneault, Le monastère de Bénédictines du Saint-Sacrement. Fondé à Rouen en 1663, Fécamp, 1924.

31 Anonyme, Notice abrégée sur la Révérende Mère Mectilde du Saint-Sacrement, Paris, 1924. 32. Paul Séjourné, art. Bar (Catherine de), dans le Dictionnaire d'Histoire et de Géographie Ecclésiastiques, t. VI, 1932, col. 534-538. Voir aussi : H. C. Wendlandt, art., Bar (Catherine de), dans le Lexicon für Theologie und Kirche, t. 1 (1930) col. 956 et Paulus Volk, art., Bar (Catherine de), ibid., t. 1 (19572) col. 1233. On pourra aussi consulter l'ouvrage intitulé :

31 non moins célèbre Histoire littéraire du sentiment religieux, en 1932, évoque à plusieurs reprises Mère Mectilde. Il regrette de ne pas en parler davantage et confesse qu'elle mériterait "une longue esquisse... Si je commence à parler d'elle, dit-il, je ne saurais plus m'arrêter..."33. En 1933, le monastère de Peppange au Grand Duché du Luxembourg publie un volume en langue allemande consacré à Mère Mectilde34. La même année, à Londres est publiée, semble-t-il, une biographie de Mère Mectilde écrite par M.A. Maxwell Stuart35. En 1935, le monastère de Ronco-Ghiffa en Italie eublie à son tour une biographie de Mère Mectilde de 132 pages . C'est de cette époque qu'il faut dater le savoureux petit livret d'une vingtaine de pages ; Cum hostia. La voie d'une grande mystique, écrite par une moniale d'origine vosgienne entrée au monastère de Rouen : Soeur Marie-Odile Wirtz37.

A partir de 1953 s'ouvre vraiment, pour les études mectildiennes, une nouvelle et grande période qui, j'espère, ne fait que commencer. Le départ est encore un peu timide dans les années cinquante. Les années soixante, on l'a vu, sont celles des recherches en profondeur qui n'apparaissent pas encore nécessairement en surface mais qui sont capitales pour la suite. Les trois dernières décennies nous ouvrent des dossiers pratiquement inconnus jusque là et des spécialistes attestent publiquement de la valeur littéraire, spirituelle et doctrinale de la vie et de l'oeuvre de

Histoire de Lorraine, par la Société Lorraine des Etudes Locales dans l'Enseignement Public, Nancy, éd. Berger Levrault, 1939, p. 426.

33. Henri Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France depuis la fin des guerres de religion jusqu'à nos jours, t. IV, p. 265-266 ; t. VI, p. 386 ; t. IX, p. 207-219, Paris, Bloud et Gay, 1932.

34. Anonyme, Im Dienste der hl. Hostie. Katharina von Bar, Mutter Mechtilde vom hist. Sakrament, Peppingen, Kloster der Ewigen Anbetung, 1933.

35. M.A. Maxwell Stuart, Life and work of R.M. Mechtilde of the Blessed Sacrament, London, 1933.

36. Anonyme, Madre Mechtilde del SS. Sacramento. Caterina de Bar, Ronco-Ghiffa, 1935.

37. Anonyme (Soeur Marie-Odile Wirtz), Cum Hostia. La voie d'une grande mystique : Mère Mectilde du Saint- Sacrement, pro-manuscripto, Rouen, sans date. Trad. néerlandaise à Rumbeke vers 1972.

32 Mère Mectilde en ce grand siècle de renouvellement intérieur que fut le XVIIe. Tout n'est cependant pas encore dit, et de très loin ! Nous n'en sommes pas aujourd'hui à un point d'arrivée mais plutôt à une étape qui constitue maintenant un nouveau point de départ, avec en perspective, une moisson abondante pour tous.

C'est le 25 mars 1653, en la fête de l'Annonciation, avons-nous rappelé précédemment, qu'eut lieu, avec l'assentiment de Dom Placide Roussel, Prieur de Saint-Germain-des-Prés, la première exposition du Saint-Sacrement dans la chapelle de l'abri de fortune de la rue du Bac. En 1953, les moniales bénédictines issues de ce germe prometteur se devaient de marquer par une publication collective le tricentenaire du début de cette Adoration perpétuelle à laquelle chacune avait voué sa vie. L'Institut comptait alors, selon les chiffres de 1950, un ensemble de 42 monastères regroupant 1600 moniales Bénédictines du Saint-Sacrement. L'ouvrage en question qui parut exactement en 1953 était intitulé Priez sans cesse. 300 ans de prière" et recueillait de nombreuses études signées entre autres de Dom Jules Fohl, moine de Clervaux appelé à Rome pour l'abbaye Saint-Jérôme, du Chanoine Georges-Abel Simon, oblat séculier de l'abbaye Saint-Wandrille, qui écrivit une riche biographie de Mère Mectilde, de Dom Gaston Charvin, moine de Ligugé, qui apporta une précieuse contribution de 120 pages sur l'histoire de l'Institut depuis les origines et de chacun des monastères en particulier, de Dom Jean Leclercq, moine de Clervaux, qui donna une très utile communication sur Notre Dame abbesse avec la documentation médiévale qu'on lui connaît, ainsi que d'autres auteurs tels que Dom Jean de Monléon, Dom Eloi Devaux et le R.P. Marie-Dominique Philippe o.p., qui apportèrent d'autres contributions spirituelles.

38. Collectif, Priez sans cesse. 300 ans de prière, Desclée de Brouwer, Paris, 1953.

Retenons tout particulièrement la biographie mentionnée ci-dessus du Chanoine Georges-Abel Simon car il y souligna l'influence qu'exercèrent sur Mère Mectilde le Père de la Réforme de Saint-Vanne que fut Dom Didier de la Cour ainsi que le courant spirituel issu du capucin Benoît de Canfeld. D'autres influences, plus directes celles-là, se sont exercées également sur Mère Mectilde : celle de la Réforme de Montmartre, avec l'abbesse Madame de Beauvilliers et surtout l'une des moniales réformées Soeur Charlotte Le Sergent ; celle de l'abbesse de l'abbaye de la Sainte-Trinité de Caen, Madame de Budos, et de son entourage, notamment l'abbé de Barbery, Dom Louis Quinet, et le grand mystique normand Jean de Bernières-Louvigny avec son "Hermitage", ce lieu de rencontres et d'influences spirituelles par excellence ; celle, enfin, de son confesseur et directeur d'alors, le Père Jean Chrysostome de Saint-Lô, religieux pénitent du Tiers-Ordre de Saint-François dont le rôle ne fut pas moins important. On y voit encore les relations avec la Réforme de Saint-Maur (le rôle de Dom Ignace Philibert a davantage été souligné par l'étude de Dom Gaston Charvin), avec la spiritualité de saint Jean Eudes, de saint Vincent de Paul et de Monsieur Olier, l'attrait eucharistique de l'époque avec l'expression d'un désir de réparation consécutif à tous les ravages de la guerre en même temps que suscité par une théologie spirituelle très marquée. Le Chanoine Georges-Abel Simon ne manque pas d'insister aussi sur le rôle joué par la Règle de saint Benoît elle-même ainsi que par un abbé prémontré, Dom Epiphane Louis, abbé d'Etival, qui rédigea spécialement pour Mère Mectilde et ses moniales plusieurs textes spirituels fondateurs39. On voit là, dans cette heureuse contribution, les lignes directrices grâce auxquelles les études ultérieures pour-

39. Epiphane Louis (Louys), La nature immolée par la grâce ou la pratique de la mort mystique, pour l'instruction et la conduite des Religieuses Bénédictines, consacrées à l'Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement, et très utile à toutes les personnes dévotes à ce grand mystère. Première partie. A Paris, chez Georges Josse, rue Saint-Jacques, à la couronne d'épines, 1674 ; id., La vie sacrifiée et anéantie des novices qui prétendent s'offrir en qualité de Victimes du Fils de Dieu en la Congrégation des Religieuses Bénédictines de l'Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement. Seconde partie. Même lieu et date. Après la mort de Dom Epiphane Louys (1614-1682), le prémontré Michel La Ronde ( 1718) qui fut, dès 1676, secrétaire

34 ront s'orienter en bénéficiant déjà d'indications bibliographiques précieuses.

En cette même année 1953 ont paru, pour la même raison, plusieurs notices ; signalons celle de Soeur Mary Joan, dans la Vie Spirituelle40 celle de Monseigneur Gilla Vincenzo Gremigni, dans Deus Absconditus, la revue du monastère de Ronco-Ghiffa41, ainsi que le numéro unique "Pax", publié par le monastère de Milan, contenant une biographie de Mère Mectilde et plusieurs contributions sur sa doctrine42. Revenons légèrement en arrière pour mentionner l'article qu'Henri Tribout de Morembert consacra à Mère Mectilde dans le Dictionnaire de Biographie Française43, en 1951, ainsi que les quelques pages de C. Berthelot du Chesnay sur Saint Jean Eudes et Mère Mectilde 44. En 1954, Monseigneur Gilla Vincenzo Gremigni fait paraître en Italie un petit livre qui met en relief et en parallèle Mère Mectilde de Bar et Mère Catherine Lavizzari, "deux flammes eucharistiques" comme l'indique le titre. La vénérable Catherine Lavizzari, formée à Arras, fut la fondatrice du monastère de Ronco di Ghiffa en 1906 45. Cet ouvrage a été réédité récemment.

du vicaire général des prémontrés réformés écrivit, dans la ligne de Dom Epiphane Louys, la Pratique de l'oraison de foi, ou de la contemplation divine par une simple vue intellectuelle..., ouvrage publié par les religieuses de l'Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement, à Paris en 1684. De plus, quatre ans plus tard, il regroupa et publia soixante lettres spirituelles de Dom Epiphane Louys : Lettres spirituelles du Révérend Père Epiphane Louis, Abbé régulier d'Etival. A Paris, chez Christophe Remy, rue Saint- Jacques, au grand Saint-Remy, 1688.

40. Soeur Mary-Joan (Soeur Jeanne d'Arc Lervack), Le tricentenaire de l'Institut de l'Adoration perpétuelle et la Mère Mechtilde du Saint-Sacrement, dans la Vie Spirituelle, 382 (1953) p. 301-302.

41. Gilla Vincenzo Gremigni, La benedettina dell'Eucaristia, dans Deus Absconditus (numéro spécial pour le tricentenaire de l'année 1953) p. 9-16.

42. Gerardo Fornaroli, Orazione e sacrificio in offerta continua ; Fausto Mezza, La divina abbadessa ; Alice De Micheli, La fondatrice M. Mectilde del SS. Sacramento, dans Pax (numéro unique pour le tricentenaire de la fondation de l'Institut), Milan, 1954.

43. Henri Tribout de Morembert, art. Bar (Catherine de), dans le Dictionnaire de Biographie Française, t. V, 1951, col. 111-113.

44. Charles Berthelot du Chesnay, Saint Jean Eudes et Mère Mectilde, dans Notre Vie, revue eudiste de spiritualité et d'information, juillet 1952 ; novembre 1954 ; janvier et mai 1955.

45. Gilla Vincenzo Gremigni M.S.C., Due flamme eucaristiche - Madre Mectilde de Bar -

35

En 1957, Dom Jean Leclerca publia une étude sur Saint-Germain et les Bénédictines de Paris46 traitant des relations entre la Congrégation de Saint-Maur et Mère Mectilde ; c'est principalement à partir des documents conservés aux Archives Nationales, et notamment la liasse L763, que l'érudit bénédictin de l'abbaye de Clervaux reconstitue la fondation du monastère de la rue Cassette en lien avec les moines bénédictins de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Comme cette étude a été reprise et augmentée par l'auteur dans un article ultérieur paru en 1976, nous en reprendrons les éléments plus loin.

L'année suivante, 1958, le célèbre bénédictin liturgiste de l'abbaye de Ligugé Dom Georges Lefèbvre faisait paraître en Italie, à Milan, une courte étude de haute qualité théologique sur les fondements doctrinaux de la spiritualité de Mère Mectilde et

Madre Caterina Lavizzari, lère éd. 1954 ; 2e éd. Milano, 1990. Il s'agit de Luigia Lavizzari (1867-1931) devenue en religion Mère Catherine de l'Enfant-Jésus. Elle même et ses vénérables parents ont donné lieu à diverses études. Voir les notes 109 et 125. La cause de sa béatification a été introduite au diocèse de Novare dès 1956 et à Rome en 1980. Le Père Antonio Ricciardi, o.f.m. conv. , postulateur, venant de décéder, c'est Madame Francesca Consolini sa collaboratrice qui a été récemment nommée postulatrice (cf. Deus Absconditus, 87/4 (1996) p.37 et 40-41). En 1995 a été édité l'important travail de la Positio super vita et virtutibus concernant la servante de Dieu Catherine de l'Enfant-Jésus (Luigia Lavizzari) 2 volumes, Congregatio pro causis sanctorum, P. N. 950, Rome, 1995. (Dots. ssa Francesca Consolini, collaboratrice; P. Antonio Ricciardi, o.f.m. conv., postulatore ; P. Yvon Beauclouin, O.M.I., Relatore). Dans le premier volume, se trouvent, entre autres documents, une biographie de Mère Mectilde, un historique de l'Institut, le récit de la fondation de Seregno (1880) et du transfert à Ronco di Ghiffa (1906). On y voit le grand rôle joué notamment par Mère Marie Thérèse Lamar (Marie Louise Françoise Lamar, 1887-1880) et par Mgr Paolo-Angelo Ballerini (cf. note 22 ci-dessus). Un ouvrage récent vient d'être publié sur ce dernier : Carlo Cattaneo, Mons. Paolo Angelo Ballerini, archivescovo di Milano e patriarca d'Alessandria d'Egitto, le tappe di una vita (1814-1897), Locarno-Milano, 1992.

46. Jean Leclercq, Saint-Germain et les Bénédictines de Paris, dans la Revue d'Histoire de l'Eglise de France, 43 (1957) p. 223-230. Ce numéro spécial a paru aussi sous le titre Mémorial du XIV' centenaire de l'abbaye Saint- Germain-des-Prés, Paris, Vrin, 1959, p. 223-230.

36 de l'Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement47. Ses réflexions, riches en perspectives sur le mystère eucharistique et sur la portée du sacrifice du Christ, contribuent à l'approfondissement du sens de la doctrine de la réparation et à la bonne compréhension du mot de "victime". "Si on le prend dans son sens vrai, strict, c'est le synonyme de "Chrétien". C'est le mot le plus simple qui soit, le plus vrai et le plus profond pour exprimer ce qu'est un chrétien. Un chrétien, c'est celui qui entre en communion avec le mystère du Christ... Si nous le prenons dans sa vraie portée théologique, il exprime ce qu'est, au fond, toute vie chrétienne : être avec le Christ, uni à son Sacrifice, participer à son Sacrifice, Victime avec Lui". L'auteur montre bien ici que ce n'est pas l'aspect immolation qui est premier mais la consécration à Dieu, l'offrande de soi à Dieu, l'union totale à Dieu. Ce n'est donc pas l'aspect négatif mais bien au contraire l'aspect positif de croissance dans la vie du Christ mort et ressuscité qui fait agir le chrétien. "La mort au péché n'a d'autre raison que de nous ouvrir cette participation à la vie du Christ ressuscité".

Dom Georges Lefèbvre, compare ensuite la spiritualité réparatrice centrée sur la dévotion au Sacré-Coeur et celle centrée sur le dogme eucharistique. Il montre comment cette deuxième perspective est "beaucoup plus riche de vérité dogmatique" et ne comporte pas le risque de devenir "un peu anthropomorphique et trop purement psychologique... La vraie façon de consoler le Christ, c'est de travailler avec Lui à la Rédemption du monde, de travailler avec Lui au salut des âmes. Et c'est justement ce que nous faisons quand nous entrons en communion avec Lui dans son mystère rédempteur ; lorsque, en tant que nous sommes ses membres, nous vivons avec lui son Sacrifice rédempteur source de tout salut". Et très justement, l'auteur insiste sur la formule juste

47. Georges Lefèbvre, Fondamenti dottrinali di una spiritualità, dans Scuole asti grafiche pavoniane artigianelli, Milano, 1958, p. 3-13 ; repris dans Ora et Labora, 14/1 (1959) p. 18-28.

37 pour exprimer la vraie joie de l'Eglise : "Tout peut se résumer en une formule : il ne s'agit pas de s'offrir comme victime au Christ, ce qui théologiquement n'a pas de sens. Il s'agit de s'offrir comme victime au Père avec le Christ et dans le Christ. Cela a un sens théologique très profond et c'est là justement ce qui constitue la valeur profonde de la spiritualité réparatrice centrée sur le Signe du Sacrifice Rédempteur, comme celle des Bénédictines du Saint-Sacrement. Elles ne s'appuient pas sur une dévotion mais sur le dogme central de la vérité chrétienne... Leur spiritualité est au confluent des notions de péché, de rédemption et de Communion des Saints, et on ne peut la comprendre qu'à la lumière de ces grandes vérités".

Toujours en 1958 fut éditée, dans la Revue d'Ascétique et de Mystique, une série de textes importants appartenant à la correspondance de Mère Mectilde ; il s'agit des lettres de direction spirituelle qu'elle a adressées à la Comtesse de Rochefort (1614-1667) restée veuve avec quatre enfants, sept ans après son mariage, et désireuse de vivre une vie authentiquement abandonnée à Dieu malgré d'innombrables soucis. Son fils est devenu, juste avant sa mort, archevêque d'Auch. On peut dire que cette édition inaugure une longue série qui n'est pas près d'être terminée quarante ans après, car les textes de Mère Mectilde sont particulièrement abondants.

Ici, Raymond Darricau nous offre une sélection de quatorze lettres sur les cent-douze que Mère Mectilde a adressées à la Comtesse de Rochefort et qui se trouvent conservées à l'état de copies en plusieurs monastères dont celui de Tourcoing. Cependant, ce choix est déjà significatif et révèle la teneur de l'ensemble. De plus, Raymond Darricau, professeur à l'université de Bordeaux et grand connaisseur de l'histoire de la spiritualité, fait précéder la publication des lettres de Mère Mectilde d'une étude très bien documentée48.

48. Raymond Darricau, Une correspondance spirituelle au XVIII siècle, dans la Revue d'Ascétique et de Mystique, 132 (1957) p. 400-421 et Lettres inédites de la Mère Mectilde du Saint-Sacrement à Madame de Rochefort, ibid., 133 (1958) p. 72-94. Traduction polonaise en 1976.

38 Outre le fait qu'il nous rapporte les mots du Cardinal Eugène Pacelli49, futur pape Pie XII, alors qu'il présidait les fêtes eucharistiques en tant que légat à Lisieux en 1937, citant Mère Mectilde avec saint Jean Eudes, Jean de Bernières et Gaston de Renty comme de remarquables âmes eucharistiques issues du terroir normand, l'auteur nous entraîne à mieux percevoir et comprendre l'ampleur du renouveau eucharistique au XVIIe siècle. Il nous signale fort utilement comment, dès 1661, le Père Jacques de Machault, sj., historien des gloires du Saint-Sacrement, constatait avec joie l'apparition "d'un instinct nouveau, d'une ardeur secrète qui pousse les chrétiens à honorer le très Saint-Sacrement" et saluait l'oeuvre de Mère Mectilde comme une marque plus récente, mais aussi fort éclatante et des plus mémorables de ce mouvement céleste..."50. L'Institut des Bénédictines de l'adoration perpétuelle n'avait encore que neuf ans d'existence.

Raymond Darricau souligne à juste titre le grand rôle joué par la reine Anne d'Autriche ainsi que le concours et l'appui d'un saint prêtre, l'un des "plus remarquables du XVIIe", Monsieur Picoté, prêtre de la paroisse Saint-Sulpice, qui fut confesseur d'Olier et de Tronson. L'auteur rappelle ensuite, au sujet de Mère Mectilde, à quel point "le rayonnement de cette âme de feu attirait à elle les représentants les plus éminents de la société française. On trouve dans son entourage toutes les personnalités marquantes du monde religieux : les reines : Anne d'Autriche, Marie-Thérèse et Marie-Béatrice d'Este, la duchesse douairière d'Orléans, saint Jean Eudes, Marie des Vallées, Jean de Bernières,


49. Discours de S. Em. le Cardinal Pacelli, Légat pontifical pour le congrès eucharistique de Lisieux en 1937, dans l'Observatore Romano du 12-13 juillet 1937 et dans la Documentation Catholique, 38/852 (14 août 1937) col. 216- 242. Allusion à Mère Mectilde : col. 228.

50. Jacques de Machault, Le trésor des grands biens de la très sainte eucharistie, Paris, 1661.

le Père Chrysostome de Saint-Lô, Boudon archidiacre d'Evreux, Dom Louis Quinet, l'abbé d'Etival Epiphane Louys, l'abbé Roquelay, saint Vincent de Paul et Monsieur Olier ainsi qu'une foule d'autres. Cette influence dépassait les limites de la France : à Varsovie comme à Rome, on connaissait et on appréciait la prieure de la rue Cassette au point de désirer ardemment la venue de religieuses adoratrices façonnées à son image..."

Raymond Darricau fait ressortir le rôle très important des communautés de moniales contemplatives dans la France du XVIIe siècle comme autant "de centres de ralliements où tout ce que la nation comptait de notables venait puiser des énergies nouvelles et se préparer aux entreprises les plus audacieuses : le Canada, les missions d'Orient...", et tout particulièrement la communauté de Mère Mectilde car "dans cette recherche passionnée de Dieu, la fondatrice des Bénédictines du Saint-Sacrement figurait avec honneur, et incarnait magistralement les grandes aspirations de la cité classique". Après quoi, l'auteur nous présente Madame de Rochefort et nous confie, à la suite de l'abbé Arnaud-Bernard Duquesne, "que cette dame fut une des plus intimes amies de Mère Mectilde et peut-être celle qu'on peut dire s'être élevée à la plus haute perfection sous sa conduite".

Toujours en 1958, mentionnons un article de Filippo Franceschi sur L'oeuvre de Mectilde de Bar, dans Ora et Labora, la revue du monastère de Milan51.

A partir de 1960, une bénédictine du Saint-Sacrement, Soeur Marie-Véronique Andral, entrée au Mas-Grenier puis qui a séjourné longtemps au monastère d'Erbalunga en Corse avant d'être envoyée à Rouen où elle se trouve actuellement, fournit ses premières publications. Nous lui devons beaucoup non seulement pour ses travaux publiés et ses conférences mais aussi pour tant d'autres études ébauchées, restées dans l'ombre, souvent même

51. Filippo Franceschi, L'opera di Mectilde de Bar, dans Ora et Labora, 13/1 (1958) p. 1317.

40 inédites en français mais publiées en italien ou en polonais... Il s'agit, en 1960, de son premier article présentant et commentant des textes inédits de Mère Mectilde Un avec Jésus-Christ.52 Le deuxième, de 1963, paru dans la revue Carmel et d'une grande actualité maintenant que sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus vient d'être proclamée docteur de l'Eglise, est intitulé De la voie du Rien à la Petite Voie53.

Faisant suite à l'édition des lettres de Mère Mectilde à la Comtesse de Rochefort, la publication de celles adressées à la Comtesse de Châteauvieux a été entreprise par le monastère de la rue Tournefort à Paris, en 1965 54. La Comtesse de Châteauvieux et son mari furent de grands bienfaiteurs de l'Institut naissant. La relation que fit Mère Mectilde de la mort du Comte de Châteauvieux est édifiante. Après la sainte mort de son mari, Madame de Châteauvieux se retira comme religieuse, rue Cassette. C'est là qu'elle décéda en 1674. Si cette première édition des lettres à la Comtesse de Châteauvieux fut reprise ultérieurement à nouveaux frais en 1989, l'introduction qui en était donnée par Louis Cognet n'a, hélas, pas été reproduite sinon en 1977 dans une traduction italienne.

52. Anonyme (Marie-Véronique Andral), Un avec jésus-Christ. Textes inédits de la vénérable Mectilde du Saint- Sacrement, dans La Vie Spirituelle, 102 (1960) p. 365-378 ; trad. italienne : Unum corpus sumus. Dagli scritti di M. Mectilde del SS. Sacramento, clans Ora et Labora, 14 (1959) p. 21-30.

53. Marie-Véronique Andral, De la voie du Rien à la Petite Voie - Mectilde du Saint-Sacrement, dans Carmel, 2 (1963) p. 139-153 ; trad. italienne : Alle Ponti del "Mulla" nella spiritualità di Madre Mectilde de Bar, dans Deus Absconditus, 70 (1979) p. 8-14, 33-35, 54-58 ; trad. polonaise en 1979.

54. Mère Mectilde du Saint-Sacrement, Ecrits spirituels. A la Comtesse de Châteauvieux, rue Tournefort, Paris, 1965. Introduction de Louis Cognet. Trad. polonaise en 1970, italienne en 1977, néerlandaise en 1984 et allemande en 1985.

4. Les trois grandes éditions des années soixante-dix

A partir des années soixante-dix, les travaux édités s'intensi-41-fient. Les études deviennent plus nombreuses, mieux documentées mais surtout des textes de grande valeur restés cachés jusque là sortent au grand jour. En quatre ans, de 1973 à 1977, sont édités trois gros volumes publiés par le monastère de Rouen qui révèlent au public, y compris au public averti des spécialistes et des grands connaisseurs, que les écrits de Mère Mectilde sortent du commun et qu'il y a là une très riche matière historique, doctrinale et spirituelle. Dom Jean Leclercq lui-même, dès 1978, parlera de "lumières nouvelles" sur Mère Mectilde et son entourage. Ces trois ouvrages sont dus principalement à l'oeuvre des deux infatigables archivistes de Rouen dont on ne voit que rarement les signatures mais dont je dois révéler maintenant les noms : il s'agit de Soeur Jeanne d'Arc Paule Foucard et de Soeur Marie-Pascale Paule Boudeville.

Le premier volume paru en 1973 est intitulé Catherine de Bar, Documents historiques55. Il comporte l'édition, outre de manuscrits biographiques, d'un certain nombre d'autres sources, inédites jusque là, écrits spirituels ou canoniques, en particulier l'ébauche des constitutions par Mère Mectilde elle-même. Un grand nombre de documents annexes font de ce livre une mine des plus précieuses. L'ensemble est augmenté d'une préface très documentée de Pierre Marot, membre de l'Institut de France et spécialiste de l'histoire de la Lorraine, ainsi que du texte d'une conférence donnée par l'abbé Louis Cognet à l'Institut Catholique de Paris le 8 février 1958 et au monastère de Paris, rue Tournefort, le 15 mars 1958. Cette conférence est antérieure d'une quinzaine d'années à la parution de ce livre et trop peu connue avant celle-ci. Elle est de toute première qualité tant par l'autorité de celui

55. Catherine de Bar, Documents historiques, Rouen, 1973. Avec une préface de Pierre Marot et le texte d'une conférence que Louis Cognet avait prononcée à l'Institut Catholique de Paris, le 8 février 1958, et au monastère des Bénédictines de Paris, le 15 mars 1958 : la traduction italienne de cette conférence avait déjà été publiée dans Ora et Labora en 1958-1959. L'ensemble de l'ouvrage a été traduit en polonais en 1975, en néerlandais en 1981, en italien en 1989-1992 et en allemand en 1996. Voir la recension de R. Darricau, dans la Revue d'Histoire de l'Eglise de France, 60/164 (1974) p. 164-165.

42 qui l'a prononcée que par la documentation avertie qu'il livre afin de déterminer les influences doctrinales et spirituelles que Mère Mectilde a pu recevoir au cours de ses différentes pérégrinations.

Dans la ligne du Chanoine Georges-Abel Simon, l'abbé Louis Cognet prolonge l'enquête en grand connaisseur de l'histoire de la spiritualité. On y trouve entre autres de bonnes réflexions sur les annonciades et leurs lectures, sur le milieu de Montmartre avec Madame de Beauvilliers, la Soeur Charlotte Le Sergent et l'influence du capucin Benoît de Canfeld, puis sur le milieu caennais avec l'abbesse de Caen, Madame de Budos et son entourage ; il nous montre Mère Mectilde entrer en relation avec l'abbé de Barbery, dom Louis Quinet, et recevoir les influences non plus seulement de Benoît de Canfeld mais aussi des rhéno-flamands tels que Ruysbroeck, Tauler, Suso, Harphius. Avec le trésorier de France et grand mystique Jean de Bernières-Louvigny, Mère Mectilde reçoit d'autres influences, celles du Père Condren et du Père de Saint-Jure ; en outre son confesseur était le Père Chrysostome de Saint-Lô, confesseur également de Bernières. Louis Cognet se montre impressionné par les relations et les écrits de Mère Mectilde. "Elle est, dit-il, en relations avec tout ce que la France compte de meilleur à cette époque. Sa correspondance est immense. Ce qui en reste est loin, je crois, d'avoir encore été tout inventorié et certainement on en retrouvera dans des endroits auxquels personne ne pense actuellement. Je suis rempli de stupéfaction en voyant l'intensité de la correspondance qu'elle a entretenue, et aussi de l'exceptionnelle qualité de ses lettres, car, chaque fois qu'il m'a été donné d'en voir une que je ne connaissais pas, je l'ai trouvée admirable... Elle a un style magnifique et l'élévation et la cohérence de sa pensée sont quelque chose d'extrêmement remarquable". Il souligne un peu plus loin ce "sens surnaturel le plus profond et le plus absolu", et, en même temps ce "solide bon sens le plus terre à terre. Elle avait, dit-il, le tempérament d'une grande fondatrice".

C'est à la page 31 de ce recueil qu'on peut trouver, enfin publiée, la lettre que Fénelon écrivit quelques jours après la mort de Mère Mectilde, à la Mère Anne, nouvelle prieure, à qui il confie : "Elle me disait, elle m'écrivait, qu'elle ne sentait pas la moindre révolte contre l'ordre de Dieu, pas le moindre murmure, que la seule vue de la Sainte volonté dans les états les plus renversants et les plus terribles, la calmait. "Je sens (m'écrivait-elle l'année passée) en moi une disposition si prompte à entrer dans tous les desseins de Dieu et agréer les états les plus anéantissants qu'aussitôt qu'il m'y met, je baise, je caresse ce précieux présent ; et pour les affaires temporelles qui paraissent nous jeter par terre, mon coeur éclate en bénédiction et est content d'être détruit et écrasé sous toutes ces opérations pourvu que Dieu soit glorifié et que ce soit de sa part que je sois blessée".

Le deuxième volume, aussi important, a été publié en 1976 et s'intitule : Catherine de Bar, Lettres inédites56. Cet ouvrage ne publie pas toutes les lettres inédites mais seulement celles qui ont été envoyées à la duchesse d'Orléans ainsi qu'à un grand nombre de religieuses ou de monastères. Cette correspondance est d'une densité spirituelle remarquable. Marguerite de Lorraine, duchesse d'Orléans (1613-1672) était une grande bienfaitrice et protectrice des Bénédictines. Elle aussi avait vécu les heures les plus douloureuses de la guerre de Lorraine, comme Mère Mectilde, et une grande intimité les unissait dès 1651 et surtout à partir des années 1660. Marguerite de Lorraine avait déclaré que "si sa santé qui était très faible" le lui avait permis, elle eût "préféré être soeur religieuse converse dans la maison du Saint-Sacrement". Mère Mectilde l'exhorte à la vie sainte, toute de prière et d'abandon en Dieu. L'ensemble du recueil est précédé d'une préface de Monseigneur Vilnet, alors évêque de Saint-Dié, et d'une introduction de Pierre Marot qui a égalemeni établi un important et très utile index.

56. Catherine de Bar, Lettres inédites, Rouen, 1976. Avec une préface de Mgr Jean Vilnet et une introduction de Pierre Marot. Traductions polonaise en 1977, italiennes en 1979, 1981, 1983 et allemandes en 1996 et 1997.

44 Le troisième volume, égal aux deux précédents, est sorti de presse en 1977 à l'occasion du tricentenaire de la fondation du monastère de Rouen, le 4 novembre 1677, alors situé rue des Arsins. Il s'intitule Catherine de Bar, Fondation de Rouen57. Il nous livre, comme son nom l'indique l'édition d'un manuscrit fidèle du XVIIe siècle appartenant au monastère de Rouen et relatant sa fondation. Le récit a été rédigé par Mère Monique des Anges, de Beauvais. Outre ce récit, sont publiées, dans ce même volume, 235 lettres de Mère Mectilde à des personnes diverses, principalement à des moniales mais aussi à Monsieur de Bernières ou, par exemple, à Monsieur Boudon ou à Monsieur de Montigny, frère du premier évêque du Canada.

L'ensemble est préfacé par Monseigneur André Pailler, archevêque de Rouen ; quelques pages, rédigées par Soeur Jeanne d'Arc Paule Foucard et Soeur Marie-Pascale Paule Boudeville, intitulées Quelques courants spirituels au XVII siècle qui ont influencé la pensée de Mère Mectilde du Saint-Sacrement, contiennent un bon résumé des influences reçues, notamment celles de la "mystique assez intellectualiste" des rhéno-flamands, de la Règle bénédictine, de la "mystique de l'union à la volonté de Dieu" avec Benoît de Canfeld, de Jean de Bernières-Louvigny, de saint Jean Eudes, de l'abbé de Laval-Montigny et surtout de Condren et de Bérulle, c'est à dire de la théologie de l'école française "foncièrement christocentrique, toute imprégnée de saint Paul et des Pères de l'Eglise". Les rédactrices ont eu le mot juste en faisant remarquer que "de ces apports divers, Mère Mectilde a fait une synthèse personnelle" mais n'a pas cherché à construire une doctrine. Elle a simplement cherché "à exprimer ce qu'elle contemplait dans sa vision intérieure". Comme pour le deuxième volume, celui-ci contient un index des plus utiles.

57. Catherine de Bar, Fondation de Rouen, Rouen, 1977. Avec une préface de Mgr André Pailler. Voir la recension de Dom Jacques Dubois, dans la Revue d'Histoire de l'Eglise de France, 64/173 (1978) p. 293-294.

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Revenons un peu en arrière pour signaler quelques études qui se sont glissées entre ces gros volumes. Tout d'abord, une étude en 1973 de Soeur Marie de Jésus Béraux, de Rouen, sur Mère Mectilde et la Congrégation de Saint-Vanne et Saint-Hydulphe, publiée dans Les cahiers Vannistes, puis deux articles de Soeur Jeanne d'Arc Foucard en 1972 et 1977 dans le Bulletin de la Société Philomatique Vosgienne, l'un sur les écrits spirituels de Mère Mectilde, l'autre sur le monastère de Rambervillers au XVIIe siècle59. Signalons aussi, en néerlandais, une traduction du Véritable Esprit de Mère Mectilde publiée en 1975 par le monastère de Tegelen, aux Pays- Bas, avec une introduction du Père Piet Penning de Vries60.

La même année, Dom Yves Chaussy, de l'abbaye Sainte-Marie de Paris, publie un ouvrage de bonne envergure intitulé : Les bénédictines et la réforme catholique en France au XVII siècle61. On connaît l'érudition de l'auteur et ce livre pourrait, s'il en était besoin, en apporter le témoignage. En 400 pages, nous parcourons avec lui toutes les régions de France, à la fin du XVIe et au XVIIe siècle, dans une vaste enquête sur les monastères féminins en cette grande période de renouveau. Ce premier volume est complété par un autre de plus de cent pages où se trouvent les précieuses notes, une bibliographie abondante ainsi qu'un index fort utile, ce qui forme un ensemble de plus de 550 pages. Cette étude permet de mieux situer la vie et l'oeuvre de Catherine de Bar dans l'ensemble du déploiement monastique et spirituel du XVIIe. L'auteur consacre à celle-ci plus précisément les pages 371 et sui-

58. Marie de Jésus Béraux, Mère Mechtilde du Saint-Sacrement et la Congrégation de Saint-Vanne et de Saint- Hydulphe, dans Les Cahiers Vannistes, 4 (Année 1973) p. 108-114.

59. Jeanne d'Arc Foucard, Les écrits spirituels inconnus du XVIIème siècle : Mère Mechtilde du Saint-Sacrement, dans le Bulletin de la Société Philomatique Vosgienne, 76 (1972, p. 33-37 ; id., Le monastère des Bénédictines de Rambervillers au XVIIème siècle, dans ibid., 80 (1977) p. 103-111.

60. Mechtildis van het Heilig Sacrament Catherine de Bar, De ware geest, Tegelen, 1975. Traduction néerlandaise, apparat critique et notes du Père Piet Penning de Vries, sj.

61. Yves Chaussy, Les bénédictines et la reforme catholique en France au XVIIème siècle, Paris, Editions de la Source (2 vol.) 1975.

46 vantes mais nous la voyons nommée en plusieurs autres endroits de par ses voyages et les nombreuses relations qu'elle a eues avec les grandes figures spirituelles de son temps.

Cependant, la documentation de l'auteur sur Catherine de Bar et son Institut n'est pas aussi importante que celle qu'il a amassée en d'autres domaines. On trouvera dans cette vaste étude de nombreux renseignements concernant, bien sûr, la Mère de Blémurl62 (p. 13s.), la Réforme de Montmartre avec Marie de Beauvilliers (p. 210) et Charlotte le Sergent (p. 366, 374, 397s.) ainsi que l'histoire de l'abbaye de la Trinité de Caen avec Laurence de Budos qui reçut la crosse à 13 ans pour un abbatiat de cinquante années (p.198s.). Nous y trouvons d'amples informations sur les influences reçues, celles de Benoît de Canfeld, de "l'Ecole du Nord" et d'Harphius, de sainte Gertrude avec les relais des carmels et de Louis de Blois (p. 398), les influences des oratoriens ou des jésuites, le milieu mystique caennais de l'Hermitage avec Jean de Bernières (p. 199-204, 360, 373s.), etc. Toutes ces influences réelles ne doivent pas estomper les sources patristiques, principalement saint Augustin, saint Bernard, saint Bonaventure et le Pseudo-Denys (p. 398 et 411). D'autres indications nous sont données sur la réforme de Saint-Maur de Verdun (p. 246s.), sur la doctrine de "l'anéantissement" (p. 402) et bien évidemment sur le quiétisme (p. 402) et le jansénisme. Sur ce dernier point, Dom Yves Chaussy rappelle, à juste titre, la rectitude de pensée et d'action de Mère Mectilde et "son intransigeance doctrinale vis-à-vis du jansénisme naissant" tant à Caen qu'à Paris (p. 202, 372-373).

62. Signalons la notice que Dom Philibert Schmitz, directeur de la Revue Bénédictine et bibliothécaire de l'abbaye de Maredsous, avait écrite en 1937 sur la Mère de Blémur (en religion : Mère Saint-Benoît) dont l'histoire est liée bien évidemment à celle de Mère Mectilde puisque, entrée à l'âge de cinq ans à l'abbaye de la Sainte-Trinité de Caen, elle devint maîtresse des novices à l'âge de 20 ans, puis prieure peu avant le décès de Laurence de Budos (t1650). A partir de 1678, la Mère de Blémur quitta Caen pour rejoindre selon son désir Mère Mectilde qu'elle connaissait bien et dont le monastère la ravissait par son observance. Là, elle continua son oeuvre qui nous est si utile encore de nos jours et mourut dans ce même monastère de la rue Cassette le 24 mars 1696, deux ans avant Mère Mectilde : Philibert Schmitz, art. Blémur (Marie Jacqueline Bouette de), dans le Dictionnaire d'Histoire et de Géographie Ecclésiastiques, t. 9, 1937, col. 185-186.

63. A juste titre, l'auteur nous renvoie sur ce point comme sur l'ensemble de ce milieu à Maurice Souriau, Le mysticisme en Normandie au XVII' siècle. Paris, 1923. A propos de Mectilde de Bar, voir plus spécialement les p. 132, 139 et 187.

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L'année suivante, en 1976, Dom Jean Leclercq nous donne un très bon article dans Studia Monastica : Une école de spiritualité datant du XVIIe siècle : les Bénédictines de l'Adoration Perpétuelle64. Après nous avoir rappelé les influences spirituelles exercées sur Mère Mectilde à l'occasion de ses rencontres avec les représentants de l'Ecole abstraite de Canfeld puis "celle, toute centrée sur le Christ, de Bernières, de Saint-Jure et du Père Chrysostome de Saint-Lô", l'auteur souligne "l'influence décisive des mauristes" sur Mère Mectilde. Les moines de Saint-Germain-des-Prés, en effet, et principalement Dom Placide Roussel, Dom Bernard Audebert et surtout Dom Ignace Philibert, participent avec Mère Mectilde à la fondation de Paris et à l'élaboration des statuts. Les bénédictins de Saint-Maur ne furent pas étrangers à l'élection de Notre-Dame comme abbesse. Dom Leclercq précise qu'il s'agit ici de la "reprise d'un usage médiéval" car " les Bénédictines de la rue Cassette remettaient en vigueur une antique dévotion pratiquée dès le XIe siècle à Marcilly sous l'influence de Cluny"65.

D'une façon générale, précise-t-il, "les moines de Saint-Germain n'aidèrent pas seulement les Bénédictines de la rue Cassette dans le gouvernement de leur communauté. Ils exercèrent une influence directe et décisive sur l'orientation spirituelle de toute la congrégation des Bénédictines du Saint-Sacrement. Ils leur prêtaient leur plume et leur talent quand il le fallait : en 1696, Dom Mabillon rédigea, au nom de la prieure (Mère Mectilde), une longue et belle lettre circulaire sur la mort de Madame de Blémur". Dom Jean Leclercq fait remarquer que l'ouvrage que Mère Mectilde fait imprimer en 1686 pour sa com-

64. Jean Leclercq, Une école de spiritualité datant du XVII' siècle : les Bénédictines de l'Adoration Perpétuelle, dans Studia Monastica, 18/2 (1976) p. 433-452 ; trad. italienne : Una scuola di spiritualità benedettina : le Benedettine dell'adorazione perpetua, dans Ora et Labora, 32 (1977) p. 55-75.

65. Sur ce thème particulier, on a déjà signalé plus haut la contribution que Dom Jean Leclercq avait déjà donnée en 1953 dans le collectif : Priez sans cesse, p. 175-177. Ici, l'auteur nous renvoie également à Michel Pigeon, Sainte Marie abbesse, dans Citeaux, 24 (1973) p. 68-69. Voir aussi la note 90.

48 munauté : Les exercices spirituels ou pratique de la Règle de saint Benoît à l'usage des Bénédictines de l'adoration perpétuelle du Saint-Sacrement est le décalque au féminin de La Pratique de la Règle de saint Benoît écrite par Dom Claude Martin, le fils de Mère Marie de l'Incarnation, comme on le sait. Et ce sont deux mauristes, Dom Brachet et Dom Claude Bretagne, qui permettent et approuvent l'impression de cet ouvrage de Mère Mectilde. L'auteur ajoute encore que "les autres monastères du Saint-Sacrement situés à Rouen, Caen, Châtillon, Dreux, Bayeux eurent aussi à bénéficier du ministère des moines de Saint-Germain. Quant aux maisons situées en Lorraine - celles de Rambervillers, Toul et Nancy - elles furent placées sous la juridiction spirituelle de la Congrégation de Saint-Vanne". Ce sont aussi "deux moines de Saint-Germain : Dom Guillaume Laparre et Dom Claude de Vic" qui se sont "occupés à Rome, en 1705, d'obtenir l'approbation définitive des Constitutions des Bénédictines du Saint-Sacrement".

Dom Jean Leclercq tente ensuite de dégager les traits dominants de la spiritualité de Mère Mectilde. Il souligne que c'est d'abord un christocentrisme authentique qui se situe "dans la tradition théologique et spirituelle la plus pure. Il s'explique, dit-il, par l'influence de Bérulle, de Condren, d'Olier - ces grands représentants de l'"Ecole française" du temps -, mais surtout de l'Ecriture Sainte et singulièrement de saint Paul, le tout étant intégré à une attitude intérieure générale façonnée par la liturgie". Et l'auteur, de souligner l'aspect pascal, eucharistique de cette spiritualité traditionnelle qui considère le baptême comme une grâce d'incorporation au Christ lequel s'offre pour nous dans son sacrifice eucharistique, pour nous qui, en participant de lui, "nous offrons avec lui et en lui". Nous sommes loin ici avec Mère Mectilde, remarque Dom Jean Leclercq "d'une piété sentimentale et individualiste... Sa doctrine est celle même de l'Eglise, exprimée à la manière de son temps et avec une constance remarquable".

Après quoi, l'auteur nous montre l'accord parfait qu'il y a entre l'esprit de Mère Mectilde et la Règle de saint Benoît puis il consacre la fin de son article à l'expansion de l'Institut en Pologne et s'interroge ensuite sur l'existence hypothétique du "bénédictinisme pur". Il termine par l'évocation de la dévotion de Mère Mectilde au Sacré-Coeur. Il précise qu'à cet égard, "il n'est pas sans intérêt d'observer que Mère Mectilde semble avoir réalisé sa synthèse en dehors du mouvement de dévotion au Sacré-Coeur... Sa doctrine est d'ailleurs formée avant la révélation de Paray à sainte Marguerite-Marie Alacoque en 1685." Là encore, Mère Mectilde se montre fidèle "à la tradition bénédictine'’66.

C'est en 1977 que, bien modestement mais de façon très utile et bénéfique, une moniale de Bayeux, Soeur Marie-Catherine Castel, archiviste de son monastère, eut l'ingénieuse idée, tout en gardant l'anonymat, de publier à la façon des apophtegmes des Pères du désert un petit recueil de sentences savoureuses de Mère Mectilde intitulé : La source commence à chanter`''. Précédé d'une introduction et complété par un petit lexique, ce recueil ne nous offre pas moins de deux cent cinquante perles mectildiennes classées de façon thématique. Ce recueil qui n'a pas été commercialisé en France a connu cependant une grande diffusion dans les monastères et il a été traduit et édité de façon attirante en polonais, en cette même année 1977 68, puis en italien par le monastère

66. L'auteur renvoie ici à l'ouvrage de Dom Ursmer Berlière, La dévotion au Sacré-Coeur dans l'Ordre de saint Benoît, (Coll. Pax, 10) Paris-Maredsous, 1923, p. 122-124, et au collectif Cor lesu, Rome, 1959, notamment son propre article : Le Sacré-Coeur dans la tradition bénédictine au iWoten-Age, t. 2, p. 1-28 et celui de Dom Cyprien Vagaggini, La dévotion au Sacré-Coeur chez sainte Mechtilde et sainte Gertrude, ibid. p. 2948. Sur ce même thème, voir également : L'amour du coeur de jésus contemplé avec les saints et les mystiques de l'Ordre de saint Benoît, textes recueillis et traduits par les moniales de Ste Croix de Poitiers (Coll. Pax, 26), Paris-Maredsous, 1927 ; textes de Mère Mectilde : p. 120-121 et 196-197.

67. Catherine de Bar, La source commence à chanter, éd. "Pro manuscripto", Bayeux, 1977.

68. Matka Mechtylda ocl Najgwietszego Sakramentu, irédlo zaczyna ;piewaé, Warszawa, 1977.

50 d'Alatri69, en allemand, quelques années plus tard, en 1985 70, ainsi qu'en néerlandais en 1997 71.

Toujours en 1977, une anthologie des Ecrits Spirituels de Mère Mectilde à Madame de Châteauvieux et Madame de Rochefort est présentée au public italien en une très belle édition : Il sapore di Dio 72. La traduction ainsi qu'une introduction sont l'oeuvre de Soeur Maria Ignazia Danieli, de Monteveglio. L'ensemble est précédé d'une préface de Divo Barsotti et du commentaire déjà signalé traduit en italien que Louis Cognet avait rédigé pour l'édition française de 1965.

En 1978, alors que Soeur Marie-Véronique Andral rédige l'article Mectilde du Saint-Sacrement pour le Dictionnaire de Spiritualité 73, Dom Giovanni Lunardi, de l'abbaye S. Giovanni de Parme, écrit l'article consacré à Mère Mectilde dans l'important Dizionario degli Istituti di perfezione 74 . Il avait déjà écrit la notice consacrée en 1974 aux "Bénédictines de l'adoration perpétuelle du Saint-Sacrement"75. Dom Giovanni Lunardi déclare à propos de Mère Mectilde "Quelques unes de ses pages, d'une extraordinaire densité, sur le pur amour et sur l'abandon à Dieu, doivent être mises parmi les plus belles de la littérature chrétienne". La

69. Catherine de Bar, La sorgente comincia a cantare, traduit par les bénédictines d'Matri, imprimé chez les cisterciens de Casamari.

70. Catherine de Bar, Die Quelle beginnt zu singen. Meditationsanregungen. JohannesVerlag Leutesdorf, 1985. 71 Catherine de Bar, De bron begint te zingen, Tegelen, 1997.

72. Catherine Mectilde de Bar, Il sapore di Dio. Scritti spirituali (1652-1675), Milano, Jaca Book, 1977. Trad. et intr. de Soeur Maria Ignazia Danieli, préface de Divo Barsotti, introduction de Louis Cognet.

73. Marie-Véronique Andral, art. Mectilde du Saint-Sacrement, dans le Dictionnaire de Spiritualité, t. 10, 1978, col. 885-888, Paris, Beauchesne, 1978.

74. Giovanni Lunardi, art. Mectilde del SS. Sacramento, dans le Dizionario degli Istituti di Perfezione, t. 5, 1978, col. 1265-1268.

75. id., art. Benedettine dell'Adorazione perpetua des SS. Sacramento, ibid., t. 1, 1974, col. 1255-1258 ; cf. aussi ibid., col. 1233.

51 même année 1978, un important volume italien, Non date tregua a Dio76, donne la traduction italienne d'un choix de 135 lettres que Mère Mectilde a envoyées à ses moniales. Dans ce volume est repris l'article que Dom Jean Leclercq avait publié dans Studia Monastica deux ans plus tôt : Une école de spiritualité bénédictine. Nous y trouvons également, outre une introduction de Divo Barsotti, une bonne étude d'André Rayez s.j., sur La spiritualité au temps de Mère Mectilde de Bar. Un important appendice a été écrit par Soeur Marie-Véronique Andral.

Cette même année, Dom Jean Leclercq, à la suite de toutes ces publications, principalement des trois gros volumes des bénédictines de Rouen, publie, toujours dans la revue de Monserrat Studia Monastica, un article qui porte le titre : Lumières nouvelles sur Catherine de Bar 77. Ces publications constituent, dit-il : "un événement dans l'histoire de la spiritualité et, spécialement, dans celle du monachisme. Cette insigne représentante de l'école bénédictine du XVIIe siècle n'était guère connue et, quand elle l'était, son image et sa doctrine étaient souvent obscurcies par des lieux-communs issus de la restauration romantique et de ses sous-produits, et non contrôlée. Les Bénédictines de Rouen, en collaboration avec J. Daoust, nous offrent maintenant le moyen de procéder à une vérification - qui est une découverte -, à la lumière de documents authentiques... On peut penser qu'une ou plusieurs thèses en histoire ou en théologie pourront, et devront, désormais être entreprises au sujet de sa conception de la mystique, de sa doctrine de l'eucharistie, de sa psychologie religieuse, et de la

76. Catherine Mectilde de Bar, Non date tregua a Dia. Lettere allé monache ( 1641-1697), Milano, Jaca Book, 1978. Intr. de Dom Jean Leclercq, d'André Rayez, sj. et de Divo Barsotti. Appendice de Soeur Marie-Véronique Andral. Voir la recension de Dom Adalbert de Vogüé, dans Collectanea Cisterciensia, 44/4 (1982) p. 326-329.

77. Jean Leclercq, Lumières nouvelles sur Catherine de Bar, dans Studia Monastica, 20/2 (1978) p. 397-407 ; trad. italienne, Luci nuove su Catherine de Bar, dans Ora et Labora, 34 (1979) p. 96-105.

52 façon, à la fois forte et aimable, dont elle s'acquitta de la direction spirituelle des laïques - surtout des princes et des nobles - et de moniales."

A propos du récit de la fondation de Rouen, Dom Jean Leclercq déclare : "Il est passionnant et il fait penser aux fondations de sainte Thérèse d'Avila". Puis il nous livre quelques bonnes réflexions, par exemple sur la pratique de la clôture de la part de Mère Mectilde comme sur sa personnalité et les sources de sa spiritualité. "Tout en gardant son identité, dit-il, la fondatrice sut tirer profit de tout ce qu'il y avait de ressources en ce grand mouvement spirituel auquel on a donné le nom d'Ecole française. C'est tout cela qui est à l'origine des quelque quarante-cinq maisons qui s'étendent maintenant de l'Ecosse à la Sicile, de la Normandie à la Pologne."

Au sujet du titre d'abbesse donné à Notre-Dame, Dom Jean Leclercq, qui avait déjà abordé ce sujet en 1953 et en 1976 78, n'hésite pas à parler "d'infraction à la Règle bénédictine" mais pour ajouter aussitôt que "la "Supérieure-Prieure" est certainement moins étrangère à la pensée de saint Benoît que "l'Abbé-Prélat..."

La suite de cet article est consacré à l'aspect théologique et au contexte historique de cette spiritualité, notamment à propos de la réparation, de la souffrance et de la propre expérience de Mère Mectilde. L'auteur reprend, en le citant, la pensée du Père C. Van Buijtenen, sj. 79, et souligne l'actualité du message de Mère Mectilde notamment à propos de l'adoration et spécialement de l'adoration eucharistique que les jeunes générations retrouvent spontanément aujourd'hui. L'adoration est aussi évoquée dans son lien avec la réparation, ne serait-ce qu'en Jésus-Christ où

78. Voir les notes 38, 65 et 90.

79. C. van Buijtenen, sj., Eucharistisch leven - Een kwestie van groei. De spiritualiteit van Catherine de Bar, dans Communio Internationaal Katholiek Tzjdschrift, 2 (1977) p. 387.

53 "réparation et adoration ne sont qu'une même activité". Or, continue Dom Jean Leclercq reprenant cette fois-ci les termes du Père G. Chapelle, sj., "l'Esprit fait que cette oeuvre continue dans l'Eglise, grâce à un processus ininterrompu de conversion. Il est légitime que des "vocations eucharistiques", elles-mêmes diverses et complémentaires, consacrent leur existence à cette adoration réparatrice, à une vie d'adoration de l'Eucharistie, qui prend tout le temps et se déploie dans l'espace eucharistique... Il s'agit comme Jésus et comme l'Eglise - d'attester qu'adoration de Dieu et réparation de l'homme, réparation de l'offense faite à Dieu et recréation de l'homme, sont liées dans l'Eucharistie. Cette adoration eucharistique a le sens même de la célébration."

Dom Jean Leclercq termine en souhaitant qu'une enquête minutieuse soit entreprise de tous les textes de Mère Mectilde en ce qui concerne, par exemple, l'Eucharistie ou bien encore la direction spirituelle ou tout autre point de doctrine ou de spiritualité, car en ces domaines comme en tant d'autres de nombreux aspects de son oeuvre pourraient être utilement "proposés à l'étude, et même à l'admiration, de lecteurs d'aujourd'hui, à cause de leur intérêt doctrinal, mais également en considération de leur actualité."

5. Années de saint Benoît et du congrès eucharistique : 1980-1981

En prévision de l'année 1980, qui fut celle du quinzième centenaire de la naissance du Patriarche des moines d'Occident, tous les monastères des Bénédictines du Saint-Sacrement participèrent à l'élaboration d'un volume regroupant l'ensemble des textes de Mère Mectilde en lien avec la Règle de saint Benoît. "L'équipe des Ecrits", précise la note préliminaire, "a rassemblé, classé, collationné tous ces passages, ne conservant que les meilleurs commentaires." Ce qui ressort de ce vaste florilège est que Mère Mectilde était vraiment imprégnée de l'esprit de saint Benoît, qu'elle l'avait vraiment compris, qu'elle avait "assimilé sa pensée,

54 y apportant cependant la note de son propre charisme". Le titre de cet ouvrage édité en 1979 par le monastère de Rouen est celui-ci : Catherine de Bar à l'écoute de saint Benoît 80. En 1982 il a été traduit en italien. Précisons que la quasi totalité des textes rassemblés ici sont inédits ce qui porte à cette date, avec les volumes précédents, à 535 le nombre de lettres éditées, soit le sixième seulement de la correspondance de Mère Mectilde. L'ensemble des textes présentés se trouve réparti en autant de chapitres de la Règle de saint Benoît, laquelle est donnée ici dans la traduction de Maredsous. Une table analytique permet une meilleure utilisation pratique de ce recueil.

Nous retrouvons ici encore avec bonheur Dom Jean Leclercq puisque c'est lui qui a rédigé l'introduction. "Ce qui confère à sa doctrine une valeur permanente et universelle, dit-il en parlant de Mère Mectilde, c'est l'intensité de l'expérience personnelle dont elle fait part. Elle est moniale, mais comme elle aimera le dire, la vie monastique authentique se doit d'être d'abord chrétienne. Comme un Dom Marmion et un Dom Delatte, elle se plaît à citer les textes où saint Paul dit l'essentiel sur notre participation au mystère pascal. Après cela, elle a le droit d'être "bénédictine", et elle l'est étonnamment. Elle se réfère sans cesse à la Règle de saint Benoît : ceci pourrait n'être qu'un procédé artificiel. Mais on la devine formée par toute la tradition monastique d'Occident, et par les sources mêmes auxquelles avait renvoyé saint Benoît". Non sans humour, Dom Jean Leclercq établit un parallèle : "Elle est aussi contemporaine d'un spirituel éminent... : Rancé, dont l'influence durable atteste qu'il était porteur d'un message de haute valeur, en dépit des traits de caractère personnels qui marquent son oeuvre. Mais heureusement, elle n'est pas comme lui,

80. Catherine de Bar, A l'écoute de saint Benoît, Rouen, 1979. Introduction de Dom Jean Leclercq et biographie de Catherine de Bar par l'abbé Joseph Daoust. Trad. italienne : Attesa di Dio. Reflessioni sella Regola di S. Benedetto, Milan, Jaca Book, 1982 ; trad. néerlandaise en 1980 et polonaise en 1983. Voir la recension de R. Darricau, dans la Revue d'Histoire de l'Eglise de France, 66/177 (1980) p. 323-324.

une personne "convertie" : elle n'en a ni les complexes, ni les défoulements...".

L'ensemble de cette préface d'une douzaine de pages est à lire. L'auteur a le mérite d'être grand connaisseur de toute la tradition monastique et spirituelle et il situe la personnalité de Mère Mectilde à sa vraie place. Il ne cache pas sa surprise et sa joie de découvrir tant de trouvailles savoureuses et il nous les fait partager sans pour autant pouvoir nous livrer tous les passages qui ont fait vibrer son coeur à cause de la trop grande abondance. "Pour traiter de l'humilité, dit-il, Mectilde a trouvé un langage qui est de l'Evangile et qui anticipe sur celui de Thérèse de Lisieux. Le vocabulaire qu'elle préfère est celui de la petitesse et de toutes les variations auxquelles il se prête... Comment ne point penser à cette jeune moniale de Normandie, qui, près de notre époque, devait remettre en lumière la "petite voie" ? Ici comme chez Thérèse de Lisieux, tout n'est que "pure simplicité", simple abandon, oeuvre du Saint-Esprit qui "touche les âmes"... Et à propos de la prière, Dom Jean Leclercq se plaît à nous rappeler ce qu'avec beaucoup de bon sens recommandait Mère Mectilde : "Pour pratiquer l'oraison simple, laissez les diverses méthodes... Evitez une manière de faire oraison qui fasse mal à la tête..." ! Elle préfère donner le bon conseil de "faire un petit retour amoureux" et de faire en sorte que, fréquemment, "l'esprit jette une oeillade vers Dieu..."

Pour finir, Dom Jean Leclercq nous livre encore ces lignes : "Ce qui la distingue pourrait se caractériser en très peu de mots : une mystique de présence continuelle à Dieu grâce à la pauvreté de coeur. Non que ceci lui soit propre ; elle l'a en commun avec les plus grands parmi les témoins de la théologie spirituelle. Cependant, pour en parler, elle trouve un accent de foi intense qui rend son message à la fois utile à ses contemporains et valable pour nous."

Cette introduction est suivie d'une courte mais dense biographie de Mère Mectilde, due à la plume alerte de l'abbé Joseph 56 Daoust. Alors qu'il était professeur à l'université de Lille, l'abbé Joseph Daoust venait fréquemment chez les bénédictines de Rouen et, dès les années soixante-dix, il collabora avec les Soeurs archivistes de Rouen à la préparation des volumes que nous avons mentionnés plus haut. Depuis cette période, et principalement pour les deux livres que nous allons évoquer, il n'a cessé de participer à la redécouverte actuelle de la spiritualité de Mère Mectilde.

C'est effectivement la même année 1979 que l'abbé Joseph Daoust, en collaboration avec les Bénédictines du Saint-Sacrement de Rouen et avec Soeur Marie-Véronique Andral, nous livre une étude sur Catherine de Bars 81, sans autre prétention que d'en présenter la vie et la physionomie spirituelle, ainsi qu'une série de textes bien choisis et adroitement présentés. Deux conférences inédites ainsi que des prières nous sont présentées en fin de volume. Un chapitre est consacré aux sources de la spiritualité de Mère Mectilde, l'abbé Joseph Daoust s'inspirant ici des conférences et articles sur ce même sujet de Louis Cognet, de Dom Jean Leclercq et d'André Rayez, sj. Cet ouvrage est augmenté de plusieurs documents photographiques notamment en ce qui concerne le développement de l'Institut puisqu'une dizaine de monastères de l'Institut sont au moins représentés par une illustration.

Toujours en 1979, l'abbé Joseph Daoust rédige la notice sur Mère Mectilde dans le dictionnaire Catholicisme et l'année suivante, en 1980, il publie un autre livre : Le message eucharistique de

81. Joseph Daoust, Catherine de Bar. Mère Mectilde du Saint-Sacrement, Paris, Téqui, 1979. Avec un choix de textes présentés par Soeur Marie-Véronique Andral. Traductions polonaise en 1980, néerlandaise en 1983 et allemande en 1996-1997. Voir la recension de R. Darricau, clans la Revue d'Histoire de l'Eglise de France, 66/177 (1980) p. 323-324.

82. Joseph Daoust, art. Mectilde du Saint-Sacrement, dans Catholicisme, t. 8, 1979, col. 1040-1041.

58 Mère Mectilde du Saint-Sacrement 83 en prévision du congrès eucharistique de Lourdes en juillet 1981. Dans un avant-propos, l'auteur nous décrit ce grand siècle eucharistique que fut le XVIIe en indiquant les nombreux ouvrages des théologiens qui œuvrèrent en ce domaine. "Il n'est pas étonnant, dit-il, que, dans une telle atmosphère, dans un milieu fervent où la dévotion au Saint-Sacrement occupait la première place, Mère Mectilde, qu'animait dès l'enfance une ardente piété envers l'hostie, ait conçu l'idée d'une congrégation vouée à l'adoration perpétuelle. Par cette fondation, elle voulait attester sa foi en la Présence réelle, combattue par les calvinistes, et réparer les innombrables sacrilèges commis, non seulement par les réformés, mais aussi par les libertins et les sorciers qui foisonnaient alors et utilisaient les hosties pour leurs opérations magiques... Elle allait insérer son oeuvre dans le cadre bénédictin qui s'y prêtait d'autant mieux qu'elle donnait une orientation liturgique à sa piété envers l'Eucharistie... Toute son existence d'ailleurs, mais surtout à partir de 1653, date où elle créa son Institut, fut dominée par l'Eucharistie, cependant que son enseignement, écho à la fois fidèle et original de l'Ecole française, montre la richesse de sa doctrine, où elle sait établir un parfait équilibre entre le sacrifice et la présence réelle. Aujourd'hui encore, la vie exemplaire de Mère Mectilde et ses leçons spirituelles n'ont rien perdu de leur valeur et de leur actualité".

De nouveau, l'abbé Joseph Daoust nous donne une biographie de Mère Mectilde avant de nous présenter un choix de textes en grande partie inédits relatifs à l'Eucharistie. "Cette moniale, n'hésite-t-il pas à dire, compte parmi les auteurs spirituels les plus importants, sinon les plus célèbres du Grand Siècle des âmes, elle qui n'a cessé, dans ses conférences, ses entretiens familiers et ses quelque trois mille lettres, d'enseigner la doctrine de l'Eglise tou-

83. Joseph Daoust, Le message eucharistique de Mère Mectilde du Saint-Sacrement, Paris, Téqui, 1980. Trad. italienne en 1983 et polonaise en 1997.

57 chant le sacrement de l'autel et d'en promouvoir de toutes ses forces la dévotion. Écho fidèle de la tradition, elle semble avoir commenté, trois cents ans à l'avance, la lettre que, le jeudi Saint de 1980, Jean-Paul II a adressée à tous les évêques sur le Mystère et le culte de l'Eucharistie".

En cette même année 1980, alors que le Père C. van Buijtenen publie84 au monastère de Tegelen un livre de prières pour chaque jour à partir des écrits de Mère Mectilde, ouvrage qui sera aussitôt traduit en allemand, Soeur Marie-Véronique Andral, de son côté, publie un article sur Mère Mectilde et la Règle de saint Benoît dans Deus absconditus 85 , la revue du monastère de Ronco-Ghiffa. Désormais, un certain nombre d'articles, notamment des traductions en italien, seront publiés dans cette revue. Il en va de même dans Ora et Labora, la revue du monastère de Milan. Parmi les autres publications de ce genre, mentionnons Sous la crosse de Notre-Dame 86, bulletin de liaison du monastère de Rouen dans lequel Soeur Jeanne d'Arc Foucard et Soeur Marie-Pascale Boudeville ont publié quelques études sur Mère Mectilde ainsi que sur les fondations. Le monastère Sainte-Trinité de Bayeux

84. Mechtildis van het Heilig Sacrament, Als God rnaar verheerlijkt wordt, Tegelen, 1980 ; traduction allemande: Wenn Gott nur verherrlicht wird, Tegelen, 1980. Signalons que la Fédération italienne de Ronco-Ghiffa avait fait paraître "pro manuscripto" l'année précédente un livre de prières à partir des textes de Mère Mectilde (litanies, neuvaine, offrande de la journée, etc.) sous le titre : Salga a te, Signore, la mia preghiera, Alatri, 1979.

85. Marie-Véronique Andral, In quest'anno 1980 : M. Mectilde ci mostra la Regola di san Benedetto, dans le vol. Deus Absconditus, suppl. aux le 3-4 (1980) p. 63-71, 71e année pour le ler centenaire de l'Institut du Saint- Sacrement en Italie. Monastère de RoncoGhiffa.

86. Mentionnons, à titre d'exemple, plusieurs numéros des années 1975-1977 comportant quelques indications sur les monastères de Pologne, les n.s 45 (1970) p. 9-11 et 97 (1984) p. 9-11 sur la fille de Pierre Corneille, Madeleine Corneille entrée au monastère de Rouen en 1717 sous le nom de Soeur Marie-Madeleine Angélique de la Miséricorde, les n' 111 à 115 (1988-1989) où Soeur Marie-Cécile Minin, comme nous le rappelons plus loin, nous livre quelques réflexions sur saint Jean Eudes et Mère Mectilde et les nos 133 (1993), 134 (1994) et 139 (1995) nous livrent quant à eux quelques réflexions de Soeur Marie-Bernadette Fontaine sur l'Humour chez Mère Mectilde (p. 2- 9) - article traduit

59 publie une Lettre aux amis87 trimestrielle où se trouvent un bon nombre d'éléments concernant Mère Mectilde, tout comme, aux Pays-Bas, le monastère de Tegelen avec la revue Eucharitie en Geestelijk Leven 88. Nous n'avons pas dépouillé systématiquement, pour ce présent travail, tous les articles de ces revues mais nous devons beaucoup à leur existence car elles assurent un lien entre les monastères et donnent la possibilité de traduire ou de creuser tel ou tel point particulier de la spiritualité de Mère Mectilde.

Signalons, précisément en cette même année 1980 et dans la même revue Deus absconditus, un certain nombre de contributions

en polonais en 1994 -, sur le Chemin de l'abandon avec Mère Mectilde (p. 2-9), ainsi que sur un rapprochement entre Mère Mectilde du Saint-Sacrement et la bienheureuse Elisabeth de la Trinité : "Maisons de Dieu" (p. 1-6).

87. Dans le n° 67 (1964) p. 3-7, nous avons le premier article d'une série de trois intitulée En quête d'un visage. A la page 5, nous trouvons des renseignements sur "l'équipe des écrits" qui se réunissait à Paris. Le deuxième article est en fait une conférence de Louis Cognet au monastère du Mas-Grenier. Elle n'a été publiée ici (en partie) que parce qu'elle avait été enregistrée. Cela nous est d'autant plus précieux : 71 (1965) p. 14. Le troisième volet donne encore quelques informations sur "l'équipe des écrits" : 74 (1966) p. 5-7. Signalons deux conférences de Michel Pigeon, l'une sur les Pèlerinages monastiques au cours du Grand Siècle : 80 (1967) p. 1-3 et l'autre sur La Mère de Blémur, une grande moniale du Grand Siècle : 193 (1996) p. 1-6. En 1980, nous est retracée la vie de Mère Marie-Mechtilde ( 1979), ancienne prieure de Bayeux : 129 (1980) p. 1-57 ; nous la voyons découvrir la Règle de saint Benoît et la doctrine spirituelle de Catherine de Bar en harmonisant les cieux messages : surtout les p. 38-44. Le numéro 167 (1989) p. 1-6 nous fournit, à l'occasion des obsèques de Soeur Genovefa Guenille, une biographie en même temps qu'un beau témoignage. Enfin, en 1973 et en 1997, nous sont donnés deux petits articles cherchant à faire ressortir les similitudes entre Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus et Mère Mectilde : 101 (1973) p. 2-14 et 199 (1997) p. 5-8.

88. En 1978, cette revue a publié un article de C. van Buijtenen, sj., Wie is Moeder Mechtildis? (p. 21-32). Tout au long des années suivantes, ce même auteur a écrit ou traduit dans cette revue un grand nombré d'articles concernant Mère Mectilde. En 1979, nous trouvons un article de Soeur Maria-Scholastica Noy, de Valkenburg, Zwijgzame aanwezigheid (Présence silencieuse) ainsi que des études de l'abbé H. Spruijt. Beaucoup d'autres articles sont de Jan de Bots, sj., de Piet Penning de Vries, sj. ou des traductions d'études de Dom Bonifacio Baroffiô ou de l'abbé Joseph Daoust (notamment en 1997). Par ailleurs, signalons au cours de l'année 1980 un article de Soeur Joanna van Gennip, de Breda, "Hier, aujourd'hui et demain. Les Bénédictines du Saint-Sacrement", publié dans Monastieke Informatie,11 (1980) p. 123-134.

60 qui ont été données à l'occasion d'un congrès de spiritualité monastico-eucharistique. De nouveau une étude sur saint Benoît et Mère Mectilde par Soeur Marie Béraux89, une autre du Père Francesco Franzi90 sur Marie comme "unique et perpétuelle abbesse" de l'Institut, un ensemble de réflexions sur les rapports entre la Règle de saint Benoît et le mystère eucharistique, par Dom Amedeo Grab91 et Dom Pelagio Visentin92, une contribution de Dom Egidio Zaramella93 sur l'Institut du Saint-Sacrement comme fruit de la vie bénédictine, une autre du Père Giovanni Moioli94 sur le Véritable Esprit de Mère Mectilde et son actualité, une réflexion de Soeur Annamaria Cànopi sur l'anéantissement du Christ dans le mystère eucharistique95, enfin une dernière contribution, celle de Dom Vincent Truijen, longtemps abbé de Clervaux et à plusieurs reprises président de la réunion confédérale de l'Institut, sur L'oeuvre de M. Mectilde de Bar et la confédération des Bénédictines du Saint- Sacrement 96

89. Marie Béraux, San Benedetto da Norcia e Madre Mectilde de Bar, dans Deus Absconditus, 71 (1980) Atti del convegno di spiritualità monastico-eucaristica, Ronco-Ghiffa, p. 48-53. Mère Marie de Jésus (fane Béraux), de Rouen, est l'actuelle Présidente de la Fédération Française de l'Institut.

90. Francesco-Maria Franzi, Maria SS.ma "unica e perpetua abbadessa" dell'Istituto delle Benedettine dell'Adorazione del SS. Sacramento, ibid., p. 132-144. Voir aussi la note 65.

91. Amedeo Grab, Mistero eucaristico e Regola di S. Benedetto, ibid. suppl. aux n°' 3-4 (1980) 71ème année, p. 51-62. L'auteur, moine bénédictin d'Einsiedeln, est devenu, en 1987, évêque de Lausanne.

92. Pelagio Visentin, Il valore dell'Ufficio divino nella vita di una comnnità benedettina finalizzata all'Eucaristia, ibid., 71 (1980) Atti..., p. 88-106.

93. Egidio Zaramella, Il valore della presenza benedettina nella storia e dell'Istituto metildiano, frutto dello stesso Ordine benedettine, ibid., p. 2247.

94. Giovanni Moioli, Il "Vero Spirito" di M. Mectilde de Bar : una proposta "spirituale", le sue motivazioni, la sua attualità, ibid., p. 107-131.

95. Annamaria Cànopi, L'annientamento di Cristo, perpetuato nel mistero eucaristico..., ibid., p. 60-69.

96. Vincent Truijen, L'opera di M. Mectilde de Bar e la Confederazione delle Benedettine del SS. Sacramento, ibid., suppl. aux nos 34 (1980) 71e année, p. 90-93. On me signale par ailleurs, pour la même année 1980, deux contributions en polonais de Soeur Imelda

61 En 1981 et 1982, Soeur Marie-Pascale Boudeville publie deux courts articles dans La Revue Lorraine sur Nancy au XVIIe siècle. Le siècle des Bénédictines97 et sur les Bénédictines de Rambervillers98 . Un troisième suivra un peu plus tard dans la même revue concernant Les Bénédictines pendant la Révolution à Toul 99 .

En 1983, nous retrouvons Dom Jean Leclercq avec une étude sur l'Eucharistie au centre des écrits de Mère Mectilde parue en italien dans Ora et Labora 100 . Nous avons également en 1983 un petit article intéressant au sujet des relations entre Mère Mectilde et saint Louis-Marie Grignion de Montfort. Ce dernier a engagé sa propre soeur Jeanne à rencontrer à Paris Mère Mectilde, laquelle lui a conseillé d'entrer à Rambervillers, ce qu'elle a fait. Elle est devenue Soeur Marie Bernard. Il s'agit d'un article du Père Bernard Guitteny paru dans le Mensuel des Pères Montfortains101.

Rosinska de Varsovie, l'une sur "Mère Mectilde et les Bénédictines du Saint-Sacrement" et l'autre sur "le monastère de Varsovie". Signalons par la même occasion l'ouvrage de Soeur Irena Michaela Walicka sur l'histoire de l'Eglise et du monastère de Varsovie, publié en 1988.

97. Marie-Pascale Boudeville, A Nancy au XVII' siècle. Le siècle des Bénédictines, dans La Revue Lorraine, 40 (Juin 1981) p. 198-201.

98. Id., Les Bénédictines de Rambervillers, ibid., 47 ( Août 1982) p. 256-257.

99. Id., Les Bénédictines pendant la Révolution à Toul, dans La Revue Lorraine Populaire, 89 (Août 1989) p. 220- 221.

100. Jean Leclercq, L'Eucaristia al centro dagli scritti di Madre Mectilde de Bar, dans Ora et Labora, 38 (1983) p. 33-36. Egalement, cette même année : Piet Penning de Vries, Originalité della spiritualité delle monache benedettine dell'adorazione perpetua del SS. Sacramento, dans Deus Absconditus 74/2 (1983) p. 5-7. Signalons aussi, au milieu des travaux d'envergure de Mgr Inos Biffi, un ouvrage pour la jeunesse dans lequel une illustration et un paragraphe rappellent la spiritualité de Mère Mectilde. La traduction française est de la même année que celle de l'édition italienne : Inos Biffi, Le pain partagé. Histoire de l'Eucharistie, au chapitre 40, L'eucharistie et la sainteté chrétienne, éd. Fleurus, 1983.

101. Bernard Guitteny, Saint Louis-Marie Grignion de Montfort. Voyage à Paris de Mère Mectilde, dans Mensuel Marial Montfortain, 7 (avril 1983) 4' année. Numéro spécial Montfort, p. 210-213. Voir sur ce sujet : "Una preziosa corrispondenza del sapore delle origine mectildiane. 7 lettere di San Luigi Maria Grignion de Montfort alla sorella Gioonne-Marie, Sr. Caterina di San Bernardo, monaca benedettina del SS. Sacramento a Rambervillers, dans Deus Absconditus, 81/1 (1990) p. 21-28.

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6. L'année 1984

L'année 1984 voit naître deux volumes substantiels bien que d'origine et de contenu très différents. Le premier s'intitule Entretiens familiers102. Quoique publié de façon anonyme par le monastère de Bayeux, il s'agit d'un travail de regroupement de textes "familiers" de Mère Mectilde qui est l'oeuvre de l'archiviste Soeur Marie-Catherine Castel. Un avant-propos très utile nous présente ce recueil. Citons seulement ces deux paragraphes : "Entretiens familiers ? De quoi s'agit-il ? D'un enseignement plus libre, agrémenté d'humour ou de propos plaisants, donné à la communauté de la rue Cassette au cours de récréations, ou à quelques Soeurs restées auprès de leur Mère après une lecture du matin, ou encore à une de ses filles qui, pour le mieux retenir et en faire profiter d'autres, l'a consigné par écrit. Il nous a semblé que ces textes pieusement recueillis par les premières moniales de l'Institut étaient toujours chargés d'une vie qu'il ne fallait pas laisser perdre. De plus, ils devaient nous faire pénétrer davantage dans l'intimité de notre Mère alors qu'elle achevait dans la souffrance une vie pleine d'expérience..."

"A l'exception du billet de 1685 mis en tête de ce recueil, c'est un peu en novissima verba que ses paroles ont été recueillies. Des textes dispersés entre 1687 et 1692. Puis très suivis, parfois jour après jour en 1694 et 1695, pendant la convalescence de graves maladies, puis à nouveau plus isolés en 1696 et 1697."

D'après Soeur Marie-Catherine Castel, il semble bien que Soeur Monique des Anges, la narratrice de l'histoire de la fondation de Rouen, ait pris au vol ces notes à moins que ce soit elle qui ait constitué déjà un premier recueil. Monique de Beauvais était entrée rue Cassette en 1667 puis, après avoir fait partie de l'équipe

102. Mère Mectilde du Saint-Sacrement. Catherine de Bar, Entretiens familiers, Monastère des Bénédictines de Bayeux, 1984. (Avant-propos de Soeur Marie-Catherine Castel). Ce recueil a été traduit en italien par Soeur Annamaria Valli sous le titre Colloqui fanailiari, Alatri, 1988. Préface d'Antonio Quaquarelli. Trad. polonaise en 1990.

63 fondatrice de Rouen, revint rue Cassette, où elle fut élue prieure en 1713, jusqu'à sa mort en 1723.

Le deuxième volume de cette même année 1984, qui comporte plus de 450 pages s'intitule : Catherine de Bar. En Pologne avec les Bénédictines de France 103. Ce sont encore les deux Soeurs archivistes du monastère de Rouen, Soeur Jeanne d'Arc Foucard et Soeur Marie-Pascale Boudeville qui, de façon anonyme, ont ici réuni et présenté de très nombreux documents de première valeur sur le voyage des fondatrices et l'établissement du monastère de Varsovie. C'est d'ailleurs en vue du tricentenaire de cette fondation (1687-1987) que ce livre a été réalisé.

L'ouvrage est préfacé par Dom Jean Leclercq qui commence par ces lignes : "Voici un livre dans lequel abondent les faits et les idées", ce qui assurément n'était pas pour déplaire à l'érudit moine de Clervaux que l'on connaît. Cette préface nous présente et nous commente une lettre que Mère Mectilde envoya à ses

103. Catherine de Bar, En Pologne avec les Bénédictines de France, Paris, Téqui, 1984. Préface de Dom Jean Leclercq et introduction de Joseph Daoust, Une fondation bénédictine en Pologne au XVIIe siècle ; trad. néerlandaise en 1989. En ce qui concerne le monastère de Varsovie, signalons quelques ouvrages ou articles publiés en polonais par ce même monastère, notamment : X. R. Filochowski, Koicidi i klasztor WW. PP. Sakramentek w Warszawie (Eglise et monastère des Bénédictines du Saint-Sacrement à Varsovie), Warszawa, w Drukarni Franciszka Czerwiriskiego, 1889 ; Anonyme, 1688.1938. Benedyktynki od nieustajacej adoracji w Warszawie (1688- 1938. Bénédictines de l'adoration perpétuelle à Varsovie) Histoire écrite par une des Soeurs du monastère et édité par le monastère de Varsovie en 1938 ; Wladislaw Szoldrski, Benedyktynki od nieustajacej adoracji w Warszawie. 1687-1960 (Bénédictines de l'adoration perpétuelle à Varsovie. 16871960) dans Nasza Preszle, 19 (1964) p. 125-148 ; Soeur Irena Michaela Walicka, Kosicioi i klasztor Sakramentek w Warszawie w fivietle nowo odruilezionych materialdw (Eglise et monastère des bénédictines du Saint-Sacrement à Varsovie à la lumière des documents récemment retrouvés), dans Kwartaknik architektury i urbanislyki, 23/3 (1978) p. 163-220 ; Soeur Imelda Rosinska, Benedyktynky od nieustajacej adoracji Naffivietszego Sakramtntu, dans Zakony benedvktvriskie w Polsce, 1980, p. 185-216. Signalons encore la thèse de doctorat soutenue par Soeur Irena Michaela Walicka en 1981 sur l'église et le monastère des Soeurs du Saint-Sacrement à Varsovie avec le monument de la victoire de Vienne, thèse éditée à Varsovie en 1988.

64 Soeurs de Pologne, le 23 août 1687. Il s'agit d'un "sommet à partir duquel tout le reste puisse être considéré : un texte clef, une page où se révèle à la fois l'intention de l'envoi de bénédictines en Pologne, les idées maîtresses qui animent la fondatrice et ses filles, les attitudes psychologiques et spirituelles qui s'ensuivent..." Ce qui nous vaut un beau commentaire de Dom Jean Leclercq sur la finalité apostolique de l'oeuvre de Mère Mectilde, sur les exigences de l'ascèse, sur l'empreinte paulinienne, sur la charité fraternelle et sur la grande âme de la fondatrice qui apparaît "vigoureuse, pleine d'énergie intérieure" niais aussi "très humaine. Elle possède une immense capacité de compassion, un intense besoin de consoler, mais aussi d'être consolée. C'est en partie à cette affectivité contrôlée, mais non réprimée, que nous devons de posséder tant de lettres nous informant de ce qu'elle pense et "ressent", comme de ce qu'elle fait. A telle de ses correspondantes, elle écrivit trois cent trente et une lettres en quinze mois, c'est à dire un peu plus d'une tous les deux jours". Cette énergie, ce dynamisme, Mère Mectilde savait les puiser à leur source, en demeurant unie à Dieu car c'était là le secret de sa vitalité : "vous tenir dans votre intérieur par un saint recueillement en la présence de Dieu."

L'abbé Joseph Daoust que nous retrouvons ici nous offre à son tour une quinzaine de pages pour nous situer historiquement la fondation en Pologne : "Pendant que, le 15 août 1683, Sobieski partait de Cracovie pour libérer Vienne, la reine Marie-Casimire s'était retirée dans la solitude où adonnée aux bonnes oeuvres, à la prière et à la pénitence, elle s'efforçait d'attirer les faveurs de Dieu sur les armées chrétiennes. C'est au cours de cette retraite qu'elle promit de fonder, à Varsovie même, un couvent de religieuses qui, par l'adoration de l'hostie, traduiraient, à travers les âges, sa reconnaissance pour la protection qu'elle espérait du Ciel." Or, le 12 septembre 1683, Sobieski remporta la victoire contre les Ottomans. La reine et son époux s'empressèrent de s'acquitter du voeu ainsi prononcé. Par différents intermédiaires, Mère Mectilde fut sollicitée et acquiesça à la demande mais 65 diverses raisons secondaires retardèrent l'envoi des moniales qui ne partirent par mer vers Varsovie qu'en 1687.

Parmi les documents publiés dans ce livre, nous trouvons bien sûr le si pittoresque récit du voyage de fondation comme l'histoire du monastère de Varsovie, de 1687 à 1962. Tous les documents présentés dans cet ouvrage sont augmentés d'un nombre considérable de notes complémentaires qui sont autant de mines de renseignements. On ne peut qu'admirer ici encore le travail des Soeurs archivistes de Rouen et de Pologne.

Le chapitre quatorzième relate ce qui fut à juste titre appelé "l'holocauste de Varsovie de 1944" 104. Cet épisode dramatique n'est certes pas contemporain de Mère Mectilde mais, par l'offrande volontaire que les Soeurs ont faite d'elles-mêmes dans le monastère qui se situait à 250 mètres du ghetto, nous retrouvons tellement la spiritualité de Mère Mectilde qu'il est difficile de ne pas y voir l'évidente filiation spirituelle qui, aujourd'hui encore, ne cesse de nous émouvoir. Le 31 août 1944, trente-quatre bénédictines sur quarante étaient ensevelies avec le Saint-Sacrement sous les décombres de leur église. Au milieu de tant et tant de victimes qui les entouraient, leur vie et leur mort devenaient un vibrant symbole pour la Pologne toute entière comme pour l'Institut lui-même.

Mère Mectilde en s'adressant à leurs devancières, en août 1687, ne leur avait-elle pas en quelque sorte prophétisé cet instant

104. Sur ce point, signalons l'ouvrage de Soeur Maria-Assumpta : Jadwiga Stabinska, Danina Kiwi. Z wojennych dziejéw klastoru siàstr sakramentek w Warszawie : Le tribut du sang. Histoire du monastère des bénédictines du Saint-Sacrement à Varsovie pendant la guerre 19391945, trad. française, Paris, éd. du Dialogue, 1977. Mentionnons aussi deux articles, l'un anonyme, de 1948 et l'autre de 1985 : Dokonana ofiara. Z przezvé SS. Sakramentek w Warwawie, Powstanie 1944 (Sacrifice consommé. Monastère de Varsovie pendant l'Insurrection de 1944), article écrit par une Soeur du monastère de Varsovie et publié par ce même monastère en 1948. Irena Michaela Walicka (Soeur Maria Michaela), Zniszczenie i odbudowa ka'sciola i klastoru Sakramentek w Warszawie (Destruction et reconstruction de l'église et du monastère des Bénédictines du Saint-Sacrement à Varsovie), dans Kwartalnik Historyczny, 2 (1985) p. 251-265.

66 suprême ? "Allez, mes très chères enfants, allez chères victimes, allez les choisies du Ciel pour porter la gloire et l'amour du très Saint-Sacrement dans tout le royaume de Pologne... Vous ne vous souviendrez plus de vous-mêmes que pour vous regarder comme des victimes réellement et de fait, immolées à toute heure, à tout moment. Vous vivrez dans cet esprit de mort à tout le créé, pour vivre en Dieu et de Dieu en lui-même. C'est où je vous laisse et où je tire ma force pour vous sacrifier, espérant qu'il nous fera la très grande miséricorde de vous revoir dans l'éternité..."

La même année 1984 a vu paraître deux articles sur la réparation. Le premier en italien de Soeur Marie-Véronique Andral dans Ora et Labora 105 et le deuxième de Dom Jean Leclercq, Réparation et adoration dans la tradition monastique 106. Ce dernier article paru dans Studia Monastica a été traduit, la même année en allemand et en italien. Analysant depuis l'époque patristique le concept de réparation, en passant par le monachisme médiéval jusqu'à l'époque moderne, il était inévitable que l'auteur traite de la spiritualité victimale de Catherine de Bar. Une étude comme celle-ci, avec l'érudition et le discernement que l'on connaît à l'auteur, permet de mieux situer Mère Mectilde à la fois dans sa dépendance et dans son originalité. "En son dessein confluaient les tendances qui s'étaient fait jour jusque là vers l'adoration perpétuelle du Saint-Sacrement et vers le besoin de réparer tout ce qui se faisait de mal dans le monde... Mère Mectilde se fait l'écho de la tradition en montrant le sens que peuvent revêtir tant de peines corporelles et spirituelles. Quand l'occasion de souffrir se présente, sans qu'on l'ait cherchée, un chrétien pense à unir ses souffrances à celles que le Christ à endurées, comme saint Paul

105. Soeur Marie-Véronique Andral, La Riparazione. Ricerche su il "vero Spirito", dans Ora et Labora, 39 (1984) p. 163-175.

106. Jean Leclercq, Réparation et adoration dans la tradition monastique, dans Studia Monastica, 26 (1984) p. 13- 42 ; trad. italienne : Riparazione e adorazione nella tradizione monastica, dans Ora et Labora, 38/3-4 (1983) p. 103- 117 et 147-160 ; trad. allemande : Siihne und Anbetung in der monastischen Tradition, dans Erbe und Auftrag, 60 (1984) p. 169-195.

67 avait déclaré qu'il le faisait. L'ascèse et l'adoration sont donc considérées comme des moyens de participer à l'action réparatrice de Jésus. Pour Mère Mectilde, réparer équivaut expressément à restaurer la Gloire due à Dieu par les hommes, ce qui fut d'abord l'oeuvre du Christ. Réparer la gloire de Dieu de cette façon, c'est restaurer l'image de Dieu en l'homme. Ainsi l'ascèse et la vie de prière d'une Congrégation monastique sont-elles justifiées sur la base d'une doctrine hautement traditionnelle."

Dom Jean Leclercq rappelle que, dès le temps de saint Ignace de Loyola, s'était introduite la pratique, pour certains religieux, d'un quatrième voeu ; or "Catherine de Bar, dit-il, fut la première à demander, pour les membres de son Institut, la possibilité que ce quatrième voeu fut le voeu de victime. Sur ce point pratique, elle innovait. Mais la conception qu'elle avait de cet engagement se situait dans la ligne de Bérulle..." Ce fut Innocent XI, en 1676, qui approuva ce quatrième voeu en même temps que l'Institut dans sa bulle Militantis Ecclesiae : "Qu'elles émettent un quatrième voeu : celui de se tenir devant le Saint-Sacrement jour et nuit, à tour de rôle, et de prier avec cette intention; par ces prières continuelles, s'offrir comme victime en expiation, et réparer ainsi généreusement les sacrilèges, les impiétés et les autres péchés que commettent les impies et les hérétiques."

Cela dit, Catherine de Bar est bien consciente que cette réparation est l'oeuvre du Christ dont le travail de rédempteur ne cesse de s'accomplir dans l'Eglise et dans les âmes. "Il n'y a, dit Mère Mectilde, que Jésus-Christ qui puisse réparer sa gloire et celle de son Père."

Dom Jean Leclercq poursuit son enquête historique avec la spiritualité de Paray-le-Monial 107 et, bien sûr, avec sainte Thérèse de

107. Cf. D. Sadoux - P. Gervais, L'adoration eucharistique, dans Vie consacrée, 55 (1983) p. 86.

68 Lisieux dont il montre, en citant le Père André Combes, à quel point l'Acte d'offrande à l'amour miséricordieux du 9 juin 1895 constitue "l'une des révolutions les plus émouvantes et grandioses que l'Esprit-Saint ait déclenchées dans l'évolution spirituelle de l'humanité." Thérèse avait dit autrefois de l'offrande de victime à la justice de Dieu : "Je la trouvais grande et généreuse, mais j'étais loin de me sentir portée à le faire". Avec sainte Thérèse, de nouveau, c'est Dieu qui répare et c'est le pécheur qui est réparé 108.

La fin de l'article est consacrée à la vénérable Mère Catarina Lavizzari ( 1931) dont on a déjà parlé dans ces pages puisque c'est elle qui a fondé le monastère de Ronco-Ghiffa en Italie et qu'elle se situe dans la lignée spirituelle de Mère Mectilde 109. Dom Jean Leclercq fait remarquer que "l'intérêt qu'elle présente vient de ce qu'elle a réalisé une synthèse des données diverses reçues du passé ancien et récent. A l'intérieur de l'Institut fondé par Mère Mectilde, elle a formulé une spiritualité qui prolongeait la sienne, dans un vocabulaire qui est à la fois très traditionnel et conforme aux conceptions et aux formes de piété du pontificat de Pie XI... En de tels textes apparaissent à la fois la richesse d'une synthèse et les limites culturelles qui sont inévitables en toute expression d'une doctrine... Aujourd'hui, d'autres langages peuvent être appliqués aux même réalités... A chacun de nous il revient de faire un discernement entre la signification de tout langage et sa technicité et la validité de sa transfiguration au niveau du mystère chrétien..."

7. Ces dix dernières années

Les années suivantes, jusqu'en 1989, ne voient pas paraître

108. Cf. André Combes, Introduction à la spiritualité de Thérèse de l'Enfantjésus, Paris, 1948, p.138-143 et Note sur la signification historique de l'offrande Thérésienne à l'Amour miséricordieux, dans la Revue d'Ascétique et de Mystique, 45 (1949) p. 492-505.

109. Jean Leclercq, Motivi del messagio M. Caterina Lavizzari, dans Deus Absconditus, numéro spécial, 72/4 (1981) p. 33-45 ; voir aussi les notes 45 et 125.

69 d'études en langue française 110 sur Catherine de Bar mais un certain nombre, et de qualité en langue italienne. Signalons, entre autres, une thèse en faculté de théologie de Soeur Agnese Coluccini, de Grandate, en 1987 à Rome sur la présence de la Règle bénédictine dans les écrits de Mère Mectilde de Bar 111. Soeur Marie-Véronique Andral, avec sa grande connaissance de la spiritualité de Mère Mectilde, ne cesse d'être sollicitée pour des conférences et des contributions dont quelques-unes sont publiées en italien dans Ora et Labora112 ou Deus Absconditus113 et d'autres restent inédites. La revue du monastère de Milan a également publié une étude du Père Michel Fournier, eudiste, sur les rapports entre saint Jean Eudes et Catherine de Bar114 et une autre de Soeur Annamaria Valli sur la prière mariale chez Mère Mectilde115. Signalons en allemand, un recueil thématique de textes de Mère Mectilde avec une introduction de Soeur Johanna Domek, de Cologne116. En 1989, Soeur Veronika Krienen, de

110. A noter cependant Michel Pernot, L'apogée de la Réforme catholique, dans l'Encyclopédie illustrée de la Lorraine, dirigée par René Taveneaux, Presses universitaires de Nancy, 1988, p. 143 ; Albert Ronsin, Les Vosgiens célèbres, dans le Dictionnaire Biographique Illustré, Editions Gérard Louis, 1990, p. 31.

111. Agnese Coluccini, La presenza della "Regula Benedicti" negli scritti di Madre Mectilde de Bar, Istituto teologico per le monache Benedettine, Roma, Sant'Anselmo, 1987. Relatore : Prof. M. Battista Boggero, o.s.b. ; Conclatore : Prof. Innocenzo Gargano, o.s.b. Extrait sous le titre : M. Mectilde de Bar e la Santa Regola, dans Ora et Labora, 43 (1988) p. 32-40, 64-74, 129-133, 176-182.

112. Marie-Véronique Andral, Il volto di una madre, dans Ora et Labora, 43/4 (1988) p. 167-175, trad. polonaise en 1993 ; Dalla via del "nulla" alla "Piccola Via" (trad. de Carmel 2, 1963), ibid. 44/1 (1989) p. 4-18 ; trad. polonaise en 1979.

113. Marie-Véronique Andral, Maria SS.ma in Mectilde de Bar, dans Deus Absconditus, 78/1 (1987) p. 3540.

114. Michel Fournier, Riflessioni per un confronto San Giovanni Eudes e M. Mectilde de Bar, dans Ora et Labora, 43/1 et 4 (1988).

115. Annamaria Valli, Attorno alla preghiera alla SS. Madre di Dio di M. Mectilde de Bar, ibid., 43/2 (1988) p. 83- 93.

116. Catherine de Bar, Du hast Menschen an meinen Weg gestellt (Münsterschwarzacher Kleinschnften, 34) Vier - Türme - Verlag, 1986. Avec une introduction de Soeur Johanna Domek et de Soeur Veronika Krienen, Zum dialogischen Reifen des Menschen, dans Erbe und Auftrag, 63/1987 p. 214-221.

70 Cologne, publie un article dans la revue de Beuron Erbe und Auftrag sur "La vie en présence de Dieu, chez Catherine de Bar"117. Parallèlement à l'article du Père Michel Fournier paru en Italie, Soeur Marie-Cécile Minin, de Rouen, dans la modeste revue de son monastère : "Sous la crosse de Notre-Darne", nous livre quelques réflexions sur La place de la Vierge Marie dans la vie du Père Eudes et de Mère Mectilde118. En ces mêmes années 1987-1988, nous retrouvons une enquête de Dom Amedeo Grab, sur la Règle de saint Benoît et l'eucharistie, notamment l'adoration du Saint-Sacrement 119.

Nous voulons surtout mentionner deux volumes parus en Italie, celui de Soeur Marie-Véronique Andral, Catherine de Bar. Un carisma nella tradizione ecclesiale e monastica, édité en 1989, et celui de Soeur Genovefa Guerville : Catherine Mectilde de Bar. Un stile di "lectio divina" nel secolo XVII, édité en 1989 121. Le premier volume a été traduit par Soeur Maria Messina. Une biographie y a été donnée par Soeur Stefania Beltrarne Quattrocchi avec une introduction de Soeur Annamaria Valli. Chacun de ces deux volumes est présenté par le Cardinal Carlo Maria Martini, Archevêque de Milan. Il s'agit ici de deux belles éditions dont on voudrait bien avoir l'équivalent en langue française.

Le premier volume nous fournit la traduction italienne de l'Itinéraire Spirituel de Mère Mectilde, tel que Soeur Marie-

117. Veronika Krienen, Vom Leben in der Gegenwart Cottes. Deutungen, Hindernisse und Mlfen nach Catherine de Bar, dans Erbe und Auftrag, 65 (1989) p. 3543.

118. Anonyme (Soeur Marie-Cécile Minin), La place de la Vierge Marie dans la vie du Père Eudes et de Mère Mectilde, dans Sous la crosse de Notre-Darne, 111 (1988) p. 7-10 ; 112 (1988) p. 10-13 ; 113 (1988) p. 13-15 ; 114 (1989) p. 9-12 ; 115 (1989) p. 10-11. Traduction italienne : "Ave Maria, filia Dei Patris" e "Ave, cor", da S. Jean Eudes a Al. Mectilde de Bar, dans Ora et Labora, 46/3 (1991) p. 124-130 et Il posto della vergine Maria nella vita di M. Mectilde de Bar e di S. Jean Eudes, ibid., 46/4 (1991) p. 164-174.

119. Amedeo Grab, Sulla Regola di san Benedetto. Rapporto Ira Eucaristia e Oralio benedettina, clans Deus Absconditus, 77/4 (1987) p. 23-27 ; 78/1 (1988) p. 9-15.

120. Marie-Véronique Andral, Catherine Mectilde de Bar, I, Un carisma nella tradizione ecclesiale e monastica, Roma, Città Nuova Eclitrice, 1988.

121. Genovefa Guerville, Catherine Mectilde de Bar, II, Un stile di "lectio divina" nel secolo XVII, Roma, Città Nuova Editrice, 1989. On trouvera une recension de ces deux ouvrages par Dom Giuseppe Anelli, de l'abbaye Saint-Pierre de Modène, dans la revue de l'abbaye Saint-Paul, Benedictina 39 (1992) p. 252-260.

Véronique Andral le publiera en 1990 122 avec les trois grandes étapes que l'auteur dégage dans le cheminement spirituel de Catherine de Bar : "vers la mort mystique et la résurrection ; les douze ans et le douzième degré d'humilité ; l'enfer du pur amour". Après quoi, Soeur Marie-Véronique Andral nous donne une présentation en même temps qu'un commentaire de la correspondance entre Mère Mectilde et sa dirigée, la Comtesse de Châteauvieux. Les citations sont données ici d'après le manuscrit de Tourcoing. Enfin, dans une troisième partie intitulée : "Mère Mectilde dans l'Eglise de son temps : la tradition bénédictine et l'Ecole française", nous sont donnés en alternance des textes de Soeur Marie-Véronique Andral et Dom Jean Leclercq. Tout d'abord, de Soeur Marie-Véronique Andral, une étude, toujours avec documents à l'appui, sur les liens entre Mère Mectilde et la Congrégation des saints Vanne et Hydulphe. Puis se trouve reproduit en italien, pour rappeler les liens entre Mère Mectilde et la Congrégation de Saint-Maur, l'article que Dom Jean Leclercq avait publié en 1957 sur Saint-Germain et les Bénédictines de Paris. Soeur Marie-Véronique Andral étudie ensuite successivement la dévotion au Saint-Sacrement dans le milieu monastique du XVIIe siècle, la manière dont Mère Mectilde vit et enseigne à vivre la Règle de saint Benoît, les traits dominants de la spiritualité de Mère Mectilde, l'influence de Bérulle sur Mère Mectilde, notamment à propos du thème de l'anéantissement. De nouveau un texte de Dom Jean Leclercq est repris sur le christocentrisme et la Règle de saint Benoît émanant de son article Une école de spiritualité publié en 1976.

Le deuxième volume comporte deux grandes parties. La première est la reprise partielle mais tout à fait substantielle de la

122. Voir plus loin la note 128.

72 thèse soutenue en 1986 par Soeur Genovefa Guerville à la Faculté de théologie de Trèves. Il s'agit d'un important travail de recherche sur Mère Mectilde et la Bible. Outre une utile bibliographie sur la question, nous trouvons de très nombreuses données sur le contexte historique de Catherine de Bar aux lendemains du Concile de Trente, sur la pratique de la lectio divina ou de l'exégèse à cette époque et dans le milieu monastique, sur les rapports entre la Bible et la Liturgie et tout particulièrement la liturgie propre des Bénédictines du Saint-Sacrement, enfin sur tout ce qui peut ressortir des écrits de Mère Mectilde en rapport avec l'Ecriture Sainte. Soeur Genovefa Guerville nous fournit quelques chiffres : plus de 1.800 emplois bibliques soit plus de 1.200 du Nouveau Testament et plus de 400 de l'Ancien avec un grand nombre de mots ou expressions empruntés au vocabulaire biblique. "Les passages les plus fréquemment cités sont Mt 18,3 : devenir petit enfant pour entrer dans le Royaume des Cieux (24 emplois). Catherine de Bar dit elle-même qu'il s'agit là "du conseil le plus fort de l'Evangile". Viennent ensuite Col 3,3 : "Vous êtes morts et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ" (23 emplois) et Mt 16,24 : "se renoncer, prendre sa croix et suivre le Seigneur" (19 emplois) ... Ces quelques indications donnent une première idée des préoccupations spirituelles de Catherine de Bar. Ce qui lui importe avant tout est une vie humble et cachée en Dieu. Il convient de changer de vie et de marcher à la suite du Seigneur..."

En conclusion de son travail, Soeur Genovefa Guerville nous livre ces quelques mots : "Non seulement Catherine de Bar a lu la Bible, mais elle la connaît parfaitement. La sachant en grande partie par coeur, elle la cite de mémoire. Citations et allusions bibliques coulent tout naturellement sous sa plume et donnent un coloris biblique à tout son style. Catherine de Bar ... y a cherché l'aliment de sa vie spirituelle, la substance dont elle a formé sa doctrine ... Elle se révèle vraie fille de saint Benoît puisque c'est ainsi que procéda le Fondateur du monachisme occidental lorsqu'il écrivit sa Règle... Sa doctrine est, à la fois, évangélique et bénédictine. Elle a interprété la Bible comme toute la tradition monastique l'a interprétée. Grâce à une lectio divina assidue, elle a été souvent à même de découvrir le "sens caché des Ecritures"...

Soeur Genovefa Guerville nous a donné ici un beau témoignage de recherche studieuse au service de la Parole. Rappelons que c'est en 1986 qu'elle a rédigé cette étude et que c'est en 1989 que le livre a été édité. Or, c'est le 29 mai 1989 que le Seigneur est venu la chercher. Soeur Genovefa se trouvait à Bayeux et venait de passer une heure d'adoration nocturne à l'église ; sur son bureau, ses travaux sur Mère Mectilde l'attendaient... Adoration et travail, à la recherche de la source originelle et du charisme fondateur, n'est-ce pas là le plus beau labeur pour une âme bénédictine ?

Ce n'est pas tout pour ce livre puisque c'est encore Soeur Genovefa Guerville qui nous introduit également dans la deuxième partie de l'ouvrage intitulée : Mère Mectilde parmi les "spirituels" de son temps ; conférences et chapitres aux moniales. Il s'agit d'un choix de vingt-cinq conférences effectivement prononcées par Mère Mectilde en salle capitulaire pour ses moniales. Nous y trouvons là un enseignement spirituel et monastique de première qualité. Soeur Genovefa Guerville a divisé l'ensemble de cette sélection en quatre "guides de lecture" qui aident à la compréhension des textes et qui, grâce aux excellentes introductions qui y sont données, nous font pénétrer avec pédagogie au coeur du message spirituel que Mère Mectilde a voulu communiquer à son entourage.

En 1989, est reprise en France, et toujours par les bénédictines de Rouen, la correspondance de Mère Mectilde adressée à la Comtesse de Châteauvieux. Il y avait bien eu déjà l'édition de 1965 mais il convenait maintenant de reprendre l'ensemble sur des bases nouvelles. Ce bel ouvrage de plus de trois cents pages intitulé : Une amitié spirituelle au grand siècle. Lettres de Mère Mectilde de Bar à Marie de Châteauvieux est préfacé par Monseigneur

123. Collectif, Une amitié spirituelle au grand siècle. Lettres de Mère Mectilde de Bar à Marie de Châteauvieux, Paris, Téqui, 1989. Préface de Mgr Charles Molette. Introduction du Père Michel Dupuy, p.s.s., et du Père Paul Milcent, eudiste. Trad. néerlandaise en 1997 et italienne en 1990-1991.

74 Charles Molette, alors président des Archiviste de ]'Eglise de France. C'est là que nous trouvons de bonnes réflexions concernant l'Amende honorable du 12 mars 1654 et sa représentation due à Philippe de Champaigne, toile qui se trouvait au monastère de la rue Cassette et qui se trouve actuellement au monastère du Mas-Grenier. L'auteur rappelle aussi dans cette préface ce que fut l'amitié providentielle de Marie de La Guesle, Comtesse de Châteauvieux, pour Mère Mectilde et la naissance de l'Institut. "La fondation de l'Institut des bénédictines du Saint-Sacrement n'est pas seulement le résultat d'un voeu royal. Cette fondation, en effet, a été rendue possible par l'amitié spirituelle, assez exceptionnelle, qui s'est développée entre Mectilde de Bar et Marie de La Guesle de Châteauvieux ; celle-ci, en effet, n'a pas seulement apporté aux origines de l'Institut une aide substantielle - matérielle et administrative -, elle est encore tellement entrée dans ce projet que, dès le lendemain de son veuvage, elle est allée rejoindre la communauté, alors établie rue Cassette, où elle est devenue "Soeur Victime du Saint-Sacrement..."

Monseigneur Charles Molette s'interroge ensuite sur la qualité du manuscrit qui nous transmet la correspondance entre Mère Mectilde et la Comtesse de Châteauvieux. Il en vient à "souligner l'importance de cette transmission vivante" non seulement pour ce qu'on a coutume d'appeler le Bréviaire de Madame de Châteauvieux mais aussi pour l'ensemble des autres copies de manuscrits : "A la Révolution, lors de la dispersion de 1792, chaque moniale est partie avec ses manuscrits sous le bras. Les textes de Mère Mectilde n'étaient pas pour elles des talismans ou des objets de musée, c'était bien la source de leur vie religieuse qu'elles devaient garder vivante en la faisant vivre de leur propre vie sur les routes ou les cachettes de leur exil, à moins que ce ne soit en prison." Après la Révolution, un certain nombre de manuscrits ont été regroupés à Paris, rue Tournefort, mais chaque monastère en possédait, notamment ceux d'Arras, de Dumfries, de Rouen, de Craon et de Bayeux.

75 Monseigneur Charles Molette nous rappelle justement qu'en octobre 1957, les prieures de l'Institut, réunies à Milan, décidèrent d'éditer les écrits de Mère Mectilde. Le travail, comme nous venons de le montrer au cours de ces pages, est largement entamé ; il est cependant loin d'être parvenu à son terme. "Peut-être, confie Monseigneur Charles Molette, le travail décidé en 1957 ne s'achèvera-t-il que lorsque, par delà les manuscrits dont elles ont entrepris courageusement la publication, les bénédictines du Saint-Sacrement auront pleinement retrouvé et fait découvrir, toute palpitante, la vie de Mère Mectilde et sa croissance spirituelle à travers les circonstances concrètes qui l'ont jalonnée ; car c'est ainsi que Dieu a voulu, d'étape en étape, faire progresser et s'épanouir leur fondatrice... que si, au-delà des documents et des témoignages, on essaye de scruter la vie même de Mère Mectilde, il semble déjà possible de pressentir son itinéraire spirituel, les épreuves à travers lesquelles elle a dû passer... Un tel itinéraire spirituel, un tel itinéraire de foi, n'illumine-t-il pas, de l'intérieur, la fondation de l'Institut ? Et cette considération n'inciterait-elle pas au moins à étudier l'éventualité d'un procès de béatification ? La renommée de sainteté de Mère Mectilde est patente et paisible. N'y aurait-il pas lieu d'aller plus loin ? Ne resterait-il pas à rendre encore davantage grâce à Dieu pour cette vie de Mère Mectilde qu'il a suscitée parmi nous ? ... car, tout au long de sa vie, d'étape en étape, elle a appris à se laisser conduire par Dieu pour accomplir sa volonté dans son Eglise !"

C'est, après cette préface, au tour d'un sulpicien spécialiste de l'Ecole Française, Michel Dupuy, de nous introduire dans ce Bréviaire adressé à Madame de Châteauvieux. Il nous montre à quel point "Mère Mectilde a compris qu'elle s'adresse à une femme exceptionnelle" et que le message hautement spirituel qu'elle lui délivre dans sa correspondance se doit d'être lu, médité et compris à la lumière de la théologie de l'époque. Les analyses du Père Michel Dupuy sont d'une densité remarquable et reprennent point par point tous les éléments majeurs que l'on trouve dans cette correspondance et qu'il met en relation avec les maîtres ou 76 les autres mystiques de l'Ecole française. Faute de pouvoir ici inventorier ces nombreux éléments riches de doctrine et de spiritualité, reprenons, en ce qui concerne l'Eucharistie ces quelques remarques de l'auteur : "Au total, Mère Mectilde ne nous paraît pas parler de la contemplation de l'Eucharistie, autant qu'on l'aimerait et autant qu'on s'y attendrait quand on sait la place que celle-ci tient dans la vie de ses filles. C'est que notre prieure ne sépare pas l'Eucharistie de ce qu'elle signifie, la communion à la vie divine. Alors son adoration et son amour vont, à travers l'Eucharistie, droit à la vie divine. C'est la meilleure manière de vivre l'Eucharistie. Bérulle, Jean Eudes, Condren, Olier sont les maîtres de ce qu'on a appelé l'Ecole Française et qu'il serait plus précis d'appeler l'Ecole Bérullienne. Tout en restant fidèle à saint Benoît, Mère Mectilde s'y apparente manifestement. L'adoration du Saint-Sacrement était d'ailleurs en honneur à l'oratoire bérullien".

C'est ensuite au Père Paul Milcent, eudiste, qu'il appartient de nous introduire dans La pensée spirituelle de Mère Mectilde du Saint-Sacrement. Là encore, nous sommes en présence d'un spécialiste, cette fois-ci de saint Jean Eudes, nous livrant ses réflexions et ses commentaires à la lecture et à l'analyse des lettres de Mère Mectilde à Madame de Châteauvieux. "On y découvre, dit-il, une conception forte et cohérente de la sainteté chrétienne, intelligemment fidèle à la grande tradition bérullienne, avec quelques accents qui peuvent aujourd'hui nous paraître excessifs ou discutables. Cette doctrine n'a rien de froid, de théorique : elle est toute frémissante d'une très haute idée de Dieu ou pour mieux dire : d'une expérience pure et ardente de la recherche de Dieu, de la vie avec Dieu". Les points retenus par le Père Paul Milcent dans son analyse sont relatifs au baptême, à la "ténèbre lumineuse" de la foi, au désir d'anéantissement bien compris dont l'autre nom est : "pur amour", enfin au chemin de liberté que Mère Mectilde fait prendre à sa dirigée afin d'être "très flexible aux touches de l'Esprit de Jésus".

Reprenons la conclusion du Père Paul Milcent : "Tout l'édifice repose sur une forte doctrine du baptême, sacrement de l'entrée dans le Corps du Christ et dans la sainteté du Christ ; au centre de tout, la foi, une foi au-delà du sensible et du raisonnement, une foi qui nous dépouille de nos connaissances pour nous ouvrir à Celui qui est au-delà de tout ; et un amour également dépouillé, le "pur amour", dont l'expérience s'identifie à celle d'un "anéantissement" de nous même en communion avec le don total du Christ en Croix ; et cette voie s'épanouit en souple docilité à l'Esprit qui fait de nous des tout-petits et des êtres libres."

Pour l'année 1990, signalons tout d'abord une contribution en langue italienne de Soeur Annamaria Valli dans Benedictina traitant de la vocation monastique, des voeux et de la perfection chez Catherine de Bar. Dans le même temps, à Milan, se trouve réédité l'ouvrage signalé pour l'année 1954 de Monseigneur Gilla Vincenzo Gremigni sur Mère Mectilde de Bar et Mère Catherine 125 Lavizzari . A Cologne, les Bénédictines du Saint-Sacrement fêtent le centenaire de leur présence à Cologne-Raderberg. Un ouvrage d'histoire et de spiritualité est édité. On y trouve notamment quelques pages consacrées à la vie et à la spiritualité de Mère Mectilde, article de Soeur Veronika Krienen 126.

De son côté, Soeur Marie-Véronique Andral publie dans les Collectanea Cisterciensia une bonne enquête sur Saint Bernard et Mère Mectilde du Saint-Sacrement 127. Mère Mectilde nomme seulement douze fois saint Bernard mais lui emprunte souvent un certain nombre d'idées et d'expressions en ce qui concerne par

124. Annamaria Valli, Vocazione monastica, voti, perfezione in Catherine de Bar, dans Benedictina, 37/1 p. 49-86 ; 37/2 (1990) p. 363-382.

125. Voir notes 109 et 45.

126. Veronika Krienen, Catherine de Bar. Leben und Spiritualitdt, dans Wegspuren. Eine Hundertjâhrige Geschichte (1890-1990), Kôln, Lingen, 1990, p. 55-58.

127. Marie-Véronique Andral, Saint Bernard et Mère Mectilde du Saint-Sacrement, dans Collectanea Cisterciensia 52 (1990) p. 318-329 ; trad. italienne : San Bernardo e Madre Mectilde de Bar, dans Dra et Labora, 46/4 (1991) p. 157-165, 47/1 (1992) p. 16-22, trad. polonaise en 1991.

78 exemple l'obéissance, la grandeur de Dieu, la Vierge Marie, tout particulièrement au sujet de la Présentation au Temple. Une confluence aussi se retrouve bien évidemment autour du thème de l'image et de la ressemblance.

La même année 1990 voit paraître une autre étude de Soeur Marie-Véronique Andral sur l'Itinéraire spirituel 128 de Catherine de Bar. Ce beau travail sera revu et augmenté l'année suivante, réédité par les Bénédictines de Rouen et imprimé à Craon en 1992. Cette étude de plus de deux cents pages est présentée par son auteur comme étant "une esquisse seulement, "un essai" qui ‘’voudrait tracer quelques pistes en vue d'une recherche ultérieure plus approfondie. Nous nous sommes contentées", confie l'auteur avec les archivistes de Rouen, "de coudre ensemble des textes que nous versons au dossier. Trop et trop peu, car nous sommes en face de documents d'une richesse extraordinaire. Et nous n'avons pu tout explorer". En réalité même si, effectivement, la richesse des documents est grande et permettra de nombreuses études ultérieures plus approfondies, ce travail se situe nettement au-delà d'un simple florilège de textes. Des lignes de crête sont définies, des étapes sont délimitées, des orientations dévoilées. Les textes sont commentés et les réflexions de Soeur Marie-Véronique Andral nous aident à mieux comprendre l'évolution spirituelle intime de Mère Mectilde.

"Tout au long de notre recherche, nous annonce l'auteur dès l'introduction, a paru une route, vertigineuse certes, mais cohérente et fidèle à elle-même dans sa progression. Après l'enfance et la vie tourmentées qu'elle connut chez les annonciades, Mère

128. Marie-Véronique Andral, Catherine de Bar. Mère Mectilde du Saint-Sacrement. Itinéraire spirituel, Rouen, Monastère des Bénédictines, 1990 ; 2e édition revue et amplifiée en 1992. Avec, pour cette 2e édition, une préface de Dom Vincent Truijen qui reproduit avec quelques légères modifications son étude publiée l'année précédente : Catherine de Bar. Mère Mechtilde du Saint-Sacrement. Itinéraire spirituel, dans la Feuille des oblats (Abbayes de Paris et de Clervaux) n° 2-3 (1991) p. 11-14. Version italienne de la première édition en 1988 (cf. notes 120 et 122) et traduction polonaise en 1991.

Mectilde semble commencer la première grande étape de sa vie lors de la Profession de vie bénédictine. Elle atteint son sommet lors de la retraite de 1661-1662. On pourrait l'intituler "Vous êtes morts et votre vie est cachée en Dieu". "Vous êtes morts... mourrez donc", insiste saint Paul (col. 3, 3-5). C'est la seule route de la vie...

La deuxième étape commence aussitôt et dure douze ans. On pourrait dire que Mère Mectilde a gravi les douze degrés de l'humilité de la Règle de saint Benoît selon laquelle plus on s'abaisse, plus on s'élève. Ainsi, "terrassée" sous le poids de la divine justice, comme le publicain de l'Evangile et le moine de saint Benoît, elle parvient bientôt à l'amour parfait du Christ, sous la conduite de l'Esprit. Nous arrivons ainsi au sommet de l'union "substantielle" que d'autres nommeraient "mariage spirituel". Mais l'épouse doit être en tout semblable à son époux crucifié.

Voici la dernière étape, et c'est encore saint Paul qui parait bien l'illustrer : "Offrons notre personne comme une hostie vivante, sainte et agréable à Dieu" (Rm 12,1) et "nous portons sans cesse la mise à mort de Jésus dans tout notre être afin que la vie de Jésus soit manifestée en nous" (2 Co. 4,10).

Ces trois étapes nous parlent de l'unique Mystère qui éclaire toute sa vie : cette route est la route pascale de Jésus-Christ où il entraîne son Eglise tout au long des siècles en se donnant à Elle dans son Corps livré et son Sang répandu pour la transformer en Lui-même et continuer, par Elle, le Mystère de la Rédemption. "J'ai désiré d'un grand désir de manger cette Pâque avec vous, avant de souffrir" (Lc 22,15)".

En 1992 et 1993, nous retrouvons Soeur Marie-Véronique Andral avec plusieurs articles soit en français soit en italien, tout d'abord, dans les Collectanea Cisterciensia, une étude intitulée Mère Mectilde du Saint-Sacrement, Bénédictine de son temps 129 . Nous avons

129. Marie-Véronique Andral, Mère Mectilde du Saint-Sacrement, Bénédictine de son temps, dans Collectanea Cisterciensia, 54/3 (1992) p. 250-268.

80 là de bonnes réflexions sur les "racines bénédictines de Mère Mectilde" notamment lorsqu'elle se trouvait à Rambervillers sous l'influence bienfaisante de la Congrégation de Saint-Vanne et Saint-Hydulphe. Les trois piliers de la réforme vanniste étant le retour à la Règle de saint Benoît, le soin particulier apporté à l'étude et à la digne célébration de l'office divin. Ce fut ensuite l'influence de la Congrégation de Saint-Maur non seulement par l'abbaye réformée de Montmartre où Mère Mectilde séjourna une année mais aussi et surtout par les nombreux rapports qu'elle eut ensuite avec l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. L'auteur nous présente encore ces liens au sujet du culte du Saint-Sacrement, de l'abbatiat de Notre Dame et de la mise en pratique de la Règle, lue à la lumière de l'Evangile et de l'Eucharistie. Pour Mère Mectilde, pourrait-on dire, il ne s'agit pas tant de "lois à établir" et à suivre que de "quelqu'un à contempler et à imiter". Soeur Marie-Véronique Andral nous livre ici de très bonnes pages sur le rôle et la fonction de supérieure d'après Mère Mectilde que l'on voit profondément pénétrée de l'esprit de service à l'exemple du Christ et dans la ligne de la vraie tradition ecclésiale : "Elle (la supérieure) doit considérer, comme dit un Père de l'Eglise, que le bonheur de sa charge consiste à servir ses Soeurs avec charité, et à s'assujettir avec humilité à ce qui regarde le bien et l'utilité de celles qui lui sont commises, et que si devant les hommes, comme dit le même Père de l'Eglise, elle est élevée au-dessus de ses Soeurs par le rang d'honneur que sa dignité lui donne, elle doit être devant Dieu prosternée et abaissée à leurs pieds... Elle ne traitera jamais ses Soeurs avec des paroles rudes ou méprisantes, mais toujours avec honnêteté, dans une gravité humble et modeste, jointe à une fermeté compatissante et une charité douce et patiente..."

A Milan, les Bénédictines éditent un livret : Creati per la gloria où se trouvent réunis quelques beaux textes de Mère Mectilde. Soeur Marie-Véronique Andral y fournit des éléments biographiques et un commentaire spirituel. Trois autres articles de

130. Maria Besana, Creati per la gloria. Brani antoligici dagli scritti di M. Caterina Mectilde de Bar, Milan, 1992. Trad. polonaise en 1993.

81 soeur Marie-Véronique Andral ont été publiés ces années là en italien. Le premier sur "la vie commune et la croissance spirituelle" d'après Mère Mectilde, paru dans Deus Absconditus 131 en 1993 ; un autre sur "le mystère de Marie" dans Ora et Labora132 et le troisième sur "la demeure de Dieu dans l'âme" dans la même revue de Milan133. De son côté, Soeur Annamaria Valli édite et commente quelques textes de Mère Mectilde sur la vie monastique dans la revue Benedictina134 et en Pologne Soeur Malgorzata Borkowska publie un ouvrage de plus de 200 pages sur Mère Mectilde contenant une biographie et la traduction d'une vingtaine de conférences.

En 1994, un beau petit livre paraît en langue française, Catherine de Bar, Adorer et Adhérer 136 présentant plus de deux cents petits extraits choisis des écrits de Mère Mectilde. Ces perles mectildiennes, bien agencées et déjà savoureuses en elles-mêmes, sont précédées d'un avant-propos de Soeur Jeanne d'Arc Foucard et d'une chronologie fort utile de la vie de Mère Mectilde et des événements qui lui sont associés établie par Soeur Marie-Pascale Boudeville. L'ensemble est préfacé par Mgr Joseph Duval, archevêque de Rouen, qui, en quelques lignes nous met en appétit : "Je suis frappé par le bon sens et la sûreté doctrinale de Catherine de Bar. Le style est de son temps, mais la pensée est d'une grande

131. Marie-Véronique Andral, Vie commune et croissance spirituelle, Session pour jeunes professes des deux fédérations italiennes, Castelmaclama, septembre 1992, paru clans Deus Absconditus, 84/1 (1993). Tract. polonaise en 1994.

132. Id., Il tnistero di Maria in Mectilde de Bar. M. Mectilde contempla Maria al centro del mislero divino della creazione, della redenzione, della salvezza, clans Ora et Labora, 47/4 (1992) p. 175-180 et ibid., 48/1 (1993) p. 44- 48.

133. Id., La dimora di Dio nell'anima. Rileggendo alcune conferenze di Madre Mectilde de Bar, clans Ora et Labora 48/3 (1993) p. 129-138 et 49/2 (1994) p. 67-75.

134. Annamaria Valli, All'inizio del camino monastico con Catherine Mectilde de Bar. Testi inediti e guida di lettura, clans Benedictina, 39 (1992) p. 385-419.

135. Malgorzata Borkowska, 0 prawo dia Boga. Spotkanie z Matha Mechtylda, Warszawskie Wydawnictwo Archidiecezjalne, 1992.

136. Catherine (le Bar, Adorer et adhérer, Paris, Cerf, 1994. Préface de Mgr Joseph Duval et avant-propos de Soeur Jeanne-d'Arc Foucard. Trad. polonaise en 1994.

82 actualité. Le lecteur qui voudra bien lire page après page ce recueil sera plongé au coeur d'une spiritualité authentique, valable pour des religieuses mais aussi pour tous ceux et celles qui vivent en dehors d'un cloître. Retenez cette maxime de Mère Mectilde : "la plus belle sentence que je puis vous donner, c'est de vous rendre conforme à Jésus-Christ, d'adhérer à Lui en toute rencontre et enfin de tendre à être faite une même chose avec Lui. Voilà le souverain bonheur d'une âme chrétienne". Je souhaite à tous les lecteurs de trouver ce bonheur".

Au cours de la même année 1994, Soeur Annamaria Cànopi publie un ouvrage sur le monachisme bénédictin féminin. Une dizaine de pages sont consacrées à Mère Mectilde. Dom Gregorio Penco y a donné une introduction'''. Dans la revue Deus Absconditus Dom Giorgio Bertolini écrit un article sur le "rapport entre le monastère et le monde à la lumière des écrits de Mère Mectilde de Bar" 138. De nouveau, nous retrouvons, dans Erbe und Auftrag, Soeur Veronika Krienen avec une étude sur l'eucharistie dans laquelle elle expose la spiritualité eucharistique de Mère Mectilde139. C'est également en 1994 que le monastère Sainte-Trinité de Bayeux édite, de façon modeste mais fort utilement, le Glossaire de Mère Catherine de Bar établi par Soeur Marie-Catherine Castel. On y trouve l'inventaire de tous les mots un peu techniques ou propres au langage du XVIIe siècle avec leur explication ou leur correspondance dans notre langue actuelle 140.

En 1995, une Biographie spirituelle de Catherine Mectilde de Bar est établie, dans un travail universitaire à la Faculté de Théologie

137. Annamaria Cànopi, Monachesimo benedettino femminile, (Orizzonti monastici, 7) Seregno, Abbazia S. Benedetto, 1994.

138. Giorgio Bertolini, Rapporto tra monastero e mondo alla lace degli scritti di Madre Mectilde de Bar, dans Deus Absconditus, 85/1 (1994) p. 24-41.

139. Veronika Krienen, Eucharistisch leben, der Liebe Antwort geben, dans Erbe und Auftrag, 70 (1994) p. 453-460.

140. Marie-Catherine Castel, Glossaire de Mère Catherine de Bar, "pro manuscripto", Bayeux, Bénédictines du Saint- Sacrement, 1994.

de l'Italie du Nord, par Matteo Dal Santo 141, et une autre étude, dans un cadre similaire, sur la "vie commune (théologie et pratique) d'après Mectilde de Bar et à son époque", par Soeur Carlamaria Valli 142, de Grandate. En 1995 également a été élaborée à l'intention des jeunes moniales la charte de formation de la Fédération Française des Bénédictines de l'Institut, dans laquelle se reflète pour notre temps la spiritualité de Mère Mectilde 143. A Cologne, un recueil d'articles (avec traduction en allemand) concernant Catherine de Bar et les Bénédictines du Saint-Sacrement a été publié. L'ouvrage qui comporte une centaine de pages contient deux articles traduits de Dom Jean Leclercq, deux articles de Soeur Johanna Domek et quatre de Soeur Veronika Krienen. Toutes ces contributions ont déjà été publiées entre 1984 et 1994 144. L'année suivante a été édité le deuxième volume de cette même collection, toujours par le monastère de Cologne. On y trouve des textes de Louis Cognet et de Joseph Daoust, traduits en allemand, des extraits des Documents historiques, deux autres contributions de Soeur Johanna Domek et d'Emmanuel Jungclaussen 146. Dans un autre volume, le troisième de cette collection, a été éditée la traduction d'une partie des Documents historiques et des Lettres inédites 147 concernant le monastère de Toul 148.

141. Matteo Dal Santo, Biographie spirituelle de Catherine Mectilde de Bar, Faculté de Théologie de l'Italie du Nord. Section du séminaire de l'Archevêché de Milan (Prof. Dom Severino Pagani), année 1994-1995.

142. Carlamaria Valli, La vita comune. Linee teologice et realtà concreta della comunità di Benedettine dell'Adorazione perpetua. Mectilde de Bar nel suo tempo, Scuola di Teologia per le Benedettine Italiane (Storia del Monachesimo : Prof. Dom Gregorio Penco) Rome, année 1994-1995. Id., La comunità monastica in Mectilde de Bar, dans Deus Absconditus, 87/3-4 (1996) p. 19-30, 23-28.

143 Bénédictines du Saint-Sacrement, Fédération Française, Charte de formation, 1995.

144. In deutsch veriffentlichte Artikel über Catherine de Bar und die monastische Tradition der Benediktinerinnen vom Heiligslen Sakrament (Recherchen, 1) Kôhl, 1995.

145. Documents h is lori ques, Rouen, 1973.

146. Das Leben der M. Mechtilde de Bar. Drei Texte zur Biographie, Zeitgeschichte und Geistesgeschichle (Rechercher, 2) Kôln, 1996.

147. Lettres inédites, Rouen, 1976.

148. Berichte und Briefe über die Gründung und Entwicklung des Klosters in Toul (Rechercher, 3) Kôln, 1996.

84 Signalons également, toujours en 1995, un article du Père Irénée Noye, sulpicien, comparant Monsieur Olier et Mère Mectilde sur "quelques points de dévotion au Saint-Sacrement". Cet article est paru en italien dans Ora et Labora 149 . Dans la même revue, Bonifacio Baroffio nous donne un assez long article sur l'eucharistie chez saint Benoît et Mère Mectilde en regard du nouveau catéchisme 150.

Toujours dans la même revue de Milan, mais en 1996, une très bonne contribution est apportée par une moniale polonaise du monastère de Varsovie, Soeur Maria-Blandina Michniewicz sur "l'anéantissement" 151. Nous trouvons là un texte majeur de Mère Mectilde sur ce point. Par ailleurs, la même année mais dans la revue Deus Absconditus, Soeur Maria-Pia Tei nous fournit quelques bonnes réflexions sur l'idéal bénédictin-mectildien vécu dans la vie concrète d'une moniale 152. Mentionnons, toujours en 1996, la notice consacrée à Catherine de Bar par Dom Philippe de Lignerolles, moine d'En-Calcat, et Jean-Pierre Meynard, dans leur recueil : Histoire de la spiritualité chrétienne. "Dans la vie et l'oeuvre de Mectilde, l'intuition centrale est le mystère pascal du Christ et de ses membres, en ses deux aspects inséparables de mort et de vie, selon les textes de saint Paul souvent cités et commentés, et cela à la lumière du Christ dans son "état eucharistique" "153. Plus importante est la biographie d'une centaine de pages que nous donne, en cette même année 1996, Soeur Giannina Rognoni dans un livre édité par l'abbaye Saint-Paul de Rome et dans la collec-

149. Irénée Noye, Qualche accento nella devozione al SS. Sacramento del XVII° s. in Francia, specialmente nell'Olier e Madre Mectilde, dans Ora et Labora, 50/3 (1995).

150. Bonifacio Baroffio, L'eucharistie chez saint Benoît et Mère Mectilde en regard du nouveau catéchisme, dans Ora et Labora, 50/1-3 (1995) p. 20-29, 70-80, 126-134.

151. Maria-Blandina Michniewicz, L'annientamento (commentaire du texte de Mère Mectilde n° 1108 ; mss. N 266 p. 404), dans Ora et Labora, 51/4 (1996) p. 200-213. Traduction du polonais, publié en 1995.

152. Maria-Pia Tei, L'ideale benedettino-mectildiano : il suo concreto dispiegarsi nella vita della monaca, dans Deus Absconditus, 87/4 (1996) p. 29-34.

153. Philippe de Lignerolles et Jean-Pierre Meynard, Histoire de la spiritualité chrétienne, Paris, les Editions de l'Atelier, 1996, p. 170-171.

84

85tion "Petite bibliothèque monastique". L'ouvrage est intitulé "Vie et charisme de Mère Mectilde du Saint-Sacrement" 154. Une autre biographie de Mère Mectilde, non plus en italien mais en polonais, se trouve insérée dans un ouvrage de Soeur Maria-Assumpta (Jadwiga Stabiriska) qui porte le titre "Le feu sur l'autel". Un deuxième volume où il sera davantage question de la spiritualité de Catherine de Bar est prévu en 1998 et portera le titre "Avec le Christ en Dieu"155.

Au cours de l'année 1997, mentionnons une petite biographie bien écrite, agréable à lire, de Mère Mectilde, cette "voyageuse de Dieu en une époque troublée" qui a su trouver "le secret de la stabilité intérieure", due à la plume d'une Soeur de l'Abbaye de Venière, Soeur Chantal Roosz, et insérée dans un collectif intitulé A l'image de saint Benoît156 . L'auteur y souligne "l'aspect étonnamment moderne de sa pensée" notamment en ce qui concerne l'importance qu'elle donne au baptême en lien avec l'Eucharistie. "Car Mère Mectilde insiste là dessus, c'est tout chrétien qui, par son baptême, est enfant du Père, "incarnation" du Fils, demeure de l'Esprit". C'est aussi "l'aspect profondément bénédictin de la spiritualité de Catherine de Bar" qui retient l'auteur. "Et cela à deux titres, précise Soeur Chantal, d'abord par l'importance donnée à la liturgie, vécue comme déploiement du mystère du Christ, dans le cycle annuel des fêtes, et donc comme possibilité offerte d'union à la vie même du Christ ; ensuite, par l'insistance sur l'obéissance, l'humilité, ce que Mectilde appelle dans le langage de son temps "l'anéantissement". On pourrait traduire : le renon-cernent à soi-même ou selon saint Benoît, à sa "volonté propre".

154. Giannina Rognoni, Vita e carisma di Madre Mectilde del SS. Sacramento (F'iccola biblioteca monastica, 5) Roma, Abbazia di San Paolo, 1996.

155. Jadwiga Stabi_ska (Soeur Maria-Assumpta), Ogied na oltarzu, Wydawnictwo Akademii Theologii Katolickiej, Warszawa, 1996. Le deuxième volume s'intitulera : Z Chlystusem w Bogu, même éditeur, 1998.

156. Chantal Roosz, Bienheureuse Catherine de Bar. Mère Mectilde du Saint-Sacrement, dans le Collectif (Soeur Agnès Schoch et les moniales bénédictines de Venière). A l'image de Saint Benoît, Paris, Cerf, 1997, p. 73-86.

8- Ici, elle est en parfaite consonance avec le patriarche des moines, et surtout avec le chapitre septième de la règle, le plus fondamental..."

En cette même année 1997, le monastère de Cologne a publié le quatrième volume de sa collection sous le titre : "Porter en soi la flamme sainte - Mère Mectilde de Bar". Il s'agit d'un choix de textes regroupés par thèmes, précédé d'un avant-propos de Soeur Johanna Domekbl. Alors que le premier volume présentant la biographie de Mère Mectilde se trouvait déjà épuisé et qu'il fallait le réimprimer, sortent à nouveau deux autres volumes d'une centaine de pages chacun. Le cinquième volume de la collection donne en traduction allemande des extraits des deux livres de Rouen Lettres inédites (1976) et Fondation de Rouen (1977) 158. Le sixième volume de la collection regroupe divers articles traduits ici en allemand, notamment de Dom Jean Leclercq, de Divo Barsotti et de l'abbé Joseph Daoust. Outre l'introduction de Soeur Johanna Domek, nous trouvons une autre contribution d'elle ainsi qu'un article inédit de Soeur Mirijam Schaeidt, de Trèves, sur la valeur de la spiritualité de Mère Mectilde pour nous, aujourd'hui 159.

En préparation du tricentenaire de la mort de Mère Mectilde, nous constatons les efforts déployés dans les différents pays pour publier textes et études, pour donner des traductions afin de rendre enfin abordables des contributions écrites en langue étrangère. Rappelons que c'est en cette année 1997 qu'ont été publiées aux Pays-Bas les traductions néerlandaises du livre publié à Rouen en 1989 avec la correspondance de Mère Mectilde à la Comtesse de Châteauvieux : Une amitié spirituelle au grand

157. Heiliges Feuer in sich tragen. M. Mechtilde de Bar. Eine Auswahl spiritueller Texte (Rechercher, 4) Kôln, 1997.

158. Geistliche Briefe an Ordensfrauen (Recherchen, 5) Kôln, 1997.

159. Verchiedene Texte zur Spiritualitât der M. Mechtilde de Bar (Rechercher, 6) Kôln, 1997. La contribution de Soeur Mirijam Schaeidt s'intitule exactement : Über die Bedeutung der Spiritualitât der M. Mechtilde de Bar fur mich. Môgliche Zugânge für junge Menschen von heute, p. 84-91.

87 siècle 160 et du recueil de Soeur Marie-Catherine Castel, La source commence à chanter 161.

D'autre part, en Italie, la revue de Ronco-Ghiffa Deus Absconditus a publié plusieurs articles sur Mère Mectilde, particulièrement celui de Soeur Carlamaria Valli, de Grandate, sur l'eucharistie pré et post-tridentine avec les incidences sur la spiritualité de Mère Mectilde 162, et celui d'Enrico Magnani, "Dans le monde des Patriarches" 163.

Deux derniers livres viennent de paraître en Italie tout récemment. Derniers en date mais non, certainement, les derniers sur la vie et la pensée de Mère Mectilde ! On ne peut qu'être heureux de voir enfin édité, à l'approche du tricentenaire de la mort de Mère Mectilde, même si ce n'est pas dans la langue originale de Catherine de Bar, un nombre important de Conférences prononcées en salle capitulaire pour sa communauté tout au cours de l'année liturgique. Quarante six conférences viennent de trouver place dans un volume de plus de quatre cents pages, préparé par les monastères d'Alatri, de Ronco-Ghiffa et de Milan et qui porte le titre Catherine Mectilde de Bar. L'anno Liturgico 164. On y trouve de nombreuses introductions bien fournies de Soeur Annamaria Valli, de Milan, et de Dom Giorgio Bertolini, cistercien de Chiaravalle, qui ont veillé à apporter pour chaque conférence de

160. Brieve van geestelijke begeleiding en vriendschap. Moeder Mechtildis van het Heilig Sacrament aan de gravin de Châteauvieux, Tegelen, 1997.

161. De bron begint te zingen. Gedachten van Moeder Mechtildis van het Heilig Sacrament, Catherine de Bar, Tegelen, 1997.

162. Carlamaria Valli, Le prassi eucaristica pre e post tridentina. I suoi riflessi nella spiritualità di Mectilde de Bar, dans Deus Absconditus, 88/2 (1997) p. 7-18.

163. Enrico Magnani, Nel secolo dei patriarchi; ibid., 88/4 (1997) p. 43-52. Dans la même revue, signalons : Benedettine dell'Adorazione Perpetua, Projetto di formazione, ibid., 88/1 (1997) p. 18-32 et Pregare con Madre Mectilde. Di fronce al Santissimo Sacramento, ibid., 88/3 (1997) p. 138.

164. Catherine Mectilde de Bar, L'anno Liturgico. Dall'Avvento a Pentecoste. Solennità del Signore e della Beata Vergine Maria. S. Michele e (esta di Tutti i Sancti, Milano, Edizioni Glossa, 1997. Introduction générale de Soeur Marie-Véronique Andral. Introductions particulières de Soeur Annamaria Valli et de Dom Giorgio Bertolini.

88 très intéressantes notes complémentaires. L'ensemble a reçu une introduction générale de Soeur Marie-Véronique Andral sur l'origine des Conférences de Mère Mectilde, son expérience, son enseignement et sur son charisme personnel. Souhaitons vivement pouvoir bénéficier d'un pareil ensemble en langue française sans trop attendre.

Enfin, du monastère d'Alatri, nous parvient le dernier volume en date à ce jour Catherine Mectilde de Bar. Quando la vita si fa dono 165 du Père Giuseppe Capone, prêtre diocésain d'Alatri qui fut très rapidement conquis par Catherine de Bar, la considérant à juste titre comme une "personnalité extraordinaire et une grande mystique du XVIIe siècle". Cette biographie de plus de trois cents pages est préfacée par Monseigneur Andrea Ruggiero dont on connaît la science et la flamme apostolique.

Juste avant de remettre ces pages à l'éditeur, me parviennent les premières épreuves d'un ouvrage qui doit paraître au début de l'année 1998, écrit par Monsieur Jean-Marie Voignier, sur Les Bénédictines de Châtillon-sur-loing. L'auteur, en retraçant l'historique de cette fondation, consacre évidemment de nombreuses pages à Mère Mectilde. D'abondantes pièces d'archives, jusque là inédites, provenant notamment de l'Hôtel de Ville de Châtillon et des Archives du Loiret, sont jointes au texte et fournissent au lecteur comme au chercheur des documents de première main et de grande valeur historique et spirituelle166.

8. Histoire et perspectives

Avec la parution de ces ouvrages, le tricentenaire de la mort de Catherine de Bar nous ouvre la perspective d'un approfondisse-

165. Giuseppe Capone, Catherine Mectilde de Bar. Quando la vita si fa dono, Alatri, Edizioni Tofani, 1997. Avant- propos de l'auteur. Préface de Mgr. Prof. Andrea Ruggiero.

166. Jean-Marie Voignier, Les Bénédictines de Châtillon-sur-Loing, Les monographies Gâtinaises, Le Pont-de-Pierre, 1998.

89ment de la vie et de la pensée de Mère Mectilde. Nous venons de mentionner un grand nombre d'études publiées et - j'en suis convaincu - la liste n'est pas exhaustive. Ce recensement peut permettre d'intégrer d'autres documents qui pourraient prendre place dans cette liste déjà longue.167 Je suis conscient aussi de n'avoir pu mentionner, et pour cause, toutes les recherches qui ont été menées à leur terme ou qui se trouvent encore à l'état d'ébauches et n'ont pas été livrées à l'édition. Elles demeurent dans les archives des différents monastères et sortiront de l'ombre peu à peu ou serviront d'humbles bases pour des études ultérieures. Un certain nombre de moniales de l'Institut, non citées jusqu'à présent, ont néanmoins travaillé ou travaillent encore sur

167. L'éditeur me permet (l'insérer ici, au moment de la correction (les dernières épreuves, une note additionnelle. Je voudrais signaler deux ouvrages anciens mais importants sur Délie de Cossé-Brissac qui entra au monastère de Rouen en 1815 et qui y reçut l'habit l'année suivante sous le nom de Soeur Marie de Saint-Louis de Gonzague. Elle devait devenir par la suite la fondatrice et première prieure de Craon. Dans ces deux ouvrages, il est souvent question de Mère Mectilde en tant que fondatrice de l'Institut. Il s'agit de Dom Louis Paquelin, moine de Solesmes, Vie et souvenirs de Madame de Cossé-Brissac, Paris-Bruxelles, 1876 et de Dom Matthieu J. Couturier, moine bénédictin de Ligugé, qui fut maître des Frères au sein de la communauté de Saint-Wandrille alors en exil en Belgique puis maître des novices à Chevetogne où il mourut en 1916. Il écrivit, en collaboration avec Soeur Marie de Jésus Bertron, Prieure du monastère de Craon, Madame de Cossé-Brissac, Paris, Téqui, 1914. Dans la même ligne, mais concernant Louise-Adélaïde de Bourbon Condé et sa postérité spirituelle, mentionnons le collectif, Les Bénédictines de la Rue Monsieur, Strabourg-Paris, 1950.

Signalons aussi un article du début du siècle écrit par Raphaël de Saint-Laurent, Les Bénédictines du Saint-Sacrement du XVIII' au XX' siècle, dans l'Eucharistie, 1/6 (16 septembre 1910) Paris, Bayard, p. 174-180. Ainsi qu'une contribution plus récente de Madame Huguette Rochotte, de Rambervillers, qui a souvent fourni de précieux renseignements aux Soeurs archivistes de Rouen, et qui s'intitule, A propos de Mère Mectilde, dans Au bord de la Mortagne, 25 (décembre 1990), p. 29-31 (Revue éditée par la section d’histoire locale du Canton de Rambervillers).

Signalons encore deux ouvrages récents concernant le monastère de Milan : Dom Giovanni Lunardi, Raccontiamo le tue meraviglie, Milano, 1992 et Alfredo Idelfonso Cardinal Schuster, Lettere aile Benedettine dell' Adorazione perpetua del SS. Sacramento di Milano.

Enfin, les Soeurs (le Rosheim viennent de publier un petit article sur l'histoire de l'Institut et de leur fondation intitulé Les Bénédictines de Rosheim, dans Les Amis des Monastères, 113 (janvier 1998) p. 29-32.

90 l'un ou l'autre aspect de la vie ou de la doctrine de Mère Mectilde. Qu'il me soit permis d'en nommer quelques unes, au risque d'en oublier. Je pense plus particulièrement à Soeur Emanuela Henri, de Bonn ; Soeur Paola Montrezza et Soeur Odilia Luda, de RoncoGhiffa ; Soeur Marie Stanislas Martin, de Cœn ; Soeur Caecilia Beltrame Quattrocchi, de Milan ; Soeur Maria Emonos, de Tegelen ; Soeur Geltrude Arioli, de Milan ; Soeur Emanuela Piazza, de Raguse ; Soeur Gabriela Cavaliere, d'Alatri ; Soeur Metildis Messina, de Tarquinia ; Soeur Scholastique Tulliez, de Bayeux ; Soeur Metilde Imperatori, de Monte Fiascone ; Soeur Christine Bremer, de Valkenburg ; Soeur Luciana Maria SegretoAmadei, d'Alatri ; Soeur Marie-Thérèse Zehnbauer, de Peppange ; Soeur Alessandra Fantin, de Ronco-Ghiffa ; Soeur Marie Bruno Chaballier, Soeur Marie Benoît de Maillard et Soeur Odile Bénédicte Bernard, de Craon ; Soeur Teresa Bussini et Soeur Carmelita Kendle, de Milan ; Soeur Mariarenata Quariglio et Soeur Maria Ester Stucchi, de Ronco-Ghiffa ; Soeur Gabriella La Mela, de Catane.

Je voudrais aussi mentionner le nom de Soeur Renée Cordeau, de Rouen qui a beaucoup oeuvré sur les Constitutions et Déclarations de chaque monastère, et rappeler également le nom déjà rencontré de Soeur Marie-Catherine Castel 168 , de Bayeux, qui a travaillé sur l'histoire de la Confédération en plus de ses recherches sur Mère Mectilde.

Nous ne devons pas oublier la dette de reconnaissance que nous avons tous envers Mère Elisabeth Renard qui fut la première présidente de la Fédération française de l'Institut jusqu'en 1968.

168. Qu'il me soit permis de la remercier tout particulièrement pour sa disponibilité et son aide précieuse malgré ses infirmités actuelles. De même, je voudrais dire ici ma reconnaissance envers le monastère de Rouen qui m'a toujours bien accueilli et où j'ai pu puiser tant d'abondantes informations. Je pense plus particulièrement à Mère Prieure et aux Soeurs archivistes bien connues, à Soeur Marie-Véronique Andral ainsi qu'à Soeur Marie-Véronique Ducroq qui m'a rendu de multiples services et qui a aimablement mis à ma disposition le dossier sur Mère Mectilde préparé pour la formation de ses novices. Ma reconnaissance va aussi envers le Frère Jacques Marcotte et le Frère Eric Lejosne, tous deux de Saint-Wandrille, qui m'ont aidé dans les recherches et dans la mise en forme de ce travail.

Sans son impulsion, les travaux de "l'équipe de Paris" n'auraient pas vu le jour. De même, nous devons beaucoup à Mère Marie de Jésus Béraux qui lui a succédé et qui, actuellement encore, ne cesse de se dévouer pour l'Institut et de favoriser les études entreprises. Nous lui devons notamment, avec le conseil de Dom René Joubert, abbé émérite de Sainte-Marie de Paris et assistant religieux pour la Fédération, l'ouverture toute récente de l'enquête diocésaine en vue de la cause de béatification de Mère Mectilde. Que les Mères Présidentes des différentes Fédérations ainsi que les Mères Prieures de chaque monastère trouvent ici aussi l'expression de notre gratitude pour les efforts qu'elles déploient afin que dans les communautés de l'Institut demeure toujours vivant l'esprit de Mère Mectilde au sein de la grande famille bénédictine.

L'année du tricentenaire du retour à Dieu de Mère Mectilde suscite un grand nombre d'activités diverses au sein des différents pays où se trouve représenté l'Institut. Des rencontres sont prévues, particulièrement à Paris et à Rouen, des groupes de réflexions et d'approfondissement de la spiritualité de la Mère Fondatrice intensifient leurs efforts en plusieurs monastères, des facultés et des chercheurs s'intéressent à la spiritualité du XVII' siècle et prennent occasion de cet anniversaire pour favoriser des colloques et susciter des débats. Plusieurs ouvrages et articles sont en préparation. Nous ne pouvons que nous réjouir de cette éclosion. Il y a maintenant un certain nombre d'années que "la source a commencé à chanter" ; l'eau va maintenant jaillir d'autant plus puissamment qu'elle a été trop longtemps contenue. Les pièces d'archives, les documents authentiques restés inédits sont encore nombreux et recèlent un trésor historique, spirituel et doctrinal de première valeur.

Nous ne pouvons que souhaiter de voir, au-delà des nécessaires éditions fragmentaires, la préparation, même lointaine, d'une édition critique des oeuvres complètes, semblable à celle des œuvres 92 de sainte Jeanne de Chantal 169 ou de Bérulle 170. Il y a également place pour de nombreuses études à caractère monographique qui seront autant de bases préalables pour la réalisation de plus vastes synthèses. S'il y a une nécessaire approche scientifique des textes par des travaux de type universitaire à envisager, il doit y avoir aussi, surtout de la part des moniales de l'Institut, une approche plus cordiale, plus sapientielle, pourrait-on dire, tout aussi nécessaire car on ne peut lire un auteur spirituel qu'avec le même feu intérieur et le même climat d'adoration qui fut le sien. C'est donc à une lecture en profondeur et comme par connaturalité que, malgré l'obstacle inhérent au langage du temps, chaque moniale de l'Institut est particulièrement conviée. Ce peut être là le moyen providentiel d'un renouvellement personnel et d'un enrichissement ecclésial auxquels nul d'entre nous ne saurait se soustraire.

Sans pouvoir donner ici une liste exhaustive des travaux en cours, relevons seulement la préparation, en Italie, de la publication des Conférences de l'année liturgique concernant le sanctoral et également celle de la correspondance entre Mère Mectilde et Madame de Châteauvieux accompagnée d'un commentaire. En Allemagne, des recherches bibliographiques sont entreprises avec sérieux et compétence par Dom Marcel Albert, de l'abbaye de Gerleve, qui aboutiront, nous l'espérons fortement, à un corpus bibliographique mectildien qui serait pour tous les chercheurs un excellent moyen d'investigation 171. Enfin, en France, une biogra-

169. Jeanne-Françoise Frémyot de Chantal (= sainte Jeanne de Chantal), Correspondance. Edition critique établie et annotée par Soeur Marie-Patricia Burns, archiviste de la Visitation d'Annecy, éd. du Cerf - Centre d'Etudes Franco-Italien des universités de Turin et de Savoie, 1986-1996. L'ensemble se compose de 6 volumes de près de mille pages chacun.

170. Pierre de Bérulle, Oeuvres complètes, sous la direction de Michel Dupuy, p.s.s. avec un grand nombre de collaborateurs, éd. du Cerf - Oratoire de France, en cours de publication : 8 volumes sur 14 ont été publiés entre 1995 et 1997.

171. Marcel Albert, Mectilde de Bar und die Benediktinerinnen vom Heiligen Sakrament. Bibliographie (en cours d'élaboration). L'auteur, avec beaucoup de gentillesse, m'a permis de prendre connaissance de son précieux travail dans son état actuel. Qu'il en soit très vivement remercié.

93phie de Catherine de Bar est actuellement en chantier sous la plume du Frère Yves Poutet appartenant à la Congrégation des Frères des Ecoles Chrétiennes 172. D'autres travaux, d'envergures diverses, sont en cours de réalisation ou encore à l'état de projet. Autant de pierres pour la construction de l'édifice.

Le présent ouvrage constitue l'une de ces modestes pierres qui trouve son assise sur les précédentes et sur laquelle à leur tour d'autres s'appuieront. On y trouvera l'édition de textes inédits tel le précieux manuscrit P. 101 rédigé par Mlle de Vienville et conservé à Rouen, relatant, dans sa partie finale publiée ici, les derniers moments de Mère Mectilde. Après sa mort, ce fut le priorat de Mère Anne Loyseau qui commença. En faisant appel à la correspondance conservée, on peut reconstituer l'histoire de celle qui allait ainsi succéder à Mère Mectilde et, à partir de ces sources, dégager la physionomie spirituelle de la nouvelle prieure. Par ailleurs, un certain nombre de lettres et de documents jusque là inédits ont été choisis et transcrits pour être également publiés dans ce volume préparé par nos deux archivistes de Rouen Soeur Jeanne d'Arc Foucard et Soeur Marie-Pascale Boudeville. Ce sont elles qui ont également reconstitué l'histoire de chaque monastère de l'Institut à l'époque de la Révolution française.

Nous retrouvons dans ce même volume Soeur Marie-Véronique Andral qui nous fournit ici grâce à tout son savoir et à sa longue familiarité avec la vie et l'oeuvre de Mère Mectilde une courte biographie de Catherine de Bar où, de nouveau, nous ne pouvons qu'admirer, à travers les méandres de l'existence et l'intense activité fondatrice de Mère Mectilde, une âme toute donnée à Dieu. Jusqu'à sa mort, le Seigneur a travaillé son âme par des purifications successives qui ont opéré en elle la transformation qu'elle souhaitait si ardemment depuis sa jeunesse : n'être plus qu'une hostie de louange et d'adoration, ne faisant qu'un avec Jésus-Christ.

172. L'abbé Joseph Daoust avait commencé, en vue du Tricentenaire, une biographie de Mère Mectilde. Un incendie qui se déclara dans son bureau détruisit son travail ainsi que toutes les sources manuscrites - heureusement en photocopies - qu'il avait pu rassembler. C'est alors le Frère Yves Poutet qui fut sollicité...

94 C'est aussi l'abbé Joseph Daoust qui nous livre quelques réflexions sur l'activité épistolaire de Mère Mectilde. Avec ses vastes connaissances en tous domaines et sa facilité de plume, que n'a-t-il pas écrit depuis son ouvrage sur Dom Martène publié aux Editions de Fontenelle en 1947 173. Nous lui devons bon nombre de contributions sur Mère Mectilde, comme nous l'avons vu, mais aussi beaucoup d'articles divers et de recensions d'ouvrages notamment dans Esprit et Vie 174. L'amitié qu'il voue aux Bénédictines de Rouen et les nombreux conseils et différents services qu'il n'a cessé de leur manifester depuis plus de trente ans attestent de sa disponibilité et de sa compétence.

Enfin, nous est donnée aussi dans ce volume une contribution de Monsieur Daniel-Odon Hurel sur les relations entre Mère Mectilde et les Bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur et tout spécialement l'abbaye de Saint-Germain-des-prés. Nous avons vu qu'un certain nombre d'éléments en ce domaine avaient déjà été fournis par Dom Jean Leclercq mais nul n'était mieux placé que Daniel-Odon Hurel, chargé de recherche au CNRS et actuellement chargé de cours à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, pour faire le point aujourd'hui sur cette question. Depuis sa thèse de doctorat, en 1991, sur le Voyage littéraire de deux Religieux Bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur 175 (Dom Edmond Martène et Dom Ursin Durand), Daniel-Odon Hurel a beaucoup travaillé les XVII' et XVIII' siècles mauristes et particulièrement la correspondance monastique. On lui doit déjà de nombreuses

173. Joseph Daoust, Dom Marlène, un géant de l'érudition bénédictine, (coll. Figures monastiques), Editions de Fontenelle, Saint-Wandrille, 1947.

174. Depuis 1968, Joseph Daoust rédige avec une continuité remarquable la rubrique Causeries sur les "Revues", dans Esprit et Vie. L'ami du clergé. De plus, il signe un certain nombre de recensions comme, par exemple, sur Catherine de Bar : Esprit et Vie, 84/6 (1974) p. 94 (Documents historiques) ; 86/49 (1976) p. 704 (lettres inédites) ; 88/1 (1978) p. 15 (Fondation de Rouen) ; 99/50 (1989) p. 335 (Lettres à Madame de Châteauvieux).

175. Daniel-Odon Hurel, Erudition mauriste et regard sur la vie religieuse en France, aux Pays-Bas et en Allemagne au début du XVIII siècle. Le Voyage littéraire de dom Edmond Marlène et de dom Ursin Durand (Paris, 1717 et 1724), Université de Tours, 1991, 4 vol.

95 contributions récentes comme par exemple176: Correspondance épistolaire et vie monastique chez les bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur, article publié dans les Recherches Augustiniennes.

Comme son épouse Nathalie est elle-même Diplômée de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes et spécialiste de l'iconographie des manuscrits du Moyen-Age177, on peut augurer de l'excellente formation médiévale et classique que reçoivent et développeront leurs deux jeunes enfants, Armance-Marie et Ambroise, déjà familiers précoces des monastères voisins de Rouen et SaintWandrille. C'est à dessein que je les mentionne tous les deux comme représentants de la génération des chercheurs de demain car, après tout, que ce soit l'enfance d'hier à laquelle a appartenu la petite Catherine de Bar ou l'enfance d'aujourd'hui tout comme celle de demain, il s'agit toujours de grandir sous le regard de Dieu, de se laisser façonner par Lui, d'être attentif aux exemples des anciens pour, un jour, léguer aussi à la génération suivante ce qu'on a soi-même reçu.

176. Daniel-Odon Hurel, Une source pour l'histoire politique et culturelle de la France et de l'Europe occidentale au XVII' et au XVIII' siècle : la correspondance des Bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur, dans la Revue d'Histoire de l'Eglise de France, 79/202 (1993) p. 139-144 ; Les Mauristes, éditeurs des Pères de l'Eglise au XVII` siècle, dans Les Pères de l'Eglise au XVIIème siècle, sous la direction d'Emmanuel Bury et de Bernard Meunier, Paris, Éd. du Cerf - IRHT, 1993, p. 117-134 ; Correspondance épistolaire et vie monastique chez les bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur (XVII`-XVIII siècles), dans les Recherches Augustiniennes, 27 (1994) p. 187-212 ; Les Bénédictins de Saint-Maur et l'histoire au XVIIème siècle, dans Littératures classiques, 30 (1997) p. 33-50.

177. Nathalie Hurel-Genin prépare actuellement sa thèse de doctorat en histoire, option histoire de l'art à Paris X- Nanterre : Les Chroniques universelles en rouleau et en français des XV' et XVI' siècles : la place de leur miniature dans la production d'oeuvres historiques enluminées. On lui doit déjà plusieurs articles comme par exemple : La Chronique universelle d'Orléans : un manuscrit d'histoire enluminé, dans Histoire de l'Art-Varia, 19 (1992) p. 29-40 ; Les Chroniques universelles en rouleau (1457-1521) : une source pour l'iconographie religieuse, dans Revue d'Histoire de l'Eglise de France, 80/205 (1994) p. 303-314 ; A propos de quelques manuscrits enluminés de la bibliothèque des Dominicains d'Avignon (X111`-XV' siècles), dans les Cahiers de Fanjeaux, 31 (1996) p. 417.440.



[figurent ici un fascicule paginé 1 à 16 de photographies aux légendes non reproduites ici]


Mère Mectilde et les Mauristes DANIEL-ODON HUREL

97 Il n'est pas ici question d'étudier en profondeur les liens entretenus par la fondatrice des bénédictines du Saint Sacrement avec les bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur. La seule ambition de ces quelques pages est de réunir quelques éléments déjà connus, de manière à envisager le moyen d'étudier tant sur le plan factuel que sur le plan de la spiritualité cette synthèse profonde entre spiritualité française et tradition bénédictine qu'offrent la vie et l'oeuvre de Catherine de Bar. Nous nous attacherons exclusivement aux personnalités bénédictines qu'elle a pu rencontrer ce qui ne doit pas faire oublier les multiples influences et rencontres non bénédictines qui pour elle comme

1. Ces quelques pages doivent beaucoup aux publications récentes des bénédictines de Rouen : Mère Mectilde du Saint Sacrement à l'écoute de Saint Benoît, Rouen, 1979 ; Joseph Daoust, Catherine de Bar. Mère Mectilde du Saint Sacrement (1614-1698), Paris, Téqui, 1979 ; Joseph Daoust, Le message eucharistique de Mère Mectilde du Saint Sacrement, Paris, Téqui, 1981 ; Catherine de Bar (1614-1698), Documents Biographiques. Ecrits spirituels (1640-1670), Rouen, 1973 ; Catherine de Bar, Fondation de Rouen, Rouen, 1977 ; Catherine de Bar, Lettres inédites, Rouen, 1976 ; sr. Véronique Andral, Catherine de Bar, Mère Mectilde du Saint-Sacrement (1614-1698), Itinéraire spirituel, Rouen, 1992.

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pour d'autres religieuses de cette époque furent nombreuses et constituent sans doute une des caractéristiques majeures du renouveau monastique féminin des années 1590-1670. Avec l'essor des congrégations de Saint-Vanne et surtout de Saint-Maur, Mère Mectilde put plus facilement et plus profondément sans doute que Marie de Beauvilliers ancrer son Institut dans l'identité bénédictine, en bénéficiant en particulier des premiers résultats de l'effort des mauristes en faveur d'un retour aux sources patristiques et médiévales du monachisme.

L'itinéraire bénédictin de Mère Mectilde

Cet itinéraire fut à la fois géographique et spirituel. Les deux à la fois, car ce sont les difficultés politiques du moment qui occasionnèrent des rencontres, l'insertion dans des réseaux religieux bien connus de la réforme catholique française, mais aussi la constitution progressive de réseaux relationnels et spirituels propres.

La première rencontre avec la Règle de saint Benoît se fait, on le sait, à Rambervillers en 1638 2. Rambervillers était un monastère récent, fondé une dizaine d'années auparavant dans le sillage de la réforme de Saint-Vanne, elle-même mère de la Congrégation de Saint-Maur. La vocation bénédictine de Catherine de Bar est née non dans un monastère en mal de réforme mais au coeur du renouveau bénédictin lorrain. A Rambervillers, Catherine de Bar découvre aussi les liens forts qui peuvent unir bénédictins réformés et bénédictines. En effet, sa volonté de rejoindre la Règle semble avoir été appuyée par dom Antoine de l'Escale, alors visiteur de la congrégation de Saint-Vanne3. Encore dans les années 1650, ce même religieux ainsi que dom Arnould, abbé de Saint-

2. Joseph Daoust, Catherine de Bar, op. cit., p. 16.

3. Cf. lettres à Catherine de Bar, publiées dans Duquesne, Vie de la vénérable Mère Catherine de Bar, Nancy, 1775, p. 75-77, 232, 237-238.

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Airy de Verdun, servirent d'intermédiaires pour l'acheminement de lettres et paquets entre Mère Mectilde et Mère Benoîte de la Passion 4. D'autre part, Mère Marguerite de la Conception, moniale de Rambervillers et compagne de Mère Mectilde à Paris, entre 1651 et 1659, était une nièce de dom de l'Escale5. Enfin dom de l'Escale comme dom Placide Roussel, prieur mauriste de Saint-Germain-des-Prés, se montre volontiers très exigeant lors de l'examen des moyens financiers dont dispose Mère Mectilde pour sa fondation6. Malgré ces réserves, l'appui des supérieurs majeurs de Saint-Vanne ne sera pas inutile dans la demande officielle de changement d'Ordre de Mère Mectilde en 1658-1660 7. Cette première étape bénédictine s'achève avec les quelques mois passés à Saint-Mihiel, autre monastère vanniste, avant la venue, fin août 1641, à Paris, chez les bénédictines de Montmartre dirigées par Marie de Beauvilliers depuis 1598. Cette abbesse réformatrice bien connue, nourrie d'abord de la spiritualité du milieu Acarie (en l'absence de bénédictins réformés), bénéficia ensuite du renouveau bénédictin masculin (congrégation de Saint-Vanne et bénédictins anglais) sans pour autant négliger la spiritualité jésuite 8.

La Normandie constitue la seconde étape de cet approfondissement de la Règle bénédictine. C'est, sur le plan monastique, la rencontre capitale avec l'abbé cistercien de Barbery, Louis Quinet, lui-même au coeur d'un réseau spirituel normand marqué par l'Ecole française de spiritualité et qu'il conviendrait d'étudier de

4. Lettre de Mère Mectilde à M. Benoîte de la Passion, 27/II/1651, clans Catherine de Bar, Lettres inédites, Rouen, 1976, p. 133-135.

5. Catherine de Bar, Lettres inédites, op. cit., p. 135.

6. Catherine de Bar, Documents historiques, op. cit., p. 300-301, lettre de Rambervillers, le 16/111/1653.

7. Cf. le certificat du 15 janvier 1658, signé par dom Mathelin, abbé de Saint-Airy de Verdun et président de la Congrégation, dom Pierre des Crochets, prieur de Saint-Clément de Metz et dom Henry Hennezon, prieur de Saint-Evre de Toul, visiteur, dans Catherine de Bar, Lettres inédites, op. cit., p. 388-389.

8. Cf. Yves Chaussy, Les bénédictines et la réforme catholique en France au mi siècle, Paris, 1975, p.18-56 et 339-348.

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façon précise9. Avant de devenir abbé de Barbery, Louis Quinet avait été confesseur des cisterciennes de Maubuisson (de 1620 à 1624) puis prieur réformateur de Royaumont (1624-1638) à une époque où se tinrent dans son abbaye plusieurs réunions touchant la réforme de Cîteaux mais aussi l'essor de la jeune congrégation de Saint-Maur. Sa réforme de l'abbaye de Barbery fut difficile mais l'affiliation à l'étroite observance intervint vers 1641. Fort de sa réputation comme conseiller et supérieur réformateur, il se retrouve très vite en relations étroites avec le milieu spirituel de Caen (en particulier Jean de Bernières, trésorier de France et sa soeur Jourdaine, supérieure des ursulines). Devenu vicaire de l'Ordre cistercien pour la Normandie, il est consulté par l'abbesse de Verneuil en 1642, date à laquelle Mère Mectilde arrive à Barbery, s'installant dans une maison proche de l'abbaye. Dans cette maison, jusqu'en juin 1643, le petit groupe de religieuses eut comme directeur Louis Quinet et un cistercien venait quotidiennement leur célébrer la messe. Le projet de voir fonder une communauté de bénédictines aux pieds de l'abbaye, on le sait, fut un échec, en partie lié au retour à Paris de Mère Mectilde et à son installation à Saint-Maur-des-Fossés. Elle fut alors dirigée par un franciscain du Tiers-Ordre et provincial de France, le père Chrysostome de Saint-Lô.

Cette étape normande monastique n'était pas pour autant achevée. Fondé en 1639 à Pont-l'évêque, le couvent de NotreDame-du-Bon-Secours avait été transféré à Caen en 1644. Devant certaines difficultés liées en partie au rigorisme de la supérieure (réserves quant à l'accès à l'instruction et aux livres), Louis Quinet fait alors appel à Mère Mectilde. Il s'agit sans doute d'une étape décisive. Désormais, Mère Mectilde se voit confier une responsa-

9. Cf. G.-A. Simon, Dom Louis Quinet, abbé de Barbery (1595-1665), Caen, 1927.

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bilité de supérieure et donc de "direction spirituelle", et ce pendant trois ans, jusqu'en 1650, date à laquelle elle retourna pour quelques mois seulement dans son monastère de profession, Rambervillers10.

De cette seconde étape, il faut aussi retenir l'enseignement de Louis Quinet qui fut aussi conseiller de Dominique Georges, futur abbé réformateur du Val-Richer et conseiller de Rancé11. Nous avons au moins une trace imprimée de cet enseignement que Mère Mectilde reçut pendant son séjour à Barbery et dont elle dut s'inspirer directement lorsqu'elle fut prieure du Bon Secours. Il s'agit des Eclaircissemens ou conférences sur la Règle de Saint Benoist, en forme de dialogue, ouvrage publié à Caen en 1651 et dédié à Marie de la Fontaine, abbesse réformatrice de Préaux depuis 1633. Dans ce livre, dom Louis Quinet veut répondre aux difficultés d'une Religieuse bénédictine12. Les "questions" de la religieuse concernent tout d'abord la définition de l'esprit particulier de la Règle de saint Benoît, l'obligation des observances proposées et la question des dispenses. Le livre se poursuit par un commentaire chapitre par chapitre de la Règle dans lequel chaque question touchant des détails pratiques de la vie monastique sont remis dans une perspective contemplative et monastique. Son étude détaillée permettrait sans doute d'y voir une des sources de la doctrine spirituelle et monastique de Mère Mectilde.

La troisième étape de cet itinéraire bénédictin fut la rencontre avec les mauristes de Saint-Germain-des-Prés, quelques semaines après la fin de la Fronde, en décembre 1652. Cette rencontre semble avant tout "administrative" puisqu'il s'agissait d'abord d'obtenir les autorisations des supérieurs ecclésiastiques pour l'érection de ce nouveau monastère de bénédictines vouées à

10. Joseph Daoust, Catherine de Bar, op. cit., p. 20-21.

11. G.-A. Simon, op. cit., p. 51-53.

12. Louis Quinet, Eclaircissemens ou conférences sur la Règle de Saint Benoist, en forme de Dialogue. Pour répondre aux difficultés d'une Religieuse bénédictine. Avec un traité des Dispositions de piété, polir l'Exercice Journalier d'une âme religieuse, Caen, Poisson, 1651, in-8.

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l'adoration perpétuelle du Saint Sacrement. Cette spécificité spirituelle, on peut légitimement penser que Mère Mectilde ne l'a pas ou peu puisé dans la tradition bénédictine, au contact des Vannistes ou de dom Louis Quinet, mais bien plutôt chez Bérulle et Olier. Cette dévotion centrale au Saint Sacrement fut sans doute largement entretenue par le prémontré Epiphane Louys, abbé d'Etival. Ce dernier que Mère Mectilde n'aurait rencontré qu'à partir de 1663 joua un rôle certain dans les fondations et agrégations de Toul, de Rambervillers et de Nancy et en tant que directeur spirituel.

Une fois l'autorisation acquise, se développèrent des relations étroites entre quelques mauristes de Saint-Germain et les bénédictines. Parmi les religieux concernés, citons les prieurs successifs de l'abbaye (supérieurs des moniales), dom Placide Roussel jusqu'en 1654, dom Bernard Audebert (jusqu'en 1660), dom Ignace Philibert (de 1660 à 1666), dom Antoine Espinasse (16661669), dom Victor Tixier (1669-1675), dom Benoît Brachet (16751678), dom Claude Boistard (1678-1684), dom Claude Bretagne (1684-1690) et dom Arnoul de Loo (1690-1696) mais aussi dom Claude Martin et dom Luc d'Achery lui-même, plus connu en tant que bibliothécaire de Saint-Germain et réorganisateur des études dans la Congrégation que comme directeur spirituel et conseiller pour la fondation de couvents.

Mère Mectilde et les Mauristes : le temps des fondations

Dès les premières années de la Congrégation de Saint-Maur, vers 1620, les supérieurs refusèrent de répondre aux sollicitations d'un certain nombre de monastères bénédictins féminins. Fontevrault, Montivilliers, Faremoutiers, la Trinité de Poitiers et

13. Cf. Jean-Marc Vaillant, Baroque ou classique. Epiphane Louys, mystique et homme d'action, abbé prémontré d'Etival, diplôme Ecole Pratique des Hautes études (Paris), 1996.

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la naissante congrégation des bénédictines du Calvaire en constituent les principaux exemples". Dans les années 1640-1650, ce sont les bénédictines de Montreuil-sur-mer, les ursulines de Paris puis les bénédictines de Jarcy (en 1652) qui se voient refuser la nomination de visiteurs mauristes. Ces refus sont aussi la preuve d'échanges informels. Ainsi malgré le refus officiel, dom Tarrisse vient en aide aux bénédictines de la Trinité de Poitiers. En 1651, Dorothée de Parabère, prieure de La Mothe-Saint-Heraye demande l'autorisation de rencontrer régulièrement le prieur de SaintMaixent pour la guider dans la mise en pratique des constitutions mauristes qu'elle désirait faire observer dans son monastère''. En 1653 encore, Marie de Beauvilliers consulte dom Brachet au sujet de l'abstinence de la viande'6. Ces quelques exemples montrent combien le recours aux mauristes sembla naturel à des moniales bénédictines dès lors que le renouveau bénédictin masculin était en marche.

Dans quels domaines les mauristes eurent-ils à intervenir? Qui furent ces religieux? Deux questions auxquelles je répondrai par quelques éléments et réflexions. Trois domaines d'intervention s'imposent : la fondation, la rédaction des constitutions et le conseil spirituel au sens large. Quelques religieux se détachent, tous appartenant au Régime de la Congrégation ou personnalités centrales du renouveau mauriste : Placide Roussel, Bernard Audebert, Ignace Philibert, Antoine Espinasse, Benoît Brachet, Claude Boistard, Antoine Durban, Claude Martin et Luc d'Achery.

Placide Roussel

Dom Placide Roussel, né à Nevers en 1603, fait profession dans

14. Daniel-Odon Hurel, "L'histoire de la Congrégation de Saint-Maur : quelques réflexions à propos d'un ouvrage récent", dans Studia monastica, t. 35, 1993, p. 449-462.

15. Edmond Martène, Histoire de la Congrégation de Saint-Maur, Ligugé, t. 3, p. 176.

16. Edmond Martène, op. cit., t. III, p. 253-254.

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la Congrégation de Saint-Vanne, à Verdun, le 22 mai 1620. Il meurt au Bec en 1680'7. Sa carrière reflète certains aspects difficiles des débuts de la réforme mauriste. Il s'agit donc d'un supérieur habitué aux problèmes juridiques et économiques qui touchent toute fondation religieuse. Il est d'abord prieur de La Charité-sur-Loire (1636-1642) puis visiteur mauriste des provinces de Chezal-Benoît (1642) et de Bourgogne (1645). En 1648, il est nommé prieur de Saint-Germain-des-Prés, charge qu'il assume jusqu'en 1654. De 1656 à 1659, il participe en compagnie de dom Ignace Philibert à la seconde tentative de réforme de Cluny, voulue par son abbé commendataire, Mazarin. Il sera ensuite abbé de Saint-Augustin de Limoges (1660-1663), prieur de Fécamp (16631669) et enfin prieur du Bec en 1669' . Étant prieur de Saint-Germain, il participa à la controverse sur l'auteur de l'Imitation de Jésus Christ en compagnie de dom Robert Quatremaire, les bénédictins refusant l'attribution de l'ouvrage à Thomas a Kempis° et considérant cet ouvrage comme un des fondements de la spiritualité bénédictine réformée.

Sa première réaction à l'égard de la fondation de la rue Férou (automne 1652) en tant que vicaire général de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés et prieur, fut très mitigée. Un peu comme dom de l'Escale, dom Roussel exigeait des fondatrices une solide assise financière et matérielle pour ce nouveau couvent féminin".

17. Yves Chaussy, Matricula monachorum professorum Congregationis S. Mauri in Gallia Ordinis Sancti Patris Benedicti, Paris, 1959, n° 70.

18. Yves Chaussy, Les bénédictins de Saint-Maur. T. II : Répertoire biographique. Supplément à la Matricule, Paris, 1991, n° 70.

19. Ursmer Berlière, Nouveau Supplément à l'Histoire littéraire de la Congrégation de Saint-Maur, Maredsous, II, 1931, p. 170, 199 ; dom Berlière renvoie à une bibliographie complète.

20. Catherine de Bar, Documents historiques, op. cit., p. 92-94, 104.

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Bernard Audebert

Né en 1600, dom Audebert fit profession à Nouaillé le 11 novembre 1620. Il meurt à Saint-Germain-des-Prés le 29 août 167521. Dès 1628, il est prieur à Saint-Laumer de Blois, puis, jusqu'en 1633 à Saint-Melaine de Rennes. Cette même année il est nommé prieur à Sainte-Croix de Bordeaux. De 1636 à 1642 il est abbé de Saint-Sulpice de Bourges puis prieur de Saint-Denis de 1642 à 1648. Il devient alors assistant du supérieur général, charge qu'il occupe jusqu'en 1654, puis prieur de Saint-Germain (jusqu'en 1660) et enfin supérieur général jusqu'en 167222.

Ignace Philibert

Comme dom Roussel, Ignace, à 19 ans, fit profession à Saint-Vanne de Verdun le 13 avril 1621. Comme lui, sa première formation est donc la même que celle de dom de l'Escale'''. Supérieur de Saint-Martin-des-Champs à Paris en 1630, il appartient aussi à cette même génération de religieux concernés par la réforme de Cluny. De 1645 à 1651, il est abbé de Saint-Vincent du Mans, puis prieur de Saint-Denis jusqu'en 1657. Enfin, il est prieur de Saint-Germain-des-Prés de 1661 à 1666 et meurt en 1667. Comme dom Roussel, Ignace Philibert participa à la controverse sur l'Imitation de Jésus Christ et entretint avec dom Antoine de l'Escale une importante correspondance érudite et religieuse vers 1664-1666. Dom Philibert fut aussi un érudit. En effet, il rédigea vers 1630 une Histoire de la Sacrée Colombe bénédictine de l'abbaye de Remiremont24.

21. Yves Chaussy, Matricula, op. cit., n° 77 ; Ursmer Berlière, Nouveau Supplément, op. cit., t. I, 1908, p. 21-22. ; Léon Guillereau, Mémoires de dom Bernard Audebert, Paris, 1911.

22. Yves Chaussy, Les bénédictins de Saint-Maur, op. cit., n°77.

23. Yves Chaussy, Matricula, op. cit., n° 85.

24. Ursmer Berlière, Nouveau Supplément, op. cit., t. II, p.146-147.

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Benoît Brachet

Né à Orléans, il fait profession à Saint-Faron de Meaux le 2 mai 1627, à 19 ans. Comme dom Philibert, il est prieur de SaintMartin-des-Champs à Paris (1636) puis prieur de Saint-Germain-des-Prés jusqu'en 1645. A cette date, il devient assistant du supérieur général, charge qu'il occupe de 1645 à 1651 puis de 1654 à 1663, de 1666 à 1672 et enfin de 1678 à 1684. Il devient alors supérieur général, charge qu'il conserve jusqu'à son décès, en 168725. Dom Brachet eut un rôle très important dans le développement de la Congrégation. On lui doit la fondation du prieuré mauriste de Bonne-Nouvelle d'Orléans26. On le retrouve aussi, comme dom Philibert et dom Roussel au coeur de la polémique autour de l'Imitation de jésus Christ. Il est alors en relations épistolaires avec dom de l'Escale, dans les années 166027

Audebert, Brachet et Philibert eurent un rôle capital dans l'élaboration de l'Institut. Dom Audebert, en tant que prieur de Saint-Germain, se voit sollicité par Mère Mectilde en août 1654 pour donner sa permission à la bénédiction d'une statue de la Sainte Vierge. Pour pouvoir faire cette cérémonie avec toute l'exactitude possible, elle demande en outre au prieur de lui prêter un pontifical'''. Quelques années plus tard, en 1659, il confirme que le nouveau monastère de la rue Cassette est bien situé dans le ressort de sa juridiction spirituelle29. Quant à Dom Philibert, on sait qu'il s'occupa activement de la rédaction des constitutions comme conseiller de Mère Mectilde30, rédaction à laquelle participèrent aussi Audebert et Brachet. Ses liens avec la fondatrice justifièrent

25. Yves Chaussy, Matricula, op. cit., n° 256 ; Yves Chaussy, Les bénédictins de Saint-Maur, op. cit., n° 256..

26. Daniel-Odon Hurel, Les Mauristes à Orléans. Bonne-Nouvelle et l'essor de la bibliothèque publique au Mlle siècle, Orléans, 1995.

27. Ursmer Berlière, Nouveau Supplément, op. cit., t. I, p. 69-70.

28. Catherine de Bar, Documents biographiques, op. cit., p. 296-397.

29. Sr. Marie-Véronique Andral, "Mère Mectilde du Saint-Sacrement, bénédictine de son temps", dans Collectanea Cisterciensia, 54 (1992), p. 250-268 (ici p. 255).

30. Catherine de Bar, Documents historiques, op. cit., p. 214-220 et 238-239.

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qu'en 1666, déchargé de sa supériorité et en passe d'être nommé prieur en dehors de Paris, Mère Mectilde obtint du chapitre général qu'il demeurât, à Saint-Germain comme son confesseur, ce qu'il était déjà depuis plusieurs années31. Dom Ignace Philibert fut sans aucun doute pour Mère Mectilde bien plus qu'un simple supérieur ou conseiller, ce que confirme le soin qu'il apporta à la rédaction des constitutions.

Antoine Espinasse

Profès de Saint-Augustin de Limoges à 26 ans le 19 janvier 1626, il meurt à La Réole en 1676. Lorsqu'il et nommé prieur de Saint-Germain-des-Prés en 1666, il a déjà plusieurs années de supériorat local à son actif : La Réole de 1630 à 1636, Bordeaux (1636-1639), Toulouse (1639-1651). Il fut en outre visiteur de cette même province de Toulouse (1657-1660) et assistant du supérieur général de 1660 à 1666'2. Prieur de Saint-Germain-des-Prés, il termine, en accord avec l'abbé commendataire, le procès entre l'abbaye et l'archevêché de Paris : le 20 septembre 1668, l'abbaye renonce à son pouvoir juridictionnel sur le faubourg Saint-Germain". Néanmoins, lui et ses successeurs demeurent supérieurs des bénédictines, ce qui explique qu'il autorise Mère Mectilde à se rendre en Lorraine pour les affaires de la Congrégation (agrégation de Notre-Dame de Consolation à Nancy) le 10 décembre 1668, quelques mois après l'approbation du cardinal Louis de Vendôme .

31. Catherine de Bar, Documents historiques, op. cit., p. 238-239.

32. Yves Chaussy, Matricula, op. cit., n° 198 et Yves Chaussy, Les bénédictins de Saint-Maur, op. cit., n° 198.

33. Catherine de Bar, Documents historiques, op. cit., p. 93.

34. Catherine de Bar, Documents historiques, op. cit., p. 263-264.

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Claude Boistard

Après avoir fait profession à Saint-Augustin de Limoges le 19 décembre 1640, dom Claude Boistard commença une longue carrière de supérieur local puis majeur : prieur de La Réole en 1654, de Bordeaux en 1657, de La Daurade de Toulouse en 1660 puis de 1669 à 1675 ; il fut visiteur de Toulouse en 1663 puis de France en 1675. Prieur de Saint-Germain-des-Prés en 1678 et 1681, il devint assistant du supérieur général en 1684 puis supérieur général de 1687 à 1705 avant de redevenir assistant jusqu'en 1708n. En tant que prieur, lui aussi fut sans doute supérieur des bénédictines. En tous cas, le 3 juillet 1680, il se rendit au monastère et "a fort contenté la Communauté. Il en a usé autant bien qu'il se pouvait."36

Antoine Durban

Profès de Saint-Rémi de Reims en 1646, dom Durban est surtout connu pour avoir été procureur général à Rome de 1672 à 1680. Il fut aussi assistant du supérieur général de 1690 à 1696, 3 puis prieur de Saint-Germain-des-Pres7 . Comme ses prédécesseurs, dom Durban était supérieur des religieuses. C'est ainsi que Mère Mectilde, le lendemain de son décès, témoigne de son désarroi dans une lettre à la prieure du monastère de rue Neuve Saint-Louis à Paris à propos de l'arrivé de la prieure de Nancy à Paris :

Je vous demande si d'abord vous pouvez les recevoir et loger deux ou trois jours, parce que notre bon père prieur est mort hier et que nous n'avons point de supérieur ; que le Seigneur Archevêque à qui

35. Yves Chaussy, Matricula, op. cit., n° 969 et du même, Les bénédictins de Saint-Maur, op. cit., n° 969.

36. Catherine de Bar, Lettres inédites, op. cit., p. 344-345.

37. Yves Chaussy, Matricula, op. cit., n° 1203 et, du même, Les bénédictins de Saint-Maur, op. cit., n° 1203.

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j'ai écrit trois ou quatre fois sans pouvoir tirer aucune réponse (sic) ; cela m'embarrasse beaucoup".

Luc d'Achery

Avec dom Luc d'Achery, nous sommes toujours à Saint-Germain-des-Prés. Pourtant sa présence est plus inattendue. En effet, le bibliothécaire du monastère, décédé en 1685, n'est pas un supérieur majeur ni local. Il est avant tout, depuis 1648, un des principaux organisateurs des études dans la Congrégation de Saint-Maur. Il est avec dom Grégoire Tarrisse et quelques autres celui qui donna aux études monastiques, patristiques et historiques l'impulsion essentielle du départ et qui contribua de façon décisive à définir les conditions, les directions et les finalités des recherches entreprises dans les monastères provinciaux et à Paris au fur et à mesure de l'essor de la Congrégation, entre 1648 et 1680". Pourtant, sa proximité avec le prieur de Saint-Germain-des-Prés et son autorité semblent l'avoir conduit à aider Mère Mectilde et surtout Isabelle-Angélique de Montmorency, duchesse de Châtillon et princesse de Mecklembourg dans les préparatifs à la fondation du monastère de Châtillon vers 1672-1677. D'après une quarantaine de lettres et différents papiers conservés à la Bibliothèque nationale de France (ms. fr. 17687, f. 117-265), il semble que la princesse de Mecklembourg, proche de la Mère de Blémur et connaissant les mauristes de Saint-Germain-des-Prés, recevait régulièrement de dom Luc d'Achery des conseils spirituels" au début des années 1670, lorsqu'elle était au Mecklembourg (1672-1673) puis à son retour en France, en parti-

38. Catherine de Bar, Lettres inédites, op. cit., p. 376.

39. Cf. J. Fohlen, "Dom Luc d'Achery et les débuts de l'érudition mauriste", dans Revue Mabillon, t. 55, 1965, p. 149-175 ; t. 56, 196, p. 1-30, 73-98 ; t. 57, 1967, p. 1741 et 56156.

40. Ainsi dans une lettre sans doute de la fin de l'année 1673, elle redit à dom Luc d'Ache!), "le dessein que j'ay de persévérer dans le désir d'estre à Dieu et de suivre vos conseils.", Paris, BNF, ms. fi. 17687, f. 215-216.

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culier à Châtillon, où, dès cette période, elle songe à fonder une communauté religieuse féminine. D'après cette correspondance, il semblerait que c'est dom Luc d'Achery lui-même qui lui aurait suggéré de faire appel aux bénédictines du Saint Sacrement. Dom Luc d'Achery se retrouve alors chargé, vers 1675, de dresser un contrat entre la princesse et Mère Mectilde pour la fondation. Il sert aussi d'intermédiaire entre les deux fondatrices et le prieur de Saint-Germain, supérieur des religieuses. Enfin, Mère Mectilde lui transmet des lettres de la princesse.

Six lettres de 1675 et de 1676, écrites par Mère Mectilde à dom Luc d'Achery permettent de préciser le rôle de ce religieux. Le 20 septembre 1675, elle lui envoie des lettres de madame de Mecklembourg :

Elle est sur le point de venir, vous vairez qu'elle persévère dans son zèle pour la fondation. Mais si Dieu vous retire de ce monde comme il a fait le très Révérend père Audebert, vostre bon amy, l'affaire demeurera imparfaite. Je l'ay remis entre les mains de vostre révérence pour la conduire auprès de Dieu et de la princesse comme vous le jugerez plus à propos, m'en remettant aux sentimens que le saint Esprit en donnera à vostre révérence.

Dans cette lettre, elle fait état des bonnes résolutions de la princesse quant à sa volonté de résider à Châtillon, "voulant servir Dieu en solitude et en adorant le très saint sacrement." Enfin, elle termine en se préoccupant de la santé de dom d'Achery41 :

Je le prie [le Seigneur] qu'il vous donne un peu plus de santé pour le servir encore en cette vie plusieurs années, bien que les saintes ardeurs de votre coeur vous donnent des ailes pour voler au ciel où vous estes desjà en esprit. Souffrez, mon très Révérend Père

41. Paris, BNF, ms. fr. 17687, f. 240-241. Sur le monastère de Chatillon : Jean-Marie Voignier, Les bénédictines de Chatillon-sur-Loing, Montargis, Les Monographies Gâtinaises, 1998.

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encore un peu de retardement pour augmenter votre mérite et ayder les âmes à se sauver. Il y a un provançal à Paris qui donne une essence admirable qui guérit bien des maux et fortifie la nature. Je supplie vostre Révérence agréer que je luy envoye. Sy elle ne vous fait point de bien, j'assure qu'elle ne vous fera point de mal. Cette une satisfaction que vous donnerez aux personnes qui vous honorent et qui vous estiment...

Dans une seconde lettre, le 3 septembre 1676, Mère Mectilde envoie comme exemple de contrat ceux du monastère de la rue Cassette, pour aider dom Luc d'Achery dans son travail de rédaction que celui-ci a accepté de faire sans doute à la place du prieur, dom Benoît Brachet42. Deux lettres, sans doute de l'année suivante, témoignent des difficultés que pose cette fondation, difficultés liées à la personnalité de la princesse et à la situation religieuse de Châtillon. Grâce au prieur de Saint-Germain et au père d'Achery, la princesse obtient les lettres patentes le 31 août 1677e. Le 28 août, sans doute de cette même année, Mère Mectilde remercie dom d'Achery pour son aide et lui demande "d'obtenir l'agrément de M. l'archevêque de Sens et les lettres patentes du Roy sans quoy nous ne pouvons faire aucune avance". Elle lui demande aussi de "m'envoyer une Bulle du jubilé que M. l'archevêque a fait distribuer pour les Religieuses et de me donner vos advis comme nous devons faire pour le gagner. Le reste à demain ou vendredi si je ne suis point trop importune."'"

Le rôle de dom Luc d'Achery ne s'arrête pas à cet épisode. Ce même manuscrit contient des "Remarques sur les Constitutions des Religieuses du Saint Sacrement"45, écrites de sa main et qui datent sans doute de l'année 1677, quelque temps après la publication qui concluait quelques années de réflexions faites par Mère

42. Paris, BNF, ms. fr. 17687, f. 242-243.

43. Cependant, le couvent ne fut béni qu'en 1688.

44. Paris, BNF, ms. fi-. 17687, f. 248-249.

45. Paris, BNF, ms. fi-. 17687, f. 264-267.

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Mectilde à la demande des religieuses, à partir du travail réalisé par dom Philibert46 . Ces remarques portent plus sur la forme que sur le contenu. Dom d'Achery trouve que certains termes sont trop excessifs. Selon le mauriste, par exemple, il y a exagération quand il est dit que cet Institut est au dessus de tous les instituts et ordres religieux ou encore quand il est dit que les religieuses de l'Adoration perpétuelle ont le privilège d'être unies à Jésus Christ. Achery remarque que tous les baptisés sont consacrés à Dieu comme des hosties et des victimes. Enfin, signale dom d'Achery : "Il paroist dans ces Constitutions une affectation ennuyeuse du mot Victime qui y est répété en divers endroits plus de cinquante fois". L'ensemble des ces remarques mériteraient d'être étudié de près car elles témoignent d'une spécificité de l'expression féminine de la spiritualité y compris à l'ombre des mauristes. Certains détails de la réécriture par Mère Mectilde de la Pratique de la Règle de Saint Benoît de dom Claude Martin confirment cette perspective.

Mère Mectilde et dom Claude Martin : la Pratique de la Règle de Saint Benoît

On le sait, dom Claude Martin fut un des supérieurs les plus importants de la Congrégation de Saint-Maure. Né en 1619, fils de Marie de l'Incarnation, il fait profession le 3 février 1642 à la Trinité de Vendôme. Jusqu'en 1669, dom Claude Martin occupe plusieurs fonctions de prieur. D'abord aux Blancs-Manteaux entre 1654 et 1657, période durant laquelle il connut peut-être Mère Mectilde, puis à Meulan, Compiègne, Angers et Rouen. A partir de 1669 et jusqu'en 1687, il ne quittera pas Paris et le régime de la Congrégation sauf entre 1675 et 1681 lorsqu'il est prieur de Saint-Denis. Il est assistant du supérieur général de 1669 à 1675 puis de

46.1 Daoust, Catherine de Bar, op. cit., p. 32.

47. Ives Chaussy, Matricula, op. cit., n° 1021 et, du même, Les bénédictins de Saint-Maur, op. cil., n° 1021.

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1681 à 1690. Pendant cette période, il s'affirme d'une part comme un homme de grande spiritualité et d'autre part, comme un grand supérieur, au centre des principales décisions en matière d'éditions patristiques. Ainsi par exemple, il prend une part active à l'édition mauriste de saint Augustin et organise les premières éditions des Pères grecs en proposant à dom Bernard de Montfaucon en particulier un programme de travail'''.

C'est donc essentiellement en tant qu'assistant du supérieur général que dom Claude Martin suivit les premiers pas de la congrégation des bénédictines du Saint Sacrement. On peut légitimement penser que Mère Mectilde lut les Méditations chrétiennes qu'il publia en 1669 mais aussi la Conduite pour la retraite du mois à l'usage des religieux de la Congrégation de Saint-Maur.'' Mais c'est un autre ouvrage qui doit retenir notre attention. Il s'agit de la Pratique de la Règle de S. Benoist, publiée une première fois en 1674. Il s'agit d'un commentaire pratique de la Règle bénédictine, une sorte de "morale bénédictine", appliquée spécifiquement aux mauristes puisque dom Martin prend soin d'éclairer certains points de la Règle par des extraits des Déclarations et des Constitutions mauristes'''. Dans une première partie, dom Claude Martin parle des "exercices communs" : l'importance des exercices réguliers, "comment il se faut lever et commencer la journée", "de Matines et de l'office divin", "du sacrement de confession", "de l'offrande du matin", "de l'Oraison ou Méditation", de la façon d'assister au chapitre, "du travail des mains", "de la retrai-

48. Cf. Troisième centenaire de l'édition mauriste de saint Augustin, Paris, 1991.

49. Cf. Daniel-Odon Hurel, Raymond Rogé (textes réunis par), Dom Bernard de Montfaucon, Actes du colloque de Carcassonne (octobre 1996), Saint-Wandrille, 1998. Sur dom Claude Martin, on lira aussi Guy-Marie Oury, Dom Claude Martin, le fils de Marie de l'Incarnation, Solesmes, 1984 et Edmond Martène, La vie du Vénérable dom Claude Martin, religieux bénédictin de la congrégation de Saint-Maur, Tours, Masson, 1697.

50. Paris, De Bats, en 2 vol.

51. Paris, Billaine, 1670.

52. Pratique de la Règle de S. Benoist, quatrième édition, Paris De Bats, 1690.

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te et solitude", "de la lecture spirituelle", de la façon d'entendre la sainte messe, "de la sainte communion", de la messe conventuelle, de l'examen de conscience, du réfectoire, du nettoyage des cellules, du silence et de la manière de parler, de la conférence, de la façon de découvrir l'intérieur, de l'offrande du soir et enfin du repos de la nuit. L'ensemble de ces recommandations est écrit avec simplicité et efficacité, constituant une sorte de manuel quotidien du bénédictin. En cela, cette première partie à la fois spirituelle et pratique offrait un modèle et une source d'inspiration non négligeable pour Mère Mectilde et son jeune Institut.

La seconde partie du livre est plus spirituelle même si l'important pour dom Martin est de montrer les conséquences quotidiennes d'un comportement spirituel. Le supérieur évoque le péché, la crainte de Dieu, s'étend plus longuement sur la mortification (six chapitres sur la mortification des sens extérieurs, de la chair, de l'intérieur), aborde les tentations, la présence de Dieu, la dévotion continuelle à Jésus Christ, à la sainte Vierge et aux saints mais aussi les "consolations et les sécheresses". Dom Claude Martin se penche aussi sur les vertus spécifiquement monastiques : l'humilité, la douceur, la patience (y compris dans les maladies), la pauvreté et la chasteté religieuse, le voeu de stabilité, celui de la conversion des moeurs et celui de l'obéissance. Enfin, il termine son ouvrage par l'évocation, toujours dans une perspective pratique, de la "résignation à la volonté de Dieu", de la Foi, de l'Espérance, de la Confiance en Dieu, de l'Amour de Dieu et du prochain et enfin de la Persévérance.

En 1686, alors que dom Claude Martin est assistant du supérieur général depuis plusieurs années et qu'il suit avec attention la jeune congrégation, Mère Mectilde publie des Exercices spirituels ou Pratique de la Règle de S. Benoist à l'usage des religieuses bénédictines de l'Adoration perpétuelle du T S. Sacrement (à Paris, C. Remy). Cet ouvrage reçut l'approbation des supérieurs, c'est-à-dire, de dom Benoît Brachet, alors supérieur général, et de dom Claude Bretagne, prieur de Saint-Germain-des-Prés et supérieur des reli-

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gieuses en tant que grand vicaire de l'archevêque de Paris. Ce dernier fut d'ailleurs aussi un éminent auteur spirituel de la Congrégation au même titre que dom Martin, dom Rainssant", dom Joachim Le Comtat'A et dom Simon Bougis.'", tous quatre auteurs de Méditations ou de Conférences monastiques reconnus comme livres de base dans la Congrégation et donc que Mère Mectilde et ses religieuses durent lire.

Dans une lettre à ses bénédictines publiée au début de ces Exercices, Mère Mectilde confirme le lien qui unit les moniales aux mauristes. Ce livre, dit-elle, a été fait à l'origine "par nos Pères de la Congrégation de Saint-Maur, pour élever leurs religieux dans les principes d'une véritable et solide piété.". Elle poursuit en disant que "nous y trouvons tout ensemble un livre spirituel & un commentaire pratique de notre sainte Règle" :

Ce livre étant donc la Règle même réduite à la pratique, on peut dire de luy ce qu'il dit luy-même de cette règle sainte, que tout ce qui se trouve de parfait, de spirituel, & d'édifiant dans les autres livres, y est compris en abrégé & d'une manière éminente. Ainsi quand tous les autres livres nous manqueroient, nous trouverions toujours à nous consoler en celuy-cy, & il pourroit nous suffire pour nous conduire à la perfection de nôtre état.''

Mère Mectilde montre ici son souci de donner à ses religieuses nouvellement fondées une identité bénédictine intérieure et extérieure très forte et ce, le plus efficacement possible, sans pour

53. Méditations pour tous les jours de l'année tirées des évangiles qui se lisent à la messe, et pour les principales fêtes des saints, Paris, 1633, 1647 , 1679, 1683, 1699.

54. Joachim Le Comtat, Méditations pour la Retraite des dix jours pour les religieux, Rennes, 1662, in-8° ; Conférences ou Exhortations monastiques pour tous les jours de l'année, Paris, 1671, in-4°.

55. Méditations pour les Novices et les jeunes profès et pour toutes sortes de personnes qui sont encore dans la vie purgative, Paris, 1674.

56. Exercices spirituels ou Pratique, op cit., lettre, p. 3.

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autant ignorer la tradition monastique et bénédictine. Elle n'hésite pas à évoquer comme autre titre possible à cet ouvrage, la formule de "morale bénédictine."

Quelles sont les différences entre les deux versions de cet ouvrage ? Tout d'abord on constate une féminisation de la forme voire même du contenu (lorsqu'il s'agit par exemple d'évoquer la symbolique du voile blanc et des cheveux coupés) et une adaptation de certains rituels (prise d'habit par exemple) aux pratiques des constitutions des bénédictines. Autre exemple, le chapitre intitulé chez dom Martin "comment il faut dire et entendre la sainte messe", devient "comment il faut entendre la sainte messe" avec des conséquences évidentes sur le contenu même de ce type de chapitre. En second lieu, les références de dom Martin à la Règle bénédictine, citées en marge du texte sont supprimées dans la version publiée par Mère Mectilde.

Cependant, le plan général de l'ouvrage n'offre guère de différences importantes. On observe la même division en deux parties, l'une consacrée aux exercices communs et l'autre aux exercices particuliers. Par contre il n'est pas inutile de signaler quelques changements et ajouts liés à certaines spécificités de la vie monastique féminine d'une part et, d'autre part, aux pratiques propres aux bénédictines du Saint Sacrement. C'est ainsi que prend place dans la première partie, entre les chapitres intitulés "Comme il faut entendre la sainte Messe" et "De la sainte communion", un chapitre sur les "Dispositions avec lesquelles on doit faire la Réparation pendant l'Octave de l'Annonciation", spécificité liturgique et dévotionnelle :

la religieuse considérera donc attentivement qu'elle est chargée par toute la Communauté de faire à Dieu une amande honorable pour tous les manquemens qui peuvent se commettre, ou dans l'adoration perpétuelle, ou dans le divin service, ou dans les observances de la vie religieuse57.

57. Exercices ou Pratique, op. cit., p. 95. 116

Dans la seconde partie, le chapitre consacré au "Modèle des actes intérieurs de vertu" devient "Modèle d'actes de vertu à l'égard de l'Humilité". Mère Mectilde ajoute un acte de pénitence, garde le même nom pour les actes mais a réécrit les textes, plus longs et plus lyriques que dans la version mauriste. En voici un exemple révélateur qui rappelle les remarques de dom d'Achery sur les Constitutions, l'"acte d'oblation" d'abord dans sa version masculine puis dans sa version féminine :

Je me donne tout à vous, ô sainte humilité ; donnez-vous aussi toute à moy : Et vous, mon Dieu, faites que cette alliance ne se 58 rompe jamais.

O mon Dieu, je m'offre à vous toute entière, afin que vous m'humiliez selon toute l'étendue de vôtre volonté. Je me consacre & me dévoue à l'amour que vous avez pour l'humilité ; je m'abandonne à vôtre providence pour les emplois les plus vils & les plus bas, & pour toutes sortes d'humiliations.59

La fin de cette seconde partie offre deux chapitres supplémentaires chez Mère Mectilde : "Des dispositions dans lesquelles doit entrer celle qui fait la Réparation ordinaire" et "Des devoirs envers la sainte Vierge, comme première et perpétuelle Supérieure". Le livre se termine aussi par une "Oraison très-dévote pour renouveler les Voeux" et un "Modèle d'examen de conscience pour une Confession ordinaire."

Ce simple aperçu ne dispense pas d'une étude approfondie et comparée de ces deux textes. Cette étude permettrait sans doute de préciser le contenu et l'expression formelle de la spiritualité que Mère Mectilde voulut pour elle et pour ses filles. Cette ébauche de comparaison constitue seulement un témoignage supplémentaire des liens profonds qui unirent les deux congrégations bien au-delà de la mort de Mère Mectilde d'ailleurs. L'affaire

58. Pratique de la Règle de S. Benoist, op. cit., p. 189 (édition de 1690).

59. Exercices ou Pratique, op. cit., p. 186-187.

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de l'approbation des constitutions par Rome au début du XVIlle siècle montre une fois de plus une étroite collaboration entre les Mauristes de cette génération et les bénédictines.

Ils eurent la bonté de s'en charger et la poursuivirent avec des peines et des fatigues infinies. Tous deux furent trouver les deux éminences qui leur dirent que le Pape ne leur en avait pas parle.

L'affaire de l'approbation des constitutions par Rome (1702-1708)

Décédée en 1698, Mère Mectilde est encore au centre des préoccupations des religieuses parisiennes venues à Rome d'abord pour la fondation d'un monastère dans cette ville, fondation souhaitée par Marie-Casimireh'. C'est, semble-t-il à cette occasion qu'elles entreprirent d'obtenir du Saint-Siége l'approbation des constitutions. De son vivant, la fondatrice avait déjà subi un premier échec et avait revu plusieurs points des constitutions publiées en 1677, après avoir été en partie rédigées par dom Ignace Philibert. Il n'est pas question ici d'étudier tous les aspects de cette seconde tentative de 1702 mais de relever la place essentielle qu'y jouèrent deux mauristes, le procureur général à Rome et son compagnon. De 1702 à 1708 quelques religieuses du couvent de Saint-Louis de Paris séjournent à Rome. En mai 1703, elles adressent au pape les constitutions imprimées mais aussi un exemplaire des corrections manuscrites de Mère Mectilde, corrections non signées de la main de la fondatrice ni approuvées par les monastères de la congrégation. Le pape confie l'examen de ces deux versions à deux cardinaux. Dés lors, toutes leurs démarches seront prises en charge par dom Guillaume Laparre, procureur général de 1702 à 1711, et par dom Claude de Vic, son compagnon à Rome de 1703 à 1715. Ces deux religieux, nous raconte le Mémoire abrégé de ce qui s'est passé dans l'affaire del'approbation des Constitutions l , acceptèrent de "vouloir bien poursuivre cette affaire" :

A la demande du cardinal Gabrieli, en grande partie chargé de cette affaire par le pape, il fallut traduire en latin les constitutions déjà imprimées, les manuscrites n'étant pas recevables car non signées de Mère Mectilde :

La Reyne ne pensa plus qu'à les faire traduire ; elle choisit pour cet ouvrage le Père Procureur général des bénédictins et dom Claude, son compagnon, qui reçurent cette commission avec bonté. Ils travaillèrent infatigablement le jour et une partie de la nuit à cette traduction, en sorte qu'ils l'apportèrent à la Reyne le 19 novembre, n'ayant esté que vingt jours à la faire."

Malgré les lenteurs du Saint Siège, l'approbation est prévue pour le 15 juin 1704. Les religieuses ne peuvent accepter une approbation qui leur ôte une caractéristique majeure, voulue par leur fondatrice : l'office double majeur du Saint Sacrement les jeudis. Rome refusait d'accorder une spécificité dévotionnelle d'une telle importance. De nouveau, le procureur général reprend l'initiative en proposant de recourir à la Sacrée Congrégation des Rites. Ce recours imposait la rédaction de mémoires justifiant cette particularité liturgique et apportant tous les textes montrant qu'un tel office avait bien existé dans l'histoire des ordres monastiques. Les privilèges produits par les religieuses n'étant pas juridiquement parfaits, dom Laparre conseilla de ne pas les utiliser. Cette tentative auprès de la Congrégation des Rites fut un échec : les religieuses étant soumises au bréviaire, elles devaient s'en tenir au rite romain, sans privilège particulier.

60. Catherine de Bar. En Pologne avec les bénédictines de France, Paris, 1984, p. 245-259.

61. Bénédictines de Rouen, archives.

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62. Mémoire abrégé, p. 8.

63. Mémoire abrégé, p. 10.

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Cependant, jusqu'en 1708, elles tenteront d'obtenir ce privilège, par fidélité à la vocation spécifique de leur Institut et à la mémoire de Mère Mectilde. Les deux mauristes semblent l'avoir bien compris, preuve supplémentaire d'une connaissance mutuelle déjà ancienne. Dom Laparre revient ainsi plusieurs fois à la charge tandis que de Paris, des soeurs écrivent que la congrégation se contenterait d'une permission verbale de la part du pape. L'approbation des constitutions a donc lieu au début du mois d'août 1705 :

[après] avoir entendu la Sainte Messe, nous dîmes le Te Deum en actions de grâce, accompagnées de nos deux Révérends Pères bénédictins qui eurent d'autant plus de joye qu'ils avoient eu plus de part à cette oeuvre par leurs soins, leurs sollicitations, leurs peines et leurs fatigues. L'Institut leur en doit être à jamais obligé.`'

Le pape souhaitait, après Innocent XI et Innocent XII, donner une Bulle de confirmation de la congrégation. De nouveau, les moniales redemandent le privilège de l'office double. Le procureur général accepte de proposer de nouveau cet article. La bulle est obtenue le 20 septembre 1706 sans la mention de cet office. Les religieuses, à la veille de leur départ, proposent d'en parler directement au pape lors de leur dernière audience, ce que déconseille dom Laparre soulignant le risque de subir un "non" catégorique en pleine audience. Le 16 septembre 1708, lors de cette audience, les soeurs évoquent cette question mais sans mentionner le degré d'importance liturgique de l'office demandé (double ou semi double). Le pape leur accorde oralement l'office

du Saint Sacrement mais seulement semi double du rite du 65

dimanche .

Dans cette affaire comme dans bien d'autres sans doute, le rôle des mauristes de Saint-Germain-des-Prés et des

64. Mémoire abrégé, p. 35.

65. Mémoire abrégé, p. 42.

120 supérieurs majeurs fut central. Dom Laparre comprend les exigences spirituelles des religieuses qui le conduisent à multiplier des longues démarches. Cette compréhension des années 1705 s'explique par cette longue collaboration entre Mère Mectilde et les mauristes des années 1650 à 1700. En cela, ce dernier épisode appartient à ce que l'on peut appeler la période de fondation de la Congrégation, une période qui réunit aux côtés de Mère Mectilde toute une génération de religieux nés au coeur du renouveau bénédictin post-tridentin.

Conclusion

Ces quelques pages ne constituent que quelques jalons d'une histoire complexe. Les relations entre Mère Mectilde et les Mauristes concernent à la fois des problèmes institutionnels et spirituels. La situation géographique du monastère de la rue Férou puis de la rue Cassette dans la juridiction de Saint-Germain-des-Prés imposait des contacts fréquents. Mais ces contacts dépassèrent ce cadre juridique. La place dans ces échanges de dom Luc d'Achery ou même de dom Mabillon mais plus encore de dom Claude Martin montrent combien ces relations furent aussi spirituelles et amicales. Une étude approfondie de l'ensemble des textes de Mère Mectilde notamment en les rapprochant des grands textes spirituels des mauristes de cette époque permettrait de définir les éléments spécifiques d'une spiritualité bénédictine propre au XVIIe siècle.

D'autre part, il resterait à étudier les conséquences de telles relations sur les monastères provinciaux. Il faudrait pouvoir repérer avec précision quels furent les liens entre mauristes et bénédictines à Caen ou à Rouen mais aussi entre vannistes et bénédictines dans les monastères de Lorraine par exemple.

Enfin, du côté de l'historiographie de la congrégation de Saint-Maur, l'exemple de Mère Mectilde montre combien l'on a longtemps sous-estimé l'importance des relations entre bénédictins

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réformés et bénédictines au XVIe siècle. Erudition et spiritualité forment un tout chez les mauristes du XVIIe siècle. C'est ainsi que l'étude des relations entre Mère Mectilde et les bénédictins renforcent la dimension spirituelle de l'histoire de la dernière réforme bénédictine française de l'Ancien Régime.

Daniel-Odon HUREL CNRS-UPRESA 6064 (Université de Rouen)

Mère Mectilde du Saint Sacrement MÈRE VÉRONIQUE ANDRAL

Ce fut à Saint-Dié, petite ville assise sur les bords de la Meurthe, dans une riante vallée des Vosges que naquit Catherine de Bar, le 31 décembre 1614.

"Jean de Bar, son père, était issu d'une ancienne et noble famille, non moins illustre par sa piété que par ses alliances... La loyauté de son caractère... et sa capacité pour les affaires, lui avaient mérité la confiance et l'estime de ses concitoyens. La noblesse pouvant alors sans déroger se livrer à certaines branches du commerce, il avait usé de ce privilège et acquis des richesses. Esprit orné et poli, il aimait et cultivait les belles lettres. C'était un catholique ardent... Des enfants de son premier mariage, il lui restait entre autres une fille, quand il épousa Marguerite Guyon, dont il eut quatre filles et un fils. L'aînée des filles, Marguerite, était de trois ans plus âgée que Catherine, et son frère était le plus jeune de la famille. Marguerite épousa en 1626, le colonel Dominique L'Huillier de la maison forte du Spitzemberg qui soutint toujours le Duc de Lorraine durant la guerre de Trente Ans. Ils eurent deux filles et trois garçons.

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Madame de Bar, tenait par sa mère Marguerite de Padoux aux maisons les plus qualifiées de la province. Ses proches avaient rempli les principales dignités du chapitre noble de Saint-Dié et quelques-uns occupaient un rang distingué dans la magistrature. Elle avait été élevée à Remiremont (Vosges) par une de ses tantes qui était chanoinesse. L'esprit séculier de cette communauté... lui avait inspiré des goûts un peu mondains. Elle se plaisait dans les compagnies et dans les cercles où elle brillait par l'enjouement de sa conversation et l'aménité de ses manières... Cependant, elle avait une foi vive et une piété sincère. Elle avait un talent très particulier pour élever la jeunesse, et qui donna occasion à plusieurs grandes maisons de la solliciter et engager de recevoir chez elle de leurs enfants, ne trouvant rien de plus avantageux pour de jeunes personnes que d'être élevées auprès de Madame de Bar."

(Dom Collet, liasse I p. 2).

Notre petite Catherine est précoce : "La raison lui avait été avancée", dit Mademoiselle de Vienville (P. 101 p. 5), et elle ajoute : "La Mère Mectilde a dit plusieurs fois qu'elle avait eu la vocation religieuse à deux ans, et même auparavant, ce sont ses propres termes". Sa première expérience spirituelle est typique et vaut d'être relevée "elle comprit qu'elle appartenait à Dieu et se sentit portée à se donner entièrement à lui". De là son attrait extraordinaire pour la prière, l'Eucharistie, la pénitence, la charité, son désir véhément d'être religieuse qui ne la quittera plus. Sa devise d'Annonciade sera : Ego Dei Sum. A neuf ans, sa première communion est aussi une source de nouvelles grâces. Elle lutte contre son caractère trop passionné. Son zèle l'emporte pour corriger un jeune garçon qui proférait des blasphèmes, elle le roue de coups et ne le lâche pas jusqu'à ce qu'il ait promis de ne plus jurer. Ce dont elle se confessera plus tard, ayant trouvé un meilleur moyen de "venger l'honneur de Dieu". Elle reçoit une excellente formation, grâce à sa mère, et elle apprend à dessiner, à peindre, sculpter, broder, jouer des instruments, et aussi saigner, ce qui lui sera bien utile. Enfin, elle apprend les langues et le latin. Tout cela la passionne, mais... il lui semble y perdre le goût de Dieu et elle décide d'y renoncer. Sa mère meurt et son père cherche à la marier. Mais Catherine sait se défendre : elle convertit un gentilhomme qui avait pour elle "un penchant très vif" et voilà qu'il entre en religion. Un autre croit la conquérir à la pointe de l'épée. Il est tué à la guerre. Catherine est libre, et son père consent enfin à ce qu'elle entre chez les Annonciades de Bruyères (Vosges) le 4 novembre 1631. Elle a dix-sept ans... et dans quel contexte... Ces lignes de saint Pierre Fourier, écrites en 1631, nous en donnent quelque idée :

"Si vous saviez ce qu'est que d'être curé et d'avoir en une paroisse quelque deux ou trois cent personnes qui n'ont point de pain, point d'argent, point de beurre, point d'ouvrage pour travailler ; point de crédit, point de meubles pour vendre, point de parents ni d'amis, ni de voisins qui veuillent et puissent les aider, et, en quelques-uns point de santé ! Vous m'écririez : Gardez-vous bien, curé, d'abandonner ces deux pauvres villages, tenez bon durant ce mauvais temps, laissez maintenant tout le reste au monde si ce n'est pour aller aux autres villes et villages voisins de chez nous, avec une besace ou hotte sur vos épaules, demander des aumônes pour ces pauvres gens-là; faites-leur du potage tous les jours... consolez vos malades, vos affamés, vos demi-morts et ne vous mettez point en peine de celles qui, pour maintenant n'ont besoin de choses du monde". (Saint Pierre Fourier, Correspondance 1598-1640 T.3 Presses Universitaires de Nancy, 1988).

Catherine prend l'habit en janvier 1632 et se nomme désormais Soeur Saint-Jean-l'Evangéliste. Elle écrit sur la manche de sa robe : Ego Dei sum. Elle se lance dans le combat spirituel : jeûnes, veilles lui coûtent beaucoup à son âge et vu le contexte, cela se comprend. "Elle avait la parole prompte et la réplique incisive, elle se laissait aisément entraîner à une impétuosité de langage qui avait quelque chose d'altier"..."Encore un remède héroïque un caillou dans la bouche". Mais tout cela n'est rien une épidémie ravage la communauté - guerre, peste et famine vont de pair-en ce temps-là - elle est presque seule debout sans aucun secours,

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et se tourne vers Marie : "O ! très sainte Vierge, m'auriez-vous amenée ici pour me faire périr? Il ne fallait que me laisser dans le monde puisque je ne trouve pas ici les moyens de servir Dieu avec plus de sainteté et de pureté. Vous voyez que je ne sais à qui recourir pour m'apprendre mes devoirs, que je n'ai personne, que je ne sais ni prier, ni faire oraison. Servez-moi donc, s'il vous plaît, de Mère et de Maîtresse. Apprenez-moi tout ce qu'il faut que je sache". Marie vient à son secours, lui apprend à prier avec l'Ave Maria, et à méditer la Passion ; elle lui fit ainsi passer sa tentation. Plus tard, Mère Mectilde, parlant de cette grâce, affirmait : "C'est de la très sainte Vierge que j'ai appris tout ce que je sais". (2896)

Catherine se prépare avec ardeur à sa Profession, trop.

Elle tombe dans la "mélancolie" provoquée par un intense surmenage tout la fatigue, l'ennuie, l'irrite. "Quoi?" Faire toujours la même chose, toujours à la même heure, de la même manière, quelle servitude ! "Et Mère Angélique, sa supérieure, la réconforte ainsi : "Rassurez-vous, ma Soeur, vous ne serez pas si heureuse que de faire toujours la même chose !" Elle ne croyait pas si bien dire. Catherine fait sa Profession : journée du Ciel, "elle trouva sous le drap de mort le principe de la Vie", en prévision des croix à venir. C'était bien nécessaire puisque à vingt ans, elle est nommée vice-gérante d'une supérieure qui ne l'accepte pas. On devine sa richesse spirituelle et la communauté l'a en grande estime. Elle se trouve, très jeune, à la tête de sa communauté, et dans quelles circonstances : les remous de la guerre de Trente Ans allaient l'envelopper. Français et Suédois envahissent les Etats du duc de Lorraine. En mai 1635, l'avance des troupes de Gustave Adolphe la contraint à s'enfuir précipitamment avec ses religieuses. Bruyères est pillé, le monastère brûlé et Monsieur de Bar les accueille chez lui.

Elles trouvent ensuite un refuge à Badonviller (Meurthe-et-Moselle) qui paraît plus protégé que Saint-Dié, mais il n'en est rien, les soldats s'emparent de la ville.

Mère Saint-Jean est poursuivie par un officier, ancien prétendant, qui jure de l'enlever. Devant ses menaces, obligée de se vêtir en homme, elle doit se faire passer pour un valet de ferme, cachée dans une charrette sous des ballots de foin, elle échappe de justesse aux piques des soldats qui fouillent la charrette, tandis qu'elle invoque avec ferveur la Vierge Marie.

Enfin, arrivée à l'auberge pour un repos bien gagné, la voilà entreprise par la fille du lieu, charmée par ce valet qui ne se conduit pas comme les autres. Et soeur Saint Jean a toutes les peines du monde à s'en défaire.

Les Soeurs passent l'hiver à Épinal chez les Soeurs de Notre-Dame, fondées en 1618 par saint Pierre Fourier.

Au printemps 1636, elles sont à Commercy (Meuse) où la communauté se regroupe et ouvre un pensionnat, mais la ville est décimée par la peste, et Mère Saint-Jean, avec ses quatre filles survivantes, se retrouve en 1638 à Saint-Dié. Quelle joie de revoir son père qui avait été emprisonné à Obernay par les Suédois, en vue d'une forte rançon.

Mais, Mère Saint-Jean ne retrouve pas la paix, toujours poursuivie et environnée de mille dangers, elle se croit perdue et abandonnée de Dieu. Heureusement, bien conseillée par un Cordelier et son confesseur, elle se voit dans la nécessité de changer d'Ordre et de se retirer dans un monastère.

C'est alors qu'elle fait la connaissance des bénédictines de Rambervillers. La Mère Prieure, Bernardine de la Conception Gromaire en avait été la première novice.

Ce monastère, créé en 1629, était issu de la réforme de Dom Didier de la Cour, fondateur de la Congrégation de Saint-Vanneet-Saint-Hydulphe. Mère Saint-Jean est aussitôt conquise par la Règle de saint Benoît, et en accord par Mère Bernardine, elle entreprend les démarches pour se fixer à Rambervillers. Dom Antoine de l'Escale, alors visiteur de la Congrégation de Saint-Vanne, encourage cette translation, de même que les grands

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vicaires de Toul (Meurthe-et-Moselle). En revanche, les Cordeliers s'y opposent farouchement. Mère Saint-Jean en réfère à Rome, mais sa lettre n'arrive pas à destination. Partie remise jusqu'en 1660 où enfin Alexandre VII approuvera ce changement d'Ordre.

Mère Saint-Jean commence son noviciat le 2 juillet 1639 et se nomme désormais Soeur Catherine Mectilde. Elle a pour Maîtresse des novices une jeune veuve Elisabeth de Brem, Mère Benoîte de la Passion, dont le tombeau est toujours vénéré dans l'église de Rambervillers. La Mère de Blémur en a fait l'éloge, et nous pouvons ainsi apprécier la haute valeur spirituelle de celle qui fut la formatrice, l'amie et aussi un peu la disciple de Mère Mectilde.

Après un noviciat très fervent, elle fait Profession le 11 juillet 1640. Va-t-elle enfin trouver un peu de repos?

La Lorraine est ravagée par les combats et les pillages et traverse, en conséquence, une terrible famine. En septembre 1640, le siège de Rambervillers contraint les moniales à se disperser. Soeur Catherine et deux compagnes trouvent un asile provisoire à Saint-Mihiel (Meuse), où bientôt une partie de la communauté les rejoint ; mais leur situation demeure très précaire, lorsque, par l'intermédiaire d'un Lazariste en mission à Saint-Mihiel, les Soeurs sont mises en relation avec saint Vincent de Paul. Monsieur Guérin, Lazariste, s'empresse d'aller trouver Madame de Beauvilliers, abbesse de Montmartre pour lui demander d'accueillir quelques-unes des Soeurs. Elle s'y refuse énergiquement craignant que ces "étrangères "n'apportent quelque désordre dans sa communauté.

Mère Mectilde et ses compagnes vont en pèlerinage à Notre-Dame de Benoîte-Vaux (Meuse), demander le secours de la Reine du Ciel. Elles y passent la nuit du 1er au 2 août 1641 et... cette même nuit l'abbesse de Montmartre voit en songe la Vierge Marie qui lui reproche d'avoir refusé les Soeurs lorraines, les mettant en danger de se perdre. L'abbesse, épouvantée, convoque dès le matin son conseil et décide d'inviter deux Soeurs, dont Mère

Mectilde, la plus jeune professe. Les Soeurs réconfortées, et comblées de grâces durant leur nuit de prière, apprennent, à leur retour, cette heureuse nouvelle.

Les Soeurs vont trouver asile en différentes abbayes autour de Paris (Jouarre ; Saint-Cyr) et en Normandie.

Le 21 août 1641, Mère Mectilde et sa compagne partent pour Paris. Elles couchent chez Mademoiselle Legras, fondatrice des Soeurs de la charité, et le 25 elles arrivent à Montmartre qui était alors dans toute la ferveur de sa réforme. Mère Mectilde va profiter de ce séjour en approfondissant l'étude de la Règle sous l'égide de l'abbesse.

Elle lie amitié avec Charlotte Le Sergent qui fut un temps sa "directrice". Mais Mère Mectilde ne peut oublier ses Soeurs dans la peine. Au bout d'un an de séjour à l'abbaye de Montmartre, le 7 août 1642, Mère Bernardine l'appelle au chevet de Mère Angélique malade à l'abbaye de la Trinité de Caen.

Les monastères de Vignats et d'Almenesche, proches de Caen, acceptent de prendre les deux Soeurs en résidence à l'abbaye de Saint-Cyr, et dans l'espoir d'un regroupement en Normandie, on leur propose un "hospice" à Bretteville (Calvados). A grand peine, l'abbesse de Montmartre laisse partir Mère Mectilde.

Très bien accueillies par les abbesses normandes, Mère Mectilde constate que l'"hospice" n'est guère habitable. Un gentilhomme du pays, Monsieur de Torp, leur propose une maison à Barbery.

Mère Mectilde est mise en relation avec Dom Louis Quinet, abbé du monastère cistercien de Barbery et, par lui, avec le milieu spirituel de Caen groupé autour de Jean de Bernières-Louvigny, Trésorier général de France, et du baron de Renty. En Bernières, elle rencontrait l'une des personnalités religieuses les plus intéressantes du XVII' siècle. Excellent chrétien, considéré par tout son entourage comme un saint, pourvu de dons surnaturels très élevés, Bernières jouait le rôle d'un véritable directeur laïc et son

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influence s'étendait sur un milieu fort étendu. Il ne publia rien de son vivant, mais de ses lettres et de ses notes on tira après sa mort diverses publications d'une fidélité assez suspecte9. Leur étude est cependant indispensable pour bien comprendre la pensée de Mère Mectilde car Bernières représente le courant bérullien sous la forme assez particulière qu'il a prise à travers Condren. Entrée en relation avec Bernières vers la fin de 1642, Mère Mectilde demeura en correspondance suivie avec lui jusqu'à la mort de ce dernier, en 1659. * Il subsiste encore 137 lettres adressées à Bernières qui marquent une étape décisive dans la vie spirituelle de Mère Mectilde. Il sera un de ses meilleurs conseillers au moment de sa fondation.

Cependant, les amis parisiens de Mère Mectilde cherchaient à la ramener auprès d'eux. Dans cette intention, ils lui offrent, au début de 1643, un établissement vaste à Saint-Maur-des-Fossés. Songeant toujours à réunir la communauté de Rambervillers, la Mère accepta et s'y installa en août suivant. Peu après, pour se procurer des ressources, elle ouvrit un pensionnat où furent élevées notamment Marguerite Chopinel, fille de Mère Benoîte de la Passion et Marguerite de l'Escale, nièce du visiteur de la Congrégation de Saint-Vanne en Lorraine. A la fondation, Mère Mectilde connut une période de relative tranquillité. D'aristocratiques amitiés l'entouraient. En juin 1643, elle avait fait la connaissance d'un religieux du tiers Ordre régulier de saint François, le Père Jean Chrysostome de Saint-Lô. Ami et conseiller de Bernières, il fut son directeur jusqu'au jour où il mourut, le 26 mars 1646. Il la conduisit par des voies austères, mais dans le même sens que Bernières. Pour le Père Chrysostome, Mère Mectilde rédigea une relation autobiographique de son âme qui montre bien par quelles nuits douloureuses passait alors sa vie intérieure et qui en met en évidence le caractère profondément mystique. Le Père Chrysostome comprit parfaitement toute l'étendue de la grâce de Mère Mectilde. Il allait souvent la voir à Saint-Maur... Il a dit souvent qu'il trouvait "plus de spiritualité dans le petit réduit de Saint-Maur que dans toute la grande ville

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de Paris, et que, tout théologien qu'il était, Mère Mectilde lui avait appris des secrets qu'il ne trouvait point dans les livres" (Giry p.11). En août 1646, elle devint supérieure de la communauté. Pourtant elle n'avait point encore trouvé sa voie définitive.

A la fin de juin 1646, Mère Bernardine, profitant de la tranquillité qui régnait provisoirement en Lorraine, regagna Rambervillers après avoir confié à Mère Mectilde l'"hospice" de Saint-Maur. Mais voici qu'on réclame celle-ci à Caen.

En 1639, la marquise de Mouy avait fondé à Pont-l'Evêque (Calvados), le couvent de Notre-Dame de Bonsecours, avec quatre bénédictines réformées de l'abbaye de Montivilliers, près du Havre. Le lieu n'étant pas propice à la fondation, elle l'avait transféré à Caen, rue de Geôle, en 1644. La communauté se composait alors de huit religieuses, mais leur formation laissait beaucoup à désirer. Sur le conseil de Dom Quinet, Madame de Mouy fait appel à Mère Mectilde. En contrepartie, elle aiderait à la restauration du monastère de Rambervillers.

La Mère Bernardine donna son accord mais exigea que Mère Mectilde promette de ne jamais quitter son monastère de Profession. Celle-ci s'y engage par écrit le 23 mai 1647, et le 28 juin suivant elle arrive à Caen en qualité de prieure. Mère Mectilde devine qu'elle n'est pas agréée de tout le monde, et se demande quel parti prendre dans cette délicate mission. Elle reçoit cette réponse évangélique : "Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur".

Les quelques souvenirs recueillis dans la suite par les moniales de Caen nous campent un portrait vigoureux de Mère Mectilde supérieure et réformatrice, sachant mener son monde avec autant de fermeté que de douceur, gagnant les plus rebelles par son inépuisable bonté et son humilité à toute épreuve. Mère Mectilde demeure trois ans à Caen, son départ fut un déchirement pour la communauté.

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De ce fait, les moniales de Rambervillers heureuses de la posséder l'éliront Prieure, au début de 1650. La Mère les rejoint le 22 août pour prendre possession de sa charge. Mais la guerre se rallume en Lorraine, y ramenant les désordres et la misère pire que jamais.

Mère Mectilde écrit à Bernières : "C'est ici une étrange solitude...". Elle est dans le "tintamarre". Elle est perplexe ! Mais "je ne veux rien faire de ma volonté". Elle ne désire qu'oraison et solitude. Une abbaye en Alsace, comme sa soeur le lui avait proposé? Non, elle préfère porter la besace que la crosse ! Ce qu'il lui faut : un petit coin en Provence ou devers Lyon, pour n'être plus connue de personne.

Bernières lui répond avec beaucoup de sagesse : "...qu'il taille, qu'il brûle, qu'il tue, qu'il vous fasse mourir de faim, pourvu que vous mouriez toute sienne, à la bonne heure. Cependant, ma très chère Soeur, il se faut servir des moyens dont la Providence vous fera ouverture pour vous tirer du lieu où vous êtes... mais je n'abandonnerais pas la pauvre communauté de Rambervillers... Ne vous tourmentez point pour votre oraison, faites-là comme vous pourrez et comme Dieu vous le permettra, et il suffit... Si vous étiez comme la Mère Benoîte, religieuse particulière, vous pourriez peut-être vous retirer en quelque coin ; mais il faut qu'un capitaine meure à la tête de sa compagnie, autrement c'est un poltron... Dieu ne vous déniera pas ses grâces... soyez la victime de son bon plaisir et le laissez faire... Courage, ma chère Soeur".

Mais la guerre redouble et la communauté se disperse. Mère Mectilde part avec quatre des plus jeunes Soeurs le 1e mars 1651. Elles arrivent à Paris le 24 mars, en pleine Fronde. Mère Mectilde retrouve la paix de l'âme. Elles rejoignent leurs Soeurs réfugiées dans Paris, rue du Bac. Elles y vivent dans le plus complet dénuement, et Mère Mectilde tombe gravement malade.

Elle commençait à se rétablir lorsqu'elle reçut la visite, fin août 1651, de Marie de la Guesle, épouse de René de Vienne, comte de Châteauvieux. La comtesse était pieuse et charitable : entre elle et Mère Mectilde naquit une amitié profonde, qui ne devait jamais se démentir. Bien que la Mère se défendit de jouer au directeur spirituel, elle fut contrainte par les circonstances de prodiguer à sa noble amie nombre de conseils ou d'exhortations spirituelles, qui formèrent peu à peu une abondante correspondance.

Progressivement, elle fit de cette mondaine bien disposée une âme d'une intense vie intérieure. Comprenant la valeur des écrits de Mère Mectilde, la comtesse conserva soigneusement ceux qui lui étaient adressés. Plus tard, elle les classa par sujets et en fit copier l'essentiel dans un recueil qu'elle appelait son "bréviaire ».

Madame de Châteauvieux prit donc une place centrale dans le groupe des amies dévouées qui entouraient Mère Mectilde : toutes, naturellement, cherchaient un moyen de la retenir définitivement à Paris. Or, dans le milieu des catholiques fervents, une dévotion avait à cette époque pris une place prépondérante, un culte particulier à l'égard du Saint-Sacrement. Les causes en sont multiples, mais, le fait que la foi en la présence réelle fût un des points qui opposaient le plus nettement catholiques et calvinistes, y avait joué un rôle considérable. Dans le même esprit, ce culte se teintait d'une nuance toute spéciale de Réparation pour les sacrilèges commis contre l'Eucharistie par les calvinistes, et aussi par les sorciers qui en abusaient dans leurs opérations magiques. L'histoire précise de ce mouvement eucharistique au cours de la première moitié du XVII' siècle, est encore à faire, mais les manifestations en sont nombreuses à travers toute la France, provoquées peut-être dans une certaine mesure, à partir de 1631, par la Compagnie du Saint-Sacrement. En 1646, la vieille abbaye cistercienne de Port-Royal, transférée à Paris, avait repris la fondation tentée par Monseigneur Sébastien Zamet, évêque de Langres et s'était vouée à l'Adoration perpétuelle, montrant que la piété eucharistique pouvait parfaitement s'insérer dans le cadre d'une ancienne Règle monastique. Mais, depuis 1649 surtout, Port-Royal avait été enveloppé dans le conflit janséniste et se trouvait de ce chef, dans une situation assez fausse.

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Mère Mectilde était animée elle-même d'un ardent amour envers l'Eucharistie mais ne se doutait pas encore de sa vocation particulière.

Elle raconte elle-même, que la nuit de Pâques 1651, comme elle priait ardemment pour obtenir de Dieu la grâce de pouvoir se retirer à la Sainte-Baume, dans la solitude, ensevelie avec le Christ pour y mener une vie nouvelle, le Seigneur lui dit : "Renonce, adore et te soumets à mes desseins qui te sont inconnus présentement". Elle se prosterna et n'eût la permission de se relever qu'après avoir solennellement promis de ne rien faire "de sa propre volonté" et de se soumettre entièrement au dessein "inconnu du Seigneur". Mais elle le connut bien vite grâce au projet qui se fit jour dans son entourage, vers la fin de 1651, de fonder une congrégation de bénédictines vouées elles aussi à l'Adoration perpétuelle.

L'entreprise se heurta d'abord aux pires difficultés. Ce fut Madame de Châteauvieux qui arracha au Président Molé, après de multiples démarches, les autorisations nécessaires et le contrat fut signé le 14 août 1652. D'autres oppositions non moins vives vinrent du prieur de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, Dom Placide Roussel. Elles furent surmontées grâce à l'inlassable dévouement de la Comtesse. Heureusement, la Reine elle-même qui avait fait un voeu en ce sens pour la cessation de la Fronde, s'intéressera à la fondation. C'est la raison pour laquelle l'Institut est déclaré fondation royale.

Entre temps, le 2' dimanche de Carême 1653, puis le 19 mars, Mère Mectilde reçoit du Seigneur cette assurance : "C'est mon oeuvre, je la ferai". Et la Mère lui répond : "Seigneur, si c'est votre oeuvre, donnez-moi donc le signe : que le Saint-Sacrement nous soit accordé, et vous, grand saint Joseph, employez-vous pour cela". Six jours après, la veille de Notre-Dame de mars, elle reçoit du Père prieur la permission d'exposer le Saint-Sacrement dans leur chapelle, ce qui était plus qu'on ne pouvait espérer, n'ayant ni maison en propriété, ni croix, ni clôture, et donc ne pouvant être fondées selon les règles. A dater de ce jour commença l'Adoration perpétuelle. Mère Mectilde, transportée de bonheur écrivait à la Comtesse : "Ma doublement vraie et unique fille, je viens vous dire bonjour dans un transport de joie très grande que je ressens dans le fond de mon âme au regard de la possession aimable du très Saint-Sacrement de l'autel. Oh ! que je me sens infiniment votre obligée de m'avoir donné tout ce que le paradis aime et adore et qui est l'objet béatifique des saints ! Oh ! que de mystères pleins d'étonnement !"

Enfin, la Mère et les filles purent quitter le logement assez misérable qui les abritait, rue du Bac, et en occuper un autre, rue Férou, (toujours en location), grâce à la libéralité d'une autre amie de Mère Mectilde, Madame de Rochefort (mère de l'évêque d'Auch) avec qui elle devait échanger une abondante correspondance spirituelle.

Le 12 mars 1654, après le transfert rue Férou, eut lieu la pose de la croix et la mise en clôture, signes de la fondation officielle. Au salut du Saint-Sacrement, où joua la musique du roi, Anne d'Autriche, elle-même, prononça l'Amende honorable, la corde au cou, devant une torche allumée. Il y a là, évidemment, un cérémonial marqué par le goût et les moeurs de l'époque. La communauté continuait l'Adoration dans un esprit qui était bien celui de la spiritualité française la plus classique : les nombreux textes laissés par Mère Mectilde le prouvent surabondamment. Désormais, elle allait jusqu'à la fin assumer les charges du supériorat, mais elle ne voulut jamais d'autre titre que celui de Prieure.

Le 22 août 1654, par un acte solennel, elle établissait la Vierge Marie Abbesse perpétuelle de la nouvelle congrégation. Dans un manuscrit (N. 249), il est écrit : "Ce fut dans ce temps qu'elle forma le dessein, qu'elle a exécuté depuis, de faire reconnaître dans son monastère, la sainte Vierge pour Supérieure; car elle mit tout son appui en la protection de cette Reine des grâces pour réussir en la conduite de son monastère, tant elle avait un bas sentiment d'elle-même, qu'elle croyait qu'il fallait des miracles pour lui acquérir ce

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don, et pour cela elle voulait référer tous les honneurs, même les extérieurs, à cette divine Abbesse, comme nous dirons en son lieu, parce que, disait-elle : comme cette Reine des cieux est Mère de ce Verbe Dieu anéanti sous les espèces de ce Sacrement, et que c'est de son sang virginal qu'à été formée cette chair divine que nous y adorons, il appartient à elle seule de porter le nom et la qualité de chef de la maison du Saint-Sacrement et d'y être seule reconnue.

Sa vie était fixée, mais les difficultés ne lui furent point épargnées pour autant, sans malgré tout la jeter dans les aventures dramatiques qu'elle avait connues jadis.

"La formation de ses filles fut pour elle un constant souci. Elle y travailla par ses exemples et son influence, par ses paroles et par ses écrits où s'exprime bien la manière dont elle envisageait son Institut. * Leur publication ferait de Mère Mectilde un des grands auteurs spirituels de notre XVII' siècle, digne de figurer aux côtés de Marie de l'Incarnation." (dit l'abbé Cognet, et il poursuit) : "Incontestablement elle a le don du style, de la formule heureuse et saisissante. Un certain archaïsme trahit l'époque de sa formation : il ne semble pas avoir gêné ses contemporains et il est pour nous aujourd'hui un charme de plus. On ne retrouve pas chez elle la poésie d'un Monsieur Olier, elle ne cherche pas la métaphore pittoresque. L'aspect très doctrinal de ses écrits la rapproche de Bérulle, de Condren ou de Bernières, mais elle est supérieure aux deux derniers par la netteté et la vigueur de sa rédaction... Elle est volontiers prolixe, et, vu le caractère occasionnel de ses écrits, les répétitions sont nombreuses, sans d'ailleurs être fatigantes".

La valeur de son message spirituel retient surtout notre attention : jailli de son expérience, il frappe par sa justesse et sa profondeur. Source de vie pour ses filles et pour l'Eglise...

Mère Mectilde se préoccupe d'assurer à ses religieuses les secours de prêtres de valeur. Parmi ceux qui fréquentèrent sa maison, on rencontre quelques noms fort remarquables. L'un de ceux qui y eut l'action la plus profonde fut sans doute le prémontré Dom Epiphane Louys (1614-1682), devenu en 1663, abbé de l'abbaye d'Etival (Vosges), non loin de Rambervillers. Au cours de nombreux séjours parisiens il prodigua aux filles de Mère Mectilde conseils et exhortations. Le meilleur s'en retrouve dans ses Conférences mystiques publiées en 1676, à la demande de la Mère et dans quelques autres ouvrages destinés également aux adoratrices, dont l'un des plus intéressants est sans contredit : La nature immolée par la grâce ou pratique de la mort mystique. (1674).

Mère Mectilde fut également en relation avec Dom Claude Martin, bénédictin de Saint-Germain-des-Prés, fils et biographe de la Vénérable Marie de l'Incarnation. Mère Mectilde écrivit les Exercices ou pratique de la Régie de Saint Benoist à l'usage des religieuses bénédictines de l'Adoration perpétuelle du Très saint Sacrement en s'inspirant de l'ouvrage de dom Claude Martin Pratique de la Règle de Saint Benoist.

Il est également probable qu'elle dut demander des services du même ordre au bouillant et pittoresque archidiacre d'Evreux, Henri Marie Boudon, disciple de Bernières.

Dans la Vie de Boudon par Pierre Collet (1762), on peut lire : "Il eut aussi d'admirables liaisons de grâce et de charité avec la Révérende Mère Catherine de Bar, surnommée Soeur Mectilde du Saint-Sacrement... Elle avait par ses qualités mêmes, trop de rapport avec M. Boudon pour ne le pas honorer autant qu'il méritait de l'être. Il y répondait toujours par le plus sincère et le plus respectueux dévouement, et lorsqu'il fût grand archidiacre d'Evreux, il ne vint guère à Paris sans voir et la Mère et les filles, afin de rendre à la communauté dans ses pieux entretiens ce qu'il croyait avoir appris de celle qui en était la supérieure". Boudon fait parfois allusion à Mère Mectilde dans ses oeuvres, en particu-

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lier dans sa Vie du Père Jean Chrysostome. Les archives diocésaines d'Evreux possédent encore une douzaine d'autographes de Mère Mectilde à Boudon.

On relève aussi parmi ses correspondants Simon Gourdan, chanoine régulier de Saint-Victor de Paris. Ce dernier est l'auteur d'une série d'élévations sur les psaumes : A Jésus au Saint-Sacrement qui ne fût sûrement pas ignorée de Mère Mectilde et de ses filles. Elle connaissait bien les livres de Monsieur Olier. Elle écrit à sa chère Comtesse de Châteauvieux : "Lisez Monsieur Olier, et vous en servez comme vous pourrez, en attendant que Notre-Seigneur fasse autre chose".

Elle recommandait aussi, la lecture du Père Saint-Jure : "De la connaissance et de l'amour de Jésus-Christ 'tout en avouant' ne point aimer tant de multiplicité".

N'oublions pas saint Jean Eudes, qu'elle connût à Caen et dont l'amitié, après des débuts orageux, lui demeura fidèle. La revue Notre Vie publia plusieurs articles sur leurs relations et leur correspondance. Autre ouvrage : Père Paul Milcent, Vie de saint Jean Eudes, Le Cerf, 1985.

Mère Mectilde a lu sans aucun doute le Royaume de Jésus ; on retrouve parmi ses oeuvres des copies d'actes ou de prières de saint Jean Eudes. Elle a fait un long commentaire de son acte de rénovation des voeux du Baptême. C'est sous son influence qu'elle fit célébrer dès 1660, parmi les Offices propres de sa congrégation la fête du Saint Coeur de Marie. La prière Ave Maria filia Dei patris demeura en usage parmi ses filles jusqu'à nos jours.

Pour établir sa fondation sur des bases solides, Mère Mectilde ne recula devant aucun effort. Elle put lui donner le substrat matériel qui lui manquait par l'achat, en janvier 1658, d'un vaste terrain, rue Cassette, où elle fit bâtir le monastère que ses religieuses devaient occuper jusqu'à la Révolution : elles purent s'y installer le 2 mars 1659. D'autre part, il lui incombait de donner à son oeuvre un statut légal. Le "bref", qu'elle avait obtenu en septembre 1660 en contenait une approbation explicite mais qui ne pouvait suffire. A plusieurs reprises, de nouvelles démarches furent faites à Rome pour lesquelles elle obtint l'appui de la reine Marie Thérèse. Elles mirent cependant de longues années à aboutir. C'est seulement, le 10 décembre 1676, que le pape Innocent XI par la Bulle Militantis Ecclesiae érigea en congrégation autonome les monastères fondés par Mère Mectilde et tous ceux qui y seraient rattachés. Pourvue de trois supérieurs majeurs, la nouvelle congrégation était déclarée exempte de la juridiction des Ordinaires et rattachée directement au Saint-Siège. Enfin, la pratique de l'Adoration perpétuelle y était explicitement approuvée. Un tel document donnait à la fondatrice tout ce qu'elle pouvait désirer en ce domaine.

Depuis longtemps, Mère Mectilde s'était occupée de donner à ses moniales adoratrices des Constitutions exactement adaptées à leur vocation. Se défiant d'elle-même, elle en avait demandé la rédaction à Dom Ignace Philibert, prieur de Saint-Germain-des-Prés, qui l'avait toujours soutenue. Ce dernier acheva son ouvrage vers la fin de 1666, peu avant sa mort. Mère Mectilde elle-même compléta l'oeuvre de Dom Philibert par un Cérémonial qui fut partiellement imprimé en 1668. Cependant les Constitutions de Dom Philibert ne semblaient pas répondre entièrement à l'esprit de la fondatrice et ne satisfaisaient pas les religieuses. Elles demandèrent donc à Mère Mectilde d'en donner la version définitive. Elle y travailla deux ans en collaboration avec le Père Epiphane Louys, ses lettres en font foi, et elle remit les nouvelles Constitutions à sa communauté le 20 juin 1675 Ces Constitutions furent mentionnées et approuvées dans la Bulle de 1676. Elles furent imprimées en 1677 et après sa mort elles furent approuvées par une Bulle extrêmement élogieuse de Clément XI en 1705. Ainsi Mère Mectilde avait donné à sa fondation une assise solide et durable.

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Cette fondation n'avait pas tardé à essaimer, mais chacun de ces monastères nouveaux avaient coûté à Mère Mectilde bien des peines, des fatigues, des contradictions. La deuxième maison fut celle de Toul (7 décembre 1664), qui souleva d'abord une opposition extraordinaire, et dans la suite un enthousiasme tel que Mère Mectilde écrivait : "Vous auriez plaisir d'entendre parler ces bonnes gens, ce ne sont plus que des louanges et bénédictions. Véritablement si cela continue, nous aurons plus de témoignages de bonté de tous ces peuples dans une heure que nous n'avons reçu de calomnies et de mépris depuis que nous sommes dans cette ville. Dieu en soit éternellement béni !". Toul devint une véritable pépinière de solides vocations que Mère Mectilde employa pour ses diverses fondations. Une telle fondation demandait vraiment un courage "lorrain".

Le 4 novembre 1677, ce fut la fondation de Rouen, bien chère à Mère Mectilde, mais qui n'alla pas toute seule non plus. Nous en avons la relation pittoresque par la Mère Monique des Anges de Beauvais, professe de la rue Cassette. Le manque de sérieux de certains épisodes fit censurer l'auteur, et * Mère Mectilde lui envoya un billet, qu'elle s'empressa de mettre en avant-propos de son oeuvre :

"Je veux bien, cher petit Ange, que l'on vous renvoie l'histoire que vous avez recueillie. Je suis fâchée des discours que l'on a fait, pour moi je ne vous ai pas désapprouvée, sachant bien que Sainte Thérèse a mis plusieurs petites choses dans ses fondations qui sont fort récréatives, et cela fait fort bien : ces sortes d'histoires ne doivent pas être fort sérieuses. Je n'ai pas encore vu la vôtre, n'ayant pas un moment de temps. Je serai bien aise d'y jeter les yeux, et en tout cas qu'on vous la renvoie. N'y ôtez rien, croyez-moi : il y a plus de bénédiction dans la simplicité et je l'aime mille fois plus que toutes les belles phrases. Demeurez dans cette simplicité, au nom de Dieu. La grâce est dans la simplicité et non dans la subtilité. Je n'ai que ce moment.

A Dieu, en Dieu. Priez-le, qu'il sanctifie nos croix." 30 septembre 1680.

En mai 1674, Mère Mectilde fait venir à Paris cinq religieuses du monastère de Toul en prévision d'une fondation souhaitée à Dreux. L'affaire n'ayant pu aboutir, Monseigneur François de Harlay, archevêque de Paris, conseille à Mère Mectilde de garder les Soeurs près d'elle et d'essayer une seconde fondation à Paris, les assurant de sa protection. Cinq autres religieuses de Toul ayant rejoint le premier groupe on put envisager un établissement stable. Après quelques maisons habitées en location, Mère Mectilde apprit que l'hôtel de Turenne situé dans le Marais était à vendre. Accompagnée de son amie, l'abbesse de Beaumont, (Anne de Béthune), elle en décida l'achat. La première cérémonie d'exposition du Saint-Sacrement, le 21 septembre 1685, fondait le monastère.

Le ler janvier 1688, ce fut la fondation à Varsovie en Pologne.

Voici encore un récit fort mouvementé qui mériterait toute une histoire et nous montre au vif les heurs et malheurs qui accompagnent la faveur ou la disgrâce des "grands", en l'occurrence la reine Casimire de Pologne. Nous la retrouverons dans l'histoire de l'approbation de nos Constitutions à Rome.

Que de labeurs et de soucis pour la Mère Fondatrice qui, de plus, ne pouvait suivre tout cela que de loin. Il ne lui fut pas possible d'aller en Pologne.

Depuis dix ans, la Princesse Isabelle de Mecklembourg cherchait à avoir des religieuses dans son fief de Châtillon-sur-Loing (Loiret), aujourd'hui Châtillon-Coligny. Cousine des Mères de Blémur, bénédictines de la Trinité de Caen, la princesse s'adresse à elles. Connaissant Mère Mectilde, la princesse fait les démarches nécessaires. Mère Mectilde envoie des Soeurs et le 21 octobre

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1688, c'est la bénédiction du nouveau monastère et la première Exposition du Saint-Sacrement.

L'année suivante celle du monastère de Dreux. En 1680, les bénédictines d'abord établies à Anet (Eure-et-Loir), demandèrent leur agrégation à notre Institut. Sur les conseils d'amis dévoués et avec l'autorisation du Duc de Vendôme, seigneur du lieu, elles s'installèrent à Dreux. On se heurta d'abord à l'opposition des autorités de la ville. A force de patience et d'efforts persévérants, l'Adoration perpétuelle était inaugurée le 23 février 1696. En octobre 1699, l'évêque de Chartres demanda et obtint l'envoi de huit autres religieuses venant des monastères de la rue Cassette et de Rouen.

Dans l'intervalle, Mère Mectilde avait la joie d'agréger à son Institut trois monastères bénédictins déjà constitués : en 1666, ce fut celui de Rambervillers, qui lui était particulièrement cher et dont elle n'avait jamais cessé de faire partie, étant toujours professe du monastère de Rambervillers.

En 1668, Notre-Dame de Consolation de Nancy, qui avait vu le mariage de Gaston d'Orléans avec Marguerite de Lorraine, fut aussi, grâce à cette dernière, rattaché à l'Institut. Mère Mectilde échangea avec elle une abondante correspondance. Il nous en reste une centaine de lettres, vrais petits chefs-d'oeuvre du genre.

Enfin, en 1685, ce fut Notre-Dame de Bon-Secours de Caen qui l'avait eue jadis pour prieure. Ainsi, à la mort de Mère Mectilde, sa congrégation comptait dix maisons, et le nombre devait s'en accroître considérablement par la suite, montrant combien était vivace l'impulsion donnée au départ. Chacun de ces monastères fut un foyer de vie spirituelle qui étendit l'influence de Mère Mectilde. Cette influence fut très considérable et elle mériterait d'être étudiée pour elle-même.

Comme il est normal à toutes les oeuvres voulues par Dieu, la fondation de Mère Mectilde se heurta à d'innombrables difficultés, et bien qu'elle s'abandonnât entièrement à la Providence sur ce point, elle dut à plusieurs reprises se défendre. Le détail des persécutions qu'elle eut à subir ne nous est pas entièrement connu, mais il est certain qu'elle fut victime de graves suspicions, allant parfois jusqu'à la calomnie. Elle se heurta semble-t-il, à l'hostilité du groupe janséniste qui avait espéré un temps l'attirer à lui. Au début de 1659, les Cordeliers à leur tour, contestèrent la légimité de son passage dans l'Ordre bénédictin, et elle dut entreprendre des démarches à Rome pour en obtenir confirmation. Finalement, elle obtint du pape Alexandre VII un "bref" très favorable en date du 20 septembre 1660, confirmé par des Lettres patentes royales du 26 juin 1662. Cependant la Mère Mectilde ne connut jamais vraiment la tranquillité : les humiliations, les souffrances et les épreuves ne lui firent jamais défaut.

Le monastère de Nancy fut ravagé par un incendie dans la nuit du 11 octobre 1697, et celui de Châtillon par la grêle. La fondation de Varsovie fut à deux doigts d'échouer. Un essai de réforme du monastère de Notre-Dame de Liesse lui fut un tourment quotidien, faisant de ses filles les jouets d'un réseau d'intrigues dont on peut deviner quelque chose dans les lettres à Anne de Béthune, abbesse de Beaumont-les-Tours.

Enfin, elle fut comblée d'humiliations de toutes sortes par un pénible procès où elle eut contre elle une de ses propres religieuses. Le procès fut heureusement gagné, mais Mère Mectilde n'en fut pas consolée pour autant de l'hostilité de sa malheureuse fille.

En 1694, elle écrivait : "Comme c'est l'ordinaire de la conduite de la divine Providence de me tenir sur la croix, que je veux de tout mon coeur toujours adorer et embrasser, à peine suis-je sortie

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de ma maladie qui m'a duré près de six mois, que je m'en trouve environnée d'un grand nombre (de croix), qui renouvelle quasi à toute heure mes sacrifices... Priez Notre-Seigneur qu'il se glorifie de tout ce qu'il lui plaît nous envoyer et à toutes les maisons de l'Institut qui sont dans la souffrance."

Elle compte pour rien ses épreuves personnelles et elle entraîne ses filles sur la route qu'elle suit elle-même : "Je vous prierai, très chère Mère, de faire comme je fais, c'est de ne se troubler de rien, de laisser parler et dire ce que l'on voudra... Mais retirez-vous, et vos chères filles, toutes en Dieu... Je m'en trouve bien. Ne me plaignez point, mes souffrances ne sont que des mouches, je compte cela pour rien. Priez seulement, et Notre-Seigneur apaisera la tempête quand il voudra. Ne me plaignez point, très chère, hélas, je ne souffre rien..Voyez que je ne souffre que des pailles... Ayez courage et patience, et à toute extrémité l'on n'en peut que mourir ! Mais il faut vivre et soutenir ce que le Seigneur voudra."

On voit combien son dynamisme et son intrépidité, guidés par l'Esprit-Saint, l'emportent et emportent ses correspondantes à travers la mort en toutes choses vers le saint abandon et la pureté de l'Amour divin. Son amour du très Saint-Sacrement éclate et le terme de "victime" résume de plus en plus l'essentiel de sa vocation : don total à Jésus dans l'Eucharistie pour participer à tous ses "états", lui être "associés" en sa qualité de victime "pour la gloire de Dieu et le salut du monde". Entrer dans son sacrifice avec ses dispositions, car c'est ainsi seulement que l'on peut réparer sa gloire offensée dans l'Eucharistie. Il est le seul et unique "réparateur" (Bérulle, Cochois, p.90).

L'adoration perpétuelle, signe et moyen de cette union continuelle à Jésus Eucharistie n'a de valeur que si toute notre vie tend à être une union à sa vie "eucharistique" d'adorateur du Père et d'intercesseur pour les hommes. Et sa propre vie nous envahira vraiment si nous sommes fidèles à mourir sans cesse à tout ce qui fait obstacle à cette vie en nous. Toute notre tendance doit être de "devenir des Jésus-Christ".

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Mère Mectilde épistolière ABBÉ JOSEPH DAOUST

"Ce sexe va plus loin que le nôtre dans le génie d'écrire", remarque La Bruyère à propos des femmes. C'est ce que démontre, par exemple, à la génération qui précéda Mère Mectilde, une autre fondatrice d'ordre religieux, sainte Jeanne de Chantal (1572-1641), qui créa, avec saint François de Sales, la Visitation Sainte-Marie. Grande épistolière, comme le sera sa petite-fille Madame de Sévigné (1626-1696), elle laisse 2 855 lettres, destinées parfois à des célébrités de son époque mais surtout à ses Visitandines, simples religieuses ou supérieures de couvents, à qui elle prodigue des avis pour le gouvernement de leurs monastères et, à l'occasion, des conseils de spiritualité. Mais on ne trouve guère chez elle de citations bibliques ou de références aux Pères et aux grands théologiens, sinon, bien sûr, à François de Sales, cofondateur de la Visitation.

Toute différente apparaît la correspondance de Mère Mectilde du Saint-Sacrement (1614-1698). La première lettre que nous conservons remonte au 6 novembre 1642. Datée de Barbery, elle

1. Le sixième et dernier tome de la correspondance de sainte Jeanne de Chantal a été édité au Cerf/CERF, Paris, 1996.

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est adressée à M. Rocquelay, secrétaire de Jean de Bernières (1602-1659), alors que la Mère séjourne auprès de divers monastères de Normandie d'août 1642 à juin 1643. * Sa dernière lettre, écrite le 18 février 1698, soit quelques semaines avant sa mort, est destinée à Mère Saint François de Paule (Françoise Charbonnier, 1642-1709), prieure du second monastère du Saint-Sacrement établi à Paris : Saint-Louis-au-Marais. En tout, de 1642 à 1698, Mère Mectilde aura envoyé plus de 3150 lettres.2

La bénédictine, on le voit, l'emporte sur la visitandine !

Avant d'ouvrir cette surabondante correspondance, disons quelques mots de la formation intellectuelle de la jeune Catherine de Bar, notre future épistolière.

L'instruction dont elle bénéficia forgea son style et lui permit d'écrire plus tard avec correction et rapidité. Sa famille, de bonne bourgeoisie et proche de la noblesse, a dû donner à la petite fille, douée d'excellentes qualités naturelles, une instruction qui en ferait une femme du monde accomplie. Ses parents l'ont vraisemblablement confiée à des précepteurs, faciles à trouver à Saint-Dié, où ne manquaient pas les intellectuels.' L'une de ses biographes, Mademoiselle de Vienville, petite-nièce de Mère Mectilde, mentionne chez sa tante, dès sa jeunesse, "une grande ouverture d'esprit et une pénétration des plus vives ; cela lui donnait une

2. Voici le détail des correspondants : lettres aux religieuses, 2000 ; à la comtesse de Châteauvieux, 280 ; à la comtesse de Rochefort, 130 ; à la duchesse d'Orléans, 112 ; à M. de Bernières, 137 ; à M. Boudon, 25 ; à Mme de Béthune, abbesse de Beaumont-lesTours, 331 ; lettres diverses, allant des reines de France, de Pologne, d'Angleterre, des évêques, abbesses et autres célébrités, aux plus humbles, demeurés anonymes, 165. On trouvera un choix de la correspondance de Mère Mectilde dans : Catherine de Bar, Lettres inédites, 428 pages, Bénédictines du Saint-Sacrement, Rouen, 1976, et dans Une amitié spirituelle au Grand Siècle, Lettres de Mère Mectilde à Marie de Châteauvieux, 336 pages, Paris, Téqui, 1989.

3. Existait-il encore à Saint-Dié la célèbre école de géographie, qui donna au Nouveau Monde le nom d'"Amériquen, grâce à la Cosmographiae introductio... insuper quatuor Americi Vespucii navigationes, due à Waedseemüller (1507).

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facilité merveilleuse pour apprendre tout ce qu'elle voulait". Ainsi peignait-elle au point de réaliser son autoportrait à l'aide d'un miroir. "Elle apprit à jouer des instruments", sans doute du clavecin, et à exécuter des ouvrages de dames. Et "son esprit n'était pas moins propre pour les belles sciences, les langues et le latin, etc" On aimerait savoir ce que désigne ce vague "etc ".

Quoi qu'il en soit, Catherine se refusa à devenir une "femme savante", estimant que de trop longues études pourraient la détourner de Dieu.

Elle se délectait toutefois à la lecture des romans. Écoutons encore Mademoiselle de Vienville ; alors que sa jeune tante les dévorait, Dieu "tourna à son profit les pièges du démon". En donnant un sens spirituel à cette lecture, elle en fit son sujet d'oraison, croyant que c'était de l'amour de Dieu qu'ils traitaient.'

Ici, la biographe se mue en une piètre hagiographe, soucieuse de "canoniser" Catherine dès sa plus tendre enfance. Retenons seulement que la jeune fille ne dédaignait nullement les romans qui, d'ailleurs, aident à former le style de leurs lecteurs. Mais de quelles oeuvres à la mode s'agit-il ? Peut-être de Sireine, un poème pastoral qu'Honoré d'Urfé (1568-1625) publia en 1604 ou, plus vraisemblablement, de la célèbre Astrée, qui valut au même auteur un prodigieux succès, si bien qu'il multiplia les aventures des amants dans les trois parties éditées de son vivant (1607,1610,1619), et auxquelles son secrétaire Baro en ajouta deux autres (1627-1628) avant d'achever ces mille péripéties par l'union des principaux héros, Céladon et Astrée. Partout on s'arrachait cet interminable roman, qui développa le goût des analyses délicates du sentiment. Catherine a pu connaître cet ouvrage, s'émouvant aux malheurs des deux jeunes gens, affinant aussi sa propre psychologie, tout en perfectionnant son style.

4. (Mlle de Vienville), La Vie de la Vénérable Mère Catherine Mectilde du Saint-Sacrement, ms. P. 101, p. 11-12 pass.

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Cette solide formation intellectuelle se remarquera dans la volumineuse correspondance de Mère Mectilde, quoiqu'elle n'ait jamais fait allusion aux écrivains profanes de son époque. En revanche, d'après un sondage effectué par les moniales de Rouen' dans trois manuscrits contenant des lettres de leur Institutrice, elles ont relevé 254 citations de la Sainte Ecriture, qui prouvent sa profonde connaissance de la Bible, alors que les Pères de l'Eglise ne sont évoqués que 22 fois, les écrivains religieux 19 fois et les religieuses mystiques 16 fois. Quant aux auteurs spirituels contemporains, tels un Vincent de Paul, Condren, Guilloré ou Saint-Jure, ils n'obtiennent que la portion congrue avec 7 citations. L'Ecriture s'attribue donc la part du lion : quatre fois plus de références que tous les autres écrivains réunis, ce qui suppose une pratique journalière de la Bible, qu'utilisent d'ailleurs la liturgie de chaque messe et les heures de l'Office divin, l'Opus Dei.

On peut s'étonner de la rareté des références à saint Benoît, alors que Mère Mectilde ne cesse de s'affirmer bénédictine. Elle se rachète, pour ainsi dire, clans ses conférences, entretiens et autres écrits, puisqu'on en a tiré un véritable commentaire de la Règle du Patriarche'.

Si elle n'invoque guère les auteurs spirituels de son temps, la Mère témoigne par sa doctrine qu'elle représente au plus haut point l'idéal religieux de la Contre-Réforme, qui centre sa dévotion sur l'Eucharistie. A celle-ci, dont les calvinistes nient la présence réelle du Christ dans l'hostie, vont sans trêve ses hommages et ses adorations. Surtout, elle tente de réparer par d'incessantes mortifications, l'impiété et les sacrilèges des prétendus réformés.

5. Dans leur bulletin trimestriel « Sous la Crosse de Notre-Daine ", n' 143, juillet 1996, p.9.

6. Mère Mectilde (lu Saint-Sacrement : A l'écoute de Saint Benoît, 206 pages, Paris, Téqui, 1988.

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L'Eucharistie est vraiment au coeur de sa dévotion. Ajoutons-y le culte de la Vierge, attaquée aussi par les protestants, mais que notre religieuse considère comme sa mère du ciel depuis son enfance et qu'elle a choisie pour être l'unique abbesse de tous les monastères de sa jeune congrégation. Au christocentrisme, qui unit jésus à Marie, mais qui n'oublie pas la Trinité, joignons l'influence en filigrane du capucin Canfeld (1563-1610), dont Mère Mectilde à lu La Règle de perfection réduite au seul point de la volonté de Dieu, et l'influence très profonde de Jean de Bernières (1602-1659), qui sera le directeur de conscience de notre moniale, l'influence enfin du jésuite de Saint-Jure (1588-1657), auteur du livre De la connaissance et de l'amour de Jésus-Christ.

Si nous jetons maintenant un regard sur les lettres autographes, nous sommes frappés par leur graphie régulière, aisée, large, un peu inclinée, qui révèle une personne qui, de longue date, sait manier la plume.

Mais ce qui frappe surtout chez Mère Mectilde, c'est la qualité de sa correspondance, l'élévation et la cohérence de la pensée. Sauf dans les lettres à l'éternelle égrotante et angoissée qu'est la Duchesse d'Orléans, à qui elle demande au début de ses missives des nouvelles de sa santé, il n'est la plupart du temps question que de spiritualité. La Mère écrit sans trêve et sans rature, "à bride abattue", avec spontanéité. C'est une conversation dans un style enlevé, naturel, net et franc, une expression de grande dame, non seulement quand elle s'adresse aux nobles personnages mais aussi lorsqu'elle envoie un billet à de simples religieuses. La rapidité avec laquelle elle rédige lui fait préférer les propositions indépendantes aux nombreuses subordonnées, et elle ponctue souvent sa prose d'exclamations lyriques.

Prenons, par exemple, quelques phrases d'une lettre adressée à la duchesse d'Orléans pour le temps de l'Avent. "Voici, Madame, le temps du désir. L'Eglise en est toute remplie et elle le manifeste par les saints offices. Unissons-nous à elle et crions avec le Juste : Rorate coeli de super et nubes pluant justum... Oh ! quel bonheur

151

d'être sujets d'un roi qui donne sa vie pour ses sujets et qui les associe à sa gloire !"

Les lignes débutent par une proposition indépendante et continuent par deux indépendantes coordonnées. Deux autres indépendantes précèdent une citation d'Isaïe, reprise comme refrain dans une hymne traditionnelle de l'Avent. Suit une principale exclamative, accompagnée de deux relatives. C'est, pour terminer, une soi-te d'"élévation sur le mystère".

Mais l'épistolière sait bâtir parfois des phrases plus longues et assez bien charpentées, encore qu'elles ne puissent rivaliser avec les amples périodes oratoires d'un Bossuet.

Laissons de côté le vocabulaire de Mère Mectilde. Il est assez iche et évite les archaïsmes. Le lecteur d'aujourd'hui n'en sera nullement dérouté mais, au contraire, incité à prendre ces lettres comme un livre de chevet pour nourrir sa vie spirituelle. Joseph Daoust Professeur (h) à l'Université catholique de Lille.

V Lettres autographes de Mère MECTILDE

152

A Monsieur Henri-Marie Boudon 0 Le 2 septembre 1652

Monsieur mon très cher frère,

Puisque vous êtes sur le point de vous éloigner, possible pour plus longtemps que vous ne pensez, il faut que ie vous donne encore une fois de nos nouvelles, non dans toute l'estendüe que ie souhaiterais pour le peu de sûreté des lettres, mais seulement trois mots de l'affaire que vous scaves (sic). Je vous diray donc, mon très cher frère, que i'ay souffert l'assemblée1 pour contracter, sans y prononcer une seule parole pour la faire avancer. Il me semble que la divine providence me tient tousiours dans la disposition que vous scaves (sic), voir plus profondément sy ie l'osais dire. Je laisse tout à Dieu sans que ie fasse plus de résistance. Nonobstant mes indignités etc., et les paroles de beaucoup de personne (sic) qui condamne cette action et m'accuse d'une épouvantable superbe. Je dois tout soutenir dans un profond silence, me laissant anéantir comme il plaira à Notre Seigneur. Je vous remercie, mon très cher frère, des bons et saints advis que vous m'avez donné de la part de M. B (ernières)2. Je luy en suis très obligée et à vous aussy. Si Notre Seigneur donne bénédiction à cette affaire, ie vous le mandray. Sy je peux aprendre le lieu de votre demeure, ne soyez pas sy longtemps sans nous rescrire.

Ma chère mère de Montigny3 se porte bien mieux de son mal de teste. Mademoiselle de Manneville4 nous a escrit et mande la

0 Boudon : Henri-Marie, 1624-1702. archidiacre d'Evreux. Cf : Albert Garreau, Monsieur Henri-Marie Boudon et le secret de l'école française, les éditions du Cèdre, Paris, 1967. Pierre Coulombeau : Henri-Marie Boudon, un archidiacre d'Evreux au Grand siècle, Revue trimestrielle de l'ANDIC, 1988, n'45/46. [note de l’imprimé sur appel astérisque après ...Boudon].

1. L'assemblée des fondateurs et fondatrices pote• signer le contrat de fondation, d'abord au parloir (les religieuses devant Carré et Marreau, notaires au Châtelet de Paris le quatorzième jour d'août mil six cent cinquante deux. Cf : Documents Biographiques, Ecrits spirituels, Rouen. 1973, p.86.

2. Bernières Jean de Bernières-Louvigny. 1602-1659, Documents Historiques, p. 64. n 21

3. Mère de Montigny : Anne de Saint-Joseph NIontigny. Sueur de Monseigneur de LavalMontigny, premier évêque de Québec au Canada. Meurt en 1685 au monastère de Nancy dont elle était Prieure. Cf : Catherine de Ba-; Lettres inédites, Rouen, 1976, p 116. n- et lettres.

4.Melle (le Manneville : Nous trouvons mention des comtes de Nlanneville, gouverneurs de Dieppe, au XVII, siècle, Cf : Saint-Simon, Mémoires, T. VIL

155

[ Manuscrit non reconnu ! De même pour tous les autographes suivants]

consolation qu'elle a receu dans l'entretien que la providence vous a donner (sic) ensemble. C'est une fille qui cherche Dieu de bon coeur may (sic) ie crois avec un peut (sic) trop d'ardeur et d'empressement. Elle a besoin d'une bonne direction. Je prie Notre Seigneur qu'il soit sa lumière. J'aurais bien des choses à vous dire mais ie ne puis les exprimer par la présente, il se faut perdre pour se mieux retrouver en Dieu. Cet (sic) là mon très cher frère où ie vous vois, où ie vous trouve et où ie vous laisse, et où ie vous suis en son Saint amour pour jamais,

Votre très humble très

affectionnée Soeur et

obligée Servante en J. C.

Sr. du st Sacrement10


Mon très cher frère,

Mes très humble (sic) recommandations

s'il vous plait à Monsieur Burel.

Faites en sorte sy vous pouvez

qu'il offre à Notre Seigneur l'oeuvre que vous

scavez et qu'il le prie très instamment

que sy ce n'est point sa pure gloire,

qu'elle soit toute renversée. Je vous

assure que j'y ay moins vie que

jamais. Le bon plaisir de Dieu soit

parfaitement accomplit (sic) en nous.

(adresse)

A Monsieur

Monsieur Boudon

de présent A Rouen

158

Au Révérend Père Prieur [abbaye Saint-Germain-des-Prés]

abbaye Saint-Germain-des-Prés

Bénédictines du St Sacrement + Ce, mardy, midy.

Mon très Révérend Père,

Nous suplions humblement votre R (évéren) ce, nous donner la permission de faire bénir un des fours de cette sepmaine une grande image en relief 1 de la Mère de Dieu à laquelle nous avons toutes une dévotion, et une confiance toute particulière et croyons qu'elle sera la Mère et la protectrise (sic) de cette petite maison. Nous la regardons comme telle et comme notre Supérieure. Et nous la prierons qu'elle vous comble de ces plus saintes grâces et qu'elle nous rende digne d'estre en l'amour de son fils.

Mon Très Révérend Père Vostre très humble très

obéissante fille et servante Sr. du St Sacrement

(adresse) R. I.

Au très Révérend père.


Le très Révérend Père Prieur etc.

A St Germain

1. Statue de la Sainte Vierge, présidant au Choeur. Chaque communauté a une statue de Notre Dame Abbesse au Choeur et dans les principales pièces du monastère.

160

Au Révérend Père Prieur [abbaye Saint-Germain-des-Prés 24 aoust (1654)]

abbaye Saint-Germain-des-Prés

Bénédictines du St Sacrement + 24 aoust (1654)

Mon très Révérend Père,

Voicy l'acte que nous avons fait pour nous dédier à la sainte Mère de Dieu et cette petite Maison. Nous suplions votre R (évéren) ce y adjouter tout ce que le Saint Esprit vous inspirera pour le rendre plus saint et plus solemnel. Nous désirons beaucoup que se (sic) soit pour demain sy toutefois un Ecclésiastique que i'ay fait prier de nous prescher est en estat de le pouvoir faire. Nous aurions besoin d'un de vos pontifical pour faire la bénédiction on le rendra aussitost (sic). J'eusse bien désiré que votre Révérence l'ait fait mais comme cet (sic) un jour très solemnel, ie n'ay osé espérer cete (sic) consolation. Je vous suplie, mon très Révérend Père, prendre la peine de voir le dit acte auiourd'huy et que votre Bonté nous le renvoyer s'il vous plait. J'attendray les ordres et sentimens (sic) de votre Révérence les quels ie veux suivre de mesme coeur que ie dois estre avec tout respect en Notre Seigneur.

Mon très Révérend Père

Votre très humble très obéissante fille et servante en Jésus. Sr du St Sacrement

R.I.

(adresse)

Au très Révérend Père

Le très Révérend Père

Prieur etc.

160

Au Révérend Père Prieur [abbaye Saint-Germain-des-Prés 18 novembre 1658]

abbaye Saint-Germain-des-Prés

+

18 novembre 1658

Mon très Révérend Père,

Une de nos Soeurs estant depuis très longtemps, malade de pierre et de plusieurs autre (sic) incommodités, et ne pouvant rendre aucun service à cette Maison dans l'estat d'infirmité où elle est, et pour plusieurs considérations que le R (évérend) Père Dom Martin porteur des présente (sic) vous dira de vive voix, nous suplions très humblement V (ot) re bonté luy donner obédiance (sic) pour retourner dans n (ot) re monastère de Rambervillier avec une compagne pour de la, aller prendre les eaux et les bains de plombier (Plombières) qui ne sont qu'à 3 ou 4 lieue (sic) de Rambervillier. Il y a très longtemps qu'elle devait faire ce remède comme le plus souverain à ces maux que sy N (otre S (eigneur) n'a pas agréable de la guérir, sa compagne la laissera dans n (ot) re dite Maison de Rambervillier, et en ramenera une autre capable de nous servir ; et de nous soulager pour le choeur.

Ce bon Père instruira mieu (sic) v (ot) re Révérence que ie ne le puis par ces mot (sic) et espère qu'il nous obtiendra la grâce que ie vous demande avec autant d'instance que ie suis avec respect

Mon très Révérend Père Vostre très humble et

des Bénédictines du très obéissante fille

St Sacrement le 18 et servante en N.S.

septembre (sic) 1658 Sr du St Sacrement


Le nom de la Religieuse malade

est, Nicole de la Nativité, et

sa compagne est, Marie de Jésus1

toute (sic) deux professe (sic) de n (ot) re monastère

de Rambervillier en lorraine.

(adresse)

au très Révérend

Père

Révérend Père

Prieur, de St Germain

1 Soeur Marie de Jésus, Marguerite Chopinel, née le 28 octobre 1628. Professe le 21 août 1647 à Rambervillers. Vient à Paris en 1651. Maîtresse des Novices. Meurt en singulière vénération en 1687.

164

A la Reine de France [Anne d'Autriche 28 juillet 1664]

Anne d'Autriche

+ De V (ot) re monastère du très Saint Sacrement de Paris ce 28 juillet 1664

Madame,

Pour éviter de me rendre importune à vostre Majesté par la longueur de mes lettres, i'ay prié le Révérend Père Paul (in) 1 dese transporter à Fontaine-bleau pour vous très humblement suplier Madame, de vous souvenir que vostre bonté m'a fait l'honneur de m'assurer qu'elle prendrait la peine d'escrire à nostre Sainct Père pour obtenir l'érrection (sic) d'une Congrégation des Monastères de nostre Institut. Voicy, Madame, l'occasion de Monsieur le Légat 2 qui tiendra a faveur d'accorder à vostre Maiesté, la grâce qu'elle luy demandera pour nous, ou pour mieux dire, pour la gloire du très Sainct Sacrement de l'autel en la confirmation de l'adoration perpétuelle de ce divin Mistère (sic) que nous avons professées (sic). Comme il est exprimé au Mémoire cijoinct. Ce bon Père l'expliquera à Vostre Maiesté et l'assurera de nostre part que l'on continue de prier Dieu pour la conservation du Roy et de toute la famille royalle mais singulièrement pour la vostre Madame qui est si nécessaire à l'Église pour y soutenir les interrests (sic) de Jésus Christ qui est quasi abandonné de tout le monde. C'est pour sa gloire qu'il vous fait vivre et pour la consolation de tout le Royaume et particulièrement de celle qui est avec très profonds respects

Madame

de vostre Maiesté

La très indigne et la

très fidelle (sic) servante.

Sr M. du St Sacrement R.I.

1. Provincial des Pères Pénitents du Couvent de Nazareth, place royale, Paris. Cf : Catherine de Bar, Fondation de Rouen, Rouen, 1977, p 361, note 27 bis.

2. Louis, duc de Vendôme (1612-1669), cardinal en 1667. Légat du pape Clément XI, en France, en 1668.

166

Au Révérend Père Luc d'Achery abbaye Saint-Germain-des-Prés

+(1675)

Pour ne me point rendre trop importune à nostre très Révérend père supérieur, par la longueur de mes lettres, ie vous fais, mon très honoré frère en Notre Seigneur, un petit mémoire de nos affaires desquelles vous pourrés (sic) à la commodité du très R (évérend) p (ère) l'entretenir pour aprendre ses volontés et nous y conformer comme à celles de Dieu.

Premièrement Sur les propositions que Mad (ame) Mekelbourg 1 nous à faites depuis très longtemps et souvente fois renouvellées. J'en fis une emple (sic) déclaration au R (évérend) père Texier 2 qui me dit que ie devais voir la place qu'elle voulait donner et qu'il me donnerait obéissance pour faire ce voiage quand ie le iugerais à propos. J'ay laissé la chose en surseance pour voir sy cette dame persistait. Elle n'a pas manqué de m'escrire (sic) le lendemain que i'eus l'honneur de voir le très R (évérend) père Prieur et comme on me pressait fortemen (sic) de faire responce ie donne parole d'aller sy elle envoyait un carose comme elle me l'offrait croyant que mon supérieur l'aurait pour agréable. A vous dire la vérité, ie croyais que la chose se ferait avec agrément à cause que le R (évérend) p (ère) Texier m'avait dit qu'il y faillait (sic) aller pour remarquer sy ce qu'elle donnait devait estre accepté.

1. Mekelbourg — Princesse Isabelle de, veuve de l'amiral Coligny. Elle avait offert à Mère Mectilde de fonder un monastère sur ses terres de Châtillon-sur-Loing (actuellement Châtillon-Coligny-Loiret). contrat passé en août 1676. cf : Fondation de Rouen, Téqui, 1977, p 166. Les bénédictines de Châtillon sur Loing, J. M. Voignier, Les Monographies Gâtinaises, 1998.

2. R.P. Tixier (Victor), 1617-1703. (Mort à Rouen en l'abbaye Saint-Ouen). Prieur de Saint-Germain-des-Prés de 1669 à 1675.

J'ay cependant un très grand regret d'avoir fait cette responce mais ie suis preste d'y envoyer un expres. Sy, Nostre très R (évérend) p (ère) Prieur y à la moindre répugnance pouvant vous protester, mon très honoré frère, que ie ne veux que ses volontés. Et comme ie vous ay dis plus emplement (sic) mes sentimens (sic) et mes petits desseins dites les ie vous suplie (sic), à sa Révérence afin que tout ce fasse avec son aprobation (sic).

Touchant l'abbaye de l'Etrée 3, Ordre S (ain) t Bernard et aussy le monastère des Bernardines de Courville à 15 lieue (sic) d'icy, nous pouvons prendre l'Estrée sy le R (évérend) père le iuge à propos, ou prendre le monastère des Bernardines de Courville 4 sy elles se tranfère (sic) à l'abbaye de l'Estrée comme elles le propose (sic).-

Je n'ay en toutes ces occasion (sic) d'establissement que la veue (sic) d'avoir encore en France quelque (sic) maisons de nostre Institut pour le mieu soutenir parce que ie prevois que nos Maisons de Lorraine ne nous serviront quasi point à cause que ce n'est pas la mesme province et qu'il est assé (sic) difficile d'avoir dans la suitte (sic) une parfaite union.

Vous scavez qu'il peut naistre mil (sic) difficultés entre les provinces différentes, représenté (sic) tout cecy, ie vous suplie (sic) au très Révérend père Prieur et me marquez ces (sic) volontés afin que je les accomplissent, et me faite la grâce de vous souvenir de prier Dieu pour votre pauvre et indigne Soeur et servante en Jésus et sa très S (ain) te Mère.

Sr M. du St Sacrement

R.I.

3. Abbaye de l'Estrée, diocèse et arrondissement d'Evreux (Eure). Abbaye de cisterciens, colonisée par Pontigny en 1145. Cisterciennes en 1684, venues de Trèves, puis unies à l'évêché de Quebec.

4. Courville. Prieuré de Bernardines. Cotineau T 1.Col 903.

168

Je vous prie de présenter mes obéissants respects au Révérend père Prieur et de luy demander pour moy sa s (ain) te bénédiction.


169

Mère du S. Sacrement

28.Aoust

(adresse)

Au très Révérend père

Le très Révérend père dom

Luc etc.

A l'Abbaye S (ain) t Germain

+

[manuscrit]

170

A Mère de la Nativité 1 [au monastère Notre-Dame de Liesse 3 décembre 1680]

au monastère Notre-Dame de Liesse

Paris

+ 3 décembre 1680

Je suis très obligée à ma très chère Mère de S (aint) Augustin, des soins qu'elle prend de la santé de ma très chère de la Nativité. ie scay que sa santé n'est pas bonne cet (sic) pourquoy je vous suplie (sic) avec la permission de Madame, que n (ot) re chère M (ère) de la Nativité ne jeune point, qu'elle mange des oeufs et du potage ou bouillon gras, et sy, vous luy voyez d'autre besoin je suplie (sic) v (ot) re charité d'y pouvoir, je vous rendrez, très chère Mère, tout ce que vous y employerez et je vous en seray très sensiblement obligée. C'est v (ot) re fidèlle (sic) servante en N (otre) S (eigneur).

Sr M. du St Sacrement P. ind.

(adresse)

Pour

La chère Mère de la Nativité

adoratrice perpétuelle du très

St Sacrement de l'autel

présentement

A N (ot) re Dame de Liesse 2

1. Mère de la Nativité : Anne Bourban. Professe du Monastère de la rue Cassette, le 4 novembre 1663.

2. Notre-Dame de Liesse : Prieuré de Bénédictines fondé à Rethel. Transféré à Paris en 1636 puis supprimé en 1778. Après la mort de la Supérieure en 1680, Mère Saint-Alexis, les religieuses ont demandé l'aide de Mère Mectilde.

170

A Mère de la Nativité

au monastère Notre-Dame de Liesse

Paris

+ 3 décembre 1680

172

A une religieuse de l'Institut [ décembre 1685]

+

(décembre 1685)

Ne vous troublez point sur les veues (sic) que vous avez de faire des humiliations, prenez celles que la divine providence vous envoyera (sic). Elles seront tousiours (sic) meilleurs (sic) que celles qui viendront de vostre inventions. Souvent nous voulons faire par nous mesme et nous ne pouvons souffrir ce que Dieu fait par les événemens (sic) de sa providence. Tenez vous, chère E (nfant), bien attachée à la volonté divine. Voyez la tousiours en ce qui vous arrive et ne vous arrestez jamais sur les causes secondes qui sont les créatures dont Dieu se serre (sic) pour nous affliger. Ne cherchez rien hors de vostre néant, c'est votre fort que d'y demeurer, quand vous en sortez vous faites tousiours des rencontre (sic) qui vous brouille (sic) l'intérieure (sic). Sy l'on pouvait comprendre les grands biens qui sont renfermé (sic) dans le bien heureux rien sy inconnu, l'on n'en voudrait jamais sortir. Tout à lentour (sic) du néant, il y a mil (sic) monstres qui tache (sic) de nous engloutir. Cet (sic) pourquoy tachons d'y demeurer, ou du moins quand nous apercevons des misères qui nous viennent (illisible), replongeons nous dans ce rien pour nous mettre en assurance de cent mil tentations qui se présente (sic), tantost une créature, tantost un(e) parole, et puis les rencontre (sic) qui choc nostre esprit ou qui nous cause plusieurs infidélités, ce bien heureux rien nous préserve de bien des misères où nous tombons insensiblement et fréquamment (sic).

Gardez vous aussy de vous donner la liberté descouster (sic) les paroles qui sont à deux entende (sic) ou qui porte (sic) a des (illisible). Il n'est point permis à une âme qui communie de prester l'oreille a ces horreurs quoy que honnestement, le démon y est tousiours et fait de très méchants effect (sic). Fuyez l'ombre du pécher (sic) non par un esprit critique et scrupuleux mais par respect à Dieu qui n'ayme point que son épouse ce (sic) donne ses petites libertés. Séparez vous de toutes ses badineries trop libre (sic), mais tenez vous aux pieds de ce Dieu Enfant, de ce Verbe adorable qui s'est venu anantir (sic) pour nous aprendre (sic) l'usage du s (ain) t anéantissement, la très s (ain) te Vierge vous enseignera a le bien pratiquer sy vous tachez de la regarder dans son silence et sy divin recueillement.

Je vous suis bien obligée de la part que vous avez prise à mes croix. Je ne suis pas fachée d'estre humiliée, mais priez N (otre) S (eigneur) qu'il me pardonne toutes les fautes que i'ay fais dans l'Institut et surtout dans cette misérable charge de prieure, où mon trop de douceur, où pour mieux dire de sotte et imprudente bontés (sic) ; je puis estre cause de la liberté que l'on a prise de produire tant de fausetés (sic). Le gain de mon procès ne remply pas mon coeur de joye, il demeure sous les pieds du divin Maistre pour y estre tousiours froissé et anéanty en la manière qu'il luy plaira. Je n'ay qu'à souffrir et mourir. Il ne faut vivre en ce monde que pour cela, car rien de la terre n'est capable de nous donner de la joye, aussi n'en veux ie pas gouster. Mais réiouissons nous que n (ot) re fin aproche (sic), et que par la mort, la source du péché sera tarie en moy. Ne m'oubliez pas en vos s (ain) tes prières, je suis bien obligée à la charité de la chère m (ère) Prieure 1 et à toute la Communauté qui s'est tant intérressée (sic) pour moy, N Cotre) S (eigneur) la récompensera bien par sa miséricorde.

(sans signature et sans adresse).

1. Mère Bernardine de la Conception Gromaire. Prieure du 2' monastère de Paris, rue Neuve Saint-Louis. Puis Françoise Charbonnier, professe de Toul en 1666, Prieure de Paris de 1685 à sa mort en 1709.

Lettres inédites, Téqui 1976, p 227 n° 5.

Fondation de Rouen, Téqui, 1977, p 143.

[manuscrit]

178

A la Mère Prieure Radegonde de Beauvais 1 [à Varsovie Pologne 13° may 1688]

à Varsovie Pologne

... C'est un abisme de merveille (sic), où pour mieu (sic) dire ce sont des miracles, et qu'il faut publier pour la gloire du divin Maistre qui tient dans ses adorables mains le coeur royalle (sic) de la reine. Vous voyez beaucoup, mais vous vairez (sic) encore davantage. Ayez toute (sic) bon courage N (otre) S (eigneur) est avec vous et sa très s (ain) te Mère qui vous bény. Je suis en son amour toute à vous d'une tendresse inexplicable.

Sr. M. du St Sacrement P. indigne

(adresse) 13° may

Pour 1688

la Révérende Mère

Supérieure et la chère Com

munauté

Lettre contenant une mèche de cheveu de Mère Mectilde. Ne pouvant se rendre elle-même en Pologne, elle aurait envoyé une mèche de ses cheveux à la Communauté pour contenter leur désir de sa présence.

(Fin d'une lettre éditée en entier in Catherine de Bar. En Pologne avec les Bénédictines de France, 1984, p. 142.)

1 Mère Beauvais de Gentilly (Radegonde). Profession rue Cassette le 3 août 1669. Prieure à Varsovie de 1688 à 1691. Décédée à Paris le 12 novembre 1737.

180

A une religieuse de l'Institut [4 may 1691]

4 may 1691

Non, il ne faut point faire connaistre les productions de y (ot) re fond qu'à ceux ou celles qui ont la conduitte (sic) de y (ot) re intérieur et non à d'autre (sic) cela n'est pas dans le bon ordre, ni dans les règles de perfection.

3, Chose est l'attrait pour les pénitences,

Je vous advoue que v (ot) re zèle sur cela m'est un peu suspect ; ce n'est pas que je n'ayme les âmes pénitentes, elles me sont bien précieuse (sic) mais comme c'est v (ot) re attrait, il faut le régler et prendre toutes les croix de providence en esprit de pénitence et mil (sic) choses qui mortifie (sic) la nature et l'esprit humain. Il me semble que vous ne voulez pour pénitence que des macérations corporelles Et cependant ce ne sont pas les plus sanctifiante (sic) l'amour propre y prend bien souvent sa bonne part ; mais les autres pénitence (sic) sont plus cachée (sic) et plus agréable (sic) à N (otre) S (eigneur). Résolvé (sic) vous donc à les faire de la sorte et N (otre) S (eigneur) vous bénira. Mourant ainsi à vostre propre volonté et à y (ot) re esprit tandis que vous avez des supérieures sage (sic) et qui veulent Dieu, ne demandez point permission à v (ot) re Confesseur, la S (ain) te Règle vous lie à vos Supérieure (sic) pour moy j'en demeurerais à leurs sentimens (sic) avec humble soumision, la grâce y est renfermée.

La 4 chose est sy vous devez rester en repos de conscience.

Je dis devant Dieu que OUY, et qu'il est temps que vous sacrifiez tous vos retours et vos réflexions sur vostre vie passée et sur vous mesme, ne vous arrestez plus suivez v (ot) re course, le temps est bref. Nos amusemens (sic) sont grand (sic) soub prétexte de vertu. Passez donc vostre chemin sans retour. Allez où la grâce vous conduit, suivez N (otre) S (eigneur) qui vous apelle (sic) à sa suitte (sic), en vous quittant et vous outrepassant vous mesme pour trouver et posséder uniquement Jésus Christ.

Je puis vous protester en sa s (ain) te présence que je n'ay rien diminuez (sic) de la tendre affection qu'il m'a donnez (sic) pour vous et qu'elle durera iusques a (sic) l'éternité puis qu'elle (sic) est fondée en luy, par luy, et pour luy.

En foy de quoy, ie signe la présente protestation, le 4 may

1691.

Sr M. du St Sacrement

P. indigne

Dès que i'auray la permission, ie m'en iray chez vous certainement, ie ne puis plus différer.

(sans adresse — sans signature)

[manuscrit]

184

A une religieuse du monastère de Saint-Louis à Paris [Samedy 5 de l'an 1692]

+

Samedy 5 de l'an 1692

Vostre chère lettre, ma plus chère Mère, m'a donné une sensible consolation, voyant tousiours vostre bon coeur au milieu des abismes d'abjection où la divine providence ma (sic) plongée.

Je vous advoue que N (otre) S (eigneur) m'y a fait trouver la joye et la satisfaction qui n'est pas concevable mais N (otre) S (eigneur) connaissais (sic) ma faiblesse, j'avais besoin de son secour (sic), pour me soumettre à ses adorables conduittes (sic) qui n'estait (sic) pas bien agréable à l'esprit humain.

Je crain (sic) que je ne les chérisse pas assez et que N (otre) S (eigneur) les retire (sic). Cependant ie ne demande pas le retour de la médail (sic). Je connaist (sic) les merveilles de graces qui sont renfermée (sic) dans ses estats humiliez (sic). Il me semble que mon dégagement est plus grand et que je n'ay plus rien à craindre. J'ay tout perdu ce que l'amour propre chérissait le plus. Il reste encore à sacrifier la nature pour les grandes douleur (sic) que ma nature crain (sic). Il faut néantmoins espérer que lorsqu'il — N (otre) S (eigneur) — m'en donnera, il me fera la grâce de les souffrir par vos s (ain) tes prières qui m'ont attirés (sic) tant de bénédiction (sic). Continuez les ie vous suplie et pour ma pauvre Mère Ancienne, que je voudrais bien voir en paradis, elle souffre beaucoup et souffrira bien encore davantage.

Je vous prie, très chère Mère, pour vos affaires spirituelle (sic) et temporelles de vous adresser à la glorieuse s (ain) te Geneviet (sic) (Geneviève) ; elle vous secourera et nous aussy, et disposera le coeur de mad (ame) de Bois D (auphin)2.

Ne soyez point en peine de vos lettres, ma très chère Mère, ie vous assure que ie les brusle fort exattement (sic), mais puisque vous désirez que ie vous les renvoye, ie le feray ponctuellement ; ie respondray sic) à ce que vous voulez me consulter et vous renvoyeray (sic) vostre lettre fort fidéllement (sic) avec la responce (sic), si N (otre) S (eigneur) me donne la grâce et la capacité de la faire ; mais comptez tousiours que ie suis indigne de ses divines lumières, soyez bien persuadée, très chère Mère, que toute misérable que ie suis, ie suis très sincèrement toute à vous.

Je me tient (sic) preste à partir lors que l'on me l'ordonnera, l'on ma donnez (sic) quelque (sic) advis la desus (sic) sy ma pauvre bonne Mère estait en paradis, je vous assure que ie partirais avec plaisir mais i'ai une peine incroiable (sic) de quitter cette pauvre souffrance (sic) qui serait tout à fait troublée sy je l'abandonnais. Elle voudrait aller chez vous mais helas vous avez vostre poid (sic), il ne faut pas l'augmenter. S'il faut que ie quitte P (aris), je la mettray entre vos mains et vous serez sa bonne Mère, cela ne sera plustost qu'a Pasque (sic), car on troublerait la plus part (sic) de la communauté qui ne veut point que ie sorte. Je prie N (otre) S (eigneur) nous faire faire sa très adorable volonté.

J'aurais bien des choses à vous dire sur cette Maison, tout est à la veille d'un grand trouble, mais j'espère que N (otre) S (eigneur) y pourvoira, priez le bien qu'il nous préserve de division. Le démon fait son possible pour cela.

A Dieu, il faut que ie quitte ma lettre pour vous recommander notre pauvre Mère qui est bien mal auiourd'huy. Si elle était en paradis, il me semble que ie souffrirais toute choses (sic) plus à mon aise car ses peines sont mil (sic) fois plus grandes que les miennes, et pour peut (sic) qu'elle en sache des miennes cela la trouble et la fait mourir. Je vous la recommande et suis toute à vous.

(sans signature et sans adresse).

1. Ma pauvre Mère Ancienne : Mère Bernardine Gromaire avait reçu Mère Mectilde au monastère de Rambervillers dont elle était Prieure. C'est elle qui lui donna l'habit de saint-Benoît le 2 juillet 1639. Cf : Lettres inédites p. 218.

2. Mme de Bois Dauphin. Madeleine de Laval (1646-1729), maréchale de Bois Dauphin, fille de Guy, chevalier de Bois Dauphin, marquis de Laval et de Marie Séguier, veuve du marquis de Coislin. Saint-Simon, Mémoires, t. 2.

[manuscrit]

190

A Mère Saint-Placide du Monastère [de Saint-Louis à Paris 17 octobre 1693]

de Saint-Louis à Paris

+

17 octobre 1693

Vous direz tous les fours, avant toute chose un «Veni creator», trois fois «Monstrate esser»(sic) apres vous entreré (sic) en matière par les iujets (sic) que vous avez prist (sic) pour vostre retraitte.

Je vous conseil (sic) de vous y apliquer (sic) sur les choses qui sont de pratique et d'usage dans vostre estat et vostre profession, remarquez, très chère, en quoy vous estes plus assuiestie (sic) (assujettie) et les manquemens (sic) que vous y pouvez faire afin que nous pustion (sic) (puissions) régler, ce qui regarde v (o) tre conduite car tout consiste à bien faire ce que nous avons à faire et à nous sanctifier dans les employs que la providence et l'obéissance nous donne à faire.

Sur la chère vostre du 14 du courant, très chère Mère, ie voudrais bien que N (otre) S (eigneur) me fit la grâce de vous ayder à faire une bonne retraitte (sic) pour trouver N (otre) S (eigneur) en vous et demeurer avec luy dans toutes les occupassion (sic) de la journée. Je suis touchée de l'accablement où vous estes par des occupassion (sic) qui ne cesse (sic) point, et qui dévore (sic) v (ot) re temps et vos forces.

J'en ressens de la douleur ne croiant (sic) pas que vous y pussiez subsister sans quelque secour (sic) de grâce extraordinaire. Je prie N (otre) S (eigneur) vous la donner ; ie veux l'espérer de sa divine miséricorde, et vous, très chère, demandez la à la très Immaculée Mère de Dieu cet (sic) de sa pure bonté que vous devez l'espérer. Je m'attend (sic) bien qu'elle vous assistera, étant certaine qu'elle ne vous refusera.

Commencé (sic) v (o) tre retraitte en vous jetant à ses pieds, la supliant (sic) de vous y favoriser de sa protection et qu'elle vous y conduise, vous enseignant à demeurer ferme en Dieu pour faire et souffrir ce qu'il vous plaira.

Je voudrais que vous m'escriviez sy vous le pouvez tout cela sur quoy vous pourriez faire vostre retraitte utilement. Voyez, très chère, sy cette proposition vous estes (sic) agréable. Je considère que le plus important à n (o) tre perfection est de faire ce que Dieu veut, c'est où nous devons nous apliquer (sic) sérieusement et trouver Dieu dans tout, et le voir partout, en un mot il faudrait que nous vivions icy bas comme sy nous estions au Ciel comme dit S (ain) t Paul.

Ne vous effrayez point de vos faiblesse (sic), ny de vos promptitude (sic), ce sont des saillies qui doivent vous humilier et nons (sic) vous troubler, ny perdre vostre paix. Il faut estre à Dieu comme il veut que nous y soyons, dans tous les tracas qu'il donne. Sy nous ne voyons rien hors de sa divine volonté, nous ne serions jamais troublée, ny inquiétée, parce que n (ot) re perfection estant de faire sa très s (ain) te volonté, nous jouirions de sa s (ain) te présence dans nos tracas. Aprenons (sic) à estre à Dieu au desus (sic) de tout ce qui est, et qui n'est pas.

Voilà comme ie voudrais vivre, mais hélas i'en suis éloignée infiniment ; mais il faut que vous y aspiriez pour estre stable et invariablement à Dieu.

O, très chère, que vous seriez heureuse d'estre là, car vous feriez toute choses (sic) et souffrier (sic) tout sans aucune altération, vous seriez stabiliée en Dieu, ie suis en luy toute à vous n'en douttez jamais.

Sr M. du St Sacrement P. ind.

Samedi 17 octobre 1693.

(adresse)

Pour

La chère Mère de St Placide 1

En mains propre, rue Neuve

St Louis.

A Paris.

1 Mère Saint-Placide : Philbert Marguerite. Profession le 21 novembre 1669 à Toul. Fait partie du premier groupe de moniales venant de Toul, le 30 mai 1674. Est décédée le 3 mai 1730.

[manuscrit]

A la Révérende Mère François de Paule 0 [Monastère de Saint-Louis au Marais ler aoust 1695]

Monastère de Saint-Louis au Marais

ler aoust 1695

Comme nous n'avons pas trop de temps pour Pologne, il faut, s'il vous plait, Ma très R (évéren) de et chère Mère, que vous preniez la peine de nous amener la chère Mère du S (ain) t-Esprit 1 pour que nous ayons le temps avant son despart de luy dire plusieurs chose (sic) qu'il faut qu'elle soit instruite. Je crois que Monsieur vostre Supérieur vous donnera bien facilement permission la chose estant de conséquance (sic). J'attend (sic) des R (eligieu) ses de Rouen pour accompagner n (ot) re chère Mère du S (ain) t- Esprit. Elle (sic) ne tarderont point d'arriver ; et ainsi il faut avancer le plus que l'on pourra. Prenez vos mesures, ma très chère Mère pour avancer et prie Dieu pour moy qui suis de coeur en Jésus toute à vous.

Sr. M. du St Sacrement

P. ind.

Ce lundy 1 aoust 1695

(adresse)

a la Révérende Mère

A

La très Révérende Mère Prieure

des Rses du St Sacrement rüe

Neuve St Louis au Marais

A Paris

0 Françoise Charbonnier (1642-1709). Née à Saint-Mihiel, professe de Toul le 15 mai 1666. Prieure du monastère de Saint-Louis au Marais à Paris du 21 mars 1685 à sa mort.

1. Mère du Saint Esprit. Boutilly Agnès Françoise. Professe de Saint Louis au Marais. 10 février 1687. Retour en France en 1698. Cf : En Pologne avec les Bénédictines de France, Téqui 1984, p. 439.

[manuscrit]

198

A la Révérende Mère François de Paule Monastère de Saint-Louis au Marais [30 avril 1697]

30 avril 1697

Je viens vous dire, ma Révérende et plus chère Mère, que i'ay fais les offices tel qu'elle (sic), avec bien de la peine, car je suy (sic) trop vieille pour bien faire cela, mais s'en est fait pour le présent. Ces sortes de remuement (sic) ne sont pas agréable (sic), mais il a falu faire cela pour obéir. Je vous conjure de prier la sacrée Mère de Dieu les bénir. Je doute fort que vous obteniez ce que l'on vous propose. Autrefois le Roy y estait oposer (sic). Je crois bien que sy M (onsieur) l'archevesq (sic) 1 le veut demander comme il faut à sa Maiesté en luy représentant l'estat où vous estes, cela le deverait (sic) toucher. Je prie l'auguste Mère de Dieu de luy donner une bonne inspiration. Nos Mères de Dreux n'avance (sic) pas parce qu'il n'y a point de Maison qui veuille s'en charger ainsi que vous avez veu le mémoire. Il faut un secour (sic) de la divine providence efficasse (sic).

1 Monseigneur l'archevêque Louis Antoine de Noailles (1651-1729). Cardinal le 21 juin 1700 au titre de Sainte-Marie de la Minerve.

Je recommande à vos saintes prières le bon M (onsieu) r de Grainville 2 Ceste (sic) une perte pour nos Mère de Rouen et de Dreux 3. Dieu est le Maistre et le souverain de tout, il faut l'attendre et l'adorer.

Nous sommes assez doucement, ie n'osais espérer cette grâce car je suis bien sotte et bien incapable de bien faire. Je devint (sic) sy pauvrette et sy misérable que je ne scay comme l'on me peu (sic) souffrir. Je seray cependant bien aise de vous voir très chère Mère. Je ne scay sy M (onsieur) de Toul 4 est party, il ne poursuit point son procès. J'attend (sic) les momens (sic) du Seigneur pour tout ce qu'il luy plaira. Je le prie (de) vous bénir et toutes vos affaires. J'espère que la providence y pourvoira. Sy vous avez fait ce que vous proiestier (sic) pour contenter vos créanciers vous serez un peu de temps en repos en attendant que N (otre) S (eigneur) y pourvoye. J'espère toutiours qu'il le fera mais il faut une grande patience. Dite moy des nouvelles de vostre santé (?).

Nous allons repasser sur les Constitutions pour tacher de les pratiquer. Nous retranchons les ouvrages particuliers et les petis (sic) commerces pour trafiquer (?) de crainte que la s (ain) te pauvreté ne ce (sic) trouve embarrasée, Dieu nous fasse la grâce de

2. Mr de Grainville. Claude, prêtre, bienfaiteur dont nous retrouvons souvent la signature ainsi que celle de son frère Philippe, sur nos livres de compte. Cf : Fondation de

Rouen, Rouen, 1977 p 336, n° 81.

3. Dreux : monastère agrégé à notre Institut le 23 février 1696. Mais n'obtint ses lettres qu'en 1701. Cf : Fondation de Rouen, Téqui, 1977, p. 336, n 81.

4. Mr de Toul : Henry de Thyard de Bissy. 87e évêque de Toul (1692-1704) Cardinal le 29 mai 1715, meurt à Paris en 1737. Tellement apprécié de ses diocésains qu'il dut quitter Toul presque incognito. Cf : En Pologne avec les Bénédictines de France, Téqui, 1984.

199

nous retirer de tout cela pour le bien de toutes. Je puis vous dire quefay fait les offices dans l'amertume de mon coeur, mais il faut souffrir et abandonner tout.

(adresse) f

Pour

La Révérende Mère

Prieure des filles du très st Sacrement rue Neuve St Louis A Paris -

[manuscrit]

202

A la Révérende Mère François de Paule [Monastère de Saint-Louis au Marais Samedy 18 octobre 1697]

Monastère de Saint-Louis au Marais

+

Samedy 18 octobre 1697

Je viens vous dire, ma très chère R (évéren) de et plus chère Mère, que la R (évéren) de Mère Prieure de Nancy sera demain sur les 10 ou 11 heure dans Paris. Je vous demande sy d'abord vous pouvez les recevoir et loger 2 ou 3 fours, parce que notre bon père Prieur 1 mourut hier et que nous n'avons point de supérieur que le Seigneur Archevesque, a qui i'ay déjà escrit 3 ou 4 fois sans pouvoir tirer aucune responce (sic), cela m'ambarrasse (sic) beaucoup pour toutes les deffences (sic) qu'il a fait. Je crois que je pourais (sic) les recevoir mais je ne puis leur permettre de sortir pour leurs affaires. C'est un abisme de tirer une responce (sic) de Monseigneur. Je vous prie me dire sy vous pouvez les laisser sortir quand vous les aurez receu (sic). Sy vous ne le pouvez, il faut qu'elles vienne (sic) tout droit avec nous et qu'elles y demeure (sic) tant qu'il plaira à mon dit Seigneur leur permettre de sortir.

Je vous suplie me donner une responce (sic) positive et de me croire toute à vous.

Sr M. du St Sacrement P. Ind.

(adresse)

Pour

la Révérende Mère

Prieure des Filles du

Saint-Sacrement rue Neuve

St Louis

à Paris

1 Dom Antoine Durban, profès de Saint-Remi de Reims, 22 août 1646. Procureur général des mauristes à Rome (1672-1680). Particulièrement estimé de toutes les communautés du Faubourg Saint-Germain-des-Prés.

[manuscrit]


VI Mère Mectilde et Mère Anne ARCHIVISTES DE ROUEN

Le récit des derniers mois de Mère Mectilde est tiré du manuscrit appelé P. 101, terminé le 26 avril 1701, rédigé par la propre nièce de notre fondatrice Mademoiselle de Vienville, qui a vécu près d'elle au monastère de la rue Cassette et qui a rassemblé en plus de ses propres souvenirs, des Mémoires de la Comtesse de Chateauvieux, de la Comtesse de Rochefort, du Père Picoté et du Père Paulin. Excepté ce qui a été conservé dans ce manuscrit P.101, ces Mémoires n'existent plus dans les archives de nos monastères.

"Le jour des Rois de l'année 1698, Notre-Seigneur fit reproche pendant le salut à la Mère Mectilde du Saint-Sacrement de ce qu'elle n'était pas encore abandonnée totalement. Ces reproches la touchèrent vivement, et elle dit à Notre-Seigneur : "N'êtes-vous pas le maître souverain, je veux vos volontés et je m'y abandonne."

Mais pressée de nouveau par un sentiment intérieur qui lui faisait connaître que Notre-Seigneur n'était pas satisfait, elle lui fit un acte d'abandon dans toute l'étendue des lumières qui lui en avait donné, c'est-à-dire sans limites et sans restriction, et elle le fit malgré les répugnances de la nature qui en envisageait alors

205

toutes les suites, il lui vint en même temps clans l'esprit qu'elle deviendrait percluse entre les mains d'autrui ce qu'elle appréhendait le plus naturellement n'aimant point à dépendre des autres par l'état d'infirmité. Cependant, Notre-Seigneur voulut cette épreuve.

Le lendemain après la messe du couvent, elle dut encore faire la lecture dans la chambre commune et parla à ses filles avec tant de bonté qu'elles en furent comblées. Étant remontée à sa cellule, elle y fut attaquée d'apoplexie, ayant dit à Notre-Seigneur : "Est-ce ici la vie ou la mort", il ne lui fut rien répondu là-dessus, sinon abandonne toi ; ce qu'elle fit sans retour. On courut aux sacrements et en recevant la dernière onction, elle perdit la parole et la connaissance, mais non sa tranquillité. Une paix divine parut toujours sur son visage mourant, dans le moment qu'elle fut frappée, elle souffrit des douleurs inconcevables par tout le corps et encore plus dans la tête. Il lui semblait que tous ses os se disloquaient et que ses nerfs se rompaient. Elle fut quelque temps abandonnée à ses douleurs, son esprit en était occupé et elle en fut tirée sans savoir où elle était, soit au Ciel ou en terre. Étant comme passée en Dieu dans une grande paix et un parfait repos, elle eut bien voulu qu'il lui eût été permis de rester dans cet heureux état, mais à peine en eût-elle goûté la douceur qu'on l'obligea à en revenir sans savoir pourquoi, ni ce que l'on voulait faire d'elle, lui étant seulement dit intérieurement qu'elle eût à s'abandonner. Elle reçut alors la grâce d'un entier abandon et elle revint en effet, mais une partie d'elle-même resta dans ce bienheureux centre, se trouvant bien plus dégagée et séparée de tout le créé qu'auparavant, lorsque tout ceci se passait clans son âme, les médecins employèrent tous les secrets de leurs arts pour la faire revenir de cette extrémité.

Toute la communauté fit des voeux au ciel pour sa guérison, ayant été un temps considérable sans donner aucun signe de vie, d'ailleurs il était à craindre que tout au moins cet accident ne la rendit percluse selon l'état et la vue qu'elle en avait eu ; mais

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Notre-Seigneur s'étant contenté de son sacrifice ne permit pas qu'elle resta pour toujours en cet état. Sa santé se rétablit en peu de temps à la réserve d'une pesanteur de tête qui faisait appréhender une nouvelle rechute.

Le jour de la Purification (2 février), elle se trouva parfaitement guérie, mais sa vie n'a plus été qu'une langueur, vivant sur la terre d'une manière si dégagée qu'elle semblait n'y tenir plus à rien. Tout ce qui s'est passé depuis le temps dont nous parlons jusqu'à la fin de sa vie, nous fait juger que sans cette grâce du pur abandon qui lui fut donnée, il eût été presque impossible qu'une personne accablée sous le poids de l'âge et des infirmités continuelles eût pu soutenir comme elle a fait avec une douceur angélique un courage intrépide et une égalité d'âme que rien au monde n'a pu troubler. Toutes épreuves qu'elle a portées dans ses dernières années, pendant ses jours de douleurs, tout ce qu'elle entreprit tourna en croix pour elle et ces croix se succédant les unes aux autres par un secret de la Sainte providence ne la laissèrent pas un moment sans souffrance, mais loin de s'en plaindre, et même plus elles étaient dures et amères à la nature, plus son coeur se dilatait en désir de souffrir et c'est aussi dans ces rencontres qu'elle ne cessait de louer et bénir Dieu avec plus d'ardeur.

Dans ces années d'épreuves, l'on noircit sa réputation par des calomnies, on désapprouva sa conduite, on blâma sa trop grande confiance en Dieu, l'on trouva même à redire à son extrême bonté; ce qui avait été dans sa prospérité des sujets d'admiration, devint ensuite la matière de son humiliation, et chacun se crut en droit d'en parler à sa mode sans qu'elle ouvrit la bouche pour se justifier, quoi qu'il eût été facile de le faire.

Ce qui la touchait le plus vivement était de voir souffrir ses filles à son occasion, elle leur disait quelquefois avec sa douceur ordinaire : "Je suis le Jonas, il me faut jeter dans la mer et la tempête s'apaisera." Plus on abaissait cette digne Épouse de Jésus anéantie, plus elle s'humiliait elle-même, jamais sa vertu n'a paru plus consommée, il n'y paraissait plus aucun mouvement de nature.

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On ne voyait en elle, en toute rencontre que mort et anéantissement, Dieu même s'est souvent mis de la partie pour la crucifier, lui faisant porter des états de ténèbres, de sécheresse et d'une mort terrible dans l'intime de son âme, et même quelques années avant qu'il lui plût de consommer le sacrifice de la victime il l'affligea par une vue continuelle qui lui faisait croire qu'elle était réprouvée et perdue sans ressource.

Ces dispositions pénibles lui furent ôtées quelques mois avant sa mort, il ne lui resta plus que la vue de son néant et l'augmentation de ses infirmités corporelles qu'elle soutint dans sa paix et sa douceur ordinaire. Enfin après avoir reçu une infinité de grâces des plus extraordinaires, après avoir été plusieurs fois retirée comme par miracle des portes de la mort dans plusieurs maladies qui l'avaient mise hors d'espérance de guérison, il plût à Dieu lui faire connaître que l'heure de sa mort approchait.

Environ six semaines auparavant, elle commença à prévenir ses filles sur cette séparation afin de les disposer à se soumettre aux ordres de Dieu lorsque ce moment arriverait.

Le jour de sainte Mectilde de l'année 1698 (26 février), comme elle s'entretenait avec ses filles, une d'elle lui voulut baiser la main, elle lui dit : "Baisez, baisez cette pourriture qui sera bientôt la pâture des vers", et continuant à parler sur ce sujet elle leur dit avec ses manières agréables : "Vous voudriez bien voir votre mère élevée, exaltée, faire des prodiges et des miracles mais il n'en sera rien". Elle continua plus d'une heure à leur parler sur cette matière leur disant les choses du monde les plus touchantes. Elles sortirent toutes de cette conférence le coeur pénétré de douleur.

Pendant la Semaine Sainte, elle assista encore à tous les Offices. Le mardi de Pâques, étant allée à une chapelle dédiée à la sainte Mère de Dieu qui est dans le jardin, elle y resta depuis quatre heures jusqu'à cinq prosternée aux pieds de cette sainte Vierge. Une religieuse qui venait la chercher la voyant dans une si grande application fut quelque temps sans oser l'interrompre, mais enfin elle la pria de revenir, dans la crainte qu'elle ne fut

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incommodée si elle y restait plus longtemps. La Mère répondit qu'elle ne le pouvait pas parce qu'il fallait qu'elle remit l'Institut et toute la communauté entre les mains de la sainte Mère de Dieu. Il y a lieu de croire qu'elle reçut dans sa prière de nouvelles certitudes de sa mort, car au sortir de là, une religieuse ayant demandé à lui parler, elle en parut encore si occupée, qu'au lieu de répondre sur ce qu'elle désirait, elle ne lui parla que de sa mort et comme cette religieuse lui dit : "Pourquoi, ma Mère, me dites-vous des choses si affligeantes." Elle lui répondit : "Je me sens pressée intérieurement de vous disposer à faire ce sacrifice, afin que, quand le moment en sera venu, vous vous soumettiez à l'ordre de Dieu et qu'au lieu de vous amuser à vous attrister, vous vous adressiez à la sainte Mère de Dieu votre unique supérieure pour recevoir de ses mains celle qu'Il choisira pour présider en son Nom, sans envisager les suites." Elle lui donna encore plusieurs autres instructions sur ce sujet. Cette religieuse reprenant la parole lui dit : "Vous nous aviez donné quelque espérance que Notre Seigneur ne vous retirerait point de ce monde que vous ne fussiez quitte de vos affaires." Elle lui répondit : "Il n'y a plus rien à attendre de ce côté-là, je dois mourir dans l'amertume et dans l'anéantissement, tel est l'ordre de Dieu sur moi. je l'adore et je nie soumets. Cependant, je ne doute point que quand Dieu m'aura anéantie au point qu'il le veut, il ne relève son oeuvre, mais il ne faut pas quef en ai le plaisir. je dois mourir dans la douleur."

Un de ses amis étant venu ce même jour pour la voir, elle pria une religieuse d'y aller pour elle et de lui dire qu'elle n'était plus de ce monde, qu'elle lui disait adieu et se recommandait à ses prières.

Le lendemain, étant allée voir une vertueuse dame pensionnaire dans la maison, elle lui dit : "Je me sens pressée et attirée d'aller à Dieu. La seule douleur de mes pauvres filles m'arrête mais il faut qu'elles s'y préparent et dans peu."

La nuit du mercredi au jeudi dans la semaine de Pâques, elle se leva encore à son ordinaire, pour faire ses trois heures d'oraison

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et dire son bréviaire. Le matin, quoiqu'elle se trouva fort mal, elle ne laissa pas de dire son Office, mais elle ne put descendre au choeur pour assister à la messe du couvent et communier avec les Soeurs, parce qu'il lui prit un grand vomissement avec une grosse fièvre qui l'empêchèrent de participer à ce bonheur.

Sur les onze heures pendant la grand-messe, qu'elle pouvait entendre de sa cellule, elle voulut se mettre à genoux pendant l'élévation de la sainte Hostie mais il lui prit une si grande faiblesse qu'on fut obligé de lui administrer promptement les derniers sacrements qu'elle reçut avec une piété et dévotion tout à fait extraordinaire. Elle demanda pardon à la communauté avec une humilité profonde, elle dit elle-même le Confiteor. Étant assise sur sa paillasse, les mains jointes avec une paix et une tranquillité qui marquait l'union de son âme avec son Dieu, et on remarqua cette disposition jusqu'au dernier soupir. Elle répondit à toutes les prières avec une grande présence d'esprit.

Le vendredi, elle parut mieux.

Le samedi, une dame, bienfaitrice de la maison étant entrée pour la voir, elle lui dit "Quoi, ma Mère, vous voulez nous quitter." Elle lui répondit : "Oui, Madame" avec une voix ferme comme si elle n'eût point été malade, "je m'en vais à mon Dieu."

Le même jour, elle se trouva si mal qu'il ne resta aucune espérance. Son Confesseur à qui elle désira de parler, la confessa et la communia.

Le dimanche à minuit, elle reçut son Dieu en esprit de réparation de toutes les négligences commises en sa présence ; ce qu'elle fit avec une foi, un amour et un saint transport qui la tenait comme hors d'elle-même et transportée en ce Dieu d'amour qu'elle venait de recevoir. Elle fit encore à genoux son action de grâce qui dura une demi-heure. Depuis ce moment, elle empira toujours.

Vers les six heures, le Révérend Père Paulin ex-provincial des religieux pénitents, son Confesseur, lui ayant demandé à quoi elle pensait, elle lui répondit : "J'adore et je me soumets" ; ensuite il lui ordonna de bénir toute la communauté qui l'avait chargé de lui demander pardon pour elle et, de la prier, de les recommander à Notre Seigneur. Après les avoir bénies, elle dit : "Elles me sont toutes présentes, dites leur, mon Père, qu'elles se jettent à corps perdu entre les bras de la sainte Vierge, j'aurai bien des choses à leur dire mais je ne le puis." Le Père lui répondit : "Il suffit que Dieu le connaît."

Depuis ce moment jusqu'au dernier soupir, elle parut dans une très grande application à Dieu, baisant son crucifix, le serrant sur son coeur, jetant des regards amoureux sur l'image de la sainte Vierge qui était au pied de son lit et levant fréquemment les yeux au Ciel. Deux heures avant sa mort, elle se fit encore toucher le pouls pour savoir si l'heure approchait. Mais on lui dit qu'il était toujours en même état. Ses yeux étaient aussi doux qu'à son ordinaire. Elle les arrêtait quelquefois sur la communauté désolée qui était autour de son lit et ensuite elle les élevait à Dieu comme pour lui offrir leurs peines et demander les grâces dont elles avaient besoin pour faire leurs sacrifices en la manière la plus parfaite. Plusieurs ont ressenti intérieurement les effets de son pouvoir dans cette occasion. Sur les deux heures après midi, elle se leva assez ferme et s'assit sur son lit puis ayant appuyé sa tête sur son oreiller à peine y fut-elle, qu'elle rendit son âme à Dieu, mais si doucement qu'on ne pouvait croire qu'elle fût passée. Cette mort arriva le dimanche de Quasimodo, 6è d'avril 1698, âgée de quatre-vingt trois ans, trois mois et six jours. Si tôt qu'elle fut passée, toute la communauté alla se jeter aux pieds de la sainte Vierge pour lui demander du secours dans une si grande privation. Elle avait défendu qu'on l'ouvrit après sa mort et qu'on lui changea de vêtement, ce qui fut exécuté ; malgré les instantes prières de la seconde maison de Paris qui demandait son coeur.

On tint qu'elle a voulu cacher par là l'excès de ses austérités ; exercices dont les marques étaient sans doute demeurées imprimées sur son corps.

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Pendant le temps qu'il fût exposé au choeur, ce fut un concours infini de monde. L'église était toujours pleine, il fallait de temps en temps ouvrir la grille pour satisfaire le désir qu'on avait de la voir de plus près et contenter la dévotion du peuple qui la réclamait comme une bienheureuse. On ne cessait de faire passer des chapelets et toutes sortes de choses pour les faire toucher au corps de cette pieuse institutrice. On ne peut marquer plus de vénération que l'on en fit paraître pour sa vertu à laquelle on donnait mille louanges. Chacun témoignait des sentiments de compassion pour la communauté sur cette perte. En effet, l'affliction était si grande qu'il fallût que les révérends Pères Bénédictins chantâssent le premier service sur le corps et qu'ils fissent ensuite l'enterrement. Le second service fut chanté par les révérends Pères Cordeliers et le troisième par les révérends Pères Prémontrés. Le trentième fut chanté par les religieuses.

Trois jours après, on fit l'élection d'une Prieure, il parût que cette vertueuse défunte présida encore par son esprit en ce chapitre. La Mère Anne du Saint Sacrement (Loyseau), lui succéda contre toute apparence d'autant que plusieurs de la communauté ne se portaient pas à ce choix ; cependant de la première fois que l'on tira, elle fut élue.

Son gouvernement ne parut point différent de celui qui était auparavant et il semblait que notre vertueuse Mère avait fait passer son esprit en celle qui lui succéda comme autrefois Elie laissa le sien à Elisée.

On ne peut finir sans dire un mot des perfections tant du corps que de l'âme dont elle était redevable au Seigneur. Elles ont été proportionnées aux desseins de Dieu sur elle, et l'on trouvera peu de personnes plus accomplies et plus généralement estimées qu'elle l'a été des grands et des petits.

Les Reines de France et d'Angleterre traitaient avec elle aussi familièrement que si elle eût été de leur rang ; Monsieur de Lorraine, Madame la duchesse d'Orléans, Marguerite de Lorraine et un grand nombre d'autres princes et princesses

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l'honoraient de leur confiance et de leur amitié, ce qui fut depuis 1660 jusqu'en 1675 qu'elle reçût de plus grands applaudissements, car alors on ne parlait que du mérite et de la vertu de la Mère Mectilde du Saint Sacrement, chacun lui donnait des éloges, et sa réputation s'étendit dans les provinces les plus éloignées.

Une religieuse de l'Institut nommée la Mère Hostie lui dit un jour : "Je ne crois pas, ma Mère, qu'il y ait jamais eu une personne plus honorée et estimée que vous." Cette vénérable Mère, la regardant avec sa douceur ordinaire lui exprima les sentiments de son coeur par ses paroles : Hostie, Hostie, exinanite, exinanite usque ad fondamentum in ea. Autant vous me voyez exaltée, autant vous me verrez un jour abaissée, humiliée et méprisée. Cette religieuse lui répondit : "Cela est impossible et à Dieu ne plaise, que je voie jamais telle chose, elle lui confirma, et elle l'a encore assuré à d'autres avec tant de certitude que nous ne pouvons pas douter qu'elle n'en ait eu une "parfaite connaissance".

Elle avait été très belle en son temps et d'une taille avantageuse à voir la majesté de son port, de sa démarche, de ses manières aisées ; il n'y a personne qui ne l'eût prise pour quelque illustre princesse, tout était grand en cette vénérable mère. Une grâce naturelle accompagnait toutes ses actions, rien ne l'embarrassait.

Son regard quoique doux et modeste imprimait du respect, elle avait l'âme noble et grande, le coeur généreux et libéral, bienfaisant, tendre et compatissant. Elle avait une mémoire admirable et un très bon jugement, l'esprit vif et pénétrant, droit et solide, et en quelque manière universel, elle raisonnait sur toutes sortes de matières avec tant d'éloquence qu'il semblait qu'elle avait fait de chacune une étude particulière. C'est par ce moyen qu'elle se faisait toute à tous pour gagner tout le monde à Dieu, car après avoir entré en apparence dans les sentiments de différentes personnes qui la venaient voir, elle leur insinuait adroitement, mais avec tant de suavité, les grandes vérités dont elle était pénétrée que personne ne sortait de son entretien s'en en être touché et sans être excité à se convertir ou à mener une vie plus parfaite.

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Son amour pour Dieu étant proportionné à la sublimité et à l'étendue de ses connaissances, sa vie, selon le sentiment d'un de ses directeurs, a été une vie du plus pur amour qu'une créature puisse avoir sur la terre, il était sans mélange, d'aucun intérêt propre. Elle disait souvent qu'il ne fallait désirer de connaître Dieu que pour l'aimer d'une manière parfaite, elle l'enseignait encore mieux par son exemple. Elle ne voulait et ne cherchait en toute chose que la plus grande gloire de Dieu et l'accomplissement de son adorable volonté et de son bon plaisir. Elle ne vivait que pour l'amour, ses actions, ses maximes et ses sentiments ne respiraient qu'amour. Il ne faut pas s'étonner si ses paroles étaient toutes de feu qui embrasaient les coeurs. Le sujet de ses gémissements les plus ordinaires étaient sur ce que Dieu n'était point connu et qu'il n'était point aimé. Priez, priez, mes Soeurs, priez Dieu, disait-elle, avec un saint transport, qu'il se fasse connaître car si on le connaissait il serait impossible à la créature de ne le point aimer.

Ce qui suit a été écrit par elle à une personne qui était sous sa conduite :

"O que la force du pur amour est grande, il renverse tout, il détruit tout, et anéanti tout, cet amour à la puissance d'arracher les pécheurs de leur volupté, d'abaisser les trônes et de réduire au rien ce qu'il y a de plus superbe et d'élevé sur la terre. O Amour, que ta puissance est grande et que tu fais de merveilles dans le coeur que tu domines, tu fais des solitaires, tu fais des martyrs, tu fais des pauvres, tu fais des anéantis ; quand tu régnes, tu fais toute chose, tu ne laisses rien au lieu où tu fais ta résidence, tu triomphes de tout, et tu ne veux rien du tout et en tout que toi-même.

O Amour, puisque ton empire est si précieux, si glorieux et si puissant dis-nous ce que tu es, et d'où tu prends ton origine : Deus caritas est, etc. Tu es donc Dieu, oui je suis Dieu, dit le pur Amour, c'est pourquoi partout je dois régner souverainement, tout est à moi et rien ne doit être en tout que moi. O Amour pur et saint, je reconnais votre puissance, votre grandeur et votre suprême autorité, je vous crois celui qui est. Régnez donc, élevez-vous sur tout ce qui n'est pas vous et paraissez vous seul. Je mets ma liberté à vos pieds, vivez et régnez uniquement. O Amour, tirez-moi à la profonde solitude, au martyr, à la mort et au néant, faites en moi un effet de votre divine puissance, arrachez-moi de moi-même et me transformez en vous, pour me faire vivre uniquement de vous."

"Son assiduité devant le Saint-Sacrement était si grande qu'elle n'en sortait qu'autant que la nécessité ou les devoirs de sa charge lui obligeaient, mais les jours qu'Il était exposé elle quittait tout pour faire la cour à son roi et à son Dieu. Elle demeurait en sa présence les genoux nus contre terre dans une attention, un respect et une foi si vive que l'on ne pouvait la regarder sans en être animée. Si Dieu ne l'avait soutenue par une vertu divine dans les profanations faites contre cet auguste mystère, l'amour l'aurait fait expirer tant sa douleur était extrême. Dieu seul connaît la rigueur de ses pénitences dont elle affligeait son corps en ces occasions pour venger sur elle les outrages fait à son Dieu, elle engageait encore ses religieuses à augmenter leur austérité, pour cet effet elle faisait des réparations extraordinaires en une infinité de manières différentes que son zèle lui inspirait."

Écrivant un jour à une religieuse, elle lui dit : "Il y a bien de quoi nourrir les Victimes du Saint-Sacrement puisque leur viande est de concevoir de la douleur de voir tous les outrages et les mauvais traitements qu'on fait à leur divin Sauveur et de gémir dans l'amertume de leur coeur pour les péchés qui se commettent à tous moments."

"Redoublons, disait-elle nos sacrifices pour les pécheurs, mettons-nous entre Jésus-Christ et le péché afin qu'il nous foudroie de ses coups plutôt que de voir percer derechef le coeur adorable de notre Victime d'amour." Puis rapportant quelques circonstances des profanations qui se commettent, elle s'écriait : "O abîme effroyable, il faut se taire et mourir d'étonnement. Voilà où

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l'amour réduit mon divin Maître et mon Sauveur. Il y a ici de quoi confondre l'orgueil de l'esprit humain, car après avoir vu notre Dieu anéanti de telle sorte, pouvons-nous nous plaindre des humiliations que l'on pourra nous faire souffrir".

Quant à son oraison, on peut dire que Dieu l'avait élevée au dessus d'elle-même et en quelque façon au dessus des personnes d'oraison de son siècle. Il semblait que Dieu l'avait tellement remplie de l'esprit d'intelligence que tous les secrets de la vie intérieure lui étaient manifestés. Ses discours étaient comme une douce pluie qui tombait en abondance dans le coeur des personnes qui la venaient consulter, on l'écoutait comme un oracle par lequel Dieu se faisait entendre d'une manière particulière.

Mais, ce qu'il y a de plus admirable est sa profonde humilité, elle seule ignorait son mérite. Elle se trouvait si abjecte devant Dieu et devant les créatures qu'elle ne croyait pas qu'il y en pût avoir une plus indigne qu'elle. Les bas sentiments qu'elle avait d'elle-même faisaient qu'elle ne trouvait jamais de termes à son gré pour s'anéantir autant qu'elle le désirait. Sa pratique ordinaire était de suivre plutôt les lumières des autres que les siennes propres, elle déférait aux sentiments de la dernière et de la plus simple de la maison, et dans toutes les occasions ou les choses ne réussissaient pas, elle s'en attribuait toujours la faute. Elle a eu toute sa vie une extrême aversion pour les louanges, elle était si convaincue qu'elle n'était rien et qu'elle ne pouvait rien qu'elle semblait incapable d'avoir la moindre complaisance, ni pensée ou recherche de vanité. Elle était si pénétrée du fond de corruption qu'elle croyait être en elle, qu'elle se jugeait indigne des miséricordes divines et disait que si Dieu lui pardonnait ce serait la plus grande grâce qu'il ait jamais fait à aucune créature, parce qu'elle ne croyait pas qu'il y en eût une au inonde qui le méritât moins qu'elle. Elle avait appris de Notre Seigneur à être douce et humble de coeur et elle comprenait si bien cette leçon que jamais elle ne résistait aux personnes qui la contrariaient. Elle se rangeait toujours du parti de ceux qui la blâmaient et qui lui disaient des injures. C'était une colombe sans fiel, qui n'a jamais eu de ressentiment, jamais elle ne disait une parole de hauteur ou de promptitude. Si elle était obligée de reprendre ou de corriger les personnes qui étaient sous sa conduite, son air doux et affable et ses paroles pleines de bonté étaient les armes dont elle se servait pour gagner les coeurs qui lui étaient les plus opposés, et les humeurs difficiles avec lesquelles elle avait à traiter.

Elle s'était rendue, par voeu, esclave des créatures pour honorer l'état de Jésus qui s'est fait esclave pour nous. Ainsi, elle se livrait sans choix et sans exception, au milieu de ses affaires les plus embarrassantes et les plus affligeantes.

Si une Soeur, fusse la dernière de toutes, lui venait dire quelque sujet de peine, quelque léger qu'il fut, elle demeurait des heures entières à l'écouter et à la consoler avec autant de paix et de tranquillité que si elle n'eût eu que cela à faire. Il semblait que Dieu lui avait révélé le secret des consciences. Sa pénétration était si grande que ses filles appréhendaient de paraître devant elle lorsqu'elles avaient dans l'âme quelque chose qui leur donnait de la confusion. Il est arrivé plusieurs fois qu'elle leur a dit à l'oreille ce qu'elles voulaient lui cacher et que Dieu seul connaissait. Si celles qui allaient pour lui parler de leurs dispositions intérieures se trouvaient dans l'impuissance de le faire, soit par timidité ou pour d'autres raisons, elle les prévenait en même temps leur disant avec une extrême bonté : "Puisque vous ne pouvez me parler, écoutez moi seulement."

Ensuite, elle leur développait leurs peines et tout ce qui se passait en elles, avec tant d'évidence qu'il semblait qu'elle les lisait dans leurs âmes, leur faisant même remarquer les choses les plus intimes auxquelles elles n'avaient jusqu'alors fait aucune attention, appliquant ensuite par de salutaires avis et ses suaves remontrances le remède à leur maladie spirituelle. On pourrait en rapporter une infinité d'exemples sur cette matière et sur son zèle à établir, autant qu'il lui était possible, le règne de Jésus-Christ dans les âmes, non seulement de ses religieuses mais encore des per-

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sonnes du monde qui la consultaient, mais la matière est si vaste qu'elle conduirait trop loin. Elle avait un si grand talent pour toucher les coeurs et pour consoler les affligés que personne n'est jamais sorti d'auprès d'elle, sans que ses larmes de douleur ne fussent changées en larmes de consolation. Autant qu'elle était tendre dans toutes les peines et les souffrances de son prochain, autant était-elle dure et impitoyable sur les siennes propres, ne voulant jamais qu'on la plaignit quelque chose qu'elle put souffrir, et ne se plaignant jamais, pas même dans les plus violentes douleurs, comme de coliques néphrétiques, sciatique, et une infinité d'autres maux. Non seulement elle ne permettait pas à la nature de se soulager par aucune plainte dans ses longues et fréquentes maladies, mais elle était alors autant sur ses gardes pour l'empêcher de se satisfaire en aucune chose qu'en sa meilleure santé.

Un jour qu'elle parlait à une très vertueuse dame, elle lui dit : "Les opérations de la grâce dans les âmes sont si pures, et si délicates que les moindres petites satisfactions humaines sont capables d'en suspendre le cours." Elle en parlait alors par expérience, puisqu'elle en portait quelques fois de dures privations pour des choses très légères en apparence.

Elle avait une adresse merveilleuse pour cacher sa mortification, les prétextes ne lui manquaient jamais, il était impossible de savoir ce qu'elle aimait ou ce qu'elle n'aimait pas, tout était toujours trop bon, et trop bien pour elle. Une paillasse très simple est le lieu où elle a rendu son âme à Dieu, et où elle a souffert de longues et périlleuses maladies. Il ne lui fallait pas parler de matelas ni autres petites commodités, à l'entendre, toutes ces choses l'incommodaient, et il n'y avait pas moyen de l'obliger de s'en servir.

La force et la constance ont été deux fidèles compagnes qui ne l'ont jamais abandonnée dans les événements de la vie les plus difficiles à soutenir. On en vu plusieurs preuves : en voici une du commencement qu'elle fut établie à Paris.

Un grand serviteur de Dieu vint un jour (sans doute pour l'éprouver), lui dire au sujet de l'Institut à peu près ce que les Juifs dirent à Notre-Seigneur, qu'elle agissait par l'esprit du démon, que cette oeuvre était sa production, et qu'il n'y avait qu'un pur orgueil qui la faisait agir. Comme elle avait beaucoup d'estime pour ce bon religieux et un très grand mépris d'elle-même, elle répondit aussitôt : "Puisque vous croyez, mon Père, qu'un si mauvais génie me conduit, il n'est pas juste que cet oeuvre subsiste. A Dieu ne plaise que je l'approuve un seul moment", et, se faisant en même temps apporter une échelle, elle monta dessus pour ôter elle-même la croix qui était posée sur la porte de la clôture et elle l'eut fait assurément si, le Père étonné de sa fermeté, ne lui eut commandé de descendre, et de laisser ce signe sacré, ce qu'elle fit aussitôt sans qu'il parût en elle aucune émotion. Le Père en demeura si édifié qu'il ne cessait de donner des louanges à la vertu de cette vénérable Mère.

Sa charité envers le prochain n'avait point de bornes. Son grand coeur renfermait toute la terre ; il n'y avait point d'étranger chez elle, tous les misérables étaient ses chers amis. Elle eut bien voulu nourrir tous les pauvres, délivrer tous les prisonniers, racheter tous les captifs, consoler les affligés, et jamais personne ne s'est adressé à elle, dans le temps qu'elle a été en pouvoir, sans y trouver du secours dans leurs besoins.

Depuis qu'elle fût établie à la rue Cassette, plus de trente familles de pauvres honteux et des personnes de qualité ruinées ne vécurent pendant plusieurs années que des charités qu'elle leur faisait ou qu'elle leur procurait. Sa charité pour les malades a été si loin qu'elle en a guéri plusieurs en demandant à Dieu de souffrir les maux qu'ils avaient.

Elle a avoué elle-même que Dieu lui avait donné un amour inconcevable pour la perfection des âmes et surtout pour celles qui étaient peinées intérieurement ; qu'elle avait souffert ce qui ne se peut imaginer de corps et d'esprit pour leur soulagement, que souvent on la voyait à l'extrémité sans connaître son mal et sans

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que les remèdes humains puissent la soulager, parce que celui qui la crucifiait pouvait seul la guérir, et comme il l'avait choisie pour aider ces âmes souffrantes, il. lui faisait porter toutes les peines intérieures qu'on peut avoir en ce monde, qu'il y en avait même qu'elle n'avait expérimenté qu'environ une demi-heure seulement pour concevoir ce qu'il fallait faire pour les soulager dans ces rencontres. Nous pourrions prouver par une infinité d'exemples sa charité envers ces âmes. Lorsque ses grandes occupations ne lui permettaient pas de leur donner pendant le jour tout le temps qu'elles avaient besoin, ce qui arrivait souvent, elle passait une partie des nuits à les consoler, instruire et fortifier, mais cela secrétement, leur assignant des lieux où elle put leur parler en liberté sans être entendue de personne afin qu'on ne s'opposas point à l'exercice de sa charité.

Lettre de la Mère Mectilde du Saint-Sacrement à une de ces âmes peinées [P101]

"Mon enfant, Donnez-vous de garde de vous laisser aller à de trop grandes extrémités. Ne vous troublez pas. J'ai bien cru que vous auriez des combats et de rudes atteintes, mais Notre-Seigneur sera le Maître et avec sa grâce je vous aiderai et ne vous abandonnerai point si vous voulez être fidèle et tâchez de sortir de l'enfer du péché. Ne craignez point de me dire tout ce que vous voudrez, je vous promets un inviolable secret et ne vous tromperai point. Venez simplement et confidement, vos blessures sont mes blessures, vos péchés sont les miens, je gémirai pour vous comme pour moi-même. Vous savez que je suis votre Mère et votre sincère amie. Croyez que je vous aime tendrement, je vous cacherai dans mon coeur, je ferai prier Dieu pour vous, vos intérêts éternels seront les miens, et je dirai à Notre-Seigneur de tout mon coeur que je ne veux point aller en paradis sans vous. Espérez en sa divine miséricorde et aux mérites de sa mort et de son sang adorable. Il est de foi que si tôt que le pécheur se repent de tout son coeur d'avoir offensé Dieu, il le reçoit en grâce et lui pardonne ses

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péchés. Souffrez votre trouble et vos peines en pénitence, mais ouvrez votre coeur et ayez confiance, je suis toute à vous. Ne vous embarrassez pas, il suffit que vous connaissiez que vous êtes pécheresse et que vous voudriez de bon coeur souffrir toutes les peines imaginables et n'avoir jamais offensé un Dieu si bon qui est tout près de vous pardonner. Il veut laver vos péchés dans son sang. Retournez à lui comme à votre Père, il vous attend pour vous recevoir en son amour."

Il serait difficile de trouver une personne qui ait été plus pauvre et plus désintéressée et en même temps plus contente que cette admirable Mère.

Elle ne s'appropriait jamais rien de tout ce qu'on lui donnait, non pas même les choses les plus nécessaires. Tout ce qui était à son usage, l'était de même à toutes, et elle a dit bien des fois qu'elle serait bien fâchée d'avoir quelque chose pour petite quelle soit dont tout le monde ne fut en droit de s'en servir aussi bien qu'elle ; rien n'étant plus pauvre que sa chambre, son lit et ses meubles, etc.

Elle a toujours eu dès son bas âge une inclination singulière pour la pureté, il semblait que cette vertu lui fut propre et qu'elle fût née avec elle. Plus elle avançait en âge, plus elle se fortifiait en cette vertu toute angélique de sorte qu'elle n'eût jamais rien de considérable à confesser qui y fût contraire.

Elle a toujours été très exacte dans l'observance de ses voeux et aussi jusqu'aux plus petites pratiques de la Régle. Elle soupirait continuellement après la retraite. La solitude et le silence étaient ses vertus favorites, l'ardeur qu'elle avait de se trouver seule était comme un feu qui la dévorait ; elle n'avait rien tant à coeur que de se séparer des créatures pour s'unir plus étroitement à son Dieu ".

(Fin du récit du P 101).

***

Le 10 avril 1698, trois jours après le décès de notre vénérable fondatrice, les moniales du monastère de la rue Cassette, élisaient Mère Anne du Saint-Sacrement Loyseau comme prieure, pour succéder à Mère Mectilde du Saint-Sacrement.

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Mais qui était Mère Anne du Saint-Sacrement ?

La famille Loyseau était originaire de Nogent-le-Roi. Le grand'père d'Anne, Regnault Loyseau, s'installe à Paris comme avocat au Parlement et avocat ordinaire de Diane de Poitiers. Il eut trois fils et deux filles. Le père d'Anne, Charles Loyseau, naquit à Paris en 1564. Il fit une brillante carrière dans le barreau. Lieutenant particulier au bailliage de Sens en 1593, puis bailli du Dunois, en 1600. Il épouse à Châteaudun, Louise Tourtier, puis s'installe définitivement à Paris. Il est élu bâtonnier en 1620, meurt en 1627, et est enterré dans l'église des Saints-Côme-etDamien.

Anne est née le 23 octobre 1623, d'une famille considérable dans la robe et très distinguée par une solide piété, nous disent les vieilles chroniques. Dès sa prime jeunesse, elle aimait donner aux pauvres. A seize ans, elle demande à entrer au couvent, mais son Confesseur s'y oppose. Elle reste près de sa mère d'abord, puis dans la maison de son frère.

Deux de ses frères furent religieux, un troisième était Oratorien, et deux de ses soeurs étaient religieuses. L'une d'elles entre au Carmel après son veuvage et meurt supérieure de la maison de Poitiers.

Son frère marié était d'une piété exemplaire. Nous trouvons au "Livre de comptes, du monastère de la rue Cassette, le 27 mai 1658 : Messire Loyseau, conseiller du Roy en la Cour des Aydes de Paris : Fondation pour une basse messe le jeudi, à perpétuité."

Anne était une insigne "bienfaitrice". Son titre de "fondatrice", donne à sa belle-soeur et à sa nièce (jusqu'à son mariage), le droit d'entrer dans le monastère six fois par an, pour quelques jours de retraite.

Ayant trente-cinq ans environ, elle demande à être reçue au monastère de la rue Cassette où elle entre en 1660, prend l'Habit en octobre 1660 et, fait Profession le 31 janvier 1662.

Plusieurs lettres que Mère Mectilde lui adressa dès 1652, c'est-à-dire alors qu'elle était dans la petite maison, rue du Bac, vont nous permettre de tracer quelques traits de sa physionomie spirituelle et de ses responsabilités successives au monastère.

..."Depuis le jour de la Conception de Notre-Dame, à la sainte communion, vous n'êtes quasi point sortie de ma pensée, et je ne sais pourquoi la Providence m'assujettit à vous y souffrir, cela ne m'étant point ordinaire, et ma tendance intérieure serait de m'en séparer entièrement pour n'être occupée d'aucune créature. je ne puis cependant me défaire de vous, et je ressens même dans le fond de mon âme une liaison qui se fait avec la vôtre, par Jésus-Christ qui me presse de souhaiter votre sanctification et de demander à Dieu, de tout mon coeur, qu'il rompe vos liens et vos attaches, afin que vous lui puissiez rendre un sacrifice d'amour et de louange, selon ses adorables desseins.

Je me sens obligée, voire pressée intérieurement, d'avoir un soin très particulier de votre âme, et il me semble que ce qui m'engage à cela, c'est la connaissance que l'on me donne de l'état de perfection où la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ vous destine, pour laquelle j'ai tant de respect que je me voudrais consommer pour vous y servir. Et c'est aussi ce qui me donne la liberté de vous prier très instamment d'être fidèle et de suivre l'appel de Jésus-Christ, qui vous veut toute à lui sans réserve. Seriez-vous si misérable que de le négliger ? Le châtiment que vous mériteriez serait très grand et je ne saurais souffrir que vous soyiez si résistante. Ne perdons point le temps et que notre connaissance ne soit pas vaine, ni inutile à votre perfection.

Puisque vous me donnez la liberté de vous parler, ce sera désormais sans retour ; mais je vous conjure de garder à notre égard cette même liberté, sans vous gêner ni contraindre, et lorsque je vous serai à charge vous m'en devez avertir. Gardez-moi, ma très chère soeur, cette fidélité que je vous demande comme un témoignage de votre affection, afin que l'Esprit de

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Dieu ne soit point contraint. Je vous supplie aussi de nie dire si vous avez quelque chose qui vous soit plus pressant qu'à l'ordinaire, et si vous ne vous laissez pas un peu trop occuper et pénétrer de la peine et tristesse dont la personne que vous savez est pénétrée. Gardez-vous d'y excéder....

Si la très sainte Vierge eût aimé Jésus-Christ d'un amour purement naturel, elle n'aurait jamais souffert qu'il fût mort en Croix ; mais elle, qui savait la dignité et la sainteté de la souffrance, et la gloire que le Père éternel en retirait, consentit à sa mort par une profonde soumission aux volontés de Dieu. Voilà comment il faut que vous en usiez...

Soyez généreuse, ma très chère sœur, ne vous laissez point gagner à tant de considérations humaines. Soyons toute à Jésus-Christ. Priez pour moi, très chère, vous ferez une charité très grande, car mes besoins sont extrêmes et dignes de votre compassion et je vous en serai éternellement obligée. Je vous supplie d'offrir à Notre-Seigneur l'affaire que vous savez on espère en faire parler à la Reine, priez ardemment que la divine volonté se fasse en nous et qu'il m'anéantisse totalement."

Quelques mois plus tard, le 3 avril 1653, Mère Mectilde presse sa correspondante, encore très attachée à ses affections et devoirs de famille, de tout quitter pour servir le seul Seigneur Jésus-Christ :

... Notre Seigneur me donne une liaison étroite avec vous, et semble augmenter en mon âme les soins et les désirs de votre perfection. Je souffre avec peine le retardement d'icelle, parce que les moments de notre vie sont chers à Jésus-Christ. Mais l'heure n'est pas encore venue, il faut l'attendre, et cependant vous rendre attentive à sa divine voix, vous souvenant des paroles du prophète qui dit :"Si aujourd'hui vous entendez la voix du Seigneur, gardez-vous bien d'endurcir votre coeur."

Rendez-vous flexible aux touches (le son divin Esprit et vous laissez pénétrer de son amour. Vous, ma très chère Soeur, à qui Dieu a donné un coeur tout d'amour, pouvez-vous bien le divertir en d'autres objets que lui ? N'a-t-il pas assez (le charme pour vous contenter ? La Magdeleine ne voulut point s'arrêter avec les anges ; son amour la transportait vers celui qui était le Seigneur des anges. Plût à Dieu que vous en puissiez faire autant et que les créatures ne vous puissent plus arrêter, ni occuper

Cependant vous êtes chrétienne et obligée de vous revêtir de Jésus-Christ. Je vous supplie d'en avoir au moins le désir et de vous donner à lui pour cet effet. Il y a quelque chose en votre âme qui la tient en terre et qui l'empêche de prendre son vol à Dieu. Je le prie vous le faire connaître et vous donner la grâce de l'arracher et vous en séparer.

Je serai bien aise de vous voir quand la Providence vous en donnera le loisir. Je vous veux faire part (le la joie que nous avons de posséder le très Saint-Sacrement. On nous l'a donné sans que nous soyions établies ; je vous supplie le venir adorer et lui demander ma totale conversion. Je suis en son saint amour, de tout mon coeur, toute votre fidèle amie et très acquise servante".

Anne Loyseau est entrée au monastère (le la rue Cassette où elle prit l'habit en octobre 1660.

Étant donné la longue familiarité qu'elle entretenait déjà avec Mère Mectilde nous ne serons pas étonnés que celle-ci lui relate ses difficultés clans les fondations. Elle écrit de Toul le 24 septembre, puis en octobre 1664 :

"... Nous apprenons par notre propre expérience que le démon est bien animé contre notre Institut, nous en avons trouvé un, à notre arrivée, qui fait tout ce qu'il peut pour tout renverser ; je ne sais quelle gloire Notre Seigneur veut tirer (le cette entreprise.

... Nous attendons nos conclusions de Messieurs du Chapitre : après nous cherchons une maison pour y mettre la Croix et y dresser un autel au Seigneur.

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... Je ne sais d'où vient que notre bonne Comtesse (de Châteauvieux) est si mal satisfaite de cet établissement, sinon que Dieu lui fait faire pénitence de l'avoir voulu faire pour détruire celui de Rouen. Il faut bénir Dieu de tout !

... Nous ne chômons ni de persécutions, ni de contradictions, ni même d'abjections et cela en plusieurs manières, de sorte que nous n'avons pas toujours mangé du pain depuis notre départ de Paris, ayant fait très souvent et quasi toujours nos repas de fiel et d'amertume.

Je commence à voir que (dans) la souffrance et la douleur on enfante les monastères de l'Institut et non autrement. Mais la joie d'y voir adorer le Très Saint-Sacrement nous paiera bien nos peines et j'ose avancer qu'une seule Exposition essuiera bien tous nos déplaisirs, et ne crois pas être trompée. Prenons donc courage et bénissons Dieu en tout et partout ; n'ayons rien au coeur que son amour et en la bouche mille louanges : Quoniam bonus...

(Ps 105).

Puis de Toul encore le 28 décembre pour lui souhaiter une année de Paix.

"Gloria in excelsis Deo et in terra pax hominibus bonae voluntatis."

"C'est très chère, cette précieuse paix que Jésus a apportée sur la terre au moment de sa naissance que je vous souhaite. Jésus est un fruit de paix, il l'envoie annoncer aux pasteurs et dans sa résurrection il l'apporte lui-même,"Pax vobis": c'est, ma très chère, par où je finis cette année puisque voici la dernière lettre que vous recevrez avant la prochaine ; finissez-là en paix et commencez-là de même : que la paix soit toujours dans votre coeur et qu'il ne soit jamais privé de cette bénite paix sans laquelle rien n'est agréable en cette vie, même pour les choses de Dieu.

Je prie ce divin et adorable enfant qu'il vous tienne dans sa paix, que vous n'ayez que des pensées de paix pour Dieu et pour les créatures, que des paroles de paix, que des oeuvres de paix. "Pax, Pax", en tout et partout dans la maison et dans les coeurs des filles du Saint-Sacrement. Hélàs, pourquoi ne fait-t-on pas l'impossible pour être toujours en paix puisqu'il n'y a rien de si doux, ni de plus aimable à Jésus et aux hommes ?

Paix au ciel de votre âme, paix en la terre de votre coeur, paix partout, je vous la désire pour étrennes et si je pouvais vous la mettre dans le coeur, je l'y graverais profondément comme un bien infini. Hors de la paix, c'est un enfer. Toutes les choses de la terre ne doivent pas vous ôter la paix, n'étant que des ombres et des figures qui passent. Dieu seul est tout le reste n'est qu'un pur néant qui sera avec le temps abîmé dans le rien et pourquoi donc nous en occuper ? Vivez, très chère, dans la vérité et ne vous repaissez pas de mensonges ; attachez-vous à Jésus le prince de la paix ; je crois qu'il en a fait quelque impression en moi en sa sainte naissance.

Priez-le qu'il me la conserve pour son pur amour et pour votre édification.

Le 21 avril 1666, Mère Mectilde reçoit l'agrégation du monastère de Rambervillers, si cher à son coeur. Le 21 avril, elle écrit à Mère Anne, pour lui faire part de sa joie :

Chère enfant,

"Nous travaillons ici efficacement à la gloire de notre auguste Mystère, et je vous puis dire que si j'étais sensible aux intérêts de Dieu, j'aurais de la joie de voir toutes les saintes dispositions où j'ai trouvé toutes nos Mères et Soeurs qui embrassent notre saint Institut avec zèle et amour. Je sais que vous y prenez part et que toute la communauté se réjouira quand elle apprendra que Notre Seigneur est honoré au Très Saint-Sacrement de l'autel par des âmes très saintes."

En 1677, nous retrouvons Mère Anne à Rouen. Mère Mectilde lui ayant confié l'organisation de cette fondation.

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...Où toutes les créatures manquent, Dieu suffit. Il y a peu de vrais amis en ce monde ; Notre Seigneur le permet parce qu'il veut être l'unique. Dieu soit béni de ce que vous avez pris possession de votre petite maison (rue des Arsins) le jour et peut-être l'heure que je présentais à la sainte Mère de Dieu pour la faire agréer à son divin Fils. Croyez qu'elle en fera son ouvrage ; vous serez bien récompensée des peines que vous y prenez. Faites, au nom de Dieu, tout ce qui sera pour le mieux sur les accomodements de l'église, sans avoir égard à la dépense. Nous ne devons avoir rien de plus à coeur que le temple et l'autel du Seigneur, et les ornements de son trône eucharistique ; c'est la principale affaire. Pourvu que ce qui regarde le Saint Sacrement soit bien, le reste ira comme il pourra. Faites en sorte qu'il y ait une petite tribune où l'on puisse l'adorer et avoir la consolation de l'envisager, qui est le plus doux plaisir qu'on puisse posséder sur la terre. Je prie Notre Seigneur de sanctifier et soutenir, par la force de sa grâce, l'oeuvre pour laquelle vous vous êtes si généreusement sacrifiée.

Le 18 août, nous apprenons qu'elle est Sous prieure. Mère Mectilde écrit à l'une des fondatrices :

"...Il y faut prendre les soulagements que vous avez besoin et dont la chère Mère Sous-Prieure aura grand soin, car sa charité n'est pas moins grande qu'elle ne l'était ici. Vous pouvez vous y confier. Je ne sais si les eaux de Forges (Seine-Maritime) vous seraient bonnes ; vous en pouvez consulter les médecins. Prenez courage ; j'espère que bientôt j'aurai la joie d'être avec vous."

En septembre 1677, Mère Mectilde remercie avec beaucoup de délicatesse Mère Anne, pour tout le soin qu'elle a pris dans la fondation du monastère de Rouen.

"Non, ma très chère Mère, ce n'est pas mon intention que vous reveniez à Paris avant que Notre Seigneur ait pris possession du temple que vous lui avez dressé. Mon dessein est que vous ayez la joie et la consolation de voir votre ouvrage couronné par la pré- sence du très Saint-Sacrement et qu'il vous comble de ses bénédictions. Je lui rends grâce de la paix et du repos intérieur qu'il vous donne : c'est le centuple de ce monde. Sa bonté ne veut pas que les soins et les travaux que vous avez eus en procurant sa gloire soient sans récompense, même dès cette vie."

En novembre alors que Mère Anne s'inquiète de la très grande pauvreté de la fondation de Rouen, Mère Mectilde au contraire s'en réjouit et dit : le 12 novembre, au chapitre à Rouen :

..."Je le disais ces jours passés à une de nos Soeurs qui a vu la maison de Paris dans son commencement, qu'elle eût à me dire si jamais elle avait manqué de quelque chose et si la Providence n'avait pas pourvu à tout ? Vous n'avez pas, je vous l'avoue, un revenu de soixante ou quatre-vingt mille livres de rentes. Mais, enfin, vous avez assez pour vivre honnêtement. Et vous autres, mes Soeurs qui êtes ici, pouvez-vous me dire que quelque chose vous ait manqué ? La Mère Sous-Prieure Loyseau, qui n'est pas trop crédule, à moins qu'elle ne voie elle ne croit pas, a été surprise sur ce sujet et toute en admiration ayant vu ce qui se passait. Là-dessus j'aurai bien des choses à dire, mais il n'est pas encore temps à présent de les déclarer, ce sera pour un de ces jours."

La narratrice du P.101 poursuit : "Elle voulut lui donner cette satisfaction quoique sa présence lui était fort nécessaire à Paris, étant celle sur laquelle elle pouvait s'assurer le plus ne quittant la maison qu'avec peine."

La Mère Anne du Saint-Sacrement étant de retour à Paris était toujours dans des inquiétudes au sujet de la Mère Mectilde connaissant mieux que nulle autre de quelle importance était sa conservation pour tout l'Ordre. On ne doit pas s'étonner, si après Dieu, elle n'avait rien plus à coeur et si elle lui donnait si souvent des marques de ses soins."

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Un peu plus tard, Mère Mectilde est très gravement malade et la rédactrice du P.101, écrit : "La Mère Anne étant avertie du danger où avait été cette vénérable Mère en demeura dans des inquiétudes qui lui ôtaient entièrement le repos. Voici ce que notre digne Mère lui répondit :

"Au nom de Dieu conservez-vous, toute votre occupation est de penser à ma santé et de négliger la vôtre, et ne savez vous pas que je ne puis vivre sans vous. Si vous aimez tant ma vie, aimez un peu plus la vôtre pour l'amour de Notre Seigneur, car ce n'est que pour lui que vous et moi voulons vivre, hors de là je voudrais mourir, parce que je ne puis vivre sans péché, et que le péché me tue, c'est ma grande et terrible croix en ce monde, toutes les autres ne sont que des ombres comparées à celle là."

En 1678, Mère Anne est à Paris, Mère Mectilde à Rouen. Mère Anne écrit :... sur le fait d'un bâtiment qu'elle était obligée d'entreprendre, et dont elle lui demandait la permission après lui avoir permis, elle ajoute :"je vous prie de considérer que nous ne bâtissons point pour nous, mais pour celles qui viendront dans la suite, remarquez encore que si je veux le commode et le solide, et l'utile, je ne prétends pas donner les mains, ni mon consentement à aucune vanité, ni embellissement curieux qui tirent hors de la simplicité religieuse. Je vous recommande pour de bonnes et justes raisons que la sainteté de votre Profession vous doit faire comprendre aussi bien que moi, réglez donc toutes choses modestement afin d'attirer les bénédictions du ciel, les faisant dans cet esprit, joint à celui d'une parfaite union, je ne doute de rien pour le spirituel et pour le temporel. Ne m'attendez point faite toujours travailler crainte de laisser la belle saison." puissiez conclure, il ne m'importe où il plaira au Seigneur de se loger, il y a longtemps que nous le prions de choisir lui-même le lieu de sa complaisance, "et la rédactrice du P.101 ajoute : "Cette bonne Mère qui était une personne fort entendue dans les affaires et qui d'ailleurs avait un grand zèle pour avancer cette oeuvre mis tout en usage pour y réussir."

En 1680, nous retrouvons Mère Anne à Rouen. Les Soeurs n'ont pas trouvé un lieu pour se loger convenablement. Le 16 janvier Mère Mectilde écrit à Mère Anne pour l'encourager :

"Je souffre de vous savoir dans la peine par la privation de mes lettres, et que je ne puis vous tirer de cette inquiétude, me trouvant chaque jour si surchargée qu'une chose m'en dérobe une autre ; j'ai cependant commencé de vous écrire, très chère fille, plus de cinq ou six fois, sans que j'ai pu achever, je me hâte en écrivant celle-ci, de crainte qu'il ne me survienne comme aux autres, quelque chose de pressant qui m'oblige de tout quitter. Je suis plus captive que jamais, mais tout cela n'empêche pas que je ne sois toute à vous et que je ne désire ardemment de vous donner quelque consolation ; mais, très chère, les solides ne peuvent venir que de Dieu seul, c'est lui qui peut réjouir le coeur et calmer l'esprit. Je vous conseille de vous y tenir bien attachée comme à votre divin centre. Vous êtes au lieu saint pour vous sanctifier, je vous conjure de vous y appliquer pour votre propre satisfaction après la gloire du divin Maître à qui vous vous devez entièrement. Travaillez de toutes vos forces pour remplir dignement la place que vous tenez dans l'Institut. Jamais la joie d'une âme n'est plus grande que lorsqu'elle est fidèle à la grâce qui la pousse incessamment à son devoir, la conscience en possède une tranquillité admirable.

On cherchait toujours une maison pour installer la communauté de Rouen, Mère Mectilde écrit à Mère Anne encore à Rouen pour aider en ces premiers temps difficiles : "Pourvu que vous Je ne sais, très chère, si Monsieur votre père, vous aura donné avis de la perte que vous avez faite de Madame votre Tante de

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Hautebruière, elle est retournée à son Dieu, je le prie nous faire la miséricorde que nous, y puissions retourner de même, c'est-à-dire avec une entière fidélité. Relevez votre courage donc, pour être uniquement toute à lui. Votre chère soeur Edith, attendant les ordres (le la divine Providence sur elle, elle est encore bien jeune pour se déterminer, il faut bien prier Dieu pour elle, elle en a grand besoin. Ne m'oubliez pas aussi en vos bonnes prières. Travaillez de tout votre coeur à acquérir la vraie humilité, la douceur et la simplicité dans l'obéissance, et surtout ne regardez jamais que Dieu en celles qui ont droit de vous commander. Je vous recommande la charité envers vos Soeurs, les honorant et les aimant en Jésus-Christ, ayant clans vos pratiques une sainte condescendance, fuyant néanmoins toujours les complaisances humaines qui vous attachent à la créature avec imperfection, point de respect humain, ni de vanité, c'est une pure folie, mais partout douceur et humilité, vous souvenant (les paroles de Notre-Seigneur : "Apprenez de moi, dit-il, que je suis doux et humble de coeur."

Saluez de ma part toute la petite troupe des chères Victimes, je ne les oublie pas.

Du 16 (le l'an 1680.

De même le 29 avril 1680, car la situation est toujours difficile :

"... Un coeur moins rempli de foi et de soumission aux volontés divines se rebuterait facilement de tout, mais le vôtre, très chère Mère, est si bien façonné à ses adorables conduites que vous les regardez sans vous effrayer, attendant en paix les moments de sa Providence, qui sera toutes choses dans le temps, après qu'elle aura détruit mon orgueil et la propre vie que je pourrais bien prendre dans son oeuvre, si elle avançait selon ces mouvements de l'esprit humain.

Ne laissez pas, très chère Mère, d'entendre le prix du (château de Mathan), et si l'on n'y peut, l'on s'arrêtera à N., qui sera toujours notre petit réduit, car, en matière de cette affaire, nous ne faisons rien de moins que ce que nous voudrions. Il nous faut marcher comme l'on veut et non comme nous le souhaiterions. Allons donc à petit pas, puisque le Seigneur le veut ; j'espère qu'il nous conduira imperceptiblement dans ses volontés ; telles qu'elles soient je les accepte. A Dieu, très chère Mère, je m'en vais tâcher de faire la sainte Communion.

Je suis toute à vous en celui qui se donne par un amour infini à toutes ses créatures dans le divin Sacrement.

Nous découvrons dans le "Livre de comptes" : "A sa Profession elle donna à Mère Mectilde 3900 livres, mais elle ne voulu jamais, étant religieuse, être regardée comme bienfaitrice de la communauté". Elle avait un sens droit, un très juste discernement dans les affaires les plus difficiles, capable d'inspirer d'excellents conseils et cependant toujours prête par une humble défiance d'elle-même à écouter ceux des autres, mais soutenant courageusement, malgré les obstacles qui survenaient ce qu'elle avait cru devoir entreprendre pour le plus grand service de Dieu.

Ce que nous pouvons connaître de sa vie intérieure par quelques écrits de sa main, et par les lettres que lui adresse Mère Mectilde, porte à penser qu'elle ne connut guère de consolations sensibles, mais dit la chronique : "les croix, les sécheresses, les dégoûts, et cependant elle ne s'est jamais démentie un seul moment, toujours contente de Dieu, quelques traitements qu'il lui fit.

Elle a toujours rempli des charges importantes dans son monastère : cellerière en 1684 et dépositaire, sous-prieure en 1689. Elle remplit toutes ces charges avec tant de dévouement et de charité qu'elle fût unanimement choisie comme supérieure à la mort de la vénérée fondatrice. Mais elle devait elle-même mourir un an plus tard : le vendredi Saint 1699 à 75 ans, après trente huit ans de vie religieuse.

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A travers tous ces textes, nous voyons se dessiner le portrait d'une moniale douée de grandes capacités humaines, mais surtout d'une âme exceptionnelle.

VII La Dispersion lors de la Révolution ARCHIVISTES DE ROUEN

Les monastères fondés par Mère Mectilde à la veille de la Révolution.

"Le texte de la Constitution civile du clergé (juillet 1790) vise à une restructuration de l'Eglise et à une redéfinition du statut social de son personnel, évêques et prêtres, désormais élus par des assemblées du peuple.

Mais consciemment ou inconsciemment, le projet révolutionnaire allait plus loin : il touchait à la nature même de la foi et de l'Eglise. Il avait des implications théologiques et spirituelles qui nous apparaissent sans doute mieux avec le recul du temps et les leçons de l'histoire contemporaine.

Tout d'abord, ce que la Constitution civile (le l'Église met en question, au moins de manière implicite, c'est la nature sacramentelle de l'Église...."

L'immense majorité des évêques et une forte proportion de prêtres ont refusé de prêter le serment à la Constitution civile, et cela d'abord au nom de leur conscience.

Le 4 janvier 1791, l'évêque de Poitiers monte à la tribune de l'Assemblée et déclare : "J'ai 70 ans, j'en ai passé trente-cinq dans l'épiscopat, où j'ai fait tout le bien que je pouvais faire. Accablé

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d'années, je ne veux pas déshonorer ma vieillesse, je ne veux pas prêter serment. Je prendrai mon sort en esprit de pénitence". Même scénario dans les paroisses, citons ici le curé de Notre-Dame de Niort : "Il m'est absolument impossible de faire un serment qui est contraire à ma conscience ; car autant je suis attaché à la Nation, à la Loi et au Roi, autant et plus je le suis à mon Dieu, à ma religion, à ma foi et à mon peuple."

(Mgr C. Dagens, l'Église à l'épreuve de la Révolution. Paris, Téqui, 1989.)

En lisant la déposition d'évêques et de prêtres refusant de prêter le serment exigé par la Constitution civile du clergé, on comprend à quels drames de conscience furent affrontées nos Soeurs en 1790-1791.

Rappel de quelques dates qui jalonnent ces années 1789-1801.

1789 - 2 novembre : aliénation des biens ecclésiastiques.

1790 - 13 février : suppression des voeux monastiques.

1792 - 25 avril : Bref du Pape Pie VI.

28 avril : interdiction de porter le costume religieux

et suppression de toutes les congrégations.

2 septembre : massacres dans toutes les prisons de Paris

et en province.

1794 - la grande Terreur.

27 juillet : chute de Robespierre, mais les arrestations et déporta-

tions se poursuivront longtemps.

1795 - 21 février : Décret de liberté des cultes et séparation

de l'Église et de l'État.

avril-juin : de nombreuses églises sont réouvertes.

juin-septembre : retour à l'hostilité contre l'Église.

1796 - le Directoire instable, oscille entre paix et répression.

mai : retour à la politique d'apaisement mais avec de

nombreuses dénonciations qui n'aboutissent qu'à la prison.

Les rigueurs sont variables selon les départements.

1797 - Brusque retour à la persécution avec déportation de prêtres

rentrés en 179G.

1798 - été-automne : dans la lassitude générale les mesures antire ligieuses s'atténuent, nombreux retours de prêtres

— mais on arrête et déporte, non plus à Cayenne (Guyane),

car les Anglais ont la maîtrise des mers — mais dans les forts

des îles d'Oléron et de Ré.

1799 — 17 août : le culte public peut réaparaître mais des prêtres

"trop" zélés sont poursuivis.

28 décembre : décrets d'apaisement religieux.

1800 — août : réouverture de l'église Saint-Sulpice à Paris.

septembre : rétablissement des Filles de la Charité.

Ce qui peut reprendre le plus rapidement c'est l'enseignement avec de grands dévouements - anciens religieux et religieuses laïcs. Mais ils doivent enseigner l'histoire de France et la morale selon les conceptions de la Révolution et faire disparaître tous les livres employés avant 1789. D'où nombre de fermeture d'écoles en représaille de la non observance de ces lois - écoles qui fermaient quelques mois ou se transportaient ailleurs. De ces années difficiles, il faut retenir le refus généralisé du calendrier révolutionnaire. Pour les chrétiens, le décadi ne pouvait remplacer le dimanche.

La dépravation des moeurs avait atteint des couches importantes de la société. "L'exemple" venant de haut.

La déchristianisation fut voulue et implacablement poursuivie tout au long de la Révolution et du Directoire.

En vue des événements qui s'annonçaient difficiles en France, des religieuses avaient demandé des instructions à Rome.

Pie VI, Jean Ange Braschi, (1717-29 mars 1799), élu Pape le 15 février 1775. Par un Bref, du 25 avril 1792, le Saint-Père proposait aux religieuses une ligne de conduite qu'elles appliqueront dans la mesure du possible. Nous verrons dans la suite de ce chapitre, que nos Soeurs y ont été fidèles, au moins dans l'esprit, là et quand cela n'a pas été possible d'être respecté à la lettre.

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Instruction donnée par notre Saint-Père le Pape Pie VI aux Religieuses de Kerlot en Bretagne, jointe à son Bref du 25 avril 1792, et qu'il a étendu aux autres religieuses.

Abrégé de l'Exposé des Religieuses.

Obligées de nous retirer dans nos familles, quelle conduite devons-nous tenir pour pratiquer les voeux de clôture, de pauvreté, le voeu d'obéissance surtout ?

Eloignées de leur digne abbesse, les religieuses de Kerlot pourraient être dans l'impossibilité d'entretenir avec elle des relations qui seraient cependant plus nécessaires que jamais pour leur conduite :

Réponse

Si par hasard, quelqu'une de ces religieuses ne trouvait plus (le monastère ou Communauté qui voulu la recevoir, et qu'elle fut obligée de se retirer dans quelque maison particulière, elle devra d'abord préférer celle de ses parents plus proches, pourvu toutefois qu'elle puisse, en y demeurant, mener une vie retirée, exemplaire et édifiante... N'ayant point de parents, ou qui ne soient pas honnêtes et catholiques zélés, les religieuses pourront choisir quelle qu'autre habitation particulière, en préférant celle où elles pourront demeurer plus en paix au milieu des séculiers.

Ne pouvant pas s'habiller en religieuses, elles choisiront l'habillement qui soit le plus modeste, chacune selon sa propre condition, mais au dessous de l'habillement séculier, elles porteront quelque petit scapulaire ou autre marque de l'habit religieux.

Pour ce qui regarde les voeux solennels, il n'y a pas de doute que quoique forcées de vivre parmi les séculiers, elles sont néanmoins obligées à les observer mais de la manière compatible avec le nouveau genre de vie qu'elles sont obligées de tenir... il est inutile de représenter à ces dignes religieuses qui ont donné des preuves si éclatantes de courage et de fermeté à maintenir leurs saints voeux au milieu de tant de dangers et de travaux :

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Que le voeu de chasteté perpétuelle pouvant s'observer en tout lieu et en tout état, elles ne peuvent en garder avec plus de sûreté la candeur, qu'en choisissant la retraite et l'éloignement des divertissements et du bruit du siècle.

A l'égard du voeu de Pauvreté, il suffit qu'elles ne se soucient point d'acquérir des biens temporels, ni employer leur revenu en dépenses vaines et superflues ; mais qu'elles vivent dans la sobriété et la frugalité convenables à leur nouvel état, et aux besoins de chacune, selon les circonstances où elles se trouveront.

Les religieuses ne pouvant obéir à leur ancienne supérieure, elles obéiront au Vicaire général capitulaire de Quimper, ou à celui qui en sa place en exercera la charge, ou à tout autre Ordinaire du lieu où elles se trouveront.

En dernier lieu à l'égard de la clôture étant arrachées violemment de leurs monastères, et obligées de vivre ailleurs, ce sont des raisons assez puissantes d'en être dispensées jusqu'au moment où cesseront les malheurs qui désolent aujourd'hui la France.

Cette instruction doit être la Règle de leur conduite, mais surtout elles tâcheront de conserver cette force d'esprit et de courage avec laquelle elles ont repoussé jusqu'à présent ceux qui s'efforcent de les séduire, et de les porter à prévariquer, et a ne pas observer leurs voeux. Car, avec cette force d'esprit et de courage, elles continueront à être les épouses heureuses de Jésus-Christ, qui leur à préparé le triomphe de leur constance dans le Royaume des cieux.

PARIS, rue Cassette

Le premier monastère fut fondé à Paris, rue Cassette par Mère Mectilde du Saint-Sacrement, le 25 mars 1653.

Quand parut le décret d'expulsion de tous les couvents, le 25 avril 1792, le monastère comptait vingt-cinq religieuses de choeur, dix Soeurs converses, deux novices et une postulante. Du

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fait des décès et du départ forcé des deux novices et de la postulante, la communauté n'avait plus que vingt-trois religieuses (le choeur et neuf Soeurs converses le jour de l'expulsion.

Leur monastère était mitoyen du couvent des Carmes (actuel Institut Catholique), par le mur de leur jardin. Aussi, le 2 septembre 1792, les religieuses étaient clans la douleur d'entendre les massacres qui se perpétraient à leur porte. Les révolutionnaires montés dans les cellules des Pères Carmes, vidées de leurs occupants, excitaient, des fenêtres, leurs camarades qui tuèrent tous les prisonniers dans le jardin. Nos Soeurs ne pouvaient pas ne pas entendre. Elles restèrent dans leur monastère jusqu'en octobre 1792 date à laquelle elles furent définitivement expulsées.

En 1800, les religieuses tentèrent de se regrouper. Mère Catherine Heu en réunit quelques-unes, rue Copeau, à Paris, mais cet essai ne put aboutir.

TOUL (Meurthe-et Moselle)

Fondé par Mère Mectilde, le 8 décembre 1664, ce prieuré fut toujours un modèle par sa ferveur et sa régularité. C'est là que Mère Mectilde prit les Soeurs dont elle eut besoin pour ses fondations et agrégations : Nancy - Paris - Saint-Louis-au-Marais Varsovie - Châtillon-sur-Loing.

Lorsque les décrets votés, le 13 février 1790, supprimant les voeux monastiques furent mis en application, la première opération projetée par les commissaires du district fut de faire voter les religieuses pour élire leur supérieure, étant bien entendu que celle qu'elles avaient mise antérieurement à leur tête, l'avait été par la contrainte !

Bien que déjà âgée, la Mère Prieure, Mère Saint-Benoît Bernard, fut élue par vingt voix (Soeurs de choeur et Soeurs converses unies), vingt voix sur vingt-et-une, la manquante était évidemment la sienne. La "procureuse", c'est-à-dire l'économe, fut, elle aussi réelue de la même manière. Elle se nommait Marie Aimée, Henriette Cachedenier de Vassimon ; c'est elle qui permit à la communauté de traverser l'orage sans de trop gros dommages et de relever son monastère.

Le 14 octobre 1792, les Soeurs sont forcées par la Révolution de sortir de leur monastère au nombre (le vingt Soeurs de choeur et trois Soeurs converses. La mère Prieure s'éteignait au bout de quatre mois. De pieuses demoiselles accueillirent les religieuses.

Après le décès de la mère Prieure, les Soeurs qui étaient réunies, élirent la Mère Marie Aimée de Vassimon comme Prieure. Un ancien récit la décrit : " comme la plus capable de gouverner dans des circonstances aussi difficiles... le Seigneur l'ayant pourvue de toutes les qualités nécessaires."

Alors qu'elles étaient encore unies chez leurs bienfaitrices, elles purent dresser un petit autel clans une alcôve, un prêtre venait y dire la messe, les confesser, les communier et y laisser le Saint-Sacrement, leur permettant d'assurer l'adoration perpétuelle. Mais cela ne dura pas.

La mère Prieure put loger ses Filles chez de bons catholiques, pas trop éloignées les unes des autres, elles parvinrent à garder un très bon contact, tant spirituel que temporel, toujours soumises à leur mère Prieure à qui elles remettaient le produit de leur travail, "partageant le même pain et le même potage" que leur portaient leurs infatigables Soeurs converses, se réunissant... quand c'était possible — on peut dire que la communauté ne fut jamais dissoute.

Au bout de six mois, le mère Prieure fut accusée et dût comparaître devant le tribunal du district ; mais elle mit tant de noblesse, d'énergie et de présence d'esprit dans sa défense que ses accusateurs furent confondus et durent la renvoyer chez elle. Mais en avril 1793, ils l'envoyèrent prendre, de nouveau, pour la mettre en prison. Toutes les Soeurs firent le voeu d'honorer spécialement la Nativité de la sainte Vierge et la mère Prieure fut remise en liber-

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té, contre toute attente, le jour de cette fête. Les Soeurs purent maintenir une certaine union entre elles et la mère Prieure, et assurer l'essentiel de leurs observances religieuses.

Après la sécularisation des biens ecclésiastiques, le couvent de nos Soeurs fut transformé en prison du district. En avril 1793, une trentaine de suspects furent emprisonnés dans la chapelle, à charge à eux de se nourrir et le 15 mars 1794, un second contingent de suspects les rejoignait.

Le club des Jacobins créé dès 1790 se réunit trois fois par semaine de quatre à sept heures du soir dans l'ancien séminaire du Saint-Esprit et dans notre couvent. Après la mort de Robespierre, 27 juillet 1794, le club se met en sommeil et se réunit pour la dernière fois le 5 avril 1795.

C'est en 1806 que les Soeurs se rassemblèrent ostensiblement. Des pensionnaires vinrent à elles et leur permirent de recevoir des sujets. Des moniales de Nancy et de Rambervillers se joignirent à elles.

La maison louée à Toul devint trop petite. Le couvent de Rambervillers encore debout n'avait plus d'église ; c'est alors que la Providence leur "offrit" le couvent qui avait été la propriété des religieuses de la Congrégation Notre-Dame fondée par saint Pierre Fourier. Le contrat d'achat date d'avril 1812. Les Soeurs purent prendre possession de leur nouveau monastère le 1er octobre 1812, vingt ans après leur expulsion de Toul. Ce fut un foyer de prière et d'adoration tout au long_du XIXe siècle, le plus florissant de notre Institut. Ce sont les lois spoliatrices de 1904 qui l'ont fait fermer. L'église est encore visible.

RAMBERVILLERS (Vosges)

Fondé en 1625 par Euphraise du Hautoy et Barbe de Hulce, alliées aux princes de Salm et à des grandes familles de Lorraine, moniales bénédictines de la Réforme de Lorraine des Saints Vanne-et- Hydulphe, il sera agrégé à l'Institut, le 28 avril 1666.

A l'aube de la Révolution, le couvent compte seize moniales de choeur et huit Soeurs converses. Par une délibération du Conseil général de la commune, en date du 23 février 1790, nous savons que malgré la suppression des Ordres réguliers, une exception est faite "pour les religieuses de l'Adoration perpétuelle qui menaient une vie édifiante, faisaient d'abondantes aumônes, donnaient l'instruction aux jeunes filles et secouraient les pauvres si efficacement qu'elles rendaient inutile l'établissement des Sœurs de la Charité venues depuis peu dans la ville."

Dans un texte manuscrit, daté du 22 janvier 1791, nous lisons : " le maire et les officiers municipaux de Rambervillers se sont présentés au couvent des Dames religieuses du Saint-Sacrement pour dresser un état de toutes les religieuses qui composent ce monastère et pour recevoir leurs déclarations, si elles entendent sortir de leur couvent, ou continuer de vivre en communauté. Ces Dames au nombre de vingt-quatre ont toutes déclaré aimer mieux mourir que de quitter la vie commune à laquelle elles sont engagées par leurs voeux." Cependant, l'inventaire de leurs biens est pratiqué du 31 janvier au 11 février 1791.

Dans la séance du 14 mai 1791, - acte des délibérations - "les Soeurs dénoncées le sont pour avoir refusé l'entrée du monastère à l'évêque constitutionnel Mandru qui voulait se faire ouvrir par la force."

Déjà, le 30 avril, ce même directoire avait vertement blâmé les bénédictines pour "leurs propos séditieux ! au sujet des prêtres réfractaires... dignes des temps d'ignorance et de barbarie... !"

Selon les archives de la ville, nous relevons que le maire qui était en juin 1791, le Sieur Roussel, est relevé de ses fonctions pour avoir refusé de participer aux assemblées élisant un évêque et un curé constitutionnels, "l'Assemblée Nationale, ayant outrepassé ses droits en décrétant la Constitution Civile du clergé...

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mais ses administrés ne l'entendant pas de cette oreille se plaignirent au département à Epinal et le Sieur Roussel fut ramené "en cérémonie" et prié de reprendre ses fonctions."

Quelques incidents marquèrent l'année 1791 : le refus par un prêtre réfractaire - Monsieur Poirot, aumônier du monastère - de se découvrir sur le passage du cortège de l'assemblée. Le refus des Soeurs du Saint-Sacrement de sonner les cloches lors de la réception de l'évêque constitutionnel Mandru.

Du 15 au 27 octobre 1792, on vend le mobilier qui est dans le couvent. En mars 1793, le 4, et en mai, les 21 et 22 nouvelle vente, cette fois : des orgues, des bancs et des stalles, enfin une partie de la sacristie. Le tout était très pauvre.

Le 8 novembre 1795, liquidation totale et suppression du monastère, au profit d'une habitante de la ville, la veuve Christine Vaillant, maman de la dernière novice du monastère de Rambervillers.

Tout ceci est conservé aux archives départementales des Vosges à Epinal et aux archives de la ville de Rambervillers.

En 1793, est décrété l'enlèvement des signes extérieurs du culte. Mais comme pour l'obligation du calendrier révolutionnaire qui supprimait le dimanche et imposait le décadi, la population ne mit que très peu d'efforts à suivre ces ordres et les choses traînèrent en longueur.

Une extrême pénurie de grains obligea le district à faire appel à des départements voisins, avec peu de résultàts d'ailleurs. Nos Soeurs eurent grandement à souffrir de cette disette.

Si la chute de Robespierre mit fin à la Terreur qui ne paraît pas avoir été très violente à Rambervillers, la passion antireligieuse de la Convention ne désarmait pas et l'an IV vit l'application stricte des lois de 1792-1795 qui poursuivaient les prêtres : douze dans le district - un seul fut arrêté à Rambervillers.

Chassées de leur couvent, quelques Soeurs, dont les plus jeunes, sont rentrées dans leurs familles. D'anciennes traditions rapportent qu'au début de notre siècle certaines familles possédaient encore des objets ayant appartenu au monastère et qu'elles les conservaient avec vénération.

L'église fut détruite au début du XIXe siècle. Les bâtiments du monastère ont été employés par la ville pour école. (Actuellement, la partie ancienne est classée). C'est pour cette raison que les moniales se joignirent à leurs Soeurs de Toul et de Nancy lorsqu'elles purent reprendre la vie commune.

L'une des survivantes vint se joindre, en mai 1823, à la communauté qui s'était regroupée à Paris dès 1802. Catherine Blaux, Mère sainte Thècle, apportait à la fondation l'esprit de son monastère de Profession. Sa notice nécrologique nous dit : "elle possédait les vertus de l'Institut dans le plus éminent degré : sa conduite était une preuve de ce qui se disait de la parfaite régularité de sa Maison qui paraissait n'avoir pas dégénéré depuis sa fondation."

Peut-on faire un plus bel éloge de la communauté qui fut la première formatrice de Mère Mectilde.

NANCY (Meurthe-et-Moselle)

L'abbaye Notre-Dame de Consolation de Nancy avait été fondée par Catherine, princesse de Lorraine, fille du duc Charles III, un des plus glorieux de l'histoire de Lorraine. Catherine l'avait donnée, en 1648, en héritage à sa nièce Marguerite de Lorraine. De grandes difficultés financières- ayant rendu la vie du monastère difficile, la duchesse Marguerite songea à Mère Mectilde pour relever ce couvent.

Les premières lettres patentes datent du 15 janvier 1669. La première Exposition du Saint-Sacrement du 13 avril 1669. Il est remarquable que les religieuses avaient une grande dévotion au

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Saint-Sacrement et à la sainte Vierge depuis trente-cinq ans, lorsque le monastère fut agrégé à l'Institut. On le vît bien lorsque l'une des cloches de l'église est tombée. Elle portait l'inscription "Loué soit le Très-Saint Sacrement".

A la veille de la Révolution, le monastère abritait vingt huit religieuses de choeur et neuf Soeurs converses.

Lorsque les Ordres religieux furent abrogés, les Soeurs demeurèrent encore quelque temps dans leur couvent mais la propriété en fut attribuée à la nation. Aussi, dès le 14 mars 1791, des portions des terres et des vignes furent vendues. Le 3 novembre 1793, on signifia aux moniales leur expulsion définitive. "Dom Claude Richard, directeur spirituel des Bénédictines du Saint-Sacrement en 1787, était né à Lérouville (Meuse) en 1741, Profès de l'abbaye de Moyenmoutier (Vosges). Incarcéré fin novembre 1793, transféré à Rochefort où il arrive début 1794, meurt le 9 août sur les "Deux Associés" après s'être dévoué comme infirmier auprès de ses compagnons de misère. On l'inhuma à l'île d'Aix. Il a été béatifié le 1" octobre 1995. Ce pieux enfant de saint Benoît était la douceur et la bonté personnifiées. Dans l'extrême pénurie d'infirmier où nous laissait la mort de presque tous ceux qui avaient ce titre, il s'offrit généreusement au plus fort de la contagion, pour remplir ce périlleux emploi, dont il s'acquittait avec beaucoup de succès et à la grande satisfaction des malades, parce qu'il avait le talent de s'insinuer dans les coeurs. Mais, trop faible pour résister à de pareilles fatigues, il fut emporté au bout de quelques semaines, après une agonie extrêmement douloureuse et malheureusement beaucoup plus longue qu'on avait lieu de la craindre pour un homme déjà âgé, et dont toutes les humeurs paraissaient douces et calmes."(Lettre aux Amis de Solesmes, 1995 — 4).

Deux Soeurs se sont réfugiées chez leurs neveux et leurs ont laissé la recette des macarons, recette qu'elles avaient inventée. Du monastère des Bénédictines, dont l'entrée principale était rue Saint-Dizier, il ne reste plus en souvenir que le nom d'une rue : rue des Soeurs Macarons.

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Le 3 novembre 1793, les meubles du monastère furent vendus à l'encan, les livres transportés dans la grande salle de l'Université, l'église fermée et convertie en grenier à foin.

En 1796, fut vendue la maison où étaient élevées les jeunes filles du pensionnat et, en juillet de la même année, c'est le verger, le jardin potager, des bâtiments secondaires et le choeur de l'église. Le département se réservait l'emplacement nécessaire au percement d'une rue, laquelle ne sera ouverte qu'en 1841/42 (actuelle : rue du Général Drouot).

Le 14 juillet 1797, ce qui restait de la nef de l'église fut vendu pour servir à des usages profanes.

Dans son Histoire de Nancy éditée en 1909, Christian Pfister écrit que l'on peut reconnaître au numéro 38 de la rue Saint-Nicolas, au fond d'une cour, quelques restes, de la maison des pensionnaires, reconnaissables à la haute toiture.

Le couvent totalement démembré ne put se relever après la Révolution. Quelques religieuses se joignirent à leurs Soeurs de Toul et d'autres à la réunion de Paris en 1812. Les trois communautés lorraines se reformèrent à Saint-Nicolas-de-Port.

En 1817, Monseigneur Menjaud, alors évêque de Nancy et de Toul, primat de Lorraine, inaugura l'Adoration perpétuelle. Le premier jour de l'année liturgique (1' dimanche de l'Avent), on exposa le Saint-Sacrement à la Cathédrale-Primatiale de Nancy, puis à tour de rôle, dans chacune des paroisses du diocèse, ainsi tout au long de l'année sans interruption. De la sorte, ce qui fut la pensée centrale de Mère Mectilde du Saint-Sacrement : l'Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement se trouvait réalisée, autrement, mais effectivement, bien que dans un contexte différent.

ROUEN (Seine-Maritime)

Les premières Lettres Patentes octroyées à Mère Mectilde par

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Monseigneur François de Harlay, datent de mars 1663. La fondation d'un monastère à Rouen était désirée par nombre d'habitants. Nous en avons une preuve par les inscriptions relevées sur un petit cahier "Registre des Associés aux Religieuses du Très-Saint-Sacrement", dès l'année 1683. La plupart des adorateurs sont des laïques tant hommes que femmes. La première année on relève déjà quatre cents inscriptions.

La première Exposition du Saint-Sacrement, rue des Arsins, eut lieu le 4 novembre 1677. C'est la date officielle de la fondation. Le 26 juin 1684, la communauté s'installe au Château de Mathan, rue Morand.

En exécution des décrets de février 1790, trois membres du district se présentèrent au monastère, rue Morand, le 12 août, à huit heures du matin.

Très bien reçus par la mère Prieure et la communauté qui, dans leur ensemble, étaient fort ignorantes des événements qui se déroulaient en France, ces Messieurs du district se montrèrent très bienveillants "ne cherchant qu'à faire le bonheur des religieuses", et même assez religieux pour commencer leur visite par la prière à l'église. Tout fut examiné avec la plus grande attention : les noms et les activités de chaque religieuse, les biens mobiliers et immobiliers, les titres furent mis sous scellés. Ensuite "ils visitèrent la maison de fond en comble, et se retirèrent dans la soirée en nous renouvelant leurs obligeantes protestations."

Malgré leur bienveillance, ces Messieurs firent lecture des ordres de l'Assemblée Nationale, interdisant les voeux solennels et chaque Soeur dût comparaître en particulier pour déclarer son intention de sortir ou de demeurer dans le monastère. Toutes déclarèrent qu'elles voulaient être fidèles à leurs voeux et à la vie commune et signèrent leur déposition.

Le même interrogatoire fut renouvelé le 3 janvier 1791, avec les mêmes réponses et... le même succès ! Elles furent toutes et toujours, fidèles à leurs engagements même aux jours les plus durs de la Révolution. Ni les menaces, ni l'exode forcé de leur monastère, ni la prison, n'ébranlèrent leur fermeté. Il fallut donc passer aux élections de la supérieure et de l'économe. Réélection sans surprise, car l'élection canonique ayant déjà été faite, celle-là seule comptait pour les Soeurs.

Le 4 mars, les commissaires du district se firent remettre les contrats des biens et même les fondations de messe. La nation se chargeait de l'entretien du chapelain = 7 écus, 32 livres. Les Soeurs de Choeur recevaient chacune une pension de 390 livres et la Révolution qui venait de proclamer l'égalité, n'accordait que 199 livres aux Soeurs converses... ! Promesses qui d'ailleurs ne furent jamais exécutées.

En conséquence de la Constitution civile du clergé imposée à l'Église de France, en juillet 1790, un très grand nombre de prêtres refusèrent de prêter le serment exigé. Seuls les prêtres "jureurs" eurent l'autorisation de poursuivre ouvertement leur ministère.

Les officiers municipaux vinrent donc signifier à la mère Prieure qu'elle n'avait plus le droit d'ouvrir sa chapelle au public. Sur son refus d'obtempérer, les officiers municipaux requirent un serrurier. Il condamna la porte de l'église par trois barres de fer à l'extérieur et quatre sur les battants de la porte. Qu'à cela ne tienne, les fidèles entraient... par la porte du couvent. Mais ces allées et venues ne purent passer inaperçues et le 18 février 1792, les municipaux vinrent de nouveau perquisitionner.

Puis les événements se précipitent : le' octobre, expulsion des religieux et déportation des prêtres insermentés. L'aumônier de la communauté, l'abbé Nicolas Cousin, émigre le 7 septembre avec son frère vers l'Angleterre. Fin novembre, les Soeurs reçoi-

vent l'ordre de "vider les lieux". Le mobilier fut transféré en divers dépôts : la bibliothèque, les tableaux, les ornements de la sacristie, en ce qui fut l'abbaye de Saint-Ouen. Revêtues d'habits séculiers, les Soeurs sont accueillies dans leur famille ou chez des amis de la communauté. Durant ce temps, l'abbé Cousin ne cessait de penser aux Soeurs dont il avait la charge spirituelle. Malgré les conseils de prudence, il n'y pût tenir et en juin 1793, en pleine Terreur, il rentrait à Rouen.

Sous des noms d'emprunt et des costumes fort divers, il visitait les Soeurs et leur apportait les secours spirituels dont elles avaient le plus grand besoin. Deux de ses amis, prêtres réfractaires comme lui, l'assistaient pour ne pas trop attirer l'attention sur une seule personne ; c'étaient l'abbé Samuel et l'abbé de Chavannes.

Le groupe réfugié chez Madame de Villequier avait la grâce de posséder le Saint-Sacrement dans une petite pièce retirée, à l'insu, ou presque, de leur charitable hôtesse, et par prudence pour toutes.

La Convention mène une lutte ouverte contre "tout manque de civisme" et envoie à Rouen, un représentant avec pleins pouvoirs : Siblot. Les perquisitions s'intensifient et, le 24 mars 1794, le premier groupe des Soeurs avec la mère Prieure est arrêté. Quinze jours plus tard, un autre groupe de sept Soeurs est arrêté. Mais le maire de Rouen rêve de mieux faire. Il décide "une battue, qui doit délivrer la ville de tous les scélérats". Il convoque tous les frères de la "Société populaire". Dès onze heures du soir la ville est cernée. Six cents hommes sont recrutés, divisés par groupes de dix. A deux heures du matin commence la grande battue. Les dernières religieuses encore libres sont arrêtées. Avec les nombreuses victimes de cette nuit tragique, elles furent incarcérées dans l'ancien couvent des Clarisses qui se révéla vite trop petit. Puis, toutes les religieuses furent tranférées dans l'ancien couvent Sainte-Marie. Elles allaient deux par deux ; en tête la mère Prieure des Carmélites avec une de ses Soeurs. Ce cortége encadré d'une double haie de soldats avait quelque chose de si impressionnant que "la foule ne put s'interdire de respect et de pitié" : 23 floréal = mai 1794.

La concierge de la prison nommée Françoise, tempérament de soldat et coeur d'or, semble bien n'avoir sollicité ce poste que pour venir en aide aux détenues. Nos annales nous livrent les vrais sentiments du coeur de Françoise : "Elle était touchée par l'union qui régnait entre les prisonnières et surtout par l'affection respectueuse des Bénédictines pour leur mère Prieure. Oui, je les aime ces braves filles, parce qu'elles sont comme de petits poussins avec leur Mère".

Elles étaient cinq cents, détenues dans le plus grand dénuement. Ce fut une vraie vie de ferveur et de charité entre toutes, note une des religieuses.

Les Soeurs avaient imaginé de creuser la poitrine d'une poupée de cire, une sorte de custode dans laquelle elles conservaient l'Eucharistie. Françoise était de connivence. Lorsque des visiteurs indésirables se présentaient, elle hurlait et accablait les religieuses des injures de son riche vocabulaire. C'est aussi grâce à elle qu'un prêtre venait célébrer la messe le dimanche dans une chambre haute de l'ancien couvent des Capucins situé en face de la prison. Un mouchoir attaché à la fenêtre signalait aux religieuses le temps de la messe. Il reste qu'elles ont beaucoup souffert de la faim car il fallait tout acheter, même l'eau, et elles n'avaient aucune ressource.

La mort de Robespierre, le 28 juillet 1794, ne paraît pas avoir libéré les prisonnières. Le 28 thermidor = 28 août, les prisonnières sont transférées avec Françoise, dans une autre prison. Mais les "ex-religieuses" doivent rester sur place sous la conduite d'une autre gardienne. Malgré la chute de Robespierre, le régime des prisons ne semble pas meilleur et la gardienne présente plusieurs pétitions pour... réclamer ses gages.

Enfin, le 27 septembre, un envoyé de la Convention — Sautereau — nomme une nouvelle municipalité. Le régime des

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prisons s'adoucit notablement. Les détenues sont autorisées à communiquer quatre heures chaque jour avec un ou deux parents agréés par le district. Elles sont alors trois cent soixante-quatre détenues à la prison Marie (le monastère de la Visitation Sainte-Marie ne devait être prévu ordinairement que pour une cinquantaine de religieuses environ...).

Le 18 janvier 1795, arrive l'arrêté du Conseil de Sureté générale portant "la mise en liberté de toutes les ex-religieuses détenues à Marie."

Quand aux prêtres, ils devront attendre le décret du 21 février 1795, pour que soit rétablie, en principe, la liberté du culte. Les églises sont rouvertes, les prêtres sortent de la clandestinité. Mais, dès le 28 août suivant, les églises sont à nouveau fermées et le culte redevient secret.

Le 23 janvier 1795, les religieuses sortent de prison mais elles n'ont ni logement, ni ressources. Leurs charitables hôtes des années précédentes, leur offre de nouveau asile.

L'abbé Cousin n'avait qu'un désir : reconstituer la communauté. A cet effet, un premier groupe, retourne rue Morand, face au monastère, avec la mère Prieure et douze moniales. Neuf autres vont rue de la Seille. La Mère Sous-prieure et cinq autres religieuses se retirent dans une maison particulière pour avoir plus de liberté pour rendre à la communauté les services nécessaires à sa survie.

Le couvent, rue Morand, avait été affecté à l'usage de filature et vendu comme bien national, le 21 janvier 1796.

Sans en rien dire à la communauté, Monsieur Cousin, cherchait où permettre à "ses filles" de reprendre une vie monastique. Le couvent des Pères Minimes, avait été acheté par un particulier en 1791 et avait servi en partie de dépot de grains et de denrées alimentaires. Les Minimes ne s'étant pas reconstitués, Monsieur Cousin pensa qu'"il ferait très bien l'affaire."

Madame de Radepont, fidèle bienfaitrice durant toutes ces heures tragiques, acheta le monastère en son nom. Plus tard, sa nièce, Madame de Roncherolles, le légua à la communauté.

Le monastère des Minimes adapté à sa nouvelle destination, les réparations urgentes achevées, Monsieur Cousin eut l'immense joie de réinstaller la communauté dans un couvent digne de ce nom, le 4 mai 1802.

Peu à peu la vie religieuse régulière reprit d'autant mieux que les Soeurs avaient tenu à l'essentiel avec ferveur en toute cette tempête. Les vocations se présentèrent mûries par ce temps d'épreuves. En quinze ans, vingt-huit religieuses firent Profession. La croix garde sa place de choix, source unique de grâces et de progrès, elle va venir de la part du Cardinal Cambacérès, archevêque de Rouen. Plein d'admiration pour l'abbé Nicolas Cousin et la ferveur des moniales, mais instruit par les malheurs de toutes ces années, il ne leur permettra de reprendre leur habit monastique qu'en 1816. Monsieur Cousin est mort le 29 janvier 1817.

Nos annales relèvent sobrement, mais en vérité, tout ce que la communauté a dû à son Directeur : "C'est au moment de son émigration que tout espoir semblait être perdu, et, qu'éloignées les unes des autres, nous étions restées unies par les coeurs ; nous reconnaissons que cette union des coeurs nous l'avons tenue après Dieu, à la sage conduite de notre respectable restaurateur."

PARIS - Saint-Louis-au Marais

Ce monastère a été fondé par un groupe de cinq religieuses venant du couvent lorrain de Toul. La première Adoration perpétuelle eut lieu le 21 septembre 1685, date officielle de la fondation. Après nombre de tractations les moniales s'intallèrent dans l'hôtel du Cardinal de Bouillon, rue Neuve Saint-Louis-au-Marais à Paris. Les Soeurs étaient fort pauvres comme l'atteste leur livre de comptes conservé aux Archives Nationales.

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En 1790, les religieuses sont au nombre de vingt-huit. La plus jeune Soeur est converse, elle a vingt-trois ans. Les commissaires de la République se présentent pour une première perquisition le 19 juin 1790. La simplicité de vie des religieuses, la pauvreté du mobilier, même à la sacristie, semblent les impressionner. Un procureur est nommé pour s'occuper de leurs affaires près de la municipalité de Paris. Les Soeurs ont-elles été interrogées comme en d'autres maisons religieuses ? Il semble qu'elles ne furent pas trop inquiétées.

Dès 1789, quand les premières mesures antireligieuses furent connues, la mère Prieure et la communauté s'empressèrent d'adresser une supplique à l'Assemblée Nationale. En présentant les raisons de la fondation de leur couvent, leur utilité pour l'éducation de la jeunesse, elles espéraient par là, parer au coup qui les menaçait. Cette supplique était signée par la mère Prieure, les dix-huit moniales de choeur et les huit soeurs Converses. Elle resta sans réponse.

Après le décret qui supprimait les voeux monastiques, les novices quittèrent le monastère, excepté la Soeur des Anges, que nous trouverons, fidèle, en toutes ces années terribles.

De 1789 à 1792, les religieuses purent vivre dans leur monastère, souvent menacées par des bandes hurlantes mais jamais personne ne put forcer les portes. Visiblement, le Seigneur et Notre-Dame les protégeaient.

Le 25 août 1792, les Soeurs reçurent l'ordre de quitter le monastère. Se partageant ce qui n'avait pas été spolié, elles se séparèrent, ce jour même, à midi, avec une extrême douleur.

Environ à cette date, les archives ne précisent pas, les religieuses unanimes firent le voeu de célébrer en grande solennité la fête du Très Saint Coeur-de-Marie, si Notre-Dame, notre Abbesse, leur obtenait de se réunir un jour.

En 1792, une des moniales réussit à racheter pour 50 écus, la Vierge du choeur, qui était mise en vente publique en même temps que tous les meubles du monastère. Cette Vierge était en bois doré datant de la fin du XVII' siècle. On peut légitimement penser que ce fut la statue de Notre-Dame Abbesse, qui présidait dans le choeur du monastère et que Mère Mectilde l'a connue.

Un groupe de Soeurs autour de la mère Prieure se réunit dans un logement que celles-ci pourront louer près de la prison de la Force, d'où elles entendront les trop célèbres massacres de septembre 1792. Elles se retirent alors par petits groupes dans leur famille. Une moniale reste à Versailles et soigne les malades dans un hôpital. Une autre passe en Angleterre. Les Soeurs converses travaillent dans des maisons particulières pour subsister.

La Prieure, mère Adelaïde Rosalie de la Présentation de Saint-Estève, meurt le 3 décembre 1792. La Mère Sainte-Marie et la Mère Mectilde, qui seront plus tard les piliers de la réunion, se réfugient loin de Paris près de madame de Grosbois qui les aidera si puissamment quand les Soeurs pourront reprendre la vie commune.

La chronique de cette époque nous brosse le tableau de la vie des Soeurs de 1792 à 1796. "La plus constante union régna parmi ces Soeurs dispersées. Elles eurent à souffrir toutes les privations qu'endurèrent les autres religieuses à cette époque désastreuse : les secours spirituels leur manquèrent longtemps... elles vécurent toutes au milieu du monde de la manière la plus édifiante, et les personnes qui les ont connues ont rendu témoignage qu'aucune n'a manqué à ses saints engagements".

En 1796, les temps devenus plus calmes, la Mère Mectilde et la Mère Sainte Marie revinrent à Paris. Elles purent trouver un modeste logement dans une maison où s'était déjà réfugiée la supérieure de la Visitation de Moulin, Madame de Damas, Mère Marie-Augustine.

En venant à Paris, Madame de Damas avait apporté le coeur de sainte Jeanne de Chantal. Nos deux religieuses obtinrent de faire une neuvaine devant cette précieuse relique en demandant à la sainte fondatrice de la Visitation de leur obtenir la grâce de reprendre leur vie monastique régulière.

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En 1802, les Soeurs projetèrent de se joindre à la communauté de Rouen de nouveau réunie. Mais l'abbé de Floirac, chargé des religieuses par le Cardinal de Belloi, leur conseilla de tenter de se regrouper, à Paris, comme leurs Soeurs de Rouen. La plupart des religieuses de Saint-Louis avaient pu vivre à Paris. Aussi vinrent-elles, avec enthousiasme, se rassembler dans un logement au n° 548, rue saint Anastase. A leur demande, Mère saint François d'Assise qui avait été la dernière Prieure du monastère de Dreux en 1792, accepta de reprendre la charge de Prieure.

Le 19 août 1802, on dressa l'acte de réunion. La Mère Saint François d'Assise fut élue selon nos Constitutions et le 21 août on procéda aux nominations.

Les religieuses, qui étaient en 1789 dix-neuf moniales de choeur et huit soeurs Converses, ne se trouvaient alors que six moniales. Quatre étaient décédées et six ne purent rejoindre la communauté pour des raisons diverses. Le 30 septembre, la mère Prieure et dix religieuses (moniales, novices et Soeurs données), s'installaient rue de la Perle.

Le le' octobre, deux moniales de Dreux et une Soeur donnée demandèrent d'être incorporées à la nouvelle communauté. Mère Saint François Xavier, moniale de la rue Cassette demanda son incorporation.

Ce même jour, elles reconnurent la sainte Vierge comme Abbesse, selon l'esprit de Mère Mectilde du Saint-Sacrement. De même d'un commun accord, elles reprirent l'observance, les veilles de nuit, l'Adoration perpétuelle en son entier sans craindre pour les santés altérées par ces années terribles. La communauté était reconstituée.

En 1809, les Soeurs achetèrent l'ancien couvent de Sainte-Aure, sur la montagne Sainte-Geneviève. A ce moment, elles étaient vingt-deux religieuses de choeur, neuf Soeurs converses et deux novices. De 1802 à 1809, un certain nombre de religieuses, soit de

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notre Institut (Cassette, Nancy), soit d'abbayes ou de couvents qui n'avaient pu se reconstituer, demandèrent à être agrégées. Dans certains cas cet essai fut un échec, mais nous voyons, en comparant les chiffres, qu'il y eut beaucoup de réussites. Ce qui montre la grande charité qui régnait dans la communauté.

Quant au couvent de Saint-Louis, ce qui avait été l'église fut incorporé au diocèse, ayant été peu détériorée pendant la Révolution. Une église fut bâtie sur l'emplacement du monastère, dédiée à saint Denis. Elle fut solennellement bénie par Monseigneur de Rohan Chabot, ancien Evêque de Mende, le jeudi 21 décembre 1809. En souvenir de plus de cent années de prière et de louange de nos Soeurs dans ce lieu, l'église se nomme actuellement Saint-Denys-du-Saint-Sacrement.

CAEN (Calvados)

Fondé, d'abord à Pont-l'Evêque puis à Caen par des moniales de Montivilliers, le 26 août 1639, ce prieuré bénédictin, eut Mère Mectilde pour Prieure de 1647 à 1650. Il s'agrégea à notre Institut, le 30 septembre 1685. Elles étaient vingt-huit religieuses.

Ce couvent qui fut aidé par des influences heureuses et puissantes, subit au cours du XVIIIe siècle de graves infortunes financières, c'est pourquoi, de 1732 à 1744, il leur fut interdit, comme à bien d'autres, de recevoir des novices. En 1790, les Soeurs étaient encore trente-quatre. Il semble que la ville de Caen était déjà passablement agitée dès 1788. On conseilla aux moniales de se préparer au pire et l'on avança la Profession de deux jeunes novices.

En 1789, une disette grave atteignit tous les habitants. Le 18 juillet, une foule vociférante envahit le château de Caen, tout proche du monastère. Il en fut de même le 11 août. Les Soeurs suivaient évidemment tous les événements et leurs amis leur conseillaient de prévoir toutes éventualités.

Les ordres religieux étant supprimés, dès mars 1792, la municipalité de Caen envoya des commissaires au couvent de Notre-

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Darne de Bon-Secours, le 9 juillet, pour procéder à l'inventaire des biens qui devenaient propriété nationale, et à un interrogatoire des religieuses pour les libérer de l'"oppression". Les réponses de chaque Soeur, consignées par les commissaires, montrent leur attachement indéfectible à leurs voeux, à la Règle de saint Benoît et à l'Adoration perpétuelle.

Aussi, le 17 août 1792, leur était-il signifié l'ordre d'expulsion "sous cinq jours". Le, 20 août, le curé, assermenté, de la paroisse voisine vint enlever tous les ornements de la sacristie, les vases sacrés, le ciboire et les hosties consacrées. Dans le plus grand déchirement, les moniales se dispersèrent dans leurs familles. Elles parvinrent à sauver la statue de Notre-Dame Abbesse et quelques reliquaires dispersés en ville. Une famille courageuse, qui cachait déjà un jeune prêtre, accueillit le mère Prieure et deux Soeurs. Ce jeune prêtre, l'abbé Dufour, essaya par deux fois de s'embarquer pour l'Angleterre, sans y réusbii. Comprenant que la volonté de Dieu était qu'il resta en France, il trouva une autre cachette et se dévoua sans compter aux fidèles et aux religieuses. Une très grande pauvreté fut le lot des Soeurs durant ces années. N'ayant pas d'argent et les vivres étant fort chères, les occasions de mortifications ne leur manquèrent pas.

Dès que la chose fut permise, la mère Prieure fit venir près d'elle d'autres Soeurs et elles purent, autant que possible, assister à la messe et recevoir les sacrements car il était prudent de participer au moins partiellement aux offices de paroisse quand il y en avait.

Dans leur maison de refuge, elles avaient confectionné une jolie bourse. Elles avaient déposé une hostie dans ce pauvre tabernacle qu'elles avaient attaché derrière un cadre. Là, elles assumaient leur tâche d'adoratrices de quatre heures du matin à vingtet-une heure.

En, 1795, elles purent louer une petite maison dont l'abbé Dufour et une amie des religieuses paya le loyer. Des amis de la communauté aidèrent aussi par des dons en nature et parfois en

argent. C'est ainsi que, dès cette date, la communauté en grande partie réunie, avait repris l'essentiel de sa vie religieuse. Première communauté monastique à assumer sa vie religieuse alors que la persécution sévissait encore fortement.

Bientôt, des vocations se présentèrent. Le vicaire général agissant au nom de l'évêque, encore en exil, les reçut et leur imposa un habit noir. Le port de l'habit monastique ne pourra se faire qu'en 1805.

L'abbé Dufour avait enfin trouvé un local, l'ancien couvent des Cordeliers, pas trop dévasté par les révolutionnaires. Douze ans après l'expulsion de leur monastère, les Soeurs pouvaient enfin discrétement reprendre une vie régulière. Le 18 février 1806, eut lieu la première Profession. Le monastère était sauvé et reprenait ouvertement sa tâche d'Eglise.

CHÂTILLON-SUR-LOING (Loiret), aujourd'hui Châtillon-Coligny

La première Exposition du Saint-Sacrement eut lieu le 21 octobre 1688, date officielle de la fondation de ce monastère.

Désiré par la princesse Isabelle de Meckelbourg, en réparation des fautes commises par les ancêtres protestants de son premier mari, Monsieur de Coligny, le couvent, ne fut jamais très important. L'effectif n'a jamais atteint la trentaine, on y avait prévu vingt-six cellules.

Lors de l'assemblée que les religieuses sont obligées de tenir le 12 mars 1789, pour procéder à l'élection d'un député à l'assemblée générale des Trois Etats au Bailliage de Montargis, la communauté se composait de quatorze Soeurs de choeur, de sept Soeurs converses et de quatre Soeurs de voeux "plus récents".

A la veille de la Révolution, à la suite de mauvaises récoltes et de l'incendie d'une partie du monastère, la mère Prieure fait appel à la générosité du Cardinal de Luynes, (diocèse de Sens),

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pour "le maintien d'une maison utile et nécessaire aux pauvres d'un pays, le plus pauvre qui fut jamais". Le registre des charges du monastère porte : dons aux pauvres 200 livres.

Du 16 au 22 juillet 1790, on procède à l'inventaire des biens du couvent. Les municipaux de Châtillon étaient assez modérés pour ne pas inventorier l'église et la sacristie, mais les biens sont nationalisés "pour aider au désendettement de l'Etat" ; en fait ils profitent surtout aux particuliers qui achetèrent ces biens, devenus nationaux, à partir du 28 décembre suivant. Le collège, qui avait été jugé impropre a une utilisation privée, fut acquis par la municipalité en septembre 1792 pour y tenir ses réunions.

La loi du 20 mars 1791 avait encore autorisé les religieux à vivre en commun, aussi la vente de leur maison est elle suspendue... jusqu'à la loi du 17 août 1792, qui décide d'expulser tous les religieux et religieuses, demeurant encore dans leurs couvents. De jeunes Soeurs cherchent refuge dans leur famille.

Le 18 septembre 1792, le registre des délibérations de l'administration municipale note que, les religieuses "consentent à sortir de leur maison". On nomme un commissaire, gardien des biens restés dans la maison. Mais quelques mois plus tard on s'inquiétera d'un certain nombre de disparitions.

La vie des Soeurs s'organise peu à peu. Certains actes passés devant notaire prouvent que les moniales n'entendent pas être prises de court. L'une d'elles loue une maison en face de l'église. Manifestement cette maison est bien trop grande pour une personne seule. Une autre religieuse va demeurer chez ses cousins. D'autres actes notariés prouvent l'entraide, sous la forme de logement et de nourriture, qui s'est établie fraternellement, mais avec certaines garanties par actes notariés, sages précautions en ces temps troublés.

En mars 1793, elles sollicitent leur "acte de civisme" près de la municipalité, acte leur permettant de toucher la pension, compensation de leurs biens spoliés, les aidant à survivre.

Si les autres religieuses ne se sont pas manifestées, il semble cependant qu'elles se soient cachées soit à Châtillon, soit dans la région.

Les Soeurs de Châtillon sont les seules religieuses des communautés de l'Institut à avoir fait cette demande d'un acte civil de civisme pour obtenir leur pension et donc d'avoir prêté un "serment". Ne nous en étonnons pas pour deux raisons : leur aumônier, Pierre, Antoine Hubert, à lui aussi, prêté le serment comme la plupart des prêtres de la région. De plus, la municipalité de Châtillon paraît bien avoir eu un esprit révolutionnaire très modéré qui n'a pas obligé les religieuses à une résistance obstinée.

Passée la période révolutionnaire on ne retrouve que douze religieuses groupées à Châtillon. Ce chiffre est-il officiel ou un nombre symbolique ? Mère Mectilde demandait que les communautés de son Institut comptent au moins douze Soeurs pour assurer l'Adoration perpétuelle.

Les registres de l'état civil enregistrent les décès peu à peu. En 1830, elles ne sont plus que quatre.

La dernière moniale de Châtillon, Marie Catherine Remi, Soeur Sainte-Mélanie, est décédée le 27 avril 1838, âgée de quatre-vingt huit ans et sept mois. Elle a entretenu une correspondance active avec la jeune fondation d'Arras. Il semble qu'elle aurait désiré se joindre à cette communauté, mais la mère Prieure Saint François de Sales, n'a pas jugé prudent d'accéder à son désir, étant le soutien de ses Soeurs. Alors, elle envoya à Arras tous les derniers souvenirs sauvés du désastre révolutionnaire : des livres, registres, et le souvenir le plus précieux : la petite statue de la Vierge.

Quatre religieuses ont assuré durant bien des années l'école des petites filles et il paraît bien que même aux heures tragiques la population n'ait jamais été vraiment hostile, et que les Soeurs ont toujours été respectées.

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Une étude très documentée doit paraître sur ce monastère en cette année 1998. Elle est due à un ami du monastère de Rouen, Monsieur Jean-Marie Voignier, à qui nous devons un très grand nombre d'archives, tant de Lorraine que de Paris, non encore publiées.

DREUX (Eure-et-Loir)

Nos Soeurs de Dreux, dont le couvent avait été originairement fondé à Anet (Eure-et-Loir), en 1640, puis transféré à Dreux, firent appel à Mère Mectilde dès 1680. L'Adoration perpétuelle est inaugurée, le 23 février 1696. Elles obtinrent leurs lettres patentes en 1701.

A la suppression du couvent en 1792, on note la présence de douze Soeurs de choeur et une Soeur converse qui mourut le 2 juin 1796.

Il semble que ce monastère ait toujours connu une très grande pauvreté. Les religieuses étaient originaires de Paris, ou de Dreux même et de la région.

La mère Prieure, Mère Saint François d'Assise (Nicole Tertre), baptisée à la paroisse Saint-Jacques-du-Haut-Pas à Paris, le 7 octobre 1729, était Prieure depuis seize ans quand elle se retira à Versailles. C'est à elle que les moniales du second monastère de Paris, Saint-Louis-au-Marais, feront appel lors de leur réunion en 1802. Elle sera leur Prieure jusqu'à sa mort en 1816.

Dès le 22 juin 1790, les envoyés du district font un premier inventaire des biens du couvent mais en laissent aux Soeurs la propriété.

Le 22 septembre 1791, la communauté est convoquée au Chapitre, par ces Messieurs du district qui emportent les archives. Ce sont toujours les rentes et les fermages qui sont convoités pour résoudre l'éternel endettement de l'Etat. Ce qui la plupart du temps, ne servit qu'à l'enrichissement des particuliers qui "achetèrent" ces biens devenus biens nationaux. La vente officielle des biens eut lieu à partir du 12 janvier 1793.

Deux religieuses rejoignirent leur supérieure à Versailles. Avec elle, elles feront partie de la réunion à Paris d'abord, rue de la Perle, où Mère Adelaïde la Tour mourra le 25 novembre 1802, puis Mère Marie Cautien Doyen de la Bussière, Soeur Térèse, toujours à la réunion de Paris, mais rue Vieille-du-Temple.

Notons encore trois moniales de Dreux :

Mère Rose Gohé, professe du 21 août 1764, sortie "le 14 septembre 1792, lors de la destruction de l'état religieux, retirée à Versailles près de sa supérieure, décédée avant la réunion" nous dit le Registre des professions.

Enfin, Soeur Michelle de Saint-Placide, baptisée le 11 septembre 1714, professe le 19 mai 1739, décédée le 25 décembre 1792, le registre note : " la même année de notre rentrée dans le monde dont elle a été si affectée, que nous sommes persuadées que ses jours en ont été abrégés".

La Mère Saint Ambroise, Angélique Leroux s'étant chargée de l'éducation des jeunes filles de la famille qui l'avait accueillie en 1792, ne put se joindre à ses Soeurs lors de la réunion de 1802. Lorsqu'elle fut libre, elle se retira à Montmirail où elle ouvrit un pensionnat qu'elle fit ensuite ériger en maison religieuse sous le titre de Dames de la Paix.

Cette communauté avait bénéficié de l'autorisation du gouvernement donnée à Madame du Chaulnois sous le nom de Dames de Saint-Benoît, en 1806. Cette approbation a servi à nombre de communautés qui se réorganisèrent en cette époque. Après la mort, de Mère Saint-Ambroise, en décembre 1833, l'évêque de Meaux unit les quelques religieuses qui restaient, à l'abbaye de Jouarre.

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La Mère Sainte-Marie, Marie Françoise Bigaux, sortit de France lors de la dispersion et rejoignit Dom Augustin de Lestrange, abbé de la Trappe, qui avait fondé, dans le Valais, le monastère de la Sainte-Volonté-de-Dieu, où elle entra l'une des premières. Avec ses Soeurs, elle dût fuir à travers toute l'Europe devant les armées de Napoléon. Elle mourut dans notre monastère (fondé par Varsovie), à Léopol, en Pologne, en janvier 1798 ; elle avait dix ans de Profession.

L'histoire du couvent des bénédictines du Saint-Sacrement à Dreux se termine là. Elles n'ont rien retrouvé d'une maison qui avait toujours été très pauvre. La supérieure devint Prieure de la réunion du petit groupe de Soeurs à Paris en 1802. Quatre autres moniales de Dreux rejoignirent en 1802 les Sœurs qui se regroupaient à Paris, rue de la Perle. Une sixième Soeur de Dreux vint se joindre à la Communauté qui se reconstituait à Rouen.

BAYEUX (Calvados)

Les Annales du monastère relatent très exactement les drames de cette période : "Dès le début des troubles révolutionnaires, le monastère subit de nombreuses vexations."

Nos Soeurs "voulant concilier à la fois ce qu'elles devaient à leurs saintes Constitutions et aux Lois d'Église et ce que l'Assemblée nationale exigeait impérieusement" acceptèrent unanimement de procéder à une nouvelle élection, mais elles réélirent la mère Prieure et la mère économe, le 27 avril 1791.

Elles s'attendaient à recevoir la pension assurée par les décrets de 1792, en compensation de leurs biens qui avaient été spoliés. La pension ne vint pas. Elles réclamèrent. L'officier municipal chargé de leurs affaires au lieu de les protéger, poussait à la suppression de leur maigre pension, se cachant derrière une prétendue "élection canonique"..."on devait y reconnaître la décision la plus décidée de désobéir à la loi". Le Directoire du département approuva le refus des pensions et autorisa le Directoire de Bayeux à refuser les mandats. Le 26 octobre suivant, les Soeurs adressent au Directoire du département une réclamation respectueuse.

Le 16 décembre 1791, on leur ordonne de procéder à une nouvelle élection sous trois jours. Le 1' février 1792, les religieuses adressent un 1-apport pour se justifier. Nouveau refus du Directoire du département et maintenance de refus de payer les pensions.

N'ayant aucune ressource ni pour elles, ni pour les enfants confiées à leurs soins, elles envoient un Mémoire à Cahier de Gerville, ministre de l'Intérieur. Elles avaient déjà écrit à son prédécesseur, mais le Directoire du département et celui de Bayeux, s'opposèrent formellement aux intentions du ministre, lequel se montrait plus bienveillant.

Dans ce Mémoire, les Soeurs "imploraient la commisération du ministre en faveur des petites pauvres confiées à leurs soins instruction, nourriture, logement et entretien, dont elles sont chargées par le titre de leur fondation"...Messieurs les administrateurs veulent forcer par la famine la communauté à abjurer sa Règle canonique ; "s'il le faut elles se condamneront plutôt à souffrir des horreurs de la faim — mais peuvent-elles y condamner quarante et quelque petites pauvres... dont elles sont l'unique ressource ? C'est pour elles surtout que la communauté demande protection et justice."

Cependant, des amis influents adressèrent un nouveau Mémoire au ministre en date du 20 février 1792, suppliant de faire cesser ce refus de leur traitement, refus injuste et cruel qui sous le vain prétexte d'un défaut de forme dans leur obéissance à la loi, les condamne à mourir de faim.

Le 5 mars suivant, le ministre renvoie le dossier au Directoire du département du Calvados demandant le motif du refus du versement des mandats, afin "d'en rendre compte au Roi"et le ministre ajoute : "si les religieuses ne se permettent aucune manoeuvre coupable contre l'ordre public et le respect dû à l'auto-

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rité des lois et des pouvoirs constitués, il serait peut-être injuste d'en user contre elles, d'une excessive rigueur en leur imposant des peines que la loi ne prononce pas... des mesures de cette nature ne font qu'accroître le fanatisme et le justifie en quelque sorte par une persécution arbitraire."

La lettre du ministre produisit son effet : "Le Directoire du département l'avait envoyée le 23 mars 1792 : Nous allons sur le champ délivrer aux Darnes bénédictines les mandats qui existent pour elles au secrétariat de notre district conformément à votre lettre du 27 de ce mois et à celle de Monsieur Cahier (le ministre).

Et l'administration écrivit en note "affaire terminée" Tit

Le 27 septembre 1792, les officiers municipaux mirent tout sous scellés, jusqu'à la clef du tabernacle et signifièrent aux religieuses d'avoir à évacuer leur monastère. C'est le let octobre 1792, qu'en larmes, elles quittèrent le couvent au nombre de vingt-huit. La mère Prieure put rester dans un logement à Bayeux avec sept de ses filles, d'autres Soeurs se réfugièrent dans leur famille pour y trouver quelques secours.

Grâce à une Soeur tourière, Marguerite, elles purent toujours conserver le contact entre elles. Elle leur préparait les repas et le leur portait à chacune en son refuge.

Elles purent ainsi conserver un minimum de vie commune mais sept d'entre elles furent emprisonnées et ne retrouvèrent la liberté qu'après la chute de Robespierre, en juillet 1794.

Le chapelain du monastère fut traqué. Il ne fut caché et sauvé que par le dévouement et la présence d'esprit d'une religieuse de la communauté, l'inoubliable Soeur Saint-Benoît et la Soeur tourière.

Quand le calme revint les religieuses ne possédaient absolument rien. Confiante en la Providence, la mère Prieure qui avait traversé toute cette période terrible réunit ses Soeurs autour d'elle dès 1804.

Le 6 octobre 1804, elles achetèrent la partie la plus petite et la plus pauvre du couvent des Cordeliers, qui avait été transformé en brasserie. Pour se procurer quelques ressources, ces pauvres Mères qui n'étaient que treize, ouvrirent une école pour de tout petits enfants. La communauté se reconstituant, élut Prieure, le 2 juillet 1805, Soeur Sainte Madeleine qui les avait si bien entourées et gardées depuis 1781 à travers cette période tragique de notre histoire. Elle mourut en 1809, après avoir eu la joie de recevoir une postulante. La vie monastique allait renaître.

Tous les éléments de cette histoire de nos monastères durant la période révolutionnaire sont conservés dans les archives du monastère de Rouen.

VARSOVIE en Pologne

Ce monastère n'a pas connu la Révolution française, mais l'extension de celle-ci dans l'Europe entière a eu des conséquences dramatiques.

Jusqu'à une date récente, la Pologne a souffert et nous aimons, ici, lui rendre hommage.

La fondation du monastère de Varsovie a été citée dans le récit de la biographie de Mère Mectilde, à la date du let janvier 1688. Ce sont des moniales des monastères de la rue Cassette et de Saint-Louis-au-Marais, les deux fondations parisiennes de Mère Mectilde, qui partirent en Pologne du 2 septembre au 14 octobre 1687.

Le voyage en mer qui dura six semaines fut une première épreuve qui devait en précéder bien d'autres. Deux jeunes filles polonaises demandèrent leur admission en qualité de Soeurs converses dès 1688. En 1692 et 1693, deux jeunes filles de très bonnes familles polonaises demandèrent aussi leur admission. Peu à peu, le monastère put s'implanter dans cette terre dont un pape assurait qu'elle était une terre de martyrs.

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L'histoire de nos trois monastères a déjà été publiée : En Pologne avec les Bénédictines de France, Téqui, Paris, 1984,

Nous aimerions rappeler ici ce que l'on a appelé "l'holocauste des moniales de Varsovie".

Le 30 avril 1944, alors que la guerre les environnait de toute part, les quarante-sept moniales, avec l'autorisation de la mère Prieure, offrirent leur vie pour la libération de leur pays et la liberté de l'Église.

Toutes... sauf une, a qui la mère Prieure refusa son accord... c'est elle qui après le désastre reconstruira le monastère détruit et en sera la Prieure en 1951.

Le 31 août, les Soeurs pressentent la catastrophe : l'une d'elles met son voile des grandes cérémonies en disant : "Quand on va chez son fiancé, il convient de s'habiller comme pour des noces." Vers quinze heures, les Soeurs qui se trouvaient dans le couloir... entendent un vrombissement d'avions... puis le bruit s'éloigna, mais aussitôt, un terrible ébranlement secoua la voûte du souterrain sous l'église. Un instant après celle-ci s'effondrait, écrasant dans ses décombres les trente-quatre bénédictines et le millier de civils ainsi que quatre prêtres.

Les religieuses qui étaient en un autre endroit furent épargnées, mais ne purent sortir des décombres que vers vingt-trois heures. En voyant les Soeurs survivantes groupées autour d'elle, la mère Prieure eut cette réflexion spontanée : "Nous avons le nombre suffisant pour recommencer l'Adoration perpétuelle". De fait selon les Constitutions, le chiffre de douze était obligatoire. Le récit des archives du monastère de Varsovie s'achève sur cet admirable cri d'espérance et de foi.

Le calvaire des Soeurs survivantes commençait : "les soldats allemands obligèrent les Soeurs et les civils à quitter les lieux"... La marche épuisante parmi une montagne de décombres, souvent brûlants, dura deux heures. Certaines Soeurs avaient eu les pieds brûlés lors de la chute de la toiture de l'église. Arrivées à cent kilo-

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mètres de Varsovie, elles purent se reposer et manger à leur faim. C'est alors que les rescapées de la terrible catastrophe prirent conscience que pour elles s'amorçait un nouveau départ ; elles constituaient le noyau d'une nouvelle communauté.

A vrai dire, en face de la réalité du moment, pareille perspective paraissait une gageure. Quelle foi héroïque cela n'exigeait-il pas ? D'autre part, c'eut été inconcevable que les bénédictines de l'Adoration perpétuelle, dans le halo du sacrifice de leurs Soeurs, disparaissent à jamais.

Dans les décombres du monastère on ne retrouva, intacte, que les lettres autographes de Mère Mectilde à la Communauté de Varsovie de 1688 à 1697.

Enfin, le 20 septembre, réfugiées à l'abbaye bénédictine de Staniaki, à vingt-cinq kilomètres de Cracovie, une jeune religieuse prononçait sa Profession perpétuelle et trois postulantes recevaient l'habit monastique.

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Les monastères actuels

FRANCE

Rouen, rue Morand, 1677 - rue Bourg l'Abbé, 1802 (Diocèse de Rouen).

Caen, Pont - l'Evêque, 1639 - Caen, 1643 - Institut, 1685 (Diocèse de

Bayeux).

Bayeux, 1648 - Institut, 1701 (Diocèse de Bayeux).

Tourcoing, Savy, 1814 - Arras, 1815 - Tourcoing, 1921 (Diocèse de

Lille).

Craon, 1828.(Diocèse de Laval).

Mas-Grenier, Toulouse, 1817 - Institut, 1836 - Mas-Grenier, 1921

(Diocèse de Toulouse).

Laval-Roquecezière, Notre-Dame d'Orient,1825 (Diocèse de Rodez).

Rosheim, 1862 (Diocèse de Strasbourg).

Ottmarsheim, 1916 (Diocèse de Strabourg).

Erbalunga, 1862 - Institut, 1953 (Diocèse d' Ajaccio).


GRAND DUCHE DE LUXEMBOURG

1875 - Bettembourg - Peppange 1883.- Consolatrice des Affligés (Diocèse du Luxembourg).


ALLEMAGNE

1252 - Vinnenberg -(Warendorf) - Nativité de la Vierge Marie

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1898 Institut.(Diocèse de Münster).

1854 - Trèves - (Trier-Kürenz) - monastère de Béthanie (Diocèse de Trèves).

1888 - Bonn-Endenich.- B.Vierge Marie Auxiliaire des Chrétiens. (Diocèse de Cologne).

1891 - Cologne - (Kôln-Raderberg) -Saint Coeur de Jésus (Diocèse de Cologne).

1891 - Hamicolt - (Dülmen-Rorup) - B. Vierge Immaculée (Diocèse de Münster).

1898 - Osnabrück - Bienheureuse Vierge Marie Immaculée (Diocèse cl' Osnabruck).

1899 - Neuss-Kreitz - Saint Coeur de Jésus (Diocèse de Cologne).

1978 - (1894) - Gênes - Castel Madama - Sainte-Trinité (Diocèse de Tivoli).

1984 - (700) - Monterchi - Saint-Benoît (Diocèse de Arezzo).


PAYS-BAS

1875 - Tegelen - Nazareth (Diocèse de Roermond).

1875 - Arnhem - Insula Dei (Diocèse (le Utrecht).

1922 - Baarle-Nassau - Manna absconditum (Diocèse (le Breda).

1942 - Valkenburg - Regina Pacis (Diocèse de Roermond).

1952 - Oss - Fons vitae (Diocèse de Den Bosch).

1981 - Someren (Diocèse de Breda).


ITALIE

1880 - Seregno -1906 - Ronco-Ghiffa - Sainte-Trinité (Diocèse de

Novara).

1892 - Milan - Saint-Benoît (Diocèse de Milan).

1910- (1334) - Catania - Saint-Benoît (Diocèse de Catane).

1913 - (1543) - Sortino - B Vierge Marie et Saint-Benoît (Diocèse de

Siracuse).

1920 - (1110) - Montefiascone (Diocèse de Montefiascone).

1922 - (1646) - Piédimonte-Matèse - Saint-Benoît (Diocèse de Alife

Cai).

1923 - (1500) - Tarquinia - Sainte Lucie (Diocèse de Tarquinia).

1924 - (1892) - Modica - Saint-Benoît (Diocèse de Noto).

1924 - (1588) - Ragusa-Ibla Saint-Joseph (Diocèse de Ragusa).

1926 - (1554) - Teano - Sainte-Catherine (Diocèse de Teano-Cal) .

1927 - (1150) - Alatri - Annonciation (Diocèse Anagni-Al).

1936 -(1821)- Lucca - Saint-Benoît et Sainte Scholastique (Diocèse de

Lucca).

1947 - Roma - Saint Joseph (Diocèse de Rome).

1949 -(1956) - Laveno-Monbello - L'Annonciation de la Bienheureuse

Vierge (Diocèse de Milan).

1954 - (1568) - Grandate - Saint-Sauveur (Diocèse de Como).

1965 - Gallarate - Saint-François (Diocèse de Milan).

1973 - Noto Saint-Benoît (Diocèse (le Noto).


BELGIQUE

1841 - Saint-Omer (France) - 1961 - Rumbeke - Saint-Joseph (Diocèse de Brugge).


POLOGNE

1688 - Varsovie - Warszawa (Diocèse de Varsovie).

1714 - Wroclaw - Léopol 1715 - Bardo 1946 - Wroclaw 1975 (Diocèse de Wroclaw).

1958 - Siedlce - Verbe Incarné (Diocèse de Siedlce).

Deux fondations en Amérique latine et en Afrique n'ont pu s'implanter en raison des difficultés gouvernementales.

273

Index des noms de personne [omis]


Index toponymique [omis]


Index thématique [omis]


TABLE DES MATIERES

Préface : Révérendissime Père Dom Vincent Truijen. g

1. Comme un encens devant la face du Seigneur :

Dom Joël Letellier 11

2. Mère Mectilde et les Mauristes :

Monsieur Daniel-Odon Hurel 97

3. Biographie de Mère Mectilde :

Mère Marie-Véronique Andral 123

4. Mère Mectilde épistolière :

Abbé Joseph Daoust. 147

5. Lettres autographes de Mère Mectilde 153

- A Monsieur Henri-Marie Boudon,

archidiacre d'Evreux, 2 septembre 1652. 155

- Au Révérend Père Prieur,

abbaye Saint-Germain-des-Prés. 158

- Au Révérend Père Prieur,

abbaye Saint-Germain-des-Prés, 24 aoust (1654) 160

- Au Révérend Père Prieur,

abbaye Saint-Germain-des-Prés, 18 novembre 1658. 162

- A la Reine de France, Anne d'Autriche,

28 juillet 1664 164

- Au Révérend Père dom Luc d'Achery,

abbaye Saint-Germain-des-Prés, 28 aoust (1675) 166

- A Mère de la Nativité (Anne Bourdan) au Monastère Notre-Dame de Liesse,

Paris, 3 décembre 1680. 170

- A une religieuse de l'Institut (décembre 1685). 172

301

- A la Mère Prieure, Radegonde de Beauvais, à Varsovie,

Pologne, 13 may 1688. 178

- A une religieuse de l'institut, 4 may 1691 180

- A une religieuse du Monastère Saint Louis à Paris,

samedy 5 de l'an 1692. 184

- A Mère Saint Placide du Monastère Saint-Louis

au Marais, 17 octobre 1693. 190

- A la Révérende Prieure Mère François de Paule,

Monastère Saint Louis au Marais, ter aoust 1695 196

- A la Révérende Prieure Mère François de Paule,

Monastère Saint Louis au Marais, 30 avril 1697. 198

- A la Révérende Prieure Mère François de Paule, Monastère Saint Louis au Marais,

samedy 18 octobre 1697. 202

6. Mère Mectilde et Mère Anne : Archivistes de Rouen. 205

7. La dispersion lors de la Révolution : Archivistes de Rouen. • 235

8. Les monastères actuels 271

9. Index des noms de personnes 275

10. Index toponymique 285

11. Index thématique 290

12. Table des matières 301

REMERCIEMENTS

Que l'Esprit Saint, qui nous l'espérons a guidé ces travaux, bénisse et récompense les artisans de cet ouvrage, spécialement nos amis lorrains.

ACHEVÉ D'IMPRIMER EN MARS 1998 SUR LES PRESSES DES ÉDITIONS TÉQUI 53150 SAINT-CÉNERÉ N° d'édition T53 1130 Dépôt légal : mars 1998

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Ecrits Châteauvieux

MERE MECHTILDE DU SAINT SACREMENT Ecrits Spirituels A la Comtesse de Châteauvieux

Introduction

par

M. l'abbé Louis COGNET

Bénédictines du Saint-Sacrement


Nihil obstat

Parisiis, die 25a Augusti 1965

Joannes, Can. THARY

Vice-officialis

Censor deputatus

Imprimatur

Parisiis, die 1+a Septembris 1965 J.HOTTOT, v.g.

INTRODUCTION [Louis Cognet]

Parmi les grandes figures chrétiennes de notre XVII° siècle français, la Mère Mechtilde du Saint-Sacrement mérite une place toute particulière : en elle s'incarne cette spiritualité d'adoration qui marque si profondément notre clacissisme religieux. Malheureusement, elle est trop peu connue. Nous attendons encore le livre qui saura la faire revivre. Les écrits qu'elle nous a laissés sont nombreux et de la plus haute valeur, mais inédits en leur quasi-totalité. les quelques pages ici livrées au public sont donc particulièrement précieuses :elles permettent de saisir sa pensée en ses aspects essentiels et sous sa forme la meilleure. Mais il semble indispensable, auparavant, de consacrer quelques pages à esquisser ce que furent sa biographie et sa vie intérieure.


oOo

Celle qui devait être un jour la Mère Mechtilde du Saint-Sacrement vit le jour en Lorraine, pays qui, pendant la première moitié du XVIIe siècle, fut épouvantablement dévasté par les guerres.Elle s'appelait Catherine de Bar et naquit à Saint-Dié le 31 Décembre 1614. Sa famille appartenait à la noblesse de robe. Elle y mena une enfance pieuse et y reçut une solide instruction.Bien que son père ait songé à la marier et qu'il fît tout pour la retenir dans le monde, elle se sentit très tôt appelée à la vie religieuse. Elle se heurta à de vives résistances familiales, mais réussit enfin à entrer en Novembre 1631 chez les Annonciades de Bruyères, où elle prit l'habit sous le nom de Soeur Saint-Jean l'E-vangéliste; elle y fit profession à une date incertaine, probablement vers le début de 1632.

Ses compagnes, la regardaient dès lors comme une religieuse exemplaire,et, après qu'elle eût occupé divers emplois importants elle fut établie prieure vers la fin de 1633. Malheureusement les remous de la guerre de Trente Ans allaient l'envelopper. Français et Suédois envahissaient les états du Duc de Lorraine. En Mai 1635, l'avance des troupes de Gustave-Adolphe la contraignit à s'enfuir précipitamment avec ses religieuses. Après diverses aventures, elle trouva refuge à Commercy, où elle regroupa sa communauté et ouvrit un pensionnat. Mais la ville fut peu après dévastée par la peste, et elle y perdit une quinzaine de ses filles. Accompagnée par les quelques survivantes, elle se retira d'abord à Saint-Dié, puis, vers le milieu de 1638, chez les Bénédictines de Rambervillers. Là elle découvrit la Règle de Saint Benoit, par laquelle elle fut immédiatement séduite.

N'ayant plus aucun espoir de rétablir son ancien monastère de Bruyères, elle songea à changer d'Ordre. Comme il était prévisible, elle se heurta à de grandes difficultés de la part de ses supérieurs. Elle finit pourtant par obtenir les autorisations nécessaires et, le 2 Juillet 1639, elle devint novice bénédictine sous le nom de Catherine de Sainte-Mechtilde. Elle y eut pour maîtresse des novices une jeune veuve devenue religieuse et de la plus haute valeur spirituelle, Soeur Benoîte, qui lui donna une formation très profonde,mais eut peut-être le tort d'encourager son goût déjà trop vif pour les mortifications corporelles.

Catherine de Sainte-Mechtilde fit profession le 11 Juillet 1640, mais elle ne devait point trouver la tranquillité à Rambervillers. Ravagée par les combats et les pillages, la Lorraine traversait alors une terrible famine. En Septembre 1640, la misère contraignit les moniales de Rambervillers à se disperser. La Soeur Catherine et deux de ses compagnes trouvèrent un asile provisoire à St. Nihiel, où bientôt une partie de la communauté les rejoignit. Mais leur situation demeurait très précaire. Prévoyant une imminente séparation, elles modifièrent leur nom de religion et se vouèrent chacune à un mystère. A cette occasion Soeur Catherine devint Mechtilde du Saint-Sacrement.

Dans l'intervalle, par l'intermédiaire d'un lazariste en mission à Saint-Mihiel, les Bénédictines avaient été mises en relation avec Saint Vincent de Paul. Ce dernier réussit à intéresser à leur sort l'Abbesse de Montmartre, la célèbre Marie de Beauvillier, qui consentit à recevoir deux religieuses lorraines et, mue par on ne sait quelle inspiration, demanda nommément la Mère Mechtilde. Celle-ci partit pour Paris avec une de ses compagnes le 21 Août 1641. Le 30 elle était reçue à bras ouverts par l'illustre réformatrice de Montmartre. Peu après elle se liait d'amitié avec l'historiographe de la Maison, Charlotte Le Sergent, religieuse de la plus haute valeur.

Les documents nous fournissent malheureusement peu de précisions sur ce passage à Montmartre où la Mère semble avoir connu de grandes peines intérieures. Cependant, il est intéressant de noter que Marie de Beauvillier avait été la dirigée du Capucin Benoit de Canfeld, et que très tôt elle avait lu sa Règle de Perfection. Elle avait même composé sous son influence un bref Exercice, qui en est directement inspiré, et qui fut imprimé en 1631: la Mère Mechtilde a pu le lire.Ce qu'elle rencontrait donc à Montmartre, c'était cette tradition spirituelle toute imprégnée de mysticisme rhéno-flamand à laquelle on a pu donner le nom d'École abstraite. Dans quelle mesure a-t-elle été marquée par cette mystique des essences Il est malaisé de le dire, mais elle en a certainement gardé quelque chose. Cependant d'autres rencontres, plus décisives encore, devaient faire évoluer sa spiritualité.

Quelle que fût la cordialité qui l'entourait à Montmartre, la Mère Mechtilde désirait reconstituer une communauté autonome. Diverses propositions en ce sens lui furent faites, qui l'attirèrent en Normandie. Avec deux de ses anciennes compagnes, elle quitta donc Paris le 7 Août 1642, séjourna dans quelques abbayes bénédictines de Caen et des alentours, puis tenta de s'établir dans une masure à Bretteville. Leur dénuement était si grand qu'elles n'y purent tenir. Heureusement, un gentilhomme de la région nommé M. de Torp vint à leur secours et les établit assez convenablement dans une maison qu'il possédait à Barbery.

A l'abbaye cistercienne de Barbery, elle trouva comme Abbé Dom Louis Quinet, religieux jeune encore et de grande piété, profondément imprégné des idées de l'Ecole abstraite. Vers 1630, il avait joué en ce sens un rôle important dans les incidents qui avaient agité l'Abbaye de Maubuisson, réformée jadis par la Mère Angélique Arnauld et demeurée étroitement liée à Port-Royal, d'où venait d' ailleurs l'Abbesse, Marie des Anges Suireau. Contre les vues trop strictement ascétiques de cette dernière, Dom Louis s'était fait le champion d'une spiritualité à caractère mysticisant.

Par Dom Louis Quinet et par M. de Torp, la Mère Mechtilde fut mise en relations avec le milieu spirituel de Caen, groupé autour de Jean de Bernières-Louvigny, Trésorier général de France, et du Baron Gaston de Renty. En Bernières, la Mère rencontrait l'une des personnalités religieuses les plus intéressantes du XVII° siècle. Très pieux, considéré par tout son entourage comme un saint pourvu de dons surnaturels très élevés, Bernières jouait le rôle d'un véritable directeur laïc et son influence atteignait un milieu fort étendu. Il ne publia rien de son vivant, mais, de ses lettres et de ses notes on tira après sa mort diverses publications d'une fidélité malheureusement assez suspecte. Leur étude est cependant indispensable pour bien comprendre la pensée de la Mère Mechtilde, qui du reste utilisa ultérieurement ces ouvrages.

A l'influence des Rhéno-Flamands, de Canfeld et de Sainte Catherine de Gènes, Bernières joint le courant bérullien sous la forme assez particulière qu'il a prise à travers Condren. Sa spiritualité est centrée essentiellement sur l'anéantissement, et il ne

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craint pas de reprendre sur ce point les formules les plus abruptes de Canfeld ou de Condren. Mais ce qui lui est plus particulier c’est l'emploi constant qu'il fait du mot "abjection" pour exprimer le néant de la condition humaine. Sa piété est à la fois théocentrique et christocentrique, mais l'Homme-Dieu lui apparaît d'abord comme le modèle même de l'anéantissement, et il aime à insister sur les états abjects auxquels Jésus s'est abaissé par amour pour nous. C'est à eux d'abord que nous devons adhérer par les souffrances et les croix, qui nous conduiront à ce que Bernières nomme la vie surhumaine. Mais nous ne pouvons y parvenir que par total abandon à Dieu dans l'indifférence et dans le pur amour, et à cet égard les formules de Bernières annoncent celles de Fénelon11.

Il y a là bien des idées qui feront leur chemin à travers la pensée de la Mère Mechtilde. Entrée en relations avec Bernières vers la fin de 1642, elle demeura en correspondance suivie avec lui jusqu'à la mort de ce dernier, en 1659. Il ne subsiste que peu de leurs lettres, mais il est possible que, parmi les ouvrages posthumes de Bernières, quelques fragments aient eu la Mère Mechtilde pour destinataire12.

Cependant, les amis parisiens de la Mère cherchaient à la ramener auprès d'eux. Dans cette intention, ils lui offrirent, au début de 1643, un établissement vaste et confortable à Saint-Maur des Fossés. Songeant toujours à réunir la communauté de Rambervillers, la Mère accepta et s'y installa en Août suivant. Peu après, pour se procurer des ressources, elle ouvrit un pensionnat qui bien-

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tôt se peupla d'élèves de la meilleure société. Dans l'ensemble, la fondation de Saint-Maur fut un succès et la Mère Mechtilde y connut une période de relative tranquillité. D'aristocratiques amitiés l'entouraient et la Reine Anne d'Autriche elle-même s'intéressait à elle.

En Juin 1643, elle avait fait la connaissance d'un religieux du tiers-ordre régulier franciscain, le Père Chrysostome de Saint-Lô, ami et conseiller de Bernières : il fut son directeur jusqu'au jour où il mourut, le 26 Mars 1646. Il la conduisit par des voies austères, mais dans le même sens que Bernières, qui fut d'ailleurs son principal conseiller après la disparition du religieux. Pour le Père Chrysostome, la Mère Mechtilde rédigea un mémoire autobiographique du plus haut intérêt, qui montre bien surtout par quelles nuits douloureuses passait alors sa vie intérieure, et qui en met en évidence le caractère profondément mystique. En Août 1646, elle devint supérieure de la communauté, dont elle avait jusqu'ici laissé la direction à une religieuse plus ancienne. Pourtant, elle n'avait point encore trouvé sa voie définitive.

Dès ce moment elle était l'objet de pressantes sollicitations pour qu'elle acceptît de venir comme prieure au monastère du Bon-Secours de Caen, qui avait un urgent besoin sinon de réforme, au moins d'une énergique régénération spirituelle. Après de longues hésitations, elle accepta sans enthousiasme, sur le conseil de Bernières, et arriva à Caen le 28 Juin 1647. Comme il était prévisible, elle se heurta d'abord à l'hostilité d'un certain nombre de religieuses, qu'elle finit cependant

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par gagner. Assez rapidement, le Bon-Secours devint un véritable foyer de vie spirituelle.

Dans l'intervalle, quelques religieuses avaient pu se réunir à Rambervillers, où elles vivaient en des conditions fort précaires. De leur côté, elles cherchaient aussi à ramener parmi elles la Mère Mechtilde. Dans cette intention, elles l'élirent prieure au début de 1650, et la Mère y arriva le 22 Août pour prendre possession de sa charge. Malheu-reusement, en même temps que les troubles de la Fronde dévastaient la France, la guerre se ralluma en Lorraine, y ramenant la misère. La Mère dut disperser une grande partie de sa communauté, et, le ler Mars 1651, elle repartait pour Paris avec quatre religieuses. Elle y rejoignit sa communauté de Saint-Maur, que la guerre civile avait contraintes à y chercher asile. Les Soeurs y vécurent quelque temps dans le plus complet dénuement, à tel point que la Mère Mechtilde y tomba gravement malade.

Elle commençait à se rétablir lorsqu'elle rencontra,vers la fin d'Août 1651, Marie de la Guesle, épouse de René de Vienne, Comte de Châteauvieux, La comtesse était pieuse et charitable : entre elle et la Mère naquit une amitié profonde, qui ne devait jamais se démentir. Bien que la Mère se défendit de jouer au directeur spirituel, elle fut contrainte par les circonstances de prodiguer à sa noble amie nombre de conseils ou d'exhortations spirituelles, qui formèrent peu à peu une abondante correspondance. Progressivement, elle fit de cette mondaine bien disposée une âme d'une intense vie intérieure. Comprenant la valeur des écrits de la Mère Mechtilde, la comtesse conserva soigneusement ceux qui lui étaient adressés. Plus tard, à une date difficile à préciser, elle les classa par sujets et en fit copier l'essentiel dans un recueil qu' elle appelait son Bréviaire. Ce recueil fut lui-même ultérieurement multiplié par de nombreuses copies, en général assez fidèles, quoiqu'elles suppriment le plus souvent ce que le texte comporte de trop personnel. Les textes ici présentés aujourd'hui au public sont extraits de ce bréviaire, auquel les circonstances de sa composition confèrent un intérêt tout particulier et une relative unité.

Mme de Chateauvieux prit donc une place centrale dans le groupe des amies dévouées qui entouraient la Mère Mechtilde: toutes, naturellement, cherchaient un moyen de retenir définitivement la Mère à Paris. Or, dans la milieu des catholiques fervents, une dévotion avait, à cette époque, pris une place prépondérante: la dévotion au Saint-Sacrement. Les causes en sont multiples, mais le fait que la foi en la présence réelle fût un des points qui opposait le plus nettement catholiques et calvinistes y avait joué un rôle considérable. Dans le même esprit, cette dévotion se teintait d'une nuance toute particulière de réparation pour les sacrilèges commis contre l'Eucharistie par les calvinistes et aussi par les sorciers qui en abusaient dans leurs opérations magiques.

L'histoire précise de ce mouvement eucharistique au cours de la première moitié du XVII° siècle est encore à faire mais les manifestations en sont nombreuses à travers toute la France, provoquées peut-être, dans une certaine mesure, à partir de 1631, par la célèbre compagnie du Saint-Sacrement. En 1646,1a vieille abbaye cistercienne de Port - Royal

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transférée à Paris, avait repris la fondation éphémère tentée par Mgr. Zamet et s'était vouée à l'adoration perpétuelle, montrant que la piété eucharistique pouvait parfaitement s'insérer dans le cadre d'une ancienne règle monastique. Mais, depuis 1649 surtout, Port-Poyal avait été enveloppé dans le conflit janséniste et se trouvait de ce chef dans une situation assez fausse.

La Mère Mechtilde était animée elle-même d'une ardente dévotion envers l'Eucharistie: elle était donc d'avance favorable au projet qui se fit jour dans son entourage, vers la fin de 1651, de fonder une congrégation de Bénédictines vouées elles aussi à l'adoration perpétuelle. L'entreprise se heurta d'abord à de grandes difficultés. Ce fut Mme de Châteauvieux qui arracha au président Mollé,après de multiples démarches, les autorisations nécessaires, et le contrat fut signé le 14 Août 1652 D'autres oppositions non moins vives vinrent des Bénédictins. Elles ne furent surmontées que péniblement, et grâce à l'inlassable dévouement de la comtesse. Heureusement la reine elle-même qui avait fait un voeu en ce sens pour la cessation de la Fronde, s'intéressa à la fondation. Enfin, peu à peu, les obstacles tombèrent.La Mère et ses filles purent quitter le logement assez misérable qui les abritait, rue du Bac, et en occuper un autre rue Férou, grâce à la libéralité d'une autre amie de la Mère Mechtilde, Mme de Rochefort, avec qui elle devait échanger également une abondante correspondance spirituelle, dont une partie a été récemment publiée.

L'installation officielle avait eu lieu le 25 Mars 1653, rue du Bac. Le 12 Mars

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1654, après le tranfert rue Férou, eut lieu une cérémonie solennelle. Au salut du Saint-Sacrement, où joua la musique du roi, Anne d' Autriche elle-même prononça l'amende honorable, la corde au cou, devant un poteau surmonté d'une torche allumée. Il y a là, évidemment, un cérémonial aujourd'hui un peu désuet, marqué par le goût et les moeurs de l'époque. Pourtant la nouvelle communauté n'en commençait pas moins l'adoration réparatrice dans un esprit qui était bien celui de la spiritualité française la plus classique : les nombreux textes laissés par la Mère Mechtilde le prouvent surabondamment.

Désormais,elle allait jusqu'à la fin assumer les charges du supériorat, mais elle ne voulut jamais d'autre titre que celui de prieure. Le 22 Août 1654,par un acte solennel, elle établissait la Vierge Marie Abbesse perpétuelle de la nouvelle congrégation. Sa vie était fixée, mais les difficultés ne lui furent pas épargnées pour autant, sans malgré tout la jeter dans les aventures dramatiques qu'elle avait connues jadis. Former ses religieuses, consolider, défendre et étendre sa fondation, tel devait être désormais l'essentiel de sa tâche.

La formation de ses filles fut pour elle un constant souci. Elle y travailla par ses exemples et son influence, par ses paroles et par ses écrits. Elle ne chercha pas à composer un ouvrage suivi, mais des notes communiquées au jour le jour à la communauté furent ultérieurement réunies et mises en ordre, peut-être par une autre main que la sienne. La Mère se décida finalement, en 1682, sur le conseil de son entourage, à les laisser publier sous le

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voile de l'anonymat. Elles formèrent le Véritable esprit des religieuses adoratrices perpétuelles du Très Saint Sacrement, ouvrage à certains égards un peu disparate, mais où s'exprime bien la manière dont la Mère envisageait son Institut. Les premières pages, en particulier, mettent bien en évidence un des aspects les plus frappants de sa spiritualité : son insistance sur l'état de victime où doivent entrer les âmes qui se dévouent à l'Eucharistie.Les formules qu'elle emploie sur ce point rappellent singulièrement celles de Condren " Elles sont victimes de Jésus fait Sacrement pour, en s'immolant elles-mêmes, rendre un hommage infini, si cela était possible à l'être sacramentel de Jésus qu'il détruit tous les jours dans nos poitrines à la gloire de son Père."

On pourrait remarquer également un admirable chapitre sur les rapports entre l'Eucharistie et la vie de Jésus dans le sein de Marie, qui est rempli de formules bérulliennes et aussi de souvenirs de M. Olier, avec qui la Mère Mechtilde avait eu sans doute des rapports personnels. Ailleurs, des pages magnifiques sur l'abandon à Dieu évoquent de très près Bernières. Dans l'ensemble, ce petit livre est de la plus haute valeur. Il nous reste également d'autres papiers ou notes de conférences demeurés inédits et qui ne sont pas d'un moindre intérêt. Leur publication ferait de la Mère Mechtilde un des grands auteurs spirituels de notre XVII° siècle, digne de figurer aux côtés de Marie de l'Incarnation.13

Incontestablement elle a le don du style, de la formule heureuse et saisissante. Un certain archaïsme trahit l'époque de sa

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formation : il ne semble pas avoir gêné ses contemporains et il est pour nous aujourd'hui un charme de plus. On ne retrouve pas chez elle la poésie d'un M. Olier ; elle ne cherche pas la métaphore pittoresque. L'aspect très doctrinal de ses écrits la rapproche de Bérulle, de Condren ou de Bernières, mais elle est supérieure aux derniers par la netteté et la vigueur de sa rédaction ; en particulier le rythme précis et l'exact balancement de sa phrase dominent de loin le style assez informe de Bernières. Elle est volontiers prolixe, et, vu le caractère occasionnel de ses écrits, les répétitions sont nombreuses, sans d'ailleurs être fatigantes.

Cependant, jamais elle ne voulut être le directeur spirituel de sa communauté et elle se préoccupa d'assurer à ses religieuses les secours do prêtres de grande valeur. Parmi ceux qui fréquentèrent sa maison, on rencontre quelques noms fort remarquables. L'un de ceux qui y eut l'action la plus profonde fut sans doute le prémontré Dom Epiphane Louys (1614-1682), devenu en 1663 Abbé d'Etival, non loin de Rambervillers. Au cours de nombreux séjours parisiens, il prodigua aux filles de la Mère Mechtilde conseils et exhortations.Le meilleur s'en retrouve dans ses conférences mystiques publiées en 1676, à la demande de la Mère, et dans quelques autres ouvrages destinés également aux adoratrices, dont l'un des plus intéressants est sans contredit La nature immolée par la grâce ou pratique de la mort mystique (1674).

Dom Epiphane Louys est un défenseur décidé de l'oraison de simple regard,et il réagit sur ce point contre l'intellectualisme

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qui envahissait alors la piété. Il faut en rapprocher un autre prémontré, son disciple, ami et éditeur, Dom Michel la Ronde.C'est également sans doute pour les Bénédictines du Saint-Sacrement que ce dernier écrivit sa Pratique de l'oraison de foi (1684),plus tard vivement critiquée par Bossuet comme trop mystique.

La Mère rencontrait un esprit analogue dans l'un des jésuites, assez peu nombreux d'ailleurs, qui fréquentaient son monastère, le P. François Guilloré (1615-1684). Assez proche du P. Surin, inspiré par l'aveugle de Marseille, Malaval, qu'il vénérait profondément, Guilloré se fit l'apôtre d'un mysticisme qui lui valut les vives attaques de Nicole. Ce fut lui qui eut l'honneur d'approuver le Véritable Esprit de la Mère Mechtilde. Cette dernière fut également en relations avec Dom Claude Martin, bénédictin de Saint-Germain des Prés fils et biographe de la vénérable Marie de l' Incarnation ; elle fit même publier à l'usage de ses religieuses, sous le titre d'Exercices Spirituels (1686), sa Pratique de la règle de Saint Benoit. Il est également probable qu'elle dut demander des services du même ordre au bouillant et pittoresque archidiacre d'Evreux, Henri-Marie Boudon, disciple de Bernières. Des recherches plus approfondies permettraient sans doute d'ajouter d'autres noms à cette liste.

Dans le même ordre d'idées, il faudrait également étudier à travers ses écrits la lecture dont elle use pour elle-même ou qu'elle conseille à ses filles.Certes, ellepratiquait les grands auteurs de l'école bérullienne et les ouvrages de Bernières, mais elle n'ignorait

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ni Saint François de Sales, ni Sainte Thérèee, ni Saint Jean de la Croix.

Comme il est normal à toutes les oeuvres voulues par Dieu, la fondation de la Mère Mechtilde se heurta à d'innombrables difficultés, et, bien qu'elle s'abandonnât entièrement à la Providence sur ce point, elle dut à plusieurs reprises se défendre. Ie détail des persécutions qu'elle eut à subir ne nous est pas entièrement connu, mais il est certain qu'elle fut victime de graves suspicions, allant parfois jusqu'à la calomnie. Elle se heurta, semble-t-il, à l'hostilité du groupe janséniste, qui avait espéré un temps l'attirer à lui. Au début de 1659, les cordeliers, à leur tour, contestèrent la légitimité de son passage dans l'ordre bénédictin, et elle dut entreprendre des démarches à Rome pour en obtenir confirmation. Finalement, elle obtint du pape Alexandre VII un bref très favorable en date du 20 Septembre 1660, confirmé par des lettres patentes royales du 26 Juin 1662.

Cependant, la Mère Mechtilde ne connut jamais vraiment la tranquillité : les humiliations et les souffrances ne lui firent jamais défaut. Même ses dernières années furent assombries par un pénible procès, où elle eut contre elle une de ses propres religieuses. Elle fut également éprouvée par toute une suite de deuils qui lui furent très douloureux. Certains même vinrent l'atteindre en ses affections les plus chères. Telles furent en 1659 la mort de Bernières et, le 8 mars 1674, celle de Mme de Chateauvieux. Devenue veuve en 1662, la pieuse comtesse s'était retirée auprès de son amie vénérée et l'avait assistée en toutes ses entreprises : elle eut la consola-

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tion de mourir presque subitement entre ses bras, au sortir de la communion. En fait, ayant vécu jusqu'à un âge fort avancé, la Mère Mechtilde eut la douleur de voir partir avant elle à peu près tous ceux qu'elle avait plus aimés.

La Mère considéra toujours que ses souffrances éta:ent normales dans son état de victime dévouée au Saint-Sacrement. Jamais elle ne se laissa abattre par elles, ni entraver dans son action. Pour consolider sa fondation et l'établir sur des bases solides, elle ne recula devant aucun effort. Elle put lui donner le substrat matériel qui lui manquait par l'achat, en Janvier 1658, d'un vaste terrain rue Cassette, où elle fit bâtir le monastère que ses religieuses devaient occuper jusqu'à la Révolution : elles purent s'y installer en Mars 1659.

D'autre part, il lui incombait de donner à son oeuvre un statut légal. Le bref qu'elle avait obtenu en Septembre 166C en contenait déjà un approbation explicite,mais qui ne pouvait suffire. A plusieurs reprises de nouvelles démarcIles furent faites à Rome, pour lesquelles la Mère obtint l'appui de la Peine Marie- Thérèse. Elles mirent cependant de longues années à aboutir. C'est seulement le 10 Décembre 1676 que le pape Innocent XI par la bulle Militantis Ecclesiae, érigea en congrégation autonome les monastères fondés par la Mère Mechtile et tous ceux qui s'y seraient rattachés. Pourvu de trois supérieurs autonomes, la nouvelle congrégation était déclarée exempte de la juridiction des Ordinaires et rattachée directement au Saint-Siège. Enfin, la pratique de l'adoration perpétuelle

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y était explicitement approuvée. Un tel document donnait à la Mère tout ce qu'elle pouvait désirer en domaine.

Depuis longtemps déjà, elle s'était préoccupée de donner aux religieuses adoratrices des constitutions exactement adaptées à leur vocation. Se défiant d'elle-même, elle en avait demandé la rédaction à Dom Ignace Philibert, prieur de l'abbaye de Saint-Germain des Prés, qui l'avait toujours soutenue. Ce dernier acheva son ouvrage vers la fin de 1666, peu avant sa mort.La Mère elle-même compléta l'oeuvre de Dom Philibert par un cérémonial qui fut partiellement imprimé en 1668. Cependant, les constitutions de Dom Philibert ne semblaient pas répondre entièrement à l'esprit de la fondation et ne satisfaisaient pas les religieuses. Elles demandèrent donc à la Mère Mechtilde d'en donner la version définitive. La Mère y travailla deux ans et remit les nouvelles constitutions à sa communauté le 20 Juin 1675.

Ces constitutions furent mentionnées et approuvées dans la bulle de 1676. Elles furent imprimées en 1677 et ultérieurement, après la mort de la Mère, elles furent approuvées par une bulle extrêmement élogieuse de Clément XI, en 1705. Dans sa rédaction, la Mère insiste particulièrement sur l'état de victime qui doit être celui des religieuses adoratrices. De toutes manières, la Mère avait réussi à donner ainsi à sa fondation une assise solide et durable.

Cette fondation n'avait pas tardé à essaimer, mais chacun de ces monastères nouveaux avait coûté à la Mère Mechtilde bien des fatigues, des souffrances et des humiliations. De 1663 à 1665, c'avait été la fondation de

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Toul, difficile et mouvementée. Puis, en 1676-1678, celle de Rouen; en 1684, un second monastère à Paris; en 1688,celle de Pologne, la plus lointaine, où naturellement la Mère ne put se rendre elle-même; la même année, elle fonda la communauté de Chatillon-Coligny; l'année suivante, celle de Dreux, qui ne put cependant s'installer définitivement qu'en 1695. Dans l' intervalle, elle avait eu la joie, rachetée parfois par bien des peines, d'agréger à son institut trois monastères bénédictins déjà constitués : en 1666, ce fut celui de Rambervillers, qui lui était particulièrement cher, puis, en 1668, celui de Notre-Dame de la Consolation à Nancy, enfin, en 1685,celui du Bon-Secours de Caen. Ainsi, au décès de la fondatrice, sa congrégation comptait dix maisons, et le nombre devait s'en accroître considérablement par la suite; montrant combien était vive l'impulsion donnée au départ.

Chacun de ces monastères fut un foyer de vie spirituelle qui étendit l'influence de la Mère Mechtilde. Cette influence fut très considérable, et elle mériterait d'être étudiée pour elle-même. Certes, la Mère aimait et comprenait les petites gens, mais ce sont, comme il est normal, les noms de ses relations les plus aristocratiques qui nous ont été conservés : outre ceux que nous avons notés déjà il faudrait mentionner celui de la duchesse d'Orléans, femme de Gaston d'Orléans et belle-soeur de Louis XIII : elle échangea avec elle une abondante correspondance et une centaine de lettres que lui adressa la Mère nous est parvenue. Sur le clergé et sur le monde pieux, son emprise ne fut pas moindre. A ceux nommés plus haut, il faudrait ajouter en particulier Saint Jean-Eudes, qu'elle connut à Caen et qui

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demeura en relations avec elle. C'est sans doute sous son influence qu'elle fit célébrer dès 1668, parmi les offices propres de sa congrégation, la fête du Coeur de Marie. Par l'intermédiaire du P. Eudes, elle connut Marie des Vallées, la mystique de Coutances,pour laquelle elle semble avoir eu grande estime.

Vers la fin de sa vie, elle connut Mme Guyon et Fénelon, qui après sa mort écrivit sur elle une lettre admirable. En revanche, Bossuet, peu favorable au mysticisme, semble avoir eu pour elle moins de sympathie. Il est évident que, dans une certaine mesure, la spiritualité doucement mystique de la Mère Mechtilde fut rendue quelque peu inactuelle par le moralisme et l'intellectualisme qui envahirent la piété chrétienne après 1680.

En dépit d'une santé fragile, elle bénéficia d'une longévité peu commune; mais ses dernières années furent particulièrement douloureuses, comme si elle allait vers la consommation de son holocauste. Ces souffrances de la Mère Mechtilde offrent un caractère assez particulier. A de certaines périodes, par exemple vers 1643, à Saint-Maur, il s'agit nettement de purifications passives. Mais elle dépassa assez vite ce stade et parvint relativement tôt aux plus hauts sommets de la vie unitive. Malheureusement, elle n'aimait guère à se raconter,et les rares confidences qui lui furent arrachées par les circonstances ne nous renseignent que d'une manière bien imparfaite sur l'intense richesse de son monde intérieur. Pourtant, il est certain que les états les plus élevés furent pour elle, en général, douloureux: c'est au Christ souffrant et mourant qu'elle fut continuellement unie, et jusqu'à la fin. De telles souffrances, en une âme de cette quali-

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té, revêtent sans aucun doute une valeur d'expiation. La Mère le comprit, mais sans jamais se poser à cet égard de problèmes métaphysiques ou théologiques. A ses yeux, le lien qui unit souffrance et rédemption est évident, mais elle ne cherche nullement à en préciser la nature : pour elle, la passion du Christ répond d'avance à toutes les interrogations sur ce point.

Dans une certaine mesure, elle est influencée par le juridisme de son époque et elle en emprunte le vocabulaire : l’homme est un coupable, un criminel justement condamné au dernier supplice, et les victimes expiatrices sont offertes à la colère d'un Dieu justement irrité, par une sorte de substitution. C' est dans ce même esprit qu'elle entoure l'adoration réparatrice de tout un appareil extérieur caractéristique : corde au cou, torche et poteau. Mais jamais elle n'a vu là une réalité ultime : toujours elle a su découvrir au-delà ce qui est la raison profonde de l' immense histoire du monde, l'amour. De toute son âme, elle a accepté paisiblement sa vocation de victime parce qu'elle aimait, et ses dernières années,si douloureuses, furent remplies d'une intense sérénité.

Dès les premiers mois de 1698, son état déclina sensiblement. Elle s'affaiblissait, mais se traînait encore aux exercices de communauté. Pendant la Semaine Sainte, elle assista à tous les offices, mais elle sentait venir sa fin et l'annonçait à son entourage. Le jeudi de pâques au matin, la fièvre la prit, accompagné de vomissements,et on dut lui donner les derniers sacrements. Après trois jours d'agonie, elle s'éteignit paisiblement le di-

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manche de Quasimodo, 6 Avril 1698. Un masque mortuaire en cire; qui nous a été conservé, nous permet de retrouver l'admirable noblesse de ses traits sur son lit de mort.

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Les pages qui suivent ne constituent pas la totalité du Bréviaire de Mme de Châteauvieux, où, du reste, les redites sont assez nombreuses; le volume contient même quelques textes qui ne sont pas de la Mère Mechtilde. La comparaison des divers manuscrits a permis de reconstituer autant qu'il est possible la rédaction originale; l'orthographe et la ponctuation ont été modernisés. Le Bréviaire présente déjà un certain ordre dans le regroupement des fragments : il a été ici amélioré et complété, et l'on n'a gardé que les morceaux les plus caractéristiques sur chaque sujet. Tel quel, ce volume offre une excellente synthèse de la pensée de la Mère Mechtilde à sa pleine maturité.

Ce que nous venons de dire permet de prévoir sans peine quels seront les thèmes principaux et quelles influences on y pourra déceler. On comprendra mieux également la valeur qu'il faut accorder aux termes et aux formules qui portent la marque de l'époque, par exemple en ce qui concerne l' anéantissement, le sacrifice, l'expiation. Cependant, fidèle en cela à l'Ecole française de spiritualité dont elle est sans contredit l'un des grands représentants, la Mère Mechtilde fonde sa doctrine sur le thème paulinien de l'incorporation au Christ et du Corps mystique, ce qui rejoint exactement nos préoccupations actuelles en ce domaine. On est frappé également de la richesse de sa doctrine eucharistique,

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où elle sait établir un juste équilibre entre le sacrifice et la présence réelle. Enfin, certaines pages sur le pur amour et sur l'abandon à Dieu comptent assurément parmi les plus belles que la littérature chrétienne nous ai léguées sur ces sujets. Tout ceci est dit avec un relief et une densité extraordinaires, sans nulle concession à la sentimentalité pieuse.

Puisse cette publication faire mieux connaître la vénérable Mère et révéler en elle à la fois une me exceptionnelle, une personnalité hors de pair et l'un de nos grands écrivains spirituels !

Louis Cognet

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Ces textes ont été établis d'après le manuscrit D 10 (XVII°s.) provenant de la rue Cassette, conservé à Dumfries.

Plusieurs autres manuscrits de la même époque ont été consultés :

D 12, provenant de la rue Cassette, conservé à Dumfries

N 257, N 260, N 264, N 265, N 266, N 268, provenant de Toul, conservés à Bayeux

Mg 2, conservé à Mas-Grenier

Cr C, conservé à Craon

( D 12, N 257, N 264 et Cr C sont de l'écriture de Mère Monique des Anges, de Beauvais)

Le manuscrit T 12 (copie XIX° s. d'un manuscrit plus ancien coté 251 que nous n'avons pu retrouver) conservé

à Tourcoing,a été également consulté.

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En tête de chaque pièce a été indiqué le N° du texte dont ce passage a été extrait

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LE BAPTEME ET LA GRÂCE CHRETIENNE

"Le baptême nous conforme à la mort et à la vie nouvelle de Jésus"


[pièce] 1947 Le baptême nous oblige à une haute perfection , qui est celle du Christianisme , tant parce qu'il nous conforme à la mort , et à la vie nouvelle de Jésus, et qu'il imprime dans nos limes son caractère et sa ressemblance en laquelle consiste toute notre grâce et perfection, que parce qu'il est l'entrée à la loi de la grâce, qui est une loi d'amour et de perfection, à la différence de la loi ancienne , qui était de crainte et de servitude. Car la loi a été donnée par Moise, et la grâce et la vérité ont été faites par Jésus Christ (Jo I, 17).

Enfin le baptême est une naissance spirituelle qui nous fait être les enfants de Dieu. Et comme c'est aux enfants à imiter leur père, nous sommes conviés par le Fils de Dieu d'être parfaits ainsi que notre Père céleste est parfait. Et voilà notre première obligation,qui est gravée si avant en nous avec le caractère, qu'elle ne se pourra jamais effacer.

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Le baptême oblige précisément à la perfection. Mais les autres états de l'Eglise, comme celui des Religieux, obligent plutôt aux moyens de la perfection qu'à la perfection même , car ils obligent à l'observance des voeux qui nous y frayent le chemin et nous donnent fa-

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cilité pour y parvenir; mais ils supposent l'obligation que nous y avons.

De plus, les Religieux se donnent à Dieu de leur volonté, mais par le baptême Dieu nous choisit de son autorité. Les premiers se font par leur profession, qui dépend de la liberté humaine; et les autres, par la régénération spirituelle, laquelle est indépendante de nous. Donc,votre première grâce, à laquelle vous devez fidélité, est celle du Christianisme, grâce de la loi évangélique et de Jésus Christ Notre Seigneur, qui est d'un état et d'un ordre relevé sur la grâce originelle d’Adam et sur celle des Anges, comme étant proportionnée à celui qui en est l'auteur et le sujet. Grâce que nous avons reçue au baptême, et qui nous oblige à la perfection de l'Evangile, et nous lie au Fils de Dieu par le caractère d'une servitude perpétuelle.

Et c'est le premier dessein que vous devez avoir, de ressusciter cette grâce, laquelle est en nous, mais souvent comme morte et sans action de vie, de la renouveler étant envieillie, et de la réveiller étant assoupie; d'allumer ce feu que Notre Seigneur est venu apporter en terre, qui s'éteint en nos coeurs, et de rappeler l'esprit primitif des premiers chrétiens de l'Eglise naissante, qui souvent demeure en nous comme captif et sans effet; de l'appliquer, de le mettre en usage, et de l'accroître et de le perfectionner; d'entrer en … la sainteté de l'Evangile de Jésus Christ, et de renouveler vers lui notre première servitude.

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1653 Dans le baptême vous regardez Jésus Christ non seulement comme votre Maitre, mais comme votre chef que vous devez suivre et imiter. Or, si Jésus Christ est votre chef, il faut nécessairement que vous soyez son membre et qu'il fasse en vous ce que la tête fait au corps humain.

Le chef influe vie au corps; et toute notre capacité de pensée, d'entendement et de volonté réside en notre chef. Or si vous ôtez le chef, vous ôtez la vie. De même si Jésus se retire de votre âme, elle perd sa vie de grâce; car Jésus Christ comme son chef influe vie et vertu en elle, et sans lui elle n'a aucune capacité. Elle relève de sa puissance comme les membres de votre corps relèvent de votre chef. De sorte que si votre main agit, c'est par l'ordre de votre esprit, c'est par le commandement du chef. De même si votre âme agit ce doit être que par obéissance à Jésus qui est son chef.

Elle le doit suivre, c'est-à-dire elle ne doit avoir point d'autre disposition que celle qu'il lui donne et y être tellement assujettie qu'elle ne se détourne jamais de son bon plaisir, et que jamais elle n'agisse par son propre esprit. Elle le doit suivre partout, à la croix et à la mort, comme lui étant très parfaitement soumise en toutes ses conduites et dispositions. Elle le doit imiter en sa patience, en sa charité, en son humilité, en ses souffrances, en sa fidélité, en son amour, en sa fermeté, en son innocence, en sa simplicité, en sa persévérance, bref en sa consommation.


Voilà le premier pas que vous faites pour entrer dans l'esprit et la grâce de votre baptême.


[pièce] 1946 Le baptême est un mystère plein de vérité dans lequel il se fait une consécration certaine des âmes à Dieu, qui se les dévoue par l'onction intérieure de la grâce et la présence de son Esprit. Et pour l'effet de ce mystère l'âme n'a rien qu'une puissance passive, laquelle ne contribue point à l'opération mais la reçoit comme l'établissement d'un nouvel être et la préparation à une nouvelle vie, ce qui fait que saint Paul nomme le baptême une rénovation intérieure, et Jésus Christ, en saint Jean, une naissance pure et spirituelle, que Dieu opère solitairement dans les personnes cu'il a destinées pour être ses enfants et les cohéritiers de son Fils unique.

Nous demeurons obligés par le baptême d'être à Dieu et de vivre pour Dieu, suivant les mouvements de la grâce qu'il nous a donnée, et qui ne manque pas, à l'ouverture de la raison , de solliciter notre coeur d'aller à lui. Et si pour lors la grâce est victorieuse de la convoitise et qu'elle ait son effet, qui est de nous unir à Dieu volontairement - auquel nous n'étions unis que passivement - ce que Dieu sans nous avait opéré en nous, nous l'opérons en lui et avec lui; ratifiant les promesses que la sainte Eglise avait faites en notre nom, protestant que nous voulons être à Dieu, vivre en Dieu et mourir pour Dieu, et nous consacrant et dévouant nous-mêmes à son service, par les mouvements de cette charité précieuse qui désunit l'âme de tout ce qui n'est point Dieu , et l'unit à Dieu par état.


996 Le baptême est une consécration de nos âmes faite par Jésus Christ à la Très Sainte Trinité. Et pour vivre selon votre obligation chrétienne, vous devez vivre selon la dignité que vous avez reçue au baptême. Or, de toute éternité Dieu vous a regardée et choisie pour être consacrée à lui par le baptême. Et dans le temps de votre naissance sur la terre, Jésus Christ en a fait la consécration. Vous savez ce que ce mot signifie, je ne l'explique point; mais seulement je vous dirai que votre âme et tout votre être étant référés à Dieu par votre baptême, vous n'êtes plus à vous et vous ne pouvez plus vivre pour vous. Votre âme est un temple dédié aux trois divines Personnes, et Jésus Christ en fait la dédicace et l'oint de l'onction sacrée de sa grâce au baptême.

Or comme les temples matériels ne servent plus à aucun usage profane, ains aux sacrifices et oblations saintes que l'on offre journellement à la Très Sainte Trinité, de même votre âme ne doit plus être profanée d'aucun petit péché, ni être souillée des créatures. Vous devez regarder votre âme comme un temple consacré; et en cette vue, la conserver pure et nette, puisqu'elle doit être le sacré reposoir de la divinité.

Elle est obligée de se séparer de tous les usages profanes qu'elle pourrait faire de ses facultés. Elle doit se contenir dans un recueillement continuel et dans une attention très respectueuse de la grandeur qu'elle contient en soi. Oh, si tous les chrétiens concevaient bien leur haute dignité, pourraient-ils jamais se ravaler à des impertinences, et des abominations, si je l'ose ainsi dire, que nous voyons tous les jours! O profanation épouvantable des temples vivants de la Très Sainte Trinité! Aucun respect de la divinité présente ne retient ces malheureux!

Quelle obligation avez-vous à la bonté de Dieu qui vous donne des sentiments contraires, et qui vous fait la très grande miséricorde de vous retirer de vos égarements pour vous appliquer à la dignité de votre âme, et à lui conserver autant qu'il vous sera possible la pureté qu'elle a reçue par le baptême ou tâcher de la recouvrer si par malheur vous l'avez perdue!

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Tenez donc votre âme comme une chose non seulement sacrée, mais consacrée: c'est-à-dire qui n'est plus à soi, qui est dédiée. Et tous les usages que vous faites de vous-même qui ne sont pas référés à Dieu, ce sont des usages profanes; vous déshonorez la divinité en vous, et profanez son saint temple. Concevez bien cette vérité, et désormais ne souffrez plus que votre âme ni ses facultés soient employées à l'usage des créatures, de vos sens, ni de votre amour-propre. Il faut que Dieu seul règne dans son temple et que, si vous servez les créatures, ce soit pour son pur amour. Que le temple de votre âme reçoive les continuels sacrifices, les immolations, les victimes présentées à Dieu en odeur de suavité.

Voilà à quoi votre âme doit servir, et non à une retraite de brigands, comme dit Notre Seigneur dans l'Evangile, ni un lieu de trafic, ni admettre rien indigne de sa grandeur, de crainte d'obliger sa Majesté de prendre encore les fouets pour les chasser, et vous priver, pour le peu de respect que vous lui portez, de sa sainte présence.

Il faut que vous conceviez encore les intentions de Jésus dans votre baptême. Ce que je viens de vous dire en contient une partie, car vous voyez que son dessein a été de vous référer toute à la gloire de son Père, de vous adopter pour son enfant, de vous associer avec Jésus Christ pour partager l'héritage éternel. Bref, de vous unir tellement à lui que votre vie ne soit qu'une suite de sa vie.

Voilà les desseins de Jésus dans votre baptême, et vous êtes obligée d'y entrer par amour et soumission et de n'en jamais sortir.

Si un enfant dans son baptême était capable de concevoir ce que Jésus fait en lui, comme il le consacre et comme il le dédie à la gloire de la Très Sainte Trinité, et que cet enfant s'unît aux intentions de Jésus Christ dans le baptême et qu'il consentit à tous ses desseins sans s'en détourner par le péché, il n'aurait pas besoin de renouveler ses intentions. Car le renouvellement n'est que pour suppléer à tant de ruptures d'intention, d'égarements dans les créatures et de retours vers nous-mêmes.

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Il est vrai que nous sommes très misérables par Adam notre premier père, mais nous avons un digne réparateur en Jésus Christ. Le baptême nous remet en grâce et nous fait enfants de Dieu, et frères de Jésus Christ selon l'Ecriture. Ce que nous avons à faire, c'est de bien concevoir notre obligation chrétienne et nous lier à la perfection d'icelle.

Il n' est pas besoin de tant d'intelligence pour être sainte, mais il faut une vraie foi et beaucoup d'amour. Nous voyons peu de 9 savants qui soient bien spirituels. Saint Paul ne voulait rien savoir que Jésus Christ et icelui crucifié. Vous savez assez vos obligations et la dignité de votre condition chrétienne, i1 faut vivre conformément à cette connaissance, et vous étudier à une grande fidélité et pureté de vie, car la grâce que vous avez reçue au baptême vous oblige à cela. Vivez comme Jésus Christ, car par le baptême vous êtes revêtue de lui.

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Ne pensez pas qu'à force de raisonner dans votre esprit vous puissiez bien concevoir Jésus Christ: il ne s'apprend point de la sorte. Une profonde humilité de coeur et une grande soumission d'esprit font plus que la science. La foi est la vraie lumière de 1' âme chrétienne. C'est un flambeau qui vous a été donné au baptême pour vous éclairer toute votre vie, et vous apprendre que la science et la doctrine de Jésus Christ s'apprennent dans les pratiques d'humilité, de simplicité, etc...

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Notre Seigneur dit dans l'Evangile: "Si vous pouvez croire, vous serez sauvés". Il ne dit pas : "Si vous pouvez voir", mais « Si vous pouvez croire", pour nous apprendre que notre voie dans le Christianisme est une voie de foi, et celui qui croit est capable de recevoir la grâce du baptême. Aussi dans les cérémonies du baptême l'on fait dire: "Credo" à nos parrains et marraines, en notre nom. Ils le disent pour nous et nous le disons en eux, car ils sont nos cautions. Et lorsque nous avons l'usage de la raison nous sommes obligés de confirmer et ratifier notre croyance par les actes de foi, à raison que nos parrains et marraines ne sont engagés pour nous que jusqu'à ce temps-là. [page]10

Renouvelons donc notre foi tous les jours pour suppléer à notre insuffisance et nos incapacités en cet état d'enfance. Prions Jésus Christ qu'il répare tous ces temps, et celui que nous consommons tous les jours dans une infinité d'oppositions à notre grâce chrétienne.

La foi est absolument nécessaire pour être chrétienne. Vous n'avez point d'obligation de comprendre la profondeur de nos saints Mystères, ni les grandeurs infinies de Dieu, ni les opérations intimes de Jésus Christ, mais vous êtes obligée de les croire et de vous y soumettre.

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Trois choses sont données dans le baptême en vertu des trois divines Personnes: 1° foi, 2° l'espérance, 3° la charité.

La foi est attribuée au Père, l'espérance au Fils, la charité au Saint Esprit. Avec ces trois dons qui vous sont infus au baptême, vous êtes capable d'entrer dans la plus haute sainteté et perfection. Qui est-ce qui a fait les saints? La foi, l'espérance et la charité.

La foi établit l'âme dans la connaissance de Dieu et de Jésus Christ et de ses saints Mystères, non par des raisonnements humains, mais par une simple croyance aux vérités qui nous sont révélées par l'Ecriture Sainte et par l'Eglise. Nous y soumettons notre jugement sans les vouloir éplucher, et par cette soumission nous les adorons et nous lions à la grâce qu'elles contiennent, notre esprit y étant totalement assujetti.

L'espérance nous fait demeurer fermes 11 dans la foi, et nous donne une pleine confiance en Dieu par Jésus Christ, nous tenant assurées par la vérité de ses saintes paroles. L'espérance nous dégage des choses terriennes et nous fait aspirer aux éternelles que nous attendons, dit saint Paul.

La charité nous unit à Dieu et nous fait être une même chose avec lui. Elle nous fait aimer les choses divines, nous lie à la Croix, nous sépare des créatures et de nous-mêmes, pour nous transformer en Jésus Christ.

Voyez donc si dans le baptême vous n'êtes pas revêtue de la vertu divine et des dons divins, sans l'usage desquels vous ne vous pouvez sauver. Si vous vous plaignez de votre faiblesse à combattre vos ennemis, voilà des armes que Jésus Christ vous donne dans le baptême, qui sont offensives et défensives: vous n'avez qu'à vous en servir. Voyez saint Pal ce qu'il a dit là-dessus.

Donc pour faire usage de la grâce de votre baptême, il faut faire usage de ces trois vertus que l'on nomme théologales à raison qu'elles ont Dieu immédiatement pour objet. Commencez dès ce moment à les bien pratiquer, et vous verrez qu'elles feront en vous de très bons effets.


[pièce] 2477 Ma chère Soeur, Plût à Notre Seigneur Jésus Christ m'avoir donné la grâce et la capacité de vous dire ce que sa lumière me fait connaître sur le saint baptême que vous avez reçu par Jésus Christ. Jamais, jamais vous ne sauriez savoir la dignité ni l'excellence de la grâce où le baptême vous a élevée. Ce n'est point la grâce de notre premier père, ce n'est point la grâce des Anges, ni des Séraphins, mais c'est la grâce très précieuse et toute divine de Jésus Christ.Si la grâce est le Saint Esprit, il faut donc que vous avouiez que le Saint Esprit est tout en vous par Jésus Christ, puisque votre baptême vous remplit toute de sa grâce, vous renouvelle toute en lui. O grâce, ô miséricorde incompréhensibles!

Dans votre baptême vous recevez deux vies en Jésus: sa vie de mort, et sa vie ressuscitée. Saint Paul dit: "Vous êtes morts et votre vie est cachée en Jésus". Vous recevez une vie de mort: c'est-à-dire une crucifixion dans vos sens, dans vos passions, dans vos volontés, dans vos désirs et dans vos inclinations: bref dans tout ce que vous êtes selon Adam. Votre baptême est une expression de la mort de Jésus en croix et de sa résurrection; il faut donc que vous y ayez rapport et union. Il faut mourir continuellement à vous-même et aux créatures: voilà le rapport à la croix. Et il faut que vous marchiez, comme dit saint Paul, "en nouveauté de vie", c 'est-à-dire qu'il faut que votre esprit soit séparé de la terre et de tout ce qui peut vous souiller, votre baptême étant un renouvellement. Aussi Jésus Christ a fait toutes choses nouvelles en vous, il vous donne un être tout nouveau, et une grâce toute nouvelle. Vivez donc d'un coeur et d'un esprit renouvelés, faites un changement de vie.

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Que faut-il faire pour vivre de la vie ressuscitée de Jésus? Il faut vivre d'une vie toute retirée des créatures et des sens; il faut n'avoir plus de prétentions au monde, ni 13 à toutes ses possessions ; il faut renoncer à l’amour et à l'estime des créatures. Bref, il faut avoir un éloignement de tout ce qui nous peut souiller, et n'avoir plus que Dieu dans le fond de nos coeurs.

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307 LA COMTESSE: Dans le renouvellemen de mon voeu de baptême je remarque qu’on se donne à Dieu, et vous me disiez l'autre jour qu'étant à Jésus Christ en tant de manières vous ne pouviez vous y donner derechef.

MERE MECHTILDE: Je crois vous avoir écrit qu'étant à Dieu nous sommes données et sacrifiées à lui par Jésus Christ, comme membres de son Corps mystique et parce que toutes choses apprtiennent à Dieu. Nous sommes donc nécessairement à lui, mais d'une manière ineffable, par le sacrifice de Jésus Christ, tant en la croix que sur l'autel. Car en la croix vous y avez été crucifiée mystiquement. Voyez saint Paul ce qu'il en dit. Et vous êtes morte avec lui. C'est pourquoi vous êtes obligée de vivre d'une vie de mort, toutes dégagée et séparée de la vie de vos sens, car "Votre vie est cachée en Jésus Christ", comme dit l' Apôtre. Donc si votre vie est cachée en Jésus, rien ne doit paraître en vous que Jésus Christ. Vous devez être une vive expression de ses vertus, de ses dispositions et de sa sainteté. Tout ce qui, en vous, est de vous, doit être anéanti afin que Jésus seul y paraisse. En un mot, vous devez mener une vie crucifiée puisque vous l'êtes avec Jésus Christ.

Quant au sacrifice de l’autel, vous savez comme c'est un mémorial de celui de la croix et une continuation de ce très adorable sacrifice. Il y a cela de différent qu'il n'est plus sanglant, mais efficace, et opère des effets puissants sur les âmes qui s'y appliquent et qui demeurent dans la grâce qu'il nous communique.

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Je crois que je vous disais cette nuit passée pourquoi je ne pouvais plus dire: "Mon Dieu, je me donne à vous". Si je suis donnée à Dieu par Jésus Christ, la donation n'est-elle pas parfaite? Suis-je moins obligée d'être à Dieu? Puisque Jésus Christ m'y sacrifie continuellement, je ne m'en puis dédire. Cette donation est-elle pas plus que suffisante? Il faut se laisser sacrifier et y acquiescer amoureusement, continuant par une disposition de soumission et de respect, cette vie ou cet acte de sacrifice.

Et comme vous n'étiez pas sur le Calvaire pour consentir à votre crucifiement, Notre Seigneur veut que vous consentiez à celui de l'autel pour accomplir ce qui manquait à sa Passion, de sorte que, comme son membre, vous êtes offerte au Père avec Jésus Christ et par Jésus Christ, et le prêtre vous tient mystiquement entre ses mains, et vous êtes en l'hostie en cette manière.

O dignité de l’état chrétien d'être faite une même chose avec Jésus Christ, d'être crucifiée avec lui, et d'être tous les jours immolée sur l'autel avec lui! O adorable impuissance où la grâce chrétienne nous met d'être séparées de Jésus, mais qui nous fait une même chose avec lui! Puisque nous faisons partie de son corps, nous sommes donc partie de lui-même. 15

Dans le renouvellement de votre baptême vous ne faites point un acte nouveau de vous donner à Dieu, mais c'est que vous renouvelez la donation et le sacrifice que Jésus Christ a fait à la Très Sainte Trinité. Et c' est ce qu'on désire vous faire concevoir, afin que vous connaissiez que tous vos actes et sacrifices ne sont que des suites de ceux que Jésus Christ a faits pour vous. Donc renouvelez votre baptême pour vous renouveler dans le sacrifice que Notre Seigneur y a fait de vous. Vous ne pouvez faire un sacrifice de vous-même à Dieu plus saintement que celui que Jésus Christ en cs, fait à son Père. Il le faut continuer et ne vous en retirer jamais, mais vivre actuellement dans cet esprit d'hostie, non par votre choix , mais parce que Jésus Christ vous y assujettit par son sacrifice. Et faisant de la sorte vous êtes victime, non de votre volonté, mais de celle de Jésus Christ.

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3146 Ma chère fille, Vous serez demain14 en l'état que Notre Seigneur aura agréable de vous mettre. Je suis d'avis que vous vous abandonniez très entièrement et sincèrement à sa miséricorde et à la conduite de son divin Esprit, sans faire choix ni élection dans votre esprit d'aucune disposition particulière, sinon celle qui ne vous doit jamais quitter, qui est de vous rendre à Dieu. Confiez-vous en su bonté. Je vous assure qu'il fera son ouvrage et se glorifiera en vous, après qu'il y aura détruit et anéanti tout ce qui s'oppose à la sainteté qu'il y veut établir. S'il vous laisse en cette précieuse action en état de mort, soyez contente qu'il vous prive de la vie que vous avez toujours menée dans vous-même et dans vos sens.

Il faut que la journée de demain soit la journée de votre véritable et réel sacrifice; que vous soyez faite avec Jésus la victime de son Père; que vous vous laissiez lier par les saints voeux et promesses de votre baptême; que vous vous laissiez mener et conduire par l'esprit pur et saint de Jésus dans le sentier de la pure mortification et abnégation de vous-même, dans ce sentier étroit dont l'Evangile nous dit qu'il conduit à la vie.

Il faut vous laisser égorger: e'est-à-dire qu'il faut donner un consentement de mort à tout ce qui est contraire à Dieu en vous, et souffrir que les ressorts de la très sage et adorable Providence, par ses secrets événements, vous fassent mourir à vous-même, à vos appuis, aux secrètes recherches de votre amour-propre. Il faut être consommée par le feu du pur et divin amour de Jésus.

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Faites peu de retours sur vos dispositions propres, mais donnez-vous beaucoup à Jésus pour être revêtue de son Esprit et de ses saintes dispositions. Priez-le très humblement et ardemment qu'il fusse lui-même cette action en vous, qu'il soit votre vertu,votre force et votre grâce, pour la faire comme il la désire; et qu'il vous fasse la miséricorde de prendre un nouvel empire et souveraineté sur vous. Que ce soit dès ce moment que vous vous rendiez toute à lui, avec regret d' c:voir consommé vos années passées avec tant d'ignorance et d'impureté.

La. plus importante disposition que vous devez avoir, et que Dieu ne vous dénie pas, c'est le néant. Retirez-vous dans votre néant en la présence de la Très Sainte Trinité, et dans

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une humiliation profonde dans laquelle vous devez entrer. Abandonnez-vous à ses saintes opérations en votre âme, et croyez qu'elle fera en vous un effet de rénovation, bien que vous ne vous en aperceviez point; et il est bon que vos sens n'y aient point de part, au moins volontairement.

Vivez en esprit de mort puisque vous êtes victime. Gardez-vous bien de chercher la vie dans vos sens et dans vous-même. Il faut être anéantie en soi pour vivre en Jésus. Demeurez en paix et en tranquillité d'esprit. N'oubliez pas le respect que vous devez avoir en sa divine présence, aux mouvements de sa grâce et à ses ordres, et la soumission d'esprit pour vous y assujettir et les accomplir, quoiqu'il vous en coûte.

2404 O ingratitude du coeur humain! O aveuglernent de notre esprit qui, étant si rempli de ses propres intérêts, ne s'en peut séparer pour faire place à ceux de Jésus Christ.

J'avoue que c'est un bonheur que d'être dans l'innocence: mais qui vous peut assurer que vous la possédez? Et si vous 1.a possédez, êtes-vous assurée d'y persévérer? Oh! que le salut d'une âme est incertain quand elle s'appuie sur sa vie ou sur ses dispositions, ou sur je ne sais quelle habitude intérieure qui ne produit ni bien ni mal! Faites comparaison de ces âmes-là au bonheur d'une âme qui tend à Dieu, qui le cherche et qui l'aime. La différence en est quasi infinie. Celle-là qui vit lchement ne reçoit jamais les communications divines, elle ne goûte point Dieu, elle ne le connaît point, elle ne le glorifie point, elle est comme morte, ou pour mieux dire: dans une langueur qui tend à la mort. Et il faut bien peu à ces âmes-là pour les faire tomber dans le péché mortel.

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Laissons les preuves de cette vérité pour l'entrevue ( je serais trop longue), pour vous dire que je suis pressée intérieurement de vous reprendre de votre lâcheté et de votre fainéantise au regard de Dieu. Voyez par votre disposition - du moins par ce que vous m'exprimez dans votre lettre - combien vous êtes remplie de vos intérêts, l'impureté de votre fond à se réfléchir sur vous-même, vous faisant dire que vous ne demandez pas davantage que d'être assurée de votre salut. Oh, que vous êtes infidèle après les promesses que vous avez faites à Jésus Christ, et que vous avez renouvelées avec tant d'ardeur! ...

Où est cette profession que vous avez faite au baptême, de Jésus Christ, de vivre de sa vie et d'être animée de son esprit? Voyez comme vous imitez votre chef, et si vous êtes comme lui revêtue des intérêts de la gloire de son Père. Jamais le Fils de Dieu n' a agi pour lui en tant qu'homme. La gloire de son divin Père était son motif éternel et actuel, en toutes ses dispositions et en toutes ses opérations.Et vous vous contentez dans l'assurance d'être sauvée, voulant laisser le reste sans vous travailler davantage ! Voilà une pensée de tentation qui part de votre fond impur, et d'une crainte secrète de votre orgueil d'être un jour dépouillée de vous-même et revêtue de Jésus Christ. Vous appréhendez de vous perdre et de vous donner en proie à l'esprit et à la grâce de Jésus. 19

"Celui qui aime sa vie le perdra et celui qui la hait en ce monde, il la conservera pour la vie éternelle". C'est Jésus Christ qui vous dit cette vérité, en saint Jean. Voulez-vous être assurée de votre salut? Dépouillez-vous des intérêts mêmes de votre salut et, vous abandonnant dans la conduite de Dieu, marchez dans le dénuement, ne cherchant autre intérêt que de contenter Dieu.

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C'est un grand secret de la vie intérieure de connaitre sa voie et d'y marcher fidèlement. La voie d'un autre n'est point la vôtre, c'est pourquoi ne réglez pas l'ouvrage de votre sanctification: il faut que chacun suive ce que Dieu veut de lui. Concevez bien ce point et vous vivrez plus en repos et serez plus fidèle.

Vous dites pour appuyer votre proposition oue Dieu étant glorieux essentiellement en lui-même, il n'a pas besoin de gloire accidentelle. Il est vrai que, avant la création du monde, Dieu était autant glorieux en lui-même qu'il est présentement. Mais il a plu à sa sagesse créer l'univers et se produire dans les créatures pour manifester sa grandeur et ses divines perfections, et en même temps nous obliger à les adorer. Il prend sa complaisance dans son ouvrage, il s'en glorifie, et il nous assujettit à le glorifier aussi selon qu'il est à notre possible.

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O présomption du coeur humain qui dit: "Pourquoi nous donner tant de peine lorsque nous croyons être en grâce, et que Jésus Christ ayant tout réparé pour nos péchés, il ne nous reste que le repos sans nous tourmenter davantage?"

"Dieu vous a créé sans vous, mais il ne vous sauvera pas sans vous", dit un Père de l'Eglise. Jésus Christ a réparé toute la gloire que le péché avait ôté à son Père et vous a mérité la grâce de coopérerà votre salut. Vous n'avez rien quine coûte son sang, mais il veut que vous trvailliez avec lui à vous anéantir, à vous assujettir et à vous rendre de son parti; vous le devez par mille sortes de droits et d'obligations.


JESUS CHRIST


"C'est JESUS CHRIST même que je voudrais produire dans votre coeur"


674 J'ai bien envie de vous parler de Jésus Christ, de vous faire connaître Jésus Christ, et de vous voir toute remplie d'amour et d'estime de Jésus Christ… Soyons toutes à lui, ne vivons que pour lui, ne respirons que lui, ne pensons qu'à lui, ne désirons que lui.

Je vous avoue que je prends un singulier plaisir de vous parler de Jésus Christ.... Le sacré nom de Jésus Christ est si suave et si doux, qu'il y a des délices de le prononcer. O Jésus Christ, Jésus Christ, Jésus Christ, soyez en nous et nous remplissez toute de vous-même. Une âme qui a Jésus Christ n'a plus besoin d'autre chose. Si vous me demandez qui peut avoir Jésus Christ, je vous dirai que tous les chrétiens l'ont reçu au baptême. Vous l'avez en vous mais il ne se manifeste pas toujours. C'est la foi qui vous le découvre, et quelquefois il se communique si particulièrement à l’âme, qu' elle l'expérimente d'une admirable manière. Jésus Christ est la vie de votre vie, il est l'esprit de votre esprit et l'âme de votre âme. Si Jésus Christ n'était en vous, vous ne seriez rien de ce que vous êtes.

Adorez donc Jésus Christ comme votre vie , votre âme , et votre esprit, c'est-à-dire voyez plus Jésus Christ en vous que vous ne vous 25 voyez vous-même. Nous ne devons plus rien voir que par les yeux de Jésus, rien désirer que par ses désirs, rien aimer que par son amour. Enfin être, comme dit saint Paul, ce digne imitateur de Jésus Christ, toute revêtue de Jésus Christ.

[pièce] 530 Je désire que cette nouvelle année en laquelle vous allez entrer soit une année de mort et de vie: de mort dans vos sens et dans votre propre esprit; de vie dans lu grâce et dans Jésus. Que vous n'ayez plus de vie en vous que pour la perdre et consommer en Dieu, portant en vous les paroles de l'Apôtre: "Vous êtes morts et votre vie est cachée en Jésus Christ dans Dieu".

Oh! quel bonheur de vivre en Dieu.… Quelle grace d'être actuellement en Dieu, vivre de sa vie et être faite une même chose avec lui par l'étroite union dans laquelle il nous attire! Avoir Dieu en soi et être dans Dieu même; se reposer en lui et opérer par lui. En un mot être par grâce et par amour ce qu'il est par nature. Faudra-t-il que le monde, les créatures et vous-même, vous privent d'un si suprême bonheur, voire d'un bien infini, dont l'excellence est incompréhensible?

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"Là où je suis, dit Jésus, mon serviteur y sera aussi". Soyez fidèle servante d'un si bon Maître, n'ayez point de regret de vous abandonner toute à lui. Renouvelez-vous à son service, mais d'une bien autre manière que du passé. Hélas, vous vous êtes souvent donnée à lui, mais votre sacrifice, votre oblation n'était pas entière. Vous étiez trop engagée dans vous-même, dons les créatures et dans vos intérêts. Vous n'étiez pas libre pour offrir à Dieu uniquement la victime; vous la sacrifiiez d'une main, et la retiriez de l'autre. Et quand vous la condapiez à la mort d'une sorte, vous lui donniez vie en une infinité de manières d'une autre. Voilà comme vous vous êtes moquée de Dieu.

Il est vrai que vous étiez du passé dans les ténèbres. Mais à présent que Dieu vous éclaire de sa lumière, serez-vous aussi infidèle que du passé? Aurez-vous toujours vos intérêts devant les yeux, les craintes humaines, et la satisfaction de vos sens et de votre propre esprit? Non, je condamne avec Jésus Christ tout cela à la mort ; il faut nécessairement commencer une nouvelle vie.

Et si vous me demandez de quelle vie vous devez vivre désormais, je vous réponds que ce n'est pas de la vie des bonnes âmes ni des anges, ni même de la vie des saints, mais de la vie pure et sainte de Jésus. Vos années doivent être une suite des années de Jésus, et par conséquent votre vie une suite de sa vie. Il faut, comme vous enseigne saint Paul, accomplir en vous ce qui manque à la Passion de Jésus. Qu'est-ce à dire, sinon que comme membre de son corps vous soyez anéantie, crucifiée, morte et ressuscitée avec lui. Que toutes vos opérations soient donc les opérations de Jésus en vous, que vous les opériez par son esprit, par ses dispositions et pour ses mêmes intentions. Il ne faut plus rien voir en vous que Jésus: que vos pensées soient des pensées de Jésus, vos paroles des paroles de Jésus, vos oeuvres des oeuvres de Jésus, et avec Jésus. Entrez en esprit et par désir dans ses dispositions saintes pour agir comme lui. C'est dans son esprit que vous devez communier… 27

2054 Les désirs que j'ai de voir votre âme toute unie Jésus Christ me font prendre la liberté de vous dire mes petites pensées et vous enseigner derechef, par sa lumière et par son esprit, la nécessité que vous avez de connaître Jésus Christ et de vivre de sa vie. Il y longtemps que je vous souhaite toute à lui, et que je le prie vous y attirer.

Il me semble que je conçois quelque chose, selon ma pauvre capacité, des désirs adorables de Jésus vers les âmes, et les très grandes bénédictions qu'il veut départir à la vôtre si elle se rend fidèle. Oh! que la créature est misérable de refuser tant de miséricorde! … Oh! que c'est un grand secret dans la vie intérieure de bien suivre le trait de la sainte conduite de Jésus Christ! Plût à Dieu que je vous puisse dire ce que j'ai appris sur ce sujet, et de quelle manière nous devons demeurer en Jésus Christ et vivre de lui

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Jésus Christ contient en soi la vraie et unique vie. Car hors de lui il n'y a que mort. O vie sainte et divine quand sera-ce que nous vivrons de t.a vie?… Nonobstant mes impuretés, la grâce chrétienne m'oblige d'y aspirer par une très profonde humilité, et il m'est permis de désirer Jésus Christ comme la vie de ma vie. Vous avez la même obligation, c'est pourquoi unissons-nous ensemble pour le désirer, le chercher et le posséder.

Commençons par une haute estime de Jésus Christ. Je ne prétends point vous exprimer ses grandeurs, je les rabaisserais et les profanerais d'une étrange manière. Il faut nous servir de la foi pour croire avec humble respect ce 28 que nous ne sommes pas capable de comprendre.

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Un des points 1es plus importants dans la vie intérieure, c'est d'estimer Dieu d'une estime digne de lui-même, qu'il soit en notre esprit et en notre coeur par-dessus toutes choses. Cette estime attire l'amour, et l'amour fait la sainte union. Mais quelque grand que soit l'amour, ne sortez jamais du respect, souvenez-vous toujours qu'il est le Tout, et que vous êtes le néant. Et quel rapport y a-t-il de l'un à l'autre: la sainteté et le péché? Ne vous oubliez donc jamais de votre devoir, quelque haute grâce que vous receviez de Notre Seigneur. J'aime beaucoup de voir dans une âme le respect et l'amour. Il faut qu'ils marchent d'un pas égal. Ne vous oubliez jamais: c'est une redite, mais elle est nécessaire pour vous en faire mieux concevoir l'importance.15

Cette estime et ce respect de Dieu vous tiennent en votre devoir et vous font conmniquer avec Dieu d'une manière qui fait honorer sa grandeur. Et dans cette disposition vous rendez hommage à l'incompréhensibilité divine, vous vous abaissez et avouez votre insuffisance. Et cette pensée de Dieu incompréhensible borne toutes les curiosités de l'esprit et l'assujettit à une simple et très respectueuse croyance de ce que Dieu est, sans vouloir le comprendre, puisque cela ne se peut. Il n'y a que Dieu seul qui se puisse comprendre lui-même, et cette vérité nous doit donner de la joie. Dieu est si saint et si divin et si ineffable qu'il n'est et ne peut être connu essentiellement que de lui-même. O quelle consolation à une âme qui aime Dieu de voir qu'il est incompréhensible!16 29

Voyez comme une âme est, dans les pures et saintes pratiques de la vie intérieure, toute revêtue de la divinité : c'est par l'étroite union et transformation d'amour qu'elle a avec Dieu; laquelle étant par la force de ce divin amour faite une même chose avec lui, elle est toute remplie de ses saintes et divines qualités.17

Elle est sainte par une participation de la sainteté divine; elle est bonne par une émanation de la bonté divine; elle est juste par la justice divine, douce par la douceur divine, charitable par la charité divine, patiente et débonnaire par la patience divine, etc… Toutes les grâces et vertus qui éclatent en elle sont des effets opérés par les divins attributs; de sorte qu'une âme dans cet état se voit toute revêtue des perfections divines. Elle se sent forte par la force de Jésus, immuable par son immutabilité divine, et ainsi du reste. Ce qui fait qu'elle ne s'approprie aucun de ces dons. Elle voit tout en Dieu et de Dieu, et rien du tout en elle ni d'elle que le péché18; et c'est ce qui la tient si parfaitement unie à Dieu sans sortir de son néant. Elle voit sa dépendance, et comme toutes grâces et miséricordes sont en lui.

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Cette connaissance soutient notre impuissance et nous oblige par deux raisons de demeurer unies à Jésus Christ19. La première, par amour que nous devons à Jésus Christ, le connaissant notre unique principe et la fin de toutes choses; bref pour le respect de lui-même, car il est seul digne d'un éternel amour. La seconde réfléchit sur nos propres intérêts, qui est la nécessité que nous avons de Jésus Christ, mais un besoin si grand que nous ne pouvons opérer une seule bonne action sans son concours. A tous moments il faut recevoir ses miséricordes, ou nous périssons.

Notre dépendance est si étroite que nous n'avons de vie qu'en lui. C'est la vie de notre vie et l'âme de notre âme. Enfin il nous est tout , et sans lui nous n'avons rien du tout. Jésus est donc notre divine suffisance, nous n'avons rien qu'en lui. Si cela est une vérité de l'Ecriture , demeurons-y assujetties, et souffrons que notre propre expérience nous fasse ressentir Je besoin actuel que nous avons de Jésus.

En cette vue et connaissance nous devons nous tenir très étroitement unies à Jésus Christ, nous ne devons rien faire que par Jésus Christ, recevoir toutes choses dans son ordre, et être continuellement tendantes à Jésus Christ.

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Ce n'est pas assez de connaître par la foi et par la splendeur des perfections divines Jésus Christ dans le sein de son Père comme son Verbe éternel, par lequel il a tout fait et par lequel il nous sanctifie, mais il le faut connaître dans sa vie voyagère sur la terre pour nous y conformer. Notre âme doit être unie à l'âme de Jésus Christ, et toutes nos actions doivent avoir rapport aux siennes.Voilà notre obligation, car il faut être Jésus Christ en toutes choses. C'est pourquoi il faut faire ce qu'il nous dit dans l'Evangile: "Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à soi-même, porte sa croix et me suive". Nous ne pouvons donc suivre Jésus Christ qu'en portant notre croix, et en renonçant à nous-mêmes. En un autre endroit il dit: "Celui qui ne quitte son père, sa mère, ses frères, ses soeurs, sa femme ,son mari et tout ce qu'il possède, n'est pas digne de moi": il n'est pas digne d'être son 31 disciple.20

On ne peut suivre Jésus Christ que par le dépouillement de toutes choses. Il faut tellement perdre toutes choses qu'il se faut perdre soi-même21 . Une âme qui fait quelque réserve ne peut trouver ni goûter parfaitement Jésus Christ. Il dit à son Apôtre: "Suivez-moi", et ce grand avare quitte tout à cette divine parole. Hélas, combien de fois sommes-nous pressées intérieurement de tout quitter, de retirer nos affections de la terre pour suivre Jésus Christ dans sa vie pauvre et souffrante. Mais nos attaches sont si fortes qu'il faut que la Sagesse divine nous envoie des renversements, des pertes et des accidents de diverses manières, pour emporter de force ce que nous ne voulons point donner par amour.

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Ce n'est pas sans raison que les âmes bien éclairées appellent les afflictions de la terre des visites de Notre Seigneur et des effets de son saint amour. Si vous pouviez pénétrer l'amour que Jésus Christ porte aux âmes, et le désir infini qu'il a de les sanctifier, vous prendriez grand plaisir aux afflictions, aux croix et aux souffrances, puisque, dans la vérité de Dieu même, ce sont les inventions dont son amour se sert pour attirer ses élus et les obliger, par la presse de leur douleur, de se retourner vers lui en se séparant des créatures.

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Il faut donc connaître Jésus Christ dans la vie de souffrance dans laquelle il nous a mérité la grâce que vous avez reçue au baptême, et que vous recevez actuellement. C'est par Jésus crucifié que vous êtes ce que vous êtes. Soyez par désir unie étroitement à lui; ne fai- 32 tes rien sans lui et faites tout par lui. Lorsque vous avez à souffrir quelque chose, désirez que la grâce de ses souffrances fasse un usage de la vôtre digne de lui. Dans les humiliations, souhaitez que son humilité sainte sanctifie vos abjections. Ayez rapport à Jésus Christ en tout ce que vous faites, dites, pensez. Désirez que tout soit uni à Jésus, et tire sa vertu et sa perfection de lui.

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Ayez une dévotion que j'ai vu longtemps pratiquer par quelque âme, de vous exposer souvent en esprit à Jésus, pour recevoir en vous sa grâce et sa vertu. Je sais combien cette vertu est efficace, mais il faut de la patience et de la persévérance. Je puis dire en vérité que l’âme qui y est fidèle reçoit ce que je ne puis exprimer, et je vous prie d'en faire l'expérience. Je voudrais que vous preniez un quart d'heure dans votre journée, selon votre loisir, pour vous exposer à Jésus Christ selon vos besoins. Quelquefois pour invoquer sur vos faiblesses la puissance de Jésus Christ. D'autres fois, dans le sentiment de vos impuretés et du fond malin oui est en vous, vous exposer à sa sainteté, vous y abandonnant pour recevoir en vous ses effets, et ainsi du reste. Dans vos pratiques ordinaires, vous donner à sa grâce et à son esprit. Dans vos actions, désirer que Jésus Christ les fasse en vous et n'en faire jamais aucune que par sa direction et par obéissance à sa conduite.

Si vous concevez bien ce que je veux dire et si vous y êtes fidèle, vous verrez les bons effets que cela produira en votre âme, et comme insensiblement vous vous trouverez remplie de Jésus Christ. Vous serez toujours en sa sainte présence et toujours occupée de lui. Vous ver-33rez toutes choses en lui et vous serez à tous moments et dans tous les événements liée à son ordre et à son bon plaisir. Vous rendrez une actuelle obéissance à Jésus Christ; et par ces moyens vous vous trouverez actuellement unie à lui, et toutes vos paroles auront l'odeur de Jésus Christ, et vos actions en seront plus épurées. Et ce qui vous doit donner plus de consolation, c'est que tout votre être ainsi rempli de Jésus Christ donnera gloire à Dieu en l'union de son Fils. Et la plus petite de vos actions en cet esprit est glorieuse à Dieu, et méritoire en votre âme. Vous sortez, sans quasi y penser, de vous-même et suivez Jésus Christ.

Plût à Dieu que toutes les âmes chrétiennes voulussent expérimenter ce que je dis. Je sais qu'il y a un peu de peine à en prendre les habitudes. Mais pour peu qu'on s'y applique, l'on en tire de merveilleux profits. Les âmes qui en ont fait usage peuvent confirmer les vérités que je dis.


2531 Ayez toujours devant vos yeux votre divin exemplaire Jésus Christ, lequel s'est rendu obéissant jusqu'à la mort de la Croix. Que toute votre vie soit une actuelle obéissance à Dieu, c'est votre voie, du moins c'est la disposition où la grce vous a mise, et à laquelle vous devez une fidélité inviolable. Lorsque vous vous tirez de cette soumission, vous vous mettez en danger de beaucoup de misères. C’est ce qui vous soutient dans votre état de ténèbres et d'impuissance.

Notre Seigneur dans l’Evangile voulant opérer ses merveilles n'a rien demandé de notre part que la foi. « Crois-tu que je te puisse guérir ? » De même aujourd’hui voulant opérer en vous les mersveilles de sa grâce et de son amour, il demande la même chose. Il veut que vous soyez en foi, et que vous vous confiiez en sa bonté et en sa puissance. Autrement vous vous rendriez indigne de son opération. Croyez donc nonobstant l'impureté de votre fond, croyez en la vertu et bonté de Jésus Christ, lequel peut dans un moment vous purifier. Et sans doute il le fera après qu'il vous aura établie dans la solide connaissance de votre néant. Cet état vous est absolument nécessaire, et je vous prie d'y être toute abandonnée aux desseins de Jésus Christ.

Ne vous réfléchissez pas tant, marchez en confiance. Celui qui vous soutient ne vous laissera pas périr. Ne vous mettez en peine de rien; pourvu que vous soyez uniquement à Dieu, il suffit. Mais pour y être comme il faut, vous devez vivre dans une actuelle dépendance de son amour et de sa conduite.


2476 Plût à Dieu que vous puissiez pénétrer l'extrême et effroyable malheur que c'est de pécher. O péché, péché, que tu nous fais de tort! Hélas, qui pourra réparer tes ruines? Jésus Christ seul en a le pouvoir, le vouloir et la capacité, et il l'a fait d'une manière adorable par son sang et par sa mort. C'est Jésus Christ qui m’a rachetée et qui me remet en la possession de mes droits. Il rachète tous les moments de ma vie , car après la commission d'un péché nous méritons non seulement la mort spirituelle, mais aussi la corporelle, et si Dieu faisait justice il nous anéantirait sans ressource. 35

Je dois donc à Jésus Christ tous les moments de ma vie, toutes les opérations des puissances de mon âme, tout mon temps, tout mon travail, toute ma capacité, toutes mes pensées, bref l'usage de mes sens et de toutes mes facultés. Et autant d'opérations que je fais pour moi ou pour les créatures, c'est autant de larcins que je fais du sang du Fils de Dieu22. Tout est à lui, nous sommes rachetés de ce prix inestimable, et nous n'avons pas droit d'user ni de disposer des moments de notre vie que pour son amour et pour sa gloire...

Oh! bienheureuse l'âme qui se conserve dans l'innocence et qui n'est point sujette de ressentir en elle les aiguillons du péché ! Je vous avoue que je suis touchée, et je le suis doublement lorsque je vois le caractère de la divinité effacé. O Jésus, divin Réparateur, réparez cette image adorable per votre toute-puissance, votre grâce et votre vertu. Je l'espère de votre pure miséricorde.

Si une âme connaissait le malheur et l’abomination d'un péché, elle en aurait une telle horreur Que, quelque méchante qu'elle soit, elle ne pourrait se résoudre à le commettre. Il faut avouer que nos aveuglements sont grands et dignes de compassion.

2826 Toute la perfection du Christianisme consiste à un regard actuel à Jésus Christ, et une adhérence ou soumission continuelle à son bon plaisir. Ces deux points contiennent tout, et la fidèle pratique d'iceux vous conduira au plus suprême degré de perfection. Bienheureuse l'âme qui les observe.

Le premier consiste à voir Jésus Christ en toutes choses, dans tous les événements et dans toutes nos opérations; de sorte que cette vue divine nous ôte la vue des créatures, de nous-mêmes et de nos intérêts, pour ne rien voir que Jésus Christ. En un mot, c'est avoir une présence actuelle de Dieu.

Le second consiste à être soumise actuellement à sa sainte volonté, à être tellement assujettie à son bon plaisir, que nous n'ayons plus aucun retour, au moins volontaire, qui nous puisse retirer de cette respectueuse obéissance.

Si vous voulez vous étendre sur ces deux points, vous connaîtrez clairement que si vous en voulez faire usage, vous serez toute environnée de Jésus et toute remplie de son amour.

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Ayez Jésus Christ imprimé et gravé dans le centre de votre âme. Ayez-le dans toutes les facultés de votre esprit. Que votre coeur ne puisse penser ni respirer que Jésus Christ. Que toute votre application soit à Jésus Christ. Que toute votre tendance soit de lui plaire. Attachez toute votre fortune et tout votre bonheur à connaitre et à aimer Jésus Christ. Que votre âme en soit toute amoureuse. Qu'aucune chose de la terre , pour grande qu'elle paraisse, ne prévale plus en vous contre l'union actuelle que vous devez avoir avec Jésus Christ. Que le Ciel, la terre et l'enfer ne vous en puissent jamais séparer.

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O Jésus, tout puissant et tout amour, opérez en nous ces deux effets de miséricorde, da nous attirer par votre toute-puissance et de nous transformer en vous par votre amour. 37 O amour, ô divin amour, que ne brûlez-vous, que ne consommez-vous en nous tout ce qui vous est contraire, et qui s'oppose à la sainteté de vos opérations. O vie qui n'est point animée d'amour, comment te peut-on appeler vie? Tu es une mort affreuse et très horrible. O pur et saint amour de Jésus Christ, ne permettez point qu’un seul moment de ma vie se consomme sans amour; faites-moi mourir… plutôt que de n'aimer point Jésus Christ.


1819 Qu'y a-t-il au Ciel et en la terre de plus précieux que Jésus Christ? Et c'est Jésus Christ même que je voudrais produire dans votre coeur et en arracher tout le reste. Oh! qu'il fait bon n'avoir rien que lui et être pauvre de tout le reste: n'avoir plus d'affection pour les créatures, plus de tendance aux honneurs de la terre, plus de part au monde et à tout ce qu'il contient. O sainte et sacrée pauvreté!

Donnez-vous à l'esprit et à la grâce de Jésus Christ pauvre, afin que sa sainte pauvreté vous donne la force de souffrir que son Amour vous appauvrisse. Plût à Dieu que nous soyons pauvres de la pauvreté de Jésus Christ! Oh! si une fois son amour entre en nous,il nous dépouillera de toutes les créatures et de nous-mêmes. Nous n' avons qu'à le laisser faire, il fera des merveilles si nous ne l'empêchons point.


LES MYSTERES DU VERBE INCARNE

'Dés irez que tout ce qui s'est passé en LUI

se passe spirituellement en VOUS'

INCARNATION

1652 J'eus hier beaucoup de pensées de vous écrire, et même cette nuit en attendant l'heure de l'Incarnation adorable du Verbe. Mais deux choses m'ont divertie de ces pensées.

La première c'est que Notre Seigneur Jésus Christ est un grand Maître, très adorable en ses divines leçons. C'est lui qui a instruit saint Paul dans le désert soixante-dix années qu'il y a vécu solitaire sans aucune conversation humaine. C'est lui qui a enseigné Marie Egyptienne et une infinité d'autres qui s'étaient volontairement pour son pur amour séparés des créatures. Et je voyais que ces grands saints s'étaient sanctifiés par la solitude, parle silence, par l'anéantissement et par la mort profonde d'eux-mêmes, vivant comme des morts dans l'oubli de tout le monde.

Oh! que cette vie me parait sainte! Je la respecte en vous. Non qu'elle y soit établie, ni que vous viviez de la sorte, mais dans lu vue que Jésus est votre divin Maître, qu'il peut vous rendre savante dans tous ses saints mystères par lui-même. Et je le priais de vous faire ces leçons adorables de son divin amour. 41

Et comme je porte grand respect aux opérations secrètes de la grâce en votre âme, je les révérais en silence cette nuit, adorant cette Incarnation adorable du Verbe en vous, en une certaine manière, et je désirais que votre âme soit toute fondue et toute liquéfiée en l'amour de ses anéantissements.

Oh' que ce mystère est adorable! Qu'il est grand! Et qu'il est saint et divin! Notre esprit n'est pas digne de le comprendre. Mais il nous faut unir et lier à la grâce qu'il nous confère, désirant qu'il ait son effet en nous selon les desseins de Jésus Christ. Et nous tenir aux pieds de la très Sainte Vierge notre Maîtresse, pour participer à ce prodigieux mystère d'un Dieu anéanti dans ses entrailles virginales. Imitez son humilité et sa soumission. Consentez que Dieu soit en vous en toutes les manières qu'il lui plaira, et dites aujourd'hui trois fois en esprit d'amour, de révérence et d' abandon: "Verbum caro factum est.. ‘"et trois fois: « Ecce ancilla Domini... », adorant les abaissements du Verbe fait chair et l'humilité de 1a très Sainte Vierge. Ne sortez point de cette disposition. Soyez toujours abaissée devant la grandeur de Dieu, consentant à son bon plaisir.


NATIVITE

2238 Ma très chère fille, Ne pouvant dormir à cause du redoublement de ma toux vous voulez bien que je passe un quart d'heure de temps en esprit avec vous pour vous dire quelques petites pensées sur les dispositions où votre âme doit être pour recevoir en elle Jésus naissant...

La première est un vide des créatures en vous-même. "Il n'y a point de lieu en l'hôtellerie", en saint Luc, pour loger Jésus. Les créatures avaient tout occupé les places; et les intérêts de notre amour-propre ont été préférés à la réception de Jésus et de sa sainte Mère dans la petite ville de Bethléem. Si vous désirez, non enfant ,que Jésus vienne naître en vous, faites-lui place dans votre coeur. Videz-le de toutes les créatures et de vos propres intérêts. L'étable de Bethléem se trouva désoccupée et Dieu y logea comme dans son palais et y fit son entrée au monde.

La seconde disposition, c'est la foi. Jésus naît au milieu de la nuit, dans les ténèbres, sans autre lumière que celle de sa divinité. Dégagez-vous de vos sens et demeurez en foi si vous voulez recevoir la grâce de ce mys-43tère. Il faut être en ténèbres au regard de vos sens et de votre propre esprit si vous voulez recevoir la lumière divine, et Jésus naîtra spirituellement en vous.

La troisième c'est le silence. Jésus fait son entrée DU monde dans un temps de paix, à une heure qui tient toutes les créatures en silence, pour nous apprendre qu'il est le roi de paix, qu'il aime le silence et que c'est dans le calme de toutes nos passions, de nos sens, et de nos puissances qu'il fait ses profondes communications à l'âme; que c'est dans le recueillement et dans la solitude intérieure où il fait entendre sa divine voix. Oh! qu'heureuse est l’âme qui ordonne si bien toutes choses en elle que son adorable Seigneur y fait le lieu de sa naissance.

Or il y trois sortes de silence que nous devons tâcher selon notre capacité de pratiquer:

1° Le silence de nos passions, qui se fait par une fidèle et actuelle abnégation de nous-même, en sorte que nos passions étant mortifiées, elles ne font plus de bruit.

2° Le silence de nos sens qui voudraient toujours voir et sentir ce qui se passe: ils font du bruit et troublent le repos d'une âme qui doit être en profonde attention vers Dieu. C'est pourquoi il les faut tenir en silence sans les écouter ni nous ranger de leur parti.

Le troisième silence est (celui) des puissances de notre âme, qui doivent être anéanties. Votre entendement doit être en silence, ne lui permettant pas tant de raisonnements superflus ni tant de productions inutiles qui ne procèdent que d'une recherche de vous-même. Il doit demeurer en silence, regardant Dieu avec respect. La mémoire doit être en silence, ne recevant volontairement aucune image ni souvenir des créatures, demeurant simplifiée en la présence de Dieu. Et la volonté doit être en silence, sans désir, sans inclination, sans ardeur, sans contrainte, sans affection et sans aucune attache qu'à Dieu seul.

En un mot la meilleure et la plus sainte dispoition et celle pour laquelle mon âme a le plus d'attrait, c'est la profonde mort en nous-mêmes, que nous appelons le véritable anéantissement. C'est cette sainte disposition qui a tiré le Verbe du sein de son divin Père pour le faire incarner dans le coeur virginal de Marie. Dieu a regardé l'humilité de sa servante. Dieu a regardé les bassesses et le néant dans lequel la très Sainte Vierge était plongée. Rien n'est plus capable d'attirer Dieu en nous que de nous anéantir au-dessous de toutes choses. Une âmé dans son néant est ravissante aux yeux de Dieu, et l'on peut dire qu'il est tellement épris d'amour pour elle qu'il s'oublie de sa grandeur: s'abaissant à elle, il l'élève jusqu'à Dieu.

Oh! qu'il faut bien que l'orgueil soit un abîme d'une effroyable malice,de nous aveugler à ce point de ne pouvoir discerner la beauté et la sainteté de l'anéantissement. Jusqu'à quand serons-nous environnés de ténèbres, pour ne point voir que notre bonheur et notre félicité consistent à n'être rien en nous ni dans les créatures? Jésus vient naître 'au monde dans une pauvreté suprême de toutes les créatures, 45 pour nous apprendre combien nous en devons être séparées si nous voulons avoir l'honneur de le voir naître et régner en nous.

1389 Réjouissons-nous de la naissance de notre Roi. Rendons hommage à sa souveraineté, soumettons-nous à ses divins pouvoirs. Que toute notre gloire soit d'être anéanties afin que lui seul règne parfaitement. Que notre vie soit cachée en lui et que nous soyons actuellement dépendantes de lui. Enfin que nous vivions de sa vie, que nous soyons animées de son amour et qu'il soit uniquement vivant en nous.

2540 Adorez avec une haute estime les bassesses de Jésus Enfant , les impuissances de ce Dieu fort, dont l'Ecriture Sainte en Isaïe fait mention, qui doit régner d'un règne qui n'aura point de fin.

Voyons un peu en quelle manière ce Prince de paix vient établir son règne, étaler sa puissance sur toutes les âmes et tenir les états de sa souveraineté. Il naît dans une étable, dans la pauvreté suprême de toutes choses, pour nous apprendre que le plus puissant moyen d'établir en nous une profonde paix - qui est le trône de ce Roi pacifique - c'est la pauvreté véritable de toutes choses: pauvreté des grandeurs, pauvreté des honneurs, pauvreté des plaisirs, pauvreté des biens de la terre, pauvreté des consolations, pauvreté de l'affection des créatures, pauvreté de désirs, pauvreté d'inclination, pauvreté dans nos sens, pauvreté de pensées, pauvreté de volonté, en un mot pauvreté de toutes choses. Car une âme dépouillée et dénuée de tout est en parfaite et profonde paix, et rien au Ciel ni en la terre ne lui peut ravir cette précieuse paix. Elle jouit de Dieu qui se repose en elle comme en son lit de délices, et l'enfer avec toute sa furie ne la saurait troubler.

O secret trop peu connu et très mal pratiqué! De combien nous privons-nous de grâces et de bénédictions divines pour être trop remplies de ces malheureuses possessions qui n'enrichissent l'âme que d'impureté et de corruption étrange. Notre adorable. Roi établit sa puissance dans les opprobres, dans les croix. C'est là qu'il est magnifique et c'est ce qui le rend aujourd'hui comme un objet d'étonnement à nos esprits.

Un Dieu se fait enfant et se réduit dans les infirmités de notre chair. "Il a porté nos langueurs et s'est chargé de nos douleurs" dit le Prophète. Il est puissant dans nos faiblesses et il commence à régner dans l'anéantis-sement.0h, qu'il ya de prodiges renfermés dans un Dieu Enfant! Il vient régner dans votre coeur d'une manière qui ne se comprend point. Il s'anéantit pour captiver les âmes et il fait en nous et pour nous ce que nous devrions faire si le péché ne nous avait détruit la grâce de l'accomplir. Il vient réparer la gloire de son Père et triompher de nos rébellions, mais par une voie bien contraire aux senset à l'esprit humain. Il fait tout le contraire de ce que nous faisons actuellement.

Nous vivons pour nous-mêmes, et il vit pour la gloire de son Père et vit de sa vie divine. Nos tendances actuelles sont des éléva-47tions de nous-mêmes dans nous et dans les créatures, une démangeaison effroyable d'être dans l'estime et l'affection des créatures, dans l'applaudissement, dans l'honneur et dans l'approbation. Jésus vient être l'opprobre des hommes et le rebut du peuple, se comparant à un ver. 0 mon enfant, notre vanité et notre ambition pourront-elles encore avoir place dans nos coeurs?

1389 Sur cette qualité d'enfant que vous désirez en vous, je vous donne pour modèle de votre enfance Jésus Enfant. Formez-vous autant qu'il vous sera possible sur ce divin modèle et que votre âme se remplisse de ses saintes dispositions.

Soyez pure de sa pureté, soyez douce et humble de sa douceur et de son humilité. Soyez simple. comme il est simple, soyez petite comme il est petit. En un mot soyez anéantie comme lui. Soyez soumise à la conduite de son Esprit comme il est soumis à son divin Père.

Et le même Jésus nous dit que si nous ne sommes faits comme de petits enfants nous n'entrerons point au Royaume des Cieux. Il faut assujettir notre esprit aux paroles adorables de notre divin Maître. Priez-le qu'il fasse une émanation de sa grâce d'enfance en votre âme, et qu'il y fasse renaître la pureté et l'innocence que le péché a détruit. Qu'elle imprime en vous un effet de sa souplesse divine aux volontés de son Père. Que vous soyez si soumise au bon plaisir de Dieu que vos délices soient de faire, par rapport à Jésus, sa sainte volonté. Que tout votre soin soit de vous reposer avec Jésus sur le sein virginal de Marie.

Les enfants aiment leurs semblables; si vous &tes enfant en petitesse, c'est-à-dire humilité et abaissement d'esprit, et en innocence et simplicité, vous serez aimée de l'Enfant Jésus.

Trouvez-vous en sa sainte compagnie aux pieds de sa très Sainte Mère dans l'étable; et comme elle a puissance de donner Jésus au monde, priez-la humblement qu'elle le donne à votre âme et qu'elle donne votre âme à Jésus. C'est par son ministère que nous entrons dans la sainteté de la vie intérieure. Car comme Jésus nous donne à son Père, de même Marie nous donne à Jésus."Personne ne peut venir à mon Père que par moi", dit Notre Seigneur dans l' Evangile. Et personne ne peut aller à Jésus si sa très Sainte Mère ne l'y conduit. Renouvelez vos dévotions, vos hommages et vos respects à l'endroit de cette adorable Vierge, et si vous ne pouvez former des dévotions particulières pour l'honorer, demeurez en disposition d'être tout ce que vous devez être en son endroit.

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Ne soyez plus cet enfant qui s'amuse à des badineries23. Quittez toutes sottises qui amusent votre esprit. Allez au solide, remplissez-vous de ce qui est saint, nourrissez-en votre âme sans la rassasier de tant de vanités. Vous avez besoin d'une générosité de grâce qui vous élève à Dieu; vous êtes assez touchée, mais Jésus n'est pas le plus fort en vous. Je remarque que les créatures vous gagnent encore et remportent sur vous les triomphes qui appartiennent au seul Jésus Christ.

Il y a trois choses qui jettent mon esprit dans un abîme d'étonnement: 49 La première, c’est que le temps et les moments de nos vies nous étant donnés pour négocier le bonheur d'une douce éternité, c'est la moindre de nos pensées. Et sans nous réfléchir sur la brièveté de nos jours, nous ne pensons point à la sortie de cette vie où il faudra rendre compte de la moindre de nos vanités ; Que fera une âme dans ce rencontre, qui a consommé sa vie dans les créatures? O épouvantable malheur!

La seconde chose qui cause mon étonnement, c'est que nous vivons, nous respirons, nous nous mouvons et agissons en Dieu et dans Dieu, et cependant nous ne sommes point remplies de se présence et nous vivons le plupart du temps comme s'il n'y avait point de Dieu, sans respect, sans amour et sans crainte de sa majesté présente.

La troisième, c'est qu'ayant Jésus Christ réellement et les trois divines personnes en lui au très Saint Sacrement, nous soyons si peu touchées de l'abîme de son divin amour qu'il nous communique dans son étendue et sans réserve… Qu'une âme pénétrée de ces vérités souffre de douleur de voir son divin Maître si peu connu et quasi point aimé!

Quand sera-ce , mon enfant, que nous en serons touchées, et qu'entrant dans les intérêts de sa gloire, nous nous offrirons pour victimes dans le désir de réparer sa gloire dans ses créatures? 50

EPIPHANIE

120 Ce mystère adorable de l'Epiphanie doit opérer de grands effets de grâce dans nos âmes.

Le premier vous doit faire adorer avec les Mages Jésus Christ comme Roi. C'est aujourd'hui qu'il commence de régner, qu'il est reconnu Roi et qu'on lui rend les horinages dignes de la royauté. C'est en ce jour que la première adoration et le premier honneur public ont été rendus à Jésus. Le premier hommage au nom de tout le monde lui a été fait et les prémices de la gentilité lui ont été consacrées.

Entrez dans les intérêts de Jésus votre divin Roi et vous réjouissez de voir qu'il établit son règne, qu'il se manifeste et, qu'il attire à lui les âmes les plus éloignées. La grâce qu'il a faite aux Nages est très grade, mais celle qu'il nous présente aujourd'hui ne l'est pas moins. Il vous a appelée d'un pays très lointain qui est la région du péché. Il veut que vous lui soyez fidèle comme ces saints Mages, sortant comme ils ont fait de leur terre pour se venir sacrifier à Jésus. Ils quittent tout pour chercher leur Roi et s'assujettir à son empire.

Faites de même aujourd'hui. Sortez de la terre de vous-même, de votre propre maison et du lieu de votre connaissance. Quittez vos intérêts comme ils ont fait et venez trouver Jésus en Bethléem. Suivez l'inspiration qui est l'étoile. Sortez des vieilles habitudes de vos sens et de votre propre esprit , abandonnez-vous à la conduite de Dieu.

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Si les Mages ne se fussent assujetti et (n'eussent) anéanti les vues humaines, ils n'eussent jamais trouvé Jésus. Ils marchent par la foi et la confiance. C'est ce que vous devez faire. Ils suivent une étoile: voyez quelle est l'étoile que vous devez suivre, et vous rendez fidèle.Ils viennent dans un pays étranger. C'est dans la grâce,laquelle n'est point à nous, ains très éloignée de nous, puisque pour la posséder il faut sortir de nous-mêmes.

Ils apportent l'or, la myrrhe et l'encens. C'est ce que vous devez porter l'or d'un amour épuré, la myrrhe d'une mortification généreuse de tout ce- qui , en vous, déplaît à Dieu, et l'encens d'une fervente et très simple oraison. L'encens vous élève à Dieu, la myrrhe vous détache des créatures et vous en sépare, et l'or et l'amour vous unissent très étroitement à Dieu. Voilà-les trois effets que l'or, la myrrhe et l'encens doivent opérer en vous. C'est ce que vous devez porter à Jésus.

L'encens le confesse et reconnaît Dieu, la myrrhe le croit homme, et l'or le tient roi. Que Jésus vous soit donc Dieu, homme et roi. Dieu, en vous donnant l’être, vous le conservant, vivifiant. Homme, en vous montrant les sentiers d'anéantissement et de croix qu'il est venu établir sur la terre pour nous faciliter le passage qui doit nous réunir à lui. Roi, en nous assujettissant à sa souveraineté, à ses pouvoirs, à son amour et à son autorité.

Et pour conclusion, imitez les Mages qui, après avoir trouvé et adoré Jésus, s'en retournèrent par une autre voie. Voilà ce que vous avez à faire: retourner par une autre voie. Oh! que cela dit et comprend de choses! Il y en a bien peu qui retournent par une autre voie. Nous avons une malheureuse pente qui nous fait toujours marcher dans les créatures et dans nous-mêmes. Il faut prendre un autre sentier secret et éloigné d'Hérode qui signifie l'orgueil. Et quel est ce sentier? C'est la pure foi, par laquelle l'orgueil et la vanité trouvent leur ruine et sont trompées dans leurs prétentions.Elle nous fait sortir des sens, quittant nos intérêts et nos satisfactions- pour le respect et les intérêts de Dieu même. Les Mages quittent Jésus pour aller produire Jésus rt il faut nous quitter nous-même pour glorifier Jésus, le publier et le faire connaître. Mais pour réussir, il faut marcher par une autre voie qui est cette précieuse foi. Je vous la souhaite, mon enfant, et la grâce d'y être fidèle. 53


JESUS CHRIST au DESERT et dans sa PASSION

1225 Je ne vous ai point fait réponse,croyant, comme je venais de communier, que vous aimiez mieux me savoir appliquée à celui qui m'honorait de sa présence qu'à la créature, puisque les moments les plus proches de la Communion, soit devant, soit après,sont les plus précieux de notre vie, et ceux auxquels nous devons une attention, une fidélité, un respect tout particuliers. Oh! qu'ils contiennent de grâce et de sainteté! Je crois que vous le savez par expérience.

Je vous invite, ma fille,à solenniser avec moi la fête des victoires de Jésus notre divin Maître. Il a triomphé pour nous du diable, du monde et de nous-mêmes, qui sont nos plus cruels ennemis. Unissons-nous à sa vertu divine et nous rendons à lui, afin qu'il triomphe en nous,qu'il terrasse nos ennemis et surtout l'orgueil de la vie, comme le plus malin.

Nous avons sujet de nous réjouir de voir Jésus victorieux du démon. Mais désirons qu'il le soit aussi de tout ce qu'il trouve en nous qui s'oppose à la sainteté de son règne. Retirons-nous avec lui dans le désert pour y être tentées, pour y être délaissées , pour y avoir faim, pour y être en ténèbres, pour y être en pénitence, pour y être en pauvreté suprême, bref pour y souffrir toutes sortes de mésaises, de privations et de douleurs e t pour n'avoir pas où reposer son chef. Aimons les dépouillements et tout ce qui nous fait entrer en partage des états purs et saints de Jésus Christ. Il faut que nous en soyons toutes revêtues. Saint Paul nous le recommande.

N'aimez que Jésus Christ, ne désirez que Jésus Christ, n'estimez rien que Jésus Christ, ne possédez rien que Jésus Christ, ne goûtez rien que Jésus Christ, ne vous rassasiez de rien que de Jésus Christ, n'espérez rien que Jésus Christ, ne voulez rien que Jésus Christ,ne cherchez rien que Jésus Christ, ne prétendez rien que Jésus Christ, ne vous plaisez en rien qu'en Jésus Christ, ne vous reposez qu'en lui et prenez votre satisfaction d'être toute remplie de lui et consommée de lui.

Voilà la disposition que je vous souhaite, ma fille, comme le plus riche trésor dont votre âme puisse être gratifiée. O Jésus Christ, Jésus Christ, Jésus Christ, qu'il fait bon vous posséder! Qu'est-ce que les créatures comparées à vous? Hélas, je puis dire en vérité que ce n'est que corruption, misère et péché, amertume et affliction d'esprit.Ne nous y amusons point, n'y consommons point, ni notre grâce, ni notre temps.

1008 Mon enfant, Je n'oserais suivre mes pensées, d'autant qu'elles m'embarqueraient à un long discours. Je dois laisser agir en vous le Saint-Esprit. Tout ce que je 55 vous recommande, c'est le silence et la récollection d'esprit, adorant en foi - c'est-à-dire sans le comprendre - la sainteté de ce mystère, et de vous abandonner à la grâce qu'il contient, demeurant dans un profond respect de ce que Dieu y opère.

Ayez une disposition en fond d'adorer tout ce que notre adorable Seigneur a fait et souffert en sa Passion. Désirez que tout ce qui s'est passé en lui, se passe spirituellement en vous, puisque vous devez être semblable à lui. Adhérez à tous les desseins de Jésus en croix pour vous et vous abandonnez en esprit de sacrifice continuel pour rendre hommage à sa sainteté, à sa puissance et à son amour.

Aimez de souffrir quelque peine de corps ou d'esprit pour honorer les souffrances de l'âme sainte de Jésus. Et pour adorer son humanité sainte, vous direz demain et après, trente-trois fois: "Adoramus te Christe et be-nedicimus tibi, quia per crucem tuam redemisti mundum, qui pansus es pro nobis".

Adorez aussi les trois heures d'agonie au jardin et les trois heures d'agonie en croix, et pour cet effet vous dire'z trois fois Pater prosternée.


RÉSURRECTION

279 Mon enfant, Communiez demain si vous le pouvez et que Jésus mort entre en vous comme dans son sépulcre. Donnez-lui le pouvoir de vous remplir de la sainteté de sa mort et désirez d'avoir part à la grâce de sa Résurrection. Puisque comme membre de son corps vous avez été crucifiée avec lui, il faut ressusciter avec lui. Ce sont les paroles de l'Apôtre. Il faut commencer une nouvelle vie, une vie qui ne soit plus de la terre, une vie qui soit toute séparée des sens, toute purifiée et élevée à Dieu.

Saint Paul dit: "Si nous sommes ressuscités, cherchons les choses d'en haut". Une âme ressuscitée ne saurait plus prendre de plaisir aux choses de la terre. Les créatures lui sont croix et tout ce que le monde a de plus délicieux lui est un enfer.

Voulez-vous savoir si vous êtes ressuscitée mystiquement? Voyez si vous en portez les marques et si votre âme est revêtue des douaires des bienheureux dont l'humanité de notre divin Seigneur a été revêtue au moment de sa Résurrection. 57

1. Elle a été rendue impassible, car "Jésus ressuscitant des morts ne meurt plus", dit l'Apôtre, et ensuite il ne peut plus souffrir. Qualité que vous devez spirituellement imiter par un forte résolution, faite par sa grâce, de ne mourir jamais plus par le péché; de n'adhérer plus à vos passions, à vos sens ni à la tentation.

2. Il a reçu l'agilité, par laquelle il se pouvait transporter en un moment d'un lieu en un autre éloigné. Et vous devez être agile spirituellement par unu prompte obéissance et correspondance à tous les mouvements de la grâce, disant avec Samuel: "Parlez, Seigneur, car votre serviteur vous écoute".

3. na reçu la subtilité par laquelle il pénétrait les choses matérielles, comme lorsqu'il s'est levé du sépulcre sans lever la pierre. Et vous devez être spirituellement subtile à vous séparer et éloigner de toute l'adhérence à vos volontés, à votre propre esprit, aux choses basses et périssables ou à tout ce qui n'est pas Dieu, ou qui ne tend pas à lui; passant tellement par les choses temporelles que vous soyez toujours aspirante les éternelles, disant avec David : "Qu'ai-je dans le Ciel, et qu'ai-je voulu sur la terre, sinon vous, mon Dieu?"

4. Le quatrième douaire du corps glorieux de Jésus, c 'est qu'il a été revêtu de clarté et de splendeur qui eût obscurci celle du soleil. Mais elle n'a pas été visible aux yeux encore mortels des Apôtres, soit par la condition de cette lumière de gloire, soit par le dessein de Jésus, afin qu'il pût encore converser et traiter avec eux. Vous devez être claire et resplendissante spirituellement par la pure intention à Dieu, qui est l' oeil de notre âme, selon la parole de Notre Seigneur qui dit: "Si ton oeil est simple tout ton corps sera lumineux"; qui nous fait regarder Dieu purement en toutes nos actions. C'est aussi la lumière de la foi vive et de l'oraison, par laquelle Dieu éclaire nos ténèbres et nous découvre ses divins conseils et nous inspire ses voies.

Je ne pensais pas, mon enfant, vous dire ces choses. Je m'étais réservée à vous les dire de vive voix sans vous l'écrire. J'aurais beaucoup d'autres pensées sur la cérémonie que l'Eglise fait aujourd'hui; mais je craindrais de trop multiplier votre esprit.C'est pourquoi je me contenterai de vous dire que vous portiez un grand respect à tout ce que l'Eglise fait, et vous abandonnez à l'Esprit de Jésus qui la dirige et qui la conduit, désirant que la grâce de toutes ces cérémonies et les saints mystères qu'elles représentent soient infus dans votre âme et qu'elle soit revêtue de leurs saints effets.

Enfin, voici un jour tout nouveau. Jésus Christ fait toutes choses nouvelles. Priez-le humblement qu'il renouvelle toutes choses en vous et que vous commenciez à vivre d'une nouvelle vie.


L' EUCHARISTIE SACRIFICE ET PRESENCE

"Allez à Dieu avec confiance et amour Ne vous en privez pas par crainte"


1697 Mon désir serait de vous voir communier souvent, et si Monsieur votre Confesseur vous permettait de recevoir cette grâce demain, je vous conseillerais de la posséder. Vous ne pouvez vous trop donner à Jésus Christ, ni vous trop rendre aux desseins qu'il a de vous posséder par cet adorable Sacrement. Vous avez besoin d'abîmer votre faiblesse dans sa force divine, et de désirer d'être toute remplie de lui.

"Comme je vis pour mon Père, dit Jésus Christ, aussi tous ceux qui me reçoivent vivent pour moi". 0 bienheureuse vie de vivre pour Jésus Christ et de Jésus Christ, être nourrie et sustentée de lui-même! C'est pour cela qu'il est dans l'hostie et qu'il y sera jusqu'à la consommation du monde. Et son désir serait d'être actuellement reçu,afin qu'il opérât continuellement les effets de son amour et de sa miséricorde, qu'il vive en nous et que nous vivions en lui. En un mot que nous soyons transformées en son amour, étant toutes réabiraées dans la divinité et faites une même chose avec Jésus Christ. Il me semble qu'une âme qui communie souvent reçoit beaucoup plus de force, de grâce et de bénédictions que celles qui s'en retirent.

Allons à Dieu avec humilité et con63fiance. Il est bon d'une bonté infinie. Il sait notre impuissance et notre incapacité, il y suppléera par sa Luffisance divine. Oh! quand serons-nous toutes à Jésus, que nos coeurs ne respireront que son amour, que nous vivrons de sa vie et serons imprimées de ses sentiments. Donnons-nous au désir éternel qu'il a de nous posséder pour cela. Que cette vie est douloureuse et insupportable sans l'amour de Jésus et sans être en croix pour lui!

530 Que votre principal motif à la sainte communion soit de vous rendre à Jésus, de lui donner la liberté en vous d'y faire tout ce qui sera de son bon plaisir, sans vous envisager vous-même ni l'intérêt de votre propre perfection. Vous avez tant vécu et communié pour vous en votre vie passée, vivez et communiez désormais uniquement pour Jésus, pour son plaisir, pour ses desseins et pour ses intentions.

Communiez pour adhérer au dessein et au désir qu'il a de vous voir toute à lui, de voir régner son amour en vous, de vous unir à lui et de vous faire une même chose avec lui.

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Après la sainte communion demeurez en silence, en foi, en respect et en amour au-dessus de vos sens. Ne vous étonnez point de ne rien sentir, de ne pouvoir rien dire, de ne pouvoir penser beaucoup de belles choses. Vous ne communiez pas pour trouver vie dans vous-même mais pour y trouver la mort. Donc laissez-vous dans la mort, afin que Dieu vous donne vie par lui-même. Demeurez dans un acquiescement amoureux 64 pour tout ce que Dieu fait en vous et qu'il veut de vous, et continuant votre cher abandon dans votre sacrifice, vous ferez ce que Dieu veut et ne serez point opposée à son opération… Ce n'est pas assez de porter cette disposition à la Communion, de l'avoir même après la Communion; il faut qu'elle continue toujours en vous et que vous soyez toujours dans l'état d'abandon.

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Ce n'est pas assez de savoir ce que vous devez faire à la sainte Communion. Il faut tâcher de posséder la grâce de communier souvent. Et supposé que vous persévériez dans votre état présent, c'est tentation de vous en retirer, sous prétexte de vous voir peu disposée à cette réception. Allez à Dieu avec confiance et amour, ne vous en privez pas par crainte. Hélas, quelle témérité en nous de penser nous pouvoir préparer à la Communion! Il n'y a que Dieu seul qui nous y peut disposer par ses grâces et par ses miséricordes. Donc vous n'avez rien et ne pouvez rien si Dieu ne vous le donne. Exposez-vous à lui pour recevoir ce qu'il vous veut donner, et priez Jésus de se recevoir lui-même en vous et de s'y glorifier, puisque vous êtes incapable de le pouvoir bien faire. Que son amour supplée à tout. Et dans cette disposition simple, communiez souvent.

307 LA COMTESSE: Lequel est le mieux quand on fait dire des Messes: d'avoir des intentions particulières et les dire au prêtre, ou de n'en avoir point d'autres que celles de l'Eglise et de joindre son intention à celle du Sacrifice?

65 MERE MECHTILDE: L'intention du Sacrifice et de l'Eglise est très sainte, vous les pouvez honorer et respecter,y unissant les vôtres. Mais cela est permis d'avoir quelquefois des intentions particulières et de les exprimer au prêtre. Vous pouvez aussi les offrir vous-même selon vos intentions secrètes et particulières, ou pour les besoins de votre âme, ou pour les morts, ou pour les nécessités de quelque affaire, ou de votre prochain. Comme aussi pour les purs intérêts de Dieu, demandant l'établissement de son règne en vous, la grâce de le connaître, ou de vous séparer de tout ce qui n'est point lui. Ou pour honorer quelque Saint à qui vous avez recours, ou en action de grâce de quelque miséricorde, etc..Vous pouvez faire de même à la sainte Communion.

Mais remarquez toujours que le saint Sacrifice de la sainte Messe vous sacrifie avec Jésus Christ, qu'il faut que vous soyez hostie et que vous ayez un désir de vous rendre aux desseins de Jésus; que vous entriez dans cet esprit de victime, toute immolée à la gloire du Père, du Fils et du Saint Esprit.

A la Communion, votre sacrifice est encore plus entier, car vous y consentez par effet, logeant en vous les trois divines Personnes pour prendre puissance et autorité en vous et vous assujettir à leur divin empire, vous abandonnant sans réserve à Jésus Christ.

3022 Demeurez dans l'état de victime que Jésus porte au Très Saint Sacrement, désirant être immolée à son amour. 167 Je vous supplie, ma très chère, d'être toute à Jésus Christ, comme Jésus Christ est tout à vous dans l'hostie. Soyons en vérité ce que nous lui avons promis d'être et que nous renouvelâmes hier en sa sainte présence. Oh! que les créatures sont fades et insipides à une âme qui a goûté Dieu.Séparez-vous de tout ce qui vous peut tant soit peu détourner de son pur amour et demeurez dans cet esprit d'hostie, puisqu'en vérité vous êtes hostie avec Jésus Christ. Vous faites partie de lui-même. Perdez-vous toute en lui et soyez très fidèle à voir, à recevoir toutes choses dans l'ordre de son amour. Contentez-vous de sa très sainte volonté et le priez qu'il me regarde en miséricorde et qu'il opère ma conversion.

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Soyons tout de nouveau à Jésus avec un nouvel amour et une nouvelle fidélité, car nous sommes à lui d'une manière qui nous est en une certaine façon nouvelle. C'est pourquoi nous devons être toutes renouvelées en lui et par lui dans le Très Saint Sacrement, et commencer de mener une vie qui ait quelque rapport à sa vie divine, cachée et anéantie dans le Très Saint Sacrement.

Vos misères et vos éloignements ne me rebutent point. Dieu ne fera pas son oeuvre à demi. Mais commençons à nous bien anéantir, marchant dans les secrets sentiers de la foi où l'esprit humain perd la vie. Plût à Dieu être digne de vous y servir!

Cet esprit de foi et de mort est le véritable esprit de saint Benoît, et si Notre Seigneur me donne la grâce d'exprimer c e que sa lumière m'en découvre, vous verrez que ce n'est 67 pas sans mystère qu'il choisit des Religieuses de saint Benoît pour être ses victimes dans son très Saint Sacrement, puisque la grâce de cet Ordre y a tant de rapport. Mais le grand malheur est qu'il n'est pas connu et que les âmes même qui l'ont professé ne l'entendent pas.

Prions Notre Seigneur qu'il réveille cette grâce et cet esprit en nous. Je vous comprends du nombre, car nous ne pouvons plus être séparées dlesprit,et possible ne le serons-nous pas toujours de corps. Dieu sait le temps, demeurons en paix.

DIEU PRESENT EN NOUS

"Soyez attentive à Dieu présent avec amour et respect"


DIEU PRESENT EN NOUS

88 Tu auteum in sancto habitas laus Israel

Ce matin je me suis trouvée à mon réveil disant ces sacrées paroles du prophète: "O Seigneur , vous habitez dans la sainteté et toutes les créatures vous louent". Si la Providence m'eût donné du temps cette matinée, je vous aurais entretenue de ce qui se passe en mon fond au regard de la fête que nous célébrons aujourd’hui [la Toussaint] et mon désir était de vous appliquer à la sainteté de Jésus Christ.

Plût à Dieu que vous puissiez comprendre ce que je voudrais pouvoir dire de cette sainteté infiniment adorable! Respectez ce que vous ne pouvez comprendre, et sachez que la fête d'aujourd'hui est la fête de la sainteté de Jésus, laquelle émane ses effets dans tous les saints. Ce sont les paroles de l'Eglise à la sainte Messe: "Vous êtes seul saint". Oui, en vérité, Dieu seul est saint et nul n'est saint que par participation à sa sainteté divine.

Adorezdonc en votre communion, aujourd'hui, les émanations de la sainteté divine dans tous les saints, et dites souvent avec 1 'Eglise: ":Tu solus sanctus ", Vous seul êtes saint. O mon Dieu, je me réjouis de votre divi71ne sainteté et que tous les saints sont des effets d'icelle. Exposez-vous à la sainteté divine pour y avoir quelque part.Mais souvenez-vous qu'elle opère une pureté admirable dans les âmes, car il faut pour être sainte porter la destruction de toutes les impuretés qui sont en nous.

Or Notre Seigneur vous fait porter dans votre état présent des effets de sa sainteté divine, mais vous ne les connaissez pas, Sachez donc qu'il habite dans sa sainteté.Dieu est en vous retiré dans lui-même, il demeure dans sa sainteté. Adorez-l'y et ne réfléchissez que le moins que vous pourrez sur vos misères.

La sainteté est la plus sévère et rigoureuse et la plus abstraite entre toutes les perfections divines, et il n'y a rien en Dieu qui soit tant à Dieu, et bi éloigné de ce qui n'est pas Dieu, que sa sainteté. Aimer sa sainteté, c'est l'aimer très purement pour lui-même, sans aucun intérêt et sans aucun regard vers soi. Et les moindres perfections en Dieu - s'il se peut dire quelque chose de plus grand ou de moindre en lui - sont celles qui nous regardent, comme sa miséricorde, car il n'en a point affaire pour lui.

Moïse, qui était homme mortel et regardait Dieu par rapport aux créatures, magnifie la miséricorde de Dieu et s'écrie: "Misericors, clemens, patiens et multae nisericordiae. Mais les séraphins qui sont esprit pur, dégagés et tout consommés en Dieu, célèbrent sa sainteté et chantent: "Sanctus, Sanctus, Sanctus". Et c'est l'avantage de la nouvelle loi établie par Jésus de regarder Dieu non par nos intérêts, mais par ceux de sa grandeur et de sa gloire.

C'est l'obligation que nous avons d'honorer et célébrer sa sainteté avec les Sérarhins, de l'aimer non seulement comme bon et miséricordieux à notre égard, mais aussi comme saint, et pour lui-même.

Jésus en son agonie aporté proprement la justice de Dieu, mais au délaissement de la croix, il a porté sa sainteté. C'est pourquoi, afin d'exprimer la rigueur de son délaissement et le profond abîme auquel cette divine sainteté l'a réduit, après avoir dit: "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé,je crierai de jour et de nuit et vous ne m'exaucerez point; il ajoute: "Tu autem in sancto habitas, laus Israel", quant à vous, vous demeurerez et habiterez en votre sainteté. C'est-à-dire que Dieu au regard de son Fils en croix s'est retiré dans la plus haute solitude et gus éloignée retraite de sa sainteté, et qu'il l'a entièrement délaissé en ses souffrances.

Dieu est si saint, si incompréhensible et si profond que ncus pouvons dire en vérité qu'il est un Dieu caché: Deus absconditus; mais caché si profondément qu'il est au delà de tout ce que notre esprit pèut penser. Il est un Dieu caché à nos sens, il est un Dieu caché à notre entendement, bref il est "Deus absconditus" en une infinité de manières. Et si nous l'adorons caché sous les espèces sacramentelles, combien devons-nous l'adorer dans l'abîme de lui-même, ou plutôt dans son incompréhensibilité, et renfermé dans sa sainteté divine.

Oh! si vous connaissiez la dignité et l'excellence d'un Dieu caché,vous prendriez un singulier plaisir dans la retraite que Dieu fait en lui-même dedans vous. Mais ce qui vous eupê73che de vivre de cette vérité qui néanmoins est de foi, c'est lorsqu'il n'épand point les douceurs et suavités de ses grâces dans votre âme: vous croyez que Dieu s'est retiré de vous. Oh! que notre aveuglement est grand et que notre présomption est épouvantable! Pourquoi voulez-vous que Dieu s'abaisse jusqu'à contenter vos sens? Il faut que vous appreniez à trouver Dieu dans lui-même, et à prendre votre complaisance dans le plaisir qu'il trouve d'habiter dans sa sainteté.

Toutes les retraites que Dieu fait en lui-même sont saintes et adorables, et vous y devez avoir amour et union. Lorsque vous trouvez dans votre fond que Dieu s'y rend inaccessible, il faut que vous demeuriez cachée dans votre néant; et, vous abaissant de la sorte, la grandeur divine jettera ses sacrés regards sur vous, et prendra ses délices de vous voir anéantie par hommage à la retraite qu'il a, en vous, dans lui-même.

C'est une témérité à l'âme de vouloir comprendre quelque chose de Dieu, Ce n'est pas à de petits avortons tels que noue sommes de pénétrer dans l'neffabilité divine. il faut faire comme les séraphins, voiler nos faces, et crier avec un profond respect et amour: "Sanctus, Sanctus, Sanctus", Oh!que Dieu est saint. Oh! que Dieu est grand. Oh!que Dieu est immense. Oh! que Dieu est puissant. Oh!que Deu est inaccessible et incompréhensible. J'ai une joie très profonde et très grande dans mon âme de voir que Dieu ne peut être compris que de lui-même; qu'il faut nous perdre et nous abîmer en lui et non point éplucher ses qualités divines. Et il me semble que nous connaissons Dieu d'une manière bien plus pure lorsque nous n'en con- naissons rien du tout par notre intelligence, ains seulement par la lumière de la foi.

Notre manière de concevoir Dieu ravale ses grandeurs, mais l'usage de la foi pure nous élève à lui et nous le fait trouver dans le centre de notre âne, où il fait sa demeure, et nous fait dire avec Jacob : "Vraiment Dieu est ici et je n'en savais rien". Oui, Dieu habite en nous, "et habitavit in nobis", et vous ne le savez point. Il se repose dans lui-même dans le suprême de votre esprit, où il a établi sa demeure comme autrefois sur la sainte Sion, et en ce lieu il repose comme dans un trône de paix, comme dit David: "Et factu, est in pace locus ejus".

Oh !bienheureuse l'âme qui est introduite dans cette région de paix et oui ne la trouble point par l'impureté et le tintamarre des créatures.et de ses sens. C'est dans cette solitude profonde où l'âme apprend l'admirable leçon: "Soyez saints parce que je suis saint". Dieu veut que vous .soyez sainte, c'est de sa divine bouche qu'il vous le commande‘ O sacré et divin commandement! O commandement adoralle ! Puisque Dieu vous ordonne d'être sainte, cela est de foi qu'il vous en donnera la gre.ce.

Mais que faut-il faire, selon notre petite capacité? Il faut tendre à vous vider de vous-même le plus que vous pourrez, et marcher en la présence de Dieu. Ce seul point bien fidèlement pratiqué est capable de vous faire habiter dans la sainteté qui est Dieu même . Il n'y a rien de si puissant pour bien régler une âme que l'actuelle présence de Dieu. Elle vivifie, elle purifie, et elle sanctifie.C'est pourquoi Dieu dit à Abraham: "Ambula coran me, es75to perfectus". Marche en ma présence et sois parfait.

Croyez que Dieu vous dit ces mêmes paroles, recevez-les par l'obéissance comme de sa divine bouche, et ouvrez votre coeur pour être remplie de la vertu de foi, afin que par 1' usage pur que vous en ferez vous y puissiez persévérer. Je vous y souhaite le comble de toutes les bénédictions et la grâce de persévérance, ou plutôt consommante en l'amour de Jésus [expression elliptique signifiant: "l’amour de Jésus"].

421 La présence de Dieu sans se gêner se fait par un simple regard de Dieu en foi. L'âme le croit très simplement, sans en produire beaucoup d'actes. Elle s'en souvient le plus actuellement qu'elle peut , et lorsqu'elle s'en trouve distraite, le seul souvenir de Dieu cru en nous remet l'âme en sa sainte présence, sans effort de son propre esprit. Si son esprit est trop égaré, elle peut faire quelque acte très simple, c'est-à-dire sans beaucoup de multiplicité, afin que l'âme soit moins embarrassée et moins remplie des créatures et par conséquent plus capable de recevoir Dieu en elle et ses saintes opérations.

2549 Soyez donc attentive à Dieu présent avec amour et respect. Ne vous oubliez jamais de ces trois points qui ne doivent point être l'un sans l'autre. Car si vous êtes attentive sans amour et respect, les paroles de Jésus Christ ne feront point en vous les effets qu'elles y doivent faire. Si vous êtes sans attention, vous n'entendez pas sa voix. Si vous

76 êtes sans amour, votre opérer est sans vie et sans âme. Donc que l'amour et le respect se tiennent liés inséparablement à l'attention. C'est pour cela que je vous ai tant de fois recommandé l'attention amoureuse à Dieu présent. Souvenez-vous de Dieu avec amour et respect.

1379 Vous êtes en peine comme on peut être et subsister en la présence de Dieu dans une simple vue de foi... J’espère qu'un jour, si vous êtes fidèle, vous connaîtrez parfaitement cette vérité: que Dieu étant en vous, vous n'avez besoin que de respect, d'amour, d'attention et de soumission en sa divine présence; de respect à sa grandeur souveraine, d'amour à sa bonté, à sa sainteté, d'attention à ses divines volontés et au mouvement de son divin Esprit , de soumission pour les accomplir avec agrément et perfection.

Votre regard doit être actuel vers Dieu, mais très simple et amoureux. Et lorsqu'il vous donne quelque mouvement de lui renouveler vos sacrifices ou de faire eueloue acte de révérence, d'amour, d'abandon, etc, vous les produirez fort simplement, vous contentant, lorsque vous n'êtes point tout-à-fait dissipée, d'en ressentir en votre âme la disposition, vous laissant à Dieu dans les sentiments qu'il vous imprime. Mais lorsque vous n'êtes point dans l'oraison particulière ni â la sainte Messe, ni occupée d'affaires importantes, vous pouvez donner quelque petite liberté à votre esprit de se réfléchir sur quelque effet particulier de la miséricorde de Dieu sur vous, ou vous occuper de quelque vérité chrétienne, ou sur les choses dont on vous a instruite. Et si vous voyez qu'il 77 s'emporte trop loin dans des digressions inutiles, retirez-le doucement en vous remettant simplement en Dieu, sans efforts mais suavement et hunblenent , vous abaissant devant son incompréhensible grandeur. Calmez votre esprit par un simple acte de révérence et demeurez en silence quelque temps, voire jusqu'à ce que l' esprit de Dieu vous meuve à parler. Vous ferez la même chose dans les égarements de votre esprit dans le temps de votre oraison. En vos actions il suffira de temps en temps d'élever votre esprit à Dieu présent , et de faire , avec un esprit dégagé de vous-même, ce que vous faites ou que vous devez faire.

Ce ne seront point vos sens qui vous établiront dans la réelle et véritable présence de Dieu, ce sera la foi purement et fervement pratiquée. Il faut souvent se renouveler en cette divine présence par une croyance simple et amoureuse, pour vous habituer dans cet exercice. Il y a un peu de peine pour ceux qui commencent , mais les bénédictions qui accompagnent le progrès donnent une grande force à l’âme.24

Travaillez un peu à vos dépens, vous en avez assez fait de passé aux dépens de Dieu, de sa pure gloire, et de ses intérêts.Vous n'en êtes pas encore persuadée, mais vous le serez un jour et en aurez regret .

1014 Entrez donc dans les usages de la foi. Or possible me demanderez-vous: "Qu est-ce que la foi?" afin que vous la puissiez mieux exercer, et que votre esprit puisse subsister dans ses pratiques. La foi est un don de Dieu, lequel vous avez reçu au baptême, non pour le laisser anéantir, comme vous faites et quasi tous les chrétiens, mais pour en faire usage. La foi est une ferme et sincère croyance de Dieu et des vérités qu'il a révélées à son Eglise25.

On appelle la foi une lumière ténébreuse. Pourquoi? Parce qu'elle n'est pas vue mais crue. Ainsi c'est une simple croyance qui assure l'esprit et le fait subsister dans les vérités qu'on lui fait entendre, sans voir ni sentir, et sans aucun autre appui que cette simple foi, qui vous dénue de toutes images, de tous raisonnements, et qui vous tient dans la vérité essentiellement.

884 Ma très chère fille, J'avais bien le désir de vous écrire ce matin sur l’Evangile, mais la Providence nous a donné la sainte Messe fort matin. C'est ce qui a rompu mon dessein, mais qui m'a remplie d'un désir très intime de voir votre âme établie dans la grâce de la Transfiguration. Et je me suis trouvés très appliquée à prier pour elle à la sainte Communion. Si vous êtes fidèle, vous connaîtrez quelque chose des merveilles qui sont en Dieu et qu'il fait goûter à ses élus.

J'ai toujours dans l'esprit de vous exhorter26 à avoir une haute estime de Dieu, de ne rien préférer à son amour, et de vous référer toute à lui. Pesez bien l'importance de ce que je vous dis, et l'obligation que vous avez de vous y rendre fidèle.

Ce sera, ma très chère fille, par l’usage de la foi. Il faut que quelque jour je vous parle de son excellence et de ses effets, et que vous soyez convaincue de la nécessité que vous avez de la pratiquer. C'est par elle que votre âme s'élève à Dieu. C'est par elle qu'elle le connaît. C'est par elle qu'elle se rend soumise aux desseins adorables et secrets que Dieu a sur elle. C'est par la foi que vous êtes en actuelle jouissance de Dieu présent. C'est par la foi que vous sortez des créatures pour entrer en Jésus. Bref c'est par la foi que vous êtes unie et transformée en Jésus. O sainte foi, que tu as de grâce et de puissance! et que de saints et divins effets tu produis dans une ame qui agit et opère par ta lumière et par ta vertu.

Si vous voulez être transfigurée, il faut aller à la montagne de la pure oraison. C'est par icelle que l’âme est vraiment transfigurée, qu'elle est toute dépouillée d' elle-même et revêtue de Dieu. On monte à Dieu sur la montagne pour y trouver Dieu par le sentier de l' oraison et de la mortification, et lorsque l’âme arrive au sommet d' icelle, elle y trouve Jésus Christ transfiguré parlant de l'excès de son amour en ses divines souffrances, et entend cette voix adorable: "C'est ici mon Fils bien-aimé en qui j'ai pris mes plaisirs, écoutez-le.

Sur cette montagne, l’âme est très attentive à Dieu; elle écoute le Verbe divin revêtu de notre chair qui parle à son coeur et qui l'instruit de son amour et de ses mystères. Oh! que de merveilles, que de prodiges, que de grâces dont l'âme est remplie par ce parler divin. C'est sur la montagne que Dieu fait entendre sa voix, c'est sur la montagne que Dieu se manifeste, c'est sur la montagne qu'il parle de sa Croix. 80

Laissons-nous conduire sur cette montagne bienheureuse! Quittons le fatras des sens et des créatures, élevons-nous par la foi et écoutons la divine leçon de notre adorable Maître. Il nous parle de l'excès de sa Passion, pour nous apprendre que la gloire et la félicité de Jésus était de souffrir pour nous, et de nous témoigner son amour.

Portons un très grand respect et amour aux paroles saintes de Jésus, désirons qu'elles soient opérantes dans le fond de nos coeurs, et qu'elles impriment en nous un puissant amour de sa Croix, puisque les marques de la transfiguration d'une âme c'est l'union à Jésus Christ en Croix, c'est d'aimer et de parler de la Croix et d'y être consommée.

Soyez transfigurée en cette manière, et ne prenez point de plus intime satisfaction que de souffrir pour Jésus Christ et avec Jésus Christ.


[pièce] 9 Aimez Dieu, ma très chère fille, aimez Dieu pour l'amour de lui-même. Ce peuple de l’Evangile d'aujourd'hui [IVè dimanche de Carême] aime Jésus et le poursuit pour le faire Roi parce qu'il les a repus et rassasiés de pain et de poisson. Oh! qu'il y a peu d'âmes qui aiment Dieu pour l'amour de lui-même, et qui le fassent régner dans leur coeur! Tant que nous ressentons les doux effets de ses grâces, que nous avons la lumière et le goût, nous le suivons et l'adorons comme notre Dieu et notre Roi. Mais s'il nous prive de ses douceurs et qu'il nous nette dans le renversement, nous ne le connaissons plus. 81

Jésus est toujours Dieu, plein de grandeur, plein d'amour et de sainteté. Il est le même dans les privations, dans les impuissances que vous expérimentez tous les jours. Il faut donc que vous l'aimiez et l'adoriez de même coeur , que la foi vous élève au-dessus de vos sens, que vous connaissiez par elle comme vous devez vivre dégagée de vous-même et des appuis de vous-même et de votre amour-propre.

Elevez-vous en simplicité à Dieu, qui vous est actuellement et réellement présent. Dépouillez-vous de toutes vos lumières, de tous vos goûts, de toutes formes, de toutes images et espèces. Dieu est un pur esprit: il veut être adoré de vous en esprit, dénué de tous fantômes [toutes représentations sensibles].

La foi vous enseigne que tout ce qui tombe sous les sens et dans la compréhension humaine n'est point Dieu. Non, non, ma très chère fille, tout ce que vous ressentez, tout ce que vous goûtez, tout ce que vous voyez n'est point Dieu. Ce peut bien être quelque effet de ses grâces, mais ce n'est pas Dieu source de grâce.

Et pour le trouver dans sa pureté divine, il faut que vous vous éleviez au-dessus de tout ce que vous sentez; et que, par une simple ignorance de toutes choses, vous demeuriez en foi dans Dieu, c'est-à-dire: le croyant ce qu'il est, vous demeurerez dans un abîme de respect en sa sainte présence, sans former d'autre discours. Vous vous laisserez à la puissance divine pour être la victime de son amour. Vous demeurerez en cette posture, immobile, ne permettant pas à votre esprit de se réfléchir, vous négligeant vous-même pour vous laisser toute à Dieu et remplie de lui. Et si la tentation vous attaque , vous la négligerez de même, étant comme insensible à tous vos intérêts, car il faut que vous vous perdiez vous-même si vous voulez jouir de votre Dieu. "Celui qui perd son âme la gardera pour la vie éternelle".

1147a Je prends une heure de mon temps d'après Matines pour vous dire deux mots sur votre lettre d'hier, en laquelle vous me demandez trois choses.

La première est que vous désirez être instruite pour agir par la foi, et voir toutes choses dans l'ordre de Dieu, et qu'il a vu et connu toutes choses de toute éternité. Vous demandez ce que vous savez déjà. La foi nous apprend que Dieu est Dieu, qu'il voit tout, qu'il sait tout, qu'il peut tout, qu'il pénètre tout et que rien ne peut être caché à ses yeux divins; qu'il a de toute éternité disposé et ordonné les voies de notre sanctification; qu'un cheveu ne tombe point de nos têtes sans son ordre; que le bien et le mal, l'affliction et la joie , le repos, la peine, etc., sont dans sa main; que sa très sage et très aimable Providence dispose de tout suavement et saintement, pour le bien des âmes qui s'abandonnent à Dieu et qui vivent de foi.

Or quels sont les usages de foi? C'est de croire à ces vérités que je vous viens de dire27 et à toutes les autres qui sont en Dieu, bien que vous ne les connaissiez point. Comme par exemple: On me contrarie. Je reçois cette contradiction de la main de Dieu sans permettre à mon esprit de tant raisonner, et je me résigne à sa 84 très sainte volonté en patience, croyant que Dieu me l'envoie pour sa gloire et mon salut. Je crois que Dieu me voit. Je crois qu'il est plein d'amour et de miséricorde pour mon âme. Je crois qu'il ne fait rien qui ne soit juste et saint. Et dans les occasions, vous en pouvez faire des actes, comme de dire: "Mon Dieu, je crois que vous m'aimez d'un amour infini, puisque vous êtes mort pour moi. Je crois que vous aurez soin de tous mes besoins, et que votre grâce me conduira à vous- Je trois en votre sainte Providence et qu'un cheveu de ma tête ne tombe point sans votre ordre. Et par conséquent, je crois que vous voyez la moindre de mes pensées et qu'il n'y a rien de casuel [pour Dieu, rien n’est imprévu] en vous, que tout ce que vous m'envoyez est bon, et que vous ne me permettrez jamais rien qui ne soit à votre gloire et au bien de vos élus, nonobstant que je ne le comprenne point. Je crois, ,mon Dieu, je crois en vous, et en vos saints mystères, et en toutes les vérités saintes que vous avez révélées à votre Eglise"… D'autres fois vous pourrez dire: "Je travaille, mon Dieu, parce que vous le voulez; le péché m'ayant réduite à cette peine, je la souffre pour votre amour en esprit de pénitence". Vous pouvez boire, manger, dormir, et le reste, en cette disposition, faisant toujours ce que Dieu veut, évitant le péché, parce qu'il le hait.

Les usages de la foi, c'est de croire en Dieu et en ses divines paroles, et de travailler dans la vertu de cette croyance. Je n'en sais point d'autre méthode. Plusieurs livres en décrivent de belles pratiques, entre autres le Père de Saint Jure dans le livre qu'il a fait: "De la connaissance de l'amour de Notre Seigneur". Je n'aime point tant de multiplicités. Nais quand l'esprit en a besoin on s'en peut servir. Ces 85 dignes auteurs les ont écrites à ce sujet, donc vous vous en pouvez servir.

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La seconde chose que vous demandez est comme il faut tout recevoir en esprit de pénitence. C'est, ma chère fille, que nous sommes pécheresses, et en cette qualité, comme je vous l'ai montré nombre de fois, nous ne sommes dignes d'aucune grâce ni bonheur. Ainsi nous devons souffrir nos misères en esprit de pénitence, c'est-à-dire que j'en fais ma pénitence, puisque mes péchés le méritent, et obligent Dieu de me laisser dans mon abjection. Exemple: on me dit une injure. Je la souffre en esprit de pénitence, c'est-à-dire avec une pensée ou sentiment que j'ai péché, et qu'en qualité de criminelle [pécheresse] je le mérite, et ainsi je la souffre en me confondant. Nous vous avons dit et écrit ces choses: vous les pouvez repasser en votre esprit à votre loisir.

La troisième est sur le consentement de la partie supérieure dans les fautes ou imperfections que l'on commet…


2922 Il est à propos que vous sachiez comme votre volonté est la maîtresse, et que c'est elle qui fait en vous le péché ou la vertu. Car si la volonté n'adhère à la tentation, la tentation ne vous saurait nuire, fût-elle aussi maligne que tout l'enfer. Et cette vérité calme votre âme au milieu des orages et des troubles de la vie.


966 Ma très chère fille, je demeurai hier dans ma petite solitude où il a bien plu à Notre Seigneur me faire ressentir les effets de sa très grande miséricorde. Ce ne fut point sans penser à vous, et je remarque que vous êtes trop peu appliquée à une vérité, et qu'il vous reste en fond une secrète habitude de savoir; et imperceptiblement elle se produit par saillies de votre amour-propre.

Vous dites que votre impuissance est si grande que vous ne pouvez pas même nous rendre cotmpte. Et moi je vous dis que dans vos impuissances et dans vos ténèbres je vous trouve éclairée; et votre état dans cette disposition est bien plus solide; votre amour-propre y a bien moins de part.

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Vous vous brouillez beaucoup dans la vie intérieure, et pour vouloir être trop éclairée vous n'y voyez goutte. Votre esprit est insatiable : il dévore tout. Et connaissant qu'il est sujet à la gourmandise spirituelle, il est bon de le tenir quelquefois à jeun, et le porter à se contenter de ses ténèbres, de ses misères et pauvretés.

Vous dites que le désir que vous avez de recevoir de l'instruction n'est que pour trouver mieux Dieu. Et moi je dis que la plupart de vos désirs ne sont que production de votre amour-propre qui, comme je vous ai déjà dit, a une pente très grande de chercher pour se rassasier. Hé, mon enfant, si vous cherchez Dieu en esprit et vérité, la foi vous le fait-elle pas posséder? Avez-vous point appris qu'il y a un Dieu digne de votre amour? Non, non, il ne faut point tant de choses pour la vie intérieu86re, il ne faut que croire, et s'abandonner en amour; c'est-à-dire croire en Dieu et s'abandonner toute à son amour. Vous cherchez trop, vous trouverez moins. La foi ne consiste pas à beaucoup connaître, mais à croire et à se soumettre aux vérités qu'elle nous oblige de croire.

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Il y a bien longtemps que je vous exhorte à devenir simple d'esprit, à vous contenter du bon plaisir de Dieu en toutes choses, et surtout à vous désoccuper de vous-même. Je vous trouve trop vivante pour vous, et vous y êtes trop réfléchie. Combien de fois vous ai-je reprise de ce défaut? C'est une grande infidélité en la pure vie de grâce, parce que d'autant plus que vous êtes dans vos intérêts même spirituels, vous êtes moins élevée et unie à Dieu. Car il faut être plus à Dieu qu'à soi-même et avoir plus de zèle de son règne et de sa gloire en nous que de tout le reste.

Je vous recommande d'être très fidèle dans vos ténèbres et délaissements. Trouvez bon que Dieu fasse son oeuvre et ne regardez pas si la partie inférieure en est contente. Demeurez fixe, c'est-à-dire ferme dans votre cher abandon, même sans le voir ni ressentir dans vos sens. C'est votre volonté qui l'accomplit comme dame et maîtresse de votre âme. Vous avez la liberté, vous en pouvez user en la captivant à la sacrée conduite de Jésus, que vous ne connaissez qu'au milieu de vos ténèbres.Votre esprit se brouille pour vouloir trop bien faire. Simplifiez-vous et demeurez en paix. Vous saurez quelque jour ce que vous ignorez présentement. Ayez patience.

L'ORAISON

"Rassasiez - vous de Dieu et vous verrez que le reste est insipide"


2646 Repassant en mon esprit devant Notre Seigneur les diverses dispositions de votre âme pour les offrir à sa majesté, j'ai été touchée en la vue de cette espèce de lâcheté que vous commencez à ressentir, laquelle vous nommez assoupissement; et moi je l'appelle lâcheté intérieure aussi bien q’extérieure, puisqu'elle provient d'une disposition qui marque que votre âme n'est point animée du respect qu'elle doit à Dieu.

Oh! que je plains l'aveuglement des âmes qui ne connaissent point Dieu, qui se lassent et s'ennuient en sa sainte présence, qui ne sont point touchées de révérence de sa gran-deur:"Pleni sunt coeli et terra majestatis gloriae tuae", le Ciel et la terre sont remplis de la majesté de sa gloire, et nous n'y pensons point! Nous ne nous rendons point à cette adorable plénitude pour y avoir part.

Et ce qui me touche davantage, c'est qu'au temps le plus précieux de note vie, qui est celui de l'oraison, nous souffrons que notre âme demeure sans attention, sans respect, sans vigilance et sans amour vers une majesté si adorable. Hélas! si nous étions devant un monarque de laterre, quelle serait notre disposition! Et pour un Dieu d'une grandeur, d'une sainteté et majesté infinie, nous n'avons pas le courage d'attendre en sa divine présence une heure avec respect. Si nous savions quelle est l'importance de la perte que nous faisons par notre faute, nous la pleurerions avec des larmes de sang! Mais nous sommes dans les ténèbres, nos sens nous jettent dans l'aveuglement, et notre foi est comme anéantie. Que ferons-nous dans l'éternité si une heure d'oraison nous ennuie!

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Réveillons nos esprits par la foi qui nous fait connaître l'estime que nous devons avoir de Dieu et nous abîmons devant sa grandeur. Les séraphins dans le Ciel et tous les bienheureux sont si remplis de ce respect amoureux que les premiers voilent leur face, ne pouvant soutenir sa grandeur; et les autres s'anéantissent dans son essence divine pour lui rendre des hommages plus respectueux. Pourquoi faisons-nous moins sur la terre que ces esprits célestes dans le Ciel? Est-ce pas le même Dieu? Est-ce pas la même divinité? Et puisque nous l'avons aussi véritablement présent en nous qu'il l'est aux bienheureux dans le Ciel, au trône de sa gloire , pourquoi ne lui rendons-nous pas nos devoirs comme toute la milice céleste lui rend dans le Ciel?

Je sais bien aue le tracas de la vie présente nous rend incapables de crier actuellement avec la cour céleste:"Sanctus, Sanctus, Sanctus" sans relâche et sans interruption.Mais du moins, le temps qui est donné pour l'oraison particulière, soyons devant Dieu avec l'amour et le respect des séraphins, qui crient-dans un profond silence: "Sanctus..."; et soyons, dis-je, dans un abaissement profond devant la majesté de Dieu. Et si nous ne voyons point sa grandeur des yeux du corps, voyons-la bien plus purement et plus réellement des yeux de l'esprit par une simple croyance de foi.


2613 Qu'est-ce que l'oraison? C'est une élévation de l'esprit à Dieu et une tendance à l'union divine, ou même une possession de cette divine union pour les plus avancés.Et nous ne devons point avoir d'autre fin que celle-là, parlant en général. Mais les âmes ont en particulier différentes dispositions. Vous en devez avoir trois qui pourtant ne vous multiplieront point:

La première est la foi, par laquelle vous croyez et adorez Dieu dans la vérité de lui-même, laquelle foi vous fait tenir en respect devant sa grandeur.

La seconde est une exposition de vous-même à la puissance divine, vous dépouillant de tous vos intérêts et de toutes les productions et recherches de votre amour-propre.

La troisième est une humble soumission à toutes les conduites de Dieu sur votre âme, un abandon à son bon plaisir et un acquiescement amoureux à ses desseins.

Avec ces trois dispositions vous fe-ez une oraison très excellente.28

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Pourquoi allons-nous à l'oraison ? C'est sans doute pour rendre nos devoirs à Dieu, d'adoration,de sacrifice et d'amour. Bref c'est 94 avec dessein de nous rendre tout à Jésus Christ. C'est dans le désir que nous avons d'être revêtues de son Esprit, et d'être faites une même chose avec lui. Or pour parvenir à la fin de l'oraison, il faut que l'âme souffre de très grands et rudes sacrifices. Il faut qu'elle souffre qu'on la dépouille de ses habitudes et qu'on la désapproprie de tant d'appuis. En un mot il faut qu'elle soit renversée et toute renouvelée. Et c'est le sujet pourquoi tant d'âmes souffrent en l'oraison, tantôt des sécheresses, d'autres fois des dégoûts, des ténèbres, et mille autres peines que nous y ressentons, et qui nous apprennent que dans ces misères Dieu détruit notre amour-propre et établit secrètement son règne. Mais il faut que l'âme s'abandonne à la souffrance, et se résigne humblement entre les mains de Notre Seigneur pour être la victime de son bon plaisir.

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Je vous ai dit autrefois que nous devons faire sur la terre ce que les bienheureux font au Ciel. Ils regardent Dieu en pure contemplation et sont consommés en son amour. Nous devons avoir une actuelle vue de Dieu en foi, et tendre toujours à son amour. Or le parfait amour ne consiste pas à être touchée dans les sens, mais il consiste à une totale conformité. Etant perfectionnée, c'est elle qui fait l'actuelle union d'amour avec Dieu, comme les bienheureux, union que nous pouvons conserver même dans les actions et le tracas de nos obligations,en faisant toutes choses par amour et soumission à Dieu.

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Il y a bien de la différence de la méditation et de l'oraison. La méditation est une étude sainte, en laquelle on apprend les mystères et les vérités chrétiennes; et l'oraison les savoure, les goûte et se remplit de la grâce qu'ils contiennent. La première regarde et considère la beauté de Dieu ou ses grandeurs; l'autre l'adore, l'aime et s'unit à lui. La première est multipliée par beaucoup de considérations, de matières et de discours; l'autre est plus pure, plus simplifiée et plus unissante à Dieu. En la première, l'esprit humain a de quoi s'occuper: la lumière, les goûts,les raisonnements nourrissent l'entendement et souvent notre amour-propre. En l'autre, nous sommes immolées et nos opérations sont anéanties, ou du moins plus épurées et simplifiées. En celle-là nous nous appuyons sur notre travail; et en celle-ci nous recevons l'opération divine, très simplement exposées, en esprit d'abandon et d'un amoureux acquiescement. En la première, c'est l' entendement qui agit. En la seconde , c 'est Dieu oui conduit. Et si une âme a tant soit peu de courage pour persévérer en l'oraison, quoique remplie de toutes sortes de misères, je suis assurée que Notre Seigneur lui aidera, et qu'il l'introduira en la sainte union. Mais il faut de la constance, car le démon et la- nature sont ennemis de l’oraison,et font leur possible pour en détourner l'âme.Soyez persévérante,ma fille , vous n'y souffrirez pas toujours de si rudes combats. Mais il y en a encore à passer. Ayez du coeur: c'est pour les intérêts de votre divin Maître Jésus Christ, et pour l'établissement de son règne en vous. Je le supplie vous soutenir et nous unir parfaitement à lui pour jamais.

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894 C'est un grand secret pour faire un grand progrès dans l'oraison de savoir bien garder le silence en la présence de Notre-Seigneur. C'est par le silence qu'on s'anéantit devant cette adorable majesté, et c'est dans le profond silence que Dieu se fait entendre d'une manière admirable...

Je trouve bon que vous travailliez au silence selon votre capacité présente, en attendant que je vous en écrive davantage… Commençons donc à travailler utilement, comme vous dites. Ne nous amusons plus qu'aux choses éternelles. Et quel moyen d'aimer ce qui périt? Retirons-nous et nous substantons des choses vraiment solides. Je veux que votre nourriture soit Dieu même, et que le reste ne vous soit agréable que pour lui et par lui. Goûtez la suavité divine, rassasiez-vous de Dieu et vous verrez que le reste est insipide.


1324 Je prie Notre Seigneur qu'il me rende digne de vous dire comme l'on peut prier pour le prochain: 1° vocalement, 2° mentalement, 3° en pur esprit.

La première c'est de dire des prières comme le chapelet; le Veni Creator,etc, à leur intention.

La seconde est de prier en pensée et en paroles intérieures, comme par des offrandes, des sacrifices et des jaculations que l'on fait vers la majesté de Dieu à leur intention.

La troisième se fait en pur esprit, toute remise et absorbée en Dieu; ou quelque fois par une oeillade amoureuse, ou simple élévation à Jésus Christ; ou un simple souvenir des misères qu'on nous a recommandées; ou en simple foi, se contentant que le bon plaisir de Dieu soit accompli en tout le monde, et particulièrement sur le sujet pour lequel on vous fait prier.

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Si vous me demandez quelle est la meilleure sorte de prière des trois que je vous propose, je vous répondrai qu'elles sont bonnes toutes trois. Mais la troisième est plus pure, qui distrait moins l'âme, et qui la retient plus intimement dans son union. Ce qui est plus dégagé d'images, de représentations et d'espèces est plus convenable à une âme d'oraison.

Mais après tout, il faut prier comme Dieu nous fait prier. Et il faut que votre âme soit si dégagée de son opération et de son action qu'elle soit indifférente à toutes celles que Dieu la voudra employer. De sorte que quand Dieu ou l'obéissance vous fera prier vocalement, vous prierez avec liberté d'esprit Car pourvu que vous fassiez ce que Dieu veut, vous devez être contente. Je dis ceci en passant pour vous faire voir que nous ne devons point avoir d'attache à nos pratiques intérieures, et que nous devons être toujours prêtes pour tout ce que Dieu veut...

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Deux motifs nous obligent à prier: Dieu et le prochain.

Pourquoi Dieu nous oblige-t-il de prier? Parce qu'il prend plaisir de nous donner, afin comme il dit dans l'Evangile, " que 98 notre joie soit pleine". Il ordonna même à disciples de lui demander.

Que faut-il demander à Dieu? La sanctification de son saint nom, l'avènement ou établissement de son règne, et l’accomplissement de sa très sainte volonté. Vous pouvez demander tout ce qui regarde sa gloire.

Pour le prochain, vous pouvez prier pour sa conversion, sa sanctification, et pour demander les grâces et les vertus nécessaires à son salut, mais toujours par relation à la pure gloire de Dieu.

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Quand faut-il prier ? C'est lorsque l'esprit de Dieu nous presse, lorsque l'obéissance nous le commande, ou que notre prochain et nos obligations nous portent à cela. Quelquefois l'âme se sent pressée de faire des prières particulières pour les intérêts de Dieu, d'autres fois pour le prochain. Elle doit prier comme on la fait prier, se simplifiant et priant par obéissance, et par amour de la gloire de Dieu; quelquefois par charité et par compassion des afflictions d'autrui.

Comment faut-il prier? Il faut prier avec amour et confiance, nais aussi avec une profonde soumission et avec respect des conduites de Dieu sur toutes choses, et particulièrement sur les âmes, prenant un singulier plaisir que la divine volonté s'accomplisse en toutes manières au Ciel, en la terre, aux enfers, et partout.

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Comment est-.--ce que vous satisferez aux obligations que vous avez de prier pour l'Eglise , pour les morts, pour les pécheurs, bref pour beaucoup de choses que l'on vous recommande actuellement?

Je vous ai dit autrefois que comme chrétienne vous êtes membre de Jésus Christ et que vous faites partie de son Corps mystique qui est l'Eglise. Vous ne pouvez vous en séparer qu'en renonçant à Jésus Christ et à votre baptême. Vous voilà donc éternellement liée à l'Eglise. Et dans cette union vous entrez nécessairement dans toutes ses intentions, bien que vous n'y soyez pas actuellement appliquée , et c'est une impuissance d'être autrement . Donc, ma fille,vous priez avec l'Eglise, pour l'Eglise et pour ses intentions… Ne soyez donc point en scrupule. Si vous ne priez point distinctement, vous priez comme Dieu veut, cela vous suffit.

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Votre unique désir et affection doit être que Dieu soit glorifié dans toutes les créatures, qu'il y règne, et qu'il y accomplisse ses desseins.

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Ne priez donc plus que pour les intérêts de Dieu en vous et en votre prochain. Et quand il arrive quelque accident sur la terre, cela ne vous doit pas troubler ni surprendre, mais vous devez incontinent en ces fâcheux événements, tant à votre égard qu'aux autres,adorer les secrets jugements de Dieu, et les ressorts de sa sagesse et de sa science éternelle que vous ne pouvez comprendre. Et sans vous troubler ni inquiéter, vous devez souffrir que Dieu fasse ce qu'il lui plaira, en vous et en votre 100 prochain, ne faisant autre chose que de vous complaire dans son oeuvre, quoiqu'elle répugne à vos sens. Et quand Dieu voudrait renverser tout l'univers,vous devriez être ferme et constante, n'estimant rien digne d'être que Dieu; et par conséquent n'estimant rien tout le reste, il ne faut point s'affliger si Dieu l'anéantit.

Apprenez donc à prier en foi, sans raisonner dans votre esprit. Qu'est-ce que prier en foi? C'est prier en silence, se contentant d'exposer ses besoins à Notre Seigneur, ou ceux de son prochain, et demeurer dans une ferme confiance en sa bonté qu'il y donnera les remèdes nécessaires : bref, que sa charité éternelle y pourvoira. Remettant de la sorte toutes choses amoureusement entre les mains de Dieu, il en prendra soin infailliblement et nous donnera, et à notre prochain, ce qui nous est nécessaire.

Une âme qui marche dans la voie où Dieu vous a fait l'honneur do vous appeler, ne doit plus avoir de choix ni de volonté pour elle ni pour son prochain, et toute sa complaisance doit être de voir le bon plaisir de Dieu accompli.


421 Quand vous communiez pour votre prochain, il ne faut pas vous gêner à dresser votre intention. Notre Seigneur sait bien que vous avez dessein de prier pour cette personne. Vous n'avez qu'à lui exposer l'affection et le désir que vous avez de le prier pour elle et l'offrir à Notre Seigneur selon votre capacité, sans vous peiner à lui expliquer toutes vos intentions.


844 La première chose que vous devez faire dans votre oraison, c'est un acte de foi qui vous fait croire Dieu. Le second, qui vous oblige de l'adorer; le troisième, de vous abîmer dans votre néant ,vous estimant très indigne de converser avec Dieu,et d'être un moment en sa sainte présence. Tenez-vous dans la bassesse, ne vous élevant point par témérité.

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Vous trouvez bien des heures et du temps pour les créatures; il est bien juste que vous en trouviez pour Dieu, et que durant l'emploi de celui que vous lui devez donner vous soyez inaccessible, si ce n'est à l'obéissance de votre mari, ou aux affaires qui ne peuvent être remises. Soyez très fidèle en ce point.


L 'HOMME ET SON NEANT

"Il faut vous réduire en pauvreté d'esprit"


421 Le découragement procède d'un fond d'orgueil, parce que si l'âme n'avait des appuis secrets en elle-même, elle ne se découragerait jamais. La confiance qu'elle a en ses forces l'abat quand elle ne les trouve pas suffisantes pour arriver au point où elle désire.

L'âme est toujours sujette au découragement jusqu'à ce qu'elle ait connu en fond l'abîme de sa misère, son néant et son impuissance, et comme elle relève de la force et vertu de Jésus Christ; qu'elle voie par sa propre expérience comme elle dépend actuellement de sa grâce. Et lorsque l'âme a connu cette vérité, elle demeure ferme dans son néant, ne s'étonnant point de ses impuissances, mais se laissant à la puissance de Jésus Christ. Elle attend son secours avec humilité et confiance, sachant bien qu'elle ne peut rien sans lui. Et la foi et sa propre expérience lui faisant voir cette vérité, elle demeure ferme sans s'ébranler au milieu des tentations, s'abandonnant sans réserve toute à Jésus Christ.


312 Je trouve bon que la seconde demi-heure de votre oraison, vous permettiez 106 à votre esprit de s'occuper des vérités qu'on vous enseigne.Mais donnez-vous de garde de l'activité actuelle de votre esprit, lequel étant tellement produisant, s'occupera beaucoup plus par soi-même que par la pure lumière de Dieu. C'est pourouoi il vous faut défier, et observer fort tranquillement s'il ne s'empresse point dans ses pensées, dans ses vues et considérations.

L'Esprit de Dieu est pacifique, et c'est la marque de son Esprit quand il nous fait agir en paix. Notre Seigneur visitant ses disciples leur dit: "Pax vobis". C'est le premier effet de la présence de Dieu véritable en rame: la paix s'établit et le calme se fait même ressentir dans ce fond d'esprit.

Il y a bien de la différence entre nos productions et celles de la grâce. Celles qui partent de nous sont toujours impures et ne peuvent s'élever vers Dieu, n'ayant que notre intérêt pour objet. C'est pourquoi ce sont lumières et opérations qui sont produites de nous-mêmes. Elles n'ont point de force ni de vigueur pour se tenir élevées vers Dieu; et si l'âne y fait quelque petit effort, elle se retourne bien-tôt vers elle-même, et ne se remplit point de Dieu, ni ne se vide point par conséquent d'elle-même.

Les opérations de la grâce sont d'une autre manière: elles sortent de Dieu et retournent à Dieu. Elles élèvent l'âme, la dégageant d'elle-même et des choses de la terre, la rendant capable de recevoir Dieu, c'est-à-dire son règne; et l'âme étant fidèle à la grâce opérante, elle fait en peu de temps un progrès admirable, se rendant capable des miséricordes de Dieu.

Quand vous vous trouvez en impuissance et dans les ténèbres, ne pensez pas que votre temps soit perdu. Dieu vous fait porter ces dispositions pour vous apprendre petit à petit à mourir. L'esprit humain ayant accoutumé d'agir, souffre des agonies quand il se trouve en sécheresse et en privation. Et l'aveuglement dans lequel nous sommes au regard des choses saintes, nous fait penser que nous ne sommes pas bien avec Dieu. Et insensiblement l'âme s'empresse pour se tirer de sa peine et de sa captivité, pour se donner la satisfaction de ressentir autre chose.

C'est une grande infidélité à l'âme en cet état de travailler pour en sortir; il faut se laisser anéantir. Cette disposition arrive par deux causes. La première peut venir de Dieu qui nous éprouve, pour dénuer l'âme de ses propres appuis. La seconde, par châtiment de nos fautes. Et toutes deux sont utiles à notre âme. C'est pourquoi elle en doit faire un saint usage.

Le premier, d'agrément de la conduite de Dieu sur elle, trouvant bon qu'il en dispose comme il lui plaît. "Bene omnia fecit". Le second, de soumission à sa justice. Et en tous les deux l'âme doit toujours demeurer anéantie, attendant en patience le bon plaisir de Dieu.

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Qu'est-ce qu'une âme morte ou anéantie? C'est une âme sans désir, sans affection, sans choix, sans élection, sans souhaits, sans inclinations, sans vouloir, sans passions. Elle est faite en cet état d'anéantissement une pure capacité de Dieu. Que fait cette âme ainsi anéantie? Elle est revêtue de Jésus Christ, 108 elle est remplie de Jésus Christ. C'est Jésus Christ qui l'anime, c'est Jésus Christ qui agit en elle, qui pense pour elle, qui désire pour elle et qui aime pour elle , qui choisit pour elle, qui souhaite pour elle. Le grand Apôtre le savait d'expérience quand il disait: "Vivo ego, jan non ego, vivit vero in me Christus".

Si vous aviez goûté un moment le bienheureux état d'anéantissement, vous trouveriez que la vie intérieure est bien facile, toute la peine qui s'y fait ressentir ne procédant que de la résistance que nous faisons à la mort de nous-même. Je vous souhaite cet esprit pour régler vos actions et pour rendre à Dieu la gloire que vous lui devez. Vous savez ce que je vous en dis il y a peu de jours, et dans l'entretien, et par écrit.



2087 Ne vous étonnez point de voir tant de misère et de corruption en vous. Après que vous aurez bien compris par expérience ce que vous êtes, et ce que vous seriez si la grâce ne vous soutenait, il faudra vous désoccuper de vous-même et commencer à vous séparer de tout ce que vous êtes pour demeurer très étroitement unie à Dieu. Mais il faut que vous goûtiez encore bien du temps le fond de votre propre misère. Il faut que vous soyez bien persuadée de la vérité de votre néant d'être.

Vous connaissez votre néant d'être par la présence de Dieu, de laquelle je vous parlai hier; laquelle fait voir Dieu opérant en toutes choses et toutes choses subsistant en lui. La lumière de la foi vous fait voir qu'il n'y a que lui qui soit en vérité. Il le dit à la grande Sainte Catherine de Sienne en ces mêmes termes, lorsqu'on le le priait amoureusement de lui dire qui il était. "Je suis, dit-il, celui qui suis et tu es celle gui n'est point". Oh! la sainte vérité prononcée de la bouche de Jésus! Ecoutez-la et en faites votre profit. Voilà donc le néant d'être.

Or le néant de péché est bien plus malin. Le premier n'est point opposé à Dieu, mais le dernier le détruit autant qu'il est à sa puissance. Et sa malignité est si grande qu'il est impuissant et incapable d'avoir aucun être dans le bien ou la vertu. Le premier néant regarde l'être moral, et le néant de péché regarde l'être de grâce et le détruit. O néant maudit et abominable! Le premier nous tient dans la vue du non-être. Il est simple et c'est une vérité qui ne nous confond pas, en une certaine manière; mais le néant de péché nous humilie et nous confond éternellement.

Lorsque la créature sort de son néant pour opérer le péché, elle tombe dans un double néant, qui la rend infiniment plus incapable du bien que le simple néant, lequel n'est point résistant à Dieu. Et c'est un grand sujet d'humiliation à l'âme de se voir capable par sa malice d'un désordre si grand.


2984 Votre lettre d'aujourd'hui me donne grand sujet de bénir Dieu de voir les connaissance qu'il vous donne sur votre fond de misère et de néant. Tenez cette lumière pour une très haute grâce; car elle vous est infiniment plus utile que de faire des miracles et que d'être remplie d'extases et de révélations…

Non, non, mon enfant, vous n'opérez pas plus impurement que du passé, mais vous avez bien plus d'intelligence, vous connaissez un peu mieux l'abime de votre corruption, et votre impuissance de pouvoir rien faire digne de Jésus. Demeurez dans cet état tant qu'il plaira à Notre Seigneur vous y tenir et goûtez l'impureté de votre fond… Rendez-vous savante en la connaissance de vous-même par votre propre expérience. Soyez sage à vos dépens, c’est-à-dire soyez humble par la destruction de votre orgueil.

Oh! que votre aveuglement était grand lorsque la vanité secrète et l'estime de vous-même vous persuadait de faire un recueil de votre vie pour la mettre en admiration. Sans doute vos pensées sont autres maintenant, et vos sentiments ont bien changé de face. Que diriez-vous si l'on vous priait d'écrire votre vie? O mon enfant, il faut que vous confessiez que jusqu'à présent vos lumières ont été bien ténébreuses, et lorsque vous vous croyiez bien juste, vous étiez devant Dieu bien criminelle [sens donné précédemment].

Je vous compare au Pharisien de l'Evangile qui avait tant d'estime pour ses oeuvres que pour en publier l'excellence il blâmait le pauvre Publicain, disant qu'il n'était pas comme lui. Hélas! mon enfant, combien avez-vous pensé et peut-être cru en votre coeur que vous faisiez mieux que telle et telle? combien vous êtes-vous préférée à votre prochain?


1191 C'est un très grand défaut dans la vie intérieure et particulièrement dans la voie d'anéantissement, d'entrer par désir ou affection dans une disposition où Dieu ne vous appelle pas, de vouloir faire de bonnes oeuvres à quoi Dieu ne vous applique pas. Et sous prétexte que vous voyez les oeuvres extérieures de piété bonnes et saintes,votre amour-propre voudrait tout embrasser, sans discerner si Dieu veut cela de vous ou non. Et le plus souvent, dans cette façon d'agir, vous faites de bonnes actions par le choix et l'inclination de votre esprit, sans ordre ni mouvement de grâce. D'où vient qu'après de très longues pratiques de ces oeuvres de piété, vous n'en êtes pas plus morte à vous-même, ni plus parfaite. Il les faut donc faire par la direction de l'Esprit de Dieu.

Secondement, il se faut bien garder de se remplir de toutes les bonnes choses que vous voyez pratiquées, parce que, ce que Dieu demande d'une âme, il ne le demande pas de toutes. Les unes, il les applique à la charité et au service du prochain, les autres, à consoler les affligés… d'autres, à la pénitence et à l'austérité,etc...Et c'est en quoi paraît d'une manière du tout admirable la puissance et la sagesse éternelle de Dieu, qui a donné à chacun selon son bon plaisir pour la sanctification de ses élus, sans qu'aucune des voies se ressemble. "O profondeur de la sapience et science de Dicu, qui pourra comprendre la sublimité et sainteté de vos voies?"(St Paul)

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Dans la diversité des voies de Dieu, nous en trouvons qui sont dédiées à honorer la vie cachée et anéantie de Jésus Christ… Il me semble, selon la connaissance qu'il a plu à Notre Seigneur me donner sur votre âme, que vous êtes du nombre de celles-ci, et que vous y devez une fidélité inviolable.

Il faut vous plaire dans la voie où Dieu vous a mise. Ce n'est pas vous qui l'avez choisie, mais la Sagesse éternelle 1'a choisie pour vous, et vous oblige de vous y appliquer, sans vous gêner que vous ne faites rien de grand ni d'excellent pour la gloire de Notre Seigneur. La foi vous apprend que la plus grande et la plus digne gloire que vous lui pouvez donner, c'est d'être parfaitement soumise à son bon plaisir, c'est d'être la captive de son amour..., parce que lorsque vous êtes de la sorte, il se glorifie parfaitement en vous.

En cet état, vous lui donnez plus de gloire que si vous bâtissiez mille hôpitaux et que si vous faisiez beaucoup d'autres bonnes oeuvres , dans lesquelles votre amour-propre prendrait vie dans votre bonne action.

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Soyez donc désormais en repos quand vous voyez votre prochain qui fait les bonnes oeuvres que vous ne faites pas. Ne sortez point de votre voie pour entrer dans une voie étrangère et qui ne vous est point propre. Et ce qui vous doit consoler et mettre en repos, c'est l'union que vous avez comme chrétienne à l'Eglise. Et comme vous faites un corps avec tous les chrétiens, qui sont les membres de Jésus Christ, toutes le bonnes oeuvres qu'un bon chrétien fait, vous y avez part; et vous y contribuez en une certaine façon, à raison que vous êtes unie à ce membre, comme faisant un même corps. Et dans cette sainte liaison, vous êtes charitable, humble et patiente, avec votre prochain.

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Je ne sais si vous avez bien compris ce que je vous veux dire touchant les bonnes ac112tions qui sont faites par autrui. Je vous dis que, conne vous priez avec tous les chrétiens à cause de l'union, vous travaillez aussi avec eux. Tous les premiers chrétiens n'avaient qu'une volonté comme ils n'avaient qu'une foi, une loi et un baptême, ainsi que vous le remarquez aux Actes des Apôtres. Tous les chrétiens n'ont qu'une volonté en Jésus Christ, et tous ont un désir de le glorifier. Du moins ils ne peuvent prendre d'autre intention dans leurs oeuvres, ou elles ne seraient pas opérées chrétiennement. Demeurant donc dans l'intention de l'Eglise votre bonne Mère, vous honorez Dieu dans toutes les bonnes oeuvres qui se font par ses enfants, à raison, comme je vous ai déjà dit, que vous ne faites qu'un corps.

Voici la disposition que vous devez porter en fond pour y avoir part: Premièrement, consentir à toutes les bonnes oeuvres qui se pratiquent dans toute l'Eglise. 2° Etre bien aise que Dieu soit glorifié en plusieurs manières selon son bon plaisir. Et quand vous voyez faire une bonne action, offrez-la à Dieu par une simple élévation, vous réjouissant intérieurement de voir des âmes qui font l'oeuvre de Dieu que vous n'êtes pas digne de faire.

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Vous ne devez plus dire: "Je voudrais ceci ou cela", car la divine volonté doit tellement agir en vous qu'elle soit toute-puissante dans votre âme, sans permettre à votre amour-propre de souhaiter, ou s'inquiéter de ne faire pas tant de bien que beaucoup d'autres. Si Dieu ne veut point ces oeuvres-là de vous, pourquoi les voulez-vous faire? C'est un reste de la malignité que nous avons reçue d'Adam,de vouloir toujours être et faire quelque chose qui nous 114 paraisse, pour y prendre une secrète satisfaction. Nous ne pouvons mordre dans l'anéantissement. La pensée d'icelui nous tourmente, et cependant c'est notre salut.

Dieu vous veut dans cet état: est-ce à vous d'en vouloir un autre? La volonté de Dieu est-elle pas plus sainte que tout le reste? Et ce que Dieu a choisi pour vous, vous est-il pas plus salutaire que tous les biens et bonnes actions que vous pourriez opérer? O ma fille, serions-nous si téméraires que de donner des lois à Dieu? Pour moi, je vous avoue que j'ai tant de respect pour son bon plaisir, que j'aime mieux relever de terre des fétus par son ordre que de convertir tout l'univers par l'ardeur de ma volonté.

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Aimons ce divin bon plaisir; prenons nos félicités d'y être attachées. Les bienheureux n'ont point d'autre bonheur, et cette complaisance qu'ils ont dans l'accomplissement des volontés divines compose leur béatitude. Aussi voyez-vous sur la terre de certaines âmes qui, étant toutes mortes à elles-mêmes, jouissent d'une félicité anticipée. Car ayant perdu leur volonté propre dans la divine,elles sont toujours dans la satisfaction entière, ne voyant rien sur la terre hors du bon plaisir de Dieu. O ma fille, quand serons-nous dans cette bienheureuse mort qui donnera vie au bon plaisir de Dieu en nous? Il faut bien travailler à l'abnégation de nous-mêmes. Il faut bien détruite nos propres satisfactions...

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N'estimez pas votre voie meilleure et plus élevée que celle des autres. Soyez fortv retenue sur ce point; d'autant que vous ne voyez pas le degré de grâce d'un chacun, et qu'il appartient pa d'en juger...

Laissez donc toutes les âmes faire ce qu'elles font et si elles se fourvoient vous n'en répondrez point. Soyez fidèle dans la vôtre et gardez-vous bien de vous occuper de celle-ci ou de celle-là. Demeurez séparée des créatures. Ne condamnez point ce que vous ne pouvez comprendre. Et d'autant que vous trouvez quelquefois des âmes dont les voies et leur façon d'agir choquent vos sens et même souvent votre raison, gardez-vous de les juger ni désapprouver. Dieu ne vous a point donné d'ordre ni d'autorité pour les condamner; laissez-les à son jugement, et ne vous souillez pas par jugements téméraires. Si c'étaient des âmes qui soient sous votre direction, il y aurait quelque chose de plus à vous dire. Mais comme ce n'est qu'en passant et dans les rencontres de certaines personnes dévotes, il en faut retirer votre esprit qui va un peu bien vite sur ce sujet.

Soyez donc fort circonspecte, decrainte que vous ne rejetiez ce que Dieu reçoit, et désapprouviez ce qu'il approuve… Il faut respecter la grâce de Jésus Christ dans les âmes et les diversités d'un chacun. Car il en est au regard de Notre Seigneur comme au regard d'un roi qui a tous ses officiers. Sa cour est composée de différentes personnes, et chacune a diversité d'emplois; et celle que le roi destine pour être actuellement en sa chambre et jouir de sa présence ne doit point s'amuser à la cuisine. Il faut que chacun fasse sa charge et son office, autrement ce ne serait que confusion.


3117 Ma très chère soeur,Vous n'avez rien que vous n'ayez reçu, et si vous l'avez reçu, de quoi vous glorifiez-vous comme si vous ne l'aviez pas reçu? dit l'Apôtre.

Votre âme est sortie de Dieu, la foi vous l'enseigne; elle n'est donc point de vous ni à vous. Elle vous est prêtée pour mériter l’éternité,et partant vous êtes obligée de retourner à Dieu comme à la source d'où vous êtes sortie, et de vous rendre parfaitement à lui par Jésus Christ, qui est venu sur la terre pour être notre voie par laquelle nous allons à son Père.

Or votre âme avec toutes les excellences dont on vous la représente - ornée de ses trois puissances, par lesquelles elle a rapport aux trois divines Personnes - est pourtant créée de rien. Et c'est dans cette vérité que l'âme établit l'origine de son néant, duquel elle ne doit jamais sortir.

Le Fils de Dieu, Notre Seigneur Jésus Christ, nous dit en saint Jean, chapitre 12, que si le grain de forment tombant en terre n'y est premièrement pourri, il demeurera tout seul , mais s'il meurt, il. portera beaucoup de fruit. Celui qui aime sa vie la perdra, et celui qui la hait en ce monde la gardera pour la vie éternelle.

Oh! que ces divines paroles contiennent de mystère. Rendons-nous à Jésus Christ pour en porter les effets et recevoir la grâce qu'elles doivent opérer en nous. C'est Jésus Christ qui parle, nous le devons écouter avec attention et respect.

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1391 Je vois sur ce que vous m'écrivez que vous travaillez toujours pour voir et pour connaître. Vous avez une curiosité secrète qui vous fera bien de la peine, car il faut être sourde, aveugle et muette, et je vous en vois bien éloignée. Il n'en est pas de la vie intérieure comme des choses extérieures que l'on voit, que l'on touche,et que l'on goûte et comprend. La vie de l'esprit lui est toute contraire: la foi est sa lumière et sa sûreté. Donc il faut apprendre à vivre de cette vie et négliger vos sens, plus que vous n'avez fait du passé.

Vous ne vous appliquez pas assez aux usages de la foi, vous n'y avancez pas parce que vous voulez qu'elle vous soit sensible, et votre esprit ne peut mourir à l'inclination qu'il a de tout voir et savoir. Quand il ne jouit pas de sa prétention, il croit qu'il ne fait rien, il se rebute et se décourage.

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Vous dites que vous ne comprenez pas ce que c'est que votre âme; vous n'avez pas la capacité de la comprendre, non plus que de comprendre Dieu. Vous ne pouvez connaître l'un et l'autre que par la foi et par leur opération. Vous voyez bien que vous avez une âme puisque vous ressentez l'opération de ses facultés. Ne voyez-vous pas que vous avez une mémoire, un entendement et une volonté? Vous vous souvenez, vous entendez et comprenez, et vous aimez. Voyez donc que vous avez une âme puisque ses puissances sont opérantes. Penseriez-vous voir votre âme en quelque figure? Ne savez-vous pas qu'elle est faite à la semblance de Dieu? Qu'elle est pur esprit, ainsi, qu'elle n'est point palpable; de même Dieu n'est pas palpable : il n'est ni vu ni senti. 118

Vous me demanderez: "Pourquoi dit-on quelquefois: "Je voyais Dieu qui faisait telle chose?" C'est à cause de son opération qui se fait quelquefois voir et sentir à l'âme. Ainsi elle dit qu'elle a vu Dieu qui l'attirait, qui la soutenait; et c'est un effet de sa grâce, opérant en nous quelquefois sensiblement pour fortifier et encourager l'âme. D'autres fois il opère secrètement.

Il faut que vous compreniez que le voir de l'âme est en foi. C'est la lumière de la foi qui lui fait voir. Et cette vue n'est qu'une croyance simple qui la tient dans cette vérité. Les sens grossiers n'y ont point de part. Les intérieurs y participent quelquefois, lorsqu'ils sont bien purifiés. De même vous comprenez que vous avez une âme, à cause qu'elle opère et que vous ressentez souvent ses différentes opérations.

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Vous pensez que la grâce d'oraison et toute la sainteté de la vie intérieure s'acquièrent à force de travail d'esprit, de raisonnement, de lumière, de science.Et vous croyez tellement cela que, quand la lumière ou la connaissance vous manquent, vous n'estimez plus rien ce qui se passe en vous. C'est là votre pierre d'achoppement et celle de votre grand retardement.

Vous ai-je pas tant dit autrefois que vous n'aviez que de l'esprit et point de coeur pour Jésus Christ? Vous avez une pente et une inclination naturelle de savoir, et c'est ce qui a mis en désordre nos premiers parents. Vous voulez connaître, vous voulez comprendre, et vous ne voulez pas vous soumettre à l'aveugle à la conduite de Jésus Christ votre divin Maître. Vous dites bien de bouche que vous le voulez; mais votre esprit n'y est point assujetti. Et tout son mal vient de ce que vous l'entretenez dans sa pente à voir et connaître. Et lorsque vous ne comprenez point votre disposition, vous travaillez pour en discerner quelque chose, ou vous aspirez à voir ce que l'on vous enseignera là-dessus.

L'affection que vous avez eue toute votre vie d'être instruite vous a beaucoup nui et vous nuira encore plus si vous n'y prenez garde, car votre capacité s'applique toute à comprendre et il n'y a rien pour l'amour. Votre esprit épuise votre coeur. Je suis pénétrée de ce défaut en vous et ne le puis souffrir davantage.

Il faut vous réduire en pauvreté d'esprit, puisque votre voie de grâce vous y oblige. Il faut que je sois impitoyable à votre amour-propre; et cette connaissance que Dieu me donne sur votre âme, ma très chère fille, est une très grande miséricorde pour vous. Je vous assure de sa part que c'est là votre retardement et ce qui s'oppose le plus en vous à la sainteté de son règne et de son pur amour. Vous n'êtes point pauvre d'esprit, puisque votre fond intérieur est tout plein de désirs: vous prenez un chemin à n'arriver jamais où vous désirez. Lorsque vous aurez appris à demeurer dans le néant et que vous vous en contenterez, vous verrez bien plus d'abondance et d'une manière bien plus épurée.

"Depuis que je me suis mise à rien

J'ai trouvé que rien ne me manque" [St Jean de la Croix]

Ce sont les paroles d'un grand saint, qui l'avait bien expérimenté.

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Vous vous trompez, ma chère fille, la vie intérieure n'est pas dans les lumières, mais dans le pur abandon à la conduite et à l'Esprit de Jésus.

Il est bon de voir ce que Dieu nous montre, comme notre propre misère, notre néant, notre impuissance, pour nous tenir dans l'humiliation, et nous convaincre que nous ne sommes rien et ne pouvons rien que par sa grâce. Ces connaissances-là sont bonnes parce qu'elles nous sont données de Dieu. Mais celles qui sont recherchées par l'activité, la force et la diligence de notre esprit sont bien sèches devant Dieu, parce qu'elles n'ont pas l'onction de sa grâce.

L'unique moyen pour faire un grand progrès dans la vie spirituelle c'est de connaître devant Dieu notre néant, notre indigence et notre incapacité. En cette vue et dans cette croyance que nous avons tant de fois expérimentée, il faut s'abandonner à Dieu, se confiant en sa miséricorde, pour être conduite selon qu'il lui plaira: soit en lumière, soit en ténèbres; et puis simplifier son esprit sans lui pernettre de tant voir et raisonner.

Il faut vous contenter de ce que Dieu vous donne, sans chercher de le posséder d'une autre façon. Ce n'est point à force de bras que la grâce et l'amour divin s'acquièrent, c'est à force de s'humilier devant Dieu, d'avouer son indignité, et de se contenter de toute pauvreté; et basseté(1). Il faut vous contenter de n'êre rien, et

"Vous serez d'autant plus

Que vous voudrez être moins"(1)

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La vie de grâce n'est pas comme la vie du siècle. Il faut s'avancer et se produire dans le monde pour y paraître et y être quelque chose selon la vanité; mais dans la vie intérieure, on y avance en reculant. C'est-à-dire: vous y faites fortune en n'y voulant rien être, et vous paraissez d'autant plus aux yeux de Dieu que moins vous avez d'éclat et d'apparence aux vôtres et à ceux des créatures.

"Pour être quelque chose en tout

Il ne faut rien être du tout"(1) [(1) St Jean de la Croix]

Les richesses de la vie de grace,c'est la suprême, pauvreté. Vous êtes bien loin de la posséder, car au lieu de vous dépouiller vous vous revêtez, sous prétexte de bien mieux faire. Quand le soleil est trop grand, il éblouit; quand vous avez trop de lumière, elle vous offusque. Votre esprit naturel est ravi de ne demeurer point à jeun; et lorsqu'il n'a ni lumière ni sentiment, il crie miséricorde, il vous trouble et vous tire de la paix. Il faut, ma très chère fille, le mettre en pénitence: nous en sommes dans le temps. Et il ne faut point avoir de pitié de ses cris. Ce sont ses intérêts qui le font crier. Il faut fermer les oreilles à nes plaintes, et vous contenter dans vo-ire ignorance, votre impuissance et pauvreté.

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Jusqu'ici vous n'avez pas cherché Dieu purement, mais vous vous êtes recherchée vous-122même. Votre tendance secrète, et souvent manifeste, n'a été que de contenter et satisfaire votre esprit qui a toujours été partagé le premier; et pourvu qu'il fût en repos vous croyiez avoir fait beaucoup. Apprenez maintenant une leçon contraire, qui est de contenter Dieu, vous abandonnant à sa conduite, en foi et simplicité, sans l'éplucher, vous résignant humblement à ses saintes volontés, attendant en patience sa grâce et sa lumière, sans que l'activité naturelle de votre esprit la prévienne, pour la dévorer et se satisfaire soi-même.

Voilà une grande leçon que je vous ai faite contre mon dessein, car je ne pensais pas vous rien dire, et cependant je vous ai dit la plus pressante vérité qui regarde votre état intérieur; et me suis trouvée si remplie, si assurée de la vérité que je vous ai dite que je n'en puis nullement douter. Pensez-y, ma très chère fille, voilà vos liens intérieurs qui sont bien plus malins que vous ne pensez. Priez Notre Seigneur au'il les rompe et qu'il vous fasse la grâce d'être comme un petit enfant, tout soumis et siciplifié à sa sainte conduite.

Il y a longtemps que je vous prêche ces qualités, tachez de vous en remplir et renoncez à tous désirs de savoir, de connaître, de sentir.

"Ut jumentum factus sum" , dit David: j'ai été fait comme la jument et ai demeuré avec vous. Demeurez à Dieu comme une pauvre bête incapable de quoi que ce soit, sinon d'être ce qu'il lui plaira; ignorant tout et ne sachant rien que sa très sainte volonté, à laquelle vou serez abandonnée et soumise sans la connaître. Et vous verrez que sa grâce, son amour et son 123 esprit règneront en vous.


2984 Mon enfant, Apprenez une leçon que je vous donne aujourd'hui, ne l'oubliez pas. La voici en deux mots:

"Vous serez d'autant plus

que vous voudrez être moins.

Ne soyez rien du tout

et vous serez tout en plénitude".

Retenez bien cette petite leçon, elle est courte, mais elle est efficace. Et pour en venir aux effets, aimez de n'être rien en tout ce que vous faites. Soyez bien aise que Notre Seigneur vous fasse la grâce de vous tirer des ténèbres de votre ignorance et qu'il vous fasse voir et sentir la dépendance actuelle où vous êtes de sa bonté, et comme sans son secours très particulier vous ne pouvez rien faire. Cette vérité est importante et fondamentale de notre édifice spirituel.

La pente naturelle que nous avons à l’élévation, c est-à-dire à notre propre excellence, et à la vanité, oblige Notre Seigneur de nous tenir longtemps et quelquefois toute notre vie dans la connaissance et dans les sentiments de notre bassesse. Et bien que nous ressentions par une expérience trop palpable l'abîme de notre misérable corruption, et que notre conscience nous reproche à tous moments nos impuretés et nos infidélités, nous sommes si attachées à l'estime de nous-mêmes que nous ne pouvons souffrir qu'on nous condamne ou méprise. Nous ne pouvons soutenir les rebuts que nous méritons. 124

Nous sommes assez convaincues que nous ne faisons rien qui vaille; cependant nous souffrons et avons un bien-aise secret en nous lors qu'on approuve ce que nous faisons.Nous sommes abominables devant Dieu et souvent nous le disons en nous-mêmes; et dans les rencontres où il faut être un peu méprisée, cela nous fait mourir.

C'est une chose bien rare de voir des âmes qui vivent en vérité. Nous vivons tous, mais hélas! la plupart mènent une vie de mensonge, et l'on se nourrit de vanité. On prend l'ombre pour le corps, et de l'accessoire nous faisons le principal. Déplorons notre aveuglement, et voyons comme jusqu'à présent vous et moi nous avons vécu dans les ténèbres et dans le mensonge. L'âme qui n'est pas dans la connaissance d'elle-même n'est point dans la vérité. Pour vivre dans la vérité, il faut vivre dans l'humilité , ou pour mieux dire dans le néant… O bienheureuse perte, ô perte salutaire! Que ne sommes-nous, mon enfant, perdues de cette sorte, où l'on ne se retrouve plus qu'en Dieu! Oh! si vous connaissiez ce souverain bonheur vous voudriez souffrir mille morts pour le posséder. Oh! s'il m'était permis de parler, ou plutôt si Dieu m'en donnait la capacité, je vous dirais que vous ne savez pas encore, mais que vous expérimenterez quelque jour ci vous êtes bien fidèle à Dieu.

57 Ayant considéré votre lettre du matin, le contenu d'icelle m'a touchée. J'ai quelque compassion de vous, ma très chère fille, mais les grâces que Notre Seigneur vous présente en vous faisant entrer dans l'état que vous 125 savez ne permettent pas à la tendresse de mon coeur pour le vôtre - bien qu'elle soit très grande - de retenir un moment la puissante main de Dieu qui travaille à vous anéantir. Et je crois avoir en cette occasion autant de courage que cette bonne et généreuse mère qui tenait les membres de son enfant lorsque les tyrans les coupaient pour l'obliger de renoncer à la foi de Jésus Christ.

J'avoue que le martyre que l'on souffrait anciennement était cruel; mais il n'était pas de longue durée. La vue de la récompense les animait. Mais le martyre de la vie intérieure est sans relâche: il ne finit qu'à la mort. Et il faut avoir une constance invincible pour ne se point décourager et pour ne point perdre coeur dans les attaques de tant de violentes tentations qui nous viennent assaillir, soit de la part du démon, soit de notre part, soit de Dieu même pour éprouver l'âme. Il faut de la fermeté, il faut de la patience; et pour mieux remporter la victoire il se faut anéantir. C'est une guerre où il se faut perdre soi-même pour gagner...

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Je veux bien, dans vos misères, que vous vous sépariez de la coulpe, c'est-à-dire haïr on vous vos faiblesses, malignités, et ce qui déshonore Dieu. Mais il ne vous est pas permis de vous séparer de la peine et de l'humiliation. Voilà comme il faut faire: je tombe dans une infidélité ; en môme temps la nature voudrait s'en contrister, et je ressens en moi quelque petite amertume dans le coeur, oui tendrait à me voir délivrée de cette malignité. Nous pouvons être touchées en ces rencontres, de Dieu et de nous-même. Pour moi, j'ai reconnu par expérience que la plupart des gémissements de no-126tre âme ne sont produits que de la source de notre amour-propre. Et nous avons une tendance insatiable à nous délivrer de la croix et de l'humiliation. C'est à quoi nous devons un peu nous appliquer. Car il n'y a rien qui confonde plus une âme que ses fréquentes chutes, car il faut de nécessité qu'elle avoue ses faiblesses et qu'elle a besoin d'un secours plus puissant que celui que notre orgueil et notre propre suffisance pensaient trouver en nous. Il faut donc nécessairement expérimenter le peu que nous son-mes de nous-même, une défiance de nous, et une tendance à nous séparer continuellement de nous-même .

Concevez donc le bonheur qui est renfermé dans vos faiblesses. Voyez si , en une certaine manière, vos misères ne sont pas aimables. Elles vous sont si utiles que, sans les sentiments que vous avez d'icelles, vous ne pourriez jamais posséder solidement la sainte connaissance de vous-même.

Vous devez donc haïr vos infidélités parce qu’elles déshonorent Dieu, mais non pas vous en troubler ni inquiéter. haïssez la coulpe , mais aimez chèrement la peine. Soyez marrie d'être contraire à Dieu, mais soyez bien aise que cela vous confonde et vous fasse connaître votre fond malin. Je veux bicn que vous gémissiez sous le poids de cette chair de péché avec saint Paul, mais je désire que vous entriez dans sa très profonde humilité. Car les misères qu'il ressentait le jetaient dans un abaissement si extrême qu'il se disait un petit avorton et indigne du nom d'Apôtre. Ne dit-il pas qu'il se glorifie dans ses infirmités? Quelles sont les infirmités de saint Paul? Ce sont les aiguillons des péchés qu'il portait et ressentait continuel-127lement en lui-même. Et lorsqu'il en demandait la délivrance, il a appris que, par toutes ces misères, son âme se perfectionnait.

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Ma très chère fille, Ne vous troublez point, votre état est bon; mais n'y soyez pas si réfléchie. Soyez plus abandonnée et plus dans la confiance en Dieu.Votre perfection est l'ouvrage de Jésus Christ. Soyez assurée qu'il la couronnera de ses bénédictions. Mais il faut que vous demeuriez ferme, souffrant la destruction que son amour fait en vous de tout ce qui est opposé à son règne. Je plains votre âme qui se tourmente dans ses ténèbres et dans ses ignorances. Et pour ne comprendre point le chemin où Notre Seigneur l'attire pour se la rendre toute à lui, elle se travaille et se peine très inutilement. Devenez petite enfant, plus soumise que jamais et plus simplifiée dans vos pensées. On vous assure que votre voie est bonne et sainte, marchez en confiance.


1474 Ma très chère fille, Je suis demeurée toute cette journée dans un soin très particulier de votre personne... Je vous avais présente en mon esprit, dans la crainte que votre âme ne soit dans quelque disposition qui vous pourrait crucifier et jeter dans la tentation. Néanmoins je m'en suis entièrement reposée sur la bonté de Notre Seigneur qui ne permettra pas que vous soyez tentée par-dessus vos forces.

Confiez-vous en sa miséricorde pardessus vos répugnances et la malignité de votre fond qui vous retire autant qu'il peut de votre 128 cher abandon. Ne quittez point , ne cédez point , que pour vous abîmer dans le néant profond. C 'est votre asile; mais vous ne l'avez point encore bien remarqué...Vous ne pouvez encore pénétrer comme vous pouvez vivre en mourant et mourir en vivant.

Oh! qu'il y en a peu de ceux-là à qui Jésus parlait dans l'Ecriture Sainte: "Veux-tu être parfait? donne tes biens aux pauvres, renonce à toi -même, prends ta croix et me suis". L'on en trouve encore qui donnent leurs biens aux pauvres, mais l'on n'en trouve quasi point qui suivent Jésus Christ. Heureuse l'âme qui connaît son appel et qui le suit avec fidélité.

Que craignez-vous? de vous perdre, ou les créatures? Hélas, ne l'appréhendez point, car cette perte est le commencement de votre bonheur éternel. C'est en nous quittant nous-même que nous trouvons Lieu, et que noue recevons la grâce de le suivre. N'ayez plus de regret de tout perdre, puisque c'est l'unique moyen de posséder Jésus. Prenez garde que les créatures ne vous entraînent et ne vous dérobent à vous-même. Ne vous empressez jamais pour aucune chose humaine et gardez-vous bien de rien préférer à Jésus Christ.

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Oh! que c'est un grand secret de se savoir bien abandonner dans un profond silence devant Notre Seigneur! Demeurez-y paisible en la partie supérieure de votre âme, et trouvez bon qu'il vous purifie comme il lui plaira. Gardez-vous bien de vouloir donner des lois à Dieu touchant votre conduite. Les états humiliants sont les plus saints et les plus utiles. Si nous étions éclairées de la pure lumière de la foi, 129 nous ne voudrions jamais sortir de l'état d'impuissance et d'abaissement.

Oh! qu'il et bon que vous soyez réduite dans votre néant sans vous en apercevoir comme dit le prophète. L'âme quj est anéantie est faite une pure capacité de Jésus Christ, elle ne lui est plus opposée. Oh! quand sera-ce, ma fille , que je vous verrai dans cet anéantissement? Hélas, pour lors,vous verrez toutes choses d'une autre lumière, car vos sens ne vous tromperont plus. Laissez-vous y conduire en secret et comme en cachette de vous-même, afin d'éviter les empêchements que vous y pourriez apporter. La main de Dieu a une puissance infinie pour vous y introduire, mais n'y résistez pas. Consentez à tous les dépouillements que la Sagesse éternelle fera en vous, soit pour les opérations de votre âme, soit pour les créatures que vous possédez encore, auxquelles vous pouvez avoir des attaches secrètes.Exposez-vous toute dénuée à la force du divin amour, et vous expérimenterez sa puissance.Notre Seigneur cherche des âmes vides pour les remplir de lui-même, et il n'en trouve point. Nous sommes si chiches au regard de Dieu. Quand vous lui donnez un petit moment de votre vie, ou que vous souffrez un quart d'heure de peine, il vous semble qu'il vous en redoit beaucoup. Vous n'avez pas assez de reconnaissance de ce que Notre Seigneur a fait pour vous, ni de l'amour qu'il vous porte.

Vous avez encore cela de mauvais d'être trop humaine, de vou loir trop accommoder la grâce avec la prudence de la chair. Vous rabaissez votre trait [vous visez trop bas] et quelquefois vous l'anéantissez par vue ou pour des craintes humaines. Vous ne simplifiez pas assez votre esprit, et vous 130 ne vous abandonnez pas assez à la conduite divine. Vous vous égarez dans les créatures. Vous n'êtes pas fidèle dans les événements à les voir dans l'ordre de Dieu et dans la dispensation divine… C'est l'exercice que vous devez pratiquer actuellement et tenir doucement votre esprit en bride, de peur que comme un cheval indompté il ne s'échappe.

Humiliez-vous donc de bonne sorte. Agréez en esprit d'humilité toutes les pauvretés et misères que la Providence vous fait ressentir. Les privations, les ténèbres et les impuissances, tout est bon, puisque c'est Dieu, la Sagesse éternelle, qui les donne. Demeurez seulement constamment abandonnée, et ne vous mettez point en peine pour le reste, Dieu pourvoira à tous vos besoins: votre sanctification est son ouvrage.

2258 Ma chère fille, Ne vous rebutez point sur cet état de mort totale de soi-même. Ce n'est point l'oeuvre de la créature, mais l'oeuvre de la main toute-puissante de Dieu qui y fait entrer l’âme à mesure qu'elle se dépouille, et qu'elle se désapproprie de tout ce qui occupe et qui remplit son fond. C’est l'état pur et saint que vous avez voué au baptême. C'est celui qui nous fait cesser d'être ce que nous sommes pour faire être et vivre Jésus Christ en nous.

Cette mort paraît cruelle et très rigoureuse à la nature et aux sens; mais elle est très savoureuse à l'esprit. Et une âme qui a tant soit peu d'estime, d'amour et de respect pour Dieu, sacrifie de bon coeur sa vie et son être à sa granler, par un intime désir de le voir vivre et régner en nous et s'y glorifier selon son bon plaisir.

Plus je vous connais, plus je suis confirmée à votre appel à cette pure voie. Ce n'est pas qu'il faille que vous y soyez introduite tout présentement; mais vous devez toujours conserver le désir d'y arriver, et y tendre selon votre grâce et votre capacité. Et pour nous voir éloignées des dispositions de Jésus Christ, nous ne devons Pas laisser d'y aspirer, et y faire tout ce que la Providence de notre bon Dieu a mis à notre puissance, abandonnant tout le reste à sa miséricorde et à son amour.

L'éloignement où vous vous trouvez présentement de ce bienheureux état procède d'une lumière plus grande qui vous manifeste vos misères et vos indignités. Vous ne devez point connaître votre progrès en cette voie; mais vous y devez marcher dans l'aveuglement, vous soumettant à la conduite que Dieu vous a donnée, sans permettre à votre esprit de se réfléchir pour voir son avancement… Je sais bien que vous êtes encore éloignée de cet état; mais la patience et la grâce amènent toutes choses, et Notre Seigneur vous y fera entrer par une voie que vous ne pensez pas. Tenez-vous toujours bien abandonnée. Ne sortez point de l'état de sacrifice où il vous tient. Laissez--vous conduire par son divin Esprit.

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Je suis très consolée de votre confiance en Dieu, et de la paix et quiétude que vous possédez en la vue de votre éloignement et de tant d'obstacles que vous rencontrez en cette pure voie. Celui qui, de toute éternité, vous 132 a fait l'honneur et la grâce de vous destiner à cette perfection, sera votre force et votre vertu pour y entrer. Ne vous découragez jamais. Continuez à vous sacrifier, puisque vous vous y sentez pressée, dans la vue de vos oppositions et de vos croix.

Voici le temps de fidélité; il faut être constante par la constance et fermeté de Jésus Christ… Adorez la main précieuse et adorable qui vous crucifie, et vous donnez bien de garde de rien envisager dans la conduite des créatures. Voyez tous les événements dans celle de Dieu et vous y soumettez avec respect. Il faut que son oeuvre soit accomplie.

Vous ne serez jamais vraie chrétienne si vous n'êtes en croix, et si vous n'y consommez votre vie comme votre divin maître Jésus Christ. Que craignez-vous, mon enfant? un peu de honte et de confusion de la part des créatures? Et vous ne craignez point le mépris que vous faites de Dieu et de sa grâce? Pour une vanité nous nous mettons en danger de perdre une bienheureuse éternité. Hélas! si les créatures nous pouvaient sanctifier, il faudrait les considérer; mais elles nous font périr et sont actuellement opposées à notre sainteté… Quittons-les de bon coeur, ne les préférons plus à l'amour de Jésus Christ. Nous ne pouvons servir à deux maîtres, à Dieu et à nous-mêmes. Il faut nécessairement quitter l'un pour l'autre. Est-il pas juste de quitter tout pour Jésus? Celui qui ne renonce pas à soi-même n'est pas digne d'être son disciple.

Mon Dieu, ma fille, que j’ai de désir de vous voir parfaitement soumise à la conduite de Dieu et toute remplie de son divin Esprit; que vous soyez bien généreuse dans vos croix, que les craintes et considérations humaines ne vous fassent point désister de la sainte résolution que vous avez faite d'être toute à Dieu.

L ‘AMOUR ET LA CROIX

"Ne vous attristez de rien en ce monde que d'être contraire à Dieu"


1712 Nous sommes créés pour aimer. Aimons donc Notre Seigneur Jésus Christ sans relâche. Aimons toujours, ne vivons et ne respirons qu'en la pureté du divin amour. Tout ce que vous faites, faites-le en amour. Que votre tendance soit l'amour, afin que par amour vous puissiez être parfaitement unie et transformée en Jésus. C'est le pur amour qui doit faire cette sainte transformation. Donc il faut que voua commenciez de vivre du pur amour, c'est-à-dire purement pour Dieu sans plus de retours sur vos intérêts. Perdez-vous, oubliez-vous de vous-même pour vous remplir de Dieu seul.


1014 Le pur amour est Dieu même "Deus caritas est. Dieu est charité, et celui qui demeure en charité demeure en Dieu". Oui, ce sont les paroles de saint Jean, desquelles vous ne pouvez douter.

Une âme en charité, c'est une âme en amour. C'est une âme toute remplie de Dieu, toute occupée de Dieu, toute zélée des intérêts de la gloire de Dieu; qui ne peut plus rien faire ni souffrir que pour lui seul; qui ne se regarde plus soi-même ni les créatures; et en ses opérations, elle n'a plus aucune tendance ni dé-138sir que de contenter Dieu. Elle ne regarde plus si elle en aura récompense, si elle en sera plus parfaite, si son oeuvre est méritoire, si elle aura plus de grâce ou de repos en son esprit. Son seul et unique motif est de contenter Dieu, sans envisager les intérêts de notre amour-propre.

L'âme opère tellement pour l'amour et respect de Dieu seul, qu'elle ne peut envisager que son bon plaisir. Elle ne regarde pas si elle est contente, car elle n'opère point pour elle, ains pour son seul uniquement adorable Jésus Christ. Toutes sortes de souffrances et de peines lui sont agréables, pourvu que son divin Maître soit satisfait. Enfin Dieu, Dieu tout seul, sans mélange de nos intérêts ni des créatures.

Le pur amour ne sait ce que c'est que d’être intéressé, que de se regarder soi-même. Il ne saurait souffrir la moindre souillure de vanité ni des créatures. Il fait tout pour Dieu. Il rend tout à Dieu, sans s'approprier jamais aucune chose. Sa tendance est de faire régner Dieu, de le glorifier en tout, sans se mettre en peine de soi-même.

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Le pur amour est beau et tout rempli de charmes, mais nous sommes encore trop impures pour le posséder; il ne pourrait demeurer un moment chez nous. Il fait sa retraite dans les âmes tout anéanties, etjusqu'à ce que vous le soyez, souffrez en patience de vous voir en cette dure et cruelle privation. Il faut que vous connaissiez que vous n'êtes pas digne de le posséder; et pour vous en rendre digne, il faut que vous soyez dans l'abîme de l'humiliation. Car tant que la superbe règnera en vous, le pur amour n'y pourra demeurer.

Laissez-vous donc détruire, humilier et consommer dans le centre de votre néant, et après vous verrez le pur amour se reposer en vous comme en son lit de repos. Mais sachez que le pur amour ne saurait souffrir la moindre impureté, le moindre intérêt, vanité et complaisance. Il est aimable en sa possession; il est bien rigoureux en son opération. C'est un monarque si puissant qu'il réduit tout sous son empire, et ne laisse point une âme en repos qu'il n'ait fait un total renversement. Il est sans pitié et sans miséricorde: il brise tout, il détruit tout. Il passe encore plus outre, car il consomme tout. Il ne peut souffrir la moindre résistance. Il a des armes très puissantes, et il en vient jusqu'à faire des martyrs. Enfin c'est un grand conquérant. Il veut assujettir les âmes à Jésus Christ, les arrachant de la tyrannie où le péché les a tenues si longtemps.

Les âmes qui souhaitent le règne du pur amour souhaitent en même temps, sans qu'elles y pensent, une guerre épouvantable qui les doit réduire au néant. Il y en a beaucoup qui désirent le pur amour, mais il n'y en a quasi point qui veuillent soutenir ses assauts, ses foudres, ses ruines et ses renversements. Qui parle du pur amour sans le connaître en ses effets, croit que ce n'est que plaisir et douceur. Mais une âme qui le possède connaît très bien, par son expérience, qu'il n'y a point de trève avec lui. Il faut que tout lui cède, et qu'il égorge tout ce qui a vie en nous pour nous donner vie en lui.

Le pur amour n'est jamais sans 140 souffrance: la croix, la douleur , le mépris, sont son aliment. C'est de quoi il se nourrit dans les âmes. Et si vous voulez le retenir chez vous, il faut que vous ayez de quoi l'entretenir. Faites provision de croix et de souffrances, autrement vous ne le tiendrez pas longtemps. La croix entretient le pur amour, et le pur amour soutient la croix, ils semblent inséparables, et lorsque l'âme ne ressent point sa croix, elle souffre de ne pas souffrir.

Oh! que nous sommes encore bien éloignées d'avoir en nous le pur amour! Cependant nous avons quelque sujet de nous consoler, car il a dejà envoyé ses fourriers marquer ses logis. Je suis certaine qu'il y veut loger. Mais il faut qu'Il le fasse nettoyer et mettre en ordre. Et c'est ce qu'il fait en vous présentement. Laissez-vous donc purifier. Et si vous me dites que vous ne voyez point cela, je vous réponds que vos yeux sont trop impurs pour le voir, et que Dieu veut de vous, non les sens, mais la foi pure. C'est pourquoi vous la devez exercer.

Il y a longtemps que je vous prêchc cette leçon. Mais votre esprit est tellement accoutumé au raisonnement, à voir et à sentir, ce mot de foi lui est si nouveau, qu'il ne s'y peut assujettir. Cependant c'est votre voie, et si vous n'y marchez vous ne goûterez pas Dieu et ne l'adorerez jamais en esprit et vérité.


3057 Ma chère fille, Vous êtes bien, souffrez tout ce que Dieu vous envoie: les ténèbres, les ignorances, et vos impuissances. Tout est bon puisque Dieu le donne: il en fera lui-même les usages en vous qu'il prétend. Quand je dis que vous vous abandonniez, j'encends vous dire: demeurez dans votre misère et impuissance, et attendez en confiance que Notre Seigneur vous en délivre. Il faut bien autrement souffrir: vous ne faites que de commencer. Ne vous découragez point, je vous assure que Notre Seigneur sera votre force et qu'il ne vous abandonnera point.

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Notre Seigneur ordonna à ses disciples après son Ascension de se retirer, de se reposer et d'attendre qu'ils soient revêtus de son Saint Esprit. Faites de même, je vous prie, et vous laissez entièrement à Notre Seigneur, et vous confiez en sa bonté.Votre état présent ne sera pas d'une longue durée ; après la douleur vient la joie. Ne désirez rien, ne cherchez rien, n'aimez rien que le bon plaisir de Dieu en toutes choses, vous contentant de tous états, de toutes dispositions, bref de tout ce que la divine Providence vous fera ressentir. Soyez la victime dévorée et consommée , et prenez plaisir d'être dans les ténèbres, impuissances, captivité: tout cela est bon et fait de bons effets si vous continuez d'être abandonnée. Vous ne voyez pas ce que Dieu opère en vous. Vous sentez votre douleur et le gémissement de votre nature, mais vous ne voyez pas que Dieu la purifie en détruisant ses satisfactions. 0h! si votre âme avait assez de courage pour se laisser en proie au pur amour, qu'il ferait de glorieux effets ! Mais parce qu'il faut souffrir et qu'il ruine notre amour-propre pour établir son divin empire, cela nous retire de notre abandon, et nous prive d'une possession si sainte.

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Tout le bonheur et félicité de l'âme est d'aimer Dieu, et c'est l'ouvrage des bienheureux dans la gloire. Pourquoi ne commencerons-nous pas dès ce monde-ci, puisque nous pouvons aimer, et que Dieu nous le commande?29 Aimons comme Dieu le désire et comme il veut être aimé de nous. Or pour l'aimer comme il faut, c'est l'aimer en toutes manières, c'est trouver bon tout ce qu'il fait, c'est approuver et consentir à tous ses desseins secrets et manifestes sur nous, c'est soumettre toutes nos volontés aux siennes, c'est ne rien préférer à son amour, c'est le regarder en toutes choses, c'est recevoir immédiatement tout de sa sainte main, c'est agréer nos pertes, nos humiliations et nos croix,bref c'est être faite, par ce même amour, une même chose avec lui, par une perte totale de nous-mêmes.30

Mon Dieu, qu'une âme est heureuse qui se peut plonger dans l'amour du bon plaisir de son Dieu sans retour! Oh, que la corruption que nous avons contractée par le péché est abominable, puisqu'elle nous a rendue.s si malignes que tout ce que la grâce veut faire , nous le détruisons. Vraiment il nous est bien permis de gémir avec saint Paul et de dire ces mêmes paroles: "Qui nous délivrera de ce corps de péché?" Que la vie est douloureuse à une âme pénétrée de cette vérité, et qui sent son poids! Mais quoi? il faut vivre et mourir tout ensemble. Il faut souffrir nos impuretés en la vue de la sainteté divine et adorable de Jésus. Il faut mourir à la mort même et vivre par soumission au bon plaisir de Dieu.

Nous ne devons plus rien être à nous-mêmes, et pourvu que Dieu soit content, il suffit. Vous le contentez quand vous demeurez en sa sainte présence, portant un esprit de victime qui accepte la vie et la mort sans autre choix 143 que la volonté divine. C'est là où on vous ordonne de demeurer. Ne réfléchissez pas beaucoup sur votre état présent; ayez patience, Dieu fera son oeuvre.


2556 Puisqu'il a plu à la Providence divine vous ménager une croix, montrez en cette occasion - qui est une, des plus sensibles qui vous puisse arriver - que vous êtes chrétienne et que votre volonté est toute anéantie dans l'amour et dans le bon plaisir de Jésus. C'est sa main adorable qui vous présente la croix. Je vous supplie de la recevoir dignement comme une âme revêtue des sentiments et de l'amour de Jésus Christ doit faire: avec respect et soumission, révérant la conduite de Dieu sur ses créatures. Prenez garde que votre esprit ne s'échappe dans cette occasion où Dieu veut faire épreuve de votre fidélité.


2536 Ma très chère fille, Puisque la divine Providence vous fournit des sujets de sacrifice, je vous ordonne de vous y rendre très fidèle et de vous souvenir que c'est une grâce dans la vie intérieure d'en rencontrer les occasions, afin de témoigner votre amour et votre fidélité à Notre Seigneur; et sa sagesse vous les envoie pour cet effet. Je vous exhorte d'en faire usage, et de vous exposer souvent à la sainteté de Jésus pour détruire en vous l'impureté des créatures et de vos sens.

Le peu de solidité que je remarque en vous me donne souvent des sollicitudes très grandes au regard de votre perfection; et il me semble 144 que je suis comme obligée de vous tenir par la main et de vous pousser toujours, tant j'ai de crainte de vous voir retourner en arrière; et que faute d'un peu de courage et de fidélité vous soyez assez malheureuse pour demeurer dans la privation d'un bonheur infini, vous rendant incapable de goûter la suavité divine qui se trouve en Dieu et que l'âme fidèle a l'honneur d' expérimenter. Faudrait-il que le néant de toutes choses créées vous privât de cette grâce? C'est ce que je ne puis souffrir en vous.

Puisque Notre Seigneur vous fait la miséricorde de vous appeler au banquet de son divin amour, ne refusez point une faveur si signalée. Conservez au milieu de vos tracas un désir actuel de Dieu, une faim de le posséder et de vous unir parfaitement à lui. Que les croix et les afflictions de la vie présente ne vous en retirent pas, puisqu'elles sont des moyens de vous sacrifier plus purement à Dieu. Dites de bon coeur, prosternée devant la majesté de Dieu, les paroles de Jésus en croix: "Mon Père, je recommande et remets mon esprit entre vos mains".

Par ces paroles vous sacrifiez au Père éternel avec Jésus tout ce que vous êtes: non seulement votre esprit, mais toutes vos productions, toutes vos croix et tout ce que vous pouvez être. Ayez cette intention de vous remettre toute en Dieu et de demeurer purement abandonnée entre ses mains, et tâchez de faire ce sacrifice avec esprit et avec l'intention de vous laisser toute à Dieu par Jésus Christ.

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901 Je suis ravie d'aise de vous voir produire cet acte héroïque qui vous fait dire que je fasse ce que Dieu me fera faire, que vous le voulez respecter et demeurer dans votre douleur, puisque la Croix est votre partage! Pesez bien ce que vous dites: oui, la croix est votre partage en qualité d'enfant de Dieu ou de chrétienne. Si vous le voulez mieux entendre, ç'a été le partage de Jésus Christ qui l'a reçue de la main de son Père. Voudriez-vous n'y avoir point de part? Je réponds pour vous et dis que vous choisirez toujours la croix par preciput [ancien dérivé de praecipue], la lumière de la foi vous ayant fait connaître son excellence. Il faudrait que Jésus Christ votre divin Maître ne l'eût point tant exaltée pour mépriser la dignité qu'il a mise en elle. Notre sanctification y est attachée, car il est impossible d'être sainte sans être en croix. La pureté de vie est en la croix, toutes les vertus sont en la croix; la profonde humilité est en la croix, le sacré anéantissement est en la croix, la mort est en la croix, et la vie même s'y rencontre31.

O croix précieuse, ô croix très adorable , qui mortifie, qui vivifie et qui sanctifie! Croix puissante qui a la grâce de faire des saints, de convertir les pécheurs, bref de consommer les âmes en l'amour sacré de Jésus Christ. Qui serait l'âme qui voudrait être sans croix, connaissant son excellence? Il faut qu'une âme qui ne veut point la croix renonce à son salut, car il n'y en a point qu'en la croix.

Ce nom de croix est si aimable aux âmes de grâce, qu'elles le portent gravé dans leur coeur, et si on les faisait vivre sans croix, elles seraient terriblement crucifiées de n'être point en croix. Suivons ces grandes âmes, quoi que de loin, mais selon nos forces et la capacité que Jésus met en nous. Si vous n'avez point un si grand amour pour la Croix, du moins n'en ayez point de rebut; puisque c'est le trésor que Notre Seigneur a possédé sur la terre et qu'il a laissé pour héritage à ses élus32. Ce serait renoncer à notre bonheur éternel si nous en quittions notre part.

C'est donc en la croix que je vous chéris et que je vous embrasse en l'amour d'icelle, vous y serrant avec Jésus Christ, et vous y sacrifiant pour y être toute unie et consommée. C'est où je vous quitte sans me séparer de vous.


1819 Ma chère fille ,Je vous vois dans un esprit d 'accablement , et je prie beaucoup Notre Seigneur qu'il vous soutienne. Certainement vous avez besoin de secours d'en haut pour souffrir ce que Dieu, les créatures - et vous-même - vous font souffrir.

Il est question d'une grande fidélité pour se laisser toute abandonnée à la conduite divine, et quoique votre coeur tâche de se rendre à Dieu généreusement, votre pauvre nature en souffre douleur et voit très bien que petit à petit on la conduit à la mort. C'est pourquoi sa peine est grande. Il ne faut point l'accabler tout à fait. Vous êtes obligée de lui donner quel que petit soulagement, non pour lui donner vie, ains pour lui donner la force de souffrir de plus rudes et sensibles croix. Il la faut un peu fortifier pour la faire plus longtemps mourir. C'est ainsi que les saints en ont usé. Vous devez les imiter et vous offrir comme eux à tous les moments de votre vie pour être immolée et consommée pour Jésus Christ et avec Jésus Christ. Si Dieu nous fait vivre, il faut être bien plus collées à la croix et plus dans l'imitation de sa mort en croix. Ayons un grand courage, nous ne faisons que de commencer. Il faut aller bien plus avant, il faut trouver la mort; nous en sommes encore bien éloignées, car nous prenons encore vie en toutes choses.

Je vous désire si sainte et si purement à Dieu, que si je vous pouvais obtenir l'amour des plus purs séraphins je donnerais mille vies, si Dieu m'en avait donné autant. Pourvu que je vous voie bien à Dieu, il me suffit. L'amour que j'ai pour votre âme n'est pas pour les grandeurs de la terre que j'estime avec saint Paul boue et ordure. Je vous aime pour l'éternité bienheureuse que Dieu vous prépare par sa miséricorde. C 'est pourquoi je ne puis vous souhaiter que ce qui vous rendra digne de le posséder.


1815 Je vous trouve dans une mer de douleur et de larmes! Qu'avez-vous qui vous transperce si douloureusement le coeur? La nature l'emporte-t-elle pas par-dessus la grâce? Si vous souffrez en qualité de victime, la victime ne dit mot: elle est menée au supplice sans se plaindre, nonobstant qu'elle soit chargée des crimes de celui pour qui elle est faite victime, comme vous le voyez dans la figure de l'ancienne loi, et que vous voyez bien plus naïvement [manifestement] en la personne de Notre Seigneur Jésus Christ qui a été pour les péchés de tout le monde immolé à la justice de son Père. Vous vous êtes offerte, il est vrai: mais que votre sacrifice n'ait point d'autre vue que la gloire du Père éternel et de Jésus Christ son Fils. Auriez-vous bien assez de courage pour lui immoler votre cher Isaac? Vous le présentez d'une main, et vous le retenez de l'autre.

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Commencez d'ouvrir un peu les yeux de votre esprit que la lumière de la foi a éclairé, et voyez votre fille comme votre unique Isaac dans la main adorable de Notre Seigneur. Elle est sous sa divine protection, et ce divin Seigneur l'aime d'un amour infini; non comme les pères et les mères du monde aiment leurs enfants, pour les avancer dans la fortune du siècle, pour les faire grands sur la terre, et les combler des misères de la vie que notre vanité et notre aveuglement nous font appeler délices et bonheur. Jésus Christ nous aime d'un amour trop saint pour nous aimer de la sorte. Il nous aime pour nous donner part à sa gloire. Il nous aime pour l'Eternité et pour nous faire goûter la vérité divine. Il nous aime pour nous unir à lui et nous faire par sa grâce une même chose avec lui. Et nous ne voulons point respecter son amour. Pourquoi? Parce qu'il n'est pas un amour satisfaisant l'impureté de notre amour-propre, qui se plonge dans la vanité de cette vie comme dans une félicité éternelle. Il se rassasie dans tous les objets humains. Il n'estime rien que ce qui contente la nature et qui satisfait notre esprit. La lumière de vérité ne luit point à nos yeux: la vanité, le mensonge sont le flambeau qui nous guide et qui insensiblement nous conduit au péché.33

Mais parce que l'amour de Jésus Christ crucifie nos sens, nous ne le pouvons estimer ni souffrir et ainsi nous préférons la créature et le plaisir du péché à la pureté et sainteté de l'amour de Jésus Christ. Jugez, ma fille, si nous ne sommes pas bien aveuglées. Soyez désormais plus avisée: chérissez la part que votre chère fille doit avoir à l'amour de Notre Seigneur Jésus Christ. Elle n'est point créée pour la terre; elle appartient à Jésus Christ et il la veut rendre un digne objet de sa complaisance éternelle. Et pour cet effet il la comble de ses grâces en l'attachant à sa croix, où il faut que vous l'aidiez à s'y sanctifier.

Aimez votre enfant comme Jésus Christ l'aime; aimez-la pour la béatitude éternelle, aimez-la dans la sainteté où Dieu la veut faire entrer. Ayez plus de désir que Dieu soit glorifié dans son âme par sa fidélité que de la voir délivrée de ce qui la crucifie.

J'ai beaucoup de choses à vous écrire mais voici la sainte Messe. Je vous écrirai après si Notre Seigneur m'en donne la grâce. Cependant vous pouvez communier si la Providence vous en donne les moyens, offrant votre croix à Notre Seigneur pour recevoir la grâce qui vous est nécessaire pour la porter. Et comme vous voyez qu'il n'y a point de remède humain,ayez recours au divin, qui est Notre Seigneur Jésus Christ, pour qu'il tire sa gloire de cette rude croix...

Je prie Dieu qu'il bénisse la mère et l'enfant. Prenez courage, il en fera sa gloire. Il ne fait rien sans dessein, il est adorable dans ses conduites. Portez-y respect et soumission. Adieu.


1248 Ma très chère, Je ne vous fais point de réponse particulière, vous avez trop de douleur dans la grande affliction qu'il a plu à Notre Seigneur vous donner aujourd'hui, de laquelle je suis touchée avec vous, sachant la perte que la famille fait selon le monde. Mais quoi? tout est à Dieu. Il est le maître de tout et il use de ses créatures en la manière qu'il lui plaît. Nous y devons porter respect et nous y soumettre. C'est ce que vous devez faire, mon enfant, rendant à Dieu les créatures qu'il vous a prêtées pour un temps, sans vous en rendre propriétaire.

Voilà un accident qui vous aura surpris, d'autant qu'il semblait que vous voulussiez prendre espérance de vie. Une âme se surprend de ce dont elle ne s'attend pas; mais une âme qui ne possède rien et qui laisse toutes les créatures en Dieu ne s'étonne point quand il en dispose.

Adorez la croix que Notre Seigneur vous présente par cette mort… et vous y soumettez. Consentez humblement et amoureusement aux desseins de Dieu, et vous souvenez que vous vous êtes offerte en victime pour lui. Adorez donc les conseils de Dieu et ses jugements sur cette âme, et apprenez à vous rendre à Dieu à tous les moments de votre vie pour n'être point sur-prise à l'heure de votre mort.

En voulant vous instruire de l'usage que vous devez faire de votre affliction, je m'en sens toute touchée, et entre en partage avec vous de vos douleurs. Nais c'est dans les occasions qu'il faut être fidèle. Et vous demandez comment il faut être abandonnée à Dieu? En voici un excellent sujet qui, en vous soumettant, vous crucifie et toute votre famille. De la croix, 151 laquelle vous tombe encore sur ies bras, disons avec le saint Apôtre: "Salve, crux pretiosa". Il ne faut point reculer ni se trop attendrir naturellement, mais soutenir la croix avec fermeté, constance et fidélité. Adieu, ma chère fille , je vous donne à la vertu de Jésus Christ pour soutenir votre affliction.


1894 La part que je prends à votre affliction est si grande que depuis que j 'en ai reçu les nouvelles je ne m'en suis pas séparée un moment, vous offrant sans cesse à Notre Seigneur pour lui demander la grâce, pour vous et pour votre famille, de souffrir saintement la croix qu'il vous impose. Je la vois grande dans le monde, mais pourtant toute adorable dans la main de Jésus Christ, quine fait rien que par un ordre très particulier de sa divine sagesse. Et vous devez la regarder de cet oeil, et y porter respect.

C'est ici où vous pouvez faire usage de la foi au-dessus de vos lumières et de votre raisonnement, pour vous soumettre dans cette humble croyance que le procédé de Dieu et de son bon plaisir est bon, et que vous préférez ses divines volontés à toutes les félicités et grandeurs de la terre. Soyons dégagées de tout le reste, n'estimant rien digne de notre amour que Jésus Christ. Vous lui avez promis cette fidélité dans votre baptême; et dans les occasions, vous la devez mettre en effet, montrant que vous êtes chrétienne. A quoi bon avoir d'excellents sentiments de la croix et de la souffrance, et dans les rencontres n'avoir pas le courage de rien souffrir? Après que nous avons fait à Dieu mille protestations de fidélité, il reçoit nos bonnes volontés et ne manque point de nous éprouver dans les occasions; et si nous sommes si misérables que de négliger notre grâce, nous en méritons la privation. Voici un rencontre qui demande de vous des actes héroïques, et qui sont capables de vous sanctifier :

1. Un abandon total au bon plaisir de Dieu.

2. Un si grand respect pour l'accomplissement de ses divines volontés que vous les préfériez à tous vos intérêts.

3. N'être point trop naturelle, ne vous laissant point trop occuper l'esprit de mille raisonnements humains.

4. Souffrir en la personne de vos amis que les desseins de Dieu s'accomplissent selon ses divins plaisirs.

5. Une confiance en Dieu q ui vous rende inébranlable, estimant toutes les choses créées un néant, croyant que Notre Seigneur versera quelque grâce pour la sanctification de la famille, pour soutenir cette affliction

6. Ne regrettez point les fortunes de la terre qui semblent se diminuer par cette mort. Aimez vos enfants dans le degré de grandeur où la divine Providence les amis, sans rien désirer de plus pour eux que la grâce de Jésus Christ.

7. Considérez la puissance d'un Dieu qui anéantit toutes choses quand il lui plaît, sans que personne lui puisse résister. Soumettez-vous à sa souveraineté sans y trouver à redire. Dieu est le maître absolu de ses ouvrages: il les fait et défait selon son plaisir.

8. Demeurez en paix au milieu de la guerre, et souffrez l'accomplissement des ordres de Dieu.

Voilà ce que vous pouvez faire si Notre Seigneur ne vous donne d'autres lumières. Je serai bien aise à votre loisir de savoir vos dispositions en ce rencontre. Cependant fortifiez-vous par la grâce de Jésus Christ. Il vous en reste encore bien d'autres à souffrir. Mais c'est gloire à une âme chrétienne d'être immolée et consommée sur la croix de son très adorable Jésus. Il ne faut point vous décourager, il sera votre force et votre vertu.

Donnez-moi quand vous le pourrez un mot de vos nouvelles. Adieu, je vous assure que je suis avec vous à la croix, et possible que j'y prends trop de part. Je vois en cela que je vous aime sensiblement et plus que je ne le puis exprimer.


2985 Votre lettre de ce matin m'a consolée et édifiée tout ensemble, et me donne matière d'adorer l'abîme des divines miséricordes en votre endroit, et me fait espérer beaucoup de grâces pour la suite de votre vie.

Cà, mon enfant, portons généreusement notre croix. Témoignons à Jésus Christ que c'est de bon coeur… que nous voulons consommer nos vies dans l'amour de ses divines volontés. Je ne vous condamne point pour avoir témoigné de la douleur au dehors… la charité demandait ces sentiments de votre bon coeur, imitant l'Apôtre qui pleurait avec ceux qui étaient affligés. Il est juste de témoigner votre douleur.., mais gardez-vous de vous attendrir tout de bon et de vous jeter dans des sentiments trop naturels...

Il faut que tout soit sacrifié à Jésus Christ : votre mari, vos enfants et vos amis. Vous ne devez point en être propriétaire, ni leur désirer, sous prétexte d'affection, ce qui pourrait causer la perte de leur âme. Aimez plus vos amis pour l'éternité que pour la vie présente, laquelle est bien brève et bien parsemée d'épines et de douleurs. Vous avez bien sujet d'en remarquer tous les jours les misères et les vanités pour vous en faire avoir horreur et vous obliger de procurer à vos enfants une meilleure fortune que celle que le monde leur veut faire espérer.

Tout passe, il n'y a rien de permanent que Dieu. Tout le reste ne se peut posséder qu'un moment, et encore durant ce peu de temps que l'on en jouit, on se met en grand danger de perdre les trésors inestimables de la grâce. Il y en a trop qui sont aveugles sur ce point. Ne le soyez point, ma fille. Notre Seigneur vous ayant ouvert les yeux, ne vous trompez point volontairement. Passons de la terre au Ciel. Il ne vous est plus permis d'y prendre part; votre grâce et votre profession de chrétienne vous en séparent. Ce serait une espèce de sacrilège de vous y relier. Notre Seigneur a déjà rompu une partie de vos chaînes, qui sont les gros liens du péché. Je le prie qu'il achève de tout briser, afin qu'étant libre vous puissiez avec le saint prophète sacrifier un sacrifice d'amour et de louange, dont la durée soit à l'éternité.

Oui, oui, mon enfant, les créatures vous sont bien nuisibles. Vous êtes encore enfant et bien faible; mais courage, attendez votre délivrance et supportez le poids de votre misère avec confiance et humilité. Je me doutais bien que les intérêts de famille vous attaqueraient et que l'établissement de sa fortune vous toucherait; mais elle est à Dieu et Dieu l'élèvera jusqu'au point qu'il lui plaira. Vous lui devez beaucoup abandonner et voir dans la lumière de la vérité que toutes ces grandeurs ne sont que des néants tous remplis d'extrêmes misères.

La croix est salutaire aux élus. C'est l'héritage des enfants de Dieu. Soyez heureuse d'y avoir part et que celle-ci vous serve de disposition à une plus grande. Je ne crois pas qu'il vous laisse longtemps sans vous en appliquer de nouvelles. Ne vous en effrayez pas, je vous prie.


2986 Votre lettre d'hier me consola bien fort. Je prie Notre Seigneur qu'il vous continue ses grâces, et vous donne la force d' être parfaitement soumise à son bon plaisir. Il vous prépare sans doute à quelque visite particulière. Soyez fidèle, ne craignez rien. Soyez à Dieu par-dessus toutes choses et laissez toutes choses à Dieu; ne vous en remplissez point. Ne vous gênez point en la vue des choses futures, mais reposez-vous doucement entre les bras de la divine Providence. Tout ce que Dieu fera sera très bien fait. Entrez dans l'estime de ses conduites sur vous et y portez une amoureuse soumission d'esprit. Je voudrais que nous puissions être toujours en regard de complaisance et d'amour vers Dieu, et que nous n'ayons plus de respir que pour prendre vie actuellement en lui. Mon Dieu, que j'ai de désir de nous voir toutes séparées du monde et des créatures !Combien sommes-nous plongées dans nous-mêmes et dans les intérêts humains! Je prie Notre Seigneur qu'il vous en délivre.


2152 Il faut être à Dieu comme il veut et non comme vous pensez. Laissez-vous conduire. Respectez les événements, quoiqu'ils 156 vous mortifient. Adorez les secrets jugements de Dieu en toutes choses et ses adorables desseins. Soyez toute abandonnée à son divin vouloir, et si sa Providence vous prive de venir, demeurez en paix. Voyez tout cela dans la conduite amoureuse de Dieu qui vous purifie, qui vous dépouille, en un mot qui vous désapproprie de l'attache secrète que vous pouvez avoir, sous prétexte de votre perfection.

Toute la sainteté consiste à être victime du bon plaisir de Dieu et je vous prie d'y être toute sacrifiée. Ne vous mettez en peine de rien que d'être très fidèle. La Providence qui est votre bonne mère ménagera le reste, et vous donnera ce qui sera nécessaire à votre sanctification. Ne vous attristez de rien en ce monde que d'être contraire à Dieu. Et encore faut-il régler cette douleur, crainte de notre amour-propre. Confiez-vous en Dieu et vous reposez entre les bras de son amoureuse bonté, sans vous troubler d'aucune chose.

LA VIE CHRETIENNE

"Pourvu que vous fassiez la volonté de Dieu vous devez être contente"


674 L 'Evangile nous dit aujourd'hui [XVIIe dim. après la Pentecôte] en deux mots en quoi consiste toute la sainteté chrétienne. C'est une leçon admirable, écoutez-la, je vous prie: La Loi dit: "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toutes tes forces, de tout ton esprit." Pesez bien ces choses et vous verrez combien vous êtes obligée de donner à Dieu jusqu'à la plus petite de vos actions. S'il faut l'aimer, par l'obligation de ses commandements, de toutes les capacités de votre âme, jugez si vous ne lui devez pas toutes vos pensées, tous les mouvements et même tous les respirs de votre coeur.

La Loi dit: "de toute ton âme, de toutes tes forces". Si vous considérez bien l'importance de ces paroles, par obligation de commandement vous vous devez toute à Dieu. Et par surcroît saint Paul vous dit: "Vous n'êtes plus à vous, vous êtes rachetée d'un grand prix". Vous trouverez dans une infinité d'endroits de l’Ecriture Sainte l'impuissance où vous êtes de disposer de vous-même, ,noire seulement d'une de vos pensées, si vous ne voulez, la dérober à Jésus Christ. Mais de droit vous ne le pouvez. Vous êtes achetée: qui achète l'arbre achète le fruit, donc vous n'êtes point à vous. Pesez bien cette vérité, répétez souvent ces paroles: Je 160 ne suis point à moi, je suis à Jésus Christ. Il m'a rachetée par amour, je suis donc nécessairement esclave de son amour. O digne esclavage!

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Après que vous aurez compris cette vérité, et que l'Esprit de Notre Seigneur aura fait impression sur votre âme, vous connaîtrez par une expérience de grâce que vous appartenez toute et sans aucune réserve à Jésus Christ; que c'est une nécessité absolue qu'il faut que vous soyez toute à lui; que vous ne pouvez plus vous en dédire.

Etant convaincue de cette vérité que vous devez croire comme article de foi, voyez ensuite combien vous êtes obligée de vous rendre à lui. C'est consentir à tour:, les droits, les pouvoirs et autorités qu'il a sur vous, et demeurer en lui. C'est ne sortir jamais de sa sainte présence, et faire toutes choses par son esprit. Autant qu'il vous est possible, de n'avoir jamais dans votre idée d'autre objet que lui. Bref que sa pure gloire vous fasse agir en toutes choses, jusqu'à la moindre de vos actions. Ne pensez pas qu'il y ait rien de petit au regard de Dieu: tout est grand, tout est saint, son amour sanctifie toutes choses.

Soyez donc très ponctuelle dans les plus petites choses. Tout se fait pour un grand Dieu. Il faut donc que tout soit fait avec esprit, c'est-à-dire avec attention à Dieu, et dans un simple désir de le glorifier et contenter en toutes choses. Il ne faut plus écouter la nature ni l'esprit humain qui se plaint de son esclavage. Que cet esclavage vous rendra libre un jour, après que vous aurez tout assujetti à Jésus: vos sentiments, votre raisonnement, vos retours, vos intérêts, vos passions, et votre amour-propre. Pour lors vous posséderez une liberté intérieure si sainte, que vous vous étonnerez comment vous avez pu appréhender de vous rendre captive d'un Dieu si plein de bonté et d amour.

Celui qui quitte ce qu'il a pour suivre Jésus Christ, il lui rend le centuple en ce monde et la vie éternelle en l'autre. Oh! quelle récompense. Il rend le centuple en ce monde. Oui, ma très chère fille, la liberté que vous aimez tant, et que votre amour-propre craint de sacrifier , vous sera rendue doublement. C est-à-dire que vous serez plus libre, et que plus rien ne vous captivera. Les créatures n'auront plus d'empire sur vous, toutes choses seront au-dessous de vous et rien ne vous pourra plus troubler.

N'est-ce donc pas un grand bonheur de perdre en Jésus notre liberté, de lui en faire volontairement un sacrifice, puisqu'il nous la rendra toute sainte. Captivez-vous donc pour Jésus jusqu'aux plus petites choses. Il veut que vous ayez cette fidélité, et puis il vous élèvera à de plus grandes. "Celui qui ne fait point estime des petites choses tombera bientôt dans de grands désordres".

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L'amour-propre souille bien plus les grandes actions que les petites. La complaisance et la vanité secrète ruinent tout. Mais dans les petites choses, tout y est petit, vous en êtes humiliée; elles n'éclatent point et vous n'en recevez pas la vaine louange des créatures.

L'amour-propre ne se plaît pas aux petites choses. La malheureuse inclination de propre excellence que le péché a mise en nous, nous fait toujours aspirer à des choses hautes; et nous voyons peu d'âmes qui n'aspirent à de grandes choses sous prétexte de la gloire de leur Maître. Ne vous trompez ps, ma très chère fille, suivez la vraie lumière et les leçons que Jésus Christ vous donne par lui-même. Si vous voulez être grande dans la grâce et dans les dons de Dieu, soyez si petite et si abjecte à vous-même et aux créatures, que vous ne puissiez plus vous trouver. Faites votre demeure dans le néant, ne soyez rien en aucune chose, et vous serez toute en Jésus Christ.

Ne regardez pas les petites choses par la vue de votre esprit humain.34 Voyez-les dans l'ordre que Jésus Christ a établi sur vous, auquel il vous assujettit par les pressants mouvements que sa grâce imprime en vous. Vous y devez une ponctuelle obéissance sans regarder la petitesse de l'action. C'est assez que c’est Dieu qui vous le commande. Il faut obéir à l'aveugle, sans retours ni sans réfléchir sur votre action. Et s'il ne veut de vous que de petites choses, en devez-vous pas être contente? Est-ce à vous de donner des lois à Dieu?...

Amez donc la fidélité en petites choses, et vous y tenez sujette. Vous pouvez plus glorifier Dieu en relevant une paille par soumission à Dieu que de faire cinquante disciplines, ou autres plus grandes austérités, de votre propre esprit. Et si Dieu se contente de ces petites choses, il les faut faire purement et avec la même perfection, le même amour et la même fidélité que si vous convertissiez tout le monde. Votre petite action a Dieu pour fin et pour objet, comme la plus grande. Donc il la 163 faut faire saintement parce qu’il faut honorer Dieu et tout faire pour son amour et par la direction de son esprit.

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Quand vos actions sont faites de cette sorte elles sont glorieuses à Dieu. Comment connaîtrez-vous que votre action est faite de la sorte? Vous le remarquerez lorsque, faisant vos actions, vous n'aurez point d'autre motif que de contenter Dieu. Vous demeurerez en sa sainte présence, sinon ressentie, du moins crue, c 'est-à-dire en foi; et vous vous laisserez à lui par un pur abandon, pour faire cette action comme il lui plajra.

Or il n'est pas besoin en toutes vos opérations. d'avoir ces trois points distincts dans votre pensée. La simple application de votre esprit à Dieu, par un simple et amoureux désir, vous met en possession des trois; et votre fond intérieur les contient en foi, et cela suffit. Faites donc toutes choses avec la perfection que vous pouvez, imitant Notre Seigneur qui a fait toutes choses saintement et parfaitement, qui a fait toutes choses selon qu'il l'a jugé plus à sa gloire...

Si vous avez à écrire, écrivez ayant Dieu présent en foi, et avec tranquillité, sans empressement. Ne voyez que Dieu et son plaisir dans ce que vous faites; et bien que ce soient actions humaines, vous les rendez divines par le motif divin qui vous anime. Dans vos autres travaux, faites de même, et gardez-vous d'être propriétaire de votre oeuvre; ne vous y complaisez point et ne vous y attachez point. Quittez facilement toutes choses au moindre signe ou mouvement de l'ordre de Dieu. Faites ce que vous 164 faites avec grande liberté. Rendez-vous toutes sortes de travaux indifférents: pourvu que ce soit Dieu, il vous doit suffire. Or ce sera toujours Dieu, quand vous n'envisagerez pas les créatures ni vos intérêts.


1712 Si une fois vous vous pouvez bien laisser à Dieu, vous saurez bien ce que c'est d'opérer en esprit d'oraison. Oh! que vous serez savante! Mais en attendant que vous ayez reçu cette grâce de notre divin Maitre, je vous dirai, selon la lumière qu'il me donne, ce que c'est que d'être en actuelle oraison.

Une âme qui demeure en actuelle attention à Dieu présent est en état d'oraison. Et opérer en cet esprit, c'est être plus en Dieu qu'en action. Vous vous prêtez bien à l'action, mais vous ne vous y donnez pas.

Trois choses concourent à bien faire votre action en esprit d'oraison. La première est l'attention à Dieu. La seconde son amour et respect, la faisant purement pour lui et par soumission à sa sainte volonté. La troisième est le dégagement d'esprit, ne vous rendant point propriétaire de votre action, n'y ayant point d'attache, étant prête à tout moment de vous en séparer et la quitter, sj l'ordre do Dieu et l'obéissance vous manifestent autre chose.

Après que votre action est faite, il n'y faut point réfléchir. Si vous y avez commis de l'infidélité il faut s'en humilier, vous connaissant n'être capable d'autre chose. Il faut porter vos misères en patience et faire toujours ce que vous êtes obligée de faire selon votre grâce et votre condition. Quand vous avez un moment de temps libre, vous le devez employer à recueillir votre esprit. Car c'est dans cette sainte solitude qu'il puise les forces de la grâce pour être fidèle dans les occasions.


2531 Dieu ne demande quelquefois qu'un petit acte de fidélité pour nous faire de grandes saintes. Vous devez etre toujours dans une sainte et amoureuse attention vers Dieu pour vous rendre à lui en toutes manières, aussi bien dans les actions naturelles comme dans les autres, puisque vous ne devez pas vivre un moment hors de Dieu. Et puisque tout doit avoir vie en lui, pourquoi voulez-vous qu'une partie de vos actions soient sans cette divine vie que vous tirez du pur amour de Dieu? Pourquoi, dis-je, ne sera-t-elle pas animée de son divin Esprit? 35Si vous pouviez concevoir la perte que vous faites quand vous agissez purement humainement, vous en seriez inconsolable. N'est-ce pas un grand défaut à une âme qui peut donner gloire à Dieu, et qui cependant l'en prive pour céder à son raisonnement, qui lui veut persuader que les petites actions de la vie ne sont que bagatelles, et qu'elles n'ont pas besoin d'être dirigées.


307 Les affaires qui sont de votre obligation ne doivent point être négligées. Si elles pressent, vous les pouvez préférer à vos oraisons. Et si vous y savez bien conserver, en les faisant, l'esprit intérieur qui vous doit accompagner en toutes vos opérations, vous trouverez (lie vous agirez en vos affaires en esprit d'oraison. Vous y conserverez la présence d'esprit pour les faire comme vous devez. Et observant les autres leçons que je vous ai déjà données en pareille rencontre, vous ferez ce qui se doit faire dans le temps mais toujours par obéissanceà l'ordre de Dieu qui vous y applique, sans perdre Dieu présent.

Que si les affaires ne pressent point et que vous n'ayez pas d'attrait ni de fac:7.1ité pour y travailler, vous les pouvez remettre à une autre fois. Mais gardez-vous de lâcheté! Néanmoins, vous pouvez différer et vous occuper à la lecture ou à l'oraison en attendant que Notre Seigneur vous donne capacité pour les expédier. Mais remarquez bien que si elles pressent , il faut tout quitter et s'abandonner. Tout est pour Dieu: aussi bien votre opération que votre oraison, et ce serait tromperie de vouloir prier quand Dieu veut que l'on agisse. Il faut être tout-à-fait dans un total abandon de nous-mêmes à la conduite du bon plaisir de Dieu.

Les actions qui dépendent de votre choix, il faut tacher de les rapporter toutes à Dieu, et bien qu'elles soient à votre liberté, il ne les faut jamais faire néanmoins que par obéissanceà Jésus Christ qui vous l'inspire. Si l'action est bonne en soi, il la faut envisager dans l'ordre de Dieu. Si elle est mauvaise elle doit être rejetée. Si L'action est bonne en soi mais que notre amour-propre la corrompe, il faut purifier l'intention par un regard pur et simple vers Dieu pour la diriger à la pure gloire de son nom.

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353 Dieu soit béni des grâces qu'il vous a données d'arrêter votre promptitude dans les occupations où sa sainte Providence vous a engagée. Liez-vous à ses effets et servez votre cher époux comme la personne de Jésus Christ, si vous le voyiez sur terre. Vous ferez en cela ce que saint Paul vous conseille, et en rendant vos devoirs à la créature selon vos obligations,vous honorerez Dieu par vos intentions.

Gardez-vous d'un petit empressement secret qui vous domine, lequel vous cause des ténèbres, et quelquefois un peu d'inquiétude. Voyez toutes choses dans l'ordre de Dieu, et recevez tout de sa sainte main. C'est lui qui fait malade votre mari, et c'est lui qui vous assujettit à le servir. Appliquez-y votre temps et votre capacité par obéissance à Notre Seigneur qui veut cela de vous et qui vous y oblige. Servez-le avec amour et avec respect: c'est votre maître en une certaine manière...

Dans la vue de ses douleurs, ne soyez point si humaine… Vous êtes chrétienne, i1 faut agir actuellement selon la grâce chrétienne... Ayez compassion de la douleur qu'il porte, mais chrétiennement, voyant la main de Dieu qui la lui applique. Respectez les desseins de Dieu sur son âme et sur son corps, et l'offrez à Notre Seigneur en victime; car c'est une partie de vous-même par le Sacrement quj vous a unis. Vous êtes obligée de référer à Dieu tous les droits que vous y avez, dans le désir de le voir tout à Jésus Christ, et qu'il le sanctifie par ses souffrances.

Il ne faut point aimer d'un amour de chair et de sang, mais il faut aimer d'un amour 168 pur et dégagé, qui n'a que Dieu pour son principal motif. Jamais la créature ne le doit emporter, car vous ne servez la créature que par hommage et obéissance à Dieu. Elevez donc votre esprit à Dieu qui vous est présent et qui est plus en vous que vous n'êtes à vous-mêmc, et faites en sa sainte présence et par le motif de son pur amour tout ce que vous avez à faire36.

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Donnez--voue librement aux affaires et à la servitude quand Dieu veut cela de vous. Soyez contente en toutes les dispositions où Dieu vous mettra, tant pour l'intérieur que pour l'extérieur. Ne vous occupez pas par votre propre esprit, mais laissez-vous occuper par la Providence qui ne manquera pas de vous visiter par les événements. Soyez-y fidèle sans gêne ni sans empressement. Contentez-vous de la divine volonté, que vous devez accomplir en toutes choses. Il ne vous faut que l'attention sur vous-même, ou plutôt l'attention à Dieu, et son saint Esprit vous fera de bonnes leçons.


307 LA COMTESSE: Comment connaît-on quand on agit par esprit de la grâce ou par celui de la nature? A quoi connaît-on cette différence?

MERE MECHT1LDE: La grâce dirige notre esprit à la pure gloire de Dieu, et la nature le réfléchit sur les créatures et sur ses intérêts.37 Pour reconnaître en nous le mouvement de la grâce, il faut être en silence et dans le calme de ses passions. Autrement, l'on ne discerne pas l'Esprit de Dieu et au lieu de l'un nous prenons souvent l'autre.

Il faut se défier beaucoup de soi-même en ce discernement. Et pour se tirer du piège de notre nature, il faut conserver votre âme dans une actuelle indifférence à tous emplois, à toutes dispositions et à toutes élections ou inclinations, tenant votre esprit vide de tous désirs, afin que vous soyez en état de recevoir l'impression de l'Esprit de Dieu en vous. Et lorsque vous l'avez reçu, pour opérer il est bon de vous élever simplement à Dieu qui vous est présent pour, par ce simple regard, lui diriger et sacrifier vos actions.

A mesure que vous vous viderez de vous-même, de vos lumières et de l'attache à vos opérations, vous serez plus capable de reconnaître le mouvement de la grâce en vous. Il y en a un excellent chapitre dans le livre de l'Imitation de Jésus, mais j 'estime qu'il se peut dire encore quelque chose de plus particulier que ce qu'il en dit...

Je crois que vous ne pouvez encore comprendre ce que je dirais sur ce sujet. Il faut attendre en humilité et patience que la grâce de Jésus Christ vous purifie entièrement. Et cependant, agissez autant qu'il vous sera possible par l'Esprit de Dieu, c 'est-à-dire cherchez toujours sa gloire et l'accomplissement de ses divines volontés, renonçant à toutes les recherches de votre amour-propre, les tendresses de la nature, les créatures, bref vos intérêts, de quelque sorte qu'ils vous paraissent. Séparez-vous de tout cela pour ne regarder que Dieu seul.38

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LA COMTESSE: Est-ce pas le degré d'amour qui donne le mérite à l'action? 170

MERE MECHTILDE: Oui, plus il y a d'amour, plus il y a de grâce. Or je n'entends pas parler de l'amour qui frappe les sens; je veux dire que plus il y a de pureté dans votre fond, c'est-à-dire une intention plus épurée et qui tend à faire uniquement pour l'amour et par l'amour de Dieu, il y a plus de grâce, et par conséquent plus de mérite. C'est pourquoi la très sainte Mère de Dieu étant sur la terre méritait plus par un tour de fuseau que les saints par des pénitences et austérités étranges, parce qu'elle avait plus de pureté d'amour que tous les Anges et tous les saints ensemble. Donc, si vous relevez une paille avec plus de pureté d 'amour qu'une autre n'en a prenant la discipline, votre mérite est plus grand.


2531 Prenez bien garde de ne vous rendre pas propriétaire de votre temps et de vos actions. Il faut que vous soyez toujours en état de quitter de bon coeur ce que vous avez résolu de faire, pour faire ce que Dieu vous fera faire dans les événements39. Pourvu que vous fassiez la volonté de Dieu, vous devez être contente. Et lorsque vous trouvez on vous de petits chagrins, empressements, etc. , c'est un signe qu'il y a des attaches secrètes à votre action, eue votre amour-propre y domine et y prend part. Et dès lors vous connaissez par cette inquiétude que vous n’êtes plus entièrement délaissée au bon plaisir de Dieu, puisque vous êtes attachée à votre inclination, et que vous prenez vie en vous-même.

Je veux bien que vous projetiez en vous de faire telle et telle chose. Mais il faut que ce projet ne soit fait que par l'esprit d'obéissance qui vous lie à vos obligations, et dans une adhérence au bon plaisir de Dieu, prétendant en cela faire sa sainte volonté.

Mais quand vous voyez que sa Providence renverse vos projets et vous fournit d'autres choses , abandonnez-vous, soumettez-vous, et laissez votre dessein pour vous plaire dans l'ordre de Dieu. En ces rencontres, soyez très fidèle en ce point. Autrement vous demeurerez toujours remplie de vous-même, et votre âme ne possèdera pas la vraie et sainte liberté qui la dégage entièrement d'elle-même… Car s'attachant à son action propre, elle préfère son choix à la volonté de Dieu, elle se jette insensiblement dans les ténèbres, perd le calme et la présence de Dieu.


674 Disons un petit mot des services qu'on vous rend, et que vous vous rendez à vous-même.

Premièrement vous ne devez point vous approprier aucun service de ceux qu'on vous rend: c'est à Jésus Christ qu'on les rend en votre personne. Et supposé que ceux qui vous servent n'aient pas ces sentiments, vous ne devez pas pour cela vous approprier ce qui n'est pas à vous; et vous devez suppléer au peu de lumière et de grâce de vos gens, en référant à Dieu tous les services que vous recevez d'eux.

Soyez très fidèle en ce point, afin que Dieu soit en toutes choses, et que la créature ne soit pas l'idole de la créature. Car pour l'ordinaire les domestiques n'ont que des vues humaines dans les services qu'ils rendent. 172 Vous êtes chrétienne, c'est pourquoi vous êtes obligée à cette fidélité; et dans cette disposition, recevez humblement tous les services qu'on vous rend, saine ou malade.

Cette petite pratique de fidélité rend l'esprit très libre et fait que l'on souffre avec humilité les services que l'on reçoit. Car souvenez-vous bien que ce n'est pas à vous, ni pour vous, mais à Jésus Christ en vous.

Quant aux services que vous vous rendez à vous-même, vous devez avoir le mime sentiment, qui est de les rendre à Jésus en vous; car Jésus Christ est plus vous que vous n'êtes vous-même. Vous pouvez aussi vous les appliquer comme à un pauvre de Jésus Christ. Car bien que vous ne mendiez pas votre pain… êtez-vous pas pauvre et vraiment pauvre, puisque vous n'avez rien par vous-même? 40Vous êtes mendiante tous les jours, donc vous êtes en vérité pauvre en toutes manières: pauvre de vertu, pauvre de grâce, pauvre de perfection, pauvre de bien, enfin pauvre en toutes choses. Est-ce pas Dieu qui vous donne tout; et lui demandez-vous pas du pain tous les jours? Oui, vous êtes pauvre dans l'abondance des choses du Ciel et de la terre. Rien n'est à vous, pas seulement une pensée. Et tous les biens de fortune, dans un moment vous peuvent être ôtés comme à Job, et vous réduire sur un fumier, couverte de pourriture. Oh! quand Dieu veut faire des renversements, il en trouve d'étranges moyens!

Vous êtes donc pauvre, et vous devez vivre pauvre dans un total dégagement de toutes choses: et dans cet esprit, servez-vous comme vous feriez un pauvre. Appliquez à votre corps la charité que vous rendriez à autrui, comme la rendant à Jésus Christ en vous, et pour avoir plus de capacité de le servir. Il ne faut pas tout dénier au corps, car il faut qu'il serve votre âme; c'est pourquoi il le faut faire subsister, non par amour et tendresse de nature, mais pour être plus capable de glorifier Dieu. Soulagez-le donc par charité, mais ne le flattez point par trop d'humanité. Donnez-lui sans scrupule les choses nécessaires, et toujours par un motif divin, ayant Dieu et sa gloire pour objet.

Etant en santé, servez-vous vous-même autant que vous pouvez et que la prudence vous le permettra, vous estimant indigne qu'un Membre de Jésus Christ soit employé à vous servir. Mais étant indisposée, recevez tous les services nécessaires en la manière ci-dessus.


421 Il est bon de donner l'aumône aux pauvres des rues quand vous en avez le mouvement. Gardez-vous toujours en vos oeuvres pies de la complaisance, l'ostentation, la vanité et la corruption qui s'y peut mêler. Opérez purement en la vue de Dieu, et donnez l'aumône comme à Jésus Christ même, lui rendant les biens que vous tenez par emprunt de lui.


2549 Il est malaisé de beaucoup parler sans pécher! Pesez bien cette vérité tirée de l'Ecriture Sainte, et la mettez en pratique. Parlez sans scrupule des choses nécessaires et de vos obligations, et dans les rencontres où la charité demande vos paroles; mais n'en dites que le moins que vous pourrez de superflues. 174

Tâchez que toutes vos paroles honorent Dieu, comme les paroles de Jésus Christ honoraient son divin Père. Ayez toujours le désir de produire par icelles Jésus Christ, de le faire connaître et de le faire aimer des âmes avec qui vous serez obligée de converser et de communiquer. Preneu bien garde, dans la multitude des paroles, de blesser votre prochain. C'est une chose bien délicate et où l'on tombe insensiblement, même souvent, par complaisance.

Ne parlez jamais des défauts d'autrui. Et lorsque dans les compagnies l'on en dit quelque chose, observez prudemment le silence ou, si vous pouvez, détournez adroitement le discours, afin d'éviter quelque péché que l'on peut facilement commettre en pareilles occasions.

Ne contestez jamais contre personne quand il n'y ira que de votre propre intérêt. Cédez en tout ce qui vous sera possible, sans pourtant excéder la discrétion, et l'autorité que vous devez conserver pour régler vos domestiques, non en maîtresse sévère, mais en chrétienne remplie de la charité de Jésus Christ qui, étant le Maître et Seigneur de tous, se rend le moindre et serviteur de tous. Mêlez l'huile avec le vin, comme le bon Samaritain de l'Evangile. Ayez de la gravité et de l'affabilité tout ensemble; mais surtout voyez toujours votre force, votre grâce et votre capacité en Jésus Christ.


307 LA COMTESSE: Les pécheurs, du moins ceux qui me paraissent tels, je ne puis...

MERE MECHTILDE: Le pécheur, par son péché, se désunit d'avec Jésus Christ. Mais soyez circonspecte à juger. Ne vous souillez point par les péchés d'autrui. Ceux que nous croyons quelquefois plongés dans le péché sont peut-être déjà touchés de Dieu et tout convertis.

Je ne puis souffrir qu'une âme qui fait profession d'aimer Jésus Christ s'occupe à se réfléchir sur son prochain. Il faut que son esprit observe en ce point un très rigoureux silence. "Ne jugez point, vous ne serez point jugés", dit Notre Seigneur. Estimez votre prochain comme Dieu l'estime. N'élevez point les créatures, et ne les rabaissez point. Gardez une prudence et une très grande discrétion fondée sur la charité , car c'est la marque de l'Esprit de Dieu dans une âme. Car si la prudence manque, elle est sans conduite. "Soyez, dit Jésus, simples comme des colombes et prudents comme des serpents". En matière qui concerne votre prochain, il faut être fort retenue de parler. Je vous laisse à juger des effets qui leur seraient préjudiciables.

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LA COMTESSE: Je crois être bien criminelle sur l'amitié de mon prochain...

MERE MECHTILDE: La charité ou l'amour du prochain marche du même pas que 1 'amour de Dieu: saint Jean vous l'assure. Je ne vois pas encore cet amour établi en vous. Vous êtes trop intéressée pour vous-même, trop peu désirante du règne de Dieu dans tous les coeurs, trop chiche pour les âmes. Vous les envisagez comme détachées de Jésus Christ, ne vous souvenant pas qu'elles sont ses membres, qui composent son Corps mystique41. Il y a bien à travailler en vous 176 sur ce sujet. Mais à mesure que Dieu s'établira en vous, l'amour du prochain y germera et produira ses fruits.


421 A la confession, il faut s'accuser humblement, sincèrement et succinctement, écouter avec respect ce que Dieu vous dit par votre confesseur, recevoir la pénitence et se mettre en état de recevoir l'absolution qui n'est autre chose que la vertu du sang de Jésus Christ qui nous est appliquée; lequel répare en votre âme les désordres du péché et vous réunit avec Dieu, vous rendant digne de ses grâces.

Jésus Christ a satisfait pour vous en plénitude, mais il veut que vous fassiez quelque petite chose de votre part, comme un petit tribut que vous payez à sa justice, vous reconnaissant redevable à sa miséricorde. Et votre pénitence doit être toujours unie à celle que Jésus Christ a faite pour vous, soit en sa sainte vie, soit en sa mort; mais singulièrement au Jardin des Olives, où il se présenta devant la face de son Père chargé de nos péchés et où il produisit un acte si saint et si parfait de contrition qu'il nous a mérité la grâce d'y participer. Il a porté les rebuts de son Père comme un pécheur, sans toutefois avoir ni pouvoir jamais pécher. En sa divine personne, le péché a été condamné.42

Mettez-vous aux pieds du prêtre comme Jésus se prosterna devant son Père et, en la vue de sa sainte et profonde humilité et confession, confessez-vous. Et après avoir fait ce que dessus, retirez-vous en silence et en respect de la grâce que vous avez reçue par Jésus. Voyez comme il s'abandonne à la mort pour vous donner la vie, et comme son précieux sang vous lave et vous réconcilie avec son Père.

Estimez beaucoup le sacrement de Pénitence, il est très important; et gardez-vous de vous y souiller au lieu de vous y purifier. Accusez-vous toujours en la vue de Dieu, comme si c'était immédiatement à lui-même. Après la confession, ne vous amusez pas à vous entretenir inutilement avec votre confesseur, voire de choses bonnes, si la nécessité n'y est grande. Retirez-vous et demeurez en récollection, afin que la grâce de ce sacrement fasse son effet en. vous et que l'horreur du péché s'empare de votre âme, afin que vous le puissiez détester et en ressentir en vous un éloignement non recherché dans vos sens, mais reçu dans le fond de votre esprit.

oOo

Il faut désirer d'avoir une douleur de ses péchés en les confessant. Elle n'a pas besoin d'être sensible, il suffit qu'elle soit dans la raison, et vous la connaîtrez lorsque vous trouverez dans votre fond intérieur un éloignement du péché, ne le voulant commettre pour quoi que ce soit; et ce, uniquement parce qu'il déplaît à Dieu. Il suffit que vous en portiez la disposition dans le fond de votre âme.

o0o

Assistez au service de votre paroisse le plus souvent que vous pourrez. Il le faut préférer aux autres dévotions, si ce n'est quelquefois que la Providence oblige à quelqu'autre chose. Vous êtes obligée de donner cet exemple et cette édification. Assistez donc à votre paroisse. Pour les sermons , vous pouvez aller quelquefois où vous croirez qu'il y aura plus de grâce; mais gardez-vous de vous tromper; car si vous êtes fidèle à Dieu, Dieu vous nourrira et substantera partout. Gardez-vous de la curiosité et de la satisfaction de vos sens.


894 Vous dites que c'est pour me faire faire pénitence que Dieu vous a donnée à moi. Oh! que cette pénitence me sera douce et agréable s'il me fait la grâce de vous rendre à lui, et s'il me donne la consolation de vous voir fidèle. Oui, je le dis devant Dieu et ses anges, que votre âme m'est plus précieuse que tout ce que votre entendement peut comprendre. Elle m'est infiniment plus chère que cent millions de vies; et parce qu'elle m'est intime et chère plus que tout ce que je vous dis, jugez quelle joie je recevrais de la voir toute réunie à Jésus Christ et combien je lui voudrais -procurer de grâces et de bénédictions, si je le pouvais. Mais hélas! je n'ai que de bons désirs, vous savez mon extrême impuissance.

o0o

Je vous assure que la présence ne nous unit pas davantage. Le coeur et l'esprit est indissolublement lié par Jésus Christ. Ni la vie, ni la mort, ni le glaive, ni l'enfer, ni les persécutions, ni la hauteur, ni la profondeur, ni les anges, ni aucune créature ne nous séparera de la charité et de l'union que nous avons en Jésus Christ et par Jésus Christ.


Catherine de Bar Fondatrice des Bénédictines du Saint Sacrement 1614-1698

Fondation de Rouen Bénédictines du Saint Sacrement ROUEN 1977


Amitié

= Une amitié spirituelle au grand siècle, lettres de Mère Mectilde de Bar à Marie de Châteauvieux, Tequi, 1989


Quatrième


Le jour de l'Exaltation de la Sainte-Croix, 14 octobre 1651, la comtesse de Châteauvieux se rendait rue du Bon Amy pour «faire la charité aux petites religieuses de Lorraine... assise près de Mère Mectilde, cette Dame ne manqua pas selon sa manière ordinaire de poser force questions sur la vie parfaite... La Mère Mectilde du Saint-Sacrement qui avait toujours gardé le silence fut engagée de le rompre pour lui dire quelques paroles qui furent si substantielles et si pleines d'onction que la dite comtesse s'en trouvant pleinement satisfaite, s'écria : Ha ! ma bonne Mère, vous avez trouvé en peu de mots ce que mon âme cherche depuis si longtemps... »

(Bibliographie de Mère Mectilde

par Mademoiselle de Vienville, p. 101)

« Depuis la connaissance qu'elle (Mère Mectilde) eût de Madame la comtesse de Châteauvieux à qui ces lettres s'adressent et qu'elle lui eût découvert quelque chose de cette excellente voie de pure foi, cette dame en demeura si avide qu'elle ne cessait de la solliciter par ses lettres ou par ses visites de l'en instruire plus à fond ; c'est comme cela qu'elle tira beaucoup d'elle ; et elle s'est rendue fort soigneuse de les recueillir ».

(Mémoires, p. 316, N. 249)


TEQUI

82 rue Bonaparte - 75006 Paris

ISBN : 2-85244-932-3


REMERCIEMENTS

Cette édition d'une partie de la correspondance de Mère Mectilde du Saint-Sacrement de Bar adressée à Marie de La Guesle, comtesse de Châteauvieux doit beaucoup à de nombreux amis du monastère de Rouen — moines, moniales, frères et soeurs en saint Benoît, archivistes responsables d'archives diocésaines ou départementales, bibliothécaires, photographes, prêtres et laïques, tous ont accepté de mettre leur compétence et leurs patientes recherches au service de l'oeuvre entreprise.

Que le Seigneur Jésus-Christ, que chante Mère Mectilde tout au long de ces pages leur soit notre gratitude.

En notre monastère de l'Immaculée Conception de Rouen 6 avril 1989 Jour anniversaire du « natale » de Mère Mectilde

[portrait]

MERE MECTILDE DU SAINT-SACREMENT

1614 — 1698

Fondatrice des Bénédictines du Saint-Sacrement

PRÉFACE de Mgr Charles Molette

Durant les troubles de la Fronde, Anne d'Autriché, « outrée d'une douleur mortelle sur la révolte de la plus considérable partie du royaume contre le roi son fils [...] forma alors la résolution de s'appliquer efficacement à apaiser la colère de Dieu par beaucoup de prières et de voeux ; elle en fit elle-même, et en fit faire en son nom par plusieurs personnes de piété en qui elle se confiait »1. Parmi les voeux qu'elle est ainsi amenée à assumer, il est un acte proprement religieux d'un caractère très précis : il s'agit, devait-elle écrire, de « rendre honneur au très saint sacrement de l'autel, en réparation des sacrilèges qui ont été commis durant ces malheureuses guerres. Et comme on a trouvé que cela ne se pouvait mieux faire qu'en établissant une maison de religieuses dont le principal soin consisterait à le louer et adorer incessamment et à prier jour et nuit pour la paix du Royaume et pour la conservation du Roy, j'ai jeté les yeux sur la Mère Mectilde du Saint-Sacrement »2,

1. Ce témoignage (de 1702, semble-t-il), que contient (p. 423) le manuscrit, p. 101, conservé au monastère de Rouen, semble devoir être attribué à Elisabeth-Catherine de Vienville (1660-1747), petite-nièce et filleule de Mère Mectilde, qui mourut au monastère de la rue Cassette (Note de l'archiviste du monastère de Rouen). On sait, par ailleurs, qu'Élisabeth-Catherine « se serait retirée, après la mort de sa mère [survenue en 1685, cf. Lettres inédites, p. 383, n. 2] au monastère de Rambervillers » (Lettres inédites, p. 117, n. 17).

2. Lettres inédites, p. 147.

9

[Tableau de la première amende honorable attribué à Philippe de Champaigne].

8

Du voeu de la reine Anne d'Autriche provient donc la fondation des bénédictines du Saint-Sacrement de « soeur Mectilde du Saint-Sacrement, prieure » du monastère3. Cette fondation a été rendue possible par l'aide substantielle de Marie de La Guesle de Châteauvieux qui au lendemain de son veuvage rejoindra la communauté où elle deviendra « soeur Victime du Saint-Sacrement, dite au monde Marie de La Guesle »3. La transformation de cette femme du monde en moniale nous vaut le manuscrit dont l'édition, que présentent aujourd'hui les moniales de Rouen, est précédée de deux précieuses introductions qui nous initient à l'intelligence du texte, celle du père Michel Dupuy, sulpicien, et l'autre, du père Paul Milcent, eudiste, tous deux spécialistes de l'Ecole française de spiritualité.

Le voeu de la reine

Alors que les troubles politiques se doublaient de désordres spirituels et doctrinaux, voire de sacrilèges, un sulpicien, Charles Picoté, songeait, sans être au courant des projets et démarches de Mère Mectilde de Bar, à l'institution d'une fondation religieuse vouée à l'adoration réparatrice. Cette idée qu'il avait devint la matière du voeu qu'il fit pour répondre à la demande d'Anne d'Autriche que lui transmettait la comtesse de Brienne, la reine s'engageant à exécuter le voeu qu'il accomplirait.

Si Picoté n'avait alors « qu'une vue générale de faire honorer le très saint sacrement sans déterminer de quel ordre seraient ces religieuses », il avait du moins une conviction : la réalisation de ce voeu était, en effet, susceptible d'apporter « le véritable et spécifique remède au mal que l'on voulait guérir, étant certain que la guerre ne déplaît pas tant à Dieu par les injustices qui se commettent contre les particuliers43 dont on ravage les biens, que par tous les crimes et sacrilèges que les gens de guerre commettent, soit dans les églises dont la plupart sont détruites, et les profanations commises contre le très saint sacrement que l'on a vu souvent fouler aux pieds et mettre dans la mangeoire des chevaux ; mais, quand la guerre ne ferait point d'autre mal que de faire cesser le saint sacrifice de la messe et le service divin, il ne serait déjà que trop grand, puisque ce serait priver Dieu de la seule gloire infinie qu'il reçoit en terre. [il L'interruption des sacrés mystères est le plus terrible de tous les châtiments [...] la cessation du sacrifice est le plus grand de tous les maux : son culte continuel est le plus grand des biens et la plus excellente manière d'honorer Dieu. [...] L'on ne pourrait mieux le reconnaître et l'honorer que par l'établissement d'un institut qui s'engage par voeu à l'adoration perpétuelle jour et nuit, et être par union à Jésus-Christ des victimes consacrées à sa gloire pour la réparer et prier pour la conversion des pécheurs »4.

Cette conviction, qui était largement partagée dans les milieux spirituels de la capitale, revêtait parfois d'ailleurs une expression quasi dramatique. Ainsi peut-on se rappeler les visions répétées qu'en 1652 précisément eut à Paris une femme reconnue comme mystique, Jeanne de Matel, la fondatrice de l'ordre du Verbe incarné et du Saint-Sacrement. « Le jour de la Visitation, 2 juillet 1652, elle se disposait à entrer dans les joies de cette fête [lorsque] la Sainte Vierge lui apparaît, quittant Paris et emportant avec elle son divin Fils. Elle se jette, à cette vue, la face contre terre. [...] Ah ! ma Reine ! Ah ! mon auguste, où emportez-vous l'Enfant du saint Amour, l'Amour même, mon Jésus, mon Dieu ?... Si vous quittez Paris, nous sommes perdus ! Je vous arrêterai avec lui par mes larmes. Il ne les méprisait pas lorsqu'il était mortel. Avec leurs larmes, la veuve de Naïm, la soeur de Lazare, lui ont fait ressusciter les morts. [...] Je ne cesserai de vous prier tous deux, que vous ne me donniez la paix et que je ne voie notre roi et les siens de retour à Paris ! »5. Et, dans son entourage, c'est à la prière et au rayonnement de la Mère de Matel qu'on attribua la fin de la Fronde.

Quant à Mère Mectilde, à défaut de visions, elle n'eut, semble-t-il, que des motions intérieures lui dictant d'étape en étape sa voie, à laquelle elle s'efforçait, dans la « pure foi », d'être fidèle. Ainsi, alors qu'elle songeait à se faire recluse dans la situation misérable à laquelle elle se trouvait acculée, elle

3. Ces signatures apparaissent ainsi à la dernière page du « Registre contenant l'estat abrégé des affaires temporelles de ce premier monastère des religieuses bénédictines de l'Adoration perpétuelle du très sainct et très auguste sacrement de l'autel »

4. P. 101, pp. 425-426.

5. R.M. Saint-Pierre de Jésus, Vie de la révérende Mère Jeanne Chézard de Matel, (Archives nationales, LL. 1710). Fribourg (Suisse), 1910, p. 461.

10 tombe gravement malade ; et elle est même à toute extrémité, à peu près de la fin de juillet jusqu'à la mi-novembre 1651. Dans cette situation, c'est avec un total abandon à la volonté divine qu'elle accepte de faire ce que le Seigneur lui demandera. Ainsi revenue de la mort à la vie 6 et s'étant rendue disponible à réaliser ce que Dieu lui montrera, Mectilde de Bar se trouve orientée par trois événements qui marquent pour elle le printemps de 1652.

Etant en visite chez une dame de Charité du quartier, la marquise Anne de Bauves, « elle vit un tableau [...] où était représentée une cérémonie païenne de prêtres et de prêtresses autour d'un autel, en posture d'adoration, le flambeau à la main. Ce qui lui donna occasion [...] de dire à la marquise que ces infidèles qu'on voyait si pénétrés de respect autour de leur idole seraient la condamnation des chrétiens qui en ont si peu dans les églises devant le saint sacrement ». Et la marquise de lui proposer une aide financière « si elle voulait l'accepter pour une fondation envers le saint sacrement dans sa chapelle »7. Dès lors, Anne de Bauves fait partie des quelques « personnes de piété, lesquelles, touchées d'un grand sentiment de faire adorer continuellement le très saint sacrement de l'autel », s'emploient à réunir les fonds nécessaires pour « donner commencement à cette piété » et bientôt « acheter une maison pour établir un monastère aux fins que dessus »8.

Mais avant d'en arriver à cette réalisation, il y a encore quelques mois. A peu près à l'époque où Mectilde de Bar remarquait le tableau qui était chez Anne de Bauves, une autre suggestion — intérieure — frappe Mectilde de Bar : « Un jour à la sainte communion, note-t-elle, je compris la dignité et la sainteté de cette adoration perpétuelle »9.

Cependant, c'est un autre élément qui est décisif, alors qu'elle reste bien réticente pour entreprendre l'oeuvre en vue de laquelle elle est sollicitée : elle ne peut, en effet, que se soumettre à « l'autorité d'un évêque qui, en me confessant, me commanda de n'y point résister »10.

6. Cf. Lettre de Mère Mectilde à Jean de Bernières, 25 novembre 1651.

7. Récit de l'abbé Pierre Berrant, P. 108 bis, p. 64.

8. Mectilde de Bar à Bernières, 2 janvier 1653 (Lettres inédites, p. 357).

9. Mectilde de Bar à Benoîte de la Passion, 28• janvier 1652 (Ibid., p. 143).

10. Mectilde de Bar à Bernières, 2 janvier 1653 (Fondation de Rouen, p. 357).

Le président Molé vers qui elle se tourne donc afin de lui demander « des lettres patentes pour une nouvelle maison de religieuses qu'elle souhaitait établir à Paris [...] lui répondit [...] qu'il fallait pour cela qu'elle eût un contrat de fondation dans les formes et une permission du supérieur ecclésiastique »11.

Pour cette fondation elle demande l'accord de ses soeurs : neuf le lui donnent sans réserve par une lettre du 2 août 1652 12. Et le contrat de fondation est signé le 14 août 1652.

Quand et comment Charles Picoté eut-il vent de ces projets et démarches qui correspondaient si précisément au voeu qu'il avait accompli au nom de la reine ? Sans doute est-ce par l'une ou l'autre des Dames de Charité dévouées à Mère Mec-tilde et soucieuses de faire aboutir le projet qu'elles avaient fait leur. C'est peu après l'entrée du roi et de la reine dans Paris en octobre 1652 que Picoté « fut informé à fond, de la fin, des motifs et du projet de l'établissement proposé entre les Dames dont nous avons parlé et de la Mère Mectilde du Saint-Sacrement. Il y trouva tant de rapport entre ce que la lumière de Dieu lui en avait fait concevoir en son oraison qu'il résolut d'y faire appliquer le voeu qu'il avait fait et dont il vint ensuite faire la proposition à la Mère Mectilde du Saint-Sacrement pour connaître par lui-même ce qui regardait cette oeuvre. La vénérable Mère déclara aux pieuses dames fondatrices ce que ce bon prêtre lui avait dit, et s'en déclarer à elles de savoir si elles approuvaient que leur fondation y fût appliquée »13.

Dès lors, il restait à Picoté à saisir une occasion favorable pour obtenir une audience de la reine. Celle-ci put avoir lieu le 8 décembre, la reine ayant anticipé la démarche qu'elle avait projeté de faire au Val-de-Grâce". La reine s'enquit des circonstances de son voeu, des motifs qui l'avaient ainsi poussé, des sentiments qu'il avait eus dans son oraison, et qui seraient ces religieuses qu'elle établirait dans un monastère « où l'on ferait l'adoration perpétuelle du très saint sacrement, jour et nuit ». Après qu'elle eût « satisfait à sa pieuse curiosité, il lui fit entendre qu'en appliquant son voeu au dessein de la Mère Mec-tilde, elle s'acquitterait de son obligation devant Dieu sans faire

11. P. 108 bis, p. 66.

12. Lettres inédites, p. 142.

13. P. 101, pp. 426-427.

14. P. 101, p.427.

14 nulle dépense, et qu'il avait [la] parole des dames fondatrices qu'elles y consentaient volontiers ». Bien que la reine eût naguère rejeté le projet en question, « elle ratifia ce voeu qu'elle regardait comme le sien propre et promit de faire tout ce qui dépendrait d'elle pour le faire réussir »15. Et sachant l'opposition de l'abbé de Saint-Germain, c'est elle-même qui lui écrit aussitôt afin de lui demander d'accorder « les permissions nécessaires pour cet établissement »16.

En attendant que puisse être construit un véritable monastère (ce qui se fera rue Cassette dans les années suivantes), on trouve à louer rue Férou une maison appartenant à la comtesse Catherine de Rochefort ; le bail est signé le mercredi 4 novembre 1653 17. Les travaux sont entrepris rapidement ; et Mère Mectilde espère que « ce sera pour Noël ou pour les Rois que nous serons en parfaite clôture »18.

Et c'est ainsi que le 12 mars 1654 est inaugurée officiellement l'adoration perpétuelle. Dans la chapelle exiguë installée dans la maison de la rue Férou, Anne d'Autriche est présente, ayant à ses côtés Mectilde du Saint-Sacrement, prieure, et les premières moniales ; derrière la reine, Marie de Châteauvieux, la fondatrice, et Anne de Bauves (ou Catherine de Rochefort, chez qui se déroule la cérémonie). La reine et les moniales tiennent un cierge à la main et ont la corde au cou.

La scène est immortalisée par un tableau attribué à Philippe de Champaigne. Mais il existe aujourd'hui deux tableaux : l'un au monastère du Mas-Grenier, l'autre au monastère de Rouen ; ces deux tableaux sont inversés de droite à gauche, comme il arrive lorsqu'une gravure est réalisée ; et précisément la gravure existe et se trouve à l'abbaye de Limon. Le tableau conservé au monastère du Mas-Grenier provient des moniales de la communauté de la rue Cassette qui, après la Révolution, ont fini, au moins la plupart d'entre elles, par arriver rue Tournefort ; la dispersion du monastère de la rue Tournefort, en 1973, a fait aboutir le tableau au monastère récemment (1922) fondé au Mas-Grenier. A Rouen, monastère fondé en

15. P. 101, pp. 427-428.

16. Lettre que la reine remit à M. Picoté pour la remettre à M. l'abbé de Saint-Germain, Monsieur de Metz, 12 décembre 1652 (Lettres inédites, p. 147).

17. Cf. Lettre de Mère Mectilde à la comtesse de Rochefort, 6 novembre 1653.

18. Mère Mectilde à M. de Roquelay, secrétaire de Bernières, 25 novembre 1653.

15 1677, aucun document jusqu'ici retrouvé ne permet de préciser l'origine du tableau actuellement accroché près de l'entrée de l'église priorale, au bas de la nef latérale. Quant à la gravure conservée à Limon, son origine semble jusqu'ici n'avoir pas été précisée 19.

La gravure conservée à Limon (plusieurs exemplaires viennent d'en être remis au monastère de Rouen) est conforme au tableau du Mas-Grenier : les traits, l'expression des visages, la posture des personnages correspondent à ce que l'on sait ; le cadre est sobre : la naissance de voûtes basses, sur le mur latéral qui limite l'espace, correspond à la disposition qu'on peut aujourd'hui encore retrouver dans la cave de la maison de la rue Férou. Dans le tableau de Rouen, en inversant la disposition des lieux, l'artiste, afin de traduire la grandeur de la cérémonie, a donné à la scène un cadre plus vaste en substituant à la proximité du mur latéral une certaine profondeur que ne pouvait avoir la chapelle de la rue Férou et une perspective de voûtes au-dessus et au-delà de la reine, ainsi que par une distorsion de l'autel de telle sorte que l'ostensoir présente sa monstrance au spectateur plutôt qu'aux adoratrices qu'on voit de profil.

Dans cette exaltation de la fondation royale, il y a bien le signe de l'importance attachée à l'oeuvre de l'adoration réparatrice qui était ainsi inaugurée. Ce n'est pas seulement un beau marbre votif admirablement sculpté qui témoigne de ce voeu royal, pas plus que ce n'est un tableau votif évoquant la scène. Non, ce qui témoigne de ce voeu, c'est l'institut qui en est sorti et qui perpétue ce qu'il rappelle ; c'est l'adoration réparatrice perpétuelle que cet institut prolonge depuis plus de trois siècles.

Et l'on ne saurait ici passer sous silence une page de l'histoire de cet institut qui s'inscrit en lettres de feu et de sang au

19. Erigée en abbaye en 1932, la communauté de Limon, bien qu'elle ait cessé de faire partie de l'institut des bénédictines du Saint-Sacrement, a gardé encore quelques souvenirs de son appartenance à l'institut, notamment quelques documents concernant le monastère de Varsovie ; car la communauté actuellement établie à Limon, fut fondée en 1816 à Saint-Louis-du-Temple par la princesse Louise-Adélaïde de Bourbon-Condé qui, exilée par la Révolution, avait fait profession dans le monastère de Varsovie fondé en 1687. De Saint-Louis-du-Temple, ce monastère parisien fut transféré au milieu du XIX' siècle, rue Monsieur, puis à Limon au lendemain de la seconde guerre mondiale. (Priez sans cesse, p. 105), dom Pitra est allé à Varsovie d'où il a rapporté un certain nombre de documents, par exemple les lettres de Mère Mectilde qui y étaient conservées. Ces lettres de Varsovie ont été remises au monastère de la rue Tournefort.

16 coeur des drames de notre XXe siècle. C'est en exécution d'un voeu formulé par la reine Marie-Casimire que le monastère de Varsovie avait été fondé en 1687 comme un ex-voto de la victoire remportée à Vienne par le roi Jean III Sobieski, victoire qui avait délivré la chrétienté du péril turc.

Or, en 1944, c'est de la conjonction des deux totalitarismes d'Etat contemporains que ce monastère de Varsovie a été martyr. En 1943, c'était à 250 m du monastère le soulèvement du ghetto de Varsovie. En août 1944, sous les yeux impassibles des armées russes campées en face, sur la rive droite de la Vistule, le soulèvement de Varsovie entraîna une impitoyable répression allemande. Le 6 août, la communauté des bénédictines du Saint-Sacrement, dont le monastère domine la rive gauche de la Vistule, descendit dans les caves où peu à peu se trouve réfugié un millier de personnes traquées, blessées, etc. Sur les quarante-sept moniales, il y en eut au moins dix-sept qui vinrent demander à la prieure — qui se sentit dépassée par cet élan dans lequel elle discernait une inspiration divine — la permission de faire l'offrande de leur vie pour la survie de la Pologne catholique, pour l'Eglise et pour la paix. Le 31 août vers 15 heures, un bombardement atteint l'église : la coupole s'effondre, écrasant les trente-quatre bénédictines qui entouraient le tabernacle (dont toutes celles qui avaient fait le voeu de victime), des centaines de réfugiés (il n'y eut qu'une vingtaine de survivants) et quatre prêtres ; le feu se déclare dans les décombres dont la masse et les flammes empêchent de dégager les victimes ensevelies vivantes. Au milieu des cris et de l'épouvante, s'élève des ruines le chant : « Adoremus in aeternum Sanctissimum sacramentum » dont les accents se font d'heure en heure de plus en plus faibles, jusqu'au troisième jour où s'installe le silence...

De la fondation issue d'un voeu royal dans les troubles de la Fronde et solennisée le 12 mars 1654 dans un petit oratoire du quartier Saint-Sulpice, .. jusqu'à l'oblation volontaire accomplie le 31 août 1944 dans un autre monastère royal, à l'heure où l'homme contemporain est écrasé jusqu'à la dégradation et l'anéantissement par les totalitarismes d'Etat, il y a la permanence de l'adoration réparatrice de l'institut des bénédictines du Saint-Sacrement présente à chaque époque aux drames de son temps.

Une amitié spirituelle au grand siècle

La fondation de l'institut des bénédictines du Saint-Sacrement n'est pas seulement le résultat d'un voeu royal. Cette fondation, en effet, a été rendue possible par l'amitié spirituelle, assez exceptionnelle, qui s'est développée entre Mectilde de Bar et Marie de La Guesle de Châteauvieux ; celle-ci, en effet, n'a pas seulement apporté aux origines de l'institut une aide substantielle — matérielle et administrative —, elle est encore tellement entrée dans ce projet que, dès le lendemain de son veuvage, elle est allée rejoindre la communauté, alors établie rue Cassette, où elle est devenue « Soeur Victime du Saint-Sacrement, dite au monde Marie de La Guesle ».

S'il peut être utile de rappeler succinctement le départ des liens qui ont uni Mère Mectilde et la comtesse de Châteauvieux, il ne saurait être question ici de reprendre la présentation de la vie de Mectilde de Bar qu'a faite Pierre Marot dans la préface qu'il a donnée aux Documents historiques concernant la fondatrice (on disait l'institutrice, laissant le vocable de fondatrice à la comtesse de Châteauvieux) de la congrégation des bénédictines de l'Adoration perpétuelle du Très-Saint-Sacrement. Dans ce volume, publié par le monastère de Rouen en 1973, il a évoqué les notices, les biographies ou les études antérieurement parues. En sa « qualité de Lorrain », il a « tenu à rappeler l'importance de la tradition lorraine dans l'oeuvre de Mectilde qui, chassée par l'invasion des troupes de Louis XIII, mais protégée par l'apôtre français de la charité, Vincent de Paul, fit fructifier ses vertus à Paris et enrichit le patrimoine spirituel de la France ».

C'est d'ailleurs cet aspect que devait retenir en 1979, puis en 1981, Joseph Daoust dans les riches petits volumes qu'il a préparés avec les moniales de Rouen et dans lesquels il a pris soin d'évoquer la vie mouvementée de Mère Mectilde, tout en mettant en lumière, par quelques extraits choisis — voire inédits le maître spirituel que fut et que reste Mère Mectilde, dont le rayonnement en définitive est très grand, et son « message eucharistique ».

Le regretté Louis Cognet, dans l'introduction qu'il a donnée en 1965 à quelques extraits des Ecrits spirituels de Mère Mectilde du Saint-Sacrement adressés à la comtesse de Châteauvieux, a voulu situer la personnalité spirituelle de Mère Mectilde dans les courants religieux du XVIIe siècle : 18 « religieuse exemplaire » chez les annonciades de Bruyères (16311638 : prieure en 1633), puis chez les bénédictines de Rambervillers (1639), à Montmartre (1641-1642), en Normandie (1642-1643). Lors de ce dernier séjour, Mère Mectilde avait pénétré dans le milieu de la Compagnie du Saint-Sacrement ; et, entrée en relation avec Jean de Bernières en 1642, elle devait rester en relation épistolaire avec lui jusqu'en 1659, date de sa mort. Revenue à Paris en 1643, Mère Mectilde s'installait avec des religieuses réfugiées à Saint-Maur-des-Fossés où elle ouvrait un pensionnat qui, en assurant des ressources à sa communauté, l'introduisait dans la haute société parisienne. Devenue supérieure en 1646, vite elle est aussi demandée à Caen (1647) ; et au bout de son triennat elle est élue (1650) prieure à Rambervillers, monastère dont elle continuera toujours à faire partie. Mais la guerre en Lorraine la ramène, avec quatre religieuses — « les plus jeunes, comme celles qui étaient le plus en danger dans un temps si malheureux »20, — en mars 1651, vers la communauté de Saint-Maur, alors réfugiée à Paris dans le faubourg Saint-Germain, par suite des troubles de la Fronde : c'est dans une maison de la rue du Bac, qui se nommait Le Bon Amy, qu'elles arrivent « la veille de Notre-Dame de mars », donc le 24 mars 1651 21.

Mère Mectilde et ses sept « petites soeurs de Lorraine » connurent alors « le plus complet dénuement », comme le rappelle ci-dessous le père Michel Dupuy. A cette situation aiguë au point de vue matériel, il faut ajouter que Mère Mectilde tomba gravement malade au mois de juillet. Telle était la situation matérielle de la communauté et son état de santé, lorsqu'elle reçut la visite de deux dames de Charité du quartier au mois d'août : Charlotte de Ligny, présidente de Herse, était parente de Jean-Jacques Olier, le curé de Saint-Sulpice, et elle était accompagnée de la comtesse de Châteauvieux qui n'était « pas de la même paroisse » : son hôtel (qu'elle tenait de sa famille à elle) était situé à un petit quart d'heure de distance, dans la rue Saint-André-des-Arts (au coin de la rue de l'Eperon).

Née Marie de La Guesle un demi-siècle plus tôt, elle était devenue comtesse de Châteauvieux le 8 juin 1625, en l'église Saint-André-des-Arts. De son union avec René de Château-

20. Documents historiques, p. 69.

21. Documents historiques, p. 70.

vieux étaient nés deux enfants : l'aîné, un garçon mort en bas âge, et une fille, Françoise, qui avait épousé le 25 septembre 1649 Charles de la Vieuville. C'est donc deux ans après le mariage de sa fille que la comtesse de Châteauvieux était entrée en relation avec Mère Mectilde, gravement malade.

Venue ainsi au Bon Amy pour une visite de charité qui avait été très brève, Marie de La Guesle Châteauvieux revient quelques jours plus tard pour « parler de discours spirituels dont elle était extrêmement curieuse »22 ; et bientôt elle ouvrait son âme à Mère Mectilde qui l'initia à la vie spirituelle. Dès lors, les Châteauvieux allaient s'employer à aider le plus efficacement possible celle qui allait devenir la fondatrice des bénédictines du Saint-Sacrement, puisque c'est au sortir de cette grave maladie que Mère Mectilde renonce à son désir de vie recluse pour se donner à toute tâche que Dieu voudrait attendre d'elle. Telle est donc l'exigence de « pure foi » dont elle livrera l'expérience à Marie de La Guesle Châteauvieux.

En tout cas, dans le désarroi matériel et moral de l'heure, Mère Mectilde est bientôt sollicitée à « entreprendre de faire quelque chose considérable pour honorer le saint sacrement »23.

Assurément de divers côtés se faisait jour le besoin de répondre « aux profanations multiples de l'Eucharistie, suscitées par l'appât du lucre comme par la haine des protestants, nombreux parmi les mercenaires des diverses armées »24. Nous avons déjà noté combien ce besoin était largement ressenti dans les milieux spirituels de la capitale.

Mais, au fur et à mesure que Mère Mectilde s'avance dans le projet d'une fondation en vue d'honorer le saint sacrement, au fur et à mesure aussi il apparaît que les embûches vont se développer.

Au point de vue matériel, songer à établir ainsi une nouvelle communauté de moniales, et dans le faubourg Saint-Germain, n'est-ce pas une gageure ? Si nobles et si généreuses soient les intentions des donatrices, de la prieure et des religieuses groupées autour d'elle, comment une telle communauté pourrait-elle survivre, alors que dans le seul faubourg Saint-

22. Documents historiques, p. 81.

23. Ibid., p. 84.

24. Dom Yves Chaussy, Les Bénédictines et la Réforme catholique en France au XVIP siècle, Paris, 1975, p. 373.

Germain six communautés ont dû quitter leur monastère, « la plupart [s'étant] retirées chez leurs parents »25 ? L'abbé de Saint-Germain-des-Prés ne pouvait être favorable à accorder sa permission de supérieur ecclésiastique.

Au point de vue spirituel même, une difficulté surgissait. La dévotion envers l'Eucharistie ne semblait-elle pas ternie par l'usage qu'en faisaient les jansénistes ? Car la communauté de Port-Royal s'était en 1646 vouée à l'adoration perpétuelle26. Or, précisément Port-Royal entreprenait de rassembler les moniales réfugiées à Paris et dont la situation était précaire ; et, qui plus est, dans ce programme, « Messieurs du Port-Royal la voulurent mettre pour directrice dans une maison de filles de ce même Ordre du Port-Royal, qu'ils voulaient établir à la porte Saint-Marceau »27 ; et ils lui offraient « six cents écus de pension pour cela, outre sa nourriture » ; mais ils lui imposaient des conditions d'inféodation que sa conscience ne pouvait accepter. Elle préfère ne rien leur devoir qui soit une aliénation. Et le 5 mars 1652, à l'heure où prend corps son projet, elle écrit au secrétaire de Bernières : « Je suis bien aise qu'il [Bernières] travaille à la ruine du jansénisme. Notre Seigneur m'a fait la grâce d'y travailler aussi selon ma petite portée et m'a donné la consolation d'en retirer quelques esprits qui y étaient fort embarrassés ; et la divine Providence s'est voulu servir de nous très indigne pour mettre ces âmes-là dans la liberté d'esprit, et Notre Seigneur leur fait de très grandes grâces depuis qu'elles ont quitté leurs opinions. Voilà en quoi la Providence m'a employée depuis ma grande maladie qui fut au mois d'août »28.

Cet abandon à la Providence au milieu des épreuves qui l'atteignent, cette fidélité spirituelle et doctrinale aux prises avec des sollicitations subtiles qui auraient pu insensiblement la faire, dévier de la pure rectitude, en l'amenant à céder à quelque tentation de sa volonté propre. voilà ce dont elle faisait l'expérience journalière dans la « foi pure », dans un dépouillement d'elle-même sans cesse renouvelé. par « amour pur ».

Cette attitude intérieure, cette marche en avant spirituelle était l'âme du projet qu'elle mûrissait dans un dépouillement total. C'était aussi de la sorte qu'elle initiait à la vie intérieure Marie de La Guesle Châteauvieux qui partageait, au jour le jour, les soucis de cette fondation dont nous avons rappelé quelques-unes des étapes jusqu'à la cérémonie du 12 mars 1654 dans la petite chapelle de la rue Férou.

Il est encore un aspect qui va prendre sa place, une fois la fondation bien établie. Mère Mectilde qui, durant toute la préparation de sa fondation, avait toujours cherché à s'effacer au seul bénéfice de la volonté de Dieu, va faire de même dans l'exercice de sa charge : en refusant l'établissement d'un abbatiat qu'elle laisse à la Vierge Marie le 22 août 1654. Quant à elle, elle veut employer son priorat à la formation de ses filles, à la consolidation et à l'extension de sa fondation selon le bon plaisir de Dieu. Marie de La Guesle Châteauvieux est témoin de cette exigence intérieure que Mère Mectilde lui monnaye dans les billets de circonstance qu'elle est amenée à lui adresser.

Ainsi entraînée dans les voies spirituelles, la comtesse de Châteauvieux, dès le lendemain de la mort de son mari (6 novembre 1662) se retire, pour jusqu'à sa mort (8 mars 1674) dans le monastère qu'elle a fait bâtir rue Cassette — donc toujours dans le même quartier de Paris — et où les bénédictines du Saint-Sacrement s'étaient installées le 21 mars 1659 29.

Les exhortations spirituelles que Mère Mectilde adressa à celle qui devenait soeur Victime du Saint-Sacrement s'inscrivent dans le souci que la fondatrice avait de la formation spirituelle de sa communauté. C'est bien ce souci qu'elle faisait partager à celle qui, après avoir soutenu sa fondation et étant ainsi entrée dans l'intimité de son dessein religieux, avait pris place dans la communauté.

La dilatation spirituelle de Marie de La Guesle Châteauvieux l'avait incitée à rassembler « à son usage personnel » des lettres ou des conférences de Mère Mectilde portant sur les différentes fêtes liturgiques, d'où le nom de Bréviaire donné en-

25. Documents historiques. p. 88.

26. Louis Cognet. Introduction à Mère Ifectilde du Saint-Sacrement. Ecrits spirituels à la comtesse de Châteaurieux. pp. IX-X.

27. Documents historiques, p. 82.

28. Mère Mectilde à M. de Rocquelay. 5 mars 1652.

29. En 1954, lors de la restauration des immeubles du 10, 12, 14 rue Cassette, on retrouva dans une cave le cercueil du comte de Châteauvieux, identifié grâce à la plaque de cuivre qu'il portait (Cf. Documents historiques, p. 76, n. 1 ; et rapports présentés à la Société historique du 6e arrondissement de Paris les 19 janvier et 9 mars 1956).



[Page]21

[en fait 22; de même par la suite car les nos figurent en bas de pages]

suite à ce manuscrit qui semble s'être grossi encore rue Cassette. Mère Mectilde en a revu elle-même la copie et a permis que celles de ses filles qui le désireraient le reproduisent à leur usage ».

C'est ainsi qu'il existe un certain nombre de copies du Bréviaire de feu Madame la comtesse de Châteauvieux.

La présente édition

La transformation de cette femme du monde en moniale nous vaut donc le manuscrit dont l'édition, que présentent aujourd'hui les moniales de Rouen, est précédée de deux introductions fort précieuses.

Dans une introduction historique, le père Michel Dupuy, sulpicien, spécialiste de la spiritualité du XVIIe siècle, situe le bréviaire adressé par Mère Mectilde à Marie de La Guesle Châteauvieux dans le contexte spirituel de l'Ecole française : cette étude précise nous aide ainsi à mieux pénétrer la richesse de ce texte nourrissant.

Le père Paul Milcent, eudiste, spécialiste de saint Jean Eudes, apporte un éclairage perspicace sur la pensée spirituelle de Mère Mectilde, dont il met en lumière la lucidité dans le discernement et la solidité dans la formation spirituelle qu'elle donne.

L'un et l'autre nous la rendent quasiment contemporaine, et comme proche de nous, susceptible de nous aider dans les exigences de discernement qui s'imposent à notre temps comme au XVIIe siècle. En faisant pénétrer dans l'intelligence du texte, ces deux introductions nous permettent de découvrir l'inspiration de Mère Mectilde. Dès qu'on a pénétré au-delà de l'écorce, la rigueur de l'expression de Mère Mectilde, la sûreté de sa direction spirituelle, la fécondité de sa fondation apparaissent même très actuelles.

Mais que représente ce manuscrit ?

Force est tout d'abord de reconnaître que ce n'est pas le texte original44. Il y a d'ailleurs là une manière de procéder qu'il faut bien, dès lors qu'elle devient systématique, avoir l'honnêteté de dénoncer. Que, dans certains cas extrêmes, le respect des personnes puisse amener à certaines destructions, voire même « doive » requérir la mise au feu (le texte d'une confes-

30. Documents historiques, p. 76.

sion effectuée, par exemple), c'est bien évident. Mais pourquoi, les originaux étant recopiés, détruire systématiquement l'original ? Chacun sait que même « revues sur l'original », les copies sont privées du jaillissement du texte primitif.

On se rappelle comment les manuscrits de sainte Thérèse de Lisieux (une autre « victime d'amour ») avaient été manipulés, dans un but d'édification sans doute, pour être livrés à l'édition. Si les documents initiaux avaient été grattés, surchargés, etc., du moins n'avaient-ils pas été détruits. Et, lorsqu'il en est ainsi, il est généralement possible aujourd'hui de pouvoir arriver à une lecture correcte et à restituer le texte original, ne serait-ce qu'en recourant à la lampe de Wood, mais — bien sûr à condition de pouvoir recourir à l'original.

Il ne s'agit pas du tout de soupçonner les copistes de quelque manipulation du texte. Mais il est tout de même permis de se demander ce qu'on a fait des manuscrits originaux de Mère Mectilde, pourquoi ils furent — semble-t-il — détruits et comment ont été faites les copies réputées officielles. Et, dans le cas présent, la question peut être posée d'autant plus librement qu'il existe une certaine présomption favorable à la qualité des copies : s'il est vrai, selon la tradition orale, que Mère Mectilde a revu elle-même la première copie, celle effectuée par Marie de La Guesle Châteauvieux, et qu'elle en a autorisé la reproduction à celles de ses filles qui le souhaitaient, c'est sans doute qu'elle n'a pas trouvé que sa pensée fût réellement déformée.

Il reste cependant que ce vade-mecum à l'usage de soeur Victime du Saint-Sacrement, dite au monde Marie de La Guesle, nous prive d'un contact direct avec le jaillissement de la pensée de Mère Mectilde. Nous ne pouvons que le regretter ; et même pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, il faut bien reconnaître que les circonstances concrètes qui ont suggéré une pensée, même de portée générale, ne sont pas de soi indifférentes pour retrouver le sens qu'y donne l'auteur et la portée de son propos. Qu'il soit permis de prendre un exemple tout proche de nous : rappeler les droits inaliénables de toute personne humaine à l'heure précise où, à quelques pas de là, la Gestapo embarquait les Juifs pour une destination inconnue, prier explicitement dans la Semaine sainte 1943 pour ceux qu'on extermine à 250 mètres du monastère, ainsi que l'a fait le monastère de Varsovie à l'heure de l'anéantissement du ghetto voisin, était-ce si insignifiant que 24 cela ? La vertu cardinale de force et la vertu théologale de charité ne sont-elles pas concrètement impliquées ?

Il y a même plus encore. Il y a une conception des écrits spirituels dont il faut bien dire qu'on ne saurait pas prendre son parti ; car, si l'on y songe, le résultat, c'est qu'on en arrive à voiler la sainteté personnelle du maître spirituel, à la réalité de laquelle on substituerait en quelque sorte sa propre vénération. Sans doute ne saurait-on oublier la réflexion si pénétrante de saint Jean de la Croix à propos des fondateurs : « Dieu, en donnant à ces chefs de famille les prémices de son Esprit, leur a confié des trésors et des grandeurs en rapport avec la succession plus ou moins grande d'enfants qui devaient embrasser leur doctrine et leur esprit »31. Et cependant ce qui fait leur sainteté personnelle à chacun et à chacune, ce ne sont pas directement les grâces ministérielles ou les charismes dont ils ont été dotés pour servir leurs frères, c'est leur correspondance personnelle à la grâce jusque dans la pratique héroïque des vertus : c'est leur réponse héroïque à leur vocation propre par le progrès spirituel de leur vie d'étape en étape jusqu'à la consommation finale ; en d'autres termes, pour reprendre l'expression de saint Paul : « Nous tous qui, le visage découvert, réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette image allant de gloire en gloire, comme de par le Seigneur qui est Esprit »32. Les questions qu'on peut légitimement se poser sont donc du genre de celles-ci : par quelles étapes purificatrices concrètes le serviteur de Dieu, la servante de Dieu, que nous vénérons, sont-ils passés ? Comment Dieu les a-t-il progressivement configurés à son Fils ?, etc. En un mot, quel fut, pour chacun et pour chacune, son « itinéraire de foi », selon l'expression que reprend inlassablement Jean Paul II à propos de la Vierge Marie, dans l'encyclique Redemptoris Mater ? D'ailleurs, si Dieu a voulu que, prenant une nature humaine, son Fils entrât dans le temps des hommes et de la création, et qu'il eût à « grandir en sagesse, en taille et en grâce devant Dieu et devant les hommes »33 et que, « tout Fils qu'il était, il eût à apprendre de ce qu'il souffrit, l'obéissance »34,

31. La Vive flamme d'amour, str. 2, 2.

32. 2 Co 3, 18.

33. Lc 2, 52.

34. Hb 5, 8.

comment des êtres humains, si exceptionnels fussent-ils, pourraient-ils faire l'économie de cette croissance spirituelle ?

Même s'ils atteignent à chaque étape de leur vie la perfection correspondante, leur perfection même ne croît-elle pas au fur et à mesure qu'ils avancent dans leur vie humaine et spirituelle ? Un exigeant discernement spirituel mettant en lumière l'héroïque progrès spirituel des maîtres spirituels et des fondateurs, tout au long du cheminement rigoureusement historique de leur vie d'hommes et de femmes parmi les hommes et les femmes de leur temps, tel est bien le meilleur ressort pour approcher la vérité de leur personnalité, telle que Dieu — se soumettant au temps des hommes — a voulu qu'elle se développât concrètement dans le temps.

Ces réflexions ayant été faites45, et qu'il fallait sans doute faire étant donné le caractère du manuscrit qui fait l'objet de la présente édition, il reste encore à évoquer cette édition.

Recopiées donc d'âge en âge, les copies du Bréviaire de Madame de Châteauvieux, comme toutes les copies des documents provenant des origines ou les concernant, se sont donc transmises dans les communautés. Et il nous faut maintenant souligner l'importance de cette transmission vivante. Car, à la Révolution, lors de la dispersion de 1792, chaque moniale est partie avec ses manuscrits sous le bras. Les textes de Mère Mectilde n'étaient pas pour elles des talismans ou des objets de musée, c'était bien la source de leur vie religieuse qu'elles devaient garder vivante en la faisant vivre de leur propre vie sur les routes ou les cachettes de leur exil, à moins que ce ne soit en prison.

Après la Révolution, les deux monastères parisiens, celui de la rue Cassette — en grande partie — et celui de Saint-Louis-au-Marais, se réunirent, après quelques péripéties, rue Tournefort, où l'on rassembla les manuscrits sauvés : quelques autographes, quelques copies des XVII' et XVIII' siècles « revues sur l'original ». Ces copies sont de la main de Mère Monique des Anges, de Beauvais (1653-1723) : membre du groupe des fondatrices du monastère de Rouen, cette religieuse devait revenir au monastère de la rue Cassette dont elle devint prieure en 1713 35.

35. « Elle resta -près de vingt ans au monastère de la rue Cassette avant d'en être élue prieure. Dans ce laps de temps, il lui fut aisé de reviser ses propres copies sur les originaux qui devaient encore exister, puisqu'elle les mentionne. C'est pourquoi les manuscrits copiés par Mère Monique des Anges de Beauvais sont estimés dans l'Institut comme méritant toute confiance » (Note de l'archiviste du monastère de Rouen). Sur Monique des Anges, cf. Fondation de Rouen; p. 43, n. 31 ; et Lettre inédites, .392.

De même a-t-on agi ailleurs. C'est ainsi que d'autres copies du XVIIe siècle sont actuellement conservées à Rouen, certaines venant de Rouen, d'autres venant de Paris ; d'autres à Bayeux, certaines d'entre elles provenant de divers monastères de Lorraine. D'autres sont conservées à Craon, des copies du XVIIe siècle provenant de Rouen ; à Caen aussi ; et, pour diverses raisons, à la Bibliothèque nationale ou aux Archives de la ville de Sens.

Ce qui revient à dire que, sauf ces dernières exceptions, explicables sinon justifiables, ces diverses copies étaient utilisées conformément à leur raison d'être : dans les divers monastères, en effet, ces copies servaient à nourrir la vie spirituelle des moniales selon l'esprit de leur fondation, tel qu'elles se le transmettaient d'âge en âge. C'était un bien de famille utilisé pour rendre gloire à Dieu des grâces de la fondation et pour la nourriture spirituelle des moniales de l'institut.

C'est dans cet esprit que le monastère d'Arras, première fondation nouvelle de l'institut en France après la Révolution, a reçu en 1823 un certain nombre de manuscrits provenant principalement de la rue Cassette. Et comment s'est fait cette transmission ? Parce que Mère Catherine de Jésus Heu, qui provenait du monastère de la rue Cassette où elle avait fait profession en 1775, et qui en avait conservé quelque héritage, estimait avoir une responsabilité vis-à-vis de la mémoire de la fondation, et donc de l'esprit de l'institut. Elle apporta donc « à Arras des meubles qui avaient servi à la vénérable fondatrice de l'Adoration perpétuelle, son portrait authentique, et plusieurs de ses ouvrages les plus importants, restés manuscrits. Elle était elle-même une richesse précieuse pour la maison qu'elle adoptait. Elle avait connu des religieuses qui avaient vécu avec la vénérable Mère Mectilde du Saint-Sacrement ; elle connaissait donc parfaitement et l'histoire et les usages primitifs de l'Institut. La Mère Saint-François de Sales [Bernierre, professe du monastère de Rouen en 1808 et fondatrice du monastère d'Arras en 1815] trouva dans ses souvenirs, aussi bien que dans les meubles et dans les écrits qu'elle s'empressa de lui confier, des secours précieux pour établir dans son monastère une régularité qui s'étendît aux moindres détails, et pour répondre aux mille questions qui lui arrivaient de toutes les maisons du Saint-Sacrement et leur fournir à toutes les éléments dont elles avaient besoin pour se régulariser elles-mêmes »36. Il y eut véritablement là une tradition vivante, une transmission palpitante de fidélité. Et ce monastère d'Arras eut même une fécondité assez exceptionnelle tout au long du XIXe siècle, non seulement par le nombre de ses vocations, mais aussi par ses filiales : une fondation à Saint-Omer (en 1841) laquelle essaime à son tour en Allemagne, puis une fondation à Dumfries en Ecosse (en 1884) et une à Milan (en 1892).

Le 24 novembre 1904, en vertu de la loi de Séparation, les religieuses sont expulsées de France ; celles d'Arras partent chercher refuge dans leurs fondations à l'étranger ; sept vont à Milan et cinquante-cinq à Dumfries, qui ne comptait alors que vingt-cinq moniales. Et c'est ainsi que les précieux manuscrits de la maison mère de la rue Cassette sont exilés à Dumfries avec la majeure partie de la communauté d'Arras.

Mais lorsqu'en 1919, les soeurs françaises, libres de regagner leur patrie, reviennent à Tourcoing, elles laissent à Dumfries, dans la communauté des soeurs écossaises, les religieuses françaises les plus âgées avec un certain nombre de manuscrits des origines. Or, parmi ces manuscrits, il y avait la copie faite au XVIIe siècle au monastère de la rue Cassette, qui porte l'inscription « Bréviaire de feu madame la comtesse de Chasteauvieux, original de notre Mère institutrice, qui donne à cette dame beaucoup d'instructions selon son attrait et ses dispositions, transcrites sur l'original ». Tel est donc le manuscrit édité aujourd'hui.

Pourquoi donc, en définitive, ce manuscrit si important par son ancienneté est-il à Dumfries ? Héritage de la rue Cassette transmis à Arras par Mère Catherine de Jésus Heu, il était assez naturel que, plutôt que de le laisser séquestrer, les religieuses chassées de France prissent avec elles, pour continuer d'en nourrir leur vie spirituelle, les manuscrits des origines. C'était d'autant plus naturel que c'était à la communauté d'Arras qu'incombait de conserver vivante la mémoire de l'Institut.

36. Vie de Mère de Saint-François de Sales Bernierre, professe de Rouen en 1808 et fondatrice du monastère d'Arras en 1815, pp. 781-782 (manuscrit conservé au monastère de Tourcoing) [actuellement à Rouen].

28 Lorsque les Françaises ont pu revenir sur le sol de la patrie, à qui incombait-il de conserver vivante la mémoire de la communauté ? Tourcoing, communauté qui ressuscitait celle d'Arras après quinze années d'exil, ou bien Dumfries, fille d'Arras ? Est-ce la délicatesse à l'égard des soeurs françaises les plus âgées restées sur le sol étranger qui fit laisser à Dumfries quelques-uns des anciens manuscrits qui avaient nourri leur jeunesse monastique ? Pour respectables qu'elles soient, ces raisons sentimentales ne sont pas toujours les meilleures conseillères...

Mais, étant donné qu'en octobre 1957, les prieures de l'Institut, réunies à Milan, ont décidé d'éditer les écrits de Mère Mectilde46, c'est au service de cette édition destinée à conserver vivante la mémoire de l'Institut que désormais tous les manuscrits doivent être mis. Une telle édition ne saurait être l'édition desséchée du témoignage mort d'un passé révolu ; il faut même préciser que l'édition ne saurait être vivante que dans la mesure où elle est nourrie de fidélité vivante.

Bien évidemment, si un monastère quittait la fédération, du même coup il renoncerait inévitablement à cette fidélité vivante et se disqualifierait lui-même pour le service de cette mémoire vivante de l'Institut, puisqu'il y aurait renoncé.

A l'occasion de cette édition du Bréviaire de madame de Châteauvieux, il faut donc se réjouir de la détermination de l'Institut des bénédictines du Saint-Sacrement. Il faut les remercier de permettre à un plus grand nombre de pouvoir bénéficier de ces textes substantiels. Par leur détermination à entreprendre une édition des textes de Mère Mectilde, ces moniales témoignent de leur volonté de « servata tradere vivo », selon la devise des Archives de l'Eglise de France. Il faut donc féliciter les bénédictines du Saint-Sacrement de leur entreprise.

Qu'il soit permis de prolonger ces pages par une réflexion encore.

Peut-être le travail décidé en 1957 ne s'achèvera-t-il que lorsque, par-delà les manuscrits dont elles ont entrepris courageusement la publication, les bénédictines du Saint-Sacrement auront pleinement retrouvé et fait découvrir, toute palpitante, la vie de Mère Mectilde et sa croissance spirituelle à travers les circonstances concrètes qui l'ont jalonnée ; car c'est ainsi que Dieu a voulu, d'étape en étape, faire progresser et s'épanouir leur fondatrice sur nos chemins d'hommes. 28 [29 !]

Que si, au-delà des documents et des témoignages, on essaye de scruter la vie même de Mère Mectilde, il semble déjà possible de pressentir son itinéraire spirituel, les épreuves à travers lesquelles elle a dû passer. Que l'on songe par exemple à ces mois de juillet à novembre 1651 ; car c'est bien à travers des épreuves de santé, qui l'ont menée jusqu'à la dernière extrémité, qu'elle a acquis cette disponibilité totale à Dieu, qui fut la condition de la fondation de l'Institut. Que l'on songe encore que c'est aussi à travers une épreuve de santé particulièrement dure dont elle fit une retraite de six semaines, du 21 novembre 1661 au 6 janvier 1662, qu'elle mûrit ses pensées sur l'Institut, épreuve d'où sont sortis les dix-neuf chapitres de l'ouvrage Le Véritable esprit des religieuses adoratrices perpétuelles du Saint-Sacrement.

Un tel itinéraire spirituel, un tel itinéraire de foi, n'illumine-t-il pas, de l'intérieur, la fondation de l'institut ? Et cette considération n'inciterait-elle pas au moins à étudier l'éventualité d'un procès de béatification ? La renommée de sainteté de Mère Mectilde est patente et paisible. N'y aurait-il pas lieu d'aller plus loin ?

Ne resterait-il pas à rendre encore davantage grâce à Dieu pour cette vie de Mère Mectilde qu'il a suscitée parmi nous ?... car, tout au long de sa vie, d'étape en étape, elle a appris à se laisser conduire par Dieu pour accomplir sa volonté dans son Eglise

Ne serait-ce pas aussi renouveler dans leur vocation toutes les moniales qui se nourrissent de l'esprit de Mère Mec-tilde ?... car, par l'adoration réparatrice, l'Institut aide l'Eglise à prendre mieux conscience de son identité propre et à se renouveler dans son mystère sacramentel !

Ne serait-ce pas. bien au-delà de l'Institut et bien au-delà même de l'Eglise. rendre un service au monde d'aujourd'hui comme à celui d'hier ?... car aujourd'hui comme hier. il importe de dénoncer et réfuter « la gnose au nom menteur », pour reprendre l'expression de saint Paul 37 qui a inspiré saint Irénée 38. Qui pourrait dire qu'il n'est pas important d'exorciser ce

37. 1 Tm 6. 20

38. C'est le titre du traité que nous appelons couramment l'Adversus haereses.

terrorisme intellectuel, ce conformisme dégradant qui, célébrant de nouveaux savoirs, de nouveaux pouvoirs, de nouveaux mythes, de nouvelles convoitises, invente à chaque âge des « cérémonies païennes de prêtres et de prêtresses autour d'un autel, en posture d'adoration, le flambeau à la main » ?

Le voeu qu'accomplissait la reine Anne d'Autriche, à genoux, la corde au cou, le cierge à la main, en établissant ainsi 11 rue Férou à Paris, le 12 mars 1654, les bénédictines du Saint-Sacrement, aurait-il vraiment perdu de sa brûlante actualité ?

Mgr Charles MOLETTE Président des Archivistes de l'Eglise de France

LE BREVIAIRE ADRESSE A MADAME DE CHATEAUVIEUX

Introduction de Michel Dupuy

I. MARIE DE CHATEAUVIEUX

Le lecteur connaît déjà Mère Mectilde. Il faut lui présenter madame de Chateauvieux, pour autant que nos sources permettent de la connaître.

En 1651 la guerre civile sévit dans la région parisienne. Les religieuses lorraines de Mère Mectilde ont fui une fois de plus et se sont réfugiées aux portes de Paris, au faubourg Saint-Germain. Elles n'ont trouvé qu'un logement de fortune, rue du Bac, où elles ont demeuré deux mois sans pain et sans couvertures, vivant seulement de pois. Mère Mectilde est malade. Mais Jean-Jacques Olier, encore curé de Saint-Sulpice, a suscité dans le quartier un véritable élan de charité. Une de ses parentes y visite les pauvres. Le dernier dimanche d'août, elle entraîne avec elle quelques amies, dont une certaine Marie de La Guesle, comtesse de Chateauvieux. Elles s'arrêtent chez les « petites religieuses de Lorraine », un instant seulement, car elles ont d'autres visites à leur programme.

Le 14 septembre, Marie de Guesle, « extrêmement curieuse de discours spirituels » y revient accompagnée d'une amie, engage la conversation avec la prieure, pose des questions sur la vie parfaite, déclare sa difficulté à méditer et à 31 mettre en pratique ce qu'elle a lu à ce sujet dans les livres spirituels. Mère Mectilde garda d'abord le silence, puis « dit quelques paroles qui furent si substantielles et si pleine d'onction » que sa visiteuse en fut « pleinement satisfaite » et avoua :

[MAN. 365] « Vous avez trouvé en peu de mots ce que mon âme cherche depuis si longtemps ». Dès lors, elle va multiplier les visites.

D'où vient-elle ? Nous connaissons les noms de ses ancêtres. Elle est fille de Jean de La Guesle et de Marie Béraux, nièce de François de La Guesle, archevêque de Tours mort en 1614, petite fille de Jean de La Guesle, président à mortier au Parlement de Paris, arrière-petite fille de François de La Guesle, gouverneur du comté d'Auvergne... Nous possédons son arbre généalogique, mais nous ignorons la date de sa naissance. Elle avait épousé en 1625 René de Vienne, comte de Chateauvieux et de Confolant, héritier d'une des plus illustres familles de Bourgogne et de Franche-Comté. Ils avaient eu une fille, mariée depuis peu (1649) et un fils, Henri, mort en bas âge. Ils habitaient l'hôtel de la Guesle, qu'on appela l'hôtel de Châteauvieux ; il était situé dans le quartier Saint-Germain à côté de l'église Saint-André-des-Arts. René de Châteauvieux était aussi un chrétien convaincu et généreux. Une de ses cousines, sous le coup d'un deuil douloureux, se retira quelque temps chez les « petites religieuses », une fois qu'elles furent installées de manière moins précaire, et fournit ainsi à la comtesse une occasion de plus de s'y rendre.

Les Mémoires rapportent que Mère Mectilde et Marie de Chateauvieux étaient de caractère fort différent. Autant la première était maîtresse d'elle-même, autant la seconde était impétueuse, active, sensible et plus portée à aider les hôpitaux que des contemplatives. Ce n'est donc pas l'âme soeur qu'elle trouvait en la prieure, mais au contraire une femme supérieure qui n'hésitait pas à la contredire. On aimerait savoir davantage comment la comtesse fut séduite et progressivement transformée. Malheureusement nous n'avons conservé d'elle aucune lettre.

Quelques traits cependant n'ont pas été oubliés. Ainsi lors d'une visite, la comtesse avait avancé une pensée que Mère Mectilde n'approuvait pas. Elle le lui dit avec une énergique franchise : « Je veux que vous sachiez que, toute comtesse que vous êtes et quelque pouvoir que vous ayez de m'assister en la grande nécessité où je me trouve réduite avec mes soeurs, si vous passez outre, je ne ferai pas plus d'état de vous que de 32 cela » ; elle lui montrait un fêtu sous ses pieds ; « Je ne considère votre personne qu'autant que je sais que Dieu veut se ser- [MAN. 268]vir de vous pour faire quelque chose de grand pour votre sanctification ». Cette fermeté audacieuse, loin de froisser Madame de Chateauvieux, la conquit.

Celle-ci avait confié sa conscience au curé de SaintAndré-des-Arts et se faisait scrupule d'avoir avec Mère Mectilde une intimité croissante qui devenait une direction spirituelle. Pourtant le prêtre lui disait n'y voir aucun inconvénient.

La Providence voulut que la comtesse le rencontrât un jour en visite à Mère Mectilde. Il saisit l'occasion de confier ouvertement à celle-ci sa dirigée, allant jusqu'à dire : « Je vous la [MAN. 371] donne ». Elle en fut rassurée.

Si les Mémoires sont discrets sur la vie spirituelle de la comtesse, ils montrent bien à quel point elle prit à coeur la cause des bénédictines du Saint-Sacrement.

Elle s'employa à les aider de ses ressources et à leur trouver des bienfaiteurs et bienfaitrices, de manière à leur permettre de se loger plus convenablement et d'obtenir d'abord de l'abbé de Saint-Germain-des-Prés qui avait juridiction sur le faubourg, la permission de s'y établir, et ensuite du garde des sceaux les lettres patentes royales autorisant la fondation.

Ce n'était pas une mince affaire. Trop de bienfaiteurs assortissaient leurs legs de clauses inacceptables sur lesquelles il fallait laborieusement négocier. Elle devait aussi gagner les familles, souvent moins généreuses et peu enclines à voir l'héritage qu'elles escomptaient entamé par un legs aux religieuses. De plus, dans la société du temps, la femme n'avait pas pleine capacité civile. L'accord du mari était requis et se faisait parfois attendre.

Une somme suffisante étant réunie, c'est à l'opposition de l'abbé de Saint-Germain-des-Prés et de son vicaire qu'on se heurta. Il apparut qu'on ne la désarmerait pas et qu'ils ne cèderaient qu'à la Reine elle-même, dont il fallait donc gagner la faveur. Heureusement elle s'y prêta et apporta son concours avec beaucoup de foi.

Les lettres patentes n'étaient pas obtenues pour autant du garde des sceaux. Les couvents étaient déjà nombreux, trop nombreux pour les ressources disponibles, estimait-il. Il fallut encore convaincre et faire intervenir les personnalités avec lesquelles les Chateauvieux avaient des relations. 33

Que de démarches furent encore nécessaires pour trouver une demeure d'abord — la maison de Madame de Rochefort, rue Férou, en servit quelque temps —, puis un terrain où bâtir un monastère : celui de la rue Cassette, près de l'église Saint-Sulpice fit l'affaire. Madame de Chateauvieux poursuivit inlassablement ces interminables tractations : il fallut près de trois ans avant que la communauté pût seulement s'établir rue Férou et encore quatre pour qu'elle vînt rue Cassette.

Madame de Chateauvieux voulut donner mieux encore que ses ressources, son temps et sa peine, elle voulut se donner elle-même et prendre l'habit de l'ordre, comme fondatrice, ce qui ne signifiait cependant pas qu'elle quittât son mari. Celui-ci donna son assentiment. Mais Mère Mectilde voulut éprouver plus longuement une femme aussi vive que généreuse, et ce ne fut qu'en 1662 qu'eut lieu cette prise d'habit, vêture symbolique apparemment puisque la fondatrice devait laisser le vêtement religieux pour retourner habiter en son hôtel. Elle s'engageait ainsi toutefois à ne pas se remarier si son époux décédait avant elle et elle serait à nouveau revêtue de l'habit sur son lit de mort.

Mais la Providence donna à ce premier engagement plus de réalité qu'on n'y pensait : trois mois après, le 6 novembre 1662, René de Chateauvieux était rappelé à Dieu.

Le couple était très uni et la comtesse fut bouleversée. Néanmoins elle était libre. Dès le lendemain elle entra au monastère où son époux fut enterré. Trois jours après, elle prononça ses voeux « de victime et d'obéissance à notre Révérende [MEM. 205] Mère, auxquels elle ajouta celui de chasteté perpétuelle ». Elle prit le nom de soeur Victime du Saint-Sacrement.

Qu'une prieure aussi avisée que Mère Mectilde se soit prêtée à un tel engagement peut surprendre et montre la confiance qu'elle mettait en la comtesse. Car les fondatrices gardaient des droits et, en voulant indiscrètement imposer leurs vues alors qu'elles n'avaient aucune expérience de la vie religieuse, constituaient trop souvent pour les prieures ou supérieures une source de difficultés. La patience de François de Sales fut plus d'une fois mise à rude épreuve par quelques fondatrices des Visitations. Mère Mectilde le savait ; elle avait fait l'expérience des prétentions de bienfaitrices envers lesquelles la reconnaissance oblige à des ménagements. Cependant elle accepta l'entrée de Madame de Chateauvieux au monastère. Elle lui confia la tenue du registre des contrats. Nous y constatons que soeur Victime en 1663 changea les avances considérables qu'avec son mari elle avait consenties en donations pures et simples. Ce geste, observent les Mémoires, est l'équivalent du voeu de pauvreté qu'elle n'avait pas prononcé en novembre 1662.

Soeur Victime du Saint-Sacrement se plia à la règle commune. Les questions qu'elle posa à Mère Mectilde — conservées à la fin du Bréviaire — montrent qu'elle assimilait parfaitement ses enseignements.

Elle eut le 7 juillet 1669 la douleur de perdre sa fille, son dernier enfant, qui lui laissait néanmoins des petits-enfants.

Elle-même désirait mourir, « pour éviter l'infidélité que je contracte actuellement », disait-elle. Elle envisageait comme une grâce de « mourir subitement sans être malade » ; ainsi « je ne serais point occupée de moi-même, de mes maux, ni des créatures ». Tous les quinze jours elle se confessait et tous les jours elle communiait. Elle avait fait récemment une « revue » au père Guilloré. Un mercredi, comme d'habitude, elle se confessa. Le lendemain, comme d'habitude encore, elle eut un entretien avec la prieure, sur les paroles du Christ : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur », au terme duquel elle se trouva mal, eut à peine le temps de répéter « Jésus, Marie » et rejoignit le Seigneur. C'était en 1674.

A quel moment Mère Mectilde adressa-t-elle à Madame de Chateauvieux les textes constituant ce Bréviaire ?

Glanons d'abord quelques indications chronologiques.

La pièce 353 suppose Monsieur de Chateauvieux encore [ms. add.marg.] P. 134. vivant. Mais elle est la seule à faire allusion à la famille de la correspondante. La lettre 3146 se rapporte au voeu de victime P. 153. que Madame de Chateauvieux prêta aussitôt après la mort de son mari. Les textes sur la servitude sont-ils à mettre en relation avec le voeu d'obéissance auquel les Mémoires assignent la même date ? C'est fort douteux, car l'obéissance à Mère Mectilde et la servitude à Jésus ne sauraient être assimilées.

Nous ne trouvons pas trace d'autres faits datés. Mère Mectilde ne demandait-elle donc jamais de nouvelles, ne faisait-elle jamais allusion à l'actualité ou aux événements de famille, comme elle le fait dans les lettres qui n'appartiennent pas à ce recueil ? C'est difficile à penser si elle s'adresse à une femme vivant encore dans le monde, et cela demeure curieux même après l'entrée au monastère. Mère Mectilde lui aurait-35elle imposé de tourner la page sans plus jamais penser aux P. 251. siens ? Certes le morceau 1815 l'invite à un grand détachement. Mais on ne conçoit pas que Mère Mectilde ait parlé en ces termes à une femme qui venait de perdre son mari. Il est infiniment probable que ces textes ont été dès l'origine, comme c'est le cas pour la plupart des correspondances de l'époque, expurgés de tout ce qui aurait permis de les situer ou de reconnaître la destinataire, de façon qu'ils puissent convenir à tout lecteur et à toute lectrice. Pour cela on les a rendus aussi impersonnels que possible. On a supprimé les indications de dates et de lieux, et vraisemblablement aussi bien des traits qui auraient pu trahir la destinataire. Le style souvent décousu se prêtait à de tels coups de ciseaux. Seule la découverte d'autographes pourrait satisfaire notre curiosité. Elle n'est plus à envisager. Entrée au monastère, Marie de La Guesle est morte au monde. Elle a réussi à s'effacer. Respectons son secret.

Il reste à relever dans le contenu des textes quelques indices permettant de les situer de manière hypothétique.

D'abord on comprend mieux que Mère Mectilde recoure à la plume si la comtesse ne réside pas encore au monastère.

De plus les engagements auxquels le Bréviaire se réfère sont (sauf dans la pièce 3146 citée plus haut) ceux non de voeux particuliers., mais du baptême. Ne serait-ce pas qu'il s'adresse à une femme n'ayant effectivement pas encore prononcé de voeux ?

Il est vrai que Mère Mectilde propose à sa correspondante l'oraison de simple regard qui n'est ordinairement pas la forme de prière convenant le mieux à une débutante. Mais François de Sales avait déjà conduit sur les voies de l'oraison des femmes engagées dans le mariage et la vie du monde, Madame Brulart, la Philothée de l'Introduction à la vie dévote. Rappelons qu’à l'époque les parents marient fort jeunes et sans leur demander leur avis des filles qui pouvaient être aptes à la vie religieuse, comme ils en envoient au couvent d'autres qui n'y semblent nullement prédisposées. Cela explique que les cas de piété extrême en dehors de la vie religieuse ou de vie religieuse sans piété fussent plus communs qu'aujourd'hui. En 1664, Malaval invite à l'oraison de simple regard débutants et fidèles sans instruction, comme à un moyen court qui leur est approprié (Pratique facile pour élever l'âme à la contemplation en forme de dialogue, Paris. 1664). Le danger est évidemment que 36 ceux-ci confondent rêverie ou oisiveté spirituelle et oraison. Mais ce risque est moindre avec la comtesse : sa vivacité et son tempérament actif l'immunisent contre une telle torpeur. Mère Mectilde a compris qu'elle s'adresse à une femme exceptionnelle. Il n'y a rien d'impossible à ce que le Bréviaire soit pour la plus grande part antérieur à l'entrée de Madame de Chateauvieux au monastère.

Essayons d'en lire le message à la lumière de la théologie de l'époque.

II. LE « BREVIAIRE » ET LA THEOLOGIE DU TEMPS

Dieu

Le Père

Dès l'abord le lecteur de Mère Mectilde est frappé par son [add.marg. P. 123]. insistance sur l'adoration et y reconnaît un accent bérullien. Cet accent est-il plus bérullien que bénédictin ? Bérulle sur ce point n'a fait qu'exprimer ce que vit tout chrétien, tout croyant qui pense à Dieu. Car on peut le vivre sans savoir en parler. Comment dire la grandeur de Dieu, l'infinité de Dieu, l'absolu de Dieu ? Comme tous ceux que saisit le sens de Dieu, Mère Mectilde manque de mots. Elle reprend l'expression balbu [P. 127, 137-142] tiante, mais franche, d'Isabelle Bellinzaga, diffusée ensuite par Bérulle : « avoir une haute estime de Dieu » ; ou « faire cas de Dieu ».

Son insistance sur Dieu avant même de parler du Christ ressortit à ce qu'on appelle souvent « mystique abstraite ». « Abstraite », par opposition à cette représentation concrète qu'autorise la contemplation du Christ. Mère Mectilde a sans doute connu des maîtres de la mystique abstraite, notamment Benoît de Canfield dont l'influence était profonde à Montmartre.

De plus, la forme d'intelligence de la prieure lui permet d'accéder au langage métaphysique. Il ne lui fait pas peur. Or la métaphysique est chez certains spirituels la forme extrême de l'abstraction et leur fournit au sujet de Dieu des concepts et des moyens d'expression. Avec eux, Mère Mectilde souligne que Dieu est « de soi » — nous dirions « par soi » —. C'est le premier attribut divin qu'elle mentionne. 37

Cependant ces moyens d'expression ont encore une limite. Que dire de Dieu même par abstraction ? N'est-il pas plus prudent de se taire ? Ou plutôt, comme il est impossible d'arrêter tout à fait la succession des pensées et le déroulement du langage intérieur, on peut du moins en contester l'aptitude à dire quelque chose de Dieu, rappeler sans cesse que rien de ce qu'il évoque n'est encore Dieu. Ainsi la théologie apophatique, c'est-à-dire procédant par négations, est souvent l'aboutissement d'une mystique abstraite : tout ce qu'on peut concevoir de Dieu ou dire de lui est tellement au dessous de la réalité qu'à son sujet il vaut mieux nier qu'affirmer : rien de ce qui vient à l'esprit, rien de ce qu'il se représente n'est Dieu. Dieu demeure « incompréhensible », comme Mère Mectilde le rappelle souvent.

Le Fils

Cette sensibilité à la mystique abstraite l'apparenterait P. 89 elle à François de Sales dont le Traité de l'amour de Dieu parle P. 201; si peu du Christ ? Pas précisément. Car elle parle aussi beau-P. 142. coup de Jésus. Elle désire « adhérer à Jésus-Christ » — encore une expression bérullienne « se rassasier de Jésus-Christ, ne plus voir que Jésus-Christ et ne plus aimer que lui » et y invite sa correspondante : « Si vous me demandez de quelle vie vous devez vivre désormais, je vous réponds que ce n'est pas de la vie des bonnes âmes, ni des anges, ni même de la vie des saints, mais de la vie pure et sainte de Jésus... Que toutes vos opérations soient donc les opérations de Jésus en vous... que vos pen- P. 200. sées soient des pensées de Jésus, vos paroles, des paroles de Jésus, vos oeuvres, des oeuvres de Jésus ».

Cependant, Mère Mectilde ne peut reconnaître le Christ comme Dieu sans donner au mot Dieu un sens qui offre en lui-même quelque prise. Elle adore d'autant mieux le Christ comme Dieu qu'elle peut dresser une liste des attributs divins qu'elle lui reconnaît. Car sa pensée est d'une rigueur vigoureuse. Elle n'est pas de ces disciples à qui il suffit de voir en Jésus un surhomme, sans chercher ce que signifie l'affirmation de sa divinité.

C'est qu'elle demeure fascinée par le mystère trinitaire. Elle ne pense pas à Jésus sans penser en même temps à sa relation au Père et à l'Esprit, relation qui retient toute son attention, tandis que le détail des actions de Jésus passe à l'arrière-pl an .

Ainsi s'explique que Mère Mectilde tantôt paraît polarisée par Jésus et toute adoration envers lui, et tantôt ne parle plus que de Dieu, comme si elle ne pensait plus à Jésus. En réalité, Jésus alors n'en est pas moins présent. Ce n'est que par Jésus qu'elle s'adresse à Dieu son Père, ce n'est qu'en Jésus qu'elle en parle. L'apôtre Paul n'entre pas non plus dans le détail des actions ou des paroles de Jésus. Il mentionne seulement la Cène ou la croix et la Résurrection. Mais il est constamment uni à Jésus au point de confier aux Galates : « Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20). On pourrait schématiser en disant qu'il ne regarde pas le Christ en face de lui, le sachant en lui. Le quatrième évangile déploie bien davantage les faits, gestes et paroles de Jésus, le faisant voir, afin qu'en lui on voie le Père. La manière de Mère Mectilde s'apparente plus à celle de Paul qu'à celle de Jean. Cela tient pour une part à ce qu'elle écrit comme le premier des lettres, sans chercher à faire un exposé suivi.

Cette vie en Jésus explique aussi le peu de place dans ces lettres d'un thème pourtant fréquent au XVIIe siècle (comme à bien d'autres époques) dans la littérature spirituelle, notamment féminine, Jésus comme « divin époux de l'âme ». Est-ce seulement parce qu'elle écrit à une femme mariée qu'elle est peu portée à ce langage ? Je ne le crois pas. C'est bien plutôt à P. 134. cause de l'orientation de sa pensée religieuse. Si on distingue deux types fondamentaux, les mystiques de l'unité et les mystiques nuptiales47, Mère Mectilde s'apparente incontestablement au premier.

Cette fascination du mystère de Dieu Trinité apparaît dans la manière d'envisager le mystère de l'Incarnation. Elle l'aborde par la voie qu'on appelle aujourd'hui descendante : sa pensée ne s'élève pas de l'homme qu'est Jésus jusqu'à Dieu, mais, comme le Prologue du quatrième évangile, considère d'abord le Verbe auprès du Père, puis admire et contemple son abaissement dans la nature humaine. Bien des maîtres du XVIIe siècle procèdent d'ailleurs ainsi et méditent l'humiliation, « l'anéantissement » disent même certains, de celui « qui n'a pas retenu comme une proie d'être l'égal de Dieu, mais s'est dépouillé, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes, et reconnu à son aspect comme un homme, il s'est abaissé devenant obéissant jusqu'à la mort, à la mort sur une croix »(Ph 2, 6-7). 39

Plus que nous, le XVIIe siècle voit dans l'enfance de Jésus un abaissement surprenant. Car l'enfance n'y est pas considérée comme l'âge d'or, mais plutôt comme l'âge des naïvetés, des ignorances, des inconséquences et des égarements. L'enfant doit être surveillé et maintenu dans une étroite dépendance. Et le Verbe de Dieu, bien qu'il possède toute science et toute sagesse, a accepté d'être traité en enfant.

Il s'est abaissé plus encore, jusqu'à la mort et la mort sur une croix. Comme Condren, Mère Mectilde unit étroitement mort, résurrection et ascension du Christ. Jésus est ressuscité, moins pour se retrouver sur terre parmi ses disciples, que pour inaugurer une vie nouvelle. « Il nous faut aussi commencer une nouvelle vie, une vie qui ne soit plus de la terre, une vie qui soit toute séparée des sens, toute purifiée et élevée à Dieu », « divine » même, comme aimait aussi dire Jean-Jacques Olier ; mais laissons parler la prieure : « Saint Paul dit : " Si nous sommes ressuscités, cherchons les choses d'en haut ". Une âme ressuscitée ne saurait plus prendre plaisir aux choses de la P. 295. terre. Les créatures lui sont croix et tout ce que le monde a de plus délicieux lui est un enfer ».

L'Esprit-Saint

Avant de mourir, les parents laissent leurs biens en héritage à ceux qui seront orphelins. A ses disciples, le Christ promet qu'il ne les laissera pas orphelins : il restera avec eux par le don de l'Esprit. Ce don signifie que l'union à Dieu n'est pas un idéal chimérique, ni la divinisation un simple rêve prométhéen. Le croyant n'est pas seulement orné de grâces, c'est-à-dire de dons de Dieu ; il peut être uni immédiatement à Dieu. Le don de Dieu n'est rien de moins que Dieu. Que le pluriel « les grâces de Dieu » ne fasse pas oublier le Don de Dieu par excellence, l'Esprit qui lui-même est Dieu, l'Esprit qui habite en nos coeurs par la foi. Le XVII' siècle est en France la grande époque de la théologie de l'Esprit. C'est le mérite de Petau d'avoir insisté sur l'habitation de Dieu dans l'âme des justes, d'avoir étudié pourquoi, après saint Paul, les Pères de l'Eglise attribuent cette habitation à l'Esprit-Saint et d'avoir souligné que l'Esprit-Saint est présent à l'âme des justes, non seulement par ses dons, mais en Personne. Pour conserver néanmoins le mot de « grâce », les théologiens parlent à son sujet de « grâce incréée ».

Mère Mectilde fait écho à cette théologie en mentionnant très souvent l'Esprit-Saint, et en écrivant de manière un peu abrupte, mais profonde : « Si la grâce est le Saint-Esprit... » P. 101.

Les dernières décennies du XVII' siècle connaissent une méfiance spécialement vive à l'égard des .« illuminés », ces gens qui, sous prétexte d'obéir à l'Esprit-Saint, s'écartent des chemins battus et de la conformité aux traditions. Mère Mectilde a une position plus nuancée. Elle sait bien qu'on peut confondre le mouvement de la nature qui vous tourne vers les créatures et votre intérêt, et le mouvement de la grâce qui fait chercher « la pure gloire de Dieu » : « Il faut se défier beaucoup de soi-même en ce discernement ». Cependant celui-ci n'est pas impossible, à condition qu'on soit « en silence et dans le calme des passions ». Car « l'Esprit de Dieu est pacifique, et c'est la marque de son Esprit quand il nous fait agir en paix ». Cette notation bien bénédictine est souvent sous-jacente. Sans se laisser intimider par les critiques auxquelles les « illuminés » sont en butte, la prieure conseille : « Agissez autant qu'il vous sera possible par l'Esprit de Dieu ». Elle presse : « Donnez-vous à la puissance de son Esprit ».

Attitudes

« Pure foi »

Mère Mectilde invite fréquemment Madame de Châteauvieux à la « pure foi ». Elle trouve sa correspondante trop raisonneuse. Faute de documents sur celle-ci et de textes où elle développe sa pensée, il nous est impossible de mesurer à quel point ce reproche est justifié. En tout cas on risque de mal le comprendre si on se réfère au contexte actuel et au dialogue moderne entre foi et incroyance. Pour beaucoup de nos contemporains, la « foi » implique l'insuffisance de preuves ou au moins leur limite. La « foi » consiste à faire le pas que les arguments ne parviennent pas à nécessiter. Ceux qui s'abstiennent de faire ce pas demeurent incroyants ; ceux qui le font s'engagent malgré l'inévidence. Tel n'est pas du tout l'horizon de Mère Mectilde. Elle ne prêche pas le fidéisme48 ; elle n'oppose pas foi et rationalisme. Comme Condren, comme Olier, comme Jean de Bernières, elle oppose « pure foi » et méditation.

La méditation est un exercice qui mobilise les facultés intellectuelles. Des raisonnements mettent en relief, par des rapprochements bien trouvés, divers aspects des vérités révé-41lées, et l'imagination colore de quelque façon et rend plus concret le sujet qu'on a choisi de méditer, qu'il s'agisse d'une scène d'évangile ou d'une réalité invisible. Et Mère Mectilde veut faire passer Madame de Chateauvieux de cette méditation à une oraison « de simple regard ».

Elle semble emprunter cette expression à Jeanne de Chantal qu'elle connaissait vraisemblablement à travers l'oeuvre de Henri de Maupas (La Vie de la vénérable Mère Jeanne Françoise Fremiot, Paris, 1644 ; notamment p. 297). Peut-être le tempérament de la comtesse s'est-il, du moins au début, mal prêté à cette manière d'oraison.

Le « simple regard » signifie, non pas que l'on conteste la valeur des raisonnements, mais que pour le moment on procède autrement. Le raisonnement a pu être utile, de même que découvrir, recenser, évoquer des qualités peut conduire à admirer. Mais admirer est beaucoup plus qu'énumérer des qualités. C'est à la fois davantage et plus simple. Or l'oraison de simple regard consiste à admirer Dieu. C'est du moins ainsi qu'Epiphane Louis la présente quand il explique ou rappelle aux bénédictines du Saint-Sacrement ce qu'est l'oraison de pure foi (Conférences mystiques, Paris, 1676 ; conf. 2). Tandis qu'il n'insiste que sur l'admiration, Mère Mectilde détaille un peu plus ; elle ajoute à l'admiration le respect, l'amour, l'attention et la soumission qui font aussi partie de l'attitude devant Dieu.

Elle emploie comme plusieurs de ses contemporains et comme Jeanne de Chantal l'expression « simple regard », mais moins fréquemment que celle de « pure foi ». C'est sans doute que le mot « regard » évoque encore une activité des yeux ou du moins des yeux intérieurs de l'imagination qui prête à équivoque. Il ne s'agit pas de regarder, mais de penser à celui qu'on ne voit pas avec une très grande humilité d'esprit. Dieu dépasse tout ce qu'on peut en penser. La foi seule dépasse aussi tout ce qu'on peut en penser pour aller à sa rencontre.

Il vous arrive de penser à tel ou tel, et intérieurement de lui raconter toutes sortes de choses que vous aimeriez lui dire. Le rencontrez-vous, que ce bavardage imaginaire cesse totalement devant celui qui est autre que tout ce que vous vous figuriez. De même la comtesse de Chateauvieux est invitée à passer du discours intérieur à la présence de Dieu. Ce n'est pas qu'elle doive s'imaginer cette présence, localiser Dieu de quelque façon. « Présence » signifie surtout qu'on ne pense plus rien de particulier de Dieu ; une seule pensée s'impose à l'esprit : Dieu est là. 42

Epiphane Louis pousse si loin cette interruption des raisonnements qu'il déclare : « Je ne veux même pas que vous vous figuriez avec Dieu les Personnes du Père, du Fils et du Saint-Esprit, ni que vous le considériez comme un Juge en son tribunal, ni comme un Roi en son trône, parce que dans cette contemplation votre objet est un être infini et incompréhensible ; et si vous avez cette idée, il ne faut faire aucun discernement des notions ou des Personnes divines, ni mettre aucune distinction entre les attributs et les qualités suréminentes que nous avons accoutumé de lui attribuer »(I0c. cit. p. 14).

Ainsi s'explique ce qui a pu surprendre : que Mère Mectilde parle si souvent de Dieu sans mentionner les Personnes divines. Ce n'est nullement qu'elle cesse de prier par Jésus-Christ pour adhérer à une mystique plus large où Hindouistes, Musulmans et Chrétiens, et même tous ceux qui croient au Dieu unique, se retrouveraient dans la même expérience49. C'est plus simplement qu'elle éprouve ce qu'Epiphane Louis décrit, ce dépassement inéluctable de tout ce qui est inévitablement verbal et imaginaire dans la nomination et la représentation des Personnes divines.

Amour

On ne s'étonnera pas de voir Mère Mectilde mentionner la foi avant l'amour. L'amour de Dieu suppose qu'on sache que Dieu est, ce qui est proprement l'affirmation de la foi. Cela ne signifie pas que la foi doive nécessairement précéder l'amour et qu'il faille en un premier temps prendre conscience de l'existence de Dieu, puis en venir à l'aimer. Cela signifie seulement que la foi fonde l'amour et le fait reposer sur une certitude.

Amour et respect. La prieure joint de manière remarquable l'amour et le respect de Dieu. L'amour bannit la crainte, dit saint Jean, mais il ne bannit pas le respect, enseigne Mère Mectilde. Pourquoi une telle insistance sur le respect ? On pourrait y voir l'influence des habitudes sociales de l'époque ; la hiérarchie des conditions est alors communément acceptée et on tient compte du « rang » de celui ou de celle à qui on s'adresse. Mais il y a bien plus : pour elle le respect est signe qu'on reconnaît la transcendance de Dieu, sa « grandeur », son « incompréhensibilité ». Dans les rapports humains, on peut se P. 143. permettre des formules familières avec ceux et celles que l'on connaît. Mais Dieu n'est « connu essentiellement que de lui-même ». Ce respect, loin de s'opposer à l'amour comme le fe-43rait la crainte, en est au contraire la délicatesse, « l'amoureuse complaisance de voir son Dieu incompréhensible ».

« Pur amour ». Un deuxième trait doit être souligné, la fréquence sous la plume de Mère Mectilde de l'expression « amour pur ».

Elle est usuelle au début du XVIIe siècle. François de Sales l'emploie volontiers dans ses lettres et le capucin Laurent de Paris lui fait place dans son traité de vie spirituelle intitulé Le Palais de l'amour divin. Mais elle va bientôt donner lieu à un débat serré de théologie spirituelle. C'est que beaucoup de fidèles se demandent ce qu'est au juste aimer Dieu. On sait par expérience ce qu'est aimer des hommes, des femmes, des enfants. C'est au moins éprouver de la tendresse à leur égard, goûter leur présence, leur vouloir du bien. Mais auçun de ces termes ne convient à Dieu de la même manière. Quelle tendresse éprouver pour celui qu'on ne voit pas ? Comment goûter sa présence alors qu'il est insaisissable ? Comment lui vouloir du bien alors que tout est déjà à lui ? Dès lors l'âme peut-elle s'occuper à aimer Dieu, sinon par un jeu d'imagination illusoire qui est le fait des « illuminés » et qu'il faut se garder d'encourager ? De plus l'expression « pur amour » pourrait bien insinuer qu'on laisse dangereusement de côté la pratique d'actes bons et même l'espérance de la béatitude. Devant cette dernière ambiguïté, beaucoup soulignent qu'on aime Dieu si on aime son prochain et observe les commandements. Va-t-on alors réduire l'amour de Dieu à celui du prochain et à l'observation des commandements ? Ce serait ne plus proposer qu'un humanisme dans lequel Dieu passerait à l'arrière-plan.

Les moralistes du XVIIe siècle s'en sont gardés. Cependant, pour ne pas décourager un grand nombre d'hommes peu portés aux effusions spirituelles, plusieurs ont cherché à minimiser l'obligation de faire des actes particuliers d'amour de Dieu. Mais Jean-Pierre Camus, grand admirateur de François de Sales et pasteur zélé, ne se résigne pas à de telles concessions. En 1640 il publie un traité intitulé La défense du pur amour contre les attaques de l'amour propre, où il souligne que l'amour de Dieu n'est pur que lorsqu'on aime Dieu pour lui-même, et non pas pour en obtenir une récompense. Mais l'année suivante, Antoine Sirmond lui donne la réplique en un traité intitulé La défense de la vertu. Il y cherche à rassurer ceux qui n'éprouvent pas d'amour de Dieu bien particulier : « Il 44 ne nous est pas tant commandé d'aimer que de ne pas haïr ». (Tr 2, p. 19) et il reproche à Camus, non sans raison, d'exclure, sous prétexte d'amour pur, la vertu d'espérance : « Le pur amour ne doit point avoir égard à aucune récompense autre que Dieu, mais il ne peut se passer de celle-là » (p. 97).

Désormais l'expression « pur amour » est lourde de résonances. En sa dixième Lettre provinciale, Pascal se fait contre Sirmond et ses semblables l'avocat de l'amour de Dieu. Il veut qu'au lieu de réduire le plus possible la portée du commandement d'amour envers Dieu, on aime au contraire Dieu sans mesure. Cependant il semble éviter l'expression « pur amour », comme s'il pressentait déjà les tempêtes qu'elle allait encore soulever et l'obstination avec laquelle Bossuet, poursuivant ceux qu'il accuse de quiétisme, s'en prendrait même à Fénelon.

La dixième Provinciale est de 1656. C'est sans doute exactement l'époque où écrit Mère Mectilde. Plus hardie que Pascal, elle emploie sans cesse l'expression « amour pur ». Qu'y met-elle ?

Le pur amour est celui que porte un coeur non partagé P. 160. entre Dieu et les créatures ; elles sont devenues pour lui néant, P. 163. n'éveillant plus de désir et ne sollicitant plus d'attention : « Ne vivons et ne respirons qu'en la pureté du divin amour ». Avec fi-P. 164nesse et précision, Mère Mectilde note qu'alors l'âme est même détachée de sa propre action : « Vous vous prêtez bien à l'ac- P. 131. tion, vous ne vous y donnez pas » ; ou encore : « Ne vous rendez point propriétaire de votre action, n'y ayant point d'attache ».

Il en résulte, bien sûr, que le pur amour est tout à fait désintéressé : « Il faut que vous commenciez de vivre du pur amour, c'est-à-dire purement pour Dieu, sans plus de retour sur vos intérêts ». Mère Mectilde ne met pas pour autant en question l'espérance ; elle vit seulement dans le présent. ou plutôt dans la présence de Dieu. La charité envers le prochain n'est pas non plus absente ; car aimer le prochain ne partage pas le coeur entre Dieu et les créatures, quand ce prochain est « vu en p. 312. Dieu ».

Amour et sainteté. Définir le pur amour par le désintéressement n'est encore qu'en faire une approche négative. On ne dit pas ce qu'est la lumière en expliquant seulement qu'elle ne connaît pas de zones d'ombre. La lumière est plus 45 que l'absence d'ombres ; elle est éclat ; elle est beauté. On ne dit pas ce qu'est le pur amour en expliquant seulement ce qui pourrait le contaminer. Mieux vaudrait pouvoir dire ce qu'est aimer Dieu, autrement que par des oppositions et des comparaisons avec précisément ce qu'il n'est pas.

Car Mère Mectilde aime Dieu en ce qu'il est en lui-même. Aussi fait-elle spécialement place à la sainteté parmi les attributs de Dieu. Bien des chrétiens, entendant le mot « sainteté », pensent surtout à la perfection morale. Notre prieure, comme Condren dont elle semble s'inspirer sur ce point, prend sainteté au sens biblique de séparation de tout ce qui est profane ou créé50. Dès lors, tandis que dire Dieu Créateur ou Providence ou Sauveur est le qualifier en sa relation aux créatures, le dire « saint » est énoncer ce qu'il est en lui-même. Cela fait la joie de P. 104. Mère Mectilde : « Je me réjouis de votre sainteté », lui dit-elle. Pourrait-on trouver expression plus pure de l'amour de Dieu que ces mots ? Il faut aimer véritablement son prochain pour se réjouir, non de ce qu'il est pour vous, mais de ce qu'il est pour lui-même, en lui-même. Il en est de même à l'égard de Dieu : « Aimer sa sainteté, c'est l'aimer très purement pour lui-même ».

Aimer la volonté de Dieu. Cependant la sainteté de Dieu demeure insaisissable. Comment se réjouir de ce qu'on ne voit pas ? On le peut, à condition d'être animé non par des sentiments, mais par la foi.

Néanmoins d'une certaine façon l'amour de Dieu trouve P. 121. un objet tangible. Canfield disait que la volonté de Dieu est P. 138. Dieu même. Mère Mectilde reprend cette pensée textuellement, ou sous diverses formes. Or cette volonté nous est manifestée P. 140. en particulier « dans les événements ». « Il faut les recevoir de sa sainte main ». Comment à ce propos ne pas rapprocher notre fondatrice de Pascal qui à la même époque se laissait instruire « par l'événement qui est une manifestation de la volonté de Dieu » (Pensées, Br. 668) et notait : « Si Dieu nous donnait des maîtres de sa main, oh ! qu'il leur faudrait obéir de bon coeur ! La nécessité et les événements en sont infailliblement » (Pensées, Br. 553). Ce qui nous advient et nous affecte est ainsi l'occasion d'actes d'amour de Dieu qui ne risquent pas d'être imaginaires. Si nous aimons réellement Dieu, nous aimons ce qu'il veut, la réalité qu'il nous envoie. 46

Toutefois, si réaliste, pénétrant et stimulant que soit l'axiome canfieldien « La volonté de Dieu est Dieu-même », il ne doit pas nous conduire à identifier absolument la volonté de Dieu avec ce que nous en connaissons par les événements. La connaissance de cette volonté reste partielle. Comme Dieu lui-même, sa volonté nous dépasse infiniment ; l'accepter, c'est « obéir », mot qui revient souvent sous la plume de la prieure, c'est-à-dire se subordonner aux vues d'un autre, en ne voyant soi-même que partiellement.

D'autre part, l'amour de Dieu se vit dans le mouvement même qui fait sortir de soi pour le chercher. Mère Mectilde invite Madame de Chateauvieux à se « désoccuper de soi-même » P. 267 pour « se contenter du bon plaisir de Dieu ». Ces conseils, en dissipant quelques illusions, conduisent à se demander s'il est possible qu'ici-bas l'amour de Dieu soit absolument pur.

Vers l'amour pur. C'est nous qui posons la question : l'amour de Dieu peut-il être absolument pur ? Mère Mectilde ne la soulève pas. Elle ne fait d'ailleurs pas d'analyses psychologiques ; elle sait bien que Madame de Chateauvieux est seulement en chemin ; elle l'invite à « commencer » en lui faisant regarder de l'avant. Si l'amour de Dieu n'avait pas pour nous cette exigence de pureté absolue, il ne serait plus amour de Dieu ; ce ne serait plus de Dieu que nous parlerions. Voilà pourquoi, me semble-t-il, la prieure insiste tellement sur cette pureté. Et en même temps elle n'évoque jamais cette pureté P. 162 comme déjà atteinte, mais toujours comme un idéal : « Qui pourrait ne vivre que du pur amour et faire un néant de tout le reste, que je l'estimerais heureux ! »

Il est cependant clair que tout en proposant cet amour pur comme un idéal, elle parle d'expérience. Sinon, oserai t-elle pré-P. 165dire : « Votre état présent ne sera pas d'une longue durée ; après la douleur vient la joie » ? Elle est très discrète sur son propre compte. On devine néanmoins, en ce qu'elle propose à Madame de Chateauvieux, ce qu'elle-même voudrait vivre davantage. Elle n'évoque pas de transports d'amour, mais le désir constant de commencer à aimer Dieu, de s'engager irréversiblement en cet amour : « Qu'une âme est heureuse qui se peut plonger dans l'amour du bon plaisir de son Dieu sans retour ! » P. 166

« L'aimer en toute manière, c'est trouver bon tout ce qu'il fait, c'est approuver et consentir à tous ses desseins secrets et manifestes sur nous, c'est soumettre toutes nos volontés aux siennes, c'est ne rien préférer à son amour ».

47

Anéantissement

L'insistance de Mère Mectilde sur la nécessité d'être « anéanti » peut surprendre, faire peur, ou bien agacer et heurter un lecteur moderne. Ce terme à la mode au début du XVIIe siècle a donné lieu à des critiques qui ont vite conduit à en restreindre l'emploi ou à en atténuer la signification. Mais les expressions de Mère Mectilde ne se prêtent pas à une interpréta-P. 229 tion adoucie : « Laissez vous égorger ». « Vous êtes là, non pour N° 171 jouir de quelque consolation, mais bien pour opérer votre destruction ».

Sur ce point la sensibilité a changé. Alors qu'en matière sexuelle, les termes les plus réalistes de la psychanalyse qui auraient horrifié le XVIIe siècle n'effarouchent plus, à l'inverse le vocabulaire par lequel le XVIIe évoque le renoncement demandé par Jésus paraît aujourd'hui excessif et irrecevable. Celui de Mère Mectilde n'est pourtant pas le plus rude. Celui de Jean-Jacques Olier est autrement violent, et celui même de Jésus dans l'Evangile est très énergique : « Qui ne prend pas sa croix et ne marche pas à ma suite n'est pas digne de moi. Qui trouve sa vie la perdra et qui l'aura perdue à cause de moi la trouvera » (Mt 10, 38-39). Et Paul ne craint pas de dire que « ceux qui sont au Christ ont crucifié la chair avec ses convoitises » (Ga 5, 24). Cependant l'Evangile reste la bonne nouvelle et apporte la joie. Car s'il faut mourir au monde avec le Christ, c'est pour ressusciter avec lui.

Il est vrai que la nécessité de renoncer une fois reconnue, les accentuations peuvent légitimement varier. Peu avant Mère Mectilde, Charles de Condren, dont elle s'inspire, soulignait surtout les différences entre ce monde et le monde à venir, différences qui appellent des ruptures radicales : il faut que le monde présent passe, soit anéanti, pour qu'adviennent le monde futur et le Règne de Dieu. Aujourd'hui, d'autres, à l'inverse, se plaisent à souligner la continuité de l'un à l'autre monde, sinon l'identité, et relèvent comment le monde présent prépare, amorce, commence déjà le monde à venir qui transparaît en tout acte de charité. Ne va-t-on pas jusqu'à se figurer qu'on est artisan du Royaume ou du Règne de Dieu et qu'on le construit ? Il ne convient pas, me semble-t-il, de s'éloigner de l'Ecriture à ce point. Si le pessimisme radical qui ne voit dans cette création qu'un monde mauvais à détruire est inacceptable, il ne faut pas y substituer une naïveté enfantine oubliant la mort et le passage obligé par elle pour parvenir à la résurrection, aux cieux nouveaux et à la terre nouvelle.

Mère Mectilde est incontestablement du siècle de Condren et non de celui de Teilhard de Chardin. Aussi ne mâche-t-elle pas ses mots en prônant l'anéantissement de soi. On n'en doit que davantage admirer, je ne dis pas la modération, mais la justesse de ses conseils. Elle n'invite nullement à se complaire dans une sorte d'autodestruction. Elle souligne au contraire les valeurs que l'anéantissement de soi fait découvrir dès ici-bas et les joies dont il est le chemin : « Il y a deux ou trois pas qui vous coûteront cher, mais aussi ils vous causeront un immense P. 226 bonheur ». « Cette mort (à soi) parait cruelle et très rigoureuse P. 228 à la nature et aux sens ; mais elle est très savoureuse à l'esprit laisser faire par Dieu. Cette remarque de notre prieure est »

Au demeurant, il ne s'agit pas de se faire souffrir, mais de spécialement adaptée à la psychologie féminine de sa dirigée. Et elle note avec finesse qu'il ne dépend pas de nous d'anéantir ni notre mémoire, ni notre intelligence. Car on ne peut oublier sur commande, même pour pardonner. On ne peut non plus s'abêtir et contester ce dont on a compris la vérité.

Mais la volonté est autrement libre et l'abandon et la disponibilité constituent « l'anéantissement » de la volonté propre. Une attitude résume cet « anéantissement », le silence : « C'est par le silence qu'on s'anéantit devant cette adorable P. 239

Majesté ». A peu près à la même époque, le père Guilloré, qui fut confesseur de Madame de Châteauvieux, fait aussi l'éloge du silence et de sa valeur religieuse ; comme il est moins concis et plus explicite que Mère Mectilde, je le cite : « Où sont ces âmes qui, par un sacré silence, s'immolent à toutes les accusations et calomnies ?... Ce refus de justification rend les accusations et les calomnies souverainement sanctifiantes, parce qu'en cela vous faites à Dieu le plus noble de tous les sacrifices, qui est celui de votre réputation » (Maximes spirituelles pour la conduite des âmes, livre 2, Max. 9, chap. 1). Oui, un tel silence est un acte d'humilité et d'anéantissement de sa propre réputation ; il est non pas autodestruction, mais abandon à Dieu, et par là aide à comprendre l'attitude suggérée par Mère Mectilde. Et cependant ce qu'elle demande est encore plus simple. Il n'y a pas à craindre que Dieu se laisse égarer par les calomnies. Devant Dieu, il s'agit seulement d'accepter la vérité, sans s'accuser en se cherchant des torts imaginaires et s'en s'excuser en inventant des justifications.

P. 246 49 Ce que peut être un tel anéantissement nullement suicidaire se comprend mieux si on en trouve le modèle dans le Christ.

Il est vrai que le spectacle de la croix pourrait éveiller des réactions masochistes. Mais Mère Mectilde contemple aussi, comme on le fait volontiers à son époque, l'anéantissement — nous dirions la kénose — du Verbe de Dieu en l'Enfant-Jésus. En lui, le Verbe est réduit au silence, la Sagesse de Dieu se soumet à l'obéissance, la Toute-Puissance de Dieu se fait dépendance. Ce silence de l'Enfant-Jésus fait comprendre à quel silence Mère Mectilde invite : il s'agit de vivre la dépendance à l'égard de la grâce divine, en découvrant à quel point on est à la merci de Dieu, comme l'Enfant-Jésus est entre les mains des adultes. Pour la prieure, l'anéantissement est l'esprit d'enfance. Encore faut-il ne pas mettre dans cette expression ce qu'elle évoque trop souvent aujourd'hui, la naïveté ou même la diminution mentale de la « retombée en enfance ». Encore une fois, ce n'est pas l'intelligence, mais la volonté qu'il faut anéantir. L'Enfant-Jésus, loin d'être naïf, possède toute science. Car le XVIIe siècle ignore les réflexions et spéculations modernes sur l'ignorance de Jésus ; au contraire, il professe que le Christ est depuis sa conception dans la vision béatifique. L'esprit d'en-

P. 285 fance n'est donc pas simplesse, mais disponibilité de l'humilité.

Simplicité

L'esprit d'enfance n'est pas naïveté, mais simplicité. La naïveté implique un manque de jugement. La simplicité requiert justesse du jugement qui discerne d'emblée l'essentiel et y va droit, sans se perdre dans la multitude des considérations possibles. Elle permet l'ouverture et la confiance vis-à-vis d'autrui. Et elle importe d'une manière toute particulière dans la relation à' Dieu : si on attendait pour se prononcer d'avoir épuisé toutes les questions, la foi serait à jamais différée. C'est pour-P. 140 quoi il faut « recevoir avec une grande simplicité les lumières que Dieu vous donne par lui ou par autrui ». Et la « pensée de P. 143 Dieu incompréhensible borne toutes les curiosités de l'esprit et l'assujettit à une simple et très respectueuse croyance de ce que Dieu est ».

Cette simplicité conduit à « l'oraison d'une très simple unité et unique simplicité de présence de Dieu, par un entier abandonnement d'elles-mêmes à sa très sainte Volonté et au soin de sa divine Providence ». Ces termes, Mère Mectilde les emprunte à Jeanne de Chantal. P. 180

Cette dernière voyait dans la simplicité l'antidote du repli et des réflexions sur soi-même : il faut s'oublier soi-même, autant que possible, par le continuel souvenir de Dieu, et en lui seul se reposer par une vraie et entière confiance, et spécialement en l'oraison rejeter toutes sortes de discours, industries, répliques, curiosités et choses semblables et, au lieu de regar- P. 181 der ce qu'on fait, a fait ou fera, regarder Dieu, demeurant en cette simple vue de Dieu et de son néant. Certes, l'examen de conscience est nécessaire et salutaire, mais à la condition d'être moins une introspection que l'accueil du jugement de Dieu. Car la réflexion sur soi-même peut empoisonner la vie spirituelle et enfermer en soi-même, en particulier lors des temps consacrés à la prière.

Mère Mectilde fait sien l'enseignement de Jeanne de Chantal : « Ne vous réfléchissez pas tant, marchez en con P. 139 fiance » ; « Ne chargez point votre esprit de multiplicité » ; « la P. 140 première chose que j'ai à faire, c'est de sortir de moi-même ». Et parlant des Mages, elle les donne en exemple : « Sortez de la P. 146 terre de vous-même, de votre propre maison et du lieu de votre connaissance. Quittez vos intérêts, comme ils l'ont fait... Sortez des vieilles habitudes de vos sens ou de votre propre esprit ». P. 291

Pratiques

Voeux

Pour mieux comprendre l'enseignement de notre recueil, il est bon de se rappeler les principaux débats autour des voeux de religion qui se sont poursuivis pendant le XVIIe siècle.

Au début du siècle, c'est encore la controverse avec les protestants qui retient l'attention des théologiens et suscite leurs efforts. Luther avait fait le procès des voeux. Il fallait répondre en montrant leur bien-fondé. Mais en France intervient bientôt une autre controverse entre catholiques, celle des séculiers et des réguliers. Les séculiers sont les prêtres diocésains qui n'ont pas prononcé de voeux. Ils se trouvent parfois en compétition pour le ministère, notamment pour la prédication et le sacrement de la pénitence, avec des religieux, par exemple des capucins ou des jésuites. Les religieux sont-ils plus compétents du fait qu'ils sont dans un « état de perfection » ? Le presbytérat n'est-il pas aussi état de perfection ? N'est-il pas même état 51 de « perfection acquise », la vie religieuse étant seulement état de « recherche de la perfection » ? Les engagements du prêtre découlent de son ordination qui est un sacrement, alors que la profession religieuse n'est pas un sacrement. Ce débat était inoffensif, voire salutaire pour les prêtres, tant qu'il ne faisait que leur rappeler leurs obligations et leur idéal.

Malheureusement la polémique conduisit l'un ou l'autre à déprécier la vie religieuse pour lui opposer la grandeur et la beauté de l'état des prêtres. En 1638 l'oratorien Séguenot fit scandale en écrivant que « le voeu n'ajoute rien à la perfection chrétietme, ni à ce qui a été voué au baptême, sinon quant à l'extérieur, en quoi la perfection ne consiste pas » (De la sainte virginité, Paris, 1638, p. 18).

Séguenot se rétracta. Sa mise en question des voeux (en tant que publics) ne fut pas oubliée pour autant ; c'est qu'il n'était pas le seul à les critiquer : il participait à un courant plus vaste où se retrouvaient entre autres les disciples de Jean Duvergier, abbé de Saint-Cyran, qui ne portaient pas encore le nom de jansénistes. Ceux-ci, sans mettre en question les voeux, plaidaient pour une vie religieuse moins séparée du monde et plus proche de ce que l'Eglise vécut aux origines, une vie none pas définie par des règles, mais découlant simplement d'une intelligence plus profonde de ce qu'implique le baptême. Ils la concevaient volontiers dans le cadre de la communauté chrétienne, c'est-à-dire de la paroisse.

D'autre part. les réformateurs du clergé étaient amenés à comparer, quant à l'obligation à la perfection, non plus les religieux et les prêtres, mais les religieux et les « clercs ». Car les séminaires, notamment le séminaire Saint-Sulpice voisin du monastère de la rue Férou comme de celui de la rue Cassette, avaient pour hôtes de simples clercs autant et plus que des prêtres. Il est frappant de voir comment Jean-Jacques Olier leur propose une spiritualité baptismale : il relie l'exigence de mort à soi. d'« anéantissement » et de sacrifice de soi. non pas à des voeux ou au ministère des prêtres, mais à la condition de baptisé. Car le baptême est mort et résurrection avec le Christ et tout chrétien est invité à être parfait comme notre Père céleste est parfait.

On ne s'étonne donc pas de voir Mère Mectilde rappeler à Madame de Cliâteauvieux de manière si vigoureuse les conséquences de son baptême et insister plus sur le baptême que sur une profession religieuse éventuelle. Mais elle se garde des ex- cès de Séguenot. Elle sait maintenir les valeurs traditionnelles tout en adoptant la problématique de son époque.

Séguenot s'en prenait aux voeux en tant qu'ils obligeaient à des actions extérieures. Rappelons que sous l'Ancien Régime le voeu public avait des conséquences juridiques reconnues et sanctionnées par la société civile, notamment l'incapacité de posséder. Mais Séguenot ne s'en prend pas au voeu comme résolution ferme de se lier à Dieu. Il y voit même un acte de perfection. Et les oratoriens, après avoir refusé les voeux de religion, faisaient divers voeux aux conséquences seulement intérieures, comme le voeu de servitude, le voeu d'hostie (ou de victime). Sur ce point Jean-Jacques Olier les imita. Nous ne nous étonnons donc pas que ces voeux intérieurs revêtent une grande importance dans la pensée de Mère Mectilde.

Servitude

Le mot surprend aujourd'hui où nous sommes plutôt enclins à souligner que le Christ apporte la liberté. Saint Paul en était tout aussi convaincu que nous et rappelle fièrement qu'il est citoyen, homme libre, et que tout lui est permis, même si tout ne convient pas (1 C 6, 12). Néanmoins dans l'adresse de son épître aux Romains, il se présente comme « esclave du Christ ». Marie se dit « servante » du Seigneur ; il serait aussi exact de traduire « esclave du Seigneur » ; car le mot qu'elle emploie désigne aussi bien les esclaves.

A la fin du XVIe siècle, Inès de Saint-Paul avait fondé en Espagne une « confrérie et fraternité des esclaves de la Vierge, Mère de Dieu ». Et le franciscain Jean des Anges se fit le propagandiste de cette confrérie et l'apôtre de la servitude mariale. La pratique en est passée peu après en France. Pierre de Bérulle fit voeu de servitude à Marie et conduisit les oratoriens et les carmélites de France à prononcer également ce voeu.

Il conçut un voeu semblable de servitude à Jésus qu'il proposa également aux oratoriens et aux carmélites. Ce voeu engageait à une disponibilité particulière à l'égard de tout ce que Jésus demanderait ou opérerait par son Esprit.

On lui reprocha d'avoir imposé ce voeu aux carmélites. Une controverse théologique et juridique s'ensuivit. La théologie de l'Incarnation sous-jacente fut passée au crible, tandis que des critiques demandaient quel objet avait au juste un voeu n'engageant pas à des actes extérieurs. Pour éviter de telles polémiques, Bérulle, quand il parlait de la servitude, en vint à 53 substituer au mot de voeu les termes moins compromettants d'« élévation » ou d'« oblation ». Mais il n'y a pas de doute que la pratique des voeux de servitude à Marie et à Jésus (qu'ils fussent distincts ou non) continua à se répandre. Jean-Jacques Olier fit voeu de servitude à Jésus le 11 janvier 1642.

Il semble que Mère Mectilde ait préparé Madame de Châteauvieux à un tel voeu : « Je vous prie de bien chérir cette P. 155 sainte captivité où Notre Seigneur vous fait entrer. Oh, bienheureux esclavage ! Ne vous en retirez pas. Laissez-vous lier et garrotter. des chaînes du pur amour ». Et dans la leçon qui appa-p. 156 remment suit, elle lui écrit encore : « J'avais la disposition... de vous dire un mot de l'heureux esclavage que vous avez eu l'honneur de porter ». Le mot de voeu ne figure pas. Mais le contenu est exactement celui du voeu de servitude : « L'esclave P. 157 est tellement prête de faire les volontés de son Maître, qu'à toute heure, à tous moments, elle est prête et disposée d'accomplir ses ordres en toutes les manières qu'il lui plaira ».

Voeu de victime

Le « voeu d'hostie » ou « de victime » (les deux expressions sont équivalentes) est une pratique qui a suivi de peu celle du voeu de servitude. Elle ne semble pas avoir rencontré les mêmes oppositions. La querelle théologico-juridique n'a pas repris. L'idée d'un voeu aux conséquences purement intérieures avait fait son chemin. Nous savons que Jean-Jacques Olier fit voeu d'hostie le 31 mars 1644. Il l'explique ainsi : (C'est le) « voeu de ne vivre que pour Dieu, en attendant le temps et l'occasion de nous sacrifier à lui pour le bien de son Eglise. Et la disposition à ce voeu, ou plutôt l'obligation secrète que nous contractons encore en le faisant, c'est de mourir continuellement à soi, de s'immoler soi-même, dans les moments que la chair veut vivre et agir en vous, en telle sorte que nous mortifions tout ce que la chair demande ».

Il s'agit, bien sûr, de la chair au sens paulinien, non pas le corps, mais l'égoïsme et tout ce qui porte au péché. Olier continue « Le voeu d'hostie dit encore obligation d'exposer au Saint-Esprit tous les moindres mouvements de la chair, quand ils s'élèveront, pour les consumer en lui »(Inédit. Archives de Saint-Sulpice, Montréal). 54

La victime (ou l'hostie) est passive aux mains de celui qui l'offre et de celui qui l'agrée ou l'immole. Faire voeu d'hostie est se rendre disponible à Dieu d'une manière particulière. On s'offre soi-même, mais l'offrande de soi n'est réelle que si elle conduit à laisser à Dieu l'initiative : il lui revient de prendre ce qui est offert. Mère Mectilde indique comment, en fait, s'unissent les avances humaines et les requêtes divines : « Dieu veut que j'opère avec sa grâce dans certaines rencontres et en d'autres il veut que je sois toute passive et toute adhérente à l'impuissance qu'il me fait ressentir. Il le faut suivre comme il lui plaira de P. 120 nous mener ».

L'offrande implique qu'on fasse le sacrifice de soi, y compris le sacrifice des retours sur soi : « Faites peu de retour sur vos dispositions propres, mais donnez beaucoup à Jésus pour être revêtue de son Esprit et de ses saintes dispositions ». P. 154

Aujourd'hui, le mot de victime est mal reçu. Se dire victime est se plaindre. Mieux vaut agir. S'offrir comme victime ne s'apparente-t-il pas au masochisme ? Mieux vaut se ressaisirque de ressasser des griefs et de se replier sur soi. C'est précisément ce qu'en d'autres termes notre prieure conseille : se plaindre serait ne s'être pas suffisamment donné : « Si vous souffrez en qualité de victime, la victime ne dit mot. Elle est menée au supplice sans se plaindre, nonobstant qu'elle est chargée des crimes de celui pour qui elle est faite victime ».P. 249 L'Ancien Testament connaissait diverses sortes de sacrifices. Mais dans le Nouveau Testament, c'est le passage du Christ par la mort qui est le sacrifice accompli et définit le sacrifice. Désormais une « victime » ne mérite ce nom que dans la mesure où elle est configurée à l'Agneau immolé. Or, comme Condren le souligne spécialement, le sacrifice du Christ est à la fois holocauste, c'est-à-dire consomption de la victime, et résurrection. Faire voeu de victime est accepter une telle consomption. Mère Mectilde fait écho : « Il faut être consumée par le feu du pur et divin amour de Jésus. Or le feu ne brûle la victime que premièrement ces autres effets n'aient précédé, pour nous apprendre que le feu sacré de la charité ne s'allume dans le coeur qu'après que toutes les impuretés de nous-mêmes, qui sont en nous-mêmes, sont égorgées et détruites. Figurez-vous que vous êtes cette victime condamnée à la mort pour recevoir P. 154 en Jésus une nouvelle vie ».

En ses conférences aux bénédictines du Saint-Sacrement, Epiphane Louis a remarquablement traité de la spiritualité de 55 victime. Citons un passage qui fait la synthèse de ce que quelques bribes des leçons de Mère Mectilde nous ont permis d'apercevoir. Il montre comment être « victime », loin de mener à geindre, fait au contraire dépasser tout repli sur soi et le mépriser comme idolâtrie : « La qualité de victime met la personne en un état de mort, ou du moins en une tendance actuelle à la mort, puisque l'on ne saurait considérer la victime que pour mourir et pour être sacrifiée. Cette disposition et tendance actuelle à la mort va à ne vouloir vivre pour soi-même, ni s'établir, ni se maintenir ou se soutenir en quelque façon que ce soit pour soi-même, mais seulement pour la gloire de celui qui a accepté la victime et dépendamment de sa volonté pour la manière du sacrifice ; et si la victime veut vivre pour soi, si elle agit pour elle-même, dès lors elle sort de sa condition de victime du Fils de Dieu, elle se fait victime de soi-même, elle se sacrifie à elle-même et elle s'idolâtre, donnant à la créature ce qu'elle était obligée par un engagement particulier de ne donner qu'au Fils de Dieu. Or, ne pouvant vivre pour soi, ne pouvant rien faire pour s'établir ou pour se soutenir en elle-même, elle est obligée de travailler incessamment à se désocupper de soi » (La vie sacrifiée... Paris, 1674, p. 79-80).

Contrition et confession

En ce domaine aussi il faut replacer les leçons de Mère Mectilde dans leur contexte théologique, de manière à mieux saisir ses options et à apprécier les nuances et l'équilibre de sa pensée.

Il faut d'abord rappeler les discussions entre « attritionistes » et « contritionistes » qui se sont poursuivies, pendant la seconde moitié du XVIIe siècle. Le Concile de Trente avait déclaré que l'attrition ou contrition imparfaite dispose à recevoir le sacrement de pénitence. Mais il n'en avait pas explicité les limites. Les « attritionistes » les élargissent ; les « contritionistes » les restreignent. Tout un éventail de positions se déploie entre l'attritionisme extrême (pour lequel le regret de la faute pourrait se réduire à la crainte de Penfer, et celle-ci suffirait encore à la réception valide du sacrement de pénitence) et le contritionisme extrême (pour lequel le repentir n'est vrai qu'à la condition d'être désintéressé, c'est-à-dire d'être inspiré par l'amour de bienveillance à l'égard de Dieu). Jansenius, sans nier le rôle de la crainte, l'estime insuffisante : elle ne conduit pas à la conversion ; « elle retient la main, non le coeur ». Il est suivi non seulement par ceux qu'on appelle les jansénistes, mais aussi par nombre de théologiens qui ne conçoivent la relation à Dieu qu'animéè d'amour et de pasteurs inquiets du relâchement des moeurs et des confessions de pure forme, sans conversion : moyen trop facile d'éviter l'enfer, elles dispensent en fait d'avoir à changer de vie. Des directeurs spirituels, sans entrer dans le débat théologique, invitent à se convertir à l'amour de Dieu. Ainsi Condren attire l'attention de ses dirigés sur ce qu'il y a d'imparfait dans le regret qu'ils ont de leurs fautes. Qu'ils s'examinent : ils découvriront qu'ils sont humiliés, moins d'avoir offensé Dieu, que d'avoir cédé à la tentation et failli. C'est surtout leur amour-propre qui est blessé et dont ils sentent la morsure.

En 1667 le pape Alexandre VII, plutôt que de trancher le débat théologique, invite les théologiens à ne pas brandir de censures contre ceux qui défendent, au sujet de l'attrition, une autre position que la leur.

Comment Mère Mectilde va-t-elle conduire au repentir ? Elle pourrait inviter à un examen de conscience plus attentif et plus lucide, débrouillant mieux l'écheveau des motivations. Ce n'est pas du tout ce qu'elle propose. Elle préfère qu'on regarde le Christ portant les péchés du monde. Alors il n'y aura plus de risque qu'on s'enlise dans une attrition faite surtout de crainte ou principalement motivée par l'amour propre. Ce ne sera plus à cause de moi, mais à cause du Christ, que je regretterai mes péchés.

Cependant, il se pourrait que le langage de Mère Mectilde surprenne et choque : « Dieu a tiré vengeance de tous les péchés sur son Fils et il l'a non seulement rejeté comme pécheur, mais condamné comme criminel de lèse-majesté divine. Il le réprouve et ne le peut souffrir en une certaine manière, non en qualité de son Verbe, mais en qualité de pécheur, à cause qu'il P. 189 s'était revêtu de nos péchés. Et le Père éternel, haïssant le péché d'une haine éternelle, traitait Jésus-Christ comme s'il eût été le péché même ». La prieure sent bien que ces phrases sont contestables, puisqu'elle insère cette réserve prudente : « D'une certaine manière ». Effectivement ce qu'elle avance n'est juste que d'une certaine manière. On ne peut en effet prêter au Père de vilains sentiments humains, comme la rancune, le désir de vengeance, la haine. Paul parle certes de la « colère de Dieu » 57 (Rm 1, 18), mais jamais de la vengeance de Dieu. Cependant l'éloquence du XVIIe siècle ne s'en privait pas, ce qui excuse Mère Mectilde. Et nous sommes heureux qu'elle ne fasse pas sienne sans réticence cette présentation alors trop commune. S'il nous est demandé de ne pas confondre le péché et le pécheur, et de détester le péché en continuant à aimer le pécheur, on doit bien penser que Dieu lui-même fait la distinction, ne voulant pas la mort du pécheur mais qu'il se convertisse(Ez 33, 11). Il n'empêche que Paul dit en une formule à l'emporte-pièce que le Christ « a été fait péché pour nous, afin que nous devenions en lui justice de Dieu »(2 C 5, 21).

Dans ce qui demeure du péché, la théologie distingue la coulpe ou faute et la peine qui lui est due. Le Christ a porté la peine du péché, non la faute ; il ne pouvait se sentir coupable. Mais il pouvait être « broyé » (en latin, contritus) intérieurement à la pensée du péché et solidaire des criminels jusqu'à partager leur châtiment. Mère Mectilde invite Madame de Châ-

P. 190 teauvieux à « offrir au Père éternel la contrition de son Fils ». Elle fait écho à Condren (ou un de ses disciples) écrivant que « Notre Seigneur a eu la contrition pour nous ». Cela est admissible si contrit est pris au sens du latin contritus qu'emploie le psaume 51 connu par coeur de toutes les moniales, c'est-à-dire broyé, intérieurement, mais aussi roué de coups. Mais dans le cas de Jésus, « contrit » ne doit pas signifier « se reconnaissant coupable ». Jean-Jacques Olier, dont Mère Mectilde habite la paroisse, dit « Jésus pénitent » pour nous. Cette formule actuellement n'est plus admise, parce que de nos jours elle suggère non seulement la peine, mais aussi le repentir et la conversion personnelle. Or Jésus n'avait pas à se convertir.

Ces mises au point faites, il faut demeurer sensible à la vigueur de cette présentation qui introduit au coeur du mystère de la rédemption et fait découvrir la gravité du péché, mieux que toute analyse psychologique. Alors on entrevoit que le péché est offense à Dieu, « lèse-majesté divine ».

La contemplation du Christ n'abolit pas la conscience d'être personnellement coupable : « Voilà Jésus-Christ qui est votre caution, il gémit pour vous, il satisfait pour vous. Il faut que vous entriez dans ses dispositions saintes et que vous ne rendiez pas inutile ce qu'il a fait pour vous, ni vaine la grâce qu'il vous a méritée. Et vous devez, allant à confesse, porter

58 quelque disposition qui vous fasse avoir rapport à celle de Jésus et vous revêtir de sa contrition, de l'horreur très sainte et parfaite qu'il a eue du péché, de l'humiliation profonde où il (le péché) le réduit devant la grandeur de Dieu son Père, contrition et humiliation si profonde qu'il en demeure prosterné et comme tout à fait anéanti. C'est comme vous devez être aux pieds du prêtre qui vous représente Jésus-Christ. Vous y devez porter un esprit humilié et confus et un coeur brisé d'horreur et de regret P. 190 de vos péchés ».

Ce regret n'est pas nécessairement « sensible ». Mère P. 261 Mectilde ne souhaite pas qu'il le soit. Car elle ne veut pas qu'il « trouble » Madame de Châteauvieux. Celle-ci ne doit pas non plus en être « gênée », c'est-à-dire torturée. Car le mot « gêne », moins affaibli qu'aujourd'hui, est encore parfois écrit « géhenne » et peut faire penser au supplice des damnés. Or le regret rie consiste pas à se voir en enfer, comme si on oubliait d'espérer. Mais le regret doit « humilier » et « mortifier ».

La distinction entre la coulpe et la peine est alors éclairante : « Vous devez donc haïr vos infidélités, parce qu'elles déshonorent Dieu, mais non pas vous en troubler, ni inquiéter. Haïssez la coulpe, mais aimez chèrement la peine ». C'est que P. 224 le Christ n'a pas porté la coulpe, mais la peine. On peut et on doit aimer la peine, parce qu'il l'a faite sienne. Mais on ne saurait ressasser la faute à laquelle il n'est pas associé. Le pardon de Dieu en libère.

On voit sur ce point la sûreté avec laquelle Mère Mectilde dirige la comtesse. Nous dirions que le sentiment de culpabilité devient morbide quand c'est la faute, la coulpe, qui est ressassée avec une sorte de complaisance masochiste. Aimer non pas la coulpe, mais la peine, comme notre prieure y convie, c'est-à-dire accepter le châtiment, est à l'inverse ce qui fait la santé de l'humilité. Alors à l'amertume succède la paix. L'humilité et la paix pourraient-elles être méconnues par une fille de saint Benoît ?

Quant à l'examen de conscience, Mère Mectilde est discrète. Elle ne veut pas éveiller ou réveiller de scrupules chez P. 197 Madame de Châteauvieux. Le texte judicieux donné à ce sujet par le manuscrit N 260 est emprunté textuellement à Condren. Il ne convient pas de l'analyser ici. 59

P. 200 Eucharistie

P. 204 Le bréviaire à Madame de Châteauvieux contient de beaux textes sur l'Eucharistie.

Les plus développés concernent la communion. On ne s'en étonne pas. L'Eucharistie est premièrement destinée à la communion par celui qui a dit : « Prenez et mangez ». On est heureux de retrouver en ces pages l'orientation « théocentrique » familière à Condren, je veux dire cette manière d'envisager la communion, non pas seulement du point de vue du communiant, mais aussi et d'abord du point de vue du Christ et de Dieu : « Il ne faut plus communier pour vous, ni pour ceci, ni pour cela, mais pour le seul Jésus-Christ... Commencez d'entrer dans le dégagement et dans le vide de vous-même. Ne voyez plus rien que Jésus et ses intérêts ».

Ainsi se justifie une remarque inattendue : Jésus a communié lui-même. Olier n'en doutait pas. Cette affirmation — ou plutôt cette hypothèse — permet de communier à l'imitation de Jésus et met l'accent moins sur la rencontre de Jésus aujourd'hui que sur la contemplation de Jésus à la Cène et l'union avec lui' tel qu'il s'y manifeste. Le dégagement de soi-même va jusqu'à ce recentrement sur Jésus.

La fête du Saint-Sacrement donne heureusement à Mère Mectilde l'occasion de parler aussi de la contemplation du Christ dans l'Eucharistie. Nous n'avons cependant qu'un texte assez bref. P. 205 Une expression y surprend le lecteur moderne : « La vie divine cachée et anéantie dans le très saint sacrement ». Qu'elle y soit caché, tous en conviennent. Mais qu'elle y soit «anéantie » fait difficulté. Si l'Eucharistie nous donne la présence de Jésus en son humanité, elle n'altère ni n'anéantit celle-ci, et encore moins, pour ainsi dire, sa divinité. Quelques auteurs spirituels du XVII' siècle sont tentés de voir dans l'Eucharistie un état humilié du Sauveur, ce qui est discutable. Pascal lui-même est dans ce cas (Pensées, B. 553). Nous préférons préciser : l'Eucharistie est certes mémorial de l'humiliation du Christ en sa Passion et sa mort. Mais elle n'est pas à proprement parler une nouvelle humiliation, même si les saintes Espèces s'offrent à l'irrespect des infidèles. Car l'humanité du Christ est maintenant à jamais glorieuse et n'est pas atteinte par ce qui advient aux saintes Espèces. Quant à sa divinité, elle ne saurait en au- 60 cune façon être « anéantie ». Mère Mectilde serait donc bien excusable de s'être laissée entraîner un instant par un langage inadéquat, mais commun.

Cependant il semble que ce qu'elle veut dire (et ce que veulent dire les théologiens employant avec elle ce langage à l'époque) est autre et nous éclaire sur ce terme dont nous avons déjà relevé la difficulté qu'il fait aujourd'hui, « s'anéantir ». Il est manifeste qu'en l'Eucharistie Jésus n'est pas anéanti en ce sens qu'il cesserait d'être, mais en ce sens qu'il accepte d'être méconnu. De même l'anéantissement auquel la prieure invite sa correspondante n'est pas une autodestruction, mais consiste à se soustraire aux regards et même à son propre regard. « Votre vie est cachée en Dieu, avec le Christ » (Col 3, 3). Combien de fois ne cite-t-elle pas ces mots de Paul, déjà chers à Bérulle ?

Au total, Mère Mectilde ne nous parait pas parler de la contemplation de l'Eucharistie, autant qu'on l'aimerait et autant qu'on s'y attendrait quand on sait la place que celle-ci tient dans la vie de ses filles. C'est que notre prieure ne sépare pas l'Eucharistie de ce qu'elle signifie, la communion à la vie divine. Alors son adoration et son amour vont, à travers l'Eucharistie, droit à la vie divine. C'est la meilleure manière de vivre l'Eucharistie.

Bérulle, Jean Eudes, Condren, Olier sont les maîtres de ce qu'on a appelé l'Ecole française et qu'il serait plus précis d'appeler Ecole bérullienne. Tout en restant fidèle à saint Benoît, Mère Mectilde s'y apparente manifestement. L'adoration du Saint Sacrement était d'ailleurs en honneur à l'oratoire bérullien.

Elle l'était aussi à Port-Royal, pour lequel d'ailleurs la comtesse de Châteauvieux avait d'abord montré de la sympathie. Et c'est un mérite de Mère Mectilde que d'avoir su, tout en se gardant de la déviation jansénisante, assimiler le meilleur de la pensée de Port-Royal. qu'il s'agisse d'appeler des laïcs à la perfection dans la ligne de leur baptême. qu'il s'agisse de la contemplation eucharistique ou qu'il s'agisse simplement d'inviter à l'obéissance aux événements.

Des fidèles de Port-Royal --- Nicole surtout — manifestèrent des réserves à l'égard de l'oraison mentale et eurent la hantise du quiétisme. Mère Mectilde, sur ces points encore, et nous 61 nous en félicitons, garde son indépendance et son équilibre. Elle ose inviter à l'oraison de pure foi, à l'imitation de Jeanne de Chantal, allègue Jean de La Croix, plaide pour le pur amour et pousse à suivre le mouvement de l'Esprit.

N'est-ce pas l'Esprit qui lui a donné de guider sa barque au milieu des courants spirituels du XVIIe siècle avec tant de sûreté ?

Le manuscrit que nous éditons est intitulé :

BREVIAIRE DE FEU MADAME LA COMTESSE DE CHATEAUVIEUX

original de Notre Mère Institutrice -

qui donne à cette Dame beaucoup d'instructions selon son attrait.

Selon les plus anciennes copies connues dans notre Institut, cet ensemble de lettres adressées par notre fondatrice, Mère Mectilde du Saint-Sacrement de Bar (1614-1698) à la comtesse de Châteauvieux, a été recueilli, sélectionné par la destinataire elle-même. Le plan en a été choisi par elle.

Nos archives possèdent beaucoup d'autres lettres à la comtesse de Châteauvieux ; celles que nous présentons s'organisent selon un plan logique et, pensons-nous approuvé par Mère Mectilde elle-même étant donné la rapide diffusion de ces textes dans nos monastères, du vivant de notre fondatrice.

La riche personnalité de la comtesse de Châteauvieux est très attachante. Elle fut pour Mère Mectilde une collaboratrice dévouée et une amie. Bien des pages de la biographie de Mère Mectilde due à sa nièce, Mademoiselle de Vienville, dame pensionnaire au monastère de la rue Cassette et donc témoin oculaire des faits rapportés, en font foi. Le R.P. Michel Dupuy cite cette biographie demeurée manuscrite sous le sigle Man v. Il en est de même de « Mémoires », à la fois biographie de Mère Mectilde et histoire de la fondation de notre Institut et des quatre premiers monastères. Ces mémoires dus à la plume d'une proche collaboratrice de Mère Mectilde, ont été édités par nos soins sous le titre Documents Historiques en 1973. Il sont cités par le R.P. Dupuy sous le sigle (r Mém ».

LA PENSEE SPIRITUELLE DE MERE MECTILDE DU SAINT-SACREMENT

Introduction de Paul Milcent, eudiste

Lorsqu'on parcourt les lettres de Mère Mectilde du Saint-Sacrement à la comtesse de Châteauvieux, on peut éprouver une première impression d'âpreté, d'austérité, on admire mais n'est-ce pas un peu trop sublime ? Ceci, d'autant plus que ces pages offrent peu de prise à l'imagination concrète, du moins dans l'état où nous les connaissons : la destinataire en a sans doute éliminé ce qui lui semblait trop personnel et qui précisément nous aurait touchés... Pourtant, si on insiste, on est saisi par l'étonnante présence de cette femme à la personnalité forte, vivante, chaleureuse, profondément sensible et spontanée, prompte à la sympathie — et qui s'exprime en une belle langue, drue, sans nulle monotonie, avec un sens inné du rythme.

Ces lettres ont pour unique but de proposer une initiation à la vie spirituelle. On y découvre une conception forte et cohérente de la sainteté chrétienne, intelligemment fidèle à la grande tradition bérullienne — avec quelques accents qui peuvent nous paraître aujourd'hui excessifs ou discutables. Cette doctrine n'a rien de froid, de théorique : elle est toute frémissante d'une très haute idée de Dieu ou pour mieux dire : d'une expérience pure et ardente de la recherche de Dieu, de la vie avec Dieu.

Nous présenterons cette doctrine en quatre temps :

« La profession que nous avons faite au baptême : profession de Jésus-Christ, de vivre de sa vie et d'être animés de son Esprit ».

62 63

- Dieu connu dans la « ténèbre lumineuse » de la foi.

- Un désir d'anéantissement dont l'autre nom est : « pur amour ».

- Un chemin de liberté, « très flexible aux touches de l'Esprit de Jésus ».

Peut-être Mère Mectilde nous dit-elle en souriant, comme elle l'écrivait à sa « très chère fille » « Lisez attentivement cette leçon, non une fois mais plusieurs, doucement, sans effort ni contrainte. Recevez ce qu'il plaira à Notre Seigneur opérer en vous »'.

I. a' Cette profession que vous avez faite au baptême, de Jésus-Christ, de vivre de sa vie, d'être animée de son Esprit... »

Très souvent, Mère Mectilde ramène l'attention de sa correspondante vers le sacrement du baptême et vers les promesses faites à Dieu dans le baptême2.

Lorsqu'elle veut lui présenter une doctrine complète et cohérente du baptême, elle ouvre le livre du père Eudes, La vie et le royaume de Jésus dans les âmes chrétiennes3, et elle en copie quelques pages. Et la voilà qui va, à la suite de Jean Eudes, « brouiller quelques pensées de vérité sur le baptême »4.

Ce sacrement est une initiative bienveillante de Dieu à notre égard ; il nous oblige à la perfection de l'Evangile. Dans l'acte du baptême, le Père, le Fils et l'Esprit-Saint sont là, « nous appropriant et consacrant à eux d'une manière toute spéciale, imprimant leur divin caractère et leur image dedans nous... »5

Plus précisément, le baptême nous lie à Jésus-Christ : nous y faisons « profession de n'avoir qu'une vie, qu'un esprit, qu'un coeur, qu'une âme, qu'une volonté, qu'une pensée, qu'une même disposition et dévotion »6 avec Jésus. Il nous fait entrer dans le mystère de sa filiation divine et de sa naissance humaine, de sa mort et de sa résurrection.

Dès lors, tout au long des lettres, reviendra sans cesse l'appel à « renoncer à nous-mêmes pour adhérer à Jésus »7. Une

1. (45). 133

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3. Nous le lisons avec elle dans l'édition faite à Paris en 1670 chez Frédéric 1.éonard.

4. (4). 84

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7.. (9). 90

multitude de formules inspirées de saint Paul, mais aussi de Bérulle, d'Olier et surtout de saint Jean Eudes, redisent de mille façons : « Vivez comme Jésus-Christ, car par le baptême, vous vous êtes revêtue de lui »8. La comtesse cherche-t-elle comment recevoir chrétiennement les services que lui rendent ses domestiques ? « Souvenez-vous bien que ce n'est pas à vous ni pour vous, mais à Jésus-Christ en vous »9. Ainsi, tout ce qu'elle vit doit « continuer la vie de Jésus-Christ »10.

La moniale invite sa correspondante à vivre de telle façon qu'on ne voie en elle que Jésus ; que ses pensées soient des pensées de Jésus, ses paroles des paroles de Jésus, ses activités des activités de Jésus..."

Cela ne va pas sans peine. Car il faut accepter de voir détruit en nous ce qui n'est pas Jésus-Christ. Les souffrances, les épreuves, les contradictions viennent aider ce travail : « O croix, ô afflictions, ô perte, ô renversement, que tu es favorable ! »12Et l'on croit réentendre Bérulle, lorsque la conseillère écrit : « L'âme qui est anéantie est faite une pure capacité de Jésus-Christ »13.

Dès lors, pas d'autres vertus que les vertus de Jésus-Christ que Dieu crée en nous. La force, par exemple, est en nous « la force de Jésus » et peut très bien coexister avec notre propre faiblesse". Cultiver la vertu de pauvreté, ce sera d'abord « se donner à l'Esprit et à la grâce de Jésus pauvre »15. La foi elle-même consiste en ce que « nous ne devons plus rien voir que par les yeux de Jésus-Christ »16.

Les mystères du Christ que la liturgie nous fait revivre

s'inscrivent en nous, nous saisissent et nous transforment. Car ils restent secrètement présents et agissants dans le Corps mystique. Certes, Bethléem est passé ; « la naissance temporelle de Jésus a été et ne sera plus ; mais la grâce de sa naissance sera d'une durée éternelle. Et il naît mystiquement dans nos âmes actuellement, quand il n'y a point d'opposition de notre part »17.

8. (16). 99 12. (57). 148

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10. (52). 142 14. (179). 293

11. (99). 200 15. (141). 249

16. (40) L'expression est à saint Jean Eudes, Vie et Royaume, 1670, p. 77.

17. (177). 290

64

Mère Mectilde entend bien coopérer à ce travail de Dieu en celle qu'elle accompagne : « C'est Jésus-Christ même que je voudrais produire dans votre coeur et en arracher tout le reste »18.

La bénédictine veut-elle résumer « toute la perfection chrétienne » ? Celle-ci consiste, dit-elle, d'abord à regarder Jésus-Christ, ensuite à adhérer à lui, à se soumettre à son projet. « Ces deux points contiennent tout »19.

Notons que l'appartenance au Corps du Christ arrache le

chrétien à son isolement, il le fait être d'Eglise20. Dès lors, sa prière est toujours prière de l'Eglise. Si ses propres limites parfois l'inquiètent ou l'accablent, il retrouvera la joie en pensant que toutes les richesses spirituelles des autres membres du Corps sont à lui. En Eglise, chacun a part à la grâce de tous les autres, et chacun contribue, peut-être sans le savoir, à la grâce des autres'.

Des conseils pratiques découlent directement de ces vues

de foi. Ainsi, l'invitation à « se donner à Jésus », à « s'exposer à Jésus » - formules qui lui sont familières. « Ayez une dévotion, que j'ai vue longtemps pratiquer par quelque âme, de vous exposer souvent en esprit à Jésus, pour recevoir de lui sa grâce et sa vertu (...). Je voudrais que vous preniez un quart d'heure de votre journée, selon votre loisir, pour vous exposer à Jésus-Christ selon vos besoins »22.

Elle-même, d'ailleurs, vit ce qu'elle conseille. Elle écrit au début d'une de ses lettres : « Je me donne à Notre Seigneur Jésus-Christ pour vous parler du saint baptême »23. Jésus est son amour et le tout de sa vie : « Je vous avoue que je prends un singulier plaisir de vous parler de Jésus-Christ »24,

Un enseignement lumineux sur le baptême, sacrement de l'incorporation au Christ, tel est donc le porche d'entrée dans la direction spirituelle de Mère Mectilde.

II. Dieu connu dans la « lumière ténébreuse » de la foi

« Aussitôt que vous serez éveillée, vous éléverez votre esprit à Dieu, non seulement qui vous est présent, mais dans l'immensité duquel vous venez de vous reposer »25.

18. (141). 249 22. (57). 148

19. (60). 151 23. (14). 96

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21. (111) 214 25. (74) 171

Dieu, pour Mère Mectilde, est une réalité intense ; il exerce sur elle une séduction formidable ; il éveille en elle un attachement brûlant. « Je vous écris toutes ces choses à genoux, dit-elle, prosternée devant la majesté adorable de mon Dieu, qui m'a donné tout ceci et beaucoup d'autres choses à vous dire... »26

Et pourtant, elle dit et répète avec une rare énergie que Dieu est inconnaissable, qu'il est au-delà de tout sentiment et de toute pensée, et que c'est en apprenant à ne rien savoir qu'on peut s'approcher de lui :

« Dépouillez-vous de toutes vos lumières, de tous vos goûts, de toutes formes, de toutes images et espèces [idées]. Dieu est un pur esprit : il veut être adoré par nous en esprit dénué de tout fantôme [représentation]. La foi nous enseigne que tout ce qui tombe sous les sens et la compréhension humaine n'est point Dieu. Non, non, ma très chère fille, tout ce que vous ressentez, tout ce que vous goûtez, tout ce que vous voyez n'est point Dieu. Ce peut bien être quelque effet de ses grâces, mais ce n'est point Dieu, source de grâce ».

Elle conclut : « Il faut que (...) par une simple ignorance, vous demeuriez en foi dedans Dieu »26 bis .

Très consciemment, elle professe - selon la grande tradition familière aux Eglises d'Orient - une « théologie négative » : la foi, dit-elle, « élève l'âme dans une sainte ignorance de tous les affirmatifs »27. Alors, laissons-nous aveugler « comme il plaira à l'Esprit de Dieu »28. Il y a tout cet arrière-plan dans une formule brève et dense comme celle-ci : « Le voir de l'âme est en foi »29.

Pour elle, la foi est « ténèbre lumineuse »30, ou bien encore, « lumière ténébreuse »...31

Le progrès dans la foi ainsi vécue ne va pas sans une pénible impression de vide, d'anéantissement : il faut avancer avec courage « dans les secrets sentiers de la foi où l'esprit humain perd la vie »32.

26. (37). 123 29. (29). 114

26 bis. (36). 123 30. (177). 290

27. (54). 144 31. (68). 162

28. (200). 318 32. (104). 205

66 67

Et voici qu'elle ajoute — car elle aime se ranger bien clairement dans la grande tradition bénédictine : « Cet esprit de foi et de mort est le véritable esprit de saint Benoît ».

Ce vide, nous devons le vouloir, le provoquer pour autant qu'il dépend de nous, en nous dégageant de tout ce qui nous occupe les sens et l'esprit, en écartant patiemment, obstinément, « le tintamarre des créatures »33.

Il faut réfléchir quelque peu à cette logique d'anéantissement qui est comme la trame de son enseignement, à cette mise en garde, si souvent exprimée, contre les créatures. Même en faisant la part d'une certaine dramatisation pédagogique, on peut se demander si ce « néantisme » n'est pas trop absolu.

Il se rattache, au moins pour une part, à une vision pessimiste de la nature humaine atteinte par le péché, et de notre relation faussée avec les choses créées. Ce climat a marqué tout son siècle.

« Notre vie, écrit Mère Mectilde, n'est que péché et corruption, par une pente naturelle que nous avons aux créatures... »34. « Oh ! que la corruption que nous avons contractée par le péché est abominable ! »35 Les créatures « nous amusent et nous arrêtent dans notre voie (...). Elles ruinent notre fond, profanent notre grâce et nous retirent de Dieu ». Alors, « quand sera-ce que. nous aurons assez de force et de courage pour les détruire et les anéantir ? Ou, pour mieux dire, souffrir que la grâce en fasse en nous la destruction ? »36 Tel est l'enseignement très âpre qui revient le plus souvent sous sa plume rapide.

On pourrait en conclure hâtivement que, pour elle, la nature, en tant que nature, est définitivement corrompue et que les créatures de Dieu ne peuvent être pour l'homme que des idoles ou des pièges...

En réalité, quelques textes ouvrent la voie à une conception plus positive de la création et respectent davantage la consistance des choses créées, leur rôle de médiation dans le projet de Dieu. Ainsi :

« Vous aimez Dieu dans les créatures et les créatures en Dieu en deux manières : les regardant en Dieu et regardant Dieu en elles. L'une et l'autre sont bonnes ».

« Voir toutes les créatures en Dieu, c'est les voir abîmées dans son essence divine ; c'est outrepasser toutes les créatures pour les voir dans cette immensité où elles ont leur être et leur conservation, et hors d'icelle, elles sont sans substance... »37

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Bien situées, les choses créées deviennent parole et parabole, elles disent Dieu : «. Voix, voix, voix partout, au ciel et en la terre. Une âme attentive n'entend que des voix qui l'invitent à aimer, à adorer et à glorifier Celui qui est... »38.

Non, les créatures, en réalité, ne sont pas nécessairement rivales de Dieu dans notre coeur. Il y a une façon de les estimer « selon l'estime de Jésus-Christ »39 et d'en user avec action de grâce et liberté.

Soulignons pour conclure ce point deux aspects stimulants de la conception de la foi que professe Mère Mectilde.

Le premier, c'est cette bonne nouvelle qu'on peut être vraiment fidèle à Dieu même si on n'a de lui et de sa présence aucune expérience palpable, aucun goût senti : « Le souvenir secret de Dieu qui est dans le fond de l'âme fait bien voir que l'âme n'en est point séparée. Mais d'autant qu'elle ne le voit ni ne le goûte, elle ne le croit pas. Il faut que vous vous habituiez à l'usage d'une foi pure et dégagée : c'est votre sentier »40.

C'est le sentier de beaucoup — et sans doute la foi y est-elle d'autant plus « pure et dégagée » qu'elle est moins sentie et goûtée. Ces réflexions sont réconfortantes et libératrices.

Second point stimulant : c'est l'affirmation éblouie de la beauté de l'être qui vit de Dieu. « Selon Adam », certes, « nos malheurs sont épouvantables ». Mais nous avons Jésus-Christ ! Et « selon Jésus-Christ, vous êtes fille de Dieu, épouse de Jésus-Christ, revêtue de Jésus-Christ, renouvelée par sa grâce. Vous êtes membre de son Corps, et vous portez son image et sa ressemblance. Vous êtes la bien-aimée de la Sainte Trinité »41.

Oui, telle est notre réalité reconnue dans la foi. C'est ainsi que Mère Mectilde envisage la réalité insondable de Dieu et de son oeuvre en nous.

III. Un désir d'anéantissement dont l'autre nom est : « pur amour »

« Soyez inexorable aux cris de la nature ; il n'y a plus de miséricorde pour elle : il faut mourir »42,

37. (196). 313 40. (200). 318

38. (137). 244 41. (162). 272

39. (128). 236 42. (77). 173

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33.

34.

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C'est un thème qui revient sans cesse dans les lettres de la moniale lorraine ; si profonde que soit son affection pour Mme de Châteauvieux, sa chère fille, elle paraît impitoyable à son égard ; coupées de leur contexte, certaines formules feraient frémir : « Il faut que vous trouviez bon que j'aide à vous détruire, selon que Notre Seigneur m'en donnera la grâce... »43. « Il faut bien autrement souffrir : vous ne faites que commencer ! »". La courageuse disciple ne s'est pas laissée démonter par de telles paroles : au contraire — elle si vivante, si spontanée, si avide de connaître — elle a accueilli attentivement ces appels, et c'est grâce à elle que nous les connaissons. Elle y trouvait sa vie. Cela nous suggère d'ailleurs qu'elle savait les comprendre.

Cette invitation à l'anéantissement ne repose pas seulement sur une conception pessimiste de notre nature corrompue. Elle a aussi un autre fondement : une certaine idée du sacrifice comme anéantissement qui évoque d'emblée le nom du père de Condren ; Mère Mectilde pouvait la tenir de son ami et maître Jean de Bernières, ou bien de leur commun père spirituel, le père Chrysostome de Saint-Lô, religieux pénitent du tiers-ordre de Saint-François. On pourrait la formuler ainsi : Dieu seul, le Créateur, est « Celui-qui-est » ; pour proclamer sa gloire, la créature aspire à disparaître, à s'immoler.

Ecoutons, par exemple, cette prière de Mère Mectilde, dont elle fait part à sa correspondante ; elle s'adresse ainsi à Dieu : « Tout ce que vous désirez de moi, c'est que je demeure plongée dans le centre de mon néant où, cessant d'être, j'avoue et je publie en silence que vous êtes, ô mon Dieu, Celui qui est et le seul digne d'être éternellement. Amen »43.

Elle recourt volontiers, dans cet esprit, à tout un vocabulaire sacrificiel assez réaliste : la victime doit être liée, égorgée, jetée au feu, consumée...

Avec cette doctrine interfère parfois une conception juri-

dique du péché et de la rédemption : pécheurs, nous sommes des coupables qui devons acquitter une peine à la justice de Dieu ; comme nous en sommes incapables, Jésus le Fils de Dieu se substitue à nous : il meurt à notre place. Mère Mectilde utilisait les schémas théologiques courants à son époque. Ils peuvent aujourd'hui nous déconcerter.

43. (34). 119

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Dans la vie chrétienne, dit-elle, « tout tend au néant et à la destruction de nous-mêmes »46. Cette « voie d'anéantissement » est « l'état pur et saint que vous avez voué au baptême »47. Souvent, elle lie cette voie d'immolation à la célébration de l'Eucharistie ; celle-ci nous associe à « l'état de victime que Jésus porte au très saint sacrement »48.

La prière est une expression de notre offrande sacrificielle : « Quand vous entrez dans votre oratoire, vous voici dans le lieu où se doit consommer votre sacrifice. Et dans cet esprit-là, mettez-vous à genoux pour vous immoler et entièrement abandonner à l'Esprit pur et saint de Jésus-Christ (...). Vous êtes là non pour jouir de quelque consolation, mais bien pour opérer votre destruction »49.

On pourrait contester que la créature doive être détruite pour glorifier Dieu : Dieu ne la crée-t-il pas plutôt pour qu'elle existe et chante sa gloire par son existence même ?

En réalité, ce que la religieuse exprime ainsi en utilisant de son mieux des idées reçues à son époque, c'est peut-être autre chose de plus fondamental.

D'abord, sans doute, la conviction que l'instinct propriétaire, incorrigible, fausse notre relation aux réalités de ce monde. Même si elles sont bonnes, si notre nature en tant que telle est bonne, notre liberté, par son mouvement spontané, s'approprie égoïstement les choses et sa propre vie... En réfléchissant trop à vos propres activités, dit la Mère à sa disciple, ne cherchez-vous pas à vous les approprier dérobant ainsi « la gloire qu'elles doivent rendre à Dieu ? (...) Il faut se défier de votre malicieuse subtilité qui dérobe tout, qui souille tout et qui s'approprie tout... »50. « Il faut que tout soit sacrifié à Jésus-Christ : votre mari, vos enfants et vos amis. Vous ne devez pas en être propriétaire »51.

Elle-même, la conseillère, sait ce qu'il en coûte de renoncer à toute possession. A cette jeune femme avec laquelle Dieu l'a liée, comme jamais elle ne s'était trouvée unie avec personne, elle écrit : « Après tout, je dois vous perdre dans le bon plaisir de Dieu. Vous êtes plus à Jésus-Christ qu'à moi (...). Je n'ai garde (...) de me rendre propriétaire du prix du Sang de Jésus-Christ que sa providence me confie... Je vous tiens et je

46. (111). 214 49. (74). 171

47. (122). 228 50. (199) 317

48. (102). 204 51. (148) 255

ne vous tienspas. (...) Hélas ! serais-je si malheureuse que (...) de prendre la place du divin Maitre dans votre coeur et de m'approprier ce qui doit être uniquement à lui ? »32

Plus profondément encore, ce langage d'anéantissement est celui de l'amour. Tout amour vrai a un aspect « sacrificiel » : il est partage et don ; il est feu qui consume ; il implique service et même servitude : « Laissez-vous lier et garrotter des chaînes du pur amour »33.

On peut penser que l'amour, en ce qu'il a d'oblatif et de consumant, est le sens dernier de ce vocabulaire sacrificiel et victimal si souvent utilisé : « Il faut que ce divin feu nous purifie, et rien n'est digne de Dieu s'il n'a passé par ses flammes »54.

L'âme- qui aime « ne regarde pas si elle est contente, car elle n'opère point pour elle, mais pour son seul uniquement adorable Jésus-Christ »55. Elle sait qu'elle aura à souffrir ; elle l'a déjà expérimenté car, si le « pur amour » n'a pas encore accompli toute son oeuvre de « destruction », « il a déjà envoyé ses fourriers marquer ses logis... »36.

Attention ! Aimer n'est pas sentir qu'on aime. Il ne s'agit pas de « l'amour qui frappe les sens » : « Je veux dire que, plus il y aura de pureté dans notre fond, c'est-à-dire une intention épurée et qui tend à faire uniquement pour l'amour et par l'amour de Dieu, il y a plus de grâce et par conséquent plus de mérite... »57.

L'amour ainsi compris « ne laisse point une âme en repos qu'il n'ait fait un total renversement. Il est sans pitié et sans miséricorde : il brise tout, il détruit tout. Il passe encore plus outre, car il consomme [consume] tout... »58. C'est précisément cet amour au-delà du sensible qu'avec Jean de Bernières (et avant Fénelon) elle nomme le « pur amour ».

Et elle invite à contempler cet amour très pur en Marie : « La très Sainte Mère de Dieu étant sur la terre méritait plus par un tour de fuseau que les saints par des pénitences et austérités étranges (...). C'est la pureté d'amour qui donne le poids »59.

C'est la pureté d'amour qui donne le poids ; c'est par elle aussi que prend sens l'appel souvent renouvelé à l'anéantissement sacrificiel de soi-même.

52. (123). 230 56. (68). 161

53. (63). 155 57. (209). 329

54. (48). 137 58. (67). 161

55. (66). 160 59. (209). 329.

72

IV. Un chemin de liberté, « très flexible aux touches de l'Esprit de Jésus »

Vive, brillante, curieuse de savoir, toujours en mouvement, la comtesse de Châteauvieux avait fort à faire et gros à perdre pour devenir « sourde, aveugle et muette »60 : « Votre esprit naturel est ravi de ne se trouver point à jeûn... »61 ; « votre esprit est insatiable, il dévore tout (...) ; vous cherchez trop, vous trouverez moins... »62.

Sur ce long chemin de détachement et de mort, il importait que cette chrétienne fût patiente avec elle-même, qu'elle s'acceptât telle qu'elle était : « Votre pauvre nature souffre douleur (...). Il ne faut point l'accabler tout à fait »63.

« Je vous recommande la patience de vous-même, écrit la conseillère dans une autre lettre, et de vous défendre de votre activité et de trop d'ardeur pour la perfection. Il faut mourir à tout, même aux désirs trop empressés d'icelle... »64.

Le besoin d'activité est-il mis « en campagne » par quelque événement frappant ? Se faire violence, se crisper pour rétablir la paix, ce ne serait pas la vraie fidélité : « Attendez humblement le retour de votre calme, que Dieu vous renverra sans [aucun] doute bientôt après cette petite tempête (...). Ne faites pas tant d'effort pour l'arrêter, car c'est une double imperfection que vous commettez ! »63

Patiente elle aussi, Mère Mectilde lui enseigne peu à peu le discernement.

D'abord, ne pas désirer être comme les autres, même si leurs réalisations paraissent enviables. Les vocations sont différentes : « Chaque âme doit demeurer en sa voie et se tenir dans son degré, sans vouloir entrer dans celle que nous voyons belle et agréable en autrui... »66

La comtesse se sent-elle plus ou moins coupable ? Eprouve-t-elle en elle-même comme des reproches ? Il faut discerner si ces reproches viennent de Dieu ou bien d'une autre source, peut-être du Tentateur ; pour le savoir, qu'elle observe les effets habituels de la grâce « qui sont contraires à ceux de la nature : car elle humilie sans trouble, elle abaisse sans découra-

60. (28). 113 64. (155). 264

61. (31). 116 65. (93). 193

62. (157, 158).266 66. (109). 212

63. (141). 248

73

ger, elle vous jette dans une sainte horreur de vous-même sans vous impatienter, et enfin petit à petit, elle vous anéantit et vous fait sortir de l'estime de vous-même pour vous abandonner sans réserve à la grâce de Jésus-Christ »67. Cette paix et cette confiance dans l'humiliation même sont la marque de l'Esprit.

Comment la disciple vit-elle sa souffrance, lorsque survient une épreuve ? « Cette douleur cause-t-elle inquiétude secrète ? »68. C'est qu'alors quelque subtil égoïsme se trouverait blessé...

Apprendre à reconnaître en soi le poids d'un orgueil caché peut demander beaucoup de vigilance et de finesse : « Ce qui fait que vous connaissez si peu votre orgueil, c'est que vous avez toujours été de son parti ! »69,

Pour cette laïque chercheuse de Dieu, le discernement s'applique aux tâches et aux relations de la vie quotidienne ; il importe d'y reconnaître les appels de Dieu : « Il faut faire vos affaires domestiques et ce ne serait point vertu de les négliger »7°.

Et même « si les affaires pressent, vous les pouvez préférer à vos oraisons ». Si vous tâchez de conserver, en les vivant, « l'esprit intérieur qui vous doit accompagner en toutes vos opérations, vous trouverez que vous agirez en vos affaires en esprit d'oraison (...). Tout est pour Dieu... »71,

Mais voici le cas où la chrétienne est amenée à faire des choix humains par ses propres lumières. De telles décisions n'échappent-elles pas à la « soumission amoureuse » qu'elle doit au Christ ? Nullement : « Bien qu'elles soient à votre liberté, il ne les faut jamais faire néanmoins que par obéissance à Jésus-Christ qui vous l'inspire »72. Pourquoi en effet ne nous parlerait-il pas aussi par notre réflexion humaine menée de façon humble et désintéressée ? « Mangez..., dormez..., travaillez..., divertissez-vous par obéissance ! »73. Obéissance intérieure et aimante à Jésus-Christ.

L'amour conjugal lui-même - Mère Mectilde ose en parler - est intérieur à cette totale fidélité. Le comte de Château- vieux est malade et son épouse est dans la peine ; qu'elle vive pleinement cette compassion spontanée ; mais qu'elle la vive en Dieu, respectant les desseins de Dieu sur l'âme et le corps de son mari ; qu'elle l'offre à Dieu, lui, en sacrifice d'amour ; car, explique la Mère, votre mari est « une partie de vous-même par le sacrement qui vous a unis »74.

67. (154). 262 71. (208). 328

68. (72). 167 72. (208). 328

69. (159). 268 73. (48). 137

70. (162). 273

On pourrait recueillir, au fil des lettres, tout un traité sur la prière. En voici quelques bribes.

« Il y a bien de la différence entre la méditation et l'oraison »75. Qu'est-ce donc que l'oraison ? C'est une prière très dépouillée, au-delà de toute image, de tout sentiment et de toute pensée conceptuelle. « Apprenez donc à prier en foi, sans raisonner dans votre esprit, (...) remettant toutes choses amoureusement entre les mains de Dieu »76. « Rentrez intérieurement en vous-même, pour vous occuper de ce regard simple et amoureux de Dieu »77.

On le voit, Mère Mectilde utilise volontiers le mot « amoureux » pour qualifier notre relation la plus dépouillée, la plus insensible avec Dieu.

Le corps a son rôle dans la prière : « Entrant dans votre oratoire, vous vous prosternerez en terre... »78.

Mère Mectilde apprend à sa disciple à bien user des distractions et des impuissances : « C'est une grande infidélité à l'âme en cet état de travailler, pour en sortir il faut se laisser anéantir »79.

Gare au « trop grand désir de bien faire ! »80 Et aux principes appliqués avec trop de raideur : apprenons la liberté ! « Après tout, il faut prier comme Dieu nous fait prier (...). Nous ne devons point avoir d'attaches à nos pratiques intérieures »81. Car une disposition essentielle à l'oraison, c'est « une exposition de nous-mêmes à la puissance divine »82.

La prière, ce ne sont pas seulement les temps réservés à Dieu. C'est aussi, tout au long des activités, « un regard actuel sur Dieu mais très simple et amoureux »83, « un souvenir de Dieu en foi, c'est-à-dire sans images »84.

74. (46). 134 80. (183). 297

75. (79). 175 81. (87). 185

76. (87). 185 82. (78). 174

77. (191). 307 83. (25, 197). 109

78. (11). 174 84. (203). 321

79. (80). 177

74

75

Toute l'existence, en effet, doit être une vie dans l'Esprit : baptisés, nous sommes « nés de l'Esprit ». Cela invite à une grande liberté intérieure, à une sorte de connivence avec l'Esprit-Saint qui veut parler à travers notre vie, à un « secret

du coeur » aussi, soigneusement conservé par respect pour Celui qui y habite".

Si le chrétien est fidèle, sa vie devient « pur abandon à la conduite et à l'Esprit de Jésus »86, « toute remplie de son divin Esprit »87 : « Laissez-vous conduire comme il plaira à Notre Seigneur ; soyez très flexible aux touches de son Esprit »". Cette vie dans l'Esprit est un chemin d'enfance : « Qu'il vous fasse la grâce d'être comme un petit enfant, tout soumis et simplifié à sa sainte conduite »89. A bien des reprises, Mère Mectilde reprend ce thème.

Surtout, c'est un chemin de liberté : « Vous posséderez une liberté intérieure si sainte que vous vous étonnerez (...). Oui, ma

très chère fille, la liberté que vous aimez tant et que votre amour-propre craint de sacrifier vous sera rendue doublement. C'est-à-dire que vous serez plus libre et que plus rien ne vous captivera »90.

Dans cet ensemble de lettres, Mère Mectilde ne parle pas souvent de la Vierge Marie. Mais elle a à son sujet quelques réflexions très fortes. Celle-ci, par exemple, en la fête de Noël : auprès de Jésus-Enfant, dit-elle, « tenez-vous aux pieds de sa très sainte Mère dans l'étable. Et comme elle a puissance de donner Jésus 'au monde, priez-la humblement qu'elle le donne à votre âme et qu'elle donne votre âme à Jésus. C'est par son ministère que nous entrons dans la sainteté de la vie intérieure »91.

Tel est, sommairement synthétisé, l'enseignement spirituel que Mère Mectilde du Saint-Sacrement donna, au cours des longues années de leur relation épistolaire, à la comtesse de Châteauvieux : tout l'édifice repose sur une forte doctrine du baptême, sacrement de l'entrée dans le Corps du Christ et dans la sainteté du Christ ; au centre de tout, la foi, une foi au-delà du sensible et du raisonnement, une foi qui nous dépouille de nos connaissances pour nous ouvrir à Celui qui est au-delà de tout ; et un amour également dépouillé, le « pur amour », dont l'expérience s'identifie à celle d'un « anéantissement » de nous-même en communion avec le don total du Christ en Croix ; et cette voie s'épanouit en souple docilité à l'Esprit qui fait de nous des tout-petits et des êtres libres.

85. (2). 83 89. (31, 51, 119). 117-140-224

86. (30). 115 90. (41). 129

87. (123). 229 91. (173). 287

88. (76). 172

Après nous avoir fait part de cette sagesse, Mère Mectilde prend congé de nous. Peut-être nous dit-elle, comme elle l'écrivait à sa disciple à la fin d'une de ses missives, avec des mots et des images qui sont tellement les siens : « Adieu, à Dieu en Dieu pour l'éternité, dans laquelle je vous perds et vous abîme, me retirant dans le centre de mon néant »92.

Paul MILCENT


[TABLE du seul début de l’ouvrage ; page sans titre !]

92. (191). 308

Préface de Mgr Charles Molette, 9

Le voeu de la reine, 10

Une amitié spirituelle au grand siècle, 17

La présente édition, 22

Introduction de Michel Dupuy, P.S.S., 31

I. Marie de Châteauvieux, 31

11. Le « Bréviaire » et la théologie du temps, 37

. Dieu

Le Père

Le Fils, 38

L'Esprit-Saint, 40 . Attitudes, 41

Pure foi, 41

Amour, 43

Amour et respect, 43 , Pur amour, 44 ; Amour et sainteté, 45 ; Aimer la volonté de Dieu, 46 ; Vers l'amour pur, 47

Anéantissement, 48

Simplicité, 50 Pratiques, 51

Voeux, 51

Servitude, 53

Voeu de victime, 54

Contrition et confession, 56

Eucharistie, 60

Introduction de Paul Milcent, eudiste, 63

I. Cette profession que vous avez faite au baptême, 64

II. Dieu connu dans la « lumière ténébreuse » de la foi, 66 1H. Un désir d'anéantissement dont l'autre nom est : « pur amour », 69 IV. Un chemin de liberté, 73

79

Lettres

à la

comtesse de Chateauvieux

INDEX DES NOMS DE PERSONNES


Alexandre VII, p. 57

Benoît (St), bénédictins, p. 41, 59, 61, 68

Berniéres (Jean de) p. 18, 20, 41, 70, 72

Bérulle (Pierre) p. 37, 38, 53, 61, 65

Bossuet (Bénigne) p. 45.

Camus (Jean-Pierre) p. 44, 45

Canfield (Benoit de) p. 37, 46, 47

Chrysostome de Saint-Lô p. 70

Condren (Charles) p. 40, 41, 48, 49, 55, 57, 58, 59, 61, 70

Duvergier de Hauranne (Jean), p. 52

Fenelon (François) p. 45, 72

François de Sales (St) p. 36, 38, 44

Guillore (François) p. 35, 49

ives de St Paul, p. 53

Jansenius, jansénistes p. 52, 56, 57, 61

Jean des Anges p. 53.

Jean de la Croix (St) p. 24, 62

Jean Eudes (St) p. 61, 64, 65

Jeanne de Chantal (Ste) p. 42, 51, 62

Jean Paul IL p. 24

Laurent de Paris, p. 44

Louis (Epiphane) p. 42, 43, 55

Luther (Martin) p. 51

Malaval (François) p. 36

Mate! (Jeanne de) p. 11

Maupas (Henri de) p. 42

Nicole (Pierre) p. 61

Olier (Jean-Jacques) p. 18, 40, 41, 48, 52, 53,

Pascal (Blaise) p. 45, 46, 60

Petau (Denis) p. 40

Picote (Charles) p. 10, 13

Seguenot (Claude) p. 52, 53

Sirmond (Jacques) p. 44, 45

Teilhard (Pierre) p. 49

Varsovie, p. 16, 23

Vincent de Paul (St) p. 17

54, 58, 60, 61, 65

µµ

Lettres à la comtesse de Chateauvieux

INSTRUCTION SUR LE SAINT BAPTEME

Le baptême est un mystère plein de vérité dans lequel il se fait une consécration certaine des âmes à Dieu qui se les dévoue par l'onction intérieure de la grâce et la présence de son Esprit. Et pour l'effet de ce mystère l'âme n'a rien qu'une puissance passive, laquelle ne contribue point à l'opération, mais qui la reçoit comme l'établissement d'un nouvel être et la préparation à une nouvelle vie, qui fait que saint Paul nomme le baptême une rénovation intérieures, et Jésus-Christ, en saint Jean, une naissance pure et spirituelle2 que Dieu opère solitairement dans les personnes qu'il a destinées pour être ses enfants et les cohéritiers de son Fils unique.

Nous demeurons obligés par le baptême d'être à Dieu et de vivre pour Dieu, suivant les mouvements de la grâce qu'il nus a donnée et qui ne manque pas, à l'ouverture de la raison, dé solliciter notre coeur d'aller à lui. Et sipour lors la grâce est victorieuse_de la convoitise, et qu'elle ait son effet, qui est de nous unir à Dieu volontairement, auquel nous n'étions unis que passivement, ce que Dieu sans nous avait opéré en nous, nous l'opérons en lui et avec lui, ratifiant les promesses que la sainte Eglise avait faites en notre nom, protestant que nous voulons être à Dieu, vivre en Dieu, et mourir pour Dieu, et nous consacrant et dévouant nous-mêmes à son service, par les mouvements de cette charité précieuse qui désunit l'âme de tout ce qui n'est point Dieu, et l'unit à Dieu par état.

Vous devez, pour vous assurer les voies de votre prédestination, renouveler autant qu'il vous est possible le premier état du saint baptême et ressusciter ce premier esprit qui vous a établie dans l'adoption des enfants de Dieu, purifiant votre âme par les larmes d'une pénitence sincère et amoureuse, priant in-

[dorénavant parfois notes à mettre en format notes de bas de page, pagination à alléger]

1. Rm 6, 2-7.

2. in 3, 1-8.

81

80

cessamment3 Notre Seigneur de vous recevoir au nombre des siens, renonçant à tout esprit contraire, et renouvelant les promesses que la sainte Eglise a faites pour vous, qui est d'adhérer à Jésus-Christ et à sa croix ; et puis vous devez commencer à vivre comme vraie chrétienne, vivant de la vie originaire et primitive qui consiste, comme dit Notre Seigneur, à ressembler en sa manière d'agir au Saint-Esprit même, par trois rapports qui devraient être continuels en la vie des chrétiens.

Notre Seigneur a dit en saint Jean, chapitre troisième,que pour être spirituel au point qu'il faut, afin d'entrer au Royaume de Dieu et dans l'école de Jésus-Christ son Fils, chacun des chrétiens doit, pour la conduite de sa vie, suivant son état, avoir avec le Saint-Esprit les trois rapports qui suivent. Voici ces paroles : « L'Esprit s'insinue librement là où il lui plaît », car il est libre dans ses opérations ; « il se fait entendre » et par les paroles et par les oeuvres de ceux qui le possèdent et qui en sont les organes, et cependant on ne le voit point, car il demeure caché au-dedans ; « on ne sait d'où il vient ni où il va », par où il entre, par où il sort, on ne connaît point en quelle manière il agit ; a. hic est omnis qui natus est ex spiritu », toute personne qui est née de l'Esprit est de la même sorte.

Et le premier rapport qu'elle doit avoir avec le Saint-Esprit, c'est une parfaite liberté intérieure qui consiste :

1 - à 'n'être point contrainte de suivre les mouvements étrangers d'une convoitise qui précipite les âmes dans ce mal, jusqu'à tant que la grâce baptismale ait fait mourir en eux le péché.

2 - à pouvoir faire sans empêchement tout ce que la loi de la conscience montre qu'il faut faire, et ce par le moyen d'une charité victorieuse qui fortifie tellement le coeur humain que rien ne l'empêche de servir Dieu.

3 - à ne rien faire que par amour, parce que la liberté chrétienne vient de la noblesse de l'Esprit, lequel inspire à ceux qu'il anime un sentiment digne des enfants de Dieu, auxquels donc il ne convient nullement d'agir par la crainte comme des valets, ni par des prétentions intéressées comme des mercenaires, mais par un saint désir et une intention droite de la gloire de leur Père.

Le second rapport que la personne spirituelle doit avoir avec le Saint-Esprit est faire connaître qu'elle est spirituelle par les paroles et par les oeuvres, en sorte que la grâce et les dons de l'Esprit intérieur qui ne se voit point par les yeux du corps, sanctifie ses moeurs de telle sorte qu'on juge combien l'état et la disposition de l'homme nouveau est avantageuse, puisque dans sa vie, il n'y a rien que de spirituel et de divin.

Le troisième rapport est de conserver le secret du coeur avec tant de réserve qu'il n'y ait que Dieu seul, et ceux qu'il destine à l'aider dans ses voies, qui en connaisse la pureté et qui en sache la conduite.

Voilà quelque chose en général de l'état du chrétien ; pour le particulier, cela s'applique à chaque âme selon sa voie, sa grâce et sa vocation, et ne se peut dire que dans le secret de la conduite et disposition particulière.

n° 1946

A QUOI NOUS OBLIGE LE BAPTEME

Le baptême nous oblige à une haute perfection, qui est celle du christianisme, tant parce qu'il nous conforme à la mort et à la vie nouvelle de Jésus, et qu'il imprime dans nos âmes son caractère et sa ressemblance en laquelle consiste toute notre grâce et perfection, comme parce qu'il est l'entrée à la loi de la grâce, qui est une loi d'amour et de perfection, à la différence de la loi ancienne qui était de crainte et de servitude. Car la loi a été donnée par Moïse et la grâce et la vérité ont été faites par Jésus-Christ4.

Enfin le baptême est une naissance spirituelle qui nous fait être les enfants de Dieu. Et comme c'est aux enfants à imiter leurs pères, nous sommes conviés par le Fils de Dieu d'être parfaits ainsi que notre Père céleste est parfaits. Et voilà notre première obligation qui est gravée si avant en nous avec le caractère du sacrement de baptême qu'elle ne se pourra jamais effacer.

4. Jn 1, 17.

3. Incessamment : au XVII* siècle a le sens de : sans cesse, constamment. 5. Mt 5, 48.

47

83

Le baptême oblige précisément à la perfection. Mais les autres états de l'Eglise, comme celui des religieux, obligent plutôt aux moyens de la perfection qu'à la perfection même ; car ils obligent à l'observance des voeux qui nous y frayent le chemin et nous donnent facilité pour y parvenir ; mais ils supposent l'obligation que nous y avons.

De plus, les religieux se donnent à Dieu de leur volonté, mais par le baptême Dieu nous choisit de son autorité. Les premiers se font par leur profession qui dépend de la liberté humaine ; et les autres par la régénération spirituelle, laquelle est indépendante de nous. Donc votre première grâce à laquelle vous devez fidélité est celle du christianisme, grâce de la loi évangélique et de Jésus-Christ Notre Seigneur, qui est d'un état et d'un ordre relevé sur la grâce originelle d'Adam et sur celle des anges, comme étant proportionnée à Celui qui en est l'auteur et le sujet ; grâce que nous avons reçue au baptême et qui nous oblige à la perfection de l'Evangile et nous lie au Fils de Dieu par le caractère d'une servitude perpétuelle.

Et c'est le premier dessein que vous devez avoir de ressusciter cette grâce, laquelle est en nous, mais souvent comme morte et sans action de vie ; de la renouveler étant envieillie, et de la réveiller étant assoupie ; d'allumer ce feu que Notre Seigneur est venu apporter en terre6, qui s'éteint en nos coeurs, et de rappeler l'esprit primitif des premiers chrétiens de l'Eglise naissante qui souvent demeure en nous comme captif et sans effet ; de l'appliquer, de le mettre en usage et de l'accroître et de le perfectionner ; d'entrer en un zèle de la pauvreté et la sainteté de l'Evangile de Jésus-Christ, et de renouveler vers lui notre première servitude.

J'ai encore brouillé7 quelques pensées de vérités sur le baptême et ensuite dressé un acte de renouvellement de la profession que nous y faisons. Je n'entends pas vous obliger à le réciter comme je l'ai écrit. Je prétends vous laisser au Saint-Esprit pour le former en vous selon son bon plaisir mais je l'ai dressé de cette sorte pour vous faire connaître plus en fond à quoi vous et moi sommes obligées. Vous y remarquerez ce à quoi vous êtes engagée et l'obligation que vous avez de vous renouveler dans cet esprit pur et saint. Vous verrez comme vous êtes baptisée au nom de la très Sainte Trinité et que signifie cela.

6. Lc 12. 49.

7. Brouillé : écrit rapide et sans prétention.

84

J'avais encore en la pensée de vous expliquer les cérémonies du baptême, mais je crois que j'en ai assez dit et je ne sais si quelque chose de ce que nous en avons écrit vous sera utile ; j'abandonne le tout à la Providence, ne réservant rien pour moi que le pur néant dans lequel je dois être abîmée. Je ne sais et ne comprends point comme vous m'en faites si souvent sortir pour produire des fruits de ténèbres et d'ignorance.

no 1947

NOUS SOMMES BAPTISES AU NOM DE LA TRES SAINTE TRINITE 8

C'est par Notre Seigneur Jésus-Christ que nous sommes baptisés, comme il a été dit, mais c'est au nom et en la vertu de la9 Sainte Trinité que nous sommes baptisés : car les trois Personnes divines sont présentes au saint baptême d'une manière particulière. Le Père y est engendrant son Fils en nous et nous engendrant en son Fils, c'est-à-dire donnant un nouvel être et une nouvelle vie en son File. Le Fils y est, prenant naissance et vie dans nos âmes et nous communiquant sa filiation divine, à raison de quoi nous sommes faits enfants de Dieu, comme il est Fils de Dieu. Le Saint-Esprit y est, formant Jésus dans le sein de nos âmes, comme il l'a formé dans le sein de la Vierge.

Le Père, le Fils et le Saint-Esprit y sont, nous séparant de toutes choses, nous appropriant et consacrant à eux d'une manière toute spéciale, imprimant leur Divin caractère et leur Image dedans nous et établissant en nous, comme dans leur Temple vivant, dans leur sacré Tabernacle, dans leur saint Trône, et dans leur Ciel, leur demeure, leur gloire, leur

8. Texte emprunté à saint Jean Eudes : La Vie et le royaume deJésus dans les âmes chrestiennes, par le père Jean Eudes, prestre de la Congrégation de Jésus et Marie. Nouvelle et dernière édition, reveüe, corrigée, et augmentée de nouveau par l'Autheur. A Paris chez Frédéric Léonard, MDCLXX. Nous indiquons les variantes selon cette édition en en respectant la ponctuation.

7e partie, paragraphe XI V : que nous sommes baptisés au nom de la très Sainte Trinité, et des devoirs qu'il lui faut rendre sur ce sujet, p. 508.

9. Très Sainte Trinité.

10. A son Fils dedans nous, et nous donnant un nouvel être et une nouvelle vie et en son Fils.

85

royaume et leur vie. Ensuite de quoi si nos péchés n'y mettaient point d'empêchement11, ces trois divines personnes12 demeureraient toujours en nous d'une manière particulière et ineffable, ils s'y glorifieraient admirablement et ils y vivraient d'une vie toute sainte et divine : comme aussi en suite de cela nous appartenons à Dieu, comme une chose qui lui est entièrement consacrée et qui par conséquent ne doit être employée à aucun usage qu'à celui de sa gloire et de son service13.

n° 195

RENOUVELLEMENT DE LA PROFESSION QUE NOUS AVONS FAITE AU SAINT BAPTEME 14

« O Jésus, mon Sauveur » et mon Dieu ! prosternée humblement à vos pieds, je vous adore comme mon Chef que je dois suivre et imiter en toutes choses selon la profession publique et solennelle que j'en ai faite au baptême : car alors j'ai promis et fait profession, par la bouche de mes parrains et marraines, en la face du ciel et de la terre, de renoncer entièrement à Satan, à ses oeuvres et ses pompes, c'est-à-dire au péché et au monde, et d'adhérer à vous comme à mon chef, de me donner et consacrer totalement à vous et de demeurer en vous pour jamais.

Promesse et profession16 très grande et qui m'oblige, en qualité de chrétienne, à une très grande perfection et sainteté :

11. Empêchement.

12. Ces trois Personnes éternelles.

13. Saint Jean Eudes poursuit : « Sur ce sujet il est bon de lui rendre les devoirs suivants * ; puis les trois paragraphes suggèrent des pratiques de piété envers la très Sainte Trinité.

L'un des manuscrits copié sur le D. 10 (N 264) par la très fidèle copiste que fut mère Monique des Anges de Beauvais, ajoute en note au bas de ce texte : « Je suis bien aise d'avertir icy... que ce n'est point de notre Mère, mais du. Royaume de Jésus, même lacte en est, mais comme elle en a fait lexplication, ie n'ay pû obmettre de lescrire ».

14. Saint Jean Eudes, op. cit., 7e partie, paragraphe XIII, p. 506 : Elévation à Jésus pour renouveler la profession que nous avons faite au baptême.

15. Mon Seigneur...

16. Grande et...

86

car, en faisant profession17 de n'être qu'un avec vous, comme les membres ne font qu'un avec leur chef ; c'est faire profession de n'avoir qu'une vie, qu'un esprit, qu'un coeur, qu'une âme, qu'une volonté, qu'une pensée, qu'une même disposition et dévotion avec vous. De sorte que c'est faire profession, non seulement de pauvreté, ou de chasteté, ou d'obéissance, mais c'est faire profession de vous-même, c'est-à-dire, de votre vie, de votre esprit, de votre humilité, de votre charité, de votre justice18, de votre pauvreté, de votre obéissance, et de toutes les autres vertus qui sont en vous : en un mot, c'est faire la même profession que vous avez faite devant la face de votre divin19 Père, dès le moment de votre Incarnation, et que vous avez très parfaitement accomplie en toute votre vie ; à savoir, c'est faire profession de ne jamais faire sa volonté propre, ainsi de mettre tout son consentement à faire toutes les volontés de Dieu, d'être en état de servitude perpétuelle, au regard de Dieu et des créatures20, pour l'amour de Dieu, et d'être dans un état d'hostie et de victime continuellement sacrifiée à la pure gloire de Dieu. Voilà le voeu et la profession que j'ai faite au baptême

21 O que cette profession est sainte et divine, et qu'elle m'oblige à une vie sainte et divine ! O combien ma vie est éloignée22 de cette sainteté et perfection ! Combien vous suis-je contraire, ô mon très adorable Jésus, et combien ai-je détruit et consommé vainement votre grâce et profané vos dons par l'orgueil, la vanité et complaisance que j'ai pris dans les créatures et dans moi-même ! Ma vie passée n'a été qu'une actuelle opposition à la sainteté de vos desseins. Que la malignité de mon fond est grande d'avoir tant de fois anéanti votre grâce, dérobé votre gloire, foulé aux pieds votre sang ; bref, je vous ai été

17. De demeurer en vous et d'adhérer à vous comme à mon chef, c'est faire profession...

18. De votre pureté.

19. Devant la face de votre Père.

20. Et des hommes.

21. 0 Jésus, mon Seigneur. Oh que cette profession...

22. Le passage suivant est propre à Mère Mectilde qui ne rejoint le texte de saint Jean Eudes qu'à : réparez pour moi, je vous en supplie... A partir de : ô combien ma vie est éloignée... Saint Jean Eudes a un autre texte : « Combien de manquements ai-je commis en toute manière contre une si sacrée profession. Pardon, mon Sauveur, pardon, s'il vous plaît. O mon divin réparateur...

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contraire toute ma vie, commettant des infidélités en toutes manières contre une profession si sainte et si sacrée. Pardonnez-moi, mon très adorable Seigneur, s'il vous plaît. O mon divin Rédempteur et réparateur, réparez pour moi, je vous en supplie, tous ces miens manquements, (et péchés), et en satisfaction offrez à votre Père tout l'honneur que vous lui avez rendu en toute votre vie, par le parfait accomplissement de la profession que vous lui avez faite au moment de votre Incarnation.

O Jésus, en l'honneur et union du très grand amour et de toutes les autres très saintes dispositions avec lesquelles vous avez fait cette même profession, je veux faire maintenant par moi-même ce que j'ai fait par autrui en mon baptême, c'est-àdire23, par la bouche de mes parrains et marraines. Pour cet effet, en la vertu24 de votre esprit et de votre amour, je renonce pour jamais à Satan, au péché, au monde et à moi-même. Je me donne à vous, ô Jésus, pour adhérer à vous, pour demeurer en vous, et pour n'être qu'une avec vous, de coeur, d'esprit et de vie. Je me donne à vous pour ne faire jamais ma propre volonté, ains pour mettre toute ma félicité à faire les vôtres très saintes25.

Je me donne, je me voue et je me consacre à vous, en état de servitude perpétuelle au regard de vous et de toutes sortes de personnes pour l'amour de vous.

Je me donne encore, je me voue et me consacre26 à vous, en état d'hostie et de victime, pour être tout immolée à votre pure gloire, en toutes les manières qu'il vous plaira.

O divin Jésus, donnez-moi la grâce, s'il vous plaît, par, votre très grande miséricorde, d'accomplir parfaitement cette sainte profession : mais accomplissez-la vous-même en moi et pour moi, ou plutôt pour vous-même et pour votre pur contentement, selon toute la perfection que vous le désirez, car je m'offre à vous, pour faire et souffrir à cette intention tout ce qu'il vous plaira.

n° 2408

23. Une phrase de saint Jean Eudes a été omise par la copiste de ce manuscrit, on la trouve dans d'autres copies « Je veux renouveler la profession que j'ai faite alors... »

24. Et puissance.

25. A faire toutes vos saintes volontés.

26. Et me sacrifie.

EXPLICATION DE LA PROFESSION DE BAPTEME

« Je vous adore comme mon chef que je dois suivre et imiter en toutes choses »27.

Dans le baptême vous regardez Jésus-Christ non seulement comme votre maître, mais comme votre chef que vous devez suivre et imiter. Or, si Jésus-Christ est votre chef, il faut nécessairement que vous soyez son membre et qu'il fasse en vous ce que la tête fait au corps humain.

Le chef influe vie au corps ; et toute notre capacité de pensée, d'entendement et de volonté réside en notre chef. Or si vous ôtez le chef, vous ôtez la vie. De même si Jésus se retire de votre âme, elle perd sa vie de grâce ; car Jésus-Christ comme son chef influe vie et vertu en elle, et sans lui elle n'a aucune capacité. Elle relève de sa puissance comme les membres de votre corps relèvent de votre chef. De sorte que si votre main agit, c'est par l'ordre de votre esprit, c'est par le commandement du chef. De même si votre âme agit ce ne doit être que par obéissance à Jésus qui est son chef. Elle le doit suivre, c'est-à-dire elle ne doit avoir point d'autre disposition que celle qu'il lui donne et y être tellement assujettie qu'elle ne se détourne jamais de son bon plaisir et que jamais elle n'agisse par son propre esprit.

Elle le doit suivre partout, à la croix et à la mort, comme lui étant très parfaitement soumise en toutes ses conduites et dispositions. Elle le doit imiter en sa patience, en sa charité, en son humilité, en ses souffrances, en sa fidélité, en son amour, en sa fermeté, en son innocence, en sa simplicité, en sa persévérance, bref en sa consommation.

Voilà le premier pas que vous faites pour entrer dans l'esprit et la grâce de votre baptême.

« J'ai promis par la bouche de mes parrains et de mes marraines de renoncer à Satan, et d'adhérer à vous comme à mon chef ».

27. Saint Jean Eudes, op. cit., 7' partie, paragraphe 13. Ce texte de Mère Mectilde est une explication de l'acte de saint Jean Eudes rapporté ci-dessus.

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Je crois que cet article n'a point besoin d'explication.

Vous le comprenez suffisamment, car notre propre malice nous fait connaître la nécessité que nous avons de renoncer à nous-mêmes pour adhérer à Jésus. Mais parce que c'est une promesse ou cédule que vous faites à Dieu en présence du ciel et de la terre, il est très nécessaire que vous en conceviez le poids et l'importance.

D'autant que les promesses que nous faisons à Dieu ne sont pas comme celles que nous faisons aux hommes, car l'inconstance des uns et l'infidélité des autres fait rompre ou changer leurs promesses. Mais au regard de Dieu il n'en va pas de la sorte : il faut mourir pour lui garder inviolablement la fidélité promise au baptême, rien ne nous en peut dispenser. C'est pourquoi il faut renoncer à Satan, d'effet aussi bien que de parole. Il faut faire le même au regard du monde et du péché. Il faut détester les suggestions diaboliques, il faut quitter le péché et les maximes du monde, sortir des créatures, du mensonge, de la vanité des sens et de notre amour-propre.

Vous avez promis à Dieu de n'adhérer point aux tentations du monde, du diable et de vous-même, ains d'adhérer à Jésus-Christ comme à votre chef. Et ensuite vous vous êtes donnée et consacrée totalement à lui pour demeurer en lui pour jamais. Pesez ces dernières paroles : pour demeurer en lui28. C'est-à-dire : pour demeurer en sa grâce, en son amour et en ses divines volontés, de pensées, de paroles et d'oeuvres. De pensées, par simple et amoureuse attention en sa sainte présence. De paroles en proférant vérité et les choses de sa gloire : c'est-à-dire parlant pour le produire et glorifier dans les âmes, ou par obéissance à sa conduite ; d'effet, c'est-à-dire d'opérer en son amour, pour lui seul, sans envisager les créatures ni vos intérêts.

Voilà ce que c'est de demeurer en Dieu selon la promesse que vous lui avez faite. Or il y a encore d'autres sortes de demeures en Dieu ; mais comme elles sont émanées en l'âme d'une autre manière particulière, je les laisse, pour continuer à vous faire voir ce à quoi vous êtes obligée par votre profession du baptême.

« Promesse et profession très grande... »

Oui vraiment très grande, et si grande et si sacrée que vous ne pouvez recevoir de Dieu une plus haute grâce que celle du baptême. Car elle vous fait enfant de Dieu, vous fait membre de son corps, vous fait épouse de Jésus, vous fait entrer en partage avec lui de l'héritage éternel. Bref, vous fait une ressemblance de Jésus-Christ, vous unit et transforme si parfaitement qu'il est en une certaine manière tout diffus en vous et vous remplit de lui-même, vous donne vie en lui, mais une vie de grâce, une vie toute sainte et divine.

Profession très grande qui vous fait être toute dédiée et consacrée à la divinité, qui vous fait vivre tout de Jésus-Christ. Qu'est-ce à dire vivre de Jésus-Christ ? C'est-à-dire que l'on vit de sa grâce, de son esprit, de son amour. On ne vit plus de la vie humaine, de la vie animale, de la vie de péché, de la vie impure des sens et des créatures, mais l'on vit de la vie de Jésus : vie pure, vie dégagée, vie anéantie, vie qui n'a point de respir que le pur amour. Enfin c'est vivre comme Jésus-Christ et être mue de son Esprit et des intérêts de sa gloire. Toute la prétention de notre âme doit être de vivre pour lui et de l'honorer comme il a honoré son Père.

« Profession très grande qui vous oblige de n'avoir qu'une vie, qu'un même esprit, qu'un coeur et qu'une volonté avec Jésus-Christ, qu'une même pensée et qu'une même disposition... »

Ces paroles n'ont pas besoin d'être plus étendues. Car n'être qu'une vie, qu'un esprit, qu'un coeur, qu'une volonté avec Jésus, c'est être plus animée de Jésus que de soi-même, c'est être transformée en lui, c'est ne plus se voir soi-même, n'avoir plus de volonté propre, ains avoir une volonté toute soumise et conforme à la sienne, avoir un coeur qui aime Jésus-Christ et qui aime comme lui, qui n'ait plus d'amour pour soi-même ni pour les créatures. N'avoir plus qu'une même vie avec Jésus-Christ, c'est que vous ne devez plus vivre que pour lui, votre vie doit être conforme à la sienne. En un mot l'on ne doit rien voir en vous, en votre âme, en votre coeur et en tout ce que vous êtes que Jésus-Christ et il doit plus vivre en vous que vous-même ne vivez en vous29.

Cela est bien facile à faire à une âme chrétienne qui veut vivre de foi. Car la vérité vous apprend que Jésus-Christ est en

28. Jn 15, 4. 29. Ga 2, 20.

vous. Vous le devez croire sans hésiter et le laisser être en vous tout ce qu'il lui plaira, portant toujours une disposition d'amour, de soumission et de respect à ses conduites ; vous accoutumant à ne rien voir hors de ses ordres ni de son bon plaisir ; rapportant toutes choses à lui, ne vous souciant de rien que de lui, ne préférant rien à lui30. Il vous doit être tout en toutes choses, étant assurée par la vérité de la foi qu'il n'y a rien digne d'amour ni d'estime que lui, rien de ferme, rien de permanent, rien de solide, rien de véritable, rien de parfait, rien de précieux, rien d'adorable, rien de divin et rien de saint que lui. O aveuglement épouvantable de l'âme chrétienne qui ne veut point connaître Jésus et qui ne le trouve pas suffisant pour la satisfaire et contenter !

« C'est faire profession de vous-même, ô divin Jésus », c'est faire profession d'être par grâce ce que vous êtes par nature. « Car faire profession de Jésus-Christ, c'est bien plus que de faire profession de chasteté, de pauvreté, d'obéissance ». C'est faire profession de la perfection dont Jésus-Christ a été parfait sur la terre. En un mot, c'est faire profession de lui-même : c'est-à-dire d'être autant qu'il vous sera possible, par sa grâce, un autre lui-même, par l'imitation de ses vertus. Mais c'est faire profession d'être unie à lui tellement qu'il soit plus vous que vous-même.

« C'est faire profession de votre esprit, de votre humilité... ». Vous faites profession des vertus de Jésus et de son Esprit, c'est-à-dire que vous ne devez plus agir que par son Esprit, et toutes les vertus que vous pratiquez vous les devez voir comme vertus de Jésus-Christ opérant en vous. Si vous êtes humble, c'est l'humilité de Jésus-Christ ; si vous êtes charitable, c'est la charité de Jésus ; ainsi du reste.

« Enfin c'est faire profession de la même profession que Jésus-Christ a faite au moment de son Incarnation », où il se dédia si parfaitement et divinement à la pure gloire de son Père, qu'il s'est consommé pour ses intérêts. Son âme sainte en ce précieux moment s'est convertie31 tellement à Dieu par l'union hypostatique qu'elle n'en a jamais désisté. Il faut que, comme vous êtes toute consacrée à Dieu par Jésus-Christ dans votre baptême, vous demeuriez unie à Dieu et que vous ne sortiez jamais de son amour et des intérêts de sa pure gloire en vous et

30. Règle de saint Benoît, chap. IV, 21.

31. Convertie : de convertere, se tourner vers, adhérer.

en toutes les créatures. Jésus-Christ a parfaitement accompli cette divine profession dans tout le cours de sa sainte vie. Il faut, pour l'imiter et le suivre comme votre chef, que vous soyez fidèle et que jamais vous ne désistiez de la pratique d'une si sacrée profession. Il ne faut jamais faire votre propre volonté, ains prendre votre unique plaisir et contentement d'accomplir les volontés divines.

Vous devez être « en état de servitude perpétuelle au regard de Dieu et des créatures » pour l'amour de Dieu. Or pour bien vous acquitter de cette obligation, vous devez regarder Jésus-Christ comme le plus anéanti des hommes. Il dit de lui-même par son prophète : « Je suis un ver et non un homme, l'opprobre des hommes et le rebut du peuple »32. Jusqu'à quel point de sujétion et de servitude a-t-il été réduit, vous le pouvez considérer en toute sa vie. Il a été en tout et partout très humble et très obéissant. Il a été fait le serviteur de tous les hommes, et non seulement le serviteur, mais esclave des hommes et captif de leurs passions, lorsqu'ils lui ont ravi la vie sur la croix. Est-il pas en toutes manières très parfaitement assujetti à son Père ? Vient-il pas faire les oeuvres de sa gloire et de notre salut en qualité de serviteur33 ? Vous devez donc à son imitation et par hommage et union à sa divine servitude au regard de son Père, et au regard de toutes les créatures pour l'amour de son Père, entrer en esprit de servitude, premièrement au regard de Dieu, et puis au regard de ses créatures pour son amour.

Vous devez prendre un singulier plaisir d'être la servante de Dieu. Portez cette qualité avec un grand respect et vous en estimez très indigne. Ne la portez pas en vain ni par vanité. Ne la profanez pas, c'est une qualité bien précieuse. Dans le monde on fait gloire d'être serviteur du Roi et d'avoir emploi dans sa cour. O combien devons-nous plus estimer sans comparaison notre servitude au regard de Jésus-Christ !

Saint Paul dit que servir (à) Dieu. c'est régner34. En effet, tous ses serviteurs sont rois. O digne servitude ! Honorez donc

32. Je suis un ver...(Ps 21. 7).

33. Mc 10. 45 ; Ph 2, 6-8.

34. La citation faite par Mère Mectilde est tirée de La Vie et les oeuvres de sainte Catherine de Gênes, par Jean Desmarets. édités chez Florentin Lambert. Paris. 1662. chap. XXXIV. p. 174 : De la veuf qu'elle eut du franc-arbitre. Cet ouvrage appartenait au monastère de la rue Cassette. il y était inscrit par Mère Mectilde elle-même. Servir Dieu. c'est régner. se trouvait aussi dans l'oraison de post-communion de la messe de saint Irenee.

Catherine naquit à Gênes en 1447 de l'illustre famille des Fieschi qui donna deux papes à l'Eglise. Très pieuse dès son enfance, elle aurait désiré suivre sa soeur aînée entrée chez les chanoinesses de Saint-Augustin. Mais sa famille l'obligea à épouser Guiliano Adorno, homme violent et sans foi. Peu à peu Catherine perdit sa ferveur religieuse et se laissa séduire par les plaisirs d'une vie mondaine. Convertie après une confession en 1474, elle mena alors une vie de pénitence, de prière et de service des pauvres. Durant quinze ans elle fut favorisée d'extases et de révélations qu'elle a consignées par écrit. Elle parvint à convertir son mari. Ses dernières années, elle fut accablée de deuils et de souffrances, mais elle mourut consumée par l'Amour de Dieu plus que par la maladie le 15 septembre 1510. Elle composa le Traité du Purgatoire et le dialogue entre l'âme et le corps.

le titre que vous portez de servante de Dieu et vous acquittez fidèlement de votre devoir au regard des charges qu'il vous a confiées. Soyez-lui fidèle en l'usage de ses dons ; en un mot soyez-lui fidèle en toutes manières et surtout dans le respect et l'obéissance à ses commandements. Le serviteur doit faire les volontés de son maître. Soyez donc obéissante à Dieu en tout ce qu'il veut de vous jusqu'à mourir comme Jésus-Christ sur la croix.

Soyez aussi obéissante aux créatures pour l'amour de lui. Premièrement, croyez que toutes les créatures sont plus pures et meilleures que vous, que le péché vous a réduite au-dessous de toutes et mise en servitude au regard de toutes. Il faut demeurer dans cette captivité non plus parce que le péché vous y a mise, mais par une disposition d'une humilité très profonde, voyant votre indignité et que vous vous êtes, par le péché, rendue esclave, et qu'il vous rend indigne d'avoir rang parmi les créatures raisonnables.

Vous porterez aussi votre servitude au regard des créatures en l'honneur et hommage de l'assujettissement de Notre Seigneur Jésus-Christ aux bourreaux qui le crucifièrent. Vous la pouvez aussi porter comme envisageant toutes les personnes comme membres de Jésus. Vous les pouvez regarder comme les temples vivants de la divinité35, bref comme des Jésus-Christ sur la terre, et en cette vue leur être assujettie pour l'amour de Jésus.

Or, quand vous reprenez vos domestiques, vous ne quittez pas pour cela votre servitude, au contraire vous la pratiquez, car vous servez leurs âmes en les redressant et leur montrant leur devoir. Un chef de famille, un supérieur dans une maison de religion, est serviteur de tous. Hélas ! que la supériorité est une rude servitude ! Notre Seigneur me l'a bien fait sentir !

35. 1 Co 12, 27.

Mais il la faut agréer par acte de servitude et d'obéissance à Jésus-Christ. Il est toujours meilleur pour nous d'obéir que de commander ; mais quand Notre Seigneur nous établit dans cette sujétion, il s'y faut humblement soumettre. Ainsi, lorsque vous êtes obligée de commander, faites-le en la vertu de Jésus-Christ, car de vous en tant que vous, vous n'avez aucun droit d'autorité ni de commandement : vous l'avez perdu par le péché et vous êtes indigne d'être obéie. Mais Notre Seigneur Jésus-Christ est seul digne de nous commander parce qu'il en a la puissance de son Père, et qu'il nous a tous rachetés.

Soyez donc en esprit de servitude au regard de toutes les âmes, c'est-à-dire en volonté de les servir toutes et de vous voir la moindre de toutes. Car qui dit servante, se dit inférieure à la plus petite de toutes. Et quelque grâce que Notre Seigneur vous fasse, s'il les voulait donner à une autre que vous, vous y devez consentir par une estime que vous devez faire des âmes, et une croyance qu'elle en fera meilleur usage que vous. Et votre plaisir doit être, non d'être bien grande dans les grâces et les dons de Dieu, mais de le voir bien aimé, bien servi et bien glorifié. Et si une autre fait mieux cela que vous, vous en devez être bien aise, pour éviter l'envie spirituelle qui règne bien souvent dans les esprits peu humbles et peu anéantis.

La servante n'a rien qui ne doive être au pouvoir de sa maîtresse. Si vous portez l'état de servitude au regard de toutes les âmes, vous serez anathème comme saint Paul, pour leur sanctification36 : c'est-à-dire que vous vous priverez de vos plus chères consolations pour contribuer à leur salut, voire vous vous dépouillerez de vos bonnes oeuvres pour les en revêtir ; c'est la charité parfaite qui fait ces effets dans nos coeurs.

Je finis par la qualité de victime avec laquelle vous vous êtes donnée à Dieu dans votre baptême. La victime est choisie : Jésus-Christ vous a choisie. Elle est liée : Jésus-Christ vous a liée des liens de son amour et des obligations de votre baptême. Elle est conduite au lieu destiné au sacrifice : Jésus-Christ vous mène par les secrets sentiers de sa grâce anéantissante qui vous conduisent au lieu de mort et sacrifice. Elle est égorgée : la mortification de Jésus-Christ et la vie renoncée que vous menez tous les jours vous égorgent. Elle est jetée dans le feu : et Jésus-Christ vous jette dans le feu des souffrances et des tribu-

36. Rm 9, 3-4.

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lations. Bref elle est consommée : et Jésus-Christ vous consomme en vous transformant en lui par les puissants effets de sa très ardente charité. Le pur amour fait en l'âme la dernière opération qui dispose l'âme à la jouissance éternelle, après qu'elle a ainsi consommé son sacrifice.

O bienheureuse victime, plût à Dieu que vous connaissiez votre excellence ! Savez-vous ce qui vous rend plus auguste ? C'est que vous êtes ainsi immolée à la pure gloire de Dieu. Les créatures et l'amour-propre n'ont point de part à un tel sacrifice. Dieu tout seul doit être l'unique objet de nos immolations. Je le prie qu'il le soit dans l'opération de notre consommation.

Voilà suffisamment d'instruction sur votre obligation du baptême, je prie Notre Seigneur Jésus-Christ qu'il vous donne son Saint-Esprit pour le bien concevoir et l'imprimer dans votre coeur, et qu'il vous fasse la grâce de l'accomplir parfaitement en vous, par lui-même et pour sa pure gloire. Je suis en lui toute désireuse de votre sanctification et de vous voir bien revêtue de la grâce chrétienne que vous avez reçue au baptême. C'est là où il faut commencer pour se bien connaître, connaître Jésus-Christ et nos obligations.

Priez Dieu pour moi et communiez ce jour de l'octave pour honorer le baptême de Notre Seigneur Jésus-Christ, vous unissant à tous les mystères qu'il contient. Désirez qu'il vous renouvelle' dans la grâce du vôtre.

N° 1653

DE LA CONSECRATION QUE JESUS-CHRIST FAIT DE NOS AMES AU SAINT SACREMENT DE BAPTEME

Je me donne à Notre Seigneur Jésus-Christ pour vous parler du saint baptême selon la parole que je vous ai donnée pour correspondre à votre désir.

Le baptême est une consécration de nos âmes faite par Jésus-Christ à la très Sainte Trinité. Et pour vivre selon votre obligation chrétienne, vous devez vivre selon la dignité que vous avez reçue au baptême. Or, de toute éternité, Dieu vous a regardée et choisie pour être consacrée à lui par le baptême ; et dans le temps de votre naissance sur la terre, Jésus-Christ en a fait la consécration. Vous savez ce que ce mot signifie, je ne l'explique point ; mais seulement je vous dirai que votre âme et tout votre être étant référés à Dieu par votre baptême, vous n'êtes plus à vous et vous ne pouvez plus vivre pour vous. Votre âme est un temple dédié aux trois divines Personnes, et Jésus-Christ en fait la dédicace et l'oint de l'onction sacrée de sa grâce, au baptême.

Or comme les temples matériels ne servent plus à aucun usage profane, ains aux sacrifices et oblations saintes que l'on offre journellement à la très Sainte Trinité, de même votre âme ne doit plus être profanée d'aucun petit péché, ni être souillée des créatures. Vous devez regarder votre âme comme un temple consacré ; et en cette vue, la conserver pure et nette, puisqu'elle doit être le sacré reposoir de la divinité. Elle est obligée de se séparer de tous les usages profanes qu'elle pourrait faire de ses facultés. Elle doit se contenir dans un recueillement continuel et dans une attention très respectueuse de la grandeur qu'elle contient en soi. Oh, si tous les chrétiens concevaient bien leur haute dignité, pourraient-ils jamais se ravaler à des impertinences et des abominations, si je l'ose ainsi dire, que nous voyons tous les jours ! O profanation épouvantable des temples vivants de la très Sainte Trinité ! Aucun respect de la divinité présente ne retient ces malheureux !

Quelle obligation avez-vous à la bonté de Dieu qui vous donne des sentiments contraires, et qui vous fait la très grande miséricorde de vous retirer de vos égarements pour vous appliquer à la dignité de votre âme, et à lui conserver autant qu'il vous sera possible la pureté qu'elle a reçue par le baptême, ou tâcher de la recouvrer si par malheur vous l'avez perdue.

Tenez donc votre âme comme une chose non seulement sacrée, mais consacrée : c'est-à-dire qui n'est plus à soi, qui est dédiée. Et tous les usages que vous faites de vous-même qui ne sont pas référés à Dieu, ce sont des usages profanes ; vous déshonorez la divinité en vous et profanez son saint temple. Concevez bien cette vérité et désormais ne souffrez plus que votre âme ni ses facultés soient employées à l'usage des créatures, de vos sens, ni de votre amour-propre. Il faut que Dieu seul règne dans son temple ; et, si vous servez les créatures. que ce soit pour son pur amour ; que le temple de votre âme reçoive les continuels sacrifices, les immolations, les victimes présentées à Dieu en odeur de suavité.

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Voilà à quoi votre âme doit servir, et non à une retraite de brigands, comme dit Notre Seigneur dans l'Evangile, ni un lieu de trafic, ni admettre rien indigne de sa grandeui, de crainte l'obliger sa Majesté de prendre encore les fouets pour les chasser" et vous priver, pour le peu de respect que vous lui portez, de sa sainte présence.

Il faut que vous conceviez encore les intentions de Jésus dans votre baptême. Ce que je viens de vous dire en contient une partie, car vous voyez que son dessein a été de vous référer toute à la gloire de son Père, de vous adopter pour son enfant, de vous associer avec Jésus-Christ pour partager l'héritage éternel. Bref, de vous unir tellement à lui que votre vie ne soit qu'une suite de sa vie.

Voilà les desseins de Jésus dans votre baptême, et vous êtes obligée d'y entrer par amour et soumission et de n'en jamais sortir.

Si un enfant dans son baptême était capable de concevoir ce que Jésus fait en lui, comme il le consacre et comme il le dédie à la gloire de la très Sainte Trinité, et que cet enfant s'unît aux intentions de Jésus-Christ dans le baptême et qu'il consentît à tous ses desseins sans s'en détourner par le péché, il n'aurait pas besoin de renouveler ses intentions. Car le renouvellement n'est que pour suppléer à tant de ruptures d'intention, d'égarements dans les créatures et de retours vers nous-mêmes par amour-propre, qu'on peut dire très hardiment que notre vie n'est que péché et corruption par une pente continuelle que nous avons aux créatures.

C'est le sujet qui oblige une âme qui veut être à Dieu de se renouveler, non seulement une fois dans l'année, mais à tous moments, si elle pouvait, puisque nous sommes si penchants dans l'impureté de nos sens que nous nous souillons à tous moments.

Il est vrai que nous sommes très misérables par Adam notre premier père, mais nous avons un digne réparateur en Jésus-Christ. Le baptême nous remet en grâce et nous fait enfants de Dieu et frères de Jésus-Christ selon l'Ecriture38. Ce que nous avons à faire, c'est de bien concevoir notre obligation chrétienne et nous lier à la perfection d'icelle.

Il n'est pas besoin de tant d'intelligence pour être sainte, mais il faut une vraie foi et beaucoup d'amour. Nous voyons

37. Mt 21, 12. 38. Rm 8, 15-17 ; Ga 3, 26-27.

98 peu de savants qui soient bien spirituels. Saint Paul ne voulait rien savoir que Jésus-Christ et icelui crucifié39. Vous savez assez vos obligations et la dignité de votre condition chrétienne, il faut vivre conformément à cette connaissance, et vous étudier à une grande fidélité et pureté de vie, car la grâce que vous avez reçue au baptême vous oblige à cela.

Vivez comme Jésus-Christ car par le baptême vous êtes revêtue de lui40. Ne pensez pas qu'à force de raisonner dans votre esprit vous puissiez bien concevoir Jésus-Christ : il ne s'apprend point de la sorte. Une profonde humilité de coeur et une grande soumission d'esprit font plus que la science. La foi est la vraie lumière de l'âme chrétienne. C'est un flambeau qui vous a été donné au baptême pour vous éclairer toute votre vie, et vous apprendre que la science et la doctrine de Jésus-Christ s'apprennent dans les pratiques d'humilité, de simplicité, etc.

Notre Seigneur dit dans l'Evangile : « Si vous pouvez croire, vous serez sauvés »41. Il ne dit pas « si vous pouvez voir », mais : « si vous pouvez croire », pour nous apprendre que notre voie dans le christianisme est une voie de foi, et celui qui croit est capable de recevoir la grâce du baptême. Aussi dans les cérémonies du baptême, l'on fait dire : « Credo » à nos parrains et marraines, à notre nom. Ils le disent pour nous et nous le disons en eux, car ils sont nos cautions. Et lorsque nous avons l'usage de raison, nous sommes obligés de confirmer et ratifier notre croyance par les actes de foi, à raison que nos parrains et marraines ne sont engagés pour nous que jusqu'à ce temps-là.

Renouvelons donc notre foi tous les jours pour suppléer à notre insuffisance et nos incapacités en cet état d'enfance. Prions Jésus-Christ qu'il répare tous ces temps et celui que nous consommons tous les jours dans une infinité d'oppositions à notre grâce chrétienne. Concevez donc ce que nous vous disons.

La foi est absolument nécessaire pour être chrétienne. Vous n'avez point d'obligation de comprendre la profondeur de nos saints Mystères, ni les grandeurs infinies de Dieu, ni les opérations intimes de Jésus-Christ, mais vous êtes obligée de les croire et de vous y soumettre.

39. 1 Co 2, 2.

40. Rm 13, 14.

41. Mc 16, 16.

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Trois choses sont données dans le baptême en vertu des trois divines Personnes : 1. la foi - 2. l'espérance - 3. la charité.

La foi est attribuée au Père, l'espérance au Fils, la charité au Saint-Esprit. Avec ces trois dons qui vous sont infus au baptême, vous êtes capable d'entrer dans la plus haute sainteté et perfection. Qu'est-ce qui a fait les saints ? La foi, l'espérance et la charité.

La foi établit l'âme dans la connaissance de Dieu et de Jésus-Christ et de ses saints Mystères, non par des raisonnements humains, mais par une simple croyance aux vérités qui nous sont révélées par l'Ecriture Sainte et par l'Eglise. Nous y soumettons notre jugement sans les vouloir éplucher, et par cette soumission nous les adorons et nous lions à la grâce qu'elles contiennent, notre esprit y étant totalement assujetti.

L'espérance nous fait demeurer fermes en la foi et nous donne une pleine confiance en Dieu par Jésus-Christ, nous tenant assurées par la vérité de ses saintes paroles. L'espérance nous dégage des choses terriennes et nous fait aspirer aux éternelles que nous attendons, dit saint Paul42.

La charité nous unit à Dieu et nous fait être une même chose avec lui. Elle nous fait aimer les choses divines, nous lie à la croix, nous sépare des créatures et de nous-même pour nous transformer en Jésus-Christ.

Voyei donc si dans le baptême vous n'êtes pas revécue de la vertu divine et des dons divins, sans l'usage desquels vous ne vous pouvez sauver. Si vous vous plaignez de votre faiblesse à combattre vos ennemis, voilà des armes que Jésus-Christ vous donne dans le baptême qui sont offensives et défensives43 : vous n'avez qu'à vous en servir... Voyez saint Paul ce qu'il a dit là-dessus.

Donc pour faire usage de la grâce de votre baptême, il faut faire usage de ces trois vertus que l'on nomme théologales à raison qu'elles ont Dieu immédiatement pour objet. Commencez dès ce moment à les bien pratiquer et vous verrez qu'elles feront en vous de très bons effets.

n° 996

42. Col 3, 2.

43. 2 Co 6, 7.

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DE LA GRACE DU BAPTEME

Ma chère soeur. Plût à Notre Seigneur Jésus-Christ m'avoir donné la grâce et la capacité de vous dire ce que sa lumière me fait connaître sur le saint baptême que vous avez reçu par Jésus-Christ. Jamais, jamais vous ne sauriez savoir la dignité ni l'excellence de la grâce où le baptême vous a élevée. Ce n'est point la grâce de notre premier père, ce n'est point la grâce des anges, ni des séraphins, mais c'est la grâce très précieuse et toute divine de Jésus-Christ. Si la grâce est le Saint-Esprit, il faut donc que vous avouiez que le Saint-Esprit est tout en vous par Jésus-Christ puisque votre baptême vous remplit toute de sa grâce, vous renouvelle toute en lui. O grâce, ô miséricorde incompréhensible !

Dans votre baptême, vous recevez deux vies en Jésus : sa vie de mort, et sa vie ressuscitée. Saint Paul dit : « Vous êtes morts et votre vie est cachée en Jésus »44. Vous recevez une vie de mort : c'est-à-dire une crucifixion dans vos sens, dans vos passions, dans vos volontés, dans vos désirs et dans vos inclinations : bref dans tout ce que vous êtes selon Adam. Votre baptême est une expression de la mort de Jésus en croix et de sa résurrection. Il faut donc que vous y ayez rapport et union. Il faut mourir continuellement à vous-même et aux créatures : voilà le rapport à la croix. Et il faut que vous marchiez, comme dit saint Paul, « en nouveauté de vie »45 : c'est-à-dire qu'il faut que votre esprit soit séparé de la terre et de tout ce qui vous peut souiller ; votre baptême étant un renouvellement ; aussi Jésus-Christ a fait toutes choses nouvelles en vous, il vous donne un être tout nouveau et une grâce toute nouvelle46. Vivez donc d'un coeur et d'un esprit renouvelé47, faites un changement de vie.

44. Col 3, 3. 45. Rm 6, 4. 46. Ap 21, 5. 47. Rm 12,2.

Que faut-il faire pour vivre de la vie ressuscitée de Jésus ? Il faut vivre d'une vie toute retirée des créatures et des sens ; il faut n'avoir plus de prétentions au monde, ni à toutes ses possessions ; il faut renoncer à l'amour et à l'estime des créatures. Bref, il faut avoir un éloignement de tout ce qui nous peut souiller, et n'avoir plus que Dieu dans le fond de nos coeurs.

Il faut que votre esprit soit mystiquement revêtu de quatre douaires des bienheureux, savoir : impassibilité, agilité, subtilité et clarté.

Impassibilité : c'est ne plus mourir par le péché et ne plus adhérer à la tentation ni à nos passions ; c'est sortir de nos sens et de nos tendresses naturelles.

Agilité : c'est d'être dans une si prompte obéissance à Dieu et à ceux qui vous commandent de sa part que vous n'admettiez jamais aucun retardement". C'est que vous soyez très diligente à correspondre à la grâce. L'agilité ne sait ce que c'est que lâcheté. L'esprit doit être toujours agile pour obéir à Dieu et se rendre actuellement tout à lui.

Subtilité : c'est que nous pénétrions tellement les choses temporelles que nous trouvions l'essence divine pour nous unir à elle ; que nous surpassions toutes les créatures ; que rien de la terre ne nous puisse arrêter ni captiver un moment. Une âme dans la subtilité spirituelle surpasse toutes choses pour s'unir actuellement à Dieu.

Clarté : c'est avoir une intention pure et droite vers Dieu, vous souvenant des paroles de Notre Seigneur : « Si ton oeil est simple, tout ton corps sera lumineux »49. Une âme dans la clarté : c'est être dans la foi vive qui nous découvre les divines vérités.

Oh ! qu'il fait beau voir une âme revêtue de ces quatre dots de gloire ! Etre impassible, être agile, être subtile, être claire ! Je prie Jésus-Christ qui vous les a données spirituellement ou mystiquement dans votre baptême, qu'il les renouvelle en vous. Lorsqu'il vous aura fait la grâce d'en porter les effets, nous vous en dirons davantage et ferons voir, s'il nous en donne la capacité, comme une âme d'oraison est revêtue d'une manière admirable de ces quatre douaires de gloire et comme elle est transformée en Jésus-Christ.

48. Règle de saint Benoit, chap. V, 4.

49. Mt 6, 22.

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Contentons-nous à présent de cette petite leçon et tâchons de la bien apprendre et de nous bien laisser à Jésus-Christ. Je vous y souhaite avec autant de passion qu'il me donne d'amour pour votre âme.

Ne désistez point de votre résolution, étudiez-vous à bien connaître la grâce de votre baptême, votre dignité et votre extraction en qualité chrétienne, et l'obligation que vous avez de vivre selon cette haute condition. Oh, que la noblesse de la terre est roturière et très abjecte en comparaison de cette digne extraction d'être enfants de Dieu, frères de Jésus-Christ, voire être Dieu même, par union de grâce, être Jésus-Christ ! Oh, qui le pourra comprendre ! Pour moi, je me perds en cette abîme, et je confesse que tout le créé est indigne de nos pensées.

Il faut nous consommer d'amour pour un Dieu si infiniment aimable et qui nous a si ardemment aimées. Laissons-nous pénétrer et mourir d'amour. A jamais en puissions-nous brûler et être réduites en cendres par les sacrées flammes du pur Amour.

n° 2477

APPLICATION DU BAPTEME 50

Comme toutes les choses qui sont hors de Dieu ont leur idée, leur exemplaire et leur prototype dedans Dieu, aussi notre baptême a pour prototype et exemplaire quatre grands mystères qui sont en Dieu, à savoir : 1. le mystère de la naissance éternelle du Fils de Dieu dans le sein de son Père, 2. le mystère de sa naissance temporelle dans le sein de la Vierge, 3. le mystère de sa mort et de sa sépulture, 4. le mystère de sa résurrection.

Le mystère de sa naissance éternelle, parce que, comme son Père en sa génération éternelle lui a communiqué51 son être, sa vie et toutes ses divines perfections, à raison de quoi il est Fils de Dieu et l'image parfaite de son Père ; aussi par le

50. Saint Jean Eudes, op. cit., 7' partie, parag. VIII.

51. Lui communique.

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saint baptême il nous communique l'être et la vie céleste et divine qu'il a reçues de son Père, il imprime en nous une image vive de soi-même et nous rend enfants du Père52 dont il est le Fils.

Le mystère de la naissance temporelle : d'autant que, comme au moment de son Incarnation et de sa naissance dans la Vierge, il a uni notre nature à soi et s'est uni à elle, il l'a remplie de lui et s'est revêtu d'elle, aussi au saint sacrement de baptême, il s'est uni à nous et nous a unis et incorporés à lui ; il s'est formé et comme incarné dedans nous et nous a revêtus et remplis de lui-même selon les paroles de l'Apôtre53 : « Vous tous qui êtes baptisés en Jésus-Christ, vous êtes revêtus de Jésus-Christ »54.

Le Mystère de sa mort et de sa sépulture, car saint Paul nous annonce que « nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ nous avons été baptisés en sa mort »35 et que « nous sommes ensevelis avec lui en sa mort par le baptême »56 ; ce qui ne veut dire autre chose sinon ce qui est exprimé en ces autres paroles du même apôtre : « Vous êtes morts et votre vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu »57, c'est-à-dire : vous êtes entrés par le baptême dans un état qui vous oblige d'être morts à vous-mêmes et au monde, et de ne vivre plus qu'avec Jésus-Christ et d'une vie toute sainte et divine, et qui soit cachée, ensevelie et absorbée dans Dieu, telle qu'est la vie de Jésus-Ch rist .

Le mystère de la résurrection, parce que le Fils de Dieu58 par sa résurrection est entré dans une vie nouvelle, vie séparées59 entièrement de la terre et toute céleste et spirituelle. Aussi le divin apôtre nous enseigne que « nous sommes ensevelies avec Jésus-Christ par le baptême afin que, comme en suite de sa mort, il est ressuscité et entré dans une nouvelle vie, aussi en suite du baptême nous cheminions en nouveauté de vie »60.

n° 275

52. Enfants du même Père.

53. Selon ces paroles de son Apôtre.

54. Ga 3, 27.

55. Rm 6, 3.

56. Rm 6, 4.

57. Col 3, 3.

58. Parce que comme le Fils de Dieu.

59. Dans une nouvelle vie, séparée...

60. Rm 6, 4.

DE LA SAINTETE DIVINE

Tu autem in sancto habitas, laus Israël 61

Ce matin, je me suis trouvée à mon réveil disant ces sacrées paroles du prophète : « O Seigneur, vous habitez dans la sainteté et toutes les créatures vous louent ». Si la Providence m'eût donné (du) temps cette matinée, je vous aurais entretenue de ce qui se passe en mon fond au regard de la fête que nous célébrons aujourd'hui, et mon désir était de vous appliquer à la sainteté de Jésus-Christ.

Plût à Dieu que vous puissiez comprendre ce que je voudrais pouvoir dire de cette sainteté infiniment adorable ! Respectez ce que vous ne pouvez comprendre et sachez que la fête d'aujourd'hui est la fête de la sainteté de Jésus, laquelle émane des effets dans tous les saints. Ce sont les paroles de l'Eglise à la sainte messe : « Vous êtes seul saint ». Oui en vérité, Dieu seul est saint et nul n'est saint que par participation à sa sainteté divine.

Adorez donc en votre communion aujourd'hui les émanations de la sainteté divine dans tous les saints, et dites souvent avec l'Eglise : « Tu solus sanctus », vous seul êtes saint. O mon Dieu, je me réjouis de votre divine sainteté et que tous les saints sont des effets d'icelle.

Exposez-vous à la sainteté divine pour y avoir quelque part, mais souvenez-vous qu'elle opère une pureté admirable dans les âmes, car il faut pour être sainte porter la destruction de toutes les impuretés qui sont en nous.

Or Notre Seigneur vous fait porter dans votre état présent des effets de sa sainteté divine mais vous ne les connaissez pas. Sachez donc qu'il habite dans sa sainteté. Dieu est en vous retiré dans lui-même, il demeure dans sa sainteté ; adorez-l'y et ne réfléchissez que le moins que vous pourrez sur vos misères.

La sainteté est la plus sévère et rigoureuse et la plus abstraite entre toutes les perfections divines et il n'y a rien en Dieu qui soit tant à Dieu, et si éloigné de ce qui n'est pas Dieu que sa sainteté. Aimer sa sainteté, c'est l'aimer très purement pour lui-

61. Ps 21, 4 - Lettre pour la fête de la Toussaint.

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même, sans aucun intérêt et sans aucun regard vers soi. Et les moindres perfections en Dieu, s'il se peut dire quelque chose de plus grand ou de moindre en lui, sont celles qui nous regardent, comme sa miséricorde, car il n'en a point affaire pour soi.

Moïse qui était homme mortel, et regardait Dieu par rapport aux créatures, magnifie la miséricorde de Dieu et s'écrie : « Misericors, clemens, patiens et multae misericordiae »62. Mais les Séraphins qui sont esprits purs, dégagés et tout consommés en Dieu, célèbrent sa sainteté et chantent : « Sanctus, sanctus, sanctus ». Et c'est l'avantage de la nouvelle loi établie par Jésus de regarder Dieu, non par nos intérêts, mais par ceux de sa grandeur et de sa gloire. C'est l'obligation que nous avons d'honorer et célébrer la sainteté avec les séraphins ; de l'aimer non seulement comme bon et miséricordieux à notre égard, mais aussi comme saint et pour lui-même.

Jésus en son agonie a porté proprement la justice de Dieu, mais au délaissement de la croix, il a porté sa sainteté. C'est pourquoi afin d'exprimer la rigueur de son délaissement et le profond abîme auquel cette divine sainteté l'a réduit, après avoir dit : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé, je crierai de jour et de nuit et vous ne m'exaucerez point », il ajoute : « Tu autem in sancto habitas, laus Israël »63, quant à vous, vous demeurerez et habiterez en votre sainteté : c'est-à-dire que Dieu au regard de son Fils en croix s'est retiré dans la plus haute solitude et plus éloignée retraite de sa sainteté et qu'il l'a entièrement délaissé en ses souffrances.

Dieu est si saint, si incompréhensible et si profond que nous pouvons dire en vérité qu'il est un Dieu caché : Deus absconditus 64 ; mais caché si profondément qu'il est au-delà de tout ce que notre esprit peut penser. Il est un Dieu caché à nos sens, il est un Dieu caché à notre entendement, bref il est « Deus absconditus » en une infinité de manières. Et si nous l'adorons caché sous les espèces sacramentales, combien devons-nous l'adorer dans l'abîme de lui-même, ou plutôt dans son incompréhensibilité et renfermé dans sa sainteté divine.

Oh ! si vous connaissiez la dignité et l'excellence d'un Dieu caché, vous prendriez un singulier plaisir dans la retraite

62. Ex 34, 6.

63. Ps 21, 2-3-4.

64. Is 45, 15.

que Dieu fait en lui-même dedans vous. (Mais ce qui vous empêche de vivre de cette vérité qui néanmoins est de foi, c'65 est lorsqu'il n'épand point les douceurs et suavités de ses grâces dans votre âme : vous croyez que Dieu s'est retiré de vous. Oh ! que notre aveuglement est grand et que notre présomption est épouvantable ! Pourquoi voulez-vous que Dieu s'abaisse jusques à contenter vos sens ? Il faut que appreniez à trouver Dieu dans lui-même et à prendre votre complaisance dans le plaisir qu'il trouve d'habiter dans sa sainteté.

Toutes les retraites que Dieu fait en lui-même sont saintes et adorables et vous y devez avoir amour et union. Lorsque vous trouvez dans votre fond que Dieu s'y rend inaccessible, il faut que vous demeuriez cachée dans votre néant, et vous absconçant [cachant] de la sorte, la grandeur divine jettera ses sacrés regards sur vous et prendra ses délices de vous voir anéantie par hommage à la retraite qu'il a en vous dans lui-même.

C'est une témérité à l'âme de vouloir comprendre quelque chose de Dieu ; ce n'est pas à de petits avortons tels que nous sommes de pénétrer dans l'ineffabilité divine. Il faut faire comme les séraphins, voiler nos faces et crier avec un profond respect et amour : « Sanctus, sanctus, sanctus » 166 O que Dieu est saint, ô que Dieu est grand, ô que Dieu est immense, ô que Dieu est puissant, ô que Dieu est inacessible et incompréhensible ! Tai une joie très profonde et très grande dans mon âme de voir que Dieu ne peut être compris que de lui-même ; qu'il faut nous perdre et nous abîmer en lui et non point éplucher ses qualités divines. Et il me semble que nous connaissons Dieu d'une manière bien plus pure lorsque nous n'en connaissons rien du tout par notre intelligence, ains seulement par la lumière de la foi.

Notre manière de concevoir Dieu ravale ses grandeurs, mais l'usage de la foi pure nous élève à lui et nous le fait trouver dans le centre de notre âme, où il fait sa demeure, et qui nous fait dire avec Jacob : « Vraiment Dieu est ici et je n'en savais rien »67. Oui, Dieu habite en nous « et habitavit in nobis P.

65. Cette phrase est omise au D. 10. Elle appartient au texte du manuscrit Cr. C et explicite mieux la pensée de Mère Mectilde.

66. Is 6, 2-3.

67. Gn 28, 16.

68. Jn 1, 14.

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et vous ne le savez point. Il se repose dans lui-même dans le suprême de votre esprit, où il a établi sa demeure comme autrefois sur la sainte Sion, et en ce lieu il repose comme dans un trône de paix, comme dit David : « et factus est in pace locus ejus »69. Oh bienheureuse l'âme qui est introduite dans cette région de paix et qui ne la trouble point par l'impureté et le tintamarre des créatures et de ses sens.

C'est dans cette solitude profonde où l'âme apprend l'admirable leçon : « Soyez saints parce que je suis saint »70. Dieu veut que vous soyez sainte, c'est de sa divine bouche qu'il vous le commande. O sacré et divin commandement ! O commandement adorable ! Puisque Dieu vous ordonne d'être sainte, cela est de la foi qu'il vous en donnera les grâces.

Mais que faut-il faire, selon notre petite capacité ?

Il faut tendre à vous vider de vous-même le plus que vous pourrez, et marcher en la présence de Dieu. Ce seul point bien fidèlement pratiqué est capable de vous faire habiter dans la sainteté qui est Dieu même. Il n'y a rien de si puissant pour bien régler une âme que l'actuelle présence de Dieu ; elle vivifie, elle purifie, et elle sanctifie. C'est pourquoi Dieu dit à Abraham : « Ambula coram me, esto perfectus »". Marche en ma présence et sois parfait.

Croyez que Dieu vous dit ces mêmes paroles, recevez-les par l'obéissance comme de sa divine bouche, et ouvrez votre coeur pour être remplie de la vertu de foi, afin que par l'usage pur (d'icelle) vous y puissiez persévérer.

Je vous y souhaite le comble de toutes les bénédictions et la grâce de persévérance ou plutôt consommante en l'amour de Jésus.

n° 88

69. Ps 75.

70. Lv 19, 11.

71. Gn 17, 2.

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DE LA PRESENCE DE DIEU EN FOI

Je remarque une petite lumière dans le fond de votre esprit, par laquelle vous commencez à connaître, mais encore bien confusément, que la retraite des créatures nous met dans une capacité de trouver Dieu. Cette lumière est dans la vérité, et je prie Notre Seigneur qu'il vous donne la force et le courage pour surpasser toutes les créatures afin que vous le puissiez goûter et expérimenter en vous-même.

Vous êtes en peine comme on peut être et subsister en la présence de Dieu dans une simple vue de foi. Une âme un peu habituée dans les maximes du pur amour n'a pas beaucoup de peine à le comprendre. Mais d'autant que les sens et le raisonnement humain ont toujours dominé en nous, nous ne pouvons pénétrer d'autres voies. J'espère qu'un jour, si vous êtes fidèle, vous connaîtrez parfaitement cette vérité : que Dieu étant en vous, vous n'avez besoin que de respect, d'amour, d'attention et de soumission en sa divine présence ; de respect à sa grandeur, souveraineté, d'amour à sa bonté, à sa sainteté, d'attention à ses divines volontés et au mouvement de son divin Esprit, de soumission pour les accomplir avec agrément et perfection.

Votre regard doit être actuel vers Dieu, mais très simple et amoureux. Et lorsqu'il vous donne quelque mouvement de lui renouveler vos sacrifices ou de faire quelque acte de révérence, d'amour d'abandon, vous les produirez fort simplement, vous contentant lorsque vous n'êtes point tout à fait dissipée d'en ressentir en votre âme la disposition, vous laissant à Dieu dans les sentiments qu'il vous imprime. Mais lorsque vous n'êtes point dans l'oraison particulière ni à la sainte messe. ni occupée d'affaires importantes. vous pouvez donner quelque petite liberté à votre esprit de se réfléchir sur quelque effet particulier de la miséricorde de Dieu sur vous. ou vous occuper de quelque vérité chrétienne. ou sur les choses dont on vous a instruite. Et si vous voyez qu'il s'emporte trop loin dans des digressions inutiles. retirez-le doucement en vous mettant simplement en

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Dieu sans efforts mais suavement et humblement, vous abaissant devant son incompréhensible grandeur. Calmez votre esprit par un simple acte de révérence et demeurez en silence quelque temps, voire jusqu'à ce que l'Esprit de Dieu vous meuve à parler. Vous ferez la même chose dans les égarements de votre esprit dans le temps de votre oraison. En vos actions, il suffira de temps en temps d'élever votre esprit à Dieu présent et de faire avec un esprit dégagé de vous-même ce que vous faites ou que vous devez faire.

Ce ne seront point vos sens qui vous établiront dans la réelle et véritable présence de Dieu, ce sera la foi purement et fervemment pratiquée. Il faut souvent se renouveler en cette divine présence par une croyance simple et amoureuse, pour vous habituer dans cet exercice. Il y a un peu de peine pour ceux qui commencent, mais les bénédictions qui accompagnent le progrès donnent une grande force à l'âme.

Travaillez un peu à vos dépens, vous en avez assez fait du passé aux dépens de Dieu, de sa pure gloire et de ses intérêts ; vous n'en êtes pas encore persuadée mais vous le serez un jour et en aurez regret.

N° 1379

DE L'ESTIME ET DU RESPECT QUE L'ON DOIT AVOIR POUR DIEU

Repassant en mon esprit devant Notre Seigneur les diverses dispositions de votre âme pour les offrir à sa Majesté, j'ai été touchée en la vue de cette espèce de lâcheté que vous commencez à ressentir, laquelle vous nommez assoupissement ; et moi je l'appelle lâcheté intérieure aussi bien qu'extérieure, puisqu'elle provient d'une disposition qui marque que votre âme n'est point animée du respect qu'elle doit à Dieu.

Oh ! que je plains l'aveuglement des âmes qui ne connaissent point Dieu, qui se lassent et s'ennuient en sa sainte présence, qui ne sont point touchées de révérence de sa grandeur ! Pleni sunt caeli et terra Majestatis gloriae tuae : « Le ciel et la terre sont remplis de la majesté de sa gloire » et nous n'y pensons point ! Nous ne nous rendons point à cette adorable plénitude pour y avoir part.

Et ce qui me touche davantage, c'est qu'au temps le plus précieux de notre vie, qui est celui de l'oraison, nous souffrons que notre âme demeure sans attention, sans respect, sans vigilance et sans amour vers une majesté si adorable. Hélas ! si nous étions devant un monarque de la terre, quelle serait notre disposition ! Et pour un Dieu d'une grandeur, d'une sainteté et majesté infinie, nous n'avons pas le courage d'attendre en sa divine présence une heure avec respect. Si nous savions quelle est l'importance de la perte que nous faisons par notre faute, nous la pleurerions avec des larmes de sang ! Mais nous sommes dans les ténèbres, nos sens nous jettent dans l'aveuglement, et notre foi est comme anéantie. Que ferons-nous dans l'éternité si une heure d'oraison nous ennuie !

Réveillons nos esprits par la foi qui nous fait connaître l'estime que nous devons avoir de Dieu, et nous abîmons devant sa grandeur. Les séraphins dans le ciel et tous les bienheureux sont si remplis de ce respect amoureux que les premiers voilent leur face, ne pouvant soutenir sa grandeur ; et les autres s'anéantissent dans son essence divine pour lui rendre des hommages plus respectueux. Pourquoi faisons-nous moins sur la terre que ces esprits célestes dans le ciel ? Est-ce pas le même Dieu ? Est-ce pas la même divinité ? Et puisque nous l'avons aussi véritablement présent en nous qu'il est aux bienheureux dans le trône de sa gloire, pourquoi ne lui rendons-nous pas nos devoirs comme toute la milice céleste lui rend dans le ciel ?

Je sais bien que le tracas de la vie présente nous rend incapables de crier actuellement avec la cour céleste : « Sanctus, sanctus, sanctus »72, sans relâche et sans interruption. Mais du moins, le temps qui nous est donné pour l'oraison particulière, soyons devant Dieu avec l'amour et le respect des séraphins, qui crient dans un profond silence : « Sanctus », et soyons, dis-je, dans un abaissement profond devant la majesté de Dieu. Et si nous ne voyons point sa grandeur des yeux du corps, voyons-la bien plus purement et plus réellement des yeux de l'esprit, par une simple croyance de foi. Hélas ! si un damné avait une heure de notre temps pour se convertir, quel usage en ferait-il devant Dieu ? Confondons-nous et nous abîmons au centre de l'enfer, puisque nous sommes indignes de glorifier Dieu.

no 2646

72. Ap 4, 8.

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Plan Turgot.

L'hôtel de Châteauvieux se trouve à droite. L'hôtel de La Vieuville était contigu.

Eglise Saint-André-des-Arts.

SUR LA CREATION DE L'AME

Ma très chère soeur, vous n'avez rien que vous n'ayez reçu73, et si vous l'avez reçu, de quoi vous glorifiez-vous comme si vous ne l'aviez pas reçu ? dit l'Apôtre.

Votre âme est sortie de Dieu, la foi vous l'enseigne ; elle n'est donc point de vous ni à vous. Elle vous est prêtée pour mériter l'éternité, et partant vous êtes obligée de retourner à Dieu comme à la source d'où vous êtes sortie, et de vous rendre parfaitement à lui par Jésus-Christ qui est venu sur la terre pour être notre voie par laquelle nous allons à son Père.

Or votre âme avec toutes les excellences dont on vous la représente, ornée de ses trois puissances, par lesquelles elle a rapport aux trois divines Personnes, est pourtant créée de rien. Et c'est dans cette vérité que l'âme établit l'origine de son néant, duquel elle ne doit jamais sortir.

Le Fils de Dieu, Notre Seigneur Jésus-Christ, nous dit en saint Jean, chapitre 12, que si le grain de froment tombant en terre n'y est premièrement pourri, il demeurera tout seul, mais s'il meurt, il apportera beaucoup de fruit. Celui qui aime sa vie la perdra, et celui qui la hait en ce monde la gardera pour la vie éternelle74.

Oh ! que ces divines paroles contiennent de mystères ! Rendons-nous à Jésus-Christ pour en porter les effets et recevoir la grâce qu'elles doivent opérer en nous. C'est Jésus-Christ qui parle, nous le devons écouter avec attention et respect.

n° 3117

73. 1 Co 4. 7.

74. Jn 12. 24-25.


[8 pages de photos. Légendes ici omises]


C’EST PAR LA FOI QUE L'ON CONNAIT DIEU

Ma très chère fille, je réponds à votre lettre sans vous rien dire davantage de celle que la bonne Mère N vous a écrite, il faut trouver bon que Dieu me confonde dans mon néant comme il lui plaira.

Je vois sur ce que vous m'écrivez que vous travaillez toujours pour voir et pour connaître. Vous avez une curiosité secrète qui vous fera bien de la peine car il faut être sourde, aveugle et muette, et je vous en vois bien éloignée. Il n'en est pas de la vie intérieure comme des choses extérieures que l'on voit, que l'on touche et que l'on goûte et comprend. La vie d'esprit lui est toute contraire : la foi est sa lumière et sa sûreté. Donc il faut apprendre à vivre de cette vie et négliger vos sens plus que vous n'avez fait du passé.

Vous ne vous appliquez pas assez aux usages de la foi, vous n'y avancez pas parce que vous voulez qu'elle vous soit sensible, et votre esprit ne peut mourir à l'inclination qu'il a de tout voir et savoir. Quand il ne jouit pas de sa prétention, il croit qu'il ne fait rien, il se rebute et se décourage.

Vous dites que vous ne comprenez pas ce que c'est que votre âme ; vous n'avez pas la capacité de la comprendre, non plus que de comprendre Dieu. Vous ne pouvez connaître l'un et l'autre que par la foi et par leur opération. Vous voyez bien que vous avez une âme puisque vous ressentez l'opération de ses facultés. Ne voyez-vous pas que vous avez une mémoire, un entendement et une volonté ? Vous vous souvenez, vous entendez et comprenez, et vous aimez. Voyez donc que vous avez une âme puisque ses puissances sont opérantes. Penseriez-vous voir votre âme en quelque figure ? Ne savez-vous pas qu'elle est faite à la semblance de Dieu ? Qu'elle est pur esprit, ainsi, qu'elle n'est point palpable ; de même Dieu n'est pas palpable : il n'est ni vu ni senti.

Vous me demanderez : pourquoi dit-on quelquefois : « Je voyais Dieu qui faisait telle chose ? » C'est à cause de son opération qui se fait quelquefois voir et sentir à l'âme. Ainsi elle dit

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qu'elle a vu Dieu qui l'attirait, qui la soutenait ; et c'est un effet de sa grâce opérant en nous quelquefois sensiblement pour fortifier et encourager l'âme. D'autres fois il opère secrètement. Il faut que vous compreniez que le voir de l'âme est en foi. C'est la lumière de la foi qui lui fait voir. Et cette vue n'est qu'une croyance simple qui la tient dans cette vérité. Les sens grossiers n'y ont point de part. Les intérieurs y participent quelquefois, lorsqu'ils sont bien purifiés. De même vous comprenez que vous avez une âme à cause qu'elle opère et que vous ressentez souvent ses différentes opérations.

Une chose m'a fait peine en votre esprit : c'est qu'étant dans l'inclination de notre première mère qui nous a tous conçus en péché, vous avez retenu et conservé une partie de ses dispositions, sans vouloir pourtant être contraire à Dieu. Vous pensez que la grâce d'oraison et toute la sainteté de la vie intérieure s'acquièrent à force de travail d'esprit, de raisonnement, de lumière, de science ; et vous croyez tellement cela que quand la lumière ou la connaissance vous manquent, vous n'estimez plus rien ce qui se passe en vous. C'est là votre pierre d'achoppement et celle de votre grand retardement.

Vous ai-je pas tant dit autrefois que vous n'aviez que de l'esprit et point de coeur pour Jésus-Christ ? Vous avez une pente et une inclination naturelle de savoir, et c'est ce qui a mis en désordre' nos premiers parents. Vous voulez connaître, vous voulez comprendre et vous ne voulez pas vous soumettre à l'aveugle à la conduite de Jésus-Christ votre divin Maître. Vous dites bien de bouche que vous le voulez ; mais votre esprit n'y est point assujetti. Et tout son mal vient de ce que vous l'entretenez dans sa pente à voir et connaître. Et lorsque vous ne comprenez point votre disposition, vous travaillez pour en discerner quelque chose, ou vous aspirez à voir ce que l'on vous enseignera là-dessus.

L'affection que vous avez eue toute votre vie d'être instruite vous a beaucoup nui et vous nuira encore plus si vous n'y prenez garde, car votre capacité s'applique toute à comprendre et il n'y a rien pour l'amour. Votre esprit épuise votre coeur. Je suis pénétrée de ce défaut en vous et ne le puis souffrir davantage. Il faut vous réduire en pauvreté d'esprit, puisque votre voie de grâce vous y oblige. Il faut que je sois impitoyable à votre amour-propre ; et cette connaissance que Dieu me donne sur votre âme, ma très chère fille, est une très grande miséricorde pour vous. Je vous assure de sa part que c'est là votre re-

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tardement et ce qui s'oppose le plus en vous à la sainteté de son règne et de son pur amour. Vous n'êtes point pauvre d'esprit puisque votre fond intérieur est tout plein de désirs : vous prenez un chemin à n'arriver jamais où vous désirez. Lorsque vous aurez appris à demeurer dans le néant et que vous vous en contenterez, vous verrez bien plus d'abondance et d'une manière bien plus épurée.

« Depuis que je me suis mis à rien

J’ai trouvé que rien ne me manque ».

Ce sont les paroles d'un grand saint qui l'avait bien expérimenté. Vous vous trompez, ma chère fille, la vie intérieure n'est pas dans les lumières, mais dans le pur abandon à la conduite et à l'Esprit de Jésus.

Il est bon de voir ce que Dieu nous montre comme notre propre misère, notre néant, notre impuissance, pour nous tenir dans l'humiliation et nous convaincre que nous ne sommes rien et ne pouvons rien que par sa grâce. Ces connaissances-là sont bonnes parce qu'elles nous sont données de Dieu. Mais celles qui sont recherchées par l'activité, la force et la diligence de notre esprit sont bien sèches devant Dieu, parce qu'elles n'ont pas l'onction de sa grâce.

L'unique moyen pour faire un grand progrès dans la vie spirituelle, c'est de connaître devant Dieu notre néant, notre indigence et notre incapacité. En cette vue et dans cette croyance que nous avons tant de fois expérimentée, il faut s'abandonner à Dieu, se confiant en sa miséricorde, pour être conduite selon qu'il lui plaira : soit en lumière, soit en ténèbres ; et puis simplifier son esprit sans lui permettre de tant voir et raisonner.

Il faut vous contenter de ce que Dieu vous donne sans chercher de le posséder d'une autre façon. Ce n'est point à force de bras que la grâce et l'amour divin s'acquièrent, c'est à force de s'humilier devant Dieu, d'avouer son indignité, et de se contenter de toute pauvreté et basseté76. Il faut vous contenter de n'être rien, et

75. Jean de la Croix, fils de Gonzalo de Yépès, né en 1542 à Fonzeviros, près d'Avila. Il entra au couvent des Carmes de Santa Ana en 1563. Il est ordonné prêtre le 8 septembre 1567 et rencontre Thérèse d'Avila pour la première fois, cette même année 1567. La première traduction française des Œuvres spirituelles du bienheureux père Jean de la Croix, date de 1641-1665. Saint Jean de la Croix est mort à Ubeda le 14 décembre 1591.

Les citations de cette lettre sont extraites de « La montée du Carmel », chap. XIII, libre I — et graphique du Mont de la Perfection.

76. Règle de saint Benoît, chap. VII, de l'humilité, 6' degré, v. 49.

115

« Vous serez d'autant plus

que vous voudrez être moins ».


La vie de grâce n'est pas comme la vie du siècle. Il faut s'avancer et se produire dans le monde pour y paraître et y être quelque chose selon la vanité ; mais dans la vie intérieure, on y avance en reculant. C'est-à-dire : vous y faites fortune en n'y voulant rien être et vous paraissez d'autant plus aux yeux de Dieu que moins vous avez d'éclat et d'apparence aux vôtres et à ceux des créatures.

« Pour être quelque chose en tout

il ne faut rien être du tout ».

Les richesses de la vie de grâce, c'est la suprême pauvreté. Vous êtes bien loin de la posséder, car au lieu de vous dépouiller vous vous revêtez, sous prétexte de bien mieux faire. Quand le soleil est trop grand, il éblouit ; quand vous avez trop de lumière, elle vous offusque. Votre esprit naturel est ravi de ne demeurer point à jeûn, et lorsqu'il n'a ni lumière ni sentiment, il crie miséricorde, il vous trouble et vous tire de la paix. Il faut, ma très chère fille, le mettre en pénitence : nous en sommes dans le temps ; et il ne faut point avoir de pitié de ses cris. Ce sont ses intérêts qui le font crier. Il faut fermer les oreilles à ses plaintes et vous contenter dans votre ignorance, votre impuissance et pauvreté.

Jusqu'ici vous n'avez pas cherché Dieu purement, mais vous vous êtes recherchée vous-même. Votre tendance secrète, et souvent manifeste, n'a été que de contenter et satisfaire votre esprit qui a toujours été partagé le premier ; et pourvu qu'il fût en repos vous croyiez avoir fait beaucoup. Apprenez maintenant une leçon contraire, qui est de contenter Dieu, vous abandonnant à sa conduite en foi et simplicité sans l'éplucher, vous résignant humblement à ses saintes volontés, attendant en patience sa grâce et sa lumière, sans que l'activité naturelle de votre esprit la prévienne pour la dévorer et se satisfaire soi-même.

Voilà une grande leçon que je vous ai faite contre mon dessein, car je ne pensais pas vous rien dire, et cependant je vous ai dit la plus pressante vérité qui regarde votre état intérieur ; et me suis trouvée si remplie, si assurée de la vérité que je vous ai dite que je n'en puis nullement douter. Pensez-y, ma très chère fille, voilà vos liens intérieurs qui sont bien plus malins que vous ne pensez. Priez Notre Seigneur qu'il les rompe et qu'il vous fasse la grâce d'être comme un petit enfant, tout soumis et simplifié à sa sainte conduite.

Il y a longtemps que je vous prêche ces qualités, tâchez de vous en remplir et renoncez à tous désirs de savoir, de connaître, de sentir, etc.

« Ut jumentum factus sum »", dit David : « J'ai été faite comme la jument » et ai demeuré avec vous. Demeurez à Dieu comme une pauvre bête incapable de quoi que ce soit, sinon d'être ce qu'il lui plaira ; ignorant tout et ne sachant rien que sa très sainte volonté à laquelle vous serez abandonnée et soumise sans la connaître. Et vous verrez que sa grâce, son amour et son esprit règneront en vous.

N° 1391



DES EFFETS DE LA FOI

Ma très chère fille, j'avais bien le désir de vous écrire ce matin sur l'Evangile, mais la Providence nous a donné la sainte messe fort matin. C'est ce qui a rompu mon dessein, mais qui m'a remplie d'un désir très intime de voir votre âme établie dans la grâce de la Transfiguration. Et je me suis trouvée très appliquée à prier pour elle à la sainte communion. Si vous êtes fidèle, vous connaîtrez quelque chose des merveilles qui sont en Dieu et qu'il fait goûter à ses élus.

J'ai toujours dans l'esprit de vous exhorter à avoir une haute estime de Dieu, de ne rien préférer à son amour78 et de vous référer toute à lui. Pesez bien l'importance de ce que je vous dis et l'obligation que vous avez de vous y rendre fidèle. Ce sera, ma très chère fille, par l'usage de la foi.

Il faut que quelque jour je vous parle parle de son excellence et de ses effets, et que vous soyez convaincue de la nécessité que vous avez de la pratiquer. C'est par elle que votre âme s'élève à Dieu. C'est par elle qu'elle le connaît. C'est par elle qu'elle se rend soumise aux desseins adorables et secrets

77. Ps 72.

78. Règle de saint Benoît, chap. 72, du bon zèle que doivent avoir les moines.

117

que Dieu a sur elle. C'est par la foi que vous êtes en actuelle jouissance de Dieu présent. C'est par la foi que vous sortez des créatures pour entrer en Jésus. Bref, c'est par la foi que vous êtes unie et transformée en Jésus. O sainte foi, que tu as de grâce et de puissance ! et que de saints et divins effets tu produis dans une âme qui agit et opère par ta lumière et par ta vertu.

Si vous voulez être transfigurée, il faut aller à la montagne de la pure oraison. C'est par icelle que l'âme est vraiment transfigurée, qu'elle est toute dépouillée d'elle-même et revêtue de Dieu. On monte à Dieu sur la montagne pour y trouver Dieu par le sentier de l'oraison et de la mortification, et lorsque l'âme arrive au sommet d'icelle, elle y trouve Jésus-Christ transfiguré parlant de l'excès de son amour en ses divines souffrances, et entend cette voix adorable : « C'est ici mon Fils bien-aimé en qui j'ai pris mes plaisirs, écoutez-le »79.

Sur cette montagne, l'âme est très attentive à Dieu, elle écoute le Verbe divin revêtu de notre chair qui parle à son coeur, et qui l'instruit de son amour et de ses mystères. Oh ! que de merveilles, que de prodiges, que de grâces dont l'âme est remplie par ce parler divin ! C'est sur la montagne que Dieu fait entendre sa voix, c'est sur la montagne que Dieu se manifeste, c'est sur la montagne qu'il parle de sa Croix.

Laissons-nous conduire sur cette montagne bienheureuse ! Quittons le fatras des sens et des créatures, élevons-nous par la foi et écoutons la divine leçon de notre adorable Maître. Il nous parle de l'excès de sa Passion, pour nous apprendre que la gloire et la félicité de Jésus étaient de souffrir pour nous, et de nous témoigner son amour.

Portons un très grand respect et amour aux paroles saintes de Jésus, désirons qu'elles soient opérantes dans le fond de nos coeurs, et qu'elles impriment en nous un puissant amour de sa Croix, puisque les marques de la transfiguration d'une âme, c'est l'union à Jésus-Christ en Croix, c'est d'aimer et de parler de la Croix et d'y être consommée.

Soyez transfigurée en cette manière et ne prenez point de plus intime satisfaction que de souffrir pour Jésus-Christ et avec Jésus-Christ.

Voyez les petites saillies de mon esprit que l'affection intime que j'ai pour vous jette dans votre âme.

N° 884

79. Lc 9, 31-35.

COMME IL FAUT OPERER EN FOI

Ma très chère fille, j'espérais vous faire réponse comme j'en avais formé le dessein lisant la vôtre, mais la Providence en a disposé tout autrement, me liant si étroitement au silence que je n'ai point trouvé de capacité de vous rien dire, sinon que vous devez apprendre à vous taire et à bien souffrir. Voilà la réponse que j'ai trouvée en moi, pour vous, après la sainte communion.

Il faut que je vous laisse un peu dans la privation et dans le silence, et le trop de désir que vous avez de savoir vous nuit beaucoup. Je l'ai vu très clairement. Donc je suis résolue de vous laisser un peu porter votre croix, et voir quelle sera votre fidélité.

Ma chère fille, je ne vous ai point encore imposé de joug trop rude ni difficile, mais il faut que vous trouviez bon que j'aide à vous détruire selon que Notre Seigneur m'en donnera la grâce. Ne prenez point tant de travail à la fois, une leçon suffit pour plusieurs jours, et je voudrais bien que vous vous exerçassiez en foi. Voici comment :

Croire Dieu présent en foi, sans le voir ni ressentir, agir pour lui autant qu'il vous sera possible, c'est-à-dire faire et souffrir toutes choses en sa sainte présence et en son amour, tâchant de purifier vos intentions et les animer de sa dilection sacrée. Peut-être me direz-vous que vous ne trouvez pas en vous cette pureté ni ce dégagement, et que si vous voulez faire quelque effort, c'est une productions80 de vous-même qui, n'ayant point d'onction de la grâce, ne fait point son effet ; et vous n'en ressentez pas la bénédiction. Je vous réponds que votre insensibilité ne rend pas moins bonne votre action : au contraire, elle en est doublement épurée, car vous renoncez à votre amour-propre, sans satisfaction.

80. Le manuscrit a la leçon « ce sont des productions .. On a rétabli le singulier qui s'accorde avec le reste du texte.

118 119

Voilà la leçon que je vous donne : de faire avec pureté vos opérations. Exemple : je bois, je mange, et la nature y veut prendre quelque plaisir, je me détourne en esprit de cette satisfaction et désire de tout mon coeur n'y point adhérer, ains de manger pour l'amour de Dieu et par obéissance à sa conduite qui nous y oblige, et mon dessein est de demeurer en cette intention. Si je m'en détourne par faiblesse ou infidélité, j'y retourne par un simple souvenir ou désir d'y être, et de cette sorte je fais mon oeuvre en la présence de Dieu et pour Dieu, autant que je l'y puis faire.

Dieu veut que j'opère avec sa grâce dans certaines rencontres ; et en d'autres il veut que je sois toute passive et toute adhérente à l'impuissance qu'il me fait ressentir. Il le faut suivre comme il lui plaira de nous mener. Vous en avez un exemple en vous-même sur le mouvement qui vous a été donné de vous rendre victime des familles X. Il faut souffrir ce trait-là en vous laissant à la disposition divine pour lui donner tel effet qu'il lui plaira sans vous empresser ni beaucoup résister, ains vous laissant à Dieu pour être sa victime. Il vous appliquera comme il voudra. Car dans les attraits ou mouvements des choses extraordinaires, il faut se donner de garde de la tentative, notre propre esprit nous en suggère quelquefois, c'est pourquoi il s'en faut défier. Voici comment vous devez vous y comporter pour éviter la tromperie : il faut les remettre en Dieu avec abandon et confiance à sa grâce, vous tenant liée à sa très sainte volonté, sans jamais vous en séparer, et sans vous beaucoup occuper du particulier, de peur qu'insensiblement cela ne vous jette dans des égarements d'esprit et dans les distractions.

Soyez donc toute à Dieu pour tout ce qui lui plaira, car il est juste que la victime soit immolée à la gloire de celui à qui elle appartient. C'est à lui de vous appliquer pour qui et à qui il lui plaira. Votre motif doit être seulement sa pure gloire, ne vous détournant pas un moment de lui. Que s'il vous applique au salut des âmes, votre zèle ne doit être que lui, que de le voir régner partout et honoré de tous. Si vous quittez cette simple vue, votre esprit naturel et raisonnement82 vous mènera bien loin dans ses diverses pensées, dans ses craintes, dans les créatures et dans ses considérations. Il faut fermer l'oreille de notre âme à tout ce qu'il nous veut dire, et demeurer passive, c'est-à-dire patiente dans le trait de Dieu ; ainsi des autres choses qui vous arrivent, remettant ou laissant toutes choses à la disposition divine, et par ce moyen vous demeurez en Dieu, remplie de Dieu, car les volontés de Dieu, c'est Dieu même. Ainsi l'on ne se trompe point en s'amusant à ce qui se passe.

Vous avez désiré savoir à quoi vous obligerait cet état de victime que vous avez mouvement de porter pour X. Il vous chargerait de tous crimes, et vous ferait comme Jésus-Christ Notre Seigneur a fait pour vous : mourir et souffrir pour eux. C'est que vous seriez obligée de satisfaire à la divine justice de ce dont ils seront redevables. En un mot, c'est vous donner en proie à toutes sortes de souffrances et de morts, puisque les péchés méritent des supplices infinis.

Rendez-vous à Dieu pour ce qu'il lui plaira, et lui dites qu'il vous rende lui-même victime pour X s'il veut cela de vous. Parce que s'il le veut, sa grâce le fera en vous. Mais pour votre égard, ne vous avancez pas de vous-même. Voyez votre impuissance et votre peu de fidélité. Ainsi dans la vue de votre néant, misère et pauvreté, demeurez abandonnée à la volonté divine ; voilà pour ce point.

Je reviens au premier de ma lettre et la conclus comme je l'ai commencée, en vous disant qu'il faut souffrir et se taire ; c'est-à-dire qu'il faut embrasser votre croix telle qu'il plaira à Notre Seigneur vous la donner, et demeurer seule avec lui sans vous dissiper dans les créatures. Soyez solitaire au milieu des embarras, que votre esprit s'en dégage. Ne faites rien avec empressement, avec affectation, avec attache, avec intérêt propre ; et opérant pour Dieu et par soumission à son bon plaisir, vous demeurerez libre et agirez en sa sainte présence sans vous souiller dans vos opérations.

Je prie Notre Seigneur qu'il vous en fasse la grâce.

n° 1435

81. Il faut se garder de la tentation.

82. Et raisonneur.

121

« CONTINUATION POUR OPERER EN FOI »

Aimez Dieu, ma très chère fille, aimez Dieu pour l'amour de lui-même. Ce peuple de l'Evangile d'aujourd'hui83 aime Jésus et le poursuit pour le faire Roi parce qu'il les a repus et rassasiés de pain et de poisson. Oh ! qu'il y a peu d'âmes qui aiment Dieu pour l'amour de lui-même, et qui le fassent régner dans leur coeur ! Tant que nous ressentons les doux effets de ses grâces, que nous avons la lumière et le goût, nous le suivons et l'adorons comme notre Dieu et notre Roi ; mais s'il nous prive de ses douceurs et qu'il nous mette dans le renversement, nous ne le connaissons plus.

Jésus est toujours Dieu, plein de grandeur, plein d'amour et de sainteté. Il est le même dans les privations, dans les impuissances que vous expérimentez tous les jours. Il faut donc que vous l'aimiez et l'adoriez de même coeur, que la foi vous élève au-dessus de vos sens, que vous connaissiez par icelle comme vous devez vivre dégagée de vous-même et des appuis de vous-même et de votre amour-propre.

Elevez-vous en simplicité à Dieu qui vous est actuellement et réellement présent. Dépouillez-vous de toutes vos lumières, de tous vos goûts, de toutes formes, de toutes images et espèces. Dieu est un pur esprit : il veut être adoré de vous en esprit", dénué de tous fantômes85.

La foi vous enseigne que tout ce qui tombe sous les sens et dans la compréhension humaine n'est point Dieu. Non, non, ma très chère fille, tout ce que vous ressentez, tout ce que vous goûtez, tout ce que vous voyez n'est point Dieu. Ce peut bien être quelque effet de ses grâces, mais ce n'est pas Dieu source de grâce.

Et pour le trouver dans sa pureté divine, il faut que vous vous éleviez au-dessus de tout ce que vous sentez et, par une simple ignorance de toutes choses, vous demeuriez en foi dans Dieu, c'est-à-dire : le croyant ce qu'il est, vous demeurerez dans un abîme de respect en sa sainte présence, sans former d'autre discours. Vous vous laisserez à la puissance divine pour être la victime de son amour. Vous demeurerez en cette posture immobile ne permettant pas à votre esprit de se réfléchir, vous négligeant vous-même pour vous laisser toute à Dieu et remplie de lui. Et si la tentation vous attaque, vous la négligerez de même, étant comme insensible à tous vos intérêts, car il faut que vous vous perdiez vous-même si vous voulez jouir de votre Dieu. « Celui qui perd son âme la gardera pour la vie éternelle »86.

Je vous écris ces choses à genoux, prosternée devant la majesté adorable de mon Dieu qui m'a donné tout ceci et beaucoup d'autres choses à vous dire, après la sainte Communion du matin où j'ai été pénétrée d'une manière toute particulière à votre sujet. Oh ! que vous êtes redevable à la bonté divine ! Combien de miséricordes il vous prépare ! Votre voeu ne vous y sera point contraire, car très assurément il est agréé de Dieu en la manière que je vous l'ai exprimé. Mais soyez fidèle et vous abandonnez parfaitement.

Il faut que vous vous rendiez digne, par la vertu de Jésus-Christ, de recevoir les grâces qu'il vous veut faire. Déterminez-vous à être tout à Dieu et soyez résolue d'y mourir à la peine en la manière que l'obéissance vous fera connaître.

Je ne suis point votre ange visible, je suis un démon de péché, mais Dieu veut que je vous enseigne ses voies, et que vous portiez le poids de cette humiliation : que vous soyez liée à une pécheresse par l'ordre divin. Mais vous devez faire abstraction de la créature pour vous rendre tout à Dieu, en la créature.

n° 9

83. Jn 6, 1-15.

84. Jn 4, 23.

85. Espèces, fantômes : représentations sensibles.

86. Mt 11, 39 ; Jn 12, 24-25.

123

POUR OPERER EN FOI (suite du même sujet)

Je ne pus hier vous écrire. Je prends une heure de mon temps d'après Matines pour vous dire deux mots sur votre lettre d'hier, en laquelle vous me demandez trois choses.

La première est que vous désirez être instruite pour agir par la foi et voir toutes choses dans l'ordre de Dieu, et qu'il a vu et connu toutes choses de toute éternité. Vous demandez ce que vous savez déjà. La foi nous apprend que Dieu est Dieu, qu'il voit tout, qu'il sait tout, qu'il peut tout, qu'il pénètre tout, et que rien ne peut être caché à ses yeux divins ; qu'il a de toute éternité disposé et ordonné les voies de notre sanctification ; qu'un cheveu ne tombe point de nos têtes sans son ordre87 ; que le bien et le mal, l'affliction et la joie, le repos, la peine, etc., sont dans sa main ; que sa très sage et très aimable Providence dispose de tout suavement et saintement, pour le bien des âmes qui s'abandonnent à Dieu et qui vivent de foi.

Or quels sont les usages de foi ? C'est de croire à ces vérités que je vous viens de dire et à toutes les autres qui sont en Dieu, bien que vous ne les connaissiez point. Comme par exemple : on me contrarie. Je reçois cette contradiction de la main de Dieu sans permettre à mon esprit de tant raisonner, et me résigne à sa très sainte volonté en patience, croyant que Dieu me l'envoie pour sa gloire et mon salut. Je crois que Dieu me voit. Je crois qu'il est plein d'amour et de miséricorde pour mon âme. Je crois qu'il ne fait rien qui ne soit juste et saint. Et dans les occasions, vous en pouvez faire des actes, comme de dire : « Mon Dieu, je crois que vous m'aimez d'un amour infini, puisque vous êtes mort pour moi. Je crois que vous aurez soin de tous mes besoins, et que votre grâce me conduira à vous. Je crois en votre sainte Providence et qu'un cheveu de ma tête ne tombe point sans votre ordre87. Et par conséquent, je crois que vous voyez la moindre de mes pensées et qu'il n'y a rien de casuel88 en vous, que tout ce que vous m'envoyez est bon, et que

87. Mt 10, 30.

88. Fortuit, accidentel. Pour Dieu, rien n'est imprévu.

124 vous ne me permettrez jamais rien qui ne soit à votre gloire et au bien de vos élus, nonobstant que je ne le comprenne point.

Je crois, mon Dieu, je crois en vous et en vos saints mystères, et en toutes les vérités saintes que vous avez révélées à votre Eglise ». D'autres fois, vous pourrez dire : « Je travaille, mon Dieu, parce que vous le voulez ; le péché m'ayant réduite à cette peine, je la souffre pour votre amour en esprit de pénitence ». Vous pouvez boire, manger, dormir et le reste en cette disposition, faisant toujours ce que Dieu veut, évitant le péché, parce qu'il le veut, et qu'il le hait.

Les usages de la foi, c'est de croire en Dieu et en ses divines paroles, et de travailler dans la vertu de cette croyance. Je n'en sais point d'autre méthode. Plusieurs livres en décrivent de belles pratiques, entre autres le Père de Saint-Jure89 dans le livre qu'il a fait De la connaissance de l'amour de Notre Seigneur. Je n'aime point tant de multiplicités. Mais quand l'esprit en a besoin, on s'en peut servir. Ces dignes auteurs les ont écrites à ce sujet, donc vous vous en pouvez servir.

La seconde chose que vous demandez est comme il faut tout recevoir en esprit de pénitence. C'est, ma chère fille, que nous sommes pécheresses, et en cette qualité, comme je vous l'ai montré nombre de fois, nous ne sommes dignes d'aucune grâce ni bonheur. Ainsi nous devons souffrir nos misères en esprit de pénitence, c'est-à-dire que j'en fais ma pénitence, puisque mes péchés le méritent et obligent Dieu de me laisser dans mon abjection. Exemple : on me dit une injure. Je la souffre en esprit de pénitence, c'est-à-dire avec une pensée ou sentiment que j'ai péché, et qu'en qualité de criminelle90 je le mérite, et ainsi je la souffre en me confondant. Nous vous avons dit et écrit ces choses : vous les pouvez repasser en votre esprit à votre loisir.

La troisième est sur le consentement de la partie supérieure dans les fautes ou imperfections que l'on commet. Toutes les fois que vous avez des sentiments mauvais, comme de colère, de mépris... vous n'y consentez pas. Je ne vois pas qu'il y ait du consentement mais quelquefois il y peut avoir un peu

89. Père de Saint-Jure. Jean-Baptiste. s.j.. né à Metz en 1588, mort à Paris en 1657. Il s'adonna avec beaucoup de zèle à l'apostolat des âmes. Ses écrits ascétiques révèlent un homme consommé dans les voies de Dieu et la science des saints.

90. Au XVII' siècle. «criminelle » signifie pécheresse. au sens où l'âme se vouant dans l'amour que Dieu lui porte. toute faute prend sa vraie dimension.

125

de négligence, c'est-à-dire que vous ne vous séparez pas si promptement, quant à la partie supérieure, de l'imperfection ; je ne dis pas toujours, ains quelquefois.

Je vous ai dit que Dieu ne tombe jamais dans nos sens. Vous y pouvez bien ressentir des rejaillissements de sa grâce, mais non pas lui-même, parce qu'il est un pur esprit et que sa résidence est dans le suprême de notre âme où il ne descend point. Nous parlerons de ceci, et vous verrez toujours plus clairement les solidités de la voie de mort et d'anéantissement en foi pure, en laquelle l'union de l'âme avec Dieu est immédiate.i ii [« ii » voir cette note : 51 ] Et dans l'état de ravissement, révélations, etc., il y a plus du sens, et par conséquent plus d'attache, et moins de pureté. Il faut pourtant discerner ce qui vous frappe les sens : si c'est un effet opéré dans le pur de l'esprit qui s'épanche sans y rien contribuer, ou si les sens mêmes recherchent telles satisfactions.iii Nous avons besoin d'un petit entretien sur ces matières pour en avoir plus facilement l'intelligence.

n° 1147 a et 1660 pour le dernier paragraphe

DE LA NECESSITE QUE NOUS AVONS D'ETRE A JESUS-CHRIST, REVETUES DE JESUS-CHRIST, ET DE FAIRE TOUTES NOS ACTIONS POUR JESUS-CHRIST

J'ai bien envie de vous parler de Jésus-Christ, de vous faire connaître Jésus-Christ, et de vous voir toute remplie d'amour et d'estime de Jésus-Christ. Oh ! qu'il est grand, qu'il est saint, qu'il est aimable et adorable ! Soyons toutes à lui, ne vivons que pour lui, ne respirons que lui, ne pensons qu'à lui, ne désirons que lui. Je vous avoue que je prends un singulier plaisir de vous parler de Jésus-Christ, de voir la bonté que vous avez de souffrir qu'une bouche impure comme la mienne vous en parle.

Le sacré nom de Jésus-Christ est si suave et si doux, qu'il y a des délices de le prononcer. O Jésus-Christ, Jésus-Christ, Jésus-Christ, soyez en nous et nous remplissez toute de vous-même. Une âme qui a Jésus-Christ n'a plus besoin d'autre chose. Si vous me demandez qui peut avoir Jésus-Christ, je vous dirai que tous les chrétiens l'ont reçu au baptême. Vous l'avez en vous, mais il ne se manifeste pas toujours. C'est la foi qui vous le découvre, et quelquefois il se communique si particulièrement à l'âme, qu'elle l'expérimente d'une admirable manière. Jésus-Christ est la vie de votre vie, il est l'esprit de votre esprit et l'âme de votre âme. Si Jésus-Christ n'était en vous, vous ne seriez rien de ce que vous êtes.

Adorez donc Jésus-Christ comme votre vie, votre âme, et votre esprit, c'est-à-dire voyez plus Jésus-Christ en vous que vous ne vous voyez vous-même. Nous ne devons plus rien voir que par les yeux de Jésus, rien désirer que par ses désirs, rien aimer que par son amour. Enfin d'être, comme dit saint Paul, ce digne amateur91 de Jésus-Christ, toute revêtue de JésusChrist92.

C'est un grand bonheur à l'âme d'avoir une haute estime de Dieu et de ne voir rien de grand que lui, de ne voir rien digne de nos respects, de nos hommages, ni de notre amour que lui, afin que dans cette vérité nous lui rendions ce que nous devons à sa grandeur et à sa sainteté. Dans cette vue vous ne pouvez rien faire que pour Dieu, vous ne pouvez rien désirer que Dieu, vous ne pouvez rien aimer que Dieu, et en toutes choses vous voyez Dieu et tendez à Dieu.

Dieu, Dieu, Dieu seul, c'est-à-dire : que Dieu soit unique dans vos pensées, dans vos paroles, dans vos intentions, dans vos oeuvres, dans vos désirs, dans vos affections. Dieu uniquement partout : Dieu dans l'affliction, Dieu dans l'humiliation, Dieu dans la vie, Dieu dans la mort, enfin Dieu partout.iv

L'Evangile93 nous dit aujourd'hui en deux mots en quoi consiste toute la sainteté chrétienne. C'est une leçon admirable, écoutez-la, je vous prie. La Loi dit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toutes tes forces, de tout ton esprit »94. Pesez bien ces choses et vous verrez combien vous êtes obligée à donner à Dieu jusqu'à la plus petite de vos actions. S'il faut l'aimer, par l'obligation de ses com-

91. Amateur est peut-être employé au sens de : amant. Seul le D. 10 a cette version, les autres manuscrits ont : imitateur.

92. Rm 13, 14 ; Ga 3, 27.

93. Mt 22, 34-46. Evangile lu autrefois le 17' dimanche après la Pentecôte.

94. Dt 6, 5.

127 [128!]

mandements, de toutes les capacités de votre âme, jugez si vous ne lui devez pas toutes vos pensées, tous les mouvements et même tous les respirs de votre coeur.

La Loi dit : « De toute ton âme, de toutes tes forces ». Si vous considérez bien l'importance de ces paroles, par obligation de commandement vous vous devez tout à Dieu. Et par surcroît saint Paul vous dit : « Vous n'êtes plus à vous, vous êtes rachetée d'un grand prix »95. Vous trouverez dans une infinité d'endroits de l'Ecriture Sainte l'impuissance où vous êtes de disposer de vous-même, voire seulement d'une de vos pensées, si vous ne voulez la dérober à Jésus-Christ. Mais de droit vous ne le pouvez. Vous êtes achetée : qui achète l'arbre achète le fruit, donc vous n'êtes point à vous. Pesez bien cette vérité, répétez souvent ces paroles : Je ne suis point à moi, je suis à Jésus-Christ. Il m'a rachetée par amour, je suis donc nécessairement esclave de son amour. O digne esclavage !

Après que vous aurez compris cette vérité et que l'Esprit de Notre Seigneur aura fait impression sur votre âme, vous connaîtrez par une expérience de grâce que vous appartenez toute et sans aucune réserve à Jésus-Christ ; que c'est une nécessité absolue qu'il faut que vous soyez toute à lui ; que vous ne pouvez plus vous en dédire. Etant convaincue de cette vérité que vous devez croire comme article de foi, voyez ensuite combien vous êtes obligée de vous rendre à lui. C'est consentir à tous les droits, les pouvoirs et autorités qu'il a sur vous, et demeurer en lui. C'est ne sortir jamais de sa sainte présence et faire toutes choses par son esprit. Autant qu'il vous est possible, de n'avoir jamais dans votre idée d'autre objet que lui. Bref que sa pure gloire vous fasse agir en toutes choses, jusqu'à la moindre de vos actions. Ne pensez pas qu'il y ait rien de petit au regard de Dieu : tout est grand, tout est saint, son amour sanctifie toutes choses.

Soyez donc très ponctuelle dans les plus petites choses. Tout se fait pour un grand Dieu. Il faut donc que tout soit fait avec esprit, c'est-à-dire avec attention à Dieu, et dans un simple désir de le glorifier et contenter en toutes choses. Il ne faut plus écouter la nature ni l'esprit humain qui se plaint de son esclavage. Que cet esclavage vous rendra libre96 un jour, après que vous aurez tout assujetti à Jésus : vos sentiments, votre raisonnement, vos retours, vos intérêts, vos passions et votre amour-propre. Pour lors, vous posséderez une liberté intérieure si sainte que vous vous étonnerez comme vous avez pu appréhender de vous rendre captive de Dieu si plein de bonté et d'amour.

Celui qui quitte ce qu'il a pour suivre Jésus-Christ, il lui rend le centuple en ce monde et la vie éternelle en l'autre 97 Oh ! quelle récompense ! Il rend le centuple en ce monde. Oui, ma très chère fille, la liberté que vous aimez tant et que votre amour-propre craint de sacrifier vous sera rendue doublement. C'est-à-dire que vous serez plus libre et que plus rien ne vous captivera.v Les créatures n'auront plus d'empire sur vous, toutes choses seront au-dessous de vous et rien ne vous pourra plus troubler.

N'est-ce pas donc un grand bonheur de perdre en Jésus notre liberté, de lui en faire volontairement un sacrifice, puisqu'il nous la rendra toute sainte. Captivez-vous donc pour Jésus jusqu'aux plus petites choses. Il veut que vous ayez cette fidélité, et puis il vous élèvera à de plus grandes. Celui qui ne fait point estime des petites choses tombera bientôt dans de grands désordres.

L'amour-propre souille bien plus les grandes actions que les petites. La complaisance et la vanité secrète ruinent tout. Mais dans les petites choses tout y est petit, vous en êtes humiliée ; elles n'éclatent point, et vous n'en recevez pas la vaine louange des créatures.

L'amour-propre ne se plaît pas aux petites choses. La malheureuse inclination de propre excellence que le péché a mise en nous nous fait toujours aspirer à des choses hautes ; et nous voyons peu d'âmes qui n'aspirent à de grandes choses sous prétexte de la gloire de leur Maître. Ne vous trompez pas, ma très chère fille, suivez la vraie lumière et les leçons que Jésus-Christ vous donne par lui-même. Si vous voulez être grande dans la grâce et dans les dons de Dieu, soyez si petite et si abjecte à vous-même et aux créatures que vous ne puissiez plus vous trouver. Faites votre demeure dans le néant, ne soyez rien en aucune chosevi, et vous serez toute en Jésus-Christ.

95. 1 Co 6. 19-20. 96. 1 Co 7.22. 97. Mt 19,29.

129 [130]

Ne regardez pas les petites choses par la vue de votre esprit humain. Voyez-les dans l'ordre que Jésus-Christ a établi sur vous, auquel il vous assujettit par les pressants mouvements que sa grâce imprime en vous. Vous y devez une ponctuelle obéissance sans regarder la petitesse de l'action. C'est assez que c'est Dieu qui vous le commande. Il faut obéir à l'aveugle, sans retour ni sans réfléchir sur votre action. Et s'il ne veut de vous que de petites choses, en devez-vous pas être contente ? Est-ce à vous de donner des lois à Dieu ? L'esclave n'a point de droit de choisir ou de refuser. Il faut quelle soit sujette à tout moment, sans dire pourquoi.

Aimez donc la fidélité en petites choses, et vous y tenez sujette. Vous pouvez plus glorifier Dieu en relevant une paille par soumission à Dieu, que de faire cinquante disciplines, ou autres plus grandes austérités, de votre propre esprit. Et si Dieu se contente de ces petites choses, il les faut faire purement et avec la même perfection, le même amour et la même fidélité que si vous convertissiez tout le monde. Votre petite action a Dieu pour fin et pour objet comme la plus grande. Donc il la faut faire saintement parce qu'il faut honorer Dieu et tout faire pour son amour et par la direction de son Esprit.

1. Pour bien faire votre action il la faut faire pour Dieuvii, c'est-à-dire pour son amour et par respect et soumission à son bon plaisir, pour lui seul, sans se considérer soi-même, sans réfléchir sur votre propre satisfaction ou intérêts.

2. Il la faut faire en Dieu, c'est-à-dire en sa présence, demeurant unie de coeur et d'esprit en lui.

3. Il la faut faire par l'Esprit de Dieu, c'est-à-dire qu'il faut vous laisser à Dieu, afin qu'il agisse en vous, que ce soit sa grâce et sa vertu qui fassent toutes choses dignes de lui.

Quand nos actions sont faites de cette sorte, elles sont glorieuses à Dieu. Comment connaîtrez-vous que votre action est faite de la sorte ? Vous le remarquerez lorsque faisant vos actions, vous n'aurez point d'autre motif que de contenter Dieu. Vous demeurerez en sa sainte présence, sinon ressentie, du moins crue, c'est-à-dire en foi ; et vous vous laisserez à lui par un pur abandon pour faire cette action comme il lui plaira.

Or il n'est pas besoin en toutes vos opérations d'avoir ces trois points distincts dans votre pensée. La simple application de votre esprit à Dieu par un simple et amoureux désir, vous met en possession des trois ; et votre fond intérieur les contient en foi, et cela suffit. Faites donc toutes choses avec la perfection que vous pouvez, imitant Notre Seigneur qui a fait toutes choses saintement et parfaitement ; qui a fait toutes choses selon qu'il l'a jugé plus à sa gloire.

Faites tout ce que vous faites :

1. Avec présence d'esprit.

2. Sans précipitation.

3. Volontairement et de bon coeur pour Jésus-Christ.

4. Sans écouter les plaintes de la nature.

5. Avec une amoureuse complaisance dans l'accomplissement des volontés de Dieu en vous. Si vous avez à écrire, écrivez ayant Dieu présent en foi et avec tranquillité, sans empressement.

Ne voyez que Dieu et son plaisir dans ce que vous faites ; et bien que ce soient actions humaines, vous les rendez divines par le motif divin qui vous anime. Dans vos autres travaux, faites le même et gardez-vous d'être propriétaire de votre oeuvre ; ne vous y complaisez point et ne vous y attachez point. Quittez facilement toutes choses au moindre signe ou mouvement de l'ordre de Dieu. Faites ce que vous faites avec grande liberté. Rendez-vous toute sorte de travaux indifférents : pourvu que ce soit Dieu, il vous doit suffire. Or ce sera toujours Dieu quand vous n'envisagerez pas les créatures ni vos intérêts.

Quand vous faites un ouvrage, faites-le en la vue de Dieu et pour Dieu, dans la perfection que vous pouvez. Donnez gloire à Dieu en faisant parfaitement ce qu'il vous commande.

J'ai connu des âmes qui auraient fait scrupule de ne point faire un ouvrage autant parfait qu'elles pouvaient, leur pensée étant comme un reproche de ce qu'elles n'agissaient point dans toute l'étendue de la grâce ou de la perfection que Dieu mettait en elles.

Il y a des âmes si pures et si délicates qu'elles observent jusques aux plus petites choses, ne voyant rien de petit de ce qui peut et doit honorer Dieu. Ces âmes font usage de toute la capacité que Dieu a mis en elles pour le glorifier, même dans les moindres choses de la vie qu'elles font avec quelque degré de perfection.

Pour bien réussir en ceci, il faut concevoir, en foi, une haute estime de Dieu et vous estimer bienheureuse d'être consommée pour sa gloire, quand même il ne vous en récompenserait jamais.

Voilà donc pour vos actions et obligations que vous avez d'être fidèle en petites choses, et comme vous les devez faire

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dans toute la perfection que vous pouvez ; puisque c'est pour Dieu et non pour la créature que vous opérez. Ce que j'ai dit pour une action je l'ai dit pour toutes.

Disons un petit mot des services qu'on vous rend et que vous vous rendez à vous-même.

Premièrement, vous ne devez point vous approprier aucun service de ceux qu'on vous rend : c'est à Jésus-Christ qu'on les rend en votre personne. Et supposé que ceux qui vous servent n'aient pas ces sentiments, vous ne devez pas pour cela vous approprier ce qui n'est pas à vous ; et vous devez suppléer au peu de lumière et de grâce de vos gens en référant à Dieu tous les services que vous recevez d'eux.

Soyez très fidèle en ce point, afin que Dieu soit en toutes choses, et que la créature ne soit pas l'idole de la créature. Car pour l'ordinaire, les domestiques n'ont que des vues humaines dans les services qu'ils rendent. Vous êtes chrétienne, c'est pourquoi vous êtes obligée à cette fidélité ; et dans cette disposition recevez humblement tous les services qu'on vous rend, saine ou malade.

Cette petite pratique de fidélité rend l'esprit très libre et fait que l'on souffre avec humilité les services que l'on reçoit ; car souvenez-vous bien que ce n'est pas à vous, ni pour vous, mais à Jésus-Christ en vous.

Quant aux services que vous vous rendez à vous-même, vous devez avoir le même sentiment, qui est de les rendre à Jésus en vous ; car Jésus-Christ est plus pour vous que vous n'êtes vous-même. Vous pouvez aussi les appliquer comme à un pauvre de Jésus-Christ. Car bien que vous ne mendiez pas votre pain comme ces gueux des rues, êtes-vous pas pauvre et vraiment pauvre, puisque vous n'avez rien par vous-même ? Vous êtes mendiante tous les jours, donc vous êtes en vérité pauvre en toute manière : pauvre de vertu, pauvre de grâce, pauvre de perfection, pauvre de bien, enfin pauvre en toutes choses. Est-ce pas Dieu qui vous donne tout, et lui demandez-vous pas du pain tous les jours ? Oui, vous êtes pauvre dans l'abondance des choses du Ciel et de la terre. Rien n'est à vous, pas seulement une pensée ; et tous les biens de fortune dans un moment vous peuvent être ôtés comme à Job, et vous réduire sur un fumier, couverte de pourriture98. Oh ! quand Dieu veut faire des renversements, il en trouve d'étranges moyens !

Vous êtes donc pauvre, et vous devez vivre pauvre dans un total dégagement de toutes choses ; et dans cet esprit, servez-vous comme vous feriez un pauvre. Appliquez à votre corps la charité que vous rendriez à autrui, comme la rendant à Jésus-Christ en vous, et pour avoir plus de capacité de le servir. Il ne faut pas tout dénier au corps, car il faut qu'il serve votre âme ; c'est pourquoi il le faut faire subsister, non par amour et tendresse de nature, mais pour être plus capable de glorifier Dieu. Soulagez-le donc par charité, mais ne le flattez point par trop d'humanité. Donnez-lui sans scrupule les choses nécessaires, et toujours par un motif divin, ayant Dieu et sa gloire pour objet.

Etant en santé, servez-vous vous-même autant que vous pouvez et que la prudence vous le permettra, vous estimant indigne qu'un membre de Jésus-Christ soit employé à vous servir. Mais étant indisposée, recevez tous les services nécessaires en la manière ci-dessus.

J'aurais encore beaucoup de choses à vous dire, mais je crains que le trop de viande ne charge votre estomac. Lisez attentivement cette leçon, non une fois mais plusieurs, doucement, sans effort ni contrainte. Recevez ce qu'il plaira à Notre Seigneur opérer en vous. Ne vous gênez de rien, non pas même de vos imperfections ; nous avons à vous en écrire quelque chose quand il plaira à Notre Seigneur. Il ne faut point surcharger votre esprit. Demeurez paisible dans vos misères et souffrez que Dieu vous confonde et vous humilie comme il lui plaira.

n° 674

98. Jb 2, 8.

133 [134]

COMMENT L'ON DOIT SERVIR LES MALADES

Dieu soit béni des grâces qu'il vous a données d'arrêter votre promptitude dans les occupations où sa sainte Providence vous a engagée. Liez-vous à ses effets et servez votre cher époux comme la personne de Jésus-Christ, si vous le voyiez sur terre. Vous ferez en cela ce que saint Paul vous conseille99, et en rendant vos devoirs à la créature selon vos obligations, vous honorerez Dieu par vos intentions.

Gardez-vous d'un petit empressement secret qui vous domine, lequel vous cause des ténèbres et quelquefois un peu d'inquiétude. Voyez toutes choses dans l'ordre de Dieu et recevez tout de sa sainte main. C'est lui qui fait malade votre mari, et c'est lui qui vous assujettit à le servir. Appliquez-y votre temps et votre capacité par obéissance à Notre Seigneur, et qui veut cela de vous et qui vous y oblige. Servez-le avec amour et avec respect : c'est votre maître en une certaine manière et c'est aussi [...]100.

Dans la vue de ses douleurs, ne soyez point si humaine. N'y compatissez pas par nature. Vous êtes chrétienne, il faut agir actuellement selon la grâce chrétienne ; et faire autrement, c'est dégénérer de la dignité que nous avons reçue et mépriser les ordres de Dieu qui nous y oblige. Ayez compassion de la douleur qu'il porte, mais chrétiennement, voyant la main de Dieu qui la lui applique. Respectez les desseins de Dieu sur son âme et sur son corps et l'offrez à Notre Seigneur en victime ; car c'est une partie de vous-même par le sacrement qui vous a unis. Vous êtes obligée de référer à Dieu tout le droit que vous y avez, dans le désir de le voir tout à Jésus-Christ, et qu'il le sanctifie par ses souffrances.

Il ne faut point aimer d'un amour de chair et de sang ; mais il faut aimer d'un amour pur et dégagé qui n'a que Dieu pour son principal motif. Jamais la créature ne le doit emporter, car vous ne servez la créature que par hommage et obéissance à Dieu. Elevez donc votre esprit à Dieu qui vous est présent et qui est plus en vous que vous n'êtes à vous-même, et faites en sa sainte présence et par le motif de son pur amour tout ce que vous avez à faire.

Donnez-vous librement aux affaires et à la servitude quand Dieu veut cela de vous. Soyez contente en toutes les dispositions où Dieu vous mettra tant pour l'intérieur que pour l'extérieur. Ne vous occupez pas par votre propre esprit, mais laissez-vous occuper par la Providence qui ne manquera pas de vous visiter par ses événements. Soyez-y fidèle sans gêne ni sans empressement. Contentez-vous de la divine volonté que vous devez accomplir en toutes choses. Il ne vous faut que l'attention sur vous-même, ou plutôt l'attention à Dieu, et son Saint-Esprit vous fera de bonnes leçons.

Ne vous captivez point vous-même, soyez libre dans vos exercices de piété ; et quand l'ordre de Dieu vous en tire, soyez soumise et gardez-vous de chagrin. Il faut être toute à tous, et toujours en état de faire ce que Dieu veut, n'ayant aucune attache à aucune chose particulière. Donnez à Dieu sa liberté de vous employer à tout ce qui lui plaît.

Ne faites jamais rien que vous ne soyez prête de le quitter dans le moment, si Dieu et l'obéissance vous ordonnaient autre chose. Il faut que Dieu seul nous maîtrise et non les créatures ; et cependant nous nous rendons bien souvent volontairement leurs captives par infidélité et par aveuglement.

La Providence est adorable, ayant ménagé la privation de deux ou trois choses que je voulais vous ordonner de faire. Portez-la de bon coeur, et commençons à mourir à tous les appuis et recherches de notre amour-propre.

Je veux de bon coeur être privée de votre présence, c'est assez que je vous trouve en Dieu où je prends plaisir de vous voir, et que les créatures ne vous possèdent plus. Je vous dirai une autre fois comme il faut prier pour le prochain. Travaillez avec fidélité suivant le mouvement du Saint-Esprit.

n° 353

99. Ep 5, 21-24.

100. La phrase n'est pas achevée dans le manuscrit. Certaines copies plus récentes ont remplacé les points de suspension par : votre époux.

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COMME NOUS DEVONS FAIRE TOUTES CHOSES PAR OBEISSANCE A JESUS-CHRIST

Puisque la divine Providence a permis que notre entretien soit interrompu et qu'il me semble que votre âme n'a rien ou très peu remporté de la conférence d'aujourd'hui, je crois que Notre Seigneur veut bien que je vous dise mes petites pensées sur vos dispositions ; qui ne sera pourtant qu'une redite de ce que nous vous avons dit souventes fois.

La première chose que je remarque en vous, ma très chère fille, c'est que vous ne faites pas assez d'estime des petites choses. Vous ne les envisagez pas dans l'ordre de la divine Providence ; c'est pourquoi vous y avez peu d'attention et de respect, et vous y perdez beaucoup de grâce. S'il faut rendre compte au jugement de Dieu d'une pensée inutile, d'un mouvement mal réglé, pourquoi ne serons-nous pas reprises de tant d'actions inutiles qui pourraient honorer Dieu si vous leur donniez vie par le pur amour qui les doit animer ? Les mauvaises habitudes nous causent de grands maux, et je ne m'étonne pas que les spirituels disent qu'une habitude vicieuse, quoiqu'elle ne soit point d'une conséquence mortelle, cause un épouvantable retardement à l'âme.

Dieu ne demande quelquefois qu'un petit acte de fidélité pour nous faire de grandes saintesviii. Vous devez être toujours dans une sainte et amoureuse attention vers Dieu pour vous rendre à lui en toutes manières, aussi bien dans les actions naturelles comme dans les autres, puisque vous ne devez pas vivre un moment hors de Dieu. Et puisque tout doit avoir vie en lui, pourquoi voulez-vous qu'une partie de vos actions soient sans cette divine vie que vous tirez du pur amour de Dieu ? Pourquoi, dis-je, ne sera-t-elle pas animée de son divin Esprit ? Si vous pouviez concevoir la perte que vous faites quand vous agissez purement humainement, vous en seriez inconsolable. N'est-ce pas un grand défaut à une âme qui peut donner gloire à Dieu et qui cependant l'en prive pour céder à son raisonnement, qui lui veut persuader que les petites actions de la vie ne sont que bagatelles et qu'elles n'ont pas besoin d'être dirigées.

O mon enfant, si vous aviez bien compris comme vous êtes rachetée et comme vous appartenez à Jésus-Christ, vous auriez bien plus de soin de l'honorer. Si un respir de votre coeur n'est point à vous, à plus forte raison la plus petite de vos actions qui est toujours plus étendue qu'un respir.

Faites une haute estime de Dieu et de tout ce qu'il nous oblige de croire dans le cours de notre vie, n'ayant jamais d'autre objet que son pur amour. Il faut que ce divin feu nous purifie, et rien n'est digne de Dieu s'il n'a passé par ses flammes. Faites donc toutes choses pour Dieu, et prenez soin que toutes vos actions lui soient référées, les faisant comme je vous ai dit autrefois par obéissance à Jésus-Christ. Mangez par cet esprit d'obéissance, dormez par obéissance, travaillez par obéissance, divertissez-vous par obéissance, bref faites tout ce que vous faites par obéissance. Priez par obéissance, souffrez par obéissance, mortifiez-vous par obéissance, 'recevez toutes les croix et contradictions d'esprit par obéissance, pratiquez les vertus par obéissance, aimez votre prochain par obéissance, visitez les pauvres par obéissanceix.

Ayez toujours devant vos yeux votre divin exemplaire Jésus-Christ, lequel s'est rendu obéissant jusqu'à la mort de la Croix101. Que toute votre vie soit une actuelle obéissance à Dieu ; c'est votre voie, du moins c'est la disposition où la grâce vous a mise et à laquelle vous devez une fidélité inviolable.

Lorsque vous vous tirez de cette soumission, vous vous mettez en danger de beaucoup de misères. C'est ce qui vous soutient dans votre état de ténèbres et d'impuissance.

Notre Seigneur dans l'Evangile voulant opérer ses merveilles n'a rien demandé de notre part que la foi. «Crois-tu que je te puisse guérir ? »102 De même aujourd'hui, voulant opérer en vous les merveilles de sa grâce et de son amour, il demande la même chose. Il veut que vous soyez en foi et que vous vous confiiez en sa bonté et en sa puissance ; autrement vous vous rendriez indigne de son opération. Croyez donc, nonobstant l'impureté de votre fonds, croyez en la vertu et bonté de Jésus-Christ, lequel peut dans un moment vous purifier. Et sans doute il le fera, après qu'il vous aura établie dans la solide connaissance de votre néant. Cet état vous est absolument nécessaire et je vous prie d'y être toute abandonnée aux desseins de Jésus-Christ.

101. Ph 2, 8.

102. Mt 9, 28.

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Ne vous réfléchissez pas tant, marchez en confiance.

Celui qui vous soutient ne vous laissera pas périr. Ne vous mettez en peine de rien, pourvu que vous soyez uniquement à Dieu, il suffit. Mais pour y être comme il faut, vous devez vivre dans une actuelle dépendance de son amour et de sa conduite.

Prenez bien garde de ne vous rendre pas propriétaire de votre temps et de vos actions. Il faut que vous soyez toujours en état de quitter de bon coeur ce que vous avez résolu de faire, pour faire ce que Dieu vous fera faire dans les événements. Pourvu que vous fassiez la volonté de Dieu, vous devez être contente ; et lorsque vous trouverez en vous de petits chagrins, empressements, etc, c'est un signe qu'il y a des attaches secrètes à votre action, que votre amour-propre y domine et y prend part. Et dès lors vous connaissez par cette inquiétude que vous n'êtes plus entièrement délaissée au bon plaisir de Dieu, puisque vous êtes attachée à votre inclination et que vous prenez vie en vous-même.

Je veux bien que vous projetiez en vous de faire telle et telle chose ; mais il faut que ce projet ne soit fait que par l'esprit d'obéissance qui vous lie à vos obligations, et dans une adhérence au bon plaisir de Dieu, prétendant en cela faire sa sainte volonté.

Mais quand vous voyez que sa Providence renverse vos projets et vous fournit d'autres choses, abandonnez-vous, soumettez-vous et laissez votre dessein pour vous plaire dans l'ordre de Dieu. En ces rencontres, soyez très fidèle en ce point. Autrement vous demeurerez toujours remplie de vous-même et votre âme ne possèdera pas la vraie et sainte liberté qui la dégage entièrement d'elle-mêmex. Elle se souille beaucoup dans le contraire de ce que je vous dis ; car s'attachant à son action propre, elle préfère son choix à la volonté de Dieu ; elle se jette insensiblement dans les ténèbres, perd le calme et la présence de Dieu.

Or pour vous délivrer de cette secrète tyrannie, il faut vous tenir dégagée des activités de votre esprit, ne faire point ce qu'il désire ; et lorsque vous ferez une action, être toujours prête à la quitter lorsque la Providence vous en tirera, de quelque manière que ce soit.

Ne déterminez jamais rien de vous. Vous n'êtes plus à vous, vous êtes à Jésus-Christ. C'est à lui d'en disposer et à vous d'acquiescer à ses desseins. Tendez à vous dégager de tout, ne soyez liée ni attachée qu'au bon plaisir de Dieu. Il faut être très indifférente et laisser la liberté à Dieu de faire de nous ce qu'il lui plaira.

Voilà trois mots que la Providence m'a donné en pensée de vous écrire. Tâchez de les pratiquer sans toutefois vous gêner ni inquiéter de vous voir si impuissante. C'est ce qui vous doit réjouir, car vous connaissez par votre expérience que tout votre bonheur vient de Dieu, et qu'il n'y a rien en vous que misère et péché. Dans cette disposition vous vous abandonnez sans réserve à la puissance de la grâce, et vous voyez comme actuellement vous en dépendez. De plus vous vous établissez insensiblement dans la profonde connaissance de vous-même ; et vous entrez secrètement en une sainte horreur de vous-même et de toutes vos productions, bien loin d'en tirer de la gloire et de la vanité.

Je réponds de vous et de votre état présent. Il est bon, mais soyez-y très fidèle. Dieu vous veut tout à lui ; tendez à vous y rendre selon tout votre possible, et sa miséricorde et son amour feront le reste. Adieu, ma chère fille, priez pour mes misères qui sont extrêmes.

N° 2531


AFIN D'HONORER DIEU PAR NOTRE OBEISSANCE Dieu et rien de plus !

La lumière et la grâce qui vous sont nécessaires pour connaître en fond votre état ne vous seront point données par les efforts de votre esprit, mais bien en vous exposant le plus actuellement que vous pourrez à Notre Seigneur, avec une profonde humilité et une remise de tout vous-même à lui, attendant avec confiance, respect et patience qu'il lui plaise opérer en vous ce qui est de sa gloire, et qu'il verse dans votre âme un rayon de sa lumière et quelque petite étincelle de son pur amour.

Gardez-vous de l'empressement intérieur. Oui, ce serait mon désir, si cela se pouvait, que vous soyez dans l'ignorance de beaucoup de choses de la vie intérieurexi. Tout votre travail n'a été que dans la superficie, curiosité, vanité ; le pur amour

139 [+1 dorénavant omis]

de Dieu n'avait point de vie en vous. Figurez-vous que toute votre science n'est rien ; car qui sait tout et ne saurait point Jésus-Christ crucifié, ne sait rien, dit l'Apôtre3. La vraie science est de savoir et connaître Jésus-Christ, mais par une sainte expérience. Donnez-vous bien à la puissance de son Esprit pour terrasser le vôtre et le réduire dans l'anéantissement qu'il doit être.

Vous honorerez Jésus-Christ par votre obéissance en vous assujettissant à Dieu et aux créatures en la vue et en l'union de son obéissance à son Père éternel, à sa sainte Mère et aux bourreaux.

L'obéissance qu'il rend à son Père vous apprend le respect et la soumission que vous devez aux ordres éternels de Dieu sur vous, et à recevoir tous les événements et accidents de votre vie de sa sainte main ; les recevant avec amour, les souffrant avec résignation au bon plaisir de Dieu et, si vous pouvez, avec agrément et complaisance de voir que Dieu accomplit ses desseins en vous, comme il faisait en son Fils.

Celle qu'il rend à sa sainte Mère vous apprend la soumission que vous devez avoir à la direction que le Saint-Esprit a établi dans l'Eglise.

Et celle qu'il rend aux bourreaux vous apprend comme vous devez recevoir les croix, les afflictions, les privations et le reste. Jésus-Christ se laisse dépouiller, coucher et attacher sur la croix, non par pure soumission aux hommes, mais par une vue et parfaite connaissance qu'il avait de la volonté de son Père au regard de sa mort. Il s'assujettit au cruel traitement des hommes, de manière qu'on peut dire que l'amour du bon plaisir et la gloire de son Père l'ont fait mourir, les créatures n'étant que les instruments de son supplice.

Ne chargez point votre esprit de multiplicité. Il n'est que trop rempli de ses propres lumières et de l'inclination qu'il a de savoir les choses qu'il agrée ou qui ne lui soient point communes.

Soyez petit enfant dans la main de Dieu et vous laissez conduire. Suivez la grâce, ce n'est pas à vous à la prévenir.

Humiliez-vous et ne vous découragez point. Les lumières que Dieu vous donne par lui ou par autrui, vous les devez recevoir avec une grande simplicité, les laissant faire l'impression dans votre âme qu'elles y doivent faire, par la grâce et non par vos efforts.

N° 1873

DE LA NECESSITE QUE NOUS AVONS DE CONNAITRE JESUS-CHRIST ET QUE LES ATTRIBUTS DE DIEU AIDENT BEAUCOUP A LE CONNAITRE EN PURE FOI

Les désirs que j'ai de voir votre âme toute unie à Jésus-Christ me font prendre la liberté de vous dire mes petites pensées et vous enseigner derechef, par sa lumière et par son esprit, la nécessité que vous avez de connaître Jésus-Christ et de vivre de sa vie. Il y a longtemps que je vous souhaite toute à lui et que je le prie vous y attirer.

Il me semble que je conçois quelque chose, selon ma pauvre capacité, des désirs adorables de Jésus vers les âmes et les très grandes bénédictions qu'il veut départir à la vôtre si elle se rend fidèle. Oh ! que la créature est misérable de refuser tant de miséricordes ! Combien en avez-vous rejetées et même méprisées ! Oh ! que c'est un grand secret dans la vie intérieure de bien suivre le trait de la sainte conduite de Jésus-Christ ! Plût à Dieu que je vous puisse dire ce que j'ai appris sur ce sujet, et de quelle manière nous devons demeurer en Jésus-Christ et vivre de lui. Mais hélas ! je souille tout, je profane tout, je suis indigne de parler. Je prie Jésus-Christ de parler pour moi et en moi, et de me faire dire ce qui lui plaira. J'ai peine à parler d'une chose si digne, et il faut que l'Ange du Seigneur fasse en moi ce qu'il fit à un prophète104, qui est de purifier mes lèvres, et de me faire parler les paroles de vie éternelle puisque Jésus-Christ contient en soi la vraie et unique vie. Car hors de lui il n'y a que mort. O vie sainte et divine quand sera-ce que nous vivrons de ta vie ?

Mon âme étant touchée d'amour et de respect pour Jésus-Christ ne pouvait s'empêcher de gémir sous le poids malheureux qui la va séparant de son tout et la retire de cette application amoureuse. Et souvent elle s'écriait avec saint Paul : « Qui

103. 1 Co 2, 3. 140 104. Is 6, 6-7. in 6, 68.

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me délivrera de ce corps de mort ? »105. Qui rompra mes liens et le tracas des créatures ? Et qui me donnera une profonde solitude qui m'éloigne de toutes choses pour m'unir à Jésus-Christ et pour me rassasier de Jésus-Christ ? Les bienheureux en sont remplis et occupés actuellementm, et cette plénitude et actuelle application compose leur béatitude.

Toute la félicité des saints consiste à voir Jésus-Christ. O vue sainte et adorable, que ne puis-je vous Voir sans intermission ! Hélas ! qui me donnera des ailes de colombe107 pour voler d'un vol simple dans Jésus-Christ, et là y établir ma demeure, vivant séparée de tout le reste. Oh ! si nous connaissions le bonheur d'une âme qui est en Jésus-Christ, pourrions-nous vivre un moment sans nous procurer la même grâce ? Jusqu'à quand serons-nous plongées dans son contraire qui sont les impures créatures ? O créature malheureuse, combien devrais-je te haïr, puisque si souvent tu me prives de l'objet de ma divine béatitude ! N'y-a-t-il pas moyen de nous en séparer une bonne fois ? Entrez avec moi en compassion de notre extrême misère et de notre aveuglement qui nous fait si continuellement préposer108 la très indigne créature à Jésus-Christ.

Ne vous verrons-nous jamais en profonde solitude pour nous rassasier de Jésus-Christ, pour ne plus rien voir que Jésus-Christ, ne plus penser qu'à Jésus-Christ et ne plus rien aimer que lui ? Il me semble que mon âme soupirerait après cet unique bonheur qui nous ferait jouir d'un avant-goût de cette vie divine. Mais hélas ! je respire après une grâce dont je suis tout à fait indigne. Elle est réservée au pur et net de coeur et qui ne se souille plus comme je fais actuellement. Mais nonobstant mes impuretés, la grâce chrétienne m'oblige d'y aspirer par une très profonde humilité, et il m'est permis de désirer Jésus-Christ comme la vie de ma vie. Vous avez la même obligation, c'est pourquoi unissons-nous ensemble pour le désirer, le chercher et le posséder.

Commençons par une haute estime de Jésus-Christ. Je ne prétends point vous exprimer mes grandeurs, je les rabaisserais et les profanerais d'une étrange manière. Il faut nous servir de la foi pour croire avec humble respect ce que nous ne sommes pas capables de comprendre.

105. Rm 7. 24.

106. Actuellement : qualifie l'acte toujours présent car il est hors du temps.

107. Ps 54.

108. Préférer.

Un des points les plus importants dans la vie intérieure, c'est d'estimer Dieu d'une estime digne de lui-même, qu'il soit en notre esprit et en notre coeur par-dessus toutes choses. Cette estime attire l'amour, et l'amour fait la sainte union.

Mais quelque grand que soit l'amour, ne sortez jamais du respect, souvenez-vous toujours qu'il est le Tout et que vous êtes le néant. Et quel rapport y a-t-il de l'un à l'autre, la sainteté et le péché ? Ne vous oubliez donc jamais de votre devoir, quelque haute grâce que vous receviez de Notre Seigneur. J'aime beaucoup de voir dans une âme le respect et l'amour. Il faut qu'ils marchent d'un pas égal. Ne vous oubliez jamais. C'est une redite, mais elle est nécessaire pour vous en faire mieux concevoir l'importance.

Cette estime et ce respect de Dieu vous tient en votre devoir et vous fait communiquer avec Dieu d'une manière qui fait honorer sa grandeur ; et dans cette disposition, vous rendez hommage à l'incompréhensibilité divine. Vous vous abaissez et avouez votre insuffisance. Et cette pensée de Dieu incompréhensible borne toutes les curiosités de l'esprit et l'assujettit à une simple et très respectueuse croyance de ce que Dieu est, sans vouloir le comprendre, puisque cela ne se peut. Il n'y a que Dieu seul qui se puisse comprendre lui-même ; et cette vérité nous doit donner de la joie. Dieu est si saint et si divin et si ineffable qu'il n'est et ne peut être connu essentiellement que de lui-même. Oh ! quelle consolation a une âme qui aime Dieu de voir qu'il est incompréhensible !

Je connais une âme qui a été longtemps occupée de ce divin attribut, lequel opérait en elle une amoureuse complaisance de voir son Dieu être incompréhensible. Elle se perdait et s'abîmait dans cette incompréhensibilité divine. Et ce mot : « Dieu est incompréhensible » la nourrissait merveilleusement, parce qu'en icelui son âme était arrêtée dans un profond silence et respect qui abaissait les ailes de son esprit, ne voulant plus rien savoir que Dieu incompréhensible.

Tous les affirmatifs que nous prenons pour monter à la connaissance de l'Essence divine nous éloignent infiniment de la réalité de ce qu'elle est. La foi simple a bien plus d'efficace, laquelle se servant du négatif donne bien plus de gloire à Dieu et produit plus d'amour et d'assujettissement.

Il est bon que vous connaissiez quelque chose des attributs divins et de leurs opérations dans votre âme, pour vous y

142

lier et ne vous y opposer pas. La connaissance que vous en devez avoir n'est pas par spéculation, mais par une application humble et amoureuse à leur effet en vousxii.

Les attributs divins servent pour nous donner une connaissance grossière de Dieu ; mais la foi, qui élève l'âme dans une sainte ignorance de tous les affirmatifs, la fait entrer dans une simple et amoureuse croyance de ce que Dieu est en lui-même, surpassant toute lumière et toute intelligence. Elle croit Dieu dans la vérité de son Essence, sans lui donner aucune forme ni image, pour délié qu'il soit.

Cette manière de connaître Dieu est la plus parfaite. Mais en attendant que l'âme en reçoive la grâcexiii, il faut qu'elle monte de degré en degré jusqu'à ce qu'elle trouve le Dieu des dieux en Sionl09, dit le Prophète. Servez-vous donc des attributs divins et de l'intelligence qui vous en est donnée, jusqu'à ce qu'elle vous soit infuse.

Voyez comme une âme est, dans les pures et saintes pratiques de la vie intérieure, toute revêtue de la divinité : c'est par l'étroite union et transformation d'amour qu'elle a avec Dieu, laquelle étant par la force de ce divin amour faite une même chose avec lui, elle est toute remplie de ses saintes et divines qualités. Elle est sainte par une participation de la sainteté divine ; elle est bonne par une émanation de la bonté divine ; elle est juste par la justice divine, douce par la douceur divine, charitable par la charité divine, patiente et débonnaire par la patience divine, etc. Toutes les grâces et vertus qui éclatent en elle sont des effets opérés par les divins attributs ; de sorte qu'une âme dans cet état se voit toute revêtue des perfections divines. Elle se sent forte par la force de Jésus, immuable par son immutabilité divine, et ainsi du reste. Ce qui fait qu'elle ne s'approprie aucun de ces dons. Elle voit tout en Dieu et de Dieu, et rien du tout en elle ni d'elle que le péché ; et c'est ce qui la tient si parfaitement unie à Dieu sans sortir de son néant. Elle voit sa dépendance, et comme toutes grâces et miséricordes sont en lui.

Cette connaissance soutient notre impuissance et nous oblige par deux raisons de demeurer unies à Jésus-Christ. La première, par amour que nous devons à Jésus-Christ, Ye connaissant notre unique principe et la fin de toutes choses110, bref

109. Ps 83.

110. Ap 1, 8.

pour le respect de lui-même, car il est seul digne d'un éternel amour. La seconde réfléchit sur nos propres intérêts, qui est la nécessité que nous avons de Jésus-Christ, mais un besoin si grand que nous ne pouvons opérer une seule bonne action sans son concours. A tous moments, il faut recevoir ses miséricordes, ou nous périssons.

Notre dépendance est si étroite que nous n'avons de vie qu'en lui. C'est la vie de notre vie et l'âme de notre âme. Enfin il nous est tout, et sans lui nous n'avons rien du tout. Jésus est donc notre divine suffisance, nous n'avons rien qu'en lui111. Si cela est une vérité de l'Ecriture, demeurons-y assujetties et souffrons que notre propre existence nous fasse ressentir le besoin actuel que nous avons de Jésus.

En cette vue et connaissance nous devons nous tenir très étroitement unies à Jésus-Christ, nous devons ne rien faire que par Jésus-Christ112, recevoir toutes choses dans son ordre et être continuellement tendantes à Jésus-Christ. Voici comment :

Je sens ma nécessité, mes faiblesses et mes indigences. Je sais par la foi et même par mon expérience et par la vérité de l'Evangile que je ne puis rien faire sans Jésus-Christ. Je suis donc pressée et obligée de me rendre à lui pour demeurer en lui, afin que les paroles adorables qu'il a dites soient efficaces en moi. En saint Jean : «Qui demeure en moi et moi en lui, porte beaucoup de fruit. Sans moi vous ne pouvez rien faire »113. C'est Jésus lui-même qui prononce cette vérité. Je dois donc demeurer nécessairement en lui, comme le sarment demeure en la vigne, comme il dit lui-même en saint Jean, car quiconque ne demeure en lui, il sera jeté dehors et mis au feu114.

O parole épouvantable [admirable52 ] ! Il n'y a point de salut qu'en Jésus, point de fruit ni de bonnes oeuvres pour la vie éternelle, et qui ne demeure en lui sera rejeté à jamais. Voilà la double nécessité que j'ai d'être et de demeurer en Jésus-Christ. Car si je m'en retire, non seulement je ne fais point de bien, mais je péris nécessairement. Car celui qui ne demeure en lui sera jeté dehors et mis au feu, c'est-à-dire sera réprouvé éternellement. Cette vérité me condamne si je ne me rends à Jésusxiv. Me voilà donc convaincue que je dois être à lui et opérer par lui, puisque je n'ai point de vie qu'en lui.

111. 2 Co 3, 5 ; Jn 1, 3-4 ; 15, 5. 113. in 15, 5.

112. Col 3, 17. 114. Jn 15, 6.

145

La première chose que j'ai à faire, c'est de sortir de moi-même, c'est de me renouveler dans le désir que j'ai de me rendre à Jésus. Le Père éternel m'a donnée à Jésus, et Jésus m'a rachetée. Je suis donc à lui par droit obligatoire. J'y suis encore par nécessité. Il me reste d'y être par élection de ma part et par amour. C'est le premier pas que je veux faire, ma première démarche pour sortir de moi-même et entrer en Jésus-Christ. C'est un retour vers Jésus du plus intime de mon coeur par un très sincère désir de me rendre tout à lui, de lui restituer les droits que j'ai usurpés sur mon âme, comme autant de larcins. Je lui dois rendre, avec respect, compte de tous les usages profanes que j'en ai fait, tant à mon regard qu'au regard des créatures.

En troisième lieu, je me dois souvent exposer à Jésus-Christ pour me lier très étroitement à toutes ses appartenances, à tous ses droits et à tous ses pouvoirs sur moi, désirant sortir entièrement de moi-même pour lui céder la place et qu'il y règne absolument.

Quatrièmement je me dois donner ou laisser à Jésus-Christ pour opérer par lui ; et je dois tellement être cachée en lui, comme dit saint Paul115, que l'on ne puisse rien voir en moi que Jésus-Christ. Tout doit être Jésus-Christ, tout doit ressentir son odeur et exprimer sa vertu, et ma vie ne doit être qu'une suite de sa vie.

Or pour continuer la vie de Jésus, il faut que je vive comme lui, que j'aime comme lui, que je pense comme lui, que je parle comme lui, que je songe comme lui, et que j'opère comme lui.

Comment ? C'est que dans toutes mes paroles et mes opérations, je dois envisager Jésus-Christ, je dois regarder comme il faisait sur la terre lorsqu'il y était, comme il parlait et comme il souffrait. Et je me dois rendre à son Esprit pour opérer par sa vertu, en'sorte que je fais cessation de moi-même et de toute ma capacité naturelle pour opérer par l'Esprit et la vertu divine de Jésus-Christ. Je me laisse en lui pour parler, opérer et souffrir par lui, et dans cette sainte pratique, je demeure, par désir et par affection, anéantie en Jésus, le laissant être en moi tout ce qu'il y doit être, lui donnant l'honneur et la gloire de toutes choses, puisque tout se fait par lui ; et dans cet état, je me gar-

115. Col 3, 3.

146

derais bien de me rien approprier, de tirer vanité de mes œuvres, puisque c'est Jésus-Christ qui les opère en moi. La foi m'apprend cette vérité, et la dépendance actuelle que j'ai de la grâce de Jésus-Christ en toutes choses me le confirme. Quelle grâce et quelle miséricorde d'être ainsi liée à Jésus-Christ !

Or ce n'est pas assez de connaître par la foi et par la splendeur des perfections divines Jésus-Christ dans le sein de son Père comme son Verbe éterne1116, par lequel il a tout fait, et par lequel il nous sanctifie ; mais il le faut connaître dans sa vie voyagère sur la terre pour nous y conformer. Notre âme doit être unie à l'âme de Jésus-Christ, et toutes nos actions doivent avoir rapport aux siennes. Voilà notre obligation, car il faut être Jésus-Christ en toutes choses. C'est pourquoi il faut faire ce qu'il nous dit dans l'Evangile : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à soi-même, porte sa croix et me suive »117. Nous ne pouvons donc suivre Jésus-Christ qu'en portant notre croix et en renonçant à nous-mêmes. En un autre endroit il dit : « Celui qui ne quitte son père, sa mère, ses frères, ses soeurs, sa femme, son mari et tout ce qu'il possède, n'est pas digne de moi»118. Il n'est pas digne d'être son disciple.

On ne peut suivre Jésus-Christ que par le dépouillement de toutes choses. Il faut tellement perdre toutes choses qu'il se faut perdre soi-même. Une âme qui fait quelque réserve ne peut trouver ni goûter parfaitement Jésus-Christ. Il dit à son Apôtre : « Suivez-moi »119 et ce grand avare quitte tout à cette divine parole. Hélas ! combien de fois sommes-nous pressées intérieurement de tout quitter, de retirer nos affections de la terre pour suivre Jésus-Christ dans sa vie pauvre et souffrante ; mais nos attaches sont si fortes qu'il faut que la Sagesse divine nous envoie des renversements, des pertes et des accidents de diverses manières pour emporter de force ce que nous ne voulons point donner par amour.

Ce n'est pas sans raison que les âmes bien éclairées appellent les afflictions de la terre des visites de Notre-Seigneur et des effets de son saint amour. Si vous pouviez pénétrer l'amour que Jésus-Christ porte aux âmes et le désir infini qu'il a de les

116. Jn 1, 1-3.

117. Mt 16, 24 ; Mc 8, 34 ; Le 9, 23.

118. Mt 10, 37 et 19, 29.

119. Mt 4, 19.

147

sanctifier, vous prendriez grand plaisir aux afflictions, aux croix et aux souffrances ; puisque, dans la vérité de Dieu même, ce sont les inventions dont son amour se sert pour attirer ses élus et les obliger, par la presse de leur douleur, de se retourner vers lui en se séparant des créatures.

O croix, ô affliction, ô perte, ô renversement, que vous êtes favorables ! Il faut confesser notre aveuglement et avouer que nous sommes bien misérables et que le péché nous a bien pervertis d'avoir tant d'horreur de ce qui nous sanctifie, et qui nous rend vrais disciples de Jésus-Christ, et qui nous rend dignes de lui. Commençons à voir nos croix d'un oeil plus éclairé de la vraie lumière ; ne fuyons plus leurs approches, ains plutôt allons au devant. Unissons-nous à Jésus-Christ pauvre et souffrant ; et si nous ne sommes pas dans la peine, humilions-nous d'en être indignes, et nous laissons dans la main sainte et adorable de Jésus pour être ce qu'il lui plaira.

Il faut donc connaître Jésus-Christ dans la vie de souffrance dans laquelle il nous a mérité la grâce que vous avez reçue au baptême et que vous recevez actuellement. C'est par Jésus crucifié que vous êtes ce que vous êtes. Soyez par désir unie étroitement à lui, ne faites rien sans lui et faites tout par lui. Lorsque vous avez à souffrir quelque chose, désirez que la grâce de ses souffrances fasse un usage de la vôtre digne de lui. Dans les humiliations, souhaitez que son humilité sainte sanctifie vos abjections. Ayez rapport à Jésus-Christ en tout ce que vous faites, dites, pensez ; désirez que tout soit uni à Jésus, et qu'il tire sa vertu et sa perfection de lui.

Ayez une dévotion que j'ai vu longtemps pratiquer par quelque âme, de vous exposer souvent en esprit à Jésus, pour recevoir en vous sa grâce et sa vertu. Je sais combien cette vertu est efficace, mais il faut de la patience et de la persévérance. Je puis dire en vérité que l'âme qui y est fidèle reçoit ce que je ne puis exprimer, et je vous prie d'en faire l'expérience. Je voudrais que vous preniez un quart d'heure dans votre journée, selon votre loisir, pour vous exposer à Jésus-Christ selon vos besoins.xv Quelquefois pour invoquer sur vos faiblesses la puissance de Jésus-Christ. D'autres fois, dans le sentiment de vos impuretés et du fond malin qui est en vous, vous exposer à sa sainteté, vous y abandonnant pour recevoir en vous ses effets, et ainsi du reste. Dans vos pratiques ordinaires, vous donner à sa grâce et à son esprit ; dans vos actions, désirant que

Jésus-Christ les fasse en vous, et n'en faire jamais aucune que par sa direction et par obéissance à sa conduite.

Si vous concevez bien ce que je veux dire et si vous y êtes fidèle, vous verrez les bons effets que cela produira en votre âme, et comme insensiblement vous vous trouverez remplie de Jésus-Christ. Vous serez toujours en sa sainte présence et toujours occupée de lui. Vous verrez toutes choses en lui et vous serez à tous moments et dans tous les événements liée à son ordre et à son bon plaisir. Vous rendrez une actuelle obéissance à Jésus-Christ ; et par ces moyens vous vous trouverez actuellement unie à lui, et toutes vos paroles auront l'odeur de JésusChristm, et vos actions en seront plus épurées.

Et ce qui vous doit donner plus de consolation, c'est que tout votre être ainsi rempli de Jésus-Christ donnera gloire à Dieu en l'union de son Fils. Et la plus petite de vos actions en cet esprit est glorieuse à Dieu et méritoire en votre âme. Vous sortez, sans quasi y penser, de vous-même et suivez Jésus-Christ.

Plût à Dieu que toutes les âmes chrétiennes voulussent expérimenter ce que je dis. Je sais qu'il y a un peu de peine à en prendre les habitudes ; mais pour peu qu'on s'y applique, l'on en tire de merveilleux profits. Les âmes qui en ont fait usage peuvent confirmer les vérités que je dis.

n° 2054

120. 2 Co 2, 15.

149

QUELQUES-UNS DES ATTRIBUTS DE DIEU

Dieu est de soi

Dieu est Esprit

Dieu est simple

Dieu est immortel

Dieu est parfait

Dieu est infini

Dieu est immense

Dieu est immuable

Dieu est éternel

Dieu est un

Dieu est invisible

Dieu est ineffable

Dieu est vérité

Dieu est fidèle

Dieu est bon

Dieu est beau

Dieu est admirable

Dieu est vie

Dieu est doux

Dieu est pur

Dieu est saint

Dieu est roi

Dieu est sublime

Dieu est élevé

Dieu est aimable

Dieu est louable

Dieu est incomparable

Dieu est riche

Dieu est législateur

Dieu est bienheureux

Dieu est créateur

Dieu est conservateur

Dieu est sauveur

Dieu est glorificateur

Dieu est Trinité

Dieu est sage

Dieu est souverain

Dieu est grand

Dieu est puissant

Dieu est lumière

Dieu est amour

Dieu est pacifique

Dieu est miséricordieux

Dieu est juste

Dieu est juge

Dieu est fort

Dieu est libéral

Dieu est affable

Dieu est bienfaisant

Dieu est magnifique

Dieu est patient

Dieu est clément

Dieu est suave

Dieu est indépendant

Dieu est providence

Dieu est félicité

Dieu est pieux

Dieu est mansuetw

Dieu est débonnaire

Dieu est vigilant

Dieu est longanime

Dieu est inaccessible

Dieu est Père

Dieu est entendement

Dieu est Verbe

Dieu est image

Dieu est volonté

Dieu est don

Dieu est fécond

Dieu est tout en toutes choses.

121. Mansuet : de mansuetudo, a donné : mansuétude, douceur, indulgence, patience.

Voilà quelques-uns des attributs divins. Je prie Notre Seigneur Jésus-Christ qu'il les imprime en nous ; c'est-à-dire qu'ils soient opérants en nous chacun leur sacré et divin effet. Une âme tout à Jésus-Christ y participe. Le Saint-Esprit est son divin Maître. Je le prie qu'il nous instruise. Je confesse devant Dieu mon ignorance extrême. Je prie Jésus-Christ qu'il supplée à tout.

Quand il lui plaira, nous nous entretiendrons des divins attributs. J'aurais quelque désir de vous faire voir comme notre âme les révère et adore par de différentes dispositions, et comme ils opèrent dans l'âme. C'est un désir bien au-dessus de ma capacité, aussi me laissai-je à Notre Seigneur Jésus-Christ pour en parler par sa lumière et par son esprit.

Si vous saviez le secret des voies de Dieu dans les âmes, vous ne vous plaindriez point de vos ténèbres ni d'aucune autre disposition . O le grand mystère d'être toute délaissée à Jésus-Christ, tout à son Esprit, tout à sa conduite ! Mon Dieu, que ne puis-je vous exprimer ce, que mon âme conçoit ! Mais il faut que tout demeure dans le silence.

no 341

EN QUOI CONSISTE LA PERFECTION CHRETIENNE

Toute la perfection du christianisme consiste à un regard actuel à Jésus-Christ, et une adhérence ou soumission continuelle à son bon plaisir. Ces deux points contiennent tout, et la fidèle pratique d'iceux vous conduira au plus suprême degré de perfection. Bienheureuse l'âme qui les observe.

Le premier consiste à voir Jésus-Christ en toutes choses, dans tous les événements et dans toutes nos opérations ; de sorte que cette vue divine nous ôte la vue des créatures, de nous-mêmes et de nos intérêts, pour ne rien voir que Jésus-Christ. En un mot c'est avoir une présence actuelle de Dieu.

Le second consiste à être soumise actuellement à sa sainte volonté ; à être tellement assujettie à son bon plaisir que nous n'ayons plus aucun retour, au moins volontaire, qui nous puisse retirer de cette respectueuse obéissance.

151

Si vous voulez vous étendre sur ces deux points, vous connaîtrez clairement que si vous en voulez faire usage, vous serez tout environnée de Jésus et toute remplie de son amour.

Ayez Jésus-Christ imprimé et gravé dans le centre de votre âme. Ayez-le dans toutes les facultés de votre esprit. Que votre coeur ne puisse penser ni respirer que Jésus-Christ. Que toute votre application soit à Jésus-Christ. Que toute votre tendance soit de lui plaire. Attachez toute votre fortune et tout votre bonheur à connaître et à aimer Jésus-Christ122. Que votre âme en soit tout amoureuse. Qu'aucune chose de la terre, pour grande qu'elle paraisse, ne prévale plus en vous contre l'union actuelle que vous devez avoir avec Jésus-Christ. Que le Ciel, la terre et l'enfer ne vous en puissent jamais séparer123xvi.

Jusqu'à quand serons-nous insensibles pour Jésus-Christ ? Aurons-nous toujours les yeux et les oreilles fermés pour ne point voir ni entendre ses semonces amoureuses ? N'aurons-nous jamais soif de son amour ? Boirons-nous toujours de ces eaux impures des créatures ?

Ne nous amusons plus, allons, ma très chère fille, que je vous fasse compagnie, allons à Jésus-Christ pour boire les eaux de ses divines grâces124, désirons d'en être ennivrées, et que jamais nous ne puissions plus trouver de goût dans les créatures.

O Jésus tout-puissant et tout amour, opérez en nous ces deux effets de miséricorde : de nous attirer par votre toute-puissance, et de nous transformer en vous par votre amour.

O amour, ô divin amour, que ne brûlez-vous, que ne consommez-vous en nous tout ce qui vous est contraire et qui s'oppose à la sainteté de vos opérations.

O vie qui n'est point animée d'amour, comment te peut-on appeler vie ? Tu es une mort affreuse et très horrible.

O pur et saint amour de Jésus-Christ, ne permettez point qu'un seul moment de ma vie se consomme sans amour ; faites-moi mourir et me jetez dans l'enfer mille fois, plutôt que de n'aimer point Jésus-Christ.

O quel effroyable enfer125 souffre une âme qui est privée du divin amour ! sa peine est incompréhensible, je la compare à celle des damnés. Hélas ! quelle doit donc être ma peine, vu qu'il y a tant d'années que j'ai consommées sans amour ! Hélas ! je dois dire : que j'ai consommées dans les crimes de ma vie passée.

122. Jn 17, 3. 124. Jn 4, 13-14 et 7, 37 ; Ap 22, 17.

123. Rm 8, 35-39. 125. Imitation de Jésus-Christ. L. II chp. 8, 2.

O abîme de miséricorde qui me soutenez, quelle reconnaissance puis-je rendre à une bonté infinie comme la vôtre ? Tout ce que vous désirez de moi, c'est que je demeure plongée dans le centre de mon néant où, cessant d'être, j'avoue et je publie en silence que vous êtes, ô mon Dieu, Celui qui est, et le seul digne d'être éternellement. Amen.

n° 2826

COMME L'ON DOIT SE SACRIFIER EN QUALITE DE VICTIME 126

Ma chère fille. Vous serez demain en l'état que Notre Seigneur aura agréable de vous mettre. Je suis d'avis que vous vous abandonniez très entièrement et sincèrement à sa miséricorde et à la conduite de son divin Esprit, sans faire choix ni élection dans votre esprit d'aucune disposition particulière, sinon celle qui ne vous doit jamais quitter, qui est de vous rendre à Dieu. Confiez-vous en sa bonté, je vous assure qu'il fera son ouvrage et se glorifiera en vous après qu'il y aura détruit et anéanti tout ce qui s'oppose à la sainteté qu'il y veut établir. S'il vous laisse en cette précieuse action en état de mort, soyez contente qu'il vous prive de la vie que vous avez toujours menée dans vous-même et dans vos sens.

Il faut que la journée de demain soit la journée de votre véritable et réel sacrifice ; que vous soyez faite avec Jésus la victime de son Père ; que vous vous laissiez lier par les saints voeux et promesses de votre baptême ; que vous vous laissiez mener et conduire par l'Esprit pur et saint de Jésus dans le sentier de la pure mortification et abnégation de vous-même, dans ce « sentier étroit » dont l'Evangile nous dit « qu'il conduit à la vie »127.

126. Cette lettre semble adressée à la comtesse de Châteauvieux avant qu'elle n'émette les voeux d'obéissance et de victime. Elle accomplit cet acte quelques jours après la mort de son mari, survenue le 6 novembre 1662, cf. Catherine de Bar, Documents historiques, p. 204, Rouen, 1973.

127. Mt 7, 14.

153

Il faut vous laisser égorger : c'est-à-dire qu'il faut donner un consentement de mort à tout ce qui est contraire à Dieu en vous et souffrir que les ressorts de la très sage et adorable Providence, par ses secrets événements, vous fasse mourir à vous-même, à vos appuis, aux secrètes recherches de votre amour-propre.

Il faut être consommée par le feu du pur et divin amour de Jésus. Or le feu ne brûle la victime que premièrement ces autres effets n'aient précédé, pour nous apprendre que le feu sacré de la charité divine ne s'allume dans le coeur qu'après que toutes les impuretés de nous-même, qui sont en nous-même, sont égorgées et détruites. Figurez-vous que vous êtes cette victime condamnée à la mort pour recevoir en Jésus une nouvelle vie.

Faites peu de retours sur vos dispositions propres, mais donnez-vous beaucoup à Jésus pour être revêtue de son Esprit et de ses saintes dispositions. Priez-le très humblement et ardemment qu'il fasse lui-même cette action en vous, qu'il soit votre vertu, votre force et votre grâce pour la faire comme il la désire ; et qu'il vous fasse la miséricorde de prendre un nouvel empire et souveraineté sur vous. Que c'est dès ce moment que vous vous rendez toute à lui, avec regret d'avoir consommé vos années passées avec tant d'ignorance et d'impuretés.

La plus importante disposition que vous devez avoir, et que Dieu ne vous dénie pas, c'est le néant. Retirez-vous dans votre néant en la présence de la très Sainte Trinité et, dans une humiliation profonde dans laquelle vous devez entrer, abandonnez-vous à leurs saintes opérations en votre âme, et croyez qu'elle fera en vous un effet de rénovation, bien que vous ne vous en aperceviez point ; et il est bon que vos sens n'y aient point de part, au moins volontairement.xvii

Vivez en esprit de mort puisque vous êtes victime. Gardez-vous bien de chercher la vie dans vos sens et dans vous-même. Il faut être anéantie en soi pour vivre en Jésus. Demeurez en paix et en tranquillité d'esprit. N'oubliez pas le respect que vous devez avoir en sa divine présence, aux mouvements de sa grâce, à ses ordres, et la soumission d'esprit pour vous assujettir et les accomplir, quoiqu'il vous en coûte. Ne vous séparez point de la discrétion, vous savez ce que je vous en ai dit.

n° 3146

TOUCHES INTERIEURES POUR SE RENDRE ESCLAVE DE JESUS-CHRIST

Je reçus hier votre lettre, ma très chère fille, avec une consolation très grande et je vois comme Notre Seigneur prend une nouvelle autorité sur votre âme et semble la tenir plus étroitement unie à lui. Oh ! quelle grâce ! Je vous prie, ma fille d'en faire l'estime que vous devez et de bien chérir cette sainte captivité où Notre Seigneur vous fait entrer. Oh ! bienheureux esclavage ! Ne vous en retirez pas, laissez-vous lier et garrotter des chaînes du pur amour, et écoutez les divines leçons de notre adorable Maître.

Ne vous gênez pas dans vos actions. Les reproches que l'on vous fait intérieurement, ce sont des reproches amoureux. Dieu est jaloux de votre âme ; il la veut tout à lui, mais toute pure et sans tache volontaire. Laissez-le donc agir en vous pour la purifier et la rendre digne de lui.

J'ai plusieurs choses à vous dire sur votre lettre, je serai trop longue à vous les écrire. Seulement je vous dirai que lorsque Notre Seigneur vous fait quelque miséricorde, j'en ai mille fois plus de joie que si c'était à moi-même. Et je ressens bien qu'en vérité je vous aime pour votre salut : premièrement pour que Dieu soit glorifié en vous, et puis pour votre sanctification. Votre âme m'est plus chère que la mienne propre.

Soyons à Dieu, ma chère fille, afin que vous m'aidiez à me convertir, et que nous puissions toutes deux glorifier Dieu éternellement. Je suis en lui toute à vous.

n° 1374

155[156]

DES QUALITES D'ESCLAVE ET DES DISPOSITIONS QU'IL FAUT AVOIR POUR L'ETRE DE JESUS-CHRIST

Ma très chère fille, Jésus vous soit uniquement toutes choses. J'ai été un peu mortifiée de n'avoir pu vous faire réponse. J'en avais la disposition et la volonté, mais la Providence ne m'en a pas donné le temps. Je le prends pour vous dire un mot de l'heureux esclavage que vous avez eu l'honneur de porter. Oh ! qu'il est saint, et que cette qualité est digne du regard de Dieu ! Jésus-Christ l'a porté le premier. L'Ecriture sainte nous apprend qu'il s'est rendu esclave pour son peuple128. La Sainte Vierge l'a été par amour et respect aux ordres de Dieu sur elle129. Et nous avons grand nombre d'histoires qui nous font voir comme plusieurs saints tant du vieux que du Nouveau Testament ont porté avec révérence cette qualité.

Pour vous, ma fille, vous la portez ou la devez porter d'une manière particulière, non avec contrainte, mais avec amour, d'autant que ce n'est pas la crainte ni la vue de la justice divine qui vous captive ; mais bien un trait de pure miséricorde et d'amour qui vous force d'une douce et amoureuse violence de vous captiver sous le joug de la sainte loi de Dieu, mais toute sainte et toute d'amour ; et où il n'y a que ceux qui se laissent conduire par le pur amour qui aient entrée dans cet aimable esclavage et servitudexviii.

C'est dans cette sainte captivité où l'âme jouit en vérité d'une liberté entière, mais si douce et si agréable qu'à tout moment elle révère et adore les liens qui l'ont mise en cette heureuse captivité. Elle ne peut assez estimer son bonheur.

Hélas ! si on s'estime honoré d'être serviteur des grands de la terre, quel honneur et faveur de servir Jésus-Christ ! Il n'y a aucune grandeur sur la terre qui y soit à comparer. L'Ecriture

128. Ph 2, 7.

129. Lc 1, 38.

dit que les serviteurs de Dieu sont rois130, celà est très certain. « Servir Dieu c'est régner ». Et en effet celui qui est entièrement soumis à Dieu est au-dessus de toutes choses. Il règne au-dessus des créatures, de soi et de ses passions. Enfin il possède un suprême bonheur. Or premier que de vous parler des qualités d'un esclave, il faut que vous sachiez qu'il y a bien de la différence entre l'esclave de Jésus et l'esclave des créatures.

La première est glorieuse sainte et libre.

La seconde est honteusexix, captivante et chagrine, qui plonge l'âme dans une infinité de très grandes imperfections.

Laissons ce misérable esclavage des créatures pour nous rendre amoureusement esclaves de Jésus-Christ.

La première qualité est la crainte amoureuse et le respect.

La seconde est une obéissance et soumission si entière qu'elle ne trouve aucune objection capable de l'en dispenser.

La troisième, c'est que l'esclave est tellement prête de faire les volontés de son Maître, qu'à toute heure, à tous moments, elle est prête et disposée d'accomplir ses ordres en toutes les manières qu'il lui plaira.

La quatrième est que l'esclave se tient si humble et sujette qu'elle ne se considère en aucune manière. Elle n'a et ne peut avoir autres intérêts que ceux de son Maître.

La cinquième est qu'elle ne vit que pour dépendre de son Seigneur et Maître. Et l'esclave de Jésus se tient si honorée d'être nécessairement dans cette sujétion, qu'elle voudrait que tous les moments de sa vie soient sacrifiés à cet heureux esclavage. L'esclave ne considère plus sa vie, elle n'est plus à elle, mais à celui à qui son état d'esclave l'assujettit.

L'esclave n'a point de volonté propre, à toute heure elle se sacrifie et obéit.

L'esclave est actuellement attachée aux commandements de son Maître.

L'esclave n'a rien du tout à elle, tout ce qu'elle est appartient à son Seigneur.

L'esclave travaille et repose comme il plaît à son Maître de lui ordonner. Elle ne peut plus rien désirer que de le contenter en toute chose et elle ne vit que pour le glorifier.

L'esclave ne peut jamais avoir de place dans l'estime des créatures ni dans leurs affections. Elle veut et désire que son

130. Ap 5, 10.

Maître règne partout, qu'il soit glorieux et aimé par tous et en tout. L'esclave n'a pas une parole, une pensée, ni un mouvement en sa puissance. L'esclave ne doit avoir aucune inclination, affection, choix ni élection pour aucune chose.

Voilà, ma très chère fille, une partie des qualités et dispositions d'une esclave. Il reste à vous dire que la fidélité est la plus principale ; mais fidélité si actuelle qu'elle ne désiste pas un moment, non par crainte mercenaire, ains par un respect amoureux qui la tient en attention continuelle toujours prête d'obéir à Dieu.

Je prie Jésus-Christ qu'il vous donne part à ses saintes dispositions et à celles de sa très sainte Mère. Dites souvent en intention d'y participer : « Ecce ancilla Domini ». Voici l'esclave très humble du Seigneur, qu'il me soit fait selon sa sainte et divine parole, c'est-à-dire selon son bon plaisir (n° 692).

Oui, M.N. commençons par le signe de la croix, puisque c'est par icelle que nous avons la force et la vertu de mourir à nous-mêmes ; et Notre Seigneur dit que si nous le voulons suivre, que nous prenions notre croix.

Or pour suivre Jésus-Christ, il faut sortir de la terre et de la demeure de soi-même. Il faut sortir de la région des sens. Mais il faut déchausser les souliers des affections terrestres, parce que la terre sur laquelle vous marchez est sainte131. Soyons nu-pieds, nu-tête, comme notre divin Maître, — vous comprenez bien ce que cela veut dire — et marchons généreusement, la croix en la main, avec une patience invincible.

Et ne vous ébranlez point pour voir les saillies de votre esprit. Tous les combats qu'il vous livrera seront utiles à votre âme et glorieux à Dieu. Vous ne le pouvez pas entièrement captiver présentement, mais Notre Seigneur le fera un jour. Et pour ce, il faut attendre ce bienheureux jour qui vous délivrera de la tyrannie de vous-même, qui est la plus cruelle et malheureuse captivité que vous pouvez jamais expérimenter (n° 2435).

Oui, ma très chère fille, puisque Notre Seigneur vous honore de l'office de Marie, modérez un peu celui de Marthe, afin que vous soyez attentive à Jésus-Christ. C'est là votre principale affaire, c'est cet « un nécessaire»132 que Notre Seigneur loue tant en sa fidèle amante, et qu'il veut établir en vous. Ne soyez pas si misérable que de le refuser

n° 692 et 2 fragments n° 2435 et 2443

131. Ex 3, 5.

132. Lc 10, 41-42.

CE QUE C'EST QUE PUR AMOUR ET DE SES EFFETS

Je me trouve en disposition de vous répondre bien amplement sur ce mot de pur amour, ce que c'est et comme il s'opère. C'est une entreprise qui surpasse ma capacité. Mais je ne prétends pas en parler comme ces grandes âmes, ains seulement comme je pourrai selon ma stupidité et mon peu de lumière, n'étant pas digne de vous parler de ce pur amour, car il faudrait la capacité des séraphins et leur intelligence. Je confesse mon extrême ignorance, et j'avoue qu'il faut avoir expérimenté les effets du pur amour pour en parler efficacement. Je puis bien dire avec le prophète : « Je ne suis qu'un enfant je ne puis parler »133. Il faut que ce soit le Saint-Esprit qui vous fasse cette divine leçon. Il n'y a que lui qui vous la puisse bien enseigner. Tout ce que je vous en pourrais dire diminuera son excellence.

Mais puisqu'il faut parler sans retours, je vous dirai donc que le pur amour est Dieu même, « Deus caritas est. Dieu est charité, et celui qui demeure en charité demeure en Dieu »134. Oui, ce sont les paroles de saint Jean, desquelles vous ne pouvez douter.

Une âme en charité, c'est une âme en amour. C'est une âme toute remplie de Dieu, toute occupée de Dieu, toute zélée des intérêts de la gloire de Dieu ; qui ne peut plus rien faire ni souffrir que pour lui seul ; qui ne se regarde plus soi-même ni les créatures ; et en ses opérations, elle n'a plus aucune tendance ni désir que de contenter Dieu. Elle ne regarde plus si elle en aura récompense, si elle en sera plus parfaite, si son oeuvre est méritoire, si elle aura plus de grâce ou de repos en son esprit. Son seul et unique motif est de contenter Dieu, sans envisager les intérêts de notre amour-proprexx. L'âme opère tellement pour l'amour et respect de Dieu seul qu'elle ne peut envi-

133. Jr 1, 6.

134. 1 Jn 4, 16.

159

sager que son bon plaisir. Elle ne regarde pas si elle est contente, car elle n'opère point pour elle, ains pour son seul uniquement adorable Jésus-Christ. Toutes sortes de souffrances et de peines lui sont agréables, pourvu que son divin Maître soit satisfait. Enfin Dieu, Dieu tout seul, sans mélange de nos intérêts ni des créatures.

Le pur amour ne sait ce que c'est que d'être intéressé, que de se regarder soi-même. Il ne saurait souffrir la moindre souillure de vanité ni des créatures. Il fait tout pour Dieu. Il rend tout à Dieu, sans s'approprier jamais aucune chose. Sa tendance est de faire régner Dieu, de le glorifier en tout, sans se mettre en peine de soi-même.

Oh ! que le pur amour est puissant et qu'il fait de grands effets dans une âme qu'il maîtrise et en laquelle il ne trouve plus de résistance à ses opérations. Qu'a-t-il fait en sainte Madeleine ? qu'a-t-il fait en la séraphique Catherine de Gênes ?xxi et qu'a-t-il fait en tous les saints ? Oh ! qu'il est admirable ! et que ne ferait-il pas en nous s'il avait la liberté d'y opérer ! Donnons-nous souvent à sa puissance afin qu'elle détruise nos oppositions.

Oh ! si vous saviez quelle est la vie des âmes pénétrées et animées du pur amour, vous seriez dans une grande admiration. Mais nous ne sommes pas encore en état de la pouvoir comprendre. Ne savez-vous pas que notre état présent est de connaître et de goûter notre néant et l'abîme de notre misère pour nous établir dans une profonde humilité ? Portons respect à ces âmes amantes, mais attendons le moment de la miséricorde divine qui nous tirera de nos impuretés, après que nous en aurons bien connu et goûté la puanteur et l'amertume.

Le pur amour est beau et tout rempli de charmes, mais nous sommes encore trop impures pour le posséder ; il ne pourrait demeurer un moment en nous. Il fait sa retraite dans les âmes tout anéanties, et jusqu'à ce que vous le soyez, souffrez en patience de vous voir en cette dure et cruelle privation. Il faut que vous connaissiez que vous n'êtes pas digne de le posséder ; et pour vous en rendre digne, il faut que vous soyez dans l'abîme de l'humiliation. Car tant que la superbe règnera en vous, le pur amour n'y pourra demeurer.xxii

Laissez-vous donc détruire, humilier et consommer dans le centre de votre néant, et après vous verrez le pur amour se reposer en vous comme en son lit de repos. Mais sachez que le pur amour ne saurait souffrir la moindre impureté, le moindre intérêt, vanité et complaisance. Il est aimable en sa possession ; il est bien rigoureux en son opération. C'est un monarque si puissant qu'il réduit tout sous son empire, et ne laisse point une âme en repos qu'il n'ait fait un total renversement. Il est sans pitié et sans miséricorde : il brise tout, il détruit tout. Il passe encore plus outre, car il consomme tout. Il ne peut souffrir la moindre résistance. Il a des armes très puissantes, et il en vient jusqu'à faire des martyrs. Enfin c'est un grand conquérant. Il veut assujettir les âmes à Jésus-Christ, les arrachant de la tyrannie où le péché les a tenues si longtemps.

Les âmes qui souhaitent le règne du pur amour souhaitent en même temps, sans qu'elles y pensent, une guerre épouvantable qui les doit réduire au néant. Il y en a beaucoup qui désirent le pur amour, mais il n'y en a quasi point qui veuillent soutenir ses assauts, ses foudres, ses ruines et ses renversements. Qui parle du pur amour sans le connaître en ses effets croit que ce n'est que plaisir et douceur. Mais une âme qui le possède connaît très bien, par son expérience, qu'il n'y a point de trêve avec lui. Il faut que tout lui cède et qu'il égorge tout ce qui a vie en nous pour nous donner vie en lui.

Le pur amour n'est jamais sans souffrance : la croix, la douleur, le mépris sont son aliment. C'est de quoi il se nourrit dans les âmes. Et si vous voulez le retenir chez vous, il faut que vous ayez de quoi l'entretenir. Faites provision de croix et de souffrances, autrement vous ne le tiendrez pas longtemps. La croix entretient le pur amour, et le pur amour soutient la croix. Ils semblent inséparables, et lorsque l'âme ne ressent point sa croix, elle souffre de ne pas souffrir.

Oh ! que nous sommes encore bien éloignées d'avoir en nous le pur amour ! Cependant nous avons quelque sujet de nous consoler, car il a déjà envoyé ses fourriers135 marquer ses logis. Je suis certaine qu'il y veut loger. Mais il faut qu'il le fasse nettoyer et le mettre en ordre. Et c'est ce qu'il fait en vous présentement. Laissez-vous donc purifier. Et si vous me dites que vous ne voyez point cela, je vous réponds que vos yeux sont trop impurs pour le voir et que Dieu veut de vous non les sens, mais la foi pure. C'est pourquoi vous la devez exercer.

135. Fourrier : sous-officier chargé du logement et de la nourriture des troupes en campagne, d'où : grâces déjà données pour préparer la demeure de Jésus-Christ dans l'âme.

160

Il y a longtemps que je vous prêche cette leçon, mais votre esprit est tellement accoutumé au raisonnement, à voir et à sentir, que ce mot de foi lui est si nouveau qu'il ne s'y peut assujettir. Cependant c'est votre voie, et si vous n'y marchez vous ne goûterez pas Dieu et ne l'adorerez jamais en esprit et en vérité136.

Entrez donc dans les usages de la foi. Or possible, me demanderez-vous : « Qu'est-ce que la foi ? » afin que vous la puissiez mieux exercer, et que votre esprit puisse subsister dans ses pratiques. La foi est un don de Dieu, et lequel vous avez reçu au baptême, non pour le laisser anéantir, comme vous faites et quasi tous les chrétiens, mais pour en faire usage. La foi est une ferme et sincère croyance de Dieu et des vérités qu'il a révélées à son Eglise.

On appelle la foi une lumière ténébreuse. Pourquoi ? Parce qu'elle n'est pas vue mais crue. Ainsi c'est une simple croyance qui assure l'esprit et le fait subsister dans les vérités qu'on lui fait entendre, sans voir ni sentir, et sans aucun autre appui que cette simple foi qui vous dénue de toutes images, de tous raisonnements, et qui vous tient dans la vérité essentiellement.

N° 1014 [= référence du passage précédent]

CONTINUATION DU MEME SUJET ET QU'IL Y A TROIS SORTES DE MORTS D'AMOUR

Je vous dis beaucoup de choses dans mon profond silence, et mon âme crie bien haut aux oreilles de la vôtre: Amour, amour, amour !

Oh ! qui pourrait ne vivre que du pur amour et faire un néant de tout le reste, que je l'estimerais heureux ! Mon Dieu, faut-il que nos vies soient consommées par autre chose que par le divin amour de Jésus-Christ ? Le feu qu'il est venu apporter en terre ne brûlera-t-il jamais?137 Oh ! s'il nous pouvait faire mourir, ce serait pour nous une très glorieuse mort. Mais hélas ! cette mort est pour les justes et pour les favoris du Seigneur. Ma mort doit être une mort de pécheresse qui se plonge et abîme dans le néant où le péché l'a réduite. Je veux bien mourir de cette mort par hommage à la sainteté divine. Il est juste que je meure dans les sentiments de péchéxxiii, puisque toute ma vie j'ai été pécheresse. Mourons comme il plaira à Jésus-Christ, mais s'il se peut mourons d'amour. On dit ordinairement : telle vie, telle mort. Donc si nous vivons d'amour, nous mourrons d'amour.

Il y a trois sortes de morts d'amour selon les degrés des âmes. La première mort c'est mourir pour l'amour, la seconde mourir en amour, et la troisième mourir d'amour pour l'amour.

Toutes les âmes chrétiennes tâchent de mourir pour l'amour, relevant leurs intentions pour au moins consommer leur vie pour l'amour de Notre Seigneur. On peut bien mourir pour l'amour sans mourir d'amour. Vous pouvez mourir pour l'amour comme vous faites une action pour l'amour. Cette intention est très bonne, mais il est encore meilleur de mourir en amour et d'amour.

Mourir en amour, c'est mourir dans les habitudes du pur amour ; et mourir d'amour c'est cet amour adorable qui a donné la mort à Jésus et à sa très sainte Mère, mais d'une manière ineffable et incompréhensible à nos esprits. C'est cet amour qui a ravi la vie à tant de saints dont nous lisons les vies. Sera-ce point ce même amour qui en nous donnant la mort nous fera entrer dans la vie ?

« Je vous conjure, ô filles de Jérusalem, si vous trouvez le bien-aimé de nos coeurs »138, que vous lui énonciez que nous languissons d'amour, que nous mourons de ne mourir pas, ou plutôt que nous gémissons de ce que l'amour pur et divin de Jésus ne nous consomme pas. Pleurez les duretés de mon âme et les infidélités qu'elle commet tous les jours contre le Saint des saints et l'uniquement adorable. Soupirez, faites pénitence pour mes péchés, demandez miséricorde à Jésus-Christ, et le priez que son sang ne soit point profané en moi ; mais que sa grâce et son amour réparent en me consommant de ce même amour.

Nous sommes créés pour aimer. Aimons donc Notre Seigneur Jésus-Christ sans relâche. Aimons toujours, ne vivons

136. Jn 4.23.

137. Lc 12.49. 138. Ct 5, 8.

163

et ne respirons qu'en la pureté du divin amour. Tout ce que vous faites, faites-le en amour. Que votre tendance soit l'amour, afin que par amour vous puissiez être parfaitement unie et transformée en Jésus. C'est le pur amour qui doit faire cette sainte transformation. Donc il faut que vous commenciez de vivre du pur amour, c'est-à-dire purement pour Dieu sans plus de retour sur vos intérêts. Perdez-vous, oubliez-vous de vous-même pour vous remplir de Dieu seul.

Si une fois vous vous pouvez bien laisser à Dieu, vous saurez bien ce que c'est que d'opérer en esprit d'oraison. Oh ! que vous serez savante ! Mais en attendant que vous ayez reçu cette grâce de notre divin Maître, je vous dirai, selon la lumière qu'il me donne, ce que c'est que d'être en actuelle oraison.

Une âme qui demeure en actuelle attention à Dieu présent est en état d'oraison ; et opérer en cet esprit, c'est être plus en Dieu qu'en action. Vous vous prêtez bien à l'action, mais vous ne vous y donnez pas.

Trois choses concourent à bien faire votre action en esprit d'oraison. La première est l'attention à Dieu. La seconde son amour et respect, la faisant purement pour lui et par soumission à sa sainte volonté. La troisième est le dégagement d'esprit, ne vous rendant point propriétaire de votre action, n'y ayant point d'attache, étant prête à tout moment de vous en séparer et la quitter si l'ordre de Dieu et l'obéissance vous manifestent autre chose.

Après que votre action est faite, il n'y faut point réfléchir. Si vous y avez commis de l'infidélité il faut s'en humilier, vous connaissant n'être capable d'autre chose. Il faut porter vos misères en patience et faire toujours ce que vous êtes obligée de faire selon votre grâce et votre condition. Quand vous avez un moment de temps libre, vous le devez employer à recueillir votre esprit ; car c'est dans cette sainte solitude qu'il puise les forces de la grâce pour être fidèle dans les occasions.

n° 1712

POUR LAISSER REGNER LE PUR AMOUR, IL FAUT ETRE ABANDONNEE A TOUTES SORTES D'ETATS ET DE DISPOSITIONS

Ma chère fille vous êtes bien, souffrez tout ce que Dieu vous envoie : les ténèbres, les ignorances et vos impuissances. Tout est bon puisque Dieu le donne : il en fera lui-même les usages en vous qu'il prétend. Quand je dis que vous vous abandonniez, j'entends vous dire : demeurez dans votre misère et impuissance, et attendez en confiance que Notre Seigneur vous en délivre. Il faut bien autrement souffrir : vous ne faites que de commencer.

Ne vous découragez point, je vous assure que Notre Seigneur sera votre force et qu'il ne vous abandonnera point. Et lorsque vous ne savez plus ce qu'il faut faire, dites : « Mon Dieu je suis une bête, je n'ai ni grâce ni esprit, faites pour moi et en moi tout ce qu'il vous plaira ». Dites cela de coeur ou de bouche, il n'importe, et puis laissez-vous dans l'impuissance et dans la croix, souffrant les reproches de votre conscience sur les impuretés de vos opérations tant passées que présentes ; et attendez le temps que vous soyez revêtue de la vertu d'en haut139 pour opérer plus purement et avec plus de sainteté.

Notre Seigneur ordonna à ses disciples après son Ascension de se retirer, de se reposer et d'attendre qu'ils soient revêtus de son Saint-Esprit. Faites de même, je vous prie, et vous laissez entièrement à Notre Seigneur, et vous confiez en sa bonté.

Votre état présent ne sera pas d'une longue durée ; après la douleur vient la joie. Ne désirez rien, ne cherchez rien, n'aimez rien que le bon plaisir de Dieu en toutes choses, vous contentant de tout état, de toutes dispositions, bref de tout ce que la divine Providence vous fera ressentir. Soyez la victime dévorée et consommée, et prenez plaisir d'être dans les ténèbres, im-

139. Lc 24, 49.

165

puissances, captivités, etc : tout cela est bon et fait de bons effets si vous continuez d'être abandonnée. Vous ne voyez pas ce que Dieu opère en vous ; vous sentez votre douleur et le gémissement de votre nature, mais vous ne voyez pas que Dieu la purifie en détruisant ses satisfactions. Oh ! si votre âme avait assez de courage pour se laisser en proie au pur amour, qu'il ferait de glorieux effets ! Mais parce qu'il faut souffrir et qu'il ruine notre amour-propre pour établir son divin empire, cela nous retire de notre abandon et nous prive d'une possession si sainte.

Tout le bonheur et félicité de l'âme est d'aimer Dieu, et c'est l'ouvrage des bienheureux dans la gloire. Pourquoi ne commencerons-nous pas dès ce monde-ci, puisque nous pouvons aimer et que Dieu nous le commande ? Aimons comme Dieu le désire et comme il veut être aimé de nous. Or pour l'aimer comme il faut, c'est l'aimer en toute manière, c'est trouver bon tout ce qu'il fait, c'est approuver et consentir à tous ses desseins secrets et manifestes sur nous, c'est soumettre toutes nos volontés aux siennes, c'est ne rien préférer à son amourm, c'est le regarder en toutes choses, c'est recevoir immédiatement tout de sa sainte main, c'est agréer nos pertes, nos humiliations, et nos croix, bref c'est être faite, par ce même amour, une même chose avec lui par une perte totale de nous-mêmes.

Mon Dieu, qu'une âme est heureuse qui se peut plonger dans l'amour du bon plaisir de son Dieu sans retour ! Oh ! que la corruption que nous avons contractée par le péché est abominable, puisqu'elle nous a rendues si malignes que tout ce que la grâce veut faire, nous le détruisons. Vraiment il nous est bien permis de gémir avec saint Paul et de dire ces mêmes paroles : « Qui nous délivrera de ce corps de péché ? »141 Que la vie est douloureuse à une âme pénétrée de cette vérité, qui sent son poids ! Mais quoi ? Il faut vivre et mourir tout ensemble. Il faut souffrir nos impuretés en la vue de la sainteté divine et adorable de Jésus. Il faut mourir à la mort même et vivre par soumission au bon plaisir de Dieu.

Nous ne devons plus rien être à nous-mêmes, et pourvu que Dieu soit content il suffit. Vous le contentez quand vous demeurez en sa sainte présence, portant un esprit de victime

140. R.B. chap. 4 et 72.

141. Rm 7, 24.

166

qui accepte la vie et la mort sans autre choix que la volonté divine. C'est là où on vous ordonne de demeurer. Ne réfléchissez pas beaucoup sur votre état présent ; ayez patience, Dieu fera son oeuvre ; et quand il vous anéantirait sans ressource, il y faudrait prendre plaisir. Si votre douleur vous cause trop d'abattement, on vous permet d'un peu vous divertir ; mais ne vous jetez point trop avant dans les créatures.

Je vous prie d'observer une chose et de nous l'écrire si vous pouvez : quelle est la pente de votre esprit présentement ? Peut-il prendre quelque plaisir dans les créatures ? Se peut-il retirer de sa douleur ? Cette douleur cause-t-elle inquiétude secrète, gêne-t-elle l'esprit ? Vous cause-t-elle scrupule de vous divertir et de faire les choses de votre obligation ? D'où vient que vous avez peine de les faire ? Est-ce que votre esprit est stupide, ou que vous en avez du rebut ?(n° 3057).

Vous me laissâtes hier l'esprit occupé de votre douleur, ma très chère fille, et je me suis exposée devant Notre Seigneur pour lui présenter et demander lumière sur votre état. J'ai, ce me semble, toujours plus de croyance de la grâce qu'il vous veut faire de vous rendre tout à lui, et pour cet effet de vous faire sortir de tout vous-même et des créatures. Il n'y a plus moyen d'y résister. Il faut, à ce coup-ci, que le pur amour de Jésus-Christ l'emporte. Il faut céder à sa douce violence, et tout quitter ce qui vous retarde d'être à lui.

Quelle miséricorde recevez-vous, et qu'avez-vous fait à Dieu pour être choisie, attirée, pénétrée et éclairée des divines vérités, à l'exclusion d'une infinité d'autres qui demeurent dans les ténèbres et dans les ignorances tout le temps de leur vie ? Oh ! que les jugements de Dieu sont profonds et ses voies incompréhensibles ! L'obligation que vous avez d'être à Dieu est infinie. Commencez donc à lui être fidèle. Que ce soit aujourd'hui le jour que vous voulez mourir à toutes choses pour avoir vie en Dieu seul. Heureuse l'âme qui se donne, ou pour mieux dire qui se laisse toute à Dieu !

Aimez Dieu, adorez Dieu, soyez à Dieu, glorifiez Dieu : vous pouvez faire tout cela par la perte de vous-même. Une âme qui ne vit que pour Dieu et de Dieu vit dans une vie divine. Elle n'a plus de plaisir ni d'attache aux choses de la terre. Les créatures lui sont à dégoût, parce que son unique complaisance est en celui qu'elle aime. Quittez toutes choses pour l'amour de Jésus-Christ. Quittez tout de volonté, en attendant que vous les puissiez quitter par effet. Dégagez-vous de tout ce

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qui vous peut souiller. Ne possédez les choses que par pure soumission à l'ordre de Dieu qui vous a liée dans votre condition. Mais gardez-vous bien de vous les approprier : il en faut rendre compte. Tous les biens sont à Dieu comme tout le reste, et vous ne les devez tenir que par emprunt, toujours prête à les rendre à votre divin Maître qui vous les a prêtés pour en faire des usages dignes de sa gloire, et vous donne les moyens de mériter quelque chose pour l'éternité.

Soyez donc pauvre au milieu de vos richesses. Imitez le grand Théodose, empereur, qui sous la pourpre royale et le diadème était plus pauvre que les ermites des déserts. La pauvreté ne consiste pas seulement à ne posséder rien extérieurement mais à être dégagée intérieurement. L'un et l'autre sont excellents. Mais la pauvreté extérieure que l'on voue dans les monastères, n'est qu'un moyen pour arriver à la parfaite pauvreté d'esprit142 qui est si hautement estimée de Notre Seigneur dans l'Evangile, et au total dégagement du coeur pour être dans la pratique de ces divines paroles qu'il dit encore : « Que si nous ne renonçons à tout ce que nous possédons et à nous-mêmes, nous ne pouvons être ses disciples »143.

Hélas ! si nous ne sommes disciples de Jésus, de qui le serons-nous ? Il n'y a point de milieu, il faut être à Dieu ou au démon. « Nul, dit Notre Seigneur, ne peut servir deux maîtres »144. Est-il pas juste que nous servions Jésus, que nous soyons tout à lui, puisqu'il nous a rachetées au prix de son sang et de sa vie, et qu'il nous prévient de tant de bénédictions ? Il faut un coeur épouvantablement ingrat pour s'en dédire ; ne le soyez pas. Rendez-vous digne des grâces que Dieu vous prépare en vous abandonnant, en vous humiliant et en vous dégageant de toutes choses, afin que votre coeur soit toujours en état d'être élevé à Dieu par-dessus toutes choses.

Que rien ne tienne votre âme ni votre affection captive sur la terre, de peur que vous ne soyez privée de tant de miséricorde que Dieu vous fait ressentir. Soyez toujours de loisir pour entendre Dieu dans votre fonds intérieur et pour le suivre. Ne faites point comme ceux de l'Evangile qui refusent d'aller

142. Mt 5, 3.

143. Mt 10, 34-40.

144. Mt 6, 1-4 ; Lc 16, 13.

au banquet pour des intérêts de boue et de terre145. Notre fortune est dans l'éternité : c'est là où toutes nos croix seront consommées et revêtues de gloire. Mais en ce monde il faut souffrir.

Notre Seigneur dit : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à soi-même, qu'il porte sa croix et me suive »146. Voilà ce que nous avons à faire dans le monde : renoncer à nous-mêmes et être en croix. Les âmes bien éclairées de la lumière de la grâce appliquent tout leur bonheur à la croix et tiennent pour une espèce de châtiment lorsqu'elles ne sont point plongées dans les souffrances, parce que le pur amour les transforme à l'objet aimé et les rend semblables par conformité d'état et de disposition à son âme sainte sur la terre, qui a toujours été dans l'amour de la pauvreté, de la douleur et du mépris. Et la vie sainte et adorable de Jésus sur la terre n'a jamais été un moment séparée de ces trois vertus. Et c'est ce que les âmes vraiment chrétiennes doivent aimer et y avoir rapport autant qu'il est possible. C'est ce que nous avons promis dans notre baptême ; et si nous avons fait profession de Jésus-Christ, avons-nous pas fait profession de sa sainte vie ? Oui, c'est notre obligation de vivre de la vie de Jésus, de souffrir avec Jésus, d'être pauvre avec Jésus, d'être méprisée et rebutée avec Jésus, bref de mourir en croix avec Jésus, et de vivre de sa vie ressuscitée, c'est-à-dire dégagée et séparée de la terre.

Donnons-nous à sa grâce pour avoir part à la sainteté de sa vie et nous abandonnons à la puissance de son amour pour en porter les effets. Que j'aurais de choses à vous dire sur un sujet si saint et si ineffable ! Mais il faut conclure en vous laissant toute à Jésus-Christ, car je crains qu'il serait trop tard. Demandez à Dieu je vous prie, s'il vous le permet, la grâce d'être ce qu'il veut que je sois. Nous ne devons demander que cela.

Tout ce qu'on désire sans parfaite indifférence et ce qu'on entreprend de sa propre volonté est propre recherche et amour de soi-même.

Jésus-Christ est mort sur la croix pour tirer l'homme à soi et le perdre, par plongements amoureux et continuels, en l'abîme infini de son amour.

145. Mt 22, 2-10 ; Lc 14, 15-24.

146. Mt 16, 24 ; Mc 8, 24 ; Lc 9, 23.

169

Malheureux est celui qui, pouvant aimer Dieu de toutes ses forces et en amour perfectif147, ne l'aime point que de l'amour commun à toutes les créatures.

Celui qui est dans un parfait amour de Dieu ne lui demande jamais rien que pour sa très haute gloire et en parfaite conformité à la divine volonté.

Le comble et la misère des misères humaines, c'est ignorer Dieu, ne le sentir, ne le désirer et ne le point goûter.

On connaît l'amour de Dieu et ses effets quand l'âme qui en est touchée est profondément humble et véritablement méprisée.

Le lieu, l'habit, la profession, les voeux, les règles et les statuts ne sanctifient pas le religieux, mais l'excellente charité, l'amour et la profonde humilité. Tout le reste ne sont qu'excellents moyens ordonnés à cela.

Raisonner pour aimer Dieu, c'est pécher contre le pur amour.

n° 3057 et 3098 à partir de : vous me laissâtes hier l'esprit occupé de votre douleur.

REGLEMENT EN FORME DE JOURNAL SUR LES ACTES LES PLUS IMPORTANTS DE LA JOURNEE

J'ai un très grand désir de satisfaire à la prière que vous nous avez faite de vous écrire quelque petit règlement de votre journée. Mais plus j'attends la grâce et la lumière, moins j'en trouve en mon fonds. De sorte que me voyant pressée par votre besoin, je m'abandonne dans l'abîme des ténèbres qui m'environnent, suppliant notre divin Maître conduire ma plume selon son bon plaisir et imprimer par son Saint-Esprit dans mon âme ce qu'il veut que je vous dise pour sa gloire.

Autrefois nous vous avons donné de petits journaliers dressés par une âme très sainte : j'espère que vous en pourrez faire quelque jour un bon et saint usage. En attendant que la grâce vous ait purifié et simplifié l'esprit pour le rendre capable d'un règlement plus saint, nous vous prescrirons seulement les plus importantes actions de votre journée, laissant au Saint-Esprit l'ordre qui doit être observé au-dedans.

Vous vous lèverez tous les jours à six heures, vous couchant à onze heures ; si plus tard, à six heures et demie.

Aussitôt que vous serez éveillée, vous élèverez votre esprit à Dieu non seulement qui vous est présent mais dans l'immensité duquel vous venez de vous reposer.

Si votre esprit se trouve distrait ou appesanti par infirmité ou par sommeil, vous formerez un acte de foi de la vérité de Dieu, et un acte d'adoration et d'abandon total de tout votre être, vous délaissant tout à Dieu, et continuant ce que vous avez à faire en cet esprit.

Si à votre réveil vous êtes prévenue de quelque trait ou touche intérieure, vous le suivrez, vous laissant emporter doucement et suavement à la grande miséricorde de Notre Seigneur qui vous prévient.

Allant à votre oraison, entrez dans votre oratoire comme dans le sanctuaire où vous devez être en commerce avec Dieu ; ou si vous voulez, comme dans le lieu où se doit consommer votre sacrifice. Et dans cet esprit mettez-vous à genoux pour vous immoler et entièrement abandonner à l'Esprit pur et saint de Jésus-Christ.

Après que vous aurez tourné votre sable148, ne vous détournez plus ; tenez votre corps et vos sens en captivité, au moins la première demi-heure que vous passerez dans le silence le plus profond et le plus respectueux qu'il vous sera possible, vous rendant très attentive à Dieu présent, et vous délaissant toute à la puissance de sa grâce et de son amour pour faire en vous ses très saintes volontés.

N'adhérez point à la curiosité et à l'activité de vos sens. Ne remuez point votre horloge, s'il n'est arrêté. Ne vous occupez point de l'immortification de votre esprit qui voudrait que l'heure fût passée pour sortir de sa captivité. Faites état que vous êtes là pour être victime, mais victime crucifiée. En un mot vous êtes là non pour jouir de quelque consolation, mais bien pour opérer votre destruction.

Vous vous abandonnerez à tous les états et différentes dispositions que Notre Seigneur vous y fera porter, sans jamais vous plaindre de ses conduites sur vous, ni permettre à votre amour-propre de les contrarier.

148. On mesurait le temps à l'aide d'un sablier. L'écoulement du sable indiquait approximativement le temps passé et servait en quelque sorte « d'horloge ».

147. Perfectif : qui peut toujours recevoir un accroissement de perfection.

171

La première chose que vous devez faire dans votre oraison, c'est un acte de foi qui vous fait croire Dieu. Le second qui vous oblige de l'adorer. Le troisième, de vous abîmer dans votre néant, vous estimant très indigne de converser avec Dieu, et d'être un moment en sa sainte présence. Tenez-vous dans la bassesse, ne vous élevant point par témérité.

Laissez-vous conduire comme il plaira à Notre Seigneur. Soyez très flexible aux touches de son Esprit et vous rendez toujours de son parti contre vous-même. Et lorsque l'activité vous attaque, résistez en négligeant ses atteintes et en vous laissant mourir plutôt que d'être infidèle.

Vous trouvez bien des heures et du temps pour les créatures ; il est bien juste que vous en trouviez pour Dieu, et que durant l'emploi de celui que vous lui devez donner vous soyez inaccessible, si ce n'est à l'obéissance de votre N...149, ou aux affaires qui ne peuvent être remises. Soyez très fidèle en ce point.

A la seconde demi-heure, si vous êtes trop fatiguée, vous pourrez vous asseoir ; mais toujours dans une posture d'attention et de respect, afin que la lâcheté ne vous dérobe point la grâce de votre oraison.

Après votre heure de prière, vous vous habillerez. Mais prenez garde de ne point sortir de votre oraison ; il en faut conserver l'esprit et agir en toutes choses en disposition d'oraison. Donc, sortant de votre oratoire, vous ne sortirez point de votre recueillement: Puisque la vérité vous apprend que vous ne sortez point de Dieu, pourquoi sortiriez-vous de l'attention, du respect et de la soumission que vous devez avoir aux mouvements particuliers de sa grâce et aux conduites que sa sainte Providence veut tenir sur vous ?

Faites donc tout ce que vous avez à faire ou à souffrir en cet esprit de récollection, prenant garde de vous trop épancher dans les créatures. Défiez-vous toujours de votre esprit qui ne manquera point de faire une infinité de saillies par son actuelle activité.

Soyez posée en toutes vos actions. Ne vous précipitez point, ne vous empressez ni inquiétez point, pour quoi qui vous puisse arriver.

Mortifiez les inclinations naturelles de votre esprit qui peut encore avoir quelque choix et attache à quelque chose. Ne lui pardonnez point qu'il ne vous ait rendu les armes, entrant dans une sainte abnégation de toutes les choses qui lui peuvent encore donner quelque vaine satisfaction.

N'ayez point de pitié des gémissements de votre amour-propre. Soyez inexorable aux cris de la nature, il n'y a plus de miséricorde pour elle : il faut mourir.

Lorsque vous entreprenez une affaire, voyez-la toujours dans l'ordre de Dieu, et qu'il vous assujettisse à ces ouvrages pour sa gloire. Faites-les conformément à ses desseins, et toujours dans un esprit dégagé de toutes vos complaisances, intérêts et satisfactions. Si l'action vous répugne, faites-la avec grande attention, patience et soumission, y voyant plus manifestement la conduite divine et sa volonté.

Tous les jours vous entendrez la sainte messe avec amour et révérence à ce saint Mystère et grande attention, vous laissant immoler avec Jésus dans l'hostie pour être offerte seulement avec lui à la gloire de son Père. Je ne m'étendrai point sur ce digne sujet, je crois vous en avoir dit ailleurs quelque chose, ou que vous ne l'ignorez pas.

Prenant votre repas, mortifiez-vous de quelque chose, au moins en la qualité ; et mangez par obéissance à Dieu qui vous assujettit à ce besoin pour soutenir la vie que vous devez consommer en son amour. Mangez suffisamment et indifféremment, si vous n'êtes indisposée. Et si votre esprit se ravale sur les objets sensibles, il faut le relever doucement pour lui donner quelque petite habitude de demeurer en Dieu. C'est en lui qu'il se doit reposer ; et au regard des créatures, il ne les doit toucher ni goûter qu'en passant et par pure nécessité.

Dans la conversation avec le prochain, soyez libre d'une sainte liberté, sans vous gêner. Parlez quand la charité chrétienne vous y oblige, mais soyez posée en vos paroles et en vos actions. Aimez le silence et sa pratique, autant qu'il vous sera possible. Ne dites jamais rien que vous ne l'ayez regardé devant Notre Seigneur. Que vos paroles soient douces, humbles et charitables, ressentant la bonne odeur de Jésus-Christ150.

149. Probablement : de votre mari, le comte de Châteauvieux. 150. 2 Co 2, 25.

173

Quelque temps après le dîner, vous prendrez une demi-heure de votre loisir, si la Providence vous le donne libre, pour vous renouveler dans l'attention et dans l'amour à Dieu présent. Et entrant dans votre oratoire, vous vous prosternerez en terre dans un esprit d'aba.ndon et renouvellement de tous les sacrifices que vous devez à la Majesté divine.

n° 844

INSTRUCTION POUR MONTRER LA DIFFERENCE DE LA MÉDITATION ET DE L'ORAISON

Qu'est-ce que l'oraison ? C'est une élévation de l'esprit à Dieu et une tendance à l'union divine, ou même une possession de cette divine union pour les plus avancés. Et nous ne devons point avoir d'autre fin que celle-là, parlant en général. Mais les âmes ont en particulier différentes dispositions. Vous en devez avoir trois qui pourtant ne vous multiplieront point :

La première est la foi par laquelle vous croyez et adorez Dieu dans la vérité de lui-même, et laquelle foi vous fait tenir en respect devant sa grandeur.

La seconde est une exposition de vous-même à la puissance divine, vous dépouillant de tous vos intérêts et de toutes les productions et recherches de votre amour-propre.

La troisième est une humble soumission à toutes les conduites de Dieu sur votre âme, un abandon à son bon plaisir et un acquiescement amoureux à ses desseins.

Avec ces trois dispositions vous ferez une oraison très excellente.

Pourquoi allons-nous à l'oraison ? C'est sans doute pour rendre nos devoirs à Dieu d'adoration, de sacrifice et d'amour. Bref, c'est avec dessein de nous rendre tout à Jésus-Christ. C'est dans le désir que nous avons d'être revêtues de son Esprit, et d'être faites une même chose avec lui. Or pour parvenir à la fin de l'oraison, il faut que l'âme souffre de très grands et rudes sacrifices. Il faut qu'elle souffre qu'on la dépouille de ses habitudes et qu'on la désapproprie de tant d'appuis. En un mot il faut qu'elle soit renversée et toute renouvelée. Et c'est le sujet pourquoi tant d'âmes souffrent en l'oraison, tantôt des sécheresses. d'autres fois des dégoûts, des ténèbres, et mille autres peines que nous y ressentons et qui nous apprennent que dans ces misères Dieu détruit notre amour-propre et établit secrètement son règne.xxiv Mais il faut que l'âme s'abandonne à la souffrance et se résigne humblement entre les mains de Notre Seigneur pour être la victime de son bon plaisir.

Je vous ai dit autrefois que nous devons faire sur la terre ce que les bienheureux font au Ciel. Ils regardent Dieu en pure contemplation et sont consommés en son amour. Nous devons avoir une actuelle vue de Dieu en foi et tendre toujours à son amour. Or le parfait amour ne consiste pas à être touchée dans les sens, mais il consiste à une totale conformité xxv; étant perfectionnée, c'est elle qui fait l'actuelle union d'amour avec Dieu, comme les bienheureux, union que nous pouvons conserver même dans les actions et le tracas de nos obligations, en faisant toutes choses par amour et soumission à Dieu.

Il y a bien de la différence de la méditation et de l'oraison. La méditation est une étude sainte, en laquelle on apprend les mystères et les vérités chrétiennes ; et l'oraison les savoure, les goûte et se remplit de la grâce qu'ils contiennent. La première regarde et considère la beauté de Dieu ou ses grandeurs ; l'autre l'adore, l'aime et s'unit à lui. La première est multipliée par beaucoup de considérations, de matières et de discours ; l'autre est plus pure, plus simplifiée et plus unissante à Dieu. En la première, l'esprit humain a de quoi s'occuper : la lumière, les goûts, les raisonnements nourrissent l'entendement et souvent notre amour-propre. En l'autre nous sommes immolées et nos opérations sont anéanties, ou du moins plus épurées et simplifiées. En celle-là nous nous appuyons sur notre travail ; et en celle-ci nous recevons l'opération divine, très simplement exposées en esprit d'abandon et d'un amoureux acquiescement. En la première, c'est l'entendement qui agit. En la seconde, c'est Dieu qui conduit. Et si une âme a tant soit peu de courage pour persévérer en l'oraison, quoique remplie de toutes sortes de misères, je suis assurée que Notre Seigneur lui aidera et qu'il l'introduira en la sainte union. Mais il faut de la constance, car le démon et la nature sont ennemis de l'oraison et font leur possible pour en détourner l'âme. Soyez persévérante. ma fille. vous n'y souffrirez pas toujours de si rudes combats. Mais il y en a encore à passer. Ayez du coeur : c'est pour les intérêts de votre divin Maitre Jésus-Christ et pour l'établissement de son règne en vous. Je le supplie vous soutenir et nous unir parfaitement à lui pour jamais.

no 2613

175

DE L'ORAISON DE PURE FOI ET D'ANEANTISSEMENT

Dans votre oraison, je trouve bon que la seconde demi-heure de votre oraison, vous permettiez à votre esprit de s'occuper des vérités qu'on vous enseigne. Mais donnez-vous de garde de l'activité actuelle de votre esprit, lequel étant tellement produisant, s'occupera beaucoup plus par soi-même que par la pure lumière de Dieu. C'est pourquoi il vous [en] faut défier et observer fort tranquillement s'il ne s'empresse point dans ses pensées, dans ses vues et considérations.

L'Esprit de Dieu est pacifique, et c'est la marque de son Esprit quand il nous fait agir en paix. Notre Seigneur visitant ses disciples leur dit : « Pax vobis ». C'est le premier effet de la présence de Dieu véritable en l'âme : la paix s'établit et le calme se fait même ressentir dans ce fond d'esprit.

Il y a bien de la différence entre nos productions et celles de la grâce. Celles qui partent de nous sont toujours impures et ne peuvent s'élever vers Dieu, n'ayant que notre intérêt pour objet. C'est pourquoi ce sont lumières et opérations qui sont produites de nous-mêmes. Elles n'ont point de force ni de vigueur pour se tenir élevées vers Dieu ; et si l'âme y fait quelque petit effort, elle se retourne bientôt vers elle-même et ne se remplit point de Dieu, ni ne se vide point par conséquent d'elle-même.

Les opérations de la grâce sont d'une autre manière : elles sortent de Dieu et retournent à Dieu. Elles élèvent l'âme, la dégageant d'elle-même et des choses de la terre, la rendant capable de recevoir Dieu, c'est-à-dire son règne ; et l'âme étant fidèle à la grâce opérante, elle fait en peu de temps un progrès admirable, se rendant capable des miséricordes de Dieu.

Quand vous vous trouvez en impuissance et dans les ténèbres, ne pensez pas que votre temps soit perdu. Dieu vous fait porter ces dispositions pour vous apprendre petit à petit à mourir. L'esprit humain ayant accoutumé d'agir, souffre des agonies quand il se trouve en sécheresse et en privation. Et l'aveuglement dans lequel nous sommes au regard des choses saintes, nous fait penser que nous ne sommes pas bien avec Dieu. Et insensiblement l'âme s'empresse pour se tirer de sa peine et de sa captivité, pour se donner la satisfaction de ressentir autre chose.xxvi

C'est une grande infidélité à l'âme en cet état de travailler pour en sortir ; il faut se laisser anéantir. Cette disposition arrive par deux causes. La première peut venir de Dieu qui nous éprouve, pour dénuer l'âme de ses propres appuis. La seconde, par châtiment de nos fautes. Et toutes deux sont utiles à notre âme. C'est pourquoi elle en doit faire un saint usage.

Le premier, d'agrément de la conduite de Dieu sur elle, trouvant bon qu'il en dispose comme il lui plaît. « Bene omnia fecit »151. Le second, de soumission à sa justice. Et en tous les deux l'âme doit toujours demeurer anéantie, attendant en patience le bon plaisir de Dieu.

Qu'est-ce que d'une âme morte ou anéantie ? C'est une âme sans désir, sans affection, sans choix, sans élection, sans souhaits, sans inclinations, sans vouloir, sans passions. Elle est faite en cet état d'anéantissement une pure capacité de Dieu. Que fait cette âme ainsi anéantie ? Elle est revêtue de Jésus-Christm152, elle est remplie de Jésus-Christ. C'est Jésus-Christ qui l'anime, c'est Jésus-Christ qui agit en elle, qui pense pour elle, qui désire pour elle et qui aime pour elle, qui choisit pour elle, qui souhaite pour elle. Le grand Apôtre le savait d'expérience quand il disait : « Vivo ego, jam non ego, vivit vero in me Christus »153,

Si vous aviez goûté un moment le bienheureux état d'anéantissement, vous trouveriez que la vie intérieure est bien facile, toute la peine qui s'y fait ressentir ne procédant que de la résistance que nous faisons à la mort de nous-même. Je vous souhaite cet esprit pour régler vos actions et pour rendre à Dieu la gloire que vous lui devez. Vous savez ce que je vous en dis il y a peu de jours et dans l'entretien et par écrit.

Votre peine présente est de savoir quand vous devez faire des actes, ou quand vous devez les anéantir. Vous en devez

151. Mc 7,37.

152. Rm 13, 14.

153. Je vis, mais ce n'est pas moi, mais le Christ qui vit en moi (Ga 2, 20).

177

faire lorsque l'Esprit de Dieu vous en donne le mouvement. Pour ceux de votre propre esprit, vous les devez anéantir. Vous connaîtrez ceux que l'Esprit de Dieu produira en vous par les fruits qu'ils produiront, et ils seront toujours efficaces dans votre fond, c'est-à-dire qu'ils feront des effets de dégagement de vous-même, de liaison à Dieu, de dépendance de lui, de paix et de tranquillité. n' Dum medium silentium »1", au milieu d'un profond silence, c'est-à-dire d'un calme profond, l'Esprit de Dieu parle en silence. O mystère adorable !

Formez donc les actes de sacrifice, d'abandon, de patience et d'humiliations ; mais observez ce point de les faire par la direction de l'Esprit de Dieu. Qu'ils soient brefs, suaves, et vous remplissant de Dieu, vous laissant à la puissance de sa grâce pour les former en vous.

Quant aux actes que vous pouvez faire de vous-même, je ne crois pas qu'ils vous fassent faire grand progrès. Si toutes nos opérations propres sont devant Dieu comme une saleté155, selon que le Saint-Esprit dans l'Ecriture nous l'enseigne, jugez quelle gloire elles rendront à Dieu et quel bonheur il nous en peut arriver ! De toutes les opérations qui sont au pouvoir de notre âme, il n'y en a point de plus utile ni de moins opposée à Dieu que la sainte humilité que l'âme ne doit jamais quitter, quelque élevée puisse-t-elle être. Jamais il ne faut oublier notre néant.

Durant la journée, vous pouvez faire des actes quand vous en aurez le mouvement. Mais quand vous vous trouvez recueillie avec Dieu en amour et en adoration, n'en sortez point pour faire vos actes. Ne quittez point Dieu pour chercher celui que vous possédez.xxvii Entretenez-vous avec Dieu autant que sa miséricorde aura agréable de vous occuper. Ne quittez jamais Dieu dans cette pure et simple occupation. s'il ne vous le permet directement par son ordre particulier. ou indirectement par les emplois de votre condition.

Les actes que l'Esprit de Dieu nous fait produire nous remplissent de Dieu ; et ceux que nous faisons par notre esprit nous remplissent de nous-même. Il ne faut point faire acte pour envisager vos actions ; il ne faut qu'une simple vue en Dieuxxviii qui vous fait bientôt voir et même ressentir l'impureté que vous commettez en les opérant.

Les actions de vos obligations, vous savez dès longtemps comme il ne les faut point négliger. Celles de la bienséance chrétienne peuvent être pratiquées dans les occasions ; pour les inutiles il les faut retrancher ou régler. Les mauvaises, je n'en parle point, sachant bien que vous n'en voudriez point faire.

Il ne faut pas grand examen pour connaître vos obligations, la conscience au fond vous l'enseigne et ne permettra point de vous tromper si vous êtes attentive et fidèle à ses mouvements. Il n'est donc pas besoin de faire des actes pour les discerner, mais simplement regarder Dieu et son pur amour qui vous doit faire agir et régler. Oui, toute notre vie se passe en actions extérieures ; mais notre âme demeure anéantie intérieurement et mystiquement, se laissant régir par l'Esprit de Dieu ; de sorte qu'elle n'est plus active en son opération, mais patiente en celle que Dieu opère en elle.xxix Elle souffre que Dieu fasse en elle ce qu'il lui plaît, ce qui est de son bon plaisir et de sa gloire, ne vivant plus pour elle, mais uniquement pour Jésus-Christ.

n° 312

154. Sg 18. 14 15. actuellement introït du 2e dimanche après la Nativité.

155. Is 64, 6.

179

DE L'ORAISON QUI SE FAIT EN SIMPLICITE D'ESPRIT 156 SELON LES SENTIMENTS DE M. DE GENEVE

Ma très chère soeur en Jésus-Christ : plus je vais en avant et plus je connais clairement que Notre Seigneur conduit les âmes157 à l'oraison d'une très simple unité et unique simplicité de présence de Dieu, par un entier abandonnement d'elles-mêmes à sa très sainte Volonté et au soin de sa divine Providence.xxx Le bienheureux Monsieur de Genève158 la nommait oraison de simple remise de tout nous-même à Dieu, et laquelle il disait être toute sainte et salutaire, et qu'elle comprenait tout ce qui se pouvait désirer pour servir Dieu.

Or néanmoins je sais qu'elle est fort combattue par ceux que Dieu conduit par la voie du discours et raisonnement. Et plusieurs âmes en ont été troublées, leur disant qu'elles sont oisives et perdent le temps. Mais sans manquer au respect que je dois à ces personnes-là, je vous assure, ma très chère soeur, que vous ne devez point désister de votre trait159 pour tels discours. Car le bienheureux évêque de Genève, qui entendait excellem-

156. Cette lettre reproduit un texte de sainte Jeanne de Chantal qui se trouve dans : Réponses de notre très honorée et digne Mère, Jeanne Françoise Frémiot, p. 508, Paris 1665. Nous n'avons noté que les variantes les plus significatives. Jeanne Frémiot naquit et fut baptisée le 23 janvier 1572 à Dijon. On ajouta le prénom de Françoise lors de sa confirmation. Elle perdit sa mère alors qu'elle n'avait que dix-huit mois. Son père la maria au baron de Chantal le 29 décembre 1592. Elle eut six enfants, dont deux moururent en bas âge. Le baron de Chantal fut tué dans un accident de chasse en 1601. Elle rencontra saint François de Sales venu prêcher un carême à Dijon en 1604 et se mit sous sa direction peu de temps après. Conseillée par saint François de Sales, elle fonda l'Ordre de la Visitation Sainte-Marie et ouvrit le premier monastère à Annecy en la fête de la Sainte Trinité : 6 juin 1610. Elle mourut en son monastère de Moulins le 13 décembre 1641 après avoir fondé de nombreux couvents à Paris, en Touraine, Champagne, Bourgogne, Lyonnais, Provence, Languedoc (Catholicisme, n° 24, col. 675).

157. Conduit quasi toutes les Filles de la Visitation.

158. Notre bienheureux Père (saint François de Sales).

159. Vous ne devez point détourner de votre train.

180

ment toutes sortes d'oraisons, ainsi qu'il se voit dans ses écrits, a toujours approuvé celle-ci, et disait : tandis que les autres mangent diverses viandes à la table du Sauveur, que nous reposions nos âmes et toutes nos affections par une toute simple confiance sur sa poitrine amoureuse.

Avec un si solide conseil, il nous faut demeurer fermes et suivre fidèlement cette voie dès que nous y sommes attirées. Car il ne s'y faut pas porter de nous-mêmes, ains attendre avec humilité et patience l'heure que notre divin Sauveur a destinée pour nous introduire à ce bonheur. Car enfin, pour aller à Dieu et arriver à lui, il se faut laisser conduire par son Esprit.xxxi Ce qui est de son choix est [toujours] le meilleur pour nous.

Or il y a divers degrés en cette manière d'oraison, comme en toutes les autres. Les uns possèdent cette unique simplicité du repos en bien plus éminent degré que les autres et y reçoivent diverses lumières ; mais enfin toutes aboutissent là sans quasi le connaître qu'elles n'y soient arrivées ; et semble que Dieu se serve de cette seule conduite pour faire arriver à la fin de la journée, c'est-à-dire de la perfection160, et que là nous trouvons et recevons toute la lumière et la force qui nous est nécessaire pour toutes choses. Et cet attrait nous est tellement propre que les âmes que l'on en tire semblent sortir de leur centre, perdant la liberté d'esprit et entrant dans une certaine contrainte et entortillement qui leur ôtent leur paix et les retardent grandement en leur chemin. Je n'ai que trop d'expérience de cette vue [vérité].

Marchez donc dorénavant avec une très humble assurance dans cette voie divine et n'y apportez aucune façon, ni industrie que de suivre très simplement et fidèlement l'attrait de Dieu, vous contentant de la portion qu'il vous donne, sans en désirer davantagexxxii. Celles qui sont conduites par cette voie sont obligées à une grande pureté de coeur, abaissement, soumission et totale dépendance de Dieu. Elles doivent fort simplifier leur esprit en tout, retranchant toutes réflexions sur le passé, sur le présent et sur l'avenir ; et au lieu de regarder ce qu'elles font et feront, elles doivent regarder Dieu, s'oubliant,xxxiii tant qu'il leur sera possible de toutes choses, par un continuel souvenir de Dieu, unissant leur esprit à sa bonté pour tout ce qui leur arrive

160. C'est-à-dire de la perfection est ajouté par Mère Mectilde.

181

de moment en moment ; et cela [se doit faire] simplement [sans aucun effort ]161.

Il arrive souvent que les âmes qui sont en cette voie sont travaillées de beaucoup de distractions et qu'elles demeurent sans appui sensible, Notre Seigneur leur retirant les sentiments de sa douce présence et toutes sortes d'aides et de lumières intérieures ; si bien qu'elles demeurent dans une totale impuissance et insensibilité, bien que quelquefois moins. Cela étonne les âmes qui ne l'ont pas encore bien expérimenté. Mais elles doivent demeurer fermes et se reposer en Dieu par-dessus toutes vues et sentiments, souffrant, recevant et chérissant également toutes les voies et opérations qu'il plaira à Dieu faire en elles ; se sacrifiant et abandonnant sans aucune ressource à la merci de son amour et très saint vouloir, sans voir ni vouloir voir ce qu'elles font ni doivent faire162. Elles doivent, avec la suprême pointe de leur esprit, se joindre à Dieu et se perdre tout en lui, trouvant par ce moyen la paix au milieu de la guerre et le repos dans le travail. Bref il se faut tenir en l'état où Dieu nous met : en la peine, patienter et en la souffrance, souffrir.

Aussi les marques assurées d'une bonne oraison, c'est quand elle produit les fruits des vraies vertus dans une exacte et fidèle observance des obligations chrétiennes163 et que l'âme est aussi constante en la fidélité à toutes les bonnes oeuvres, au milieu des désolations et amertumes, qu'en la jouissance des faveurs et consolations divines.

Bienheureuse l'âme qui se rendra affectionnée et persévérante en ce saint exercice, nonobstant toutes les difficultés qui s'y rencontrent. Car c'est en elles où elle s'enrichira et recevra le pain de grâce, et qui la nourrira en vie éternelle.

Or entre tous les dons, celui de la sainte oraison ne s'obtient principalement que de Dieu. C'est pourquoi il lui faut demander continuellement avec une profonde humilité sans jamais se lasser164.

Je trouve qu'il est utile de parler des profits qui nous reviennent de l'oraison : cela anime et nous y rend plus affectionnées.

L'oraison est la vraie vie de l'âme et d'où nous tirons la force pour la pratique des solides [vraies] vertus.

L'oraison et la mortification sont les deux principaux exercices de la vie chrétienne185.

Une âme qui veut être anéantie en soi-même et perdue en Dieu ne se soucie plus de ce qu'elle devient pour le corps, pour l'esprit, pour la perfection, et pour la gloire. La pure, pure, pure disposition divine lui plaît, en elle et aux autres ; et nous devons pour ce sujet nous abandonner totalement entre les mains adorables de Dieu qui veut que nous vivions à lui, mourant à nous.

Tôt, tôt, tirez-moi de mon être et me mettez dans l'opération de ma fin166

Quis me liberabit de corpore mortis167.

No 2471

161. Souvenir de Dieu ... et cela se doit faire simplement sans aucun effort. Les mots entre crochets sont de Mère Mectilde.

162. Ni doivent faire, mais par-dessus tout leur voie et propre connaissance.

163. Sainte Jeanne de Chantal ne mentionne que l'exacte observance. Mère Mec-tilde écrivant à une laïque ajoute : des obligations chrétiennes.

164. Sainte Jeanne de Chantal a ici deux paragraphes non reproduits par Mère Mectilde.

COMMENT L'ON PEUT PRIER EN TROIS MANIERES POUR LE PROCHAIN

Je prie Notre Seigneur qu'il me rende digne de vous dire comme l'on peut prier pour le prochain :

1. vocalement - 2. mentalement - 3. en pur esprit.

La première, c'est de dire des prières comme le chapelet, le Veni Creator, etc., à leur intention.

La seconde est de prier en pensée et en paroles intérieures comme par des offrandes, des sacrifices et des jaculations168 que l'on fait vers la majesté de Dieu à leur intention.

165. De la religion.

166. Expression souvent citée par Mère Mectilde. On n'en saisit bien le sens qu'en la replaçant dans son contexte : Catherine de Gênes (Vie. chap. 32), « comme elle démontre avec une figure du pain mangé, comme se fait l'anéantissement de l'homme en Dieu » (édité à Lyon en 1610).

167. Rm 7, 24.

168. Oraisons jaculatoires : courtes invocations.

183

La troisième [forme de prière] se fait en pur esprit, tout remis et absorbé en Dieu ; ou quelquefois par une oeillade amoureuse, ou simple élévation à Jésus-Christ ; ou un simple souvenir des misères qu'on nous a recommandées ; ou en simple foi, se contentant que le bon plaisir de Dieu soit accompli en tout le monde, et particulièrement sur le sujet pour lequel on vous fait prier.xxxiv

Quand et comment faut-il prier ? Deux motifs nous obligent à prier Dieu et le prochain.

Pourquoi Dieu nous oblige-t-il de prier ? Parce qu'il prend plaisir de nous donner, afin, comme il dit dans l'Evangile : « que notre joie soit pleine »169. Il ordonna même à ses disciples de lui demander.

Que faut-il demander à Dieu ? La sanctification de son saint nomm, l'avènement ou établissement de son règne, et l'accomplissement de sa très sainte volonté. Vous pouvez demander tout ce qui regarde sa gloire. Pour le prochain, vous pouvez prier pour sa conversion, sa sanctification et pour demander les grâces et les vertus nécessaires à son salut, mais toujours par relation à la pure gloire de Dieu.

Quand faut-il prier ? C'est lorsque l'Esprit de Dieu nous presse, lorsque l'obéissance nous le commande, ou que notre prochain et nos obligations nous portent à cela. Quelquefois l'âme se sent pressée de faire des prières particulières pour les intérêts de Dieu, d'autres fois pour le prochain. Elle doit prier comme on la fait prier, se simplifiant et priant par obéissance et par amour de la gloire de Dieu ; quelquefois par charité et par compassion des afflictions d'autrui.

Comment faut-il prier ? Il faut prier avec amour et confiance, mais aussi avec une profonde soumission et avec respect des conduites de Dieu sur toutes choses, et particulièrement sur les âmes, prenant un singulier plaisir que la divine volonté s'accomplisse en toutes manières au Ciel, en la terre, aux enfers et partout.

Si vous me demandez quelle est la meilleure sorte de prière des trois que je vous propose, je vous répondrai qu'elles sont bonnes toutes trois. Mais la troisième est plus pure, qui distrait moins l'âme, et qui la retient plus intimement dans son

169. Jn 15, 11.

170. Mt 6, 9-10.

union. Ce qui est plus dégagé d'images, de représentations et d'espèces est plus convenable à une âme d'oraison.

Mais après tout, il faut prier comme Dieu nous fait prier. Et il faut que votre âme soit si dégagée de son opération et de son action qu'elle soit indifférente à toutes celles que Dieu la voudra employer. De sorte que quand Dieu ou l'obéissance vous fera prier vocalement, vous prierez avec liberté d'esprit. Car pourvu que vous fassiez ce que Dieu veut, vous devez être contente. Je dis ceci en passant pour vous faire voir que nous ne devons point avoir d'attache à nos pratiques intérieures, et que nous devons être toujours prêtes pour tout ce que Dieu veut.

Mais si vous me demandez comment vous devez prier pour l'ordinaire dans l'état où vous êtes, pour ne point violenter votre trait ou même [en] sortir, vous devez prier selon la troisième manière que je vous viens d'expliquer. Premièrement votre âme doit être dégagée de tous les intérêts humains, même dans toutes les créatures. Votre unique désir et affection est que Dieu soit glorifié dans toutes les créatures, qu'il y règne et qu'il y accomplisse ses desseins.

Voilà les trois motifs qui vous obligent de prier et que vous devez uniquement envisager par-dessus toutes autres vues d'intérêts, de compassion naturelle, etc.

Apprenez donc à prier en foi sans raisonner dans votre esprit.

Qu'est-ce que prier en foi ? C'est prier en silence, se contentant d'exposer ses besoins à Notre Seigneur, ou ceux de son prochain, et demeurer dans une ferme confiance en sa bonté qu'il y donnera les remèdes nécessaires xxxv: bref que sa charité éternelle y pourvoira, remettant de la sorte toutes choses amoureusement entre les mains de Dieu. Il en prendra soin infailliblement et nous donnera et à notre prochain ce qui nous est nécessaire.

Une âme qui marche dans la voie où Dieu vous a fait l'honneur de vous appeler ne doit plus avoir de choix ni de volonté pour elle, ni pour son prochain, et toute sa complaisance doit être de voir le bon plaisir de Dieu accompli. Or vous priez quelquefois, et ce n'est que l'amour-propre qui vous fait prier.

Ne priez donc plus que pour les intérêts de Dieu en vous et en votre prochain. Et quand il arrive quelque accident sur la terre, cela ne vous doit pas troubler ni surprendre, mais vous devez incontinent en ces fâcheux événements, tant à votre

185

égard qu'aux autres, adorer les secrets jugements de Dieu et les ressorts de sa sagesse et de sa science éternelle que vous ne pouvez comprendre. Et sans vous troubler ni inquiéter, vous devez souffrir que Dieu fasse ce qu'il lui plaira, en vous et en votre prochain, ne faisant autre chose que de vous complaire dans son oeuvre, quoiqu'elle répugne à vos sens. Et quand Dieu voudrait renverser tout l'univers, vous devriez être ferme et constante, n'estimant rien digne d'être que Dieu ; et par conséquent n'estimant rien tout le reste, il ne faut point s'affliger si Dieu l'anéantit.

Or vous pouvez encore prier intérieurement et sans aucun soin ni effort de votre part. L'on vous applique même quelquefois imperceptiblement à prier pour quelque affaire, ou pour une personne en particulier, ou pour autre chose. Pour lors, il ne faut point résister, ains prier comme le trait vous y engage. Cette sorte de prière est bonne, car c'est l'Esprit de Dieu qui vous fait prier. Lors donc que vous vous trouverez pressée de prier pour quelque chose, priez sans scrupule, mais toujours dans la vue ou dans l'intention des intérêts de Dieu. Mais pour l'ordinaire, priez en silencexxxvi, comme je vous viens de dire, et assurez-vous que ce silence crie bien haut, qu'il pénètre les Cieux171 et va jusqu'au coeur de Jésus-Christ. Priez donc de cette sorte.

Comment est-ce que vous satisferez aux obligations que vous avez de prier pour l'Eglise, pour les morts, pour les pécheurs, bref pour beaucoup de choses que l'on vous recommande actuellement ?

Je vous ai dit autrefois que comme chrétienne vous êtes membre de Jésus-Christ et que vous faites partie de son corps mystique qui est l'Eglise. Vous ne pouvez vous en séparer qu'en renonçant à Jésus-Christ et à votre baptême. Vous voilà donc éternellement liée à l'Eglise ; et dans cette union vous entrez nécessairement dans toutes ses intentions, bien que vous n'y soyez pas actuellement appliquée, et c'est une impuissance d'être autrement. Donc, ma fille, vous priez avec l'Eglise, pour l'Eglise et pour ses intentions. Et vous n'avez qu'à vous renouveler une fois le mois ou une fois l'année, disant à Notre Seigneur que vous vous renouvelez dans tous les intérêts et intentions de votre sainte Mère l'Eglise, pour le temps et pour l'éter-

171. Imitation de Jésus-Christ, L. III, chap. 21, 4.

nité, selon ses desseins et les obligations où le saint baptême vous assujettit, et que vous désirez avoir une intention éternelle à cet effet. Cela suffit une fois pour toute votre vie, si vous ne veniez à sortir de la sainte société des fidèles. Ne soyez donc point en scrupule. Si vous ne priez point distinctement, vous priez comme Dieu veut, cela vous suffit.

Vous serez encore bien aise de savoir comme il faut prier, lorsque votre prochain vous presse de lui promettre de prier Dieu pour lui ou pour quelque affaire. Vous devez intérieurement vous rendre à Dieu ou vous laisser à lui pour vous faire prier comme il lui plaira, sans vous empresser quelquefois par complaisance ou compassion naturelle. Et s'il faut répondre à ces personnes-là, vous pouvez dire que vous vous donnez à Notre Seigneur pour prier pour cela. Ne vous engagez jamais de prier Dieu pour personne, mais dites que vous ferez ce que vous pourrez, laissant toujours à Dieu la liberté de vous faire faire ce qui lui plaira.

Souvenez-vous que vous n'êtes point à vous et que vous êtes dans l'impuissance de disposer de vous en aucune manière, ni pour peu que ce soit. Mais ayez la volonté de faire ce que Dieu veut que vous fassiez, sans même le connaître. L'union que vous avez avec la très sainte volonté de Dieu vous fait faire beaucoup de choses en Dieu qui lui sont agréables et que vous ne voyez point.

Quand Dieu fait prier l'âme, sa prière est toujours efficace ; mais quand elle prie par son propre esprit, pour l'ordinaire c'est inutilement.

Soyez toujours simplifiée devant Dieu, avec intention d'y être et d'y prier selon ses desseins. Voilà une bonne et sainte disposition de prière.xxxvii

Pour les prières vocales, il faut dire celles qui sont d'obligation avec une intention simplifiée ou simple application à Dieu. Il est bon de dire le Pater tous les jours par simple obéissance à Jésus-Christ notre divin Maître qui nous l'a appris. Il le faut réciter selon ses intentions, avec grand respect et dans le désir qu'il ait toute l'efficace que Notre Seigneur a eu dessein de lui donner lorsqu'il nous l'a enseigné.

Il faut dire le Credo pour vous renouveler dans la foi et dans l'Eglise ; le dire avec respect et entière croyance des mystères qu'il contient.

Il faut dire le Confiteor pour vous confondre devant la grandeur et majesté de Dieu, comme criminelle et pécheresse :

187

et par cette prière vous en faites une confession publique de. vant Dieu et ses Anges. Donc, il le faut réciter avec une profonde humilité.

Il faut dire l'Ave Maria pour honorer le mystère de l'Incarnation et adorer la maternité de la très Sainte Vierge, et aussi l'honorer comme votre bonne Mère et Maîtresse, et dans le désir de vous donner à elle, pour être par elle rendue à Jésus-Christ son Fils.

Vous pouvez dire encore d'autres prières selon que vous en aurez la dévotion, mais celles-ci que je vous ai spécifiées ne seront point négligées tous les jours.

n° 1324

INSTRUCTION SUR LA CONFESSION

1. La meilleure disposition que vous puissiez avoir, c'est une profonde humilité qui vous fait voir que vous êtes pécheresse et qui vous abaisse devant la majesté de Dieu, vous confessant criminelle et digne des rebuts éternels de Dieu.

2. Vous jetterez les yeux sur Notre Seigneur Jésus-Christ dans le Jardin des Olives où il prie et produit devant la majesté de son divin Père la plus parfaite contrition qui se puisse jamais produire, et la seule digne de satisfaire à la Justice de Dieu.

3. Voyez comme Notre Seigneur a été en cette posture d'abaissement en qualité de criminel. Il n'a point péché en sa personne, il ne le pouvait pas ; mais il s'est chargé de nos crimes et se présente devant son juge comme criminel. Et en cette vue entrez dans l'abîme de votre néant.xxxviii

Lorsque vous allez à confesse, voyez-vous criminelle par la réelle commission d'un grand nombre de péchés. Voyez que vous êtes en effet pécheresse, mais que Notre Seigneur Jésus-Christ n'en prend que la qualité et la ressemblance pour se présenter devant son Père irrité contre les pécheurs et le péché. Et en cette vue il le rejette et le condamne comme s'il avait commis tous les péchés des hommes172. Car le rebut et les châti-

172. Rm 5, 8.

ments que nous avons mérités, Jésus-Christ les reçoit et les porte pour nous ; de manière que l'Ecriture dit qu'il a été rejeté de Dieu comme objet de son ire et de sa justice173. Et le Père éternel a déchargé toute sa colère sur lui, comme si réellement il eût commis tous les crimes dont il s'était chargé par le grand amour qu'il porte aux hommes, ou plutôt le grand zèle qu'il avait de la gloire de son divin Père, sachant bien que nul ne la pouvait réparer que lui.

Et on peut dire selon l'Ecriture sainte que Dieu a tiré vengeance de tous les péchés sur son Fils et qu'il l'a non seulement rejeté comme pécheur, mais condamné comme criminel de lèse-majesté divine174. Il le réprouve et ne le peut souffrir en une certaine manière ; non en qualité de son Verbe, mais en qualité de pécheur, à cause qu'il s'était revêtu de nos péchés. Et le Père éternel haïssant le péché d'une haine éternelle traitait Jésus-Christ comme s'il eût été le péché même175. Et Notre Seigneur Jésus-Christ souffrait une peine si extrême dans les rebuts que Dieu faisait de lui comme pécheur qu'il témoigna sa douleur par ces divines paroles : « Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que je le boive, votre volonté soit faite »176. Il désirait que Dieu se contentât de son extrême agonie ; mais la sentence de mort était prononcée : il fallait mourir, parce qu'il s'était rendu pleige177 pour les pécheurs et que l'Ecriture nous dit : « Aussitôt que vous péchez, vous êtes assujettis à la mort»178.

Or en cette disposition de criminel que Jésus-Christ portait devant la majesté de son Père, il était encore affligé des rebuts de toutes les créatures. Car chacune selon sa capacité conspirait sa mort pour se venger du déshonneur que le péché fait à Dieu. De sorte que notre divin Sauveur souffrait des humiliations de la part de son Père qui le condamnait et de la part des créatures qui le rejetaient. O humiliation incompréhensible ! Oh ! que saint Paul dit une parole profonde, parlant de Jé-

173. Ga 3, 13 ; Mt 27.46.

174. Cette phrase, extrêmement violente. a été supprimée dans les copies méme les plus anciennes, sauf D. 12 qui l'a adoucie. On trouve des pensées analogues dans Bérulle, Oeuvres complètes, T. II. p. 875 de l'édition princeps et chez sainte Marguerite-Marie, Blanchard. T. II. p. 164.

175. 1s 53, 6-8.

176. Lc 22.42.

177. Pleige : se rendre caution pour quelqu'un. 178, Rm 5, 12.

sus : « Exinanivit »179, il s'est anéanti soi-même. Oui, par son amour il s'est fait l'opprobre et le rebut de Dieu et des hommes. Un Dieu revêtu de la forme d'un pécheur, chargé de tous les crimes du monde ! Oh ! quel abîme, qui le pourra comprendre ?

C'est pour vous que Jésus-Christ votre divin Maître porte cette qualité, c'est pour vous qu'il est rebuté et condamné : c'est ce que vous et moi devons être, et cependant nous n'y pensons pas. Réveillons-nous du sommeil de l'ignorance et entrons dans l'usage d'une contrition si sainte que Jésus-Christ a pratiquée et exercée pour nous. Oui, c'est pour vous qu'il est contrit et humilié. Il porte les rebuts de Dieu que vous méritez. Il fait la pénitence que vous n'êtes pas capable de faire, toute votre suffisance n'étant pas dans le pouvoir d'y satisfaire.

Voilà Jésus-Christ qui est votre caution, il gémit pour vous, il satisfait pour vous. Il faut que vous entriez dans ses dispositions saintes et que vous ne rendiez pas inutile ce qu'il a fait pour vous, ni vaine la grâce qu'il vous a méritée. Et vous devez, allant à confesse, porter quelque disposition qui vous fasse avoir rapport à celle de Jésus et vous revêtir de sa contrition, de l'horreur très sainte et parfaite qu'il a eue du péché, de l'humiliation profonde où il le réduit devant la grandeur de Dieu son Père. Contrition et humiliation si profonde qu'il en demeure prosterné et comme tout à fait anéanti.

C'est comme vous devez être aux pieds du prêtre qui vous représente Jésus-Christ. Vous y devez porter un esprit humilié et confus et un coeur brisé d'horreur et de regret de vos péchés /180. Non que je prétende de vous ordonner d'en avoir les sentiments sensibles ; mais je désire que vous vous appliquiez aux saintes dispositions de Jésus et que, vous tenant à ses pieds, l'esprit élevé à ce qu'il a fait et souffert pour vous dans le Jardin des Olives. vous vous abandonniez à sa grâce et à son amour pour en recevoir quelque effet. offrant au Père éternel la contrition de son Fils. Car c'est pour vous qu'il a été contrit, c'est pour vos péchés181. Donc il vous faut exposer à lui, pour que votre âme soit remplie de la grâce de sa sainte contri-

179. Ph 2. 7.

180. Ps 50.

181. Is 53. 5.

tion182 ; ou si vous aimez mieux : vous tenir en silence et en respect, dans une disposition humiliée qui vous remette toute dans Dieu. Vous voyez Jésus-Christ contrit en vous qui satisfait pour vous ; et pour lors Jésus-Christ hait et déteste en vous le péché, et par lui vous vous en séparez.

Ne brouillez point votre esprit sur ces dispositions : ce que vous ne comprenez pas présentement, la lumière de Dieu vous le fera entendre quand il lui plaira. Ayez seulement désir de porter en votre âme une petite participation des dispositions saintes de Jésus, et désirez que tout ce que vous faites et que vous dites ait rapport à Jésus. Opérez autant que vous pourrez comme Jésus, séparée comme lui de tous les intérêts humains pour ne rien regarder que la pure gloire de Dieu son Père.

Souffrons et mourons dans ce pur désir de contenter Dieu et de glorifier Dieu. Que les créatures nous déchirent, à la bonne heure, pourvu que Dieu soit content. Souffrons que Dieu détruise notre orgueil comme il lui plaira. Oui mon Dieu, je le veux et me laisse à la puissance et aux inventions adorables de votre amour pour cela. Je suis votre victime, il y a si longtemps, rendez-moi digne d'être consommée, rendez-moi digne de votre croix, de votre mort et de votre éternité.

Voilà trois mots de ce que nous vous avons dit, pour vous en rafraîchir la mémoire et vous faciliter les moyens d'entrer dans les vérités saintes que l'Eglise vous apprend tous les jours.

Je suis bien humiliée de voir que Notre Seigneur vous assujettit à les recevoir d'une des plus horribles pécheresses qui ait jamais été sur la terre. Faites usage de cette humiliation qui en me confondant vous humilie aussi. Je voudrais bien qu'il plût à Notre Seigneur vous manifester ses divines volontés par un autre, car en vérité je suis indigne d'une telle mission. Le néant et l'enfer sont mon partage, et tant s'en faut que je puisse trouver mauvais qu'on me blâme et qu'on parle de moi. Tout le monde a le droit de me calomnier, de me mépriser et de me fouler aux pieds mais bien plus : de me supplicier. J'ai assez commis de crimes pour cela. Hélas ! si un seul péché mérite l'enfer, jugez quel châtiment je mérite ! Oh que Dieu est plein de miséricorde et d'amour ! J'aime 'd'un amour sensible ceux qui m'humilient. je leur ai très grande obligation :

182. Cf. l'acte de contrition redizé par Mère Mectilde. Daoust, Mère Mectilde du Saint-Sacrement, Téqui. 1979. p. 103.

191

1. Parce qu'ils rendent hommage à la vérité, disant que je suis orgueilleuse et toute pleine d'ambition : il est vrai, et ma vanité le dissimule. Mais à quoi bon cacher nos malices ? Jésus ne pénètre-t-il pas au plus profond de nos coeurs ? J'ai quelque petite espérance que puisqu'il découvre le poison, qu'il ne nie tuera pas. Il aura pitié de mon âme en m'humiliant. Je l'adore et me soumets à ses divines lois en toutes manières.

2. Les personnes qui nous exercent ou affligent font l'oeuvre de Dieu en nous. Ce sont des instruments en sa divine main par lesquels il nous taille, il nous façonne, il nous renverse et il nous perfectionne comme il lui plaît. O heureuse l'âme qui voit tout et reçoit tout dans la lumière de Dieu ! mais elle n'en peut être troublée. Les événements ne la surprennent point, elle est en quelque manière inébranlable.xxxix

Aimons Dieu et nous abandonnons sans réserve entre ses mains, et puis laissons-le faire. Ne faisons plus rien que de le regarder d'un regard d'amour et de complaisance, sans jamais trouver à redire à ses conduites, ni aux ordres de son bon plaisir.

Gardons le silence dans les occasions, et gardons-nous de nous trop justifier. Jésus est accusé et il est innocent, et cependant l'Evangile remarque qu'il ne dit mot. « Jésus se taisait »183. Apprenons à nous taire dans les humiliations et dans les contradictions. Réjouissons-nous que Dieu fait son oeuvre en détruisant celui de notre amour-propre.

Ne vous affligez point de vos faiblesses intérieures ; faites-en des sujets d'humiliations et gardez-vous bien de détruire par violence votre activité : ce serait tout perdre. Il faut que vous ayez une grande patience à vous supporter dans vos misères. Votre esprit vous tranchera bien de la besogne. N'allez point si vite, tenez toujours l'humilité en main dans tous les événements intérieurs ou extérieurs qui voudraient vous troubler ou inquiéter sur votre peu de vertu et de fidélité.xl Abaissez-vous et connaissez votre indignité. J'avoue que c'est votre faute ; si c'est votre faute vous méritez bien cette punition. Si c'est que la grâce ne vous a point prévenue : vous n'en êtes pas digne. Avez-vous pour cela lieu de vous plaindre ? Dieu vous doit-il la grâce et le reste de ses miséricordes ? En vérité, il vous les donne, mais il ne les vous doit point. C'est par amour qu'il

183. Mt 26.63. 192

vous prévient ; et quand il vous laisse, c'est pour vous faire connaître le fond de votre misère. Ne vous plaignez jamais, sinon de ce que Dieu ne vous châtie pas selon vos mérites. Portez cette vérité en fonds : Dieu ne me doit rien en rigueur de justice que l'enfer, et s'il ne m'abîme point à tout moment, c'est l'excès de sa divine miséricorde qui me soutient. Gravez cette sentence dans le fond de votre coeur ; et lorsqu'elle y sera bien imprimée, vous goûterez par expérience que toutes les conduites de Dieu sont amoureuses, bien qu'elles semblent à la nature quelquefois bien rigoureuses.

Si vous êtes en activité, supportez vos impatiences, et après que vous avez fait quelque diligence pour vous captiver en la présence de Dieu, si vous n'en pouvez venir à bout, il faut faire de nécessité vertu, et souffrir que vous soyez le bourreau de vous-même pour vous crucifier.

Quand votre activité devance votre intention, il suffit, lorsque vous vous réveillez de votre promptitude naturelle, d'élever votre pensée à Dieu pour désavouer en silence, c'est-à-dire du fond de votre volonté, les saillies naturelles de votre esprit. D'un mal n'en faites pas deux en vous inquiétant. La saillie naturelle peut être de pure faiblesse qui n'est pas beaucoup criminelle devant Dieu, et l'inquiétude qui la suit est orgueil et amour-propre.

Quand vous voyez votre activité en campagne, que vous ne la pouvez retenir, faites un acte de désaveu de toutes les productions qu'elle vous fera faire, et attendez humblement le retour de votre calme, que Dieu vous renverra sans doute bientôt après cette petite tempête. Dans votre grande activité ne faites point tant d'effort pour l'arrêter, car c'est une double imperfection que vous commettez. Il faut seulement vous souffrir vous-même en patience et élever de temps en temps votre pensée à Dieu pour inviter tacitement la force et la puissance de sa grâce pour l'arrêter ; et puis continuez ce que vous avez à faire sans vous troubler.xli

Il me semble que j'avais encore un point à vous répondre, que vous m'aviez demandé ce matin. Notre Seigneur permet que je ne m'en souvienne point pour vous mortifier par cette privation, et vous donner lieu de recourir à sa bonté dans vos besoins. Je le prie qu'il vous vivifie de son saint amour, qu'il vous donne un grand coeur pour bien souffrir et une fermeté inébranlable pour vous laisser crucifier.
N° 1879

193

SUITE DE LA CONFESSION

J'ai un mot à vous dire sur vos confessions passées. Gardez-vous du scrupule et de l'inquiétude secrète. Dieu est bon et miséricordieux aussi bien que très juste. Ne vous troublez point de votre vie passée, soyez-en humiliée et mortifiée, mais non gênée. Il faut voir la source de votre douleur. Et pourquoi voulez-vous vous confesser de ces choses que vous avez déjà tant épluchées ? Il faut mettre votre esprit en repos, sans le tirer de la douleur qu'il doit avoir de ses infidélités et du mauvais usage qu'il a fait du sang de Jésus-Christ.

Courage, faites aujourd'hui comme le pauvre prodigue, figure de l'âme pécheresse, qui s'était éloigné de Dieu par le péché. Retournez comme lui à votre Père, dites-lui « Mon Père, j'ai péché contre le ciel et contre vous, je ne suis pas digne d'être votre fils, faites-moi un de vos mercenaires »184.

Oh ! que l'humilité est puissante pour attirer les miséricordes du Ciel ! Vous savez comme elle a attiré le Verbe du sein du Père pour le revêtir de notre chair dans les entrailles virginales de Marie. L'humilité a une puissance que les autres vertus n'ont pas ; elle charme Dieu et le fait oublier de sa grandeur et même de sa justice, pour combler de grâce le pécheur qui porte en sa présence un coeur contrit et humilié. Il est impossible qu'il se puisse empêcher de venir à la rencontre de cette âme prodigue. Comme le Père de cet enfant de l'Evangile, il le reçoit à miséricorde, il lui donne la première robe, il l'embrasse et lui donne le baiser de paix, ou de réconciliation. Il lui donne l'anneau en main et des souliers à ses pieds ; bref il fait tuer le veau gras en signe de réjouissance ; et tout le Paradis est en allégresse pour un pécheur converti185.

Convertissons-nous, mon enfant, retournons à notre divin Père. Demandons-lui d'être les esclaves de ses serviteurs et ser-

184. Lc 15, 18-19, 21.

185. Lc 15,7.

194

vantes. N'étant pas dignes de la qualité d'enfants, prenons l'humiliation pour la nôtre et n'en sortons jamais ; quelque grâce et quelque élévation que nous puissions avoir, demeurons dans le néant. Cette âme que je vous ai dit que Notre Seigneur commanda d'y entrer, depuis ce temps-là n'en est sortie ; et le néant d'être et le néant de péché, c'est sa noblesse originaire ; l'ire de Dieu et la damnation éternelle sont ses apanages186. Jugez de notre extraction, de nos dignités et de nos excellences. Sur quoi établir vos élévations ? Il faut être ridicule et hors de raison pour n'être éternellement confondues, puisque nous n'avons rien en nous que sujets d'horreur et d'humiliation. J'aime fort de vous voir humiliée, mais gardez-vous de l'inquiétude et de l'empressement. Demeurez paisible dans l'esprit de componction187.xlii

Pour votre confession, il ne faut point vous gêner. Allez simplement et confidemment. Vous vous accuserez fort brièvement de toutes les choses que vous aurez mouvement de dire, mais plus particulièrement : de l'estime secrète que vous avez eue de vous-même, des productions de votre orgueil, de votre amour-propre, de la vanité et de la recherche de vous-même en toutes ou la plupart de vos actions ; de n'avoir point rendu à Dieu l'honneur que vous lui devez, de ne vous être point référée à lui et point recherché sa pure gloire en toutes vos actions, vos paroles et intentions ; de vous être souvent produite dans les

186. Probablement, Marie des Vallées, mystique normande, soutenue par saint Jean Eudes et plusieurs spirituels tels que Jean de Bernières, cf. E. Dermenghem, La Vie admirable et les révélations de Marie des Vallées, Plon, 1926.

187. Un autre manuscrit, N. 260, ajoute le texte ci-dessous qui complète très justement la pensée de Mère Mectilde : (texte emprunté à Condren, lettre 134 de l'édition Auvray).

« Confessez-vous sans faire paraître à votre confesseur la peine que vous y avez, que le moins que vous pourrez ; donnez-vous à Dieu pour vous confesser simplement et confidemment, en esprit d'humilité et de contrition ; ce que vous aurez point en l'esprit de vos fautes, et si votre esprit se brouille et si vous vous trouvez empêchée de continuer, finissez, sans attendre davantage, en disant quelque chose des fautes ordinaires où nous tombons par infirmité comme : amusement ou inutilité (je m'accuse des impertinences de ma vie passée, des amusements et inutilités de mon esprit, de tous mes défauts d'humilité) ; et si vous vous trouvez dans l'empêchement dès le commencement auparavant que d'avoir rien dit, commencez ainsi : " Je m'accuse de plusieurs pertes de temps en ma vie, de plusieurs défauts de résignation à Dieu, de force et de courage à suivre ses voies, et de mes fautes inconnues ", et si l'empêchement continue vous finirez, sinon vous direz ce qui vous viendra en pensée.

Pour les travaux que vous portez en votre esprit, que cela ne vous mette point en peine, c'est une persécution que vous souffrez en laquelle il faut se confier en Dieu et lui être fidèle et, bien que souvent il vous semble que votre volonté soit sur-

195

créatures ; d'avoir recherché leur agrément et leur approbation en vos actions. Bref, de n'avoir point vécu dans l'esprit et la grâce qui vous a été donnée au baptême ; de l'avoir profanée une infinité de fois, n'y faisant aucune application, n'approfondissant point les obligations auxquelles vous êtes engagée ; d'avoir eu des attaches aux créatures ; de vous être plus occupée d'elles que de Dieu, d'avoir étudié les moyens de leur complaire, d'avoir consommé beaucoup de temps en vanités, en inutilités et en des discours superflus.

Enfin vous direz ce que le Saint-Esprit vous imprimera en la pensée, et le tout pour rendre hommage à la justice et à la sainteté de Dieu, non pour votre intérêt particulier. Regardez-vous comme criminelle aux pieds de la Majesté divine, et vous souvenez que vos ignorances vous dérobent la plupart de vos crimes ; c'est pourquoi vous les devez confesser et vous croire coupable de beaucoup de péchés que vous ne pouvez connaître à raison du fonds de votre impureté qui ne produit que des ténèbres, et qui se justifie soi-même par une maudite inclination que le péché a mise en nous.

Je vous ai dit ce matin en deux mots qu'il faut recevoir la pénitence que Dieu vous impose pour vos infidélités avec une profonde humilité, respect et soumission à sa justice. Quand. vous êtes tombée en quelque défaut, il faut prendre garde de n'aller point à confesse pour se tirer de la peine et de l'humiliation.

Pour la confession, soyez sincère et très ponctuelle. Ne vous épanchez point à des inutilités ou sur des matières qui ne concernent point ce sacrement. Le démon fait son possible


montée, cela n'est pas véritable, et vous qui êtes dans la peine n'en sauriez juger. C'est pourquoi il faut que vous suiviez la règle que l'on vous a donnée qui est que, quand vous ne serez pas assurée suffisamment pour pouvoir jurer d'avoir consenti à l'impression maligne par l'espace d'un demi-quart d'heure, avec entière liberté, vous ne vous en confessiez pas : mais seulement y renoncez devant Notre Seigneur, de coeur et de bouche, ou par quelques actes extérieurs comme : ou baiser la terre, ou faire un signe de croix ; et ne laissez pas de communier, vous devez demeurer en repos dedans votre résolution qui vous est donnée, car vous êtes déchargée devant Dieu en la suivant.

Recevez la pénitence que Dieu vous impose pour vos infidélités avec une profonde humilité, respect et soumission à sa justice, et vous mettez en état de recevoir l'absolution qui n'est autre chose que la vertu du sang de Jésus-Christ qui nous en est appliquée, lequel répare en nos âmes les désordres du péché et nous réunit avec Dieu, nous rendant digne de ses grâces. Jésus-Christ a satisfait pour nous en plénitude, mais il veut que nous fassions quelque petite chose de notre part, comme un petit tribut que nous payons à sa justice, nous reconnaissant redevable à sa miséricorde. et notre pénitence doit être toujours unie à celle que Jésus-Christ a fait pour nous, soit en sa vie, soit en sa mort. mais singulièrement au jardin des Olives ».


pour vous jeter dans les égarements et vous faire perdre la grâce qui vous y est donnée. Il faut vous appliquer à vos péchés, les confesser succinctement en la pure vue de Dieu.

Confessez-vous simplement comme vous en avez lumière et facilité sans vous mettre en peine de pouvoir dire ce que vous souffrez en fond. Il faut souffrir en humilité et patience, sans y pouvoir remédier de vous-même. Ne vous examinez pas tant, car vous ne pourriez rien trouver en vous qui ne fût impur. Toute pureté et sainteté est en Jésus-Christ. Retournez à votre Père avec l'enfant prodigue, et vous contentez de toute pauvreté et abjection188, et puis quand il plaira à Notre Seigneur, il vous fera quelque nouvelle grâce.

n° 841


DE LA SAINTE COMMUNION ET DES INTENTIONS QUE L'ON DOIT PORTER EN FOND POUR LA SAINTE COMMUNION 189

Ma chère fille, il y a longtemps que je m'étais proposé de vous écrire quelles devaient être nos intentions à la sainte communion. Non que je prétende vous obliger de les avoir toutes distinctes dans votre esprit, mais bien de les porter dans le fond de votre coeur, ayant intention de vous rendre à Jésus-Christ pour ces effets.

Nous devons aller à la sainte communion :

I. Pour que Jésus-Christ soit en nous tout ce qu'il y doit être, et que nous cessions d'y être ce que nous y sommes, à dessein de nous perdre en lui et nous priver de nous-mêmes.

2. Pour qu'il vienne y détruire tout ce qui est contraire à Dieu, comme la génération d'Adam et sa rebellion, le règne du péché, l'empire du Diable et la propre domination que nous y usurpons par amour-propre ; y faisant une exacte justice, crucifiant le vieil homme et y établissant le règne de Dieu. Et ainsi nos imperfections nous doivent faire désirer la communion, pour le zèle que nous devons avoir de les détruire.

188. R.B., chap. VII, 6e degré d'humilité.

189. Lettre inspirée d'un texte de Condren, lettre 18, recueil des lettres de Condren, édition de 1643. Lettres du Père Charles de Condren, Auvray et Jouffrey, 1943.

197

3. Les dons et grâces qu'il plaît à Dieu de nous communiquer nous doivent induire à communier, afin qu'il plaise à Notre Seigneur de venir en nous prendre possession de ses dons et de ses grâces, et que par notre malignité nous ne venions pas à en usurper le domaine et nous en approprier l'usage.

Nous devons aller à la sainte communion par obéissance au désir qu'a Jésus-Christ de nous recevoir en lui, dans son être et dans sa vie, détruisant l'être et la vie présente, et nous faisant être ce qu'il est, à savoir : vie, amour, vertu pour Dieu. Et aussi par obéissance à la volonté qu'il a de nous avoir pour membres dans lesquels il soit vivant pour son Père, et par lesquels il soit opérant temporellement, comme il a été en sa vie mortelle.

Nous devons premièrement obéissance aux désirs que Jésus-Christ a de nous recevoir et posséder ; car la communion ne nous donne pas seulement Jésus-Christ, mais aussi elle nous donne à Jésus-Christ, puisque lui-même dit que qui le reçoit demeure en lui190. Or ce désir qu'il a de nous recevoir est aussi grand comme sa charité est grande, et comme tous ses mérites lui donnent de droits en nous et d'amour pour nous.

C'est grande infidélité de manquer à ces désirs de Jésus-Christ si nous n'avons quelques témoignages d'empêchements qui ne dépendent point de nous.

N° 636


DANS QUEL ESPRIT NOUS DEVONS COMMUNIER

Ma très chère fille, il faut oublier vos années passées et ne faire mention de vos jours que dès le moment que vous commencerez à servir Dieu. Que tout le reste soit anéanti en sa divine présence, puisque toute votre conduite lui est contraire. C'est donc maintenant que vous devez être toute à Dieu et par conséquent toute séparée des créatures. C'est dès ce moment que vous devez commencer une nouvelle vie : vie qui honore Dieu, vie qui vous anéantisse en Dieu, vie qui vous tire des habitudes passées pour vous revêtir des dispositions de Jésus-Christ.

190. Jn 6, 56.

Je désire que cette nouvelle année en laquelle vous allez entrer soit une année de mort et de vie : de mort dans vos sens et dans votre esprit ; de vie dans la grâce et dans Jésus. Que vous n'ayez plus de vie en vous que pour la perdre et consommer en Dieu, portant en vous les paroles de l'Apôtre : « Vous êtes morts et votre vie est cachée en Jésus-Christ dans Dieu »191.

Oh ! quel bonheur de vivre en Dieu, de ne vivre plus dans la corruption de nos sens ni dans l'infection des créatures ! Oh ! quelle grâce d'être actuellement en Dieu, vivre de sa vie et être faite une même chose avec lui par l'étroite union dans laquelle il nous attire ! Avoir Dieu en soi et être dans Dieu même ; se reposer en lui et opérer par lui. En un mot, être par grâce et par amour ce qu'il est par nature.xliii Faudra-t-il que le monde, les créatures et vous-même vous privent d'un si suprême bonheur, voire d'un bien infini dont l'excellence est incompréhensible ? Quelle fortune voulez-vous plus grande ? C'est être tout ce qu'on peut être, et après Dieu y a-t-il rien de grand ? Où sont les monarques de la terre qui élèvent leurs sujets à la couronne ? Ils n'en gratifient pas même leurs plus intimes amis. Oh ! que la cour de notre divin Maître est bien autrement ordonnée que celle des rois de la terre ! En Dieu tout est grand, tout y est adorable, tout y est magnifique, tout y est précieux. Enfin tout y est Dieu avec lui-même. Ses serviteurs sont rois, ses mignons sont unis à sa grandeur et participent non seulement à sa couronne, mais à ses perfections divines, et sont faits une même chose avec lui.

« Servir à Dieu, c'est régner ». Bienheureuses les âmes qui ont l'honneur d'être en sa cour, et bienheureux à jamais ceux qui sont trouvés dignes d'être ses serviteurs.

« Là où je suis, dit Jésus, mon serviteur y sera aussi »192. Soyez fidèle servante d'un si bon Maître, n'ayez point de regret de vous abandonner toute à lui. Renouvelez-vous à son service, mais d'une bien autre manière que du passé. Hélas ! vous vous êtes souvent donnée à lui, mais votre sacrifice et votre oblation n'étaient pas entiers. Vous étiez trop engagée dans vous-même, dans les créatures et dans vos intérêts. Vous n'étiez pas libre pour offrir à Dieu uniquement la victime ; vous la sacrifiiez d'une main, et la retiriez de l'autre. Et quand vous la condam-

191. Col 3, 3.

192. Jn 14, 3 et 17, 24.

niez à la mort d'une sorte, vous lui donniez vie en une infinité de manières, d'une autre. Voilà comme vous vous êtes moquée de Dieu.

Il est vrai que vous étiez du passé dans les ténèbres. Mais à présent que Dieu vous éclaire de sa lumière, serez-vous aussi infidèle que du passé ? Aurez-vous toujours vos intérêts devant les yeux, les craintes humaines, et la satisfaction de vos sens et de votre propre esprit ? Non, je condamne avec Jésus-Christ tout cela à la mort ; il faut nécessairement commencer une nouvelle vie.

Et si vous me demandez de quelle vie vous devez vivre désormais, je vous réponds que ce n'est pas de la vie des bonnes âmes, ni des anges, ni même de la vie des saints, mais de la vie pure et sainte de Jésus. Vos années doivent être une suite des années de Jésus, et par conséquent votre vie une suite de sa vie. Il faut, comme vous enseigne saint Paul, accomplir en vous ce qui manque à la Passion de Jésus193. Qu'est-ce à dire, sinon que comme membre de son corps vous soyez anéantie, crucifiée, morte et ressuscitée avec lui. Que toutes vos opérations soient donc les opérations de Jésus en vous, que vous les opériez par son Esprit, par ses dispositions et pour ses mêmes intentions. Il ne faut plus rien voir en vous que Jésus : que vos pensées soient des pensées de Jésus, vos paroles des paroles de Jésus, vos œuvres des oeuvres de Jésus, et avec Jésus, entrez en esprit et par désir dans ses dispositions saintes pour agir comme lui. C'est dans son esprit que vous devez communier.

Puisque nous sommes tombées sur ce point, je vous dirai ce qu'il faut faire dans l'état présent. Or comme du passé vous avez toujours été remplie des vues de vous-même, il faut désormais entrer en d'autres dispositions. Il ne faut plus communier pour vous, ni pour ceci, ni pour cela, mais pour le seul Jésus-Christ. Vous pouvez bien prier pour les besoins de tout le monde et les vôtres mêmes ; mais il faut apprendre à communier comme Dieu et sa grâce vous y obligent présentement. Et votre préparation sera de n'être rien, de n'avoir rien, de ne désirer rien, de ne pouvoir rien, ains seulement d'y porter une disposition d'un abandon total de vous-même, vous laissant à la puissance de Jésus au très saint sacrement pour être revêtue de ses miséricordes et de lui-même, comme il l'entend et non selon vos propres lumières ni l'appétit de vos sens.xliv

193. Col 1, 24.

Commencez d'entrer dans le dégagement et dans le vide de vous-même. Ne voyez plus rien que Jésus et ses intérêts ; anéantissez tous les vôtres. Que votre plus ordinaire disposition soit une disposition de mort à tout ce qui vous peut donner vie en vous-même. Vous n'êtes, du moins vous ne devez plus rien être en vous, ni pour vous. Vous êtes à Jésus, laissez-vous donc toute à lui. Si l'arbre lui appartient, ne lui dérobez pas les fruits.xlv Rendez-lui tout, fidèlement, et agréez qu'il vous anéantisse.

[Que] votre principal motif à la sainte communion soit de vous rendre à Jésus, de lui donner la liberté en vous d'y faire tout ce qui sera de son bon plaisir, sans vous envisager vous-même ni l'intérêt de votre propre perfection. Vous avez tant vécu et communié pour vous en votre vie passée, vivez et communiez désormais uniquement pour Jésus, pour son plaisir, pour ses desseins et pour ses intentions.

Communiez pour adhérer au dessein et au désir qu'il a de vous voir toute à lui, de voir régner son amour en vous, de vous unir à lui et de vous faire une même chose avec lui. A la communion vous êtes nourrie de Dieu même, pour vous apprendre comme votre âme ne doit plus se substanter des choses de la terre, que puisqu'elle est nourrie des viandes divines, il faut qu'elle vive d'une vie divine, sans se plus rabaisser dans les créatures ni dans les sens. Il faut vivre comme Jésus-Christ a vécu pour son Père ; et le dessein de Jésus est que vous viviez de lui et pour lui194.

Il n'est pas besoin que vous formiez toutes ces pensées et ces intentions avant que [de] communier ; il suffit que vous les ayez dans le fond de votre esprit. Et sans vous remplir ni multiplier, communiez simplement pour Jésus. Remarquez, je dis : pour Jésus, et non plus pour vous, non plus pour votre perfection ; mais pour que Jésus soit vivant et régnant en vous, que vous rentriez par lui-même en lui, et que ses desseins soient accomplis en vous, vous laissant de cette sorte abandonnée très simplement à son bon plaisir.

Qu'il vous tourne comme il lui plaira : qu'il vous élève, qu'il vous abaisse ; qu'il vous donne, qu'il vous ôte ; qu'il vous caresse, qu'il vous rebute ; qu'il vous mette en lumière, qu'il vous tienne en ténèbres ; qu'il vous donne des douceurs qu'il

194. Jn 6,57.

201

vous donne de l'amertume ; qu'il vous reçoive, qu'il vous délaisse ; que vous ressentiez de la joie, ou de la tristesse ; que vous soyez sensible ou insensible, dans l'abondance ou dans la disette, tout vous doit être indifférent. Toutes ces choses ne font point la parfaite union, et Dieu ne s'arrête point à ces petites dispositions. Il n'y descend point. Tout cela se voit et se reçoit dans les sens ; c'est pourquoi ce sont des effets bien souvent de nous-mêmes en nous-mêmes ; et si vous y faites trop de réfléchissement, vous désisterez de la pureté de grâce où vous devez entrer.

Dieu fait ses ouvrages en l'âme au-dessus des sens ; et bien souvent le fond de l'esprit, que l'on appelle cette portion suprême de l'âme, ne les connaît pas. Il faut demeurer anéantie et très simplement abandonnée à l'opération de Dieu ; bien que vous ne la connaissiez point, vous y devez respect et acquiescement, trouvant bon que Dieu fasse son oeuvre en vous au-dessus de vous-même. L'impureté de notre fond oblige Dieu d'agir de la sorte, autrement son oeuvre serait actuellement souillée.xlvi Nous devons même désirer que tout ce que Dieu fait en nous, par sa miséricorde, demeure en lui ; afin que nous ne détruisions point son oeuvre.

Oh ! que d'impureté dans la créature ! Si Dieu vous laissait la puissance de mettre la main à son ouvrage, vous perdriez tout. Votre malignité en ferait des profanations étranges. Vous êtes aveugle, laissez-vous conduire à l'Esprit de Jésus. Ne désirez rien, ne demandez rien, ne cherchez rien, n'aimez rien, soyez vide, et Dieu vous remplira de lui-même.xlvii

Il veut que vous soyez fidèle à la leçon qu'il vous fait. Il vous ouvre le chemin de vie et il vous donne quelque petit secours pour y être conduite. Profitez du temps et des moyens ; l'un et l'autre vous manqueront. Ne les négligez point si vous ne voulez vous mettre en hasard de périr dans vous-même.

Après la sainte communion, demeurez en silence, en foi, en respect et en amour au-dessus de vos sens. Ne vous étonnez point de ne rien sentir, de ne pouvoir rien dire, de ne pouvoir penser beaucoup de belles choses. Vous ne communiez pas pour trouver vie dans vous-même mais pour y trouver la mort. Donc laissez-vous dans la mort, afin que Dieu vous donne vie par lui-même.xlviii Demeurez dans un acquiescement amoureux pour tout ce que Dieu fait en vous et qu'il veut de vous, et continuant votre cher abandon dans votre sacrifice, vous ferez ce que Dieu veut et ne serez point opposée à son opération.

N'écoutez point les cris de vos sens ni les raisonnements de votre propre esprit : tout doit mourir, tous sont impurs et criminels. Ils ne doivent point être ouïs. Laissez-les donc sans les écouter et demeurez immolée au bon plaisir et à l'amour de Jésus-Christ.

Ce n'est pas assez de porter cette disposition à la communion, de l'avoir même après la communion ; il faut qu'elle continue toujours en vous et que vous soyez toujours dans l'état d'abandon. Ce n'est pas assez de savoir ce que vous devez faire à la sainte communion. Il faut tâcher de posséder la grâce de communier souvent. Et supposé que vous persévériez dans votre état présent, c'est tentation de vous en retirer, sous prétexte de vous voir peu disposée à cette réception.

Allez à Dieu avec confiance et amour, ne vous en privez pas par crainte. Hélas quelle témérité en nous de penser nous pouvoir préparer à la communion ! Il n'y a que Dieu seul qui nous y peut disposer par ses grâces et par ses miséricordes. Donc vous n'avez rien et ne pouvez rien si Dieu ne vous le donne.xlix Exposez-vous à lui pour recevoir ce qu'il veut vous donner, et priez Jésus de se recevoir lui-même en vous et de s'y glorifier, puisque vous êtes incapable de le pouvoir bien faire. Que son amour supplée à tout, et dans cette disposition simple, communiez souvent.

J'ai remarqué dans vos écrits que dans votre vie passée plusieurs motifs vous ont retirée de la communion ; quelquefois de n'y être point préparée, d'autres fois sous prétexte d'affaires, et très souvent par une liberté en vous-même, pour ne vous y vouloir captiver. Il y a bien peu d'âmes qui communient purement pour les seuls intérêts de Dieu. Je crois que vous n'avez jamais communié comme Dieu le désire de vous ; vous avez toujours été l'objet de vous-même, ou les créatures vous ont occupée (n° 530).

[no 530]

Ma très chère en Jésus-Christ, vous communierez aujourd'hui, s'il vous plaît, dans les dispositions où la sainte et amoureuse Providence vous mettra ; ne réfléchissant pas tant sur vos dispositions de ténèbres, comme sur le désir que vous devez avoir de vous rendre à Jésus-Christ, de désister de l'usage que vous avez fait de vous-même en votre vie passée et l'usurpation que vous avez faite de ses droits en vous. Remettez-vous entièrement toute à lui et à sa divine disposition, vous contentant que Dieu soit satisfait en lui-même et qu'il se satisfasse en vous comme il lui plaira, sans que vos sens y aient part.

203

Demeurez dans l'état de victime que Jésus porte au très saint sacrement, désirant être immolée à son amour. Nous ne seront jamais dignes de communier, n'ayant aucune disposition en nous ; mais Jésus-Christ par sa sainte communion a sanctifié les nôtres et nous a mérité la grâce de communier. Ne laissez point en vous inutile cette faveur que Jésus vous a faite. Ne vous étonnez pas de ce que vous ressentez dans votre oraison ; continuez sans adhérer à l'inquiétude qui procède de votre amour-propre.

Communiez nonobstant vos misères, supposé qu'il n'y ait point d'autre cause qui vous obligeât à cette privation. Notre Seigneur vous éprouve : c'est un brouillard et une nuée qui se dissipera et vous rendra la lumière de votre divin soleil. Courage, soyez fidèle. Je vous donne toute à Jésus-Christ par la puissance que vous m'avez donnée en lui sur votre âme.

no 530 et 3022

SUR LA FETE DU TRES SAINT SACREMENT

Ce saint jour contient tant d'abîmes, de mystères, de grâce et de sainteté, que je me trouve tout à fait indigne d'en parler. Je vous prie, abîmons-nous dans notre néant et adorons en silence ce que nous ne sommes pas dignes de comprendre.

J'ai désir que nous adorions ensemble la communion adorable que Jésus notre divin Maître fit de lui à lui-même, après qu'il eût institué son divin sacrement. Par cette communion il a sanctifié les nôtres. Adorons aussi et nous rendons à ses desseins en cette sacrée institution. Il vous y a regardée et vous y a fait part de sa grâce et de son amour. C'est là qu'il vous associe à lui. Consentez à tout ce qu'il veut de vous, et vous laissez abîmer en son amour sans le sentir ni le connaître.l Et priez Dieu pour nous : c'est aujourd'hui la vraie fête du saint sacrement.

Je vous supplie, ma très chère, d'être toute à Jésus-Christ, comme Jésus-Christ est tout à vous dans l'hostie. Soyons en vérité ce que nous lui avons promis d'être et que nous renouvelâmes hier en sa sainte présence. Oh ! que les créatures sont fades et insipides à une âme qui a goûté Dieu. Séparez-vous de tout ce qui vous peut tant soit peu détourner de son pur amour et demeurez dans cet esprit d'hostie, puisqu'en vérité vous êtes 204 hostie avec Jésus-Christ. Vous faites partie de lui-même. Perdez-vous toute en lui et soyez très fidèle à voir, à recevoir toutes choses dans l'ordre de son amour.li Contentez-vous de sa très sainte volonté, et le priez qu'il me regarde en miséricorde et qu'il opère ma conversion. Je suis en lui, comme vous savez, toute à vous.

Soyons tout de nouveau à Jésus avec un nouvel amour et une nouvelle fidélité ; car nous sommes à lui d'une manière qui nous est en une certaine façon nouvelle. C'est pourquoi nous devons être toutes renouvelées en lui et par lui dans le très saint sacrement, et commencer de mener une vie qui ait quelque rapport à sa vie divine, cachée et anéantie dans le très saint sacrement.

Vos misères et vos éloignements ne me rebutent point. Dieu ne fera pas son oeuvre à demi. Mais commençons à nous bien anéantir, marchant dans les secrets sentiers de la foi où l'esprit humain perd la vie.lii Plût à Dieu être digne de vous y servir!

Cet esprit de foi et de mort est le véritable esprit de saint Benoît195, et si Notre Seigneur me donne la grâce d'exprimer ce que sa lumière m'en découvre, vous verrez que ce n'est pas sans mystère qu'il choisit des religieuses de Saint-Benoît pour être ses victimes dans son très saint sacrement, puisque la grâce de cet ordre y a tant de rapport. Mais le grand malheur est qu'il n'est pas connu et que les âmes même qui l'ont professé ne l'entendent pas.

Prions Notre Seigneur qu'il réveille cette grâce et cet esprit en nous. Je vous comprends du nombre, car nous ne pouvons plus être séparées d'esprit, et possible ne le serons-nous pas toujours de corps. Dieu sait le temps, demeurons en paix.

Je veux bien que vous soyez mon Isaac, et que je vous immole au très saint sacrement. Mais il faut que vous soyez revêtue de la disposition de ce cher Isaac. J'espère que Notre Seigneur vous en revêtira. Cependant conservez les désirs qu'il vous a donnés, ils auront quelque jour leur effet.

n° 167

Ce texte est composé de trois lettres réunies ici. mais séparées dans d'autres manuscrits. La première lettre intitulée « la vraie fête du saint sacrement » a été écrite pour le Jeudi saint. Cf. D 12. p. 337.

195. Cette idée est longuement développée dans l'Année bénédictine, au 13 novembre. fête de tous les saints de l'Ordre. Année bénédictine, Mère J. Bouette de Blémur. chez Louis Billaine. Paris. 1673. pp. 238-253.

DES BONS EFFETS QUE L'AME RECOIT EN COMMUNIANT SOUVENT

Ma bonne soeur en Jésus-Christ, je vous désire toute appliquée à son saint amour et toute consommée en lui. Mon désir serait de vous voir communier souvent et, si Monsieur votre confesseur vous le permettait, de recevoir cette grâce demain, je vous conseillerais de la posséder. Vous ne pouvez vous trop donner à Jésus-Christ, ni vous rendre aux desseins qu'il a de vous posséder par cet adorable sacrement. Vous avez besoin d'abîmer votre faiblesse dans sa force divine et de désirer d'être toute remplie de lui.

« Comme je vis pour mon Père, dit Jésus-Christ, aussi tous ceux qui me reçoivent vivent pour moi »196. O bienheureuse vie de vivre pour Jésus-Christ et de Jésus-Christ, être nourrie et sustentée de lui-même ! C'est pour cela qu'il est dans l'hostie et qu'il y sera jusqu'à la consommation du monde. Et son désir serait d'être actuellement reçu, afin qu'il opérât continuellement les effets de son amour et de sa miséricorde : qu'il vive en nous et que nous vivions en lui. En un mot que nous soyons transformées en son amour, étant toutes réabîmées dans la divinité et faites une même chose avec Jésus-Christ. Il me semble qu'une âme qui communie souvent reçoit beaucoup plus de force, de grâce et de bénédictions que celles qui s'en retirent.

Allons à Dieu avec humilité et confiance. Il est bon d'une bonté infinie. Il sait notre impuissance et notre incapacité, il y suppléera par sa suffisance divineliii. Oh ! quand serons-nous toutes à Jésus, que nos coeurs ne respireront que son amour, que nous vivrons de sa vie et serons imprimées de ses sentiments ! Donnons-nous au désir éternel qu'il a de nous posséder pour cela. Que cette vie est douloureuse et insupportable sans l'amour de Jésus et sans être en croix pour lui ! Il me semble

196. Jn 6, 57.

qu'une âme chrétienne n'y peut recevoir de plaisir que dans l'espérance d'y souffrir quelque chose pour celui qui la fait vivre et mourir. Souffrons donc, puisque c'est le seul contentement d'une âme qui est à Jésus-Christ et qui n'a et ne peut plus avoir de part au monde, ni avec toutes les satisfactions qu'il peut produire « per quem mihi mundus crucifixus est, et ego mundo »197

(n° 1697).

Ma très chère, je ne vous ai point fait réponse, croyant, comme je venais de communier, que vous aimiez mieux me savoir appliquée à celui qui m'honorait de sa présence qu'à la créature ; puisque les moments les plus proches de la communion, soit devant, soit après, sont les plus précieux de notre vie, et ceux auxquels nous devons une attention, une fidélité, un respect tout particulier. Oh ! qu'ils contiennent de grâce et de sainteté ! Je crois que vous le savez par expérience.

Je vous invite, ma fille, à solenniser avec moi la fête des victoires de Jésus notre divin maître. Il a triomphé pour nous du diable, du monde et de nous-mêmes, qui sont nos plus cruels ennemis. Unissons-nous à sa vertu divine et nous rendons à lui, afin qu'il triomphe en nous, qu'il terrasse nos ennemis et surtout l'orgueil de la vie, comme le plus malin.

Nous avons sujet de nous réjouir de voir Jésus victorieux du démon ; mais désirons qu'il le soit aussi de tout ce qu'il trouve en nous qui s'oppose à la sainteté de son règne. Retirons-nous avec lui dans le désert pour y être tentées, pour y être délaissées, pour y avoir faim, pour y être en ténèbres, pour y être en pénitence, pour y être en pauvreté suprême, bref pour y souffrir toutes sortes de mésaises, de privations et de douleurs, et pour n'avoir pas où reposer son chef198.

Aimons les dépouillements et tout ce qui nous fait entrer en partage des états purs et saints de Jésus-Christ. Il faut que nous en soyons toutes revêtues. Saint Paul nous le recommande199.

N'aimez que Jésus-Christ, ne désirez que Jésus-Christ, n'estimez rien que Jésus-Christ, ne possédez rien que Jésus-Christ, ne goûtez rien que Jésus-Christ, ne vous rassasiez de rien que de Jésus-Christ, n'espérez rien que Jésus-Christ, ne

197. Ga 6, 14.

198. Mt 8, 20.

199. Ph 2, 5 ; Rm 13, 14.

207

voulez rien que Jésus-Christ, ne cherchez rien que Jésus-Christ, ne prétendez rien que Jésus-Christ, ne vous plaisez en rien qu'en Jésus-Christ, ne vous reposez qu'en lui et prenez votre satisfaction d'être toute remplie de lui et consommée de lui. Voilà la disposition que je vous souhaite, ma fille, comme le plus riche trésor dont votre âme puisse être gratifiée. O Jésus-Christ, Jésus-Christ, Jésus-Christ, qu'il fait bon vous posséder ! Qu'est-ce que des créatures comparées à vous ? Hélas ! Je puis dire en vérité que ce n'est que corruption, misère et péché, amertume et affliction d'esprit. Ne nous y amusons point, n'y consommons point ni notre grâce, ni notre temps.

n° 1697 et 1225

SUR LA DEDICACE D'UN TEMPLE SUR ZACHEE

Ma très chère fille, je vous désire toute remplie de la plénitude de Jésus-Christ et souhaite que l'opération qu'il fit dans l'âme de Zachée par son divin regardm fasse aujourd'hui un même effet en vous. C'est le sujet de l'Evangile et de l'office que nous faisons aujourd'hui de la Dédicace.

Votre âme est le temple consacré par les trois Personnes de la Très Sainte Trinité. C'est la maison de Jésus-Christ. Mais souvenez-vous qu'il a dit parlant d'icelle : Domus mea domus orationis vocabitur201. Ma maison sera appelée maison d'oraison.

Renouvelez à la sainte communion la dédicace de votre âme. Désirez d'être toute à Jésus ; et que désormais elle ne soit plus souillée par le fatras des créatures et de vos sens.

Si notre Seigneur permet que vous nous veniez voir, nous dirons le reste.

no. 1698

200. Lc 19, 5.

201. Mt 21, 13 et antienne de l'office de la dédicace d'une église.

208

L'INTENTION DES SUPERIEURES POUR L'ETABLISSEMENT DES RELIGIEUSES /202

Puisque les âmes religieuses de cette sainte maison sont toutes dédiées et immolées à la gloire du très Saint-Sacrement, il faut qu'elles fassent effort pour être très ponctuelles à lui rendre leurs respects et leurs adorations sans relâche, prenant soin de s'acquitter dignement de tous leurs devoirs envers cette auguste majesté anéantie, sans en omettre ou négliger aucun. Cette fondation les y obligeant d'une manière très particulière ; il faut qu'elles demandent à Notre Seigneur la grâce de s'y employer généreusement dans toute l'étendue de ses desseins.

1. La première chose qu'il faut faire, c'est de reconnaître devant Dieu la grâce de cette occupation, à laquelle la sainte Providence nous a destinées, d'être en actuelle adoration ; et que tout notre être et toutes nos opérations soient référés à l'honneur de ce divin sacrement. Les religieuses de cette maison ne pouvant se dispenser d'être les victimes de Jésus dans l'hostie, il faut donc nécessairement qu'elles fassent tout leur possible pour lui rendre tout ce qu'il prétend d'elles, et surtout de vivre de sa vie cachée et toute anéantie, puisqu'il leur a fait la grâce de les choisir à l'exclusion d'une infinité d'autres qui s'en acquitteraient plus dignement.

2. Après avoir pesé cette grâce et cette obligation, il faut se donner à Jésus, anéantie dans son divin sacrement pour, par lui-même, tendre à la sainteté de cet état avec une détermination irrévocable de n'en jamais désister quelque peine, tentation, répugnance qui nous surviennent : par le monde, par nous-même, ou par le démon. Et il ne faut pas croire y parvenir sans combat et sans souffrance ; cette perfection n'étant autre chose que l'anéantissement de nous-même, on n'y peut parvenir sans souffrance. Donc que chacune de nous s'immole à la conduite secrète de Dieu sur notre âme203 pour la faire entrer dans sa destruction.

202. Ce texte se trouve au volume : Documents historiques, Rouen, 1973, p. 121-123. Nous indiquons les quelques variantes.

203. D.H. : sur son âme.

209

3. Il faut que les religieuses de cette maison se résolvent d'être et de passer dans l'esprit du monde pour très abjectes204 et elles doivent être dans une grande affection d'être inconnues à qui que ce soit, qu'à Dieu seulliv : Et pour demeurer plus cachées, à l'imitation de Notre Seigneur Jésus-Christ dans son très adorable sacrement, elles se tiendront le plus qu'il leur sera possible dans une profonde solitude qu'elles n'interrompront que dans le besoin et par obéissance.

4. Elles se plairont autant qu'il leur sera possible à être pauvres de corps et d'esprit, c'est-à-dire : à être dans la pauvreté extérieure aussi bien qu'intérieure, par hommage à Jésus très pauvre dans le très saint sacrement. Et quand il plaira à Notre Seigneur les faire souffrir quelques effets205 de cette pauvreté, elles l'en remercieront très humblement comme d'une faveur très singulière.

5. Leur occupation la plus ordinaire doit être la sainte oraison. L'on ne doit vivre en cette maison que de cette céleste nourriture. lvMais chacune en sera nourrie selon sa grâce et son état ; donc il faut recevoir ce pain quotidien de la main adorable de Notre Seigneur qui le donne selon les besoins des âmes, aux unes plus abondamment et aux autres moins, selon les apparences : mais chacune doit être contente de sa portion puisque c'est notre Père céleste qui nous la départ206. Il faut nous en confier à sa conduite, étant certain qu'il nous donne le tout par un amour infini de notre sanctification. Et nous ne devons point nous réfléchir sur le peu ou beaucoup, mais continuer toujours de nous laisser à la disposition divine, nous contenter de tout, et même avoir de la joie d'être très pauvre intérieurementlvi ; puisque nous ne pouvons pas souffrir de plus grande croix, par hommage à celle que Notre Seigneur a souffert et souffre, en une autre manière, pour nous, dans le très saint sacrement.

6. La principale de nos applications dans notre oraison doit être de nous tenir devant la grandeur et majesté suprême de Dieu dans le très saint sacrement, avec un respect très profond, avec une confiance et un abandon total, avec une soumission et simple agrément de toutes les dispositions de la Provi-

204. Abject, abjection (dans la langue religieuse) : humiliation profonde devant Dieu, mépris, renoncement, rebut.

205. D.H. : chose.

206. De départir, partager.

210

dence divine, chacune selon le degré de sa grâce, soit en faisant quelque acte ou autrement. Avec ces trois dispositions, nous pourrons toujours faire une oraison très excellente et très agréable à Notre Seigneur, et quand il semblera qu'elles nous manquent, la foi supplée à tout dans un simple abandon à la peine et à toute privation.

7. Toute la tendance de nos coeurs et de nos esprits doit être d'adorer ce divin sacrement, de lui rendre hommage pour toutes les créatures qui ne l'adorent point, et pour toutes celles qui le déshonorent par tant de crimes et d'impiétés. Et si nous concevons bien notre obligation, nous verrons que nous devons être immolées à la justice du Père éternel pour tous les pécheurs qui offensent Jésus-Christ dans le très saint sacrement, et que ce doit être sur nous que doivent tomber tous les opprobres et les humiliations qu'il y souffre encore aujourd'hui et y souffrira jusqu'à la consommation des siècles. Ce doit être sur nous que la justice doit être exercée, dans l'amour et l'affection que nous avons de réparer sa gloire, en lui faisant autant qu'il nous est possible amende honorable pour tous les pécheurs et plus particulièrement pour ceux qui le déshonorent plus criminellement207 dans ce très auguste sacrement.

8. La réparation d'honneur faite au très saint sacrement, le cierge en main, est une action d'humiliation, nous confessant criminelles, mais elle ne peut être reçue du Père que par Jésus son Fils208. Donc en cette sainte action nous nous unirons très particulièrement à Jésus-Christ Notre Seigneur pour, par lui, réparer la gloire de son Père et la sienne dans son divin sacrement. Cela fait, il 209 nous laisse en foi dans cette véritable croyance qu'il réparera en nous et nous rendra dignes, par lui, de le glorifier. Il faut demeurer simplifiées dans cette union de foi 210 à Jésus.

9. Puisque notre vie est appliquée et toute consacrée à un si auguste, si adorable et si digne mystère, il faut que tout notre être y corresponde.

I. Il ne le faut profaner par l'affection d'aucune chose créée.

207. Et dans.

208. Par Jésus-Christ.

209. Il faut nous laisser.

210. Union de soi à Jésus.

211

II. N'avoir plus aucune tendance à l'estime et à l'élévation des créatures.

III. Aimer et tendre de tout son coeur au néant.

Et quand la sainte Providence nous fournira des occasions d'abjection, nous les devons recevoir avec grand respect, comme les trésors les plus précieux que Dieu réserve pour gratifier ses élus. Si le monde nous méprise, nous devons croire que nous sommes dans le véritable état où Dieu veut cette maison, car il ne sera pas juste ni raisonnable qu'un Dieu anéanti dans le très saint sacrement étant l'unique objet de nos adorations et le modèle de notre vie, nous soyons dans l'applaudissement, lorsqu'il demeure tout caché dans l'abîme d'un anéantissement qui est incompréhensible aux anges et qu'ils ne peuvent assez adorer ni admirer dans leur étonnement, il faut que les victimes soient anéanties ; et s'il est permis de prendre la qualité d'épouses de Jésus-Christ, faut-il pas qu'elles soient conformes211 en toutes manières à leur divin Epoux ? Nous ne nous étonnerons donc point quand nous serons en rebut, désapprouvées, humiliées, blâmées et tout anéanties dans l'esprit humain ; cela doit être notre paradis terrestre, notre félicité, et notre unique joie et consolation, au lieu que l'estime et les honneurs doivent être notre douleur éternelle et plus sensible crucifixion.

no 2543

LA VOIE QUI REND PLUS DE GLOIRE A DIEU EST CELLE D'ANEANTISSEMENT

Ma très chère fille, je ne sais si Notre Seigneur aura agréable de me donner la grâce de vous dire deux mots sur la fermeté que vous devez avoir dans votre voie, sans vous occuper ni vous remplir par amour-propre de celle d'autrui. Il fut dit à Daniel de demeurer dans son degré212 pour vous apprendre que chaque âme doit demeurer en sa voie et se tenir dans son degré, sans vouloir entrer dans celle que nous voyons belle et agréable en autrui.

211. Qu'elles soient conformées.

212. Dn 8, 18.

C'est un très grand défaut dans la vie intérieure et particulièrement dans la voie d'anéantissement d'entrer par désir ou affection dans une disposition où Dieu ne vous appelle pas, de vouloir faire de bonnes oeuvres à quoi Dieu ne nous applique pas. Et sous prétexte que vous voyez les oeuvres extérieures de piété bonnes et saintes, votre amour-propre voudrait tout embrasser, sans discerner si Dieu veut cela de vous ou non. Et le plus souvent, dans cette façon d'agir, vous faites de bonnes actions par le choix et l'inclination de votre esprit, sans ordre ni mouvement de grâce, d'où vient qu'après de très longues pratiques de ces oeuvres de piété, vous n'en êtes pas plus morte à vous-même, ni plus parfaite. Il les faut donc faire par la direction de l'Esprit de Dieu.

Secondement, il se faut bien garder de se remplir de toutes les bonnes choses que vous voyez pratiquées ; parce que, ce que Dieu demande d'une âme, il ne le demande pas de toutes. Les unes, il les applique à la charité et au service du prochain ; les autres, à consoler les affligés ; les autres à l'humilité, d'autres à la pauvreté, d'autres à la pénitence et à l'austérité, etc. Il ne s'ensuit pas que toutes fassent même chose. Il y a bien quelquefois quelque rapport dans les oeuvres extérieures, mais très grande différence dans le fond de l'esprit, à raison de la dissemblance des voies.lvii Et c'est en quoi paraît d'une manière du tout admirable la puissance et la sagesse éternelle de Dieu qui a donné à chacun selon son bon plaisir pour la sanctification de ses élus, sans qu'aucune des voies se ressemble.

O profondeur de la sapience et science de Dieu, qui pourra comprendre la sublimité et sainteté de vos voies213 (saint Paul). Dans la diversité des voies de Dieu nous en trouvons qui sont dédiées à honorer la vie cachée et anéantie de Jésus-Christ ; et celles-là ayant un trait puissant qui les retire de tout ce qui a éclat, elles se retirent dans l'abîme de leur néant pour n'avoir aucune vie dans les créatures. Il me semble, selon la connaissance qu'il a plu à Notre Seigneur me donner sur votre âme, que vous êtes du nombre de celles-ci et que vous y devez une fidélité inviolable.

Or ce n'est pas une petite grâce de connaître votre voie : car la connaissant vous ne pouvez plus manquer que par une infidélitélviii qui ne peut jamais recevoir d'excuse. Il faut se rendre

213. Rm 11, 33-34.

212

à Dieu en la manière qu'il vous appelle. Si donc par votre voie vous devez honorer par imitation la vie cachée et anéantie du Fils de Dieu, vous devez mener une vie retirée des créatures, une vie de silence, d'humble obéissance, bref une vie de mort, une vie qui ne paraisse plus votre vie, mais une vie qui soit cachée en Jésus-Christ comme l'Apôtre vous l'enseigne214.

Il faut vous plaire dans la voie où Dieu vous a mise. Ce n'est pas vous qui l'avez choisie, mais la Sagesse éternelle l'a choisie pour vous et vous oblige de vous y appliquer, sans vous gêner215 que vous ne faites rien de grand ni d'excellent pour la gloire de Notre Seigneur. La foi vous apprend que la plus grande et la plus digne gloire que vous lui pouvez donner, c'est d'être parfaitement soumise à son bon plaisir, c'est d'être la captive de son amour, c'est d'être sans choix, sans vie et sans aucune volonté ; parce que lorsque vous êtes de la sorte il se glorifie parfaitement en vous.

En cet état, vous lui donnez plus de gloire que si vous bâtissiez mille hôpitaux et que si vous faisiez beaucoup d'autres bonnes oeuvres dans lesquelles votre amour-propre prendrait vie dans votre bonne action. Au lieu que dans la voie où la bonté de Dieu vous mène, tout tend au néant et à la destruction de vous-même. Votre voie est assuréelix ; et vous, ne doutez pas que Notre Seigneur ne vous appelle par ce sentier : vous en recevez trop de grâce et d'intelligence pour hésiter. J'avoue que cette voie est plus crucifiante que l'autre ; mais elle est aussi plus purifiante et plus sanctifiante. Elle est plus certaine parce qu'il y a moins du nôtre et qu'elle nous rend plus purement à Dieu.

Soyez donc désormais en repos quand vous voyez votre prochain qui fait les bonnes oeuvres que vous ne faites pas. Ne sortez point de votre voie pour entrer dans une voie étrangère et qui ne vous est point propre. Et ce qui vous doit consoler et mettre en repos, c'est l'union que vous avez comme chrétienne à l'Eglise. Et comme vous faites un corps avec tous les chrétiens qui sont les membres de Jésus-Christ, toutes les bonnes oeuvres qu'un bon chrétien fait, vous y avez part et vous y contribuez en une certaine façon ; à raison que vous êtes unie à ce membre comme faisant un même corps. Et dans cette sainte liaison, vous êtes charitable, humble et patiente avec votre pro-

214. Col 3, 3.

215. Gêner : inquiéter.

214 chain. Il ne faut point vouloir faire ce qu'ils font, dans votre voie. Vous ne devez plus dire : « Je voudrais ceci ou cela », car la divine volonté doit tellement agir en vous qu'elle soit la toute-puissante dans votre âme, sans permettre à votre amour-propre de souhaiter, ou s'inquiéter de ne faire pas tant de bien que beaucoup d'autres. Si Dieu ne veut point ces oeuvres-là de vous, pourquoi les voulez-vous faire ?lx C'est un reste de la malignité que nous avons reçue d'Adam de vouloir toujours être et faire quelque chose qui nous paraisse, pour y prendre une secrète satisfaction. Nous ne pouvons mordre dans l'anéantissement ; la pensée d'icelui nous tourmente et cependant c'est notre salut. Dieu vous veut dans cet état : est-ce à vous d'en vouloir un autre ? La volonté de Dieu est-elle pas plus sainte que tout le reste ? Et ce que Dieu a choisi pour vous, vous est-il pas plus salutaire que tous les biens et bonnes actions que vous pourriez opérer ? O ma fille, serions-nous si téméraires de donner des lois à Dieu ? Pour moi, je vous avoue que j'ai tant de respect pour son bon plaisir, que j'aime mieux relever de terre des fétus, par son ordre, que de convertir tout l'univers par l'ardeur de ma volonté.

Aimons ce divin bon plaisir ; prenons nos félicités d'y être attachées. Les bienheureux n'ont point d'autre bonheur, et cette complaisance qu'ils ont dans l'accomplissement des volontés divines compose leur béatitude. Aussi voyez-vous sur la terre de certaines âmes qui, étant toutes mortes à elles-mêmes, jouissent d'une félicité anticipée. Car ayant perdu leur volonté propre dans la divine [volonté], elles sont toujours dans la satisfaction entière, ne voyant rien sur la terre hors du bon plaisir de Dieu.lxi O ma fille, quand serons-nous dans cette bienheureuse mort qui donnera vie au bon plaisir de Dieu en nous ? Il faut bien travailler à l'abnégation de nous-mêmes. Il faut bien détruire nos propres satisfactions.

Je ne sais si vous avez bien compris ce que je vous veux dire touchant les bonnes actions qui sont faites par autrui. Je vous dis que comme vous priez avec tous les chrétiens à cause de l'union, que vous travaillez aussi avec eux. Tous les premiers chrétiens n'ayant qu'une volonté comme ils n'avaient qu'une foi, une loi et un baptême, ainsi que vous le remarquez aux Actes des Apôtres216, tous les chrétiens n'ont qu'une volonté en Jésus-Christ, et tous ont un désir de le glorifier ; du

216. Ac 4, 32 et Ep 4, 46.

215

moins ils ne peuvent prendre d'autre intention dans leurs œuvres, ou elles ne seraient pas opérées chrétiennement. Demeurant donc dans l'intention de l'Eglise votre bonne Mère, vous honorez Dieu dans toutes les bonnes oeuvres qui se font par ses enfants, à raison, comme je vous ai déjà dit, que vous ne faites qu'un corps21.

Voici la disposition que vous devez porter en fonds pour y avoir part : premièrement, consentir à toutes les bonnes oeuvres qui se pratiquent dans toute l'Eglise. 2. Etre bien aise que Dieu soit glorifié en plusieurs manières selon son bon plaisir. Et quand vous voyez faire une bonne action, offrez-la à Dieu par une simple élévation, vous réjouissant intérieurement de voir des âmes qui font l'oeuvre de Dieu que vous n'êtes pas digne de faire. N'estimez pas votre voie meilleure et plus élevée que celle des autres. Soyez fort retenue sur ce point ; d'autant que vous ne voyez pas le degré de grâce d'un chacun et qu'il ne vous appartient pas d'en juger.

Souvenez-vous que chaque âme a sa voie : celle des autres n'est point la vôtre. Dieu a donné à un chacun ce qui lui est propre. Si vous entriez dans la voie de quelque autre, vous y péririez ; et un autre dans la vôtre n'y ferait point son salut.lxii Laissez donc toutes les âmes faire ce qu'elles font et si elles se fourvoient vous n'en répondrez point. Soyez fidèle dans la vôtre et gardez-vous bien de vous occuper de celle-ci ou de celle-là. Demeurez séparée des créatures. Ne condamnez point ce que vous ne pouvez comprendre. Et d'autant que vous trouvez quelquefois des âmes dont les voies et leur façon d'agir choquent vos sens et même souvent votre raison, gardez-vous de les juger ni désapprouver. Dieu ne vous a point donné d'ordre ni d'autorité pour les condamner ; laissez-les à son jugement et ne vous souillez pas par jugements téméraires. Si c'étaient des âmes qui soient sous votre direction, il y aurait quelque chose de plus à vous dire ; mais comme ce n'est qu'en passant et dans les rencontres de certaines personnes dévotes, il en faut retirer votre esprit qui va un peu bien vite sur ce sujet.

Soyez donc fort circonspecte, de crainte que vous ne rejetiez ce que Dieu reçoit et désapprouviez ce qu'il approuve. Et bien que la voie de mort et de vrai anéantissement soit la plus réelle et la plus sainte et assurée de l'Eglise, il faut respecter la

217. Ep 4, 7-17.

grâce de Jésus-Christ dans les âmes et les diversités d'un chacun. Car il en est au regard de Notre-Seigneur comme au regard d'un roi qui a tous ses officiers. Sa cour est composée de différentes personnes où chacune a diversité d'emplois ; et celle que le roi destine pour être actuellement en sa chambre et jouir de sa présence ne doit point s'amuser à la cuisine. Il faut que chacun fasse sa charge et son office, autrement ce ne serait que confusion.

Demeurez dans votre degré, et puisque le roi Jésus-Christ, votre tout, vous fait l'honneur de vous tenir en sa sainte présence et qu'il veut cette fidélité de vous, ne ravalez point votre trait pour vous occuper des créatures, pas même des anges. Lorsque Dieu vous occupe de lui, laissez toutes les créatures en Dieu être ce que Dieu veut qu'elles soient. Et vous, ma fille, cachez-vous dans Dieu même, dans sa divine Essence qui vous environne ; n'en sortez point, s'il est possible, au moins volontairement. Simplifiez votre esprit en toutes choses, notamment en ce que vous n'avez point d'ordre ni d'obligation d'éplucher ou de connaître ; par ainsi votre âme demeurera libre et dégagée.lxiii

Apprenez une vérité qui vous étonne si souvent : qui est lorsque je vous dis que N. est dans une voie la plus basse et la plus petite de l'Eglise. Et cependant l'on nous assure — et l'Ecriture sainte nous l'apprend par la bouche de Jésus-Christ même — que la voie d'anéantissement est la plus sainte de l'Eglise. Et les serviteurs de Dieu disent que c'est la plus élevée et des plus pures et plus sanctifiantes. Pour moi, je la vois, par la miséricorde de Dieu, dans son excellence, selon que j'en suis capable ; mais avec toute sa sainteté, je la trouve ravalée au-dessous de toutes les voies en une certaine manière.

1. Elle est sans éclat.

2. Elle n'est quasi point connue, et peu de personnes en font état.

3. Une âme de cette voie se connaît si petite et si fort au-dessous de toutes choses, qu'elle ne se voit en tout qu'un néant.

4. Elle ne se compare pas même aux démons.

5. Elle se voit indigne de tous rebuts, mépris et confusion ; de sorte qu'elle est infiniment au-dessous de toutes choses.

217

6. Elle n'est rien dans les lumières ni dans les dons de Dieu ; elle ne prend part à aucune chose que dans le néant218. Or y a-t-il rien moindre que le néant ? La voilà bien basse en elle-même et dans les créatures : elle se voit rien en toutes choses.lxiv Voyez donc combien cette voie est basse en cette manière. Cette âme qui y est conduite peut-elle s'élever d'aucune chose ? Quand elle ferait des miracles et qu'elle convertirait tout le monde, elle ne sortirait jamais de son néant. C'est sa vie, son bonheur et sa complaisance que d'y être plongée et d'être si bas qu'on ne la trouve plus. O heureuse perte ! O saint et sacré anéantissement, que tu causes de bonheur et de bénédiction à l'âme qui te possède !

Voyez donc que ce n'est pas sans raison que je vous dis que cette voie est basse. C'est le sentier étroit et secret219 que Notre Seigneur nous dit qui conduit à la vie véritable, puisqu'il vous conduit dans Dieu même où vous recevrez une nouvelle vie ; mais vie de grâce, vie d'amour, vie divine, vie qui ne peut être connue que de ceux qui l'expérimentent, vie si sainte et si digne que tout ce que l'on dit pour expliquer son excellence la ravale infiniment au-dessous de ce qui en estlxv. O qu'il fait bon vivre de cette vie ! qu'heureuse et mille fois heureuse l'âme qui s'y laisse conduire !

Je me veux donc taire de la sainteté de cette voie et des prérogatives et excellences qu'elle tire de Jésus. Il ne m'appartient pas de parler de matières si dignes, pauvre et chétif avorton que je suis. Hélas ! ce n'est point affaire aux pécheresses comme moi de parler des faveurs et des grâces que l'Epoux divin donne aux âmes fidèles. Je me retire dans mon néant et dans le silence que je devrais éternellement observer.

Je crois être obligée de vous laissez quelque temps remâcher ce que Notre Seigneur a voulu que je vous donne, bien que j'en sois très indigne. Vous en ferez l'usage qu'il lui plaira, et apprendrez à vous dégager tellement de toutes choses et à si bien purifier et simplifier votre esprit, que les vertus d'autrui ne vous soient pas des vices.

218. Tout ce passage est très proche de la pensée de sainte Catherine de Gênes. Cf. Dialogue, livre 1, ch. 10, La vie et les oeuvres spirituelles de sainte Catherine d'Adorny de Gennes, à Lyon, chez Pierre Rigaud, 1610.

219. Mt 7, 13-14.

Notre Seigneur vous dit : « Laissez les morts ensevelir les morts »220. Laissez les créatures dans la créature, et vous, ma fille, retirez-vous dans Dieu où vous devez faire votre demeure actuelle. N'en sortez point volontairement pour vous amuser dans les créatures. Ne quittez point le tout pour le néant.lxvi

Adieu ma fille, je crois que je serai privée quelque temps de vous écrire. Je me retire dans mon centre pour vous laisser avec Dieu. Il est votre divin Maître, je le prie qu'il vous instruise et qu'il me pardonne toutes les infidélités que je commets en ne recevant pas avec la pureté que je dois les vérités qu'il me fait connaître pour vous énoncer ; j'en diminue la grâce, et c'est ce qui me fait désirer que vous receviez de Dieu immédiatement. Ce sera quand il lui plaira.

CHAQUE AME A SA VOIE DIFFERENTE POUR RENDRE GLOIRE A DIEU

O ingratitude du coeur humain ! O aveuglement de notre esprit qui, étant si rempli de ses propres intérêts, ne s'en peut séparer pour faire place à ceux de Jésus-Christ.

J'avoue que c'est un bonheur que d'être dans l'innocence : mais qui vous peut assurer que vous la possédez ? Et si vous la possédez, êtes-vous assurée d'y persévérer ? Oh ! que le salut d'une âme est incertain quand elle s'appuie sur sa vie ou sur ses dispositions, ou sur une je-ne-sais quelle habitude intérieure qui ne produit ni bien ni mal ! Faites comparaison de ces âmes-là au bonheur d'une âme qui tend à Dieu, qui le cherche et qui l'aime. La différence en est quasi infinie. Celle-là qui vit lâchement ne reçoit jamais les communications divines, elle ne goûte point Dieu, elle ne le connaît point, elle ne le glorifie point, elle est comme morte ou pour mieux dire : dans une langueur qui tend à la mort ; et il faut bien peu à ces âmes-là pour les faire tomber dans le péché mortel.

Laissons les preuves de cette vérité pour l'entrevue (je serais trop longue), pour vous dire que je suis pressée intérieure-

220. Mt 8, 22 ; Lc 9, 60.

N° 1191

219

ment de vous reprendre de votre lâcheté et de votre fainéantise au regard de Dieu. Voyez par votre disposition — du moins par ce que vous m'exprimez par votre lettre — combien vous êtes remplie de vos intérêts, l'impureté de votre fonds à se réfléchir sur vous-même et vous faisant dire que vous ne demandez pas davantage que d'être assurée de votre salut. Oh ! que vous êtes infidèle après les promesses que vous avez faites à Jésus-Christ, et que vous avez renouvelées avec tant d'ardeur ! Où sont les résolutions d'être purement à Dieu pour le respect de Dieu-même ? où est cette profession que vous avez faite au baptême, de Jésus-Christ, de vivre de sa vie et d'être animée de son Esprit ? Voyez comme vous imitez votre chef, et si vous êtes comme lui revêtue des intérêts de la gloire de son Père. Jamais le Fils de Dieu n'a agi pour lui en tant qu'homme. La gloire de son divin Père était son motif éternel et actuel, en toutes ses dispositions et en toutes ses opérations. Et vous vous contentez dans l'assurance d'être sauvée, voulant laisser le reste sans vous travailler davantage ! Voilà une pensée de tentation qui part de votre fonds impur, et d'une crainte secrète de votre orgueil d'être un jour dépouillée de vous-même et revêtue de Jésus-Christ. Vous appréhendez de vous perdre et de vous donner en proie à l'esprit et à la grâce de Jésus.

« Celui qui aime sa vie la perdra et celui qui la hait en ce monde, il la conservera pour la vie éternelle ». C'est Jésus-Christ qui vous dit cette vérité, en saint Jean221. Voulez-vous être assurée de votre salut ? Dépouillez-vous des intérêts mêmes de votre salut et, vous abandonnant dans la conduite de Dieu, marchez dans le dénuement, ne cherchant autre intérêt que de contenter Dieu.

Etes-vous pas bien malheureuse d'estimer si peu les dons et les miséricordes de Dieu ? Vous avez remarqué comme il vous veut toute à lui : et vous êtes si infidèle que vous ne vous voulez rendre à son amour qui vous veut pénétrer, et à sa sainteté qui vous veut sanctifier. Vous voulez seulement être assurée de votre salut, sans vous soucier des opérations et des autres particuliers effets de la grâce. Je ne puis comprendre une telle ingratitude, ou plutôt un tel aveuglement : estimer si peu Dieu que de ne vouloir point considérer les intérêts de sa gloire !

« A celui auquel il sera donné beaucoup on lui demandera beaucoup »222 dit Notre Seigneur. Une âme se sauvera avec une petite grâce et une autre périra en ayant une pareille. L'importance de notre salut est dans la conduite de Dieu et dans ses vues et desseins éternels. S'il vous veut dans un état parfait dès ce monde, il faut nécessairement y entrer et vous rendre à sa grâce. Pour cet effet, ne vous amusez point à considérer la voie des autres, mais regardez et pesez bien la vôtre. Un autre se sauvera avec une vie bien commune et vous, vous êtes pour y faire naufrage. Il faut se rendre aux desseins de Dieu et entrer dans la pureté des voies par lesquelles il nous appelle si nous ne voulons périr éternellement. C'est un grand secret de la vie intérieure de connaître sa voie et d'y marcher fidèlement. La voie d'un autre n'est point la vôtre, c'est pourquoi ne réglez pas l'ouvrage de votre sanctification : il faut que chacun suive ce que Dieu veut de lui. Concevez bien ce point et vous vivrez plus en repos et serez plus fidèle.

Vous dites pour appuyer votre proposition que Dieu étant glorieux essentiellement en lui-même, il n'a pas besoin de gloire accidentelle. Il est vrai que, devant la création du monde, Dieu était autant glorieux en lui-même qu'il est présentement. Mais il a plu à sa sagesse créer l'univers et se produire dans les créatures pour manifester sa grandeur et ses divines perfections, et en même temps nous obliger à les adorer. Il prend sa complaisance dans son ouvrage, il s'en glorifie, et il nous assujettit à le glorifier aussi selon qu'il est à notre possible.

1. Parce qu'il est notre créateur : Il nous a tiré du néant, nous lui devons notre être, et il faut que cet être le glorifie, il est créé pour cet effet. Mais il y a bien des sortes de le glorifier, et chaque âme a une obligation et une voie intérieure par laquelle Dieu se veut glorifier en elle. Et l'âme y doit porter soumission et respect.

2. C'est l'augmentation de la gloire du roi d'avoir beaucoup de serviteurs et des personnes assujetties à sa grandeur et qui rendent hommage à sa couronne. De même, sans aucune comparaison, Dieu veut avoir des sujets qui relèvent de son autorité suprême, qui soient obligés de lui rendre hommage et d'être sacrifiés à sa grandeur pour nous apprendre qu'il est roi et qu'il doit être révéré, qu'il est Dieu et qu'il doit être adoré,

221. Jn 12, 25. 222. Lc 12, 48.

221

qu'il est notre maître qu'il doit être respecté, qu'il est notre juge qu'il doit être redouté, qu'il est notre Epoux qu'il doit être aimé, qu'il est notre Père et notre tout, qu'il doit être obéi et honoré. Bref, il nous a assujetties à le glorifier, et c'est son plaisir. Il n'y a rien à dire là-dessus : c'est pour cela qu'il nous a créées, et pour cela qu'il nous conserve notre être, qu'il nous a donné ses grâces, etc.

O présomption du coeur humain qui dit : « Pourquoi nous donner tant de peine lorsque nous croyons être en grâce, et que Jésus-Christ ayant tout réparé pour nos péchés, il ne nous reste que le repos sans nous tourmenter davantage ? » « Dieu vous a créé sans vous, mais il ne vous sauvera pas sans vous », dit un Père de l'Eglise223. Jésus-Christ a réparé toute la gloire que le péché avait ôté à son Père et vous a mérité la grâce de coopérer à votre salut. Vous n'avez rien qui ne coûte son sang, mais il veut que vous travailliez avec lui à vous anéantir, à vous assujettir et à vous rendre de son parti ; vous le devez par mille sortes de droits et d'obligations.

n° 2404

QU'IL FAUT UN GRAND COURAGE POUR SOUFFRIR DANS LA VOIE D'ANEANTISSEMENT

Ayant considéré votre lettre du matin, le contenu d'icelle m'a touchée. J'ai quelque compassion de vous, ma très chère fille, mais les grâces que Notre Seigneur vous présente en vous faisant entrer dans l'état que vous savez ne permettent pas à la tendresse de mon coeur pour le vôtre — bien qu'elle soit très grande — de retenir un moment la puissante main de Dieu qui travaille à vous anéantir. Et je crois avoir en cette occasion autant de courage que cette bonne et généreuse mère qui tenait les membres de son enfant lorsque les tyrans les coupaient pour l'obliger de renoncer à la foi de Jésus-Christ224.

223. Saint Augustin.

224. Allusion probable à la mère de Méliton, martyr à Sébaste en Arménie au IV' siècle.

J'avoue que le martyre que l'on souffrait anciennement était cruel ; mais il n'était pas de longue durée. La vue de la récompense les animait. Mais le martyre de la vie intérieure est sans relâche : il ne finit qu'avec la vie. Et il faut avoir une constance invincible pour ne se point décourager et pour ne point perdre coeur dans les attaques de tant de violentes tentations qui nous viennent assaillir, soit de la part du démon, soit de notre part, soit de Dieu même pour éprouver l'âme. Il faut de la fermeté, il faut de la patience ; et pour mieux remporter la victoire il se faut anéantir. C'est une guerre où il se faut perdre soi-même pour gagner. Vos trophées seront exprimés par la grandeur de votre dépouillement. Il faut donc être généreuse dans le découragement, forte dans votre faiblesse. Non pas en faisant tant d'actes de résistance, mais en vous abandonnant aux fers et aux tourments.

Je veux bien, dans vos misères, que vous vous sépariez de la coulpe, c'est-à-dire haïr en vous vos faiblesses, malignités et ce qui déshonore Dieu. Mais il ne vous est pas permis de vous séparer de la peine et de l'humiliation. Voici comme il faut faire : je tombe dans une infidélité : en même temps la nature voudrait s'en contrister, et je ressens en moi quelque petite amertume dans le coeur qui tendrait à me voir délivrée de cette malignité. Nous pouvons être touchées en ces rencontres, de Dieu et de nous-même. Pour moi, j'ai reconnu par expérience que la plupart des gémissements de notre âme ne sont produits que de la source de notre amour-propre ; et nous avons une tendance insatiable à nous délivrer de la croix et de l'humiliation. C'est à quoi nous devons un peu nous appliquer. Car il n'y a rien qui confonde plus une âme que ses fréquentes chutes, car il faut de nécessité qu'elle avoue ses faiblesses et qu'elle a besoin d'un secours plus puissant que celui que notre orgueil et notre propre suffisance pensaient trouver en nous. Il faut donc nécessairement expérimenter le peu que nous sommes de nous-même, une défiance de nous, et une tendance à nous séparer continuellement de nous-même.

Concevez donc le bonheur qui est renfermé dans vos faiblesses. Voyez si, en une certaine manière, vos misères ne sont pas aimables. Elles vous sont si utiles que sans les sentiments que vous avez d'icelle, vous ne pourriez jamais posséder solidement la sainte connaissance de vous-même.lxvii

Vous devez donc haïr vos infidélités parce qu'elles déshonorent Dieu, mais non pas vous en troubler ni inquiéter. Haïs-

223

sez la coulpe, mais aimez chèrement la peine. Soyez marrie d'être contraire à Dieu, mais soyez bien aise que cela vous confonde et vous fasse connaître votre fonds malin. Je veux bien que vous gémissiez sous le poids de cette chair de péché avec saint Pau1225, mais je désire que vous entriez dans sa très profonde humilité.

Car les misères qu'il ressentait le jetaient dans un abaissement si extrême qu'il se disait un petit avorton226 et indigne du nom d'Apôtre. Ne dit-il pas qu'il se glorifie dans ses infirmités ? Quelles sont les infirmités de saint Paul ? Ce sont les aiguillons des péchés qu'il portait et ressentait continuellement en lui-même. Et lorsqu'il en demandait la délivrance, il a appris que, par toutes ces misères, son âme se perfectionnait227.

Ma très chère fille, ne vous troublez point, votre état est bon ; mais n'y soyez pas si réfléchie. Soyez plus abandonnée et plus dans la confiance en Dieu. Votre perfection est l'ouvrage de Jésus-Christ. Soyez assurée qu'il la couronnera de ses bénédictions. Mais il faut que vous demeuriez ferme, souffrant la destruction que son amour fait en vous de tout ce qui est opposé à son règne. Je plains votre âme qui se tourmente dans ses ténèbres et dans ses ignorances ; et pour ne comprendre point le chemin où Notre Seigneur l'attire pour se la rendre toute à lui, elle se travaille et se peine très inutilement.

Devenez petite enfant, plus soumise que jamais et plus simplifiée dans vos pensées. On vous assure que votre voie est bonne et sainte, marchez en confiance.lxviii

n° 57

225. Rm 7, 24.

226. 1 Co 15, 8.

227. 2 Co 12, 7-11.

CE QU'IL FAUT FAIRE POUR ENTRER DANS LA VOIE D'ANEANTISSEMENT

Ma très chère fille. Je suis demeurée toute cette journée dans un soin très particulier de votre personne au milieu de mes petits négoces. Je vous avais présente en mon esprit, dans la crainte que votre âme ne soit dans quelque disposition qui vous pourrait crucifier et jeter dans la tentation. Néanmoins je m'en suis entièrement reposée sur la bonté de Notre Seigneur qui ne permettra pas que vous soyez tentée par-dessus vos forces.

Confiez-vous en sa miséricorde par-dessus vos répugnances et la malignité de votre fonds qui vous retire autant qu'il peut de votre cher abandon. Ne quittez point, ne cédez point, que pour vous abîmer dans le néant profond. C'est votre asile ; mais vous ne l'avez point encore bien remarqué. Vous êtes encore très grossière228 dans les voies de la grâce. Vous ne pouvez encore pénétrer comme vous pouvez vivre en mourant et mourir en vivant.

Oh ! qu'il y en a peu de ceux-là à qui Jésus parlait dans l'Ecriture Sainte : « Veux-tu être parfait ? Donne tes biens aux pauvres, renonce à toi-même, prends ta croix et me suis »229. L'on en trouve encore qui donnent leurs biens aux pauvres, mais l'on n'en trouve quasi point qui suivent Jésus-Christ. Heureuse l'âme qui connaît son appel et qui le suit avec fidélité.

Que craignez-vous ? de vous perdre, ou les créatures ? Hélas ! ne l'appréhendez point, car cette perte est le commencement de votre bonheur éternel. C'est en nous quittant nous-même que nous trouvons Dieu et que nous recevons la grâce de le suivre. N'ayez plus de regret de tout perdre, puisque c'est l'unique moyen de posséder Jésus. Prenez garde, ma fille, que les créatures ne vous entraînent et ne vous dérobent à vous-même. Ne vous empressez jamais pour aucune chose humaine et gardez-vous bien de rien préférer à Jésus-Christ23°.

228. Grossière : ignorante, peu expérimentée.

229. Mc 8, 34 et 10, 21.

230. Règle de saint Benoit chap. 4 et 72.

225

Il y a deux ou trois pas qui vous coûteront cher, mais aussi ils vous causeront un extrême bonheur. Le premier c'est le mépris des créatures, de leurs louanges et de l'estime qu'elles peuvent avoir de vous, vous rendant insensible à leur opinion et à leur jugement. Le second de captiver votre esprit à la présence continuelle de Dieu. Vous souffrirez en votre esprit avant que d'en avoir l'habitude, d'autant qu'il s'est fort dissipé dans les sens et dans l'application à vous-même. Le troisième c'est l'abandon au-dessus de vos sens et de votre raisonnement humain ; l'esprit voulant toujours voir et connaître toutes choses pour en tirer ses appuis et sa satisfactionlxix231.

Oh ! que c'est un grand secret de se savoir bien abandonnée dans un profond silence devant Notre Seigneur ! Demeurez-y paisible en la partie supérieure de votre âme, et trouvez bon qu'il vous purifie comme il lui plaira. Gardez-vous bien de vouloir donner des lois à Dieu touchant votre conduite. Les états humiliants sont les plus saints et les plus utiles. Si nous étions éclairées de la pure lumière de la foi, nous ne voudrions jamais sortir de l'état d'impuissance et d'abaissement.

Oh ! qu'il est bon que vous soyez réduite dans votre néant sans vous en apercevoir, comme dit le prophète. L'âme qui est anéantie est faite une pure capacité de Jésus-Christ232, elle ne lui est plus opposée. Oh ! quand sera-ce, ma fille, que je vous verrai dans cet anéantissement ? Hélas ! pour lors, vous verrez toutes choses d'une autre lumière, car vos sens ne vous tromperont plus. Laissez-vous y conduire en secret et comme en cachette de vous-même, afin d'éviter les empêchements que vous y pourriez apporter. La main de Dieu a une puissance infinie pour vous y introduire, mais n'y résistez pas. Consentez à tous les dépouillements que la Sagesse éternelle fera en vous, soit pour les opérations de votre âme, soit pour les créatures que vous possédez encore, auxquelles vous pouvez avoir des attaches secrètes. Exposez-vous toute dénuée à la force du divin amour, et vous expérimenterez sa puissance. Notre Seigneur cherche des âmes vides pour les remplir de lui-même, et il n'en trouve pointlxx. Nous sommes si chiches au regard de Dieu. Quand vous lui donnez un petit moment de votre vie, ou que vous souffrez un quart d'heure de peine, il vous semble qu'il

231. Le manuscrit porte : sanctification qui ne se retrouve en aucune autre copie.

232. Bérulle écrivait aussi : « L'homme est un néant capable de Dieu ».

226 vous en redoit beaucoup. Vous n'avez pas assez de reconnaissance de ce que Notre Seigneur a fait pour vous, ni de l'amour qu'il vous porte.

Vous avez encore cela de mauvais d'être trop humaine, de vouloir trop accommoder la grâce avec la prudence de la chair. Vous rabaissez votre trait233 et quelquefois vous l'anéantissez par vue ou pour des craintes humaines. Vous ne simplifiez pas assez votre esprit et vous ne vous abandonnez pas assez à la conduite divine. Vous vous égarez dans les créatures. Vous n'êtes pas fidèle dans les événements à les voir dans l'ordre de Dieu et dans la dispensation divine. C'est le point auquel vous devez vous attacher fortement, et il faut le rompre, avec la grâce de Jésus-Christ, au-dessus des mauvaises habitudes que vous avez eues jusques ici, d'envisager toujours les créatures. C'est l'exercice que vous devez pratiquer actuellement et tenir doucement votre esprit en bride, de peur que, comme un cheval indompté, il ne s'échappe.

Humiliez-vous donc de bonne sorte. Agréez en esprit d'humilité toutes les pauvretés et misères que la Providence vous fait ressentir : les privations, les ténèbres et les impuissances ; tout est bon, puisque c'est Dieu, la Sagesse éternelle qui les donne. Demeurez seulement constamment abandonnée, et ne vous mettez point en peine pour le reste, Dieu pourvoira à tous vos besoins : votre sanctification est son ouvrage.

Ma fille, je vous écris la leçon que je vous aurais faite ce matin, si la Providence m'avait permis la consolation de vous voir. Je ne sais si elle vous sera utile. J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne les pouvez recevoir présentement. Il faut attendre que votre âme soit un peu plus forte. En attendant, travaillez fidèlement et sans écouter les plaintes de la nature.

Je prie Notre Seigneur qu'il vous y fortifie de ses grâces et qu'il me donne la lumière et les dons de son Saint-Esprit pour vous y seconder, selon l'affection qu'il m'a donnée pour votre âme et l'obligation que j'ai de procurer sa gloire.

n° 1474

233. « Trait » désigne le jet d'une flèche. L'expression signifie ici que la comtesse, arrêtée par des vues trop humaines, ne place pas assez haut son désir de la perfection. Trait est mis pour : attrait, ce qui tire vers Dieu.

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CE QU'IL FAUT FAIRE POUR ENTRER DANS LA VOIE D'ANEANTISSEMENT

Ma chère fille, ne vous rebutez point sur cet état de mort totale de soi-même. Ce n'est point l'oeuvre de la créature, mais l'oeuvre de la main toute-puissante de Dieu qui y fait entrer l'âme à mesure qu'elle se dépouille et qu'elle se désapproprie de tout ce qui occupe et qui remplit son fonds. C'est l'état pur et saint que vous avez voué au baptême. C'est celui qui nous fait cesser d'être ce que nous sommes pour faire être et vivre Jésus-Christ en nous.

Cette mort paraît cruelle et très rigoureuse à la nature et aux sens ; mais elle est très savoureuse à l'esprit. Et une âme qui a tant soit peu d'estime, d'amour et de respect pour Dieu, sacrifie de bon coeur sa vie et son être à sa grandeur, par un intime désir de le voir vivre et régner en nous et s'y glorifier selon son bon plaisir.

Plus je vous connais, plus je suis confirmée à votre appel à cette pure voie. Ce n'est pas qu'il faille que vous y soyez introduite tout présentement ; mais vous devez toujours conserver le désir d'y arriver, et y tendre selon votre grâce et votre capacité. Et pour nous voir éloignées des dispositions de Jésus-Christ, nous ne devons pas laisser d'y aspirer et y faire tout ce que la Providence de notre Bon Dieu a mis à notre puissance, abandonnant tout le reste à sa miséricorde et à son amour.

L'éloignement où vous vous trouvez présentement de ce bienheureux état procède d'une lumière plus grande qui vous manifeste vos misères et vos indignités. Vous ne devez point connaître votre progrès en cette voie ; mais vous y devez marcher dans l'aveuglement, vous soumettant à la conduite que Dieu vous a donnée, sans permettre à votre esprit de se réfléchir pour voir son avancement.lxxi Tout doit tendre à la mort. Je sais bien que vous êtes encore éloignée de cet état ; mais la patience et la grâce amènent toutes choses, et Notre Seigneur vous y fera entrer par une voie que vous n'y pensez pas. Tenez-vous toujours bien abandonnée. Ne sortez point de l'état de sacrifice où il vous tient. Laissez-vous conduire par son divin Esprit.

Je suis très consolée de votre confiance en Dieu, et de la paix et quiétude que vous possédez en la vue de votre éloignement et de tant d'obstacles que vous rencontrez en cette pure voie. Celui qui, de toute éternité, vous a fait l'honneur et la grâce de vous destiner à cette perfection, sera votre force et votre vertu pour y entrer. Ne vous découragez jamais. Continuez à vous sacrifier, puisque vous vous y sentez pressée, dans la vue de vos oppositions et de vos croix.

Voici le temps de fidélité ; il faut être constante par la constance et fermeté de Jésus-Christ. Laissez-vous égorger, puisque vous êtes victime. Adorez la main précieuse et adorable qui vous crucifie, et vous donnez bien de garde de rien envisager dans la conduite des créatures. Voyez tous les événements dans celle de Dieu et vous y soumettez avec respect. Il faut que son oeuvre soit accomplie.

Vous ne serez jamais vraie chrétienne si vous n'êtes en croix, et si vous n'y consommez votre vie comme votre divin maître Jésus-Christ. Que craigniez-vous, mon enfant ? Un peu de honte et de confusion de la part des créatures ? Et vous ne craignez point le mépris que vous faites de Dieu et de sa grâce ? Pour une vanité nous nous mettons en danger de perdre une bienheureuse éternité. Hélas ! si les créatures nous pouvaient sanctifier, il faudrait les considérer ; mais elles nous font périr et sont actuellement opposées à notre sainteté. Et puisque vous me donnez la liberté de vous parler selon mes sentiments et mon expérience : je n'ai jamais goûté le vrai bonheur que dans la mort des créatures. Plût à Dieu que vous puissiez connaître le tort qu'elles nous font. Quittons-les de bon coeur, ne les préférons plus à l'amour de Jésus-Christ. Nous ne pouvons servir à deux maîtres, à Dieu et à nous-même. Il faut nécessairement quitter l'un pour l'autre. Est-il pas juste de quitter tout pour Jésus ? Celui qui ne renonce pas à soi-même n'est pas digne d'être son disciple234.

Mon Dieu, ma fille, que j'ai de désir de vous voir parfaitement soumise à la conduite de Dieu et toute remplie de son divin Esprit ! que vous soyez bien généreuse dans vos

234. Lc 14, 26.

229

croix ! que les craintes et considérations humaines ne vous fassent point désister de la sainte résolution que vous avez faite d'être toute à Dieu ! Seriez-vous assez malheureuse, et voudriez-vous me donner ce coup de mort de vous voir retourner dans les créatures et quitter le véritable sentier qui vous conduit à Dieu ? Hélas ! si vous en aviez la volonté, priez Dieu que je meure plutôt que de voir une si effroyable lâcheté à une âme pour qui j'ai sacrifié mille fois la mienne, et que j'ai demandée et demande encore à Dieu avec tant d'ardeur.

O qu'il est vrai que l'amour des pères et mères est bien plus fort que celui des enfants ! Je le reconnais par ma propre expérience. Mais après tout, je dois vous perdre dans le bon plaisir de Dieu. Vous êtes plus à Jésus-Christ qu'à moi. Je ne vous possède que par lui et ne vous veux posséder que pour vous rendre et sacrifier à lui. Je n'ai garde de vous posséder d'une autre manière, ni de me rendre propriétaire du prix du sang de Jésus-Christ que sa Providence me confie.

Je vous tiens et ne vous tiens pas. Je vous tiens par l'ordre de Jésus-Christ et cependant je vous laisse très parfaitement à lui, ne voulant pas seulement occuper un moment votre pensée par aucune production ou sentiment de mon affection. Hélas ! Serais-je si malheureuse que de souiller le temple du Saint-Esprit, de prendre la place de mon divin Maître dans votre coeur, et de m'approprier ce qui doit être uniquement à lui ? Je vous assure que je n'en sens aucune inclination ni volonté ; au contraire, un désir passionné de vous voir toute à lui.

n° 2258

DES MAUVAIS EFFETS QUE TOUTES SORTES DE CREATURES FONT DANS L'AME

Ma très chère, vous me demandez des leçons bien importantes à la perfection et que je voudrais bien savoir moi-même en fond pour vous les apprendre par mon expérience et pour les vous mieux imprimer ; mais je me donne à Notre Seigneur pour vous dire là-dessus ce qu'il lui plaira.

S'il faut parler des mauvais effets que les créatures font en nous, je vous puis dire qu'elles nous causent des désordres sans nombre, qu'elles nous souillent et nous éloignent de Jésus-230 Christ et que bienheureuse l'âme qui en est toute désoccupée. Je vous prie, demandez cette grâce à Notre Seigneur pour moi : que je puisse vivre dans le dégagement et dans la mort actuelle que je dois avoir avec toutes les créatures selon la loi qui m'en a été donnée235 et le voeu que j'en ai fait, lequel consiste en bien des choses, entre lesquelles :

1. A un mépris actif et passif de toutes les créatures.

2. A ne jamais nous complaire à aucune créature.

3. A ne jamais prétendre à leur affection.

4. A mépriser leur estime et leur louange comme la boue.

5. A n'avoir aucun respect humain en nos paroles et en nos actions.

6. A ne point désirer leur approbation.

7. A ne jamais rien faire ni rien dire pour nous produire dans leur esprit, ni attirer tant soit peu leur affection.

8. A n'y prendre aucun appui.

9. A ne rien désirer d'elles, à ne leur rien demander si Dieu ou le prochain ne nous y presse.

10. A n'en jamais rien prétendre ni rien espérer.

Bref, on doit user des créatures comme s'il n'y en avait point ; et nous en devons être si dégagées que l'usage et la privation d'icelles ne nous touchent point ; et en user comme si nous n'en usions pas236, nous tenant toujours séparées de toutes choses au moins par affection ; et ne nous servir des créatures que par charité et par nécessité, soit au regard de notre prochain, soit au regard de nous-mêmes. Une âme qui n'est pas bien sur ses gardes est continuellement blessée des créatures.lxxii

Or pour le mieux concevoir, je fais distinction de trois sortes de créatures. La première des créatures malignes, la seconde des créatures raisonnables et la troisième des créatures simples et innocentes.

La première sorte de créatures est celle qui nous porte au péché et celle-là est détestable et nous les devons fuir plus loin que l'enfer, parce que leur malice est si épouvantable qu'elle nous convertit en abomination. Or cette première sorte de créatures doit être rejetée sans aucune miséricorde et n'avoir jamais de liaison avec elle.

235. Directives spirituelles qui lui ont été données par le père Jean Chrysostome qui fut son directeur spirituel de 1644 à 1646, puis par Jean de Bernières à qui elle s'adressa après la mort du père Chrysostome (26 mars 1646).

236. 1 Co 7, 31.

231

La seconde sorte de créatures que je nomme créatures raisonnables n'est pas si mauvaise que la première ; mais cependant elle a une malignité si grande en fonds que pour l'ordinaire sa conversation nous souille : soit par la pente naturelle que nous avons à nous profaner, soit par un instinct que la créature a de jeter son venin à ceux qui s'y lient et qui s'y confient. De sorte qu'il faut une grâce de prudence merveilleuse pour se garantir des corruptions dans lesquelles elles nous font entrer.

Oh ! qu'il faut être vigilante et se tenir sur ses gardes ! Les anges mêmes seraient capables de nous faire trébucher, non qu'ils soient malins en leur nature, mais bien parce que nous le sommes en la nôtre, mais de telle sorte que nous corrompons les plus saintes créatures et que notre vanité en fait d'étranges profanations.

Si nous sommes capables de nous souiller dans les saints et les âmes les plus élevées, que ferons-nous dans la conversation des plus imparfaites et de celles qui correspondent à notre malignité ? O combien de misères et d'impuretés nous contractons dans ce rencontre ! Une vaine complaisance, une vanité, une satisfaction en nous-mêmes, une recherche d'approbation, une tendance à l'estime et à la louange, combien de détours pour faire entrer les créatures dans nos sens, pour nous introduire dans leur esprit ! Nous avons en nous une pente effroyable. Et dans les entretiens, que faisons-nous ? Inutilités, amusements, perte de temps, murmure, dissipations, etc. Enfin la créature nous entraîne insensiblement dans le péché. Il est donc juste d'avoir un désir de la fuir. Hélas ! je ne dépeins que l'ombre de leur malignité et des désordres qu'elles font dans les âmes qui s'y lient et qui s'y engagent. Et je ne m'étonne pas que les âmes qui cherchent Dieu avec tant d'ardeur et de fidélité se retirent dans le plus profond des déserts pour n'être plus diverties ni corrompues par les créatures. Oh ! si vous conceviez le tort que les créatures vous font tous les jours, vous seriez toute étonnée. Oh mon Dieu ! quand sera-ce que nous aurons assez de force et de courage pour les détruire et les anéantir ? ou pour mieux dire : souffrir que la grâce en fasse en nous la destruction.

Les créatures raisonnables ont cela de mauvais en elles, qu'elles ont en elles une capacité de péché et de faire tomber dans le péché ceux qui s'attachent à elles. O quelle humiliation ! Etre un objet de péché, et [d'] être capable de corrompre les plus saints. Quand je vois ce que je suis en toute manière, j'ai des sujets de me confondre éternellement. Car il est vrai que les créatures me font pécher. Mais je puis aussi par un égal, et possible plus grand fonds de malignité, les corrompre aussi. Oh mon Dieu ! quand me donnerez-vous la grâce de me connaître en fonds, afin que je demeure sinon humiliée, du moins confondue à jamais dans l'abîme de mon néant ! Hélas ! que d'aveuglement sur la terre ! Que deviendront ces malheureuses créatures qui prennent tant de plaisir d'attirer les autres dans le péché, qui se peinent et tourmentent pour les y attirer ? O abomination de désolation, qui la peut pénétrer sans mourir ?

La troisième sorte de créatures desquelles il nous faut encore dégager sont les créatures simples et innocentes. Nonobstant leur innocence et qu'elles soient sans malice, nous avons la malignité en nous qu'elles n'ont pas, et ainsi nous les pouvons corrompre et nous en souiller. Je regarde donc dans cette qualité d'innocence les créatures inanimées. Elles ne sont pas capables en elles-mêmes d'offenser Dieu ; mais l'usage que nous en faisons les déshonore bien souvent et nous fait tomber en de grands crimes. Nous le voyons, par trop d'expérience, à ceux qui en usent par excès : les uns dans le manger, les autres dans le luxe, etc. Ainsi nous pervertissons les créatures simples et innocentes par des usages mauvais, et notre âme en demeure blessée.

Il faut une grande habitude de mortification pour demeurer pure dans l'usage actuel des créatures. Il faut tendre à une continuelle mort, mais sans relâche, et ne leur point donner de trêve que nous ne les ayons toutes anéanties. Je n'entends pas par cet anéantissement condamner les usages que la nécessité et le prochain nous obligent d'en faire, mais il en faut user, comme l'Apôtre, avec un tel dégagement que notre âme soit prête à tout moment d'en être séparée.

Il en faut user par pure nécessité et non par sensualité ; comme en passant, et non par attache. Car notre âme ne doit prendre vie qu'en Jésus-Christ, et rien ne la doit lier et captiver que son amour. Cette vie est un passage, ce n'est pas la demeure permanente de notre âme. Si elle doit passer, elle ne doit point s'attacher à toutes les créatures dont vous usez actuellement : soit pour l'entretien de votre vie, soit pour votre divertissement ou pour le nécessaire. [Elles] ne doivent rester dans votre esprit que le temps que vous êtes obligée d'en prendre

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l'usage ; et puis vous en devez perdre le souvenir, et en user, comme je vous ai déjà dit, avec dégagement d'esprit, avec prudence et discrétion.

Depuis que Notre Seigneur m'a fait la miséricorde d'être sans désirs, sans choix, sans volonté et sans affection, les créatures n'ont pas eu tant d'empire sur mon âme. Mais il faut demeurer dans la mort. Autrement si l'on en sort, on les rencontre à tous moments ; et elles nous causeront bien du désordre.

Soyez silencieuse au-dedans et au-dehors et aimez le recueillement d'esprit, et vous vous délivrerez de la tyrannie des créatures. Oh ! qu'une âme est malheureuse qui s'en rend captive ! Il est impossible de posséder une vraie paix dans le tracas des créatures. Pour conclusion, elles nous séparent de Dieu. Car tant qu'une âme goûte les créatures, elle ne peut entièrement goûter Dieu. Ce seul point bien considéré est capable de nous en retirer, et nous devons bien demander à Dieu leur destruction en nous, qu'elles y soient toutes anéanties, et que nous le soyons en elles, que nous n'y ayons plus de part ni plus de vie237.

Oh ! qu'il est difficile d'y mourir, si Notre Seigneur Jésus-Christ ne les égorge par sa vertu divine ! Nous avons trop d'amour-propre pour faire ce coup. Attendons-le de la pure miséricorde de Jésus-Christ. Et cependant, tenons nos esprits libres et dégagés autant qu'il nous sera possible. N'admettons point les créatures en nous volontairement. N'en faites usage que de pure nécessité et charité, tant au regard de votre prochain qu'au regard de vous-même, sans jamais y rechercher satisfaction ni goût ni complaisance ni louange ni vanité ni le reste que notre fonds malin nous fait appéter238, et que je serais trop longue à vous exprimer.

Venons à l'usage des créatures, et voyons comme nous en devons user sans nous souiller et plonger en icelles. Premièrement, vous devez savoir que vous êtes obligée de vous servir des créatures par l'ordre de Dieu. Exemple : il faut boire, manger, converser, et le reste. Vous y êtes nécessitée, je l'avoue, soit pour la conservation de votre vie, soit pour les affaires de votre condition de créature raisonnable qui vous oblige à la société. Il faut faire en ces rencontres ce que je vous ai dit tant de fois : il faut en user sobrement, sans se réfléchir sur le goût ni sur

237. 1 Co 3, 19-21.

238. Du latin appeterer : désirer vivement — a donné appétit.

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l'agrément, ains sur l'ordre du bon plaisir de Dieu qui vous y nécessite, et n'en faire usage plus ou moins que selon le besoin.

Or vous en pouvez user par charité au regard de votre prochain, le divertir, et faire la même chose à vous-même par ce pur motif de charité. Mais jamais vous n'en devez faire usage par sensualité et pour votre pure satisfaction ou par complaisance ; autrement vous feriez comme les bêtes qui en usent de la sorte.

Un des plus grands empêchements de notre perfection, c'est le mauvais usage que nous faisons des créatures. Elle nous amusent et nous arrêtent en notre voie ; et pour l'ordinaire elles consomment en nous très inutilement beaucoup de temps. Elles nous souillent. Elles font un entre-deux entre Dieu et notre âme. Elles nous affaiblissent. Bref, elles ruinent notre fonds, profanent notre grâce, et nous retirent de Dieu. Oh quelle misère, et quelle désolation ! Pourquoi sommes-nous en ce point si insensibles ? Hélas ! au lieu de gémir notre malheur, nous nous y complaisons, nous nous y plongeons volontairement ; et le mal est que nous voyons plutôt la créature dans les usages que nous faisons d'elle, que l'ordre de Dieu et sa divine volonté qui nous y applique.

Il faut vous prêter à la créature par charité selon les besoins qu'elle a de vous, mais il ne s'y faut point donner. Car après que vous avez fait à son égard ce que Dieu demande de vous, vous la devez oublier sans vous y plus réfléchir ni vous souiller par les retours qui souvent vous font tomber en infidélité par les complaisances, l'orgueil et vanité secrète ; et possible encore par des malignités plus grandes. Aussitôt que vous avez fait usage de la créature, de quelle sorte ou qualité qu'elle soit, retirez-en votre pensée et vous réabîmez en Dieu. Voilà comme il faut faire pour ne se point souiller dans les créatures et pour en être bientôt dégagée. Car si vous quittez les créatures, les créatures vous quittent ; et dans la suite du temps vous n'en serez plus captive.

Je connais une âme qui les a bravées et surmontées en quelque manière. Elle s'en joue et ne s'en peut plus soucier, depuis que Notre Seigneur lui a fait connaître par son expérience le néant de toutes choses. Elle n'a plus de peine de souffrir le mépris et les rebuts des créatures ; je crois même qu'elle en fait les sujets de sa gloire et de sa complaisance.

235

Il n'y a que Dieu qui soit en vérité ; tout le reste n'est point, c'est-à-dire : ce n'est que vanité239. Or si toutes les créatures ne sont que vanité, peuvent-elles avoir assez de forces pour nous troubler ? Quoi, ma fille, une bouffée de vent nous renversera ? Oh ! quelle faiblesse qui ne procède que de notre aveuglement ! Nous ne voulons point connaître la vérité et ainsi nous demeurons dans le mensonge, dans l'inconstance et la vanité. Et après cela, vous étonnez-vous de nos misères ? Pour moi, je m'étonne que Notre Seigneur ne nous abandonne, lorsqu'il voit notre malice volontaire. Nous touchons du doigt la vérité que je vous dis ; et si je vous presse de m'en dire votre sentiment, vous avouerez sans hésiter que toutes ces choses sont véritables. Mais nous nous contentons de confesser la vérité et nous demeurons dans nos vieilles habitudes. Hélas ! si Dieu n'a pitié de nous, la mort nous prendra dans quelque espèce de bon désir qui n'aura jamais son effet.

Mettez donc la main à l'oeuvre, et commençons à nous détromper des créatures. Ne les regardons plus dans ce qu'elles paraissent à nos sens, mais regardons-les par les yeux de Jésus-Christ, afin que vous voyez en vérité ce qu'elles sont. Car les créatures ne doivent être estimées de nous que selon l'estime de Jésus-Christ ; et comme vous ignorez ses voies et ne pouvez pénétrer ses jugements, vous devez suspendre le vôtre lorsqu'il s'agit de juger et d'estimer ce que vous croyez être bon et saint ; parce que vous ne savez pas ce que Jésus-Christ en juge.

Je me trouve bien de laisser tout à Jésus-Christ, mais pourtant de bien pénétrer par sa lumière le néant de toutes choses en leur être et en leur capacité naturelle. Si une fois vous aviez bien conçu votre néant, vous n'auriez pas de peine de vous séparer de toutes choses. Vous ne pourriez vivre un moment séparée de Jésus-Christ. Je le prie, ma fille, vous donner cette connaissance en plénitude et qu'elle soit un motif de votre totale conversion.

J'en dis trop, je ne saurais finir. Je veux néanmoins conclure en vous priant de faire une petite réflexion sur les usages que vous avez fait, en votre vie passée, des créatures. Sans doute vous y trouverez bien de l'impureté et bien de quoi vous en humilier et confondre. En avez-vous usé par pure obéissance et soumission à Dieu ? Avez-vous envisagé ses ordres et ses conduites ? En avez-vous usé en pureté d'amour, n'ayant point d'autre motif que Dieu ? Avez-vous point souillé les créatures en bien des manières ? Pouvez-vous assurer de n'avoir jamais commis de péché en autrui ? Que votre malignité n'a point rejailli sur les créatures, même les plus innocentes ? Que la vanité, la complaisance n'aient pas pour l'ordinaire emporté le dessus ? Pouvez-vous bien montrer une action dans toute votre vie qui ne soit corrompue et souillée par vos sens ? Enfin les recherches très impures de notre amour-propre [sont continuelles ]240.

O quelle humiliation ! Les créatures ont toujours vécu en nous, et nous avons toujours pris vie dans les créatures. Voilà la belle vie que nous avons menée, une vie qui était plus dans la vanité que dans la vérité, qui avait plus en vue nos propres intérêts que la plus pure gloire de Dieu.

Hélas ! nous ne savons encore ce que c'est que d'aimer Dieu pour l'amour de lui-même. Nous en disons bien quelque chose de bouche, mais nous démentons nos paroles par nos oeuvres. Nous nous regardons sans cesse ; et si vous prenez garde à votre esprit, il est cent fois plus appliqué à vous qu'à Jésus-Christ. Nous sommes très vigilantes pour nos intérêts, et nous sommes rarement contentes des dispositions où la divine Providence nous met. Nous avons toujours de quoi nous plaindre : tantôt de nos ténèbres et de nos impuissances, et quelquefois de notre pauvreté. Et si nos sens n'ont quelque satisfaction, il y a toujours quelque gronderie couverte. Enfin il se faut voir. Ne trouvez-vous pas cette pente bien détestable ? Oh ! que je la hais dans vous et dans moi.

Je prie Notre Seigneur qu'il nous détourne de nous-même, pour nous lier et unir très étroitement à lui. Désoccupons-nous de nous-même comme de la plus maligne créature qui soit sur la terre. Faisons notre demeure en Dieu. C'est là le lieu de la vraie et réelle solitude que vous pouvez posséder au milieu du monde et de toutes les affaires où votre condition vous lie. Dans les déserts votre esprit y porte bien souvent les créatures ; mais quand vous vous retirez en Dieu, la vertu divine les anéantit.

O quel bonheur d'avoir Dieu pour tout ! Mais qu'il est grand de l'avoir en nous-mêmes ! Il ne faut point sortir de votre

240. Phrase suspensive au D. 10 — le manuscrit conservé à la B.N achève la phrase : sont continuelles

239. Qô 1, 2.

237

fonds intérieur pour le trouver : aussitôt que vous vous convertissez à lui, il se convertit à vous241 et vous le possédez et l'embrassez dans le secret de votre âme. Personne ne vous voit et personne ne vous peut empêcher ce sacré et divin commerce. Trouvez-vous pas, ma fille, cette grâce infiniment grande ? Car vous pouvez en jouir à tout moment.

C'est la leçon qui a été donnée à une âme qui aimait et désirait la solitude, et qu'elle ne pouvait posséder extérieurement à raison des emplois où la Providence la tenait. Mais il lui fut montré que la vraie solitude est dans l'essence divine, et que la meilleure retraite était d'être recueillie en Dieu, de demeurer en Dieu et de n'en jamais sortir, autant qu'il est à notre possible. Dès lors cette âme apprit à trouver sa solitude en Dieu et à le posséder avec paix et tranquillité d'esprit très grande. Aussi a-t-elle trouvé un repos que le monde ne lui peut ôter. Oh ! qui pourrait dire ce qu'une âme fidèle reçoit dans cette aimable solitude ! Je ne suis pas digne d'en expliquer davantage. Tout ce que j'en crois, c'est qu'elle possède ce qui ne se peut dire.

Laissons ces âmes-là jouir de leur paradis en terre, et tâchons de les suivre en nous retirant des créatures, au moins de coeur et d'affection, si nous ne le pouvons être d'effet et par des retraites extérieures. Faisons notre solitude dans Jésus-Christ ; demeurons seules avec lui seul. Apprenons à trouver toute notre suffisance en lui et nous verrons que sa grâce nous sera très favorable.lxxiii

Goûtez ma fille, de cette chère solitude, et priez Notre Seigneur Jésus-Christ qu'il m'y donne un peu de part : j'en ai un besoin extrême pour me garantir des créatures que vous voyez venir m'attaquer. Hélas ! si j'étais bien cachée dans cette divine solitude, on ne me trouverait pas. Mais le malheur a voulu que l'on m'a trouvée vagabonde parmi les créatures ; et les créatures ont fait comme à cette pauvre épouse qui ne fut pas assez fidèle à ouvrir la porte à son époux : comme elle sortit pour le chercher, les gardes de la cité qui représentent les créatures la maltraitèrent et lui ôtèrent son manteau d'épouse que représente la robe d'innocence242. O quelle perte ! Priez Notre Seigneur qu'il la répare en moi et que désormais les malheureuses créatures n'aient plus d'empire sur mon âme et que je commence à vivre d'une vie solitaire en Jésus-Christ et dans Jésus-Christ.

n° 3086

241. Au sens de se tourver vers...

242. Ct 5, 4-7.

238

SUR LE SILENCE

Ma fille, j'avais quelque désir de vous écrire aujourd'hui, mais Notre Seigneur n'a point secondé mon petit désir, et sa Providence m'a assez fait paraître qu'il agréait la privation en laquelle vous et moi devons prendre aussi nos plaisirs.

Vous dites que je vous donnai hier de grandes leçons, particulièrement sur le silence. Il me semble que vous l'avez un peu compris, et c'est ce qui me détermine de vous en écrire plus amplement quand la Providence m'en donnera le loisir243.

O mon enfant, c'est un grand secret pour faire un grand progrès dans l'oraison de savoir bien garder le silence en la présence de Notre Seigneur. C'est par le silence qu'on s'anéantit devant cette adorable Majesté, et c'est dans le profond silence que Dieu se fait entendre244 d'une manière admirable. Je prie son Saint-Esprit vous le faire bien comprendre, ou plutôt vous y plonger sans le savoir, afin que votre amour-propre ne souille point la grâce.

Oui, je trouve bon que vous travailliez au silence selon votre capacité présente, en attendant que je vous fasse répéter votre leçon et que je vous en écrive davantage. J'espère que la Providence m'en donnera la grâce et le temps. Commençons donc à travailler utilement, comme vous dites. Ne nous amusons plus qu'aux choses éternelles. Et quel moyen d'aimer ce qui périt ? Retirons-nous et nous substantons des choses vraiment solides. Je veux que votre nourriture soit Dieu même, et que le reste ne nous soit agréable que pour lui et par lui. Goûtez la suavité divine, rassasiez-vous de Dieu et vous verrez que le reste est insipide.

Vous dites que c'est pour me faire faire pénitence que Dieu vous a donnée à moi. Oh ! que cette pénitence me sera

243. Cette instruction parait être composée d'un court billet, annonçant une lettre qui commencerait à : « O mon enfant... ».

244. Sg 18, 14.

239

douce et agréable s'il me fait la grâce de vous rendre à lui, et s'il me donne la consolation de vous voir fidèle. Oui, je le dis devant Dieu et ses anges, que votre âme m'est plus précieuse que tout ce que votre entendement peut comprendre. Elle m'est infiniment plus chère que cent millions de vies ; et parce qu'elle m'est intime et chère plus que tout ce que je vous dis, jugez quelle joie je recevrais de la voir toute réunie à Jésus-Christ, et combien je lui voudrais procurer de grâces et de bénédictions, si je le pouvais. Mais hélas ! je n'ai que de bons désirs : vous savez mon extrême impuissance. Mon enfant, je vous assure que la présence ne nous unit pas davantage. Le coeur et l'esprit sont indissolublement liés par Jésus-Christ. Ni la vie, ni la mort, ni le glaive, ni l'enfer, ni les persécutions, ni la hauteur, ni la profondeur, ni les anges, ni aucune créature ne nous séparera de la charité et de l'union que nous avons en Jésus-Christ et par Jésus-Christ245.

Vous dites que ce n'est pas assez d'être près de mon coeur, vous désirez entrer dedans pour y être sacrifiée et rendue victime avec moi. O mon enfant, que l'autel de mon coeur est impur ! Je vous y reçois, nonobstant mes indignités, puisque nos misères servent de trône à la miséricorde de Jésus-Christ. Je veux espérer de sa bonté qu'il recevra notre sacrifice et qu'il le consommera un jour par le feu sacré de son pur amour. Ce sont les désirs de deux coeurs qui sont faits un en Jésus-Christ.

n° 894

INSTRUCTION SUR LE SILENCE

Puisque votre vie ne doit être autre chose qu'une suite de la vie de Jésus, il faut que vous appreniez à garder le silence comme Jésus et à parler et opérer comme Jésus. C'est une leçon que nous vous avons souvent réitérée ; mais puisque vous ne vous ennuyez point d'entendre les choses nécessaires à votre perfection, je commencerai à vous parler du silence d'esprit et de la langue.

245. Rm 8, 38-39.

Ce n'est pas sans cause, ma fille, que nous vous avons tant exhortée au silence, à parler peu et à bien peser ce que vous devez dire ; parce que, selon l'Ecriture : « le beaucoup parler n'évite point le péché » ; et saint Jacques dit que : « celui qui ne pèche point en parole, il est parfait »246. Nous avons des exemples presque infinis des mauvais effets de la langue ; mais je ne m'arrêterai pas à vous les raconter. Il suffit de dire que vous en avez vous-même assez, voire trop d'expérience ; et qu'il y a peu d'âmes qui ne se rendent plus ou moins criminelles par le beaucoup parler.

Je sais et je puis dire avec douleur et regret que j'ai péché une infinité de fois par la langue ; et que me voyant si malheureuse que d'offenser Dieu à toute heure par la parole, j'ai demandé à Dieu plusieurs années la grâce d'être muette, puisque ma faiblesse était si épouvantable et la malignité de mon fonds si horrible que je ne me pouvais garantir de ses méchants effets. Mais j'ai été indigne de l'accomplissement de mon désir. Je suis contrainte de souffrir cette extrême misère en moi et un grand nombre d'autres que mon orgueil mérite de ressentir.

Mais puisque la nécessité nouspresse de parler quelquefois, il faut parler comme Jésus-Christ et se taire comme Jésus-Christ. Vous savez qu'il a gardé trente ans un profond silence. Saint Joseph parlait peu et la très Sainte Vierge encore moins. Voilà un exemple de silence admirable et qui vous doit toucher et confondre votre propre suffisance et l'orgueil qui vous fait produire et agir. Pouvez-vous mieux parler que Jésus-Christ et dire des choses plus saintes et plus justes ? Et cependant l'Evangile dit : « Jésus se taisait »247. Il garde le silence pour vous mériter la force de l'observer dans les occasions. Il faut donc apprendre à vous taire. Aussi est-ce au Maître de parler et au disciple d'écouter248. Vous êtes écolière, ma fille, et écolière de Jésus-Christ : écoutez donc votre divin Maître.

Je vous ai dit qu'il y a deux sortes de silence : l'un de l'esprit, l'autre de la parole. Celui de la parole se doit exactement observer en deux ou trois manières :

1. De ne jamais parler inutilement.

2. De parler d'une voix modérée.

246. Prov 10, 19 ; Ja 3, 2 ; Règle de saint Benoît, chap. VI, 4.

247. Mt 26, 63.

248. Règle de saint Benoît, chap. VI, 6.

240

3. Avec prudence et présence d'esprit, c'est-à-dire sans activité ni précipitation.

L'on tombe souvent en faute, mais très importante, pour n'être pas assez considérée en ses paroles. Il faut peser en la présence de Dieu ce que l'on doit dire, notamment les choses plus importantes, et se rendre attentive à Dieu pour parler selon son esprit et pour sa gloire.

Si les simples paroles vaines sont châtiées si exactement249, combien le seront plus rigoureusement celles qui ont plus de malignité et qui sont plus volontaires ? Il y a beaucoup de motifs qui vous doivent porter au silence ; mais le plus pressant, et qui vous doit plus toucher, c'est qu'il purifiera votre âme et la rendra plus capable de la présence de Dieu. Il vous donnera plus de facilité au recueillement intérieur, et vous disposera à recevoir les dons de Dieu. Si la parole oiseuse souille votre âme, combien par le silence éviterez-vous de péchés !

Aimez le silence. Ecoutez beaucoup et parlez peu. Avant que de vous engager dans les discours de longue haleine et de chose importante, élevez votre esprit à Dieu, le suppliant de parler par vous et de vous préserver de l'offenser par la langue. Il est malaisé de beaucoup parler sans pécher ! Pesez bien cette vérité tirée de l'Ecriture Sainte, et la mettez en pratique. Parlez sans scrupule des choses nécessaires et de vos obligations, et dans les rencontres où la charité demande vos paroles ; mais n'en dites que le moins que vous pourrez de superflues.

Tâchez que toutes vos paroles honorent Dieu, comme les paroles de Jésus-Christ honoraient son divin Père. Ayez toujours le désir de produire par icelles Jésus-Christ, de le faire connaître et de le faire aimer des âmes à qui vous serez obligée de converser et de communiquer. Prenez bien garde, dans la multitude de paroles, de blesser votre prochain. C'est une chose bien délicate et où l'on tombe insensiblement, même souvent, par complaisance.

Ne parlez jamais des défauts d'autrui ; et lorsque dans les compagnies l'on en dit quelque chose, observez prudemment votre silence ou, si vous pouvez, détournez adroitement le discours, afin d'éviter quelque péché que l'on peut facilement commettre en pareilles occasions.

Ne contestez jamais contre personne quand il n'y ira que de votre propre intérêt. Cédez en tout ce qui vous sera possible,

249. Mt 12, 36.

sans pourtant excéder la discrétion et l'autorité que vous devez conserver pour régler vos domestiques, non en maîtresse sévère, mais en chrétienne remplie de la charité de Jésus-Christ qui, étant le Maître et Seigneur de tous, se rend le moindre et serviteur de tous250. Mêlez l'huile avec le vin, comme le bon Samaritain251 de l'Evangile. Ayez de la gravité et de l'affabilité tout ensemble ; mais surtout, voyez toujours votre force, votre grâce et votre capacité en Jésus-Christ.

Dans les entretiens, ne parlez de vous que le moins qu'il vous sera possible. Il est impossible d'en beaucoup parler sans se produire et sans se souiller de plusieurs autres infidélités. Les complaisances, la vanité et la propre excellence font bien leur jeu dans la multitude de discours.

Soyez attentive à Dieu, et vous verrez que ce que je vous dis est important et très véritable. N'ayez jamais une complaisance si malheureuse que de déplaire à Dieu pour plaire à la créature. Et lorsque vous connaissez que Dieu veut de vous quelque fidélité, soyez immuable à tout ce qui vous en peut détourner. Que Dieu soit toujours le premier dans vos pensées, dans vos paroles et dans vos intentions ; qu'il soit toujours Dieu puissant et régnant en vous. Ne préférez jamais rien à son amour252.

Ma chère fille, je vous recommande très instamment ces choses. Peut-être seront-ce les dernières instructions que je vous donnerai ? Je prie Notre Seigneur qu'il les imprime dans votre coeur pour sa gloire. Je suis bien indigne de vous énoncer ses volontés, mais je dois faire en simplicité ce qu'il m'ordonne, en attendant qu'il vous donne un truchement plus capable de vous faire entendre et exprimer ses desseins.

Oh ! que j'aurais de choses à vous dire en la vue de votre éloignement, non seulement sur le silence, mais sur beaucoup d'autres points très importants. J'espère toujours que Notre Seigneur sera votre Maître et qu'il vous fera lui-même connaître son bon plaisir. Mais pour vous disposer à recevoir une telle grâce, il faut entrer dans le silence intérieur et commencer d'être plus présente à lui et plus attentive aux mouvements de sa grâce. Il faut pour en venir là et vous mettre en un état plus

250. Jn 13,13-14.

251. Lc 10,34.

252. Règle, chap. IV, 21.

digne de recevoir les divines leçons de votre adorable Maître congédier toutes les inutilités de votre esprit : les pensées et les discours inutiles et même extravagants de votre esprit. Il faut renoncer à la complaisance de vos pensées et apprendre à vous taire, puisque vous êtes devant votre maître, votre juge et votre roi.

Il faut du silence, de l'amour, du respect, et sans ces trois points vous n'apprendrez rien à cette sacrée école. Le silence vous dispose pour entendre. L'amour vous fait embrasser les instructions que l'Esprit de Dieu vous donne. Et le respect vous tient dans une profonde révérence de la science de Jésus-Christ.lxxiv

Soyez donc attentive à Dieu présent avec amour et respect. Ne vous oubliez jamais de ces trois points qui ne doivent point être l'un sans l'autre. Car si vous êtes attentive sans amour et respect, les paroles de Jésus-Christ ne feront point en vous les effets qu'elles y doivent faire. Si vous êtes sans attention, vous n'entendez pas sa voix. Si vous êtes sans amour, votre opérer [agir ] est sans vie et sans âme. Donc que l'amour et le respect se tiennent liés inséparablement à l'attention. C'est pour cela que je vous ai tant de fois recommandé l'attention amoureuse à Dieu présent. Souvenez-vous de Dieu avec amour et respect.

Soyez donc en silence d'esprit pour entendre la voix de Dieu qui parle à l'âme en diverses manières : quelquefois par des paroles formées, autrefois par des touches au fond du coeur ; quelquefois par des traits délicats qu'il fait ressentir au suprême de l'âme, autres fois par ses divines inspirations ; quelquefois par quelques paroles ou actions, même extérieures, que nous voyons ou entendons en autrui.

Dieu a des voix partout : dans les flammes, dans les eaux, voix dans la vertu, dans la magnificence, etc., selon que David nous l'apprend253. Et le grand secret de la vie intérieure, c'est de bien entendre ces voix et se rendre à ce qu'elles nous enseignent. Il faut aussi entendre sa voix dans les afflictions, dans les mépris, dans les contradictions, dans les douleurs, dans les confusions. « Vox, Vox, Vox ». Voix, Voix, Voix partout, au Ciel et en la terre. Une âme attentive n'entend que des voix qui l'invitent à aimer, à adorer et à glorifier Celui qui est254. Toutes ces voix vous appellent pour voir et connaître Dieu en toutes choses, pour vous faire adorer sa sainte main qui vous applique la croix, les clous et les épines, qui vous dit de souffrir pour le pur amour, qui vous convie à vous humilier et anéantir au-dessous de toutes les créatures, qui vous exhorte à la fidélité en toutes occasions.

Ma fille, écoutez cette divine voix et gardons-nous, dit l'Ecriture, d'endurcir nos coeurs »255 Soyez flexible à ses amoureuses semonces. Quittez tout pour le suivre. Possible me demanderez-vous, qu'est-ce que le silence d'esprit intérieur, et comment on le peut observer ?

Le silence d'esprit consiste à faire taire les trois puissances de l'âme. Il y a deux manières de se taire : la première est d'anéantir toutes les opérations des puissances, faisant de notre part tout ce que nous pouvons, aidées de la grâce, pour nous mettre dans un vide de tout nous-mêmes. Et cette manière s'appelle anéantissement actif, à raison du travail que l'âme fait pour y arriver :

Premièrement elle met la mémoire en silence, selon son pouvoir, en ne correspondant point à tous les objets qu'elle représente à l'entendement. Elle les néglige autant qu'elle peut pour vider cette puissance et l'empêcher de ses productions qui distraient l'âme du simple souvenir de Dieu en foi, qui est plus précieux à l'âme et plus glorieux à Dieu que toutes les imaginations que l'esprit se peut représenter. La mémoire donc garde le silence parce qu'on ne lui souffre pas de se ressouvenir ni s'occuper volontairement d'aucune chose créée.

L'entendement est de même en silence quand on ne reçoit point ses images ni ses raisonnements. Il faut négliger toutes ses productions pour se rendre attentive à Dieu en pure foi, sans le revêtir de nos imaginations. Il faut anéantir sa curiosité naturelle et se contenter de Dieu seul qui saura bien vous illuminer quand il lui plaira.lxxv

Votre volonté est en silence lorsqu'elle n'a aucun désir, aucune affection vers les choses créées, et que rien ne l'engage plus sur la terre ni même pour les intérêts de sa perfection. Elle est toute en Dieu, elle se laisse toute à lui.

Dans votre oraison présente, votre mémoire doit se souvenir simplement de Dieu, votre entendement le doit croire, c'est-à-dire doit être élevé à Dieu en foi, et votre volonté doit être en

253. Ps 148 ; Dn 3, 57-87.

254. Ex 3, 14.

255. Ps 94, 8.

amour pur et simple, vous laissant tirer doucement par le trait puissant de la grâce de Notre Seigneur qui vous attirera comme il lui plaira, plus ou moins, selon la pureté et fidélité de l'âme ou selon le bon plaisir du Maître qui purifie quelquefois longtemps les âmes dans des états de peines, de ténèbres et de privations, pour les disposer à recevoir les hautes grâces et miséricordes qu'il leur veut communiquer. lxxviIl faut, mon enfant, que vous soyez très fidèle en toutes les différentes dispositions que la Providence vous fera porter.

Si votre mémoire vous représente dans votre oraison des choses qui ne servent qu'à vous distraire et effacer le simple et amoureux souvenir de Dieu, il faut les négliger et n'y point prêter d'attention. J'en dis de même de votre entendement qui voudra quelquefois produire avec des activités naturelles. Négligez toutes ces vivacités et impertinences, vous élevant doucement à Dieu par-dessus toutes ces choses ; et si le bruit et tintamarre est trop grand, que vous ne le puissiez anéantir vous-même, en vous abandonnant à la permission divine qui vous veut crucifier par ces choses, demeurez paisible. On appelle cet anéantissement, anéantissement de volonté, qui est le plus excellent de tous ; car la volonté comme la dame et maîtresse étant anéantie, les autres puissances n'ont pas grand pouvoir. Or vous ne pouvez pas toujours anéantir les opérations de votre mémoire, ni de votre entendement ; mais pour la volonté, vous la pouvez anéantir ; car vous n'avez qu'à le vouloir à raison de votre liberté.lxxvii Et quand vous dites : « Je ne veux point ceci ou cela », la volonté se fait obéir. Or votre volonté s'anéantira par l'affection que vous avez de vous laisser toute à Dieu, abandonnée sans réserve à son bon plaisir, ne voulant plus rien choisir au Ciel ni en la terre que ses divines volontés.

n° 2549

DE L'EXCELLENCE ET DES BONS EFFETS DES CROIX

Ma chère fille. J'avoue que vous me pressez sans me contraindre à trouver moi-même des moyens pour ne vous point abandonner. La liaison est bien étroite, et toutes ces petites bourrasques ne servent qu'à la purifier et serrer plus intimement. Il faut un peu de traverses dans la vie pour nous dégager de beaucoup de choses qui nous souilleraient et à quoi nous aurions des attaches vicieuses.

Je suis ravie d'aise de vous voir produire cet acte héroïque qui vous fait dire : que je fasse ce que Dieu me fera faire, qu'e vous le voulez respecter et demeurer dans votre douleur, puisque la croix est votre partage !

Pesez bien ce que vous dites : oui, la croix est votre partage en qualité d'enfant de Dieu ou de chrétienne. Si vous le voulez mieux entendre, ça été le partage de Jésus-Christ qui l'a reçue de la main de son Père. Voudriez-vous n'y avoir point de part ? Je réponds pour vous et dis que vous choisirez toujours la croix par preciput256, la lumière de la foi vous ayant fait connaître son excellence. Il faudrait que Jésus-Christ votre divin Maître ne l'eût point tant exaltée pour mépriser la dignité qu'il a mise en elle. Notre sanctification y est attachée, car il est impossible d'être sainte sans être en croix. La pureté de vie est en la Croix, toutes les vertus sont en la Croix : la profonde humilité est en la Croix, le sacré anéantissement est en la Croix, la mort est en la Croix et la vie même s'y rencontre257.

O Croix précieuse, ô Croix très adorable qui mortifie, qui vivifie et qui sanctifie ! Croix puissante qui as la grâce de faire des saints, de convertir les pécheurs, bref de consommer les âmes en l'amour sacré de Jésus-Christ ! Qui serait l'âme qui vou-

256. Du latin juridique : Praecipuum : droit de prélever certains biens sur une masse commune. D'après le contexte, il semble que Mère Mectilde considère que la comtesse choisira la Croix comme le meilleur bien voulu, pour elle, par Dieu.

257. 1 Co 1, 18 ; Ga 6, 14.

247

drait être sans croix, connaissant son excellence ? Il faut qu'une âme qui ne veut point la croix renonce à son salut, car il n'y en a point qu'en la croix. Ce nom de Croix est si aimable aux âmes de grâce qu'elles le portent gravé dans leur coeur, et si on les faisait vivre sans croix, elles seraient terriblement crucifiées de n'être pas en croix. Suivons ces grandes âmes, quoique de loin, mais selon nos forces et la capacité que Jésus met en nous. Si vous n'avez point un si grand amour pour la croix, du moins n'en ayez point de rebut ; puisque c'est le trésor que Notre Seigneur a possédé sur la terre et qu'il a laissé pour héritage à ses élus. Ce serait renoncer à notre bonheur éternel si nous en quittions notre part.

C'est donc en la Croix que je vous chéris et que je vous embrasse en l'amour d'icelle, vous y serrant avec Jésus-Christ, et vous y sacrifiant pour y être toute unie et consommée. C'est où je vous quitte sans me séparer de vous.

n° 901

JESUS-CHRIST SOIT ETERNELLEMENT DANS VOTRE CŒUR

Ma chère fille, je vous vois dans un esprit d'accablement, et je prie beaucoup Notre Seigneur qu'il vous soutienne. Certainement vous avez besoin du secours d'en-haut pour souffrir ce que Dieu, les créatures et vous-même vous font souffrir.

Il est question d'une grande fidélité pour se laisser toute abandonnée à la conduite divine, et quoique votre coeur tâche de se rendre à Dieu généreusement, votre pauvre nature en souffre douleur et voit très bien que petit à petit on la conduit à la mort. C'est pourquoi sa peine est grande. Il ne faut point l'accabler tout à fait. Vous êtes obligée de lui donner quelque petit soulagement, non pour lui donner vie, ains pour lui donner la force de souffrir de plus rudes et sensibles croix. Il la faut un peu fortifier pour la faire plus longtemps mourir. C'est ainsi que les saints en ont usé. Vous devez les imiter et vous offrir comme eux à tous les moments de votre vie pour être immolée et consommée pour Jésus-Christ et avec Jésus-Christ. Si Dieu nous fait vivre, il faut être bien plus collées à la croix et plus dans l'imitation de sa mort en croix. Ayons un grand courage, nous ne faisons que de commencer. Il faut aller bien plus avant, il faut trouver la mort ; nous en sommes encore bien éloignées, car nous prenons encore vie en toutes choses.

Je vous désire si sainte et si purement à Dieu que si je vous pouvais obtenir l'amour des plus purs séraphins je donnerais mille vies, si Dieu m'en avait donné autant. Pourvu que je vous voie bien à Dieu, il me suffit. L'amour que j'ai pour votre âme n'est pas pour les grandeurs de la terre que j'estime avec saint Paul boue et ordure258. Je vous aime pour l'éternité bienheureuse que Dieu vous prépare par sa miséricorde. C'est pourquoi je ne puis vous souhaiter que ce qui vous rendra digne de le posséder.

Qu'y a-t-il au Ciel et en la terre de plus précieux que Jésus-Christ ? Et c'est Jésus-Christ même que je voudrais produire dans votre coeur et en arracher tout le reste. Oh ! qu'il fait bon n'avoir rien que lui et être pauvre de tout le reste : n'avoir plus d'affection pour les créatures, plus de tendance aux honneurs de la terre, plus de part au monde et à tout ce qu'il contient. Oh ! sainte et sacrée pauvreté !

Donnez-vous à l'esprit et à la grâce de Jésus-Christ pauvre, afin que sa sainte pauvreté vous donne la force de souffrir que son amour vous appauvrisse. Plût à Dieu que nous soyons pauvres de la pauvreté de Jésus-Christ ! Oh ! si une fois son amour entre en nous, il nous dépouillera de toutes les créatures et de nous-mêmes. Nous n'avons qu'à le laisser faire, il fera des merveilles si nous ne l'empêchons point.

n° 1819

Je vous trouve dans une mer de douleur et de larmes ! Qu'avez-vous qui vous transperce si douloureusement le coeur ? La nature l'emporte-t-elle pas par-dessus la grâce ? Si vous souffrez en qualité de victime, la victime ne dit mot : elle est menée au supplice sans se plaindre, nonobstant qu'elle soit chargée des crimes de celui pour qui elle est faite victime, comme vous le voyez dans la figure de l'Ancienne Loi, et que vous voyez bien plus naïvement259 en la personne de Notre Sei-

258. Ph 3, 8.

259. Manifestement ou purement.

gneur Jésus-Christ qui a été pour les péchés de tout le monde immolé à la justice de son Père. Vous vous êtes offerte, il est vrai ; mais que votre sacrifice n'ait point d'autre vue que la gloire du Père éternel et de Jésus-Christ son Fils. Auriez-vous bien assez de courage pour lui immoler votre cher Isaac ? Vous le présentez d'une main, et vous le retenez de l'autre. Commencez d'ouvrir un peu les yeux de votre esprit que la lumière de la foi a éclairé, et voyez votre N...260 comme votre unique Isaac dans la main adorable de Notre-Seigneur. Elle est sous sa divine protection, et ce divin Seigneur l'aime d'un amour infini ; non comme les pères et les mères du monde aiment leurs enfants, pour les avancer dans la fortune du siècle, pour les faire grands sur la terre et les combler des misères de la vie que notre vanité et notre aveuglement nous font appeler délices et bonheur.

Jésus-Christ nous aime d'un amour trop saint pour nous aimer de la sorte. Il nous aime pour nous donner part à sa gloire. Il nous aime pour l'Eternité et pour nous faire goûter la vérité divine. Il nous aime pour nous unir à lui et nous faire, par sa grâce, une même chose avec lui.lxxviii Et nous ne voulons point respecter son amour. Pourquoi ? Parce qu'il n'est pas un amour satisfaisant l'impureté de notre amour-propre, qui se plonge dans la vanité de cette vie comme dans une félicité éternelle. Il se rassasie dans tous les objets humains. Il n'estime rien que ce qui contente la nature et qui satisfait notre esprit. La lumière de vérité ne luit point à nos yeux : la vanité et le mensonge sont le flambeau qui nous guide et qui insensiblement nous conduit au péché. Mais parce que l'amour de Jésus-Christ crucifie nos sens, nous ne le pouvons estimer ni souffrir et ainsi nous préférons la créature et le plaisir du péché à la pureté et sainteté de l'amour de Jésus-Christ. Jugez, ma fille, si nous ne sommes pas bien aveuglées.

Soyez désormais plus avisée : chérissez la part que votre chère fille doit avoir à l'amour de Notre Seigneur Jésus-Christ. Elle n'est point créée pour la terre : elle appartient à Jésus-Christ et il la veut rendre un digne objet de sa complaisance éternelle. Et pour cet effet il la comble de ses grâces en l'attachant à sa croix, où il faut que vous l'aidiez à s'y sanctifier.

260. La suite de la lettre fait comprendre qu'il s'agit de la fille de la comtesse, Françoise, épouse du comte de la Vieuville.

Aimez votre enfant comme Jésus-Christ l'aime ; aimez-la pour la béatitude éternelle, aimez-la dans la sainteté où Dieu la veut faire entrer. Ayez plus de désir que Dieu soit glorifié dans son âme par sa fidélité que de la voir délivrée de ce qui la crucifie.

J'ai beaucoup de choses à vous écrire, mais voici la sainte Messe. Je vous écrirai après, si Notre Seigneur m'en donne la grâce. Cependant vous pouvez communier si la Providence vous en donne les moyens, offrant votre croix à Notre Seigneur pour recevoir la grâce qui vous est nécessaire pour la porter. Et comme vous voyez qu'il n'y a point de remède humain, ayez recours au divin qui est Notre Seigneur Jésus-Christ, pour qu'il tire sa gloire de cette rude croix, à qui elle touche de plus près qu'à vous-même, quoique vous en soyez bien pénétrée.

Je prie Dieu qu'il bénisse la mère et l'enfant. Prenez courage, il en fera sa gloire. Il ne fait rien sans dessein, il est adorable ,dans ses conduites. Portez-y respect et soumission. Adieu.

n° 1815

Ma bonne soeur, lorsque j'ai reçu de vos nouvelles, je les attendais, ou votre personne. Ce sera donc pour cette après-dîner ; mais si vous voyez que cela fasse tant soit peu d'ombrage, il faut vous priver de cette petite consolation, vous abandonnant sans réserve à la conduite de Dieu. Gardez-vous bien de rabaisser votre trait pour, en cette rencontre, attribuer cette petite contrariété et opposition à la créature. C'est Dieu qui purifie votre fonds intérieur et qui vous donne matière de sacrifier votre Isaac. (Je puis appeler votre désir de la sorte, puisque le renversement vous en est si cher). Dieu l'accomplira quand son heure sera venue.

Je ne porte en moi que sentence de mort et cependant je ne puis entièrement mourir. Je vous prie de prier Notre Seigneur qu'il me donne la grâce de mourir sans réserve.

Ne vous affligez point de ce qui se passe. Si la continuation est utile, Dieu touchera... Souvenez-vous que vous êtes fille de Providence, que vous ne devez plus avoir de désir ni de volonté. Votre rassasiement et vos délices doivent être le bon plaisir de Dieu. Plongez-vous dans sa sainte volonté et y prenez vos plus douces complaisances. Il faut être à Dieu comme il veut, et non comme vous pensez. Laissez-vous conduire. Respectez les événements, quoiqu'ils vous mortifient. Adorez les

251

secrets jugements de Dieu en toutes choses et ses adorables desseins. Soyez toute abandonnée à son divin vouloir, et si sa Providence vous prive de venir, demeurez en paix. Voyez tout cela dans la conduite amoureuse de Dieu qui vous purifie, qui vous dépouille, en un mot qui vous désapproprie de l'attache secrète que vous pouvez avoir, sous prétexte de votre perfection.

Toute la sainteté consiste à être victime du bon plaisir de Dieu et je vous prie d'y être toute sacrifiée. Ne vous mettez en peine de rien que d'être très fidèle. La Providence qui est votre bonne mère ménagera le reste et vous donnera ce qui sera nécessaire à votre sanctification. Ne vous attristez de rien en ce monde que d'être contraire à Dieu. Et encore faut-il régler cette douleur, crainte de notre amour-propre. Confiez-vous en Dieu et vous reposez entre les bras de son amoureuse bonté, sans vous troubler d'aucune chose. Tout ce qui vous touche n'est que créature, laissez-vous pénétrer et toucher au pur amour. Votre plus grande affaire est d'être toute à Dieu, mais en la manière qu'il le désire et non comme vous pouvez penser. Ouvrez votre coeur aux petites peines, et Notre Seigneur vous fera la grâce un jour d'être digne d'en souffrir de plus grandes pour son amour.

n° 2152

LETTRES DE CONSOLATION SUR LA PERTE QUE L'ON A FAIT DANS UNE FAMILLE

Ma très chère. Je ne vous fais point de réponse particulière, vous avez trop de douleur dans la grande affliction qu'il a plu à Notre Seigneur vous donner aujourd'hui, de laquelle je suis touchée avec vous, sachant la perte que la famille fait selon le monde261. Mais quoi ? Tout est à Dieu. Il est le Maître de tout et il use de ses créatures en la manière qu'il lui plaît. Nous y devons porter respect et nous y soumettre. C'est ce que vous

261. Il est possible que la mort qui afflige tant la comtesse soit celle de son petit-fils décédé dans son adolescence. Cette suite de lettres ou de billets peut avoir été écrite en diverses circonstances et regroupés ensuite par la comtesse en raison de l'identité du sujet.

252

devez faire, mon enfant, rendant à Dieu les créatures qu'il vous a prêtées pour un temps, sans vous en rendre propriétaire. Voilà un accident qui vous aura surpris, d'autant qu'il semblait que vous voulussiez prendre espérance de vie. Une âme se surprend de ce dont elle ne s'attend pas ; mais une âme qui ne possède rien et qui laisse toutes les créatures en Dieu ne s'étonne point quand il en dispose.

Mon enfant, adorez la croix que Notre Seigneur vous présente par cette mort, prosternez-vous en terre pour la recevoir et vous y soumettez. Consentez humblement et amoureusement aux desseins de Dieu, et vous souvenez que vous vous êtes offerte en victime pour lui. Adorez donc les conseils de Dieu et ses jugements sur cette âme, et apprenez à vous rendre à Dieu à tous les moments de votre vie pour n'être point surprise à l'heure de votre mort.

En voulant vous instruire de l'usage que vous devez faire de votre affliction, je m'en sens toute touchée et entre en partage avec vous de vos douleurs. Mais c'est dans les occasions qu'il faut être fidèle. Et vous demandez comme il faut être abandonnée à Dieu ? En voici un excellent sujet qui, en vous soumettant, vous crucifie et toute votre famille. De la croix, laquelle vous tombe encore sur les bras, disons avec le saint Apôtre « Salve crux pretiosa »262. Il ne faut point reculer ni se trop attendrir naturellement, mais soutenir la croix avec fermeté, constance et fidélité. Adieu ma chère fille, je vous donne à la vertu de Jésus-Christ pour soutenir votre affliction.

n° 1248

Mon enfant, la part que je prends à votre affliction est si grande que depuis que j'en ai reçu les nouvelles je ne m'en suis pas séparée un moment, vous offrant sans cesse à Notre Seigneur pour lui demander la grâce pour vous et pour votre famille de souffrir saintement la croix qu'il vous impose. Je la vois grande [selon] dans le monde, mais pourtant tout adorable dans la main de Jésus-Christ qui ne fait rien que par un ordre très particulier de sa divine sagesse. Et vous devez la regarder de cet oeil, et y porter respect.

262. Antienne de l'office de l'apôtre saint André. C'est ainsi que l'apôtre accueillit la croix de son martyre.

253

C'est ici où vous pouvez faire usage de la foi au-dessus de vos lumières et de votre raisonnement, pour vous soumettre dans cette humble croyance que le procédé de Dieu et de son bon plaisir est bon, et que vous préférez les divines volontés à toutes les félicités et grandeurs de la terre. Soyons, mon enfant, dégagées de tout le reste, n'estimant rien digne de notre amour que Jésus-Christ. Vous lui avez promis cette fidélité dans votre baptême ; et dans les occasions, vous la devez mettre en effet, montrant que vous êtes chrétienne. A quoi bon avoir d'excellents sentiments de la croix et de la souffrance, et dans les rencontres n'avoir pas le courage de rien souffrir ? Après que nous avons fait à Dieu mille protestations de fidélité, il reçoit nos bonnes volontés et ne manque point de nous éprouver dans les occasions ; et si nous sommes si misérables que de négliger notre grâce, nous en méritons la privation. Voici une rencontre qui demande de vous des actes héroïques, et qui sont capables de vous sanctifier :

1. Un abandon total au bon plaisir de Dieu.

2. Un si grand respect pour l'accomplissement de ses divines volontés que vous les préfériez à tous vos intérêts.

3. N'être point trop naturelle, ne vous laissant point trop occuper l'esprit de mille raisonnements humains.

4. Souffrir en la personne de vos amis que les desseins de Dieu s'accomplissent selon ses divins plaisirs.

5. Une confiance en Dieu qui vous rende inébranlable, estimant toutes les choses créées un néant, croyant que Notre Seigneur versera quelque grâce pour la sanctification de la famille, pour soutenir cette affliction.

6. Ne regrettez point les fortunes de la terre qui semblent se diminuer par cette mort. Aimez vos enfants dans le degré de grandeur où la divine Providence les a mis, sans rien désirer de plus pour eux que la grâce de Jésus-Christ.

7. Considérez la puissance d'un Dieu qui anéantit toutes choses quand il lui plaît, sans que personne lui puisse résister. Soumettez-vous à sa souverainet& sans y trouver à redire. Dieu est le maître absolu de ses ouvrages : il les fait et défait selon son bon plaisir.

8. Demeurez en paix au milieu de la guerre, et souffrez l'accomplissement des ordres de Dieu.

9. Voilà ce que vous pouvez faire si Notre Seigneur ne vous donne d'autres lumières. Je serai bien aise à votre loisir de savoir vos dispositions en ce rencontre. Cependant fortifiez-

254

vous par la grâce de Jésus-Christ. Il vous en reste encore bien d'autres à souffrir. Mais c'est gloire à une âme chrétienne d'être immolée et consommée sur la croix de son très adorable Jésus. Il ne faut point vous décourager, il sera votre force et votre vertu.

Donnez-moi quand vous le pourrez un mot de vos nouvelles. Adieu, je vous assure que je suis avec vous à la croix, et possible que j'y prends trop de part. Je vois en cela que je vous aime sensiblement, et plus que je ne le puis exprimer.

n° 1894

Mon enfant, votre lettre de ce matin m'a consolée et édifiée tout ensemble, et me donne matière d'adorer l'abîme des divines miséricordes en votre endroit, et me fait espérer beaucoup de grâces pour la suite de votre vie.

Ça, mon enfant, portons généreusement notre croix. Témoignons à Jésus-Christ que c'est de bon cœur que nous sommes ses victimes, et que nous voulons consommer nos vies dans l'amour de ses divines volontés. Je ne vous condamne point pour avoir témoigné de la douleur au-dehors, ni même de l'avoir excitée, la charité demandait ces sentiments de votre bon coeur, imitant l'Apôtre qui pleurait avec ceux qui étaient affligés263. Il est juste de témoigner votre douleur, voire vous pouvez verser des larmes, mais gardez-vous de vous attendrir tout de bon et de vous jeter dans des sentiments trop naturels. Ce serait trop ravaler votre trait, et ce serait être infidèle.

Il faut que tout soit sacrifié à Jésus-Christ : votre mari, vos enfants, et vos amis. Vous ne devez point en être propriétaire, ni leur désirer, sous prétexte d'affection, ce qui pourrait causer la perte de leur âme. Aimez plus vos amis pour l'éternité que pour la vie présente, laquelle est bien brève et bien parsemée d'épines et de douleurs. Vous avez bien sujet d'en remarquer tous les jours les misères et les vanités pour vous en faire avoir horreur et vous obliger de procurer à vos enfants une meilleure fortune que celle que le monde leur veut faire espérer. Tout passe, il n'y a rien de permanent que Dieu. Tout le reste ne se peut posséder qu'un moment, et encore durant ce peu de temps que l'on en jouit, on se met en grand danger de

263. Rm 12, 15.

255

perdre les trésors inestimables de la grâce. Il y en a trop qui sont aveugles sur ce point. Ne le soyez point, ma fille. Notre Seigneur vous ayant ouvert les yeux, ne vous trompez point volontairement. Passons de la terre au Ciel. Il ne vous est plus permis d'y prendre part ; votre grâce et votre profession de chrétienne vous en séparent. Ce serait une espèce de sacrilège de vous y relier. Notre Seigneur a déjà rompu une partie de vos chaînes qui sont les gros liens du péché. Je le prie qu'il achève de tout briser, afin qu'étant libre vous puissiez avec le saint prophète sacrifier un sacrifice d'amour et de louange264, dont la durée soit à l'éternité.

Oui, oui, mon enfant, les créatures vous sont bien nuisibles. Vous êtes encore enfant et bien faible ; mais courage, attendez votre délivrance et supportez le poids de votre misère avec confiance et humilité. Je me doutais bien que les intérêts de famille vous attaqueraient et que l'établissement de sa fortune vous toucherait ; mais elle est à Dieu et Dieu l'élèvera jusqu'au point qu'il lui plaira. Vous lui devez beaucoup abandonner et voir dans la lumière de la vérité que toutes ces grandeurs ne sont que des néants tous remplis d'extrêmes misères.

La croix est salutaire aux élus. C'est l'héritage des enfants de Dieu. Soyez heureuse d'y avoir part et que celle-ci vous serve de disposition à une plus grande. Je ne crois pas qu'il vous laisse longtemps sans vous en appliquer de nouvelles. Ne vous en effrayez pas, je vous prie.

n° 2985

Votre lettre d'hier me consola bien fort. Je prie Notre Seigneur qu'il vous continue ses grâces, et vous donne la force d'être parfaitement soumise à son bon plaisir. Il vous prépare sans doute à quelque visite particulière. Soyez fidèle, ne craignez rien. Soyez à Dieu par-dessus toutes choses et laissez toutes choses à Dieu ; ne vous en remplissez point. Ne vous gênez point en la vue des choses futures, mais reposez-vous doucement entre les bras de la divine Providence. Tout ce que Dieu fera sera très bien fait. Entrez dans l'estime de ses conduites sur vous, mon enfant, et y portez une amoureuse soumission d'esprit. Je voudrais que nous puissions être toujours en regard de complaisance et d'amour vers Dieu, et que nous n'ayons plus de respir que pour prendre vie actuellement en lui. Mon Dieu, que j'ai de désir de nous voir toutes séparées du monde et des créatures ! Combien sommes-nous plongées dans nous-mêmes et dans les intérêts humains ! Je prie Notre Seigneur qu'il nous en délivre.

n° 2986

Ma très chère, il est vrai que N... a été très malade. Mais on n'a pas jugé à propos de vous le dire, parce que l'on craignait de perdre la mère et l'enfant. Et c'est pour ce sujet qu'on ne vous a point dit tout ce qu'il en était. Notre Seigneur est admirable en ses conduites sur ses élus. Je vous exhortais hier à la sainte et amoureuse complaisance au bon plaisir de Dieu. Oh ! qu'il fait bon ne rien voir hors de lui et recevoir tout en lui ! Voyez combien cette sainte pratique vous tient en repos au-dessus de vos sens. C'est de la sorte qu'il se faut perdre afin que Dieu seul soit en nous tout ce qu'il doit être. Enfin il vous a redonné votre enfant, je vous prie de lui en faire demain un nouveau sacrifice en remerciant Dieu de sa guérison.

n° 491

Très chère, vous m'avez touchée et édifiée de votre abandon et de votre soumission au bon plaisir de Dieu. Je le prie, si c'est sa gloire, qu'il se contente de votre disposition, comme il fit des bonnes volontés d'Abraham au sacrifice de son Isaac265. Demeurez ainsi abandonnée. Nonobstant que votre enfant reçoive la vie, ne le reprenez plus pour vous l'approprier. Vous l'avez rendue à Dieu, ne la reprenez point, de peur que l'infidélité que vous feriez n'obligeât Dieu à vous la ravir. Il faut demeurer dans le dégagement où l'ordre de sa sagesse vous a fait entrer. Ne sortez point de ses conduites. Demeurez ferme sans rien craindre.

Qui a Dieu a tout, et une âme qui le possède est assurée de son bonheur pour l'éternité. O mon enfant, il ne nous faut contenter de rien moins que de Dieu, car les créatures sont trop chétives pour nous satisfaire. Quittez, quittez de bon coeur ce qui vous retient à la terre. La vie du monde et des sens est trop

264. Ps 106, 22.

265. Gn 22, 1-15.

257

ravalée et trop indigne pour une âme de grâce. Il faut que chacun vive selon son extraction et selon sa dignité. Vous êtes chrétienne, vivez comme Jésus-Christ. Hélas ! vous n'avez que les moments de la vie présente pour ménager votre éternité. Il me semble que rien de créé ne nous devrait arrêter pour peu que ce soit.

Oh ! si j'étais fidèle à faire moi-même ce que je vous dis, je serais en vérité ce que je ne suis pas. Priez Dieu qu'il me change, et je le prierai qu'il fasse sa sainte volonté en vous et en votre chère fille.

n° 3085

Voyez mon enfant, par votre propre expérience qu'il est impossible de se bien connaître si la Providence ne nous met en croix. Le bon or se connaît par la pierre de touche266. Il faut que la main de Dieu nous applique à la croix de Jésus, aux contradictions, etc., pour nous apprendre ce que nous sommes. Vos faiblesses vous seront très utiles, et je ne suis point marrie que vous tombiez quelquefois, pourvu que votre âme ne s'inquiète point et n'en soit pas découragée. L'humilité n'est jamais solide si elle n'est établie par une longue expérience de nos propres misères. Aimez cet état qui vous humilie, confondez-vous en la vue de vos sensibilités qui bien souvent n'ont point d'autres motifs que des causes purement humaines et naturelles. Hélas ! ce ne sont pas toujours les intérêts de Dieu qui nous touchent ! Nous sommes créatures, et nous le voyons bien par nos opérations. C'est pourquoi j'ai raison de dire qu'il faut être dans les pures pratiques et non seulement dans les bons sentiments.

Pour moi, je vous l'ai dit quelquefois, si je ne suis en croix, ou intérieurement ou extérieurement, je ne suis point contente, bien que nous le devons être en tout état. Je le suis au regard du bon plaisir de Dieu, mais non au regard de moi-même, parce que hors de la croix je ne me connais pas, et je dois douter des secrètes estimes que l'impureté de la créature produit en soi-même. Mais quand je vois mes infidélités actuelles dans les occasions, il n'y a pas moyen d'avoir aucune bonne opinion de

266. Pierre de touche : variété de jaspe noir servant à faire les essais au touchau. Touchau : ensemble de petites plaques d'alliage d'or ou d'argent de titres différents, disposées sur un support en étoile, permettant de déterminer le titre d'un bijou en comparant les empreintes laissées sur la pierre de touche.

258

moi-même. Donc, la chute est quelquefois très avantageuse à une âme qui doit seulement s'abaisser et humilier.

Il faut bien que, comme dit Notre Seigneur, vous soyez dans les dispositions d'un enfant, quant à la pureté, simplicité et innocence ; mais il faut aussi suivre l'avis de saint Paul, qui dit qu'il faut être homme et marcher généreusement dans les voies de Dieu267.

Vous êtes assez instruite, il ne vous reste qu'à être fidèle. Notre Seigneur ne vous abandonne pas, mon enfant, ouvrez-lui votre coeur et lui permettez d'y établir son pur amour en la manière qu'il lui plaira. S'il vous crucifie, il sera votre force. Je vous conjure d'être tout abandonnée à son bon plaisir, et puis laissez-le faire tout ce qu'il voudra. Il ne peut rien faire qui ne soit saint et très juste. Versez vos douleurs dans son coeur adorable ; souffrez en sa sainte présence et gardez-vous de l'inquiétude trop pressante et de l'activité. Vous pouvez gémir et pleurer devant Dieu, mais gardez que vos sentiments ne soient trop naturels. Relevez-vous par une entière soumission à la conduite de Dieu qui vous donne des contrariétés pour perfectionner votre sacrifice.

n° 3166

Puisqu'il a plu à la Providence divine vous ménager une croix, montrez en cette occasion qui est une des plus sensibles qui vous puisse arriver que vous êtes chrétienne et que votre volonté est tout anéantie dans l'amour et dans le bon plaisir de Jésus. C'est sa main adorable qui vous présente la croix. Je vous supplie de la recevoir dignement comme une âme revêtue des sentiments et de l'amour de Jésus-Christ doit faire : avec respect et soumission, révérant la conduite de Dieu sur ses créatures. Prenez garde que votre esprit ne s'échappe dans cette occasion où Dieu veut faire épreuve de votre fidélité.

n° 2556

Ma très chère fille. Puisque la divine Providence vous fournit des sujets de sacrifice, je vous ordonne de vous y rendre très fidèle et de vous souvenir que c'est une grâce dans la vie intérieure d'en rencontrer les occasions, afin de témoigner votre

267. Mt 18, 1-4 ; Lc 18, 16-17 ; 1 Co 13, 11 ; Ep 13, 14.

259

amour et votre fidélité à Notre Seigneur ; et sa sagesse vous les envoie pour cet effet. Je vous exhorte d'en faire usage, et de vous exposer souvent à la sainteté de Jésus pour détruire en vous l'impureté des créatures et de vos sens.

Le peu de solidité que je remarque en vous me donne souvent des sollicitudes très grandes au regard de votre perfection et il me semble que je suis comme obligée de vous tenir par la main et de vous pousser toujours, tant j'ai de crainte de vous voir retourner en arrière ; et que, faute d'un peu de courage et de fidélité, vous soyez assez malheureuse pour demeurer dans la privation d'un bonheur infini, vous rendant incapable de goûter la suavité divine qui se trouve en Dieu et que l'âme fidèle a l'honneur d'expérimenter. Faudrait-il que le néant de toutes choses créées vous privât de cette grâce ? C'est ce que je ne puis souffrir en vous.

Puisque Notre Seigneur vous fait la miséricorde de vous appeler au banquet de son divin amour, ne refusez point une faveur si signalée. Conservez au milieu de vos tracas un désir actuel de Dieu, une faim de le posséder et de vous unir parfaitement à lui. Que les croix et les afflictions de la vie présente ne vous en retirent pas, puisqu'elles sont des moyens de vous sacrifier plus purement à Dieu. Dites de bon coeur, prosternée devant la majesté de Dieu, les paroles de Jésus en croix : « Mon Père, je recommande et remets mon esprit entre vos mains »268.

Par ces paroles vous sacrifiez au Père éternel, avec Jésus, tout ce que vous êtes : non seulement votre esprit, mais toutes vos productions, toutes vos croix et tout ce que vous pouvez être. Ayez cette intention de vous remettre toute en Dieu et de demeurer purement abandonnée entre ses mains, et tâchez de faire ce sacrifice avec esprit et avec l'intention de vous laisser toute à Dieu par Jésus-Christ. Vous ferez cette petite pénitence trois fois le jour, j'en laisse les heures à votre commodité.

n° 2536

Mon enfant. Je vous fais ce petit mot pour avoir la consolation de savoir de vos nouvelles, puisque je n'aurai pas celle de vous voir aujourd'hui. Mandez-moi, si vous pouvez, comme est votre esprit dans la croix que Notre Seigneur Jésus-Christ lui impose. Soyez-y très fidèle et adorez les ressorts de

268. Lc 23, 46.

260 l'amoureuse conduite de Dieu sur ses élus et les inventions admirables de sa Providence pour les sanctifier. Ayez patience dans la croix. Détestez tout ce qui s'y rencontre qui déshonore Dieu, mais liez-vous à ce qui vous y crucifie, et vous souvenez des trois dispositions avec lesquelles Notre Seigneur Jésus-Christ souffrait, qu'autrefois je vous ai exprimées :

1. Il souffrait dans la vue des ordres de son Père269.

2. Il souffrait pour son pur amour.

3. Il souffrait dans une disposition d'éternité, c'est-à-dire qu'il était disposé de souffrir éternellement si tel eût été le bon plaisir de son Père.

no 1248-1745

INSTRUCTIONS POUR CONNAITRE SI LES REPROCHES INTERIEURS SONT DE LA GRACE OU DE LA NATURE

J'ai lu votre lettre du matin, par laquelle vous vous plaignez de votre peu de progrès, de votre peu de mémoire et de votre ignorance, ne sachant pas, à ce que vous dites, quelle est votre disposition sinon que confusément, et tout ce qui est en vous vous fait reproche, sans que vous puissiez discerner si c'est la grâce ou la nature.

Je crois qu'il y a de l'un et de l'autre. La grâce vous reproche l'impureté de votre fonds, non pour vous troubler, gêner ou inquiéter, mais bien pour vous humilier. Car du passé vous ne vous êtes jamais connue dans la vérité. C'est pourquoi vous viviez dans une estime secrète de vous-même ; et vous preniez tant d'appui en vos oeuvres, que vous en croyiez avoir de reste, pensant que Dieu vous en redevait beaucoup, et que vous augmentiez beaucoup les trésors de l'Eglise.

Or pour détruire cette estime de vous-même et cette vaine présomption de vos oeuvres, il a fallu que Notre Seigneur vous ouvre les yeux et vous fasse voir votre fonds et ses productions impures, pour vous détromper et dégager de cette superbe secrète, et pour renverser l'estime que vous aviez de vous-même, qui était établie depuis si longtemps et si bien enracinée.lxxix

269. Mt 26, 39 ; Mc 14, 36 ; Lc 22, 42.

261

Il faut que la connaissance de vos misères soit établie par une longue expérience de votre corruption ; autrement vous ne pourriez jamais être détrompée. Car nous avons un instinct naturel de nous excuser, de croire plus de bien en nous que de mal, et une pente épouvantable à nous élever. Nous ne pouvons avouer nos crimes et notre néant, à moins que d'en être en fond bien persuadées ; et c'est ce que vous ne pouvez être qu'en ressentant ce que vous êtes et en gémissant sous le poids de vos infirmités. Et nonobstant le sentiment et l'expérience que nous en avons, nous avons toujours une tendance à les dissimuler, tant il est vrai que nous vivons dans le mensonge, nous retirant volontairement de la vérité pour éviter un peu d'abjection. Voilà le premier sujet, à mon avis, pourquoi vos actions vous font reproche : c'est pour vous faire envisager le fond de votre impureté.

Le second procède encore de la grâce, laquelle vous voulant tirer de vos propres opérations pour vous faire entrer en un dégagement plus grand, vous fait avoir horreur de vos productions pour vous en dépouiller et entrer dans un grand mépris de vous-même et de tout ce qui part de vous.

Le troisième sujet procède de la même grâce qui ne peut souffrir l'impureté avec laquelle vous opérez, parce qu'elle vous appelle à une sainteté très grande et par conséquent demande de vous beaucoup de pureté.

Or pour connaître si c'est la grâce qui vous donne ces reproches, vous devez voir ses effets qui sont contraires à ceux de la nature : car elle humilie sans trouble, elle abaisse sans décourager, elle vous jette dans une sainte horreur de vous-même sans vous impatienter, et enfin petit à petit elle vous anéantit et vous fait sortir de l'estime de vous-même pour vous abandonner sans réserve à la grâce de Jésus-Christ.

Les reproches qui partent de la nature ont d'autres effets, vous les pouvez facilement reconnaître :

1. Ils troublent et abattent l'esprit.

2. Ils causent une gêne avec découragement.

3. Ils sont toujours recourbés vers les intérêts humains. Ils causent des retours fréquents vers nous-mêmes pour nous inquiéter, disant que nous n'avançons point, que nous ne faisons point de progrès dans la vie intérieure, que nous n'avançons point dans la grâce, et puis insensiblement ils nous jettent dans le dégoût de la vie intérieure, disant que nous n'y

262

ferons jamais rien. Voilà les effets de l'amour-propre et bien d'autres que je serais trop longue à exprimer.

Mais ce n'est pas assez de dire les effets de l'un et de l'autre, disons un mot comme vous devez vous y comporter :

1. Il faut dans ces actuels reproches apprendre à vous calmer.

2. Il faut regarder votre imperfection pour vous en humilier. Que si vous dites qu'elle ne vous humilie point, je sais de vérité qu'au moins elle vous retire et désaveugle de l'opinion que vous avez de vous-même.

3. Vous fait remarquer l'impureté de votre fond.

4. La nécessité que vous avez de la grâce pour vous purifier, et votre dépendance de Jésus-Christ pour bien opérer ; il faut donc vous y abandonner.

5. Vous devez avoir une grande patience dans vos misères.

6. Reconnaître que vous êtes indigne de bien opérer, et que c'est une grâce qui vous est méritée par Jésus-Christ, dont vous n'êtes pas capable de faire usage. Et pour y agir avec plus de simplicité, il faut tout abandonner à la justice et à la miséricorde divine, se cacher en Dieu, confessant qu'il n'y a rien de pur ni digne de lui que lui-même, et ainsi demeurer dans votre néant, dans vos ténèbres et vos impuissances, sans désister de faire ce que vous êtes obligée d'accomplir. Mais vous le ferez avec moins d'amour de vous-même, moins de satisfaction et avec plus d'indifférence, avouant que nos actions sont indignes de glorifier Dieu ; et cependant les faire avec autant de fidélité comme si Dieu en devait recevoir une gloire éternelle.

Voilà comme il faut opérer sans attache et sans propriété ; et après que vous aurez fait tout ce que vous aurez pu, dites que vous êtes servante inutile270. En effet, Dieu n'a que faire de vous. Il subsiste par lui-même.lxxx Mais il veut que vous vous mettiez en disposition de le glorifier tous les moments de votre vie et en toutes vos actions. Il faut vous y rendre fidèle selon votre petite capacité, et sa grâce et son amour suppléeront à vos insuffisances. Ne vous découragez donc point, persévérez constamment et souffrez la tyrannie de votre amour-propre. Portez avec humilité et patience les reproches de vos impuretés. Vous

270. Lc 17, 10.

263

n'êtes pas digne d'avoir de plus hautes grâces. Faites usage de votre talent, et le Père de famille vous en donnera davantage271.

Je vous recommande la patience de vous-même et de vous défendre de votre activité et trop d'ardeur pour la perfection. Il faut mourir à tout, même aux désirs trop empressés d'icelle, vous contentant en tout et partout de la volonté divine qui doit être la règle de votre vie et de toutes vos perfections. Il ne faut rien vouloir que ce qu'il lui plaît vouloir pour vous. C'est un grand repos aux âmes qui la savent trouver et goûter.

Vous dites que vous désirez toutes choses et ne désirez rien. Désirez, ma fille, ce que Dieu désire en vous. Vous ne vous sauriez tromper en désirant les désirs de Jésus-Christ parce qu'il ne peut rien désirer qui ne soit juste et saint. Tous les desseins que vous formez sur vous, la plupart sont inutiles : laissez-vous à Dieu pour en disposer comme il lui plaira. Et tous ceux que vos affaires vous obligent de former, il faut que ce soit dans une si grande soumission aux ordres de la Providence, que vous soyez prête à tous moments d'en désister pour entrer dans ceux de Notre Seigneur quand il lui plaira de vous les manifester. Il faut être toujours en état de rompre votre volonté par hommage à la [volonté] divine, et par fidélité aux promesses que vous en avez fait solennellement en votre baptême.

Vous dites que vous ressentez l'impureté de vos opérations sans le pouvoir dire. Je ne m'en étonne pas, il faut souffrir et se voir détruire sans se pouvoir plaindre.lxxxi Dieu vous voit et lui seul vous peut soulager, il suffit. Vous passerez encore bien d'autres peines. Courage, laissez-vous bien crucifier pour être bien purifiée. Souffrons tant que nous pourrons, c'est tout ce que nous saurions faire de meilleur. Le reste est dans la main de Jésus-Christ, c'est à lui de l'opérer.

n° 725

POUR FAIRE VOIR QUE LA VOLONTE EST MAITRESSE

Viendrez-vous demain, mon enfant, afin que je prenne mes mesures pour vous parler et vous réitérer ce que je vous ai déjà dit ? car je crois qu'il est bon que vous en conceviez l'importance pour le repos de votre esprit et la tranquillité de votre conscience.

Oui, il est à propos que vous sachiez comme votre volonté est la maîtresse, et que c'est elle qui fait en vous le péché ou la vertu. Car si la volonté n'adhère à la tentation, la tentation ne vous saurait nuire, fût-elle aussi maligne que tout l'enfer. Et cette vérité calme votre âme au milieu des orages et des troubles de la vie.

Exemple : si votre esprit est égaré, vous souffrez bien de son égarement, mais vous ne péchez point s'il n'est volontaire, c'est-à-dire que votre volonté y prenne plaisir. Or tant que vous voyez que vos imperfections vous sont pénibles et qu'elles vous crucifient, c'est une marque que vous n'y consentez point. Car quand le consentement de la volonté se joint à la tentation, tout est d'accord et l'âme ne souffre pas la peine qu'elle ressent en esprit. Soyez en repos, mon enfant, votre âme ne se souille pas toujours dans vos égarements et dans vos pensées. Les combats que vous souffrez vous acquièrent des couronnes.

Ayez un peu de constance sur votre croix, vos maux ne dureront pas toujours, et Dieu vous en saura bien récompenser. Et quand vous voyez que vous ne savez plus que faire ni à quoi vous résoudre, au lieu d'échouer et de penser à votre ignorance et misère, dites à Notre Seigneur avec le prophète : tt Domine vim patior responde pro me »212. Seigneur je souffre et n'en puis plus, répondez et opérez pour moi. Et nonobstant que la peine continue, laissez-vous en cette souffrance tant qu'il plaira à Dieu et vous confiez en sa bonté, qu'il en tirera sa gloire et votre perfection.

n° 2922

271. Mt 25, 14-24. 272. Is 38, 14.

265

Ma très chère fille, je demeurai hier dans ma petite solitude où il a bien plu à Notre Seigneur me faire ressentir les effets de sa très grande miséricorde. Ce ne fut point sans penser à vous, et je remarque que vous êtes trop peu appliquée à une vérité, et qu'il vous reste en fond une secrète habitude de savoir ; et imperceptiblement elle se produit par saillies de votre amour-propre.

Vous dites que votre impuissance est si grande que vous ne pouvez pas même nous rendre compte. Et moi je vous dis que dans vos impuissances et dans vos ténèbres je vous trouve éclairée ; et votre état dans cette disposition est bien plus solide, votre amour-propre y a bien moins de part.

Je vous donne assez de leçons — et je doute de trop — à raison de votre activité qui se nourrit et qui ne vous permet pas de vous tenir fixe, pour vous remplir d'une vérité que l'on vous découvre.

Vous dites ne savoir si vous consentez ou non, si vous péchez ou ne péchez point. Il n'y a point de difficulté là-dessus. Vous sentez bien que vous avez une volonté supérieure, c'est-à-dire qui est maîtresse de vos sens pour accepter ou rejeter ce qu'ils vous présentent qui est contraire à Dieu. Vous ne pouvez pas empêcher le sentiment qui vous est commun avec les bêtes. Mais vous pouvez rejeter le mal qu'il peut avoir au sentiment du péché. Et nonobstant que vous le ressentiez, vous n'y consentez point. Vous vous brouillez beaucoup dans la vie intérieure, et pour vouloir être trop éclairée vous n'y voyez goutte. Votre esprit est insatiable : il dévore tout. Et connaissant qu'il est sujet à la gourmandise spirituelle, il est bon de le tenir quelquefois à jeun, et le porter à se contenter de ses ténèbres, de ses misères et pauvretés.

Vous dites que le désir que vous avez de recevoir de l'instruction n'est que pour trouver mieux Dieu. Et moi je dis que la plupart de vos désirs ne sont que production de votre amour-propre qui, comme je vous ai déjà dit, a une pente très grande de chercher pour se rassasier. Hé, mon enfant, si vous cherchez Dieu en esprit et en vérité, la foi vous le fait-elle pas posséder ? Avez-vous point appris qu'il y a un Dieu digne de votre amour ? Non, non, il ne faut point tant de choses pour la vie intérieure, il ne faut que croire, et s'abandonner en amour ; c'est-à-dire croire en Dieu et s'abandonner toute à son amour. Vous cherchez trop, vous trouverez moins. La foi ne consiste pas à beaucoup connaître, mais à croire et à se soumettre aux vérités qu'elle nous oblige de croire.

Il y a bien longtemps que je vous exhorte à devenir simple d'esprit, à vous contenter du bon plaisir de Dieu en toutes choses, et surtout à vous désoccuper de vous-même. Je vous trouve trop vivante pour vous, et vous y êtes trop réfléchie. Combien de fois vous ai-je reprise de ce défaut ? C'est une grande infidélité en la pure vie de grâce, parce que d'autant plus que vous êtes dans vos intérêts même spirituels, vous êtes moins élevée et unie à Dieu. Car il faut être plus à Dieu qu'à soi-même, et avoir plus de zèle de son règne et de sa gloire en nous que de tout le reste.

Je vous recommande d'être très fidèle dans vos ténèbres et délaissements. Trouvez bon que Dieu fasse son oeuvre et ne regardez pas si la partie inférieure en est contente. Demeurez fixe, c'est-à-dire ferme dans votre cher abandon, même sans le voir ni ressentir dans vos sens. C'est votre volonté qui l'accomplit comme dame et maîtresse de votre âme. Vous avez la liberté, vous en pouvez user en la captivant à la sacrée conduite de Jésus, que vous ne connaissez qu'au milieu de vos ténèbres. Votre esprit se brouille pour vouloir trop bien faire. Simplifiez-vous et demeurez en paix. Vous saurez quelque jour ce que vous ignorez présentement. Ayez patience.

n° 966

DU PECHE D'ORGUEIL ET DE SES MAUVAIS EFFETS

Disons deux mots sur votre lettre. Je remarque en plusieurs endroits d'icelle que vous avez un grand désir de connaître et d'être pénétrée de l'horreur du péché d'orgueil, afin d'en convaincre votre esprit et de vous donner un vrai sentiment d'horreur de sa malice. Vous ne le connaîtrez jamais en fond qu'à mesure que vous entrerez par foi et amour dans l'estime de Dieu. Il faut connaître Dieu, sa sainteté, sa bonté et le reste de ses divines perfections pour bien pénétrer la malice de l'orgueil. La connaissance que vous en aurez sera plus ou moins grande [selon] que vous connaîtrez Dieu. Le reste qui s'en peut dire, comme de ses qualités et de ses effets, je crois vous en avoir dit et écrit quelque chose.

267

Si nous avions un petit brin d'humilité, nous ne serions pas si aveugles. Ce qui fait que vous connaissez si peu votre orgueil, c'est que vous avez toujours été de son parti. Vous ne lui avez point été contraire, et symbolisant273 ensemble, vous en avez fait votre ami, parce que l'amour de vous-même y trouvait sa vie et sa satisfaction. Vous voyez par expérience le malheur d'une âme qui lui adhère.lxxxii

Il est vrai que je vous ai dit que votre orgueil avait du rapport à celui du démon. Il est rusé et raffiné pour ses intérêts, pour se satisfaire, etc. L'estime secrète que vous avez toujours eue de vous-même, qu'est-ce autre chose qu'une élévation de vous-même qui vous faisait placer dans le trône de Dieu, vous faisant estimer des créatures ?

Hélas ! que Dieu a été longtemps anéanti en vous ! qu'il y a souffert d'humiliations, d'opprobres et de rebuts ! Combien vous êtes-vous regardée et considérée vous-même pour vous complaire en vous et aux créatures ! Oh ! qu'il y a peu d'âmes éclairées de ces vérités ! Mais puisqu'il vous fait la grâce d'être du nombre de ceux par lesquels il se veut glorifier, soumettez-vous aux lumières de son saint Esprit. Surpassez-vous vous-même. Entrez dans ces vérités par la foi et petit à petit l'expérience vous rendra savante.

Pour l'écrit dont vous faites la déclaration de toute votre vie, si vous croyez dire quelque chose à votre désavantage274 en le lisant, vous vous [en] expliquerez pour votre plus grande humiliation et confusion de votre orgueil.

Je sens bien dans mon âme que la vôtre n'est point bien pénétrée de l'orgueil et de la vanité qui jusqu'ici a régné en vous. Je prie Dieu qu'il me donne la grâce et la lumière de vous pouvoir faire connaître quelque chose de sa malice, pour vous obliger à le détester comme vous devez.

Les autres crimes regardent Dieu indirectement, mais l'orgueil a cela de malice qu'il s'adresse à la divinité même. Oh ! que cela est effroyable ! Je ne m'étonne point si Dieu précipita l'ange du paradis en enfer et chassa Adam de son lieu de délices où il l'avait créé en justice et sainteté. Je suis bien plus étonnée de sa divine et très incompréhensible miséricorde qui ne me confond point dans les abîmes. Après avoir reçu la grâce chrétienne et les lumières qui l'accompagnent, je suis si téméraire

273. Symbolisant : avoir du rapport, de la conformité.

274. Certains manuscrits ont : à votre avantage.

de m'élever par un détestable orgueil jusques au trône de Dieu. Oui, ma fille, l'orgueil est si malin et si abominable qu'il chasse Dieu de son trône et y prend sa place pour se faire adorer.

Oh ! mon Dieu, que ne connaissons-nous cette abomination ! Nous en aurions d'éternelles horreurs et choisirions plutôt mille morts que de commettre une telle malice et de déshonorer Dieu si témérairement. Il faut la lumière de Dieu même pour connaître et être pénétrée de cette vérité que nous vous exprimons. J'espère qu'un jour elle vous sera amplement donnée et que vous connaîtrez en fond votre aveuglement. Ayez patience et persévérez toujours dans la volonté où je vous trouve d'être toute à Dieu. Le reste ne vous manquera pas.

n° 356

Je me donne à l'Esprit de Notre Seigneur pour répondre à la vôtre.

Sur le premier article contenant les instructions : j'ai bien reconnu dans votre fond intérieur qu'il n'y a jamais eu rien de solide ni de véritable ; et c'est ce qui a retardé votre vrai et réel établissement dans les principes chrétiens, et qui vous fait étonner aujourd'hui par les connaissances que la miséricorde de Dieu verse sur votre âme qui lui fait voir quelque chose de ses extrêmes misères. Je puis bien vous assurer que vous n'en voyez encore que l'ombre, jugez donc de là ce qui en est.

Je vous dis hier une vérité dont je fus moi-même pénétrée, gémissant en mon âme sur notre aveuglement. Oh Dieu, quelle impureté de vie de vivre des créatures et pour les créatures ! Oh quelle profanation de la grâce et de la sainteté de la vie chrétienne ! Y a-t-il du rapport à Jésus-Christ ? Oui, vous avez trompé les créatures en vous souillant de leurs vaines louanges, estime et réputation. Vous leur avez donné des croyances de perfections en vous dont en vérité vous êtes très éloignée. Vous avez pris l'apparence pour le réel et vous vous êtes contentée de celà, sans envisager que Dieu n'y était point satisfait, ains bien souvent très offensé.

Voilà les chefs d'oeuvres de votre vie passée, laquelle vous devez regretter du fond de votre coeur, puisque votre orgueil et votre vanité a préposé275 la créature à Dieu. et [par] autant

275. A préposé : posé avant, préféré.

269

d'adhérence que vous avez fait de vous-même contre Dieu, faisant en votre manière ce que Lucifer fit en la sienne, s'élevant jusqu'au trône de Dieu par une estime de lui-même et une présomption détestable. Hélas ! combien de fois nous sommes-nous mises dans le trône de Dieu dans nous-mêmes, nous adorant nous-mêmes, faisant une idole de nos sens, de nos inclinations. Je ne m'étonne point si les âmes qui connaissent et estiment Dieu sont touchées quelquefois jusqu'à mourir de douleur de voir un Dieu d'une majesté, d'une grandeur et d'une sainteté infinie n'être point honoré au moins des chrétiens qui ont reçu la foi au baptême et qui doivent être instruits de ces vérités. Je prie l'Esprit pur et saint de Jésus de nous en vivement pénétrer, afin que du moins un moment avant que de mourir nous rentrions une bonne fois à [en] nous-mêmes pour gémir et demander miséricorde sur nos ténèbres et sur nos ignorances, et commencer de lui rendre nos devoirs, notre amour et nos hommages et respects. Et puisque vous avez un peu de lumière sur ce sujet et que Dieu vous fait la très grande grâce de le connaître, rendez-vous très fidèle à ses purs attraits. Que savez-vous si [ce ne] sera pas la dernière occasion qu'il vous présentera pour vous sanctifier ?

Ouvrez, ouvrez votre coeur que vous avez trop fermé à Dieu pour l'ouvrir aux créatures ; et vivez désormais dans un bas sentiment de vous-même. Et dans les rencontres où votre esprit avait accoutumé de prendre l'essor, vous vous anéantirez en esprit en la vue de l'abîme de vos misères et ne parlerez qu'avec respect et humiliation, voyant devant Dieu comme vous amusez le monde par vos discours. Souvenez-vous que vous êtes écolière et disciple de Jésus-Christ, et que vous devez bien savoir et pratiquer votre leçon avant que de l'enseigner aux autres.

Nous écrirons quand il plaira à Dieu ce que vous désirez sur l'horreur que vous devez avoir de l'orgueil (appuyé de l'Ecriture et de ses vérités). En attendant, simplifiez votre esprit et recevez dans l'ordre de Dieu les lois que de sa part l'on vous impose.

Pour ce qui est du mauvais effet que le péché d'Adam nous cause, je crois que c'est en quoi il faut moins d'explication, d'autant que notre propre misère nous fait si souvent expérimenter sa malice et sa corruption que nous sommes tous capables d'en prêcher. Notre fond d'orgueil, notre vanité, nos recherches et les productions de notre amour propre et le reste

270

qui composerait des volumes, que je laisse à dire pour ne m'étendre point, que nous fait-il ressentir à toute heure ? Sinon une impuissance malheureuse de nous rendre à Dieu et d'être assujetties à son bon plaisir. Oh ! que la misère du péché est extrême ! Elle est trop peu connue, c'est pourquoi nous ne le redoutons point.

n° 994

Plût à Dieu que vous puissiez pénétrer l'extrême et effroyable malheur que c'est que de pécher. Oh ! péché, péché, que tu nous fais de tort ! Hélas ! qui pourra réparer tes ruines ? Jésus-Christ seul en a le pouvoir, le vouloir et la capacité, et il l'a fait d'une manière adorable par son sang et par sa mort. C'est Jésus-Christ qui m'a rachetée et qui me remet en la possession de mes droits. Il rachète tous les moments de ma vie, car après la commission276 d'un péché nous méritons non seulement la mort spirituelle, mais aussi la corporelle ; et si Dieu faisait justice, il nous anéantirait sans ressource.

Je dois donc à Jésus-Christ tous les moments de ma vie, toutes les opérations des puissances de mon âme, tout mon temps, tout mon travail, toute ma capacité, toutes mes pensées, bref l'usage de mes sens et de toutes mes facultés. Et autant d'opérations que je fais pour moi ou pour les créatures, c'est autant de larcins que je fais du sang du Fils de Dieu. Tout est à lui, nous sommes rachetés de ce prix inestimable, et nous n'avons pas droit d'user ni de disposer des moments de notre vie que pour son amour et pour sa gloire277. Autrement nous

276. La commission : de commettre, après avoir commis.

277. On peut se demander si ce texte ne fait pas écho — avec un vocabulaire différent — à la méditation proposée par saint Jean Eudes pour l' « Exercice avant midi » au mardi de la troisième semaine dans son Manuel contenant plusieurs exercices de piété pour l'usage d'une communauté ecclésiastique, à Caen. chez Poisson rainé. 1668 (OEuvres complètes, Paris. 1906, t. III, p. 292).

EXAMEN ET EXERCICE « AVANT MIDI »

Mardi de la troisième semaine.

Adorons et aimons Jésus comme notre Rédempteur qui nous a rachetés de l'enfer au prix de son sang, et par tant de travaux et de souffrances. Rendons-lui en erâces. Demandons-lui pardon de ce que tant de fois nous lui avons dérobé ce qui lui a coûté si cher, c'est-à-dire notre temps. notre vie et toutes ses fonctions et dépendances pour le donner à ses ennemis. Donnons-nous à lui et le supplions que puisque tout ce qui est en nous lui appartient par une infinité de titres, il emploie la grandeur de sa puissance et de sa bonté pour en prendre une pleine et absolue possession. et pour en disposer absolument selon son bon plaisir.

271

faisons une profanation épouvantable de ce précieux sang, et nous nous en rendons coupables.

Oh ! bienheureuse l'âme qui se conserve dans l'innocence et qui n'est point sujette de ressentir en elle les aiguillons du péché ! Je vous avoue que je suis touchée, et je le suis doublement lorsque je vois le caractère de la divinité effacé.

O Jésus, divin Réparateur, réparez cette image adorable par votre toute-puissance, votre grâce et votre vertu. Je l'espère de votre pure miséricorde.

Si une âme connaissait le malheur et l'abomination d'un péché, elle en aurait une telle horreur que, quelque méchante qu'elle soit, elle ne pourrait se résoudre à le commettre. Il faut avouer que nos aveuglements sont grands et dignes de compassion.

n° 2476

Vous désirez savoir quelle estime j'ai de vous selon Adam, et selon Jésus-Christ ? Selon Adam, mon enfant, je vous crois abomination, péché et objet de la Justice éternelle, digne d'un enfer sans ressource, opposée à Dieu, résistant à Dieu, et très indigne de Dieu. Je vous connais selon Adam pour un vrai démon, toute remplie de malice, toute corrompue dans l'impureté, enfin plus abominable que toutes les comparaisons que je vous en puis donner. Voilà l'estime que j'ai de vous et de votre extraction selon Adam. Voilà les excellentes, ou pour mieux dire les effroyables qualités que vous avez héritées de votre premier père. Voyez si vous avez droit et raison d'en tirer de la gloire, et si vous les approfondissiez, si vous n'auriez pas des sujets infinis de vous confondre éternellement. Cependant je ne vous en dis que trois paroles, et je ne vous exprime point comme dans cette qualité de fille d'Adam vous êtes maudite de Dieu et rejetée pour jamais de sa sainte présence. Nos malheurs selon Adam sont épouvantables et inconcevables. Ils sont si étendus et si malins que la foi vous les fait mieux comprendre que les paroles.

Mais selon Jésus vous êtes fille de Dieu, épouse de Jésus-Christ, revêtue de Jésus-Christ, renouvelée par sa grâce. Vous êtes membre de son Corps et vous portez son image et sa ressemblance278. Vous êtes la bien-aimée de la Sainte Trinité.

278. Ep 2, 1-11.

Le désir que vous avez de détruire dans les créatures ce que votre vanité et orgueil y a établi vient de Dieu ; mais il y faut travailler par son esprit et non par le vôtre, autrement vous ne feriez rien qu'une nouvelle corruption.

A mesure que vous vous anéantirez devant Dieu, il imprimera en vous les vraies lumières pour bien établir votre néant. Ce n'est pas par effort d'esprit naturel que vous y devez entrer, mais en vous donnant et laissant à Dieu pour y être introduite.

Il est bon que vous soyez plus retenue à vous produire en toute manière, mais il faut faire vos affaires domestiques, et ce ne serait point vertu de les négliger. Vous savez ce que je vous en ai dit. Lorsque vous serez plus solidement établie, vous ferez mieux et avec plus de dégagement. En attendant, souffrez avec humilité vos chutes et apprenez que c'est en quoi consiste toute votre capacité que d'être contraire et opposée à Dieu.

Abandonnez-vous souvent à Dieu au-dessus de vos misères, de vos impuissances et avec une amoureuse confiance en sa bonté qu'il vous fera la miséricorde de vous tirer de vous-même et d'être un jour parfaitement à lui.

Soyez seulement fidèle à la lumière et à l'attrait de Dieu et lui sacrifiez votre solitude, puisque sa Providence ne vous donne pas les moyens de la posséder. Il faut attendre son bon plaisir et cependant toujours travailler. Si peu que vous ferez dans l'embarras, vous sera toujours très avantageux pour entrer dans la voie où Dieu vous désire.

Courage, n'envisagez point tant les obstacles, dites avec saint Paul : « Je puis tout en celui qui me conforte »279. Vous pouvez tout avec Jésus-Christ.

n° 3041

L'estime que j'ai de vous est si grande que si je ne vous envisageais comme membre de Jésus-Christ et comme le prix de son sang, vous me seriez insupportable. Ce n'est point vous que j'estime en vous, c'est sa grâce et sa miséricorde que j'y vois éclater d'une manière ineffable. Prenez bien garde à ne la point négliger volontairement. Si vous désistez, je ne sais si jamais vous vous en pourrez relever.

279. Ph 4, 13.

273

Après que Dieu a longtemps attendu à la porte de nos coeurs, comme nous voyons à cette épouse paresseuse280, il s'en va ; et lorsqu'on le cherche, on ne le trouve plus. C'est la punition qui pour l'ordinaire est appliquée à notre lâcheté et à notre négligence qui remet toujours à un autre temps. Oh ! malheureuses que nous sommes ! pouvons-nous assurer les temps ! sont-ils à notre disposition ? Voilà notre misérable aveuglement.

« Hodie si vocem Domini audieritis ».

Aujourd'hui si vous entendez sa voix, gardez-vous bien d'endurcir votre coeur281. Ne tardez point de vous rendre à Dieu. Soyez vigilante à ses sacrés attraits. Il dit en saint Luc qu'il vient comme un larron à l'heure qu'on n'y pense pas282 pour nous apprendre combien nous devons être attentives intérieurement afin de pouvoir entendre intérieurement sa voix et nous rendre à ses divins appels, et qu'il ne nous trouve point endormies dans l'amour de nous-même et des créatures. Hélas ! que nous sommes souvent assoupies dans ce misérable sommeil qui nous rend incapables de correspondre à Dieu. « Vigilate et orate »283. C'est le conseil que Jésus-Christ nous donne pour nous délivrer de ce sommeil de mort.

La disposition que vous avez au regard du désir que vous aviez de la mort est bonne, vous en pouvez faire usage et travailler dans cet esprit.

n° 2087

Ne vous étonnez point de voir tant de misère et de corruption en vous. Après que vous aurez bien compris par expérience ce que vous êtes, et ce que vous seriez si la grâce ne vous soutenait, il faudra vous désoccuper de vous-même et commencer à vous séparer de tout ce que vous êtes pour demeurer très étroitement unie à Dieu. Mais il faut que vous goûtiez encore bien du temps le fond de votre propre misère. Il faut que vous soyez bien persuadée de la vérité de votre néant d'être.

280. Cant 5. 2-7.

281. Ps 94. 7.

282. Lc 12. 39-40.

283. Mt 26. 41.

274

Vous connaissez votre néant d'être par la présence de Dieu, de laquelle je vous parlais hier ; laquelle fait voir Dieu opérant en toutes choses et toutes choses subsistant en lui. La lumière de la foi vous fait voir qu'il n'y a que lui qui soit en vérité. Il le dit à la grande sainte Catherine de Sienne en ces mêmes termes, lorsqu'elle le priait amoureusement de lui dire qui il était. « Je suis, dit-il, celui qui suis, et tu es celle qui n'est point »284. Oh la sainte vérité prononcée de la bouche de Jésus ! Ecoutez-la et en faites votre profit. Voilà donc le néant d'être.

Or le néant de péché est bien plus malin. Le premier n'est point opposé à Dieu, mais le dernier le détruit autant qu'il est à sa puissance. Et sa malignité est si grande qu'il est impuissant et incapable d'avoir aucun être dans le bien ou la vertu. Le premier néant regarde l'être moral, et le néant de péché regarde l'être de grâce et le détruit. Oh ! Néant maudit et abominable ! Le premier nous tient dans la vue du non-être. Il est simple et c'est une vérité qui ne nous confond pas, en une certaine manière ; mais le néant de péché nous humilie et nous confond éternellement.

Lorsque la créature sort de son néant pour opérer le péché, elle tombe dans un double néant qui la rend infiniment plus incapable du bien que le simple néant, lequel n'est point résistant à Dieu. Et c'est un grand sujet d'humiliation à l'âme de se voir capable par sa malice d'un désordre si grand.

no 2251

Votre lettre d'aujourd'hui me donne grand sujet de bénir Dieu de voir les connaissances qu'il vous donne sur votre fond de misère et de néant. Tenez cette lumière pour une très haute grâce ; car elle vous est infiniment plus utile que de faire des miracles et que d'être remplie d'extases et de révélations. Oh ! le beau ravissement, mon enfant, que d'être absorbée dans son néant ! Bienheureuse l'âme qui s'y laisse conduire amoureusement par les doux attraits de la grâce.

284. Sainte Catherine de Sienne. Née en 1347, d'une famille pauvre. Tertiaire de l'ordre de Saint-Dominique. Elle écrivit de nombreuses lettres de direction et un Dialogue avec le Père éternel. Elle obtint par ses prières et ses supplications le retour du pape Grégoire XI à Rome en 1376. Elle mourut le 29 avril 1380. Proclamée docteur de l'Eglise le 4 octobre 1970 par le pape Paul VI.

275

Non, non, mon enfant, vous n'opérez pas plus impurement que du passé, mais vous avez bien plus d'intelligence, vous connaissez un peu mieux l'abîme de votre corruption, et votre impuissance de pouvoir rien faire digne de Jésus. Demeurez dans cet état tant qu'il plaira à Notre Seigneur vous y tenir et goûtez l'impureté de votre fond. Mais goûtez bien sa malice et son abomination, afin que vous ne la puissiez jamais oublier. Rendez-vous savante en la connaissance de vous-même par votre propre expérience. Soyez sage à vos dépens, c'est-à-dire soyez humble par la destruction de votre orgueil.

Oh ! que votre aveuglement était grand lorsque la vanité secrète et l'estime de vous-même vous persuadaient de faire un recueil de votre vie pour la mettre en admiration ! Sans doute vos pensées sont autres maintenant, et vos sentiments ont bien changé de face. Que diriez-vous si l'on vous priait d'écrire votre vie ? Oh ! mon enfant, il faut que vous confessiez que jusqu'à présent vos lumières ont été bien ténébreuses, et lorsque vous vous croyiez bien juste, vous étiez devant Dieu bien criminelle.

Je vous compare au Pharisien de l'Evangile qui avait tant d'estime pour ses oeuvres que pour en publier l'excellence il blâmait le pauvre Publicain, disant qu'il n'était pas comme lui285. Hélas ! mon enfant, combien avez-vous pensé et peut-être cru en votre coeur que vous faisiez mieux que telles et telles ? Combien vous êtes-vous préférée à votre prochain ?

Mon enfant, prenez une leçon que je vous donne aujourd'hui, ne l'oubliez pas, la voici en deux mots : Vous serez d'autant plus que vous voudrez être moins.

Ne soyez rien du tout, et vous serez tout en plénitude286.

Retenez bien cette petite leçon, elle est courte mais elle est efficace. Et pour en venir aux effets, aimez de n'être rien en tout ce que vous faites. Soyez bien aise que Notre Seigneur vous fasse la grâce de vous tirer des ténèbres de votre ignorance et qu'il vous fasse voir et sentir la dépendance actuelle où vous êtes de sa bonté, et comme sans son secours très particulier

285. Lc 18, 9-14.

286. Saint Jean de la Croix : Jean Ypès né en 1542 près d'Avila. Il seconda sainte Thérèse d'Avila dans l'oeuvre de la réforme du carmel. Docteur de l'Eglise. Ses œuvres principales sont : La Montée du Carmel, La Nuit obscure de l'âme, La Vive flamme d'amour, Le Cantique spirituel, des lettres, des poèmes admirables. Il mourut le 14 décembre 1591.

276

vous ne pouvez rien faire. Cette vérité est importante et fondamentale de notre édifice spirituel.

La pente naturelle que nous avons à l'élévation, c'est-à-dire à notre propre excellence et à la vanité, oblige Notre Seigneur de nous tenir longtemps et quelquefois toute notre vie, dans la connaissance et dans les sentiments de notre bassesse. Et bien que nous ressentions par une expérience trop palpable l'abîme de notre misérable corruption, et que notre conscience nous reproche à tous moments nos impuretés et nos infidélités, nous sommes si attachées à l'estime de nous-mêmes que nous ne pouvons souffrir qu'on nous condamne ou méprise. Nous ne pouvons soutenir les rebuts que nous méritons.

Nous sommes assez convaincues que nous ne faisons rien qui vaille ; cependant nous souffrons et avons un bien-aise secret en nous lorsqu'on approuve ce que nous faisons. Nous sommes abominables devant Dieu et souvent nous le disons en nous-mêmes ; et dans les rencontres où il faut être un peu méprisée, cela nous fait mourir.

C'est une chose bien rare de voir des âmes qui vivent en vérité. Nous vivons tous, mais hélas ! la plupart mènent une vie de mensonge, et l'on se nourrit de vanité. On prend l'ombre pour le corps et de l'accessoire nous en faisons le principal. Déplorons notre aveuglement, et voyons comme jusqu'à présent vous et moi nous avons vécu dans les ténèbres et dans le mensonge. L'âme qui n'est pas dans la connaissance d'elle-même n'est point dans la vérité. Pour vivre dans la vérité, il faut vivre dans l'humilité, ou pour mieux dire dans le néantlxxxiii. Une âme qui vit dans la vérité est si abaissée qu'on ne la trouve point, même dans le centre des enfers. Elle n'est plus rien et demeure dans son rien. Les créatures ne la trouvent plus.

O bienheureuse perte, ô perte salutaire ! Que ne sommes-nous, mon enfant, perdues de cette sorte, où l'on ne se retrouve plus qu'en Dieu ! Oh ! si vous connaissiez ce souverain bonheur vous voudriez souffrir mille morts pour le posséder. Oh ! s'il m'était permis de parler, ou plutôt si Dieu m'en donnait la capacité, je vous dirais ce que vous ne savez pas encore, mais que vous expérimenterez quelque jour si vous êtes bien fidèle à Dieu (n° 2984).

no 356

277

SUR LE MYSTERE DE L'INCARNATION

J'eus hier beaucoup de pensées de vous écrire, et même cette nuit en attendant l'heure de l'Incarnation adorable du Verbe287. Mais deux choses m'ont divertie de ces pensées.

La première c'est que Notre Seigneur Jésus-Christ est un grand Maître, très adorable en ses divines leçons. C'est lui qui a instruit saint Paul dans le désert soixante-dix années288 qu'il y a vécu solitaire sans aucune conversation humaine. C'est lui qui a enseigné Marie l'Egyptienne et une infinité d'autres qui s'étaient volontairement, pour son pur amour, séparés des créatures. Et je voyais que ces grands saints s'étaient sanctifiés par la solitude, par le silence, par l'anéantissement et par la mort profonde d'eux-mêmes, vivant comme des morts dans l'oubli de tout le monde.

Oh ! que cette vie me paraît sainte ! Je la respecte en vous, non qu'elle y soit établie, ni que vous viviez de la sorte, mais dans la vue que Jésus est votre divin Maître, qu'il peut vous rendre savante dans tous ses saints mystères, par lui-même. Et je le priais de vous faire ces leçons adorables de son divin amour. Et comme je porte grand respect aux opérations secrètes de la grâce en votre âme, je les révérais en silence cette nuit, adorant cette Incarnation adorable du Verbe en vous, en une certaine manière, et je désirais que votre âme soit toute fondue et toute liquéfiée en l'amour de ses anéantissements.lxxxiv

Oh ! que ce mystère est adorable ! qu'il est grand et qu'il est saint et divin ! Notre esprit n'est pas digne de le comprendre. Mais il nous faut unir et lier à la grâce qu'il nous confère, désirant qu'il ait son effet en nous selon les desseins de Jésus-Christ ; et nous tenons aux pieds de la très Sainte Vierge notre Maîtresse, pour participer à ce prodigieux mystère d'un Dieu

287. Mère Mectilde a établi la coutume, dans notre institut, de réciter un acte, composé par elle, en hommage au Verbe s'incarnant en Marie. Cet « Acte » précède l'Office de la nuit, le 24 mars à minuit.

288. Saint Paul, ermite, qui vécut dans les déserts de la Thébaïde (Egypte méridionale, capitale : Thèbes). Saint Paul mourut à 113 ans en 342.

278 anéanti dans ses entrailles virginales. Imitez son humilité et sa soumission. Consentez que Dieu soit en vous en toutes les manières qu'il lui plaira, et dites aujourd'hui trois fois en esprit d'amour, de révérence et d'abandon : « Verbum caro factum est »289 et trois fois : « Ecce ancilla Domini »290, adorant les abaissements d'un Verbe fait chair et l'humilité de la très Sainte Vierge. Ne sortez point de cette disposition. Soyez toujours abaissée devant la grandeur de Dieu, consentant à son bon plaisir.

La seconde cause qui m'a privée de vous écrire est venue de ma propre part, par la disposition où je me trouvais hier toute la journée et suis encore aujourd'hui.

Je prends plaisir que vous soyez toute pleine de Dieu, que toutes les parties de votre corps, de votre âme, de votre esprit, soient remplies de Jésus-Christ. Laissez-vous remplir de son amour en vous vidant de vous-même, vous tenant en silence et respect devant Dieu. Il me semble que Dieu me donne des désirs bien saints pour votre âme. Mais hélas ! Je n'ai que des désirs, Jésus-Christ a en soi les effets et c'est lui seul qui vous peut sanctifier.

n° 1562

DES DISPOSITIONS DANS LESQUELLES IL FAUT ETRE DANS LE SAINT TEMPS DE L'AVENT

Je vous supplie que durant ce saint temps je puisse avoir quelque part à vos prières, d'autant que j'ai reçu beaucoup de miséricordes de Notre Seigneur en ce saint temps. Je voudrais bien me renouveler dans la fidélité que je dois à Notre Seigneur Jésus-Christ et commencer une nouvelle vie dans un état de totale mort, mais j'en suis infiniment éloignée.

Ce saint temps m'est précieux en diverses manières, mais singulièrement en ce que l'Eglise nous applique à adorer le profond abîme des anéantissements du Verbe. Il me semble que c'est un temps de mort à nous-mêmes et de vie en Dieu.

289. Jn 1, 14.

290. Le 1, 38.

279

L'Eglise nous applique aussi à rendre hommage à l'avènement de Jésus. Il y en a de trois sortes : Le premier : son avènement en notre chair, le second : la majesté de sa gloire, et le troisième : se fait mystiquement dans les âmes. Nous devons adoration aux deux premiers, mais à ce troisième nous y devons une attention et une humilité profondes, une obéissance amoureuse pour nous disposer à sa venue en nous.lxxxv

Disons quelquefois avec la très sainte Mère de Dieu répondant à l'Ange : « Ecce ancilla Domini flat mihi secundum verbum tuum À. Soyons les esclaves du Seigneur, afin qu'il fasse en nous sa très sainte volonté et soyons attentives et soumises aux mouvements de son Saint-Esprit.

Je le supplie opérer en nous les destructions de tout ce qui lui est contraire et qu'il me rende digne en son saint amour d'être pour jamais toute vôtre.

n° 1813

DISPOSITIONS DANS LESQUELLES ON DOIT ETRE POUR LA NAISSANCE DE NOTRE SEIGNEUR JESUS-CHRIST

Ma très chère fille. Ne pouvant dormir à cause du redoublement de ma toux, vous voulez bien que je passe un quart d'heure de temps en esprit avec vous pour vous dire quelque petite pensée sur les dispositions où votre âme doit être pour recevoir en elle Jésus naissant.

Si je me réfléchissais, je garderais un profond silence sur un mystère si adorable et profond qui comprend les anéantissements d'un Dieu revêtu de notre chair et l'excès d'amour que le Père éternel nous porte de nous donner son Fils.

Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné son propre Fils291.

Hélas ! je confesse mon indignité et mes ignorances ! Aussi ne prétends-je pas vous parler de l'excellence et de la sainteté de ce mystère. Je suppose que vous ne l'ignorez pas et que vos prédicateurs vous ouvriront ces divins trésors cachés et

291. Jn 3, 16.

280

renfermés dans un Dieu-enfant. Disons seulement en simplicité la disposition que vous devez avoir pour n'empêcher point en vous les effets de la divine naissance.

La première est un vide des créatures en vous-même. « Il n'y a point de lieu en l'hôtellerie »292, en saint Luc, pour loger Jésus. Les créatures avaient tout occupé les places ; et les intérêts de notre amour-propre ont été préférés à la réception de Jésus et de sa sainte Mère dans la petite ville de Bethléem. Si vous désirez, mon enfant, que Jésus vienne naître en vous, faites-lui place dans votre coeur. Videz-le de toutes les créatures et vos propres intérêts. L'étable de Bethléem se trouva désoccupée et Dieu y logea comme dans son palais et y fit son entrée au monde.

La seconde disposition c'est la foi. Jésus naît au milieu de la nuit, dans les ténèbres, sans autre lumière que celle de sa divinité. Dégagez-vous de vos sens et demeurez en foi si vous voulez recevoir la grâce de ce mystère. Il faut être en ténèbres au regard de vos sens et de votre propre esprit si vous voulez recevoir la lumière divine, et Jésus naîtra spirituellement en vous.

La troisième c'est le silence. Jésus fait son entrée au monde dans un temps de paix, à une heure qui tient toutes les créatures en silence pour nous apprendre qu'il est le roi de paix, qu'il aime le silence et que c'est dans le calme de toutes nos passions, de nos sens et de nos puissances qu'il fait ses profondes communications à l'âme, que c'est dans le recueillement et dans la solitude intérieure où il fait entendre sa divine voix. O qu'heureuse est l'âme qui ordonne si bien toutes choses en elle, que son adorable Seigneur y fait le lieu de sa naissance.lxxxvi

Or il y a trois sortes de silence que nous devons tâcher selon notre capacité de pratiquer.

1. Le silence de nos passions qui se fait par une fidèle et actuelle abnégation de nous-même, en sorte que nos passions étant mortifiées elles ne font plus de bruit.

2. Le silence de nos sens qui voudraient toujours voir et sentir ce qui se passe, ils font du bruit et troublent le repos d'une âme qui doit être en profonde attention vers Dieu. C'est pourquoi il les faut tenir en silence sans les écouter ni nous ranger de leur parti.

292. Lc 2, 7.

281

Le troisième silence est [celui] des puissances de notre âme, qui doivent être anéanties. Votre entendement doit être en silence, ne lui permettant pas tant de raisonnements superflus ni tant de productions inutiles qui ne procèdent que d'une recherche de vous-même. Il doit demeurer en silence, regardant Dieu avec respect. La mémoire doit être en silence, ne recevant volontairement aucune image ni souvenir des créatures, demeurant simplifiée en la présence de Dieu. Et la volonté doit être en silence, sans désir, sans inclination, sans ardeur, sans contrainte, sans affection et sans aucune attache qu'à Dieu seul.

En un mot la meilleure et la plus sainte disposition et celle pour laquelle mon âme a plus d'attrait, c'est la profonde mort en nous-mêmes, que nous appelons le véritable anéantissement. C'est cette sainte disposition qui a tiré le Verbe du sein de son divin Père pour le faire incarner dans le coeur virginal de Marie. Dieu a regardé l'humilité de sa servante293. Dieu a regardé les bassesses et le néant dans lequel la très Sainte Vierge était plongée. Rien n'est plus capable d'attirer Dieu en nous que de nous anéantir au-dessous de toutes choses. Une âme dans son néant est ravissante aux yeux de Dieu, et l'on peut dire qu'il est tellement épris d'amour pour elle qu'il s'oublie de sa grandeur, s'abaissant en elle, l'élève jusqu'à Dieu.

Oh ! qu'il faut bien que l'orgueil soit un abîme d'une effroyable malice, de nous aveugler à ce point de ne pouvoir discerner la beauté et la sainteté de l'anéantissement. Jusqu'à quand serons-nous environnés de ténèbres, pour ne point voir que notre bonheur et notre félicité consistent à n'être rien en nous ni dans les créatures ?lxxxvii

Jésus vient naître au monde dans une pauvreté suprême de toutes les créatures, pour nous apprendre combien nous en devons être séparées, si nous voulons avoir l'honneur de le voir naître et régner en nous.

Dieu et les créatures sont incompatibles dans un coeur. Les créatures veulent partager la royauté avec Dieu, et Dieu veut régner seul dans l'âme, et la posséder de son amour. Est-il pas juste que Jésus-Christ soit le Maître ? Lui pourriez-vous bien faire cet affront de lui refuser votre coeur pour le donner aux créatures ? Il demande d'y faire son entrée et d'en prendre derechef possession. Rendez-vous avec humilité et respect à la grâce de sa naissance. Soyez dans une disposition de vide, de silence, de foi et d'anéantissement. Il faut que tout soit détruit et anéanti, afin que Dieu seul soit.lxxxviii

Soyez donc, ô adorable Jésus, soyez naissant, vivant et régnant parfaitement en nous. Que tout ce qui vous y est contraire soit consommé par la puissance de votre divin amour. Que nous vous connaissions pour ce que vous êtes et que nous soyons les victimes de votre bon plaisir, sacrifiées par hommage à votre divine enfance.

Oh ! mon enfant, pouvez-vous penser à la sainteté du mystère d'un Dieu anéanti sans être touchée d'amour et de respect ?

Oh ! mon divin Maître, que votre grandeur est abaissée et que notre bassesse est relevée ! C'est en ce mystère adorable que vous faites un Dieu homme et un homme Dieu. Opérez en nous l'abîme de vos merveilles et nous rendez dignes de la grâce que vous nous voulez communiquer.

n° 2238

DE LA PAIX QUE LES ANGES ANNONCERENT AUX PASTEURS

Puisque la Providence ne me laisse point de nécessité de dormir, je désire employer ce petit moment pour vous annoncer la paix avec les Anges qui l'annoncent aux pasteurs.

Gloire soit à Dieu Très Haut, et en terre aux hommes de bonne volonté294.

Paix, mon enfant, dans votre âme, paix dans votre mémoire, paix dans votre entendement, paix dans votre volonté, paix avec Dieu, paix avec les créatures, paix avec vous-même. Paix, paix, paix au ciel et en la terre. Paix dans le centre de votre coeur. C'est ce que l'Enfant Jésus nous donne par sa naissance. Il nous réconcilie avec son Père et nous remet en puissance pour triompher de nos ennemis et jouir de la paix au milieu de la guerre.

293. Lc 1, 48.

294. Lc 1, 14.

Comment avez-vous avez-vous passé cette sainte nuit, mon enfant ? Avez-vous eu l'honneur de trouver la Mère et l'Enfant ? Vous y êtes-vous trouvée en ténèbres, en silence et dans le vide des créatures et de vous-même ? Avez-vous adoré les anéantissements adorables et incompréhensibles d'un Dieu-Enfant ?lxxxix

O que d'amour, ô que de grâce, ô que de sainteté ce mystère produit ! Mais il faut que ce soit dans une âme de foi, une âme séparée. Adorez avec une haute estime les bassesses de Jésus-Enfant, les impuissances de ce Dieu fort, dont l'Ecriture Sainte, en Isaïe, fait mention, qui doit régner d'un règne qui n'aura point de fin295.

Voyons un peu en quelle manière ce Prince de paix vient établir son règne, étaler sa puissance sur toutes les âmes et tenir les Etats de sa souveraineté. Il naît dans une étable, dans la pauvreté suprême de toutes choses, pour nous apprendre que le plus puissant moyen d'établir en nous une profonde paix, qui est le trône de ce roi pacifique, c'est la pauvreté véritable de toutes choses : pauvreté des grandeurs, pauvreté des honneurs, pauvreté des plaisirs, pauvreté des biens de la terre, pauvreté des consolations, pauvreté de l'affection296 des créatures, pauvreté de désirs, pauvreté d'inclination, pauvreté dans nos sens, pauvreté de pensées, pauvreté de volonté, en un mot pauvreté de toutes choses. Car une âme dépouillée et dénuée de tout est en parfaite et profonde paix, et rien au ciel ni en la terre ne lui peut ravir cette précieuse paix. Elle jouit de Dieu qui se repose en elle comme en son lit de délices, et l'enfer avec touté sa furie ne la saurait troubler.

O secret trop peu connu et très mal pratiqué ! De combien nous privons-nous de grâces et de bénédictions divines pour être trop remplies de ces malheureuses possessions qui n'enrichissent l'âme que d'impureté et de corruption étrange.

Notre adorable Roi établit sa puissance dans les opprobres, dans les croix. C'est là qu'il est magnifique et c'est ce qui le rend aujourd'hui comme un objet d'étonnement à nos esprits.

Un Dieu se fait enfant et se réduit dans les infirmités de notre chair.xc Il a porté nos langueurs et s'est chargé de nos dou

295. Is 9, 1-6, 1ere lecture de l'office de la nuit de Noël.

296. Le manuscrit dit : affliction, peut être faut-il le comprendre au sens de compassion. Les manuscrits parallèles ont lu : affection.

leurs297, dit le prophète. Il est puissant dans nos faiblesses et il commence à régner dans l'anéantissement.

Oh, qu'il y a de prodiges renfermés dans un Dieu Enfant ! Il vient régner dans votre coeur d'une manière qui ne se comprend point. Il s'anéantit pour captiver les âmes et il fait en nous et pour nous ce que nous devrions faire si le péché ne nous avait détruit la grâce de l'accomplir. Il vient réparer la gloire de son Père et triompher de nos rébellions, mais par une voie bien contraire aux sens et à l'esprit humain. Il fait tout le contraire de ce que nous faisons actuellement.

Nous vivons pour nous-mêmes, et il vit pour la gloire de son Père et vit de sa vie divine. Nos tendances actuelles sont des élévations de nous-mêmes dans nous et dans les créatures ; une démangeaison effroyable d'être dans l'estime et l'affection des créatures, dans l'applaudissement, dans l'honneur et dans l'approbation. Jésus vient être l'opprobre des hommes et le rebut du peuple, se comparant à un verxci298.

O, mon enfant, notre vanité et notre ambition pourront-elles encore avoir place dans nos coeurs ? Quoi, la criminelle sera élevée dans un trône de gloire et de majesté, s'idolâtrant soi-même et se faisant idolâtrer des créatures, et la divinité revêtue de notre chair est dans le mépris sur un peu de foin ! Nous ne serons pas touchées de voir notre Juge tenir le lieu de criminel, commençant à faire pénitence de nos malices et de nos impuretés. Hélas ! que nous sommes insensibles au regard de Dieu ! Un père, une mère, un enfant nous touchent, et Jésus-Christ vrai Dieu anéanti ne nous touche point. Humilions-nous de voir que la chair et le sang l'emportent.

Je vous avoue que je suis un peu pénétrée du peu d'amour et de respect que nous avons pour Jésus, de l'ignorance dans laquelle nous vivons. Vous voulez bien que je me soulage en vous découvrant ma peine. Hier dans votre lettre vous me dîtes que je suis toute votre consolation et que vous versez vos pensées et vos afflictions dans mon âme. Permettez-moi d'user en votre endroit de la même liberté, non que j'en veuille faire un usage actuel299, j'y craindrais la satisfaction et l'amour-propre. mais quand ma faiblesse m'emporte à me plaindre du sujet de ma douleur, supportez-moi en patience. mais toujours avec la fidélité que vous m'avez promise de me dire ingénuement ce qui

297. Is 53, 4.

298. Ps 21, 7.

299. Usage actuel : dans la langue de Mère Mectilde veut dire : pratique frequente.

285

vous y peut peiner ou donner du rebut. Il y a longtemps que vous ne m'avez point réjouie et consolée par votre sincérité et franchise sur ce sujet ; pensez-y quelquefois quand vous serez débarrassée.

Au reste, je vous ai portée non seulement dans le Palais Royal de Bethléem, mais dans le coeur adorable de Jésus, et vous êtes et avez été si présente et pressante dans mon esprit que je crois oser dire qu'actuellement je vous dévoue à Dieu et vous y sacrifie. Je suis contrainte intérieurement de prier pour vous sans relâche, en veillant et dormant, et en négociant nos petites affaires. Il y a la principale partie de mon âme qui vous offre à Dieu et m'est impossible de m'en dédire ni pouvoir distraire, jamais je ne me suis trouvée au regard d'aucune âme de cette sorte. Je ne puis vous ôter ni reculer, vous êtes si ferme dans votre place qu'il me semble que mes bras n'ont pas assez de force pour vous en arracher. J'en ai voulu faire l'épreuve cette nuit en quelque rencontre, mais en vain : il faut vous y souffrir autant de temps que l'ordre de Dieu vous y tiendra et m'anéantir sur tout cela.

Ne vous peinez point pour m'écrire, vous ne le pouvez pas aujourd'hui. Ne vous empressez de rien. Laissez-vous doucement et paisiblement à Dieu. J'espère qu'il bénira vos croix et qu'elles ne seront pas si lourdes qu'on se l'imagine. Ayez une entière confiance en Dieu et attendez en paix les événements de sa Providence et les grâces qu'il vous veut donner pour vous rendre toute à lui.xcii

Bon jour, mon enfant, je vous laisse aux pieds de Jésus-Enfant. Priez-le qu'il m'anéantisse et que je commence aujourd'hui à vivre d'une vie de mort, sans plus de retour ni de réserve. Pour que Dieu règne en nous, il faut que tout ce qui est de nous et des créatures soit anéanti. Ce sont les souhaits d'un coeur qui en Jésus est plus à vous qu'à lui-même. Adieu.

n° 2540

QU'IL FAUT PRENDRE POUR MODELE JESUS ENFANT

Ma très chère, je réponds à votre lettre que j'ai reçue ce matin et à laquelle je n'ai pu répondre à raison de la messe et communion à laquelle je vous ai sacrifiée de grand coeur, et ai reçu un surcroît d'espérance de vous voir, avant que de mourir, toute à Jésus-Christ. C'est ce qui me console et qui me fait vous exhorter d'avoir un grand courage et de persévérer dans le travail et dans le combat, si vous voulez remporter la couronne.

Sur cette qualité d'enfant que vous désirez en vous, je vous donne pour modèle de votre enfance Jésus-Enfant. Formez-vous autant qu'il vous sera possible sur ce divin modèle et que votre âme se remplisse de ses saintes dispositions.

Soyez pure de sa pureté, soyez douce et humble de sa douceur et de son humilité. Soyez simple comme il est simple, soyez petite comme il est petit. En un mot soyez anéantie comme lui. Soyez soumise à la conduite de son Esprit comme il est soumis à son divin Père.

Et le même Jésus nous dit que si nous ne sommes faits comme de petits enfants nous n'entrerons point au royaume des cieux299. Il faut assujettir notre esprit aux paroles adorables de notre divin Maître. Priez-le qu'il fasse une émanation de sa grâce d'enfance en votre âme, et qu'il y fasse renaître la pureté et l'innocence que le péché a détruit. Qu'elle imprime en vous un effet de sa souplesse divine aux volontés de son Père. Que vous soyez si soumise au bon plaisir de Dieu que vos délices soient de faire, par rapport à Jésus, sa sainte volonté. Que tout votre soin soit de vous reposer avec Jésus sur le sein virginal de Marie.

Les enfants aiment leurs semblables : si vous êtes enfant en petitesse, c'est-à-dire humilité et abaissement d'esprit. et en innocence et simplicité, vous serez aimée de l'Enfant Jésus.

Trouvez-vous en sa sainte compagnie aux pieds de sa très sainte Mère dans l'étable ; et comme elle a puissance de donner Jésus au monde, priez-la humblement qu'elle le donne à votre

287

âme et qu'elle donne votre âme à Jésus. C'est par son ministère que nous entrons dans la sainteté de la vie intérieure. Car comme Jésus nous donne à son Père, de même Marie nous donne à Jésus. « Personne ne peut venir à mon Père que par moi », dit Notre Seigneur dans l'Evangile300. Et personne ne peut aller à Jésus si sa très sainte Mère ne l'y conduit. Renouvelez vos dévotions, vos hommages et vos respects à l'endroit de cette adorable Vierge, et si vous ne pouvez former des dévotions particulières pour l'honorer, demeurez en disposition d'être tout ce que vous devez être en son endroit.

Ne soyez plus cet enfant qui s'amuse à des badineries. Quittez toutes sottises qui amusent votre esprit. Allez au solide, remplissez-vous de ce qui est saint, nourrissez-en votre âme sans la rassasier de tant de vanités. Vous avez besoin d'une générosité de grâce qui vous élève à Dieu ; vous êtes assez touchée, mais Jésus n'est pas le plus fort en vous. Je remarque que les créatures vous gagnent encore et remportent sur vous les triomphes qui appartiennent au seul Jésus-Christ.

Il y a trois choses qui jettent mon petit esprit dans un abîme d'étonnement :

La première, c'est que le temps et les moments de nos vies nous étant donnés pour négocier le bonheur d'une douce éternité, c'est la moindre de nos pensées. Et sans nous réfléchir sur la brièveté de nos jours, nous ne pensons point à la sortie de cette vie qu'il faudra rendre compte de la moindre de nos vanités. Que fera une âme dans ce rencontre, qui a consommé sa vie dans les créatures ? O épouvantable malheur !

La seconde chose qui cause mon étonnement, c'est que nous vivons, nous respirons, nous nous mouvons et agissons en Dieu et dans Dieu, et cependant nous ne sommes point remplies de sa présence et nous vivons la plupart du temps comme s'il n'y avait point de Dieu, sans respect, sans amour et sans crainte de sa majesté présente.xciii

La troisième, c'est qu'ayant Jésus-Christ réellement et les trois divines Personnes en lui au très saint sacrement, nous soyons si peu touchées de l'abîme de son divin amour qu'il nous communique dans son étendue et sans réserve. Est-ce pas bien nous aimer que de vouloir être converti en viande301 afin

299. Mc 10. 13-16.

300. Jn 14. 6.

301. Viande est pris ici au sens de nourriture pour exprimer le réalisme du mystère de l'Incarnation et de l'Eucharistie et comment Jésus-Christ nous incorpore à lui et

288 qu'il nous incorpore en lui ? que nous soyons faites une même chose en lui d'une manière ineffable et incompréhensible ? On cherche des reliques, on désire de voir des bonnes âmes... Allons au très saint sacrement, mangeons cette adorable Hostie. Nous avons non seulement des reliques, mais la source de toute sainteté qui nous sanctifie nous-mêmes. Nous avons la bonté éternelle au lieu des bonnes âmes, et nous conversons avec Jésus-Christ. Oh ! mystère épouvantable ! qui peut comprendre ou entendre ce saint mystère sans être saisie d'étonnement !

Voilà trois points dans lesquels je me perds, voyant l'horrible aveuglement des chrétiens. Avouez avec moi par votre propre expérience que la cause de tant de malheurs provient de l'usage très mauvais que nous faisons de nos sens ; usage malheureux qui nous prive d'une grâce infinie. Avons-nous pas sujet de pleurer notre aveuglement ? Qu'une âme pénétrée de ces vérités souffre de douleur de voir son divin Maître si peu connu et quasi point aimé.

Quand sera-ce, mon enfant, que nous en serons touchées, et qu'entrant dans les intérêts de sa gloire, nous nous offrirons pour victimes dans le désir de réparer sa gloire dans ses créatures ? Il faut payer pour soi avant que de satisfaire pour autrui, je l'avoue, mais sans se réfléchir. Ces vues font mourir une âme qui aime son Dieu, et je déplore mon endurcissement de n'en être point touchée. Quoi ? Serons-nous sans amour pour Celui qui se donne sans réserve par amour ? Faudra-t-il que les créatures aient encore le pouvoir de nous en détourner : un intérêt, une vanité, une complaisance ou un respect humain ?

Faisons une profession solennelle aux pieds de Jésus, dans l'étable, de n'être désormais plus rien dans les créatures, de ne chercher plus de vanité et de ne plus vivre dans le mensonge. Puisqu'un Dieu s'anéantit, il est de justice que notre orgueil soit terrassé et abattu. Quelle apparence de s'élever quand un Dieu s'abaisse et de soutenir en nous les ennemis de sa gloire, qui sont les péchés, pour la ruine desquels il est venu au monde ! Il vient nous délivrer de la tyrannie de Satan. Il vient renverser le règne du démon. Enfin il vient prendre possession de ce qui est sien. Votre âme est à lui, tout votre être le regarde comme son

par lui nous fait entrer dans la vie trinitaire. Cette approche â la fois réaliste et mystique de notre « déification » est un aspect important de la pensée de Mère Mecti!de. Saint Jean use du même réalisme pour annoncer l'incarnation du Verbe : Verbum caro factum est. in 1, 14 ; 1 Jn 4, 2.

289

créateur. Et il faut confesser que tout dépend de lui, par création, par rédemption et conservation ; mais aussi par d'autres titres qui sont infinis.

Réjouissons-nous de la naissance de notre Roi. Rendons hommage à sa souveraineté, soumettons-nous à ses divins pouvoirs. Que toute notre gloire soit d'être anéanties afin que lui-seul règne parfaitement. Que notre vie soit cachée en lui et que nous soyons actuellement dépendantes de lui. Enfin, que nous vivions de sa vie, que nous soyons animées de son amour et qu'il soit uniquement vivant en nous.

Voyez comme je m'oublie : ne pensant que vous dire deux mots, il se trouve que je ne puis finir, me jetant dans une confusion de pensées qui me sont tombées dans l'esprit. Si vous y trouvez quelque chose utile à votre âme, à la bonne heure. J'abandonne tout pour me tenir dans mon cher néant.

Je me suis bien égarée de ce que je vous pensais dire, il faut nous mettre sur notre sujet compris dans votre lettre.

Je vous ai mandé ce matin que je trouvais fort bon l'ordre que vous tenez touchant vos dévotions extérieures, et que, pour l'intérieur, il fallait être dépendante du trait du Saint-Esprit qui applique l'âme comme il lui plaît. Si vous y êtes en état de mort tout rend hommage à Jésus-Enfant. Vos impuissances seront sacrifiées aux impuissances et aux captivités de Jésus, vos ténèbres à celle qu'il veut souffrir dans le lieu de sa naissance, votre pauvreté de grâce à sa pauvreté et vous trouverez qu'il ne se passera rien en vous qui ne rende gloire à Jésus. Mais comme il se donne tout à vous, donnez-vous sans réserve toute à lui.

La naissance temporelle de Jésus a été et ne sera plus, mais la grâce de sa naissance sera d'une durée éternelle. Et il naît mystiquement dans nos âmes actuellement quand il n'y a point d'opposition de notre part, quand nous ne sommes point remplies des créatures et de nos intérêts comme les hôtelleries de Bethléem, quand nous demeurons dans les ténèbres lumineuses de la foi que nos sens sont anéantis et que nous sommes dans le silence et dans la solitude, dégagées de tout ce qui n'est point Dieu.

Je m'impose à moi-même le silence en vous le recommandant. Je ne sais si l'Esprit de Dieu me pousse, mais si je suivais mes pensées je ne finirais point, et cependant tout cela est superflu, n'étant que des redites. Votre humilité, ou plutôt la charité de Jésus en vous, excusera tout.

n° 1389

290

SUR LE MYSTERE DE L'EPIPHANIE

Ce mystère adorable de l'Epiphanie doit opérer de grands effets de grâce dans nos âmes.

Le premier vous doit faire adorer avec les Mages Jésus-Christ comme Roi. C'est aujourd'hui qu'il commence de régner, qu'il est reconnu roi et qu'on lui rend des hommages dignes de la royauté. C'est en ce jour que la première adoration et le premier honneur public ont été rendus à Jésus. Le premier hommage au nom de tout le monde lui a été fait et les prémices de la gentilité lui ont été consacrées.

Entrez dans les intérêts de Jésus votre divin Roi et vous réjouissez de voir qu'il établit son règne, qu'il se manifeste et qu'il attire à lui les âmes les plus éloignées. La grâce qu'il a faite aux Mages est très grande, mais celle qu'il nous présente aujourd'hui ne l'est pas moins. Il vous a appelée d'un pays très loin qui est la région du péché302. Il veut que vous lui soyez fidèle comme ces saints Mages, sortant comme ils ont fait de leur terre pour se venir sacrifier à Jésus. Ils quittent tout pour chercher leur roi et s'assujettir à son empire.

Faites de même aujourd'hui. Sortez de la terre de vous-même, de votre propre maison et du lieu de votre connaissance. Quittez vos intérêts comme ils ont fait et venez trouver Jésus en Bethléem. Suivez l'inspiration qui est l'étoile. Sortez des vieilles habitudes de vos sens et de votre propre esprit, abandonnez-vous à la conduite [ de Dieu] 303.

Si les Mages ne se fussent assujettis et n'eussent anéanti les vues humaines, ils n'eussent jamais trouvé Jésus. Ils marchent par la foi et la confiance. C'est ce que vous devez faire. Ils suivent une étoile : voyez quelle est l'étoile que vous devez suivre, et vous rendez fidèle. Ils viennent dans un pays étran-

302. Lc 15, 13 et 20.

303. Ces mots manquent dans le manuscrit, on les trouve dans un autre manuscrit de la même époque, toujours très fidèle.

291

ger. C'est dans la grâce, laquelle n'est point à nous, ains très éloignée de nous, puisque pour la posséder il faut sortir de nous-même.

Ils apportent l'or, la myrrhe et l'encens. C'est ce que vous devez porter : l'or d'un amour épuré, la myrrhe d'une mortification généreuse de tout ce qui est en vous qui déplaît à Dieu, et l'encens d'une fervente et très simple oraison. L'encens vous élève à Dieu, la myrrhe vous détache des créatures et vous en sépare, et l'or et l'amour vous unissent très étroitement à Dieu. Voilà les trois effets que l'or, la myrrhe et l'encens doivent opérer en vous. C'est ce que vous devez porter à Jésus.

L'encens le confesse et le reconnaît Dieu, la myrrhe le croit homme, et l'or le tient roi. Que Jésus vous soit donc Dieu, homme et roi, Dieu en vous donnant l'être, vous le conservant, vivifiant. Homme, en vous montrant les sentiers d'anéantissement et de croix qu'il est venu établir sur la terre pour nous faciliter le passage qui nous doit réunir à lui. Roi, en nous assujettissant à sa souveraineté, à ses pouvoirs, et à son amour et à son autorité.

Et pour conclusion, imitez les Mages qui, après avoir trouvé et adoré Jésus, s'en retournèrent par une autre voie. Voilà ce que vous avez à faire : retourner par une autre voie. Oh ! que cela dit et comprend de choses ! Il y en a bien peu qui retournent par une autre voie. Nous avons une malheureuse pente qui nous fait toujours marcher dans les créatures et dans nous-mêmes. Il faut prendre un autre sentier secret et éloigné d'Hérode qui signifie l'orgueil. Et quel est ce sentier ? C'est la pure foi, par laquelle l'orgueil et la vanité y trouvent leur ruine et sont trompés dans leurs prétentions. Elle nous fait sortir des sens, quittant nos intérêts et nos satisfactions pour les respects et les intérêts de Dieu même. Les Mages quittent Jésus pour ah ler produire Jésus et il faut nous quitter nous-même pour glorifier Jésus, le publier et le faire connaître. Mais pour réussir, il faut marcher par une autre voie qui est cette précieuse foi. Je vous la souhaite, mon enfant, et la grâce d'y être fidèle.

Voilà des petites pensées qui peuvent divertir votre esprit. Si elles vous sont utiles, à la bonne heure. Sinon, j'aurai toujours matière d'abjection.

Faites bien de l'estime de la grâce que Dieu vous présente, de crainte qu'il ne soit obligé par votre négligence de vous en priver. Soyez très fidèle, je ne vous puis assez recommander cette fidélité. Prenez-y garde, la tentation vous attaquera. Soyez forte de la force de Jésus et ne vous découragez pas de vos faiblesses. Ne désistez jamais et vous verrez le bonheur qui vous en reviendra.

n° 120

SUR LE MYSTERE DE LA PASSION DE NOTRE SEIGNEUR JESUS-CHRIST

Du Vendredi Saint304

Ma très chère, je me suis présentée à Notre Seigneur pour vous dire quelque chose sur le mystère profond et épouvantable de sa mort. Mais, hélas ! je me trouve saisie moi-même d'une impuissance d'en pouvoir parler. Je suis trop impure pour vous entretenir de la plus prodigieuse charité qui puisse jamais être exercée. Il faudrait brûler de ce même amour qui consomme notre divin Maître sur la croix pour parler des excès de sa dilection sacrée.

Les anges sont muets en la vue de ce douloureux spectacle. Ils sont plongés dans un abîme d'étonnement de voir un Dieu mourir pour les hommes, pour des pécheurs abominables, desquels je suis du nombre. Un Dieu anéanti non seulement sous la figure d'un pécheur, mais qui est revêtu de tous les péchés du monde et est fait la victime de la juste colère de Dieu, portant devant la majesté de son Père les crimes de tout le monde et en cet état être rejeté de Dieu !305 Voilà la plus effroyable souffrance et humiliation que Notre Seigneur Jésus-Christ ait reçu en sa mort.

304. La précision : du Vendredi saint vient d'un autre manuscrit : D 12.

305. Ces lignes de Mère Mectilde doivent être comprises dans le même sens que la pensée paulinienne, en particulier 2 Co 5, 20-21 ; Ga 3, 13. Le cardinal Journet écrit, à propos du cri de Jésus sur la croix : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné » les lignes suivantes : « Jésus a souffert moralement et physiquement au-delà de ce que nous pourrons jamais savoir ici-bas... Sa souffrance est celle du Sauveur du monde... Elle est satisfaction, non punition... Elle est lumineuse, non désespérée... A elle seule il est donné de pouvoir connaître jusqu'au fond, de pouvoir assumer tout entier, de pouvoir offrir à Dieu le prix exigé pour la rédemption du mal et la refonte de l'univers » (Cf Ch. Journet, les sept paroles du Christ en Croix, éd. du Seuil, 1952, p. 88-92).

292

Oh ! qu'il est douloureux à supporter d'être rejeté, réprouvé et condamné de Dieu-même ! Voilà ce que notre adorable Seigneur a souffert pour vous, pour moi, et pour tous les hommes. Oh ! que ne pouvez-vous comprendre cette profonde et épouvantable humiliation ! la sainteté de Dieu cachée sous l'impureté du péché, et tous ses divins attributs comme anéantis.

Pour bien concevoir ces profondes et effroyables peines, il faudrait pénétrer l'abomination infernale du péché, sa malignité, et combien il déshonore Dieu, combien il lui est contraire et comme il l'a en horreur. Mais hélas ! nos lumières sont trop faibles pour approfondir ces vérités. Il faut les révérer en foi, et imiter le silence des anges et des saints, se perdre d'étonnement, d'amour et de révérence. Oh ! que Dieu est admirable et ineffable dans les inventions de son amour !

Mon enfant, je n'oserais suivre mes pensées, d'autant qu'elles m'embarqueraient à un long discours. Je dois laisser agir en vous le Saint-Esprit. Tout ce que je vous recommande, c'est le silence et la récollection d'esprit, adorant en foi — c'est-à-dire sans le comprendre — la sainteté de ce mystère, et de vous abandonner à la grâce qu'il contient, demeurant dans un profond respect de ce que Dieu y opère.

Ayez une disposition en fond d'adorer tout ce que notre adorable Seigneur a fait et souffert en sa Passion. Désirez que tout ce qui s'est passé en lui se passe spirituellement en vous, puisque vous devez être semblable à lui. Adhérez à tous les desseins de Jésus en croix pour vous et vous abandonnez en esprit de sacrifice continuel pour rendre hommage à sa sainteté, à sa puissance et à son amour.

Aimez de souffrir quelque peine de corps ou d'esprit pour honorer les souffrances de l'âme sainte de Jésus ; et pour adorer son humanité sainte, vous direz demain et après, trente-trois

Il est vrai que, depuis le début de notre siècle, la théologie de la rédemption a fait l'objet de travaux qui l'ont assez profondément renouvelée. On tend aujourd'hui à éviter l'idée de substitution juridique face aux exigences de la justice divine, pour insister avant tout sur l'initiative aimante de Dieu : la mort de Jésus, par solidarité avec l'homme pécheur, exprime l'engagement de Dieu même pour libérer l'homme qu'il aime et lui rouvrir le chemin de la vie. Voir, par ex., C. Guillon, La Théologie catholique à la Rédemption au XXe siècle ; esquisse d'une évolution, Mémoire polycopié, Institut catholique de Paris, 1985. / La Rédemption, problèmes et mystère, Jean Milet, Institut catholique de Paris, art. in Esprit et Vie n° 28-29, 1987.

294

fois : « Adoramus te Christe et benedicimus tibi, quia per crucem tuam redemisti mundum, qui passus es pro nobis »306.

Adorez aussi les trois heures d'agonie au jardin et les trois heures d'agonie en croix, et pour cet effet vous direz trois fois, Pater, prosternée.

n° 1008

SUR LE MYSTERE DE LA RESURRECTION

Du Vendredi saint au soir

Mon enfant, communiez demain si vous le pouvez et que Jésus mort entre en vous comme dans son sépulcre. Donnez-lui le pouvoir de vous remplir de la sainteté de sa mort et désirez d'avoir part à la grâce de sa Résurrection. Puisque comme membre de son corps vous avez été crucifiée avec lui, il faut ressusciter avec lui307. Ce sont les paroles de l'Apôtre.

Il (y) faut commencer une nouvelle vie, une vie qui ne soit plus de la terre, une vie qui soit toute séparée des sens, toute purifiée et élevée à Dieu.

Saint Paul dit : « Si nous sommes ressuscités, cherchons les choses d'en haut »308. Une âme ressuscitée ne saurait plus prendre de plaisir aux choses de la terre. Les créatures lui sont croix et tout ce que le monde a de plus délicieux lui est un enfer.

Voulez-vous savoir si vous êtes ressuscitée mystiquement ? Voyez si vous en portez les marques et si votre âme est revêtue des douaires309 des bienheureux, et dont l'humanité de notre divin Seigneur a été revêtue au moment de sa résurrection.

1. Elle a été rendue impassible, car : « Jésus ressuscitant des morts ne meurt plus »310, dit l'Apôtre, et ensuite il ne peut

306. Répons de la fête de l'Exaltation de la Sainte Croix, 14 septembre. Ce Répons se disait aussi à la fête de l'Invention de la Sainte Croix célébrée autrefois le 3 mai.

307. Rm 6, 5.

308. Col 3, 1.

309. Héritage.

310. Rm 6, 9.

295

plus souffrir. Qualité que vous devez spirituellement imiter par une forte résolution faite par sa grâce de ne mourir jamais plus par le péché, de n'adhérer plus à vos passions, à vos sens ni à la tentation.

2. Il a reçu l'agilité, par laquelle il se pouvait transporter en un moment d'un lieu en un autre éloigné. Et vous devez être agile spirituellement par une prompte obéissance et correspondance à tous les mouvements de la grâce, disant avec Samuel : « Parlez Seigneur car votre serviteur vous écoute »311.

3. Il a reçu la subtilité par laquelle il pénétrait les choses matérielles, comme lorsqu'il s'est levé du sépulcre sans lever la pierre. Et vous devez être spirituellement subtile à vous séparer et éloigner de toute adhérence à vos volontés, à votre propre esprit, aux choses basses et périssables ou à tout ce qui n'est pas Dieu, ou qui ne tend pas à lui, passant tellement par les choses temporelles que vous soyez toujours aspirante les éternelles, disant avec David : « Qu'ai-je dans le ciel, et qu'ai-je voulu sur la terre, sinon vous, mon Dieu »312.

4. Le quatrième douaire du corps glorieux de Jésus, c'est qu'il a été revêtu de clarté et de splendeur qui eût obscurci celle du soleil. Mais elle n'a pas été visible aux yeux encore mortels des Apôtres, soit par la condition de cette lumière de gloire, soit par le dessein de Jésus, afin qu'il pût encore converser et traiter avec èux. Vous devez être claire et resplendissante spirituellement par la pure intention à Dieu, qui est l'oeil de notre âme, selon la parole de Notre Seigneur qui dit : « Si ton oeil est simple tout ton corps sera lumineux »313, qui nous fait regarder Dieu purement en toutes nos actions. C'est aussi la lumière de la foi vive et de l'oraison, par laquelle Dieu éclaire nos ténèbres et nous découvre ses divins conseils et nous inspire ses voies.

Je ne pensais pas, mon enfant, vous dire ces choses. Je m'étais réservée à vous les dire de vive voix sans vous l'écrire. J'aurais beaucoup d'autres pensées sur la cérémonie que l'Eglise fait aujourd'hui ; mais je craindrais de trop multiplier votre esprit. C'est pourquoi je me contenterai de vous dire que vous portiez un grand respect à tout ce que l'Eglise fait, et vous abandonnez à l'Esprit de Jésus qui la dirige et qui la conduit,

311. 1 S 3, 9-10.

312. Ps 72, 25.

313. Mt 6, 22.

désirant que la grâce de toutes ces cérémonies et les saints mystères qu'elles représentent soient infus dans votre âme et qu'elle soit revêtue de leurs saints effets.

Enfin voici un jour tout nouveau Jésus-Christ fait toutes choses nouvelles. Priez-le humblement qu'il renouvelle toutes choses en vous et que vous commenciez à vivre d'une nouvelle vie.

n° 279

TOUCHANT LE GENERAL DE VOS ECRITS, VOICI CE QUE NOTRE SEIGNEUR NOUS EN A FAIT CONNAITRE

1. Il y a moins de réel que de lustre.

2. C'est tout esprit et point de coeur.

3. Le plus grand empêchement que vous aurez jamais en la vie spirituelle, c'est la bonté314 de votre esprit.

4. Le trop de lumière humaine vous aveugle, et il faut que l'aveuglement vous illumine, d'autant que vous êtes du nombre de ceux dont parle Jésus-Christ en l'évangile de saint Jean qui sont aveugles parce qu'ils s'imaginent avoir de bons yeux. Mais pour bien voir, il les faut crever313.

5. L'inégalité intérieure qui paraît continuelle en vos écrits est une marque de la vocation de Dieu et de votre infidélité. Vous n'avez pas besoin d'aller chercher hors de vous des matières de pénitence ; car il y a longtemps que vous en donnez à Dieu par vos fuites et résistances, lequel est aussi lassé d'attendre que vous de fuir.

6. Vous avez grand sujet de dire que votre esprit va trop vite, car en effet il prévient celui de Dieu et veut faire ce qu'il devrait souffrir.

7. Touchant l'oraison, vous n'y réussirez jamais si vous continuez à faire comme vous avez fait, par un trop grand désir de bien faire. Car votre oraison n'a été que l'étude d'un esprit

314. La bonté au sens de : vivacité ou curiosité.

315. Jn 9, 39-41.

297

amoureux des belles vérités et qui cherche de se perfectionner par la connaissance de ce qu'il y a d'éminent en notre religion, comme je le remarque plus particulièrement en l'article 27 de l'écrit.

8. Et pour y réussir vous ne vous êtes point contentée de votre industrie, vous avez employé et recherché l'aide des autres ; lequel, ou pour ne vous l'avoir pas assez bien pénétrée316, ou pour avoir suivi l'erreur commune qui est de faire un métier de la dévotion, vous ont fait perdre beaucoup de temps et c'est ce que je regrette, d'autant que Dieu vous a donné grande capacité au vrai bien.

Il est absolument nécessaire de laisser un peu plus faire à Dieu en vous et de vous mettre en état de le suivre.

9. Apprenez à déférer à la direction du Saint-Esprit, à l'attendre et à travailler par soumission à la grâce qu'il vous a donnée. Car le positif et ce qui sert comme d'établissement à l'esprit du christianisme, c'est de demeurer avec Jésus-Christ sous la maîtrise de l'Esprit de Dieu, attendant qu'il parle pour agir et cessant dès lors qu'il ne nous applique plus : « Spiritus Domini super me »317.

Je vous supplie de faire un peu d'application à ce que dessus, en forme d'un petit examen, et vous verrez ce que l'Esprit de Dieu vous en fera connaître.

10. Pour ce qui regarde la présence de Dieu, vous ne l'avez pas pris comme il faut. Car outre que c'est un don de Dieu que l'on reçoit bien plutôt dans l'oraison, qu'on ne l'acquiert par étude, au lieu de vous mettre dans un état que Dieu vienne à vous, vous voulez aller à lui par où il vous plàît et prenez la liberté de choisir votre voie, n'ayant point jusques ici entré dans la dépendance que vous devez avoir à la conduite que Dieu veut établir en vous.

n° 2804

316. Pénétrée : expliquée.

317. Lc 4, 18 et Is 61, 1.

298

INSTRUCTIONS IMPORTANTES

Ma très chère fille en Jésus-Christ, je le prie me rendre digne de vous dire sa sainte volonté et de vous faire connaître et remarquer plus particulièrement les vérités que je vous ai déjà exprimées touchant l'état général de votre vie. Je vous les réitère par écrit pour vous réveiller par la lecture d'icelles et exciter à une nouvelle fidélité ; et vous serez d'autant plus coupable au jugement de Dieu que vous aurez négligé de les observer.

I. La plus grande défiance que vous devez avoir est de votre propre esprit, soit pour ses propres recherches, soit pour les appuis qu'il tâche de trouver en lui-même ; mais surtout pour sa très maligne vanité et présomption d'esprit. Je vous ai déjà dit que vous devez vous défier généralement de tout ce que votre esprit produit ; ne faire jamais de fonds sur vos lumières. Bref vous devez tendre au dégagement total de vous-même, vous appuyant toujours sur la lumière de Dieu par une foi simple et dénuée d'appuis et de sens.

II. Un des plus grands retardements de votre âme dans la voie en laquelle Dieu vous fait l'honneur et la grâce de vous appeler, c'est que vous ne vous abandonnez pas assez à la conduite de Dieu, à sa grâce et à sa puissance. La confiance que vous avez en lui n'est pas entière dans le fond de votre esprit. Vous ne vous dénuez [ dépouillez ] pas assez de vos forces et industries naturelles. Vous ne vous perdez point dans le total abandon que vous devez avoir à Dieu. Et ce manquement vient d'une secrète estime de vous-même qui vous fait réfléchir par amour-propre sur vos dispositions ; et de tout ce que vous trouvez en vous qui a quelque apparence de bien, vous en faites appui et c'est votre mal ; d'autant que vous vous revêtez de vous-même, conservant un je-ne-sais quoi qui vous donne vie dans vos propres opérations et dans vos dispositions. Et pour vous retirer de ce malheur qui ne vous est pas encore bien connu et qui vous retardera infiniment d'arriver à la voie ou état pur où vous êtes appelée :

299

Ne faites aucune estime de tout ce que vous ressentez en vous, soit lumière, soit bonne volonté, soit bonnes oeuvres, soit bons sentiments, ferveurs et résolutions, etc. Elevez-vous à Dieu au-dessus de toutes ces choses. Ne vous attachez point aux dons que la divine miséricorde vous fait ; mais servez-vous en pour vous élever à Dieu et vous unir à son amour. Ce ne sont point les goûts ni les faveurs que vous devez chercher, parce qu'ils ne sont pas notre fin, mais seulement des moyens pour nous faciliter le chemin qui nous y doit conduire. Désappropriez-vous de tout afin que vous soyez remplie de Dieu seul.

III. N'ayez jamais aucune attache d'affection aux créatures pour bonnes et saintes qu'elles vous paraissent, d'autant qu'une lame d'or posée devant vos yeux n'empêche pas moins la vue du soleil qu'une lame de plomb. Il faut donc vous garder de cette trop grande imperfection qui se rencontre dans la plupart des spirituels et qui bien souvent ruine leur perfection.

Souvenez-vous de ce que je vous ai dit tant de fois : Dieu est jaloux de votre coeur, il veut le posséder entièrement. Il ne faut point qu'il soit divisé. Votre amour est pour lui seul. Il ne saurait souffrir de rival. Il faut que vous soyez toute à lui ou toute aux malheureuses et abominables créatures. « Personne, dit Jésus-Christ, ne peut servir à deux maîtres »318. Vous ne pouvez être toute à Dieu et vivre dans les créatures et dans vous-même. Il en faut nécessairement sortir. Vous n'y pouvez demeurer sans vous souiller, en vous recherchant, en vous produisant et en vous établissant dans les créatures, les attirant en vous et vous introduisant en elles. Et tout ce malheureux négoce ne produit que corruption. Il vous remplit de ténèbres, d'empressements, d'inquiétudes, de désirs, bref de mille distractions et vous y consommez beaucoup de temps en des superfluités, niaiseries et inutilités étranges.

Vous en avez l'expérience aux dépens de votre propre perfection. Oh ! combien y avez-vous perdu de moments ! Il n'en faut qu'un pour mériter l'éternité et cependant vous en avez fait un usage si profane, l'employant si indignement dans les créatures ! Souvenez-vous qu'il coûte le sang d'un Dieu et que vous n'en pouvez faire d'usage que pour les intérêts de sa gloire. Autrement, vous vous rendez criminelle, faisant un larcin de ce sang adorable. Travaillez à vous dégager continuelle-

318. Lc 16, 13 ; Mt 6, 24.

300 ment. Ne désistez jamais de tendre à Dieu et voyez combien nous en sommes retardées par nos amusements.

Si je vous défends, mon enfant, si expressément, l'attache aux créatures, même qui ont réputation de sainteté, de peur de vous détourner tant soit peu de Dieu qui veut être unique dans votre coeur, jugez combien je vous interdis et condamne en vous toutes les autres affections qui seraient moins pures. Si je ne puis souffrir en vous l'attache à une bonne âme, à plus forte raison vous dois-je commander de vous garder de toutes les autres, conservant votre coeur pour Dieu seul.

Faites souvent réflexion sur le retardement de votre âme et sur le malheureux état où elle se précipiterait si elle s'engageait derechef dans ses attaches d'affection. Est-ce pas un affront épouvantable que vous faites à Dieu de loger la créature impure dans son trône ? C'est ce que vous faites lorsque vous attirez en vous les créatures et que vous les aimez, vous les préférez à Dieu, vous en faites votre idole. Hélas ! combien de fois une bagatelle, un rien a occupé votre esprit et avez-vous une infinité de fois quitté Dieu pour vous appliquer suivant l'inclination de votre esprit, sans respect de Dieu présent. Oh ! que la patience divine est adorable de nous souffrir dans les déshonneurs que nous rendons actuellement à Jésus-Christ.

IV. Le quatrième avis que je vous donne et qui doit être reçu de vous comme un commandement qui vous est fait par Jésus-Christ, c'est de ne jamais faire estime des louanges, des applaudissements des créatures. Souvenez-vous des paroles de l'Ecriture Sainte : « Omnis homo mendax »319. Tous hommes sont menteurs, Dieu seul est véritable. « Je suis la vérité »320, dit Jésus.

Tout ce que les créatures disent procède de la créature et la créature n'étant que mensonge et vanité, il faut être dans un étrange aveuglement pour prendre complaisance en leurs discours et à l'estime qu'elles témoignent faire de nous. C'est vivre dans les ténèbres et dans l'ignorance d'y prendre tant soit peu de satisfaction. Et quel moyen de vous nourrir de vent ? De vous appuyer sur une louange qui n'a point d'autre source que l'aveuglement et que l'ignorance ? Pouvez-vous faire appui sur un sentiment humain ? Ne savez-vous pas cette vérité que je vous viens de proposer : « Tous hommes sont menteurs ». Si vous le croyez comme la foi vous y oblige. pourquoi estimez-

319. Ps 115. 11. 320. Jn 14. 6.

301

vous tant leurs vaines louanges ? Il faut être bien aveugle pour s'en contenter et pour y prendre plaisir. C'est vivre dans le mensonge que de vous remplir de cette vanité. Les créatures pour l'ordinaire approuvent ce que Dieu condamne. Elles ne parlent que par leurs sens et par la très impure lumière de leur propre esprit ; et tout celà n'est pas dans la lumière de Dieu. Pour moi je ne comprends point comme nous ne tremblons pas d'horreur lorsqu'on parle à nos louanges, qu'on nous applaudit.

Nous ne savons qui est digne d'amour ou de haine. Cette créature vous exalte et Dieu qui est la Vérité, Sainteté et Sagesse éternelle, qui ne se peut tromper, vous condamne. Et peut-être que cette créature en qui vous prenez votre complaisance pour ses flatteries et sifflements de serpent sera éternellement dans les flammes. Quelle tromperie ! quel aveuglement !

Mais après tout, quelle utilité trouvez-vous dans les louanges mensongères des créatures ? Vous rendent-elles plus pure, plus sainte, plus fidèle, plus anéantie ? Bref, vous unissent-elles à Dieu ? Hélas, tant s'en faut ! elles vous en séparent pour vous appliquer à cette créature qui vous revêt de son impureté, qui ne se contente pas d'être souillée en elle-même : elle vous jette son venin et tend à vous donner la mort. Voilà ce que fait l'orgueil et la vanité en nous. Elle ne ruine pas seulement la sainteté de nos intérieurs, mais elle a une malheureuse tendance à la ruiner encore en autrui. Voyez l'épouvantable malignité.

C'est assez sur ce point, je vois que j'en dis trop et que je ne m'en puis retirer, me trouvant touchée sensiblement de l'aveuglement d'une infinité d'âmes et particulièrement de la vôtre qui s'est nourrie et substantée si longtemps de cette horrible corruption. Notre Seigneur vous a fait une très grande miséricorde de vous faire ressentir votre malheur ; mais ce n'est pas assez, il vous en faut absolument garantir. Il ne faut plus retourner dans son vomissement. Souvenez-vous que cette maligne complaisance et vanité détruit entièrement la sainteté. Elle vous retire du bienheureux état d'anéantissement où la grâce vous conduit et où vous devez une fidèle correspondance ; et comme c'est votre faible, votre pente et votre inclination, soyez sur vos gardes.

1. Ne vous produisez jamais sans nécessité de charité ou par un ordre très particulier de Dieu.

2. Ne donnez jamais sujet d'être louée volontairement et à dessein.

302

3. Si les créatures vous approuvent et vous exaltent, tremblez dans l'incertitude d'être désapprouvée de Dieu, et vous souvenez que les créatures ne voient en vos actions que l'extérieur et Dieu en pénètre le fond. « L'homme voit la face, mais Dieu voit le coeur »321, dit l'Ecriture Sainte.

4. Retirez-vous aux pieds de Notre Seigneur, adorant .en silence, humilité et respect, les sentiments qu'il a de vous. Vous élevant doucement vers Dieu en cette manière, vous vous séparerez de la créature qui tend à vous souiller par ses vaines louanges et par ses impuretés.

5. Ne dites jamais rien qui puisse tourner à votre louange et votre gloire, du moins directement.

6. Ne découvrez jamais les grâces que Notre Seigneur vous fait, à personne, si ce n'est à ceux qui ont reçu de Dieu la direction de votre âme ou que vous y soyez portée et incitée par un motif de la pure gloire de Dieu bien manifeste ; d'autant que la pente que vous avez à vous élever et estimer en vous-même et en autrui vous en fournira quelquefois des occasions très bonnes en apparence. Mais vivez anéantie, vous défiant de tout, Contentez-vous que Dieu vous voit et vous connaît. Renoncez aux créatures, n'en espérez ni prétendez plus rien, puisque vous êtes et devez être sans aucune réserve, toute à Jésus-Christ.

V. Soyez fort circonspecte et réservée à communiquer et découvrir votre état. Gardez-vous bien de le confier indifféremment à toutes sortes de personnes qui ont puissance et juridiction. Si vous n'êtes pas fidèle en ce point, vous brouillerez votre âme et la remplirez d'une multitude de choses qui vous jetteront dans les ténèbres, dans les troubles et dans les tentations.

Contentez-vous des directeurs que Dieu vous donnera, soyez-leur très fidèle et les écoutez comme Jésus-Christ, et leur obéissez de même. Et si la Providence vous privait de celui que vous avez présentement, qui est rempli de grâce, de doctrine, de prudence et de lumière, n'en choisissez point par votre propre mouvement : vous le devez demander à Dieu avec ferveur, afin qu'il vous donne un guide qui vous conduise selon son Esprit. C'est un grand trésor qu'un bon directeur qui soit désintéressé et qui soit rempli de Jésus. Je vous avoue qu'ils sont bien rares. Plusieurs se mêlent de direction, mais je ne sais s'ils en ont tous la grâce. Quoi qu'il en soit, faites usage des conseils qu'on vous

321. 1 S 16, 7.

303

donne et vous souvenez qu'on a que trop d'expérience du malheur qui arrive à une âme quand elle tombe sous la conduite d'un directeur qui n'est pas revêtu des intérêts de Jésus-Christ.

Votre âme étant faible et remplie de l'impureté des créatures comme elle est présentement, elle a besoin d'une bonne conduite qui la tire d'elle-même, des créatures et de ses sens. Et je prie Notre Seigneur que sa grâce vous subvienne en ce point très important. Votre besoin est très grand, d'autant qu'il n'y a encore rien en vous de solide. Vous commencez bien à connaître les vérités de Jésus-Christ et de son saint Evangile, mais vous n'êtes point établie dans la perfection qu'elles vous proposent, voire vous n'en êtes pas encore pleinement convaincue. Et c'est ce qui me fait douleur de vous voir sans conduite — si vous y étiez à l'avenir — bien que j'espère que Dieu ne vous manquera ; mais je doute de votre fidélité à persévérer, vous trouvant d'un côté sans appui et d'autre part tout environnée, car les créatures vous persécuteront et au-dedan's et au-dehors. Soyez inébranlable. Dieu est plus que tout ce que les créatures, le monde et la vanité vous peuvent présenter. Souffrez leurs persécutions et leur tyrannie pour Jésus-Christ, et il sera votre force pour les surmonter.

Ne confiez donc jamais votre état qu'aux âmes bien éclairées et bien remplies de l'Esprit de Dieu et qui aient expérience des différents états par où Dieu conduit les âmes, surtout qu'elles aient la grâce et l'esprit d'oraison. Tâchez que ces âmes soient plutôt dans la vraie et solide piété que dans la seule doctrine. L'Esprit de Dieu en fait plus dans un moment, comme vous savez, que toute la science humaine en quantité d'années. Soyez sincère et candide quand vous conférez de vos dispositions intérieures, mais n'envisagez jamais la créature, ains le seul Jésus-Christ qui vous apprend ses divines volontés par cette voie de soumission et direction qu'il a établie dans son Eglise.

VI. Je vous recommande très instamment la fidélité que vous devez à Jésus-Christ dans l'état où sa grâce vous appelle. Souvenez-vous de ce que je vous ai dit tant de fois. « Cheminez pendant que la lumière vous éclaire »322, dit Jésus-Christ. Ne négligez point les miséricordes que Dieu vous présente, de peur que vous ne les perdiez pour jamais. Je ne vois point de chemin

322. Jn 12. 35.

pour votre âme que celui que Jésus-Christ vous apprend depuis quelques jours ; et si vous en désistez, je vois un malheureux naufrage qui vous environne et lequel vous n'éviterez pas, si vous n'êtes fidèle. Vous en savez les raisons qui sont en vous-même :

1. Les faiblesses naturelles de votre esprit.

2. L'inconstance qui vous a accompagnée en tous vos états passés, mais si grande qu'elle ne vous a pas permis de vous établir jusqu'ici dans aucune voie solide. Avez-vous jamais fait autre chose que de changer ? Que de vouloir tantôt une chose et puis une autre ? Avez-vous donné lieu un moment à l'Esprit de Dieu de vous diriger ? Hélas ! jamais Jésus-Christ n'a régné comme Roi dans votre coeur. Vous l'avez tenu comme un esclave qui n'avait point de puissance ni d'autorité dans son domicile ; et lorsqu'il voulait user de ses droits, votre propre esprit et les créatures y étaient opposés. Oh ! mon enfant, que de sujets d'humiliation en vous, si votre âme en était un peu plus pénétrée !

3. Une insensibilité que l'inconstance de votre esprit attire en vous, laquelle rend les choses de Dieu insipides, vous en dégoûte facilement et vous jette dans une certaine lâcheté et paresse intérieure qui n'a plus de goût au service de Dieu. Cette misère provient du peu d'estime et de respect que vous avez pour Dieu et le mauvais fondement de votre âme dans la voie intérieure. Et si vous voulez fouiller dans votre fond sans vous flatter, vous trouverez qu'il n'y a rien du tout et qu'il n'y a jamais rien eu que vous même et la vanité des créatures, que c'est sur le sable mouvant que vous avez bâti le palais de vous-même. Mais il faut qu'il soit entièrement renversé. Il faut qu'il soit battu en ruine, Dieu y veut placer son trône. Il a droit d'y régner. C'est ce qu'il fait présentement et qu'il fera parfaitement si vous ne lui êtes contraire.

4. Si vous désistez de ce que Dieu demande de vous, vous tomberez dans des misères intérieures, dans le dégoût et dans le découragement ; mais encore dans un malheur plus étrange. Car selon que je connais votre esprit, vous en viendrez à une nonchalance volontaire, et si j'ose proférer ce que je vois, en un mépris des voies de Dieu et des opérations saintes de sa grâce. Hélas ! j'en ai vu de bien plus élevées que vous et bien mieux établies en apparence, tomber épouvantablement. Que devient l'âme quand elle quitte son Dieu ? Son malheur ne se peut exprimer.

« Si vous êtes droit gardez — [ vous ] de tomber »323. Or vous ne tomberez point de votre état présent tout d'un coup, mais petit à petit. Aujourd'hui par une négligence, demain par un petit dégoût, après par une liberté que vous donnerez à vos sens et puis par une complaisance, après par une vanité, et ainsi peu à peu votre âme s'émancipera et votre premier malheur viendra de négliger l'attention que vous devez avoir à Dieu présent et aux mouvements de sa grâce en vous.

Votre âme donc, se laissant aller dans ce désordre effroyable, quittant son Dieu, elle demeurera sans force et sans secours, exposée à la puissance des démons qui en feront leur jouet. Et pour vous en relever, il faudrait un très grand miracle. Et je ne sais si Dieu le ferait, après tant de miséricordes qu'il vous a faites. Car pour des moyens ordinaires il n'en faudrait plus parler. Votre âme y serait insensible, car infailliblement elle deviendrait endurcie. Et à moins que d'un miracle je ne vois pas qu'elle s'en retire.

Evitez ce funeste et épouvantable malheur. Tenez-vous très étroitement liée à Dieu. Que l'enfer, les démons et les créatures ne vous en puissent jamais séparer. Faites une haute estime de votre grâce et ne désistez jamais de la tendance actuelle que vous devez à Jésus-Christ. Soyez-lui fidèle.

Or si vous me demandez en quoi consiste la fidélité, je vous dirai qu'elle consiste à se rendre ponctuelle et très soumise aux ordres du bon plaisir de Dieu et aux mouvements de sa grâce ; à plutôt mourir que de transgresser la plus petite de ses ordonnances. Elle consiste à chercher la pure gloire et les intérêts de Dieu en toutes choses. à voir toutes choses en Dieu, soit la peine, soit le repos, soit la paix. soit la guerre. soit le bien, soit le mal, soit la douceur, soit les amertumes.

Tout est en Dieu et dans l'ordre de sa divine Sagesse. Il n'y a point d'accidents en Dieu et dans l'ordre de sa divine Sagesse. Il a prévu de toute éternité vos voies. vos croix et les traverses de votre vie. « Un cheveu de votre tête ne tombe point sans l'ordre et permission du Père »324, dit Jésus-Christ. Cela étant. comme nous n'en pouvons point douter puisque c'est la Vérité éternelle qui le dit, jugez de la bonté et de la Providence de Dieu sur les moyens de notre sanctification. et combien votre Père céleste vous subviendra si vous vous savez abandonnée toute à lui.

323. 1 Co 10. 12.

324. Mt 10. 29.

1. Conservez un bas sentiment de vous-même devant Dieu et les créatures. Soyez toujours prête de vous voir anéantie sous les pieds de tout le monde, si le bon plaisir de Dieu était de vous y réduire325.

2. N'estimez rien que Dieu et ne préférez jamais rien à son amour326.

3. Ne vous préférez jamais à aucune créature pour imparfaite qu'elle vous paraisse327. Respectez intérieurement ce que Dieu opère secrètement dans le fond des âmes.

4. Ne jugez jamais des actions ni intentions d'autrui328. Demeurez dans votre néant et laissez à Dieu le jugement de toutes choses.

5. Conservez toujours la présence de Dieu329. Ne vous en distrayez pas volontairement. Opérez en cette simple vue et aussitôt que vous avez fait ce que sa Providence vous prescrit, rentrez intérieurement en vous-même pour vous occuper de ce regard simple et amoureux de Dieu.

Voilà, mon enfant, ce que je vous puis dire présentement. Je crois que la Providence ne veut pas que je vous en dise davantage. Nous verrons d'ici à quelques jours ce qu'elle aura agréable nous donner pour continuer ce que nous avons encore à vous dire, tant sur les points proposés sur votre mémoire que sur d'autres que je vois encore très nécessaires.

Il me semble que je vous dois donner toutes les précautions qui seront à mon possible pour vous conserver et vous faire, par la grâce de Jésus-Christ, persévérer. Je crains toujours que votre esprit ne se décourage et qu'il ne se dégoûte par infidélité. J'en connais en fond les misères et faiblesses, et c'est ce qui m'en fait douter. Mais si vous suivez les conseils qu'on vous donne, je crois certainement, appuyée sur la vertu de Jésus-Christ, que vous ne désisterez point de tendre à Dieu.

J'ai fait réflexion sur ce que vous me dites dernièrement sur la nécessité que vous aviez de nous parler souvent, d'autant que je détruisais ce que les créatures établissaient en vous. Il y

325. Règle ch. VII, V 49 et 50 et Ps 72, 22-23.

326. Règle ch. IV, V 21 et ch. 72.

327. Règle ch. VII, V 51-54.

328. Règle ch. IV, V 42-44.

329. Règle ch. VII, V 11.

307

a encore d'autres sujets qui me la font connaître nécessaire ; mais surtout pour tenir en bride et en captivité votre esprit qui vous fera de grandes peines s'il s'échappe.

Néanmoins, ce silence où il vous met à présent, selon que votre lettre de ce soir signifie, demande quelque chose. Il faut tâcher de le connaître et s'y rendre fidèle. C'est peut-être une disposition éloignée de quelque séparation. Ne vous en occupez pas. Laissez le tout à la Providence de Dieu et à la conduite de son Saint-Esprit. Hélas ! si j'avais à vous quitter à présent, il me semble que j'aurais une infinité de choses à vous dire, et beaucoup d'autres à vous donner pour le reste de votre vie. Mais je crois que ce ne sera pas encore et que nous pourrons nous voir encore plusieurs fois avant que la Providence en dispose. Ne vous arrêtez point, ne vous affligez point. Quand il faudrait nous séparer, Notre Seigneur vous pourvoira d'une bonne conduite. Il vous tirera d'une main impure pour vous mettre dans une capable d'opérer en vous la sainteté. Toutes choses ont leur temps. Demeurez en paix et priez Dieu pour moi.

Adieu, ma chère fille, à Dieu en Dieu pour l'éternité dans laquelle je vous perds et vous abîme, me retirant dans le centre de mon néant330. Hélas ! vous m'en avez bien fait sortir ; mais la Providence nous y fera bien rentrer, et nous y conserver l'amour qu'elle nous a donné pour votre âme et l'union que Jésus a faite en nous. Je serai éternellement en lui entièrement vôtre. Adieu.

n° 389

330. N'oublions pas que le « centre de son néant » chez Mère Mectilde est le « lieu de l'humilité parfaite où Dieu même vient lui faire la cour ». R.B. VII. V. 62 à la fin.

INSTRUCTIONS SUR QUELQUES PROPOSITIONS sur le premier article*

Etre fidèle à Dieu c'est ne rien préférer à son amour, c'est être revêtue de ses intérêts, bref c'est ne rien faire qui lui soit contraire. La fidélité demande de vous une résolution déterminée d'être toute à Dieu à quelque prix que ce soit, à ne désister jamais de tendre à son amour et de le servir fidèlement. C'est le servir pour l'amour de lui-même parce que lui seul est digne d'être aimé et servi. C'est le servir avec diligence, volontairement et sincèrement, de tout son coeur, ne tendant qu'à le contenter. C'est être très prompte à exécuter ses saintes volontés, très docile au toucher de son divin Esprit, consentant amoureusement à tous les desseins qu'il a sur votre âme. C'est donner vie à Jésus-Christ en vous, et donner la mort à tout ce qui y contrarie la sainteté qu'il y désire. C'est quitter les créatures et soi-même pour se laisser toute à lui. Bref c'est suivre exactement le mouvement de la grâce. Et quand on vous dit qu'il faut être très fidèle, l'on vous dit en peu de mots qu'il faut faire tout ceci : qu'il faut vous rendre à Dieu actuellement, qu'il faut vous acquitter des promesses que vous lui avez faites, qu'il faut lui rendre tout ce que vous lui devez, qu'il ne faut point usurper ses droits en vous ni vous approprier ce qui lui appartient. Voyez ce que c'est que fidélité entre deux personnes qui s'aiment, vous en pouvez avoir l'expérience par vous-même en votre vie passée.

Etre infidèle à Dieu c'est faire le contraire de ce que dessus. C'est tourner le dos à Jésus-Christ pour envisager les créatures, vous y complaire etc. C'est préférer ses propres pensées et satisfactions à l'application simple que vous devez avoir à la présence de Dieu dans les actions d'obligation ou de charité. C'est être infidèle, de les faire en vue ou considération humaine, en s'y réfléchissant ou recherchant sa satisfaction ou ses intérêts, soit intérieurs soit extérieurs.

*« Nos archives n'ont conservé aucune trace des « propositions » de la comtesse auxquelles répond ici Mère Mectilde.

309

Dans les actions indifférentes, l'intention les doit relever et les rendre divines par un principe divin. Il faut faire par obéissance à Dieu tout ce que vous faites. « Soit que vous buviez, que vous mangiez, faites tout pour l'amour de Jésus-Christ »331. Faites tout par (sa) soumission à sa sainte Providence qui vous y nécessite, et demeurant dégagée en esprit de votre action, demeurez occupée de Dieu dans votre partie supérieure. Donnez à votre corps ses besoins par obéissance à Dieu qui veut conservez votre vie pour lui.

2. Peu de personnes font progrès dans la vie intérieure parce qu'il y en a bien peu qui se veulent abandonner sans réserve à Jésus-Christ. L'on s'abandonne jusqu'à un certain degré ; mais étant là, on voit peu d'âmes qui passent outre. D'autant qu'on ne se quitte pas soi-même comme il faut : il y a de la réserve dans l'abandon, il n'est point entier.

L'inconstance de votre esprit procède de votre peu ou point d'anéantissement. L'âme change souvent de disposition intérieure selon les diverses opérations de la grâce mais elle ne doit point changer si souvent d'état. Les dispositions sont passagères, l'état est permanent. Si votre âme désiste de se rendre à Dieu, après un appel si particulier de sa divine miséricorde, elle se met en danger évident de sa perte ; d'autant que je ne prévois pas, à moins que d'un miracle, que vous puissiez vous relever. Et la raison pourquoi, c'est que vous entrerez en un état incapable d'être touchée. Vous devez donc redouter plus que l'enfer un malheur dont vous devez vous défier de vous en pouvoir jamais délivrer. Il y a une infinité de passages dans l'Ecriture Sainte qui vous confirment cette vérité. Si vous en doutez, vous les pouvez lire.

3. Tous les moments de votre vie coûtent le sang d'un Dieu. Vous les lui devez rendre avec fidélité, n'en faisant usage que pour lui et en des choses dignes de lui. Oui, c'est en faire une profanation détestable que de l'employer à quelque chose qui ne soit point pour lui ou pour l'amour de lui. C'est préférer le néant au tout, la créature au Créateur, la corruption à la sainteté. Souvenez-vous de ce que vous en ai dit et écrit.

4. En tous les moments de votre vie, Jésus-Christ doit être produit en vous, c'est-à-dire qu'il y doit prendre vie ; et [ que ] votre tendance soit de le produire dans toutes les créatures par votre fidélité à la grâce, par de saintes paroles et par de bons exemples. Enfin tout ce qui est en vous doit ressentir l'odeur de

331. 1 Co 10, 31.

310 Jésus-Christ. Et en cette manière vous le produisez dans les âmes en leur imprimant l'estime, l'amour, la révérence et l'imitation. Et par votre moyen Jésus-Christ se forme dans les âmes. Voilà comme vous produisez Jésus-Christ.

5. Oui, il est bon de dire votre Confiteor en esprit de pénitence avant la sainte communion et vous confesser criminelle devant Dieu et ses anges et par conséquent très indigne de la communion. Vous pouvez dire aussi « Domine non sum dignus », mais si votre âme est appliquée intérieurement dans la vue en foi ou dans le sentiment de son indignité ou de son rien, il suffit, elle n'a pas besoin de le proférer.

6. A la confession, il y faut aller avec une profonde humilité comme une criminelle se présente à son juge. Il faut s'accuser humblement, sincèrement et succinctement ; écouter avec respect ce que Dieu vous dit par votre confesseur, recevoir la pénitence et se mettre en état de recevoir l'absolution qui n'est autre chose que la vertu du sang de Jésus-Christ qui nous est appliquée ; lequel répare en votre âme les désordres du péché et vous réunit avec Dieu, vous rendant digne de ses grâces.

Jésus-Christ a satisfait pour vous en plénitude, mais il veut que vous fassiez quelque petite chose de votre part, comme un petit tribut que vous payez à sa justice, vous reconnaissant redevable à sa miséricorde. Et votre pénitence doit être toujours unie à celle que Jésus-Christ a faite pour vous, soit en sa sainte vie, soit en sa mort ; mais singulièrement au jardin des Olives, où il se présenta devant la face de son Père chargé de nos péchés, et où il produisit un acte si saint et si parfait de contrition qu'il nous a mérité la grâce d'y participer.xciv Il a porté les rebuts de son Père comme un pécheur, sans toutefois avoir, ni pouvoir jamais pécher. En sa divine personne, le péché a été condamné.

Mettez-vous aux pieds du prêtre comme Jésus se prosterna devant son Père et, en la vue de sa sainte et profonde humilité et confession, confessez-vous. Et après avoir fait ce que dessus, retirez-vous en silence et en respect de la grâce que vous avez reçue par Jésus. Voyez comme il s'abandonne à la mort pour vous donner la vie, et comme son précieux sang vous lave et vous réconcilie avec son Père.

Estimez beaucoup le sacrement de Pénitence, il est très important ; et gardez-vous de vous y souiller au lieu de vous y purifier. Accusez-vous toujours en la vue de Dieu, comme si c'était immédiatement à lui-même. Après la confession, ne vous amusez pas à vous entretenir inutilement avec votre con-

311

fesseur, voire de choses bonnes, si la nécessité n'y est grande. Retirez-vous et demeurez en récollection332, afin que la grâce de ce sacrement fasse son effet en vous et que l'horreur du péché s'empare de votre âme, afin que vous le puissiez détester et en ressentir en vous un éloignement non recherché dans vos sens, mais reçu dans le fond de votre esprit.

7. La communion spirituelle se fait par désir. L'âme y reçoit de grandes grâces quand elle tâche d'avoir le désir par état, c'est-à-dire qu'elle porte en son fond actuellement les dispositions requises qui ne sont autres que d'être toute à Jésus-Christ, comme nous vous avons dit de la communion sacramentale.

L'âme habituée en la présence de Dieu et à vivre de son Esprit, n'a pas de peine à communier spirituellement ; car à tout moment elle est en état de communier, parce qu'elle est en actuel désir de Dieu, et se voudrait rendre à lui éternellement.xcv

C'est encore communier spirituellement que de recevoir toutes choses de sa sainte main. Car recevant tout de la main de Dieu vous recevez dans votre coeur sa divine volonté qui dispose de toutes choses. Or la divine volonté c'est Dieu même. Vous anéantissez la vue des créatures pour donner entrée en vous au bon plaisir de Dieu, donc vous le recevez mystiquement à toute heure et en toute occasion. Et quand nous sommes infidèles en ce point, nous privons Dieu d'une très grande gloire, car il prend plaisir d'être reçu de cette sorte, et nous nous privons d'un bien infini. Et l'âme s'habituant à cette sainte pratique, qui se fait sans effort d'esprit et par simple regard vers Dieu, elle se purifie merveilleusement, se vidant des créatures et de mille imperfections.

8. Quand vous faites des jugements de votre prochain, vous vous souillez de l'imperfection d'autrui, attirant en vous la créature et vous occupant de son imperfection. Séparez votre esprit de ces choses. « Ne jugez point et vous ne serez point jugée »333. C'est à Jésus-Christ de juger et non pas à vous. Soyez très circonspecte sur ce point, il faut peu pour y pécher.

9. La disposition de la sainte messe n'est autre que celle de votre oraison qui vous rend la victime de Jésus-Christ, portant en votre fond un désir d'être hostie en lui, immolée à la gloire de son Père, et une disposition simple d'adorer tout ce

332. En recueillement.

333. Je 4, 11 ; Mt 7, 1.

312

que Jésus y opère pour sa gloire et notre sanctification ; vous abandonnant à tous les desseins qu'il a sur votre âme en ce divin mystère, y demeurant en silence, en attention, en sacrifice et en respect ; vous souvenant que vous êtes membres de Jésus-Christ et par conséquent vous êtes sacrifiée avec lui. Ne vous retirez point de cette immolation, demeurez-y en désir et que vous y soyez consommée.

10. Le sacrifice de la croix est pour tous les hommes et celui de l'autel pour plusieurs. C'est-à-dire que Jésus est mort pour tous sur le Calvaire. Il a versé son sang et sa vie pour le salut de tous. Ça été son dessein que tous y participent, saint Paul le dit334. Et sur l'autel qui est un épanchement mystique, il est épanché pour plusieurs, c'est-à-dire pour tous ceux qui s'en voudront rendre dignes et le recevoir en eux saintement. Car en communiant, le sang de Jésus est mystiquement épanché sur nos âmes.

11. Il faut aimer votre prochain comme vous-même, c'est votre obligation. Mais il est malaisé de s'en bien acquitter si l'on n'est bien revêtue et remplie de Jésus-Christ. Car pour aimer votre prochain comme vous-même, il faut que vous le consideriez membre de Jésus-Christ comme vous l'êtes. Et en cette qualité, vous lui ferez par justice le même bien qu'à vous-même, puisqu'il appartient, comme vous, à Jésus-Christ. Et vos intérêts et l'amour de vous-même étant anéantis, vous n'aurez point de difficulté d'aimer votre prochain comme vous-même.xcvi

12. Vous aimez Dieu dans les créatures, et les créatures dans Dieu en deux manières : les regardant en Dieu, ou regardant Dieu en elles. L'une et l'autre sont bonnes. Voir toutes les créatures dans Dieu, c'est les voir abîmées dans son essence divine. C'est outrepasser les créatures pour les voir dans cette immensité où elles ont leur être et leur conservation et hors d'icelle elles sont sans subsistance.

Vous devez vous voir toujours et actuellement en Dieu et le voir dans toutes les autres créatures. Votre demeure est dans l'essence divine, votre séjour est l'immensité de Dieu et votre palais c'est la divinité même, hors de laquelle vous ne pouvez jamais sortir. David vous l'assure dans l'un de ses psaumes : « Quo ibo a spiritu tuo... »335. O heureuse nécessité de demeurer en Dieu, de n'en pouvoir sortir !xcvii Il faut que cette nécessité vous

334. Col 1, 19-20.

335. Ps 138, 7.

313

soit avantageuse, qu'elle vous facilite sa divine présence et qu'elle vous tienne en respect, attention et soumission. La foi vous oblige de croire cette vérité, n'en négligez point l'usage.

Pour ce qui regarde les créatures, vous les pouvez voir aussi en Dieu et quelquefois Dieu en elles. Vous les voyez toutes en Dieu comme dans leur centre. Et lorsqu'il s'agit d'en faire usage et de les servir, vous regardez Dieu en elles. Vous servez Dieu en ses créatures et si elles vous font quelque déplaisir, vous verrez la main de Dieu qui vous crucifie par cette créature. Ainsi vous vous désoccuperez des créatures pour vous occuper actuellement de Dieu seul qui seul vous doit occuper et posséder.

Il y a encore une autre manière de voir les créatures en Dieu, mais elle n'est pas encore à votre usage ; il faut attendre le temps d'un plus grand progrès. Cela se fait par une mort totale de toutes les créatures dans l'âme, laquelle étant transformée en Dieu ne peut plus rien voir que Dieu, sans pouvoir quasi plus discerner les créatures. Dieu lui est tellement tout qu'elle ne voit plus que lui en toutes choses. Et l'âme dans cet état n'a plus de vie et ne se souille plus dans les créatures.

C'est un état bien épuré. Il y a peu d'âmes qui y arrivent parce qu'il y en a peu qui se veulent laisser dépouiller pour être revêtues de Dieu. Nous disons bien : je veux que Jésus-Christ me possède, qu'il soit tout en moi. Mais quand il veut chasser l'impureté de votre fond et rompre les attaches de votre coeur, vous retournez en arrière. O aveuglement du coeur humain de préférer de la boue à la grandeur et dignité de Jésus-Christ !

13. La présence de Dieu sans se gêner se fait par un simple regard de Dieu en foi. L'âme le croit très simplement, sans en produire beaucoup d'actes. Elle s'en souvient le plus actuellement qu'elle peut ; et lorsqu'elle s'en trouve distraite, le seul souvenir de Dieu cru en nous remet l'âme en sa sainte présence, sans effort de son propre esprit. Si son esprit est trop égaré, elle peut faire quelque acte très simple, c'est-à-dire sans beaucoup de multiplicité, afin que l'âme soit moins embarrassée et moins remplie des créatures et par conséquent [ plus ] capable de recevoir Dieu en elle et ses saintes opérations.

14. L'âme prie Dieu pour son prochain selon son degré d'oraison. Les uns prient vocalement, les autres mentalement ; et d'autres, plus simplifiés, prient par un simple regard vers Dieu. Quelquefois Dieu donne mouvement à l'âme de prier pour les misères d'autrui ; et quand vous sentez en vous cette disposition, vous devez prier en la manière qu'on vous donne le mouvement.

La plus ordinaire façon en laquelle vous devez prier, c'est en foi, par un simple regard vers Dieu qui connaît les besoins de ses créatures. Vous le priez qu'il les sanctifie toutes. Et si votre prochain a des besoins particuliers qui soient à votre connaissance, vous les pouvez offrir à Notre Seigneur, sans beaucoup vous en remplir, crainte que sous prétexte de charité, vous ne jetiez votre esprit dans la dissipation et dans les égarements des sens et de votre imagination.xcviii

Il faut être remise en toutes nos prières tant pour nous que pour notre prochain au bon plaisir de Dieu, adorant la profondeur de ses saints et adorables conseils sur ses créatures et les voies dont il se sert pour les sanctifier. Aimez votre prochain comme Dieu l'aime et en l'état où sa Sagesse éternelle l'a réduit ou le tient.

15. Vous pouvez avoir des intentions particulières quand vous faites dires des messes, et il est bon de le dire au prêtre afin qu'il joigne son intention à la vôtre, et qu'étant unis de volonté vous en ressentiez plus d'effet. Il faut faire les neuvaines, les pèlerinages et les aumônes selon le mouvement que l'Esprit de Dieu en donne. Il n'est pas possible de régler celà, car c'est selon les besoins que cela se pratique ou selon les très pressants mouvements de Dieu ; et pour lors on les suit, cherchant uniquement en tout et partout la pure gloire de Dieu. Il est bon d'en avoir l'ordre de Dieu intérieurement ou de l'obéissance au dehors, pour éviter la tromperie de notre propre esprit. Il faut toujours tâcher d'avoir la direction.

16. Quand vous communiez pour votre prochain, il ne faut pas vous gêner à dresser votre intention. Notre Seigneur sait bien que vous avez dessein de prier pour cette personne. Vous n'avez qu'à lui exposer l'affection et le désir que vous avez de le prier pour elle et l'offrir à Notre Seigneur selon votre capacité, sans vous peiner à lui expliquer toutes vos intentions.

17. Vous pouvez sans scrupule proposer quelque besoin particulier capable de vous faire obtenir la communion, puisque la Providence vous tient captive de ce côté-là. Mais si vous étiez bien libre, il serait plus utile d'agir autrement parce que vos directeurs vous pourraient et devraient même vous obliger à communier souvent. Je vous ordonne derechef de ne vous en point retirer que le moins qu'il vous sera possible.

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18. Assistez au service de votre paroisse336 le plus souvent que vous pourrez. Il le faut préférer aux autres dévotions, si ce n'est quelquefois que la Providence oblige à quelque autre chose. Vous êtes obligée de donner cet exemple et cette édification. Assistez donc à votre paroisse. Pour les sermons, vous pouvez aller quelquefois où vous croirez qu'il y aura plus de grâce ; mais gardez-vous de vous tromper, car si vous êtes fidèle à Dieu, Dieu vous nourrira et substantera partout. Gardez-vous de la curiosité et de la satisfaction de vos sens.

19. Il est bon de donner l'aumône aux pauvres des rues quand vous en avez le mouvement. Gardez-vous toujours en vos oeuvres pies de la complaisance, l'ostentation, la vanité et la corruption qui s'y peut mêler. Opérez purement en la vue de Dieu, et donnez l'aumône comme à Jésus-Christ même, lui rendant les biens que vous tenez par emprunt de lui.

20. On peut connaître l'inspiration de Dieu par les effets qu'elle produit en notre esprit. Si elle tend immédiatement à glorifier Dieu, si elle nous laisse dans le dégagement de nos intérêts, dans la paix et dans le pur abandon pour son effet, on peut la suivre dans le désir de se rendre plus à Dieu. Mais quand l'inspiration nous porte à quelque chose importante, il faut avoir recours à la direction.

21. Le découragement procède d'un fond d'orgueil, parce que si l'âme n'avait des appuis secrets en elle-même, elle ne se découragerait jamais. La confiance qu'elle a en ses forces l'abat quand elle ne les trouve pas suffisantes pour arriver au point où elle désire.

L'âme est toujours sujette au découragement jusqu'à ce qu'elle ait connu en fond l'abîme de sa misère, son néant et son impuissance, et comme elle relève de la force et vertu de Jésus-Christ ; qu'elle voie par sa propre expérience comme elle dépend actuellement de sa grâce. Et lorsque l'âme a connu cette vérité, elle demeure ferme dans son néant, ne s'étonnant point de ses impuissances, mais se laissant à la puissance de Jésus-Christ. Elle attend son secours avec humilité et confiance, sachant bien qu'elle ne peut rien sans lui. Et la foi et sa propre expérience lui faisant voir cette vérité, elle demeure ferme sans s'ébranler au milieu des tentations, s'abandonnant sans réserve toute à Jésus-Christ.

336. Paroisse Saint-André-des-Arcs (actuellement des Arts), à Paris, L'Hôtel de Châteauvieux était proche de l'église.

316

22. On dit les distractions être volontaires quand l'esprit supérieur s'en aperçoit et qu'il s'en occupe ; et pour lors, elles sont plus ou moins criminelles selon les lieux, les temps et les sujets.

23. Il faut désirer d'avoir une douleur de ses péchés en les confessant. Elle n'a pas besoin d'être sensible, il suffit qu'elle soit dans la raison. Et vous la connaîtrez lorsque vous trouverez dans votre fond intérieur un éloignement du péché, ne le voulant commettre pour quoi que ce soit ; et ce, uniquement parce qu'il déplaît à Dieu. Il suffit que vous en portiez la disposition dans le fond de votre âme.

24. Il faut faire son action avec grande simplicité. Lorsqu'elle n'est pas bien faite, la conscience ne la peut souffrir et Dieu n'en peut être satisfait. Cela se fait mieux ressentir qu'il ne s'explique. En vous réfléchissant sur vos actions, il faut douter337 de se les approprier et dérober la gloire qu'elles doivent rendre à Dieu. Il faut se défier de votre malicieuse subtilité qui dérobe tout, qui souille tout et qui s'approprie tout.

A même temps que vous avez fait votre action, laissez-la à Dieu, et vous humiliez des impuretés que vous commettez en les opérant. Et puis séparez-vous de votre oeuvre pour ne poin tomber en quelque inconvénient. Défiez-vous de votre fond. C'est assez que Dieu soit content, vous n'avez pas besoin de l'être. Au contraire, il est très utile pour vous que vous soyez sans aucune satisfaction et que votre amour propre n'y ait point de part. Il en a trop dérobé du passé, il le lui faut faire restituer et pour pénitence le mettre en privation.

n°421

337. Douter au sens de redouter, craindre.

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REPONSES A QUELQUES PROPOSITIONS

Dans l'état de ténèbres est-il mieux de demeurer dans cette disposition quoi qu'on n'ait rien qui fasse connaître que l'on voit Dieu en foi que de s'en apercevoir ?

Si l'âme est assez généreuse pour se perdre dans Dieu au-dessus des sens, de son esprit et de sa lumière, elle peut persister en la présence de Dieu par une foi nue, et celà est très excellent. Mais pour vous, vous pouvez quelquefois renouveler votre esprit par un acte de foi simple, vous souvenant que vous êtes dans Dieu, environnée et pénétrée de la divinité, où vous le recevez dans votre simple intelligence, où vous le formerez si le mouvement vous en est donné.

Il faut remarquer que dans les ténèbres Dieu a des desseins très particuliers sur l'âme que sa sagesse y fait marcher et qu'elle y doit une fidélité extrême. Il ne faut point dans cet état rechercher de soulagement dans les sens ni dans les créatures. Il faut demeurer très simplement abandonnée et se laisser conduire à l'aveugle. Ne doutez point, vous êtes dans une main sainte et divine, vous n'y pouvez périr. Laissez-vous donc toute sacrifiée, car le sacrifice véritable demande ténèbres aussi bien qu'impuissance et le reste. Il faut que le sacrifice soit entier, car dans l'état de ténèbres l'âme sacrifie à Dieu la lumière de son propre esprit pour recevoir celle de Dieu. Il faut que tout soit purifié et renouvelé en vous ; c'est pourquoi prenez bon courage, et vous laissez aveugler comme il plaira à l'Esprit de Dieu.xcix

Le souvenir secret de Dieu qui est dans le fond de l'âme fait bien voir que l'âme n'en est point séparée. Mais d'autant qu'elle ne le voit ni le goûte, elle ne le croit pas. Il faut que vous vous habituiez à l'usage d'une foi pure et dégagée : c'est votre sentier. Mais je vois que vous y aurez très grande peine, d'autant que votre esprit étant accoutumé à sa lumière et à son raisonnement, cela le troublera souvent avant que d'être établi dans cet état où Dieu vous désire.c Mais il faut souffrir les combats et demeurer ferme. Ne craignez rien, la grâce de Jésus-Christ ne vous manquera pas. Plus vous donnerez à Dieu, plus vous recevrez de sa bonté. Sacrifiez-lui votre propre lumière : vous serez remplie de la sienne toute sainte et toute divine.ci

Comment connaît-on quand on agit par l'esprit de la grâce ou par celui de la nature ? A quoi connaît-on cette différence ?

La grâce dirige notre esprit à la pure gloire de Dieu, et la nature le réfléchit sur les créatures et sur ses intérêts. Pour reconnaître en nous le mouvement de la grâce, il faut être en silence et dans le calme de ses passions. Autrement l'on ne discerne pas l'Esprit de Dieu et au lieu de l'un nous prenons souvent l'autre.

Il faut se défier beaucoup de soi-même en ce discernement. Et pour se tirer du piège de notre nature, il faut conserver votre âme dans une actuelle indifférence à tous emplois, à toutes dispositions et à toutes élections ou inclinations, tenant votre esprit vide de tous désirs, afin que vous soyez en état de recevoir l'impression de l'Esprit de Dieu en vous. Et lorsque vous l'avez reçu, pour opérer il est bon de vous élever simplement à Dieu qui vous est présent pour, par ce simple regard, lui diriger et sacrifier vos actions.

A mesure que vous vous viderez de vous-même, de vos lumières et de l'attache à vos opérations, vous serez plus capable de reconnaître le mouvement de la grâce en vous. Il y en a un excellent chapitre dans le livre de l'Imitation de Jésus338, mais j'estime qu'il se peut dire encore quelque chose de plus particulier que ce qu'il en dit, car il y a les mouvements de la grâce pour les opérations secrètes. Je crois que vous ne pouvez encore comprendre ce que je dirais sur ce sujet. Il faut attendre en humilité et patience que la grâce de Jésus-Christ vous purifie entièrement.

Et cependant, agissez autant qu'il vous sera possible par l'Esprit de Dieu, c'est-à-dire cherchez toujours sa gloire et l'accomplissement de ses divines volontés. renonçant à toutes les recherches de votre amour propre. les tendresses de la nature. les créatures. bref vos intérêts, de quelque sorte qu'ils vous paraissent. Séparez-vous de tout cela pour ne regarder que Dieu seul.

338. Imitation de Jésus-Christ, L. III. ch. 37.

319

Je ne sais pas faire la différence entre l'état et la disposition.

Les dispositions sont très différentes et variantes dans les âmes de grâce ; car tantôt l'âme porte esprit de sacrifice, d'autres fois d'amour, d'autres fois d'abandon, d'autres fois d'anéantissement, d'autres fois de respect de la grandeur et majesté de Dieu.

L'état est une chose permanente qui ne varie point. C'est pourquoi quand l'on dit : cette âme est dans un état d'abandon entier à la Providence, c'est-à-dire que cette disposition est établie en fond et que l'âme n'en sort jamais, bien qu'elle ne laisse en cet état de recevoir différentes dispositions et opérations de la grâce. Ainsi en est-il d'une âme en état de mort aux créatures339.

Comment est-ce que nous sortons de Dieu par nos opérations... ?

L'âme demeure bien dans l'Essence divine et notre corps même en est tout pénétré, et c'est une nécessité inévitable d'être, de vivre et d'opérer en Dieu en cette manière. Mais il y a de la différence d'opérer par sa pure grâce. Vous êtes dans Dieu essentiellement, et pour cela Dieu ne concourt point à l'imperfection ou péché que vous faites. Son Essence divine vous conserve l'être, la vie, etc, mais Dieu ne coopère point à ce défaut que vous commettez, d'autant qu'il ne peut tomber dans l'impuissance du bien. C'est pourquoi quand vous le commettez, vous vous retirez non de son Essence — vous ne vivriez plus mais de sa grâce qui vous fait opérer le bien. Et de là, vous faites un acte de votre propre esprit et de pure malice, voulu et accepté par votre volonté déréglée qui se détourne de son divin principe pour se convertir à la créature'''. Donc pour commettre le péché, l'âme ne sort point de l'Essence de Dieu, cela lui est impossible ; mais elle sort de sa grâce et de la direction de son Esprit.

Or vous dites que Dieu concourt au péché. Il ne peut concourir à votre maligne volonté. Mais quant à l'action, il y a concours, disent les théologiens, c'est-à-dire une conservation de notre liberté. Et Dieu nous la conserve lui-même, nous donnant la puissance de faire cette mauvaise action qui est choisie et déterminée dans notre malheureuse volonté, parce qu'il ne

339. Rm 6, 6-11.

340. Rm 1, 21, 24-25.

violente point notre libre arbitre et que nous pouvons choisir ou le bien ou le mail".

Nous péchons sans lui, mais nous ne pouvons nous relever sans lui. Et ce serait un blasphème de dire que Dieu concourt à notre péché ; car le péché est une négation de Dieu qui nous convertit à la créature, soit en une manière soit en une autre ; et Dieu qui est l'unité éternelle ne peut être nié de lui-même. Remarquez donc ce que je vous dis : que son concours conserve notre liberté, mais il ne coopère point au péché. Or ce n'est pas ma main qui fait le péché, quoique je frappe, mais c'est la malignité de mon fond qui me met en colère342.

Est-il mieux de faire une action simple ou d'en avoir le désir dans le fond de l'esprit ? Mais à cause que ce désir est imperceptible, et que cet esprit ne peut subsister dans le vide, il se trouve embarrassé. De même pour la présence de Dieu, car ne connaissant pas ni ne sentant pas dans l'esprit et dans les sens cette présence de Dieu, je ne crois pas y être actuellement, quoique je me mette à l'oraison pour cela. Au moins, si je l'examinais, je crois que ce serait le sujet.

Il n'y a point de danger de former votre acte, si vous en avez la disposition et le mouvement, ou bien qu'il soit simple. Que si l'âme est en captivité et dans l'impuissance d'opérer, elle se contentera du désir dans le fond de son esprit. Mais je trouve bon que vous, n'étant pas encore établie dans les pures voies de l'esprit, vous fassiez un acte ou deux au commencement de votre oraison.

Premièrement, un souvenir de Dieu en foi, c'est-à-dire sans image, qui porte votre esprit à former un acte d'adoration, lequel acte contiendra en disposition le respect, l'estime et l'hommage que vous devez à la grandeur suprême de Dieu.

Le second, un acte de total abandon entre ses divines mains, vous soumettant à sa sainte conduite et vous sacrifiant comme une victime à l'amour de son bon plaisir pour le temps et pour l'éternitécii343.

Et si vous voulez, un troisième qui désavoue tout ce qui se pourrait passer en vous, durant le saint temps d'oraison, contraire à Dieu.

341. Eccl. 15, 11-17.

342. Mt 15, 18-19.

343. Rm 12, 1.

321

Après que vous aurez fait cela, demeurez toute abandonnée, vous laissant toute à Dieu, prenant plaisir de vous consommer en sa sainte présence, rendant hommage à tout ce qu'il est en lui-même et qu'il doit être en vous. Et demeurez ferme et inaccessible aux affaires et aux créatures, si Dieu ou la charité du prochain ne vous en retirait.

Durant votre oraison, s'il vous est donné quelque vérité à révérer et qui vous touche, vous vous laisserez exposer à Dieu pour en recevoir en vous l'impression par son divin Esprit. Vous vous donnerez à sa grâce pour cela. Et si vous vous trouvez dans le vide, vous demeurerez anéantie. Si vous y portez impuissance et distraction, soyez sacrifiée. Tout cela purifie l'âme, la faisant souffrir, Dieu tire sa gloire de tout, quand elle se sait bien abandonnée.

Lorsque je me trouve dans l'état de ténèbres, et que je ne m'aperçois pas de cette présence de Dieu, je tâche de m'y mettre par foi, en captivant mes sens, en bandant mon esprit. Et lors, cela me donne la connaissance que je crois être en la présence de Dieu. Je ne puis démêler cela. Pour agir purement en foi, je crois qu'il ne faudrait point faire tout cela ; mais j'appréhenderais que cela ne me mît dans quelque nonchalance d'esprit, lequel se relâche facilement et ne peut être longtemps captif.

Il est bon de vous servir de la foi pour vous mettre en la présence de Dieu ainsi que nous avons dit, mais il ne faut point faire d'effort indiscret. Il faut vous servir à cet effet d'élévation simple qui vous fait souvenir que Dieu vous voit et qui vous tient en respect en sa sainte présence. Il n'est pas besoin que vous bandiez votre esprit pour vous donner des assurances que vous êtes en la présence de Dieu, car c'est vous tirer de la foi qui est pure et qui n'est point sensible, Si votre présence de Dieu était sensible, elle ne serait plus de foi. Ce n'est pas qu'elle ne rejaillisse quelquefois jusque dans les sens ; mais quand cela arrive il faut le recevoir avec un esprit dégagé, sans s'approprier ni se complaire en cette grâce sensible ; mais il faut s'en servir selon les desseins de Dieu qui vous la donne pour vous encourager à la fidélité, vous faisant goûter quelque petite étincelle du plaisir que les âmes reçoivent en l'aimant.

Le goût de Dieu par la foi est bien plus pur et plus saint. Mais il faut recevoir humblement ce que Dieu vous donne, vous estimant toujours indigne de la plus petite de ses miséricordes. Ne tendez point à être élevée dans la grâce, mais tendez à vous laisser purement à la disposition divine. Abandonnez-vous, et Dieu fera de vous ce qu'il lui plaira. C'est à lui de diriger nos voies et de dresser nos sentiers ; et à nous de marcher en simplicité.ciii

Ne vous peinez pas de démêler votre présence de Dieu, n'en cherchez point trop curieusement de certitude. Gardez-vous de votre ennemi, lequel ne manquera pas de faire ses efforts pour réparer les ruines que nous avons tâché de lui causer jusqu'aujourd'hui, et lequel jouera de ses ruses.

Soyez toute petite à vos yeux et toute simple comme un petit enfant entre les bras de l'obéissance. Dieu, mon enfant, vous y assujettit très particulièrement. Il veut que, comme Adam vous a retirée de Dieu par sa désobéissance344, et que vous avez adhéré si longtemps à la malignité de son esprit, vous retourniez à Dieu par la très parfaite et entière soumission d'esprit à ceux que sa Providence vous a donné pour conduite.

Votre esprit ne deviendra point nonchalant et paresseux dans l'usage de la foi, car elle vous imprimera une haute estime de Dieu et cependant elle captivera vos sens dans le respect. Si vous sentez par rencontre de l'assoupissement, réveillez-vous par un acte formé qui vous fait souvenir de la majesté incompréhensible de Dieu vivant ; ou si un simple souvenir vous suffit pour vous éveiller, vous demeurerez dans votre recueillement sans vous peiner de passer plus outre par les susdits actes.

Lequel est le mieux quand on fait dire des messes : d'avoir des intentions particulières et les dire au prêtre, que de n'en avoir point que celles de l'Eglise et de joindre son intention à celle du Sacrifice ?

L'intention du Sacrifice et de l'Eglise est très sainte, vous les pouvez honorer et respecter, y unissant les vôtres. Mais cela est permis d'avoir quelquefois des intentions particulières et de les exprimer au prêtre. Vous pouvez aussi les offrir vous-même selon vos intentions secrètes et particulières, ou pour les besoins de votre âme, ou pour les morts, ou pour les nécessités de quelques affaires, ou de votre prochain. Comme aussi pour les purs intérêts de Dieu, demandant l'établissement de son règne en vous, la grâce de le connaître, ou de vous séparer de tout ce

344. Rm 5, 19.

323

qui n'est point lui. Ou pour honorer quelque saint à qui vous avez recours, ou en action de grâce de quelque miséricorde etc. Vous pouvez faire de même à la sainte communion.

Mais remarquez toujours que le saint Sacrifice de la sainte messe vous sacrifie avec Jésus-Christ, qu'il faut que vous soyez hostie et que vous ayez un désir de vous rendre aux desseins de Jésus et que vous entriez dans cet esprit de victime, toute immolée à la gloire du Père, du Fils, et du Saint-Esprit.

A la communion, votre sacrifice est encore plus entier, car vous y consentez par effet, logeant en vous les trois divines Personnes pour prendre puissance et autorité en vous et vous assujettir à leur divin empire, vous abandonnant sans réserve à Jésus-Christ.

Je crois être bien criminelle sur l'amitié de mon prochain.

La charité ou l'amour du prochain marche du même pas que l'amour de Dieu : saint Jean vous l'assure345. Je ne vois pas encore cet amour établi en vous. Vous êtes trop intéressée pour vous-même, trop peu désirante du Règne de Dieu dans tous les coeurs, trop chiche pour les âmes. Vous les envisagez comme détachées de Jésus-Christ, ne vous souvenant pas qu'elles sont ses membres, qui composent son Corps mystiqueciv346. Il y a bien à travailler en vous sur ce sujet. Mais à mesure que Dieu s'établira en vous, l'amour du prochain y germera et produira ses fruits347.

Dans le renouvellement de mon voeu du Baptême je remarque qu'on se donne à Dieu, et vous me disiez l'autre jour qu'étant à Jésus-Christ en tant de manières, vous ne pouviez vous y donner derechef..

Je crois vous avoir écrit qu'étant à Dieu nous sommes données et sacrifiées à lui par Jésus-Christ, comme membres de son Corps mystique et parce que toutes choses appartiennent à Dieu. Nous sommes donc nécessairement à lui, mais d'une manière ineffable, par le sacrifice de Jésus-Christ, tant en la croix que sur l'autel. Car en la croix vous y avez été crucifiée mystiquement — voyez saint Paul ce qu'il en dit — et vous êtes morte avec lui348. C'est pourquoi vous êtes obligée de vivre d'une vie de mort, toute dégagée et séparée de la vie de vos sens, car « Votre vie est cachée en Jésus-Christ »349, comme dit l'Apôtre.

Donc si votre vie est cachée en Jésus-Christ, rien ne doit paraître en vous que Jésus-Christ350. Vous devez être une vive expression de ses vertus, de ses dispositions et de sa sainteté.cv Tout ce qui est en vous, de vous, doit être anéanti afin que Jésus seul y paraisse. En un mot, vous devez mener une vie crucifiée puisque vous l'êtes avec Jésus-Christ.

Quant au sacrifice de l'autel, vous savez comme c'est un mémorial de celui de la croix et une continuation de ce très adorable Sacrifice. Il y a cela de différence qu'il n'est plus sanglant, mais efficace, et opère des effets puissants sur les âmes qui s'y appliquent et qui demeurent dans la grâce qu'il nous communique.

Je crois que je vous disais cette nuit passée, pourquoi je ne pouvais plus dire : « Mon Dieu je me donne à vous ». Si je suis donnée à Dieu par Jésus-Christ, la donation n'est-elle pas parfaite ? Suis-je moins obligée d'être à Dieu ? Puisque Jésus-Christ m'y sacrifie continuellement, je ne m'en puis dédire. Cette donation est-elle pas plus que suffisante ? Il faut se laisser sacrifier et y acquiescer amoureusement, continuant par une disposition de soumission et de respect, cette vie ou cet acte de sacrifice.cvi

Et comme vous n'étiez pas sur le Calvaire pour consentir à votre crucifiement, Notre Seigneur veut que vous consentiez à celui de l'autel pour accomplir ce qui manquait à sa Passion351, de sorte que, comme son membre, vous êtes offerte au Père avec Jésus-Christ et par Jésus-Christ, et le prêtre vous tient mystiquement entre ses mains, et vous êtes en l'hostie en cette manière.

O dignité de l'état chrétien d'être faite une même chose avec Jésus-Christ, d'être crucifiée avec lui, et d'être tous les jours immolée sur l'autel avec lui ! O adorable impuissance où la grâce chrétienne nous met d'être séparées de Jésus, mais qui

348. Rm 6, 6 ; Col 2, 11.

345. 1 ln 4, 19-21. 349. Col 3, 3.

346. 1 Co 12, 27. 350. Ga 2, 19-20.

347. in 15, 5 ; 1 Jn 3, 23. 351. Col 1, 24.

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nous fait une même chose avec lui !352 Puisque nous faisons partie de son Corps, nous sommes donc partie de lui-mêmecvii.

Dans le renouvellement de votre baptême vous ne faites point un acte nouveau de vous donner à Dieu, mais c'est que vous renouvelez la donation et le sacrifice que Jésus-Christ a fait à la très Sainte Trinité. Et c'est ce qu'on désire vous faire concevoir, afin que vous connaissiez que tous vos actes et sacrifices ne sont que des suites de ceux que Jésus-Christ a faits pour vous. Donc renouvelez votre baptême pour vous renouveler dans le sacrifice que Notre-Seigneur y a fait de vous. Vous ne pouvez faire un sacrifice de vous-même à Dieu plus saintement que celui que Jésus-Christ en a fait à son Père. Il le faut continuer et ne vous en retirer jamais, ains vivre actuellement dans cet esprit d'hostie, non par votre choix, mais parce que Jésus-Christ vous y assujettit par son sacrifice. Et faisant de la sorte vous êtes victime, non de votre volonté, mais de celle de Jésus-Christ.

Quand je veux faire le sacrifice à Dieu de moi-même pour me joindre à Jésus-Christ en qualité de son membre, je me trouve dans l'embarras...

Le sacrifice que vous faites doit être très simple, vous contentant de la pure foi qui vous apprend cette vérité que vous et tous les chrétiens sont membres de Jésus-Christ. Il suffit de le croire sans l'éplucher.

Lorsque je considère être membre de Jésus-Christ avec plusieurs autres...

Il est bon de désirer que tous les membres de Jésus-Christ lui soient sacrifiés. Et nous devons désirer que toutes les âmes soient des pures victimes de Jésus-Christ. Mais vous n'êtes point obligée de vous beaucoup remplir de ces pensées. L'état d'actuel sacrifice en la continuelle présence de Dieu met une âme comme cela.

Les pécheurs au moins qui me paraissent tels, je ne puis...

Le pécheur, par son péché, se désunit d'avec Jésus-Christ. Mais soyez circonspecte à juger. Ne vous souillez point par les péchés d'autrui. Ceux que nous croyons quelquefois plongés dans les péchés sont peut-être déjà touchés de Dieu et tout convertis.

352. Rm 8, 8-29 et 37-38.

Je ne puis souffrir qu'une âme qui fait profession d'aimer Jésus-Christ s'occupe à se réfléchir sur son prochain. Il faut que son esprit observe en ce point un très rigoureux silence. « Ne jugez point, vous ne serez point jugé »,353 dit Notre Seigneur. Estimez votre prochain comme Dieu l'estime. N'élevez point les créatures, et ne les rabaissez point.

Gardez une prudence et une très grande discrétion fondées sur la charité, car c'est la marque de l'Esprit de Dieu dans une âme. Car si la prudence manque, elle est sans conduite. « Soyez, dit Jésus, simples comme des colombes et prudents comme des serpents »354. En matière qui concerne votre prochain, il faut être fort retenue de parler. Je vous laisse à juger des effets qui leur seraient préjudiciables.

N'examinez point si les pauvres à qui vous donnez sont en grâce, il vous suffit qu'ils sont chrétiens ; et quand ils ne le seraient point, c'est pour Dieu et par conséquent c'est à lui que vous donnez votre aumône, et non à la créature qui se présente à vous. L'intention enrichit et ennoblit l'action. Ayez en toutes choses la pure vue de Dieu et vous serez en paix dans toutes vos actions.

Lorsque nous sommes obligées de converser avec le prochain, quelle pensée faut-il avoir ?

C'est la vue de Dieu que nous ne devons jamais oublier. Et dans la conversation il y faut toujours garder la douceur, la condescendance charitable, l'humilité et la discrétion. Il faut converser avec votre prochain comme les anges, avec respect et modestie ; et gardez-vous de scandaliser les petits dont Notre Seigneur parle dans l'Evangile355. Les petits, selon le sens de l'Ecriture, ce sont les pécheurs ; car ils sont les plus petits en la vue de Dieu, puisqu'ils sont par le péché doublement anéantis.

Tendez toujours dans les entretiens à ne vous point occuper des vanités et des sottises du monde. Gardez-vous aussi d'y trop parler et de vous précipiter par votre trop grande activité. Soyez considérée et retenue.

N'oubliez jamais que Dieu vous voit, qu'il sonde le fond de votre coeur. Bref, conversez par soumission à la volonté di-

353. Mt 7, 1.

354. Mt 10, 16 ; Lc 10, 3.

355. Mt 18, 6-8 ; Mc 9, 42.

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vine qui vous assujettit à cette loi de converser et de garder la société avec votre prochain. Soyez-y libre et sans vous gêner. N'y contestez jamais si la gloire de Dieu et la pure charité ne vous y contraint. Ne conversez que par obéissance et charité, de crainte de vous y trop plonger, souiller et engager.

Les affaires de notre obligation...

Les affaires qui sont de votre obligation ne doivent point être négligées. Si elles pressent, vous les pouvez préférer à vos oraisons. Et si vous y savez bien conserver, en les faisant, l'esprit intérieur qui vous doit accompagner en toutes vos opérations, vous trouverez que vous agirez en vos affaires en esprit d'oraison. Vous y conserverez la présence d'esprit pour les faire comme vous devez. Et observant les autres leçons que je vous ai déjà données en pareille rencontre, vous ferez ce qui se doit faire dans le temps, mais toujours par obéissance à l'ordre de Dieu qui vous y applique, sans perdre Dieu présent.

Que si les affaires ne pressent point et que vous n'ayez pas d'attrait ni de facilité pour y travailler, vous les pouvez remettre à une autre fois. Mais gardez-vous de lâcheté ! Néanmoins, vous pouvez différer et vous occuper à la lecture ou à l'oraison en attendant que Notre Seigneur vous donne capacité pour les expédier. Mais remarquez bien que si elles pressent, il faut tout quitter et s'abandonner. Tout est pour Dieu : aussi bien votre opération que votre oraison, et ce serait tromperie de vouloir prier quand Dieu veut que l'on agisse. Il faut être tout à fait dans un total abandon de nous-mêmes à la conduite du bon plaisir de Dieu.

Les actions qui dépendent de votre choix, il faut tâcher de les rapporter toutes à Dieu, et bien qu'elles soient à votre liberté, il ne les faut jamais faire néanmoins que par obéissance à Jésus-Christ qui vous l'inspire. Si l'action est bonne en soi, il la faut envisager dans l'ordre de Dieu. Si elle est mauvaise elle doit être rejetée. Si l'action est bonne en soi mais que notre amour propre la corrompe, il faut purifier l'intention par un regard pur et simple vers Dieu pour la diriger à la pure gloire de son nom.

Est-ce pas le degré d'amour qui donne le mérite à l'action ?

Oui, plus il y a d'amour, plus il y a de grâce. Or je n'entends pas parler de l'amour qui frappe les sens ; je veux dire que plus il y a de pureté dans votre fond, c'est-à-dire une intention plus épurée et qui tend à taire uniquement pour l'amour et par l'amour de Dieu, il y a plus de grâcecviii, et par conséquent plus de mérite. C'est pourquoi la très sainte Mère de Dieu étant sur la terre méritait plus par un tour de fuseau que les saints par des pénitences et austérités étranges (et) parce qu'elle avait plus de pureté d'amour que tous les anges et tous les saints ensemble. Donc si vous relevez une paille avec plus de pureté d'amour qu'une autre n'en a prenant la discipline, votre mérite est plus grand. Vous pouvez aussi inférer de là que si deux actions, l'une grande et l'autre petite, sont faites en même degré d'amour, que la grande l'emporte par-dessus la petite. C'est la pureté d'amour qui donne le poids.

Quelle pensée faut-il avoir lorsqu'on est obligée à recevoir quelque service de notre prochain ?

Il les faut recevoir en esprit d'une profonde humilité intérieure étant confuse en nous-même que des âmes créées à l'image et semblance de Dieu, ses membres et ses épouses, et qui peut-être seront infiniment élevées dans le Ciel plus que nous, soient occupées à nous servir — mais bien plus : qui sont peut-être dans un degré de grâce, sur la terre, très élevé. Car l'âme dans l'état de la grâce est chérie et honorée de Dieu même et de ses anges ; et elles sont plus dignes d'être considérées que tous les plus grands monarques de la terre puisqu'elles sont dignes d'être les objets de la complaisance divine. C'est le trône de sa grandeur où il prend ses délices, les anges en ont respect, et cependant nous n'y pensons pas.

Nous avons bien souvent de la témérité et de l'arrogance dans les services qu'on nous rend. Cela vient de notre extrême ignorance qui fait que nous nous approprions les services qu'on nous rend. Ce n'est point pour l'amour de vous qu'on vous sert, mais pour l'amour de Dieu en vous356. Donc ces services, cet honneur, ce respect qu'on vous porte ne vous appartient pas, ains à Jésus-Christ ; et vous lui dérobez, car vous en faites votre propre, sans y avoir droit. C'est une usurpation qu'il faut rendre tôt ou tard. Laissez à Dieu ce qui appartient à Dieu, et tenez ce qui est vôtre, savoir le néant d'être, le néant de péché, l'ire de Dieu et la damnation éternelle. Voilà ce que vous méritez. Pourquoi anticipez-vous sur les droits de Jésus-Christ ?cix

De plus, ne savez-vous pas qu'en qualité de pécheresse

356. Ep 6, 7 ; Col 3, 22-24.

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vous ne méritez aucun service des créatures, ains plutôt des châtiments actuels ? Car si Dieu faisait justice, toutes les créatures se banderaient contre nous pour venger le déshonneur que nous avons fait à Dieu et au sang de son Fils. Et ne le faisant pas, c'est par sa très grande miséricorde qui « ne veut point la mort du pécheur, ains qu'il se convertisse et vive »357.

Or il ne faut pas que la bonté de Dieu nous fasse oublier ce que nous sommes. Vous êtes toujours assez criminelle pour vous tenir dans votre abjection et dans la vue que vous êtes indigne que la moindre créature vous serve. Et pour moi, je vous avoue que j'ai peine que les bêtes soient même occupées à quelque chose de mon service. Je vois qu'ayant péché, je mérite d'être ravalée au-dessous des bêtes ; donc en cette manière les bêtes sont plus que moi et ont droit de m'humilier et même de me crucifier. O vérité profonde qui anéantit puissamment un esprit qui en est pénétré ! Hélas ! les créatures et les bêtes me servent, et peut-être que je serai éternellement damnée. Cette vue m'est un second tourment en la vue des services que la charité m'applique. Je les dois pourtant souffrir puisque la Providence m'y assujettit, et m'en beaucoup humilier, les rendant à Jésus-Christ.

n° 307

357. Ez 18, 22 et 32; 33, 11; Le 5, 32; 2 Pi 3, 9.

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APPENDICE

[photo]

Gravure du XVIIe siècle par Drevert

Couverture : Portrait de Mère Mectilde du Saint Sacrement, attribué à Philippe de Champaigne (conservé au monastère de Rouen)


TABLE (UNE AMITIE SPIRITUELLE AU GRAND SIECLE) omise



Daoust

= J. Daoust, Catherine de Bar Mère Mectilde du Saint-Sacrement, Tequi, 1979


NIHIL OBSTAT Rouen, le 10 mai 1979 P. MALANDRIN IMPRIMATUR

Rouen, le 12 mai 1979 M. DEVIS, vs.

J.DAOUST

Docteur ès Lettres

avec la collaboration

des Bénédictines du Saint-Sacrement de Rouen

CATHERINE DE BAR

MERE MECTILDE

DU

SAINT-SACREMENT

(1614-1698)

Fondatrice de l'Institut

des Bénédictines du Saint-Sacrement

TEQUI

82, RUE BONAPARTE 75006 PARIS


BIBLIOGRAPHIE

Hélyot Pierre (Père)

Histoire des ordres monastiques, religieux et militaires, tome VI, Paris, 1718, pages 370 à 396.

Giry François (Provincial des Minimes)

Vie des saints, édition de 1719, tiré à part 19 - 12, 59 pages.

Duquesne (abbé)

Vie de la vénérable Mère Catherine de Bar dite en religion Mectilde du Saint Sacrement, Institutrice des religieuses de l'Adoration perpétuelle, Nancy, 1775.

Hervin M. (Mgr, aumônier du Saint Sacrement d'Arras ) et Doulens M. (prêtre),

Vie de la très révérende Mère Mectilde du Saint-Sacrement, fondatrice de l'Institut des bénédictines de l'adoration perpétuelle du Très Saint-Sacrement, Bray et Retaux, Paris, 1883. Catherine de Bar, Mère Mectilde du Saint-Sacrement, Fondatrice de l'institut des bénédictines de l'Adoration perpétuelle 1614-1698, Prunet, Montauban, 1922.

Priez sans cesse, Desclée de Brouwer, Paris, 1953.

Cognet Louis (prêtre de l'Oratoire)

Mère Mectilde du Saint-Sacrement (Conférence faite à l'Institut catholique de Paris, le 8 février 1958)

Mère Mectilde du Saint-Sacrement, Ecrits spirituels à la comtesse de Châteauvieux, Paris, 1965.

Catherine de Bar, Documents historiques, Rouen, 1973. Catherine de Bar, lettres inédites, Rouen 1976.

Catherine de Bar, Fondation de Rouen et lettres aux moniales Rouen 1977.

La source commence à chanter, Bayeux, 1977.

Mectilde de Bar à l'école de saint Benoît, Rouen, 1979.

INTRODUCTION

Alors que beaucoup de nos contemporains s'intéressent aux « maîtres spirituels » du passé et notamment à ceux du Grand Siècle, il nous a semblé répondre à leur souhait en leur offrant un aperçu de la vie et de la doctrine de Catherine de Bar, en religion Mère Mectilde du Saint-Sacrement (1614-1698), qui fonda, à l'ombre de Saint-Germain-des-Prés, l'Institut toujours florissant de l'Adoration perpétuelle.

Nulle existence n'a été plus mouvementée que la sienne. Non seulement elle passe d'un couvent d'annonciades à un monastère de bénédictines que dirigeaient des moines de Saint-Vanne, pour créer finalement sa propre congrégation, mais la guerre de Trente Ans, puis la Fronde et ensuite ses diverses fondations obligent cette moniale, rivée par profession à son cloître, à s'exiler de sa Lorraine natale pour se réfugier à Paris et en Normandie, et enfin, à partir de la capitale, sillonner les grands chemins afin d'implanter ou de visiter ses monastères. On a fixé aux environs de 1680 le passage de la stabilité au mouvement : un demi-siècle plus tôt, Mère Mectilde avait inauguré une série de pérégrinations qui ne s'achevèrent qu'à sa mort.

Cette moniale, dont la vie, bien malgré elle, ne fut qu'un continuel voyage, compte parmi les grands auteurs spirituels de la Contre-Réforme catholique au X Vite siècle. Son rayonnement fut des plus intenses, non seulement dans l'Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement, qu'elle établit pour compenser, par l'adoration réparatrice, les impiétés et les sacrilèges

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des calvinistes ou des libertins, mais aussi chez les âmes pieuses les plus nobles de son époque. En témoignent, outre un petit livre, près de quatre mille de ses lettres : elles sont d'une exceptionnelle qualité, tant par le style que par l'élévation et la cohérence de la pensée. Elles sont adressées, non seulement à ses religieuses ou à d'humbles « demoiselles », mais aux reines de France, de Pologne et d'Angleterre, à la duchesse d'Orléans, épouse de Monsieur, frère de Louis XIII, aux comtesses de Châteauvieux et de Rochefort, ou encore à des mystiques authentiques comme Jean de Bernières ou Henri Boudon.

« Ce qui est remarquable chez elle, écrit Louis Cognet, c'est cette espèce d'union constante du sens surnaturel le plus profond... et du solide bon sens le plus terre à terre. Elle avait vraiment le tempérament d'une grande fondatrice... Ce n'était pas une femme à phénomènes spectaculaires, mais c'était simplement une âme chez laquelle certainement l'idéal canfeldien d'union de la volonté à la volonté divine a été réalisé à un incroyable degré, à tel point qu'elle est parvenue à ce sommet de la vie mystique, où vraiment elle agit en Dieu avec la plus entière liberté. C'est évident par toute sa correspondance : il y a un équilibre chez elle... entre l'élément mystique et l'élément le plus strictement raisonnable... qui est rarement trouvé à un pareil degré ! /1 ».

Les « morceaux choisis » que nous publions ici à la suite de la biographie de Mère Mectilde confirmeront l'exactitude de ce jugement.

1. L. Cognet, Conférence donnée à l'Institut catholique de Paris, le 8 février 1958 et I éditée dans Catherine de Bar, documents historiques, Rouen, 1973, p. 29 sq.

Vie de Catherine de Bar

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UNE JEUNE ET PIEUSE BOURGEOISE DE SAINT-DIE (1614-1631)

Née le 31 décembre 1614 à Saint-Dié, baptisée le même jour en l'église Sainte-Croix et prénommée Catherine, la future Mère Mectilde était la troisième des six enfants de Jean de Bar et de Marguerite Guillon, fille unique d'un notaire du lieu. La famille, qui appartenait à la noblesse de robe, professait une foi catholique ardente et, dans cette Lorraine qu'avaient déchirée les guerres de Religion, s'attachait notamment au dogme de l'Eucharistie, rejeté par les Huguenots. Aussi, dès sa tendre enfance, Catherine aimait-elle s'agenouiller devant les autels et façonner de petits oratoires que dominait l'image du Saint Sacrement. Elle multipliait les prières, se mortifiait avec des instruments de pénitence et se montrait charitable envers les pauvres. Comme oraison favorite, elle avait choisi la formule de voeux que prononçaient les membres du tiers ordre de saint François.

A neuf ans, elle eut la douleur de perdre sa mère. Alors que celle-ci agonisait, l'enfant s'approcha de son lit : « Je vous prie, ma bonne maman, dit-elle, quand vous serez en paradis, après que vous aurez fait la révérence à la Sainte-Trinité, de lui demander la grâce que je sois religieuse ; ensuite, vous vous tournerez vers la Sainte Vierge et la supplierez qu'elle me prenne sous sa protection et qu'elle me serve de mère. » Piété eucharistique, piété mariale : cette double dévotion inspirera toute la carrière de Catherine de Bar.

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Vers sa dixième année, elle communie pour la première fois. Elle n'a plus qu'un désir : reproduire les vertus de Jésus, victime dans le sacrement de l'autel. Cependant, son père décide de donner à sa fille, dont il apprécie l'intelligence pénétrante, l'éducation que recevaient à cette époque les jeunes bourgeoises : dessin, musique, peinture, travaux à l'aiguille, mais aussi les langues, dont le latin. « Si je m'applique à tout cela, estimait-elle, j'oublierai Dieu ; il vaut mieux que je pense à lui et que je néglige le reste ». Attirée depuis longtemps par le cloître, elle attend toutefois sa dix-huitième année pour déclarer sa vocation à son confesseur : « Vous ne resterez pas huit jours », lui rétorque celui-ci. « Huit jours ! réplique-t-elle ; eh ! n'est-ce rien que d'être huit jours à Dieu ? »

Son père la destinait à un gentilhomme fortuné et plein de qualités, mais qui périt à la guerre. Un noble Lorrain sollicita ensuite sa main. Catherine lui parla avec tant de flamme de la vie religieuse que le soupirant entra au couvent, où il mourut en odeur de sainteté.

Jean de Bar ne pouvait se résoudre à laisser partir son enfant chérie. Catherine s'adressa alors à sa soeur aînée, Marguerite, épouse de Dominique Lhuylier de Spitzemberg, colonel dans les troupes de Charles IV de Lorraine, gardien du château et des portes de Saint-Dié. Pour obtenir l'aide de sa soeur, elle proposa de lui céder les droits à la succession de sa mère, à la seule condition de payer sa dot de religieuse et ses frais de profession. Marguerite refusa le marché. Enfin, comme sa fille ne cessait de la harceler et tombait dans une langueur alarmante, le père se laissa arracher son consentement et lui désigna comme couvent un monastère d'annonciades, moniales dites aussi des Dix Vertus de la Vierge, qui se trouvait à Bruyères, au diocèse de Toul, à six lieues de Saint-Dié.

LES TRIBULATIONS D'UNE ANNONCIADE (1631-1638)

Entrée en novembre 1631 dans l'ordre créé jadis par sainte Jeanne de Valois, fille de Louis XI (1464-1505), Catherine de Bar se soumit volontiers à l'observance d'une maison naissante et dans sa première ferveur, que régissait d'une poigne assez rude la Mère Angélique du Saint-Esprit. Cette supérieure remarqua vite l'accablement de sa postulante et lui en demanda la cause : « Je ne puis aimer Dieu autant que je voudrais », avoua son interlocutrice. L'« ancelle », c'est-à-dire la prieure, la rabroua vertement, la traitant d'orgueilleuse. La jeune fille se réfugia alors dans sa cellule ou dans une sorte de grotte placée sous la protection d'un saint. Chaque religieuse disposait d'un ermitage de ce genre. Catherine l'avait mis sous le patronage de Marie. Un jour, dégoûtée de sa solitude, elle se jeta aux pieds de la Vierge. La tentation disparut et, depuis, elle aspira toujours à vivre en recluse.

Au début de 1632, elle reçut solennellement l'habit, en présence de toute sa famille. Hautbois et violons l'accompagnèrent jusqu'à l'autel. Mais le père s'évanouit quand sa fille franchit la grille pour se claustrer à jamais dans le couvent. Catherine de Bar était devenue soeur Saint-Jean-l'Évangéliste.

Peu de jours après, passa un cordelier, le père Etienne, qui proposa aux religieuses trois moyens infaillibles pour atteindre à la perfection : « N'avoir en vue que Dieu et faire tout pour lui seul ; ne considérer dans tous ses actes que la volonté de Dieu ; ce qu'on fait, le faire naturellement, promptement et gaiement ». Cette voie parut « toute divine » à soeur Saint-Jean.cx

Tout en s'occupant d'une douzaine de jeunes pensionnaires, la novice s'appliquait à garder le silence, à pratiquer l'obéissance totale envers ses supérieures, la pauvreté allant jusqu'au parfait dépouillement, l'humilité au point de se livrer à une confession générale et publique en plein réfectoire, enfin des austérités qui nous semblent aujourd'hui désuètes : cilice, fréquentes disciplines, ceintures de fer.... Elle combattait ses deux défauts essentiels : la vivacité et un amour-propre qui la rendait trop sensible au point d'honneur.

Elle affectionnait la dévotion au Saint Sacrement : « Est-il donc un moyen plus efficace de s'unir à Dieu aue la sainte Eucharistie ? se demandait-elle. La sainte Eucharistie, n'est-ce

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pas Dieu même ? » Tombée dans un état affreux de sécheresse, intérieurement désolée, elle supplia Marie : « Je ne sais pas prier et je ne sais pas à qui recourir pour m'instruire. Je suis perdue si vous ne daignez pas me servir vous-même de maîtresse, comme vous m'avez servi jusqu'à présent de mère. » Exaucée, elle déclarera plus tard : « Je puis vous assurer que c'est de la très sainte Vierge que j'ai appris tout ce que je sais ; elle a toujours été depuis ma maîtresse, et elle n'a cessé de m'instruire de mes devoirs dans toutes les situations où je me suis trouvée pendant ma vie ».

La supérieure avait pu juger des qualités de sa novice lors d'une épidémie de fièvre maligne qui sévit dans le monastère. Bravant le danger et les fatigues, soeur Saint-Jean n'hésita pas à remplacer toute seule les infirmières atteintes par la contagion. Admise à la profession en 1633, elle s'y prépara par une retraite de quarante jours que suivit, selon l'usage de l'ordre, une autre retraite de dix jours appelée « le silence de l'Épouse ». Désormais, elle portera la robe blanche, le scapulaire rouge et la ceinture bleue des annonciades.

Mais voici que la sévère Mère Angélique et sa sous-prieure ou vice-gérante, qui étaient venues fonder la maison de Bruyères, durent regagner leur monastère de profession, une fois écoulé leur temps de supériorité. Comme « ancelle », on choisit une jeune religieuse sans expérience, dont la plus insigne vertu était d'être la nièce du provincial, cependant que Mère Saint-Jean devenait vice-gérante. Jalouse de son auxiliaire,la supérieure la prit en haine, l'accabla d'humiliations et la démit finalement de sa charge. Mère Saint-Jean subit en silence ces avanies. Tant d'abnégation finit par amadouer l'ancelle. Mortellement atteinte par la contagion, elle désigna sa victime comme seule capable de lui succéder. L'année même de sa profession, Mère Saint-Jean, âgée de vingt ans, dut, en qualité de vice-gérante, prendre en charge les vingt religieuses de Bruyères.

La guerre de Trente Ans alors faisait rage et, depuis 1629, une lutte implacable opposait la France à la Maison d'Autriche, soutenue par le brouillon Charles IV de Lorraine. Appelé par Richelieu, Gustave-Adolphe de Suède avait envahi l'Allemagne avec trente-six mille hommes et remporté, en 1631, une éclatante victoire à Leipzig, avant de succomber, l'année suivante, sur le champ de bataille de Lutzen. Furieux, les Suédois avaient juré de venger le défunt. Ils vainquirent les Impériaux, puis s'attaquèrent aux Lorrains. D'abord battu près de Hagueneau, Charles IV triompha des Suédois le 28 novembre 1634 près de Strasbourg et, le 6 décembre suivant, à Nordlingen. Mais, dès mars 1632, les Français avaient pénétré en Lorraine. En 1635, ils vinrent à l'aide des Suédois, qui firent irruption dans le duché, pillèrent et saccagèrent la bourgade de Bruyères.

Secourue par son beau-frère, le colonel Lhuylier, Mère Saint-Jean et ses religieuses se réfugièrent à Saint-Dié chez M. de Bar, puis à Badonviller dans un couvent d'annonciades, hors les murs d'abord, ensuite au château, dans un logis dénommé l'Hôtel du Prince, où se regroupèrent les deux communautés, en tout quarante moniales.

Surgirent les Suédois avec leur chef, le comte de Briegfeld, un luthérien fanatique et cruel. Ils saccagèrent Badonviller et firent irruption dans la salle transformée en oratoire, où les religieuses, terrifiées, étaient en adoration devant l'hostie. Mère Saint-Jean, impassible, se présenta devant le comte en furie. Calmant soudain sa rage, celui-ci promit sa protection aux annonciades. Plus tard, il se convertira et mourra très pieusement.

Après les Suédois, ce furent les soudards indisciplinés de Charles IV qui achevèrent de ruiner le pays. Parmi les officiers, se trouvait un jeune gentilhomme de Saint-Dié, qui avait jadis recherché Catherine de Bar en mariage. La sachant à Badonviller, il exigea de la revoir. Elle refusa. Devant les menaces de l'ancien prétendant, les supérieures firent sortir Mère Saint-Jean et Mère Agnès de la place. En habits masculins, les deux moniales se confièrent à un vivandier, qui les dissimula dans sa charrette entre des ballots. Mais l'officier, averti de leur fuite, lança ses reîtres à leur poursuite. Ils arrêtèrent le vivandier, transpercèrent ses ballots à grands coups de rapières. Mère Saint-Jean et sa compagne, qui ne cessaient d'implorer la Vierge, échappèrent au danger.

Au plus fort de l'hiver, elles se cachèrent dans un grenier, à Épinal. Au printemps de 1636, elles gagnèrent Commercy, où

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le marquis des Armoises les logea dans son château et fit venir toutes les religieuses de Bruyères. Élue prieure, Mère Saint-Jean accueillit des novices et des jeunes pensionnaires. Mais la peste et la famine, qu'accompagna une reprise des hostilités, réduisit à cinq la vingtaine d'annonciades.

A la fin de 1637, les supérieurs leur demandèrent de se rendre à Saint-Dié où M. de Bar offrait un asile à la communauté. En route, la petite troupe séjourna trois semaines à Épinal chez les religieuses de la congrégation de Notre-Dame, fondée en 1618 par saint Pierre Fourier. Par Bruyères, où leur maison n'était plus qu'un amas de cendres, on atteignit enfin Saint-Dié. Quelle consolation pour le vieux Jean de Bar ! Dans l'espoir de toucher une forte rançon, les Suédois l'avaient emprisonné à Obernai dans un cachot plein d'eau. Il venait en outre de perdre l'une de ses filles et son fils unique.

Dans la demeure paternelle, Mère Saint-Jean tomba, si on l'en croit, dans « un grand relâchement » provoqué par le « commerce du monde ». Elle se croyait « tout à fait abandonnée de Dieu » quand un cordelier l'incita à quitter l'ordre des Annonciades pour entrer dans une congrégation réformée.

Cependant, une dame de Rambervillers et le colonel Lhuylier avaient parlé de nos religieuses à la prieure des bénédictines de Rambervillers, Mère Bernardine de la Conception Gromaire. Son monastère, crée en 1629, était issu de la réforme de Dom Didier de la Cour, fondateur de la congrégation lorraine des Saints-Vanne-et-Hyduiphe. Mère Bernardine invita les annonciades à s'installer dans une partie de son cloître. Au cours de leur séjour, qui dura une année (1638-1639), la prieure proposa à Mère Saint-Jean d'embrasser la Règle de saint Benoît. Dom Antoine de l'Escale, alors visiteur de la congrégation de Saint-Vanne, encouragea cette translation, de même que les grands vicaires de Toul. En revanche, les cordeliers s'y opposèrent farouchement. Mère Saint-Jean en référa à Rome, mais sa lettre n'arriva jamais à destination. Ce n'est que le 20 septembre 1660 qu'un bref du pape Alexandre VII approuvera ce passage à l'ordre bénédictin.

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UNE BÉNÉDICTINE ERRANTE (1639-1651)

Après avoir placé ses cinq annonciades en des maisons de leur congrégation, Mère Saint-Jean revêtit l'habit noir des bénédictines le 2 juillet 1639 et prit le nom de soeur Catherine de Sainte-Mectilde, auquel elle ajoutera, après la fondation de son institut, le vocable « du Saint-Sacrement ». Sa maîtresse des novices était une veuve de quelque trente ans, Mère Benoite de la Passion de Brem, moniale d'une haute valeur spirituelle mais qui encouragea un peu trop le goût de sa postulante pour les mortifications corporelles. Pour l'éprouver, elle lui laissa le voile blanc comme aux novices ordinaires, ne lui permit que la lecture de la Règle et d'un eucologe, et, pour l'exercer à une obéissance aveugle ainsi qu'à une profonde humilité, elle ne lui confia que de basses besognes : lessive, jardinage, cuisine et transport de fumier. Accablée de scrupules, la novice ne s'en libéra qu'avec l'aide de la Vierge.

En la fête de la Translation de saint Benoît, le 11 juillet 1640, soeur Mectilde, alors âgée de vingt-cinq ans, prononça ses voeux. Durant la cérémonie, étendue sous le drap mortuaire, elle comprit qu'elle était définitivement morte au monde et qu'elle ne devait vivre que de la vie de Jésus-Christ.

Rambervillers ne relevait pas du duché de Lorraine mais de l'évêché de Metz, rattaché à la France. En 1632, Charles IV avait assiégé et emporté la place. Il lui avait épargné le pillage, mais contre une rançon exorbitante. Retranché dans les environs, le duc tenait en échec le maréchal de la Force, qui reçut bientôt le renfort du duc Bernard de Weimar, général au service de la Suède. Celui-ci attaqua Rambervillers et massacra la garnison lorraine. Toutefois, s'il protégea les bénédictines, il en exigea une telle somme qu'il plongea leur couvent dans la misère.

En septembre 1640, les grands vicaires de Toul et les supérieurs bénédictins, afin d'alléger les charges de la maison, décidèrent d'envoyer à Saint-Mihiel les Mères Benoîte de la Passion, Bernardine de la Conception et Mectilde. Elles s'y établirent dans un « hospice », c'est-à-dire dans un couvent urbain où, durant les guerres, se réfugiaient les religieuses, et elles y ouvrirent une école. Mais Saint-Mihiel avait été enlevé

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d'assaut en 1635 par Louis XIII en personne qui avait accablé la cité de très lourdes contributions. Aussi bien, c'était toute la malheureuse Lorraine, ruinée par les combats depuis une décennie, qui était en proie à la famine et à la peste. Ému par tant de détresse, saint Vincent de Paul avait envoyé dix Lazaristes dans le duché afin de secourir les plus déshérités. Leur supérieur, le père Guérin, s'intéressa aux trois bénédictines de Saint-Mihiel et pensa regrouper avec elles les neuf autres religieuses de Rambervillers. Mais comment assurer leur subsistance ? Deux d'entre elles furent envoyées à Juvigny à la demande de l'abbesse du lieu, Madame de Livron. Sur les entrefaites, le père Guérin avait parlé à Marie de Beauvillier, abbesse de Montmartre, des pauvres soeurs de Saint-Mihiel. Tandis que Mère Mectilde était allée en pèlerinage jusqu'à la Vierge de Benoîte-Vaux, le 1er août 1641, pour lui demander de fléchir en leur faveur la réformatrice de Montmartre, voici qu'arriva un messager de M. Vincent, Matthieu Renard, qui venait chercher deux moniales pour les conduire à Paris. D'abord réticente, Marie de Beauvillier avait accepté de recevoir chez elle Mère Mectilde, qu'elle avait nommément désignée, et une autre soeur, au choix de la prieure.

Elles arrivèrent dans la capitale au soir du 29 août et logèrent chez Mademoiselle Le Gras, fondatrice des Soeurs de la Charité. Le lendemain, après avoir reçu la bénédiction de M. Vincent, elles gravirent les pentes de Montmartre, navrées d'avoir été séparées de leurs compagnes, qu'on avait réparties en diverses maisons, mais reconnaissantes envers Mme de Beauvillier. A Paris, Mère Mectilde se lia d'amitié avec l'historiographe du monastère, Charlotte Le Sergent, une religieuse de haute valeur.

Envoyée à la Trinité de Caen, l'une des moniales de Rambervillers, Mère Angélique, était tombée dangereusement malade et réclamait sans trève la visite de Mère Mectilde. De plus, les monastères de Vignats et d'Almenèches, proches de Caen, consentaient à accueillir deux autres religieuses lorraines, en résidence à Saint-Cyr. Enfin, on offrait un « hospice » en Basse-Normandie aux réfugiées de Montmartre. Mère Bernardine, prieure de Rambervillers, demanda à Mère Mectilde de conduire les deux soeurs en Normandie, où elle tâcherait de reconstituer une communauté autonome. Le 10 août 1642, après avoir arraché la permission de Marie de Beauvillier, elle prit le coche et, quatre jours plus tard, atteignit Caen. Elle fut reçue avec chaleur par Mme de Budos, abbesse de la Trinité, et, à Vignats, par l'abbesse Marie-Françoise de Médavy de Grancey. Déception : l'« hospice » de Bretteville, qu'on lui destinait, n'était qu'une masure, dépourvue de mobilier. C'est alors qu'un gentilhomme du pays, M. de Torp, et sa fille, Mme de Montgommery, lui proposèrent une maison à Barbery, où s'élevait une abbaye cistercienne, réformée et dirigée par Dom Louis Quinet, champion d'une spiritualité à caractère mysticisant. Par M. de Torp, Mère Mectilde connut les mystiques normands, qui allaient exercer sur elle une influence considérable : MM. de Roquelay, de Renty et surtout Jean de Bernières. Ce trésorier général de France, alors âgé de quarante ans, était un contemplatif, mais qui ne négligeait pas les oeuvres charitables. On l'avait vu soigner les malades au cours des épidémies qui désolaient la région caennaise, catéchiser les carriers, les paysans et les prisonniers. Lié avec M. Vincent, saint Jean Eudes et M. Boudon, archidiacre d'Évreux, il avait créé l'Hermitage, un cénacle dévôt où l'on s'exerçait à l'oraison. « L'amour de la vie pauvre et abjecte, écrit M. Boudon, était comme sa principale grâce ; il voulait vivre dans l'abjection et inconnu des hommes ». Par la mortification, le renoncement, la souffrance, le détachement et l'anéantissement de sa volonté propre, il s'efforçait de se perdre en Dieu.

Il ne manquait pas de visiter les quatre moniales de Barbery : Mère Bernardine, la prieure, et les Mères Mectilde, Angélique et Louise qui, le dimanche et les jours de fêtes, enseignaient les rudiments de la religion à quelque quatre-vingts femmes et filles de la contrée.

C'est alors qu'un jésuite, le père Bonnefonds, signala à nos religieuses une vaste maison située à Saint-Maur-des-Fossés, dans la région parisienne, où l'on pourrait enfin réunir toute la communauté lorraine. En juin 1643, les Mères Bernardine et Mectilde partirent pour Paris. C'est là que Mère Mectilde connut le père Chrysostôme de Saint-Lô, religieux du tiers ordre de saint François et provincial de France, à qui Bernières l'avait adressée. Pour lui, elle rédigea un mémoire autobiogra-

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phique qui révèle son caractère profondément mystique et montre par quelle nuit douloureuse passait alors sa vie intérieure. Pendant trois ans, jusqu'à sa mort, survenue le 26 mars 1646, le père Chrysostôme sera son guide, se faisant l'écho des conseils que lui donnait déjà le mystique de Caen. Il lui prêchait l'oraison « de pur abandon d'elle-même aux mouvements sacrés de son divin Époux », et, pour tendre à la perfection, il lui recommandait « le silence, la retraite, la vie cachée, l'anéantissement, l'abjection, l'obéissance, la croix ». Il lui imposait de terribles mortifications : trois heures seulement de sommeil, les disciplines, la haire et une ceinture de fer armée de pointes. M. Boudon, avec qui Mère Mectilde entra alors en relation, ne faisait que confirmer ces leçons.

Tout en lui prédisant nombre d'épreuves et de tentations, le père Chrysostôme ajoutait : « Dieu, par une providence toute spéciale, vous oblige à honorer le Saint Sacrement avec une dévotion particulière. Or, c'est dans ce sacrement que Notre-Seigneur Jésus-Christ vit et vivra jusqu'à la consommation des siècles d'une vie toute cachée ». Il permettait à sa dirigée la communion quotidienne, pratique fort rare à cette époque.

A toute la communauté, réunie peu à peu à Saint-Maur à partir d'août 1643, le père Chrysostôme, accompagné de ses philothées, rendait de fréquentes visites. C'est qu'il trouvait « dans ce petit réduit plus de l'esprit de Dieu que dans toute la ville de Paris ».

Largement aumônées par la princesse de Montmorency, dame de Saint-Maur, par Madame de la Mailleraye, abbesse de Chelles, par Marie de Beauvillier et par le Grand Condé, nos bénédictines, dont le supérieur était M. du Saussay, grand vicaire de Paris et futur évêque de Toul, ouvrirent un pensionnat où furent élevées notamment Marguerite Chopinel, fille de Mère Benoîte de la Passion, et Marguerite de l'Escale, nièce du visiteur de Saint-Vanne.

A la fin de juin 1646, Mère Bernardine, profitant de la tranquillité qui régnait provisoirement en Lorraine, regagna Rambervillers, après avoir confié à Mère Mectilde l'« hospice » de Saint-Maur.

Mais voici qu'on réclamait celle-ci à Caen. En 1639, la marquise de Mouÿ avait fondé à Pont-l'Évêque le couvent de Notre-Dame-du-Bon-Secours avec quatre bénédictines réformées de l'abbaye de Montivilliers, près du Havre. Puis, à cause des troubles qui agitaient la Normandie, elle l'avait transféré à Caen, rue de Geôle, en 1644. La communauté se composait alors de six religieuses de choeur et de deux converses, mais leur ignorance avait vite corrompu l'observance : la supérieure interdisait toute lecture aux moniales et ne leur concédait d'autre livre que le crucifix. Sur le conseil de Dom Quinet, Mme de Mouÿ fit appel à Mère Mectilde. En contrepartie, elle aiderait à la restauration de Rambervillers. La Mère Bernardine donna son accord, mais exigea que Mère Mectilde promît de ne jamais quitter son monastère de profession. Celle-ci s'y engagea par écrit le 23 mai 1647 et, le 28 juin suivant, arriva à Caen en qualité de prieure. La communauté était fort divisée : la fermeté de la supérieure, tempérée par une infinie douceur, finit par lui gagner l'affection des plus récalcitrantes.

Son triennat achevé, le 28 août 1650, Mère Mectilde revint à Rambervillers où on la rappelait. Grâce aux largesses de Mme de Mouÿ la maison était florissante, mais la guerre se ralluma bientôt avec la Fronde et la lutte contre l'Espagne, à laquelle s'était rallié le fantasque Charles IV. Entré en Lorraine sur ordre de Turenne, alors passé dans le camp espagnol, le comte de Lignéville envoya des Hessois qui pénétrèrent dans le monastère de Rambervillers sous prétexte que des bourgeois du lieu pouvaient s'y dissimuler. Puis sévirent les Français du duc de La Ferté. Ils reprirent la ville, soupçonnée d'être favorable à Charles IV et l'accablèrent de contributions. La misère devint plus effroyable qu'au temps de l'invasion suédoise. Suspectes à M. de La Ferté à cause de leurs liens avec le colonel Lhuylier, Mère Mectilde et Mme Lhuylier durent s'exiler pendant deux mois en Alsace. Là, sur le conseil de Bernières, la Mère repartit pour Saint-Maur-des-Fossés, le ler mars 1651. Quatre jeunes religieuses l'accompagnaient, cependant que les six anciennes, dont Mère Bernardine, restaient à Rambervillers, que prirent et reprirent plusieurs fois les belligérants.

Paris était alors en pleine révolte. N'ayant pu atteindre Saint-Maur, Mère Mectilde et ses soeurs entendaient la messe en l'église Saint-Nicolas-des-Champs, quand une pieuse paroissienne, Mme Butin, les remarqua. « N'êtes-vous pas religieuses ? demanda-t-elle. Que faites-vous ici ? » — « Nous sommes de pauvres religieuses de Lorraine, répondit la Mère, que les horreurs de la guerre ont forcé de quitter leur monastère ; nous ne savons où aller. » — « Eh bien, venez chez moi », reprit leur interlocutrice. Quelques jours plus tard, Mère Mectilde apprit que les soeurs de Saint-Maur s'étaient réfugiées rue du Bac, au faubourg Saint-Germain. Elle les rejoignit avec ses quatre moniales et elles se retrouvèrent au nombre de dix dans cet « hospice », un réduit qui n'était autre qu'une ancienne maison de prostitution. C'est là que va naître l'Institut de l'Adoration perpétuelle.

LA FONDATRICE DE L'INSTITUT DE L'ADORATION PERPÉTUELLE (1651-1662)

Tandis que Paris s'agitait, que Condé, allié à l'Espagne en 1651, soulevait le Midi et allait battre l'armée royale sur la Loire en avril 1652, avant de s'enfermer dans la capitale, où la Grande Mademoiselle fera tirer le canon de la Bastille contre les assiégeants fidèles à la Régente, les religieuses lorraines vivaient dans le pire dénuement. Pour subsister, elles en arrivèrent à vendre leurs effets et leurs pauvres meubles. Elles ne disposaient pas même d'une botte de paille pour dormir. Mère Mectilde, quant à elle, songeait à s'exiler à la Sainte-Baume afin d'y mener la vie érémitique, mais, dans la nuit de Pâques de 1651, une voix intérieure lui prescrivit : « Renonce, adore et te soumets à mes desseins ». Un jour que le pain manquait, la communauté s'agenouilla pour réciter le Pater. Un instant plus tard, arriva à la maison du Bon Ami M. de Margueil, qui, ému devant tant de misère, parla des religieuses à leur compatriote Marguerite de Lorraine, duchesse d'Orléans. Cette princesse, soeur de Charles IV, était, depuis 1631, l'épouse de Gaston d'Orléans frère de Louis XIII. Quand Mère Mectilde tomba dangereusement malade, Margueil lui envoya le médecin de la Maison d'Orléans. Celui-ci brossa à la princesse et à son entourage un tel tableau de la pitoyable détresse des religieuses que plusieurs dames arrivèrent pour les aider : la marquise de Boves, la marquise de Cessac, Mme Mangot, femme d'un maître des requêtes, la présidente de Herce et surtout Marie de La Guesle, comtesse de Châteauvieux. Entre cette pieuse dame et Mère Mectilde devait naître une indéfectible amitié. De cette mondaine, la Mère réussit à faire une âme d'une vie intérieure des plus intenses. Cependant que la comtesse gardera précieusement les lettres que lui adressa la moniale. Elle en donnera l'essentiel dans un recueil qu'elle appelait son bréviaire, que diffusèrent de nombreuses copies.

De son côté, le père Bonnefonds, ce jésuite qui avait naguère trouvé la maison de Saint-Maur, prêcha en faveur des religieuses et recueillit une somme assez considérable, tandis que l'évêque de Babylone, leur voisin, les fit connaître aux paroissiens de Saint-Sulpice, dont elles reçurent un secours efficace. L'avenir matériel de la petite communauté était assuré.

C'est alors que l'abbé Gontier, trésorier de la Sainte-Chapelle de Dijon et vicaire général de Langres où il institua l'amende honorable au Saint Sacrement, incita Mère Mectilde à établir l'adoration perpétuelle. Sans penser aucunement à créer une congrégation nouvelle, elle en parla aux nobles dames devenues ses amies. Elles approuvèrent ce dessein et promirent leur concours financier. Une condition essentielle : renoncer à Rambervillers, son monastère de profession, et rester toujours auprès d'elles à Paris.

L'établissement d'une maison voire d'une congrégation vouée spécialement à l'adoration de l'hostie et à la réparation des sacrilèges commis à son égard, tant par les Huguenots ou les libertins que par les sorciers qui en abusaient dans leurs opérations magiques, hantait alors bien des âmes pieuses. En 1625, Jeanne Chezard de Matel avait fondé l'Institut du Verbe incarné, destiné en premier chef à honorer le sacrement de l'autel. A Avignon, en 1632, M. d'Authier avait, dans la même Intention, crée une congrégation de prêtres. A Marseille, en 1639, le dominicain Antoine le Quieu avait inauguré l'Institut de l'Adoration perpétuelle. A Paris, Condren, supérieur de l’Oratoire, avait demandé à M. Olier de faire du séminaire de Saint-Sulpice, établi en 1642, une société d'adorateurs du Saint Sacrement. Et il était à l'origine de la fameuse Compagnie du Saint-Sacrement. De son côté, Port-Royal avait, en 1633, voué à l'adoration perpétuelle une maison sise à Paris, rue Coquillière. Ce couvent, Zamet, évêque de Langres, l'avait confié à la Mère Angélique Arnauld, mais, dès 1638, celle-ci regagnait la vallée de Chevreuse. Les Messieurs voulurent renouveler cette tentative en 1652 au faubourg Saint-Marcel et songèrent à Mère Mectilde pour diriger le monastère. Hostile au jansénisme, elle refusa. Port-Royal la priva désormais de toute aumône et multiplia contre elle de sournoises attaques.

Cependant, dès 1633, Barbe, une humble servante que dirigeait Condren, avait prédit : « Le temps viendra qu'il y aura des religieuses tout appliquées à adorer le très Saint Sacrement. » Et M. de Renty « Bientôt viendra un institut de religieuses qui seront entièrement appliquées au culte du Saint Sacrement : ce seront des âmes d'élite. » Enfin, à Paris, Marie de Gournay, veuve de David Rousseau, un des principaux marchands de vin de la capitale, avait, après une vision, assigné sa mission au futur institut et ajouté : « Et voilà le travail de ma servante Catherine ! »

Mère Mectilde, pour son compte, n'avait cessé, depuis sa tendre enfance, de témoigner de la plus vive piété eucharistique. Combien l'avaient bouleversée les sacrilèges commis envers elle durant la guerre de Trente Ans ! Et le père Chrysostôme, comme Jean de Bernières, l'avait encouragée dans cette dévotion.

Elle venait de décliner la direction d'un couvent où l'on regrouperait les nombreuses religieuses qui erraient et mendiaient dans Paris, y travaillaient chez des particuliers ou vivaient dans leur famille. D'autre part, les soeurs de Rambervillers et les supérieures de Lorraine exigeaient qu'elle ne se séparât sous aucun prétexte de son monastère de profession. Mme de Châteauvieux, pour la retenir près d'elle, proposa d'installer dans la capitale un « hospice » dépendant de Rambervillers, mais qui aurait pour objet l'adoration perpétuelle. Mère Mectilde accepta d'y résider, mais comme simple religieuse, la supérieure en étant Mère Saint-Jean, de l'abbaye de Montmartre. Celle-ci échoua au bout de six semaines et, après son départ, Mère Mectile consentit à la remplacer. Mme de Châteauvieux demanda des lettres patentes à M. Molé, garde des Sceaux, pour l'établissement d'un nouveau couvent à Paris et, sur l'invitation de celui-ci, signa un contrat de fondation le 14 août 1652. La comtesse, Mesdames de Boves, de Cessac et Mangot s'engageaient à verser ensemble 31 000 livres pour créer un monastère de bénédictines réformées qui « seraient incessamment occupées de l'adoration perpétuelle du très Saint Sacrement, en sorte qu'il y eût toujours une religieuse en adoration. »

Restait à obtenir l'autorisation des supérieurs ecclésiastiques, et d'abord de l'abbé de Saint-Germain-des-Prés, le duc de Verneuil, évêque de Metz. Celui-ci voulut qu'on en référât à la Régente, Anne d'Autriche. La Fronde était alors à son paroxysme et, le 2 juillet 1652, les troupes royales avaient dû battre en retraite au faubourg Saint-Antoine. Inquiète, la reine demanda à M. Picoté, prêtre de Saint-Sulpice, de faire un voeu propre à rétablir la paix dans le royaume. Le sulpicien ne connaissait ni Mère Mectilde, ni Mme de Châteauvieux. Mais, ému par les profanations qui accompagnaient la révolte, il promit d'ériger un monastère exclusivement consacré à l'Eucharistie et à la réparation des outrages infligés à ce mystère. Le même mois, le royaume revint dans l'obéissance et, le 21 octobre 1652, Louis XIV entra triomphalement à Paris. Sur les entrefaites, M. Picoté connut le projet de Mère Mectilde et, le 8 décembre, au Val-de-Grâce, en parla à la Régente. Anne d'Autriche accorda l'autorisation. M. de Verneuil renvoya alors l'affaire à son vicaire général, Dom Roussel, prieur de Saint-Germain-des- Prés.

C'était un moine austère mais têtu : il ne voulait pas de nouveaux couvents qui végéteraient dans une indigence nuisible à l'observance. Il multiplia les exigences : il fallait acheter un terrain pour édifier le monastère, on devait recueillir des fonds bien plus importants pour l'entretien de cinq religieuses. Mme de Châteauvieux, une fois de plus, promît de l'argent et obtint du rigide prieur l'autorisation d'exposer le Saint Sacrement dans l'oratoire de la rue du Bac. Le 25 mars 1653, en la fête de l'Annonciation, eut lieu la première exposition. L'Institut regarde ce jour comme la première solennité de l'adoration perpétuelle.

De son côté, en Lorraine, Dom de l'Escale arracha, non sans peine, à l'évêque de Toul et aux religieuses de Rambervillers la permission, pour Mère Mectilde, de s'installer à Paris.

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Mme de Châteauvieux, elle, obtint des lettres patentes du roi en mai 1653, mais l'Hôtel de Ville n'agréa l'établissement que le 8 juillet. Enfin, au début de novembre, la communauté, à l'étroit rue du Bac, se transporta rue Férou, dans le même quartier, en une plus vaste demeure, propriété de la comtesse de Rochefort.

Dom Roussel revint encore à la charge : les fondatrices devaient verser au plus vite l'argent promis, sinon il refuserait la clôture et renverrait les nonnes en Lorraine. Mme de Châteauvieux intervint encore en faveur de ses chères bénédictines. Le jeudi 12 mars 1654, Dom Roussel, qui venait visiter la maison et les sept religieuses, se résigna à établir la clôture, à fixer la croix sur la porte d'entrée et à exposer le Saint Sacrement. Un carme des Billettes, le père Léon, prononça le sermon et, au salut solennel, Anne d'Autriche, agenouillée devant l'autel, un flambeau à la main et corde au cou, lut l'acte de réparation. A partir de ce moment, débuta l'adoration perpétuelle et les moniales prirent le nom de Filles du Saint-Sacrement. Au soir de ce 12 mars, Mère Mectilde se consacra par écrit à ce divin mystère.

Dès lors, Dom Roussel se montra très bienveillant à l'égard du jeune établissement, qui était surtout l'oeuvre de la comtesse et du comte de Châteauvieux. Le prieur ordonna qu'à l'avenir l'hostie serait exposée tous les jeudis depuis la grand-messe jusqu'au salut, où l'on prononcerait une amende honorable pour les outrages infligés au sacrement de l'autel. Réparatrices et victimes à l'exemple du Christ, les religieuses observeraient strictement la Règle de saint Benoît, mais solenniseraient spécialement la Circoncision, la fête de la Grande Réparation au jeudi de la Sexagésime, le jeudi saint et la Fête-Dieu.

Le 22 août 1654, Mère Mectilde proclama Marie seule abbesse et supérieure perpétuelle de l'Institut. Délégué par le prieur de Saint-Germain, M. Picoté bénit la statue de la Vierge tenant son Enfant sur le bras gauche et une crosse dans la main droite. Le lendemain, la Mère plaça l'image de Notre-Dame dans tous les lieux réguliers, afin qu'elle présidât en quelque sorte à tous les exercices. Au réfectoire, matin et soir, lui serait offerte la première portion, qu'on donnerait ensuite aux pauvres. Les fêtes de la Vierge seraient célébrées avec éclat, tandis que des prières étaient instituées à la gloire de son Sacré-Coeur et de son Immaculée Conception. Bref, si elle visait à ce que ses Filles fussent d'abord des victimes de réparation à la gloire du Christ insulté dans le sacrement de l'autel, elle voulait qu'elles s'offrent et s'immolent par l'entremise de Marie.

La maison était à peine installée que la fondatrice fut l'objet d'odieuses calomnies et d'injures sans nombre. Elle résolut de ne jamais se justifier, de ne jamais se plaindre, mais de redoubler de douceur et d'humilité. Voici un exemple entre cent des persécutions qu'elle subit. Un beau jour se présenta une soi-disant princesse étrangère qui sollicita son entrée au couvent. Elle allait apporter ses innombrables malles, bref de quoi meubler tout le monastère. Au dernier moment, la prieure subodora la ruse : la princesse n'était qu'un individu déguisé en femme et ses caisses étaient farcies de gens armés qui se proposaient de saccager le logis. Un instant découragée, Mère Mectilde allait abandonner la direction de l'Institut. MM. Vincent, Olier et Boudon lui enjoignirent de tenir ferme.

La demeure de la rue Férou n'avait nullement été conçue pour servir de monastère. M. Picoté invitait la Mère à construire un authentique couvent et lui signala un vaste terrain libre en bordure de la rue Cassette. Elle s'y rendit avec Mme de Châteauvieux et planta un bâton en terre : « C'est donc ici, prononça-t-elle, que le Seigneur sera loué et adoré ». La comtesse notera que c'était l'endroit exact que l'architecte choisit plus tard pour édifier l'église.

A la suite d'une fluxion de poitrine, en avril 1657, Mère Mectilde dut se rendre aux eaux de Plombières, qu'elle jugea d'ailleurs « bien vilaines et bien puantes ». En route, elle fit halte à Nancy, chez les soeurs de la Congrégation de Notre-Dame où vivaient ses deux nièces, puis à Rambervillers, où elle proposa aux moniales de s'agréger à l'Institut, enfin à Épinal où elle secourut les annonciades.

En janvier 1658, toujours avec l'aide de Mme de Châteauvieux, elle acquit pour 25 000 livres le terrain de la rue Cassette, et l'architecte Gitard, celui-là même qui travailla à l'église Saint-Sulpice, établit un devis de 39 000 livres pour la construction du monastère. On commença par l'église. Mère

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Mectilde désirait faire poser les premières pierres par trois pauvres représentant la Sainte Famille. Finalement, au jour de l'Ascension, le comte de Châteauvieux scella la première pierre au nom de saint Joseph, la comtesse et son petit-fils, figurèrent la Vierge et l'Enfant Jésus pour la pose de la deuxième et de la troisième. Le 21 mars 1659, en la fête de saint Benoît, les religieuses prirent possession de leur nouveau domicile, que bénit, le 25 mars, M. de Maupas, évêque du Puy. La communauté comprenait alors dix-huit professes et trois novices.

Cependant, les cordeliers ne cessaient de revendiquer la fondatrice comme une de leurs Filles : elle était passée à l'ordre bénédictin sans autorisation romaine ; tous ses actes pouvaient donc paraître illicites, voire invalides, et son monastère appartenait aux annonciades. En juin 1659, Mère Mectilde chargea le frère Luc de Bray, pénitent de saint François, d'obtenir à Rome la confirmation de son changement d'ordre et l'approbation de sa fondation. Par bref du 20 septembre 1660, Alexandre VII agréa la requête et, le 26 juin 1662, des lettres patentes autorisèrent la publication de ce document. Le provincial des cordeliers s'inclina.

LES DÉBUTS D'UNE CONGRÉGATION (1661-1698)

En 1661, la santé de Mère Mectilde s'était si sérieusement altérée à la suite d'une hydropisie aux jambes que l'on désespéra pour sa vie. On manda le président Gobelin, expert à soigner ce genre d'affection, qui imposa une cure. Avant de l'entreprendre, la patiente demanda un répit afin de suivre une retraite de six semaines, depuis le 21 novembre, fête de la Présentation de la Vierge, jusqu'à l'Épiphanie de 1662. C'est alors qu'elle esquissa les dix-neuf chapitres d'un ouvrage qui, résumé de toute sa spiritualité, s'intitula : Le véritable esprit des religieuses adoratrices perpétuelles du Saint Sacrement. Ses moniales l'éditeront en 1683.

A cette époque, pour affermir son institut encore embryonnaire, elle conçut l'idée d'établir une véritable congrégation. Dom Ignace Philibert, nouveau prieur de Saint-Germain et supérieur de l'institut, l'encouragea, ainsi que Dom Audebert, supérieur général des mauristes, Dom Brachet, son assistant, et l'abbé de Citeaux. Mais, ajoutèrent-ils, le Saint-Siège ne donnerait son approbation que si deux ou trois monastères s'agrégeaient à celui de la rue Cassette. Le 10 mars 1662, Mme de Châteauvieux offrit 12 000 livres pour la fondation d'une seconde maison. La donatrice allait prendre l'habit bénédictin dix jours plus tard, sans toutefois devenir religieuse. En 1675, la comtesse de Rochefort, mère de l'archevêque d'Auch, s'affiliera à son tour à la congrégation. Quant au comte de Château-vieux, il s'éteignit pieusement le 6 novembre 1662. Mère Mectilde avait passé deux jours à son chevet pour le préparer à l'éternité.

Fondation de Toul (1664)

Plusieurs évêques réclamaient des Filles du Saint-Sacrement, mais les divers projets échouèrent. C'est alors que la Mère se sentit intérieurement poussée à fonder une maison à Toul. Elle s'adressa à M. du Saussay, l'évêque du lieu, jadis supérieur de Saint-Maur-des-Fossés. En mars 1664, il obtint l'autorisation de la ville et, à la prière d'Anne d'Autriche, Louis XIV concéda des lettres patentes. Mère Mectilde arriva à Toul le 24 septembre et fut accueillie entre autres par Mlle Charbonnier, future religieuse du Saint-Sacrement. L'oncle de celle-ci, lieutenant-général de Metz, ouvrit sa maison à la fondatrice, mais le chapitre de la collégiale Saint-Gengoult s'y opposa : le logis se trouvait sur un territoire soumis à sa juridiction. L'abbé d'Étival apaisa l'ire canoniale. On finit par s'installer chez M. du Barail, lieutenant du roi, et le nouveau couvent fut béni le 7 décembre 1664. En janvier suivant, la Mère regagna Paris, après avoir confié le monastère à Mère Bernardine de la Conception.

Divers sacrilèges émurent alors la fondatrice. Le 10 avril 1665, chez les religieuses du Chasse-Midi, mitoyennes de la rue Cassette, des malfaiteurs avaient, en plein jour, forcé le tabernacle, volé le ciboire et jeté les hosties sur l'autel. Mère Mectilde acheta un nouveau ciboire, que ses Filles accompagnèrent en procession chez leurs voisines, corde au cou et cierge à la main, tout en psalmodiant le Miserere. Puis on lut l'amende honorable devant une foule considérable. Vers la

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même époque, on déroba trois ciboires et trois boîtes d'hosties à Saint-Sulpice et, l'année suivante, un ciboire chez les Filles de l'Ave Maria.

A la fin de 1665, la duchesse douairière d'Orléans, posa la première pierre d'un nouveau corps de logis, rue Cassette.

Agrégation de Rambervillers (1666)

Mère Mectilde se souciait d'affilier une troisième maison à son institut. Elle songea à Rambervillers, dont la prieure était Mère Benoîte de la Passion, mais elle se heurta à un groupe d'opposantes, dont la plus farouche était la Mère Scolastique Gérard. S'étant fracturé le crâne en des circonstances singulières, celle-ci changea brusquement d'attitude, et sa conversion entraîna les autres récalcitrantes. Le 29 avril 1666, Mère Mectilde avait la joie d'agréger son monastère de profession.

Le cardinal de Vendôme approuve la Congrégation (1668)

Depuis l'installation à la rue Cassette, en 1659, la fondatrice souhaitait que le Saint-Siège approuvât son institut. Plusieurs évêques plaidèrent en sa faveur. Mais éclata le différend entre la France et Rome, à la suite de bagarres entre la garde corse pontificale et les gens de notre ambassadeur, le duc de Créquy. Louis XIV saisit le Comtat et expédia des troupes en Italie. Alexandre VII s'inclina au traité de Pise (12 février 1664) et son neveu, le cardinal Chigi, vint présenter d'humbles excuses au Roi-Soleil.

Mère Mectilde jugea le moment d'autant plus délicat pour présenter sa requête à l'envoyé du pape que les synodes et les conciles provinciaux proscrivaient depuis une vingtaine d'années l'exposition fréquente du Saint Sacrement. Par bref du 11 août 1664, Chigi permit de célébrer l'office du Saint Sacrement tous les jeudis. Pour l'approbation de l'Institut lui-même, il renvoyait à la Congrégation romaine des Evêques et Réguliers.

Anne d'Autriche sollicita Alexandre VII à ce sujet, mais elle trépassa le 20 janvier 1666. Marie-Thérèse et la duchesse douairière d'Orléans intervinrent à leur tour, mais le pontife rendit l'âme le 22 mai 1667. Louis XIV avait demandé à Clément IX, le nouveau pape, d'être le parrain du dauphin. Le Souverain Pontife envoya alors comme légat en France le cardinal Louis de Vendôme, muni des pouvoirs les plus étendus. Le 29 mai 1668, le prélat approuva la Congrégation de l'Adoration perpétuelle, dont la maison-mère serait le monastère de la rue Cassette. Le 8 octobre 1669, M. Hardouin de Péréfixe, archevêque de Paris, approuva la bulle du cardinal de Vendôme et accepta d'être le premier supérieur de la nouvelle congrégation. En juillet 1670, le Roi délivra des lettres patentes entérinant la décision du cardinal et décernant à l'Institut le titre de fondation royale.

Agrégation de Notre-Dame de Consolation, à Nancy (1669)

Depuis 1651, Mère Mectilde connaissait la duchesse d'Orléans. Bientôt, elle dirigea sa compatriote avec une fermeté qui n'excluait pas la délicatesse : elle lui imposait un quart d'heure d'oraison quotidienne, lui suggérait des thèmes de méditation pour les fêtes, l'exhortait à la fréquente communion, la consolait dans ses épreuves. La duchesse conçut même le projet d'entrer en religion, mais sa mauvaise santé l'en empêcha. Du moins, c'est à cette princesse lorraine qu'est due l'agrégation du monastère de Nancy, où elle avait été élevée.

Fondé en 1624 par sa parente, Catherine de Lorraine, abbesse de Remiremont, l'abbaye de Notre-Dame de Consolation était tombée dans la misère. Mère Mectilde hésitait à l'accepter quand, le 25 avril 1667, la grosse cloche s'écrasa au sol. On lut sur le bronze : « Loué et adoré à jamais soit le très Saint Sacrement de l'autel ! » La Mère vit là un signe du ciel et, le 8 avril 1669, agrégea le monastère à l'Institut. Elle y plaça huit religieuses de Paris ou de Toul pour former les anciennes aux pratiques de l'adoration perpétuelle et rentra à Paris le 18 juillet, après avoir rendu visite au cardinal de Retz, en son château de Commercy. Quelques jours plus tôt, on avait déposé dans la chapelle de la Vierge, rue Cassette, tout près du sépulcre de M. de Châteauvieux, le coeur de sa fille, la duchesse de La Vieuville.

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Les Constitutions de l'Institut (1675)

Dès qu'elle eut résolu de fonder une congrégation, Mère Mectilde avait demandé à Dom Philibert d'en rédiger les Constitutions. Il achevait son travail, inspiré par les normes suivies par les Mauristes, quand il mourut, en 1667. De son côté, elle mit en chantier un Cérémonial, où se manifeste son amour pour l'office divin et, en 1668, elle en publia la première partie, qui traite de la vêture et de la profession. La même année, elle fit approuver par le cardinal de Vendôme le Propre des fêtes et offices de la Congrégation et, la première, obtint qu'on célébrât la fête du Saint Coeur de Marie, fixée au 8 février. En outre, elle se fit la propagatrice de cette dévotion, sans doute à la suggestion de saint Jean Eudes. M. Nivers, organiste du Roi, composa la musique des nouveaux offices.

Cependant, les religieuses ne trouvaient pas dans l'oeuvre de Dom Philibert l'esprit de sacrifice et d'anéantissement sur lequel insistait sans relâche la fondatrice. A leur demande, Mère Mectilde retoucha les Constitutions de 1673 à 1675 et, après les avoir présentées aux moniales, les fera imprimer en 1677.

Les épreuves néanmoins s'abattaient sur elle. Elle perdait notamment ses plus fidèles amies : la duchesse d'Orléans, morte le 3 avril 1672, Madame de Châteauvieux, qu'une embolie, le 8 mars 1674, foudroya dans la cellule de Mère Mectilde. La comtesse expirante n'eut que le temps de s'écrier : « Jésus ! Jésus ! » La fondatrice elle-même, à la fin de 1675, reçut le viatique des mains de l'abbé d'Étival. Alors qu'on attendait son dernier soupir, il lui sembla qu'elle comparaissait devant le tribunal de Dieu. Soudain, le 8 décembre, en la fête de l'Immaculée Conception, elle retrouva la santé.

Un an plus tard, elle savourait enfin une immense joie. Par la bulle Militantis Ecclesiae, datée du 10 décembre 1676, Innocent XI, confirmant l'acte du cardinal de Vendôme, érigeait en congrégation les monastères de l'adoration perpétuelle et les exemptait de toute juridiction épiscopale. Néanmoins, le 3 juillet 1696, Innocent XII devait les replacer sous l'autorité des évêques.

[Photos omises]

Fondation de Rouen (1676-1678)

Le document papal arrivait alors que Mère Mectilde connaissait de nouveaux tracas avec la fondation de Rouen. Des lettres patentes avaient été délivrées pour cette maison dès 1663, mais Madame de Châteauvieux avait désapprouvé cette création. Or, en janvier 1676, la Mère crut voir en songe la défunte comtesse qui la pressait d'établir l'adoration perpétuelle dans la seconde ville du royaume. Pourvue de l'argent nécessaire, la fondatrice acquit un peu à la légère un vieux couvent dont se débarrassait Madame Colbert, soeur du ministre et abbesse de Saint-Louis de Rouen. Quand elle arriva en cette cité en mars 1677, Mère Mectilde s'aperçut que la vétuste masure, hantée par les rats, était inhabitable. Elle dut dénicher un autre logis où, sous la direction de la sous-prieure, Mère Anne du Saint-Sacrement Loyseau, s'organisa la vie conventuelle. Le 1er novembre 1677, débuta l'adoration perpétuelle et, le 4 du même mois, on exposa le Saint Sacrement au milieu d'un grand concours de peuple. La fondatrice consacra le monastère à l'Immaculée Conception et, le 8 décembre, y fit reconnaître la Vierge comme abbesse perpétuelle. Après avoir séjourné quatre mois à Rouen, elle regagna Paris le 8 février 1678. Elle laissait cinq consignes à ses moniales : garder un silence inviolable qui porte à une sainte présence de Dieu et à un parfait recueillement ; observer ponctuellement la Règle ; obéir sans réserve ; se faire petites et humbles, persuadées qu'on n'est que poussière ; s'ouvrir enfin sincèrement à la supérieure, en qui on verra Dieu lui-même. Le 26 juin 1684, les bénédictines se transporteront en l'Hôtel de Mathan, édifié dans l'enceinte du château de Philippe Auguste, où Jeanne d'Arc avait été incarcérée. Depuis 1681, la maison était sagement gouvernée par la Mère Françoise de sainte Thérèse du Tiercent du Ruellan.

Fondation d'un second monastère à Paris (1684)

En 1 6 74, alors que la guerre avait repris en Lorraine, Mère Mectilde avait fait venir à Paris des jeunes religieuses de Toul, qu'elle destinait à la fondation de Dreux. Le projet ayant échoué, l'archevêque de Paris, Harlay de Champvallon, demanda la création d'un second monastère dans la capitale.

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D'abord installées rue Monsieur, puis, vers 1680, rue Saint-Marc, près de la porte Richelieu, les moniales lorraines se fixèrent en 1684, rue Neuve-Saint-Louis, au Marais, en l'Hôtel de Turenne, que leur avait cédé la duchesse d'Aiguillon. L'année suivante, Mère Marie de Saint-François de Paule — dans le monde, Mademoiselle Charbonnier — remplaça Mère Bernardine de la Conception comme prieure de ce couvent.

Agrégation du Bon-Secours de Caen (1685)

La fondatrice entretenait toujours des rapports avec les monastères de Caen. Lors de son séjour à Rouen, elle avait reçu les Dames de Blémur, religieuses de la Trinité, dont la Mère de Saint-Benoit, auteur d'une excellente Année bénédictine. Elle pensait les envoyer à la maison de Châtillon que souhaitait ouvrir leur parente, la princesse de Mecklembourg. Ce dessein n'ayant pu alors se réaliser, les deux moniales vécurent jusqu'à leur mort à la rue Cassette.

Mère Mectilde correspondait aussi avec la Mère Catherine de Jésus, fille du seigneur de la Bernardière et, depuis 1675, prieure à Caen de Notre-Dame du Bon-Secours. Elle et ses religieuses souhaitaient s'engager dans l'adoration perpétuelle. Elles furent exaucées le ler juin 1684. Le 30 septembre suivant, devant l'évêque de Bayeux, M. de Nesmond, elles prononcèrent les voeux de l'Institut.

Fondation de Varsovie (1687-1688)

Pendant que son mari, Jean III Sobieski, guerroyait contre les Turcs, sur lesquels il devait remporter à Vienne, en 1683, une éclatante victoire, Marie-Casimire, reine de Pologne, promit à Dieu d'établir dans sa capitale un monastère d'adoratrices. Elle chargea sa soeur, la marquise de Béthune, et l'évêque de Beauvais d'en parler à Mère Mectilde, mais l'affaire traîna en longueur. Enfin, le 2 septembre 1687, douze religieuses de la rue Cassette s'embarquèrent à Rouen pour aborder à Dantzig le 4 octobre. A Varsovie, la reine les installa provisoirement dans son palais où, le ler janvier 1688, commença l'adoration perpétuelle. Le 27 juin, elles prirent possession de leur monastère définitif sous la direction de Mère de la Présentation de Beauvais. Celle-ci, à son retour en France, sera reçue par Louis XIV, qui, en son honneur, fera jouer les grandes eaux de Versailles.

Fondations de Châtillon (1688) et de Dreux (1696)

La princesse de Mecklembourg — une Montmorency — ne cessait de harceler Mère Mectilde afin qu'elle créât un monastère dans son duché de Châtillon-sur-Loing, alors au diocèse de Sens. Dès le 31 août 1677, la princesse avait obtenu les lettres patentes du roi. A peine remise d'une attaque d'apoplexie, la fondatrice se rendit sur place en 1688 et, le 21 octobre suivant, présida à la bénédiction du couvent.

A Dreux aussi, les obstacles s'aplanirent. On acheta une maison en 1695 et, le 23 février 1696, se déroula la première exposition du Saint Sacrement. Toutefois, les lettres patentes, délivrées en 1701, ne furent homologuées que trois ans plus tard.

La fin d'une sainte vie (avril 1698)

Les incessants tracas que donnaient à Mère Mectilde l'implantation et la surveillance de ces monastères s'accompagnaient pour cette grande âme vouée à l'état de victime d'humiliations et de souffrances continuelles. Certes, elle bénéficiait de fidèles amitiés et de puissants soutiens, tel celui de Madame d'Aiguillon, nièce de Richelieu. Et Marie d'Este, épouse de Jacques II d'Angleterre, détrôné par son gendre Guillaume d'Orange, vint à la rue Cassette en 1688 pour demander son affiliation à l'Institut. Mais aux ennuis qui l'assaillaient du dehors s'ajoutaient les infirmités de l'âge et les chagrins que lui causaient parfois ses propres filles. Ainsi, la belle-soeur d'une religieuse de son propre monastère n'hésita pas à la traîner devant les tribunaux pour obtenir restitution d'une forte somme que la Mère avait, disait-elle, extorquée à son mari défunt. La religieuse prit, hélas, le parti de sa belle-soeur. Durant plusieurs années, ce fut pour l'honnête et scrupuleuse fondatrice une cruelle écharde qui la fit beaucoup gémir.

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Malgré tout, elle ne cessait d'encourager ses moniales à progresser dans leur vocation de victimes et d'adoratrices, abandonnées sans réserve à la Providence.

En février 1698, elle annonça sa mort prochaine. Elle n'en assista pas moins à tous les offices du carême et de la semaine sainte. Le mardi de Pâques, elle se traîna jusqu'à l'oratoire dédié, dans le jardin, à la Vierge afin de lui confier ses religieuses. Le jeudi suivant, en proie à une fièvre violente accompagnée de vomissements, elle ne put descendre à l'église. Elle reçut les derniers sacrements et, le lendemain, se confessa encore au père Paulin, pénitent de Saint-François. Le dimanche de Quasimodo, 6 avril 1698, elle reçut une dernière fois l'hostie : « J'adore et me soumets », prononça-t-elle. Et elle recommanda une dernière fois à ses filles de se jeter avec confiance dans les bras de la Sainte Vierge. A deux heures de l'après-midi, elle s'éteignit paisiblement, à l'âge de quatre-vingt-trois ans, trois mois et six jours. Un masque mortuaire émouvant nous permet, aujourd'hui encore, d'admirer la sublime noblesse de ses traits.

On exposa dans le choeur sa dépouille mortelle. Le lendemain, après le premier service funèbre, où officièrent les bénédictins de Saint-Germain-des-Près, on l'inhuma dans l'église qu'elle avait édifiée. Puis les cordeliers célébrèrent le deuxième service et les prémontrés vinrent chanter le troisième. Un mois plus tard, Mère Anne du Saint-Sacrement succédait à Mère Mectilde.

Avec quelle joie n'eût-elle pas présidé à la fondation d'un monastère à Rome même ! Le 6 septembre 1702, six moniales quittaient la rue Saint-Louis et, dix jours plus tard, s'embarquaient à Marseille pour Livourne. Après une courte escale, elles prirent place sur les galères pontificales et abordèfent à Civita Vecchia. Arrivées à Rome le 6 octobre, elles furent présentées au pape au couvent de Sainte-Cécile du Transtévère. A la veille de la Fête-Dieu de 1703, Clément XI en personne leur rendit visite et, le ler août 1705, confirma les Constitutions de l'Institut, qu'avait déjà approuvées un an plus tôt la Congrégation des Évêques et Réguliers. L'autorité suprême de l'Église authentifiait, sinon la sainteté de la fondatrice, du moins l'excellence et la parfaite orthodoxie de son oeuvre.

MÈRE MECTILDE ET LES SOURCES DE SA SPIRITUALITÉ /1

1. Pour ce chapitre, nous nous sommes inspirées de la préface de Louis Cognet aux Écrits spirituels à la comtesse de Châteaurieux (1965), une causerie inédite donnée par le P. André Rayez, S.J., à Rouen-les-Essarts, le 5 mai 1977, sur la spiritualité du XVIIe siècle, où le conférencier étudiait les influences des divers auteurs de l'époque sur mère Mectilde, enfin d'un article de dom Jean Leclercq, Une école de spiritualité bénédictine datant du XVIIe siècle : les bénédictines de l'Adoration perpétuelle, in Studia Monastica, vol. 16, 1976, fasc. 2, Abadia di Montserrat, p. 433-452.

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Dans sa préface aux Écrits spirituels (de Mère Mectilde) à la comtesse de Châteauvieux, Louis Cognet voit, dans la fondatrice de l'Institut du Saint Sacrement, non seulement « une âme exceptionnelle, une personnalité hors de pair », mais aussi « un des grands auteurs spirituels de notre XVIIe siècle, digne de figurer aux côtés de Marie de l'Incarnation ». La publication récente d'une partie de ses lettres ne fait que confirmer ce jugement.

Cependant, elle n'a jamais cherché à forger une doctrine originale et systématique, se bornant à puiser aux diverses sources du puissant courant mystique qui a fait du XVIIe siècle le siècle d'or de la spiritualité en France, de même que l'âge antérieur avait été le siècle d'or du mysticisme espagnol. Mais la classification en écoles se révèle tout artificielle : en fait, il n'existait pas de cloisons étanches entre les diverses traditions spirituelles, qui, au surplus, utilisaient un vocabulaire commun. Et c'est ainsi que la tradition bénédictine ne fut nullement la seule à influencer Mère Mectilde, surtout dans la période itinérante de sa vie. En effet, elle a appartenu à des congrégations différentes, elle a sillonné la France depuis les confins de la Lorraine jusqu'à Paris-et jusqu'à la Manche, elle a rencontré des mystiques très divers : Marie de Beauvillier, l'abbé cistercien de Barbery, dom Louis Quinet, et surtout Jean de Bernières et dom Epiphane Lous. Ceux-ci, comme les autres, choisissaient les guides qui leur convenaient le mieux, notamment les grands Espagnols du XVIe siècle : Ignace de Loyola (+ 1552), Thérèse d'Avila

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(+ 1582), Jean de la Croix (+ 1591), ou encore l'Italien Philippe Neri (+ 1595) et, enfin, François de Sales (+1622). Mère Mectilde butinera autant chez ses contemporains que chez leurs modèles.

Tous, d'ailleurs, prônaient une contemplation christocentrique et une mystique eucharistique. Ces deux traits essentiels de l'école française se retrouvent chez notre fondatrice.

C'est le Moyen Age finissant qui était passé du Christ en gloire ou docteur au Christ enfant, puis travaillant, souffrant, mourant, et enfin vainqueur de la mort, au Christ, homme comme nous tous. Au XVIIe siècle ainsi qu'à l'époque médiévale, la dévotion se concentre notamment sur trois pôles : l'Enfance, la Passion et l'Eucharistie.

Mais la piété, dès la fin du Moyen Age, est surtout attirée par la Passion et les instruments de souffrance. C'est qu'alors et jusqu'au XVIIe siècle, la vie n'est tissée que d'épreuves, d'épidémies, de pestes et de famines. L'Homme-Dieu et l'homme pécheur se rencontrent : ainsi naissent le chemin de croix, les offices et les horloges de la Passion, les dévotions à la croix, aux plaies et au sang du Christ. Prédicateurs et mystiques, qu'il s'agisse de Tauler (+ 1361) de Gerson (+ 1429), de Gertrude (+ 1302), de Mectilde (+ 1299), de Catherine de Sienne (+ 1380), de l'auteur de l'Imitation, demandent au fidèle de pénétrer « dans l'intimité de Jésus, qui atteint le sommet dans l'amour de la croix ». « Pourquoi cette contemplation du Christ ? demande A. Kempis. Pour compatir, l'imiter, se conformer à lui. »

Cette « voie royale » se développe encore au XVIIe siècle, sous l'influence des mystiques espagnols, que cite souvent Mère Mectilde. En effet, Thérèse d'Avila (+ 1582), convertie par la scène de l'Ecce Homo, considère l'humanité du Christ comme le chemin de toute grâce dans le domaine de la foi et de la contemplation. Pour Jean de la Croix (+ 1591), à la mort du Christ doit répondre la mort et l'anéantissement de l'âme au sensible, voire au spirituel.

Des Espagnols procède en particulier Jean de Bernières (1602-1659), que Mère Mectilde rencontra souvent en Normandie entre 1642 et 1650. Elle le consultera quand elle songera à fonder son Institut et ne cessera d'entretenir avec lui des échanges spirituels. A Caen, ce laïc avait créé l'Hermitage, qui était à la fois le siège de toutes les oeuvres charitables de la ville, dont la Compagnie du Saint-Sacrement, inaugurée en 1630 par Gaston de Renty, une maison de retraite, un foyer de vie eucharistique et de doctrine spirituelle. Chef du mouvement mystique en Normandie, Bernières avait pour ami celui que Mère Mectilde appellera le « bon Père Eudes » (1601-1680), à qui elle restera toujours très attachée et à qui elle empruntera la dévotion aux Coeurs de Jésus et de Marie, ainsi que diverses prières. Le grand spirituel normand eut aussi pour disciples des personnalités comme Henri Boudon, archidiacre d'Evreux, et des prélats comme Lambert, évêque de Cochinchine, et François de Montmorency-Laval, évêque de Québec. Il enseignait le dégagement des créatures jusqu'à ce qu'il nommait « l'abjection », le « néant », la mort « mystique ». Il faut, disait-il à la suite de Chrysostôme de Saint-Lô — un familier de Mère Mectilde —, il faut « consentir à n'être rien ». Et sa devise que reprendra Boudon, était : « Dieu seul ! ». Telle était la doctrine que développe son ouvrage posthume : Le chrétien intérieur (1660).

Bernières a certainement parlé à Mère Mectilde de la célèbre Marie de l'Incarnation (+ 1672), qui s'embarqua à Dieppe pour la mission du Canada. Plusieurs de ses manifestations mystiques eurent lieu tandis qu'elle faisait oraison devant le Saint-Sacrement. Ainsi, à Dieppe, où elle se trouvait, en mai 1639, avec Bernières. Comme beaucoup de dévots du XVIIe siècle, elle se plaisait à prier devant l'hostie. Au surplus, les nombreuses lettres, longues de quinze à seize pages, qu'elle ne cessa d'envoyer à son ami caennais depuis la Nouvelle-France, ne traitaient d'ordinaire que de l'oraison.

A cette influence joignons celle du prémontré dom Epiphane Louys (1614-1682), abbé d'Etival, près de Rambervillers, depuis 1663. C'est pour nos bénédictines qu'il a écrit sur la mort mystique, la contemplation du simple regard, et l'adoration réparatrice du Saint-Sacrement. Ses oeuvres seront publiées avec le « privilège du Roi », concédé en 1671 à Mère Mectilde. Dans La Nature immolée par la grâce ou Pratique de la mort mystique... pour l'instruction et la conduite des religieuses consacrées à l'adoration perpétuelle du Saint-Sacrement (1674), l'abbé nous fait connaître la doctrine qui est la sienne et celle de la fondatrice. Christocentrique, sa spiritualité insiste sur l'adoration de l'hostie (« Vous êtes consacrées pour adorer [le Christ] en la divine Eucharistie »), sur la réparation (« Avec le Fils de Dieu réparateur..., il faut que nous soyons des victimes... [jusqu'à] la mort mystique ») et sur l'apostolat (« Souhaitez de pouvoir conquester (conquérir) les coeurs pour en faire un trophée à la « gloire de Jésus »). Cette « contemplation nous transforme en une belle image de Jésus-Christ ».

Émule de dom Louys, le récollet Archange Enguerrand (+ 1695), qui avait été le confesseur de Madame Guyon à Montargis vers 1668 et gardien du couvent de Saint-Denis de 1670 à 1672, dédia son Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement (1673 ; 4e édition 1702) à nos religieuses. Lui aussi leur assignait comme « mission » de faire « réparation d'honneur et amende honorable à Jésus-Christ sur les autels ».

Enfin, Mère Mectilde a dû feuilleter les très nombreux ouvrages qui, destinés aux simples fidèles ou aux personnes vouées à la contemplation, exposaient la doctrine soit de façon très accessible pour les premières soit de façon plus didactique et théologique pour les autres /2.

Toutes ces influences diffuses sont éclipsées chez Mère Mectilde par l'inspiration bénédictine. Certes, chez les annonciades, elle a d'abord connu la spiritualité rhéno-flamande que prônait notamment Benoit de Canfeld. Elle la retrouvera à Montmartre auprès de Marie de Beauvillier, dont Canfeld fut le directeur. On y insistait sur l'intériorité et la vie mystique.

2/. Voici quelques titres cités par le P. Rayez :

L'occupation intérieure pour les âmes associées à l'adoration perpétuelle du T.S. Sacrement de l'autel, 1651 (abrégé du manuel des religieuses adoratrices). J.J. Olier, La Journée chrétienne, 1655.

J. de Machault, Le Trésor des grands biens de la Sainte Eucharistie, 3 vol., 1661. H. Boudon, L'Amour de Jésus au T.S. Sacrement de l'autel, 1662.

J. de Machault, La Semaine dédiée à l'Eucharistie, 1667 (pour les associés).

A. Godeau, évêque de Vence, Méditations sur le T.S. Sacrement de l'autel pour servir à toutes les heures du jour et de la nuit aux adorateurs perpétuels de ce mystère, 1674.

E. Louys, Horloge pour l'adoration perpétuelle du T.S. Sacrement, 1674 (à la suite de La Vie sacrifiée et anéantie, p. 309 à 362.

J. Richard, curé de Triel, près de Pontoise, Pratiques de piété pour honorer le S. Sacrement, tirées de la doctrine des conciles et des Saints Pères, Cologne, 1683. Pratiques de piété pour honorer et adorer le Sacrement de l'autel, 1695.

Mais, au monastère de Rambervillers, Catherine s'était trouvée dans le rayonnement de la congrégation bénédictine de Saint-Vanne, dont le fondateur, Dom Didier de La Cour, avait eu pour disciple Dom Antoine de Lescale, qui, supérieur des religieuses, avait favorisé l'entrée de Catherine de Bar dans l'ordre de saint Benoît. Les trois piliers de la réforme vanniste, qu'avait adoptée Rambervillers, étaient le retour à la Règle pure, un soin particulier de l'étude et une digne célébration de l'office divin. A peine arrivée dans le faubourg Saint-Germain, Mère Mectilde reconnut ces mêmes normes chez les mauristes de l'abbaye voisine, issus de Saint-Vanne. Dom Ignace Philibert, prieur de Saint-Germain-des-Prés (1 1667), prit en mains les intérêts des bénédictines du Saint-Sacrement et « fit instituer une commission de douze membres, ... qui furent d'avis qu'une congrégation était absolument nécessaire pour faire subsister l'adoration perpétuelle et chargèrent la Mère Mectilde d'en rédiger les statuts ». Prié par la fondatrice de s'acquitter de cette tâche, dom Philibert les calqua sur ceux de Saint-Maur. Et ce fut lui sans doute qui suggéra une dévotion jadis en usage dans certains monastères : regarder la Vierge comme supérieure de l'Institut.

Un autre mauriste qui ne fut pas sans inspirer la jeune fondatrice, c'est Dom Claude Martin (+ 1696), par ailleurs dépositaire de la pensée et des expériences de sa mère, l'ursuline Marie de l'Incarnation. En 1686, Mère Mectilde fit imprimer pour ses Filles les Exercices spirituels ou Pratiques de la Règle de saint Benoit, livre qui n'est guère qu'une réédition de la Pratique de la Règle, publiée par Dom Martin en 1680. Cet ouvrage, déclare la fondatrice dans l'épître liminaire, c'est « la morale bénédictine... ; il pourrait nous conduire à la perfection de notre état ». Ainsi la préfacière attestait l'identité d'interprétation de la Règle chez les mauristes et chez les moniales. Enfin, en 1696, c'est Mabillon lui-même qui, au nom de Mère Mectilde, rédigea une longue lettre circulaire sur la mort de la Mère de Blémur, religieuse de la rue Cassette.

La spiritualité que l'Institut hérita des bénédictins présente trois caractères. D'abord un christocentrisme authentique, que Mère Mectilde discernait déjà chez le Patriarche des moines, qui avait voulu expirer devant l'autel, après avoir reçu son

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Dieu dans l'hostie. C'est ensuite un indéfectible attachement à la Règle, interprétée de la façon la plus stricte. Enfin, Mère Mectilde, imprégnée de la tradition de l'Ordre, a instinctivement retrouvé des pratiques en vigueur dans le monachisme médiéval : l'élection de Notre-Dame comme abbesse ; la dévotion à saint Jean, associé à Marie au pied de la croix ; la vêture ad succurrendum, qui permettait aux personnes du siècle de « mourir dans l'habit de l'Ordre » ; le symbolisme aussi de cet habit, signe de « vie cachée au monde et séparée du monde », en même temps que rappel de la mort du Christ.

Les bénédictins, comme les autres auteurs spirituels, ne faisaient que suivre la tradition constante de l'Église, qui, surtout depuis le XIIIe siècle, où fut instituée la solennité du Corps du Christ, n'avait cessé de développer le culte du Saint-Sacrement. Dès le XIVe siècle, s'était créé, près d'Assise, une congrégation cistercienne « del Corpo di Cristo ». Les reclus et les recluses du bas Moyen-Age, telle sainte Colette de Corbie (t 1477), se voulaient avant tout adorateurs de l'hostie. Et le quatrième livre de l'Imitation, le plus brillant fleuron du courant rhéno-flamand, célébrait la contemplation adoratrice du Saint-Sacrement. A la suite des mystiques espagnols du XVIe siècle et de François de Sales, les plus humbles fidèles du Grand Siècle devenaient de fervents adorateurs, à qui les Journées chrétiennes et les livres d'heures proposaient des thèmes de méditations eucharistiques. Enfin, pour riposter aux négations des réformés et réparer les profanations sacrilèges toujours plus nombreuses, des confréries s'étaient assigné pour but le culte de l'hostie. La plus célèbre fut la Compagnie du Saint-Sacrement (1630-1660) : « L'esprit de la Compagnie, lit-on dans ses Annales, c'est de s'unir à Jésus-Christ au Saint-Sacrement, pour, en sa grâce et en sa force, travailler en concours et en soumission à l'honorer et à le faire honorer partout ». A Paris, les confrères participaient en foule aux cérémonies eucharistiques, soit aux Billettes, soit à Saint-Nicolasdu-Chardonnet, ou enfin chez les Filles de l'Adoration perpétuelle, fondées en 1633 par Sébastien Zamet et Angélique Arnauld, mais dont l'existence fut éphémère.

C'est dans ce climat d'adoration réparatrice et sous les influences que nous venons d'étudier que s'est formée la doctrine spirituelle de Mère Mectilde et qu'est né l'Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement, qu'elle n'a cessé jusqu'à la fin d'animer de son esprit /3.

La formation de ses Filles fut, en effet, son constant souci. Elle les instruisait sans trêve par l'exemple, par les entretiens de chaque jour et par d'innombrables lettres, mais sans s'astreindre à composer un ouvrage suivi. En 1682, elle consentit à laisser publier anonymement le Véritable Esprit des religieuses adoratrices du Saint-Sacrement /4, approuvé par l'un de ses fa-

3. Il reste peu d'autographes de mère Mectilde. Le recueil le plus précieux, aux archives du monastère de Paris, contient 107 lettres, écrites de 1654 à 1698. La bibliothèque du grand séminaire d'Êvreux conserve 11 lettres à M. Boudon, et le monastère de Varsovie possède 10 autographes. Les autres manuscrits sont des copies, d'ailleurs très fidèles.

Et voici le classement des écrits subsistants :

— lettres aux religieuses : 2.000

— lettres à la comtesse de Châteauvieux : 260

— lettres à la duchesse d'Orléans : 112

— lettres à M. de Bernières : 137

— lettres à M. Boudon : 11

— lettres à Mme de Béthune, abbesse de Beaumont-les-Tours : 331.

— Lettres diverses (aux reines de France, de Pologne et d'Angleterre, aux évêques, abbesses et à d'autres personnes) : 169.

— Conférences et chapitres : 300.

— Entretiens familiers : 70.

— Écrits divers : 160.

Cette quantité d'écrits renouvelle le portrait de Mère Mectilde et permet de mieux apprécier l'élévation et la remarquable cohérence de sa pensée.

4. Outre le Véritable Esprit, édité en 1682, voici les quatre volumes parus récemment, qui nous offrent une partie des textes conservés dans les archives des monastères de l'Institut :

Catherine de Bar, Documents historiques et biographiques, (un volume de 334 pages avec héliogravures en hors texte). C'est une biographie de Mère Mectilde rédigée par une amie très intime qui était aussi sa collaboratrice. Ce manuscrit relate en outre les fondations jusqu'en 1670, date de la mort de la narratrice. Des pièces justificatives ont été jointes en annexe. Une centaine de pages reproduisent des textes de toute première importance pour comprendre l'esprit de la fondatrice. Ils ont été choisis par la narratrice, ce qui leur donne une plus grande valeur. Et ce n'est pas un choix factice, mais la façon dont l'oeuvre était comprise par les plus proches collaboratrices de la Mère Mectilde.

Un second volume : Catherine de Bar, Lettres inédites, lui fait suite (450 p. et de très nombreuses gravures). On distingue deux parties dans ce livre. D'abord des lettres à Marguerite de Lorraine, duchesse d'Orléans. Cette correspondance avec la belle-soeur de Louis XIII est d'une grande beauté spirituelle. La Mère n'hésite pas à entrainer sa correspondante vers les voies de l'oraison et de la sainteté. Elle lui fait goûter les mystères du Christ, célébrés tout au long de la liturgie. La deuxième partie est réservée aux monastères lorrains. Les Annales de la maison de Toul retracent avec réalisme et sans emphase les débuts très difficiles de ce monastère.

Les lettres adressées aux jeunes religieuses sont pleines de compréhension et d'ensei-45

miliers, le jésuite Guilloré (1615-.1684), et qui exprime ses vues sur l'Institut. Les premières pages insistent sur l'état de victime où doivent entrer les âmes vouées à l'Eucharistie. Des formules rappellent celles de Condren : « Elles sont victimes de Jésus fait sacrement, pour, en s'immolant elles-mêmes, rendre un hommage infini, si c'était possible, à l'état sacramentel de Jésus, qu'il détruit tous les jours dans nos poitrines à la gloire de son Père ». Un admirable chapitre montre ensuite les rapports entre l'Eucharistie et la vie de Jésus dans le sein de

gnements. La correspondance avec la Mère Prieure et les moniales de Rambervillers, son monastère de profession, sont d'un tout autre ton. Pour les préparer à l'agrégation de leur maison à l'Institut, elle les instruit de leurs obligations, ce qui nous vaut un traité sur les principes fondamentaux de notre Institut. Dg plus, elle s'adresse ici à des religieuses très avancées dans les voies spirituelles ; aussi leur laisse-t-elle découvrir souvent des profondeurs cachées de sa vie intérieure. L'union à l'Institut du monastère de Notre-Dame•de-Consolation, à Nancy, que lui offrit Marguerite de Lorraine, constitue une phase difficile mais fructueuse de son oeuvre. On a joint à cette correspondance quelques lettres de Mère Mectilde à sa famille et des pièces officielles concernant les monastères lorrains.

Enfin, à l'occasion du troisième centenaire de leur fondation, les moniales de Rouen ont édité un volume intitulé : Catherine de Bar, Fondation de Rouen et lettres aux moniales et amis normands. Le récit des dix premières années de ce couvent est écrit par l'une des fondatrices elle-même, dont le manuscrit a été heureusement conservé. L'histoire est pleine de saveur, d'humour souvent, faite d'obstacles quasi , insurmontables et de ferveur, joyeuse. Mère Mectilde a séjourné à Rouen : aussi voit-on, à travers ce récit et les lettres qui suivent, la fondatrice à l'oeuvre, son abandon à la volonté de Dieu, sa compréhension pleine de bonté et de fermes encouragements pour les âmes qu'elle veut mener aussi près de Dieu que celui-ci le désire. Elle redresse, elle apaise, elle réconforte, en un mot elle aime de tout son coeur et de toute son intelligence. En 1685, elle enverra deux moniales, l'une de Paris, l'autre de Rouen, à Notre-Dame-de•Bon-Secours, à Caen, pour préparer les moniales (dont elle fut prieure de 1647 à 1650) a s'unir à notre Institut. Là encore les conseils donnés sont toujours actuels. Un certain nombre de lettres sont aussi adressées à des amis ou bienfaiteurs rouennais (qui ne le cèdent en rien, sur le chapitre de la vie intérieure, aux moniales du monastère) et, en annexe, est offert un aperçu de la correspondance qui s'échangera pendant dix ans entre Mère Mectilde et Jean de Berniéres-Louvigny, le saint laïc de Caen, ainsi qu'avec Henri-Marie Boudon, l'archidiacre d'Evreux, ou la famille de Laval-Montigny (Mgr de Laval, le premier évêque de Québec, sera un ami de mère Mectilde et un fils spirituel de Jean de Bernières). Ce volume de 400 pages, présente de nombreuses illustrations et 8 pages d'héliogravures.

Le quatrième ouvrage est un ensemble de textes de mère Mectilde commentant la Règle et l'esprit de saint Benoît.

Ce recueil est édité en hommage au patriarche des moines d'Occident et prend place parmi les travaux qui paraîtront durant l'année du XVe centenaire de la naissance de saint Benoît.

La préface de dom Jean Leclercq étudie la spiritualité bénédictine de la fondatrice. J'ai présenté dans ce volume la vie de Catherine de Bar.

Ces quatre tomes sont édités par les bénédictines du Saint-Sacrement de Rouen.

Marie. C'est un écho de Bérulle et de M. Olier, conseiller de la fondatrice. Ailleurs, les pages sur l'abandon total à Dieu évoquent Bernières.

Dans le Véritable Esprit, comme dans sa correspondance, Mère Mectilde se révèle un écrivain né. Elle a le don du style, de la formule nette et heureuse et, de surcroit, le charme d'une pointe d'archaïsme, qu'elle doit à l'époque Louis XIII, celle de son éducation. Elle ne cherche pas la métaphore pittoresque et n'évite ni la prolixité, ni les répétitions. Mais sa phrase vigoureuse, bien balancée et au rythme précis, lui mérite une place honorable dans la galerie si fournie des auteurs du grand siècle.

S'il faut un jugement pour conclure, nous le demanderons à un connaisseur, qui n'est autre que Fénelon. Lors du décès de Mère Mectilde, il adressa ce mot à une moniale :

« J'ai l'honneur de vous écrire, ma Révérende Mère, mais ce n'est point pour vous persuader de la douleur où je suis de la perte que nous venons de faire : Vous connaissez assez mon coeur pour ne pas douter de mes paroles. Mon dessein est donc de me consoler avec vous, en vous remettant devant les yeux ce qui peut consoler une douleur aussi juste que la vôtre. Je sais tout ce que vous perdez, et j'arrête même ma vue pour n'en point trop voir, et pour faire une attention plus vive à ce que la foi vous présente. Elle vous découvre, ma Fille, un Dieu tout sage et tout bon qui frappe lui-même ce coup, qui devrait, ce semble, vous accabler. Je vous montre dans celle que vous pleurez une vertu consommée, un amour si épuré par les souffrances, un coeur si détaché de toutes les créatures qu'elles n'étaient plus dignes de la posséder. Il était temps qu'elle allât jouir des récompenses que la bonté de Dieu lui avait préparées. Si nous l'aimons pour elle-même, voilà notre consolation. Vous perdez une vraie Mère, votre ange visible, l'appui de votre Institut ; mais vous ne l'aviez reçue que pour un temps. Il est fini, il faut se soumettre à Dieu. Cette soumission sans réserve, cet abandon entre les mains de Dieu a fait le caractère particulier de cette sainte fille. Elle me disait, elle m'écrivait, qu'elle ne sentait pas la moindre révolte contre l'ordre de Dieu, pas le moindre murmure, que la seule vue de sa Sainte Volonté dans les états les plus renversants, et les plus terribles la calmait.

« Je sens, m'écrivait-elle l'année passée, en moi une disposition si prompte à entrer dans tous les desseins de Dieu et agréer les états les plus anéantissants qu'aussitôt qu'il m'y met, je baise, je caresse ce précieux présent ; et pour les affaires temporelles qui paraissent nous jeter par terre, mon coeur éclate en bénédictions et est content d'être détruit et écrasé sous toutes ces opérations, pourvu que Dieu soit glorifié et que ce soit de sa part que je sois blessée ».

« Vous trouverez dans ce peu de paroles le soulagement de votre affliction. J'ai mieux aimé vous les écrire que de me servir des miennes afin que ce fût d'elle-même, de sa vertu et de sa foi, que vous receviez votre consolation. Vous l'aviez pour Mère, elle ne cesse pas de l'être parce que la charité, qui lui donnait cette qualité à votre égard, est plus pure que jamais. Vous n'aviez en elle pour appui qu'une faible créature, et vous avez à présent dans sa personne une sainte revêtue de la puissance de Dieu-même, car vous avez tout lieu de présumer qu'il est à présent sa possession : il faut seulement, pour en ressentir les effets, animer votre foi. C'est la grâce que je demanderai à Notre-Seigneur de tout mon coeur, en vous priant d'être persuadée que mon zèle et ma tendresse pour votre Institut ne finiront qu'avec ma vie. Vous ne pouvez me faire plus de plaisir que de me mettre en état de pouvoir vous en donner des preuves. Faites-le en toute confiance et continuez les prières que votre charité vous inspire de faire pour moi. Je prierai de mon côté Notre-Seigneur qu'Il conserve en vous son Esprit, car, si vous Lui êtes fidèle, si vous conservez la simplicité, le renoncement, l'obéissance, et l'éloignement du monde que notre Chère Mère vous a enseignés, vous verrez une protection de Dieu toute visible sur vous et sur votre Institut.

« Je suis dans le Saint Amour avec une très indigne et cordiale affection. »

Le témoignage de ce prélat, à la piété si ardente et à la vertu peu commune, qui fut le théoricien du pur amour de Dieu et le directeur de tant d'âmes d'élite, nous garantit l'excellence de la doctrine que Mère Mectilde, écho fidèle des grands mystiques du passé et de son époque, n'a cessé d'enseigner et de pratiquer.

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DOCTRINE SPIRITUELLE DE MERE MECTILDE DU SAINT-SACREMENT [Mère Marie-Véronique]

présentée par Mère Marie-Véronique bénédictine du Saint-Sacrement



Pour situer ce que Mère Mectilde nous dit de notre vocation, il nous faut partir du baptême où nous recevons cette qualité de « victime » qu'il nous faut bien expliquer et que l'on traduirait volontiers selon Vatican II par le « sacerdoce royal des fidèles ».

Voici donc d'abord quelques textes sur le baptême qui nous introduisent dans sa doctrine, tout imprégnée de l'enseignement de saint Paul et de saint Jean, et centrée sur le Mystère pascal de Jésus-Christ.

LE BAPTÊME

« Le baptême nous conforme à la mort et à la vie nouvelle de Jésus-Christ, ce qui est la grâce même du christianisme ».

Le Père

« Le baptême est une naissance spirituelle qui nous fait être les enfants de Dieu. Et comme c'est aux enfants à imiter leur Père, nous sommes conviés par le Fils de Dieu d'être parfaits ainsi que notre Père céleste est parfait. »

« Le dessein de Jésus dans votre baptême a été de vous référer toute à la gloire de son Père, de vous adopter pour son enfant, de vous associer avec Jésus-Christ pour partager l'héritage éternel ».

« Nous sommes par le baptême faits enfants de Dieu ; Dieu nous adopte par grâce ainsi que Jésus-Christ l'est par nature. Si nous avions l'usage de raison nous entendrions la voix du Père éternel

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qui dit, lorsque l'on oint au sacrement de baptême : « Je te reçois pour mon enfant, pour ma fille, je mets en toi mon Fils humanisé afin que tu vives de sa vie et de son Esprit, et que tu sois toute cachée en lui, auquel je prends toutes mes complaisances ».

Le Fils

« Dans le baptême, vous regardez Jésus-Christ comme votre chef ; or, si Jésus-Christ est votre chef, il faut nécessairement que vous soyez son membre... Jésus-Christ, comme votre chef, influe vie et vertu en ( votre âme). De même, si votre âme agit, ce ne doit être que par obéissance à Jésus qui est son chef. Elle le doit suivre, c'est-à-dire elle ne doit point avoir d'autre disposition que celle qu'il lui donne... Elle le doit suivre partout, à la croix, à la mort... Elle le doit imiter en sa patience, en sa charité, en son humilité, en ses souffrances, en sa fidélité, en son amour... ».

« Vous vous êtes donnée et consacrée totalement à lui pour demeurer en lui pour jamais ».

Voici un texte capital que l'on retrouve souvent sous sa plume :

« Par le baptême, vous avez fait profession de Jésus-Christ ».

« C'est faire profession de la même profession que Jésus-Christ a faite au moment de son incarnation, où il se dédia si parfaitement et divinement à la pure gloire de son Père... »

« Dans votre baptême, vous recevez deux vies en Jésus : sa vie de mort et sa vie ressuscitée. Saint Paul dit : « Vous êtes morts et votre vie est cachée en Jésus »... Votre baptême est une expression de la mort de Jésus en croix et de sa résurrection : il faut donc que vous y ayez part et union. II faut mourir continuellement à vous-même et aux créatures : voilà le rapport à la croix. Et il faut que vous marchiez, comme dit saint Paul, en nouveauté de vie. Aussi Jésus-Christ a fait toutes choses nouvelles en vous. Il vous donne un être tout nouveau et une grâce toute nouvelle. Vivez donc d'un coeur et d'un esprit renouvelés ; faites un changement de vie ».

L'Esprit-Saint

« Le baptême est un mystère plein de vérité dans lequel il se fait une consécration certaine des âmes à Dieu qui se les dévoue par l'onction intérieure de la grâce et la présence de son Esprit... (c'est) l'établissement d'un nouvel être et la préparation à une nouvelle vie, ce qui fit que saint Paul nomme le baptême une rénovation intérieure, et Jésus-Christ, en saint Jean, une naissance pure et spirituelle que Dieu opère solitairement dans les personnes qu'il a destinées pour être ses enfants et les cohéritiers de son Fils unique ».

« Si la grâce est le Saint-Esprit, il faut donc que vous avouiez que le Saint-Esprit est tout en vous par Jésus-Christ, puisque le baptême vous remplit toute de sa grâce, vous renouvelle tout en lui ».

Temples de la Trinité

« Le baptême est une consécration de nos âmes faite par Jésus-Christ à la très sainte Trinité... Votre âme et tout votre être étant référés à Dieu par votre baptême, vous n'êtes plus à vous, et vous ne pouvez plus vivre pour vous. Votre âme est un temple dédié aux trois divines personnes et Jésus-Christ en a fait la dédicace et l'oint de l'onction sacrée de sa grâce au baptême. Vous devez regarder votre âme comme un temple consacré. Il faut que Dieu seul règne dans son temple et que, si vous servez les créatures, ce soit pour son pur amour. Que le temple de votre âme reçoive les continuels sacrifices, les immolations, les victimes présentées à Dieu en odeur de suavité ».

« La foi nous apprend que Dieu est immense, qu'il remplit le ciel et la terre de sa majesté, qu'il est dans les âmes d'une manière particulière et qu'il y est gravé d'un caractère ineffaçable ; je dis plus : qu'il y réside en vérité. Ce sont vérités de foi qui nous doivent faire marcher dans un profond respect et adoration d'un Dieu tout présent en nous. Oui, l'auguste Trinité y réside... Quelle est son occupation ? Oh ! mes soeurs, cela est incompréhensible : il fait dans les âmes ce qu'il fait dans l'éternité : le Père engendre son Fils et le Père et le Fils produisent le Saint-Esprit, toute l'auguste Trinité y forme Jésus-Christ... Cette vérité de foi bien établie en nous, je vous demande si ce n'est pas un objet assez charmant pour nous tenir dans l'admiration et dans une continuelle contemplation ? O bonheur infini ! mais trop peu connu de la plupart des chrétiens qui ignorent ce trésor qu'ils possèdent et qui leur a été donné par Jésus-Christ au baptême ».

« Nous savons de foi que le coeur du chrétien est le temple du Dieu vivant : l'Apôtre nous en assure, et l'Église nous apprend que ce temple intérieur est dévoué et consacré au baptême à la sainte-Trinité par Jésus-Christ, et que les trois divines personnes : le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont continuellement résidentes dans ce temple, et jamais n'en sortent, quoi qu'il puisse arriver durant le cours de cette vie. Cette vérité étant de foi, il ne faut donc que se recueillir en soi-même pour adorer en nous l'auguste Trinité, lui présenter nos hommages et nos sacrifices, dont le plus excellent est de nous immoler à sa gloire incessamment, par Jésus-Christ qui nous présentera à son Père ».cxi

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« Comme elle (la Sainte-Trinité) est toujours en nous, nous devons toujours être en elle, et effectuer en nous les paroles de Jésus à la Samaritaine lorsqu'il dit que « le temps était venu que le Père aurait des adorateurs qui l'adoreraient en esprit et en vérité », non plus en Jérusalem seulement, mais partout et surtout en nous-mêmes : en esprit par la foi, et en vérité du fond du coeur par amour... Renouvelez vos voeux et promesses faites au baptême (en cette fête de la Trinité).

Baptême et profession

Voici un parallèle intéressant que l'on retrouve assez souvent sous la plume de Mère Mectilde et qui rejoint certaines affirmations de Vatican II sur les « états de perfection ». Tout chrétien est appelé à la perfection de la charité, en vertu de son baptême : nous avons déjà relevé un texte en ce sens. La profession religieuse est de l'ordre des moyens pour mieux réaliser notre engagement baptismal, un moyen qui est en même temps un « charisme » et un ministère dans l'Église.

« Le baptême oblige précisément à la perfection. Mais les autres états de l'Église comme celui des religieux, obligent plutôt aux moyens de la perfection qu'à la perfection même, car ils obligent à l'observance des voeux qui nous y frayent le chemin et nous donnent facilité pour y parvenir, mais ils supposent l'obligation que nous y avons ».

Il faut remarquer le sens que Mère Mectilde donne au mot « perfection » dans cette même pièce : ce n'est pas une perfection « moralisante », mais la perfection « chrétienne », ainsi définie :

— elle nous conforme à la mort et à la vie nouvelle de Jésus-Christ ;

— elle imprime dans nos âmes son caractère et sa ressemblance de Fils qui est la ressemblance du Père : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » ;

— elle nous fait entrer dans la loi de grâce qui est une loi d'amour.cxii

Mère Mectilde recopie pour la comtesse de Châteauvieux l'acte de renouvellement du baptême de saint Jean Eudes (Royaume de Jésus, vue partie), où il est dit :

« Promesse et profession très grandes et qui m'obligent en qualité de chrétienne à une très grande perfection et sainteté... C'est faire profession non seulement de pauvreté, de chasteté et d'obéissance, mais c'est faire profession de vous-même ... C'est faire la même profession que vous avez faite devant la face de votre Père dès le moment de votre incarnation et que vous avez très parfaitement accomplie en toute votre vie... d'être dans un état d'hostie et de victime continuellement sacrifiée à la pure gloire de Dieu. Voilà le voeu et la profession que j'ai faits au baptême ».

Mère Mectilde commente longuement cet acte, et se plaît à répéter souvent que « par le baptême nous avons fait profession de Jésus-Christ ». Dans un chapitre de paix en 1672, elle reprend le même enseignement :

« Je ne vous dirai rien, mes soeurs, sur la rénovation de vos voeux (un bon serviteur de Dieu doit vous en parler). Je ne trouve rien de plus important que de nous acquitter du voeu que nous avons fait au baptême : voeu de Jésus-Christ, et qui renferme tous les autres voeux. Avons-nous jamais bien conçu ce que c'est que ce saint voeu : vivre de la vie de Jésus-Christ ? Et les voeux que nous avons professés ne sont que les moyens pour parvenir à celui que nous avons fait au baptême, auquel on ne pense point. Si toute la vie du chrétien doit être une suite des années de Jésus-Christ, avec plus de raison nos vies et nos années ne doivent-elles pas être la suite de la vie et des années de Jésus-Christ mon Maître, nous qui avons la grâce d'être religieuses, et les voeux que nous avons professés ne sont que des moyens pour parvenir à celui que nous avons fait au baptême... Les Pères disent que la profession religieuse est un second baptême... cela est vrai. Les voeux solennels que nous avons faits sont tous renfermés dans celui du baptême, car, mes soeurs, faisant voeu de suivre Jésus-Christ, c'est plus que pauvreté, que chasteté, obéissance, puisque c'est de vivre comme Jésus-Christ... Nous sommes consacrées à Dieu par le baptême et resacrées par les voeux de religion ».

« La fête de la Présentation et consécration de la très sainte Vierge à Dieu doit être, pour toutes les personnes qui lui sont consacrées d'une manière ou d'une autre, l'occasion de se renouveler dans l'esprit de leur consécration et dans la fidélité aux devoirs qui y répondent.

Le baptême est appelé par les saints Pères une consécration, et c'est en effet la plus religieuse, la plus indispensable et la plus divine de toutes les consécrations après celles de l'Homme-Dieu, car un chrétien est un religieux de la religion de Jésus-Christ, seul instituteur et fondateur des chrétiens. L'Église est son cloître, l'Évangile sa Règle, Jésus-Christ son modèle, le baptême sa profes-

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sion ; les voeux qu'il fait c'est d'adhérer à Jésus-Christ et à ses maximes, de l'imiter toute sa vie et de lui consacrer son coeur sans réserve, et le temple où se fait cette consécration c'est Jésus-Christ, le vrai temple de la divinité en qui nous sommes tous entés, incorporés et sanctifiés par le baptême.

Renouvelons-nous donc tous dans l'esprit de la profession solennelle par laquelle nous nous sommes voués et consacrés à notre Dieu dans le baptême, comme parle le catéchisme du Concile de Trente, et travaillons à nous rendre plus fidèles à accomplir ce voeu primitif, essentiel, capital et le plus grand de tous selon l'expression de saint Augustin ».

Ce texte ne serait-il pas de Bérulle ? Il est recopié parmi les conférences de Mère Mectilde, il exprime du moins sa pensée... et en indique peut-être la source. *

L'EUCHARISTIE

Sacerdoce royal des fidèles * * victimes pascales avec le Christ

Le baptême et l'Eucharistie sont intimement liés. Le premier nous fait enfants de Dieu, membres de Jésus-Christ, qui nous consacre à Dieu son Père et nous fait entrer dans son Mystère pascal de mort et de résurrection. Il nous « ordonne à l'Eucharistie », nous rend capables d'y participer par le sacerdoce royal de Jésus-Christ, qui nous donne la possibilité de nous offrir avec lui au Père, c'est-à-dire, en définitive, d'être « victime » avec lui, par lui et en lui. Tout cela a été rappelé par Vatican II.

« Dans le renouvellement de votre baptême, vous ne faites pas un acte nouveau de vous donner à Dieu, mais c'est que vous renouvelez la donation et le Sacrifice que Jésus-Christ a faits à la Sainte-Trinité. Et c'est ce qu'on désire vous faire concevoir, afin que vous connaissiez que tous vos actes et sacrifices ne sont que des suites de ceux que Jésus-Christ a faits pour vous. Donc renouvelez votre baptême pour vous renouveler dans le sacrifice que

• Textes parallèles de Vatican 11 : Sacrosanctum concilium n°' 5, 6 ; Lumen gentium, n° 7.

•• Sur le sacerdoce royal, voir aussi : Ad Gentes n° 15, Sacrosanctum concilient n° 14 et Lumen gentium n° 26.

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Notre-Seigneur a fait de vous. Vous ne pouvez faire un sacrifice de vous-même à Dieu plus saintement que celui que Jésus-Christ en a fait à son Père. Il le faut continuer et ne vous en retirer jamais, ainsi vivre actuellement dans cet esprit d'hostie, non par votre choix, mais parce que Jésus-Christ vous y assujettit par son sacrifice. Et faisant de la sorte, vous êtes victime, non de votre volonté (par votre propre initiative) mais de (par) celle de Jésus-Christ ».

« Étant à Dieu, nous sommes données et sacrifiées à lui par Jésus-Christ, comme membres de son Corps mystique et parce que toutes choses appartiennent à Dieu. Nous sommes donc nécessairement à lui, mais d'une manière ineffable, par le Sacrifice de Jésus-Christ, tant en la croix que sur l'autel. Car en la croix, vous y avez été crucifiées mystiquement. Voyez saint Paul, ce qu'il en dit. Et vous êtes mortes avec lui. C'est pourquoi vous êtes obligées de vivre d'une vie de mort... car « votre vie est cachée en Jésus-Christ » comme dit l'Apôtre. Donc si votre vie est cachée en Jésus-Christ, rien ne doit paraitre en vous que Jésus-Christ... En un mot vous devez mener une vie crucifiée, puisque vous l'êtes avec Jésus-Christ.

Quant au sacrifice de l'autel, vous savez comme c'est le mémorial de celui de la croix et une continuation de ce très adorable sacrifice... Il y a cela de différent qu'il n'est plus sanglant, mais efficace... et comme vous n'étiez pas sur le calvaire pour consentir à votre crucifiement, Notre-Seigneur veut que vous consentiez à celui de l'autel pour accomplir ce qui manquait à sa Passion, de sorte que, comme son membre, vous êtes offertes au Père avec Jésus-Christ et par Jésus-Christ, et le prêtre vous tient mystiquement entre ses mains, et vous êtes en l'hostie en cette manière.

O dignité de l'état chrétien d'être fait une même chose avec Jésus-Christ, d'être crucifié avec lui et d'être tous les jours immolé sur l'autel avec lui ! »

Or, notre qualité de victimes s'enracine là, et n'est rien de plus et rien d'autre que celle de tous les chrétiens.

« Oh ! qu'une fille du Saint-Sacrement est heureuse quand elle remplit sa vocation que l'on peut dire trois fois sainte ! Rien n'est plus divin sur la terre et disons que c'est la vocation de tous les chrétiens, car ne sont-ils pas choisis et n'ont-ils pas l'honneur du divin caractère qui les fait enfants de Dieu et consors à Jésus-Christ et par conséquent destinés pour posséder les trésors de sa

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grâce, demeurant unis à lui non seulement comme enfants de Dieu, mais comme ses membres, ne faisant qu'un corps avec Jésus-Christ, ainsi une même hostie et victime, revêtue de ses adorables dispositions. Si donc la grâce qui nous unit à lui doit nous faire entrer comme ses membres dans le zèle et les intérêts de sa gloire, la participation au très Saint-Sacrement qui est la grâce substantielle du christianisme et la source de toutes les grâces, le doit faire bien davantage. « O dignité admirable, mais que très peu de chrétiens veulent reconnaître et encore moins y adhérer, ignorant leur grandeur et la parfaite union qu'ils ont avec Jésus-Christ, ne se souvenant plus qu'ils sont victimes pour être immolés avec lui, comme parle saint Paul, et qu'ils ont reçu ce divin caractère au baptême » (Pensées sur la Réparation).

« Je vous invite à redoubler vos fidélités pour vous rendre de véritables victimes ; mes chères filles, ce n'est pas une qualité nouvelle, c'est un titre que Jésus-Christ nous a imprimé au baptême, avec obligation de le rendre efficace ». (Lettre à la communauté de Paris).

Enfin, cet « écrit tiré sur l'original » où Mère Mectilde précise elle-même ce qu'elle entend par notre « voeu » de victime :

« Ce n'est pas proprement un voeu particulier. Tous les chrétiens sont faits par le baptême les victimes de Dieu, par rapport et union à Jésus-Christ, et comme les membres sont unis au chef, qu'ils en sont animés, ce divin Sauveur étant fait la victime de son divin Père, les chrétiens, comme membres, lui étant unis, ne se peuvent dispenser d'entrer dans cet état de victime. C'est par cette obligation que nous sommes appliquées à cet état et que nous croyons être obligées d'en porter, par la grâce de notre Institut, les dispositions. Parce que, outre les obligations communes des chrétiens, nous nous lions à cette qualité de victime de son divin Père pour réparer sa gloire outragée par les pécheurs, et pour cet effet, il s'est immolé sur la croix comme une victime qui y consomme sa sainte vie, mais qu'il sacrifie encore à toute heure sur l'autel pour nous obtenir miséricorde et pour des motifs infinis et tout divins qui ne se peuvent exprimer en si peu de paroles. L'amour qu'il nous porte et les sacrés désirs de son divin coeur de se communiquer à nous et de nous transformer en lui, le tiennent dans cet état de victime sur l'autel jusqu'à la consommation des siècles ».

« Quelle plus noble fin pourriez-vous avoir que celle de Jésus ? » (Véritable Esprit).

« Que nos soeurs estiment pour faveur singulière la grâce de leur vocation qui les divinise, en quelque sorte, en les associant à Jésus-Christ en son état d'hostie et de victime pour les immoler à son divin Père avec lui, et réparer sa gloire ».

« Celle qui fait la réparation doit communier afin de s'unir et s'offrir avec Jésus-Christ plus intimement par cette sacrée manducation, entrant dans les intentions de cet adorable Sauveur qui se fait, dans le très Saint-Sacrement, hostie de louange, de réconciliation, d'expiation, d'impétration envers Dieu son Père ».

« Prions-le de nous lier à lui de telle sorte qu'il soit l'âme de notre âme et la vie de notre esprit, nous faisant être une même hostie sacrifiée avec lui pour sa pure gloire, nous unissant à tout ce qu'il a fait depuis son Incarnation et à tout ce qu'il fait encore dans la divine Eucharistie pour exalter son Père, réparer sa gloire et sauver les pécheurs ».

Sacerdoce des fidèles

« Et puisque la communion nous fait entrer en union de sacrifice avec Jésus-Christ, et qu'elle nous rend même sacrificateurs avec lui, par participation de son divin sacerdoce, faisons usage du droit que cette qualité nous donne... présentons au Père cette victime adorable, digne de sa suprême grandeur et unissons-nous à Jésus-Christ qui fait de notre coeur un autel où il s'immole... pour rendre à son Père une gloire et un hommage infinis. Sacrifions-nous donc avec lui et mêlons notre voix à celle de son sang pour demander la conversion de tous ceux qui le méconnaissent et l'outragent. Il fait en nous la même demande qu'il fit à son Père lorsqu'il institua ce Mystère adorable : « Mon Père, lui dit-il, glorifiez votre Fils comme votre Fils vous glorifie ». Disons-le avec lui de tout notre coeur, ne doutant pas que le Père éternel n'écoute notre voix qui est dans ce moment la voix même de Jésus-Christ, comme dit un Père de l'Église ». (Pensées sur la Réparation).

Nous pouvons encore relever quelques passages dans une conférence « sur le voeu de victime » où nous trouvons les mêmes pensées. Ce voeu est mis très heureusement en parallèle avec l'unique et double commandement :

« C'est l'état que (le Fils de Dieu) a porté dans tout le cours de sa sainte vie, voire il l'a porté dès l'éternité dans le sein de son divin Père et depuis sa naissance au monde. C'est cet agneau sans macule qui a été immolé et occis en figure par tous les sacrifices de l'ancienne loi et qu'il a consommé réellement en sa personne

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dans tous les états de sa sainte vie... et cela pour la gloire de son Père et le salut de ses frères : et c'est votre obligation, mes chères soeurs... Disons seulement deux mots de votre obligation de victime : mes chères soeurs, je la trouve renfermée dans le saint Évangile où Notre-Seigneur, étant interrogé d'un Docteur de la Loi de ce qu'il devait faire pour être sauvé, Jésus-Christ lui répond qu'il faut aimer Dieu de tout son coeur, de toute son âme et de toutes ses forces, et son prochain comme soi-même. Voilà ce qu'il vous dit à présent dans le désir que vous avez d'être parfaites »cxiii... (ensuite, elle s'étend sur la nécessité de mourir à tout, en tout, afin d'être totalement consacré à Dieu, car pour elle, mourir, c'est passer dans le domaine de Dieu. « Beati mortui qui in Domino moriuntur », commente-t-elle souvent... Petitesse, pauvreté, dépouillement, nuit).

« Je vous le réitère, mes chères soeurs, le voeu de victime que vous avez promis à Dieu demande une perfection consommée. C'est quelque chose de plus que le voeu de pauvreté, de chasteté, d'obéissance... par le voeu de victime tout est dans les mains, tout est dans le coeur de Dieu, tout est immolé à Dieu, non seulement nos corps, nos biens, nos volontés, nos actions, nos pensées, mais tout notre être est immolé sans réserve quelconque, et cela dans la pure vue de Dieu seul, pour sa seule gloire et pour le salut de nos frères. Et c'est la seconde obligation en qualité de victimes du très Saint-Sacrement. Il faut donc que nous ayons une charité parfaite pour notre prochain; car de croire que vous aimerez Dieu parfaitement sans aimer votre prochain avec tendresse, c'est un abus (au sens du XVIIe siècle : une tromperie). « Qui dit qu'il aime Dieu et n'aime point son prochain, dit saint Jean, est un menteur ». Cela ne se peut. L'amour de Dieu et du prochain est inséparable. Voyez Jésus-Christ dans la divine Eucharistie s'immolant sans cesse à la gloire de Dieu son Père et en même temps pour le salut de ses frères. Aimons-les donc, réparons pour eux devant Dieu ».cxiv

Nous voyons brièvement d'après ces textes, que le fondement théologique de notre vocation est dans notre baptême qui nous rend capables de participer au Sacrifice rédempteur, actualisé dans le sacrifice eucharistique.

Cette participation transforme toute notre vie en une offrande sacrificielle, en une Pâque. Cette offrande n'est autre que celle du Fils unique s'accomplissant dans ses membres l'Église.

Et ce qui nous est spécial — comme nous le verrons avec plus de détail — c'est que nous nous offrons avec cette intention particulière de réparer pour les péchés qui s'attaquent plus directement au Christ dans son Eucharistie. Mais cette réparation même, adressée au Christ, ne se fait que par lui.

« Il n'y a qu'un seul Jésus-Christ, vrai et digne réparateur de sa gloire et de celle de son Père » (Pensées sur la Réparation).

Réparation eucharistique *

Nous avons vu que « outre les obligations communes des chrétiens, nous nous lions à cette qualité de victime de son divin Père pour réparer sa gloire outragée par les pécheurs ».

Peut-on maintenant essayer de cerner ce que Mère Mectilde entend par là, sans jamais perdre de vue ce qui précède, puisqu'il n'y a qu'un seul Réparateur, Jésus-Christ ?

Nous connaissons bien les circonstances historiques qui l'ont amenée à fonder un monastère où l'on adore jour et nuit Jésus dans l'Eucharistie en réparation des outrages qu'il reçoit dans ce Sacrement.

Dans l'Eucharistie, Jésus est dans l'acte de son plus grand amour. C'est là, dans le Mystère pascal de sa mort rédemptrice et de son passage au Père, qu'il nous aime jusqu'à l'extrême. Dans l'Eucharistie, il livre à tous les temps, à tous les lieux, à tous les hommes son mystère de salut. Il permet à chacun de participer à ce sacrifice unique.

Par sa présence continuelle parmi nous, il nous invite continuellement à vivre notre Pâque, à passer au Père avec lui, mourant au péché et vivant pour Dieu. Et cet amour infini proposé, livré aux hommes, comment est-il reçu ? Voilà ce qui a touché, « navré », c'est-à-dire blessé à mort, le coeur de Mère Mectile, c'est

« ... de voir l'amour infini d'un Dieu si indignement récompensé y. — « Pour la charité incompréhensible de Jésus-Christ et pour l'amour passionné qu'il porte aux hommes, ils l'arrachent de son trône eucharistique, et ils en font ce qu'on ne peut exprimer (Véritable Esprit).

*Textes parallèles de Vatican II : Lumen gentium n° 9, 10, II, 26 et 34. Presbiterorum ordinis, n° 2.

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On ne peut oublier que Jésus a droit, dans son Mystère eucharistique, à un culte, une adoration, un amour. Le but ultime de tout culte, adoration, amour, c'est le Père, par son Fils, dans l'Esprit. Jésus est grand Prêtre et médiateur : mais il est Dieu, Fils de Dieu : « Qui me voit, voit le Père ». On ne peut opposer ni dissocier le culte rendu au Dieu unique, incarné en son Fils.

Le culte rendu au Fils dans son Eucharistie, est une louange au Père qui nous le donne, et il ne fait que prolonger la célébration du sacrement ; et si cette adoration, cet amour ne lui sont pas rendus, pourquoi, dans l'Église, certains membres ne s'emploieraient-ils pas à réparer ce manque en se consacrant à lui, et à intercéder pour que tous sachent rendre grâce pour ce don merveilleux, en vivent et le célèbrent en participant à la rédemption qui nous est offerte ?

« Pourrait-on trouver étrange que l'Esprit de Dieu ait donné mouvement de bâtir des monastères où les âmes soient reçues pour ce sujet, et sans nulle autre considération que la gloire de Jésus dans l'Eucharistie ? » (Véritable Esprit).

« Qu'elles ramassent, s'il se peut, dans leur coeur toute la reconnaissance que les pécheurs devraient rendre à Jésus-Christ pour l'excès de son amour... tant pour réparer la gloire et l'honneur qu'ils dérobent à Jésus-Christ leur aimable Sauveur, que pour obtenir miséricorde ». (Véritable Esprit).

« Bref, l'intention de celle qui reçoit cette fondation est de la rendre tout à Jésus-Christ dans la sainte Hostie et de lui procurer des « victimes », à savoir des âmes qui s'immolent à sa grandeur abaissée dans ce divin Sacrement et qui soient offertes actuellement à Jésus-Christ Notre-Seigneur en réparation et satisfaction de sa majesté offensée et méprisée dans le très Saint Sacrement. C'est pourquoi les âmes qui seront reçues en cette maison doivent avoir non seulement la vocation d'être religieuses, mais aussi une vocation particulière pour adorer le très Saint-Sacrement et se conformer à sa sainte vie cachée et anéantie, étant le principal esprit de cette fondation d'être revêtues et remplies des états et dispositions de Jésus dans son divin Sacrement ; ainsi sont-elles choisies pour s'immoler avec lui à son Père pour réparer sa gloire » (Véritable Esprit).

« Pourra-t-on blâmer une petite étincelle de la charité de Jésus-Christ qui s'est écoulée dans le coeur de ses victimes, qui produit par respect et rapport à Jésus ces effets qui ont paru en sa mort.

Jésus-Christ meurt pour satisfaire à la justice de son Père, pour réparer sa gloire, et au même temps pour le salut du monde ; voilà ce que cette petite troupe tâche de faire en esprit et en volonté, quoique infiniment incapable d'y suffire, mais par union à Jésus-Christ duquel nous tirons le mérite et la vie de toutes les oeuvres que nous faisons. Voilà quelles sont les filles du Saint-Sacrement, et voilà en abrégé quelle est leur vocation ». (Véritable Esprit).

« Quelle plus noble fin pourriez-vous avoir que celle de Jésus-Christ ? » (Véritable Esprit).

Et nous revenons à notre premier point : notre vocation particulière se situe au coeur de notre vocation chrétienne; c'est indissociable. C'est la participation au Mystère pascal de Jésus.

Le Mystère pascal nous est présenté chaque année dans la sainte Liturgie, et il est revécu par l'Eglise tout entière, et singulièrement dans la vie monastique et bénédictine qui s'enracine elle aussi dans notre baptême et notre sacerdoce royal.

LA LITURGIE

Le Mystère du Christ vécu dans l'Église et par l'Église

Après la célébration eucharistique et ne faisant qu'un avec elle, le grand moyen qui nous est offert pour entrer dans la Pâque du Christ et participer à tous ses mystères, c'est la sainte Liturgie, la célébration de l'Office divin qui a une telle place dans notre vie monastique, mais qui est aussi au coeur de toute vie chrétienne.

Dans ses conférences sur les Mystères et les fêtes de l'année, Mère Mectilde nous montre comment elle vivait la liturgie et la faisait vivre à ses filles. On pourrait résumer ainsi son enseignement :

1. Il faudrait traduire : s rétablir les justes rapports entre le Père et ses enfants

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Toute la vie des chrétiens (de l'Église) sur terre est une suite de celle de Jésus-Christ.

Les mystères de Jésus-Christ sont passés en tant qu'événements historiques, mais la sainte Église nous les représente chaque année pour nous les faire célébrer, contempler, adorer, et surtout pour nous y faire participer.

Nous y entrons par la foi et la conformité de vie avec Jésus-Christ.

Les mystères de Jésus-Christ demeurent tous perpétuellement présents dans l'Eucharistie. Le « Mystère », au sens de saint Paul, est tout entier présent dans chaque mystère, et chacun des mystères est inclu dans le Mystère où nous fait entrer l'Eucharistie.

Mère Mectilde ne sépare pas l'Eucharistie de l'Office, dans la célébration de ces mystères et dans les commentaires qu'elle en donne. Elle cite autant l'Évangile que telle ou telle antienne ou répons. Un lien étroit fait un seul tout de la messe, de l'office, de l'adoration, de l'oraison, de la vie quotidienne, et le but est toujours le même : devenir des Jésus-Christ !

« Tout est mystère en Jésus-Christ », dira-t-elle au sens de révélation de l'amour du Père et acte de salut.

« Un Père dit que tous les chrétiens jusqu'à la fin du monde font une suite des années de Jésus-Christ. C'est pour cela qu'il s'est fait pain, voulant être notre nourriture afin qu'étant si intimement uni à nous par la communion, nous devenions tout lui-même ».

« Jésus naît dans les chrétiens au moment qu'ils sont baptisés, mais comme très peu conservent cette grâce qui est d'un prix infini, sa charité l'oblige à venir derechef et à se manifester dans les âmes ».

« Il est donc venu et il vient encore incessamment, c'est ce que nous disons dans un répons de l'office : « Veniens veniet... ». C'est de quoi il le faut prier sans cesse : « Veni, Domine... ».

« ... (Préparons-nous) pour avoir part dans la grâce du mystère que l'Église nous propose. Le mystère est passé, je l'avoue, et il ne s'est fait qu'une fois, mais la grâce n'en est point passée pour les âmes qui s'y préparent à faire naître Jésus-Christ dans leur coeur. Il est né une fois en Bethléem, et il naît tous les jours en nous par la communion qui est une extension de l'Incarnation, ainsi que disent les Pères ».

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[Photos omises]

« Voici, Madame, le temps des désirs. L'Église en est toute remplie, et elle le manifeste par les saints offices. Unissons-nous à elle et crions avec les justes : « Rorate... ! ».

« Les mystères nous sont représentés par notre mère la sainte Église pour nous y conformer par état autant que nous le pouvons. Méditez et examinez sérieusement les circonstances qui s'y rencontrent pour entrer en communication de pratique, comme chrétiennes et membres de Jésus-Christ votre chef ; et jamais nous ne serons unies à lui si nous ne faisons les mêmes choses que lui. C'est pour cela qu'il vient au monde, qu'il prend une nature comme nous, qu'il se fait enfant, qu'il est pauvre, humble, docile, obéissant, silencieux. Voilà les marques de son enfance. Ainsi d'un autre mystère... ».

« Demandons incessamment la venue et la demeure de Jésus dans nos âmes, non pas comme il est né à Bethléem, n'y étant que pour un temps, mais c'est son dessein de demeurer pour toujours jusqu'à la consommation des siècles, en nous qui sommes ses temples ».

« L'on dira possible que Jésus-Christ n'est néu'une fois ; il est vrai quant au temporel ; cependant la sainte Église la présente tous les ans aux fidèles pour être le sujet de leur dévotion et adoration, afin que Notre-Seigneur leur départe les fruits et mérites infinis de sa sainte nativité, naissant spirituellement dans nos âmes ».

Pour le Carême

« La sainte Église prononce aujourd'hui arrêt de mort sur toutes les créatures... c'est le dessein de la sainte Église en nous mettant aujourd'hui la cendre sur la tête ».

« La sainte Église nous avertit aujourd'hui que nous ne sommes que poudre et cendre... il faut nous retirer dans la solitude et garder un profond silence, et pour cela entrer dans les dispositions de Jésus-Christ notre Seigneur ».

« L'Esprit de Dieu chassa Jésus dans le désert. Il faut entrer dans le carême comme dans un désert que l'Église nous présente... la vue de Jésus dans le désert sera d'un merveilleux soutien... L'Église, qui sait l'importance de cette vérité, nous la remet en mémoire tous les ans au jour des cendres quand elle nous dit :

« Memento, homo... ». L'Esprit a inspiré cette cérémonie à son épouse la sainte Église, afin de l'appliquer à ses enfants et que par cette parole de vérité, ils aient la force d'entrer dans le désert...

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C'est une espèce de commandement que l'Église nous fait de remémorer notre néant ; cette seule occupation est suffisante pour bien passer la solitude du carême et faire un très grand progrès dans la sainte oraison, et par conséquent dans les usages et rapports que nous devons avoir aux sacrés états de Jésus et aux dispositions saintes qu'il a portées au désert ».

« J'ai coutume de solenniser tous les ans en ce jour les désirs sacrés du coeur adorable de Jésus, en suite des paroles que l'Église nous propose à l'office divin : « Desiderio desideravi... ». (Jeudi de la Passion).

C'est par la foi et la conformité de vie qu'on entre dans le Mystère

« C'est la foi qui nous donne entrée dans les Mystères » (elle détaille foi, humilité, pureté et amour).

« Pour pénétrer dans la grâce du Mystère, il faut se l'approprier par la foi... Pour mieux pénétrer dans la grâce du Mystère, il faut, mes soeurs, vous l'approprier à chacune de vous... Dites-vous à vous-même : Dieu a fait pour moi... ce qu'il a fait pour tout le monde ».

« Tous les mystères renferment en soi des choses si prodigieuses et si incompréhensibles à l'esprit humain que tout ce que l'on peut trouver dans les livres et tout ce que l'on en peut dire n'est rien moins que ce qui en est ; que la raison humaine se taise, elle n'en est pas capable. La foi seule peut nous le faire comprendre ».

« Mon Dieu, que nous avons peu de foi ! Quand est-ce qu'elle nous animera et qu'éclairées de ses lumières, nous agirons selon l'esprit et la grâce des mystères ! Car, mes soeurs, il ne suffit pas de les adorer et admirer, mais il faut y entrer par imitation, en nous conformant aux vertus que Jésus-Christ y pratique. Nous devons entrer en conformité d'état avec Notre-Seigneur... voilà ce qui nous fera glorifier Notre-Seigneur de nous conformer à lui dans ses souffrances, d'avoir part à ses états. C'est le fruit que nous devons rapporter de ce mystère... Les mystères n'opèrent rien dans les âmes quand nous n'entrons pas en l'imitation de ce qu'ils représentent ».

« On ne peut mieux entrer dans les mystères que par conformité ».

«  Je ne ferai point la description du sacré mystère, mais seulement je dirai les fruits que nous en devons tirer. Il ne faut jamais que les mystères soient inutiles en nous, et après les avoir connus et adorés, il nous y faut lier et entrer en l'esprit et en la grâce du mystère ».

« Tous les mystères de la vie de Jésus opèrent dans les âmes divers effets, et je prends plaisir quelquefois de voir les divers sentiments qu'un même mystère opère dans les âmes ».

« Goûtez la suavité d'un Dieu anéanti dans le sein virginal de sa bénite Mère. Attachez-vous à ses pieds et ne les quittez pas. Entrez dans les dispositions de son très saint coeur— entretenez-vous avec cette auguste Mère et la suppliez qu'elle vous fasse entrer dans les dispositions que vous devez avoir pour participer aux grâces que le renouvellement des divins mystères doit opérer en votre âme ».

Tous les mystères dans le Mystère

« Tous les mystères de Jésus-Christ sont renfermés dans le très Saint-Sacrement. Toujours ils s'y renouvellent ».

« Nous ne devrions jamais partir du saint ciboire, ou plutôt du Coeur de Jésus hostie. C'est là que nous recevons la grâce de tous les mystères, puisqu'ils s'y rencontrent tous dans le très Saint-Sacrement. J'y trouve le mystère de la naissance de Jésus. Nous y avons celui de la circoncision, l'Epiphanie qui est la manifestation de Jésus-Christ. Bref, nous y avons son baptême, sa vie cachée, conversante... ; en un mot il renferme tous les mystères. Cet auguste sacrement est tout ce que la sainte Église a de plus divin. O divin Jésus, venez vous-même nous instruire des vérités de vos adorables mystères, ou plutôt : demeurez où vous êtes, et attirez nos coeurs à vous ».

A propos de l'Épiphanie :

« Cette fête... nous convient plus particulièrement qu'à aucune autre, selon l'esprit de notre sainte vocation, qui nous destine à adorer comme eux le même Jésus-Christ dans l'auguste sacrement de l'autel, qui renferme tous les autres mystères de sa vie. C'est pourquoi vous pouvez l'y adorer comme enfant et dans la crèche avec les saints rois ».

Voici deux derniers textes qui résument bien tout son enseignement :

« Jésus-Christ est le chef de l'Église ; elle en est le corps et tous les fidèles doivent avoir rapport à leur chef, ils en doivent être

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animés et en tirer leurs influences et leurs mouvements. Si bien, mes soeurs, que Jésus-Christ étant notre chef adorable, nous devons être animées de lui, n'agir et n'opérer que par sa grâce et sa lumière, et surtout avoir rapport à lui. Comment cela ? En portant ses états par pratique et conformité de vie. Chaque âme en honore quelqu'un... Voilà ce qui fait la perfection et l'achèvement du corps mystique de l'Église avec Jésus-Christ son chef, par la liaison et l'union des membres avec lui ».

« Voilà de grands mystères qui viennent de se passer et dont nous devons être encore toutes remplies : l'institution du très Saint-Sacrement, la mort et la Résurrection de Notre-Seigneur. Joignons-y l'Incarnation (25 mars). Voyons si nous avons participé à ces grands mystères ? Si nous sommes mortes avec Jésus-Christ, nous ressusciterons avec lui. Il n'y a pas un mystère qui ne porte ses grâces, mais tout cela est renfermé dans l'auguste Sacrement de l'autel, et toutes les fois que nous communions, Jésus vient en nous les renouveler et nous donner part à sa glorieuse résurrection, car les mystères de Notre-Seigneur ne nous sont donnés que pour participer à leur grâce et pour opérer en nous l'effet et les grâces qu'ils renferment et nous faire mener une vie conforme à celle de Notre-Seigneur ».

ADORATION *

Après les sacrements du baptême et de l'Eucharistie, nous venons de voir l'importance de la liturgie pour nous faire participer à la vie et aux « états » ou Mystères de Jésus-Christ. C'est là tout le trésor de l'Église. C'est dans ce prolongement que nous pourrons situer l'adoration telle que la conçoit Mère Mectilde.

On pourrait dire que le culte eucharistique a trois aspects principaux qu'il ne faut jamais dissocier :

1. La célébration eucharistique, ou la divine liturgie qui inclut messe et office, selon le cycle de l'année, de la semaine et du jour liturgique.

*Textes parallèles de Vatican II Sacrosanctum concilium, n°' 2, 83.

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2. L'adoration du Christ toujours présent dans le Sacrement et demeurant parmi nous en « dynamisme de don » puisqu'il est conservé pour être mangé, pour que se consomme le sacrifice, et « pour l'extension de la grâce du Sacrifice ».

3. La vie « pascale », conséquence logique de la célébration et de l'adoration et qui est le but ultime pour lequel le Sacrement a été institué.

Dans l'Église, les charismes sont divers pour vivre et accentuer chacun de ces trois aspects, sans jamais en perdre un de vue. Il est évident que chez nous, après la célébration et dans son prolongement, l'adoration a une place de choix en vue d'une manière particulière de vivre la vie pascale : le tout étant vécu d'une manière typiquement monastique et bénédictine.

Mais l'adoration, pour Mère Mectilde, est quelque chose de beaucoup plus vaste que le fait de « ne jamais laisser le Saint-Sacrement ni jour ni nuit sans hommage ». Elle attache, bien sûr, la plus grande importance à l'adoration perpétuelle. Elle n'hésite pas à dire : « Le point principal et essentiel de l'Institut est l'adoration perpétuelle ». Mais elle ajoute :

« Car tout le reste ne dépend pas de nous ; nous avons besoin de secours étranger pour l'exposition du très Saint-Sacrement, nous avons besoin du ministère des prêtres pour l'administration des sacrements et ainsi du reste ; mais pour l'adoration, nous n'avons besoin de personne : soyez toujours en adoration, rien ne vous en empêche, ceci est toujours en votre pouvoir »

a) Notre adoration est un « charisme », un « ministère » dans l'Eglise :

« L'Église vous a reçues dans son sein en qualité de ses adoratrices pour suppléer à ses autres enfants qui ne rendent point leurs hommages à Jésus-Christ ».

b) Cette adoration ne s'arrête point à Jésus-Christ comme on pourrait peut-être le croire, mais monte avec lui et en lui jusqu'au Père :

« Jésus est cet aigle eucharistique qui s'élève jusqu'au trône de Dieu par l'union hypostatique, contemple, adore et comprend les perfections divines renfermées dans l'Essence de Dieu. Il est dans le très Saint-Sacrement de l'autel, faisant ces fonctions mysté-

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rieuses, rendant à l'auguste Trinité un hommage et une gloire infinis. Nous sommes ces petits oiselets, ne faisant que voltiger sur la terre, sans pouvoir prendre l'essor vers cette majesté suprême pour contempler ses grandeurs. Nous devons nous glisser sous les ailes de cet aigle eucharistique afin que par son vol et l'ardeur de ses traits, nous soyons élevées jusqu'à l'union divine et que nous puissions adorer ce Soleil de l'Essence divine qui ne peut être compris ni fixement regardé que par lui-même. Quand nous sommes devant cette majesté sacramentelle nous devons nous tenir, comme je viens de dire, sous les ailes de Jésus-Christ, et faire ce qu'il fait au regard de son Père.

c) Cette adoration est toujours intimement liée au sacrifice. Le Christ présent est toujours envisagé dans son « état de victime », lisons : sa vie pascale. Il est vu comme l'adorateur du Père, le rédempteur des hommes. Toujours ce « double regard » dont nous avons parlé. L'accent est mis sur l'action de grâce, la louange, mais aussi le don mutuel, sans réserve. Tout cela par et dans l'amour.

« Le don ineffable qu'il nous fait par ce Sacrement ne se peut reconnaître dignement que par l'amour. Amour reconnaissant des grâces infinies que Dieu a mises pour nous dans la divine Eucharistie et singulièrement du don ineffable qu'il nous y fait de tout lui-même... Amour unissant et transformant l'âme en Jésus-Christ qui s'épuise tout en amour dans ce Mystère incompréhensible, qui est la fin de son institution... Il veut vivre en nous afin que nous vivions en lui et par lui ».

« Amour douloureux aussi, parce que Jésus n'a pas l'amour et la gloire qui lui sont dus et parce que tant de pécheurs ne font pas usage du sang de Jésus et de sa présence réelle au très Saint-Sacrement où il donne sa vie encore tous les jours pour eux mystiquement comme il l'a donnée sur la croix n.

« Oh ! plût-il à Dieu de brûler nos coeurs de cet amour douloureux et que nous puissions mourir de contrition pour nos péchés et ceux de nos frères, les hommes pécheurs ! » (Pensées sur la Réparation).

Notons au passage que Mère Mectilde n'est absolument pas la « victime innocente » en face des pécheurs, mais elle se sait solidaire et les appelle ses « frères ». Elle se situe au même rang qu'eux et insiste toujours pour dire que c'est d'abord en nous, pour nous, qu'il faut vivre la réparation :

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« Ce n'est pas comme le commun des chrétiens qui se contentent de faire honorer Notre-Seigneur en faisant quelque oeuvre extérieure à sa gloire. Il faut que nous ayons un zèle ardent pour que nous arrachions de nos coeurs tout ce qui l'empêche de régner en nous et d'y avoir ses complaisances. Ce n'est pas assez, il faut porter son amour dans le coeur de ceux qui le profanent et contribuer à leur salut en réparant pour eux. (Mais) c'est en nous qu'il faut commencer de réparer la gloire de cet adorable Sauveur, c'est en nous qu'il faut que la justice et la sainteté opèrent pour nous rendre de véritables victimes. Travaillons donc généreusement à nous défaire de tout ce qui lui est contraire. Ne tardons pas un moment de nous mettre en état de recevoir les effets de sa grande miséricorde ».

C'est par l'amour que se fait notre réparation. Elle y insiste : « Vous êtes des réparatrices d'amour et vos réparations doivent être faites en amour, puisque vous êtes le supplément des pécheurs qui sont sans amour. Oh ! que nous serions heureuses si nous pouvions nous fondre en la présence de ce divin Sauveur et que nos coeurs fussent brisés et consommés des précieuses flammes de son amour ! Plaise à Dieu de nous rendre dignes de l'aimer de ce pur et violent amour qui dans le ciel transforme les bienheureux en Jésus ! Amour violent, amour tranquille tout ensemble, amour qui brûle sans consumer, amour qui triomphe de tout et qui rend Dieu maître absolu de nous-mêmes » (Lettre à la communauté de Rambervillers).

d) Notre adoration consiste donc essentiellement en une contemplation aimante du Mystère eucharistique, qui nous conduit à une entrée toujours plus profonde dans la participation de ce Mystère, une identification toujours plus grande au Christ dans sa Pâque, elle va donc rayonner sur toute notre vie et la transformer. Mère Mectilde parle d'« actuelle adoration » (dans les pensées manuscrites sur l'institut) :

« La première chose qu'il faut faire, est de reconnaître devant Dieu la grâce de cette occupation à laquelle la sainte Providence nous a destinées d'être toujours en actuelle adoration et que tout notre être et toutes nos opérations soient référés à l'honneur de ce très Saint-Sacrement n.

A cela, Mère Mectilde tient beaucoup :

« Travaillez, puisque Dieu vous y assujettit, à la bonne heure ; pùissiez-vous vous nourrir, et toute la communauté, de votre travail, mais travaillez avec esprit intérieur afin que Dieu soit

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glorifié... Acquittez-vous bien des emplois que l'obéissance vous impose ; mais que votre esprit et votre coeur ne cessent pas pour autant d'adorer toujours. Votre adoration, vous le savez, doit être continuelle... Pour être toujours en adoration, il n'est pas nécessaire de dire à tout moment : Mon Dieu 1 je vous adore 1 Un seul acte suffit ; et tant que vous ne le rétractez pas et que vous ne faites rien contre cet acte, vous êtes en adoration. Ne faites donc qu'un acte d'adoration... et tâchez qu'il subsiste ».

« Le « voeu » d'adoration perpétuelle doit être un renouvellement universel de toute notre vie et de toutes nos actions n.

Mère Mectilde nous apprend l'adoration perpétuelle de Dieu présent dans le temple de nos âmes. Elle y revient très souvent. Nous l'avons vu à propos du baptême. Lisons seulement ce texte :

« De quelle étendue doit être cette adoration ? Dans tous les moments de notre vie et de toute l'étendue de notre être. Mais il ne suffit pas pour la remplir (notre vocation d'adoratrices) d'être seulement une heure ou quelque temps en sa présence au choeur. Il faut que notre adoration soit perpétuelle, puisque le même Dieu que nous adorons au très Saint-Sacrement nous est continuellement présent en tous lieux. Il faut que nous l'adorions en esprit et en vérité, faisant que tous nos exercices soient une adoration continuelle par notre fidélité à nous rendre à Dieu en tout ce qu'il demande de nous, car dès que nous manquons de fidélité nous cessons d'adorer.

En esprit, par la certitude de votre foi... en vérité, l'adorant de tout votre être et de tout votre coeur ».

« (...) Il n'est pas nécessaire pour adorer toujours de dire : « Mon Dieu, je vous adore n, il suffit que vous ayez actuellement une certaine tendance à Dieu présent en vous, un respect profond par hommage à sa grandeur, le croyant en vous comme il y est en vérité, la très Sainte-Trinité y faisant sa demeure : le Père y agissant et opérant par sa puissance, le Fils par sa sagesse et le Saint-Esprit par sa bonté. C'est donc dans l'intime de votre âme que ce Dieu de majesté réside et que vous devez l'adorer continuellement... Vous devez être par votre vocation et votre profession les véritables et perpétuelles adoratrices de Jésus-Christ... Commençons tout de bon d'adorer Jésus-Christ en esprit et en vérité, à être de vraies adoratrices perpétuelles. Adorons-le partout et en tout ce que nous faisons... Cet esprit d'adoration... vous rendra en même temps de véritables victimes toujours immolées à sa gloire et à son honneur ».

« Demeurez en Dieu... vous n'avez qu'à rentrer en vous-mêmes, car Dieu est dans l'intime de votre âme. Vous l'y trouverez à tout moment, y faisant actuellement sa demeure. Regardez-le donc toujours pour suivre son esprit, pour adhérer à lui, pour vouloir tout ce qu'il veut, pour vous y soumettre. Priez-le de vous attirer tout à lui : « Trahe me post te n. Il n'y a que deux choses à faire dans la vie pour être à Dieu : adorer et adhérer toujours n. (Entretiens familiers).

N'est-ce pas là toute la vie de Mère Mectilde ? Et cela nous rappelle ses dernières paroles : « J'adore et je me soumets ». Comme elle l'écrivait en cette même année 1698, elle « consomma ainsi son sacrifice par une adoration parfaite et éternelle qui fut le fruit de sa sainte mort... C'est là le parfait sacrifice ». Nous dirions : la parfaite eucharistie.

Mère Mectilde exhorte vivement ses filles à accomplir fidèlement leur heure d'adoration :

« Puisque l'adoration perpétuelle est une des plus essentielles obligations, il faut la soutenir avec vigueur et sans aucune relâche, ne manquant jamais notre heure d'adoration par notre faute. Il ne faut pas que des obligations peu importantes nous la fassent quitter et négliger et que des bagatelles soient préférées à ce que nous devons à Notre-Seigneur, puisque notre principale affaire est d'adorer Jésus-Christ sur l'autel n.

Mais elle sait aussi reconnaître les difficultés dans lesquelles on peut se trouver et apaiser les scrupules de celles qui sont surchargées de travail « dans l'ordre de l'obéissance ». Il est toujours possible d'adorer « en esprit n

« Quant à votre heure du Saint-Sacrement, vous êtes assez en nombre pour les remplir, mais si l'emploi qui vous occuperait pendant l'heure que vous avez tirée est dans l'ordre de l'obéissance, soit de votre office ou d'autre chose que l'obéissance vous fait faire, vous ne la devez pas reprendre, s'il est possible, dans le temps de la récréation, ni veiller pour la remplir ; vous en ferez seulement un quart d'heure, afin que vous puissiez prendre le sommeil quand on sonnera le coucher, cela suffira. Mais s'il n'y avait personne pour remplir les heures d'adoration, vous seriez obligée de remplir la vôtre...

Quand vous y manquez par vos emplois et surcharges, adorez en esprit quand vous n'y pouvez être présente...

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Vous pouvez dire votre office à l'heure de votre adoration quand vous prévoyez que le temps vous manquera pour le dire dans un autre moment...

Pour l'oraison de communauté, la nécessité du monde vous engageant au travail vous dispense de la reprendre par obligation ; votre heure du Saint-Sacrement peut y suppléer ».

Oraison

On peut trouver l'essentiel de la doctrine de Mère Mectilde sur la prière dans le petit recueil à la comtesse de Châteauvieux. C'est un sujet fort vaste et très important que nous ne pouvons aborder sans allonger démesurément ce travail. Recueillons seulement quelques miettes, ou quelques perles, qui nous montrent la continuité et l'unité de sa pensée.

« Qu'est-ce que l'oraison ? sinon la présence de Jésus-Christ. »

« La disposition de la sainte Messe n'est autre que celle de vos oraisons qui vous rend la victime de Jésus-Christ, portant dans votre fond un désir d'être hostie avec lui, immolée à la gloire de son Père, en une disposition simple d'adorer tout ce que Jésus-Christ y opère pour sa gloire et notre sanctification, vous abandonnant à tous les desseins qu'il a sur votre âme en ce divin Mystère, y demeurant en silence, en attention, en sacrifice et en respect, vous souvenant que vous êtes membre de Jésus-Christ et par conséquent vous êtes sacrifiée avec lui.

« Ne nous lassons pas, demandons et prions par Jésus-Christ et en union avec lui, ou plutôt laissons-le prier et demeurer en nous, et demeurons à ses pieds en silence et respect. Il est dit que l'Esprit de Dieu est en nous, qu'il prie et gémit en nous... Demeurons donc unies à cet Esprit-Saint de Jésus, abandonnons-nous à sa conduite et travaillons par sa grâce à faire mourir en nous tout ce qui s'oppose à son règne. Imitons la sacrée Mère de. Dieu et son époux saint Joseph, qui, unis de coeur et d'affection, étaient toujours adorant et contemplant Jésus qu'ils tenaient au milieu d'eux

« Comment est-ce que vous satisferez aux obligations que vous avez de prier pour l'Église, pour les morts, pour les pécheurs, bref pour beaucoup de choses que l'on vous recommande actuellement ?

Je vous ai dit autrefois que, comme chrétienne, vous êtes membre de Jésus-Christ et que vous faites partie de son corps mystique qui est l'Église. Vous ne pouvez vous en séparer qu'en renonçant à Jésus-Christ et à votre baptême. Vous voilà donc éternellement liée à l'Église. Et dans cette union vous entrez nécessairement dans toutes ses intentions, bien que vous n'y soyez pas actuellement appliquée, et c'est une impuissance d'être autrement. Donc, ma fille, vous priez avec l'Église, pour l'Église et pour ses intentions... Ne soyez donc point en scrupule... vous priez comme Dieu veut, cela vous suffit.

Il faudrait parler de la pure foi (très inspirée de saint Jean de la Croix), du pur abandon (M. de Genève), du pur amour (sainte Catherine de Gênes) qui ont une telle place ici — du : « Mourez, et vous verrez Dieu, cela est infaillible n — que nous retrouverons à propos de la vie pascale. C'est partout le même mouvement très simple. Il n'est plus guère nécessaire d'insister.

Vie eucharistique, vie pascale

Nous avons dit que la divine liturgie, prolongée par l'adoration perpétuelle, est elle-même ordonnée à ce que nous avons nommé « vie pascale » et que Mère Mectilde appelle « vie eucharistique ». Quelle est donc cette vie qui contient la substance et la moelle de notre vocation ? Nous l'avons déjà dit et abondamment montré : c'est la vie même de Jésus, la vie du Christ dans. sa Pâque, mort au péché, vivant pour Dieu, qui nous entraîne vers le Père dans son passage de la mort à la vie.

« C'est là cette vie de Notre Seigneur Jésus-Christ dans son très Saint-Sacrement,- à laquelle les religieuses de cette maison doivent avoir un rapport tout particulier... Voilà la consommation dont je ne suis pas digne de parler... ce second dessein qui est le principal et qui donne vie au premier motif de cette fondation (qui est l'adoration perpétuelle) ».

Ou encore : « Le principal esprit de cette fondation (est) d'être toutes revêtues et remplies des « états et dispositions » (des Mystères) de Jésus dans son divin Sacrement n.

Relisons quelques pages du Véritable Esprit (1" édition), où Mère mectilde nous parle de cette vie. Pour bien faire, il faudrait étudier cette « Retraite » où Mère Mectilde a fait elle-même l'expérience de cette mort et de cette vie :

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« Quand je considère, mes soeurs, le bonheur des filles du Saint-Sacrement, j'en suis hors de moi-même... car plus je considère cet ouvrage très petit aux yeux des hommes, plus je le trouve grand dans la lumière de Dieu... toute la grandeur de cet ouvrage tire son prix et son excellence de Jésus anéanti dans l'hostie, c'est une production de son amour, une émanation de l'état qu'il y porte qui doit produire en vos coeurs des effets admirables... un des plus surprenants, mes soeurs, c'est de nous communiquer sa vie eucharistique. Mais qu'est-ce que cette vie ? Il est dans ce sacrement pour y être mangé de nous, pour nous nourrir, pour nous sustenter de lui-même, et son dessein est de se rassasier de nous pour son plaisir... Il vit en nous selon la vie que nous lui donnons... Il est donc à notre pouvoir, mes soeurs, de faire vivre Jésus en nous par sa grâce. Mais il est encore une autre sorte de vie dont il est vivant dans ses chers amis, et c'est de cette vie que je souhaiterais ardemment qu'il vécût en nous, parce que cette vie lui est infiniment plus glorieuse et qu'il reçoit plus de gloire d'une âme dans laquelle il vit de cette vie, que des royaumes entiers où de telles âmes ne se rencontrent point. Quelle est donc cette vie précieuse ? Je ne la puis exprimer, mes sœurs, c'est de cette vie, sans m'en expliquer davantage, que Jésus mon Sauveur demande de vivre en nous » (Véritable Esprit).

On peut éclairer ce texte par un autre :

« Jésus-Christ mène en nous deux vies : pour l'une, il ne m'appartient pas d'en parler ; pour l'autre, c'est ce que nous devons concourir avec lui pour la former en nous par la pratique de toutes les vertus, nous abandonnant à sa conduite, lui donnant lieu en notre coeur, l'adorant et toutes ses divines perfections et opérations, puisque sans cesse il opère pour nous transformer tout en lui, comme une greffe divine. Cela étant, son divin Esprit nous introduira dans l'intime de notre âme pour connaître quelque chose de cette autre vie dont je ne puis vous parler, cela n'appartient qu'aux âmes « mortes ». Il y faut porter respect et y avoir une certaine tendance, non par présomption d'esprit, mais pour nous voir, par la participation de cette vie divine, unies parfaitement à Dieu comme à notre fin. C'est pour cela que nous sommes créées ».

« Misit me vivens Pater... Ainsi que je vis pour mon Père, de même celui qui me mangera vivra de moi et pour moi ». Que ces paroles sont adorables et qu'elles contiennent de mystères ! Oh ! Si Notre Seigneur me faisait la miséricorde de vivre uniquement pour lui, savez-vous que je n'aurais point de presse d'aller au paradis ? Je m'offrirais de bon coeur à Dieu pour vivre neuf cents ans si tel était son bon plaisir ! Hé, pourquoi ? Parce que je posséderais en moi le paradis même. Car Jésus étant ma vie, les trois divines personnes desquelles il est inséparable seraient en mon âme comme dans le ciel, et elles y recevraient par Jésus, principe de ma vie, des adorations et des amours dignes d'elles, qui est le seul motif qui doit nous faire désirer le paradis ».

(Après la communion) « Respice in faciem Christi tui ! Seigneur, regardez votre Christ, ce n'est plus cette abominable pécheresse, c'est votre Fils bien-aimé... Je sais une personne avoir vu une âme au sortir de la communion devenue toute Jésus-Christ, c'est-à-dire que Jésus-Christ paraissait uniquement en tout elle-même, et jusqu'en son extérieur. Cela est vérifié par les paroles de Jésus-Christ : « Misit me vivens Pater... » et le témoignage des saints Pères qui disent que par la sainte communion, l'âme est unie à Jésus-Christ de l'union la plus parfaite, qu'elle est faite os de ses os et chair de sa chair ! Oh ! que cela est étonnant ! et de dire que cette union ne subsiste pas seulement autant que les sacrées espèces durent, mais toujours, si l'âme demeure en grâce, non que Jésus-Christ y soit sacramentellement, mais il y demeure d'une façon mystique et spirituelle : il y est principe de vie »

« C'est la consommation de notre Institut que la sacrée communion, mais il la faut faire saintement, nous y disposant par la séparation et anéantissement de tout l'humain et propre vie qui est en nous, pour ne faire qu'une même chose avec lui et que par unité d'esprit nous soyons les dignes victimes de Jésus-Christ ».

Mais revenons au « Véritable Esprit ». Deux chapitres sont consacrés à la description de cette vie : « De la vie cachée en Jésus-Christ » et « Dieu tient l'âme dans la mort avant que de lui donner la vie ».

Relevons quelques miettes du premier :

« Saint Paul nous annonce de la part de Dieu : « Vous êtes mortes, et votre vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu. Si votre vie est ensevelie en Jésus, vous ne devez plus paraître avoir nul mouvement de vie. Jésus seul doit paraître vivant, puisque en vérité, il est l'unique source de vie... Donc vous êtes mortes parce que Jésus seul est vivant... oh ! heureuse mort qui donne vie à Jésus ! Jamais il n'est si glorieux en nous, quelque amour que nous ressentions pour lui, qu'en le faisant vivre de cette sorte : l'âme en cet état porte tout et soutient tout. Jésus est vivant uniquement en elle, et il suffit pour tout de mourir incessamment ».

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Enfin, le chapitre « Dieu tient l'âme dans la mort avant que de lui donner la vie » qui serait à lire en entier et qui s'ouvre par les cinq « rien » de saint Jean de la Croix. C'est la mort mystique décrite sous l'image du grain de froment qui pourrit, de saint Jean. Nous ne sortons pas du mystère pascal. Mais, dit-elle, au fond de cette mort,

« il y a un germe de vie qu'on peut dire un fond de vie... et ce germe ou fond de vie n'est autre que Jésus-Christ. Ce n'est point une grâce ou participation de quelque faveur. Il faut dire que c'est Jésus-Christ lui-même qui est dans ce fond misérable comme Vie et centre de vie. Mais vie, essentiellement Vie : je ne puis dire autrement parce que je n'ai pas d'autre terme pour mieux exprimer ce que je comprends... et ce germe de vie Jésus-Christ pousse et produit en l'âme chose ineffable et qui ne se peut dire. L'âme est passée en Jésus-Christ comme en la source de sa Vie ». (Véritable Esprit).

Elle ressuscite à une vie nouvelle.

« Quant à la vie divine que Jésus-Christ reproduit en ces âmes mortes et pourries, c'est au degré qu'il lui plaît de se manifester, à quelques-unes plus, aux autres moins ; mais pour peu qu'il se donne, c'est trop et infiniment plus que l'âme n'oserait espérer ; car les moments, comme les plus petites parcelles de cette vie sont si précieuses qu'il faudrait souffrir tous les martyres imaginables pour avoir la grâce de la posséder au plus petit point que Notre-Seigneur la voudrait donner ; mais sachez pour toujours que c'est un don de Dieu et qu'il n'est acheté que par la mort, il n'est point de monnaie sur la terre de son prix et de sa valeur ». (Véritable Esprit).

C'est un des refrains de la correspondance à ses filles :

« Beati mortui qui in Domino moriuntur » : mourez donc de cette belle mort, je souhaite que vous ne soyez pas un moment sans mourir, afin que Jésus, par l'auguste Eucharistie, vive et règne uniquement en vous. O Vie ! Vie qui n'est point connue ! ô vraie Vie ! ô vie éternellement divine ! » (Lettre à une religieuse).

Voilà donc la consommation de la vie eucharistique que Mère Mectilde renonce elle-même à décrire. C'est la vie même de Jésus en nous, c'est la continuation de son sacrifice en nous.

« Le sacrifice de Jésus-Christ sera éternel. Il a été sanglant sur la croix, mais il se continue d'une manière admirable dans toutes les âmes, et se continuera à jamais sur le coeur de son divin Père ».

Cette consommation du mystère pascal de Jésus en nous rejoint le douzième degré d'humilité de notre Père saint Benoît. Il est vécu, par nous, bénédictines, à la manière monastique et bénédictine. Il ne faut jamais oublier que Mère Mectilde affirme que ce n'est pas pour rien que le Saint-Esprit a choisi des bénédictines pour en faire des adoratrices car, dit-elle :

« Entre toutes les Règles de l'Église de Dieu, celle-ci se trouve la plus propre pour y lier notre saint Institut ».

Voici donc notre chemin tout tracé : la sainte Règle.

VIE MONASTIQUE

Le Mystère pascal dans la Règle et la vie du moine

Mère Mectilde a été conquise à Rambervillers par la lecture de la sainte Règle. Pouvons-nous soupçonner ce qui fut pour elle une illumination ? Si l'on en croit ce qu'elle en dira par la suite, il semble bien que c'est le Christ partout présent qui l'a attirée.

Saint Benoît se fait l'écho de l'appel évangélique à la vie parfaite et nous le présente ainsi dès le Prologue : « Retourne, à la suite du Christ Roi, par le labeur de l'obéissance, à ton Père », et : « Participons aux souffrances du Christ par la patience, afin de mériter de participer à son royaume ». Voilà notre vocation chrétienne et monastique, notre vocation « pascale ».

C'est donc dès le Prologue que nous commençons à pressentir comment l'Eucharistie devient tout naturellement le centre d'une telle vie, puisque c'est principalement là que s'accomplit notre Pâque avec le Christ.

Le chapitre VII nous décrit de nouveau cette participation à la passion du Christ « qui s'humilie sera exalté ». Il est une exaltation céleste, celle dont il est dit : « C'est pourquoi Dieu l'a exalté », à laquelle on parvient par une descente et une humiliation jusqu'à la mort et au « néant ». C'est celle-là que va nous décrire saint Benoît. Faisons attention aux citations

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scripturaires de cette échelle, et nous verrons comme par transparence se dessiner un visage qui nous livre la clef de ce chapitré.

Relevons seulement au 2e degré : « Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais celle de celui qui m'a envoyé ». Cette parolè du Christ contient tout le mystère de l'Incarnation avec déjà l'annonce de la Rédemption : « Pas ma volonté, mais la tienne ».

Le 3e degré nous met en possession de tout le mystère : c'est par le chemin de l'obéissance que l'on va à Dieu, alors le moine se soumet en toute obéissance à son supérieur, imitant le Seigneur de qui l'Apôtre a dit : « Il s'est fait obéissant jusqu'à la mort ». « C'est pourquoi Dieu l'a exalté », continue saint Paul.

Le 4e degré est tout à fait mectildien : on participe à la Passion par la patience, comme disait le Prologue : affronté aux choses dures et contraires, aux « injustices ». Le Seigneur lui-même se fait attendre ! C'est la mort tous les jours, ce que Mère Mectilde appelle « vie de mort », mais : « à cause de Toi ». On est traité comme des brebis destinées au sacrifice, voilà les « victimes », et tout cela en liaison avec Celui qui nous a aimés et s'est livré pour nous, « à cause de Celui qui nous a aimés, nous remportons la victoire » : voilà Pâques.

Au 6e degré, nous trouvons le Rien ou néant qui a une telle place chez Mère Mectilde : véritable humilité, le moine reconnaît ce qu'il est en vérité et en est content ; comblé, dans sa pauvreté, car ainsi il est « toujours avec Toi ». Voilà une expérience mectildienne que l'on pourrait illustrer par bien des textes. Elle commente souvent : « Ad nihilum redactus sum... semper tecum ».

Et le 7e degré nous met en présence du Christ sur la croix. Le moine redit avec lui le Ps. 21 « Je suis un ver et non un homme... le rebut : l'abjection ». Encore un mot clef qu'il faut bien comprendre : non pas l'amour morbide de l'échec, mais la joie de participer un peu à l'humiliation du Seigneur par un retour d'amour qui ne peut venir que de lui. Puis le Ps. 87 : « J'ai été élevé (sur la croix), humilié et confondu », enfin, le Ps. 118 : « Il est bon que vous m'ayez humilié afin que j'apprenne vos commandements qui rappelle l'épître aux Hébreux : « Il apprit, par tout ce qu'il souffrit ce que c'est que d'obéir ».

[Photos]

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Lutrin-Aigle

Monastère de Caen, Calvados

Monastère de Tourcoing (Nord)

Les quatre degrés suivants signalent les plus élémentaires manifestations d'humilité extérieure, et enfin saint Benoît nous montre son moine au 12e échelon sous l'image du publicain de l'Évangile, toujours et partout humilié et courbé. Il est sous le coup de la Justice, c'est pourquoi il est justifié ! Alors, libéré, possédé par la charité parfaite, sous la motion de l'Esprit-Saint, il agit en tout par amour du Christ (et pas seulement de la vertu, comme disait Cassien). D'autres parleront d'union transformante, de mariage spirituel. Pour nous, c'est Pâques, c'est la « vie eucharistique » consommée.

Il faudrait aussi dire un mot du chapitre si important de « l'observance du Carême » qu'on a peut-être trop lu dans un sens « moralisant ». C'est en tout temps, il est vrai, que la vie du moine doit retracer l'observance du Carême. Qu'est-ce à dire, sinon :

— garder sa vie en toute pureté, effacer les négligences des autres temps ;

— par l'ascèse, la prière, la lecture, l'offrande spontanée et joyeuse de tout ce que l'Esprit nous inspire de faire pour,.. et voilà le but :

« Attendre la sainte Pâque dans l'allégresse du désir spirituel ». Voilà ce que doit être toute la vie du moine, voilà ce qu'est le Carême : l'homme, poussé par l'Esprit dans le désir de la Pâque accomplie.

« J'ai désiré d'un grand désir de manger cette Pâque avec vous ». Le moine est celui qui désire Pâques, qui marche vers Pâques dans l'allégresse de l'Esprit., et qui en prend les moyens : il meurt avec le Christ, tous les jours, afin de ressusciter avec lui.

Nous pouvons maintenant commencer à deviner quel est ce « rapport » profond que Mère Mectilde a trouvé entré l'enseignement de la Règle et le Mystère du Christ tel qu'il nous est donné dans l'Eucharistie. C'est la clef de ses constitutions. Mais que nous dit-elle de ce « rapport » ? Nous avons un chapitre du « Véritable Esprit » sur ce sujet. En voici un passage :

u S'il m'était permis de rapporter en détail quel doit être l'esprit et les dispositions d'une vraie bénédictine, vous seriez convaincues que, par la fidèle pratique de sa sainte Règle, elle aurait toutes les qualités d'une hostie, et qu'elle entrerait dans des rapports admirables avec Jésus dans la divine Eucharistie ».

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sément, n'est qu'une émanation du coeur de Jésus dans celui de notre saint Père. C'est l'obéissance même de Jésus qui sanctifie la nôtre et qui nous donne grâce et force pour obéir. »

« Que nous dit notre glorieux Père saint Benoît dans sa Règle ? Demandez-lui bien son esprit d'anéantissement. C'est le saint le plus anéanti qui ait paru sur la terre, et celui qui est le plus élevé au ciel 2.1 Je laisse à part un saint Jean-Baptiste et les Apôtres... Quel honneur pour vous, mes soeurs, d'être enfants d'un si digne Patriarche. Ne le soyez pas seulement de nom et d'habit mais par imitation. Vous ne pouvez mieux honorer notre bienheureux Père qu'en pratiquant sa sainte Règle. Il reçoit une augmentation de gloire dans le ciel lorsque quelqu'un de ses enfants se sanctifie. Oui, mes soeurs, vous ne pouvez mieux lui témoigner votre amour et votre respect qu'en observant sa sainte Règle. Ce n'est point assez de la porter dans vos pochettes, de la mettre sur votre coeur, il en faut prendre l'esprit. C'est celui de saint Benoît qui n'est autre que celui de Dieu même. Jamais il n'y a eu saint si uni et si perdu en Dieu par l'anéantissement. Il le fait bien voir dans quelques chapitres de sa Règle : je vous montrerai bien trois ou quatre endroits qui le font bien connaître. Elle est toute fondée sur l'Évangile et sur l'Écriture. Se peut-il rien de plus saint ? Ce sont les paroles de Jésus-Christ ».

« Étudiez bien et examinez bien la sainte Règle pour en prendre l'esprit. Vous trouverez qu'elle ne porte qu'à la soumission et à la dépendance. L'obéissance est donc votre principale obligation en qualité de religieuses de saint Benoît ; elle ne l'est pas moins en qualité de filles du Saint-Sacrement, puisque notre Institut nous oblige à un rapport de conformité avec Jésus-Christ qui a été obéissant jusqu'à la mort de la croix. Obéissance qu'il continue encore sur l'autel... Saint Paul dit de lui deux choses : qu'il a obéi et qu'il s'est anéanti. Après cet exemple, ne cherchez pas de raisons pour vous dispenser d'obéir. Lisez souvent notre sainte Règle pour vous en imprimer l'esprit. Vous y trouverez toutes de quoi vous sanctifier si vous êtes fidèles à suivre ses maximes ».

« Les Constitutions .. doivent contenir la manière de bien observer laRèle de notre glorieux Père saint Benoît. Entre toutes les règles de l'Église de Dieu, celle-ci se trouve la plus propre pour y lier notre saint Institut, puisqu'elle renferme en soi les voies d'une perfection très élevée : et par son austérité nous fait vivre dans la mort, par rapport à la qualité de « victime • ; et vous rend des

« hosties pacifiques » par l'obéissance très simple et l'humilité profonde qu'elle vous enseigne ; et par les louanges divines qu'el-

2. Saint Benoit « le plus anéanti de tous les hommes » : ceci peut être interprété comme une pieuse exagération de mère Mectilde, ou comme une application de la phrase de saint Grégoire : « Ce saint homme n'a pu enseigner autrement qu'il n'a vécu », en référence à l'échelle de l'humilité du chapitre 7.

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Toutes nos Constitutions ne sont que l'explication et la pratique de ce qu'elle nous dit ici : une vraie bénédictine, par la fidèle pratique de la sainte Règle, a toutes les dispositions d'une hostie.

Voici quelques textes de Mère Mectilde sur la Règle :

« Vous me direz : « Vous nous demandez bien des choses : vous nous parlez des voeux, et des obligations envers le Saint-Sacrement... » — Mes soeurs, cela ne se contredit pas, au contraire : il y a une liaison très étroite entre les états que Jésus porte au Saint-Sacrement et notre Règle. L'esprit de notre Règle est un entier anéantissement et une parfaite obéissance. Qu'est-ce qu'il y a de plus admirable dans notre divin Sacrement que l'anéantissement de Notre-Seigneur et sa parfaite obéissance ? Et son anéantissement aurait été. peu de chose si son obéissance à Dieu son Père n'avait été jusqu'à la mort de la croix. C'est ce que nous dit l'Apôtre : « Il s'est anéanti, il a été obéissant jusqu'à la mort ». Vous voyez donc l'excellence de notre sainte Règle : c'est avec beaucoup de raison qu'on dit de notre saint patriarche qu'il était rempli de l'esprit de tous les justes, puisqu'il était possédé de l'Esprit de Jésus-Christ qui contient toute justice ».

Elle écrit à la comtesse de Châteauvieux un Jeudi Saint :

« Si Notre- Seigneur me donne la grâce d'exprimer ce que sa lumière m'en découvre, vous verrez que ce n'est pas sans mystère qu'il choisit des religieuses de saint Benoît pour être ses victimes dans son très Saint-Sacrement, puisque la grâce de cet ordre y a tant de rapport. Mais le grand malheur est qu'il n'est point connu et que les âmes même qui l'ont professé ne l'entendent point. Prions Notre-Seigneur qu'il réveille cette grâce et cet Esprit en nous L.

« Toute la substance de notre sainte Règle n'est qu'obéissance et je ne m'en étonne pas, puisque notre bienheureux Père saint Benoît était rempli de l'esprit de tous les justes qui n'est autre que celui de Jésus-Christ Notre Seigneur, modèle d'une parfaite obéissance, de laquelle il a fait voeu dès le moment de son Incarnation. C'est l'état qu'il a porté dans sa vie divinement humaine, et c'est celui qu'il porte encore dans sa vie eucharistique où il s'est engagé d'être et de demeurer jusqu'à la fin des siècles. O mes soeurs, quel amour devrions-nous avoir pour l'obéissance dans la vue d'un Dieu obéissant ! Mais aussi quelle fidélité nous devons à cette vertu puisque notre sainte Règle, qui nous l'enjoint si expres-

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le nous ordonne de chanter jour et nuit, comme aussi de l'oraison continuelle, elle vous fera devenir des « holocaustes » consumés par les pures flammes de l'amour divin ».

Ici, Mère Mectilde s'inspire de la terminologie des sacrifices de l'Ancien Testament, mais elle ne perd pas de vue pour autant celui qui les accomplit tous et à qui cette vie nous rend conformes : Jésus-Christ dans son Mystère pascal. Et l'on peut dire que son charisme propre de fondatrice a été de mettre en lumière l'étroite relation qui unit la vie bénédictine au Mystère pascal du Christ perpétué dans l'Église par l'Eucharistie.

C'est d'abord dans la célébration de cette Eucharistie « source et sommet » de toute vie chrétienne que, selon son enseignement, nous exerçons notre sacerdoce royal, reçu au baptême, exprimé avec plus de plénitude par notre profession monastique, et qui consiste à nous offrir avec le Christ en hostie vivante, sainte et agréable à Dieu. L'office divin du jour et de la nuit prolonge ce sacrifice de louange et d'intercession pour le salut du monde entier.

De plus, notre consécration particulière au Christ perpétuellement présent dans son Sacrement nous engage à lui rendre un culte d'adoration perpétuelle « pour l'extension de la grâce du sacrifice » en nous et dans toute l'Église, particulièrement en faveur de ceux qui se rendent coupables envers l'Eucharistie. Cette dernière intention, fortement marquée dès l'origine, est comprise par Mère Mectilde dans cette perspective « éminemment apostolique » qui nous « associe à Jésus-Christ prêtre et victime pour la gloire du Père et le salut de tous les hommes » et qui rassemble dans l'unité les enfants de Dieu dispersés.

C'est dans cet esprit que nous reconnaissons dans laRègle de saint Benoît la route évangélique qui nous conduit toutes ensemble au royaume du Père par l'humble obéissance à la suite du Christ notre véritable roi et à travers son sacrifice.

CONCLUSION

On pourrait terminer par ce texte de Dürrwell qui décrit ainsi la situation de l'Église (et donc de tous les chrétiens) depuis la résurrection du Christ et l'envoi de l'Esprit-Saint :

« Comme le Christ, avec lequel elle s'identifie, elle est victime pascale, immolée en elle-même et vivant de Dieu. Grâce à l'Église, le monde entier est un calvaire sur lequel le Christ meurt et ressuscite. En elle, le Christ ne cesse de passer de ce monde au Père, de se « sanctifier » (Jn, 17), de s'immoler pour ne vivre qu'en Dieu.

« Arrivé au terme dans le Christ individuel, ce même et unique sacrifice se maintient dans l'Église, en un devenir toujours actuel jusqu'à la Parousie » (La Résurrection de Jésus, p. 282).

Au coeur de l'Église notre Mère, ne serions-nous pas le signe de cette activité perpétuelle, du don de la Vie à travers la mort, qui se fait essentiellement dans la participation à l'Eucharistie, mais informe tout notre être et toute notre vie pour en faire un acte pascal, uni à celui du Christ, et que l'Église revit tout au long de l'année liturgique.

L'adoration perpétuelle, dans la pensée de Mère Mectilde, n'est pas seulement la perpétuité de louange et d'intercession autour de l'Eucharistie, en étroit prolongement avec la célébration eucharistique et liturgique, c'est une vie, cette vie « pascale », dont l'adoration est à la fois signe et moyen, à sa juste place, comme nous l'avons expliqué.

Notre place dans l'Église avec Marie

Il faudrait dire aussi un mot de la place de la Vierge Marie dans notre vie, elle que Mère Mectilde a toujours considérée comme son inspiratrice, la véritable mère et fondatrice de son oeuvre, et qu'elle se plaisait à nommer « notre unique abbesse ». Marie a vécu dans sa personne le mystère que vit l'Église et que nous venons d'expliquer. C'est pourquoi nous ne pouvons vivre notre vocation qu'en elle et avec elle.

Citons encore un petit texte sur Marie, choisi entre beaucoup d'autres tous aussi beaux et riches de doctrine :

« La très Sainte Vierge a les mêmes inclinations que son cher Fils. Or comme il n'est venu sur la terre que pour les pécheurs, qu'il n'a cherché que la gloire de son Père et n'a vécu que pour le faire Connaître et honorer, et opérer notre salut, aussi la très Sainte Vierge qui a participé plus que personne aux dispositions de Jésus-Christ, ayant entré dans les desseins de Dieu dès le moment de son Immaculée Conception, tout le temps de sa sainte vie elle

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n'a recherché que la gloire de Dieu et le salut des hommes. Elle a toujours eu un parfait rapport avec son Fils. Elle a partagé ses souffrances sur la croix... (elle a été) le soutien de l'Église naissante... pour la consolation des apôtres et des disciples qu'elle instruisait des Mystères de son Fils en particulier. Car nous ne lisons point qu'elle ait prêché en public, comme elle l'aurait pu faire. Elle avait assez de science et de lumière pour cela. Mais elle aima mieux travailler au salut des hommes dans le silence et dans la retraite, par ses prières et oraisons que par de longs discours, honorant la vie cachée de Jésus-Christ. Présentement qu'elle est dans le ciel, elle n'a pas diminué son zèle pour le salut des pécheurs. Elle a toujours le même désir de les sauver et encore plus de pouvoir pour les aider. Elle prie toujours son Fils pour eux. Rien ne lui est impossible. Il suffit pour le comprendre de dire qu'elle est Mère de Dieu... C'est par elle que toutes les grâces que Dieu leur fait sont distribuées, elle en est le canal. La très Sainte Vierge connaît tous nos besoins, elle voit tout en Dieu. Son pouvoir, son crédit, sa bonté aussi bien que sa compassion est au-delà de ce que nous pouvons penser ».

« Je ne saurais assez vous exciter à l'amour et à la confiance que vous devez avoir au très saint Coeur de la très Sainte Mère de Dieu, et ce qui doit plus l'augmenter en nous, c'est parce que l'Institut est sorti de son très saint coeur ».

« C'est son oeuvre, vous le saurez au ciel » (Entretien familier).

CONFÉRENCE SUR L'APPEL À LA SAINTETÉ [inédite non référée!]

(inédite)

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Tous les chrétiens sont appelés à la sainteté, mais très particulièrement les âmes consacrées à Dieu. Écoutez bien cette parole que Dieu vous adresse : « Soyez saints parce que je suis saint ». Qu'est-ce que la grâce de la sanctification ? C'est de travailler à la sainteté. Qu'est-ce que la sainteté, c'est-à-dire la séparation ? De quoi faut-il se séparer ? De tout ce qui vient de nous, de toutes nos productions. Il faut se séparer de tout péché, non seulement des grands péchés, mais des moindres péchés véniels volontaires et même des premiers mouvements, de peur que les seconds ne nous fassent tomber dans l'imperfection.

On pourrait faire une fête de la sainteté de Dieu en lui-même. Elle est assez grande et le mériterait bien, mais on ne le fait point ; celle-ci est la fête de la sainteté de Dieu dans les saints. Il faut les congratuler de leur bonheur et nous en réjouir.

Marchez en la présence de Dieu : elle vous fera connaître tout ce qui est opposé à la sainteté de Dieu en vous, elle ne souffrira en vous rien d'humain, car cette présence de Dieu est une émanation de la sainteté de Dieu.

Interrogez les saints sur ce qui les a rendus saints sur la voie qui les a conduits à la sainteté. Ils vous répondront qu'ils y sont parvenus par la mort, le sacrifice et la séparation de tout le créé.

Ah ! Que nous sommes malheureuses de nous amuser à des riens, à des niaiseries, pendant que nous avons à nous occuper de si grandes choses. Oui, je le répète, que nous sommes

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malheureuses de perdre ainsi notre temps au lieu de travailler à notre sainteté. Je voudrais pouvoir le dire et le répéter de manière à m'en pénétrer moi-même.

Priez le Saint-Esprit de vous donner la force nécessaire pour vous séparer de tout. Adressez-vous aussi à votre puissante Protectrice, la Sacrée Mère de Dieu ; vous lui appartenez tout particulièrement puisque l'Institut est à elle. Elle a la plénitude de la sainteté, puisque l'ange en la saluant lui dit qu'elle est pleine de grâce et que le Seigneur est avec elle. Elle a en elle la source de la sainteté par Jésus-Christ, depuis qu'elle a porté dans son chaste sein le Verbe Éternel. Demandez-lui donc de vous donner votre part à la sainteté divine. Adorez cette sainteté dans tous les saints : « Tu solus Sanctus ». Sacrifiez tout afin de mériter d'y avoir part, et après tout, dites-moi, je vous prie, que gagnez-vous à suivre vos humeurs, à satisfaire votre curiosité ou quelque autre petite passion qui vous prive de la sainteté ?

Pour moi, je ne veux que la sainteté, je veux tout donner pour l'acquérir. Vous me direz peut-être qu'elle est trop rigoureuse et trop difficile à contenter. Hélas, qu'est-ce donc que ces sacrifices qu'elle exige de nous ? Que nous lui donnions de l'humain pour le divin, y a-t-il à balancer ? Chaque âme est appliquée à quelque attribut particulier, mais qu'heureuses et mille fois heureuses sont celles qui portent les effets de la sainteté, qui y sont vouées et consacrées.

Laissez à cette divine sainteté la liberté d'opérer en vous, et elle vous divinisera, et je vous puis dire comme saint Paul que vous verrez et éprouverez ce que la langue ne peut expliquer, ce que l'esprit ne peut concevoir, ce que la volonté et le coeur ne peuvent espérer ni oser désirer. Mais personne ne veut des opérations de cette adorable sainteté. Presque toutes les âmes s'y opposent. Dès qu'elles se trouvent dans quelque état de sécheresse ou de ténèbres, elles crient, elles se plaignent, elles s'imaginent que Dieu les oublie ou les abandonne.

Ah ! quelque désir que vous ayez de votre perfection, Dieu en a un désir infiniment plus grand, plus vif et plus ardent. Sa divine volonté ne peut souffrir vos imperfections. Sacrifiez-les donc toutes à toute heure et à tout moment, et vous deviendrez toute lumineuse. Mais l'on veut se donner la liberté d'aller partout, de tout dire, tout voir, tout entendre, tout censurer, juger celle-ci, contrarier celle-là : ainsi l'on s'attire bien des sujets de distraction et de dissipation dont on ne se défait point si facilement. On sort de son intérieur, on ne veut point de captivité, point de recueillement. Faisons un sacrifice de tout cela à Notre-Seigneur. Oui, sacrifions-lui tout, et que ce soit pour sa pure gloire et pour lui plaire uniquement. Rendez service à la créature, et regardez-la si vous le voulez, mais que ce soit pour plaire à Dieu qui est en elle. D'abord les sacrifices sont rudes et difficiles à faire, mais cela n'est que pour les commencements ; après ils deviennent faciles et même aimables. On y court, on s'y porte avec joie et ardeur.

Transportez-vous dans le Paradis, mes soeurs, je vous le permets. Voyez-y la gloire des saints, remerciez-en Notre-Seigneur et priez ces âmes bienheureuses de vous rendre participantes de leur bonheur et de leur sainteté.

Il n'y a pas de plus ou de moins en Dieu, cela n'est que selon notre manière de voir les choses, mais pour parler notre langage, on peut dire que la sainteté de Dieu est la plus abstraite de ses adorables perfections. Elle est toute retirée en elle-même. Si nous n'avons pas de grandes lumières, des pénétrations extraordinaires et que nous ne soyons même pas capables de ces grâces éminentes, aimons notre petitesse et demeurons au moins dans l'anéantissement, sans retour sur nous-mêmes pour le temps et pour l'éternité. Ce n'est pas moi qui vous parle, je ne le fais pas en mon nom, je ne suis rien, et je suis moins que personne, mais je le fais de la part de mon Maître qui m'a mise dans la place où je suis. Finissons ; je ne sais pas ce que je vous dis. Priez Notre-Seigneur pour moi.

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CONFÉRENCE DONNÉE LA VEILLE DES ROIS de l'année 1694 SUR LA VOCATION D'ADORATRICE [inédite non référée!]

(inédite)

Nous célébrerons demain la fête de l'Épiphanie, qui veut dire la manifestation de Jésus aux saints Rois Mages qui furent le chercher dans l'étable de Bethléem pour lui rendre leurs respects et leurs adorations. Cette fête, mes soeurs, nous doit donner une singulière dévotion puisqu'elle nous convient plus particulièrement qu'à aucune autre, selon l'esprit de notre vocation qui nous destine à adorer comme eux le même Jésus-Christ dans l'auguste Sacrement de l'Autel, qui renferme tous les autres mystères de sa sainte vie. C'est pourquoi vous pouvez l'y adorer Enfant dans sa crèche avec les saints Rois et vous pouvez dire comme eux, mes soeurs : « Nous avons vu son étoile et nous sommes venues l'adorer ». Votre appel dans l'Institut a été votre étoile, et quoique vous n'en ayez point eu une visible comme les Mages, vous avez eu l'inspiration intérieure de la grâce, qui est encore bien plus sûre que les signes extérieurs.

Vous avez donc vu son étoile et vous êtes venues pour l'adorer. Mais de quelle durée et de quelle étendue doit être cette adoration ? Dans tous les moments de nos vies et de toute l'étendue de notre être. On nous appelle les Filles de l'Adoration perpétuelle. Ô mes soeurs, ne portons pas ce beau nom en vain. Ne soyons pas des fantômes d'adoratrices ; répondons de tout notre pouvoir à cet appel et à ce choix divin que Dieu a fait de nous pour l'adorer continuellement. A-t-il besoin de nous pour cela et en sommes-nous capables, pauvres et misérables créatures qui ne pouvons rien faire de bon de nous-mêmes si

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nous ne sommes animées de sa grâce ? N'a-t-il pas des millions d'anges et d'esprits célestes qui lui rendraient incessamment des adorations parfaites, même dans nos églises qui en sont toutes remplies ? Quoique nous ne les voyions pas, cela ne laisse pas d'être véritable. Cependant il nous choisit et veut que nous ayons l'avantage de l'adorer aussi bien qu'eux et d'être ses adoratrices perpétuelles. O mes soeurs, nous devrions être saintement glorieuses d'une vocation si élevée.

Mais il ne suffit pas, pour remplir ce devoir, d'être seulement une heure ou quelque temps en sa présence au choeur. Il faut que notre adoration soit perpétuelle, puisque le même Dieu que nous adorons au saint Sacrement nous est continuellement présent en tous lieux. Il faut que nous l'adorions en esprit et en vérité : en esprit, par un saint recueillement intérieur ; en vérité, en faisant que tous nos exercices soient une adoration continuelle par notre fidélité à nous rendre à Dieu en tout ce qu'il demande de nous, car dès que nous manquons de fidélité, nous cessons d'adorer.

L'Institut, mes soeurs, n'a été fait que pour nous rendre des adoratrices perpétuelles. Vous y êtes appelées. C'est donc à vous à en remplir la grâce et la sainteté, en vous rendant de véritables adoratrices qui adorent en esprit et en vérité.

Oui, mes soeurs, voilà tout votre soin et votre étude d'adorer ce Dieu de majesté en esprit et en vérité pour répondre au choix qu'il fait de vous : en esprit, par la certitude de votre foi, le croyant tout ce qu'il est en lui-même sans le comprendre, ses grandeurs et perfections divines qui méritent que vous lui rendiez vos hommages, vos respects et vos adorations ; en vérité, l'adorant de tout votre être, qu'il n'y ait rien en vous que vous ne vouliez lui rendre et sacrifier pour l'adorer aussi parfaitement que vous en êtes capables et de tout votre coeur.

O mon Dieu, quel honneur vous nous avez fait de nous appeler pour vous adorer ! Accordez-nous la grâce de répondre à cet appel. Nous vous la demandons par l'entremise de votre très sainte Mère, que nous prions de nous obtenir de votre bonté que nous nous acquittions fidèlement de cette obligation de vous adorer, mais que ce soit en esprit et en vérité, de tout nous-même, immolant tout ce que nous sommes à votre grandeur.

[Photos omises]

Monastère de Dumfries (Écosse)

Monastère de Peppange (Grand-Duché du Luxembourg)

Monastère de Noire-Dame d'Orient (Aveyron)

Monastère Sainte-Anne, Ottmarsheim (Haut-Rhin)

Concevons-nous bien cette grâce que Notre-Seigneur nous a faite, je vous le répète encore, de nous choisir pour l'adorer toujours, nous qui à peine pouvons penser à lui et qui sommes en sa présence comme de faibles mouches ? Quand nous pensons un peu à nous élever à Dieu par la contemplation, nous retombons aussitôt. L'égarement de notre esprit et de notre imagination, nos ténèbres, notre propre misère sont si grands, quelque bonne volonté que nous ayons, qu'il nous est impossible de tenir toujours notre esprit également élevé à Dieu, et nos adorations ne sont que momentanées, pour ainsi dire, sur la terre, en comparaison de celles qui se font dans le ciel par les anges et les bienheureux.

Pourquoi, donc, ô mon Dieu, nous choisir nous autres, pauvres misérables créatures ? N'êtes-vous point content de ces adorations si saintes et si parfaites que vous recevez des anges et des saints ? Et si vous n'en avez pas assez, n'en pouvez-vous pas créer encore une infinité d'autres comme ceux que vous avez crées, qui vous rendraient des adorations dignes de votre Majesté divine ? Non, mon Dieu, vous voulez que nous partagions cet honneur avec eux de vous adorer perpétuellement et de commencer en ce monde ce que nous devons continuer pendant toute l'éternité. d mes soeurs, encore une fois que cette grâce est grande ! Je vous assure que nous ne la connaîtrons que dans l'éternité. Ne pensez pas que ce soient des bagatelles, que je vous dis pour vous amuser et vous entretenir. Non, non, mes soeurs, ce sont des vérités solides et vous le connaîtrez à la mort. C'est une vérité de foi, selon l'Évangile, que Dieu doit avoir des adorateurs qui l'adorent en esprit et en vérité, et il est aussi très certain que c'est là votre vocation particulière; et si c'est votre vocation, il est encore de foi que Dieu nous en a donné la grâce. Il ne tient donc qu'à nous, mes soeurs, de la mettre en usage par notre fidélité.

Il n'est pas nécessaire pour adorer toujours de dire : « Mon Dieu, je vous adore », il suffit que nous ayons une certaine tendance intérieure à Dieu présent, un respect profond par hommage à sa grandeur, le croyant en vous comme il y est en vérité, la très Sainte Trinité y faisant sa demeure, le Père y agissant et opérant par la puissance, le Fils par sa sagesse et le Saint Esprit par sa bonté. C'est donc dans l'intime de votre

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âme, où ce Dieu de majesté réside, que vous devez l'adorer continuellement. Mettez de fois à autre la main sur votre coeur, vous disant à vous-même « Dieu est en moi. Il y est non seulement pour soutenir mon être, comme dans les créatures inanimées, mais il y est agissant, opérant, et pour m'élever à la plus haute perfection, si je ne mets point d'obstacle à sa grâce ». Imaginez-vous qu'il vous dit intérieurement : « Je suis toujours en toi, demeure toujours en moi ; pense par moi et je penserai pour toi et aurai soin de tout le reste. Sois tout à mon usage comme je suis au tien, ne vis que pour moi, ainsi qu'Il dit dans l'Écriture : « Celui qui me mangera vivra pour moi, il demeurera en moi et moi en lui ».

Oh ! heureuses celles qui entendent ces paroles et qui adorent en esprit et en vérité le Père, le Fils et le Saint-Esprit et Jésus Enfant dans sa sainte naissance avec les saints Mages !

Si vous voulez que nous retournions au mystère de l'Épiphanie, ces saints Rois suivent donc l'étoile qui les conduit pour aller chercher Jésus et l'adorer. Ils vont en Jérusalem où Hérode était, qui ayant su leur dessein feignit de le vouloir adorer, mais ce n'était que pour lui ravir la vie et le dévorer. Voilà, nies soeurs, ce qui se passe tous les jours dans notre intérieur. Notre amour-propre est cet Hérode, qui n'a en vue que ses propres intérêts et non point ceux de Jésus-Christ ; il feint même souvent de le vouloir adorer, mais au fond il ne tend qu'à détruire son règne et à étouffer en nous les saints mouvements de sa grâce, nous portant sans cesse à adhérer à nos passions et à la satisfaction de nos sens.

Nous pourrions parcourir de la même sorte tout le reste du mystère, mais cela nous mènerait trop loin : j'en aurais pour deux heures à vous entretenir et je n'ai ce temps. C'est pourquoi j'en demeure là pour revenir à vous dire que vous devez donc être, par votre profession et vocation, les véritables et perpétuelles adoratrices de Jésus-Christ. Voilà à quoi, mes soeurs, vous devez vous appliquer. Voilà où votre zèle se doit étendre. Vous ne devez point avoir de plus grande ardeur que de vous acquitter parfaitement de cette qualité d'adoratrice.

Mais quelqu'une me pourra dire : « Je ne sens point ce grand zèle ; je n'ai point de sentiment de cet amour ardent qui me porte à adorer Jésus-Christ de la manière que vous nous dites ». Il n'importe, mes soeurs, pourvu que vous agissiez en foi, rendant vos respects et vos hommages à Jésus-Christ au-dessus de vous-mêmes. Les goûts et les sensibilités ne sont point nécessaires. Votre adoration en sera plus pure et parfaite, car l'âme qui a une foi vive et non sensible s'élève plus purement à Dieu, se persuadant au-dessus de ses sens de ce qu'il est en lui-même, dans sa grandeur, sainteté et excellence.

Ne vous arrêtez donc pas, mes soeurs, à ce que vos sens vous font sentir et goûter, mais à ce que la foi vous oblige et vous fait croire, et suivez cette foi qui est une lumière pour vous éclairer et vous faire connaître ce Dieu qui vous a appelées par un amour infini pour l'adorer incessamment. Oh ! Quelle grâce, mes soeurs, il vous a faite, vous préférant à tant de saintes âmes qui en sont plus dignes que vous et qui s'en acquitteraient mieux, si Notre-Seigneur leur faisait cette miséricorde comme à vous, et si elles entendaient sa voix qui leur dit : « Venez m'adorer, venez être mes adoratrices perpétuelles ». N'y accourraient-elles pas ? Et vous-mêmes, mes soeurs, si vous entendiez une voix pareille qui vous dit verbalement ces paroles, ne seriez-vous pas toutes transportées de joie et hors de vous-mêmes ? Il vous les a pourtant dites plus véritablement au fond du coeur par l'appel de sa grâce que si vous les aviez entendues grossièrement par le son d'une voix qui pouvait être sujette à l'illusion et à la tromperie. Mais par le mouvement de sa grâce et l'inspiration de son Esprit en vous il vous les a dites et tous les jours il vous les renouvelle et_ il vous dit à tout moment : « Adorez-moi en esprit et en vérité ».

mes soeurs, quel avantage Dieu nous a fait de nous choisir ! Je ne saurais assez dire. Nos coeurs en devraient être dans une continuelle reconnaissance envers ce Dieu de bonté. Tout notre soin devrait être de lui plaire, le servir et le contenter. Et n'est-il pas juste, puisque nous nous devons toutes à lui, que nous nous y rendions par une fidélité continuelle à nous dégager de nous-mêmes et des créatures pour ne nous occuper que de lui seul ? C'est là votre obligation, mes soeurs, c'est la perfection où Dieu nous appelle. Mais je veux vous dire pour votre consolation, si vous ne l'avez point encore acquise, qu'il suffit que vous y tendiez de tout votre coeur. Car nous ne sommes pas obligées d'être tout d'un coup parfaites, mais nous

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sommes obligées sous peine de péché mortel d'y tendre, et même tous les chrétiens, au sentiment de quelques théologiens ; si cela est, oh ! qu'il y en a peu de sauvés, puisqu'il y en a si peu qui y pensent ! Mais faisons réflexion sur nous-mêmes, qui y sommes doublement obligées par notre profession.

Travaillons-nous solidement à nous rendre fidèles à ce que nous avons promis à Dieu ? C'est à nous à le voir et à nous examiner là-dessus. 0 mes soeurs, commençons tout de bon à adorer Jésus-Christ en esprit et en vérité, à être de véritables adoratrices perpétuelles. Adorons-le partout et en tout ce que nous faisons. Il n'y a pas une action qui nous en doive exempter. Vous me direz : « Quoi, en mangeant ? » Oui, mes soeurs, puisque vous ne le faites pas comme un animal, pour vous satisfaire, mais par hommage et soumission à la volonté de Dieu et pour prendre des forces pour vous sacrifier de nouveau à sa majesté. Le faisant avec ces intentions, vous sanctifiez cette action et les autres semblables, qui d'elles-mêmes ne sont que naturelles, et vous continuez par là cet esprit d'adoration, lequel, si vous êtes fidèles, vous conduira à la plus haute sainteté, en vous portant à un sacrifice perpétuel de vous-même, qui vous fera mourir à vos passions, inclinations déréglées et enfin à tout ce qui est opposé à votre sanctification, et vous rendra en même temps de véritables victimes toujours immolées à sa gloire et à son honneur. Amen.

PRIÈRES

composées par mère Mectilde

Ô mon Dieu,

Faites-vous connaître,

augmentez la foi,

contraignez les âmes à se rendre à Vous,

qu'elles ne vous offensent plus.

ÉLÉVATION A NOTRE SEIGNEUR CRUCIFIÉ

Ô amour crucifié, qui vous a ému à endurer et souffrir une mort si cruelle pour moi dans la croix ?

Ô mon Jésus, faites-moi la grâce de détacher mon âme de moi-même et l'attacher avec vous dans cette croix.

Ô mon Jésus, que mes mains soient clouées avec les vôtres, que mon coeur soit navré du coup de lance comme le vôtre, soyez dedans moi et que je sois dedans vous et que je meure dedans cette sainte croix avec vous.

O mon Jésus, faites-moi la grâce de languir et de mourir de votre saint amour et du regret de vous avoir offensé.

ORAISONS A NOTRE-SEIGNEUR

Je vous adore, mon Seigneur Jésus-Christ, et toutes les inclinations saintes de votre esprit pendant votre vie sur la terre. Je me donne à vous pour y entrer et je renonce à toutes les miennes, et je veux avec le secours de votre grâce vivre désormais dans les mêmes intentions et dispositions en toutes les oeuvres que j'aurai à faire toute ma vie, et je veux que mon âme soit unie à la vôtre et en un même amour, en un même vouloir et un même esprit et dispositions vers toutes choses.

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O Jésus, j'anéantis toutes mes volontés et inclinations à vos pieds : j'adore, j'aime et je loue de tout mon coeur votre très sainte et aimable volonté, et, malgré toutes mes répugnances et sentiments contraires, je veux vous aimer, bénir et glorifier en tout ce qu'il vous plaira. Ordonnez sur moi et sur ce qui me touche, en temps et en l'éternité. Vive Jésus ! Vive la très sainte volonté de mon Jésus ! Que la mienne soit détruite et anéantie pour jamais et que la sienne règne et soit accomplie éternellement en la terre comme au ciel ! Amen.

Je m'expose à vous, mon Seigneur, pour entrer dans votre sainteté, qui est par-dessus toutes pensées, dans votre amour qui surpasse toute science et dans vos saintes intentions, telles quelles sont dans elles-mêmes, et que je ne suis pas digne de concevoir ; c'est en la manière que vous aime, adore et honore l'âme sainte de Jésus-Christ que vous méritez d'être honoré, adoré et aimé, et c'est ainsi qu'en elle, je vous aime et vous adore dans les louanges et dans son amour.

A NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS POUR DEMANDER LA FIDÉLITÉ À LA PRÉSENCE DE DIEU

Mon adorable Sauveur Jésus-Christ, attirez-moi, s'il vous plait, par votre infinie miséricorde dans ce fond intime où vous faites votre demeure en moi, pour n'être plus séparée de vous ni être plus vagabonde parmi les créatures qui m'éloignent de vous par des infidélités continuelles ; donnez-moi la grâce, pour l'amour de vous-même, que je puisse demeurer en vous, que je vive de vous, en vous, par vous et pour vous et que tout le créé soit en moi un pur néant où je ne puisse prendre désormais aucune vie. Amen.

ACTES DE CONTRITION

Mon Dieu, je vous offre la contrition de votre Fils, mon Seigneur Jésus-Christ, pour le supplément de celle qui me manque. Il a été contrit pour moi ; c'est pourquoi je m'unis à la grâce et à la sainteté de sa contrition.

Divin Jésus, je m'unis à la grâce de votre divin sacrifice. Vous êtes mon Hostie et je suis la vôtre, ou, pour mieux dire, je suis une même hostie avec vous. Je vous offre à votre Père éternel pour moi ; et je m'offre et me consacre à vous pour vous rendre grâce infinie de toutes les miséricordes que je reçois de votre adorable bonté dans ce mystère auguste de la sainte messe.

Mon Dieu, je veux ce que vous voulez, je veux aimer ce que vous aimez, je veux vivre uniquement pour vous, je renonce et désavoue tout ce qui vous est contraire en moi.

OBLATION DE TOUT SOI-MÊME

A NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST

Jésus, mon Seigneur et mon très divin Maître, je sais que je vous appartiens nécessairement par mille titres, mais je désire aussi de tout mon coeur vous appartenir volontairement. C'est pourquoi je vous offre, vous donne et vous consacre, sans aucune réserve, mon corps, mon âme, mon coeur, ma vie et mon esprit, toutes mes pensées, paroles et actions, avec toutes les dépendances et appartenances de mon être et de ma vie, désirant que tout ce qui a été, est et sera en moi, vous appartienne totalement, absolument, uniquement et éternellement ; et je vous fais cette oblation et donation de tout moi-même non seulement de toute ma force et puissance, mais, afin de la rendre plus sainte et plus efficace, je m'offre et me donne à vous par la force et vertu de votre grâce avec la toute-puissance de votre esprit et avec toute la force de votre divin amour, et je vous supplie, mon très adorable Sauveur, que par votre très grande miséricorde vous employiez vous-même la force de votre bras et la puissance de votre esprit et de votre amour pour me ravir à moi-même et à tout ce qui n'est point vous, et que vous seul me possédiez parfaitement et pour jamais à la plus grande gloire de votre saint nom. Ainsi soit-il.

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AU GRAND SAINT JOSEPH

OFFRANDE

A LA TRÈS SAINTE VIERGE MARIE

Très sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, je vous prends aujourd'hui pour mère, maîtresse, patronne et avocate, mettant entre vos mains mon corps et mon âme, ma vie, ma mort et ma volonté et mon éternité, et tout ce qui est mien en quelque façon que ce soit. Recevez-moi, ô glorieuse Vierge, reine des cieux, pour votre très humble servante et esclave, et faites que je sois et demeure à jamais servante et esclave de votre cher Fils Jésus-Christ. Ainsi soit-il.

Très sainte et très immaculée Vierge, Mère de Dieu, je me donne à vous selon tous mes devoirs, selon tous mes pouvoirs, et selon tous les vouloirs de Jésus, votre Fils. Amen.

PRIÈRE

Sainte Vierge, Mère de Dieu, Temple du Seigneur, modèle incomparable des âmes consacrées à Dieu, je vous honore en ce jour, et je révère tout ce que le Saint-Esprit a opéré dans votre coeur et ce que votre coeur a fait pour Dieu, pour vous consacrer à sa souveraine majesté d'une manière digne de sa grandeur et de votre amour.

Présentez-moi et donnez-moi à votre cher Fils, afin qu'il m'offre et me donne à son Père, et que je me donne et consacre moi-même à lui de tout mon coeur, en qualité de victime adoratrice et réparatrice.

Que je commence véritablement à servir Dieu sur la terre selon toute l'étendue de mes obligations, pour pouvoir être présentée au jour de ma mort au temple de sa gloire et l'y adorer avec vous dans toute l'éternité. Ainsi soit-il.

Glorieux saint, je vous révère et vous honore comme le premier adorateur de l'humanité sacrée de mon sauveur Jésus-Christ. Donnez-moi l'esprit de mon saint institut et toutes les vertus nécessaires à une victime pour dignement remplir mes obligations, et la grâce de vivre dans le pur abandon de tout moi-même au divin plaisir de Jésus-Christ, et que son saint amour fasse ma consommation par un total anéantissement de moi-même. Amen.

A SAINT BENOIT

Glorieux Père et saint protecteur de mon âme, vous êtes mon père et je suis votre enfant.

Conduisez-moi dans les sentiers que vous m'avez enseignés par votre sainte Règle.

Faites-moi la grâce de m'en donner l'esprit, avec celui d'une véritable victime de Jésus-Christ, comme vous l'avez été vous-même en consommant votre vie en parfait holocauste au pied de l'autel, par le feu adorable du même Jésus-Christ. Amen.

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Appendice I Appendice II

L'INSTITUT DES BÉNÉDICTINES DU SAINT-SACREMENT AUJOURD'HUI

Au 1er janvier 1978, l'Institut fondé par Mère Mectilde comprenait 1 484 moniales, réparties en 49 monastères. Ils sont groupés en six fédérations.

— Fédération française (12 monastères, 332 moniales) : Rouen, Caen, Bayeux, Tourcoing, Craon (Mayenne), Mas-Grenier (Tarn-et-Garonne), Notre-Dame d'Orient (Aveyron), Rosheim (Bas-Rhin), Peppange (Luxembourg), Dumfries (Écosse), Ottmarsheim (Haut-Rhin, Erbalunga (Corse).

— Fédération polonaise (4 monastères, 113 moniales) : Varsovie, Siedlce, Wroclaw, Gosciecin.

— Fédération allemande (8 monastères, 258 moniales) : Trèves, Osnabruck, Bonn-Endenich, Winnenberg, Maria-Hamicolt, Cologne, Kreitz, Johannisberg.

— Fédération hollandaise (7 monastères, 195 moniales) : Rumbeke (Belgique), Tegelen, Valkenburg. Driebergen, Breda, Heesch, Tororo (Ouganda).

— Fédération italienne de Ronco-Ghiffa (13 monastères, 450 moniales) : Ronco-Ghiffa, Catania, Sortino, Piedimonte-Matese, Modica, Ragusa Ibla, Grandate, Teano, Alatri, Lucca, Gallarate, Noto, Genova.

— Fédération italienne de Milan (5 monastères, 136 moniales) : Milan, Tarquinia, Montefiascone, Rome, Laveno-Monbello.

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LA JOURNÉE D'UNE BÉNÉDICTINE AUJOURD'HUI AU MONASTÈRE DE ROUEN

5 h — Lever.

5 h 30 — Office des Vigiles

6 h 30 — Oraison

7 h — Laudes, Tierce, Messe chantée.

8 h 30 — Petit déjeuner, travail et, à certains jours, réunions de la communauté en chapitre.

11 h 40 — Sexte chantée, repas, détente et travaux divers, surtout à Magdala (biscuiterie)

14 h — Temps de grand silence : adoration au choeur, lectio divina en cellule ou au jardin.

15 h — None chantée, travail ou conférences

16 h 45 — Vêptres chantées, oraistin

17 h 45 — Repas

18 h 30 — Récréation en commun

19 h 15 — Lecture en communauté, suivie des Complies chantées. Deux fois par semaine et aux grandes fêtes, l'office des Vigiles se dit la nuit à 1 h, le lever est alors fixé à 6 h. Chaque religieuse doit assurer une heure d'adoration devant le Saint-Sacrement chaque jour, soit dans la journée, soit la nuit, selon les possibilités de chacune.

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CHRONOLOGIE [µ reste à restituer les deux colonnes Vie / Histoire]

VIE DE CATHERINE DE BAR HISTOIRE

1614 31 décembre Naissance et baptême 1614 Louis XIII déclaré majeur

1618 Commencement de la guerre de Trente Ans

1623 Première communion

1625 Fondation des lazaristes par saint Vincent de Paul

1629 Guerre de Trente Ans en

Lorraine

Mort du cardinal de Bérulle.

1631 novembre Entrée au monastère des annonciades rouges de Bruyères 1631 Mariage de Gaston d'Orléans, frère de Louis XIII, avec

Marguerite de Lorraine, soeur de Charles IV de Lorraine.

Victoire de Leipzig

1633 Profession aux annonciades de Bruyères 1633 Occupation de la Lorraine par Louis XIII

1634 Victoire de Nordlingen

1635 mai Exode (Badonviller, Épinal, Commercy) 1635 Sac de Bruyères

1638 Exode (séjour à Saint-Dié) 1636 Corneille : Le Cid

-1639

1639 2 juillet Entrée au monastère des bénédictines de Rambervillers.

1640 11 juillet Profession aux bénédictines de

Rambervillers.

1640 septembre Départ pour Saint-Mihiel.

1641 1" août Pèlerinage à Benoîte-Vaux (Meuse) 1641 Secours apporté à la Lorraine par Monsieur Vincent

1641 29 août Arrivée à Paris

1642 IO août Départ de l'abbaye de Montmartre 1642 Monsieur Olier fonde Saint-Sulpice

1642 Séjour en Normandie Mort de Richelieu

1643

1643 23 août Saint-Maur-des-Fossés 1643 Mort de Louis XIII

Anne d'Autriche, régente

Saint Jean Eudes fonde les Eudistes

Saint Jean Eudes fonde la congrégation de Jésus et de Marie

1644 Élection du pape Innocent X

1647 juin Priorat au Bon-Secours de Caen

1648 Traité de Wesphalie, fin de la guerre de Trente Ans

La Fronde (1648-1653)

1650 28 août Retour à Rambervillers comme prieure.

1651 24 mars A Paris (rue du Bac).

1652 14 août Premier contrat de fondation de l'Institut. 1652 juillet Défaite de l'armée royale au faubourg Saint-Antoine

octobre Voeu de la reine Anne d'Autriche.

Entrée triomphale de

1653 25 mars Première exposition du Louis XIV dans Paris

Saint-Sacrement, rue du Bac

1654 12 mars Consécration de l'église et première exposition du Saint-

Sacrement, rue Férou

Pose de la croix sur la porte du monastère

22 août Election de la Sainte Vierge, abbesse perpétuelle de tous les monastères

1655 Election du pape Alexandre VII

1657 Mort de Jean-Jacques Olier

Paix des Pyrénées

1659 Fondation de la société des

Missions étrangères de Paris

1660 Mort de Louise de Marillac

et de saint Vincent de Paul Mariage de Louis XIV et de Marie-Thérèse d'Espagne ; leur entrée dans Paris

1667 Election du pape Clément IX

1670 Election du pape Clément X Décès de la duchesse d'Orléans.

1672 3 avril Apparition du Sacré-Coeur à Marguerite-Marie Alacoque Louis XIV entre en lutte avec le Saint-Siège

1673

Acquisition du terrain de la rue Cassette

Bénédiction de l'église et du monastère de la rue Cassette

Fondation du monastère de Toul (7 décembre 1664)

Agrégation du monastère de Rambervillers (29 avril 1666) Agrégation de l'abbaye NotreDame-de-Consolation de

Nancy (8 avril 1669).

Approbation des Constitutions par le cardinal de Vendôme, légat en France de Clément IX Lettres patentes de Louis XIV

Bref d'Innocent XI : érection de la congrégation.

Première exposition du Saint-Sacrement au monastère de Rouen

Achat de l'hôtel de Turenne, rue Neuve-Saint-Louis, au Marais, pour le second monastère de Paris Union du monastère du Bon-Secours de Caen à l'Institut. Fondation du monastère de Varsovie (Pologne) (1" janvier 1688). Fondation du monastère de Châtillon-sur-Loing

Fondation du monastère de Dreux La bulle d'Innocent XII place les monastères sous la juridiction des évêques, à la demande de Mère Mectilde

Dimanche de Quasimodo, mort de Mère Mectilde du Saint-Sacrement de Bar

1658 janvier 1659 25 mars

1663 1664 1665 1666 1667 1669

1668 29 mai

1670 juillet

1676 IO décembre 1677 4 novembre

1684

1685 30 septembre 1687 27 juin 1688 21 octobre

1696 23 février 3 juillet

1698 6 avril

Naissance de saint Louis-Marie Grignion de Montfort

1676 Election du pape Innocent XI

1683 Echec des Turcs devant Vienne,

battus par Jean Sobieski, roi de Pologne

1684 Saint Jean-Baptiste de la Salle

fonde l'institut des Frères des écoles chrétiennes

1685 Révocation de l'Édit de Nantes

1689 Election du pape Alexandre VIII

1691 Election du pape Innocent XII



ACHEVÉ D'IMPRIMER LE 29 NOVEMBRE 1979 SUR LES PRESSES DES ÉDITIONS TÉQUI

[Quatrième]

Docteur d'Etat ès Lettres, professeur depuis plus de trente ans à l'Université catholique de Lille, l'abbé Joseph Daoust était tout désigné par ses travaux antérieurs ainsi que par une existence passée à l'ombre de cloîtres bénédictins pour présenter l'une des grandes figures du XVII° siècle religieux, Catherine de Bar, plus connue sous le nom de Mère Mectilde du Saint-Sacrement (1614-1698).

Pas de vie plus heurtée que celle de la fondatrice de l'Institut du Saint-Sacrement. Jeune moniale, alors qu'elle ne songe qu'à prier en paix en un obscur couvent de Lorraine, la guerre de Trente ans l'oblige à errer de refuge en refuge à travers le duché, puis à gagner Paris. Bientôt, elle doit se rendre en Normandie et s'établit enfin à Paris dans le faubourg Saint-Germain. Cédant aux instances de nobles et pieuses femmes, elle ouvre un monastère de Bénédictines vouées au culte de l'Eucharistie. Pour développer son oeuvre, elle ne cessera de sillonner le royaume. A son décès, la jeune congrégation est en plein essor. Aujourd'hui, une cinquantaine de prieurés, disséminés à travers l'Europe et jusqu'au coeur de l'Afrique, vivent selon l'esprit de Mère Mectilde, en suivant rigoureusement la Règle bénédictine.

Cette moniale si active compte parmi les principaux auteurs spirituels du grand siècle. Elle a parfaitement assimilé les leçons de mystiques qui l'ont précédée, et elle est en relations avec les maîtres de l'Ecole française. Guidée par eux, Mère Mectilde parvint au sommet de la vie mystique et fit bénéficier une quantité d'âmes de son exceptionnelle expérience. Un petit volume et surtout des milliers de lettres de la plus haute qualité nous permettent de connaître son enseignement et de le mettre encore à profit de nos jours.

Grâce au livre de J. Daoust, rédigé en collaboration avec les Bénédictines de Rouen, nous suivons Mère Mectilde dans ses multiples pérégrinations. De judicieux morceaux choisis, nous initient à sa doctine, à la fois traditionnelle et originale.

Couverture : Cuivre gravé par Drevet (XVII' siècle)



Documents historiques

= Catherine de Bar, Documents Historiques, 1973

CATHERINE DE BAR


Mère Mectilde du Saint-Sacrement

Document Biographque

Manuscrit N 249

Catherine de Bar

[Photo omise : I. — Portrait de Mère Mectilde, appartenant aux descendants de la famille de Bar.]


1614 - 148

Mère Mectilde du Saint-Sacrement

Fondatrice

de l'Institut des bénédictines de l 'Adoration Perpétuelle

du Très Saint-Sacrement de l'Autel


Document Biographique

ÉCRITS SPIRITUELS

1640 -1670

BÉNÉDICTINES DU SAINT-SACREMENT

ROUEN

1973

Imprimatur :

Rouen, le 20 juin 1973


REMERCIEMENTS

Nous ne saurions assez remercier M. Pierre MAROT, qui a bien voulu présenter ce livre.

Notre gratitude va aussi à tous ceux, qui nous ont dirigées et conseillées en ce travail : prêtres et religieuses, spécialistes, historiens, archivistes et bibliothécaires. Ils sont trop nombreux pour que nous puissions les nommer tous.

Nous voulons cependant mentionner particulièrement le révérend Père dom Jean LAPORTE (de l'abbaye de Saint-Wandrille) qui, avec une patience et une érudition vraiment bénédictines nous a beaucoup aidées à rédiger les notes et les a toutes revues.

Nous assurons ces amis de notre prière, demandant à Notre-Dame, Notre Abbesse de les bénir.


PRÉFACE

Philippe MALANDRIN

Vic. Gén.

On doit féliciter les religieuses de la congrégation de l'Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement de consacrer de nouvelles recherches à l'oeuvre de leur fondatrice, la mère Mechtilde, cette religieuse qui, chassée par les guerres, dut quitter en 1641 et 1651 son pays la Lorraine pour la France, et, après d'extraordinaires tribulations, créa à Paris, en 1653, une congrégation nouvelle dans l'ordre bénédictin.

Nous possédons peu de livres imprimés sur la fameuse mystique. Une première esquisse avait été donnée de sa vie et de son oeuvre dans le chapitre consacré à la congrégation des Mères de l'Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement au tome VI, paru en 1721, de l'Histoire des Ordres monastiques du père Hélyot (p. 370-390). En 1775, l'abbé Duquesne, auteur de l'Evangile médité et de quelques autres ouvrages, publia à Nancy une Vie de la vénérable Mère, volume très dense de 474 pages de format in-12, où aucune division ne vient aider le lecteur pour suivre une existence mouvementée. C'est un récit continu où sont insérées toutefois des citations de documents, lettres qu'elle écrivit ou qu'elle reçut, mémoires rédigés par elle ou par son entourage, qui avaient été conservés dans les couvents des religieuses du Saint-Sacrement de la rue Cassette ou d'ailleurs. Ce sont ces textes qui font saillies et qui permettent au lecteur de retrouver l'image de la mystique et de deviner son milieu ou plutôt les milieux que sa flamme irradia. Mais cet essai était encore bien imparfait et sans vigueur.

Au xixe siècle, un aumônier du couvent du Saint-Sacrement d'Arras, le chanoine N. Hervin, avec la collaboration de l'un de ses confrères, l'abbé M. Marie Dourlens, curé d'Haravesnes, reprit l'étude de cette vie, et lui consacra un fort volume in-8° de xxxii-748 pages, cette fois mieux ordonné, où les étapes d'une extraordinaire odyssée sont mises en lumière. L'ouvrage était nourri d'abondants documents et pourvu de références plus précises. Les fonds des monastères des religieuses du Saint-Sacrement avaient été exploités plus amplement.

« Nous avons été assez heureux, dit le chanoine Hervin, pour retrouver un très grand nombre de lettres, d'instructions, de conférences de la mère Mechtilde, plusieurs vies manuscrites, des mémoires très complets rédigés à la fin du xvne siècle et au commencement du xvine siècle par des auteurs contemporains ou par les premières religieuses de l'Institut ».

8

Il utilisa « le compte rendu que fit la mère en 1643 au père Jean Chrystome, son confesseur, de ses premières années dans le monde et dans le cloître ». Il examina plus de deux mille lettres de la mère, ses exhortations, ses instructions recueillies par son entourage. C'est surtout en fonction de ce livre consciencieux, mais un peu limité dans ses perspectives, que la personnalité de la mère Mechtilde a été révélée aux historiens : ceux-ci n'avaient jusqu'à ces dernières années que peu recouru aux sources manuscrites pourtant abondantes qui nous permettent de la découvrir.

Le chanoine Hervin avait publié par ailleurs un abrégé de son ouvrage. En 1922, une religieuse du couvent de Rosheim donna une biographie, fondée essentiellement sur l'ouvrage du chanoine, mais nourrie aussi de la substance de quelques vies manuscrites utilisées au reste par son devancier (Catherine de Bar..., publication bénédictine « Pax », Montauban ; J. Prunet, in-8°, 204 pages).

La richesse de la correspondance que révélait le chanoine Hervin avait été confirmée par le livre du chanoine H. Boissonnot, La Lydwine de Touraine, Anne-Berthe de Béthune, abbesse de Beaumontlez-Tours (1637-1689). Etudes mystiques (Tours-Paris, 1912). Pour faire revivre cette religieuse, le chanoine Boissonnot avait surtout utilisé les lettres (plus de trois cents), que Mechtilde avait adressées à l'abbesse, « petits chefs-d'oeuvre, dit-il, dictés par une de ces amitiés exquises dont nous ne conservons que de rares exemples ». La publication de longs extraits révèle mieux peut-être que ceux qu'avait produits le chanoine Hervin la qualité du style, la finesse de la pensée et l'ardeur de la mère Mechtilde.

Lorsque l'abbé Henri Bremond brossa de main de maître le tableau du mysticisme dans son Histoire littéraire du sentiment religieux, il évoqua Mechtilde à plusieurs reprises « à pas pressés », un peu trop rapidement sans doute. Il reconnaît qu'elle mériterait « une longue esquisse » (t. IV, p. 265-266). « Si je commence à parler d'elle, dit-il, ainsi que de Berthe de Béthune, je ne saurais plus m'arrêter... La seule mention des personnages qui paraissent dans ces deux vies nous demanderait plusieurs pages » (t. VI, p. 386).

Toutefois, il revient plus longuement sur la « sublime mission » de la mère Mechtilde et analyse ses constitutions ainsi que « l'horloge pour l'adoration perpétuelle du Saint-Sacrement » (t. IX, p. 207 et sq.)

Depuis une quarantaine d'années, les études sur le mysticisme du xvlle siècle se sont développées. Dans un ouvrage publié sous le titre Priez sans cesse, en 1953, à l'occasion du tricentenaire de l'Institut des Bénédictines de l'Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement, de savants bénédictins et le chanoine G. A. Simon ont retracé la vie de la mère Mechtilde, les vicissitudes et le développement de l'Institut qu'elle avait créé.

Les écrits spirituels de la mère destinés à la comtesse de Château-vieux, la fondatrice de l'Institut, étaient publiés en offset par les Bénédictines du Saint-Sacrement en 1965 ; extraits de ce que l'on est convenu d'appeler le Bréviaire de la comtesse, regroupés en fonction de leur objet, ils offrent un spécimen de ce que contiennent les dossiers des couvents des Bénédictines du Saint-Sacrement. C'est le regretté abbé Louis Cognet, l'un des meilleurs spécialistes de l'histoire du mysticisme, qui présenta ces morceaux choisis, en montrant à travers les étapes de la vie et de l'action de la mère Mechtilde les sources et le développement des sentiments qui l'animaient.

On trouvera, du reste, en introduction au présent ouvrage, une évocation de la mère Mechtilde que l'abbé Cognet avait présentée dans une conférence donnée par lui à Paris, au monastère des bénédictines du Saint-Sacrement, le 15 mars 1958 (1).

De l'immense correspondance de la mère Mechtilde, de trop rares spécimens ont été publiés. On nous en donne ici un état qui en suggère la richesse, en même temps qu'il précise la tradition et le mode de conservation. Nous sommes heureux de savoir que les religieuses ont entrepris non seulement le récolement de ces lettres, mais leur transcription en vue d'une éventuelle édition, du moins d'une publication partielle.

Aujourd'hui on nous offre l'édition d'un manuscrit constitué par un ensemble de mémoires accompagnés de textes concernant la fondation de l'Institut de l'Adoration perpétuelle. La rédaction de cet ensemble de mémoires a été terminée au moment où les lettres-patentes de Louis XIV de juillet 1670 que l'on a pu insérer in fine venaient sanctionner la création de la congrégation du Saint-Sacrement. Ces morceaux qui se complètent ou se juxtaposent ont été mis au point, semble-t-il, pendant une assez brève période. On fait allusion au cours de la dernière partie de ces mémoires à la mort de Clément IX « qui n'a pas encore de successeur quand cela se trouve écrit ». Or, Clément IX mourut le 9 décembre 1669. A la fin du dernier mémoire, on donne l'élection de son successeur comme un fait accompli. « A présent que Dieu a donné un chef à son Eglise, on espère que celui-ci ne tardera pas à accorder les bulles que l'on souhaite » : l'élection de Clément X est du 29 avril 1670, trois mois avant que ne fussent données les lettres-patentes du roi confirmant la « congrégation ». A quelques dizaines de pages de distance la rédaction n'a pas été unifiée.

La narration est établie d'une manière précise. La chronologie est assez serrée. Les nombreux personnages cités sont mentionnés exactement. Les intentions de la mère Mechtilde sont évoquées, ses désirs comme les contrariétés qu'elle subit. On ne mentionne pas seulement que les actions sanctionnées par des réalisations concrètes. Il s'ensuit donc que ces mémoires ont été rédigés à partir des

(1) Signalons les notices consacrées à la mère Mechtilde par dom P. Séjourné dans le Dictionnaire d'histoire et de géographie ecclésiastique, t. VI (1932), col. 534-537 et par M. Henri Tribout de Morembert dans le Dictionnaire de biographie française, t. V (1951), c. 111-113.

10 CATHERINE DE BAR DOCUMENTS HISTORIQUES53 11

confidences de la mère, et probablement avec quelque participation de sa part. Mais elle est présentée avec tant d'éloges comme un être d'exception, instrument de la volonté divine, que l'on ne peut croire qu'elle a inspiré, au sens strict, l'élaboration de sa biographie. Les antécédents de Mechtilde, comme ceux des premières institutions auxquelles elle appartient, sont révélés : il y a une volonté de ne rien laisser dans l'ombre, notamment pour ce qui est des événements relatifs à la Lorraine.

C'est à Paris que cet ensemble de mémoires a été rédigé, dans les perspectives de l'histoire de la création du monastère de la rue Cassette. Le milieu parisien est parfaitement connu ; de ce point de vue, ce document est précieux. Il fait revivre une société dans ses élans de mysticisme, mais aussi dans la rigueur d'un « juridisme » parfois étroit que la charité ne tempère pas toujours ; il nous montre aussi ce que pouvaient être les oppositions, les rivalités entre clans pourtant animés des intentions les plus pures, les égoïsmes de maisons rivales défendant leur personnel et leurs moyens d'existence. Il nous révèle aussi les intrigues qu'il fallait mener pour faire aboutir les créations que l'on avait conçues.

Ces récits nous donnent l'image d'une époque traversée par les guerres entre Etats, les troubles intérieurs ; ils nous montrent comment ces misères engendrèrent dans les âmes de haute spiritualité les aspirations au renoncement, le désir de réparer toutes les turpitudes humaines et les insultes commises à l'endroit de Dieu. Certes l'ouvrage du chanoine Hervin ne laissait pas ignorer tous ces traits grâce aux sources dont il avait pu user, spécialement grâce aux vies anciennes, postérieures aux mémoires, qu'il avait pu connaître. Il nous semble que la narration publiée ici, plus proche des événements, est plus significative encore. Il est vraisemblable que les auteurs des Vies ont puisé dans ces mémoires. Inversement d'ailleurs, on trouve parfois dans ces vies, si nous en jugeons par les références du chanoine Hersent, des informations qui manquent ici (notamment pour ce qui est de la fondation du monastère de Toul).

Comme les religieuses le déclarent, elles ont voulu maintenir le souvenir des faits qui constituent la trame de la fondation de leur congrégation. Elles ont entendu aussi édifier le lecteur. Elles se sont employées à révéler tout ce qui prouvait les « interventions » de la Providence.

La succession de ces mémoires, des différentes parties qui constituent ce recueil, s'ordonne en fonction de la création de la congrégation selon le développement de la vie de la mère Mechtilde. Les deux premières parties sont consacrées aux vicissitudes de la religieuse depuis son exode en France et à l'établissement de l'institut de l'Adoration perpétuelle, la troisième au rôle qu'eut dans la création de cette institution la comtesse de Châteauvieux que l'on peut considérer comme la fondatrice, avec son mari, de la maison de Paris qui se fixa rue Cassette, la quatrième à l'évocation rapide de la fondation du monastère de Toul, et à l'histoire plus détaillée du monastère de

Notre-Dame de la Conception de Rambervillers et de celui de Notre-Dame de la Consolation de Nancy et leur réunion à l'institut, prémices de l'érection de la congrégation. L'histoire des deux derniers monastères nous introduit dans le milieu lorrain qui fut celui des débuts de la mère Mechtilde, de telle sorte que l'on y trouve de nombreuses notions qui expliquent le déroulement de sa vie à ses débuts et éclairent sa formation.

Cette dernière partie comporte, en conclusion, les informations et les documents concernant l'érection de la congrégation auxquels ont été ajoutées des indications sur les tentatives de création de monastères à Rouen et à Saint-Dié.

Pour comprendre le développement de la vie de la mère Mechtilde, il faut avoir présent à l'esprit ce qu'était son pays. Elle a été profondément marquée par lui, elle y a vécu jusqu'à l'âge de vingt-six ans, elle lui est restée très attachée (2). Elle a donné à la congrégation qu'elle a créée à Paris de solides assises en Lorraine. Les mémoires publiés ici présentent divers éléments d'information. Il convient au reste de les situer dans un contexte plus large.

La Lorraine correspondant en gros aux trois diocèses de Metz, Toul et Verdun faisait corps avec l'Empire. La maison de Lorraine-Anjou régnait sur les duchés de Lorraine et de Bar. Les Trois-Evêchés (qu'il ne faut pas confondre avec les diocèses) de Metz, Toul et Verdun, indépendants des duchés, étaient occupés par le roi de France depuis 1552 et devaient être réunis au royaume par les traités de Westphalie de 1648.

La mère Mechtilde était née le 31 décembre 1614, à Saint-Dié, dans le duché de Lorraine, à l'orée des montagnes vosgiennes, en un pays de forte tradition chrétienne, où les ordres religieux s'étaient très solidement implantés dès le haut moyen-âge ; les grandes abbayes vosgiennes avaient une influence prépondérante. Saint-Dié était le siège d'un puissant chapitre.

La dynastie ducale s'était instituée le champion du catholicisme au temps des guerres de religion. Entraîné par les Guises, ses cousins, le duc Charles III, époux d'une fille du roi de France Henri II, avait participé à la Ligue. Il se disait héritier de Godefroy de Bouillon dont on faisait alors un duc de Haute-Lorraine et affirmait ses devoirs pour la défense de la chrétienté.

(2) Les histoires de Lorraine ont fait une place à la mère Mechtilde. Dom Calmet lui a naturellement consacré une notice dans le Bibliothèque lorraine (1751), col. 651-652. Christian Pfister a présenté sa vie et son oeuvre dans son Histoire de Nancy, t. II (1909), p. 733-757 (ce chapitre est la reproduction d'une conférence donnée à la Faculté des lettres de Nancy le 30 janvier 1897 qui avait été publiée dans le Bulletin de la Société philomatique vosgienne, année 18961897, p. 215-238). Il convient aussi de signaler les pages qui lui sont consacrées par Mgr Eugène Martin dans son Histoire des diocèses de Toul, de Nancy et de Saint-Dié, t. II (1901). p. 255-264.

12 CATHERINE DE BAR

La Lorraine fut un centre essentiel de la Contre-Réforme. Les évêques du pays soutenus par la maison ducale s'attachèrent à faire prévaloir les décisions du Concile de Trente. Ce qui exprime le mieux ce puissant mouvement est la création, en 1572, de l'Université de Pont-à-Mousson due à l'action conjointe de Charles III et de son cousin le cardinal de Lorraine. Les Jésuites qui en furent les maîtres ont exercé une action considérable qui dépassa les bornes de la région et rayonna en terre de France et d'Empire. L'Université contribua au renouveau religieux. Les anciens ordres furent réformés : des ordres nouveaux s'implantèrent, et pourtant le pays était déjà peuplé de nombreux couvents. Le fils du duc Charles III, le cardinal Charles de Lorraine, évêque de Strasbourg, primat de Lorraine, légat du pape, fut un appui efficace de ce renouveau.

Dans le diocèse de Toul, l'évêque Jean des Porcelets de Maillane (1608-1624) favorisa cette action. La réforme de l'ordre bénédictin, la création de la congrégation de Saint-Vanne en 1603-1604 grâce au zèle de dom Didier de La Cour, la réforme des prémontrés due à Servais de Lairuelz, sanctionnée par une bulle de 1617, celle des chanoines réguliers conçue par saint Pierre Fourier, approuvée par une bulle de 1628, sont les exemples les plus expressifs du renouveau de l'Eglise. Une princesse lorraine, fille de Charles III, tenta, sans succès, la réforme du fameux chapitre de dames nobles de Remiremont, ancienne fondation bénédictine ; ayant pris l'habit bénédictin à Paris au Val-de-Grâce, monastère que Marguerite d'Arbouse venait de ramener à une stricte discipline, elle créa à Nancy, en 1625, l'abbaye bénédictine Notre-Dame de la Consolation qui devait tenir une place importante dans l'oeuvre de Mechtilde (3).

Pierre Fourier, chanoine régulier, qui avait réformé son ordre, nous l'avons dit, curé exemplaire de Mattaincourt, près de Mirecourt, chef-lieu du bailliage de Vosge, avait trouvé, en la mère Alix, une vosgienne de Remiremont, le concours nécessaire pour la fondation d'un ordre qui était appelé à un grand essor, la congrégation Notre-Dame, née en 1597 et confirmée par le pape en 1615-1616. C'était de Remiremont qu'était originaire l'extraordinaire Elisabeth de Ranfaing, la « possédée » que de fameux exorcismes (1621) délivrèrent du diable et qui fonda à Nancy la maison Notre-Dame du Refuge en 1627.

On ne peut trop insister sur la vitalité du sentiment religieux dont l'art nous a laissé pour cette époque en Lorraine tant d'émouvants témoignages : faut-il rappeler l'oeuvre du peintre lunévillois Georges de La Tour ?

C'est dans ce climat de ferveur religieuse que Catherine de Bar (ce nom est orthographié Barre sans particule dans le registre où est inscrit l'acte de son baptême) (4) vécut ses jeunes années. Née en

(3) Cf. Christian Pfister, Histoire de Nancy, t. II, p. 733-774.

(4) Cf. Léon Germain, Note sur le nom de « Catherine de Bar » dans Bulletin de la Société philomatique vosgienne, 1891-1892, p. 41-44.



[photos omises : Acte de baptême - Vestiges de la porte de l'ancien couvent des Annonciades à Badonvillers où Mère Mectilde a trouvé refuge en 1635. Cette porte date de 1631.]


1614, elle apprtenait à la bourgeoisie…

[ µ page 13 oubliée à reproduire! ]


14 CATHERINE DE BAR DOCUMENTS HISTORIQUES 15

La politique d'intrusion du roi sur ces marches était dans la ligne d'une politique qui s'était progressivement affirmée. L'occupation des duchés de Lorraine et de Bar, après celle des Trois-Evêchés, devait assurer la protection du royaume. La Lorraine, région pour la plus grande partie, de langue française, de moeurs françaises, malgré la loyauté de ses habitants pour la dynastie ducale et son particularisme, était considérée comme une zone d'extension naturelle pour le royaume.

Charles IV avait inquiété Louis XIII par les intrigues qu'il avait nouées avec les ennemis de la couronne. Accueillant dans ses Etats Gaston d'Orléans qui complotait contre son frère, il mit le comble à l'indignation du roi en favorisant le mariage de « Monsieur », en 1632, avec sa soeur Marguerite qui eut lieu en secret à Nancy, dans l'église du monastère des Bénédictines, fondé par Catherine de Lorraine. Cette union devait avoir dans les entreprises de la mère Mechtilde de grandes conséquences. La religieuse trouva à Paris, au milieu du siècle, auprès de la duchesse d'Orléans, l'appui le plus sûr pour le développement de son oeuvre, comme nous le dirons.

Les troupes de Louis XIII et celles de ses alliés suédois envahirent la Lorraine. Nancy dut capituler en 1633. La résistance lorraine, les incursions des armées de Charles IV et de ses alliés dans les duchés, la réoccupation temporaire de certaines villes par ce prince ne firent qu'aggraver encore les misères du pays. Si les duchés furent dans le principe temporairement rendus par le traité de Nimègue au duc qui avait mené une vie de condottiere, Charles IV dut abandonner Nancy en 1670. Il mourut à Consarbrück six ans plus tard. C'est au petit-neveu de Charles, Léopold, que furent rendus les duchés en vertu du traité de Ryswick de 1697, au moment où mourut la mère Mechtilde.

Bruyères, siège du monastère des Annonciades où Catherine de Bar avait fait profession, avait été dévasté, le couvent anéanti en 1635 (7), comme on le lira dans les mémoires ; les religieuses dont elle était devenue la supérieure émigrèrent au début de 1636 à Commercy, siège d'une principauté, qui fut sévèrement marquée par l'invasion et la peste : Mechtilde n'y put demeurer (8). Elle regagna Saint-Dié qui avait subi aussi de nombreux ravages (9). Elle décida alors de passer chez les bénédictines de Rambervillers, dont le couvent issu de celui de Saint-Nicolas-de-Port, avait été récemment fondé. La rigueur de la réforme vanniste la séduisit sans doute. A l'âge de vingt-quatre ans, en 1639, elle devint bénédictine sous le nom de Mechtilde de Helfède (Saxe), mystique fameuse du mye siècle, favorisée de nombreuses apparitions, dont la « vie admirable » et les

(7) Henri Lepage, Notice historique sur la ville de Bruyères dans Annales de la Société d'Emulation des Vosges, 1878, p. 142-204.

(8) C. E. Dumont, Histoire de la ville et des seigneurs de Commercy, Bar-le-Duc, 1843, t. II, p. 27.

(9) Georges Beaumont, Saint-Dié des Vosges. Origines et développement, Saint-Dié, 1961, p. 46.

« oeuvres excellentes », traduites en français, avaient été publiées à Paris, chez Michel Joly, par Jacques Ferraige en 1623 (10).

Rambervillers, du diocèse de Toul, mais qui faisait partie du temporel de Metz, donc normalement occupé par le roi de France, fut emporté par le duc Charles IV en 1635, puis repris par les Français en 1637. Les Lorrains revinrent l'année suivante, puis en 1639 les Français réoccupèrent la ville (11) ; les religieuses, dans la plus grande détresse, abandonnèrent le monastère et se rendirent à Saint-Mihiel, ville du Barrois où d'ailleurs la misère était extrême (12). Mechtilde et ses compagnes n'y purent rester. Bientôt elle gagna le royaume.

Les ravages commis par les troupes françaises et leurs alliés en Lorraine avaient ému saint Vincent de Paul : il envoya des prêtres de la Mission pour soulager ces misères ; il favorisa l'émigration vers Paris en constituant dans la capitale des centres de réfugiés (13). L'un de ses prêtres, le père Julien Guérin, ancien soldat, avait suggéré à la mère Mechtilde de se rendre à Paris pour être accueillie au fameux monastère de Montmartre dont l'abbesse Mme de Beauvillers avait fait un foyer de spiritualité exemplaire. Celle-ci consultée ne donna pas d'abord son agrément.

Il fallut attendre : Mechtilde et ses soeurs se rendirent le 1er août 1641 au sanctuaire vénéré de la Vierge de Benoîte-Vaux, à quelques lieues de Saint-Mihiel, dont la statue miraculeuse avait été mise à l'abri de la soldatesque par l'« écuyère lorraine » Mme de Saint-Balmont, pour obtenir aide et conseil de la Mère de Dieu. Les bourgeois de Nancy étaient allés en juillet dans un grand pélerinage faire amende honorable à Marie (14). Mechtilde demanda à la Vierge d'éclairer l'abbesse de Montmartre. Or, celle-ci, mieux inspirée, décida de l'accueillir. Ce pélerinage dans ce haut lieu de la piété lorraine fixa le destin de Mechtilde. C'est dans ces conditions que les bénédictines lorraines gagnèrent Paris.

(10) Ferraige publia ultérieurement une vie de la soeur de sainte Mechtilde, sainte Gertrude. L'amie de la mère Mechtilde, la mère Bouette de Blémur (cf. infra, n. 22) a longuement parlé de sainte Mechtilde dans l'Année bénédictine ou les vies de saints de l'ordre de saint Benoit pour tous les jours de l'année, t. XI novembre, p. 396-420 (19 novembre).

(11) A. Fournier, Rambervillers au XVIIe siècle dans Annales de la Société cl'Emulation des Vosges, 1879, p. 143-179. Cet auteur donne des témoignages significatifs sur les misères qui frappèrent les habitants de la ville.

(12) C. E. Dumont, Histoire de la ville de Saint-Mihiel, Paris, 1860-1862, t. II, p. 65 et sq.

(13) Sur l'action de saint Vincent de Paul en Lorraine, cf. abbé J.-F. Deblaye. La charité de saint Vincent de Paul en Lorraine, Nancy, 1886, spécialement p. 74 et 95 sq.

(14) Mgr Charles Aimond, Notre-Dame dans le diocèse de Verdun, Paris, 1945, p. 86-89 et du même, Notre-Dame de Benoite-Vaux, Bar-le-Duc, 1937. C'était les prémontrés qui assuraient le service du pélerinage. La statue de la Vierge, mise à l'abri par Mme de Saint-Balmont au château de Neuville-en-Verdunois en 1638, avait été ramenée en mars 1641 à Benoîte-Vaux.

16 CATHERINE DE BAR DOCUMENTS HISTORIQUES 17

Mechtilde allait commencer une vie nouvelle qui, après bien des vicissitudes, devait aboutir à la création dans la capitale de l'Institut de l'Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement. L'adaptation des religieuses lorraines à la vie française se fit assez aisément. Si les Lorrains dans le principe restaient fidèles à leurs princes, ils n'avaient pas grand effort à accomplir pour s'assimiler au milieu français ; les contacts entre Lorrains et Français étaient constants. C'est de France, au reste, qu'étaient issus la plupart des mouvements religieux qui imprégnèrent la Lorraine au cours des âges. Les franciscains qui marquèrent si profondément le pays, constituant la vicarie de Lorraine, dépendaient de la « province de France ». Inversement, les réformes ou créations lorraines produisirent leurs effets au-delà des frontières des duchés. La réforme vanniste se développa en Champagne. Celle des Prémontrés, due à Servais de Lairuelz, « l'Antique Rigueur », trouva en Normandie un terrain favorable.

Ainsi, la mère Mechtilde fut une fleur du mysticisme lorrain qui s'épanouit en France, mais ses racines demeurèrent vigoureuses en Lorraine. Elle trouva dans son pays conseil et appui. Elle resta toujours en contact avec dom Antoine de Lescale (15), le disciple de dom Didier de La Cour, le fondateur de la congrégation de Saint-Vanne, qui avait favorisé son entrée dans l'ordre bénédictin, dont la nièce vint la rejoindre à Saint-Maur en 1643 et fit profession sous le nom de Marguerite de la Conception. Celle-ci lui fut si attachée qu'elle écrivit sa biographie. Elle trouva constamment appui auprès de Jean Midot (16), vicaire général de Toul pendant le longues années, au cours de la vacance prolongée du siège épiscopal, qui lui accorda les « obédiences » nécessaires à ses déplacements, de même, malgré quelques réticences lors de premiers contacts, auprès de son successeur, François Caillier.

Bien entendu, nous ne sous-estimons pas l'influence qu'exercèrent sur elle les milieux français, les conséquences de son séjour en l'abbaye de Montmartre (1641-1642), de son établissement temporaire à la Sainte-Trinité de Caen (1643), l'importance des relations étroites qu'elle noua avec les mystiques normands de la Compagnie du Saint-Sacrement, de Bernières en particulier, pour ne citer que lui. Elle passa plusieurs années fructueuses à Saint-Maur avec les religieuses réfugiées (1643-1646) et fut supérieure du monastère de NotreDame-de-Bon-Secours de Caen (1647-1650). Mais elle était toujours attachée au monastère de Rambervillers. Elle y revint, en 1650, après neuf années d'absence, fut désignée comme prieure. Elle pensait y trouver, avec ses compagnes, un asile de recueillement où elle pourrait s'anéantir dans la prière. Mais à peine était-elle arrivée, que les

(15) Sur Antoine de Lescale (1617-1667), cf. Jean Godefroy, Bibliothèque des bénédictins de la congrégation de Saint-Vanne et Saint-Hydulphe, Ligugé-Paris, 1925, p. 128.

(16) Sur Jean Midot, cf. dom Calmet, Bibliothèque lorraine, col. 651-652 et Eugène Martin, Histoire des diocèses de Toul, t. II, passim.

troupes du duc Charles IV s'emparèrent de la ville et que le pays retomba dans les troubles les plus inouïs (17). Elle fit part, en 1651, à Bernières de son désarroi :

« Il faut une grâce toute particulière pour vivre recolligée et conserver l'esprit d'oraison en ces pays. Les alarmes y sont si fréquentes que notre maison est toujours remplie de monde qui s'y jette pour éviter les premiers coups de furie que les soldats déchargent sur ceux qu'ils rencontrent. Hélas ! mon très cher frère, vous me disiez quelquefois qu'il fallait retourner à Rambervillers pour y mourir solitaire, c'est ici une étrange solitude... »

Elle quitta donc Rambervillers à nouveau avec quelques-unes de ses soeurs. L'« obédience » qui lui était accordée constatait que « la Lorraine était réduite à la plus affreuse disette et ses habitants forcés de quitter leur malheureuse patrie ». Dans le temps de la Fronde, en mars 1651, elle retrouva ses compagnes de Saint-Maur dans une maison de la rue du Bac, aux prises avec les plus grandes difficultés. La précarité des petites soeurs lorraines suscita la charité de pieuses personnes, et spécialement de la comtesse de Châteauvieux dont l'appui fut décisif pour la fondation de l'Institut de l'Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement. Il fallait réparer les insultes infligées à l'Eucharitie, ce sentiment la mère l'avait conçu depuis de longues années : les sacrilèges, les profanations étaient nombreux et les soldats, « les hérétiques » en particulier, les avaient multipliés pendant la guerre que Mechtilde avait vécue en Lorraine : la « grande église » de Saint-Nicolas-de-Port en avait été en particulier le théâtre dans le temps où Bruyères avait été saccagé. Le pillage et l'incendie de ce sanctuaire demeuraient un des actes les plus odieux de l'invasion du pays (18). Il n'y avait point seulement à réparer les profanations des gens de guerre, mais aussi celles que les sorciers commettaient ; or nul n'ignore la crise de sorcellerie qui éprouva la Lorraine.

La fondation d'un monastère à Paris ne devait pas détacher Mechtilde de son pays. Redoutant de la perdre à jamais, les soeurs de Rambervillers mettaient des entraves à son installation définitive dans la capitale du royaume : « Je vous assure, disait Mechtilde à ses anciennes compagnes, que mon désir n'est point de me séparer et de me désunir d'avec vous », mais elle voulait simplement accomplir ce qu'ordonnait la Providence. Dom de Lescale la soutint, la défendit : il donna même aux religieuses de Rambervillers le modèle de leur consentement au transfert de leur ancienne prieure ; le vicaire général Caillier acquiesca. Le contrat de fondation du premier monastère de l'Institut était signé le 14 août 1652. Le couvent fut établi grâce aux générosités de bienfaiteurs, mais sa création fut le résultat du

(17) Dr A. Fournier, Un épisode de la guerre de Trente ans : les Allemands à Rambervillers dans Annales de la Société d'Emulation des Vosges, 1875-76, p. 248 et sq.

(18) Sur le vandalisme à Saint-Nicolas, cf. Pierre Marot, Saint-Nicolas-dePort, la « grande église » et le pélerinage, Nancy, 1963, p. 63-65.

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voeu qu'au nom de la reine fit M. Picoté pour le rétablissement de la paix dans le royaume. Le couvent fut établi d'abord rue Férou. C'est là que la veuve du roi dont les troupes avaient envahi la Lorraine vint le 12 mars 1654 assister à la mise en clôture des religieuses chassées de leur patrie et à la pose de la croix. Anne d'Autriche, se passant la corde au cou, lut l'amende honorable. On comptait dans la communauté plusieurs religieuses de Rambervillers. Deux autres en arrivaient : la mère Bernardine et la mère Marie-de-Jésus.

Le couvent devait être bientôt transféré rue Cassette. Au moment où il était question d'acheter le terrain où le monastère devait être élevé, elle fut contrainte d'aller prendre les eaux ; on lui proposait Bourbon ou Plombières, ce fut Plombières qu'elle choisit à cause de la proximité de Rambervillers :

« J'ai trop aimé, disait-elle, la maison de Rambervillers et je l'aime encore trop pour l'oublier. Dieu sait comme je courrai à Rambervillers, c'est là que je ferai mes remèdes, si Dieu voulait, mon cercueil, sans avoir la peine de revenir... »

Elle partit en avril, séjourna à Nancy chez les religieuses de la congrégation Notre-Dame où elle comptait deux nièces religieuses, revint à Rambervillers dont la mère Benoîte de la Passion qui lui avait succédé était prieure. Accomplissant un voeu de Mme de Châteauvieux qu'elle avait intéressée à son ancien couvent, elle remit au monastère une somme de deux cents louis destinée à la fondation d'une messe du Saint-Sacrement tous les jeudis. Après avoir passé quelques jours chez les Annonciades d'Epinal, elle prit les eaux à Plombières pour obéir à ses médecins (19). Elle revint à Paris afin de négocier l'acquisition du terrain de la rue Cassette qui fut conclue en janvier 1658 et bâtir le nouveau couvent qui fut inauguré en mars 1659.

Pour mener à bien toutes ses entreprises, pour vaincre les nombreux obstacles qu'elle trouva sur son chemin, elle bénéficia d'appuis : celui d'Anne d'Autriche et de bien d'autres. Parmi les protections dont elle jouit, celle de la duchesse d'Orléans doit être mise au premier rang. Il faut faire une place spéciale au rôle que tint cette princesse, aux liens qui l'unissaient à la mère Mechtilde. Marguerite de Lorraine (20), dont nous avons parlé à l'occasion de son mariage avec

(19) L'année suivante, en septembre 1658, elle fit conduire dans cette station thermale une religieuse malade de la pierre qui, au cas où elle ne serait pas guérie, resterait à Rambervillers. En retour, elle demandait que le couvent de Rambervillers envoyât à Paris une soeur « capable de nous servir, disait-elle, et de nous soulager pour le choeur ». (Cf. la lettre de la mère Mechtilde publiée dans le Mémorial du XIV° centenaire de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, Revue de l'histoire de l'Eglise de France, 1957, p. 227). On voit que les échanges entre le couvent de Rambervillers et celui de Paris étaient constants.

(20) Sur Marguerite de Lorraine, cf. vicomte Lucien de Warren, Marguerite de Lorraine duchesse d'Orléans (1615-1672), dans Bulletin de la Société philomatique vosgienne, 1882-1883, p. 137-175, G. Morizet, La princesse Marguerite de Lorraine de 1613 à 1643 dans Annales de l'Est, 1859, p. 337. Georges Dethan, Gaston d'Orléans, conspirateur et prince charmant, Paris, 1959, p. 105-107, 127129, 327-336, 445 et passim.

Gaston d'Orléans, en 1632, resta très attachée à la Lorraine et fut souvent considérée par les Lorrains privés de leurs princes comme leur protectrice naturelle. Longtemps tenue éloignée de Paris, résidant à Bruxelles du fait que Louis XIII ne voulait point reconnaître son mariage, son union ayant été finalement admise et confirmée en 1643, elle fut autorisée enfin à s'installer en France. La vie qu'elle avait menée avait transformé la jeune fille enjouée. Elle était devenue très réservée, quelque peu apathique si l'on en croit certains mémorialistes. Elle était fort pieuse, ayant vécu naguère dans l'intimité de sa tante Catherine de Lorraine dont elle avait été la coadjutrice au chapitre de Remiremont ; elle avait été très mêlée à la fondation de l'abbaye Notre-Dame-de-Consolation de Nancy. Catherine qui, chassée de Nancy, s'était retirée à Remiremont, accepta en 1641 de se rendre auprès de sa nièce à Paris : elle pensait pouvoir obtenir du roi la restitution des biens que les Français avaient saisis sur lesquels étaient assises les rentes de l'abbaye de Notre-Dame de Consolation (ce qu'elle n'obtint que tardivement et partiellement). C'est au Palais du Luxembourg où elle avait vécu comme une religieuse qu'elle mourut le 7 mars 1648. Marguerite était son exécutrice testamentaire.

Ainsi paraît-il naturel que celle-ci ait apporté son concours aux fondations de Mechtilde d'autant que la rue Férou et la rue Cassette étaient à deux pas du Palais du Luxembourg, où elle résida jusqu'à sa mort, en 1672, sauf pendant les dernières années de Gaston qu'elle avait suivi à Blois où il décéda en janvier 1660. Elle avait connu Mechtilde en 1651. En 1668, elle scella la première pierre d'un nouveau bâtiment du monastère de la rue Cassette. Elle aida la mère pour l'érection de l'institut en congrégation ; elle contribua plus spécialement à l'agrégation à la congrégation du monastère NotreDame-de-Consolation de Nancy (1669).

Il fallait pour obtenir l'érection d'une congrégation que plusieurs couvents donnassent leur adhésion aux constitutions de l'Adoration perpétuelle. Mechtilde s'était tournée vers la Lorraine. Elle avait reçu du duc Charles IV l'autorisation de fonder un monastère au lieu de sa naissance, à Saint-Dié ; mais cette création se heurta aux résistances du chapitre de cette ville et de son grand prévôt François de Riguet (21). Malgré l'appui de Claude Gauthier de Vienville, gendre du colonel Lhuillier, son neveu par conséquent, malgré des lettres de jussion octroyées par le prince le 26 avril 1663, mère Mechtilde dut abandonner ce dessein.

(21) Sur cette tentative nous avons le témoignage de François de Riguet, grand prévôt de Saint-Dié, hostile au projet qu'il a rapporté dans son ouvrage demeuré manuscrit, « Des grands prévôts de l'insigne église de Saint-Diez » (cf. Augustin Digot, Eloge historique de François de Riguet dans Mémoires de la Société royale des sciences, lettres et arts de Nancy, 1845, p. 11) et N. F. Gravier, Histoire de la ville de Saint-Dié, Epinal, 1836, p. 269-272. Hervin-Dourlens, Vie de la mère Mechtilde, p. 435-437, d'après la vie de la mère Mechtilde par Mlle de Vienville. Le dernier mémoire donne aussi in fine quelques informations sur cette création avortée. Il paraîtrait que les soeurs du Saint-Sacrement furent finalement elles-mêmes très réticentes.

20 CATHERINE DE BAR DOCUMENTS HISTORIQUES 21

Elle fut plus heureuse à Toul. Elle s'y rendit en septembre 1664, y demeura quatre mois et réussit à créer un monastère, malgré des résistances qui furent vaincues grâce notamment à l'intervention de l'évêque André Du Saussay, ancien vicaire général de Paris, qui avait été supérieur du Refuge de Saint-Maur. Au début d'avril 1666, elle repartit en Lorraine, passa par Toul, gagna Rambervillers où l'association du monastère des bénédictines à l'Institut fut agréée et sanctionnée par une très belle cérémonie le jeudi de l'octave de Pâques 29 avril.

Répondant aux instances de la duchesse d'Orléans, Mechtilde négocia ensuite l'intégration de Notre-Dame-de-Consolation à la congrégation. Marguerite avait vu dans cette mesure un moyen de maintenir l'abbaye qui avait été rudement éprouvée par les guerres dans la discipline qu'avait voulue sa tante Catherine qui l'avait fondée.

Mechtilde repartit donc en Lorraine en décembre 1668 : s'arrêtant d'abord à Toul, elle gagna Nancy où elle fut reçue avec honneur par le duc Charles IV alors dans son palais, se retira ensuite à Rambervillers, puis revint à Nancy pour prendre en avril possession du monastère où elle demeura jusqu'en juillet 1669. Ainsi, les voeux de Catherine qui avait demandé dans son testament qu'on tînt la main à tout ce qui concernait les bénédictines de Nancy « affyn que ces pauvres filles ayent toujours plus de moyens de fayre leur salu (sic) et que le grand ordre du gloryeux saint Benoyst soyt toujours honnoré » (22).

Il convient d'insister aussi sur le concours qu'elle trouva auprès du prémontré Epiphane Louys, abbé d'Etival dans les Vosges, à 12 km de Saint-Dié (23). Ce religieux lorrain, né à Nancy, avait été envoyé en Normandie pour enseigner la théologie dans les abbayes qui avaient adhéré à l'antique Rigueur de Servais de Lairuelz. Mystique, il s'était lié avec Bernières. On peut penser qu'il avait rencontré la mère Mechtilde à Caen dès 1643-1646. Il tint une grande place dans son ordre et devint abbé en 1663. En 1664, il aide la mère Mechtilde à vaincre les résistances des bourgeois de Toul, opposés à la création d'une abbaye dans leur ville. Il chante le Te Deum lors de l'installation du couvent. Deux ans plus tard, il se rend à Rambervillers à l'occasion de l'affiliation de l'abbaye à la congrégation où il officie, il se trouve aussi à Nancy en 1667, lorsque Mechtilde introduit ses constitutions chez les religieuses de Notre-Dame-de-Consolation. Quand, en 1670, 1674-1675, il fut chargé de la direction de la Résidence du Saint-Sacrement, fondée en 1662 par les prémontrés au faubourg de la Croix-Rouge, donc à deux pas de la rue Cassette, il entretint des relations constantes avec la mère Mechtilde. Il publia en

(22) Cf. supra n. 3.

(23) Sur Epiphane Louys, cf. frère François Petit, Le révérend père Epiphane Louys abbé d'Etival dans Analecta Premonstratensia, XXIV, 1948, p. 132-157, Marc-Antoine Georgel, L'abbaye d'Etival, ordre Prémontré du XII° au XVIIIe siècle, Averbode, 1962, Bibliotheca analectorum Praemonstratensium, fasc. I, p. 123-141.

1674 deux ouvrages intéressant la congrégation qui en sont comme l'expression : d'une part, La nature immolée par la grâce ou la pratique de la mort mystique pour l'instruction et la conduite des religieuses bénédictines consacrées à l'adoration perpétuelle du Très-Saint-Sacrement, d'autre part, La vie sacrifiée et anéantie des novices. Méditation sur les festes et offices qui sont proposés à l'Institution de l'Adoration perpétuelle du Très-Saint-Sacrement.

Il fut pour la mère Mechtilde un véritable directeur, ainsi qu'en témoignent les lettres spirituelles qu'il lui adressa, publiées après sa mort. Lorsqu'elle fut terrassée par une terrible crise et qu'elle était à toute extrémité en décembre 1675, c'est lui qui lui porta le viatique ; après avoir communié, elle reprit vie : Dieu, dit-elle, lui avait révélé sa guérison prochaine au moment où elle recevait l'hostie.

Epiphane Louys était devenu le confesseur de Marguerite de Lorraine. Celle-ci était de plus en plus engagée dans la piété. La mère Mechtilde l'incita à entrer dans la voie du renoncement, comme le prouvent les belles lettres qu'elle lui écrivit et que nous avons la bonne fortune de conserver. La duchesse n'avait jamais participé aux frivolités des cours. Elle était restée la digne nièce de Catherine.

Tous ces traits nous montrent la permanence du milieu lorrain chez les mères de l'Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement. Le couvent de la rue Cassette comptait toujours des religieuses lorraines. D'ailleurs, il arrivait que celles qui n'étaient pas du pays nouaient des liens avec lui. La mère Jacqueline Blouette de Blémur (24) en religion mère Saint-Benoît, une parisienne qui avait fait profession à la Sainte-Trinité de Caen, puis, à la demande de la mère Mechtilde, s'était intégrée au monastère de la rue Cassette, fécond auteur que Mabillon célébra, publia, chez Louis Billaine, en 1678 une vie de saint Pierre Fourier, le grand saint lorrain dont elle avait entendu souvent parler par les mères lorraines de son couvent.

Invité par les mères de l'Adoration perpétuelle du Très-SaintSacrement à présenter, en qualité de Lorrain, l'édition de ces précieux mémoires, nous avons tenu à rappeler l'importance de la tradition lorraine dans l'oeuvre de Mechtilde qui, chassée par l'invasion des troupes de Louis XIII, mais protégée par l'apôtre français de la charité, Vincent de Paul, fit fructifier ses vertus à Paris et enrichit le patrimoine spirituel de la France.

Paris, rue Cassette Mars 1973

Pierre MAROT.

(24) Cf. l'article consacré à la mère Bouette de Blémur par dom P. Schmitz dans le Dictionnaire d'histoire et de géographie ecclésiastique. Le père Jean Bedel avait publié une Vie du révérend père Fourier dès 1645 qu'il réédita en 1656, 1666 et 1674. André Du Saussay, évêque de Toul, avait préparé la cause de la béatification du religieux et envoya à Rome en 1675 le dossier pour l'instruire.

CONFÉRENCE FAITE A L'INSTITUT CATHOLIQUE DE PARIS LE SAMEDI 8 FÉVRIER 1958 par M. l'Abbé Louis COGNET,

Doyen de la Faculté de Théologie

Ce que je veux faire devant vous, c'est essayer de situer plus exactement Mère Mectilde du Saint-Sacrement dans l'histoire religieuse du xvir siècle et de voir quelle est sa place ou, si vous voulez, comment sa personnalité se dessine, sur le fond de ce milieu de la Contre-Réforme catholique du xvii siècle.

Il est bien évident que, à l'issue des guerres de religion, au début du xvii siècle, un des problèmes les plus aigus qui se posaient au milieu catholique, a été la lutte contre l'influence protestante et la reconquête sur le protestantisme d'un grand nombre d'âmes ; l'effort aussi pour rendre aux catholiques français une vie spirituelle qui soit comparable à la vie spirituelle des Réformés.

Si nous essayons de deviner un peu l'évolution de sa personnalité, il y a quelques traits de sa formation spirituelle qui nous apparaissent.

Chose étrange, vous savez que sa vie a commencé par une orientation très différente, puisqu'en novembre 1631, elle devient, au monastère de Bruyères, Annonciade, sous le nom de soeur Saint-Jean l'Evangéliste.

Il serait intéressant de rechercher avec plus de précision que n'a pu le faire monseigneur Hervin, ce que son passage aux Annonciades a pu lui donner. Ce n'est pas facile à démêler, parce que les documents sur les Annonciades du couvent de Bruyères sont très rares et ne nous apportent pas grand chose sous ce rapport. Si on fait la comparaison avec d'autres maisons d'Annonciades, la question se complique encore parce qu'on s'aperçoit qu'entre les différents monastères d'Annonciades, il y avait très peu d'unité de vie et que d'autre part au cours du xvir siècle elles ont constamment remanié et retravaillé leurs Constitutions et sans grande unité.

J'ai trouvé, par exemple, de vieux livres ayant appartenu à des monastères d'Annonciades, à caractère nettement mystique, très, inspirés en particulier des mystiques du Nord ou dans la mouvance

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du fameux Benoît de Canfeld, qui est un des grands mystiques du début du xvir siècle ; et j'ai l'impression que ce genre de direction a été assez bien représenté chez les Annonciades.

Donc, rien d'impossible à ce que la mère Mectilde ait, dès les premières années de sa vie religieuse, reçu une empreinte d'une spiritualité très intérieure, de forme nettement mystique.

Vous savez, d'ailleurs, que sa vie d'Annonciade ne va pas durer très longtemps. En dépit de sa jeunesse, elle exercera très tôt les fonctions de Prieure (1633) puis dès 1635, voilà de nouveau la guerre qui traverse les régions de l'Est ; les Annonciades contraintes d'abandonner le monastère de Bruyères, de se réfugier à Commercy, sous la responsabilité naturellement de la malheureuse soeur Saint-Jean, qui est obligée de faire face aux pires événements ; la peste s'en mêle comme il était d'usage dans ces tristes périodes, les soeurs meurent en grand nombre, la presque totalité de la communauté qui est avec elle disparaîtra, et finalement de chaos en chaos, elle aboutira chez les Bénédictines de Rambervillers.

Là, chez les Bénédictines de Rambervillers, elle a d'abord retrouvé pour quelque temps, oh ! pas pour longtemps malheureusement, un calme relatif ; elle va trouver surtout le contact avec l'idéal bénédictin qu'elle n'avait jamais connu jusque là. Et vous savez que ce contact sera sur elle décisif, en ce sens que, peu de temps après, exactement le 2 juillet 1639, après avoir demandé les dispenses d'usage — ces dispenses qui, plus tard, feront l'objet d'âpres contestations — elle devient novice bénédictine et prend le nom de Catherine de Sainte-Mectilde. Elle a 24 ans.

Elle paraît avoir été parfaitement heureuse dès son entrée dans cette communauté bénédictine et il est bien certain que c'est sans l'ombre d'une arrière-pensée qu'elle a prononcé ses voeux, le 11 juillet 1640.

Elle les prononce à un bien mauvais moment, car alors la guerre étend ses ravages encore plus loin. Rambervillers est d'abord menacé, puis finalement les troupes s'infiltrent dans la région à l'entour, les routes sont coupées, la communauté connaît des semaines de misère, de disette et finalement la pauvreté la contraint à se séparer en septembre 1640.

Vous connaissez son odyssée. Elle se réfugie d'abord à Saint-Mihiel. A Saint-Mihiel elle vit, elle et les quelques religieuses qui sont avec elle, dans des conditions matérielles lamentables : enfin, un ami commun réussit à apitoyer sur elles la grande abbesse de Montmartre, Mme de Beauvilliers, qui lui offre une place, à elle et à ses compagnes, et un beau jour de 1641, le 21 août exactement, elle part pour Montmartre où elle va résider presque un an dans la célèbre abbaye bénédictine de la région parisienne, si bien réformée par l'abbesse, Marie de Beauvilliers.

Autre période importante dans sa vie. Là encore (la guerre est relativement loin, dans cette région parisienne) elle retrouve un cadre religieux tranquille, fervent, des amitiés très vives et très affectueuses l'entourent. Elle va donc connaître quelques mois de tranquillité extrêmement féconde. Et, à priori, on peut penser que la découverte qu'elle vient de faire de cette grande abbaye de la région parisienne, où il y a un mouvement de gens, et de gens du plus haut intérêt, extrêmement intense, va lui apporter du nouveau.

Qu'a-t-elle pu trouver à Montmartre ? Le milieu nous est beaucoup mieux connu, parce que les documents sont beaucoup plus abondants et que la personnalité de l'abbesse, Mme de Beauvilliers a déjà suscité quelque curiosité.

Mme de Beauvilliers est une grande figure. Elle appartient à une famille de l'aristocratie élevée ; la condition sociale des Beauvilliers est évidemment très supérieure à celle de Catherine de Bar. Vous savez qu'ils seront ducs un peu plus tard et le petit neveu de l'abbesse sera le propre gouverneur du duc de Bourgogne et l'intime de Fénelon (1). Nous savons que Marie de Beauvilliers a été très intime avec des capucins, avec des oratoriens, et parmi les capucins, en premier lieu naturellement Benoît de Canfeld.

Benoît de Canfeld est surtout connu comme l'auteur d'un ouvrage de spiritualité qui s'appelle « La Règle de Perfection réduite à ce seul point de la Volonté de Dieu ». C'est un ouvrage très mal écrit malheureusement, car Canfeld était d'origine anglaise et parlait et écrivait un français très approximatif, mais d'une doctrine extrêmement riche et qui a traversé tout le xviie siècle. Cet ouvrage comme beaucoup d'oeuvres mystiques, a été mis à l'index au moment de la lutte contre le Quiétisme, oeuvres mystiques que l'on s'accorde aujourd'hui à reconnaître irréprochables, mais contre lesquelles, évidemment, il a fallu se prémunir au moment de la crise quiétiste.

Les idées de Canfeld sont des idées dont le schéma est assez simple : pour lui, toute la vie de piété se résume à l'union à Dieu de la volonté. Dieu est essentiellement la « Volonté Divine », donc tout l'effort de l'homme doit être de se conformer et de s'unir à cette Volonté Divine, d'arriver, si vous le voulez, à perdre sa propre volonté dans la Volonté Divine. Et il pousse cela très loin, puisqu'il conclut son oeuvre par une partie proprement mystique celle-là, où il envisage ce qu'il appelle « La Vie Suréminente » et cette vie suréminente c'est, pour lui, le moment où la volonté humaine se perd dans ce qu'il appelle la Volonté essentielle de Dieu, c'est-à-dire, au fond, dans l'Essence Divine elle-même. Donc un schéma très mystique, assez abstrait d'ailleurs ; et, il faut bien le reconnaître, la faiblesse des vues de Canfeld, c'est d'être une sorte de mystique de l'Essence Divine dans laquelle le Christ tient assez peu de place, si peu même que les éditions postérieures de l'ouvrage de Canfeld seront corrigéescxv

(1) Dans une lettre écrite quelques jours après la mort de Mère Mectilde, à la Mère Prieure du monastère de la rue Cassette, Fénelon retrace le portrait spirituel de la fondatrice (cf. fin de cette conférence).

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sous ce rapport et qu'on éprouvera le besoin pour corriger justement ce mysticisme trop abstrait, d'y ajouter à la fin, des chapitres sur le Christ et sur la Passion.

Ce mysticisme a dû être accentué par ses relations avec une autre religieuse de Montmartre que nous connaissons bien, la mère Charlotte Le Sergent. Ce que nous savons de sa vie nous la montre plus douce et plus attachante que Mme de Beauvilliers. Elle présentait tous les caractères d'un mysticisme très élevé ; elle mériterait qu'une étude lui soit consacrée. Nous savons que mère Mectilde a été très intime avec la mère Le Sergent et qu'elle a subi son influence pendant son séjour à Montmartre.cxvi Plus tard, mère Mectilde recevra d'autres influences, se les assimilera pour en faire une synthèse personnelle.

Après un séjour d'environ un an à Montmartre, mère Mectilde tente de fonder ailleurs une sorte de succursale de Rambervillers, ou, au moins de trouver une maison indépendante où elle puisse regrouper les religieuses ; on lui offre quelque chose d'assez vague à Caen. Elle y part le 7 août 1642 ; elle s'arrête quelques jours au monastère de la Trinité, où elle a dû connaître l'abbesse Mme de Budos, elle-même très canfeldienne de tendances, puis elle s'installe dans ce qu'on appelait un « hospice », sorte de grande maison assez mal meublée, bien humide et bien délabrée, toute proche de l'abbaye de Barbery.

L'abbé de Barbery est bien connu, c'est un certain Louis Quinet qui, lui-même, avait eu déjà une carrière assez mouvementée. En particulier il avait été quelque temps confesseur de l'abbaye de Maubuisson. Là il s'était heurté à une abbesse très anti-mystique, très ascétique de tendances, qui avait été formée par l'abbesse de Port-Royal, la célèbre mère Angélique ; et, entre Louis Quinet et l'abbesse Marie des Anges, il y avait eu des éclats assez violents dont un certain nombre de récits nous sont parvenus. Or, il est très curieux de voir que les idées mystiques que les gens de Port-Roye reprochent à dom Louis Quinet, sont en fait très exactement celles de Canfeld. Dom Louis Quinet devait être imbu de la mystique de Canfeld, et aussi d'ailleurs de la mystique de l'école du Nord, de Ruysbroek, Tauler, Suso, Harphius, etc. Il paraît les avoir beaucoup pratiquées et en avoir tiré une synthèse très personnelle.

Mère Mectilde va aussi être mise en relations avec un autre groupe et un autre personnage.

A Caen, à cette époque, vit un certain Jean de Bernières-Louvigny, trésorier de France. C'est un homme d'une grande piété, une sainte et belle âme, qui a réuni, petit à petit, autour de lui un groupe assez important de disciples. Il a d'ailleurs — une de ses soeurs est devenue ursuline à Caen, la mère Jourdaine de Bernières — fondé, dans le voisinage du monastère des ursulines, une maison de retraite qui s'appelle « l'Hermitage », et cette maison de retraite devient le centre d'un groupe mystique qui va bientôt rayonner à travers toute la Normandie ; ceci d'autant que Jean de Bernières est en relations avec à peu près tous les grands spirituels de son époque et que, d'autre part, il passe pour un véritable directeur laïc. Bien que simple laïc, des quantités de religieux, de prêtres et de religieuses lui demandent des conseils de direction, et il entretient de ce chef une très abondante correspondance spirituelle.

Or, il me paraît à peu près certain, que la mère Mectilde a subi très profondément l'influence de Bernières. Elle ne le connaîtra pas tellement longtemps, mais ils demeureront ensuite en correspondance jusqu'à la mort de Bernières. La personnalité de celui-ci était à la fois très forte et très attachante, et d'autre part, la mère Mectilde qui avait déjà certainement subi l'influence canfeldienne était toute prête à la compléter par les aspects, plus centrés sur le Christ, de la piété de Bernières, et cela explique qu'elle y entre si facilement. Et il n'y a pas de doute que, pour qui étudierait de très près les textes de mère Mectilde, on y trouve beaucoup de traces de l'influence de Bernières, et, à travers Bernières, de l'influence aussi du Père de Condren. Des rapports également avec le Père de Saint-Jure elle a dû lire les textes du Père de Saint-Jure, en particulier ce fameux livre « De la connaissance et de l'amour de Jésus-Christ » qui a été si répandu à cette époque, et que tout le monde avait lu — et, naturellement, elle entrera très spontanément dans cette mouvance.

En 1643, nous retrouverons mère Mectilde à Saint-Maur-des-Fossés où elle fonde un petit monastère, doublé d'un pensionnat, et où elle commence à avoir d'intimes relations avec la bonne société, la société même la plus aristocratique de Paris, qui commence à fréquenter le monastère de Saint-Maur. Elle aura comme directeur pendant un an à peine, un capucin du nom de Chrysostome de Saint-Lô, qui a été le propre directeur de Bernières et qui certainement est imprégné des mêmes tendances que lui, ce qui n'a pu que la renforcer dans cette direction.

En 1647, elle va de nouveau passer trois ans à Caen comme supérieure des bénédictines du Bon-Secours qu'elle doit réformer. Autant de raisons pour que de plus en plus elle s'imprègne à sa manière, mais d'une manière très profonde aussi, de la spiritualité du groupe Bernières.

Vous savez alors la suite des événements. Après avoir quitté Caen, en dépit d'ailleurs des tentatives qu'on avait faites pour la retenir, elle devient prieure de Rambervillers. Là encore la guerre va troubler le priorat qui aurait pu être extrêmement fécond. La voilà de nouveau chassée de Rambervillers, obligée de s'établir à Paris. Elle s'installe, oh ! d'une manière bien précaire, rue du Bac. A ce moment-là, Dieu merci, les amitiés très solides qu'elle a conquises dans la meilleure et dans la plus pieuse société de Paris sont là pour lui faciliter les choses et c'est dans le groupe qui l'entoure que va naître alors l'idée de la fondation du Saint-Sacrement.

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Dire que ce soit une idée nouvelle, non. Dès les origines de ce mouvement de Contre-Réforme catholique, de cette lutte des catholiques pour reconquérir leurs positions sur les Réformés, c'est autour de l'Eucharistie que s'est centrée une partie du problème. Car, évidemment, un des reproches les plus véhéments que feront les catholiques aux calvinistes, c'est de ne pas reconnaître la Présence réelle du Christ dans l'Eucharistie. Non seulement au temps des guerres de religion mais même après il y eut quelques affaires pénibles, certainement douloureuses pour les catholiques.

Dans le milieu catholique a germé très tôt l'idée de fonder des associations pieuses, voire même des congrégations, destinées à compenser, si l'on ose dire, par leurs adorations et par leurs hommages l'impiété et les sacrilèges des calvinistes.

C'est donc d'abord et surtout, à l'origine, une idée de réparation qui colore la piété eucharistique du XVIIe siècle. Très tôt on voit apparaître des fondations de ce genre. L'inventaire est loin d'en être fait : il y a des fondations diocésaines d'associations du Saint-Sacrement, ou d'associations adoratrices qui apparaissent dès le temps d'Henri IV ; l'étude en reste à faire.

C'est ce qui explique, parmi ces gens de grande valeur qui entourent la mère Mectilde que beaucoup, les uns après les autres, lui suggèrent l'idée de la fondation d'une congrégation qui garderait le cadre bénédictin, mais qui introduirait dans ce cadre qui s'y prête admirablement étant donné l'orientation liturgique de sa piété, l'Adoration du Saint-Sacrement.

Vous vous souvenez des événements : la fondation signée officiellement le 14 août 1652, met longtemps à se réaliser, il y a bien des difficultés de part et d'autre — il y a toujours des difficultés autour des fondations sérieuses — c'est seulement le 25 mars 1653 que la fondation est définitive. De la rue du Bac on se transporte rue Férou chez Mme de Rochefort (cette Mme de Rochefort qui est une très belle figure et une grande amie de la mère Mectilde) et c'est rue Férou, le 12 mars 1654, qu'aura lieu le premier Salut avec Amende Honorable de Réparation : l'Amende Honorable prononcée par Anne d'Autriche avec le cérémonial de l'époque : poteau, corde au cou, etc., cela correspond bien à ce climat du xvrie siècle très sensible à un certain nombre de formes extérieures. Vous savez comme moi combien est magnifique le texte de consécration et de réparation composé par la mère Mectilde.

A ce moment, devenue prieure et fondatrice des Bénédictines du Saint-Sacrement, la mère va connaître le maximum de son rayonnement. Elle est en relations avec ce que la France compte de meilleur à cette époque. Sa correspondance est immense. Ce qui en reste est loin, je crois, d'avoir encore été tout inventorié et certainement on en retrouvera dans des endroits auxquels personne ne pense actuellement.

Je suis rempli de stupéfaction en voyant l'intensité de la correspondance qu'elle a entretenue, et aussi de l'exceptionnelle qualité de ses lettres, car, chaque fois qu'il m'a été donné d'en voir une que je ne connaissais pas, je l'ai trouvée admirable. Dire qu'elles sont toutes de la même valeur, non, ce serait un miracle et je ne le prétendrais pas. Cela dépend de ses correspondants. Il y a des correspondants auxquels elle peut parler sur un certain ton et d'autres avec lesquels elle est obligée de dire des choses beaucoup plus banales, mais elle ne le dit jamais d'une manière banale. Elle a un style magnifique, et l'élévation et la cohérence de sa pensée sont quelque chose d'extrêmement remarquable.

Ce qui est également remarquable, chez elle, c'est cette espèce d'union constante du sens surnaturel le plus profond et le plus absolu, et en même temps du solide bon sens le plus terre à terre. Elle avait vraiment le tempérament d'une grande fondatrice. Les qualités qu'on trouve chez une Sainte Thérèse, c'est-à-dire l'équilibre entre les dons mystiques et les dons naturels les plus réalistes, est chez elle, réalisé à un niveau incomparable, et même, je dois le dire, car on ne pose pas quelquefois la question comme il le faudrait, avec une santé physiologique qu'on ne trouve pas chez Sainte Thérèse. II y a, dans les perpétuelles maladies de Sainte Thérèse, dans les douleurs dans lesquelles elle a vécu, dans les aspects un peu spectaculaires de ses extases, un certain côté si vous voulez, de défaillance du tempérament dont il n'y a pas trace chez la mère Mectilde. Son mysticisme à elle s'est situé dans une région bien trop élevée pour connaître, disons, ces faiblesses.cxvii Ce n'était pas une femme à phénomènes spectaculaires, mais c'était simplement une âme chez laquelle certainement l'idéal canfeldien d'union de la volonté à la Volonté divine a été réalisé à un incroyable degré, à tel point qu'elle est parvenue à ce sommet de la vie mystique où vraiment elle agit en Dieu avec la plus entière liberté. C'est évident par toute sa correspondance : il y a un équilibre chez elle entre l'élément naturel et l'élément surnaturel, entre l'élément mystique et l'élément le plus strictement raisonnable, j'oserais presque dire raisonneur à certains égards, qui est rarement trouvé à un pareil degré et qui, évidemment, mériterait une étude très approfondie.

Il y a dans cette correspondance de très grands noms. La duchesse d'Orléans — Darricau signale 105 lettres à la duchesse, ce qui est énorme — les reines Aime d'Autriche, Marie-Thérèse, qu'elle a toujours traitées avec, à la fois, le respect le plus total et la liberté la plus absolue. Elle a connu de grandes dames, elle en a connu en quantité... elle leur a donné le respect qu'exigeait le cadre social et la stricte politesse, mais aussi elle a gardé une liberté totale pour dire ce qu'elle pensait sans l'ombre d'une hésitation. Elle est elle-même très grande dame sous ce rapport. Elle a parfaitement conscience du devoir qu'elle a comme religieuse de dire en certains cas la vérité, de la dire et de la bien dire, de remettre aussi parfois les choses à leur place. Elle est capable de sommer une grande dame

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qui arrive au parloir d'aider les religieuses à faire la lessive, et l'autre le fera, ce qui est admirable, et montre quel ascendant elle pouvait avoir sur ce genre de personnes.

A partir du 21 mars 1659, date à laquelle mère Mectilde installe sa communauté rue Cassette, le rayonnement du monastère du Saint-Sacrement sur le milieu parisien va s'intensifier.

Mère Mectilde fut alors en relations constantes avec la fameuse abbaye bénédictine de Saint-Germain-des-Prés, qui possédait, vous le savez, des sujets de première valeur. Dom Philibert, prieur en 1666, la guide dans la rédaction des premières Constitutions. A en juger par le style, il n'a pas dû ajouter grand'chose au travail de la mère.

Je n'ai pas besoin de vous rappeler ses nombreuses fondations, qui après sa mort essaimeront encore en des monastères bien plus nombreux et bien plus éloignés (2). Tout le milieu parisien a vu en elle véritablement une sainte et même en certains cas, n'a pas craint de le dire.

Et lorsqu'elle disparaîtra, le 6 avril 1698, bien âgée déjà, l'oeuvre qu'elle laissera derrière elle, sera une oeuvre immense. Elle aura à souffrir, comme toutes les autres hélas, au xviiie siècle, de la Révolution, mais il n'y a pas de doute, l'impulsion que mère Mectilde a donnée, impulsion de piété eucharistique, d'une piété eucharistique réparatrice très imprégnée du volontarisme canfeldien, très imprégnée de l'idée d'anéantissement de Bernières, et en même temps centrée sur une ardente piété envers l'Incarnation, est évidemment quelque chose d'une couleur très spéciale et en même temps d'un sens chrétien extrêmement riche dont la trace se retrouve à travers tous ses écrits.

Je souhaite ardemment qu'il soit possible de collationner ses écrits, de les réunir et ensuite d'en assurer l'édition. Il n'y a pas de doute, ils doivent trouver un public, et surtout remettre la mère Mectilde du Saint-Sacrement, dans la galerie des grandes figures religieuses et mystiques du xviie siècle, à sa place qui est, je n'hésite pas à le dire, l'une des premières.cxviii

(2) Paris 1653, Toul 1664, Rambervillers 1666, Nancy 1669, Rouen 1677, Second de Paris 1680, Caen 1685, Varsovie en Pologne 1687, Châtillon-sur-Loing 1688, Dreux 1696.

« Lettre de Fénelon, Archevêque de Cambray sur la mort de notre très honorée Mère Institutrice. A une religieuse.

« J'ai l'honneur de vous écrire, Ma Révérende Mère, mais ce n'est point pour vous persuader de la douleur où je suis de la perte que nous venons de faire, vous connaissez assez mon coeur pour ne pas douter de mes paroles, mon dessein est donc de me consoler avec vous en vous remettant devant les yeux ce qui peut consoler une douleur aussi juste que la vôtre. Je sais tout ce que vous perdez, et j'arrête même ma vue pour n'en point trop voir, et pour faire une attention plus vive a ce que la foi vous présente. Elle vous découvre, ma Fille, un Dieu tout sage et tout bon qui frappe lui-même ce coup, qui devrait ce semble vous accabler, je vous montre dans celle que vous pleurez une vertu consommée, un amour si épuré par les souffrances, un coeur si détaché de toutes les créatures qu'elles n'étaient plus dignes de la posséder. Il était temps qu'elle allât jouir des récompenses que la bonté de Dieu lui avait préparées. Si nous l'aimons pour elle-même voilà notre consolation. Vous perdez une vraie Mère, votre Ange visible, l'appui de votre Institut ; mais vous ne l'aviez reçue que pour un temps. Il est fini, il faut se soumettre à Dieu. Cette soumission sans réserve, cet abandon entre les mains de Dieu a fait le caractère particulier de cette sainte fille. Elle me disait, elle m'écrivait, qu'elle ne sentait pas la moindre révolte contre l'ordre de Dieu, pas le moindre murmure, que la seule vue de sa Sainte Volonté dans les états les plus renversants, et les plus terribles, la calmait. « Je sens » (m'écrivait-elle l'armée passée), en moi une disposition si prompte à entrer dans tous les desseins de Dieu et agréer les états les plus anéantissants qu'aussitôt qu'il m'y met, je baise, je caresse ce précieux présent ; et pour les affaires temporelles qui paraissent nous jeter par terre, mon coeur éclate en bénédictions et est content d'être détruit et écrasé sous toutes ces opérations pourvu que Dieu soit glorifié et que ce soit de sa part que je sois blessée.

« Vous trouverez dans ce peu de paroles le soulagement de votre affliction. J'ai mieux aimé vous les écrire que de me servir des miennes afin que ce fut d'elle-même, de sa vertu et de sa foi que vous receviez votre consolation. Vous l'aviez pour Mère, elle ne cesse pas de l'être parce que la Charité qui lui donnait cette qualité à votre égard, est plus pure que jamais. Vous n'aviez en elle pour appui qu'une faible créature, et vous avez à présent dans sa personne une sainte revêtue de la Puissance de Dieu-même, car vous avez tout lieu de présumer qu'il est à présent sa possession, il faut seulement pour en ressentir les effets animer votre foi. C'est la grâce que je demanderai à Notre-Seigneur de tout mon coeur en vous priant d'être persuadée que mon zèle et ma tendresse pour votre Institut ne finiront qu'avec ma vie. Vous ne pouvez me faire plus de plaisir que de me mettre en état de pouvoir vous en donner des preuves. Faites-le, en toute confiance, et continuez les prières que votre charité vous inspire de faire pour moi, je prierai de mon côté Notre-Seigneur qu'Il conserve en vous son Esprit, car si vous Lui êtes fidèle, si vous conservez la simplicité, le renoncement, l'obéissance, et l'éloignement du monde que notre Chère Mère vous a enseigné vous verrez une protection de Dieu toute visible sur vous et sur votre Institut.

« Je suis dans le Saint Amour avec une très indigne et cordiale affection ».

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LES ÉCRITS DE MÈRE MECTILDE

Il reste relativement peu d'autographes de mère Mectilde. Le recueil le plus précieux est sans doute celui de Paris : 107 lettres de 1659 à 1698. A la bibliothèque du grand séminaire d'Evreux, on trouve 11 lettres à M. Boudon. Notre monastère de Varsovie possède 10 autographes.

Les archives de nos monastères ne renferment le plus souvent que des copies. Nous n'avons retenu pour étude que celles faites au xviie siècle, et donc du vivant même de mère Mectilde, ou au tout début du xviiie siècle, par celles qui ayant été formées par la fondatrice elle-même devaient en transmettre mieux l'esprit. Nos recherches nous ont conduites aussi à la Bibliothèque nationale, à la Sorbonne, dans plusieurs archives diocésaines ou départementales. Mlle Vieillard, maître de recherche au département des textes du xviie siècle au Centre National de la Recherche Scientifique nous a guidées dans le dépouillement et le classement des écrits.

Dans nos seuls monastères nous avons retrouvé environ 120 manuscrits. Il ne nous est pas possible de donner ici l'étude approfondie de tous ces volumes. Mais l'équipe de moniales qui travaille depuis 15 ans sur ces textes espère pouvoir en donner bientôt une description détaillée et aussi précise que possible.

Signalons toutefois aux archives du monastère de Paris :

— le volume coté P 1. Il provient de la première fondation de mère Mectilde, rue Cassette et contient 107 lettres autographes ; 40 sont adressées à la mère Saint-Placide, moniale de Rambervillers, puis du second monastère de Paris (ancien hôtel de Turenne, au Marais) ; autant à la « très chère mère » Bernardine de la Conception que nous rencontrerons souvent au cours des mémoires qui vont suivre. Ce manuscrit contient aussi des lettres autographes très intéressantes de dom de l'Escale, prieur de Saint-Mansuy de Toul et visiteur de Lorraine de la congrégation de Saint-Vanne, de MM. Midot et Caillié, vicaires généraux de l'évêché de Toul (nous donnons ces lettres en appendice de ce volume) ;

— les manuscrits cotés 104 bis et 110, de toute première valeur, contenant la correspondance (du moins celle qui nous reste car il est probable qu'une partie en a été perdue ou dort au fond de quelques cartons d'archives ou de bibliothèques) de mère Mectilde à la duchesse d'Orléans, Marguerite de Lorraine, et à la comtesse de Rochefort (l'auteur présumé des mémoires que nous publions). Le 104 bis s'ouvre sur une lettre de Fénelon à la révérende mère prieure qui a succédé à mère Mectilde au gouvernement du monastère de la rue Cassette. Le ton de cette lettre fait penser que Fénelon a bien connu notre fondatrice, et qu'il y aurait eu entre eux échange de correspondance. Malheureusement rien n'a été retrouvé.

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Le monastère de Bayeux est celui dont les archives sont le mieux fournies en manuscrits. En plus de son propre trésor il a reçu ce que les monastères lorrains ont pu sauver de leurs propres archives après la révolution et les guerres des siècles derniers, soit environ une centaine de manuscrits dont plus de la moitié peuvent être considérés comme les meilleures copies que nous possédions.cxix

En présence de toutes ces copies et pour rétablir avec autant de certitude que possible le texte primitif, alors que nous ne possédons pas l'original, nous avons eu recours à la méthode de comparaison des textes et à la critique interne. L'étude des divers manuscrits nous a permis d'identifier plusieurs copistes, et en particulier mère Monique des Anges de Beauvais, dont nous savons par une lettre, qu'elle soumettait, autant que possible, ses copies à l'approbation de mère Mectilde. Nous sommes donc à peu près certaines d'avoir là des textes extrêmement fidèles. Il a été fort instructif de collationner le même texte recopié par trois, quatre, ou même davantage de personnes, originaires de divers monastères, en particulier : Paris, Toul, Rouen et de constater que les variantes sont des « fautes de fragilité » ou d'inattention car il faut bien penser que copier un texte manuscrit est un travail difficile et pénible.

Le classement par genre donne à peu près ceci :

Lettres aux religieuses, 2 000 ;

Lettres à la comtesse de Châteauvieux, 260 ;

Lettres à la comtesse de Rochefort, 130 ;

Lettre à la duchesse d'Orléans, 112 ;

Lettres à M. de Bernières, 137 ;

Lettres à M. Boudon, 11 ;

Lettre à Mme de Béthune, abbesse de Beaumont-les-Tours, 331 ;

Lettres diverses, allant des reines de France, de Pologne, d'Angle-

terre, des évêques, abbesses et autres célébrités, aux plus hum-

bles lettres à une « personne » ou à une « demoiselle » demeu-

rées inconnues, 169 ;

Conférences et Chapitres, 300 ;

Entretiens familiers, 70 ;

Ecrits divers, 160.cxx

Cette très grande quantité d'écrits nous fait pénétrer dans un monde à la fois un et divers que celles qui ont participé à ce recensement commencent à peine à soupçonner. Ils renouvellent très heureusement le portrait officiel de mère Mectilde et donnent l'impression de la découverte d'un trésor caché et d'une source de vie comme seuls les saints ont su en faire jaillir dans l'Eglise.

CATHERINE DE BAR. 1614-1639

Le manuscrit que nous publions relate la vie de mère Mectilde de 1640 à 1670. Pour aider à mieux discerner la personnalité de la vénérable Mère, nous donnons ci-dessous des extraits d'un autre manuscrit, rapportant les premières années de sa vie. Ce manuscrit, coté N 248, appartient aux archives de notre monastère de Bayeux. Il a été rédigé par la mère Marguerite de la Conception de l'Escale qui avait vécu de nombreuses années dans l'intimité de mère Mectilde. Sa rédaction est de plusieurs années postérieure à celle du manuscrit que nous publions.

Catherine de Bar vint au monde dans la ville de Saint-Diez en Lorraine le 31e de descembre 1614, elle fut baptisée le même jour sous le nom de Catherine. Sa famille honorable par ses alliances et ses qualités l'était encore plus par sa piété. Son père se nommait Jean de Bard [dans les documents de l'époque on trouve le nom orthographié : Bar, Barre, Bars. cf. Bulletin de la revue philomatique vosgienne, 1890-1891-1892] et sa mère Marguerite Guion, ils vécurent dans la crainte de Dieu, et prirent un soin particulier d'y élever leurs enfants, entre lesquels Dieu se choisit Catherine, et la favorisa dès ses plus tendres années de grâces singulières... Notre petite dévote avait tant d'inclination pour la retraite qu'elle passait quelque fois une partie du jour dans un petit oratoire qu'elle s'était fait, où était la figure du Très Saint-Sacrement, devant laquelle, elle allumait des petites bougies, et puis les soufflait, pour de la fumée, faire un espèce d'encens. Son aïeule qui était une personne de vertu, la surprit dans ce pieux exercice, cette bonne dame lui fit faire aussitôt un petit encensoir, lui donna de l'encens, et les autres petites choses nécessaires pour contenter sa dévotion...

... Sa mère étant tombée dangereusement malade, notre petite s'approcha de son lit, et lui dit : « Je vous prie, ma bonne maman, lorsque Dieu vous aura fait miséricorde, et que vous entrerez dans le paradis, faites hommage à la Sainte Trinité pour moi, et la priez qu'elle me fasse la grâce d'être religieuse, et puis adressez-vous à la Sainte Vierge, priez-la qu'elle me serve de mère, et qu'elle me prenne sous sa protection ». Sa mère ne mourut pas de cette maladie ; on verra dans la suite comment sa demande lui fut accordée. Dieu qui voulait préparer le coeur de la petite Catherine pour être la semence d'un culte de réparation pour les impiétés qui se commettent contre la sainte Eucharistie la prévient par une vision toute mystérieuse. Il lui sembla qu'on lui avait donné sept soleils dans chacun desquels était la sainte Hostie, alors toute ravie de posséder ce trésor qui faisait l'objet de ses plus tendres adorations, elle s'écria d'une

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manière enfantine : « Hé, voir le Saint Sacrement que j'ai ». Cette vision était un présage des sept maisons de l'Institut qu'elle a fondées avant que de mourir qui sont les deux de Paris, celle de Toul en Lorraine, celle de Rouen, celle de Châtillon, celle de Varsovie en Pologne, et celle de Dreux, quoiqu'il y en eut un plus grand nombre, elle n'a néanmoins établi que ces sept, les autres n'étant qu'agrégées à l'Institut. Elle a toujours assuré qu'elle n'en établirait que sept, et qu'à la septième elle s'en irait, ce qui s'est trouvé véritable, puisqu'elle est morte en établissant la septième.

A l'âge de 7 à 8 ans, elle eut une fluxion sur les yeux qui la rendit entièrement aveugle, ce qui dura bien six mois. Sa mère étant extrêmement affligée de cet accident, employa tous les remèdes humains, mais voyant qu'il n'y avait plus rien à espérer du côté des créatures, elle s'adressa à Dieu, lui fit plusieurs voeux, et une veille de la fête de l'Ascension que l'on fait à Saint-Diez une procession générale, comme c'est la coutume tous les ans, cette dévote mère prit pour ses intercesseurs près de Dieu, les Saints dont on portait les Reliques (1), et suivit avec sa fille la procession, animée d'une foi qui fut récompensée de l'effet de ses désirs. La procession n'était pas encore finie que cette chère enfant avait déjà recouvert la vue, mais une vue si bonne qu'à l'âge de 83 ans elle lisait, et écrivait encore sans lunettes. Peu de temps après elle fut attaquée d'une fièbvre quarte, dont elle attribua la guérison à une image du Saint Nom de Jésus, qu'elle porta sur elle, par le conseil d'un religieux Capucin, en effet la fièvre l'avait quittée aussitôt qu'elle eut mis ce saint reméde en usage.

Un Père du même ordre qui est mort en odeur de sainteté, la voyant un jour avec plusieurs de ses compagnes, et la distinguant entre toutes, prédit qu'elle serait une sainte religieuse, et une très bonne supérieure peu après sa profession. Ce qui s'est vérifié dans la suite...

... A 9 ans, elle fit sa première communion avec des sentiments que l'on ne devait point attendre de son âge, et la grâce qu'elle y reçu fut comme un germe sacré qui en produisit une infinité d'autres dans la suite...

... La dévotion qu'elle avait pour la Sainte Vierge lui fit entreprendre d'aller tous les matins à une petite chapelle qui était dédiée sous le nom de Notre-Dame d'Ortimont, située sur une colline à un quart de lieue de la ville de Saint-Diez. Elle avait permission d'aller à la messe aux Capucins qui n'étaient pas éloignés de chez elle, et se servant de cette occasion elle courait en diligence à cette chapelle, la balayait, l'ornait du mieux qui lui était possible, puis elle revenait entendre la messe ; en sorte que personne ne s'apercevait chez elle de cette action de piété, cela a duré plus d'un an. C'est elle-même qui l'a raconté depuis, blâmant son propre

(1) Bulletin de la Société philomatique Vosgienne, 8a année, 1882-1883, p. 110.

zèle d'une dévotion qu'elle condamnait d'imprudence, par le danger où elle s'exposait, sans que néanmoins il lui soit rien arrivé de fâcheux, ce qu'elle attribuait à la protection de la Mère de Dieu, qui a toujours été son bouclier et sa fidèle conservatrice.

A mesure qu'elle croissait en âge elle faisait de nouveaux progrès dans la vertu, sa douceur et sa modestie, un air noble et grand, un coeur généreux qui ne souhaitait d'avoir que pour faire du bien à tout le monde, ces belles qualités jointes à sa piété la faisaient admirer et estimer de tous ceux qui la voyaient, ses discours remplis de sagesse insinuaient l'amour de la vertu dans le coeur de ceux à qui elle parlait. Elle n'avait que 14 ans qu'elle persuada à un homme de qualité, qui la voyait quelque fois, de faire voeu de chasteté, et de fréquenter les sacrements, et cela avec un si heureux succès qu'il est mort saintement...

... Le Seigneur qui la voulait retira à lui sa mère. Ce fut un coup terrible ; car elle l'aimait tendrement. Elle ne l'eut pas plus tôt perdue qu'elle alla se jeter aux pieds de la Sainte Vierge, pour la conjurer de lui servir de Mère et de tenir la place de celle que Dieu lui venait d'ôter.

Quoiqu'une partie de ses chaînes fussent rompues par cette mort, elle fut encore quelque temps devant que de pouvoir fléchir son père. Elle était sa consolation dans la perte qu'il venait de faire, il ne pouvait se rendre à la laisser aller. Dans cet espace de temps sa mère lui apparut en songe, lui tendit la main, et lui dit en lui serrant le bras, que la demande qu'elle l'avait priée de faire pour elle quelques années auparavant était exaucée, qu'elle serait religieuse mais qu'elle aurait une grande maladie avant que d'entrer en religion. Ce qui se trouva vrai, car peu de temps après elle fut saisie d'une violente fièvre qui la réduisit à l'extrémité ; enfin le mal cessa, et ses forces commencèrent à revenir. Dès que sa santé fut rétablie elle recommença ses instances auprès de son père, lequel craignant de s'opposer aux desseins de Dieu, lui donna le consentement après lequel elle avait tant soupiré ; alors [dans] l'ardeur de sa soif, sans s'arrêter à considérer de quelle eau elle voulait boire, ou pour mieux dire dans le désir qu'elle avait de la solitude et de l'éloignement du monde, elle ne fut pas plus tôt maîtresse de sa liberté, que sans aucun choix, elle court en faire un sacrifice à son Dieu, dans le monastère de France, dites des dix Vertus de la très Sainte Vierge, nouvellement établi dans le bourg de Bruyères, à quatre lieues de Saint-Diez, dirigé par les Pères Cordeliers...

... Catherine entra dans ce lieu au mois de novembre de l'année 1631 en la dix septième année de son âge... Elle était si courageuse, que plus les choses lui paraissaient difficiles, plus elle se sentait portée à les entreprendre, animée par ces paroles qu'un religieux de Saint François lui dit, qu'elle entra en religion : « ayez un courage invincible, et un coeur aussi grand que toute la terre pour ne rien refuser à Dieu de ce qu'il demandera de vous ». Ces paroles lui firent dans l'âme une si forte impression que jamais elles ne s'effacèrent... Elle

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devançait toujours ses compagnes du noviciat et rien n'était égal à sa fidélité. Elle disait qu'il y aurait un ange dans tous les lieux réguliers qui bénissait celles qui s'y rendaient les premières et qu'elle connaissait une personne qui l'avait vu souvent. Il est à présumer qu'elle parlait d'elle-même et que c'était là le motif du saint empressement qu'elle avait d'être toujours la première...

... Son mérite était connu de toutes les personnes qui la voyaient ; sa piété brillait aux yeux de tout le monde ; il n'y avait qu'à elle à qui tous ces trésors étaient cachés, son humilité était un voile qui lui ôtait la vue de ses propres talents et de sa grande vertu. Elle avait un sentiment si bas d'elle même, qu'elle ne croyait pas avoir fait là même, la première démarche dans le chemin de la perfection, ainsi elle ne pouvait pas se résoudre à faire ses voeux, se croyant si imparfaite, dans l'appréhension qu'elle avait de l'être toute sa vie, ayant ouï dire que telle on avait été novice, telle on était professe. Dans cette pensée elle pria instamment sa supérieure de vouloir bien retarder sa profession, afin de lui donner du temps pour travailler plus efficacement à acquérir quelques habitudes de vertu...

... La nuit de devant sa profession, s'étant retirée à l'heure ordinaire pour prendre un peu de repos, elle se vit conduite en esprit par deux anges aux pieds de la Sainte Vierge, qu'elle voyait comme dans un trône. Elle fut présentée à cette Reine du ciel par ces esprits angéliques lui offrant humblement ses voeux, cette Mère d'amour les reçut, et les présenta à la Très Sainte Trinité, qui les eut si agréables que Jésus-Christ les signa de son précieux sang. Etant revenue de cette vision elle alla passer le reste de la nuit à l'église, où son coeur semblait se consommer d'amour en attendant l'heureux moment de son sacrifice.

L'heure étant venue de la cérémonie, elle se trouva si pénétrée de la grandeur de l'action qu'elle faisait, que ne se possédant plus, l'esprit de Dieu prit soin de l'extérieur, lui faisant faire tout ce qui était de son devoir, sans qu'elle s'y applique, l'abstraction où elle était l'en rendait entièrement incapable.

Lorsqu'elle prononça ses voeux, il parut sur sa tête une couronne de grande clarté, soutenue par deux mains un peu élevées. Les rayons de cette couronne rejaillissaient contre les murailles du choeur, aux rapports de plusieurs personnes dignes de foi qui furent témoins de cette merveille tant à l'église au dehors des grilles, où l'on entendit le grand cri d'admiration, que dans le choeur du côté des religieuses, ce qui fut vu de plusieurs d'entre elles. Dès que la cérémonie fut finie, le curé du lieu qui y avait servi de diacre, et qui avait vu ce prodige, alla au château en faire le récit à M. Boudon, grand archidiacre d'Evreux, parlant de cette admirable circonstance, et ajouta que c'est une marque des grâces extraordinaires que Dieu devait faire à cette sainte fille, et des glorieuses récompenses qui les devaient suivre...cxxi

... Pendant qu'elle était sous le drap mortuaire et que toute l'église retentissait d'acclamations sur ce qui venait de paraître, elle fut ravie hors d'elle-même. Il lui sembla que le Ciel était ouvert, et selon qu'elle a dit à un de ses directeurs, ce qui avait [faisait] l'étonnement du monde au dehors n'était rien en comparaison de ce qui s'était passé entre Dieu et elle. Elle ajouta qu'elle y reçu des grâces qu'elle n'oublierait jamais, qu'elles étaient si grandes qu'il lui était impossible de les exprimer. Ce céleste époux l'avait amenée là comme dans un cellier mystique, où il lui fit boire à longs traits le vin de ses divines faveurs, afin de la fortifier et de la rendre capable de porter le fardeau des croix qu'il lui préparait. Enfin elle trouva sous ce drap de mort, le principe de la vie, et elle aurait bien pu dire en se relevant : « Je suis morte, il est vrai, mais je vis de la vie de mon bien-aimé »...

Deux ans après sa profession mère de Saint-Jean fut élue supérieure... Elle n'avait alors que vingt ans. Son mérite et sa vertu fit que l'on eut aucun égard à sa jeunesse, on ne fut pas trompé, car elle s'acquitta de cette charge avec une sagesse et une vigilance admirables. Elle ne se croyait au-dessus des autres que pour les soulager. Si elle était obligée quelque fois de reprendre quelqu'une de leurs défauts, c'était toujours avec une douceur si engageante qu'elle se rendait maitresse du coeur aussi bien que de l'esprit. Elle était fort attendrie à tous les besoins de ses religieuses. Sa charité parut singulièrement envers une d'entre elles qui se trouvant [malade] et craignant que ce ne fut la peste comme plusieurs autres l'avaient eue, ne se pouvant résoudre à le déclarer ; mais après l'avoir caché le plus qu'il lui fut possible, elle dit à la mère Saint-Jean qu'elle se trouvait mal. La mère connu aussitôt que c'était la peste et lui dit avec une extrême bonté : « Vous voilà prise aussi bien que les autres, mais ne vous mettez pas en peine, j'aurai soin de vous et ne vous abandonnerai point, je ferai en sorte de vous voir, et de vous panser sans que personne s'en aperçoive ». Cette religieuse avait cinq pestes. La mère Saint-Jean lui tint fidèlement sa parole. Elle l'allait voir en entrant secrètement par une fenêtre, et prenant la malade entre ses bras, la pansait avec une bonté et une charité qui ne se peut exprimer, sans craindre de prendre le mal, ne se rebutant ni de la puanteur, ni de la fatigue. Elle allait ensuite dans le jardin pour chasser le mauvais air, de peur de la communiquer aux autres. Elle continua ainsi ses soins jusqu'à ce que la religieuse fut parfaitement guérie, sans qu'il arriva rien de mal, ni pour elle, ni pour d'autres, excepté qu'un jour elle se ressentit pendant cinq ou six heures d'un air de peste, qui la fit changer de plusieurs couleurs ; en cet espace de temps, elle devint jaune puis verte, rouge, bleue, ses religieuses s'en aperçurent et eurent beaucoup d'inquiétudes, mais elle les rassura, leur disant que ce ne serait rien ; en effet elle se promena longtemps dans le jardin pour prendre l'air, et tout cela se dissipa.

... Au commencement du mois de mai de l'année 1635, l'on fut averti qu'une puissante armée suédoise approchait du bourg de Bruyères, et menaçait de le brûler. La Divine Providence envoya à

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la mère de Saint-Jean un religieux Capucin pour l'avertir de veiller aussitôt à la sûreté de sa personne, et à celle de ses religieuses, qu'il ne croyait point en assurance dans ce petit bourg. Il lui conseilla d'en sortir s'offrant à les conduire dans quelque ville plus forte. Elles profitèrent de cet avis, sortant le même jour avec ses filles accompagnées de ce bon père. Le premier gîte qu'elles firent fut chez le père d'une de ses religieuses qui demeurait assez près de Bruyères. Le lendemain, elle rencontra sur la route le colonel l'Huilier, qui la croyant encore à Bruyères, venait avec escorte la chercher pour la conduire avec sa communauté dans quelque lieu où elle fut moins exposée. Il les fit toutes habiller en homme pour les faire sauver avec moins de danger. Ce commandant était le beau-frère de la mère de Saint-Jean, ayant épousé sa soeur aînée. Il était brigadier des armées du duc de Lorraine et colonel d'un régiment. Il fut depuis gouverneur de Bar et de plusieurs autres places... Le monastère et le bourg furent pillés et brûlés entièrement. Elles furent conduites à Saint-Diez chez M. de Bar, père de la mère de Saint-Jean,cxxii où elle ne demeura que peu de jours... elles furent contraintes d'en sortir pour aller dans un monastère de leur ordre établi à Badonvillers, qui est encore une petite ville éloignée de Saint-Diez d'environ une journée... Elles y furent reçues avec beaucoup de charité... mais elle ne fut pas plutôt arrivée à ce monastère qu'il en fallut partir. Les supérieurs ne les croyant pas en sûreté parce qu'il était hors de la ville, jugèrent à propos d'en faire sortir toutes les religieuses pour les faire entrer dans cette ville où elles n'étaient plus guère sûrement. Ce fut dans l'octave du Saint-Sacrement qu'elles sortirent de ce monastère. Les deux communautés ensemble étaient au nombre de quarante religieuses, elles suivaient le Saint-Sacrement que leur chapelain portait... Sitôt qu'elles furent arrivées au lieu qui leur était préparé, qui fut une grande salle dans le palais du duc de Lorraine, l'on posa le Très Saint-Sacrement sur une table dressée en forme d'autel, autour duquel ces saintes filles se tenaient jour et nuit, en larmes et en prières, ne sachant où rien prendre pour leur nourriture... Peu de jours après que nos pauvres réfugiées furent arrivées en ce lieu, leurs supérieurs ayant appris que les troupes approchaient de Badonvillers, envoyèrent un ordre pour faire sortir en diligence ces deux communautés. A peine l'eurent-elles reçu qu'on entendit l'alarme et qu'on leur cria de descendre au plus vite pour se sauver ; ce que chacune se mit en devoir de faire avec beaucoup de précipitation, excepté la mère de Saint-Jean qui ne pouvait se résoudre d'abandonner le Très Saint-Sacrement à la rage des soldats ; et se tenait sur la porte un pied dedans et l'autre dehors pressée d'un côté par l'obéissance, et la nécessité de se retirer, et retenue de l'autre par l'amour. Elle se tourna vers celui dont elle ne pouvait se séparer, et s'écria, dans l'excès de sa douleur : « Dites-moi donc, mon Dieu, que vous plaît-il que je fasse ? » En même temps elle entendit un grand bruit au bas de l'escalier, et s'étant avancée pour en apprendre le sujet, elle vit toutes les religieuses qui retournaient disantes : « il n'est plus temps de se sauver, les soldats ont déjà investi la ville ». Etant toutes rentrées elles s'enfermèrent, et se mirent en prière devant le Très Saint-Sacrement, demandant à leur divin époux la force de souffrir tous les tourments imaginables, plutôt que de consentir à rien de tout ce qui pourrait blesser leur pureté. Elles remplissaient ce lieu de leur sang par de rudes disciplines. Elles n'attendaient que le moment de leur mort, ne croyant pas la pouvoir éviter que par un miracle de la main toute-puissante de Dieu. Il avait entendu leurs prières, et il leur donna un secours en effet tout miraculeux. Ces soldats hérétiques, car ils étaient des luthériens, s'étant rendus maîtres de la ville, et ayant fait souffrir aux habitants des cruautés terribles, ils apprirent qu'il y avait des religieuses dans ce lieu. Soudain ils y accoururent comme des loups ravissans, pensant faire leur proie de ces innocentes brebis, et ayant trouvé la porte fermée, le plus téméraire l'enfonça, mais après s'avoir jeté dans la porte de ce sanctuaire, il fut précipité d'une manière si surprenante que jamais on n'a pu savoir ce qu'étaient devenus ces malheureux. Voulant tous entrer, ils demeurent à la porte de la chambre arrêtés par une puissance qui leur était inconnue, et regardant ces saintes religieuses autour du Saint-Sacrement. Ce spectacle les épouvanta si fort, c'est que tous remplis de terreur ils se retirèrent mais si précipitament et avec tant de confusion qu'ils se renversaient les uns sur les autres du haut de l'escalier en bas. Ils avouèrent qu'il y avait là quelque chose d'extraordinaire. Cependant nos pauvres filles s'étaient renfermées du mieux qu'elles avaient pu, en attendant de nouveaux secours de la divine providence qui était alors toute leur ressource...

... [A quelque temps de là, un officier qui avait recherché la mère de Saint-Jean avant qu'elle ne soit religieuse reçu le commandement des troupes de Badonvillers]... ayant su que la mère était dans cette ville il employa toutes ses adresses pour la retrouver... Il court, il cherche inutilement... Les supérieurs ne trouvent pas de moyen plus sûr pour la sauver que de la faire sortir de la ville déguisée en homme. Ils lui donnèrent pour compagne la mère Agnès de Saint-Pierre, qui était aussi professe du monastère de Bruyères. Etant ainsi travesties toutes les deux on les fit monter sur une charrette de marchandises, et l'on cacha la mère de Saint-Jean entre les deux ballots et deux religieuses les suivaient. Elles rencontrèrent un parti de soldats qui se mirent autour de cette charrette, donnèrent plusieurs coups d'épée dans les ballots sans qu'aucun put atteindre la mère de Saint-Jean par une protection singulière de la Très Sainte Mère de Dieu qu'elle invoquait continuellement... Elles furent obligées de rester quelques jours dans une hôtellerie où le diable qui ne cherchait qu'à traverser notre pauvre fugitive, mit dans le coeur de la fille du logis une passion si forte pour elle, qu'elle vint lui proposer de l'épousercxxiii.

La mère de Saint-Jean ne voulait se découvrir, et d'un autre côté n'osant rebuter cette fille, de peur de s'attirer quelque nouvelle persécution lui répondit que n'étant qu'un valet de chartier, cela ne

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convenait pas. La fille persista malgré cette raison, et obligea la mère de Saint-Jean de prendre d'elle une bague. Elle la prit à dessein de lui renvoyer. Ce qu'elle fit aussitôt qu'elle fut sortie de ce lieu, et joignant une lettre qui lui déclarait ce qu'elle était, les raisons qui l'avaient obligée de se déguiser ainsi, ce qui toucha si fort cette fille qu'elle prit la résolution de se donner entièrement à Dieu. En effet on a su depuis qu'elle s'est faite religieuse, et a vécu très saintement.

La mère de Saint-Jean continua sa route pour aller à Commercy qui était le lieu que les supérieurs lui avaient marqué, mais en passant par Epinal, elle se trouva obligée d'y rester avec sa compagne, pour éviter autant qu'elle le pourrait la rencontre des troupes...

... Ces pauvres religieuses furent quatre ans dans le monde ne trouvant point de monastère qui fut en état de les recevoir, tant la misère était générale dans cet infortuné pays. C'était un fardeau bien difficile à soutenir que la supériorité d'une maison réduite à un état si déplorable. Elles étaient errantes tantôt d'un côté tantôt d'un autre pour chercher de quoi subsister. Néanmoins leur plus grand et plus ordinaire séjour fut à Commercy...

La suite de ce récit est rapportée dans le manuscrit que nous publions en la quatrième partie qui relate la fin de son exode et son entrée au monastère de Rambervillers.

AU LECTEUR*

L'utilité que l'Eglise a toujours reçue et reçoit tous les jours encore de la lecture des vies des saints, et des grandes oeuvres qu'ils ont entreprises pour Dieu, a fait prendre la méthode de n'en guère laisser passer sans en faire le recueil pour le donner au public.

Les Ordres religieux, surtout, se sont rendus curieux d'observer cette maxime, à cause que la durée et leur affermissement dépendent beaucoup de bien faire connaître l'excellence de leur source, la confirmation de leurs statuts, et la grande sainteté où sont parvenus ceux et celles qui ont fait une fidèle et exacte profession.

Si bien que nos Supérieurs, comme les autres, s'étant laissé toucher à ces considérations nous ont fait commandement de rédiger par écrit tout ce qui s'est passé en l'établissement de notre Institut

(*) Le manuscrit que nous publions se trouve aux archives de notre monastère de Bayeux et provient du monastère de Saint-Nicolas-de-Port. Ce manuscrit est coté N 249. De 492 pages, en format 259 x 172, il est relié en parchemin, dans une feuille d'un vieil évangéliaire. La reliure et l'écriture permettent d'assurer que ce manuscrit est du xviie siècle. Il semble avoir été copié par plusieurs personnes. Des pages 240 à 361 la pagination a été grattée et changée. Nous n'en connaissons pas l'auteur. Rien jusqu'à ce jour n'a permis de l'identifier avec certitude.

On peut cependant faire quelques observations : les dates ne sont parfaitement exactes qu'à partir de 1650, ce qui précéde semble le récit, non d'un témoin, mais d'une personne qui rapporte ce qui lui aurait été dit. L'auteur paraît avoir écrit son ouvrage en plusieurs fois à la manière d'un « journal ». L'auteur est parfaitement au courant des tractations, démarches, contrats qui ont permis la fondation de l'Institut ; mais il ne parle ni des moniales, sauf en de très rares occasions, ni des petits ou grands événements de la vie de communauté.

Ces quelques observations nous invitent à penser, comme l'a montré R. Darricau dans le n° 133 (janvier 1958) de la Revue d'Ascétique et Mystique, que l'auteur du N 249 pourrait être la comtesse de Rochefort.

Catherine de la Croix de Chevrières, née en 1614, épouse en 1633 Anne de la Baume de Suze, comte de Rochefort. Elle est veuve en 1640 avec quatre enfants.

Des procès interminables l'obligent à demeurer à Paris. Installée rue du Bac, elle rencontre mère Mectilde en 1651. Très vite, Mme de Rochefort confie ses désirs de perfection à son amie. A travers les Lettres de mère Mectilde à la comtesse nous voyons les dépouillements et la montée d'une âme vers Dieu.

Rappelée en Dauphiné par de graves difficultés familiales en 1661, elle doit briser ses projets de vie religieuse à peine entrevus. Elle meurt sur ses terres de Savoie en 1667 assistée par son fils qui vient d'être sacré archevêque d'Auch.

La comtesse était donc bien placée pour connaître les circonstances de la fondation de l'Institut, mais aussi la pensée de la mère Mectilde sur son oeuvre.

Pour faciliter la lecture de ce manuscrit nous avons rétabli l'orthographe selon les règles actuelles, mais nous avons conservé intactes les tournures de phrases propres au xvrle siècle.

En cours de texte les mots entre parenthèses appartiennent au manuscrit, mais la lecture est plus claire si ces mots sont supprimés ; les mots entre crochets [] sont ajoutés par nous pour faciliter la compréhension d'une phrase difficile.

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de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel, pour que nous en puissions retirer tous ces mêmes avantages.

Ce n'est pas qu'ils aient dessein d'en publier à présent l'histoire, quoique cela se puisse faire avec le temps. Mais on le fait pour en conserver les mémoires et les pouvoir communiquer aux personnes qui auront embrassé cette pieuse Institution, qui, sans doute, y seront plus confirmées quand elles en connaîtront l'origine.

C'est donc ce commandement qui nous met la plume à la main, et qui ne nous permet pas [de] réfléchir sur notre peu de capacité pour un ouvrage comme celui-là, [mais] ne nous laisse envisager que la bénédiction qu'il y a toujours de se rendre à l'obéissance.

Que le lecteur ne s'attende pas, après la déclaration qui lui est ainsi faite que c'est une fille qui écrit, de rencontrer dans cet ouvrage les ornements qui accompagnent d'ordinaire ceux de cette qualité, pour bien disposer les choses en leur jour. Il sait aisément que la plume toujours faible de notre sexe ne saurait s'élever jusque là. Mais de plus il doit savoir que ce n'est point ce que nous avons entrepris de faire, et qu'on ne s'est proposé que de rapporter naïvement et exactement les circonstances nécessaires pour bien établir la vérité des faits que nous allons avancer, comme : le temps auquel [ces] choses sont arrivées, les lieux où elles se sont passées, et les personnes par qui elles ont été faites ; et montrer que cette oeuvre est une oeuvre vraiment de Dieu. Et plus le narré lui en paraîtra naïf, plus il doit demeurer persuadé, quelque merveille qu'il y voie, que tout ce qu'on lui en dit est très vrai. Il pourra même se confirmer dans cette persuasion s'il daigne faire attention sur les remarques qu'il y peut faire, qui sont les caractères naturels de toutes les oeuvres procédant du divin Esprit, et qui se voient bien évidemment en celle-ci.

Nous mettrons pour la première : la vocation de la personne. Celle-ci est toujours la principale, puisque le Verbe Incarné nous apprend que nul ne peut venir à Lui si son Père ne l'attire.

Pour la deuxième nous donnons la petitesse dans les commencements, par rapport au grain de moutarde de l'Evangile, auquel le Royaume des cieux est comparé.

Pour la troisième : les ouvertures de providence dans les moyens, au-dessus des moyens ordinaires à la conduite des hommes, puisque Dieu s'en fait entendre par la bouche de son Prophète, que ses pensées ne sont pas les pensées des hommes.

Pour la quatrième : les contradictions dans le progrès, puisque le monde a toujours été et sera toujours opposé à Dieu : « le monde me hait, dit le Sauveur, parce que je ne suis pas du monde et qu'il n'aime que les siens ».

Et pour la cinquième et dernière nous mettrons l'heureux succès dans la consommation. Ainsi le Grand Prêtre Ananias voulant émouvoir les Juifs de Jérusalem de persécuter les Apôtres, à l'ouverture de la publication de l'Evangile, leur donnait pour une maxime certaine que si l'oeuvre était de Dieu, ils auraient beau faire, elle ne manquerait pas de réussir.

Et ces cinq marques se voient bien distinctement dans cette oeuvre ; suivons les. C'est où il veut une plus signalée vocation, que celle de la personne par qui notre établissement est fait, que Dieu la soit allé chercher, comme l'on verra, dans le fond de son monastère hors le Royaume, cachée aux yeux du monde, pour l'amener à Paris ; et qu'il ait employé au ministère de cet appel non pas des moyens communs et ordinaires, mais les plus puissants de ses fléaux : la peste, la guerre et la famine. Car si pour bien exprimer le grand pouvoir des Roys de la terre l'on dit qu'ils parlent par la bouche de leurs canons, ne peut-on pas mieux dire que le Roi du ciel s'explique par ces fléaux qui ne sont pas moins une marque de sa toute puissance, et qui donnent tellement à connaître ses volontés, qu'il n'est pas du pouvoir de l'homme de résister.

Ça été ainsi que notre élue a appris à les connaître en ce qui la regardait, bien que ce mystère ne lui ait pas été développé d'abord ; d'autant que, quand elle vint en France, elle n'avait d'autre vue que de chercher un refuge pour elle et pour ses compagnes. Mais le séjour que la nécessité, ou ses fléaux, l'a contrainte d'y faire, lui en a donné la parfaite intelligence.

Passons au second caractère, examinant la petitesse de nos commencements. Il est vrai qu'il semble ne s'en pouvoir jamais voir de si bas et si petits en toutes façons : tout ceci a été fait par une jeune religieuse étrangère, réduite dans les plus grands dénuements de biens, d'appui, de considération, et généralement de toutes choses qui se puissent jamais rencontrer, ne vivant que d'aumônes, n'étant escortée en son voyage que d'un pauvre Frère distributeur des aumônes, accompagnée d'une seule religieuse, ne connaissant personne en France où elle venait. Et cependant elle a réussi en un dessein que d'autres religieuses, qui se faisaient aussi nommer les Filles du Saint Sacrement (1) — très bien pourvues de tout ce qui manquait à celle-ci — avaient entrepris dans Paris en l'an 1630, et n'en purent venir à bout, n'ayant pas subsisté trois ans. Comme aussi [ainsi] il parait en tous les événements les effets d'une prudence [Providence] qui faisait tout réussir par les mêmes moyens qui semblaient en devoir faire désespérer.

Et pour les contradictions il sera malaisé d'en voir jamais de si intriguées que celles que Notre Mère a surmontées, puisque même

(1) Il semble bien qu'il y ait ici une allusion à la fondation de Port-Royal du Saint-Sacrement, entreprise par Mgr Sébastien Zamet, évêque de Langres. Installées rue Coquillière, près du Louvre, ces religieuses jouissaient de nombreux appuis à la Cour. C'est Mgr Zamet, lui-même, évêque très pieux et d'une immense charité, qui avait introduit Saint-Cyran au monastère pour donner des conférences aux religieuses. Cette présence n'est pas étrangère à l'échec de la fondation. Fernand Mourret, Histoire Générale de l'Eglise ; L'Ancien Régime, t. VI, p. 359, Bloud et Gay 1914. 9 vol.

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elles ont eu relation aux révolutions de plusieurs Etats, ni des issues plus inopinées comme le lecteur verra.

Et enfin le succès, qui est la cinquième marque, n'en pouvait pas être plus grand, ni plus glorieux, puisque nous voyons cette Mère, dans moins de quatorze ans, avoir quatre maisons de son Institut, et être elle-même à la fin établie comme une sage Déborah jugeant le peuple de Dieu, c'est-à-dire ayant le Régime et la Supériorité sur tous ces monastères et sur tous ceux qu'elle pourra faire à l'avenir.

Et si cette Providence adorable a voulu ainsi dans les commencements, si particulièrement accompagner sa maison, comme l'apostolat de Saint Paul, de travaux, de patience et d'anéantissement, c'était pour lui donner du rapport au Mystère qu'elle devait faire glorifier, qui est un mystère de mort et d'anéantissement, et l'en rendre en quelque façon plus digne par cette conformité.

Ainsi que le lecteur ne murmure pas s'il voit d'abord des conduites si rigoureuses sur elle, puisqu'il verra dans la suite que, si Dieu n'en eut usé de la sorte, elle ne serait jamais venue vers nous, car elle a souvent déclaré que si seulement elles eussent pu avoir un quarteron de pain bis par jour d'assuré pour soutenir leur languissante vie, elle ne se serait pas résolue de quitter sa maison de profession pour quelque avantage qui se put être. Mais Dieu le lui refusa pour la contraindre de venir dans la ville où il avait dessein de la substanter abondamment, la faisant le chef de cette compagnie célèbre de vierges dévouées à l'adorer nuit et jour sans interruption, mais encore du pain matériel, l'en ayant très avantageusement pourvue, de façon que ces grandes rigueurs apparentes étaient de grandes douceurs, en effet, comme l'événement l'a montré.

Il n'est qu'à finir ce mot d'avis pour donner le temps au lecteur d'en prendre lui-même connaissance par la lecture de nos cahiers, dont voilà le plan à peu près. Qu'il nous aide, s'il lui plaît, à louer et à adorer à jamais ce très saint et très auguste sacrement de nos autels.

PREMIÈRE PARTIE MÉMOIRES 1631-1651

MÉMOIRES. 1631-1651

En l'année mil six trente et un, la Reine Mère du Roy Louis treizième sortit secrètement de France pour quelque mécontentement, et s'étant réfugiée en Flandre auprès de l'Archiduchesse, Monsieur, duc d'Orléans, son second fils, qui était dans son parti, s'évada pareillement et se retira auprès de Monseigneur le duc de Lorraine, à Nancy.

La retraite de cette Altesse royale ne manqua pas d'attirer la guerre à la Lorraine, car le Roy s'en sentant offensé, et n'osant pour les respects maternels, poursuivre la Reine sa Mère à main armée, tourna ses armes contre cet infortuné pays, et fut assiéger Nancy en 1633 avec une armée de trente mille hommes, sous prétexte que ce Duc avait refusé passage à l'armée qu'il voulait envoyer en Allemagne contre l'Empereur.

Et prenant la ville au dépourvu il en fut bientôt le maître, Son Altesse ayant été obligé de la lui remettre entre les mains pour composition. Et déjà Sa Majesté s'était rendu le maître de presque tout le pays, qui ne tarda guère à succomber sous le faix d'une si grande puissance, sinon quelques places fortes, quoique cette conquête ne se fit pas sans coups, parce que l'Empereur et les Princes d'Allemagne, prenant jalousie du progrès des armes de Sa Majesté, qu'ils ne voulaient pas avoir pour voisin, ne manquèrent point de donner du secours à ce Duc.

Il ne servit qu'à achever de désoler son Etat, puisqu'il se trouva également foulé tant par les amis que par les ennemis, car les Croates, qui étaient à la solde de l'Empereur, y commirent toutes sortes d'excès et d'insolences.

La première ville qui sentit la fureur des armées françaises fut la ville de Saint Nicolas, à deux lieues de Nancy. Sa réputation d'être riche, à cause de ses belles foires, lui ayant attiré ce malheur. Et en ce lieu, les Suédois qui étaient joints à l'armée de France, ne commirent pas moins de cruautés et d'insolences que les Croates qui étaient dans l'armée de l'Empereur. En sorte qu'il se peut dire que tout ce que la fureur de l'hérésie dont ils sont sectateurs a accoutumé de s'armer contre les églises, se vit pratiquée avec horreur en ce lieu-là par ces malheureux soldats, qui n'ont épargné ni les personnes consa-

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crées à Dieu, ni les vases dédiés à ses autels ; pillèrent indifféremment les sanctuaires sacrés comme les autres maisons, brûlant, violant, et saccageant entièrement sans exception cette infortunée ville.

Cet exemple ayant porté la terreur et l'effroi dans le pays d'alentour, toutes les maisons religieuses éparses par la campagne se retirèrent promptement dans les villes ou grands faubourgs fermés.

A dix lieues par delà Nancy, dans le pays Messin, Evêché de Toul, est la ville de Remberviller, qui est assez considérable comme l'on en peut juger de ce qu'elle avait souffert deux sièges pendant les guerres d'Allemagne avant celle de Lorraine. L'un : de son Altesse de Lorraine, faisant chemin pour s'en aller en Allemagne, en 1629, à la tête d'une armée de 10.000 hommes qu'il menait au secours de l'Empereur contre le Prince Palatin, en laquelle arriva cette fameuse bataille de Brague ; l'autre : du duc Bernard de Vuimar, commandant les troupes suédoises. Et bien que l'un et l'autre la prirent, ce ne fut pas sans s'être bien défendue, ayant souffert le canon, ce qui fut cause que les Suédois la pillèrent entièrement.

Dans cette ville il y a un monastère de religieuses de l'Ordre de Saint Benoit, qui se nomme : de la Conception Notre Dame, dans lequel, lorsqu'il était florissant, il y avait jusqu'à trente deux religieuses du choeur sans les converses. Mais elles n'étaient plus que vingt huit au temps dont nous allons parler, en étant mortes de peste et d'autres misères pendant les guerres de leur pays.

C'étaient d'excellentes filles, vivant saintement dans une admirable union de charité entre elles, une étroite observance de leur Règle, et un parfait accomplissement de leurs voeux. Et c'est de ce monastère duquel sont sorties, comme un essaim d'une très excellente ruche, les personnes dont nous avons à traiter, ainsi que nous en parlerons souvent ; et c'est pour cela qu'il a fallu donner la connaisance que nous venons d'en donner.

Et comme cette ville avait déjà beaucoup souffert dans ces deux sièges, la guerre des français, dans la Lorraine dont elle est si avoisine, acheva de la ruiner, lui ayant attiré de nouvelles afflictions, parce que les français ayant ravagé tous leurs champs et enlevé leurs bestiaux, pendant le siège qu'ils mirent devant le château de Moyen-[moutier], qui tenait pour Son Altesse de Lorraine, lequel n'en n'est qu'à trois lieues, leurs terres demeurèrent sans culture et leurs richesses leurs furent ravies. Ainsi les vivres y devinrent si chers et l'argent si rare que les plus accommodés eurent beaucoup à souffrir dans un temps comme celui-là, et le peuple y endura une famine incroyable qui fut suivie d'une furieuse peste.

Ce monastère comme les autres ne manqua pas de se sentir de la misère publique, et après avoir souffert constamment pendant sept ans une disette absolue de tout ce qui est nécessaire à la vie pour le vivre, les vêtements et les autres besoins, — n'ayant à peine, sur la fin, qu'un quarteron de pain bis à manger par jour, chacune, pour tout aliment, et généralement tous autres leur défaillaient, encore ce pain leur manquait-il quelquefois, — elles reçurent commandement de leur Supérieur, qui était Monsieur Midot, grand'vicaire de Monseigneur l'Evêque de Toul, de se séparer en deux troupes, dont l'une demeurerait et l'autre sortirait pour soulager la maison, et tâcher de leur donner du secours se retirant en quelque refuge assuré, et par ce moyen subsister mieux et les unes et les autres.

Leur extrême pauvreté leur était sans doute une grande peine. mais ce commandement leur sembla encore plus dur parce qu'il fallait se séparer, et il ne se peut dire les larmes qui furent versées de part et d'autre, dans l'appréhension où elles étaient de ne se revoir jamais. Il fallut obéir. Ainsi elles sortirent jusqu'à onze, à savoir : les Mères Catherine Mechtilde (2) du Saint Sacrement, Anne de Ste Magdelaine, Marie de Ste Scholastique, Angélique de la Nativité, Marie de St Alexis, Benoîte de la Passion, Louise de l'Ascension, Dorothée de Ste Gertrude, Elisabeth de la Présentation, Gabriel de l'Annonciation et Jeanne de la Croix, sous la conduite de la Révérende Mère Bernardine de la Conception, leur Prieure ; et demeurèrent les plus âgées, à savoir : les Mères Placide de St Benoît, Claude de Ste Marguerite, Gertrude de la Trinité, Barbe du Saint Esprit, Anne de St Paul et quelques converses.

Et ayant consulté leurs amis sur le lieu où elles pourraient se réfugier, ils leur conseillèrent tous de venir en France. Mais elles ne purent pas lors s'y résoudre, parce qu'il leur sembla que c'était trop s'éloigner de leur monastère ; et choisirent plutôt la ville de Saint Mihiel, de l'Evêché de Verdun, quoiqu'aussi fort pauvre, sur la proposition qui leur en fut faite par une demoiselle de ce lieu, fort amie de la Mère Mechtilde du Saint Sacrement, qui lui écrivit d'y aller parce que, s'approchant de la France, elles pourraient être secourues des aumônes que la ville de Paris envoyait incessamment sur cette pauvre frontière, par les Prêtres de la Mission de Saint Lazare qui en faisaient la distribution.

Ainsi elles s'y acheminèrent au commencement de l'année 1642 (3), et furent reçues avec une extrême affection de tous les habitants de cette ville, qui avaient bien plus de coeur que de moyens pour les secourir, car ils n'étaient guère moins ruinés que le pays d'où elles venaient. Aussi la nécessité que ces pauvres réfugiées eurent à souffrir à St Mihiel ne fut guère moindre que celle qu'elles avaient souf ferte à Remberviller tant que les aumônes de France tardèrent à venir, en sorte que d'aussi affligés qu'elles, leur portaient grande compassion parce qu'elles avaient la peine de plus, qu'étant renfermées, elles ne pouvaient aller par le monde comme eux pour chercher

(2) La troisième partie du manuscrit raconte le début de la vie religieuse de mère Mectilde. Ce récit, commence en 1641, quelques mois avant que mère Mectilde ne quitte la Lorraine.

(3) Le manuscrit a une erreur de date et anticipe d'une année depuis 1642 (en réalité 1641) jusqu'en 1651, date du retour de mère Mectilde à Paris. A partir de ce moment la chronologie du manuscrit est exacte.

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de quoi se nourrir. Car dès l'abord qu'elles furent en cette ville, au lieu de vivre en vagabondes, comme tant d'autres religieuses faisaient en ce temps-là, elles se mirent en clôture et dans les mêmes observances que dans leur maison de Remberviller, avec autant d'édification que Monsieur le grand'vicaire de Verdun (4) leur accorda bientôt le Saint Sacrement, de même que si ce fut été un établissement fait dans les formes, et non pas un simple refuge comme c'était.

Si bien qu'un chacun les estimant grandement la bonne odeur en vint jusqu'à Madame l'Abbesse de Juvigny (5), dont l'Abbaye n'est pas fort éloignée de St Mihiel, laquelle, pour les soulager, en envoya quérir deux, qui furent les Mères Jeanne de la Croix et Alexis de Jésus, lesquelles y ont vécu si exemplairement qu'elles ont mérité d'y être associées et y sont demeurées jusqu'à leur mort.

Ainsi il n'en resta que neuf au refuge de St Mihiel, et de ces neuf : fut envoyée la Mère Benoîte de la Passion à leur monastère de Remberviller pour y être Supérieure et commander en l'absence de la Mère Bernardine, Prieure, qui demeura à St Mihiel. Toutefois les restantes n'en furent guère mieux pour cette petite décharge parce que, comme elles vivaient d'aumônes, quand on les vit moins en nombre on leur donna moins. Ces aumônes étaient si incertaines qu'elles se trouvèrent souvent dans une extrême nécessité de faim.

Dieu permit que dans ce temps les Pères de la Mission, dont nous avons déjà parlé, y allèrent faire leurs charitables courses, et les plus honnêtes personnes du lieu firent d'abord entendre au Supérieur de la troupe, qui se nommait Monsieur Guérin (6), homme de très sainte vie, l'extrémité où étaient ces saintes filles, ce qui l'obligea [de] les aller visiter. Et quand il les eût vues, il jugea par la pâleur de leur visage et le mauvais état de leur habit qu'on ne lui avait pas encore assez dit. Il admira de les voir si contentes dans leur pauvreté et si observantes, conservant une tranquillité d'esprit angélique, ce

(4) L'évêque de Verdun était alors François de Lorraine, évêque de 1622 à 1661. François de Lorraine-Chaligny était le troisième fils de Henri de Lorraine comte de Chaligny et de Claude de Mouy. Nous retrouvons la famille de Mouy près de mère Mectilde en 1651 en la personne de Madeleine de Moges, marquise de Mouy. François de Lorraine avait succédé à son frère, Charles, comte de Chaligny, évêque de Verdun en 1616, qui était entré dans la Compagnie de Jésus en 1622. Edouard Gérardin, Histoire de Lorraine, Berger-Levrault, 1925.

(5) Scholastique-Gabrielle de Livron, 1608-1662, abbesse de Sainte-Scholastique de Juvigny-sur-l'Oison, arrondissement de Montmédy (Meuse), fille de M. de Vauvillars et de Gabrielle de Bassompierre. Elle établit la réforme à Juvigny, y fut religieuse 62 ans, dont 54 comme abbesse. Gallia Christiana, XIII, p. 617618, noue. éd.

(6) Supérieur des Prêtres de la Mission, établis à Saint-Mihiel (Meuse). Saint Vincent de Paul recueillit des sommes considérables pour aider ces malheureuses populations, mais la misère était telle que ses aumônes atténuaient à peine les souffrances. Les premières Dames de Charité ont donné peu à peu toute leur fortune. La reine Anne d'Autriche offrait jusqu'à ses bijoux quand sa bourse personnelle était vide. C'est alors que Vincent de Paul eut l'idée de faire imprimer les relations que ses missionnaires lui adressaient et de faire vendre ces feuilles aux portes des églises. Il est ainsi l'ancêtre de nos périodiques... ! Louis Abelly, Vie de Saint Vincent de Paul, Debecourt, Paris 1839. Rohrbacher, Histoire Universelle de l'Eglise catholique, Paris 1881, t. X, p. 553.

qui lui fit concevoir une si haute estime de leur vertu qu'il forma dès lors dessein de s'employer à bon escient, à son retour à Paris, pour leur procurer un secours plus abondant, et de plus de durée, que celui qu'elles pouvaient recevoir de la part qu'il avait à leur faire des aumônes qu'il venait distribuer, laquelle ne pouvait suffire au moindre de leurs besoins, à cause qu'il était contraint d'en faire part à plusieurs pauvres honteux du pays. Et il continua les visiter et consoler de tout son possible jusqu'à ce qu'il fut rappelé par Monsieur Vincent, son général, qui fut tôt après. Avant son départ il leur communiqua la pensée qu'il avait de proposer à Madame l'Abbesse de Montmartre comme avait fait Madame l'Abbesse de Juvigny : d'en prendre chez elle un bon nombre — si du moins elle ne pouvait les prendre toutes — pour les garder jusqu'à la paix.

En effet il n'y manqua point, car aussitôt qu'il fut arrivé à Paris, il s'en alla à Montmartre faire sa proposition à Madame l'Abbesse, qui était Madame Marie de Beauvillier (7), la conjurant les larmes aux yeux, de donner secours à ces vertueuses affligées, qui étaient religieuses d'un même Ordre qu'elle. Mais il eut beau lui remontrer tout ce qui en était, et tout ce que la charité lui en sût faire exagérer, jamais il ne put toucher le coeur de cette Abbesse : c'était un coup réservé à Dieu seul, elle, l'en ayant refusé si absolument qu'elle lui dit même, avec assez de rudesse, qu'elle était de serment de ne jamais recevoir de religieuses étrangères dans sa maison ; ainsi elle le renvoya avec une affliction extrême.

Ce bon écclésiastique ne pouvant se consoler de ne se voir plus de moyens d'assister ces pauvres filles, ne sachant même comment leur annoncer cette mauvaise nouvelle, il jugea qu'il fallait bien les en avertir, ce qu'il fit, afin que, ne s'attendant à ce secours, elles tâchassent de prendre d'autres mesures.

(7) Fille du comte de Saint Aignan, naquit en 1574, au château de la FertéSaint-Hubert en Sologne. Orpheline, elle fut élevée dès l'âge de dix ans par sa grand-tante Arme Babou de la Bourdaisière, abbesse de Beaumont-les-Tours (l'Abbaye qui reviendra plus tard à Anne de Béthune, sa nièce ; la « chère Victime » de mère Mectilde). Elle fit profession à seize ans à Beaumont. Ayant reçu l'abbaye de Montmartre en bénéfice elle y entre comme abbesse, le 7 février 1598. L'abbaye avait alors 2 000 livres de revenu et 10 000 de dettes ; la crosse elle-même était engagée pour 200 écus et son frère dut lui fournir son mobilier « jusqu'au lit et à la batterie de cuisine ». Le spirituel était à l'avenant. Il fallut un courage héroïque à lajeune abbesse pour vaincre les résistances et gagner les coeurs. Elle y mit... neuf ans, soutenue par deux religieux éminents : Benoit de Canfeld et le Père Ange de Joyeuse, puis par des moines envoyés par Dom Didier de la Cour, auteur de la réforme de Saint Vanne ; Dom Laurent Bénard, promoteur de la Congrégation de Saint Maur, l'assista aussi beaucoup. Plus de cinquante religieuses sortirent de ce monastère pour « aller réformer, établir ou gouverner des maisons de l'Ordre ». Elle décéda le 21 avril 1657 sur les 7 h 30 du matin, la veille de l'invention du corps de Saint Denis. Elle était âgée de 83 ans et en avait employé cinquante neuf à la réformation et au gouvernement de Montmartre. Elle a donné le voile à 227 Filles et a l'honneur d'être la première réformatrice de l'Ordre de Saint-Benoit en France. Madame de Blémur, Eloges, t. II, p. 175 et 184. Dom Philibert Schmitz, Histoire de l'Ordre de Saint Benoit, éd. Maredsous 1956, t. VII, p. 160. Henri Brémond, Histoire Littéraire du Sentiment Religieux en France, Bloud et Gay, Paris 1916, t. II, chap. VI, p. 442.

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Cette nouvelle ne les surprit point. L'abandon actuel et continuel dans lequel elles vivaient depuis si longtemps à la divine Providence, fit que leur coeur ne s'en trouva nullement ébranlé. Au contraire, s'affermissant de nouveau en Dieu, elles se résolurent d'avoir recours à la Sainte Vierge en sa chapelle de Benoistevaux (8), à trois lieues de Saint Mihiel, où elles entendaient dire qu'il se faisait tous les jours tant de miracles. Et pour cet effet elles dressèrent au nom de toutes une dévote requête — qu'ils nomment supplique en ce pays-là - par laquelle elles lui demandaient quatre choses. La première, de connaître les volontés de Dieu sur elles en leur état présent, pour s'y conduire selon ses desseins ; la deuxième, de garantir leurs personnes des outrages des soldats ; la troisième, de toucher le coeur de quelque Abbesse pour les retirer chez elle ; la quatrième, que ce fut dans des monastères où elles puissent continuer leurs observances accoutumées. Et députèrent pour porter cette requête les Mères Catherine Mechtilde du Saint Sacrement, Marie Scholastique et Louise de l'Ascension, qui se rendirent à pied à cette sainte chapelle le premier jour d'août 1642, et y passèrent toute la nuit en prière, après avoir fait mettre par un prêtre leur supplique sur l'autel, ne cessant d'importuner cette Mère de miséricorde d'exaucer leurs humbles voeux, jusque sur les quatre heures du matin, jour de Notre Dame des Anges, qu'ayant ouï la sainte Messe et communié, elles s'en retournèrent à Saint Mihiel ; mais si remplies des grâces qu'elles avaient reçues cette nuit qu'elles ne purent s'empêcher, quelques soins qu'elles y apportassent, qu'il n'en regorgeât au dehors assez pour qu'on s'en aperçut.

Et l'on croit même que Dieu fit connaitre quelque chose cette nuit-là à notre très chère Mère des desseins qu'il avait sur elle pour notre Institut. Chose admirable et bien avérée, car elle a été insérée comme un miracle dans les registres des miracles qui se sont faits en cette sainte chapelle.

La même nuit, sur les deux ou trois heures après minuit qui était le plus fort de leur prière, le coeur de cette Abbesse de Montmartre, qui avait si rudement refusé de les recevoir, s'amollit et se trouva si fort changé que, s'éveillant en sursaut et avec une frayeur extrême, elle éveilla la Mère Agnès de Chaulnes et Soeur de St Gatien, qui couchait d'ordinaire dans sa chambre à cause de son grand âge, leur

(8) A 24 km de Verdun et 33 km de Bar-le-Duc (Meuse). La tradition dit que des concerts angéliques attirèrent en ce lieu des bûcherons qui travaillaient dans les forêts voisines. Ils trouvèrent dans un fourré une statue de la Vierge tenant dans la main droite une pomme d'or et l'Enfant Jésus sur son bras gauche. La grande dévotion mariale des Prémontrés, installés en ce lieu dès 1140 peut être aussi l'origine du pélerinage. Benoite-Vaux dépendait de l'évêché de Verdun. A l'époque des guerres en Lorraine, le sanctuaire et la vénérable statue furent défendus et préservés par une femme étonnante Mme de SaintBalmont, dont l'histoire fait un peu penser aux héroïnes antiques Judith, Esther et à sa compatriote Jeanne d'Arc. Mère Mectilde a connu Mme de SaintBalmon qui tint à honneur de visiter les religieuses à Saint-Mihiel et de les secourir. Dans : Un sanctuaire vénéré au pays lorrain, E. de Bar, Bar-le-Duc 1892, on rapporte tout au long le pélerinage de mère Mectilde et ses conséquences, p. 56 et suiv.

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disant tout épouvantée qu'il lui semblait que la Sainte Mère de Dieu et son divin Fils courroucés, lui faisaient de terribles reproches du refus qu'elle avait fait de recevoir ces pauvres religieuses de St Mihiel, et qu'ils la menaçaient rudement de lui en demander un compte très exact si elles venaient à périr. Ajoutant que, pour elle, elle se disposerait volontiers à les recevoir, mais qu'elle craignait que sa communauté n'y voudrait pas consentir. Et sans plus pouvoir se rendormir tant elle se trouva agitée, elle attendit le jour avec une extrême impatience pour en dire autant aux principales de sa maison. Si bien que le jour étant venu, et les ayant fait assembler dans sa chambre, elle leur fit le même récit de tout ce qui s'était passé. Mais bien loin d'y trouver de la répugnance de leur part, au contraire toutes l'exhortèrent d'exécuter sans délai ce bon dessein ; ce qui fit qu'elle écrivit sur l'heure même à ce bon Monsieur Guérin, à Saint Lazare, lui envoyant un des siens pour lui déclarer ce qui venait de se passer, et la résolution où elle était de prendre de ses religieuses. Ce qui réjouit si fort ce bon Monsieur qu'il ne pouvait se contenir, ni se rassasier de louer Dieu qui avait opéré un changement si subit.

Sa joie fut un peu modérée de ce qu'elle lui marquait qu'elle n'en voulait que deux. Encore voulait-elle qu'on lui envoyât la liste auparavant, afin de choisir celles qui lui reviendraient le mieux ; comme si leur nom simple lui pouvait donner à connaître les qualités d'une personne qu'elle n'avait jamais vue, ni entendu parler ! Et ce bon écclésiastique, encore trop aise, n'eût garde d'y trouver rien à redire, lui voulant complaire en tout, pourvu qu'il vint à bout de soulager ces bonnes filles ; dans l'espérance où il était que, quand ces deux seraient placées, Dieu lui donnerait quelque nouveau moyen de secourir les autres. Si bien qu'il usa de diligence pour avoir cette liste, qu'il eut bientôt recouvrée, et sur laquelle cette digne Abbesse choisit sans hésiter la Mère Mechtilde du Saint Sacrement, et laissa dans l'indifférence sa compagne, contre ce qu'elle avait dit qu'elle la choisirait aussi.

Mais Dieu, par elle, faisait ce choix, car la Mère Mechtilde était celle que la divine Providence avait choisie pour faire l'établissement de l'Adoration perpétuelle dans Paris, où il la voulait amener par cette voie. Ainsi elle fut satisfaite comme fixée sur celle-ci, parce que ce divin Esprit qui mouvait son coeur, ne regardant qu'elle, par une vocation particulière pour son oeuvre, fit que cette Abbesse ne se mit pas en peine quiconque fut sa compagne pour venir avec elle, pourvu qu'elle eût celle-là.

Tout ce que nous disons ici de ce miracle se trouve amplement déduit dans la vie de cette illustre Abbesse qui a été donnée au public par la Mère de Blémur (9), religieuse de l'Abbaye de la Trinité

(9) Née le 8 janvier 1618, elle est donnée dès l'âge de 5 ans à une de ses parentes, moniale de la Trinité de Caen. Professe, Maîtresse des Novices, puis Prieure de la célèbre abbaye normande, elle demande à mère Mectilde de la recevoir dans son institut et, avec sa soeur, rejoint notre mère institutrice à

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de Caen, de notre même Ordre, laquelle par ce travail admirable de l'Année Bénédictine, qu'elle a fait en six volumes de deux mois le chacun, s'est acquis une renommée immortelle et a grandement orné l'Ordre de Saint Benoît, et a rangé ce miracle de Notre Dame de Benoistevaux parmi les événements les plus remarquables de cette vie qu'elle décrit.

Ce choix étant ainsi fait, ce bon écclésiastique ne pouvant aller lui-même les quérir comme il aurait bien voulu, il y envoya Frère Mathieu, de la Mission, avec de l'argent pour leur voyage.

Ce Frère s'étant rendu dans peu de jours à St Mihiel, apporta par son arrivée bien de la joie à ces pauvres réfugiées se voyant ainsi secourues, mais elle ne leur cause guère moins d'affliction en ce qu'il leur annonça qu'il fallait se séparer ; car celles qui devaient venir ne cessaient de se lamenter, se voyant obligées de quitter ; les autres qui les aimaient uniquement se réjouissant de les voir à la veille de trouver le repos ; elles s'affligeaient aussi de les voir se séparer d'elles. C'était une chose pitoyable qu'entendre leurs gémissements et leurs larmes, de voir les divers mouvements de leurs esprits. De façon que, si Dieu n'eut fait connaitre par avance à Notre Mère, dans la chapelle de Benoistevaux, quelque chose des desseins qu'il avait sur elle l'amenant en France, et qu'elle n'y eût vu qu'elle pourrait par ce moyen secourir ses soeurs, jamais elle ne s'y serait résolue. Mais enfin elle partit avec Soeur Louise de l'Ascension qui lui fut donnée pour compagne, ayant pour conducteur ce vertueux Frère Mathieu. Elles vinrent par le coche à Paris.

Le vingthuitième aout suivant 1642, nos deux religieuses et le bon Frère arrivèrent heureusement à Paris. Mais si tard que, ne pouvant se rendre le même jour à Montmartre, il les mena coucher chez Mademoiselle Legras (10), dans le faubourg Saint Martin, laquelle exerçait volontiers l'hospitalité. Aussi était une personne très sainte

Rouen en 1678. Mère Mectilde emmène les deux soeurs à Paris où elles n'hésitent pas à devenir novices à 60 ans. Elles étaient parentes de la princesse de Mecklenbourg qui aurait désiré les mères de Blémur pour la fondation du monastère érigé sur ses terres de Châtillon-sur-Loing, offertes par elle à mère Mectilde. Mais la fondation n'ayant pu se faire qu'en 1688, les deux soeurs étaient trop âgées pour une maison naissante. La mère de Blémur est morte au monastère de la rue Cassette, le 24 mars 1696. Ses principales oeuvres sont : L'Année Bénédictine ou les Vies des Saints de l'Ordre de St Benoit pour tous les jours de l'année, L. Billaine, Paris 1667, 7 vol. ; Eloges de plusieurs personnes illustres en piété de l'ordre de St Benoit, L. Billaine, Paris 1679, 2 vol. ; Les grandeurs de la Mère de Dieu, L. Billaine, Paris 1681, 2 vol. ; Vie des Saints, tirées des auteurs ecclésiastiques anciens et modernes, L. Billaine, Paris 1689, 4 vol. ; Dom Mabillon a consacré une circulaire à leur vie ; Dom Martène, Histoire de la Congrégation de Saint-Maur, t. III, p. 80 ; Notes historiques sur Châtillonsur-Loing, par Eugène Tonnelier (communiquées par M. l'abbé Verdier).

(10) Louise de Marillac, fille de Louis de Marillac et de Marguerite Camus ou Le Camus (on écrivait indifféremment les deux), naquit le 12 août 1591 à Paris sur la paroisse Saint-Paul. Fondatrice des Filles de la Charité avec Vincent de Paul. Dans Sa vie, par Mgr Baunard, on note ce passage de mère Mectilde et de sa compagne accompagnées de frère Mathieu Renard chez Mlle Legras, le 29 août 1641. Mgr Baunard, Louise de Marillac, de Gigord 1921, p. 277 ; Abelly, op. cit., t. II ; Pierre Coste, Monsieur Vincent, DDB 1932, t. II, 3 vol.

et très renommée pour les grandes oeuvres de piété qu'elle faisait ; et elles en furent reçues avec beaucoup de charité.

Le lendemain matin, le bon Monsieur Guérin les allant voir leur fit saluer Monsieur Vincent, son général, à Saint Lazare, et le même jour les mena à Montmartre, où il ne se peut dire combien elles furent agréablement accueillies par Madame l'Abbesse qui, les regardant comme des personnes que le ciel lui envoyait, tâchait de réparer en tout ce qu'elle pouvait, le désagréable refus qu'elle en avait fait au commencement.

De même toutes ses religieuses à l'envi pour lui plaire en firent autant, ne témoignant pas moins de compassion qu'elle du pitoyable état où elles les voyaient, en façon qu'il y avait presse à qui les assisterait, l'une leur apportant une robe, l'autre une tunique, l'autre un voile, ainsi du reste qu'il leur fallait, si bien qu'elles furent dans peu de temps fort honnêtement équipées, auprès de ce qu'elles étaient à leur arrivée, car elles n'avaient que le pauvre Habit qu'elles portaient sur leur corps, lequel était tout déchiré.

Environ deux mois après leur arrivée, les religieuses de Montmartre s'étant aperçues beaucoup de fois que la Mère Mechtilde, au lieu de manger quand elle était à table au réfectoire, ne faisait autre chose que pleurer, en avertirent leur Abbesse. Et comme elle l'aimait déjà tendrement, elle la manda venir un jour pour apprendre d'elle la cause de ses larmes, lui demandant avec une extrême bonté si c'était qu'on lui eut fait quelque déplaisir dans sa maison, qu'elle le lui dise franchement, qu'elle y mettrait bon ordre, enfin qu'elle lui fit connaître ce qu'il fallait faire pour faire cesser ses pleurs : qu'elle le ferait. Mais Notre Mère Mechtilde, pleurant de nouveau, lui répondit d'une façon très touchante que le sujet de ces larmes était de ce qu'elle était trop bien, ne pouvant manger de tant de mets qu'on lui servait quand elle venait à penser qu'elle était dans l'abondance, et que les Mères du refuge de St Mihiel, ses compagnes, manquaient d'un morceau de pain. Ces paroles animées de l'ardeur d'une charité si parfaite ne manquèrent pas de porter leur effet, puisque cette bonne Abbesse s'en trouvant toute pénétrée lui répliqua : « Allez ma fille, allez leur écrire tout à l'heure de venir incessamment toutes, nous trouverons bien où les loger. A Dieu ne plaise que je les laisse plus longtemps dans cette grande extrémité, et vous dans cette douleur ».

Bien plus, elle-même sans différer d'un moment, étant assistée de ce bon Monsieur Guérin, prit la plume pour écrire à Mesdames les Abbesses de Jouarre (11), d'Almenèches, de Vignas et de la Trinité

(11) L'Abbaye était née en 630 du mouvement colombanien et avait essaimé à Chelles, en 640. A cette époque, l'abbesse en était mère Marguerite de la Trémoille-Rohan, nommée en janvier 1638, décédée en 1655. Elle avait fait reprendre le bréviaire romain et l'habit noir. Jeanne de Lorraine, moniale de Fontevrault, y avait introduit l'habit blanc et le bréviaire de Fontevrault. Pour l'histoire complète de cette abbaye, voir : L'Abbaye Royale de Notre-Dame de Jouarre, P. Lethielleux, Paris 1961.

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de Caen, de notre Ordre, d'en prendre aussi chez elles, les en priant instamment. Ce qu'elles firent après à son exemple. Et cependant Notre Mère Mechtilde ne manqua pas d'écrire de son côté à ses compagnes de venir tout au plus tôt. Toutefois ce ne fut guère qu'environ six semaines après qu'elles arrivèrent à Paris, qui fut la veille de Saint Thomas devant Noël, même année 1642, ayant passé en venant par Jouarre pour y laisser les Mères Scholastique et Marie Gabriel de l'Annonciation, suivant l'ordre qu'elles en avaient reçu.

Ainsi elles n'étaient plus que cinq quand elles arrivèrent à Montmartre pour se joindre à notre Mère Mechtilde et à Soeur Louise de l'Ascension. Ces cinq étaient : la Révérende Mère Bernardine de la Conception, Prieure, les Mères Angélique de la Nativité, Dorothée de Sainte Gertrude, Elisabeth de la Présentation et Anne de Sainte Magdelaine. Elles furent très bien reçues de Madame l'Abbesse et de toute la Communauté, à cause de la bonne opinion qu'on avait déjà conçue d'elles sur les saints déportements de la Mère Mechtilde et de sa compagne, dont elles admiraient la conduite depuis quatre mois qu'elles les avaient parmi elles.

Mais elles n'y demeurèrent en ce nombre que depuis les fêtes de Noël jusqu'aux Rois seulement, s'étant après dispersées en ces autres maisons religieuses dont nous avons parlé, savoir : Mère Anne de Sainte Magdelaine et Angélique de la Nativité, à la Trinité de Caen, Elisabeth de la Présentation à St Cyr avec Dorothée de Sainte Gertrude, et les Mères Bernardine et Mechtilde et Soeur Louise de l'Ascension demeurèrent à Montmartre.

Les deux qui allèrent à Saint Cyr (12) n'y demeurèrent pas longtemps, à cause que l'abstinence des viandes ne s'observant pas en cette maison elles y vivaient en scrupule, si bien qu'elles furent mises depuis à Vignas et à Almenèches en Normandie, où l'on suivait l'observance comme nous dirons tantôt.

Pour les trois qui demeurèrent à Montmartre elles y passèrent un an, qui aurait semblé bien doux à des personnes comme elles, puisqu'elles y vivaient dans les mêmes observances que dans leur monastère de Remberviller, car la Règle se garde très exactement dans cette sainte maison, si le souvenir de leurs Mères de Remberviller qui

(12) Diocèse de Chartres au 'mie siècle, à présent détruit. Se trouvait dans le parc de Versailles (vivarium). Régi par Catherine Desportes, qui avait pris en 1630 l'observance du Val-de-Grâce, elle travailla en vain à établir la réforme. Elle céda le siège abbatial en 1651 à Elisabeth d'Aligre, fille d'Etienne d'Aligre et de Jeanne L'Huillier décédée en 1669. Un manuscrit en partie parallèle à celui-ci : N 248, a été annoté par Dom Pothier O.S.B., abbé de Saint-Wandrille, Seine-Maritime (décédé le 8 décembre 1923). Quelques notes ne portent pas de références parce qu'il avait fait ce travail pour son propre compte et non en vue d'une édition. L'érudition de Dom Pothier ne pouvant être mise en doute nous avons cru pouvoir utiliser ses notes telles quelles. Il n'est pas impossible qu'il ait relevé ses renseignemnts dans la Gaina Christiana car il cite expressément cet ouvrage en plusieurs cas ; ainsi que du Révérend Père Le Lasseur S.J. (1814-1881) le dictionnaire ecclésiastique du xviie et xvine siècles, manuscrit non édité. (Cet ouvrage sera désormais désigné sous le nom : Le Lasseur).

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étaient dans la souffrance et dans le péril n'eût traversé leur repos. Elles n'en témoignaient rien, parce qu'elles voyaient bien qu'on ne pouvait plus apporter d'autres remèdes à leurs maux. Mais soit ce déplaisir secret, soit le changement d'air et de climat, ou qu'elles trouvassent dans le repos ce qu'elles avaient amassé dans la misère, la Mère Mechtilde fut saisie d'une fièvre lente, accompagnée d'un flux lianthérique très fâcheux, et d'une fluxion sur la poitrine qui la faisait tousser quelquefois si violemment et si continuellement qu'elle en demeurait pâmée. Toutefois elle ne voulut point s'aliter ; au contraire, dissimulant le plus qu'elle pouvait son mal, elle suivait toutes les observances, et cela le rengrégeait, faisant même qu'on n'y prenait pas assez garde pour y apporter les remèdes qu'il fallait. D'où il arriva encore que l'on ne s'opposa point assez, lorsqu'elle parla d'aller à Caen, quérir la Mère Angélique qui le désirait, pour la placer ailleurs, à cause qu'étant malade du poumon, l'air de la mer dont Caen est proche l'altérait par sa salure et subtilité.

Si bien qu'après en avoir eu congé de Madame de Montmartre, elle partit pour Caen avec les deux qui étaient revenues de Saint Cyr, pour les laisser en revenant à Vignas et à Almenèches. Ce congé ne fut pourtant fort facile à obtenir, parce que Madame l'Abbesse avait conçu pour Notre Mère tant d'estime et tant de confiance qu'elle avait grand peur de la perdre. Elle voulait l'associer et la Révérende Mère Bernardine, leur faisant mille caresses à cet effet, si bien que, comme si elle eut prophétisé qu'elle ne reviendrait plus, comme il arriva, elle avait de la peine à se résoudre de la laisser sortir. Se rendant enfin sur ce que la Révérende Mère Bernardine lui demeurerait, se figurant qu'elle obligerait toujours la Mère Mechtilde de revenir ; sur cette pensée le congé fut obtenu. Prenant son chemin droit à Caen avec ses deux compagnes, partit par le coche, le jour [de] St Laurent, dixième d'aout mil six cent quarante trois, après avoir demeuré un an à Montmartre.

Elles arrivèrent à Caen (13) la veille de Notre Dame, et y furent si bien reçues par Madame l'Abbesse qui était Madame Laurence de Budos (14), de sorte qu'elle surpassa Madame de Montmartre en ce

(13) L'Abbaye de la Sainte-Trinité de Caen avait été fondée par la princesse Mathilde de Flandre, femme de Guillaume, duc de Normandie. La première abbesse en avait été Mathilde, de la famille royale de Normandie. Une première dédicace est faite le 18 juin 1066. L'église n'est terminée que vers 1130. Elle sert actuellement, en partie, d'église paroissiale. C'est peut-être en cette abbaye que mère Mectilde connut Jean Eudes pour qui l'abbesse avait la plus grande vénération. Lors d'une peste célèbre en la ville de Caen, le Père Eudes couchait dans un tonneau au milieu des champs pour ne pas risquer de contaminer ses collègues ; car il soignait les pestiférés sans aucun ménagement. C'est Mme de Budos qui lui faisait porter chaque jour sa nourriture dans ce « logement » tout spartiate. de Blémur, Eloges, t. II.

(14) Mme Laurence de Budos de Porte, fille du vicomte des Portes et de Catherine de Clermont de Montoison et soeur du marquis des Portes, vice-amiral de France. Née en 1585, elle avait été moniale de Chelles. Nommée à Caen en 1599, instituée en 1603. Elle établit des statuts en 1623 approuvés par le Cardinal Barberini en 1625. Elle resta abbesse 48 ans et mourut le Z3 juin 1650. Elle était tante maternelle des Bourbon et des Montmorency. Le Lasseur, op cit. ; La Chenaye, Dict. de la noblesse, t. IV, fol. 472.

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qu'elle ajouta, à toutes ses marques de bonté, la cérémonie et la magnificence, les faisant toujours manger avec elle en une table à part, son dessein étant de gagner le coeur de Notre Mère pour en faire sa Prieure, et se reposer sur elle de tout le spirituel de son abbaye. Mais elle ne put la retenir plus longtemps que trois semaines, quelques instances qu'elle lui en fit, parce que Notre Mère fuyait les honneurs partout. Néanmoins, quoiqu'elle parût fâchée de ce refus, elle eut bien la charité lui prêter son carosse pour la mener à Vignas, et lui donner de l'argent pour son desfray par les chemins ; de plus, de garder encore la Mère Anne de Sainte Magdelaine.

Ainsi Notre Mère partit, emmenant avec elle la malade et les deux autres religieuses qu'elle avait menées pour les placer ailleurs.

A l'Abbaye de Vignas (15) il en arriva tout de même qu'à Caen. Madame l'Abbesse qui se nommait Anne de Médavy de Grancey, ne savait quelle bonne réception faire à notre Mère Mechtilde, tant elle avait d'empressement de la voir et de désir de la posséder. Il se peut dire même qu'elle l'emporta encore sur les deux autres Abbesses, en ce qu'elle paraissait avoir une certaine ouverture de coeur plus grande et tout à fait obligeante pour elle. Mais elle ne la garda guère plus, pour cette première fois, que Madame de la Trinité de Caen, parce qu'il fallut que Notre Mère se rendit au plus tôt à Almenèches (16) mener l'une des deux qu'elle avait amenées de St Cyr, et chercher aux environs quelque endroit propre à placer sa malade pour lui faire changer d'air. Il est vrai que, pour l'engager à revenir, cette Abbesse lui bailla son carosse, avec ordre à ses gens de ne la point laisser mais la ramener.

(15) Le château des comtes de Bélesmes, près Falaise, vit se fonder au mi. siècle au plus tard, une abbaye sur ses terres. Elle relevait primitivement de Saint-Sulpice de Rennes. Mme Louise de Médavy, abbesse d'Almenèches, était prieure de Vignats. Elle céda son titre de prieure de Vignats à sa soeur, Arme de Médavy, qui était moniale d'Almenèches, en 1617. Celle-ci remit en ordre le temporel, rebâtit l'église, augmenta le nombre des religieuses et fit les mêmes réformes qu'à Almenèches. Le prieuré fut érigé en abbaye en 1625. Elle mourut le 24 janvier 1655, à 55 ans. Sa nièce Marie-Françoise de Médavy, fille du Maréchal de Grancey lui succéda. De ses sept soeurs, cinq furent abbesses dont Marie-Louise et Marie-Magdeleine à Almenèches. Médavy est sur l'Orne, entre Argentan et Séez, près d'Almenèche (Orne).

(16) Près d'Argentan, sur l'Orne, diocèse de Séez. Cette abbaye avait été fondée par saint Evroult vers 700. Détruite par les Normands, elle est donnée par Richard II, duc de Normandie, à l'Abbaye de Fécamp qui rétablit la vie monastique à Almenèches en 1026. En 1508, le monastère brûla complètement, en 1534, l'abbesse Louise de Silly, entreprit de rebâtir l'église et les clôtures. Les guerres de religion ralentirent les travaux qui ne se terminèrent qu'au xvIIc siècle. En 1623, les moniales fondaient à Argentan un prieuré où toute la communauté se regroupa en 1736. Tous les bâtiments abbatiaux d'Almenèches ont été détruits par la Révolution. Reformée à Vimoutiers en 1822, la communauté rentre à Argentan en 1930. De nouveau détruite par la guerre en 1944, l'Abbaye est reconstruite en bordure de la ville.

Louise de Médavy, fille du baron de Médavy et de Charlotte de Hautemer, abbesse en 1598 à 5 ans ; réforma son monastère avec l'aide de trois moniales de la Trinité de Poitiers, transféra son monastère à Argentan pour aider à le réformer. Sa nièce fut abbesse de 1652 à 1674 : Marie-Louise de Médavy (soeur de Marie-Françoise de Médavy de Grancey, abbesse de Vignats et de Scholastique de Médavy de Grancey, abbesse de Verneuil-surAvre). Dom Oury o.s.b.

Elle alla donc à Almenesches où elle ne fut pas moins bien reçue de l'Abbesse qui était soeur de celle de Vignas, de la même maison de Médavy. Mais elle n'y demeura que trois ou quatre jours, à cause des engagements qu'elle avait de s'en retourner auprès de Madame de Vignas de qui elle avait l'équipage. Si bien qu'après y avoir laissé en partant, l'une des deux religieuses revenues de St Cyr elle s'en retourna à Vignas, où ensuite elle fit un séjour d'environ six semaines, pendant lesquelles Madame d'Almenèches ne manqua pas de la réclamer souvent, se formalisant beaucoup de ce qu'elle y demeurait si longtemps ayant été si peu chez elle, ce qu'elle réputait à affront, en façon que ces deux soeurs pensèrent en demeurer brouillées.

Mais la jalousie cessa après quelques jours, quand elle apprit que Madame de Vignas avait elle-même été contrainte de céder aux très instantes prières de Notre Mère de la laisser en aller, car elle ne voulut point absolument arrêter en pas une de ces abbayes, quelque offre qu'on lui en fit, à cause que la maladie de Mère Angélique se pouvait communiquer. Toutefois pour satisfaire en quelque façon cette Abbesse en la quittant ainsi contre son gré, elle fit arrêter une maison dans un bourg proche de Vignas qui se nomme Bretteville (17) très chétive et misérable comme nous dirons bientôt, sans qu'elle eut le temps d'aller elle-même reconnaître le lieu, lui ayant suffi qu'on l'avait assurée que l'air y était extrêmement bon, et qu'elles seraient passablement bien du reste ; ce qui se trouva très faux.

Auparavant que de partir de Vignas elle fut obligée de faire une petite course jusqu'à deux lieues de là, y visiter une maison qu'on lui proposait pour s'y établir en hospice. Et comme pour y aller il fallait passer tout contre l'Abbaye de Villars Canivet (18), Notre Mère se crut obligée d'aller saluer en passant l'Abbesse de ce lieu qui se nommait Madame Louise de Mauger, laquelle en reçut une joie tout à fait extraordinaire, parce qu'elle en avait fort ouï parler, ayant grande ardeur pour la voir. Elle ne fut point si retenue que Madame d'Almenèsches puisque la tenant, elle ne voulut point la laisser aller si tôt. Au contraire elle se résolut de la garder de gré ou de force, le plus de temps qu'elle pouvait ainsi, sans se mettre en peine de ce qu'en dirait Madame l'Abbesse de Vignas.

(17) Il y a plusieurs bourgs de ce nom au diocèse de Bayeux. Celui de Mère Mectilde doit être Bretteville-sur-Laize (Calvados) à moitié chemin de Caen à Falaise, près de la forêt de Cinglais au bord de laquelle se trouvait Barbery, chef-lieu de canton.

(18) Ou Villers-Canivet, près de Falaise (Calvados). De la Congrégation de Savigny en 1127 par Roger de Montbray. Cisterciennes en 1147. La Gallia dit que l'abbesse était Louise de Maurey, nièce et coadjutrice de Hélène de la Moricière qui y avait rétabli la discipline. Mais ne serait-ce pas Louise de Mauger (famille normande connue). Nos manuscrits portent tantôt Maurey, tantôt Mauger. C'est elle qui reçut mère Mectilde. Marguerite Bernardine Le Bourgeois lui succéda 1647-1669. Le Lasseur, op. cit.

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Elle lui renvoya sans compliment son carosse avec tous ses gens qui l'avaient accompagnée, ne leur disant autre chose, sinon qu'elle la ferait ramener, sans qu'il fut nécessaire qu'ils revinssent la quérir. Mais la chose ne se passa pas sans bruit, car Madame de Vignas se prétendant offensée d'un procédé qui paraissait si hautain, renvoya dès le lendemain son carosse pour la ramener à quelque prix que ce fût. Néanmoins il fut encore renvoyé par Madame de Villars qui se cachait pour le faire de Notre Mère, de peur qu'elle n'y voulut consentir. Et Madame de Vignas se piquant au jeu de plus fort, renvoya de nouveau son carosse accompagné de bien plus de monde qu'auparavant, avec ordre à tous ses gens de ne point revenir qu'ils ne l'amenassent avec eux ; que pour cela ils se cachassent plutôt proche de l'Abbaye de Villars pour épier le temps qu'elles iraient à la promenade hors le monastère — car c'était une abbaye dans les champs — et l'enlevassent de force si les religieuses ne la voulaient pas laisser aller de gré. Ils se cachèrent ainsi qu'il leur était ordonné, mais ils ne surent si bien faire qu'ils ne fussent aperçus de l'abbaye, étant assez difficile qu'un carosse et bien des gens ne fussent découverts dans les champs, de sorte que Madame de Villars en étant aussitôt avertie, ne pensa qu'au moyen de les en faire retourner vide comme auparavant. De peur que Notre Mère Mechtilde ne le voulut pas souffrir, elle trouva l'invention de l'enfermer dans sa chambre sans qu'elle s'en aperçut, se saisissant de la clé, afin qu'elle ne put rien découvrir de tout ce qui se passait à son sujet, jusqu'à ce que le carosse fût parti, comme il fut bien contraint de le faire après avoir guetté en vain tout un jour.

A cette troisième fois, Madame de Vignas, qui ne manqua point de s'offenser, écrivit une lettre très piquante à Madame de Villars qui se choqua terriblement. Les choses prenaient un train à avoir de fâcheuses suites si celle qui était l'innocente cause de ce désordre n'eût tâché de les rapatrier ; pour ce sujet elle fit de fortes instances pour obtenir son congé, ce que Madame de Villars ne lui pouvait plus refuser. Elle retourna à Vignas d'où elle partit bientôt, après être venue heureusement à bout de réconcilier ces deux Abbesses, et amena avec elle sa malade à Bretteville.

Notre chère Mère se vit libre à la fin et maitresse d'elle-même. La précipitation qu'elle avait apportée pour s'acquérir cette liberté en se dépétrant des empressements de ces Abbesses qui lui étaient fort à charge, fut cause qu'elle ne se donna pas le temps d'aller elle-même à Bretteville pour voir à leur accommodement. Car comme elle avait bien reconnu que toutes ces caresses ne lui étaient faites que pour le dessein que les unes et les autres avaient de la gagner, de même que l'avait prétendu Madame l'Abbesse de Caen, pour en faire leur Prieure, et lui remettre entièrement le soin du spirituel de leur maison, qui était la cause de tant de contestations entre elles, voulant l'éviter à quelque prix que ce fut, si bien qu'elle rencontra dans ce chétif bourg des incommodités si étranges qu'elle n'aurait jamais pu se l'imaginer, car la maison qu'on leur avait arrêtée n'était qu'une méchante chaumine, ouverte de toutes parts, sans meubles aucuns, ni autres commodités que celle d'un four qu'il y avait dans ce trou de maison, dans lequel elles firent leur garde-robe pour serrer leurs hardes, leur garde manger et leur cuisine, y faisant cuire si peu qu'elles avaient à manger.

Mais comme il ne pouvait pas leur servir de lit et qu'il n'y en avait point, ni choses aucunes pour en faire, elles furent réduites à

telle extrémité que, pour se coucher, elles arrangèrent les bûches en forme de couche — qu'elles avaient ramassées — sur lesquelles elles étendirent un peu de paille pour y prendre leur repos ; bien plus en danger sans doute d'y geler que brûler, car il faisait déjà froid les nuits. Cependant elles n'avaient aucune couverture, ni choses aucunes pour se couvrir. Ce lit était encore très étroit pour les trois. Il fallait que Notre Mère et une séculière de son pays qui les était venue joindre à Caen, se couchassent tour à tour, la malade étant si mal que, quelque mauvais que fut ce lit, elle ne se levait point du tout, ne pouvant se soutenir. Ainsi quand l'une se levait l'autre se couchait. C'était le repos qu'elles prenaient.

Cette incommodité ne leur était rien en comparaison de la frayeur continuelle où elles étaient de se noyer. Pour comble de maux cette chétive maison était bâtie sur le bord d'un ruisseau fort sujet à déborder aux moindres pluies, ce qui arrivait souvent, particulièrement les nuits, et inondait tout ce qui se trouvait sur les bords. De quoi les habitants du lieu les avertirent, sans leur donner d'autre remède que leur présenter la clé de l'église qui n'en n'était pas bien éloignée, pour s'y sauver au cas qu'elles vissent venir l'eau. Ainsi il fallait qu'il y en veillât toujours une pour se garder d'être surprise.

Il est vrai qu'elles ne demeurèrent que quinze jours en cet état, parce que ces trois dernières Abbesses en ayant eu connaissance, envoyèrent promptement, à l'envi l'une de l'autre, les quérir. Mais Notre Mère les remercia toutes trois pour ne plus se rengager dans des embarras pareils à ceux où elle s'était trouvée, et préféra les offres d'un très vertueux gentilhomme nommé Monsieur de Torp (19), père de Madame la comtesse de Mongommery, qui se présenta pour les assister. Il vint les prendre dans son carosse, et les mena dans le bourg de Barberie, assez proche de celui de Bretteville, mais beaucoup meilleur que celui-là, où il les logea très bien, et les assista lui-même de tout ce qu'elles eurent besoin le temps qu'elles y demeurèrent ; leur procurant de plus la connaissance de Monsieur l'Abbé de

(19) Ou de Torpes. Sans doute descendant de Claude de Saulx (des Saulx Tavannes) Seigneur de Ventoux et de Torpes et de Chrétienne de Vergy qui vivaient en 1552-1558. Ils eurent pour fils : Pierre de Saulx et Gaspard, vivant en 1570. Ils étaient alliés aux Lenoncourt, famille Lorraine, par Henriette de Saulx, leur soeur, qui épousa en 1570, Claude de Lenoncourt seigneur de Loches. Le Lasseur, P. Anselme, Histoire Généalogique de la Maison de France ; Abbé G.-A. Simon, Dom Louis Quinet, Abbé de Barbery (1595-1665), L. Jouan et R. Bigot, éd. Caen 1927.

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Barberie (20), Seigneur du lieu, personne d'une très grande piété et d'un savoir qui n'était pas moindre.

Il leur donna de même la connaissance de Monsieur de Bernières (21), Trésorier de France à Caen, lequel était fort renommé pour sa sainte vie, et l'a été davantage après sa mort, à cause de cet excellent livre : « Le Chrétien intérieur » qu'on a publié depuis, ce qui l'a encore mieux fait connaitre — pour être un recueil des lumières de son oraison faite pendant sa vie — par les soins de ses Directeurs qui lui avaient commandé de les donner par écrit.

Ces trois grands serviteurs de Dieu se lièrent d'une si étroite amitié avec Notre Mère, par les rapports qui se trouvèrent à leur grâce, qu'il n'y a eu que leur mort qui y ait pu mettre fin. Si bien qu'ils n'eurent garde de les laisser avoir aucun besoin. Mais si elles n'eurent plus de pauvreté à souffrir, les maladies en échange recommencèrent à les attaquer. Le mal de la Mère Angélique de la Nativité s'étant tellement empiré par les mésaises qu'elle avait soufferts à Bretteville, qu'elle fut condamnée des médecins et reçut l'extrême onction. Elle en revint avec le secours de Dieu.

(20) Barbery, situé sur la route de Caen à Falaise, près du village de Bretteville, était une abbaye cistercienne. En 1641, l'abbé en était Dom Louis Quinet, religieux, jeune encore et de grande piété. Vers 1620, il avait joué un rôle important dans les incidents qui avaient agité l'abbaye de Maubuisson dont il était confesseur. Cette abbaye avait été réformée par la mère Angélique Arnauld 1618-1622 (qui avait succédé à la soeur de la trop fameuse Gabrielle d'Estrée ; laquelle jugeait scandaleuse la conduite de sa soeur abbesse, ce qui est tout dire) à laquelle avait succédé la mère Marie des Anges Suireau venant elle aussi de Port-Royal. Jeanne de Chantal et François de Sales exercèrent une influence apaisante et pleine de mesure à Maubuisson. Dom Quinet avait dû lui aussi s'élever contre les vues trop strictement ascétiques des abbesses. Il s'était fait le champion d'une spiritualité à caractère plus mystique. En 1614, Dom Quinet avait été nommé Prieur de l'abbaye de Royaumont. Il mit tous ses soins à former lui-même ses novices et, sous son supériorat, l'abbaye, bien que souffrant du fait de son abbé commendataire Henri d'Escoubleau de Sourdis, archevêque de Bordeaux, vit peu à peu refleurir les vertus monastiques. Un hôte de marque venait souvent à Royaumont : le Cardinal de Richelieu. Il choisit Dom Quinet pour confesseur. Le 14 août 1639, Dom L. Quinet recevait la bénédiction abbatiale et devenait abbé de Barbery. Ce grand moine mériterait d'être mieux connu. Abbé Simon, op. cit.

(21) Né en 1602 à Caen, du baron de Bernières, maire de Caen, et de Mme de Lion-Roger. Ses parents sont d'une piété exemplaire. Trésorier général à Caen, il entre dans la Compagnie du Saint-Sacrement dont il devient le chef incontesté dans sa province. D'une activité et d'une charité inlassables, toutes les oeuvres charitables font appel à son zèle et à son expérience. Il soutient les missions de Chine, du Canada, en particulier mère Marie de l'Incarnation qui fondera le premier monastère d'Ursulines à Québec. (Son fils Dom Claude Martin O.S.B. a été un familier du monastère de mère Mectilde, rue Cassette). Jean de Bernières est une âme mystique. Il ouvre à Caen une maison de retraite pour laïcs « L'Ermitage ». Tant qu'il en assurera la direction, on y gardera la discrétion et la mesure. Il est l'ami et le conseiller de bien des spirituels de son temps : J. Eudes, M. Boudon, par exemple. Homme d'une simplicité admirable, il a beaucoup soutenu mère Mectilde dans la fondation de notre Institut et la conseille après la mort du Père Jean-Chrysostome de Saint-Lo, capucin.

Jean de Bernières-Louvigny, meurt à Caen le 3 mai 1659. Le livre qui réunit ses écrits : « Le Chrétien Intérieur », n'a été publié qu'après sa mort, par le Père Louis-François d'Argentan, capucin. Ce livre a été mis à l'Index dans sa traduction italienne en 1689. Actuellement les historiens imputent au Père d'Argentan plus qu'à Bernières, certaines imprécisions et outrances de langage

Elle ne fut pas si tôt convalescente que Notre Mère Mechtilde s'alita d'une grande fièvre continue, causée sans doute par les mêmes mésaises passés, et peut-être encore par la peine qu'elle avait prise à servir la Mère Angélique lors de sa maladie. Celle-ci qui ne se sentait pas assez forte pour lui rendre les mêmes soins écrivit promptement à Montmartre pour avertir Notre Révérende Mère Bernardine de venir à son secours. En effet elle s'y disposa aussitôt ; mais il fut très difficile d'obtenir son congé de Madame de Montmartre qui commença de soupçonner tout de bon qu'il y avait en cela quelque déguisement, et que tous ces bruits ne se faisaient que pour avoir un prétexte de se tirer de chez elle de même que sa compagne ; que, si elle s'en allait, la Mère Mechtilde ne reviendrait plus. Ainsi elle résista fortement, disant que la Sainte Vierge les ayant amenées par un miracle chez elle, si elles venaient à quitter sa maison elles emporteraient tout le bonheur ; et c'était pour cela même qu'elle avait un extrême désir de les associer.

Enfin, pressée des torrents de larmes de la Révérende Mère Bernardine, à quoi se mêlait encore l'amour qu'elle conservait pour la malade, elle consentit à ce départ qui fut quelques jours avant Noël en l'année 1643, l'an révolu de son séjour à Montmartre ; emmenant pour sa compagne Mère Louise de l'Ascension.

Ce fut de cette sorte qu'il ne resta plus du tout de nos Mères en cette célèbre abbaye. De quoi généralement toutes les religieuses ont toujours depuis témoigné et témoignent encore de la douleur, se plaignant que Madame leur Abbesse ne devait jamais consentir à leur sortie, mais les garder à quel prix que ce fut.

Notre Mère Bernardine se rendit en diligence à Barberie. Sitôt qu'elle fut arrivée elle mit si bon ordre à faire traiter la pauvre mourante que ses soins, ou la grande joie qu'elle eut de la revoir, la remit sur pied en moins d'un mois ; non pour être entièrement quitte, car la fièvre lente, sa toux et sa lianterie [sic] ne la quittèrent point et ne l'ont fait de plus de vingt années après. Mais ne laissant pas d'agir comme auparavant ce surcroit de maladie, si bien qu'elle se trouva en état de partir pour Paris quand elles en reçurent l'avis du Père Bonne-fond (22), Jésuite, qui les avait connues à Montmartre. — Il les

qui ont motivé ce décret. La cause la plus sérieuse, au dire de Brémond, en est la violente réaction antiquiétiste de la fin du xvir.

Nos archives possédent 145 lettres de mère Mectilde à Bernières.

Brémond, op. cit., VI, p. 229 et suiv. ; Maurice Souriau, Le mysticisme en Normandie au XVII. siècle. — Rebelliau, La Compagnie secrète du Saint-Sacrement, H. Champion 1908. — M. D. Poinsenet, 0.P., France religieuse au XVII. siècle, Castermann, Paris 1952. — Heurtevent, L'ceuvre spirituelle de Jean de Bernières, Beauchêne, Paris 1938. — R. P. du Chesnay, in « Notre Vie», juillet-août 1952. — Revue d'Histoire de l'Eglise, La Doctrine spirituelle de Jean de Bernières et le quiétisme, 1940, t. 36, p. 19 à 30 ; D. S., fascicule V. col. 1301-1311 et 1522.

(22) Le Père Amable Bonnefond, né à Riom en Auvergne, entra dans la Compagnie de Jésus en 1618, à 18 ans. Il s'occupa de l'éducation chrétienne et composa une multitude de livres spirituels qui ont eu cours en leur temps. Il vécut longtemps dans la maison professe, à Paris, et y mourut le 19 mars 1653. Bibliot. des Ecrivains de la Compagnie de Jésus, 1" série, I, p. 109, col. 1853, VII, p. 123.

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aimait extrêmement — leur ayant trouvé une maison où elles seraient très bien. Ce qui obligea ces deux Mères de s'y rendre en diligence pour examiner de près ce que c'était de cette proposition, car leurs amis et amies de Paris n'avaient cessé pendant leur absence de songer à les établir quelque part où elles puissent vivre toutes ensemble, sans aller mendier, ainsi dispersées, leur pauvre vie dans des maisons différentes. D'où vint que la Mère Sainte Marguerite de Meaux, religieuse de Montmartre, avait disposé Mademoiselle de Villiers, sa mère, de leur prêter gratuitement, et leur donner même en pur don si elles voulaient s'établir tout à fait, une fort jolie maison qu'elle avait dans le bourg de St Maur des Fossés, aux portes de Paris, qui était celle-là même dont le Père Bonnefond écrivait. Et lui, de son côté, avait donné ordre aux meubles et à tout le reste de sorte que nos religieuses ne pouvaient qu'y être fort bien.

Mais comme l'on proposait aussi de les établir à Barberie, elles jugèrent à propos de ne pas quitter toutes à la fois ce lieu-là, qu'elles ne vissent auparavant lequel des deux partis vaudrait le mieux. Ce fut pourquoi elles y laissèrent les Mères Angélique et Louise de l'Ascension avec la séculière ; et elles deux s'en allèrent prendre le coche de Paris à Caen, où Monsieur de Torp les mena dans son carosse, leur faisant paraitre partout une amitié de vrai père, le leur témoignant encore en effet en cette occasion, ne les laissant partir sans les bien pourvoir d'argent, non seulement pour les frais de leur voyage, mais aussi pour leur subsistance de quelque temps à Paris, en attendant qu'elles pussent voir ce que deviendrait cette proposition de Saint Maur. Il versa même beaucoup de larmes quand elles lui dirent à Dieu.

Elles arrivèrent à Paris au commencement de juillet mil six cent quarante quatre, et s'en allèrent loger chez des personnes d'honneur que le R. Père Bonnefond leur avait adressées, où elles demeurèrent environ quinze jours, pendant lesquels elles eurent tout loisir d'aller à Saint Maur visiter cette maison qu'elles trouvèrent bien commode, et d'examiner à fond tout ce qui se pouvait espérer de cette proposition. Ayant reconnu qu'elle leur était plus avantageuse que tout ce qu'on leur pourrait procurer du côté de Barberie, quand ce n'eût été que pour la considération de se tenir proche de Paris, qu'elles voyaient être le lieu de grandes ressources ; aussi, sans plus différer, elles s'y rangèrent en peu de jours, et mandèrent venir bientôt leurs compagnes de Barberie et de toutes les abbayes. Si bien qu'elles se trouvèrent dans peu, à Saint Maur, les mêmes qu'elles étaient au refuge de St Mihiel, la séculière de plus, bénissant Dieu en pleurant de joie de se revoir ainsi heureusement rassemblées après avoir été si ballotées et couru de si différentes fortunes pendant deux années.

Dans cet hospice de St Maur elles y passèrent trois ans, avec plus de repos et commodités qu'elles n'eussent osé s'en promettre de leur fortune présente, étant comme nous venons de dire, très agréablement logées, dans un air très pur et très sain, ne manquant de rien pour le vivre, non plus que pour leurs autres besoins, par les grandes assistances qu'elles recevaient de plusieurs endroits, mais principalement par la protection de Madame la princesse Marguerite de Montmorency (23) qui était dame de ce lieu, et qui, par dessus les aumônes qu'elle leur faisait elle-même voulait encore bien faire des quêtes pour elles aussitôt qu'elle prévoyait qu'elles pouvaient être dans le besoin.

Elle était assistée de Madame de la Meilleraye, Abbesse de Chelles (24), qui leur envoyait régulièrement toutes les semaines, quelque temps qu'il fit, autant de pain et de poisson qu'elles en pouvaient manger.

Madame de Montmartre, après quelque froideur parce qu'elles n'avaient pas voulu retourner chez elle leur envoyait du secours ; à quoi étaient ajoutées d'autres aumônes de plusieurs personnes de Paris, en sorte qu'elles-mêmes, de si pauvres qu'elles étaient, devinrent bientôt en état d'assister considérablement leur maison de Remberviller qu'elles regardaient toujours comme leur chef et maison principale.

Mais à la fin de ces trois ans, il arriva que notre Révérende Mère Bernardine, Prieure de Remberviller, fut obligée de s'en retourner, avec la Mère de Sainte Magdeleine, pour la vêture de quelques filles qui demandaient d'y prendre l'Habit. Car, comme nous venons de dire, le secours que nos réfugiées leur donnait, avec ce que la guerre avait un peu cessé en leur quartier, faisait qu'elles se remettaient peu à peu.

Notre Mère Mechtilde du Saint Sacrement ne tarda pas longtemps après elles de partir pour Caen, où elle se trouvait appelée par Madame la marquise de Mouy (25), pour établir la réforme et la

(23) Marguerite Alexandrine de Ligne, fille de Philippe de Ligne, prince d'Aremberg et du Saint-Empire, et de Claire-Isabelle de Barlaymont, épousa Eugène de Montmorency, prince de Robecque, en 1649 et mourut en 1651.

(24) Madeleine de la Porte de la Meilleraie, fille de Charles de la Meilleraie et de Claude Champlais de Courcelles, de la famille de Lusignan (Soeur du Duc, Maréchal de France), était cousine germaine de Richelieu. Née dans le protestantisme, convertie par les exhortations de Richelieu, elle était entrée d'abord chez les Bénédictines du Calvaire. Nommée Abbesse de Saint-Jean-aux-Bois en Picardie, puis de Chelles en 1629. Elle mit son abbaye sous la direction des moines de la Congrégation de Saint Maur. Elle avait une très grande dévotion au Saint-Sacrement et obtint de l'archevêque de Paris l'autorisation de le faire exposer tous les jeudis et d'en faire l'office quand ce jour ne serait pas occupé par une fête double, ce qui était une innovation liturgique. La plupart des Conciles provinciaux interdisaient même les saluts du Saint-Sacrement en dehors des très grandes fêtes. Blémur, II, p. 400. — Dom Paul Denis, Le Cardinal de Richelieu et la réforme des monastères bénédictins, H. Champion, Paris 1913, p. 178 et suiv.

(25) Madeleine de Moges, veuve du marquis de Mouy, seigneur de la Meilleraye, chambellan de Gaston d'Orléans et Officier des armées de Louis XIII. Les de Mouy étaient issus des ducs de Mercœur. Henri I de Lorraine, comte de Chaligny, marquis de Mouy (fils de Nicolas de Lorraine, duc de Mercœur) avant épousé Claude de Mouy le ler septembre 1585, fille unique du marquis de Mouy et veuve en premières noces de Georges de Joyeuse. Madeleine de Mogés

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paix dans un monastère de l'Ordre qui se nommait Notre Dame de Bon Secours, que cette dame avait fondé depuis environ trente ans. Et Notre Mère n'ayant pu se défendre d'y aller, quelque résistance qu'elle y eut faite pendant plus de dix huit mois, parce que les Directeurs de sa conscience et ses bons Messieurs de Normandie ses plus chers et fidèles amis — l'exigèrent absolument d'elle. Ce qu'il leur semblait — comme en effet cela se trouva — que cette oeuvre serait grandement à la gloire de Dieu et à l'édification de tout l'Ordre de Saint Benoit, si bien qu'elle s'y en alla, accompagnée de la Mère Dorothée de Sainte Gertrude, et par ce moyen ne restèrent plus que cinq au refuge de St Maur, dont la Mère Angélique de la Nativité demeurant Supérieure, comme étant la plus ancienne des cinq.

Mais nous ne devons point finir cet article sans faire mention que les deux premières années que Notre Mère Mechtilde demeura dans ce lieu de St Maur, elle eut pour directeur de sa conscience ce grand contemplatif et très austère pénitent, Père Jean Chrysostome, du tiers-ordre de Saint François (26), qui a vécu dans l'estime d'une très haute sainteté, lequel était lors Prieur à leur couvent de Nazareth dans Paris. Mais au bout de ce temps-là il mourut, ayant toujours fait un état fort particulier d'elle, et ne se pouvait lasser de s'entretenir de la vie intérieure qu'il trouvait qu'elle entendait mieux qu'aucune personne qu'il eut vue. Aussi avait-il accoutumé de dire, quand il venait de la voir, qu'il venait d'un petit lieu où il se rencontrait plus de spiritualité renfermée qu'il n'y en avait dans toute la grande ville de Paris.cxxiv

avait fondé en 1639 un monastère à Pont-l'Evêque, sous le vocable de Notre-Dame de Bon-Secours, avec quatre religieuses venant de l'abbaye bénédictine de Montivilliers. Elle espérait y prendre l'habit si sa santé le lui avait permis. Les troubles de la Fronde, la mauvaise situation du lieu, portèrent la marquise à transférer son abbaye à Caen, rue de Geole, en 1644. Les lettres patentes sont de janvier 1644. La mère Félicité Vion, de Montivilliers, en était prieure, elle était animée des meilleures intentions, mais peu propre au gouvernement. C'est alors que la marquise de Mouy après d'innombrables démarches et supplications, finit par vaincre mère Mectilde et obtenir qu'elle vienne à Caen pour trois ans. Elle date son acceptation du 23 mai 1647. Les moniales demandèrent leur agrégation à notre Institut en 1684. Archives du monastère des bénédictines du Saint-Sacrement, Caen. — Archives départementales du Calvados. — Abbé Gilbert Décultot, Histoire de Montivilliers à travers les siècles (chez l'auteur), 1973. — P. Anselme, op. cit.

(26) Né à Frémont, diocèse de Bayeux. Il étudia à Rouen sous le P. Caussin S.J. A 17 ans, il entre au couvent de Picpus, près de Paris. Professeur de philosophie et de théologie à 25 ans, définiteur de la province de France à 28, définiteur général de son Ordre et gardien du couvent de Picpus à 31, il est Provincial de la province de France à 40, en résidence au couvent de Nazareth, à Paris. Il eut la confiance de Louis XIII et de Richelieu qui lui confièrent souvent des affaires épineuses qu'il termina à leur satisfaction ; et des reines Marie de Médicis et Anne d'Autriche. D est l'ami de J. de Bernières qui le fait connaître à mère Mectilde. Il meurt le 26 mars 1646. D'après certaines lettres de mère Mectilde à J. de Bernières (30 avril, 12, 26 mai 1646), il semble que l'austérité et le très grand zèle du père Jean lui aient attiré bien des inimitiés, même dans son couvent. Aussi lorsque mère Mectilde après la mort du père, désirera obtenir un portrait de lui et surtout ses écrits, elle sera obligée à de longues et diplomatiques tractations, accompagnée de son amie Mme de Brienne. Elle n'obtiendrajamais les écrits qui ne seront publiés que plus tard. Chanoine Henri Boulon, L'Homme intérieur, Mequignon, Paris 1758. — D.S., fasc. II, col. 1125. — Archives de nos monastères.

Suivons le fil de notre discours, et disons que cette bonne marquise de Mouy et une partie de sa communauté ne manqua pas de recevoir notre Mère Mechtilde avec une joie et empressement extrême ; mais comme le détail de cet événement n'appartient point à ce narré, il suffira de dire qu'elle y demeura trois années entières, qu'elle y établit la réforme solidement, qu'elle y réunit parfaitement les esprits, et que sa vertu l'avait fait respecter et aimer de telle sorte que quand il fallut qu'elle partit, toutes également criaient les hauts cris, pleurant amèrement. Et comme malgré leur résistance étant sur le point de sortir, elles s'allèrent toutes coucher de leur long par terre devant la porte de clôture, se rangeant les unes auprès des autres, plus de trente qu'elles étaient, afin de couvrir tous les lieux par où il fallait qu'elle passât pour, disaient-elles en pleurant, que du moins si elle sortait, il lui fut reproché d'avoir été inhumaine pour avoir marché sur le corps de ses soeurs pour s'ouvrir le chemin à les quitter. On eut bien de la peine à les faire relever.

L'affliction de cette marquise fut incomparable sur toutes les autres, puisqu'elle en fut malade à la mort, par des accidents les plus extrêmes du monde, qui ne lui étaient causés que par l'excès de sa douleur de ne pouvoir retenir cette Mère quelque offre qu'elle lui eusse faite : soit de la rendre Supérieure perpétuelle pour sa vie, soit de lui donner telle pension qu'elle voudrait, en sorte que, comme ses religieuses de Remberviller l'avaient souvent répété pendant ces trois ans, à chaque fois qu'elles la demandaient, elle leur avait fait des présents assez considérables pour les apaiser, puisqu'ils se montent à plus de 400 écus droits, pour les 3 ans qu'elle y demeura.

Mais avec tout cela nos Mères de Remberviller ne voulurent plus consentir de la laisser, ne faisant point état de l'argent auprès du bonheur de la posséder, l'élurent pour Prieure afin que l'on ne put plus éviter de la leur rendre. Si bien qu'il fut force de la leur rendre aussitôt qu'elle eut achevé son triennal à Caen. Elle partit pour Remberviller ensuite de son élection (27).

Elle ne fut pas arrivée que, comme si Dieu se fut courrouçé de ce qu'elle quittait la France où il l'avait appelée, la guerre se ralluma plus fort que jamais en ce quartier, et les premières misères y recommencèrent, sans doute — comme nous verrons — pour les chasser de nouveau. Et ces mêmes religieuses qui l'avaient si ardemment demandée furent les premières à la prier de s'en retourner à l'hospice de Paris, et d'emmener avec elle les plus jeunes, comme celles qui étaient le plus en danger dans un temps si malheureux. La même chose lui fut commandée par Monsieur Midot, grand'vicaire

(27) Père J. Rogié, Histoire du Bienheureux Pierre Fourier, Verdun 1887. Le Lasseur, op. cit., Annexe I, p. 294.

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de Monseigneur l'Evêque de Toul, leur prélat, qui lui donna pour cet effet une obédience des plus extraordinaires qui se voient, qui montrait bien d'un côté l'extrême péril où était ce monastère, et de l'autre la haute estime qu'il faisait de celle à qui il la confiait, lui donnant pouvoir de changer ou transporter le monastère en tel lieu qu'il lui plairait, de disposer des sujets comme elle le trouverait à propos, pour les renvoyer ailleurs ou les y laisser, enfin de faire tout ce que lui-même aurait pu faire en personne.

Ainsi elle partit emmenant avec elle quatre des plus jeunes religieuses, ne laissant que celles qui, pour leur âge, ne pouvaient courre de hasard ; n'ayant demeuré que huit mois ou environ à Remberviller. Elle prit la route de Paris croyant se rendre à Saint Maur. Mais elle fut bien étonnée, apprenant par les chemins que leurs religieuses avaient été contraintes de l'abandonner pour se retirer dans Paris, à cause des guerres civiles qui régnaient pour lors, qui avaient attiré tant de troupes autour de cette grande ville que la campagne s'en trouvait entièrement couverte, où ils commettaient toutes les insolences qu'on ne saurait imaginer. Mais s'étant informée de leur demeure, elle apprit que c'était dans le faubourg Saint Germain, en une petite rue qui rend dans le Pré aux Clercs, proche les Petits Jacobins, dans une maison qui se nommait : « Le Bon Amy », où elle les alla joindre avec sa petite troupe ; y étant arrivée la veille de Notre Dame de Mars mil six cent cinquante un, dix ans après leur sortie de Remberviller pour Saint Mihiel, et le trente sixième de l'âge de Notre Mère Mechtilde du Saint Sacrement.

Paris étant au plus fort de ses mouvements puisque c'était au temps que la noblesse demandait l'Assemblée des Etats Généraux du Royaume, le Parlement la sortie de Messieurs les Princes, qui étaient détenus prisonniers dans le Hâvre de grâce par l'ordre de la Reine Régente. Toutes choses étaient dans une si générale émotion que Monsieur le Cardinal Mazarin, qui tenait le gouvernail des affaires comme principal Ministre de la Régente, fut contraint de l'abandonner et se dérober de nuit de Paris pour s'enfuir hors du Royaume, se retirant à Sedan.

Ensuite de quoi, le Roi même, pour se libérer de la garde des bourgeois qui le tenaient comme assiégé sous prétexte de le garder, fut obligé de se déclarer majeur dès le premier mois de sa quatorzième année, à cause que sa minorité leur servait de prétexte de le tenir comme bloqué dans son Palais Royal.

Sa Majesté, après avoir été au Parlement pour cette cérémonie, sortit lui-même à l'improviste de Paris avec la Reine Mère, et y revint l'année suivante se présenter aux portes pour y rentrer. Mais elles lui furent refusées, pendant qu'on les ouvrait aux troupes espagnoles que les Princes, qui s'y étaient rendus les maîtres, avaient appelées à leurs secours. D'où s'en suivit la bataille donnée à la Porte Saint Antoine, le deuxième de juillet 1652, pendant laquelle le canon de la Bastille fut lâché sur l'armée où le Roi était en personne (28).

Et huit jours après, l'on vit l'incendie de l'Hôtel de Ville, où plus de six cents des plus notables personnes de la ville pensèrent être consumées par le feu qui y fut mis par l'ordre des révoltés, pour intimider ceux — lesquels tenant encore pour le Roi — empêchaient que Paris ne signât la ligue offensive et défensive avec les Princes contre Sa Majesté.

De sorte que nos religieuses ne pouvaient pas être venues dans un temps plus propre à leur donner une ample moisson de souffrances ; aussi la recueillirent-elles avec très grande bénédiction, comme nous allons rapporter à la Seconde Partie.

(28) On sait que ce fut la Grande Mademoiselle, fille de Gaston d'Orléans et de la Duchesse de Montpensier qui fit tirer le canon de la Bastille. « Mademoiselle » n'a jamais beaucoup gouté l'influence de mère Mectilde sur sa belle-mère la duchesse douairière, bien qu'à cette date elle ait eu depuis longtemps sa « maison personnelle ». Le désordre et la misère s'étendaient sur une grande partie de la France. Le burin d'un Callot a conservé le souvenir de ces calamités en Lorraine avec un réalisme cruel mais vrai, hélàs. Les labours avaient cessé presque partout et on rapporte que l'on compta jusqu'à 7 700 pauvres le même jour, venus demander l'aumône à Paris au cimetière des Innocents. Edouard Gérardin, op. cit.

DEUXIÈME PARTIE SUITE DES MÉMOIRES 1651-1655

SUITE DES MÉMOIRES. 1651-1655

Jusqu'ici nous n'avons discouru que de la venue de la Mère Catherine Mechtilde du Saint Sacrement en France, et des détours par lesquels Dieu l'a fait passer devant que de l'établir dans Paris, l'ayant suivie pas à pas depuis la sortie de son monastère, exprès pour faire remarquer que sa vie a toujours été très sainte, que son esprit et sa conduite ont passé par l'examen de plusieurs grands serviteurs et servantes de Dieu, et ont toujours été non seulement approuvés, mais estimés être dans une haute élévation et de nature et de grâce ; que la divine Providence l'a toujours regardée d'un regard tout singulier, qu'elle s'y est toujours très fidèlement abandonnée, qu'elle a toujours été accompagnée de souffrances qui sont la marque des prédestinés, et qu'ainsi c'était un sujet très disposé à recevoir toutes les impressions de l'Esprit de Dieu et à accomplir toutes ses volontés. D'autant que, comme nous avons à élever un grand édifice, il est à propos de faire connaitre la valeur de la pierre sur laquelle il est fondé, pour montrer que le fondement en est bon. A présent nous l'allons faire paraître jetant dans Paris les fondements de l'Institut de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel.

Mais pour dire les choses comme elles sont, il ne faut pas s'attendre de lui voir faire pour cela de grandes actions au dehors. Non, ce n'a pas été son caractère. Et pour bien faire comprendre quel a été son travail et sa façon de procéder, il faut dire qu'elle a plus consisté à pâtir qu'à l'agir, et qu'elle a été dans les mains de Dieu comme l'instrument entre les mains de l'ouvriercxxv, vu que, de sa part, elle n'a travaillé à cette entreprise que précisément sous les ordres de la divine Majesté qui lui étaient manifestés par les événements extérieurs de la Providence, et par les mouvements intérieurs de la grâce, sans vouloir employer son industrie naturelle en rien, mais s'appliquant seulement à regarder agir Dieu, pour ne faire ni plus ni moins que ce qui lui était dicté par ces deux voies. En sorte que, comme elle n'aurait pas voulu les devancer d'un moment, aussi n'aurait-elle pas voulu en différer d'un moment l'exécution ; d'où il se peut dire avec fondement que son esprit propre n'a point eu de part à cette oeuvre, et que Dieu seul a tout fait.

Ce n'est pas qu'il ne faille reconnaitre que les riches talents dont le ciel l'a favorisée n'aient été les principaux instruments desquels ce divin ouvrier s'est servi pour accomplir son ouvrage, puisque ce

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fut sa majestueuse douceur et ses excellents discours qui attirèrent les personnes qui ont coopéré avec elle en ce dessein, et sa prudence qui évita les brouilleries qui se seraient rencontrées entre eux, à cause du peu de rapport de leurs humeurs, de même que sa fermeté à les soutenir quand les difficultés les étonnaient. Mais le peu d'usage qu'elle faisait par elle-même de ses rares qualités, ne caressant ni recherchant jamais personne, ni ne se produisant point au dehors sans un véritable besoin, nous fait dire qu'elle en pâtissait les effets plutôt qu'elle n'agissait par elles.

Il est vrai qu'elle s'est trouvée puissamment secondée dans les affaires, d'une excellente séculière qui lui fut sans doute un don de la main de Dieu, puisqu'elle était si avantageusement partagée de toutes les qualités qu'il fallait pour réussir, par le grand bien, le grand crédit, l'habileté et le courage qui se trouvaient assemblés en sa personne, à l'aide desquels notre Révérende Mère est venue à bout de notre établissement.

Comme nous verrons à la suite, et pour ne plus celer plus longtemps au lecteur le nom de cette digne personne qui se peut avec justice qualifier : la coadjutrice de celle qui a formé l'Institut, comme par ses bienfaits elle est reconnue pour Fondatrice de notre maison de Paris, c'est Madame Marie de la Guesle (1), lors épouse, et maintenant veuve, de Messire René de Vienne, comte de Châteauvieux.

Nous ne devons pas désavouer qu'il n'y ait eu d'autres dames qui ont contribué aussi de leurs biens à cet établissement, comme : Dame

(1) Marie de la Guesle, dame de la Chaux, fille de Jean de la Guesle, fut mariée à René de Vienne, comte de Châteauvieux. Les Châteauvieux étaient alliés aux Coligny. Ils eurent pour unique héritière (leur fils mourut jeune) Françoise Marie de Vienne, comtesse de Châteauvieux qui épousa Charles H de la Vieuville en 1649 (cf. note Vieuville p. 110). Ceux-ci eurent un fils René-François, marquis de la Vieuville (petit-fils de la comtesse) qui épousa Anne-Lucie de la Mothe, fille d'honneur de la reine, le 12 janvier 1676 et mourut à Versailles, le 22 février 1689.

En 1954 on fit des fouilles aux n.. 10-12-14 de la rue Cassette pour moderniser les bâtiments, et on obtint de rechercher dans les caves avoisinantes. On n'a pas retrouvé le corps de mère Mectilde comme on l'espérait, mais celui du comte de Châteauvieux dans son cercueil sur lequel une plaque de cuivre indiquait qui y reposait. Quelques ossements de moniales et c'est tout (cf. récit des fouilles : circulaire du monastère de Paris et Archives).

Le comte et la comtesse de Châteauvieux ont pu être appelés, avec vérité, les fondateurs de notre Institut. C'est leur générosité et leur inlassable activité, qui a permis d'obtenir toutes les autorisations officielles, et les maisons destinées à recevoir les premières religieuses, comme la suite du récit l'expliquera. La comtesse a été une des plus intimes confidentes de mère Mectilde, et sa docilité à suivre sa sainte amie, a fait de cette mondaine de bonne volonté, une âme profondément abandonnée à Dieu. Après la mort du comte de Châteauvieux, elle entrera au monastère de la rue Cassette où sa vie exemplaire lui gagnera l'affection et la vénération de toutes. La comtesse avait rassemblé à son usage personnel des lettres ou des conférences de mère Mectilde portant sur les différentes fêtes liturgiques, d'où le nom de « Bréviaire » donné ensuite à ce manuscrit. Mère Mectilde en a revu elle-même la copie et a permis que celles de ses filles qui le désiraient le reproduisent à leur usage. Nous avons là le plus riche et le meilleur recueil d'écrits de notre mère institutrice. Les copies en sont très nombreuses, dont une à la Bibliothèque Nationale. Les deux meilleures versions sont aux Archives des Monastères : de Dumfries (Ecosse), manuscrit coté D. 10 et de Bayeux coté N. 260.

Anne Courtin marquise de Bauves (2), Marie de Choiseul, marquise de Cessac (3), Hélène de la Flèche veuve de Monsieur Mangot (4), Maître des Requêtes ; et la première beaucoup plus, toute seule, que les deux autres ensemble. Mais il n'y a pas de comparaison à faire d'elles trois à notre Dame comtesse, soit pour les dons, soit pour les soins, les autres n'ayant point agi ni donné — soit encore en ce que les autres ne se sont données que mortes à la maison, y ayant voulu être enterrées, et celle-ci s'est donnée vivante, avec tant de fidélité que ce fut dans le moment que la mort lui a enlevé ce cher mari. Car à peine lui eut-elle fermé les yeux, que sans avoir égard à ses intérêts temporels, elle vint s'immoler sur l'autel qu'elle s'était aidée à dresser, où elle achève de se consummer dans les flammes d'une charité parfaite vers ce Dieu fait Victime pour nous dans cet adorable Sacrement, et par l'exercice d'une vie toute sainte ; ainsi son sacrifice ne peut recevoir de comparaison.

Nous aurions à dire aussi de très excellentes choses de ce vertueux Seigneur son mari, à qui Dieu donna, les dernières années de sa vie, un zèle pour cet Institut qui ne cédait point à celui de sa pieuse femme ; et qui ne s'étant pas contenté de consentir à tout ce qu'elle avait donné de son bien, — sans quoi elle ne l'aurait pu faire — a donné des siens propres, et s'est donné lui-même à la maison comme il s'y est pu donner, en y élisant sa sépulture par préférence au magnifique tombeau que ses prédecesseurs lui ont laissé dans leurs terres et seigneuries ; mais nous ne le pouvons pas en cet endroit. Ce sera dans la quatrième partie que nous en parlerons plus au long, et toutefois nous en disons déjà assez, disant, comme nous faisons ici, qu'il a été reconnu Fondateur de cette maison avec Madame sa femme, puisque cette qualité suppose nécessairement beaucoup de foi, de zèle pour Dieu, et de libéralité chrétienne.

Reprenons notre narré.

Paris étant donc en l'état que nous avons montré à la fin de la première partie, Notre Révérende Mère Prieure se trouva fort dénuée dans cette petite maison du « Bon Ami », n'ayant rien du tout pour

(2) Epouse 2 marquis de Boves. Son testament est aux Archives Nationales L. 763. Il est signé : de Boves de Moy, comtesse de Guivy ; ce qui donne à penser que Mme de Bauves et la marquise de Mouy (orthographe Mouy ou Moye selon les documents) étaient parentes. (Archives de nos monastères).

(3) Chanoinesse de Remiremont, dame de Clermont, femme de François de Cazillac, marquis de Cessac, décédé en 1669. Sa mère était Marie de Vienne, fille de Nicolas de Vienne. Elle était donc parente, par sa mère, de la comtesse de Châteauvieux et cousine de Mme de Montgomery, fille de M. de Torps.

(4) La famille Mangot vient de Loudun (Vienne). Claude Mangot, célèbre avocat, vint à Paris en 1554 et fut anobli en 1555. Son petit-fils Anne Mangot, conseiller d'Etat et directeur des finances, mourut doyen des requêtes le 10 juin 1655. Sa femme, Marie Phelipeaux, fille de Paul Phelipeaux, seigneur de Pont-Chartrain, conseiller d'Etat et d'Anne de Beauharnais, mourut le 15 avril 1670. Elle avait une fille religieuse à Saint-Denis, une autre fut abbesse au Val-de-Grâce. Plusieurs de ses filles furent mariées dont l'une Marie-Thérèse à Antoine d'Ambray, le frère de la marquise de Brainvilliers.

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subsister — et cependant elle avait sept religieuses avec elle à nourrir — car cette ville n'était plus ce qu'elle l'avait vue quand elle était à Saint Maur en 1648, par les barricades, et qui n'avaient point cessé depuis, desquelles cette grande ville avait toujours été le principal théâtre, l'ayant tellement appauvrie qu'à peine pouvait-elle suffire de nourir ses propres citoyens qui étaient tombés à milliers dans la misère par la cessation du commerce et par les hostilités qu'y commettaient les gens de guerre sur leurs biens à la campagne.

Outre que toutes les maisons religieuses de filles, même des villes de trente lieues à la ronde, s'y étaient réfugiées pour la sûreté de leurs personnes, sans avoir pu apporter de quoi y subsister, et celles qui y étaient de tous temps établies étaient devenues très pauvres pour la même cause. Si bien que, comme il est fort naturel d'aimer plus des patriotes que des étrangers, l'on courrait plutôt à les secourir que celles qui n'étaient pas du royaume comme nos religieuses. Ainsi les trouva-t-on quelquefois en telle extrémité que leur meilleur met était des pois cuits, sans aucun assaisonnement, et pas un pauvre morceau de pain pour leur aider à manger ce pauvre potage. D'autres fois même elles n'avaient du tout rien ; et pour les coucher que le plancher a cru, sans seulement de la paille ; moins encore de couvertures pour se couvrir quoique les nuits fussent encore bien froides. Et quand elles voulaient dormir elles s'asseyaient proche la muraille pour s'appuyer dans leur sommeil.

Cependant notre Mère Prieure retomba si malade en ce temps-là qu'on ne lui espérait pas vie, et durant toute sa maladie elle n'eut pour s'assister que les bouillons de la charité des pauvres de la paroisse, dont on lui emportait deux par jour.

Enfin la pauvreté où elle se trouvait réduite était si grande que Monsieur l'Evêque de Babylone (5) qui logeait au voisinage, étant venu dire la sainte Messe dans un petit réduit de chapelle — qu'on leur avait permis d'avoir dans cette chétive maison — pour lui porter la sainte Communion, ne put jamais retenir ses larmes la voyant ainsi couchée sur une chétive paillasse, toute vêtue, sans couverture, ni sans rien. Et de compassion qu'il en eut, quand il fut de retour à son logis, il lui envoya en aumône un matelas de son lit.

Toutefois ce que nous disons ici n'est qu'un léger crayon de leurs souffrances auprès de ce qu'il en était, jusqu'à ce qu'elles furent connues de ceux qui les assistèrent depuis.cxxvi Mais comme ce n'est plus le récit que nous avons entrepris de faire, n'en n'ayant parlé que

(5) Dom Bernard de Sainte-Thérèse, carme O.C.D., avait été réellement évêque de Babylone, car au xvir siècle les carmes ont eu une très grande part dans l'activité missionnaire de l'Eglise. De retour à Paris, il achète, avec l'aide de la Compagnie du Saint-Sacrement, un grand terrain rue de Sèvres, où s'éleva plus tard le séminaire des Missions Etrangères. Gallia Christiana, Province de Paris. — L. Prunel, La Renaissance Catholique en France au XVII° siècle, D.D.B. 1921.

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pour donner une idée générale de l'état où elles étaient lorsque cette entreprise de l'Institut se fit, nous n'entrerons pas plus avant dans ce détail pour en venir à notre fin principale qui est le discours de ce qui s'est passé en notre établissement.

Elles ne furent dans cet état si pitoyable qu'environ deux mois, après lesquels Madame la marquise de Bauves les vint voir et les assista déjà fort, parce qu'elle connaissait notre Révérende Mère Prieure depuis Saint Maur, pour avoir négocié avec elle d'aller réformer cette Abbaye de Notre Dame de Bon Secours de Caen, à la prière de la marquise de Mouys sa parente.

Cela fit que, quand elle apprit son arrivée, — ce qui ne put être si tôt — elle ne manqua pas de l'aller visiter et commença à la secourir.

De même fit la marquise de Cessac. Mais la connaissance de celle-ci ne fut qu'après que Notre Mère l'eût prévenue par un acte signalé de charité, à la prière de la comtesse de Mongomery, dont le père, comme nous avons vu, les avait tirées du bourg de Bretteville pour les mener à celui de Barberie, s'étant exposée avec un extrême péril de sa vie pour faire servir la seconde fille de cette marquise qu'elle aimait uniquement, laquelle avait la petite vérole et le pourpre, et ne se trouvant point en état de la faire servir elle-même à cause de l'excès de son affliction ; et lui en étant demeuré une extrême reconnaissance pour notre Révérende Mère, elle tâcha de la lui témoigner par ses charités.

Pour Madame Mangot, elle la connut par une autre rencontre aussi de Providence. Outre que Messieurs de la paroisse qui visitaient les pauvres vinrent les voir et leur donnèrent l'aumône toutes les semaines durant quelque temps. De même Messieurs du Port-Royal les assistaient beaucoup, car son esprit était fort goûté de tous ; et ceux qui la connaissaient étaient également charmés de ses excellents discours de la vie intérieure, de son grand désinteressement, de sa pauvreté — car elle ne demandait jamais rien — ; son port majestueux qui lui attirait le respect, et cette douceur et paix angélique qui parait sur son visage plus remarquablement encore dans ses souffrances extrêmes, si bien qu'ils étaient tous surpris de trouver une personne si extraordinaire dans un si déplorable état.

Elle devint fort connue, estimée et recherchée, et par conséquent : soulagée, mais non pas assez pour pouvoir dire qu'elles ne manquaient plus de rien. Il faut bien des aumônes pour subvenir de tous points à une famille religieuse de huit à neuf personnes, et payer leur logement. Aussi ne furent-elles pas pour cela exemptes de souffrances.

Le pis était que la santé de Notre Mère ne pouvait se rétablir, sa toux ne la quittait point, sa fièvre lente, non plus que cet extrême flux lientérique qui la mettait au mourir, et qui eut demandé un bien

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meilleur traitement que celui qu'elle pouvait recevoir de ce secours incertain des aumônes, sur lequel il est impossible de prendre de mesure juste.

L'on fera réflexion, peut-être, que Madame de Montmartre, que nous avons fait voir l'aimer si fort, l'aurait secourue sans doute si elle eût été dans l'extrémité que nous disons, mais il faut se souvenir que Paris était investi des troupes du Roi, et qu'ainsi le passage n'était pas libre, si bien qu'elle ne pouvait du tout envoyer.

Ce ne fut pas là encore toutes les connaissances que Dieu destinait dans les secrets de sa Providence à Notre Mère, la principale y manquait. C'était celle de notre chère Fondatrice de laquelle nous avons déjà parlé, qui la fut voir, non pas sur aucune prévention de son mérite comme les autres, car n'étant pas de la même paroisse, elle n'en avait point ouï parler ; mais ce fut par un pur effet de hasard — selon le monde — et d'une très particulière Providence, selon Dieu, puisqu'il s'en est ensuivi de si excellentes choses à la gloire du Très Saint Sacrement de l'autel.

Enfin, un jour se rencontra que la Présidente de Herse (6) vint prendre cette comtesse pour aller de compagnie visiter les pauvres dans le faubourg Saint Germain, et la mena droit à cette petite rue du Bon Ami, visiter auparavant de pauvres religieuses Jacobines réfugiées qui y étaient aussi logées ; et de là elle la conduisit chez les petites religieuses de Lorraine — ainsi nommait-on nos Mères, et les a-t-on nommées jusqu'à notre établissement.

Pour cette première fois notre comtesse ne s'arrêta guère à parler à Notre Mère, s'étant contentée de lui donner son aumône, sans avoir pris garde à rien. Mais il lui en resta un je ne sais quoi qui la poussa à y retourner, comme elle fit huit ou dix jours après, se trouvant de loisir. Elle se fit mener là en forme de promenade, ayant dans son carosse avec elle une demoiselle de ses voisines, personne de grande piété, qui était fort amie de Notre Mère.

A la vérité, cette seconde fois, elle ne s'en retourna pas indifférente comme à la première. Le trait de l'élection divine sur sa personne pour travailler à son oeuvre darda son coeur si profondément qu'il n'en est jamais sorti depuis. Aussi elle a bien aimé à le conserver, ayant fidèlement correspondu à cet appel. Si bien qu'en

(6) Charlotte de Ligny, présidente de Herse, parente de M. Olier, avait été formée par François-de-Sales qui « l'aimait comme son âme ». Elle seconda ardemment M. Vincent dans l'établissement des Exercices des Ordinands et la fondation des Séminaires. Elle figure sur la liste des Dames présentes dès la seconde assemblée des Dames de Charité : juillet 1634. C'est Vincent de Paul qui fit connaître mère Mectilde aux Dames de l'assemblée qui, plus tard, l'aidèrent largement de leurs deniers et par leurs relations. En particulier la duchesse d'Aiguillon, nièce de Richelieu, qui n'est mentionnée que dans les lettres de mère Mectilde (nos Archives possèdent 3 lettres de mère Mectilde à la duchesse). Mgr Baunard, op. cit. — Broutin, La Réforme pastorale en France au XVII° siècle, 1956, p. 215-232. — Coste, op. cit. — Année Sainte de la Visitation, I, p. 627.

cette visite, s'étant mise à parler de discours spirituels dont elle était extrêmement curieuse, Dieu permit que Notre Mère vint à lui dire là dessus quelque chose qui lui revint si fort que lui prenant la main elle lui dit : « Ma Mère, vous avez touché au but. Jamais personne encore ne m'en a tant su dire ! » et dès lors elle commença d'avoir pour elle une si grande estime et une si parfaite confiance qu'elle ne cherchait plus que les occasions de la voir pour lui découvrir son âme sans réserve, ce qui s'accrut de jour en jour au point que nous la voyons à présent qu'elle s'est venue ranger entièrement sous sa conduite.

Mais rien ne saurait mieux faire connaitre que cette connaissance était l'oeuvre de Dieu que la différence extrême qu'il y avait entre leurs naturels et leurs humeurs, qui n'auraient autrement jamais pû compatir, si Dieu ne les eut unies. Notre Mère étant une personne absolument abandonnée entre les bras de la divine Providence, qui faisait qu'elle n'avait que le seul regard de Dieu, sans aucune réflexion sur elle-même et sur ses intérêts propres, ni sur rien du monde qu'elle avait presque mis en oubli ; et la comtesse étant d'un esprit prévoyant, vif et actif, pénétrant, curieux, se réfléchissant incessamment sur toutes choses, cherchant ses intérêts spirituels, aimant son opération et souffrant quelque peine quand elle n'était suivie de succès ou seulement quand il était retardé. Et son esprit étant assurément au dessus de son sexe, elle avait si peu d'estime de la conduite des filles, qu'elle en avait du dégoût, et même de l'opposition à toutes les religieuses, qu'elle ne visitait point ; et ne croyait pas même que d'en établir fut une fort bonne oeuvre, comme elle a souvent confessé, tout son attrait étant pour les hôpitaux.

Aussi cette opposition d'humeur et de procédés faisait que dans le commencement notre Mère Prieure, qui d'ailleurs était grandement désintéressée, n'avait pour elle de correspondance qu'autant que la bienséance et la reconnaisance pour ses charités l'exigeaient. Précisément encore s'en acquittait-elle avec beaucoup de négligence, mais au contraire cette bonne dame supportait ses froideurs avec un respect admirable sans jamais s'en rebuter, ni relâcher de ses aumônes ; si bien qu'il ne se peut dire autrement, sinon qu'il y avait de la merveille de voir une personne si opposée, si dégoûtée, si méprisante de la conduite des filles, se rendre dès la seconde ou troisième visite à une religieuse, qu'à peine connaissait-elle encore, prendre ses avis sur les difficultés de son âme, admirer sa conduite, et plus s'attacher à elle que moins elle s'en trouvait flattée et caressée ; lui donnait avec cela si absolument sa confiance qu'elle alla jusqu'à son temporel, dont elle lui mit entre les mains plus de quarante mille écus pendant les séditions fréquentes de Paris, qui menaçaient de pillage les riches maisons, quoique Notre Mère fut logée dans un petit taudis. C'est pourquoi pour avoir plus d'occasion encore de la voir souvent, sous prétexte de ses affaires, et quoiqu'il y eut, ce semble, peu de prudence en cette action, toutefois Dieu qui tramait tout cela parce que cette fréquentation servait à son oeuvre, la bénit en sorte qu'elle

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n'eut point sujet de s'en repentir, puisque ce dépôt lui fut rendu fidèlement.

Ne faut-il pas dire qu'après un changement si grand et si extraordinaire l'on ne saurait douter que ce ne fut Dieu qui eut fait cette liaison puisque lui seul est le maitre des coeurs, et qu'il appartient à lui seul d'unir les choses contraires. Ce ne seront pas ici les seuls effets de cette liaison, il en paraît bien d'autres à la suite, mais il faut dire auparavant que, comme la pauvreté a toujours la dépendance comme compagne inséparable, celle de notre Mère Prieure fut encore accompagnée de cette incommodité par les importunités que la dépendance lui attira, et les souffrances qui lui revinrent de son refus.

Ce fut que tous ceux qui lui faisaient l'aumône se figuraient avoir droit de disposer d'elle et de l'appliquer aux emplois que bon leur semblait ; c'est pourquoi plusieurs différents emplois lui furent proposés en ce temps-là.

Premièrement par Monsieur Mangot, Maître des Requêtes, qui voulait l'envoyer dans un couvent du même Ordre de Saint Benoit, où il avait une soeur Prieure perpétuelle, pour le réformer ; et lui faisait céder sa supériorité sa vie durant, et avec cela il lui laissait par son testament une rente de mille livres sur ses biens, au capital de seize mille livres, pour en jouir tant qu'elle vivrait. Et comme il fut prêt à mourir, qui fut bientôt après, il fallut, pour qu'il mourut en repos, que Notre Mère lui promit qu'elle accomplirait son intention, quoique ce ne fut pas sa pensée ; aussi ne l'a-t-elle pas fait par la répugnance qu'elle a eue de tout temps à commander et elle renonça ce legs tout aussitôt qu'il fut mort.

Après celui-là, Messieurs du Port Royal la voulurent mettre pour directrice dans une maison de filles de ce même Ordre du Port Royal, qu'ils voulaient établir à la porte Saint Marceau. Et lui offraient six cents écus de pension pour cela, outre sa nourriture ; mais ils voulaient qu'elle reconnut pour supérieur un prêtre de parmi eux, nommé Monsieur de Saint Glin (7) qui était l'un des principaux prédicateurs de leurs nouvelles opinions. Et comme ils s'en virent éconduits, ils se retirèrent absolument d'elle, lui retranchant les aumônes qu'ils lui faisaient qui étaient fort considérables, et de plus, la persécutèrent depuis, parce qu'ils reconnurent par ce

(7) M. de Singlin, d'origine modeste, avait fait des études sommaires ; cependant grâce à Vincent de Paul il est ordonné prêtre de bonne heure. Il est attiré par Saint-Cyran, qui en 1638, en fait son suppléant comme directeur de Port-Royal. Il le restera jusqu'à la fin de sa vie, même à Port-Royal des Champs, où il sera, de fait, le supérieur des « Solitaires ». Il est réputé à la fois comme prédicateur et comme directeur spirituel. Mourret écrit qu'il fut le grand orateur du parti janséniste. En réalité, Singlin n'était ni brillant, ni théologien. Sans doute était-il persuasif dans ses sermons. Les religieuses en l'écoutant prenaient des notes qui furent éditées plus tard sous le nom « d'Instructions Chrétiennes ». Il n'est pas moins apprécié comme directeur spirituel. Pascal

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refus qu'elle avait de l'éloignement de leur doctrine ; comme en effet il était vrai, et qu'elle se trouvait fort choquée de la proposition qu'ils lui firent de prendre un autre Supérieur que Monsieur l'Archevêque de Paris qui était le Supérieur légitime.

Il arriva encore qu'une personne très considérable pour sa rare piété la demanda en prêt pour la faire supérieure d'une maison de Refuge qui se faisait dans ce faubourg Saint Germain, pendant le fort des troubles, pour retirer cette quantité de religieuses de toutes sortes d'Ordres que la guerre ayant chassé de leurs maisons, roulaient dans les rues de Paris avec bien du hasard pour leurs personnes, à cause de l'extrême nécessité où elles se trouvaient, et bien du scandale pour le saint Habit qu'elles portaient, étant contraintes de s'accoster et d'accompagner de toutes sortes de gens pour vivre ; et parce qu'elle ne lui fut pas accordée il lui retrancha une aumône d'une bonne quantité de pain et de sept écus d'argent qu'il leur donnait par mois depuis assez de temps.

Madame la comtesse, de laquelle nous avons parlé, voulait aussi en disposer à son gré, voulant qu'elle fit un hospice à Paris pour sa maison de Remberviller, et offrait douze mille francs pour cela. Et encore quelques autres faisaient diverses propositions qui, ne pouvant leur être accordées, se rebutaient d'elle et la délaissaient après.

Mais pour tout cela sa confiance ne s'ébranla point, et ne désista point de se laisser conduire à l'aveugle par obéissance, car c'étaient ses supérieurs qui, à la sollicitation de ses religieuses, faisaient ces refus et non pas elle. Mais Dieu le permettait ainsi pour la conserver à notre Institut qu'elle n'aurait pu entreprendre si elle se fut trouvée engagée. Il est vrai qu'ils avaient assez de considération pour elle pour n'en pas disposer sans la consulter quelquefois, mais elle se découvrait si peu et s'abandonnait si fort à leur sentiment qu'ils n'avaient su reconnaitre de quel côté elle penchait, sinon lorsqu'on en vint à la proposition de l'engager dans le parti qui était accusé d'erreur, car alors elle ne fit point de difficulté d'en témoigner sa répugnance, et le soupçon qu'elle avait de ce qu'ils se voulaient soustraire de l'autorité légitime de Monsieur l'Archevêque de Paris pour se soumettre à un supérieur à leur mode, et elle n'y voulut point aller.

Sur ce temps-là il lui fut fait une autre offre, dont il ne devrait pas être fait mention parmi toutes celles que nous venons de rap-

s'adressa quelque temps à lui, avant de devenir le dirigé de M. de Saci. Mme de Guéméné, princesse de Rohan était dirigée par M. de Saint-Cyran mais elle consultait aussi Singlin. Ce fut d'ailleurs un « débat de conscience » entre elle et son amie la marquise de Sablé, conseillée par le père de Sesmaisons, S.J., qui est à l'origine de la réponse d'Arnault : De la Fréquente Communion (1643) qui fit tant de bruit. Cependant M. Singlin fit toujours preuve de modération. S'il ne réussit pas à calmer la fougue de Pascal ou du grand Arnault, il obtint la soumission de beaucoup de religieuses de Port-Royal des Champs. F. Mourret, op. cit. — Dict. théol. cathol., t. XIV 2, col. 2164.

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porter, parce que celle-ci paraît ridicule, mais il n'y a point moyen de s'en taire, puisque c'est de celle-là, comme du grain de moutarde de l'Evangile, qu'est sorti le Royaume de Dieu, la divine Majesté ayant pris plaisir de faire produire de ce petit germe notre Institut.

Ce fut celle que lui fit la bonne marquise de Bauves : celle-ci offrait un écu par mois si notre Mère Prieure voulait entreprendre de faire quelque chose considérable pour honorer le Saint Sacrement.

Une personne moins morte à elle-même l'aurait renvoyée bien loin, et traité sa proposition de moquerie, d'autant qu'en effet elle en était digne, car que se pouvait-il faire d'un écu par mois ? Mais elle au contraire l'écouta et témoigna la goûter, parce qu'elle n'y voyait que la bassesse et pauvreté qui étaient sa tendance intérieure, et qu'elle y voyait ouverture de faire honorer notre auguste Sacrement d'un culte particulier.

Seulement elle lui représenta avec respect qu'il n'y aurait pas là assez de quoi la faire subsister avec les religieuses qu'il faudrait pour cette entreprise — vu qu'elle n'avait rien du tout d'ailleurs et Dieu, favorisant l'humilité de Notre Mère, changea le coeur de cette vertueuse marquise de sorte que, de son mouvement, elle vint un jour sans plus tant marchander lui offrir jusqu'à une rente de 500 livres par an, rachetable de 10 000 livres, et tous les meubles d'église qu'il nous faudrait, si la chose pouvait réussir.

De quoi la comtesse ayant eu le vent proposa de joindre à cette rente les douze mille livres qu'elle voulait donner pour son dessein de l'hospice, afin que, l'un aidant à l'autre, la chose put se faire ; tout lui étant également bon, pourvu qu'elle retint à Paris cette bonne Mère à laquelle elle était si attachée, quoique depuis elle ait bien su rectifier son intention.

De façon que notre Mère Prieure voyant ces deux offres arriver à peu près à une somme assez raisonnable pour commencer quelque chose, consentit qu'elles travaillassent auprès des Supérieurs et de la Cour pour en avoir la permission, se voyant, de plus, assurée de deux mille écus que la marquise de Cessac lui avait promis si elle pouvait s'établir, et de mille écus de Madame Mangot. Tout cela ensemble faisant environ dix mille écus.

Ensuite elle commença de projeter l'entreprise de l'Adoration perpétuelle dont elle fit l'ouverture à ces deux dernières, pour savoir si elles consentiraient que leurs dons fussent employés à cela, ce qu'elles firent avec joie, et convinrent de n'agir que de concert et de travailler fortement à cet établissement avec la marquise et la comtesse.

Quoiqu'elles fussent les mieux intentionnées du monde, elles ne savaient pourtant pas trop prendre les moyens pour arriver à leurs fins. C'est à dire : la comtesse, car pour la marquise de Bauves elle n'agissait point du tout, à cause de son grand âge qui la rendait incapable de travailler, n'ayant guère moins de quatre vingt ans ; pour les deux autres : elles n'étaient pas si portées à se donner de la peine.

Mais Dieu, pour leur en ouvrir le chemin, se servit de l'accident arrivé au Chevalier de la Vieuville, — frère du marquis, depuis fait duc et premier chevalier d'honneur de la Reine de France, beau-fils de notre comtesse, — lequel fut blessé à mort d'une mousquetade au siège d'Etampes que le Roi en personne assiégea sur les Princes pour qui cette ville tenait.

Ainsi notre comtesse fut obligée, à cause de leur alliance, de se rendre auprès de ses père et mère qui étaient inconsolables de la perte qu'ils allaient faire. Si qu'elle s'achemina à Melun où ils étaient avec la cour, avec les députés du Parlement qui y allaient trouver le Roi pour traiter des affaires publiques.

C'était sur la fin de mai ou au commencement de juin de l'année 1652. Et là, après avoir contribué beaucoup par ses soins à la très chrétienne mort que fit ce jeune seigneur, laquelle fut accompagnée d'une édification merveilleuse, elle ne mit point en oubli son cher établissement. Mais croyant que ce ne serait qu'une affaire de crédit, elle comptait déjà que rien n'oserait lui être refusé, à cause de celui où était Monsieur de la Vieuville, le père, qui était surintendant des Finances. Cela fit que, sans y chercher d'autre façon, elle s'en alla droit à Monsieur le Garde des Sceaux Molé (8), lui demander des Lettres Patentes pour nous ; mais il lui fit considérer que ces choses ne se faisaient pas de la sorte, qu'il ne lui en pouvait accorder sans voir auparavant un contrat de Fondation qui fut suffisant pour son entreprise, et qu'il ne lui parut aussi de la permission du Supérieur écclésiastique du faubourg Saint Germain, car c'était dans ce faubourg où, déjà, elle proposait de faire cette maison, lui promettant au surplus que, quand elle lui apporterait ces deux choses, il lui donnerait toute sorte de contentement en ce qui dépendait de lui.

Après cela elle s'en revint à Paris, où ayant communiqué de tout à notre Mère Prieure et à ces deux marquises, elles arrêtèrent toutes ensemble qu'il serait travaillé incessamment à ce contrat, puisqu'aussi bien il ne se trouvait pas moins nécessaire pour obtenir la permission de Monsieur l'Abbé de Saint Germain, Supérieur, que pour avoir les Lettres Patentes.

(8) Fils d'Edouard Molé, célébre magistrat au Parlement de Paris. Pour être resté attaché à Henri IV et avoir défendu la cause royale contre la Ligue, le roi lui donna la place de Président à Mortier 1602 qui resta dans la famille jusqu'à la Révolution. Son fils, Mathieu, celui de notre récit, né en 1584, mort en 1656, après avoir été conseiller au Parlement 1606, procureur général 1614, premier président 1641, fut enfin garde des sceaux en 1650. Il a toujours fait preuve d'une grande fermeté et il a su concilier les devoirs d'un grand citoyen à l'obéissance absolue au pouvoir royal. En 1649, il est député à Rueil près d'Anne d'Autriche pour proposer un accommodement entre la Cour et la Fronde et réussit sa difficile négociation. Garde des sceaux, il sut garder une grande équité et un remarquable désintéressement. Bouillet, Dict. Univ. d'Hist. & Géograp., 1850 (cet ouvrage sera désigné désormais sous le sigle D.H.G.).

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Il fut arrêté encore que, dans ce contrat, les sommes que la marquise de Cessac et Madame Mangot avaient promises seraient mises pour grossir la fondation, quoiqu'elles ne les donnassent qu'après leur mort.

Mais la peine fut après à notre comtesse de résoudre les maris, et le sien tout le premier, à consentir à ces donations. Et dès lors commencèrent pour elle les fatigues presque incroyables qu'elle a souffert depuis dans notre établissement, lesquelles n'ont pas peu duré puisqu'elles continuèrent l'espace de deux ans et plus. Toutefois elle vint à bout de ce premier pas, mais ce fut après deux mois pour le moins d'allées et de venues parce que, quand l'un était de commodité, l'autre ne se trouvait ou feignait de ne l'être pas, car, comme ils ne faisaient pas la chose volontiers, mais seulement pour complaire à leurs femmes, ils se rendaient fort négligents à se trouver aux heures prescrites.

A la fin elle parvint à les assembler au parloir de nos religieuses, à savoir : le comte son mari, et les marquis de Bauves et de Cessac, car pour Madame Mangot, comme elle était déjà veuve elle était en liberté ; et ce dernier marquis n'en n'aurait rien fait du tout, sans la considération, parce qu'il n'était guère complaisant à Madame sa femme. Mais comme il était parent à notre comtesse, et qu'il l'estimait beaucoup, il se résolut à la fin de faire comme les deux autres : d'autoriser sa femme à la passation de ce contrat.

Pourtant ils se gardèrent bien tous trois de permettre qu'il y fut mis aucuns termes qui puissent tant soit peu obliger leurs biens propres à faire valoir ces donations, comme aurait pu faire la qualité de Fondateur qu'ils ne voulurent jamais accepter, quoique par honneur elle leur fut offerte. Ainsi ce contrat fut passé le quatorzième jour d'aout mil six cent cinquante deux, par devant Carré et Marreau Notaires au Châtelet de Paris, ces quatre Dames ayant fait ensemble la somme de trente et une mille livres, à savoir : la marquise de Bauves : dix mille, la comtesse de Châteauvieux : douze mille, la marquise de Cessac : six mille, et Madame Mangot : trois mille. Etant déclaré que leur volonté était que ces sommes fussent employées à la fondation d'un monastère de Bénédictines réformées, sous la conduite de la Révérende Mère Catherine de Barre dite Mechtilde du Saint Sacrement, qui seraient incessamment occupées à l'adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel, en sorte qu'il ne fut jamais seul dans leur église, mais qu'il y eut toujours des religieuses du moins une — en adoration.

Et comme il ne se peut faire de donation valide qu'il n'y ait une acceptation, celle-ci fut acceptée par Notre Mère, en qualité de Prieure de la maison de Remberviller — comme elle l'était encore parce qu'elle ne le pouvait pas faire en son nom propre à cause de ses voeux de Religion qui l'en rendaient incapable.

Pour cet effet il fut porté par des articles séparés, qui sont aussi couchés dans les registres de céans avec ce premier contrat, qu'il ne serait pris, pour cette fondation, que des religieuses de ce monastère de Remberviller, ou que du moins elles seraient préférées à toutes autres. Ainsi c'était former un hospice pour cette maison et la soulager.

Il y a plusieurs autres conditions dans ce même contrat, dont nous ne ferons point mention pour éviter la longueur, parce qu'elles se peuvent voir quand on voudra dans les registres dont nous avons parlé, sinon qu'il ne faut pas omettre ici celle que Notre Mère fut chargée de faire les diligences nécessaires pour obtenir les pouvoirs et permissions qu'il fallait pour cet établissement dans deux ans de délai qu'on leur donna pour cela.

Il nous faut parler de ce qui se passa en conséquence de cette clause.

Ce contrat n'a pas eu lieu tout seul. Il en a fallu d'autres à la suite pour le faire valoir, d'autant que celui-là seul ne fut pas trouvé suffisant par les Supérieurs pour cette fondation, à cause que ces dames bienfaitrices ayant porté plus haut leurs pensées, au lieu d'un hospice pour Remberviller, elles se proposèrent par la suite l'entier établissement dans Paris. Ainsi il fallut pour y parvenir qu'elles donnassent de plus grandes sommes et passassent par conséquent d'autres contrats par addition à celui-ci.

Quoique par ce contrat Notre Mère se fut chargée, comme nous venons de dire, de toutes les diligences qu'il y avait à faire pour cet établissement, notre comtesse ne lui en voulut pas laisser la peine, et si elle avait consenti à cette clause, ce n'était pas qu'elle ait dessein de s'en reposer là-dessus, mais ce qu'elle en faisait n'était que pour contenter ces autres dames qui voulaient s'exempter de la fatigue. Car pour elle, la chose lui était trop chère selon son estime pour se vouloir rapporter à autre qu'à elle-même des soins qu'il fallait prendre pour la faire réussir. Et elle aimait trop tendrement la personne qu'elle voulait établir pour ne lui faire la grâce entière en la relevant de tout.

Seulement Notre Mère écrivit à Monsieur Pelot, secrétaire de Monsieur de Metz, Abbé de St Germain (9), lequel se rencontrait être de longue main son ami, pour le prier de pressentir si ce Prince, son

(9) Henri de Bourbon, évêque de Metz, prince du Saint-Empire, marquis de Verneuil, fils légitimé de Henri IV et de Catherine Henriette de Balzac-d'Entraigues. Il obtient à Saint-Denis au mois de juillet 1652 des lettres portant érection du marquisat de Verneuil en pairie. Ces lettres font mention de sa fidélité à Louis XIII et des services rendus pendant la Fronde. Né en 1601, il est nommé par Louis XIII abbé de Saint-Germain-des-Prés en 1623. Il consentit à l'introduction de la réforme de Saint Maur dans son monastère 1630-1631. Il abdique le 12 octobre 1669 et meurt en 1682. Gallia Christiana, VII. — Dom Bouillart, Histoire de l'Abbaye Royale de Saint-Germain-des-Prés, Paris 1724, p. 221 sq. Dom Martène, Histoire de la Congrégation de Saint-Maur, Archives de la France Monastique, vol. 33, Ligugé 1929.

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maitre, voudrait bien admettre cet établissement, car notre comtesse n'avait pas jugé à propos de hasarder une requête sans sonder auparavant si elle serait favorablement reçue.

Monsieur Pelot lui manda qu'il n'y avait rien à espérer, à moins que la Reine, mère du Roi, ne s'employa pour cela, d'autant que Monsieur de Metz lui avait déclaré, quand il lui en avait parlé, que Sa Majesté avait tiré parole de lui de n'en point du tout permettre. Qu'il voyait bien aussi que ce serait une grande folie de permettre de nouveaux établissements dans ce faubourg, en un temps où les anciens ne pouvaient subsister à cause des misères des guerres.

Il est vrai que, dans ce temps-là, il y avait six maisons religieuses qui avaient abandonné leur monastère, et s'étaient, la plupart, retirées chez leurs parents : Bellechasse, Chasmydy, les Dix Vertus, les Bernardines, les Filles de St Nicolas de Lorraine du scapulaire rouge, et celles de Notre Dame de Liesse ; quelques-unes desquelles se sont bien remises depuis (10).

C'en fut bien assez à notre Mère Prieure et sa fidèle coadjutrice, pour juger qu'il n'y avait rien à faire de ce côté à moins que d'un puissant appui. Cela les obligea de tourner toutes leurs pensées du côté de la Cour, pour l'obtenir de la Reine Mère ; la grande piété de

(10) BELLECHASSE. — Les Bénédictines du Saint-Sépulcre acquirent un enclos rue de Bellechasse.

CHASSE-MIDY. — Une lettre de mère Mectilde à mère Bernardine, alors prieure à Toul, du 11 avril 1665, raconte la cérémonie de réparation accomplie par les Filles de mère Mectilde lors d'une profanation survenue au couvent des Religieuses du Chasse-Midi, dont le mur était mitoyen avec celui de la rue Cassette.

DIX-VERTUS. — On appelait habituellement de ce nom les Filles de Jeanne de France : les Annonciades.

FILLES DE SAINT-NICOLAS DE LORRAINE DU SCAPULAIRE ROUGE. — Installées en 1626, elles venaient de Pont-à-Mousson (maison fondée par la princesse Henriette de Phalsbourg, soeur du duc Charles IV de Lorraine). En 1635, elles sont contraintes de fuir Saint-Nicolas-de-Port, après la dévastation de la ville par les suédois. Quelques-unes s'installent à Paris, rue du Bac, puis rue de Vaugirard. Leur maison vendue par décret en 1656, elles reviennent à Saint-Nicolas en 1659. Lettre de M. P. Gérard, Archives départementales de Meurthe-et-Moselle.

NOTRE-DAME DE LIESSE. — Fondé à Rethel, diocèse de Reims en 1631, régugiées à Paris en raison des guerres en 1636, l'abbé de Saint-Germain-des-Prés le Révérend Père Riassant leur permet de s'installer rue du Vieux-Colombier. Elles obtiennent leurs lettres patentes en 1638. Les fondatrices étaient Anne de Montaffié, comtesse de Soissons et Louise de Bourbon, comtesse de Longueville. En 1683, le relâchement étant quasi général, la prieure appela les Filles du Saint-Sacrement. Plusieurs lettres de mère Mectilde à divers correspondants font allusion à cette demande et montrent qu'elle n'acquiéça qu'avec une réelle répugnance. La communauté commença le noviciat en 1685 et prononça les voeux de l'Institut en août 1686. Mais la mère prieure mourut peu après et les deux mères envoyées par mère Mectilde durent revenir rue Cassette 1688. Un peu plus tard, le Père de Roncherolles, oratorien, supérieur de ce monastère et grand ami de notre mère, obtient de l'archevêque de Paris, Mgr de Harlay, une nouvelle obédience pour les Filles du Saint-Sacrement. Mais l'âge et les infirmités du Père de Roncherolles ne lui permettaient pas de seconder les religieuses autant que cela aurait été nécessaire. Il semble que l'archevêque de Paris, malgré tout son désir de voir réussir l'affaire, n'y ait pas mis toute la diligence voulue. Après beaucoup d'humiliations et de souffrances elles durent rentrer rue Cassette. Archives du Monastère de Paris.

laquelle leur donnait lieu de tout espérer, parce qu'elle se rendait la protectrice de toutes sortes de bonnes oeuvres.

D'ailleurs notre comtesse se promettait d'y trouver tout accès par le moyen de Monsieur de la Vieuville, son allié, surintendant des Finances, qui s'employa en effet, et bien d'autres personnes encore. Mais tout cela fut en vain, en ayant tous été éconduits par Sa Majesté, par les mêmes considérations qui touchaient Monsieur de Metz, desquelles elle daigna bien s'expliquer à eux, qui étaient la décadence de tant de maisons religieuses, qui lui faisait dire qu'il n'y avait nulle apparence d'en établir de nouvelles en un temps où l'on voyait les anciennes bien rentées se détruire. Et si elle avait tiré parole de ce Prince qu'il n'accorderait point de semblable permission sans son consentement particulier, elle lui avait réciproquement promis de ne l'en prier jamais tant que les guerres dureraient.

Si bien que Notre Mère et la comtesse voyant qu'il n'y avait que le temps qui leur fit obstacle, elles ne se découragèrent point, seulement elles jugèrent à propos de le laisser couler doucement, sans faire davantage d'instances pour ne se rendre importunes à la Reine, de laquelle elles voulaient ménager les bontés pour une meilleure conjoncture. Ainsi se passa sans plus rien faire de leur part le reste de l'année 1652.

Mais pendant cet intervalle de temps que Dieu avait pris plaisir de les laisser de cette façon travailler inutilement, pour leur faire expérimenter qu'elles n'auraient jamais rien que par lui seul, et qu'il accomplirait son oeuvre, il travaillait en secret plus utilement pour elles. Cela arriva ainsi que vous allez voir.

La Reine Mère se trouvant outrée d'une mortelle douleur de ce que la plus considérable partie du Royaume se voyait révoltée contre le Roi son fils, et que, tout fraîchement, les villes d'Orléans et d'Angers avaient suivi la débauche de Paris et de Bordeaux, ayant refusé d'ouvrir leurs portes au Roi en personne, en sorte que cette dernière se laissa battre à coups de canon devant que de se rendre, elle forma la résolution de s'appliquer puissamment à apaiser l'ire de Dieu par beaucoup de prières et de voeux.

Pour cet effet elle en fit, et en fit faire en son nom par plusieurs personnes de piété en qui elle se confiait, et entre autres par Monsieur Picoté (11), très vertueux ecclésiastique de Saint Sulpice, de

(11) L'un des compagnons de M. Olier. Peu connu. Il est au dire de certains historiens un des meilleurs sujets de cette jeune compagnie. Il avait la confiance de la Reine Mère, pour laquelle il s'employa, avec succès, en plusieurs missions délicates. Confesseur renommé, il était le confesseur de M. Olier, de M. Tronson et d'un grand nombre d'éminents personnages de son époque. C'est lui qui à l'automne 1655, ayant refusé l'absolution, mais non la communion, au duc de Liancourt qui logeait deux jansénistes notoires, se trouva par les conséquences de ce refus, à l'origine des Provinciales de Pascal. M. Faillon, Vie de M. Olier, t. H, Poussielgue 1873, 3 vol. — Brémond, op. cit., III, p. 498-547. — Mouret, op. cit., t. VI.

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qui nous parlerons davantage, lui mandant par Madame la comtesse de Brienne, s'en revenant de la Cour qui était lors à Poitiers, qu'il en fit de tels qu'il le jugerait à propos, et qu'elle les accomplirait.

Ce Monsieur ne manqua pas, et, s'étant donné à Dieu plus particulièrement que de coutume pour connaître ce qu'il lui pouvait offrir de plus agréable, il fut fortement inspiré de vouer que la Reine établirait une maison de religieuses qui seraient dévouées entièrement à honorer le St Sacrement de l'autel, en réparation des outrages que ce divin Sacrement avait reçus par les soldats et par les mauvais chrétiens pendant la guerre, sans déterminer de quel Ordre ces religieuses seraient.

C'était justement ce qu'il nous fallait pour nous aider à achever notre affaire. Il ne faut pas douter que ce ne fut aussi le dessein de Dieu. Ce bon prêtre n'en eut aucune idée, à ce qu'il a avoué depuis, quoiqu'il connut déjà fort Notre Mère ; car bien qu'après il nous ait fait appliquer ce voeu, il est constant qu'à ce moment ce n'était point sa pensée, et qu'elle ne lui vint que sur ce qu'il apprit à la suite : que notre comtesse avait été refusée de ce qu'elle avait supplié la Reine de s'employer auprès de Monsieur de Metz.

Comme il estimait beaucoup notre Mère Prieure il souhaitait fort la voir établir à Paris. Il lui vint proposer ce moyen : de lui faire appliquer ce voeu, pour savoir si elle et les fondatrices en voudraient bien convenir et consentir que leur fondation y fut destinée. Ainsi, après en avoir parlé ensemble, elles y donnèrent très volontiers les mains, et le prièrent même d'y agir incessamment.

Cependant nous pouvons dire que ce voeu fut à peine fait qu'il se vit un notable changement dans les affaires publiques. Qu'à peine le Roi s'étant approché de Paris jusqu'à Saint Denis, sur les avis qu'on lui avait donnés du mécontentement du peuple sous la domination des Princes, que le Parlement et l'Hôtel de Ville lui envoyèrent des députés pour l'assurer de leur obéissance.

De même firent tous les colonels des quartiers qui furent aussi par devers Sa Majesté pour la supplier très humblement de revenir sans délai dans sa bonne ville, et qu'il y serait reçu avec tout l'amour, le respect et l'obéissance qu'il pouvait jamais attendre de ses plus fidèles sujets.

Dieu ayant ainsi subitement changé le coeur de cette populace, les Princes qui y furent les plus faibles du moment que le peuple leur eut tourné le dos, furent contraints d'en sortir sans différer.

Si bien que le Roi y entra glorieusement, le quatrième jour d'octobre mil six cent cinquante deux, parmi les acclamations publiques, de réjouissances et de grands cris de « Vive le Roi », suivis d'un nombre infini de feux de joie allumés partout, et des lumières en toutes les fenêtres des maisons, en sorte qu'il semblait voir un triomphe.

Et bien que, comme nous l'avons dit, la Reine ait fait faire plusieurs voeux, il semble que nous ne puissions pas attribuer absolu ment à celui-ci seul ce merveilleux évènement, néanmoins il faut avouer qu'il y a bien lieu de dire que ce fut celui qui toucha le plus le coeur de Dieu, parce que c'était celui qui apportait le véritable et pacifique remède au mal que l'on voulait guérir, puisqu'il est certain que la guerre ne déplait pas tant à la divine Majesté par les injustices qui se commettent contre les particuliers, desquels on ravage d'ordinaire les biens, que par les sacrilèges que les soldats commettent dans les églises où l'on a vu très souvent fouler aux pieds le Très St Sacrement de l'autel et le mettre dans la mangeoire des chevaux.

Mais quand la guerre ne causerait d'autre mal que celui de faire cesser, comme elle fait d'ordinaire, le divin service, il ne serait déjà que trop grand, puisque c'est priver la divinité de la gloire infinie qu'elle reçoit de ce sacrifice, et le monde de l'oblation qui le concerne, n'y ayant point de doute que sans le sacrifice de la messe, la colère de Dieu incessamment irrité par les péchés des hommes, exterminerait l'univers s'il n'était ainsi apaisé.

D'où nous concluons que, comme il ne se pouvait trouver de satisfaction plus revenante à ce mal de cessation de culte, et de commission de crimes, que l'adoration perpétuelle de ce même Sacrement, notre voeu était le plus propre à apaiser l'ire de Dieu ; ainsi est très probable que ce fut celui-ci qui l'apaisa et produisit ce bon effet de la paix.

Toutefois ce saint homme, pour ne se faire de faste, ne se hâta point d'en aller rendre compte à la Reine incontinent après son retour dans Paris. Il voulut laisser passer la foule et les empressements ordinaires en pareilles occasions, se contentant d'attendre de la voir aux fêtes de Noël suivantes qu'il savait qu'elle allait toujours les passer aux religieuses du Val de Grâce (12), parce qu'il espérait d'y

(12) La Reine Anne d'Autriche avait fait voeu de reconstruire l'église et le monastère du Val-de-Grâce si Dieu lui donnait un fils. Cette abbaye jouissait de la faveur royale depuis Anne de Bretagne (femme de Charles VIII puis de Louis XII). L'abbaye était alors située dans la vallée de la Bièvre et se nommait l'abbaye du Val-Profond. Anne de Bretagne lui substitua le titre d'abbaye du Val-de-Grâce de Notre-Dame de la Crèche. Anne d'Autriche demande, en 1618, à Mme de Montmartre, de lui donner la mère Marguerite de Veyny d'Arbouze qu'elle aimait et vénérait. C'est la nouvelle abbesse, bénie le 19 mars 1619 qui transporta son monastère à Paris, à l'emplacement de l'actuel hôpital militaire du Val-de-Grâce. La sainteté faite d'humilité et de douceur de la nouvelle abbesse lui attira de nombreuses et solides vocations. Anne d'Autriche et la famille de Marillac à laquelle elle était apparentée aidèrent à l'acquisition du terrain. La première pierre a été posée le 3 juillet 1624 et la construction de l'église confiée à Mansart. La mère d'Arbouze est décédée en 1626. Elle a été déclarée Vénérable. A l'époque de cette histoire, l'abbesse était Anne de Compars élue en 1650 et qui resta Supérieure quatre triennats. Anne d'Autriche a désiré finir sa vie au Val-de-Grâce, elle y est morte le 20 novembre 1666, assistée par l'évêque d'Auch, Armand-Anne-Tristan de la Baume de Suze, fils de la comtesse de Rochefort amie de mère Mectilde et l'auteur très probable de ce manuscrit. Oeuvres de Marguerite d'Arbouze, Exercice journalier pour les Bénédictines du Val-de-Grâce avec un traité sur l'oraison, faisant suite aux constitutions de l'abbaye du Val-de-Grâce, 1676. — Traité de l'oraison mentale, éd. Maredsous 1934. — Delsart, Marguerite d'Arbouze, abbesse du Val-de-Grâce (1580-1626), Lethielleux 1923. — A.-L. de la Franquerie, La Vierge Marie dans l'Histoire de France, 1939, ch. XIV & XV.

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avoir une plus facile audience. En effet elle fut aussi favorable qu'il l'avait espéré, le jour des Saints Innocents qu'il y fut, Sa Majesté ayant pris plaisir d'apprendre fort au long de sa bouche ce voeu dont il lui rendit compte, et du motif qu'il avait eu de le faire.

Ce bon serviteur de Dieu connaissant la conjoncture être beaucoup favorable à son dessein — qui était à cette heure-là de favoriser le nôtre — ne perdit point de temps de proposer à la Reine le moyen de l'accomplir sans qu'il lui en coûta rien du tout, qui était d'appliquer son voeu pour notre établissement, lui faisant connaitre que les Fondatrices consentiraient volontiers que cette fondation fut destinée à cela.

La Reine se ressouvint fort bien lors, qu'on lui en avait parlé quelques mois auparavant et qu'elle avait refusé de s'employer pour elles ; mais alors, touchée du motif de ce voeu et du bon effet qu'elle en avait ressenti, — et peut-être encore de la facilité qu'elle trouvait à l'accomplir, — elle changea de sentiment et, le ratifiant, promit à ce bon prêtre d'agir en tout ce qui dépendrait d'elle en la meilleure manière qu'il se pourrait pour la faire réussir. De façon qu'elle eût appris de lui que Monsieur de Metz nous était extrêmement contraire, elle lui donna une lettre quelques jours après pour ce prince, (car il était absent), en des termes si pressants qu'il n'eut pas de peine à connaître que c'était véritablement sa volonté que cette maison se fit.

Quinze jours après, Monsieur de Metz étant de retour à Paris, notre Mère Prieure obligea sa bonne comtesse de l'aller voir, pour apprendre ses intentions sur cette lettre de la Reine, qu'on lui avait fait tenir aux champs, et elle le trouva en effet très bien disposé de leur faire tous les plaisirs qu'il pourrait pour le respect de cette recommandation. Mais il lui dit que comme c'était une affaire sujette à quelque examen et à quelques procédures à quoi il ne pouvait s'appliquer, il la priait d'agréer qu'il la renvoyât à Dom Placide Roussel (13), Prieur de l'Abbaye Saint Germain, son vicaire général, auquel il fallut depuis que nos dames s'adressassent.

(13) Moine de la Congrégation de Saint-Maur. Nous le voyons nommé en. 1646 par le chapitre général comme visiteur pour la Champagne et la Bourgogne. En 1656 Mazarin, abbé commendataire de Cluny, demande des religieux au Très Révérend Père Général de Saint-Maur, pour gouverner et réformer les monastères de l'ordre de Cluny. On lui en accorde trois. Dom Ignace Philibert pour Saint-Martin-des-Champs de Paris, Dom Placide Roussel pour Cluny avec pouvoirs de visiteur des autres monastères de l'ordre et Dom Thimothée Bourgeois pour la Charité-sur-Loire. Dom Roussel se heurta aussitôt au mauvais vouloir, voire même à la révolte des moines qui ne désiraient pas la réforme et se jugeaient offensés par les mesures de Mazarin et lésés dans leurs droits. Avec beaucoup de patience, de bonté et de douceur, il parvint à gagner quelques religieux, mais ne réussit pas à unir et réformer la communauté. Il dut quitter Cluny en 1659. Peu de temps après Dom Ignace Philibert et Dom Thimothée Bourgeois se retiraient eux aussi et rentraient dans leur congrégation. Nous retrouvons Dom Placide Roussel à Saint-Germain-des-Prés, ensuite il n'est plus fait mention de lui. Dom Martène, Histoire, op. cit., vol. 33 & 34.

Mais, quoi que ce ne fut pas son intention, il se trouva par l'évènement qu'il ne pouvait plus mal s'adresser, en telle sorte que nous ne saurions dire dans un abrégé comme celui-ci les extrêmes difficultés que ce bon Père leur fit, ni la rudesse extrême dont il usa en tout et partout envers elles ; n'ayant pas même voulu leur accorder le Saint Sacrement qu'elles demandaient bien humblement d'avoir dans leur chapelle, du moins pendant toute cette négociation qu'elles voyaient tirer à longs traits. Et n'ayant égards aucuns à la prière de qui que ce fut là-dessus, bien que plusieurs personnes de haute qualité lui en parlassent, entre les autres : Monsieur le duc d'Aumale, nommé à l'archevêché de Reims ; les traitant en toutes choses dans la dernière rigueur, jusqu'à inventer des conditions dures et fâcheuses qu'il faisait entendre vouloir mettre à cette permission par écrit de s'établir. Car, sans compter qu'il voulait que les Fondatrices ajoutassent à ce contrat de fondation du quatorzième d'août précédent qui était déjà bien fort pour des dames particulières et en puissance de mari, une autre somme assez forte pour faire qu'il y eut vingt cinq mille livres destinées seulement à l'achat d'une maison ; et en fond et principal faisant la rente de mille livres pour la pension des cinq religieuses de Remberviller, notre Mère Prieure comprise, il voulait encore qu'elles s'obligeassent en leur nom qu'il ne serait jamais reçu de fille dans leur maison de Paris qu'elles n'apportassent du moins cent écus droits de pension, au capital de deux mille écus de dot, et plusieurs autres choses.

Il y voulait mettre encore plusieurs autres choses extraordinaires s'il se peut, dont on ne souvient plus parce qu'il s'en relâcha.

De façon que notre comtesse pensa tout de bon perdre courage voyant l'impossibilité qu'il y avait de satisfaire à tout cela, comme elle l'avait déjà assez éprouvé par la peine qu'elle eut d'acheminer la chose seulement jusqu'à ce contrat de trente et une mille livres, après lequel ces autres dames ne voulaient plus ouïr parler de donner. Pour elle, elle aurait volontiers encore fait toute la somme si la chose eut été à son pouvoir. Mais elle était en puissance de mari, duquel il fallait avoir le consentement, et d'un mari qui, dans le commencement, voyait de fort mauvais oeil toute cette conduite.

Néanmoins s'animant elle-même par la sainteté de son objet, elle se mit sagement et courageusement à travailler de bonne heure pour surmonter du mieux qu'elle pourrait tous ces obstacles, avant que ce Prieur les lui eut faits par écrit.

Pour cela elle s'attacha plus particulièrement à la marquise de Bauves qu'aux autres, comme à celle qui avait mieux de quoi donner, étant la plus riche et n'ayant point d'enfants, et qu'elle paraissait d'ailleurs la plus zélée pour cette oeuvre ; et agit si bien auprès d'elle qu'elle la porta, à la fin, de donner encore dix mille livres pour l'achat de la maison.

Et pour les six mille restant qu'il fallait pour cette augmentation, elle-même les donna après ; mais ce fut un évènement de Providence

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un peu fâcheux qui lui ouvrit le chemin d'en obtenir la licence du comte son mari, qui fut une grande maladie que Dieu lui envoya dans les derniers jours du carnaval de cette année 1653. Car dans cette maladie, comme elle croyait mourir, elle s'enhardit de lui parler, le suppliant avec une extrême affliction d'agréer qu'elle fit encore ce bien pour le repos de son âme. Et ce comte se trouvant sensiblement touché de la voir en ce péril, comme aussi de se voir à la veille de perdre la duchesse de la Vieuville, son seul et unique enfant, qui était pareillement malade à l'extrémité dans ce même temps, n'eût garde de s'y opposer. Au contraire il avait lui-même grand recours à Dieu pour obtenir leur guérison, si bien qu'il lui accorda volontiers tout le consentement qu'elle désirait.

Et elle, sans se donner de relâche, bien que d'agir avec sa fièvre la mit en fort grand péril, envoya incessamment quérir Notre Mère, et cette marquise, et le notaire avec elles, pour passer ce second contrat, si peu elle estimait sa vie au prix de notre établissement.

Et par le moyen de cette diligence, ce jour-même, qui fut le cinquième de mars mil six cent cinquante trois, le second contrat fut passé, car l'espérance que la malade avait toujours conservée que Dieu lui applanirait les voies, tournant le coeur de ce Père à leur être favorable, pour les autres conditions, pourvu qu'elles satisfassent à cette augmentation, lui avait fait user d'une prévoyance qui apporta bien de la facilité de le passer si promptement, qui était de le tenir tout prêt et dressé, afin de ne point perdre d'occasion, surtout depuis qu'elle se fut assurée de 10.000 livres de la marquise de Bauves ; et par ce moyen il se trouva qu'il n'y eut que quelques blancs à remplir.

Mais le Père Prieur ne sut rien lors de tout cela, et ne l'apprit que deux ou trois mois après, parce que pendant cette maladie, personne ne travaillant plus à cette affaire, on n'avait pas de commerce avec lui, car pour Notre Mère, comme elle était toute pleine de reconnaissance, elle s'appliquait entièrement auprès de sa bienfaitrice qui la voulait toujours avoir.

Ainsi l'affaire fut conclue à cet égard par le moyen de ce contrat. Et quatre jours après, savoir le neuvième de mars, la requête de nos Mères fut favorablement répondue par Monsieur l'Abbé de Saint Germain, sans pourtant qu'il sut rien non plus de ce contrat, car il était à Verneuil d'où il date son Ordonnance, laquelle porte ce que le même Père Prieur lui avait inspiré, qu'il ne pourrait avoir dans notre maison de Paris plus de quatre religieuses de Remberviller, outre notre Mère Prieure qui ferait la cinquième, et que l'on ne recevrait point de filles qui n'apportassent du moins cent écus droits de pension au capital de deux mille écus ; que des deniers de la Fondation il en serait employé vingt cinq mille livres en l'achat d'une place pour bâtir le monastère.

Mais toutes ces conditions n'empêchèrent point qu'elles ne se trouvassent agréablement surprises de se voir expédiées dans un temps qu'elles n'osaient plus espérer de Lettres vu le retardement

qu'on y avait apporté, car pour tout ce qui leur était ordonné elles y avaient satisfait d'avance sur les menaces du Père Prieur, comme nous venons de voir, par ce contrat du cinquième [de] mars.

Elles ne le furent pas moins, quinze jours après, que ce même Père Prieur leur envoya dire d'exposer le Saint Sacrement le lendemain, jour de Notre Dame de Mars, dans leur petite chapelle. Aussi la chose ne se passa-t-elle point non plus sans merveille, comme nous l'avons toujours cru, — nous en dirons quelque chose en la troisième partie, — car il leur avait toujours été fort opposé, et leur avait souvent refusé de moindres grâces que celle-là, puisque l'Exposition du Saint Sacrement leur était comme une mise en possession, sans qu'elles eussent encore ni la croix ni la clôture.

Nos Fondatrices ne voulurent point se prévaloir de cette grâce pour en abuser, au contraire, elles se mirent à satisfaire de bonne foi aux choses qu'elles avaient promises, surtout notre comtesse qui était l'âme de cette affaire, laquelle n'eut pas sitôt rétabli ses forces, qui fut environ les fêtes de Pâques suivant, qu'elle s'en alla voir le même Père Prieur, et lui rendre compte de ce contrat qu'elle avait passé dans sa maladie dont il ne savait rien du tout. Il lui en témoigna une joie toute particulière, vu que son coeur, depuis ce jour-là, se changeait visiblement en leur faveur.

Et comme par tous ces moyens que nous venons de voir l'affaire se trouvait entièrement consommée en ce qui regardait les supérieurs écclésiastiques, elle ne souffrit pas après de si grandes difficultés à l'égard des supérieurs séculiers, car la Reine Mère voulant absolument que cette maison se fit, ils n'osèrent y résister.

Ainsi Monsieur le Garde des Sceaux nous accorda les Lettres Patentes sans qu'il en coûta plus de peine à notre comtesse qu'une visite à la Reine pour la supplier de lui en envoyer parler, et une à Monsieur le Garde des Sceaux pour lui porter les contrats de fondation qu'il désira voir auparavant. Ainsi il les scella et les délivra le mois de mai de cette même année mil six cent cinquante trois.

Par ces Lettres la Reine nous fait l'honneur de prendre la qualité de notre Fondatrice et déclare que c'est pour l'accomplissement de son voeu que notre établissement est fait, et que néanmoins la marquise de Bauves et la comtesse de Châteauvieux pourront, comme nos principales bienfaitrices, jouir de tous les honneurs et prérogatives dus aux fondatrices, comme aussi notre monastère pourrait jouir de tous les avantages accordés aux monastères de fondation royale. Et bien que cette grande Reine ne nous ait rien donné, ce n'est pas à dire qu'elle ne soit justement nommée Fondatrice puisqu'il est constant que sans l'application de son voeu notre fondation n'aurait jamais réussi.

Mais nous dirons — ce qu'à peine on pourra croire, — que pendant ce grand progrès que nous voyons, nos religieuses souffraient encore de la nécessité. Cependant il est très vrai, et que ce mal vint

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de l'éclat de notre fondation. Car comme elle se trouvait accompagnée de toutes ces grandes circonstances, le monde se persuada que le fond répondait à cette belle superficie, si bien que les plus considérables aumônes qu'on leur faisait auparavant cessèrent presque tout d'un coup, et notre comtesse, qui n'en savait rien, n'avait garde d'y suppléer, parce que notre Mère Prieure considérant les choses qu'elle faisait pour elles, apportait un soin tout particulier à lui cacher ses besoins ; avec ce qu'elle n'était que trop aise d'avoir recouvré son aimable pauvreté qu'elle aimait si chèrement qu'elle prenait plaisir de la caresser ainsi en secret. Mais il y eut bientôt remède parce qu'elle ne sut si bien faire qu'à la fin on ne s'en aperçut, et surtout les bienfaitrices, qui y pourvurent pleinement jusqu'à ce qu'à la suite elles entrèrent en jouissance des revenus de la fondation.

Il leur resta de passer par devant un autre magistrat, qui ne leur fut pas si favorable que Monsieur le Garde des Sceaux. Ce fut Monsieur le Procureur Général du Parlement qui était lors Monsieur Fouquet (14), duquel il fallait avoir nécessairement les conclusions favorables pour faire homologuer leurs Lettres au Parlement.

Et celui-là leur fit des difficultés si étranges qu'il fut besoin de faire intervenir l'autorité absolue de la Reine sans laquelle il n'en n'aurait du tout rien fait. Encore trouva-t-il moyen de l'éluder au commencement, n'osant se raidir contre ; ce fut en renvoyant notre requête aux Maires et Echevins, quoique cela ne se fut jamais guère pratiqué, mais il disait pour son excuse que, depuis cette guerre civile, il s'était jeté tant de communautés religieuses dans Paris pour y chercher leur refuge qu'il y en avait plus de cent, et toutes extrêmement nombreuses, et qu'à cet exemple il leur prendrait envie à toutes de s'y établir, ce qui serait une grande foule de peuple. Et comme il croyait que cette raison serait encore de plus grand poids dans la bouche des Echevins qui en sont comme les Pères, il leur renvoyait le tout, se promettant qu'ils n'y consentiraient jamais et qu'ainsi il aurait ce qu'il prétendait sans que le mauvais gré lui en fut su.

Mais il en arriva bien autrement puisque Dieu le permit que cet écueil contre lequel il prétendait nous faire échouer nous servit de port assuré, en façon que ce fut par cet endroit-là que notre affaire se fit, parce que la Reine ayant fait savoir à l'Hôtel de Ville par le Maréchal de l'Hopital, gouverneur de Paris, que sa volonté était que cet établissement se fit pour l'accomplissement de son voeu, il n'y eut du tout personne qui osât y contredire, particulièrement au temps que l'autorité royale venait tout récemment se rétablir si hautement ;

(14) Né à Paris en 1615, appelé en 1653 par la protection d'Anne d'Autriche à l'administration des finances, il réussit quelque temps à faire face à un budget déjà obéré, mais le déficit devenant considérable il fut accusé de dilapider les fonds de l'Etat d'autant plus qu'il avait fait des constructions somptueuses en son château de Vaux. Condamné par Louis XIV, il mourut à la citadelle de Pignerol en 1680, après dix-neuf ans de captivité. Bouillet, D.H.G.

au contraire, tous y donnèrent les mains avec joie à cause de la sainteté de ce voeu, disant qu'il était bien raisonnable de faire quelque chose pour ces bonnes filles qui faisaient tant pour eux et pour tout le monde, que de réparer leurs manquements de respect au Très Saint Sacrement de l'autel, ajoutant qu'après cela ils les pourraient bien nommer leurs filles puisqu'elles étaient les seules qu'ils avaient reçues en corps de ville, et que si elles manquaient de pain ils seraient obligés de leur en donner.

De même Monsieur le Maréchal de l'Hopital leur voulut donner aussi des Lettres d'établissement comme gouverneur de Paris, quoiqu'il ne fut pas nécessaire, mais il voulut témoigner par là sa déférence à la Reine, et l'estime qu'il faisait de nos Mères qu'il connaissait de plus loin, et fut le premier à les expédier pour animer les Echevins d'en faire autant, ce qu'ils firent deux jours après, les siennes étant du sixième et septième juillet, et les leurs du neuvième et dixième du même mois.

Mais ce ne fut pas la seule marque que ce bon seigneur leur donna de sa bonne volonté : le témoignage qu'il rendit d'elles à la Reine leur fut bien aussi avantageux, car s'étant rencontré auprès de Sa Majesté à Fontainebleau quand on vint prier d'envoyer à Monsieur le Procureur Général pour avoir ces conclusions, comme il les entendit nommer, il lui dit que c'étaient de très saintes filles, qu'il les connaissait de réputation depuis qu'il était gouverneur de Lorraine. Qu'une fois, étant allé lui-même conduire un convoi de blé du côté de Remberviller, il apprit qu'il y avait plus de 3 ans qu'elles ne vivaient que de pain de blé noir, n'ayant du tout que cela pour toute nourriture, sans que pour cela elles eussent en rien relâché de toutes leurs observances, ni rompu leur clôture, comme tant d'autres religieuses avaient fait ; et que, par tout le pays, on les avait en très bonne odeur. De sorte que ce témoignage confirma beaucoup la Reine dans la bonne volonté où elle était déjà de les établir.

Ainsi ce nouvel avantage, joint au consentement des Echevins, fit bien voir la vérité de ce qu'on dit, que tout tourne à bien pour ceux que Dieu aime, car si Monsieur le Procureur Général n'eut pas entrepris de les traverser, tout cela ne serait pas arrivé. Outre que, comme par ce moyen elles eurent le consentement des Echevins, il ne lui fut pas libre après de leur refuser le sien parce qu'il s'était fait la loi en leur renvoyant la requête, si bien qu'il fut forcé de les leur donner.

Mais comme après avoir ces consentements l'arrêt d'homologation ne leur pouvait être refusé parce qu'elles n'avaient plus de parties, elles ne se hâtèrent pas de l'obtenir, jugeant qu'il valait mieux s'appliquer pour lors aux autres choses plus pressées, ainsi il ne fut rendu qu'au mois de juillet de l'année suivante mil six cent cinquante trois.

A ces traverses s'en était jointe une autre qui serait trouvée bien importante si elle eût eu son effet, puisqu'elle ébranlait l'affaire en son fondement. C'était que le marquis de Bauves, qui s'était montré

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au commencement fort ami de nos religieuses, dans l'espérance qu'il avait qu'en considération de ses bons offices notre Mère Prieure

s'emploierait auprès de Madame sa femme pour la disposer à lui donner tout son bien (car elle était grandement riche), et voyant à la suite qu'il avait affaire à une fille qui ne voulait point s'intriguer dans les affaires du monde et qui se rapportait du tout à Dieu, il tourna absolument contre elle, mais secrètement toutefois ; et crut qu'il lui serait bon à ce défaut, de se concilier l'amitié des héritiers naturels de sa femme avec lesquels il prévoyait bien qu'il aurait un jour des affaires à déméler.

Cela fit que, pour y avoir accès, il leur fit valoir comme un grand service l'avis qu'il leur donna de la bonne volonté qu'avait cette marquise sa femme pour notre établissement, comme si elle y eut bvoulu donner tous ses biens, et leur proposa les moyens de l'en empêcher qui étaient de la faire déclarer incapable de contracter - à cause de son grand âge — lequel en effet passait 80 ans. Mais elle ne laissait pas d'avoir le sens très bon et l'esprit fort vigoureux. Et il le leur sut si bien tourner, qu'ils en prirent tout de bon l'alarme, se résolvant de la prévenir en prenant l'expédient qu'il leur proposait de la faire interdire.

Mais comme lui se cachait en tout cela de nos Mères qu'il payait cependant de mine, il les voulut amuser jusqu'à ce point que de mander un jour à notre comtesse qu'elle n'avait qu'à venir quand il lui plairait avec notre Mère Prieure, qu'il leur ferait compter les 20.000 francs que sa femme leur avait donnés.

Sur cela elles ne manquèrent point de s'y rendre quelques jours après, et il se rencontra que c'était le propre jour que les parents avaient arrêté pour s'assembler là-dedans sur la délibération qu'ils devaient prendre touchant cette interdiction. De sorte qu'elles se trouvèrent bien surprises de voir qu'au contraire de les payer, on n'était là que pour prendre les moyens de leur faire perdre leur donation, la faisant casser.

Mais Dieu permit que cette bonne Dame se trouva si sensiblement touchée de l'affront qu'on lui voulait faire qu'elle leur parla d'une force admirable, accompagant son discours de beaucoup de pleurs ; si bien que s'en voyant tous confus ils se retirèrent sans rien faire et se déportèrent de cette honteuse entreprise, reconnaissant assez qu'il n'y avait pas lieu d'y persister.

Mais comme elle avait reconnu par cette action que son mari traversait tout de bon son dessein, elle se cacha dorénavant de lui ; et quelques jours après, Notre Mère l'étant allée voir, la fit approcher de son lit, et lui coula doucement dans ses mains, sans que personne le vit, quatre mille livres en rouleaux de pistoles, pour en créer une rente applicable à l'entretien du luminaire du Saint Sacrement. Ainsi passa cette tempête, et notre comtesse en fut quitte pour la peur, car Notre Mère ne s'en était pas plus émue que de coutume, demeurant toujours constamment abandonnée à la divine Providence.

Notre Mère voyant que notre établissement prenait le train de réussir avec éclat ne pensa plus que de s'en soustraire, non pour fuir le travail — elle était trop savante des volontés de Dieu là-dessus pour ne connaître que de s'en retirer du tout c'eût été plutôt une infidélité horrible qu'une vraie humilité, — mais pour la supériorité qu'elle voulait éviter, à cause de l'honneur qui lui en pouvait revenir (15).

Là-dessus elle fit son possible pour introduire à sa place une religieuse de Montmartre qui était fort de nos amies, fille au reste de beaucoup d'esprit et de vertu, mais qui n'avait pas tant de répugnance qu'elle à la supériorité, de façon qu'elle se rendit fort volontiers, à la première semonce, dans leur petite maison où elle fut bien six semaines à se laisser fort patiemment instruire par cette humble Mère de tout le projet de la chose, comme si elle en eut déjà été le chef. Mais avec tout cela, cette vraie humble eut beau faire et beau dire, jamais les fondatrices ne voulurent prendre le change. La comtesse voyant que cette prétendue Prieure ne voulait pas connaitre à leur mine le chagrin qu'elle leur faisait d'oser se promettre d'occuper un jour cette place, s'en expliqua à la fin avec elle, en termes si clairs et si précis qu'elle fut contrainte de se retirer bien vite dans son monastère ; et Notre Mère de baisser le col sous le joug de la supériorité qu'elle avait voulu éviter avec tant de soins, à moins qu'elle n'eut voulu voir détruire cette oeuvre, ce qu'elle ne pouvait en conscience après ce qui s'était passé.

Ce fut dans ce temps qu'elle forma le dessein, qu'elle a exécuté depuis, de faire reconnaître dans son monastère, la Sainte Vierge pour Supérieure ; car elle mit tout son appui en la protection de cette Reine des grâces pour réussir en la conduite de son monastère, tant elle avait un bas sentiment d'elle-même, qu'elle croyait qu'il fallait des miracles pour lui acquérir ce don, et pour cela elle voulait référer tous les honneurs, même les extérieurs, à cette divine Abbesse, comme nous dirons en son lieu, parce que, disait-elle : comme cette Reine des cieux est Mère de ce Verbe Dieu anéanti sous les espèces de ce Sacrement, et que c'est de son sang virginal qu'a été formée cette chair divine que nous y adorons, il appartient à elle seule de porter le nom et la qualité de chef de la maison du Saint Sacrement, et d'y être seule reconnue (16).

(15) Annexe Ecrit remis à Vincent de Paul, M. Olier, M. Boudon, II, p. 295.

(16) Ce texte répond à ceux qui ont accusé mère Mectilde de n'avoir choisi la sainte Vierge comme Abbesse perpétuelle de ses Monastères que par crainte de la commande. Voici comment l'abbé Duquesne rapporte la cérémonie d'élection de « la Divine Abbesse » : on fit faire une statue de la Très Sainte Vierge tenant sur le bras gauche son divin Fils et ayant une crosse dans la main droite... L'office fut chanté avec la plus grande solennité... L'acte en fut dressé et inscrit après celui de la fondation... Il fut ensuite statué que dans toutes les maisons qui voudraient embrasser l'Institut on ferait la même cérémonie et que l'acte en serait pareillement inscrit à la tête des registres immédiatement après celui de fondation... Dès le lendemain... on fit placer l'image de la Très Sainte Vierge dans tous les lieux réguliers du Monastère... Tout le plan général

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Toutefois pour ne pas laisser en arrière les appuis humains selon la prudence chrétienne, elle manda venir, — en vertu du pouvoir qu'elle avait encore comme Prieure de son monastère de Remberviller, — la Révérende Mère Bernardine de la Conception, de laquelle nous avons parlé en la première partie, pour partager avec elle les honneurs et les charges de sa maison, la faisant sa Sous Prieure.

Aussi pouvons-nous remarquer qu'elle n'aurait su faire un choix plus digne et plus conforme à ses intentions que celui-là, puisque le solide jugement de cette Mère et sa constante ferveur en tous les exercices de sa Règle l'ont toujours rendue un parfait modèle de religion ; comme l'exercice de quatorze ans de la charge de supérieure, qu'elle a fait tout ce temps-là, lui avait acquis une très grande suffisance au gouvernement, de manière que toutes ces bonnes qualités lui avaient acquis l'amour, le respect et la confiance de toutes les religieuses, mais surtout de notre Mère Prieure qui la regardait comme sa mère de religion parce que c'est elle qui la reçut dans l'Ordre de Saint Benoit. Et cette Mère ne manqua pas de lui obéir, s'en étant venue au plus tôt avec la Révérende Mère Anne de Sainte Magdelaine dont nous avons aussi parlé en la première partie, fille de grande observance, pour la faire Maitresse des Novices.

Elles arrivèrent à Paris un peu après les fêtes de Noël 1653 que nos religieuses étaient encore à la rue du Bac, chez Monsieur Pinon, où elles s'étaient logées depuis le terme de St Jean 1652, pour être un peu plus au large qu'elles n'étaient dans cette chétive maison du Bon Ami ; et deux de celles de Remberviller qui étaient à Paris y furent renvoyées pour leur faire place.

Nous n'avons pour rien conté jusqu'ici l'une des principales difficultés qu'eût à surmonter notre vigilante comtesse, cependant c'était bien la plus importante, puisque c'était la résistance de nos Mères de Remberviller à nous céder notre Mère Prieure ; car comme elle était leur professe, elles étaient en droit de la rappeler. Elles se sont mises quelquefois en devoir de le faire, si bien qu'il ne se peut dire ce qu'on a eu à combattre là-dessus devant que de les pouvoir gagner. Encore elles n'y consentirent que tacitement, en ne la rappelant pas, mais jamais, quoi qu'on y eût su faire, elles n'ont voulu passer d'acte pour cela ; ni Notre Mère non plus n'a point voulu renoncer par écrit à leur maison, en sorte que s'il ne se fut agi de la gloire de Dieu, jamais on n'aurait rien pu obtenir d'elles. Mais comme ce sont de saintes filles, elles n'ont osé s'opposer à cette bonne oeuvre, et ont sacrifié à Dieu leur propre satisfaction jusqu'à présent, puisqu'il est

du nouvel Institut était que celles qui s'y consacraient fussent des victimes de réparation à la gloire du Jésus-Christ... par l'entremise de Marie.

Duquesne, Vie de mère Mectilde, éd. Nancy, 1775, p. 254. — Annexe : Lettres à Dom Placide Roussel, III, IV, V, page 296.

vrai qu'elles honorent et aiment si tendrement cette digne Mère que l'on ne le saurait exprimer (17).

Nos Pères de la Congrégation Saint Vanne même nous y faisaient de grands obstacles, mais en secret, par l'amour de leur patrie, où ils auraient bien voulu conserver une si digne personne ; et il n'est sortes de choses qu'ils ne fissent, sous-main, pour la dissuader de cette entreprise, parce qu'ils n'auraient jamais cru qu'elle eut réussi comme elle a fait.

Ils n'étaient pas les seuls de cette opinion. Mais Dieu s'est moqué de la prudence des hommes et a fait son oeuvre au dessus de leur conseil (18).

Quand notre Mère Prieure eut donné ce bon ordre pour la conduite du dedans de sa maison, elle s'appliqua toute entière au dehors à chercher cette place que le Père Prieur leur avait ordonné d'acheter pour bâtir le monastère.

Mais la principale fatigue en fut pour notre comtesse, puisque nous pouvons dire avec vérité que pendant cinq mois entiers il ne se passa guère de jour qu'elle ne les vint prendre dans son carosse à cette extrémité du faubourg Saint Germain où elles logeaient, pour les mener quelquefois jusqu'aux extrémités du faubourg Saint Martin, Saint Jacques, Saint Antoine, Saint Marceau et Saint Victor, et d'autrefois par delà, suivant ce que leur indiquaient plusieurs serviteurs de Dieu de leurs amis qui tâchaient de leur aider dans cette pénible recherche ; s'étant départi à cet effet tous les quartiers de Paris, afin qu'après qu'ils auraient remarqué quelque lieu qui leur semblait convenable, ils vinssent les en avertir pour qu'elles y allassent voir.

Mais de ce soin même d'où elles espéraient recevoir tant de soulagement il leur arriva au contraire un très grand embarras, parce que chacun devenant amoureux de son idée voulait en toute façon que l'on se tienne à sa proposition, et cela faisait souvent naître de la contestation entre eux, et par conséquent donnait bien de l'exercice à notre Mère Prieure pour les satisfaire tous.

(17) Euphrasie de Hautoy et Barbe de Hulces alliées aux Princes de Salm et de plusieurs grandes familles Lorraines avaient été formées par Dom Didier de la Cour à l'abbaye Saint-Vanne de Verdun, puis à Saint-Nicolas-près-Nancy. Ce sont elles qui fondèrent le monastère de Rambervillers. Dix jours après leur arrivée, elles recevaient au postulat Mlle Gromaire qui deviendra mère Bernardine de la Conception, prieure de ce monastère, qui à ce titre recevra la jeune mère de Saint-Jean à la profession le 11 juillet 1640. Elle restera la collaboratrice et l'amie la plus fidèle de mère Mectilde et ne la quittera plus de Noël 1652 jusqu'à sa mort. A Montmartre, mère Mectilde connut aussi l'influence de la réforme de Saint-Vanne. Marie de Beauvillers avait choisi comme confesseurs et conseillers des Pères de la Congrégation de Saint-Maur (formés au début de cette réforme à l'abbaye de Saint-Vanne). L'abbaye Saint-Germain-des-Prés dont mère Mectilde dépend rue Férou et rue Casette, est mauriste.

Mgr Hervin, Vie de mère Mechtilde du Saint-Sacrement, de Bray et Retaux, 1883.

(18) Annexe : Lettres de M. Caillié, vicaire général de Toul, de Dom de l'Escale, de la Communauté de Rambervillers, VI, VII, VIII, IX, X, XI, p. 298.

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Ce qui dura, comme j'ai déjà dit, quatre ou cinq mois, parce que par dessus la place pour y bâtir qu'il leur fallait trouver, elles étaient obligées encore de chercher une maison à louer pour s'y mettre en clôture, en attendant que le bâtiment fut fait ; d'autant qu'il ne se trouvait point de maison à vendre qui leur fut propre, qui ne fut d'un prix au dessus de ce qu'elles avaient à y mettre, si bien qu'elles avaient de la peine au double. Et le plus fâcheux fut qu'après avoir parcouru généralement tout Paris, elles ne trouvèrent point cette place à bâtir, ni cette maison à louer, ce qui ne leur apporta pas une médiocre inquiétude car elles ne pouvaient rien faire ni espérer pour la clôture qu'elle ne fussent raisonnablement logées.

Il fallait qu'il en arriva ainsi afin de faire paraître partout une conduite de Providence sur elles, puisque Dieu fit en un quart d'heure et par un mouvement subit ce qu'elles n'avaient su faire en cinq mois avec une fatigue étrange, avec bien de la consultation.

Ce fut qu'un jour, sur la fin de tant de courses, notre Mère Prieure venant de laisser sa comtesse à son logis, après avoir cherché encore tout ce jour-là, se servant de son carosse pour se retirer chez elle, se fit descendre chez une dame de ses amies qui logeait dans la rue Férou, au même faubourg Saint Germain, et la trouva qui déménageait de son logis pour aller loger dans la rue Vaugirard qui est tout contre.

Contant son ennui, cette dame lui proposa brusquement de prendre la maison d'où elle sortait, qu'en effet était assez belle. Et ce fut celle-là même qu'elles prirent à la suite. Cette parole ne fut pas plutôt prononcée que l'esprit de Notre Mère, — comme elle l'a confessé depuis, — se trouva dans une parfaite correspondance à cette proposition, demeurant comme toute arrêtée sur cette maison, et lui semblant en avoir vu en un clin d'oeil la disposition avec tous les accommodements qui se pouvaient rencontrer pour y avoir clôture.

Si bien qu'elle se détermina d'abord, ce qui ne lui était guère ordinaire, car elle se laissait toujours aller à l'avis d'autrui comme nous avons dit ailleurs ; et elle dit à cette dame qu'elle la voulait fort bien, la priant même d'en parler au plus tôt au propriétaire qui était de ses amis, comme de son côté elle en avertit sa comtesse qui ne manqua pas le lendemain de la venir prendre pour la voir ensemble.

Cette comtesse l'ayant vue n'en fit pas de même, n'en convenant point du tout, au contraire elle, et avec elle plusieurs de leurs amis ne pouvaient la goûter à cause qu'il n'y avait qu'un très petit jardin, et que tous les lieux bas n'étaient point propres pour en faire des lieux réguliers. Toutefois ils s'y rangèrent à la fin après avoir considéré que s'il s'y trouvait des incommodités, aussi s'y trouvait-il bien des commodités qui les balançaient, comme le bon marché de la maison, le bon air, le bon quartier, et celui du palais d'Orléans, le voisinage de plusieurs personnes de qualité qui produisait pour elles une grande sûreté, la proximité de l'église paroissiale pour avoir des prêtres pour les Messes et le Salut, et celle de plusieurs maisons religieuses d'hommes pour avoir des confesseurs, et enfin qu'elles étaient proches de la place au marché pour leurs vivres. Mais le principal était qu'elles se rencontraient fort proches du logis de leur bonne comtesse d'où venait leur plus grand secours, d'où il arriva qu'elles s'arrêtèrent à celle-là sans plus chercher davantage. Aussi comme Dieu en avait fait le choix, les hommes auraient eu beau faire il y aurait toujours fallu venir.

Pourquoi douterait-on que Dieu n'en eut fait un choix tout particulier et qu'il n'eut pas daigné s'appliquer à faire trouver une maison pour son Fils caché dans ce divin Sacrement, puisqu'il nous donne pour un article de foi qu'un cheveu ne tombe pas de notre tête et un moineau ne se vend pas au marché sans l'ordre exprès de sa providence. A plus forte raison devons-nous croire qu'il s'appliqua de pourvoir à la maison dans laquelle un Institut si saint et si extraordinaire devait prendre naissance ; aussi les effets l'ont bien confirmé, puisque nos religieuses qui la vinrent habiter ont souvent dit qu'elles y ont été comblées d'une infinité de grâces et qu'entre les autres il leur semblait sentir toujours une présence de Dieu très intime.

Ceux même qui en sortaient déclarèrent à Notre Mère qu'un peu avant qu'elles y vinsent il leur semblait y goûter un je ne sais quoi de Dieu qui opérait en leurs âmes de merveilleux effets pour leur conversion, et qu'ils n'avaient pas senti depuis, lui demandant ce que ce pourrait être ? Qu'eût-ce été sinon grâces avant-courrières de celles dont l'Institut se devait trouver un jour inondé, et quelque exhalaison de la bonne odeur du paradis qui s'ouvrait déjà pour y venir habiter avec le Dieu de la gloire quand les religieuses y seraient.

Il n'est pas jusqu'aux personnes du dehors qui n'eussent part à cette largesse divine, sentant dans leur chapelle une très particulière dévotion, ce qui fit que le concours y fut d'abord si grand que ne pouvant tous tenir dedans il y en avait toujours au découvert jusqu'à la rue, malgré la pluie et les autres incommodités de l'air qui se rencontraient souvent.

Mais concluant le discours de notre marché, nos amis et amies furent tout d'avis de s'arrêter à cette maison ; le contrat en fut passé le quatrième de novembre 1653 pour quatre ans, au prix de huit cent livres par an ; à quoi s'obligèrent le comte et la comtesse nos fondateurs, parce que Monsieur de Saint Pont, le propriétaire, ne voulut pas se contenter de la seule obligation de nos religieuses.

Le prix fait des réparations pour la mettre en clôture fut incontinent donné pour y travailler incessamment, afin qu'elles y puissent aller loger aux fêtes de Noël suivant.

Comme la clôture était un grand acheminement à l'accomplissement entier de la fondation, notre Mère Prieure et Madame la com-

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tesse s'en allèrent aussitôt porter la bonne nouvelle de ce bail à Madame la marquise de Bauves qui, bien languissante dans son lit à cause de son extrême vieillesse, ne laissait pas de conserver un désir tout à fait ardent que cette affaire s'achevât. Quand elles lui présentèrent les clés de la maison en signe de la vérité qu'elles lui annonçaient, elle les prit dévotement dans ses mains et les baisa d'une façon si respectueuse et si tendre qu'elle tira des larmes de leurs yeux.

Les voici ce semble arrivées au port, car il ne leur restait plus rien à faire, et il ne leur manquait plus rien de ce qu'on leur avait ordonné, puisqu'elles avaient satisfait à tout ce que les Supérieurs spirituels et laïques en avaient demandé. Toutefois il va venir un coup de mer qui les en va jeter bien loin. Ce coup fut la mort de cette bonne marquise qui décéda la surveille de Noël de cette même année 1653, avant que la croix fut plantée et que nos religieuses fussent dans la maison ; car on n'avait pas manqué de faire les préparations nécessaires. Et comme elle mourait sans enfants, sa succession fut à partager entre plusieurs de ses neveux et nièces qui entrèrent en de grands différends pendant lesquels nos religieuses ne savaient à qui s'adresser pour être payées des 20.000 livres que la défunte leur avaient données, vu même que, quand notre comtesse en voulut parler à quelques uns, ils lui faisaient entendre que cette donation pouvait bien être débattue à cause du grand âge de la donatrice, qui faisait présumer qu'elle était dans l'imbécillité et dans l'incapacité de contracter lorsqu'elle l'avait fait.

Ce qui fut de plus fâcheux fut que ce bruit n'étant point secret, vint aux oreilles du Révérend Père Prieur de l'Abbaye qui entra de nouveau dans de grandes considérations de leur donner la clôture ; ne croyant pas devoir renfermer des filles sans rentes et sans revenus ; à cause que ces 20.000 livres, qu'il croyait être perdues, faisaient presque la moitié de la plus claire fondation ; l'autre moitié, qui se trouvait composée des sommes que ces autres dames donnaient, n'était payable pour la plupart qu'après leur mort.

Ainsi il regardait que nos religieuses n'auraient point de biens pour vivre et ne pourraient plus espérer les aumônes du passé parce que tout le monde les croyait fort bien fondées.

Il lui fâchait aussi de rompre une affaire d'où l'on était venu si avant, et de renvoyer nos religieuses qu'il commençait d'aimer par la connaissance que leur fréquentation lui avait acquise de leurs vertus. Si bien que, dans ce combat, il prit ce temps de faire proposer à notre comtesse que si elle voulait répondre des 10.000 francs que la défunte avait promis pour l'achat de la maison, et de faire la rente ou bien donner en argent comptant une partie des sommes qu'elle-même ne donnait qu'après sa mort, il leur accorderait la croix ; mais que, si elle ne le pouvait faire, il ne fallait plus l'espérer et qu'il fallait au contraire que nos religieuses s'en retournassent au plus tôt à leur pays.

Cette proposition à la vérité lui fut un peu surprenante, mais son zèle, déjà aigri à surmonter tous les obstacles qui s'étaient présentés, ayant pris un nouvel accroissement dans ce pénible exercice, surmonta bientôt celui-ci, s'étant résolue de faire tout ce que le Père demandait. Il est vrai qu'elle y eut bien moins de peine que les autres fois, parce que Monsieur le comte son mari commençait à s'affectionner tellement à notre établissement qu'il n'avait pas de plus grand plaisir que d'y voir travailler sa femme ; et nous pouvons dire en passant que ce changement ne fut par la moindre des merveilles que nous avons remarquées en cette affaire, parce qu'il n'y avait que Dieu seul qui en put être l'auteur, vu son opposition naturelle, qui était encore plus grande que celle de sa femme, pour tous les monastères de filles, et qu'il la voyait beaucoup donner, ce qui d'ordinaire, n'est guère agréable aux maris qui n'ont point le coeur aux bonnes oeuvres ; mais lui, tant s'en faut que depuis qu'il eut commencé de s'y affectionner il se lassa de leur donner ! que plus il leur donnait plus il leur voulait donner.

Ainsi cette bonne dame, sa femme, répondit des 10.000 livres promises par la défunte pour l'achat de la maison, et en compta 13.000 de son bien, par le moyen de quoi la croix leur fut accordée. Le jour fut pris pour la poser le douzième du mois de mars suivant, à huit ou dix jours de là, parce que par bonheur les réparations de la maison se trouvèrent faites.

Le 12e mars 1654 étant venu, le Père Prieur fit la cérémonie. La Reine Mère y fut invitée par nos religieuses de leur faire l'honneur d'y assister comme leur principale Fondatrice, ce qu'elle fit avec beaucoup de marques de bonté, fit poser la croix en sa présence sur le haut de la muraille, car comme le fond n'était pas à nos Mères, n'étant qu'une maison de louage, on ne la put poser que sur la muraille de la porte.

La cérémonie fut conclue par un acte signalé de piété de cette grande Reine, qui fut de prendre en main le flambeau pour faire la première Réparation au Très Saint Sacrement, en présence de tout le monde, les rideaux des grilles ouverts, devant le Saint Sacrement exposé ce jour-là pour la prise de possession.

Ainsi cette grande Reine nous mit la première en possession de l'exécution de son voeu, par son autorité et par son exemple ; et nous pouvons dire qu'elle réparait plutôt pour les irrévérences et profanations d'autrui que pour les siennes propres, puisque jamais il n'y a eu de princesse plus profondément respectueuse à ce divin Sacrement qu'elle, ni posséder à un plus haut degré la vertu de religion.

C'est de quoi elle a donné une infinité de preuves, et entre autres deux illustres, les dernières années de sa vie : la condamnation du Jansénisme, dont l'Eglise a l'obligation à ses soins, l'ayant poursuivie incessament auprès des Papes Innocent 10° et Alexandre 7e, qui l'honoraient grandement pour sa rare piété ; et d'avoir apaisé le Roi son fils, et l'avoir rendu capable de donner au respect qu'un prince

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catholique doit au Saint Siège Apostolique, le très vif ressentiment qu'il avait de l'outrage qu'il avait reçu en la personne du duc de Créqui, son Ambassadeur à Rome, de qui les gens furent assassinés à la portière de son carosse par les domestiques de quelques cardinaux, pendant le règne de notre Saint Père Alexandre 7e.

Et cette excellente vertu, qui est le fondement de toutes les vertus, se trouvait jointe en elle à celle de clémence en un point de si grande perfection que, bien qu'elle ait été la princesse — et peut-être la personne du monde — la plus outragée en sa réputation pendant les guerres civiles arrivées durant sa Régence, et pendant la vie du Roi Louis 13' son époux, — comme l'histoire du siècle ne manquera pas de remarquer — elle n'a jamais voulu se venger, quoiqu'elle en eut le pouvoir ; et surtout depuis qu'elle fut déclarée Régente. Au contraire elle maintint dans leurs emplois ses plus âpres persécuteurs.

Ces deux royales vertus unies à sa charité immense qui lui faisait donner par milliers aux pauvres nécessiteux feront vivre sa mémoire jusqu'au siècle à venir (19).

Donc cette célèbre journée finit par la dévotion du Salut, après lequel tout le monde se retira pour laisser jouir nos religieuses d'un peu de repos, et goûter tout à leur aise la joie de tant de bonheur dont elles venaient d'être mises en possession, et ont joui depuis, qui est d'avoir le Saint Sacrement exposé tous les Jeudis à titre d'un article principal de notre Institut, et d'être nommées de ce nom glorieux de Filles du Saint Sacrement ; car c'est par une ordonnance expresse du Révérend Père Prieur — en parchemin — que nous devons avoir cet auguste Sacrement exposé tous les Jeudis à perpétuité, qui est une chose tout à fait particulière, puisque partout ailleurs on est obligé de recourir à chaque fois au Supérieur pour en avoir la permission.

Après cela l'Institut répandit d'abord une si bonne odeur qu'aussitôt qu'elles eurent la clôture, une des filles d'honneur de Madame

(19) Duquesne qui a écrit la vie de mère Mectilde moins de 100 ans après la mort de celle-ci, nous donne un portrait de la Reine, telle qu'elle devait être connue dans les milieux dévots et en particulier parmi les amis du monastère de la rue Cassette.

Nous sommes en 1651, en pleine guerre civile. « La Reine était désolée de tant de désordres auxquels ni la prudence de ses ministres, ni l'habileté de ses généraux n'avaient encore pu apporter de remèdes efficaces... Anne d'Autriche était une des plus vertueuses princesses qui eussent occupé le trône. Un éloge surtout qu'on ne peut lui refuser, c'est d'avoir toujours constamment sacrifié ses affections, ses ressentiments et l'intérêt de Sa Maison à la gloire et au bien de l'Etat. Il serait injuste de la rendre responsable de la fomentation qui agitait les esprits longtemps avant elle... elle fit pour la calmer tout ce que l'on pouvait attendre de l'administration la plus sage. Ferme à propos pour ne point trahir les droits de la Couronne, elle ne rougissait point de plier à l'occasion pour épargner les peuples. Elle réussit enfin, mais elle en renvoya toujours toute la gloire à Dieu, à qui Seul, elle s'en croyait redevable ». Duquesne, op. cit., p. 221-223.

la duchesse d'Orléans (20), nommée Mademoiselle d'Ucelle, d'une illustre maison de Bourgogne, y prit l'Habit. Mais elle n'y a point fait profession à cause que sa faible santé n'a pu supporter les austérités de la Règle. Plusieurs autres furent reçues, il n'en sera pas fait mention parce qu'il y a un Livre exprès.

Après cette heureuse conclusion notre Mère Prieure trouva bon de laisser reposer quelques mois notre comtesse, devant que de la remettre à chercher de nouveau cette place pour y bâtir, dont elle devait avoir dorénavant toute seule la fatigue, parce que Notre Mère ne sortait plus que par permission expresse du Révérend Père Prieur, encore bien rarement.

Mais au bout de ce temps-là, cette comtesse reprit courageusement le travail, se remettant à chercher avec le même zèle qu'auparavant. Il est vrai, comme elle avait déjà parcouru tout Paris dans ce dessein, elle n'avait plus guère à faire qu'à se déterminer entre un petit nombre de places, sur lesquelles — comme les plus propres elle avait jeté les yeux, dont celle où le monastère est bâti présentement était l'une.

Notre Révérende Mère répugnait à celle-là à cause du mauvais renom de la rue, ce qui fut cause qu'on ne la prit pas pour lors. Et à celle-là était concurremment proposée, par un vertueux écclésiastique de leurs amis, une autre, tout devant Saint Lazare, hors la porte Saint Denis, où il n'y avait point de bâtiment.

Ces diverses propositions firent naître une contestation un peu fâcheuse entre lui et la comtesse. C'était un homme fort arrêté à son sens, il s'était tellement imprimé cette place de la porte Saint Denis qu'il ne pouvait du tout souffrir qu'on le contredit là-dessus. Il voyait que la comtesse inclinait plus à cette autre du faubourg Saint Germain : ce n'était que pour les avoir plus proches d'elle afin de les avoir plus à sa commodité ! et non pas qu'elle y considérât leur avantage, ni l'augmentation de la gloire de Dieu, laquelle à son compte — n'était qu'à cette place de Saint Lazare.

Cependant la vérité est que celle-là, bien qu'en effet elle fut assez jolie, ne nous convenait point du tout, tant à cause de l'excessive cherté pour le quartier que c'était : on en demandait 10.000 écus

(20) Marguerite de Lorraine, soeur de Charles IV duc de Lorraine, épouse secrètement Gaston d'Orléans en 1632. Son fils meurt en bas âge, sa fille aussi en 1652. Sa seconde fille, Françoise-Madeleine (1648-16M) épouse, en 1663, Charles Emmanuel, duc de Savoie. Il nous reste une importante correspondance entre mère Mectilde et la duchesse. La duchesse avait eu beaucoup à souffrir non seulement de la part de son mari, mais du fait de Richelieu qui n'avait jamais accepté son mariage. La Lorraine était alors alliée aux ennemis de la France et la duchesse faisait un peu figure d'étrangère à la Cour. Mère Mectilde a dû la comprendre aussi sur ce point. Le duc d'Orléans était mort à Blois en 1680, sans laisser de fils, ni de son premier mariage avec la duchesse de Montpensier, ni de son second avec Marguerite de Lorraine, le frère de Louis XIV devenait duc d'Orléans. On comprend les allusions de mère Mectilde dans les lettres à la duchesse sur « la perte » de sa maison.

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droits seulement pour la place nue, — qu'à cause de l'extrême éloignement de toutes choses qui aurait absolument empêché le progrès de l'Institut.

Pour le convaincre et le ramener il fut nécessaire que notre Mère Prieure à qui cette contestation ennuyait infiniment — elle avait bien du respect pour ce serviteur de Dieu, mais elle était de l'avis de Madame la comtesse — le suppliant d'agréer que la décision de ce choix fut remise à la pluralité des voix de leurs amis, afin que la chose fut conclue au consentement de tous ; n'ayant pu qu'y consentir, l'assemblée se tint, et fut composée d'un bon nombre de personnes de prudence et de piété. Notre comtesse ne s'y voulut pas trouver pour laisser plus de liberté d'opiner ; pourtant elle ne laissa de gagner sa cause, tous ayant trouvé qu'en effet le quartier du faubourg Saint Germain était meilleur et plus propre que l'autre, qu'il n'y avait nulle apparence de nous aller mettre si loin que le faubourg Saint Denis.

Ce bon monsieur eut encore de la peine à se résoudre, il le témoigna assez par les discours qu'il tint à notre comtesse, lui rapportant à son logis le résultat de l'assemblée — de quoi il voulut bien prendre la commission pour avoir l'occasion de lui décharger l'amertume de son coeur, — en lui disant que Dieu et les hommes s'étaient à la fin accommodés à sa faiblesse et avaient adhéré à son amour propre ; mais qu'aussi il fallait absolument que dans la semaine elle concluât le marché ou de cette place qu'elle proposait ou de quelqu'autre, qu'on ne lui donnait que ce temps-là.

La chose se fit en effet, mais non pas si vite. Les affaires de cette nature ne se font pas aisément. Nos Mères répugnaient toujours à cette rue ; pour les contenter il fallut voir s'il se pourrait trouver quelque autre place. Le marché de celle-ci ne fut conclu qu'au mois de janvier 1658. Elle coûta 25.000 livres d'achat, et deux mille ou environ pour les droits des laods (21) à Monsieur l'Abbé de Saint Germain, ou pour les frais du décret qu'il y fallut faire passer pour la sûreté de leurs deniers. Ainsi on ne put bâtir plus tôt qu'au mois d'avril 1658, que le contrat de prix fait fut donné par nos Mères et par la comtesse, au sieur Gestar, Maistre entrepreneur, pour le rendre fait et parfait dans un an, au prix de ? ? ? ? [sic]

Cet entrepreneur leur tint parole, en sorte que la translation de la Communauté se fit de leur maison de la rue Férou au bâtiment neuf au jour de la fête de notre B.P. Saint Benoit, sans aucune cérémonie, les religieuses s'y étant rendues la veille, sans bruit, dans des carosses de quelques dames de leurs amies.

Et le jour de la fête de l'Incarnation du Verbe, l'église et le monastère furent bénis par le Révérend Prieur en Dieu. Monseigneur

(21) Droits dus à un seigneur pour les acquéreurs de biens dans sa censive (propriété féodale).

Henry de Maupas du Tour (22), lors Evêque du Puy et présentement d'Evreux fit la cérémonie le matin (23) et l'après dîner, le même jour, il donna le voile à Damoiselle Marie Hardy, nommée de son nom de religion Marie Hostie du Saint Sacrement à laquelle, entre les autres louanges qu'on lui doit, celle-là lui est due de ce beau rétable de notre église qui est une production de ses riches conceptions, et qui a été acheminé à la perfection où nous le voyons à moins d'un an, par son habile conduite et par sa merveilleuse intelligence en toutes les belles choses. Mais ce qu'il y a de remarquable c'est que, bien qu'il coûte plus de 8.000 livres, il n'en a presque rien coûté à la maison, tant elle a su ménager la bonne volonté de nos amies, aussi bien que de plusieurs autres personnes de piété qui ont contribué avec plaisir pour dresser cet autel si magnifique à la gloire de notre auguste Sacrement ; et ces deux cérémonies concourrant avec la solennité du jour attirèrent tant de gens de qualité dans le monastère qu'il ne saurait guère voir de plus belle assemblée que celle-là.

Nous serions ici au bout de notre narré puisque la translation du monastère semblerait le devoir clore comme étant le dernier de tous les grands actes de notre établissement. Mais nous sommes très obligées de retourner sur nos pas pour ramener plusieurs notables circonstances de cette conclusion, que nous avons laissées en arrière pour ne les avoir pu amener dans le fil de notre discours, lesquelles sont pourtant trop dignes de mémoire pour les omettre.

(22) Descendant des barons du Tour en Champagne. Né en 1606 d'une famille illustre, il est tenu sur les fonts baptismaux par Henri IV. Après ses études en Sorbonne, il reçoit le gouvernement de l'abbaye de Saint-Denis de Reims (où il introduit en 1636 la Congrégation de Sainte-Geneviève). Vicaire général de Reims pendant dix ans, il est ensuite premier aumônier d'Anne d'Autriche. En 1641, il est nommé évêque du Puy et sacré dans la maison des profès Jésuites par Charles de Mouchal, évêque de Toulouse, asssisté de François Fouquet, évêque d'Agde et d'Antoine Godeau, évêque de Grasse. Grand ami de François de Sales et de Jeanne de Chantal ; il travailla avec François de Sales à l'institution des Visitandines. Député deux fois à Rome par le clergé de France pour obtenir la béatification du saint évêque, il eut le bonheur de voir ses démarches couronnées de succès par le pape Alexandre VII. Ces affaires retardèrent sa prise de possession de son evêché d'Evreux. Il n'y vint qu'en 1664, le 24 mars. Il meurt le 12 août 1680 des suites d'un accident de voiture. En 1664, il fonde le séminaire, qu'il complète en 1673 par l'érectibn des « Conférences écclésiastiques » dans son diocèse, à l'imitation de celles de M. Vincent de Paul à Saint-Lazare. En 1676, il érige une communauté de « petites filles pauvres » sous la direction de Mlle de Bouillon (à l'imitation de l'Institut de la maison du Saint-Esprit, fondé en 1654). Il écrit la vie de Mme de Chantal en 1644 et de saint François de Sales en 1657. Une oraison funèbre de saint Vincent de Paul en 1669. Le Brasseur, Hist. Civile et Ecclésiastique du Comté d'Evreux, Paris 1722. — François-Xavier de Feller, Biographie Dict. historique, Paris 1833.

(23) Les châsses placées près du tabernacle renfermaient les corps des martyrs : saint Denis, sainte Candide, sainte Benoîte, sainte Emilienne, rapportés de Rome par un religieux minime et par M. Fermanel, l'un des fondateurs du séminaire des Missions Etrangères. Un nombre important des ossements de sainte Candide se trouvent actuellement dans notre monastère de Rouen. L'année suivante mère Mectilde reçut de la duchesse douairière d'Orléans, le corps de sainte Ide qui, inhumé d'abord au prieuré de Saint-Waast près Boulogne, était à l'abandon. A la Révolution, ces ossements échappèrent aux profanations et le corps de sainte Ide repose encore en entier en notre monastère de Bayeux. Vie anonyme de mère Mectilde. — Chanoine Van Drival, Légendaire de la Morinie, p. 111.

110 CATHERINE DE BAR DOCUMENTS HISTORIQUES 111

La première : que, quand il fallut poser la pierre fondamentale du bâtiment, l'on fut longtemps à délibérer si l'on prierait la Reine de leur faire encore cet honneur, et le temps que l'on mettait à délibérer là-dessus, la Cour s'en alla dehors. Ainsi il ne s'en fit rien.

L'on proposa ensuite de prier Monsieur le prince de Conti ; et comme on se disposait à cela, il fut pareillement obligé de s'en aller à son gouvernement.

Comme si Dieu eût voulut ôter tous les empêchements que l'on mettait à l'exécution du dessein qu'il avait inspiré à notre Mère Prieure qui n'avait osé le découvrir, et n'aurait encore fait sans cette ouverture de providence. C'était de faire poser les trois premières pierres par trois pauvres, aux trois endroits plus considérables du bâtiment, au nom et à l'honneur des trois personnes qui composent la sacrée famille du Verbe Incarné sur terre : Jésus, Marie, Joseph.

Ce dessein étant connu du comte, notre bienfaiteur, il demanda instamment de représenter Saint Joseph en cette cérémonie, et sa dévote femme : la Sainte Vierge ; de laquelle elle avait déjà l'honneur de porter le nom, et le petit comtin de la Vieuville (24) leur petit-fils, qui était de deux ans, le divin Enfant Jésus. Ce qui leur fut accordé avec éloge de la part de notre Révérende Mère Prieure et de la communauté pour leur grande dévotion.

Ainsi ces pierres furent posées après avoir été bénites par Monsieur l'abbé Mélian (25) qui fit la cérémonie ; la première : là où est la grande porte de l'église, la deuxième où est la chapelle de ce comte, la troisième : à l'endroit où commence le corps du monastère ; et sous chacune fut mise une boite de reliques avec des plaques de cuivre marquées d'un Saint Sacrement au pied duquel est écrit le mois et l'année qu'elles ont été posées dans cette fondation.

La deuxième circonstance est pour les deniers qu'il fallut employer au bâtiment. Les principaux sortirent de la bourse de ce vertueux comte, par une rencontre encore de providence qui n'était nullement prévue. Ce fut qu'après que la comtesse eut employé les 6.000 Livres qu'elle avait données pour avoir une maison, et les 10.000 livres dont

(24) Charles, marquis de la Vieuville, né à Paris en 1582, mort en 1653. Il se fit beaucoup d'ennemis par son caractère emporté et présomptueux. Enfermé au château d'Amboise en 1624, il parvient à s'enfuir à l'étranger. Il rentre en France en 1628, intrigue contre Richelieu et doit s'enfuir à Bruxelles en 1631. Il revient en France sous Mazarin et obtient de Louis XIII le rétablissement de ses droits le 11 juillet 1643. Il est nommé surintendant des finances, duc et pair de France 1651-1653. Son fils, Charles II du nom, épouse la fille de la comtesse de Châteauvieux en 1649. Le petit « Comtin » doit être leur troisième fils, né en 1656-57 et donc âgé de 2 ans le jour de l'Ascension, pose de la première pierre rue Cassette. Il sera abbé de Savigny le 3 février 1676 et mourra à Paris en avril 1689. Le Père Rapin, S.J., a écrit sa vie. La famille est originaire de Bretagne. Dezobry, Dict. Géographie et Histoire, Delagrave 1876.

(25) Augustin Mélian ou Méliand, fils de Blaise Méliand, avocat au parlement et de Geneviève Hurault, chargée des aumônes d'Anne d'Autriche. Mgr Méliand eut des difficultés à Gap où il fut nommé évêque en 1679 et sa santé lui fit donner sa démission. Il se retira à Paris au séminaire des Bons-Enfants. Gallia Christiana.

elle avait répondu pour la défunte marquise de Bauves, et encore bien d'autres sommes, l'argent manquant il fallut aller aux emprunts ; et Dieu permit qu'elles furent refusées de toutes part afin qu'elles fussent contraintes de recourir encore à ce comte, des mains duquel il prenait tant de plaisir de recevoir, qu'il semblait ne vouloir presque rien que de lui, et l'avoir consacré par un choix tout particulier, lui et toute sa famille, à procurer la gloire de son Fils au Très Saint Sacrement de l'autel ; et ce comte, toujours de plus en plus fervent, leur prêta avec une extrême joie jusqu'à 25.000 livres sans en vouloir prendre d'intérêt. Il est vrai que, bientôt après, elles lui rendirent douze mille livres, et les treize mille restant, il nous les a laissées après sa mort.

Ces sommes n'étant pas encore suffisantes, car ce premier bâtiment a coûté 63.000 livres compris la place et l'amortissement, Madame de Vassan, leur ancienne amie, leur donna 3.500 livres, Madame de l'Esseville 700 écus, Madame Guilebert, ou Madame Poulet sa mère : plus de 10.000 livres. Celle-ci avait déjà voulu donner à notre Mère Prieure 20.000 livres et une très belle maison dans Saint Maur des Fossés en 1647, si elles avaient voulu s'y arrêter pour s'y établir tout à fait. Et Mademoiselle Loiseau, fille de feu Monsieur Loiseau, Conseiller au Parlement de Paris, laquelle a depuis pris l'Habit sous le nom de Sr Anne du Saint Sacrement, leur en donna 3.900.

Elle était depuis longtemps l'une de leurs principales bienfaitrices, ne se passant pas d'année que les aumônes qu'elle leur faisait n'arrivassent à plus de 500 livres, car elle avait la jouissance de ses biens n'étant plus en puissance de personne.

Et depuis, en prenant l'Habit, elle a apporté une dot très considérable et une pension viagère très forte avec tout cela. Il faut dire que le don qu'elle nous a fait de sa personne vaut encore infinimen t mieux, puisque c'est un de nos plus forts et plus dignes sujets.

Ainsi peu à peu le bâtiment s'acheva sans qu'elles s'endettâssent. Mais comme le nombre des filles s'était grandement accru depuis, il nous a fallu entreprendre de bâtir l'autre aile, du côté du couchant, qui est la plus belle. Et celle-ci nous a coûté 36.000 livres et davantage. Cela a été sur la fin de l'année 1665 que nous l'avons entrepris, et commencé d'habiter en 1667.

Son Altesse Royale Madame Douairière d'Orléans, Marguerite de Lorraine, en ayant posé la première pierre avec grand apparat et magnificence ; ça été sous le grand angle où cette pierre a été mise. Et monsieur l'abbé Jaloux, très digne écclésiastique, notre ami particulier, fit la cérémonie avant laquelle notre Mère Prieure avait, de ses propres mains, enterré dans la fondation une grande boite de fer blanc où il y a une grande figure de la très Sainte Vierge faite d'une pâte de reliques avec le mémoire du nom des saints de qui les reliques sont, et une grande plaque de cuivre, marquée comme

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les autres dont nous avons parlé ci-devant ; étant descendue elle-même par une échelle, au plus profond du fossé de la fondation pour les y mettre — afin que là-dessus l'on bâtit pour faire monter la muraille jusqu'au rez de chaussée — pour que Madame n'eût pas la peine de descendre à cause qu'il fallait, pour la cérémonie, qu'elle tint ses mains sur la pierre.

Mais il ne faut pas achever le récit de cet évènement sans toucher un mot des éminentes qualités de cette grande princesse, en reconnaissance de ses extrêmes bontés pour nous.

Elle est soeur de Monsieur le duc de Lorraine Charles IV, Prince souverain de nos Mères qui sont venues de ce pays-là. Dans sa jeunesse elle était douée d'une excellente beauté dont il lui reste encore de grandes marques, ayant, avec cet avantage, un esprit doux, accort, sage et modeste au dernier point, et un discours merveilleusement éloquent et disant.

Elle épousa en la 16ème année de son âge Monsieur le duc d'Orléans, frère unique du feu Roi très chrétien Louis 13ème, et oncle du Roi Louis 14ème à présent régnant. Et vécut au milieu de cette Cour la plus grande et la plus galante du monde, comme une hermine, sans jamais contracter de tache en sa réputation, qui a toujours demeuré dans une intégrité si parfaite que les langues les plus médisantes n'ont osé entreprendre de l'attaquer non pas même du soupçon ; aussi ne s'est-il rien vu d'égal à sa retenue et son extrême dévotion qui allait à faire de sa Cour un vrai cloître.

Et tant de rares vertus — très rares en effet aux personnes de son rang — lui avaient tellement acquis l'amour et le respect de Monsieur qu'il s'estimait le plus heureux prince du monde de la posséder. Nous lui pouvons justement attribuer après Dieu la conversion des moeurs de ce prince, lesquelles étaient extrêmement dépravées dans sa jeunesse, par son grand jeu qui le portait à beaucoup jurer, sans les autres débauches dont nous pouvons dire qu'il n'était pas moins coupable.

Mais la sage conduite de cette belle princesse, et sa constante fermeté à lui remontrer librement ses devoirs de chrétien sans jamais se rebuter, le gagnèrent à la fin si absolument à Dieu, qu'il a passé les cinq dernières années de sa vie dans la plus haute perfection où un chrétien puisse atteindre, et a fait une mort convenant à cette vie ayant tout le royaume embaumé de l'odeur de ses vertus. Depuis sa mort cette admirable princesse s'est adonnée à une plus grande retraite comme à la vertu la plus conforme à l'état de viduité, venant très souvent dans cette maison, et passant des journées entières avec notre Mère Prieure, à l'entretenir du mépris des grandeurs mondaines et du bonheur qu'il y a de servir Dieu, elle a accoutumé de dire en quoi consiste la vraie félicité.

Tant s'en faut que ces fréquentes visites aient apporté du relâche à la ferveur des religieuses par la communication de l'esprit du monde, qu'au contraire ce nous est tous les jours un nouveau sujet d'édification, nous ayant dit beaucoup de fois, pour montrer l'estime qu'elle fait de la vie religieuse, que si sa santé, qui est très faible, le lui pouvait permettre, elle préfèrerait d'être Soeur religieuse converse dans la maison du Saint Sacrement, à toutes les grandeurs de la terre.

Après cela il ne faut pas demander la raison pour laquelle nos Mères la prièrent de leur faire cet honneur de poser cette première pierre.

Cette disgression nous a portées un peu loin des circonstances que nous avons entrepris de remarquer. Cependant il y en a une 4ème qu'il ne faut pas oublier : c'est que nous achetâmes au mois de juillet 1659 la maison et le jardin du fleuriste qui nous coûta 14.000 livres ; que les héritiers de la défunte marquise de Bauves rembour sèrent en l'année 1660 notre comtesse des 10.000 livres qu'elle avait avancées pour eux au bâtiment, et payèrent encore les autres 10.000 livres que la défunte avait données.

Comme aussi Mesdames de Cessac et Mangot étant mortes depuis, leurs héritiers ont pareillement payé toutes les sommes qu'elles avaient données. Et le tout a été heureusement consommé sous le sage ministère et heureuse conduite de notre très Révérende et très digne R. M. Catherine Mechtilde du Saint-Sacrement, secondée de la prudente Sous Prieure, la R. M. Bernardine de la Conception, et de la très fervente et libérale comtesse de Châteauvieux, Fondatrice.

Que le tout soit en l'honneur et gloire du Très Saint Sacrement de l'Autel.

TROISIÈME PARTIE ÉCRITS

NOTE SUR LES ÉCRITS DE MÈRE MECTILDE, RAPPORTÉS CI-APRÈS

Le premier de ces textes est considéré comme une ébauche des Constitutions. C'est un des plus soigneusement recopiés dans nos Manuscrits. Nous en possédons vingt et une copies dans les seuls manuscrits du XVII° et XVIII' siècle.

Le deuxième écrit qui avait été inséré ici par l'auteur de cette biographie était le texte avec quelques variantes, de la Préface des Constitutions, imprimées en 1677. Tel qu'il se présentait au N. 249, nous n'en possédons que cinq copies. Or nous savons par des lettres de mère Mectilde, des entretiens avec ses Filles, que ce texte a été écrit en collaboration avec Dom Ignace Philibert, le Prieur de Saint-Germain-des-Prés. Quelle était la part exacte de mère Mectilde dans ces pages ? il a été impossible de l'établir. Nous avons donc préféré remplacer ce texte incertain par celui que la Vénérable Mère a écrit seule et dont, quelques mois avant sa mort elle fait mention dans une lettre à la Mère Prieure du second monastère de Paris. Nous ne possédons que de rares copies manuscrites de ce texte et aucun exemplaire imprimé. En effet lors de l'approbation des Constitutions en 1705, Rome a préféré renouveler l'approbation déjà donnée en 1677 plutôt que d'approuver un texte nouveau.

Cette préface écrite à la fin de la vie de Mère Mectilde, alors qu'elle avait atteint la plénitude de son expérience du gouvernement et des âmes, nous est apparue comme plus représentative de sa pensée, en notant bien toutefois qu'elle a été rédigée trente ans après les textes que nous rapportons ensuite.

Le troisième écrit est connu dans notre Institut, sous ce titre : Retraite de 1662. Nous en avons relevé douze copies dans les meilleurs manuscrits, les variantes sont négligeables.

Le quatrième texte de « l'amour du mépris » est souvent copié dans nos manuscrits du XVII. siècle et — fait à noter — il l'est toujours parmi les conférences ou les textes importants sur l'Institut (Juillet 1662).

Le cinquième texte « de la Sainte Communion » se retrouve à peu près identique dans la plus ancienne édition (1683) du Véritable Esprit des Filles du Saint-Sacrement ; petit volume composé par mère Mectilde pour donner à ses Filles les bases essentielles de leur vocation. Cependant des remaniements dans le déroulement de la pensée donnent à croire, que le texte rapporté ici est plus ancien que celui du « Véritable Esprit », peut-être antérieur aux querelles autour du quiétisme.

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Enfin « L'Esprit de Saint Benoit » se trouve lui aussi parmi les conférences et au « Véritable Esprit ».

On peut difficilement, à partir de ces quelques textes, qui sont parmi les plus forts et les plus ardus, se faire une idée de la pensée de Mère Mectilde, et surtout de sa personne tellement plus humaine, vivante et accessible dans sa correspondance. Tout au plus peut-on poser quelques jalons pour éviter au lecteur d'être trop dérouté par un vocabulaire familier aux seuls spécialistes du grand siècle. Bérulle, Condren, Olier sont partout présents dans ces pages, mais à l'arrière fond seulement d'une synthèse bien personnelle et marquée par d'autres courants, comme l'a si bien vu l'abbé Cognet. L'apport de la sainte Ecriture, particulièrement de saint Paul, est nettement plus important que les autres. Il faudrait faire ici mention de sa formation bénédictine qui a équilibré, si on peut dire, l'influence des courants dans lesquels elle baignait avec son temps.

On sera frappé de l'abondance du vocabulaire « sacrificiel » de l'emploi du terme de « victime », de la place du « rien » ou de « l'anéantissement », et surtout des deux mots-clef qui reviennent sans cesse au fil du texte — et font même l'objet des deux chapitres principaux de la Retraite : « Mort-Vie ». « Que Dieu tient l'âme dans la mort avant que de lui donner la vie » et « De la vie cachée en Jésus-Christ ». Il serait à souhaiter qu'une étude approfondie de l'oeuvre permette à Mère Mectilde de s'expliquer elle-même sur ces sujets. Mais déjà ces quelques pages peuvent nous guider.

Relevons ce qu'on pourrait appeler son « christocentrisme eucharistique ». « Jésus dans son état d'hostie et de victime » est le Christ dans son mystère pascal. Les motifs de la vocation de bénédictine du Saint-Sacrement sont ceux mêmes du Christ dans son Incarnation et son Sacrifice : son « double regard » : « la gloire de son Père et le salut des hommes ». « Vous faites ce que Jésus-Christ a fait ». Elle l'explique tout au long. « Jésus est dans ce Sacrement pour nous faire vivre de sa vie divine et de la même vie qu'il vit en lui-même », « mais cette vie divine est un don de Dieu, elle n'est achetée que par la mort ». « Vous êtes mortes et votre vie est cachée en Jésus-Christ ». Cette « mort » n'est pas une destruction, elle est le passage à une autre vie, la vraie. Elle est le mystère de Pâques. « Le baptême nous conforme à la mort et à la vie nouvelle de Jésus-Christ, ce qui est la grâce même du christianisme », dit-elle ailleurs.

En effet le baptême en nous incorporant au Christ nous rend capables de participer à son Sacerdoce, à sa « qualité de prêtre et de victime ». Dans le sacrifice eucharistique, le Christ s'offre et nous nous offrons avec lui et en lui. C'est là l'exercice du sacerdoce royal des fidèles que Vatican II a remis en lumière.

Voilà, semble-t-il, le fond de sa doctrine — et c'est celle même de l'Eglise — exprimée à la manière de son temps, et avec une constance remarquable. Elle a grand soin de faire remarquer que cette qualité de « victime » qu'elle donne à ses Filles « n'est pas une qualité nou velte, c'est un titre que Jésus-Christ vous a imprimé au baptême ». Nous l'avons vu, c'est le sacerdoce des fidèles. L'adoration perpétuelle n'est pas seulement pour elle un hommage à la Présence eucharistique, elle doit être « un renouvellement universel de toute notre vie et de toutes nos actions » elle la nomme aussi « actuelle adoration ». C'est la mise en pratique, le moyen et le signe de cette vie pascale, fruit de l'Eucharistie. Et cela « pour l'extension de la grâce du Sacrifice » en nous et dans le monde. C'est ainsi qu'elle lie adoration et réparation. Car, remarquons-le, la « réparation » adressée au Christ dans l'Eucharistie est toujours présentée par elle comme une participation au mystère de la Rédemption, à notre petite place de créatures rachetées, de membres de l'Eglise qui continue ce travail rédempteur « jusqu'à ce qu'Il vienne ». Elle y insiste spécialement : « Il n'y a qu'un Jésus-Christ qui puisse réparer sa gloire et celle de son Père ». Tout est là : « devenir des Jésus-Christ ».

ÉCRIT DE NOTRE RÉVÉRENDE MÉRE SUPÉRIEURE

Puisque les religieuses de cette sainte maison sont toutes dédiées et immolées à la gloire du Très Saint Sacrement de l'autel, il faut qu'elles fassent effort pour être très ponctuelles à lui rendre leurs respects et leurs adorations sans relâche, prenant soin de s'acquitter dignement de tous leurs devoirs envers cette auguste Majesté anéantie, sans en omettre ou négliger aucun.

Cette fondation les y obligeant d'une manière très particulière, il faut qu'elles demandent à Notre Seigneur la grâce de s'y employer généreusement dans toute l'étendue de ses desseins.

1. — La première chose qu'il faut faire, c'est de reconnaître devant Dieu la grâce de cette occupation, à laquelle la sainte providence nous a destinées, d'être en actuelle adoration ; et que tout notre être et toutes nos opérations soient référées à l'honneur de ce divin Sacrement.

Les religieuses de cette maison ne pouvant se dispenser d'être les victimes de Jésus dans l'hostie, il faut donc nécessairement qu'elles fassent tout leur possible pour lui rendre tout ce qu'il prétend d'elles, et surtout de vivre de sa vie cachée et toute anéantie, puisqu'il leur a fait la grâce de les choisir à l'exclusion d'une infinité d'autres qui s'en acquitteraient plus dignement.

2. — Après avoir pesé cette grâce et cette obligation, il faut se donner à Jésus anéanti dans son divin Sacrement pour, par lui-même, tendre à la sainteté de cet état avec une détermination irrévocable de n'en jamais désister quelque peine, tentation, répugnance, qui nous survienne : par le monde, par nous-même, et par le démon. Et il ne faut pas croire y parvenir sans combat et sans souffrance, cette perfection n'étant autre chose que l'anéantissement de nous-même, on n'y peut parvenir sans souffrance. Donc que chacune de nous s'immole à la conduite secrète de Dieu sur son âme pour la faire entrer dans sa destruction.

3. — Il faut que les religieuses de cette maison se résolvent d'être et de passer dans l'esprit du monde pour très abjectes, et elles doivent être dans une très grande affection d'être inconnues à qui

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que ce soit, qu'à Dieu seul. Et pour demeurer plus cachées, à l'imitation de Notre Seigneur Jésus-Christ dans son très adorable Sacrement, elles se tiendront le plus qu'il leur sera possible dans une profonde solitude qu'elles n'interrompront que dans le besoin et par obéissance.

4. - Elles se plairont autant qu'il leur sera possible à être pauvres de corps et d'esprit, c'est à dire : à être dans la pauvreté extérieure, aussi bien qu'intérieure, par hommage à Jésus très pauvre dans le Très Saint Sacrement ; et quand il plaira à Notre Seigneur les faire souffrir quelque chose de cette pauvreté, elles l'en remercieront très humblement comme d'une faveur très singulière.

5. — Leur occupation la plus ordinaire doit être la sainte oraison. L'on ne doit vivre dans cette sainte maison que de cette céleste nourriture. Mais chacune en sera nourrie selon sa grâce et son état ; donc il faut recevoir ce pain quotidien de la main adorable de Notre Seigneur qui le donne selon les besoins des âmes, aux unes plus abondamment et aux autres moins, selon les apparences. Mais chacune doit être contente de sa portion puisque c'est notre Père céleste qui nous la départ. Il faut nous en confier à sa conduite, étant certain qu'il nous donne le tout par un amour infini de notre sanctification ; et nous ne devons point nous réfléchir sur le peu ou beaucoup, mais continuer toujours de nous laisser à la disposition divine, nous contenter de tout, et même avoir de la joie d'être très pauvre intérieurement ; puisque nous ne pouvons pas souffrir de plus grande croix, par hommage à celle que Notre Seigneur a souffert et souffre, en une autre manière, pour nous, dans le Très Saint Sacrement.

6. — La principale de nos applications dans notre oraison doit être de nous tenir devant la grandeur et majesté suprême de Dieu dans le Très Saint Sacrement, avec un respect très profond, avec une confiance et un abandon total, avec une soumission et simple agrément de toutes les dispositions de la providence divine, chacune selon le degré de sa grâce, soit en faisant quelque acte ou autrement.

Avec ces trois dispositions nous pourrons toujours faire une oraison très excellente et très agréable à Notre Seigneur, et quand il semblera qu'elle nous manque, la foi supplée à tout dans un simple abandon à la peine et à toute privation.

7. — Toute la tendance de nos coeurs et de nos esprits doit être d'adorer ce divin Sacrement, de lui rendre hommage pour toutes les créatures qui ne l'adorent point, et pour toutes celles qui le déshonorent par tant de crimes et d'impiétés.

Et si nous concevons bien notre obligation, nous verrons que nous devons être immolées à la Justice du Père éternel pour tous les pécheurs qui offensent Jésus Christ dans le Très Saint Sacrement, et que ce doit être sur nous que doivent tomber tous les opprobres et les humiliations qu'il y souffre encore aujourd'hui, et y souffrira jusqu'à la consommation des siècles.

Ce doit être sur nous que la Justice doit être exercée dans l'amour et l'affection que nous avons de réparer sa gloire, en lui faisant autant qu'il nous est possible, amende honorable pour tous les pécheurs et plus particulièrement pour ceux qui le déshonorent plus criminellement et dans ce très auguste Sacrement.

8. — La Réparation d'honneur faite au Très Saint Sacrement, le Cierge en main, est une action d'humiliation, nous confessant criminelles, mais elle ne peut être reçue du Père que par Jésus-Christ.

Donc en cette sainte action nous nous unirons très particulièrement à Jésus-Christ Notre Seigneur pour, par lui, réparer la gloire de son Père et la sienne dans son divin Sacrement. Cela fait il faut nous laisser en foi dans cette véritable croyance qu'il réparera en nous et nous rendra dignes, par lui, de le glorifier. Il faut demeurer simplifiées dans cette union de soi à Jésus.

9. — Puisque notre vie est toute appliquée et consacrée à un si auguste, si adorable et si digne Mystère, il faut que tout notre être y corresponde.

Premièrement : il ne le faut profaner par l'affection d'aucune chose créée.

2. N'avoir plus aucune tendance à l'estime et à l'élévation de créatures.

3. Aimer, et tendre de tout son coeur au néant.

Et quand la sainte Providence nous fournira des occasions d'abjection, nous les devons recevoir avec grand respect, comme les trésors les plus précieux que Dieu réserve pour gratifier ses élus. Si le monde nous méprise, nous devons croire que nous sommes dans le véritable état où Dieu veut cette maison, car il ne serait pas juste ni raisonnable qu'un Dieu anéanti dans le Très Saint Sacrement étant l'unique objet de nos adorations et le modèle de notre vie, nous soyons dans l'applaudissement.

Lorsqu'il demeure tout caché dans l'abîme d'un anéantissement qui est incompréhensible aux anges et qu'ils ne peuvent assez adorer ni admirer dans leur étonnement, il faut que les victimes soient anéanties ; et s'il est permis de prendre la qualité d'épouses de Jésus-Christ, ne faut-il pas qu'elles soient conformées en toutes manières à leur divin Epoux.

Nous ne nous étonnerons donc point quand nous serons en rebut, désapprouvées, humiliées, blâmées et toutes anéanties dans l'esprit humain ; cela doit être notre paradis terrestre, notre félicité, et notre unique joie et consolation, au lieu que l'estime et les honneurs doivent être notre douleur éternelle et plus sensible crucifixion.

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PRÉFACE DES CONSTITUTIONS LA VOCATION DES RELIGIEUSES DU TRÈS SAINT SACREMENT (*)

Si St Bernard a pu dire avec vérité que la profession religieuse est très haute en son excellence qu'elle éléve au-dessus des Cieux et

qu'elle pourrait entrer en parallèle avec la condition des anges que l'on peut dire en quelque façon que cet Institut est d'une éminence vraiment divine et que les religieuses qui le professent ne doivent pas seulement être douées d'une pureté et d'une sainteté plus que céleste et qui égale celle des anges. Car outre les grands avantages qu'il y a avec les autres ordres religieux il leur donne avec cela une élévation toute particulière, et si nous devons croire qu'il n'y a point de pouvoir au-dessus de celui que leur caractère donne aux prêtres sur le Corps et le Sang de Jésus au Très St Sacrement de l'autel nous pouvons dire des religieuses du Très St Sacrement qu'il n'y a que la sainteté et la pureté du Fils de Dieu qui doivent être au-dessus de celle à laquelle leur profession les engage.

Les ordres religieux selon St Bernard ont beaucoup de rapport à la première école de vertu et de sainteté que Notre Seigneur a tenu en ce monde. Ce sont eux qui imitent le plus parfaitement ses premiers disciples et leurs saints exercices sont une rénovation de la vie évangélique mais les religieuses du St Sacrement semblent entrer dans une alliance toute particulière avec la personne même du Fils de Dieu. Elles partagent avec lui sa propre qualité d'hostie et de victime et se rendent en lui et par lui les véritables réparatrices des injures et des irrévérences qu'il peut recevoir des hommes dans le Très St Sacrement.

Mais pour vivre en état d'hostie et pour exercer dignement les fonctions de réparatrices, il est encore nécessaire qu'elles sachent que leur profession les rend redevables au Très St Sacrement de deux choses, sans lesquelles il est impossible qu'elles lui fassent jamais de réparation parfaite.

La première est : de lui rendre toute la gloire qu'on lui a ravie en le profanant.

La seconde est que les religieuses du St Sacrement ne doivent pas seulement faire état de rendre autant d'honneurs à Jésus-Christ renfermé dans la sainte hostie qu'il y souffre de mépris et d'irrévérences ; mais aussi elles se doivent résoudre de satisfaire pour toutes les peines temporelles dont les détestables profanateurs de son Sacré

Corps et de son Précieux Sang se rendent coupables ; à l'exemple de notre adorable Sauveur qui ne s'est pas contenté en prenant notre nature, de restituer à Dieu son Père toute la gloire que les pécheurs lui avaient ravie par leurs crimes, mais qui a voulu encore se sacrifier et souffrir tous les châtiments qu'ils auraient mérités en rigueur de justice.

Cette première obligation d'honorer et de glorifier le Très St Sacrement, autant qu'il est méprisé et profané par les impies et infidèles demande des religieuses qui lui sont consacrées en qualité de victimes :

Premièrement : une consommation entière et continuelle de tout elles-mêmes à la gloire de Jésus-Christ qui se consomme si souvent tout lui-même pour elles c'est à dire qu'elles doivent être comme des holocaustes que le feu sacré de l'amour du Très St Sacrement doit totalement consumer et comme des vases sacrés qui ne peuvent servir qu'à l'autel sans profanation, ou comme les lumières de ces flambeaux, dont elles se servent pour faire amende honorable, qui ne brûlent et ne se consomment jamais qu'en l'honneur du Très St Sacrement.

Secondement il faut que cette consommation paraisse en leur vie et leurs actions, par une intention toute déiforme (1) qui les tienne sans cesse élevées au-dessus de toutes les impressions des sens et de la nature, et qui les transforme si universellement en Jésus-Christ voilé sous les Espèces, que non seulement elles soient toujours en lui comme il est en elles, mais aussi qu'elles ne vivent et n'agissent qu'en lui, se voyant sans cesse et toutes choses en lui.

En troisième lieu que cette intention soit suivie d'une vie de pure foi, qui n'ait de commerce avec la vie des sens et avec les raisonnements de l'esprit humain ; parce que les bêtes et les hommes qui nous sont représentés par les sens et par la raison, qui auraient la témérité d'approcher de la sainte montagne où le Dieu du ciel est venu habiter dans la nuée des Espèces sacramentelles, n'ont pour eux que des feux, des éclairs et des foudres, et ils seront lapidés et écrasés sous le poids de celui qui est la pierre angulaire et mystique d'où découlent en nous les eaux de la vie éternelle.

Il faut donc entrer dans l'obscurité de la foi, et dans les brouillards de la seule révélation divine, à l'imitation de Moïse, pour pouvoir jouir de la réelle Présence, et participer aux divines communications de ce soleil inaccessible de la divinité cachée au Très St Sacrement ; c'est pourquoi les âmes qui voudront glorifier cet auguste Mystére ne doivent point consulter d'autres oracles ou emprunter d'autres lumières que celles de la foi et de la révélation divine, puisqu'il n'y a qu'elle seule qui puisse leur faire connaitre la vérité

(*) Constitutions sur la Règle de Saint Benoit en provenance de la Bibliothèque Municipale de Nancy : Manuscrit coté (546) 60.

(1) Déiforme : barré dans le texte, au-dessus et d'une autre écriture = pure.

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des grandeurs et des perfections incompréhensibles qui y sont renfermées.

Mais cette obligation d'honorer Jésus-Christ au Très St Sacrement demande en quatrième lieu : que la vie de pure foi soit accompagnée d'un amour unitif qui ne fasse pour ainsi dire qu'une même chose du Corps et du Sang, de l'âme et de la divinité de Jésus avec les religieuses qui sont dévouées à sa gloire ; de façon que comme le pain et le vin se transubstantient au Corps et au Sang de Jésus-Christ — et les Saintes Espèces n'ont point d'autre substance que celle du Fils de Dieu — de même, elles perdent tout leur être naturel, qu'elles ont tiré de la corruption du vieil homme, et se transforment en l'être divin qu'elles ont reçu du nouvel homme, pour n'avoir jamais d'autres inclinations, d'autre esprit, d'autres pensées, d'autres paroles et d'autres actions, que les siennes et celles que sa grâce et son divin Esprit leur inspirent.

Enfin cette obligation demande une vie d'oraison continuelle par laquelle, imitant les deux chérubins de l'Arche, elles puissent avoir toujours la face de leur esprit et de leur coeur tourné vers ce divin propitiatoire du Nouveau Testament, d'où elles doivent recevoir tous leurs oracles, et d'où elles se doivent persuader que Dieu leur parle et leur fait entendre ses divines volontés le plus ordinairement et le plus familièrement.

C'est cet esprit d'oraison qui leur donnera la clef des trésors de la science et de la gloire de Dieu, renfermée et cachée au Très St Sacrement ; qui leur donnera l'entrée de la cave du vin délicieux de l'adorable Epoux pour y boire à longs traits et s'y ennivrer de ses douceurs et consolations inneffables. C'est l'esprit de cette oraison qui leur donnera la prérogative et le privilège de toutes ces vierges qui suivent l'Agneau partout où il se rencontre dans tous les tabernacles.

Voilà les obligations des religieuses du St Sacrement : elles seront dans l'état que leur vocation demande d'elles si elles ont l'esprit d'oraison, si elles tendent à l'amour divin, si elles vivent de foi, si elles ont l'intention toute pure, si tout leur être est véritablement consommé avec Jésus-Christ à la gloire de son Père. L'esprit d'oraison les dispose à l'amour d'union, à la pure foi et à la pureté d'intention. La foi vive et l'amour unitif en feront des victimes pour réparer par leur destruction la gloire que les sorciers et les magiciens ravissent à la personne du Fils de Dieu, quand ils consumment si abominablement les hosties consacrées dans leurs sortilèges et dans leurs magies ; pour réparer par leur pureté d'intention, le culte que les mauvais prêtres dérobent au Très St Sacrement quand ils font servir cet auguste Sacrement à l'intérêt et à mille autres desseins criminels ; pour réparer par leur vive foi, l'honneur qui est dû à la personne réelle du Corps et du Sang de Jésus-Christ que les infidèles et hérétiques lui ôtent par leurs blasphèmes et par leurs sacrilèges et par leurs profanations ; pour réparer par leur union d'amour, le respect que les pécheurs ont perdu pour le Saint des

Saints quand ils s'en approchent avec l'affection du crime, et qu'ils veulent unir Jésus-Christ à Bélial, et Dagon avec l'Arche dans un temple profané et un coeur souillé ; pour réparer enfin par leur oraison, la révérence que les libertins et la plupart des chrétiens refusent ou négligent d'apporter aux sacrés mystères ou ils assistent sans oraison et sans dévotion.

Heureuse l'âme qui sera trouvée digne de faire une telle réparation au Très St Sacrement ; plus heureuse encore si elle sait, comme elle doit, s'acquitter de la grande obligation qui la rend coupable de toutes les profanations du Corps et du Sang de Jésus-Christ, et par conséquent sujette à souffrir les châtiments et toutes les peines que méritent tous ceux qui l'ont profané et qui le profaneront jusqu'à la fin des siècles.

Cette seconde obligation demande un état et des dispositions tout à fait contraires à la précedente. Si la première oblige une « hostie » de se regarder comme consacrée à la gloire du Très St Sacrement, la seconde l'oblige de se considérer comme sacrifiée pour toutes les profanations de cet adorable Mystère. Si la première demande qu'une vraie réparatrice donne, et fasse tout, pour lui rendre l'honneur qu'il mérite, la seconde demande qu'elle perde tout et qu'elle souffre tout, pour expier les outrages et les indignités qu'il reçoit.

Si donc une religieuse du St Sacrement veut comprendre l'esprit de sa vocation, qu'elle se tienne toujours en état d'hostie en sa sainte Présence, et si elle veut vivre en état d'une véritable victime, qu'elle s'estime tantôt comme un objet d'amour et de complaisance envers son divin Seigneur, qui reçoit volontiers la réparation qu'elle lui fait de sa gloire, et tantôt comme un objet d'horreur et d'indignation devant son Souverain Juge, qui exige en justice l'expiation qu'elle lui doit de tant de profanations. Qu'elle se croit d'une part appelée à tout ce qu'il y a de plus saint et divin dans la vie spirituelle ; et de l'autre à tout ce qu'il y a de plus mortifiant et de plus crucifiant, de plus anéantissant dans la vie de pénitence ; et enfin qu'elle fasse état d'éprouver toujours indifféremment les effets de la Miséricorde et de la Justice divine que sa profession l'oblige d'honorer également au Très St Sacrement de l'autel ; et qu'il n'y ait jamais de croix, de mépris, de souffrances, de morts, et d'anéantissement que le zéle de la Justice divine ne lui fasse embrasser avec joie pour l'expiation de tous les péchés des profanateurs du Très St Sacrement ; comme il n'y a point de vertus, de grâces, de mérites, de perfections, de saintetés, de bénédictions, de louanges et d'adorations, de prières et de bonnes oeuvres, que l'amour et la piété ne lui fassent rechercher avec ardeur pour la réparation de l'honneur et de la gloire infinie, des grandeurs et des excellences du même Saint Sacrement.

128 CATHERINE DE BAR DOCUMENTS HISTORIQUES 129

RETRAITE DE NOTRE RÉVÉRENDE MÈRE PRIEURE DU SAINT SACREMENT — EN 1662 —

Dieu ayant fait ce monastère pour la gloire de son Fils dans les abaissements infinis qu'il porte dans la divine Eucharistie, il faut nécessairement que les âmes qui y sont appelées y vivent en esprit d'un très profond abaissement et anéantissement de soi, et dans une pureté angélique, par une séparation totale d'elles-mêmes.

Quand une fille entre en religion elle peut avoir pour motif son salut, et la béatitude éternelle pour son objet.

Mais dans l'Institut du Très Saint Sacrement l'on n'y peut avoir d'autres intentions que les purs intérêts de la gloire de ce Mystère. C'est pourquoi les Religieuses du St Sacrement sont appelées ses victimes, puisqu'elles n'ont point d'autres motifs en toutes leurs actions que de glorifier ce Pain mystique, ce Dieu immolé et continuellement anéanti sous les Espèces.

Elles sont victimes de Jésus fait Sacrement pour, en s'immolant elles-mêmes, rendre un hommage infini — si cela se pouvait — à l'être sacramentel de Jésus qu'il détruit tous les jours à la gloire de son Père dans nos poitrines.

Tous êtres créés retournent au néant dans la succession des siècles et confessent par leur destruction qu'il n'y a que Dieu qui soit et qui existe par lui-même ; mais au Très Saint Sacrement, Jésus-Christ s'y anéantit tous les jours pour y confesser et y exalter l'être infini de son Père.

Peu d'âmes s'appliquent à y adorer cet abaissement infini. Non seulement il consumme son être sacramentel par respect et hommage à Dieu son Père, mais c'est d'une manière la plus humiliante qu'il pouvait jamais choisir et qui surpasse de beaucoup les humiliations de la Croix, puisqu'à la Croix il était attaché au bois qui ne portait en soi-même aucune malignité contre Jésus-Christ ; mais par le Sacrement de l'Autel il descend dans des poitrines abominables, pleines de l'infection du péché ; il se loge dans le lieu le plus infâme qui se puisse jamais imaginer, puisque rien ne lui est plus en horreur que le crime.

Oui, il y descend et y fait sa demeure (autant que les Espèces durent) dans des estomacs détestables ; et pour bien concevoir quelque chose de l'humiliation effroyable qu'il reçoit dans le coeur des impies qui communient indignement, il faudrait concevoir quelque chose de sa pureté et sainteté, ce qui ne se peut.

Cependant ce n'est que le premier pas de ses abaissements dans ce Mystère. Passons par nos méditations aux autres si nous pouvons.

Il y en a qui semblent plus proportionnés à nos sens qui les pourront toucher davantage (quoiqu'il soit vrai que celui que nous venons de dire est déjà très effroyable et très humiliant pour Jésus-Christ), ce sont les profanations extérieures que les impies, les magiciens, et autres méchantes personnes font des adorables Hosties.

Il y aurait de quoi en mourir au seul souvenir de ces choses ; et, sans miracle, il y a des âmes qui ne pourraient soutenir la vue des horribles malices que ces exécrables font sur mon divin Sauveur Jésus-Christ.

Oui, je le puis dire, et voudrais que mon coeur se fendit en le disant, que pour la charité incompréhensible de Jésus-Christ, et, si je l'ose dire, pour l'amour passionné qu'il porte aux hommes, ils l'arrachent de son trône selon leur pouvoir et en font ce qui ne se sache exprimer, avec des rages pires que celles de l'enfer même ; se ruant sur les divines Hosties avec une insatiabilité inexplicable pour dévorer Jésus-Christ et le réduire dans des opprobes que l'on pourrait dire infinies, eu égard à leurs excessives malices. Il n'en faut pas davantage pour donner la mort à un coeur qui aime Jésus-Christ. Voilà tout au moins de quoi le navrer à n'en jamais guérir.

Mais combien y a-t-il d'autres excès que nous pourrions rapporter. Laissons-les aux soins de l'amour, qui les ira mieux rechercher que nous, et disons que, pour tous ceux que Jésus-Christ souffre dans la sacrée Eucharistie, lesquels nous ne comprendrons jamais dans toute leur étendue, il est bien juste qu'il y ait des âmes qui se consacrent à ce Mystère divin en esprit de victimes pour y souffrir, si elles pouvaient — du moins en désirs, — tout ce que Jésus-Christ y souffre, afin de l'en garantir.

Ainsi pourra-t-on trouver étrange que l'Esprit de Dieu ait donné mouvement de faire un monastère pour la gloire de ce Jésus, dans lequel les personnes qui y seront reçues, ramassent dans leurs coeurs par leurs désirs et leur bonne volonté, toute la reconnaissance que les pécheurs doivent à ce doux Sauveur ; s'exposant sans cesse à la Justice divine pour ces malheureux, et pour réparer l'honneur et la gloire qu'ils prétendent lui dérober, afin d'en obtenir miséricorde pour ces misérables et faire pénitence de leurs crimes ?

Pourra-t-on blâmer une petite étincelle de la Charité de Jésus-Christ qui s'est écoulée dans les coeurs de ses victimes, qui produit par respect et rapport à Jésus-Christ, ces effets qui ont paru en sa mort ?

Jésus-Christ meurt pour satisfaire à la Justice de son Père, pour réparer sa gloire, et au même temps pour le salut du monde. Voilà ce que cette petite troupe tâche de faire en esprit et en volonté, quoiqu'infiniment incapable d'y suffire, mais par union à Jésus-Christ duquel nous tirons le mérite et la vie de toutes les oeuvres que nous faisons.

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Voilà quelles sont les Filles du Saint Sacrement, et voilà en abrégé quelle est leur vocation. Que si quelques unes ne se trouvent point avoir ces dispositions qu'elles ne prétendent point à cette belle qualité de victime du Saint Sacrement.

Mais expliquons-le davantage pour la satisfaction de celles qui ont le zèle de s'en acquitter parfaitement.

Plusieurs ne comprennent point d'abord ce que c'est que de cette qualité de victime, et c'est aussi ce qui ne peut être facilement compris par les esprits qui n'ont pas encore goûté des conduites de la grâce.

Il n'y a que celles à qui Dieu fait la grâce de les associer par état à son Fils victime de sa Justice pour le péché, qui en savent quelque chose, plus par expérience encore que par lumière, et il n'est pas même à propos que celles-là s'expliquent de telles et si prodigieuses conduites ; il suffit [de dire] que, bien que cet état soit rigoureux, il est soutenu par une grâce divine, qui souvent est inconnue à l'âme

qui le porte, et qui ne laisse pas de la fortifier. Mais comme cet état si extrême n'est pas ordinaire, n'étant que pour quelques unes

desquelles Dieu se joue et prend ses complaisances en elles comme il a fait en son Fils — si je l'ose parler ainsi, — arrêtons nous à parler de ceux qui sont plus ordinaires, et qu'il faut se résoudre à porter, ou du moins y tendre de toutes ses forces.

Nous avons dit ci-dessus que l'on ne peut être religieuse dans ce monastère pour l'intérêt propre et par retour sur soi, puisque ce serait manquer à la pureté d'intention avec laquelle il faut se rendre victime. Combien donc une Fille du St Sacrement se doit-elle séparer d'elle-même, et par conséquent du monde et de tout ce que la nature recherche de plaisir et de vanité.

Cette pureté d'intention est le premier pas qu'elle doit faire, c'est le premier ornement dont son âme doit être parée pour se présenter devant son Dieu ; mais d'une manière pleine et non à demi : se rendant à lui de toute la capacité de son être — du moins de toute sa volonté — en attendant que la lumière du soleil divin ait éclairé le fond de son âme, pour lui faire connaître de quelle sorte elle se doit rendre et vivre en Jésus-Christ uniquement.

Mais de quelle vie vivra-t-elle en ce lieu saint ? D'une vie que l'on doit nommer une mort perpétuelle, puisque son obligation l'engage à se séparer continuellement des créatures et de soi-même, prenant, dès ce premier moment, l'exemple de ce divin prototype : Jésus-Christ dans l'adorable Eucharistie ; et il faut qu'elle [s']étudie si soigneusement à observer les états et dispositions qu'il y porte, qu'elle ne soit jamais un moment de sa vie sans rendre hommage à quelqu'un, soit par rapport d'état, ou par tendance d'amour et d'union.

Nous avons montré ailleurs comme les âmes appelées à ce sacré Institut doivent avoir, autant qu'il leur est possible, cette précieuse ressemblance à leur Dieu et leur Epoux Jésus-Christ dans ce divin Sacrement. Reste à dire ce que c'est, par pratique, d'en être victime ; et en quoi consiste cette perpétuelle immolation que les Filles du St Sacrement sont obligées de faire tous les jours, puisqu'elles vont imitant, selon leur possible, Jésus-Christ immolé à son Père incessamment.

Cette immolation continuelle, mes soeurs, demande deux choses. La première : le regard pur de Dieu partout, comme Jésus regarde toujours son Père. La seconde : l'oubli de nous-mêmes par une sainte négligence d'une infinité de bagatelles qui nous appliquent à nous en diverses manières : tantôt de tendresse pour nous, tantôt de quelque désir, puis de crainte de quelque humiliation, ou d'inquiétude pour quelque privation, tantôt par des retours sur les actions d'autrui, et mille autres choses pareilles qui nous appliquent tout à nous, nous y tenant quelquefois si occupées et attachées que nous en perdons l'attention intérieure à Dieu. Et cette malheureuse pente que nous portons vers nous-même a tant de malignité en soi qu'elle nous rend incapables : et du regard divin, et de la ressemblance à Jésus dans l'Hostie. Car il ne faut pas s'éloigner de notre adorable objet, puisque c'est notre divin modèle ; il faut toujours l'avoir devant les yeux et faire ce qu'il fait lui-même, puisque nous devons marcher sur ses pas.

Ce n'est point ici une chimère ou un état d'une fantaisie qui forme des idées sans raison, non, c'est l'obligation du christianisme, mais doublement celle d'une fille du Très Saint Sacrement, de se rendre autant qu'elle le peut, semblable à son Père.

Continuez donc à regarder ce que Jésus-Christ fait dans cet auguste Mystère ; voyez comme il n'a en vue que la gloire de Dieu, comme il s'oublie de ses propres intérêts. Cela se vérifie en ce qu'il est à l'abandon des impies et même des bêtes, et pour l'ordinaire logé dans des églises très indécemment — pour ne pas dire honteusement —, hélas tout seul, sans suite ou rarement, et le reste dont nous avons déjà dit quelque chose.

Voyez donc qu'il ne se considère point, et qu'il n'y est fait victime que pour y être immolé, et rendre à Dieu son Père dans chaque âme qui le reçoit à la sainte communion, les hommages et adorations infinies qui sont dues à sa divine Majesté, et que l'âme ne lui peut rendre à cause de sa capacité finie et de son indignité.

Oui, mes soeurs, ceci est admirable : Jésus-Christ entre dans nos coeurs pour y célébrer un sacrifice divin, éternel, et infini en son mérite ; et c'est ce qui doit nous donner de l'amour pour la sacrée communion, puisqu'il fait en nous l'office de Grand'Prêtre et de souverain Sacrificateur en s'immolant soi-même pour l'âme qui le reçoit, et rendant par son sacrifice divin un hommage d'une gloire infinie à Dieu son Père.

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Nous aurions de quoi faire un petit volume sur ce précieux et très digne sujet qui me parait si important pour encourager les âmes timides à la sacrée communion, et leur enseigner la manière simple et très aisée de s'y comporter.

Mais laissons là ce discours pour continuer à faire voir les deux actions continuelles de Jésus dans l'Hostie. Nous venons de dire que la première est un regard actuel vers Dieu son Père, et la seconde le salut des hommes ; et ce sont les motifs de notre vocation dans notre Institut, savoir : la gloire de Dieu et le zèle pour la conversion des pécheurs, surtout des profanateurs de ce sacré Mystère.

Quelle fin plus auguste, mes soeurs, pouvez-vous jamais avoir que celle-là même de Jésus, qui n'a eu en vue, en tous les moments de sa très sainte vie, que ces deux motifs que nous venons de dire. Une âme qui n'a que cela devant les yeux et dans son coeur, est bien séparée d'elle-même ; et sans doute, si elle y persévère, elle deviendra un petit Jésus-Christ, c'est à dire une sainte copie de ce divin original.

Je ne m'éloigne point de mon sujet quoique je fasse quelques répétitions qui semblent m'en écarter. Achevons donc, et disons que si la victime ancienne qu'on immolait eut été capable de raison et qu'on lui eût demandé son motif en tout ce qu'elle faisait, soit en se nourrissant ou autrement, elle aurait répondu que, comme victime, elle était destinée au sacrifice, et par conséquent qu'elle ne vivait que pour mourir, qu'elle ne respirait en tous ses moments que la mort. Et pourquoi la mort ? pour protester par ma destruction, dirait-elle, de la Souveraineté infinie de l'Etre divin.

Et voilà ce que Jésus-Christ fait dans l'Hostie et ce que nous devons toutes faire à son imitation. Voilà son état et sa disposition au regard de la Majesté suprême de l'Etre infini de Dieu son Père.

Et, il n'y a point de mal de le répéter encore pour nous le mieux imprimer, oui, il s'est rendu l'esclave des pécheurs. Il s'est fait leur caution et leur pleige, il s'est réduit comme dans un double néant, se revêtant des misères de l'homme. Et pour le dire en un mot : en se chargeant de nos crimes, il s'est fait comme criminel, sans s'être voulu exempter en rien de tout ce que le péché mérite de douleurs et d'humiliation.

Voyons donc là-dessus, mes soeurs, vous et moi, qui devons nous rendre des copies, qu'est-ce que nous ne devons point faire ! Sans doute, des abaissements si étranges en Jésus, nous doivent faire écrier dans un profond étonnement, qu'il est bien vrai ce que St Jean dit : que Dieu a bien aimé le monde de lui donner son Fils unique, non seulement comme son libérateur, mais aussi comme son esclave, puisqu'il le réduit à porter le poids effroyable du péché ; et que par cette charge il se soit donné en proie à la Justice divine jusqu'à ce qu'elle soit pleinement rassasiée en lui.

Oh ! si l'on pouvait comprendre ce que c'est que l'abomination du péché ! Il faut bien qu'il soit terrible, puisqu'il a fallu, de néces sité, qu'un Dieu s'anéantît pour le détruire, et nous mériter la grâce de nous en séparer et rentrer dans son amitié.

Voilà ce qu'il est venu faire sur la terre, et ce qu'il continue de faire dans le Très Saint Sacrement. Il y est adorant, il y est aimant, il y est exaltant Dieu son Père ; mais disons qu'il y est souffrant, qu'il y est méprisé, qu'il y est oublié de la plupart des hommes, qu'il y est profané, et trop souvent réduit à la puissance de ses ennemis, qui le traitent, dans ce Mystère, d'une façon épouvantable. Il n'y dit mot, il ne s'y plaint point, il y souffre les indignités des pécheurs, les exécrations des impies, et pourquoi ? C'est qu'il y est en qualité de victime, qu'il y est mort, et mourant tous les jours, par la continuation de son divin Sacrifice.

Voilà donc quel est l'état que nous devons porter aussi par un abaissement de tout nous-même devant l'infinie Majesté de Dieu, et par la reconnaissance de notre double néant, et des humiliations, hontes et confusions que nous devons porter pour nos péchés et pour ceux de nos frères.

Ce dernier point nous chargerait de toutes sortes de douleurs, d'abjections, et de tout ce que le crime mérite, si nous le pouvions porter ; or voyons jusqu'à quelle destruction nous devrions être réduites : cela ne se peut exprimer. Quelle perte de nous-même ! quel rebut à soutenir du côté de Dieu ! Car, étant pécheresses, chargées de nos propres crimes et de ceux des autres pécheurs, devrions-nous attendre un traitement gracieux ?

Oh ! celles-là ne l'entendent pas, qui s'attendent de trouver sous le titre glorieux de victime, des délices de la vie intérieure ; qui croient qu'elles n'ont qu'à avoir la corde au col et la torche en main pour être reçues en amour et admises à la table du Seigneur ; qui croient qu'elles ne sont pas dans la disposition qu'il faut être, si elles ne se sentent favorisées de quelques goûts, ou lumières, qui les assurent que leur affaire est en bon ordre, et que Dieu se plait dans leurs dévotions ; qu'il les agrées et y prend ses complaisances, ou du moins ne leur témoigne point de mécontentement.

Oh ! vous vous trompez ! Depuis que vous avez pris la résolution d'être victime, que vous avez mis la corde au col, n'attendez plus de la part de Dieu que des foudres, des tonnerres, des orages, et des traitements rigoureux.

Vous êtes pécheresses, mes soeurs, en vous et en vos frères. Vous vous êtes sacrifiées pour en obtenir le pardon et réparer, s'il est possible, la gloire qu'ils dérobent à Dieu. Vous faites ce que Jésus a fait, quoique sans doute d'une manière infiniment dissemblable, vous devez donc vous résoudre d'être traitées comme lui. Ce ne sera pas dans l'infini — vous n'en n'êtes pas capables — mais selon le plaisir de Dieu et jusqu'au degré qu'il faudra pour satisfaire sa Justice.

Voilà ce qu'il faut soutenir ! De l'exprimer : cela serait difficile, il faudrait faire autant d'états différents qu'il y a d'âmes qui lui sont

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consacrées, parce que chacune en porte des effets particuliers. Et quoique dans la maison du Très Saint Sacrement toutes les religieuses y soient vouées en qualité de victimes, il est vrai — et je le puis dire — qu'aucune n'a ressemblance d'état ; chaque âme a la part que Jésus-Christ lui donne ; et cela se fait selon sa sagesse divine, qui sait et connaît la portée et la force de chacune, qu'il a destinée de toute éternité à porter cette petite portion de ses sacrés et douloureux états. Il est même — dans la divine Eucharistie — appliqué actuellement aux âmes qui lui sont ainsi consacrées, pour leur en mériter la grâce, pour les y faire entrer et pour les y soutenir, et c'est ce qu'il fait incessamment.

Oh ! que si l'on savait les secrets des voies de Dieu dans la conduite des âmes ! l'on se garderait bien de murmurer, de se plaindre et de s'inquiéter des dispositions de peines, de souffrances, de tentations et d'humiliations ; que si l'on y portait un peu de foi et de patience, cela ferait découvrir des merveilles infinies que je pourrais nommer « mystères » ; et pour en parler un peu à fond, il faudrait autant de volumes qu'il y a de conduites, tant il est vrai que tout y est différent, et que Jésus-Christ s'y fait adorer et participer à ses états en une infinité de manières, et toutes très sanctifiantes, quoique très humiliantes.

Il ne m'appartient pas d'en dire davantage. Il ne faut pas que les hiboux parlent de la lumière, puisqu'ils ne savent ce que c'est ; ainsi une âme qui n'a point d'entrée ou de vie en Jésus-Christ ne doit point parler de son amour souffrant, sanctifiant et jouissant dans les âmes.

ELLE POURSUIT LE MEME SUJET S'ADRESSANT TOUJOURS A SES RELIGIEUSES

Quand je considère le bonheur infini, mes soeurs, d'être filles de l'adorable Eucharistie, je n'en puis revenir comment cela s'est pu faire par les mains impures de la plus chétive créature de la terre !

Plus je considère cet ouvrage très petit aux yeux des hommes, plus je le trouve grand dans la lumière de Dieu. Penserez-vous pas que je l'exagère à cause qu'il semble que j'y aie quelque part ? Non, non, je le puis dire avec sincérité : toute la grandeur de cet ouvrage tire son excellence et son prix de Jésus anéanti sous l'Hostie. C'est une production de son amour, une émanation de l'état qu'il y porte, qui doit produire dans nos coeurs des effets admirables, mais que nous ignorons, faute de nous rendre à ce divin Mystère dans la pureté d'un saint dégagement. Oh ! que de choses merveilleuses Jésus prétend faire dans les âmes qu'il a choisies pour ses victimes !

Une des plus prodigieuses c'est, mes soeurs, de nous faire vivre de sa vie. Il est dans ce Sacrement pour y être mangé de nous, et pour nous nourrir et substanter de lui ; et son dessein est de se rassasier de nous pour son plaisir.

Comment est-ce qu'il s'en nourrit ? En le mangeant mes sœurs : il nous mange, et étant dans nos poitrines nous sommes dedans son coeur.

Il vit en nous selon la vie que nous lui donnons ; car de même que nous pouvons lui donner la mort par le péché, de même nous lui donnons la vie par notre fidélité ; et nous voyons par expérience — selon la différence des états et des dispositions des âmes — qu'il est vivant admirablement en quelques unes et languissant en quelques autres.

Donc notre soin, notre vigilance, notre amour et notre fidélité, le fait vivre plus ou moins vigoureusement. Il est donc à notre pouvoir, mes soeurs, de faire vivre Jésus en nous ? Oui, par sa grâce.

Mais il y a encore une autre sorte de vie dont il est vivant en ses chers amis, de laquelle vie je voudrais ardemment qu'il vécut en nous, parce que cette vie lui est infiniment glorieuse, et qu'il reçoit plus de gloire d'une âme dans laquelle il vit de cette vie, que dans les royaumes entiers où telles âmes ne se rencontrent point.

Quelle est donc cette précieuse vie ? Je ne la puis exprimer, mes soeurs. Et quoique les Pères en disent ce qu'ils peuvent, en montrant l'union étroite qui se fait de Dieu en nous par ce divin Sacrement, la manière et les effets de cette vie sont trop ineffables pour s'en

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pouvoir bien expliquer. Ce que je puis dire sans exagérer, ni sans être soupçonnée de faiblesse et d'imagination : c'est de cette vie, mes soeurs, sans m'en expliquer davantage, que Jésus mon Sauveur demanderait de vivre en vous. Je sais bien que c'est un effet de sa puissance et que les serviteurs de Dieu la tiennent pour miraculeuse quand ils la rencontrent dans un sujet.

Ce miracle n'est pas rare en Jésus-Christ, puisque c'est son dessein et qu'il n'a institué son auguste Sacrement que pour cela. Et l'admiration de ces grands hommes devrait être principalement de trouver, après cela, sur la terre si peu d'âmes qui se veuillent rendre capables de la recevoir en se séparant totalement de la terre et d'elles-mêmes.

Mais pour moi je regarde une âme séparée d'elle-même comme un prodige, comme une merveille de la grâce, comme un chef d'oeuvre de la main puissante de Dieu. Et pourquoi ? Parce que je vois tous les jours davantage que nous tenons si fort à nous-mêmes, que l'on ne trouve quasi personne assez généreux et assez adhérent aux desseins de son Dieu pour se crucifier et renoncer jusqu'à ce point.

Pleurons, mes soeurs, pleurons ce malheur extrême, pleurons de voir une vie divine négligée dans la sainte Eucharistie. Pleurons de ce que Jésus ne trouve personne pour la recevoir. Mais pleurons sur nous-mêmes, puisqu'étant ses enfants et les héritiers de cette divine vie, nous ne nous mettons point en état de lui donner ce contentement de la produire en nous.

O si nous en savions la dignité et l'excellence ! nous mourrions de douleur et de regret d'avoir jamais employé nos mouvements, nos soins, et nos respirs à autre chose qu'à aspirer ardemment et continuellement à ce bien infini.

Il me semble que j'entends la voix adorable de ce divin prisonnier d'amour qui nous crie du fond du tabernacle : c'est à vous mes enfants à qui je dois laisser mes trésors en héritage. C'est à vous, qui êtes consacrées à mon amour et pour porter les intérêts de ma gloire, d'entrer en partage des opprobres et des mépris que je reçois. Vous vous donnez à moi en me sacrifiant vos vies, et je veux me donner à vous, pour vous faire vivre de moi-même.

Oui, mes soeurs, il me semble que Notre Seigneur, dès cette vie présente, veut nous récompenser de ce très chétif sacrifice que nous lui faisons de nos vies, pour l'honneur de son divin Sacrement. Il nous fait la grâce de nous admettre à sa table — et je dis plus dans son sein paternel, et ne veut point que nous ayons d'autres richesses que lui.

O que trop est avare à qui Jésus ne suffit dans la sacrée Eucharistie ! Si je vous demande, mes soeurs, si vous voulez d'autres trésors, vous me direz de bon coeur que vous méprisez tout le reste, et que, pourvu que vous mangiez la chair d'un homme-Dieu, vous ne craignez pas de mourir de faim. Mangeons, mes soeurs, ce pain adorable, mais après en être rassasiées ne demandons plus les grasses marmites de l'Egypte.

C'est un Pain qui contient la vie en soi. Or celui qui ne le mange que pour la vie ne cherche pas le plaisir du goût en le mangeant. Je ne dis pas que vous ne savouriez ce pain divin puisqu'il est d'un goût et d'une saveur admirables, mais ne le savourez pas de vos sens. Ils sont incapables de la délicatesse de ce goût précieux. Savourez-le par la foi pure et nue et vous expérimenterez qu'il a le goût de Dieu vivant.

Le mangeant de cette sorte vous aurez la vie en vous ; mais il la faut conserver en vivant dans toute la perfection qu'il vous sera possible, et singulièrement en ces points suivants où la faiblesse nous traîne plus ordinairement :

Ne jamais contrarier, contester, ni soutenir son sens.

Ne jamais se préférer à qui que ce soit, ni rechercher l'estime, ni d'être considérée ou honorée d'aucune créature.

N'admettre aucune affection dans son coeur qui nous puisse séparer un moment de Dieu. Il y a des affections, mes soeurs, qui nous lient à Jésus-Christ, et celles-là ne sont point préjudiciables. Mais ne vous y trompez pas, car pour bien connaître si une amitié est sainte : elle ne doit causer aucun mauvais effet dans l'esprit, ni trouble, ni inquiétude.

N'avoir jamais volontairement le moindre rebut ou mépris pour personne. Aimer chèrement les faibles et les pécheurs, puisqu'ils coûtent doublement à Jésus-Christ.

Aimer tendrement votre prochain et singulièrement vos soeurs. Mais avec une sainte et cordiale affection, avec une sainte tendresse, vous souvenant du commandement de Jésus, de vous aimer les unes les autres du même amour qu'il vous aime et que vous l'aimez, afin que sa prière soit efficace en vous. Qui sera la malheureuse qui s'opposera à la grâce de cette prière ! C'est un Dieu qui prie un Dieu — si cela se peut dire —. Enfin : ce sont les souhaits de Jésus-Christ, et comme vous êtes choisies pour porter en vous d'une manière particulière les effets de son Sacrement, le plus important est que ses paroles divines soient reçues en vous et qu'elles soient, par vos fidélités, rendues efficaces.

Puis donc mes soeurs, que vous êtes les Filles de l'Eucharistie, je vous conjure par ce glorieux titre de ne vous en point démentir. Ne soyez point indifférentes à ce bonheur, mettez-vous en état de contenter votre Père et de lui donner le plaisir de verser sa vie dans vos coeurs. Donnez-lui ce que presque tout le monde lui dénie : la souveraineté sur tout ce que vous êtes, par un empire absolu, mais sans compliments ! Etudiez-vous à le servir et à lui complaire, chassez les créatures hors de vous.

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Vous êtes des Filles Royales, mais qui ne tirent leur gloire que de Jésus caché dans l'Hostie et comblé de honte et de mépris. Oui, mes soeurs, votre magnificence royale sont les opprobres de votre divin Père. Vous savez comme il est tous les jours traité dans ce sacré Mystère, et combien il est profané, négligé et inconnu. Très peu de personnes l'y adorent, très peu lui croient solidement. La foi est presque morte dans les coeurs. Vous en voyez très peu qui en soient animés.

Cependant Jésus-Dieu est là tous les jours et les nuits. Pourquoi donc, mes soeurs, si ce n'est pour vous qui l'y êtes allé chercher, croire et adorer ? Oui, pour vous, et je puis dire avec certitude de vérité qu'il est dans ce tabernacle plus pour vous que pour tout le monde, puisque ce monastère s'est fait pour vous y recevoir, et qu'il veut (y) être l'objet de vos continuelles adorations.

Et peut-être aucune de vous ne serait pas religieuse si elle n'était Fille du Saint Sacrement. O ! mes soeurs, cette grâce ne se peut assez estimer ! gardez-vous bien de la mépriser, voire de la tant soi peu négliger, elle est d'un prix et valeur infinis. Heureuse l'âme qui en connait l'excellence et qui la reçoit avec l'amour et le respect qu'elle doit.

Mais si vous êtes les Filles de ce Mystère divin, où sont, mes soeurs, où sont les rapports que vous avez à votre Père ? Où sont vos appartenances ? vos dépendances et vos relations ? Un enfant tient tout de son père : les moeurs, les inclinations et le reste. Voyez si vous les trouvez en vous ?

Quelles sont les inclinations de Jésus ? O mes soeurs, vous les savez : la soif brûlante des mépris, des pauvretés et des souffrances, voilà ce qui paraît le plus dans sa sainte vie. Mais dans la sainte Eucharistie, hélas quelle pauvreté ! quelle douleur et mépris ! Car, quoique d'une manière il soit impassible, de l'autre disons qu'il ne laisse pas d'y souffrir un traitement effroyable des pécheurs par leur mépris.

Pour la pauvreté : elle y est manifeste, et vous le savez sans qu'il soit besoin de l'exprimer ici. Disons seulement, mes soeurs, que notre principale obligation est d'y avoir liaison et rapport et qu'il nous est impossible d'être victime de sa Justice pour ses profanateurs, sans avoir relation à sa vie souffrante et abjecte.

Accomplissez ces choses avec courage, fidélité et persévérance, et vous serez bientôt ornées des autres admirables perfections que Dieu donne à l'âme pour la rendre capable de recevoir sa vie divine et de vivre de la même vie qu'il vit en lui-même.

O profondité inouïe ! Il s'en faut taire, et me renfoncer dans mon silence. J'en ai trop dit, mais j'abandonne le tout à la sacrée Providence de Jésus-Christ.

SUITE DE LA MÊME RETRAITE

O quel abîme ! Il n'y a rien de si surprenant ! Tout parait perdu. Rien, Rien, Rien, Rien, et tout Rien ! La nudité est si grande qu'on s'étonne comme l'âme se peut soutenir.

Si elle était sensible, elle mourrait de douleur. Mais elle ne se peut mouvoir, ni désister, ni vouloir aucune chose.

Tout parait mort et tout dépend du souffle de Jésus-Christ.

Il est impossible à l'âme de trouver en sa vertu et capacité un souffle de vie. Ce sont des morts éternelles qui attendent leur résurrection de la pure puissance et bonté de Jésus-Christ, sans que l'âme y puisse contribuer à la moindre chose. L'âme voit cette mort clairement, et d'autres fois elle est capable de trouble ; mais quoiqu'il lui arrive différentes dispositions, la mort est toujours en fond.

Il y a ici quelque chose de semblable au grain de froment qui tombe en terre, y meurt et y pourrit. Mais dans le fond de sa propre pourriture il y a une vie végétante qui s'y conserve et qui n'est point aperçue car le grain paraît pourri. Cette vie végétante est une vertu productive qui se trouve dans toutes les plantes et qui leur donne vie.cxxvii Il est encore plus vraisemblable dans une âme morte et comme toute pourrie et abîmée dans sa propre infection — je n'entends point parler des âmes mortes par le péché, ains de celles dont il est dit dans l'Ecriture « Beati mortui in Domino... » — elle est morte, elle n'a plus de vie, mais plus elle pourrit, plus elle est corrompue et par conséquent infecte et insupportable (ô secret merveilleux que je vois comme le jour qui m'éclaire !) : dans le fond de cette mort, pourriture et infection, il y a un germe de vie que l'on pourrait dire « un fond de vie » qui, en vérité, n'est point par la vertu de l'âme, ni par quoi que ce soit de sa production ou capacité, mais par la pure miséricorde divine : et ce germe ou fond de vie, n'est autre chose que Jésus-Christ lui-même. Ce n'est point une grâce, ou participation de quelque faveur. Il faut dire que c'est Jésus-Christ, qui est, dans ce fond misérable comme vie et centre de vie, mais vie, essentiellement vie ! Je dis : vie, et ne puis dire autrement, parce que je n'ai pas de terme pour mieux exprimer ce que je comprends.

Et je dirais volontiers une chose surprenante à plusieurs, que, comme le grain de froment ne fait aucune coopération à sa renaissance ou à sa nouvelle vie que de se laisser en terre et pourrir, de même, l'âme doit demeurer ainsi ensevelie dans la terre de son néant et de sa propre corruption, attendant avec une patience éternelle — c'est à dire : prodigieuse — le point de la Résurrection. Car ce germe de vie caché en elle — sans qu'elle le découvre en ce

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temps-là — ne peut perdre sa vie dans cette terre parce qu'il est Vie « Ego sum vita » et essentiellement vie ; et que si l'âme, par le péché, n'étouffe et n'arrache ce germe précieux de vie, il poussera et fera une naissance prodigieuse en l'âme.

Mais il faut remarquer que le grain de froment est demeuré pourri dans la terre, et qu'il n'y a eu que son germe qui a produit. De même, l'âme demeure comme ensevelie, pourrie et perdue dans la terre de son néant ; et ce germe de vie, Jésus-Christ, pousse et produit en l'âme, choses ineffables et qui ne se peuvent dire.

Il faut donc que l'âme demeure toujours dans sa mort, jusqu'à ce qu'elle soit passée en Jésus-Christ comme en la source de sa vie. Le grain de froment est la comparaison que le Fils de Dieu nous a donné en l'Evangile, et il se l'approprie à lui-même.

Il n'y a donc rien à faire ici qu'à souffrir sa mort et sa pourriture. Voilà tout le secret de la vie intérieure, qui donne tant d'emploi aux esprits, qui fait composer tant de livres et qui, le plus souvent demeurent courts dans leurs lumières et productions, chargeant les âmes de mille pratiques ou intelligences humaines qui les éloignent de la simplicité de Jésus-Christ.cxxviii

Je crois qu'une âme ferait bien, quand elle le peut, d'adorer Jésus-Christ comme vie en elle, comme sa vraie vie et le centre de sa vie ; et qu'elle s'expose à ce soleil divin pour qu'il échauffe cette terre, afin qu'elle produise ; et qu'elle dise avec l'Eglise : « Rorate coeli desuper... et aperiatur terra... »

Je dis ceci pour celles qui ne sont point encore dans la totale perte et mort d'elles-mêmes. Mais, quand l'âme est ensevelie dans sa pourriture, il n'y a plus de loi à lui donner ; tout dépend de la pure bonté et miséricorde de Jésus-Christ.

Elle n'a plus de puissance, plus de désirs, plus d'ardeurs, plus d'inclinations, plus de volonté, plus de prétention, plus de mouvements ; si je l'ose dire : tout paraît réduit à la mort. Jésus-Christ fait en cette âme ce que son divin Esprit fit dans la vision du prophète — qui souffla sur ces ossements de morts et chacun fut animé d'une nouvelle vie.cxxix De même si son plaisir est de souffler et de produire, dans cette âme — comme il est en vérite — vie, elle sera heureusement ressuscitée. Mais il ne faut pas qu'elle soit ardente pour sa résurrection. C'est l'ouvrage de la Toute Puissance de Dieu de ressusciter les morts.

C'est donc la pure bonté et miséricorde de Jésus-Christ qui fera ce coup, quand et comment il lui plaira, et sans que l'âme y puisse contribuer du moindre respir, sinon de ne le point empêcher, demeurant fidèlement dans la mort : voilà ce qu'elle peut pour opérer et avancer sa résurrection.

J'ai cru souventes fois que ces paroles que Notre Seigneur dit en son Evangile « In patientia vestra... » étaient appliquées à cette mort.

Il faut une patience terrible, parce que, comme cette résurrection dépend de la pure miséricorde de Dieu, il lui plait quelquefois de la différer, [tellement] que l'âme perd quasi l'espérance de la jamais recevoir. Je crois même qu'elle ne s'opèrera qu'à la mort corporelle en de certaines personnes ; et cela par une sagesse admirable, pour le bien de telles âmes, qu'il faut tenir dans ces cachots ténébreux, autrement elles se perdraient si elles apercevaient ce grand jour.cxxx Ce soleil en son brillant et cette clarté éternelle leur ferait perdre la vue. Elles ne le pourraient soutenir ayant trop de faiblesse.

Cela est vrai qu'il y a des âmes qui demeurent [de] longues années dans la mort, quelquefois cela vient de ce que la mort n'est point achevée, qu'il n'y a que des morts apparentes en quelques points, et non pas au total ; et comme la nature est effroyable dans sa propre vie, et qu'elle a des adresses presque infinies, il faut longtemps souffrir ces assauts et ces combats, premier que de la pouvoir réduire.

Je voudrais que chaque âme qui, par la grâce de Notre Seigneur, sent en elle-même cette loi de mort, portât gravé dans son coeur et sur son bras : PATIENCE. Il la faut si grande que, quand je dis des années entières, on ne me croirait point.

Quant à la vie divine que Jésus-Christ produit en ces âmes ainsi mortes et pourries, elle est au degré qu'il lui plait de le manifester : à quelques unes plus, à d'autres moins. Mais pour peu qu'Il se donne, c'est trop, et infiniment plus qu'on n'oserait espérer jamais ; car les moments de la plus petite parcelle de cette vie sont si précieux, qu'il faudrait souffrir tous les martyres imaginables pour avoir la grâce de la posséder au plus petit point que Notre Seigneur la voudrait donner. Mais sachez pour toujours que c'est le don de Dieu, et qu'il n'est acheté que par la mort ; il n'y a point de monnaie sur la terre capable de son prix et de sa valeur.

Demeurons donc dans cette absolue nécessité de mort, et mourons de nuit, de jour, et en toutes occasions ; mais plus encore au dedans de nous-mêmes, où notre propre vie tient son soutien d'une étrange sorte.

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VOICI ENCORE UNE SUITE DE LA MÊME RETRAITE SUR LA VIE CACHÉE EN JÉSUS-CHRIST

Il est vrai, vous ne l'ignorez point, que votre condition vous oblige à vivre désormais dans un perpétuel état de mort, vous en avez fait un serment solennel et irrévocable. Il n'y a point de rappel ni de dispense de cette obligation.

Il faut vous assujettir à la sentence que St Paul vous énonce de la part de Dieu : VOUS ÊTES MORTES ET VOTRE VIE EST CACHÉE EN JÉSUS-CHRIST. Si votre vie est ensevelie dans Jésus, vous ne devez plus paraître avoir aucun mouvement de vie. Jésus seul doit paraître vivant en vous, puisqu'en vérité II est l'unique vie et source de vie. Et c'est faire un affront à ce principe de vie et une injure insupportable et qui mérite des châtiments infinis, que d'empêcher un moment cette divine vie. Il vaudrait mieux descendre aux enfers que de la faire cesser un instant.

Cela supposé, il est question de savoir comment votre âme doit demeurer cachée et toute ensevelie en Jésus-Christ, et vivre de cette vie de mort ? Je ne suis pas capable de parler de cet état, mais je vous dirai simplement, pour m'acquitter de mon obligation, que vous devez porter un esprit d'anéantissement en tout et partout, sans choix, sans désirs, sans affections, sans desseins, et sans aucune volonté que d'être uniquement à Jésus-Christ. Mais sans activité, sans empressement, sans inquiétude et sans impétuosité de votre propre esprit ; portant actuellement dans l'intime de votre coeur une propension et épanchement, et une possession amoureuse de Jésus en vous par une disposition de pure foi, vous laissant abîmer en Lui comme un petit ruisseau qui s'écoule dans l'océan, vous laissant ainsi ensevelie et comme toute engloutie sans ressource.

Vous perdant vous-même de cette sorte, vos intérêts se perdront aussi, et rien de créé ne vous pourra tirer de ce bienheureux centre.

Vous êtes mortes parce que Jésus-Christ est vivant ! La vue continuelle de votre rien vous tient dans la mort très facilement, si vous êtes fidèles à suivre le trait qui se fait ressentir dans le fond de l'âme. Et vivant ainsi, l'on peut dire que vous ne vivez point.

O heureuse mort qui donne la vie à Jésus ! Jamais il n'est si glorieux en nous — quelqu'amour que nous ressentions pour lui qu'en le faisant vivre de cette sorte. L'âme dans cet état porte tout et soutient tout, Jésus vivant uniquement en elle. Et il suffit pour tout : de mourir incessamment.

Il faudrait réduire cet état à quelque simple pratique qui puisse faciliter l'âme à y demeurer actuellement. Je prie Notre Seigneur qu'il donne lumière à quelque personne pour en dresser un règlement à cet effet, pour celles que Dieu y appelle. Je me contenterai de dire que : [1] vous devez faire un fréquent usage d'un saint recueillement ; non seulement un silence de la partie extérieure, mais un silence d'esprit avec vous-même et les créatures.

2e Un abandon de tous vos intérêts, tant intérieurs qu'extérieurs, à Jésus-Christ, vous remettant de tout ce qui vous regarde à son aimable Providence.

3e Une exactitude à toutes vos observances. 4° Ne jamais rien faire par votre esprit.

5e Ne vous jamais soutenir en vous-même ni en autrui, s'il n'y va de la pure gloire de Dieu. Ce point est délicat, et la nature s'y trouve souvent couverte des intérêts de Dieu.

6e Ne tenez rien de créé dans votre esprit volontairement, si la charité du prochain ou l'obéissance ne vous y oblige, pour vous acquitter, de ce qu'elle vous ordonne, fidèlement.

7. Conserver votre paix. Ne jamais, ni pour qui, ni pour quoi que ce soit, ne vous laisser préoccuper d'une chose qui peut troubler tant soit peu le calme de votre intérieur.

8` Chercher toutes les occasions de vous sacrifier à Notre Seigneur, en toutes les croix et contradictions de Providence ; ne vous justifiez point si vous n'y êtes obligées ; mourrez toujours avec Jésus-Christ.

9e Lorsque ceux ou celles que Dieu établit sur votre conduite, vous demanderons l'état de votre intérieur, répondez leur fort simplement et sans crainte ou considération humaine.

***

Le langage des mystiques est fort malaisé à entendre pour ceux qui ne le sont pas.

C'est une théologie qui consiste toute en expérience, puisque ce sont des opérations de Dieu dans les âmes, par des impressions de grâces et par des infusions de lumières ; par conséquent l'esprit humain n'y pourrait voir goutte pour les comprendre par lui-même.

Ce « Rien » dont Notre Mère parle avec tant d'admiration se trouve de cette nature. C'est, sans doute, un dépouillement de l'âme effectué par la grâce, qui la met en nudité et en vide, pour être revêtue de Jésus-Christ, et pour faire place à son Esprit qui veut venir y habiter.

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Mais nous pouvons dire encore que la nature, par elle-même, ne peut arriver à cet état. Il n'appartient qu'à Celui qui a su, du rien, faire quelque chose, la réduire de quelque chose comme à Rien, non pas par son anéantissement naturel, mais par un très grand épurement de tout le terrestre, où il la peut mettre.cxxxi

Mais comme ce n'est pas ce dont nous devons parler ici, et qu'après ce qu'elle en explique il serait même ridicule de l'entreprendre ; soit parce qu'il n'appartient pas — comme on dit — aux aveugles de juger des couleurs, [soit] que, parce qu'elle en dit tout ce qui s'en pourrait jamais dire, nous nous arrêterons seulement à faire faire une réflexion au lecteur, en suite de tous ces beaux Ecrits.

C'est : s'il pourrait douter encore, après tout cela, que cette grande maladie de la personne qui les a faits, ne fut une maladie surnaturelle. En vérité, voit-on en une mourante de mal naturel, cette force, cette netteté, et cette sublimité d'esprit ? Lui voit-on la vigueur d'écrire tant et si longtemps ? La voit-on se guérir, naturellement, par une privation générale — comme cela — de tous soulagements humains, par une application entière de son esprit à des choses fort élevées : par oraison continuelle, par un jeûne absolu, et par une absolue solitude, comme celle-ci ? Cela ne se pourrait pas, sans doute, puisque les maladies naturelles ont besoin d'une conduite toute opposée à celle-là ; et comme elles affaiblissent entièrement le corps, elles réduisent en même temps l'esprit, duquel il est l'organe, dans une impuissance entière d'agir, et dans un désir extrême de recevoir du secours, et non pas de s'en éloigner, comme cette Mère fit.

Et nous devons encore faire remarquer que, pendant cette longue maladie, elle ne cessa jamais d'agir aux affaires ; en faisant plus à elle seule que quatre personnes ensemble, en bonne santé, n'eussent su faire car ce fut dans ce temps-là que l'Institut commença, ce qui lui taillait bien de l'ouvrage, comme nous avons déjà vu.

Que donc le lecteur conclue avec nous que cette maladie était une opération divine, et que Dieu tout puissant l'associait en effet par état à l'état de notre Rédempteur, son Fils, fait victime de sa Justice, comme nous avons vu encore ailleurs. Par conséquent, que l'on respecte cet Institut, le regardant comme l'oeuvre du Seigneur, et que l'on ne doute pas que cette Mère n'ait eu mission et vocation très expresse pour l'entreprendre.

Voyez comme elle parle dignement de cet état de mort où ce mystérieux « rien » réduit l'âme ! Ensuite : de la vie divine qui en résulte, vie cachée en Jésus-Christ et qui transforme la créature en Lui.


[photo ms.]

IV et V. — Lettre de Mère Mectilde à Mère François de Paule, Prieure du second monastère de Paris, rue Neuve-Saint-Louis. Mademoiselle Corneil dont parle la lettre est la fille de Pierre Corneille qui ne put faire profession qu'en 1718 au monastère de Rouen.

Lettre autographe aux archives du monastère de Paris.

REFLEXION

Voici un autre Ecrit de la même Mère, que nous allons mettre, bien qu'il ne soit pas une suite des précédents. Mais, comme en celui-ci elle donne, en une manière un tableau raccourci, ce que c'est que d'être victime du Saint Sacrement, le renfermant dans l'amour du mépris, nous avons jugé qu'il serait grandement utile, parceque, par sa brièveté, il peut faire plus d'impression dans les esprits, et peut être plus facilement emporté par la mémoire.

Elle le fit à la prière d'une de ses filles qui désirait la perfection. Et nous pouvons dire, en passant, que cette idée de victime qu'elle leur donne partout a produit ce bon effet de les guérir, ou plutôt, de les préserver, de deux tentations très ordinaires aux filles, qui retardent souvent leur avancement spirituel : la tendresse sur elles-mêmes et la conservation de leur santé, et l'amour d'être flattées et applaudies ; parce que comme celles-ci n'ont à se proposer que la destruction d'elles-mêmes par la mortification, les pénitences, et l'amour du rebut, pour remplir dignement leur perfection de victime ; et bien loin de s'arrêter pour ces choses, qu'au contraire elles les regardent comme les vrais moyens pour les faire arriver à leur fin. Si bien qu'on les voit toujours contentes, passant par dessus tout. Cela est courir incessamment dans la voie pour ne s'arrêter qu'à Dieu seul.


DE L'AMOUR DU MÉPRIS

Le propre de l'inclination de la créature est de paraître, et le propre de la grâce c'est de se cacher et de s'anéantir.

L'amour propre veut être considéré et faire quelque chose qui occupe les esprits et le fasse admirer ; et la grâce des victimes du Saint Sacrement c'est de fuir et s'abîmer dans la petitesse, le mépris et le néant.cxxxii

Quelle apparence qu'une victime voie son Dieu sacramenté foulé aux pieds, inconnu et caché, et vouloir être estimée, et paraître ce qu'elle n'est point !

Jamais une victime ne doit chercher sa louange, sa satisfaction, ni sa justification quand on la méprise.

Une Fille du Saint Sacrement ne doit point savoir ce que c'est : d'honneur, de louange, de gloire, estime, élévation, etc... d'elle-même. Elle ne doit jamais avoir plus grande honte que lorsqu'on la tire de son néant, qu'on la produit et qu'on l'exalte ; car comme sa vie est

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d'être inconnue, oubliée et cachée à toutes les créatures comme Jésus-Christ l'est dans l'Hostie, de même, elle ne peut et ne doit porter le contraire qu'avec une extrême crucifixion.

Que pensez-vous que ce soit d'une victime du Très Saint Sacrement ? C'est une pauvre condamnée, qui n'attend que la mort ; son arrêt est prononcé au moment qu'elle se fait victime. Elle n'a plus rien parmi les créatures, que la honte et l'opprobre, et tout ce qu'il y a d'humiliation lui doit appartenir.

La plus cruelle croix d'une vraie victime c'est d'être tirée de son cachot, et d'être mise en honneur parmi les peuples. Fuyons donc, nous autres qui avons la grâce d'être les victimes de Jésus, fuyons toutes les élévations de la terre. Réjouissons-nous quand les autres sont louées, estimées, et qu'elles sont sur le trône de gloire et d'exaltation ; mais pleurons des larmes de sang si nous étions assez malheureuses que d'être en quelque considération dans les créatures.

Il ne faut jamais sortir du néant où Jésus anéanti dans l'Hostie nous a fait l'honneur de nous introduire.

Fuyons la réputation, fuyons la gloire, fuyons tout ce qui peut faire tort à la grâce du sacré et précieux état que nous portons. Il ne faut point de prétexte, il ne faut point d'excuse ; fuyons, fuyons les créatures si nous voulons devenir une même chose avec Jésus. Leur plus petit souffle est un poison pour nous.

0 que la pureté de l'amour divin est délicate ! peu de chose lui fait obstacle, et malheur à l'âme qui s'oppose à la sainteté de son opération ! Ne croyez pas qu'il se communique facilement à toutes sortes de personnes. Non, non, il faut être solitaire, non du corps seulement, car plusieurs le sont et vivent imparfaitement, mais solitaire de coeur, qui n'est autre chose qu'une séparation entière.

Fuyons donc les créatures, mais fuyons-nous nous-même : fuyons nos humeurs, fuyons nos inclinations, fuyons nos propres pensées, fuyons nos désirs, fuyons nos affections. Fuyons nous nous-même en tout, comme une peste qui étouffe en nous l'amour divin. Fuyons notre raisonnement, fuyons notre propre esprit, fuyons nos sens.

Et j'atteste aux pieds du Seigneur que nous le trouverons pleinement, qu'il se communiquera à nous sans réserve, et que nous n'aurons plus de sujet de nous plaindre de nos ténèbres, de nos impuissances et de nos pauvretés.

Voici la devise que cette très digne Mère avait prise pour elle-même, comme l'Epouse des Cantiques, car elle ne nous enseigne rien qu'elle ne pratique la première :

OPPROBRIIS ME FULCITE PUDORE CONFUSIONE QUE ME STIPATE QUIA AMORE LANGUEO

SUR LA SAINTE COMMUNION

Il serait à désirer que quelque personne voulut parler du sacrifice adorable et ineffable que Jésus-Christ Notre Seigneur exerce dans une âme au temps de la Sainte Communion, de ce qui se passe dans ce fond infini et des dispositions qu'elle doit avoir pour n'être point opposée à ce précieux Mystère qu'il opère si divinement.

Pour moi, je n'ai pas la grâce et la lumière d'en parler. Il faudrait avoir été introduite dans le Sancta Sanctorum de l'âme, où ce Dieu de Majesté réside et fait ses prodigieux effets. Tout ce qui s'en peut dire, c'est que je crois qu'il y a des mystères qui se passent dans la Sainte Communion que les âmes même qui communient n'entendent point.

Ce n'est pas que, s'il faut parler des préparations nécessaires, j'avoue qu'il en faut faire et qu'il faut exhorter surtout ces âmes qui commencent d'entrer dans la vie intérieure, à s'y bien disposer ; mais, s'il est permis de raisonner sur ce que nous pouvons faire, qu'est-ce que nos dispositions, nos désirs, nos ardeurs, nos affections, nos souhaits et tout le reste, quoiqu'ils paraissent bons ? Hélas ! disons que tout cela est bien indigne de la pureté et sainteté de Jésus-Christ ; que tout ce que nous produisons est souillure et part d'un fond corrompu et puant. Mais, quand il serait plus pur et plus excellent, qu'est-ce que nous sommes pour parler, pour nous produire et paraître devant l'infinie grandeur de Dieu ?

Pour moi, sans désapprouver le sentiment des autres, je crois que tout ce que pouvons faire, c'est de nous abaisser et abîmer profondément dans le fond de notre rien, l'avouer en foi — si nous ne le pouvons sentir —, et nous tenir éloignée à l'infini si cela se pouvait de cette suprême Majesté.

Ma pensée est que l'âme doit se tenir comme retirée dans son indignité, et comme si elle n'osait paraître à cause de ce qu'elle est par le péché, et se tenir ainsi perdue dans son néant, pendant que Jésus-Christ entre en elle, et qu'il y descend comme un Souverain dans son domaine, et comme celui à qui tout appartient ; le laissant, dis-je, entrer de cette sorte, et nous retirer, comme quand un Souverain monarque doit passer, chacun se retire pour lui faire place.

Ce retirement en nous-même se fait quand l'esprit s'abaisse, se confond, et se tient dans la vue de son rien et dans un sentiment d'une indignité infinie. Et les sens, de même que cet esprit ainsi abaissé et abîmé, sont interdits et n'osent s'approcher de cette auguste Majesté.

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Sur quoi vous ferez cette remarque avec moi, que tout ce qui nous gêne dans nos communions, c'est que l'esprit et les sens n'y sont point rassasiés, que le goût n'y est pas satisfait, et qu'on ne les mène point à la fête, qu'ils ne sont point introduits dans la salle du banquet, et que, pour l'ordinaire, l'esprit n'en aperçoit rien.

Mais ceci est merveilleux, quoique pénible à soutenir à l'âme qui, n'ayant encore vécu que d'une vie sensible et animale, ne sait ce que c'est que (de) la vie divine qui lui est communiquée par la sacrée Communion ; car elle se persuade que ce Pain divin est sensible, qu'il doit avoir un goût céleste, et qu'elle le doit sentir et s'ennivrer des délices qu'il contient en soi, et que tant de belles âmes en ont savouré et reçu. Et, comme cela, elle s'y trouve étonnée quand elle n'y goûte rien.

Il faut ici un discernement, pour ne point faire de confusion à ce que nous devons dire. Il est vrai qu'il y a des âmes qui communient suavement et avec plaisir, et qui, pourtant, n'ont presque encore rien souffert pour Jésus-Christ. Celles-là sont de deux classes.

La première : est une innocence conservée depuis le Baptême, qui fait goûter quelques délices en recevant Jésus-Christ ; mais délices passagères, qui ne font quasi point d'autre effet que de conserver l'âme de tomber dans le crime.

La seconde : est des âmes qui ne peuvent servir Dieu que par ses goûts, sans lesquels elles ne satisferont point à leur amour ; comme : les pécheurs convertis et revenus dans la grâce, lesquels, ayant été voluptueux, il leur y faut du goût et du plaisir pour attirer leur ferveur, et ce Dieu tout bon leur en donne, mais ceux-là sont mercenaires.

Après ces deux classes, il y en a une troisième qui goûte aussi, mais avec bien de la pureté : ce sont les âmes toutes épurées, et qui ont passé par les fournaises des très rigoureuses conduites de Dieu, qui les ont purifiées par des excessives souffrances, peines, tentations. Et, en celles-ci, après que telle purgation est faite pleinement, Jésus-Christ produit dans leur fond et répand alors dans leurs sens des délices inexplicables.

Mais hélas ! hélas ! Avant que d'en être là, combien d'effroyables morts, et combien d'années d'agonie et de cruelles souffrances doivent-elles supporter ! Celles que Dieu a ressuscitées des morts peuvent bien vivre de la vie divine de Jésus-Christ. Mais croyez-vous que ces âmes soient bien communes ? Pour moi, je dirai volontiers qu'elles sont aussi rares que le phénix entre les oiseaux.

Pourquoi si rares ? Parce que l'on ne trouve personne qui veuille soutenir la rigueur du feu dévorant qui les doit purifier ; les extrêmes pauvretés, rebuts, destructions, et le reste qu'il faut porter, leur font peur.

Laissons là ces âmes ainsi consumées, pour parler de l'état plus ordinaire. Dans celui-ci je vois presque la plupart des âmes s'attrister, se plaindre, se tourmenter, qu'elles ne font rien à la Communion, et qu'elles ne profitent point d'une telle grâce. Et si on leur demande la cause elles diront : je n'en sais rien, je me confesse souvent, je fais une partie de ce que je puis, et néanmoins je suis toujours très misérable.

Cet état se pourrait encore partager en différents étages de ces âmes peinées en la sainte Communion ; mais il faudrait faire autant d'états divers qu'il y a d'âmes qui communient ; car les unes sont sèches par leurs infidélités, les autres sont pauvres par ignorance, et d'autres ne veulent pas prendre la peine de lire et de remplir leur esprit de bonnes pensées pour le tenir occupé.

Mais nous les devons toutes en général avertir d'une chose bien importante, c'est que, pour bien communier, il faut sans doute que l'âme fasse des diligences de sa part, et surtout se garde, autant qu'elle peut, non seulement des péchés mortels mais des véniels volontaires ; faisant son possible, de plus, pour arracher ses mauvaises habitudes d'orgueil, de vanité, etc... Qu'elle tâche de se tenir en recueillement durant la journée, se rendant fidèle aux exercices réguliers ; et qu'elle ne se laisse échapper aux occasions que la providence divine lui envoie pour pratiquer les vertus.

Observant bien ces trois points, elle se trouvera toujours très suffisamment préparée. Je ne dis pas qu'elle n'y puisse manquer quelquefois, car notre fragilité est grande, mais il faut que ce soit là son fond, et que, quand elle y aura manqué, elle y rentre au plus tôt.

Mais à ces premières, qui se plaignent de leur sécheresse, pauvretés, impuissances à la sainte Communion, et qui, faisant assez ce qu'elles peuvent, gémissent néanmoins sous la révolte de leurs sens et la faiblesse de leurs facultés intérieures, qui les laissent comme opprimer par les scrupules, peines et tentations, qui les troublent et inquiètent, leur fournissant un million de pensées terribles de toutes manières — même de réprobation et de désespoir — quel conseil leur donnerons-nous ?

Oh ! qu'il serait aisé de les soulager, si elles avaient un peu de docilité d'esprit pour croire ce qu'on leur dit, et si elles voulaient faire ce qu'on leur enseignerait ! Je ne doute point que, quoique ce ne fût pas du premier jour, ni peut-être du second, qu'elles ne trouvassent des grâces merveilleuses cachées dans le fond de leurs pauvretés et souffrances !

O si elles voulaient un peu se négliger dans cet état, et un peu s'éloigner d'elles-mêmes ! Non en s'y prenant de force, mais par une patience qui tâche de laisser passer toutes ces extravagantes pensées, impressions et tentations.

Et si elles me disent : « je ne m'en puis défaire », je ne leur dis point de s'en défaire, — car cela n'est pas quelquefois en leur pouvoir —, mais je dis d'avoir patience, parmi tant d'insolences qui se passent en elles, soit de blasphème ou d'impiété, il n'importe ! Qu'elles laissent tout cela sans l'examiner.

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Mais, me direz-vous : « je ne le puis. Je suis comme tirée à m'en occuper, et je ne puis aucunement m'en séparer ». Je veux bien que vous ne puissiez vous empêcher d'entendre leurs cris, de voir leur malice, et de sentir leurs tyrannies ; mais vous ne faites en cela que les souffrir, et ne voulez-pas vous en occuper.

« Il me semble, me direz-vous, que ma volonté semble y être engagée », mais sachez que vous avez deux volontés : la supérieure qui réside dans l'esprit, et l'inférieure : que nous appelons « appétit », et qui est bien distinguée de l'autre par les âmes qui se possèdent en fond de paix.

Ainsi il faut qu'elles aient patience, et qu'elles croient simplement ce qu'on leur dit. O ! si elles savaient le grand mal qu'elles font, de ne se point soumettre d'esprit et de jugement en la conduite des supérieures ! Elles mourraient plutôt à la peine que d'y manquer.

Il faut qu'elles s'abandonnent simplement ; et quand la tempête est extrême, et que tout est renversé et perdu ce semble, il faut trouver son repos dans sa propre perte. Comment donc, dans l'enfer ? Oui, dans l'enfer ; et il faut croire que Dieu fera justice, et vous lier à ses intérêts laissant mourir les vôtres, qui ne peuvent souffrir une séparation éternelle de Dieu, bien que ce ne soit pas par son pur amour mais plutôt par amour propre. Laissez-vous donc, abandonnez-vous au bon plaisir de Dieu en justice ou miséricorde comme il lui plaira. Car tant que l'âme demeure dans ce point de ne pas passer, comme je viens de dire, au sacré abandon, elle n'avance point, et ne peut remplir le dessein de Jésus-Christ sur sa purgation intérieure.

Oh ! mes soeurs, ce que Jésus-Christ fait dans ces pauvres âmes peinées et désolées, et qui n'ont point d'entrée dans la chambre royale, ni comme point de part au festin, est le mystère des mystères ! Il se cache dans l'obscurité de leur peines, comme dans des ténèbres, pour leur dérober la vue de ses opérations, afin qu'elles n'y prennent de la complaisance ; car elles croiraient peut-être avoir bien contribué, par leurs diligences, à préparer cet appartement royal et à lui avoir ouvert le Sancta Sanctorum où il se retire en entrant dans nos poitrines ; ainsi elles s'en rendraient indignes.

Comme cela, il s'introduit de lui-même — comme à leur insu dans ce sacré sanctuaire de l'intime portion de nos âmes, où il renouvelle tous ses adorables mystères, et singulièrement celui du sacrifice ; mais d'une façon infiniment avantageuse pour nous, en ce que, lui-même étant uni de substance à substance par la divine Eucharistie avec nous, nous ne faisons — au sentiment des Pères qu'une même chose avec lui, puisque nous sommes os de ses os, chair de sa chair, et tellement unis en lui que cette union remplit d'étonnement toute l'Eglise qui ne la peut comprendre ni assez admirer.

Cela est de foi, et nous le devons croire. Or, je vous prie, quand vous communiez, est-ce vous qui faites cette union ou transforma- tion ? Non, certainement, c'est Jésus-Christ, par la vertu de son divin Sacrement. Il suffit donc, de votre part, que vous soyez en grâce, et le reste se fait par l'amour infini de Jésus-Christ.

Cela étant vrai de foi, pourquoi n'apprend-on point aux âmes la manière de s'y bien comporter, et ce qu'elles ont à faire dans ce commerce divin ? Je dis qu'elles n'y ont quasi rien à faire, que deux choses : la première, d'être adhérentes à Jésus-Christ en fond de volonté. La seconde : qu'elles ne se brouillent point pour entrer et connaître ce qui se passe, pour le sentir, et pour s'en assurer.

Il faut seulement se tenir en recueillement — si l'âme le peut et consentir simplement en ce qui se passe en elle, par la visite divine et personnelle de Jésus-Christ ; et si elles ne peuvent se tenir paisibles, ni avoir aucun respect et attention, qu'elles disent de tout leur coeur, avec toute l'Eglise : AMEN.

Ce mot est mystérieux. C'est un aveu et consentement que l'âme donne à tout ce que Dieu fait dans son Eglise, et à tout ce que l'Eglise fait au regard de Dieu. Il est bon de le dire souvent dans cette intention, puisque c'est pour cela que la même Eglise le fait répéter tant de fois dans l'Office divin et à la Messe.

Il a pris son origine dans l'Eglise triomphante, comme Saint Jean nous l'apprend dans son Apocalypse, où il dit que les quatre animaux et les vingt quatre vieillards, prosternés devant le trône de l'Agneau, ne répondaient qu'AMEN, à tous les éloges, adorations, louanges et bénédictions qui étaient donnés au Dieu vivant, et à celui qui avait seul la puissance d'ouvrir le Livre fermé à sept sceaux, qui n'est autre que Jésus-Christ, ce divin Agneau immolé dès le commencement du monde.

Non ! Il n'est point dit que ces vingt quatre vieillards de l'Apocalypse disent autre chose en cette divine présence que ce précieux mot : AMEN. Aussi, il contient en soi un acquiescement et consentement à tous les desseins de Dieu sur Jésus-Christ, et de Jésus-Christ sur l'âme.

Qu'elles le disent donc de coeur ou de bouche, ne pouvant porter leur esprit à un consentement plus simple et plus uni aux opérations de Jésus-Christ en elles, qui leur sont inconnues.

Que devient donc cette âme, dira-t-on, par la Communion ? Elle devient : un Jésus-Christ. Mais comment un Jésus-Christ ? Je n'en sais rien, je n'en vois rien !

Non, parce que cette transformation se fait en la substance de l'âme : vous ne pouvez ni voir, ni goûter cette divine opération — si Dieu ne vous la révèle, comme je sais qu'il a fait à quelque personne —, et quoique vous ne la voyiez et sentiez point, elle est pourtant véritable et infaillible. Il faut le croire, et c'est le bonheur de l'âme que de se tenir en foi, et de vivre en cette ignorance, pour avoir une plus profonde soumission à ces mystères incompréhensibles.

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Mais pourquoi en douteriez-vous parce que vous ne le sentez pas ? Avez-vous senti en vos sens l'effet de votre Baptême, quand vous l'avez reçu ? Et sentez-vous encore tous les jours l'effet de l'absolution quand vous allez à confesse ? Pourtant vous ne doutez point que vous ne soyiez devenue enfant de Dieu par ce premier Sacrement, et que vous ne soyiez absoute de vos fautes, par le second. Pourquoi voulez-vous donc douter des effets de la Communion parce qu'ils ne vous sont sensibles ?

Oui, oui, vous devenez un Jésus-Christ par cette transformation. Et si vous voulez savoir ce que ce divin Sauveur fait dans votre âme ? et où est-ce qu'il se retire quand il y est ? je l'ai dit. Il se retire dans le « Sancta Sanctorum » de l'âme, — qui est l'intime du fond —, qui sert à ce Grand-Prêtre de sanctuaire et de temple, à célébrer son divin et redoutable Mystère du Sacrifice de tout lui-même à son Père, qu'il veut renouveler dans le fond de cette âme ainsi que dans le temple sacré qu'il a sanctifié au jour de notre Baptême.

Oui, ô merveille inconcevable ! Jésus-Christ descend dans nos coeurs pour s'y immoler, et dire la Messe solennellement quoiqu'en un profond silence.

Tout se tient à recoi [en quiétude] dans ce temple. Les Anges et les Saints admirent et adorent les abaissements de Jésus-Christ, et le Père éternel y prend sa divine complaisance.

Mais ce sacrifice de quoi sert-il à l'âme ? Il lui sert à la sacrifier elle-même, car étant unie de substance à Jésus-Christ, elle n'en peut être séparée : elle est immolée avec lui et par lui-même dans ce temple. Elle fait partie de son Sacrifice, ce qu'elle ne pourrait jamais faire que par la sainte Communion.

Et voilà une invention prodigieuse et admirable que Jésus-Christ a trouvée, pour donner moyen à l'âme de s'offrir par lui, dignement, au Père éternel ; car dans ce mystère — ou sacrifice divin — l'âme n'est point séparée de Jésus-Christ. Et comme le Père éternel reçoit son Fils avec une satisfaction et complaisance infinies, on peut dire qu'il reçoit de même l'âme qui lui est unie, puisqu'il n'y a point de séparation de Jésus-Christ d'avec elle par le Très Saint Sacrement.

Cette vérité supposée, pourquoi se tant tourmenter qu'on ne fait rien à la sainte Communion ? En vérité, tout ce que nous pouvons faire peut-il approcher de ce que Jésus-Christ y fait pour nous ? Vous n'avez donc qu'à vous y unir et y consentir, l'adorer en silence, ou en peu de paroles pleines de respect, et vous soumettre.

O ! si on savait le bien que l'âme en retirerait ! Cela ne se peut dire ! la sainte Communion lui serait très agréable en tous temps, puisqu'elle connaîtrait que c'est un Mystère qui s'opère en elle, et que tout s'y fait par Jésus-Christ.

O ! si on pouvait se rendre à cette simple pratique ! L'âme recevrait des effets admirables de ce sacrifice. Elle se trouverait changée sans y penser ; elle sentirait un je ne sais quoi de force divine, qui la retirerait d'elle-même et des créatures, des imperfections, et du reste. Cela ne se peut comprendre, je ne puis suffisamment m'expliquer, et je prie celles qui verront ce brouillon de le corriger.

Il ne serait pas hors de propos de montrer ici la structure de ce temple mystérieux, où Jésus-Christ et l'âme ne font qu'un même sacrifice, ne sont qu'une même hostie et une même oblation. Je ne finirais point ! Il faut laisser cela à quelqu'autre qui l'entende mieux que moi. Il me suffit d'avoir montré qu'une âme qui est, par la grâce de Dieu, quitte du péché mortel, est participante de Jésus-Christ en cette manière ; or, de dire que celles qui tâchent de se tenir en plus grande pureté de vie, ne reçoivent des effets plus sensibles et plus admirables que les autres, il n'en faut nullement douter.

Deux ou trois choses sont à observer sur cet écrit, pour ne point produire de mauvais effets en quelques âmes immortifiées qui le pourraient voir, disant que, puisque Jésus-Christ fait, lui seul, toute cette divine transformation, elles n'ont pas besoin de tenir leur esprit en recueillement, ni même se mettre en peine de se préparer à la sainte Communion, selon ce qu'elles peuvent de leur part.

Il faut qu'elles sachent que cette opération divine demande une fidélité correspondante — de notre part — à cette grâce, selon nos forces, par une vigilance merveilleuse pour vivre dans la pureté et sainteté d'une telle grâce ; et, par conséquent, une pratique continuelle de mortification et de destruction de soi-même. Autrement cette prodigieuse faveur n'opérerait point en nous la sanctification qu'elle y doit apporter, et que Jésus-Christ prétend, par les effets de ce sacrement adorable.

Ce n'est donc pas assez d'être unie à Jésus-Christ. Il faut porter les effets de cette union. Ils se voient à une âme qui communie comme ,je viens de dire, par les vertus qu'elle pratique dans les occasions, comme : de patience. de douceur, d'obéissance, de charité, de condescendance pour le prochain, d'humilité, de bienveillance et le reste.

Il est encore à propos de savoir que le silence observé — ainsi que je l'ai exprimé — au temps de la sainte Communion et après, n'est pas un silence oiseux, puisqu'il contient en soi un respect profond de la grandeur de Dieu ; et quoique ce respect ne frappe point les sens, il ne laisse pas d'être et de porter son effet. De plus, il est adorant, car si vous prenez garde au mouvement intime de ce recueillement, tout le fond de l'âme est à Dieu, l'adorant, se rendant à lui et l'aimant. Mais, quand la pauvre âme est troublée de peines et de tentations, elle n'est pas capable de le discerner, et c'est ce qui lui fait dire et assurer qu'elle n'y fait rien que perdre le temps, ou déshonorer cette Majesté infinie.

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Pour les âmes qui ont des productions en abondance et qui sont remplies de bons sentiments, à la bonne heure ! qu'elles les épanchent devant le trône du Seigneur. Je le trouve fort bon.

Mais celles qui sont dans les impuissances, ténèbres, pauvretés, stupidités, peines et tentations, qu'elles suivent simplement ce qui est contenu en cet écrit, et elles trouveront dans la suite que l'usage leur en sera très utile. Mon dessein n'étant que d'instruire et de consoler ces pauvres petites âmes timides qui, par la violence de leurs peines, ou par scrupule, ne croiraient point assez opérer dans ce temps précieux. Et il se peut faire même quelquefois, qu'elles seront bornées par un effet de grâce, sans qu'elles le connaissent.

Qu'elles se laissent donc à Jésus-Christ opérant et sacrifiant en elles, se contentant du consentement et de la simple adhérence à ce qu'il y fait, selon que nous avons expliqué ; et, petit à petit, si l'âme qui le pratiquera n'est point revêche et abondante à son sens, elle trouvera du changement dans son intérieur : plus de calme et plus de clarté — quoique cet exercice paraisse obscur, tenant l'entendement captif et assujetti, — sans souffrir qu'il se tourmente pour voir et pour connaître. Il vaut bien mieux qu'il soit éclairé par la lumière de la foi, qui rayonne de ce soleil divin, que par ses propres intelligences, qui ne sont, pour l'ordinaire, qu'erreurs et mensonges.

SUR L'ESPRIT DE SAINT BENOIT ÉCRIT DE NOTRE RÉVÉRENDE MÈRE

Je ne [n'en] pourrais, mes soeurs, que je (n')admirasse incessamment l'adorable Providence d'un Dieu infiniment sage et ineffable en sa conduite, d'avoir choisi les religieuses du grand Patriarche St Benoit pour les rendre Filles du Très Saint Sacrement de l'Autel, et les destiner non seulement à lui rendre des hommages continuels, mais pour être gardiennes de ce sacré dépôt qu'il a confié à son Eglise.

Mais j'entrevois la raison de ce mystère du choix et de l'élection que Dieu a fait des enfants de ce grand Patriarche, qui fait que je ne m'en étonne point ; car, quoi que ce soit quelque chose d'incompréhensible, de caché, et de profond, que l'état que ce glorieux saint a porté sur la terre, et qu'il a inspiré à ses enfants, nous voyons qu'il a tant de relation à la divine Eucharistie, que je ne puis que je ne dise qu'elle est la portion et l'héritage des religieuses de Saint Benoit ; et que je m'étonnerais plutôt de quoi tant de siècles se sont passés, sans que les enfants de ce Bienheureux Père se soient mis en devoir d'entrer en possession de ce trésor inestimable que l'infinie bonté de Dieu leur réservait.

Si vous me demandez, mes soeurs, où je prends ce que je viens de dire, j'ose vous assurer que c'est un secret qui m'est découvert en la mort de notre illustrissime Patriarche, lequel, voulant témoigner l'amour qu'il portait au Très Saint Sacrement de l'autel, ne le put mieux qu'en expirant en sa sainte Présence, rendant ainsi les derniers respirs de son coeur à cette adorable Hostie, et renfermant dans le sacré ciboire ses sentiments, pour y produire, dans le temps, des enfants de son Ordre qui lui rendront jusqu'à la fin du monde des adorations, des respects et des devoirs d'amour et de réparation continuels.

Oui ! C'est aux enfants de ce glorieux Père, qu'il appartient d'avoir une application singulière à ce divin Mystère ; d'y avoir même une relation qui n'est point commune à tous les autres Ordres de l'Eglise.

Car si quelques uns adorent Jésus-Christ dans les états différents de sa sainte vie, les religieuses de St Benoit portent le titre des morts : c'est comme en parle le bienheureux Monsieur de Condren, général de l'Oratoire. Ainsi, ne puis-je pas dire que leur état et condition de mort va honorant, par rapport et relation, Jésus mort dans l'Eucharistie ? Les Pères nous apprennent qu'il y est en état de mort. Un enfant de St Benoit, vivant d'une vie de mort, n'a-t-il pas liaison et rapport à Jésus dans l'Hostie ?

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S'il m'était permis de rapporter en détail, l'esprit et les dispositions que doit avoir une Bénédictine, vous verriez que, par la fidèle pratique de sa sainte Règle, elle serait toute semblable à une hostie, et elle entrerait dans des rapports merveilleux à Jésus dans l'adorable Eucharistie.

Mais, laissant une multitude de preuves qui vous confirmeraient la vérité que je vous expose, jugez, mes soeurs, si ce n'a pas été par un choix tout divin que, de Religieuses de St Benoit, nous soyons devenues Filles sacramentalles ? Et si nous ne sommes pas redevables de cette grâce au grand Saint Benoit, de nous l'avoir méritée par sa précieuse mort, comme nous l'avons déjà dit ? Si ce n'était pas là le gage de l'amour qu'il portait à ce sacré Mystère, auquel il semblait promettre que, dans les derniers siècles, son Ordre produirait dans l'Eglise, des victimes immolées à cet auguste Sacrement ; qui non seulement l'adoreraient jour et nuit, mais qui seraient, selon leur possible, les réparatrices de sa gloire profanée par les impies dans ce Sacrement d'amour ?

Voyez-vous point, mes soeurs, que Saint Benoit meurt debout, pour nous donner à entendre qu'il pousse, avec effort d'amour, le sacré Institut que nous professons ? Il le conçoit dans l'Eucharistie pour être produit plus de douze cents ans après !

O ! mes soeurs, que notre Institut est divin ! Combien de siècles a-t-il été caché et enseveli avec Jésus dans l'Hostie ? Combien de temps a-t-il été dans les sacrées entrailles d'un Dieu sacramenté ! Il sanctifiait, mes soeurs, et l'Institut et les âmes qu'il y voulait appeler. O ! que je vois de choses admirables, et qui donnent de grandes consolations !

Non, non, mes soeurs, ce n'est point un dessein de l'esprit humain, ce n'est point la créature qui l'a ordonné, qui l'a institué et choisi : c'est Jésus dans l'Hostie, qui l'a reçu du coeur de St Benoit ; et je puis dire, mes soeurs, qu'il n'a jamais été pris ailleurs que dans le Tabernacle où ce grand Saint l'avait mis en dépot au dernier instant de sa vie.

O merveille que Dieu ait voulu confier cet ouvrage à la plus indigne, non des enfants de St Benoit, mais à un avorton ! A une âme qui n'en n'avait ni l'esprit ni la grâce ! A une pauvre créaturé qui n'avait rien de considérable, sinon qu'elle était plus criminelle que toutes les créatures de la terre, et qui avait plus profané cet auguste Mystère ! Dieu a choisi cette pécheresse, pour servir, comme d'un instrument, le plus vil et abject, à un si excellent ouvrage, et confondre par ce moyen l'esprit humain qui se perd lorsqu'il voit des coups de cette sorte ! C'est un Dieu qui l'a fait. Il n'y a rien à dire, sinon qu'il faut s'abîmer, et craindre qu'après qu'il se sera servi de ce méchant outil, il ne le jette sans ressource dans les enfers.

L'ESPRIT DE L'INSTITUT DE L'ADORATION PERPÉTUELLE

DU TRÈS SAINT SACREMENT DE L'AUTEL,

DANS DIVERS ÉCRITS DE L'INSTITUTRICE,

AVEC QUELQUES BRÈVES ANNOTATIONS

POUR DONNER INTELLIGENCE DE PLUSIEURS CHOSES

TRÈS REMARQUABLES

Nous apprenons que, pendant les grandes guerres d'Allemagne qui commencèrent en l'année 1629 et 30, que les soldats prirent tant de villes, pillèrent tant d'églises, et ravagèrent tant de couvents, notre Révérende Mère Supérieure, qui se nommait au monde Catherine de Bar, native de la ville de St Diéz [le 31 décembre 1614] — comme nous avons dit ci-devant —, et professe du monastère de la Conception Notre Dame, de la ville de Remberviller, ayant ouï un jour raconter les effroyables sacrilèges que ces malheureux hérétiques avaient commis sur le Saint Sacrement de l'autel, elle en conçut une si grande douleur que, portée de l'amour de Dieu, elle s'offrit à la divine Majesté pour victime, en réparation des outrages qui étaient faits à ce Dieu d'amour ; et les souffrances qu'elle a toujours portées depuis, en son corps et en son esprit, jointes à l'établissement effectif de l'Adoration Perpétuelle qui s'en est ensuivi, nous sont une marque évidente que Dieu l'avait prise dès lors au mot et avait accepté son sacrifice.

Nous avons déclaré que, lorsqu'elle fut à la chapelle de Benoistevaux, proche St Mihiel, elle eut quelque connaissance des desseins que Dieu avait sur elle pour sa gloire, mais ce ne fut pas fort distinctement.

Quand elle eut achevé son trienne, à l'Abbaye de Bon Secours de la ville de Caen, en Normandie, où elle fut mettre la réforme, suivant l'ordre et l'obéissance qui lui en fut donnée de ses supérieurs (2), s'étant rendue à son monastère de Remberviller, en suite de l'élection qu'on y avait faite de sa personne pour y être Prieure, elle n'y fut pas sitôt entrée, que ce calme profond que son intérieur possédait depuis longtemps, lui fut subitement ôté, et en la place succéda une captivité d'esprit, avec une inquiétude si grande, qu'elle ne peut l'exprimer ; dans laquelle pourtant il lui était donné à connaître que cette peine procédait de ce qu'elle avait quitté la France, où Dieu l'avait appelée, et qu'il ne la voulait pas en ce lieu.

(2) Avant de rentrer en son monastère, elle se rendit au Mont-de-Saint-Michel en pélerinage avec la permission de ses supérieurs tant monastiques qu'ecclésiastiques. Cf : Annexe I, p. 294.

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En effet, quand elle en sortit — qui fut au bout de huit mois pour s'en revenir à Paris, elle retrouva à la porte du monastère ce calme qu'elle y avait perdu en entrant, tous ses troubles s'étant absolument apaisés ; et son esprit posséda depuis, la même tranquillité qu'il faisait auparavant, et qui ne la quitta plus.

Et cet état intérieur se rapporte parfaitement à ce qui se passait au dehors ; parce qu'à peine fut-elle arrivée à ce monastère-là, que la guerre recommença, plus fort que jamais, du côté de Remberviller, et les premières misères revinrent. Qui ne croirait après cela que c'était pour l'en chasser et pour un témoignage certain de ce que nous venons de dire.

Ses religieuses attestent que, pendant ces huit mois qu'elle demeura parmi elles, elles n'en purent quasi tirer une bonne parole, tant elle paraissait plongée dans une extrême peine d'esprit jusqu'à ce point que s'étant plaintes à elle de ce qu'elle ne leur parlait plus tant de Dieu comme les autres fois, et elle leur avoua qu'elle s'en trouvait dans une impuissance absolue ; ajoutant que, bien souvent, l'on croyait faire les choses par l'esprit de Dieu, que ce n'était qu'amour propre — ce qu'elle disait au sujet de son élection qui l'avait rappelée, parce que toutes les religieuses l'aimaient très fort c'est ce qu'elles nous ont assuré.

Et celles même qui servaient d'obstacle à son retour en France furent contraintes à la fin d'être les premières à la presser de s'y en revenir, pour fuir les désordres de cette guerre qui les menaçaient de toutes sortes de malheurs ; et d'emmener avec elle le plus grand nombre de religieuses qu'elle pourrait, pour décharger la maison, à cause de la famine ; et les plus jeunes : à cause de l'insolence des soldats. Ainsi elle s'en retourna, comme il est déjà marqué.

Le jour de Pâques 1651, à Paris où elle était arrivée, se trouvant plus pressée qu'elle n'avait encore été, du violent désir d'une absolue solitude qui occupait son âme depuis longtemps — et qui lui a fait dire souvent que sa plus grande fortune serait de se perdre dans les bois, sans que jamais on entendit parler d'elle, — étant donc plus pressée de ce désir, le matin, après s'être levée de dessus sa pauvre couche, elle se mit à genoux pour adorer la nouvelle vie de Notre Seigneur Jésus-Christ en sa Résurrection, et il lui fut dit d'une voix intelligible dans l'intérieur : REÇOIS ET ADORE LES DESSEINS DE DIEU QUE TU NE CONNAIS PAS ENCORE ». Et, dans ce moment, ce désir de s'enfuir au désert s'effaça entièrement de son esprit ; et au contraire elle se trouva dans une disposition stable et arrêtée sur Paris, qui la portait de plus à adorer à l'aveugle cette divine volonté en tous ses ordres, et y demeurer absolument abandonnée.

Depuis la proposition que les dames lui firent de s'établir à Paris, Dieu se manifesta davantage à elle, et lui fit connaître clairement qu'il la destinait à cette oeuvre ; et cela avec tant de certitude et de clarté qu'il lui montra même beaucoup de choses qui sont arrivées depuis, pour la préparer, l'animer et l'inviter à l'entreprendre ; car, si elle n'eût été bien convaincue que c'était la divine volonté, elle n'était pas fille à entreprendre une chose de si grand éclat (3).

Voici ce que nous en avons appris, par le moyen d'un vertueux écclésiastique de St Sulpice, nommé Monsieur Picotté, à qui elle se confessait en ce temps-là, et à qui elle s'en confiait hors de la confession pour s'en conseiller, étant si remplie de ce qu'elle avait vu et entendu qu'il lui était malaisé de s'en cacher ; et depuis qu'elle a vu que nous le savions elle a été contrainte de l'avouer ; sans cela nous ne l'aurions pu tirer de sa bouche.

Il dit donc que, le 2ème Dimanche de Carême, neuvième jour de mars 1653, — le jour des Cendres échéant cette année-là le 26 de février —, Madame la comtesse de Châteauvieux et Madame la duchesse de la Vieuville, sa fille unique, étant toutes deux malades en sorte qu'on n'en n'espérait pas vie, notre Révérende Mère Supérieure mit en prière la communauté, et elle encore plus que toutes s'appliqua avec ferveur à demander à Dieu leur guérison.

Comme elle était ainsi attentive, il lui fut dit par une puissante parole intérieure : « DE QUOI TE METS-TU EN PEINE ? LAISSES-EN MOI LE SOIN. Tu FERAIS MIEUX DE DEMANDER L'ESPRIT DE L'INSTITUT ET DE TRAVAILLER A MON ŒUVRE ». Ce qui lui était reproché sans doute parce que, depuis que cette Dame comtesse était malade, il ne s'y faisait plus rien, à cause que personne ne se voulait donner la peine d'y agir ; et qu'il n'y avait qu'elle qui se fut chargée de ce soin.

Et dès lors le rideau lui fut ouvert, non plus comme les autres fois à demi et par des connaissances obscures, mais entièrement et tout à découvert, Dieu lui ayant départi l'entière connaissance de l'excellence de l'ouvrage qu'il voulait faire par elle, la grande gloire qui lui en reviendrait, et les complaisances particulières qu'il y prendrait, jusque là même qu'il lui prescrivit la façon de faire la Réparation devant le Saint Sacrement, en forme d'amende honorable comme nous faisons à présent —, la corde au col, la torche à la main, et le corps prosterné en la façon la plus humble qu'il se peut ; à quoi elle n'avait point pensé, quoiqu'elle eût eu déjà la pensée de l'adoration perpétuelle.

Et tout cela se passa avec tant de majesté et de splendeur que, touchée d'un étonnement profond, elle lui dit : Seigneur, puisqu'il en va ainsi, que c'est votre oeuvre, et que c'est une chose si admirable, que ne la faites-vous réussir par vous-même, car quelle est la créature digne d'y travailler, moins encore moi, la plus chétive.

Et toutefois, se voyant assurée que Dieu voulait qu'elle le fit, elle baissa le col et se soumit à cette adorable volonté, acceptant dès lors d'y travailler, et de se consumer en holocauste à ce Dieu d'amour, qui daigne ainsi se glorifier en ses créatures.

(3) Dans une lettre à la mère sous-prieure de Rambervillers, elle exprime son état d'âme devant la mission qui lui est confiée. Annexe XVI, 10 août 1652, p. 310.

160 CATHERINE DE BAR

Nous devons remarquer que ce fut le même jour que Monseigneur de Metz, de son propre mouvement, répondit favorablement à une requête, — sans qu'on l'en sollicitât —, que notre Révérende Mère Prieure lui avait fait présenter pour l'établissement du monastère de Paris il y avait bien du temps, sans qu'il lui eût rien donné à connaître de la bonne volonté qu'il en avait.

Dix jours après, qui fut le jour de la fête de St Joseph, cette même vue lui revint, et avec plus de clarté et de véhémence de l'Esprit de Dieu pour l'animer. Il y eut cela de particulier, qu'il lui fut montré que St Joseph serait le protecteur spécial et le pourvoyeur de la maison du Saint Sacrement, comme il l'avait été de la sainte Famille du Verbe Incarné sur terre.

Et comme Notre Seigneur lui faisait entendre sa complaisance particulière sur cette oeuvre, par ces mots, qu'il lui répéta plusieurs fois : « C'EST MON ŒUVRE, ET JE LA FERAI » elle prit la hardiesse de lui dire : « Seigneur, si c'est votre oeuvre, donnez-en moi donc le signe : que le Saint Sacrement nous soit accordé, et vous, grand St Joseph, employez-vous pour cela ». Et, à la sortie de son oraison, elle alla écrire un billet au Père Prieur de l'Abbaye de St Germain, pour l'en prier. C'est la seule fois qu'on ait pu remarquer qu'elle a fait, en cette affaire, quelque chose d'elle-même ; sa conduite ayant toujours été de suivre en tout l'ordre de Dieu, qu'elle a estimé lui être marqué avec plus de pureté et plus de dégagement, dans les occasions et dans la volonté des autres, que par ses mouvements propres, appréhendant que son esprit naturel et ses intérêts particuliers ne prissent part à l'oeuvre de Dieu. Ainsi elle a été sans cesse dans la pratique pénible d'une entière démission d'elle-même, et d'une soumission totale au jugement et à la volonté d'autrui, ne pouvant porter cette oeuvre dans un esprit de mort plus profond, ni dans un plus grand anéantissement qu'elle a fait (4).

Six jours après ce billet écrit, la veille de Notre Dame de Mars, celle de qui nous parlons s'étant rendue, à son ordinaire, auprès de sa bienfaitrice, Madame la comtesse de Châteauvieux qui était encore extrêmement malade, comme elle était à la ruelle de son lit, on la vint avertir qu'un ecclésiastique la demandait de la part du Père Prieur ; et l'ayant invité d'entrer, il se trouva qu'il lui apportait la permission d'exposer le Saint Sacrement le lendemain dans leur chapelle, qui était plus qu'elle n'avait osé espérer, à cause que leur affaire n'était pas en état de cela ; parce que cette Exposition était un acte de très grande conséquence en toutes façons pour leur établissement, puisque c'était comme une mise en possession ; et, cependant, elle n'avait point encore la clôture ni la croix, ni même n'était pas en maison propre pour l'avoir, qui sont pourtant des choses

(4) En annexe : lettre à la mère Marie-de-Saint-Joseph, carmélite de Reims. Annexe XXIV, 23 janvier 1648. Annexe XXV, 30 novembre 1654, p. 320.

DOCUMENTS HISTORIQUES 161

qui doivent, selon les formes, nécessairement précéder l'Exposition du Saint Sacrement.

Ce n'est pas qu'elle n'eusse demandé de l'avoir, mais non pas pour l'exposer publiquement, car elle n'y voyait pas d'apparence.

Ainsi donc, qui ne croira que si Dieu n'eût attaché à ce billet quelque attrait de cette grâce par laquelle il sait si doucement gagner notre volonté, cet homme rigide et si formaliste — qui l'était jusqu'à l'excès — eût été pour venir si tôt du blanc au noir, que d'accorder, sans un nouveau sujet, sur le simple billet d'une fille, une chose contre toutes les formes, qu'il avait si obstinément refusée à des ducs et pairs, à des archevêques, et à tant d'autres personnes qui s'y étaient employées, et à cette religieuse au nom de laquelle l'on en avait tant de fois sollicité sans en avoir rien pu obtenir.

Si bien que Notre Mère et Madame la comtesse ne pouvant assez admirer comment Dieu avait accordé si précisément le signe que la première lui avait demandé, pour connaître si l'Institut était vraiment selon sa volonté, n'en doutèrent plus du tout, et se dévouèrent toutes deux avec plus de ferveur que jamais.

Et de cet évènement particulier, de même que de tout ce qui est arrivé de l'Institut à la suite, nous disons qu'il le faut regarder comme une exécution de la promesse que Dieu avait faite à Notre Mère, que, comme l'Institut était son oeuvre, il l'accomplirait.

De ces deux dernières visites divines il en demeura à cette très digne Mère comme elle l'a confessé, d'admirables effets pour son âme, entre autre : une occupation intérieure très élevée, qui lui dura plus d'un an. C'étaient les vestiges sacrés de cet Esprit Saint, qui ne laissent point de doute qu'il n'eût passé par là d'une manière ineffable.

L'année d'après, et le jour que l'on leur donna la croix, Notre Mère parut tout ce jour-là dans une sainte gaieté qui brillait dans ses yeux, et colorait d'un agréable vermillon son visage d'ordinaire pâle et défait, à cause de ses austérités et de sa mauvaise santé. Et comme tout le monde avait la permission d'y entrer ce jour-là, une dame de ses amies lui en demandant la raison, avec la liberté que lui donnait leur amitié, elle lui répondit : « O ma soeur, que j'en ai bien raison, puisque Dieu daigne tant agréer cette oeuvre, qu'il nous veut donner une très particulière protection ». Puis, tout d'un coup, elle se tut, de peur de se trop découvrir. C'est ce que nous avons appris de cette dame.

Mais elle ne s'en tût pas à la Fondatrice, à laquelle elle ne cachait rien, lui écrivant le lendemain une lettre — qui sera mise après ces vues avec d'autres fragments de ses Ecrits — par laquelle elle lui découvre fort au long ce qui s'était passé en elle ce jour-là, et les sentiments qui produisaient dans son coeur cette gaieté, lesquelles seront trouvées d'une grande suite [cf. p. 186-193].

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Pendant que l'on travaillait à cette affaire, et que les choses se trouvaient tellement en balance que quelquefois elles semblaient être faites et d'autres fois tout paraissait déséspéré, notre Mère Prieure avait eu tout le temps d'envisager l'entreprise qu'elle allait faire ; et considérant l'excellence, dans la lumière de Dieu qui lui en donnait des impressions fortes, il lui prenait souvent des envies de s'enfuir, tant elle se trouvait indigne de s'en mêler.

Si bien que, s'étant exposée plusieurs fois devant la divine Majesté pour en recevoir les ordres, il lui arriva 5 à 6 fois qu'après la Communion, elle se sentit arrêtée, comme si deux mains d'une pesanteur extrême l'eussent prise par les épaules pour la retenir. Et cet arrêt n'était point dans l'imagination, mais réellement et de fait. Elle était quelquefois une heure, et d'autres fois davantage, à ne pouvoir se remuer d'une place, non plus que si elle eût été clouée au plancher, et qu'elle eût été chargée de chaînes d'une pesanteur étrange. D'où elle vint à comprendre qu'il ne fallait plus qu'elle pensât à s'enfuir, et que Dieu la voulait absolument à Paris, pour faire par elle cette oeuvre ; ce qui l'obligea depuis de patienter. Et, de ceci, il y a plus de six témoins, qui tiennent la chose toute extraordinaire. Ce fut en l'année 1652.

Une autre fois, comme elle était dans la maison de la rue Férou, Notre Mère se trouva surprise d'une frayeur extrême, sur les onze heures, qu'elle gardait le Saint Sacrement suivant sa coutume ; car n'ayant pas encore le nombre suffisant de filles pour remplir les 24 heures du jour, pour les soulager elle y demeurait toujours depuis les onze heures du soir jusqu'à quatre du matin.

Ce soir-là donc, elle entendit un grand bruit derrière leur maison, du côté du jardin qui était attenant leur choeur ; ce qui lui fit appréhender que ce ne fussent des mauvaises gens qui vinssent par d'autres jardins qu'il y avait joignant le leur, pour dérober le Saint Sacrement. Si bien qu'elle se tenait aux écoutes avec beaucoup d'inquiétude, pour le peu de moyens où elle se voyait d'y résister, ne sachant même si elle devait sonner la cloche pour éveiller les religieuses. Et sur ce temps-là elle entendit une voix, venant du côté du tabernacle, qui lui dit distinctiment : « DE QUOI TE METS-TU EN PEINE, PETIT AVORTON, EST-CE ICI TON ŒUVRE, ET N'EST-CE PAS LA MAISON DE JÉsus ET MARIE ? » Et cette voix la rassurant, elle ne laissa pas de s'humilier si profondément, qu'elle avoue qu'il lui semblait aller être réduite au néant.cxxxiii

C'est la conduite que Dieu a toujours tenue sur elle : de la mener par la voie d'un anéantissement très profond ; et en effet il ne lui arriva nul accident.

Le jour de Notre Dame de Mars 1659, que le monastère fut béni par Monseigneur l'Evêque du Puy, elle vit la Sainte Vierge présenter cette maison à son divin Fils, qui lui sembla la recevoir fort agréablement des mains de sa sainte Mère ; mais [la] regardant, elle (qui se voyait la dernière) d'un regard si anéantissant, qu'elle en fut pénétrée de douleur jusqu'au point qu'elle en pleura plus de 8 jours.

Elle a cru que ce regard voulait dire qu'elle devait bien se garder de prendre aucune complaisance à cette oeuvre comme à son oeuvre, et qu'elle la devait laisser purement à Dieu.

En l'année 1664, un avis très important lui ayant été donné pour le donner à la Reine Mère, — de laquelle, apparemment, il devait être bien reçu — elle ne le voulut pas faire sans en consulter premièrement Dieu ; et s'étant beaucoup appliquée pour cela, elle vit un jour Notre Seigneur Jésus-Christ au Très Saint Sacrement de l'autel, comme dans son trône eucharistique — ce sont ses propres termes — qui faisait deux cercles ou enceintes : l'un plus éloigné, dans lequel il comprenait tout le monastère en général, et semblait en vouloir faire comme une espèce de clôture contre le monde ; l'autre, moins grand et plus proche de lui, dans lequel il n'enfermait que la personne des religieuses, lesquelles lui paraissaient comme toutes rassemblées à l'entour de lui comme les brebis à l'entour de leur Pasteur qui les aime et qui les caresse ; et elle entendit qu'il disait : « JE SUIS LE ROI DES FILLES DU SAINT SACREMENT ET MA MÈRE EN EST LA REINE ». De là elle comprit que Dieu ne voulait point qu'elle donnât cet avis, pour qu'elle ne prit point d'appui du côté de la terre, mais se reposât absolument en lui de tout ce qui concerne cette maison ; et elle s'y rendit si fidèle, bien que la Reine vint quelques jours après la voir, qu'elle ne lui en dit pas un mot.

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DE QUELQUES PARTICULARITÉS REMARQUABLES CONCERNANT MADAME LA MARQUISE DE BAUVES L'UNE DES FONDATRICES

Madame la marquise de Bauves, bien qu'engagée dans les embarras du monde et du mariage, avait été appelée de Dieu aussi par des connaissances extraordinaires, pour travailler à cette oeuvre. C'est ce qu'elle déclara confidemment à notre Mère Prieure qui nous l'a rapporté depuis sa mort.

Lui disant un jour, qu'il y avait plus de 40 ans, qu'étant mariée en premières noces à un gentilhomme de Bourgogne, nommé le marquis de Bauves (duquel elle eût le marquisat, qu'elle apporta après en dot à Monsieur de Riberpré son second mari, qui en prit le nom), elle était dans un extrême désir de lui donner des enfants.

Et faisant de grandes dévotions pour en obtenir de Dieu, elle eut un jour une vision, ayant les yeux bien ouverts — disait-elle —, où il lui fut montré une fort petite chapelle, mais très dévote, dans laquelle il y avait un autel, et, en l'un des côtés de cet autel : un religieux, et en l'autre : une religieuse, qu'elle ne reconnut point. Ensuite, il lui sembla ouïr une voix qui sortait du tabernacle, qui lui dit : « Tu n'auras point d'enfant, (comme, de fait, elle n'en n'a jamais eu) mais le Saint Sacrement doit être ton enfant, et tu en recevras une très grande gloire dans le ciel.

Ajoutant que, depuis ce jour-là, il lui était resté du respect beaucoup plus grand — qu'elle n'avait pas eu jusqu'alors — pour ce Mystère ; et que, se croyant obligée par cette vue de le faire honorer de tout son pouvoir, elle ne perdait point d'occasions pour voir, à chaque rencontre, si ce n'était point cela que Dieu lui demandait.

Ce fut dans cette vue qu'elle travailla la première à introduire dans Paris, la dévotion des Dames qui vont successivement passer une heure en adoration devant le Saint Sacrement, dans leurs paroisses ; ce qui ne se faisait point auparavant. Laquelle dévotion est étendue depuis jusque dans les provinces, à la très grande gloire de Dieu, et louange de cette vertueuse Dame, puisque le Saint Sacrement n'est, par ce moyen, jamais seul pendant le jour. Et il y avait déjà là un léger crayon de l'adoration perpétuelle, sans qu'elle connut, en ce temps là, que c'était quelque partie de ce tout où Dieu la destinait.

Mais, oyons là parler encore, cette bonne Dame, sur ce sujet. Elle disait quelquefois à notre Mère Prieure, les larmes aux yeux de tendresse et de respect, que si elle voyait, par malheur, tomber

DOCUMENTS HISTORIQUES 165

dans la boue une Hostie consacrée, elle s'y mettrait avec joie jusqu'au col s'il le fallait, pour lui tenir compagnie, même à l'éternité si cette Hostie y demeurait autant, que pour cela elle renoncerait sans peine à la félicité du ciel.

Mais revenant à sa vision, il se passa une chose bien remarquable nous concernant. Ce fut que, la première fois que nos Mères eurent le Saint Sacrement, dans la chapelle de leur maison de la petite rue du Bac, comme elles tâchèrent de la préparer tout autant bien que leur pauvreté le permettait, il se trouva qu'elles n'eurent rien de plus beau à y mettre, que deux tableaux, fort grossiers, qu'elles avaient : l'un de St Benoit et l'autre de Ste Scholastique, (lesquels sont encore céans), qu'elles placèrent aux deux côtés de l'autel ; et mirent dessus l'autel un fort petit tabernacle que cette dame marquise leur avait donné, sans pourtant qu'elle eût vu ces préparatifs.

Et elle, venant les voir le lendemain, entrant dans la chapelle, tout d'un coup elle recula trois pas en arrière, et comme toute surprise s'écria parlant à notre Mère Prieure qu'elle tenait par le bras : « Ah ! ma Mère ! que vois-je ! lui dit-elle, c'est là justement la petite chapelle qui me fut montrée en Bourgogne il y a plus de 40 ans ! » Assurant que c'était toute la même chose, et que ce religieux et cette religieuse qu'elle avait vus lors, sans les connaître, devaient être ce St Benoit et cette Ste Scholastique qui étaient représentés dans ces 2 tableaux aux deux côtés de l'autel.

Nous n'apprenons pas de la troisième personne dont Dieu s'est servi pour la même oeuvre — qui est Madame la comtesse de Château-vieux — qu'elle ait été marquée par de ces signes extraordinaires pour y travailler, ni qu'il lui en ait été donné des connaissances avancées. Mais nous pouvons bien assurer qu'elle s'y trouvait préparée pour la très excellente vie qu'elle menait déjà dans le monde, qui, sans doute, lui mérita pour récompense l'emploi qui lui en fut donné de Dieu ; puisqu'elle pratiquait très exactement les vertus les plus solides du christianisme, étant fidèle à ne prendre conduite, pour le spirituel, que de son pasteur légitime, homme de doctrine et de sainteté, auquel elle obéissait ponctuellement.

Elle honorait et chérissait grandement Monsieur le comte son mari, avec lequel elle a toujours vécu dans une parfaite union et une entière soumission à toutes ses volontés ; qu'elle était dans une si grande rectitude pour ses moeurs que cela allait jusqu'à l'austérité, et pour elle et pour les autres, où elle ne voulait rien voir qui ne fut parfait.

Elle observait une merveilleuse équité à l'endroit de tous ceux avec qui elle avait des affaires, payant bien et sans retardement ceux à qui elle devait, et premièrement ses domestiques ; réglant parfaitement sa maison, en sorte que le vice en était banni et le service de Dieu observé ; et donnant avec largesse de ses biens aux pauvres, les visitant de plus elle-même avec beaucoup de soin.

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Aussi fut ce parmi les haillons des pauvres qu'elle trouva la perle évangélique, puisque ce fut la visite des pauvres qui lui procura la connaissance de cette digne Mère, dont son âme a tiré tant de profit.

Toutefois nous allons voir qu'à la suite, il s'est passé aussi en elle quelque chose d'approchant, et qui revient bien à ce que nous avons déjà dit : que Dieu a voulu faire cette oeuvre comme immédiatement, par lui-même. C'est qu'elle avoue que, les premières années, se voyant prendre beaucoup de peines sans succès pour les affaires de la maison de Paris, et pensant un jour plus particulièrement à cela, elle fut instruite intérieurement que c'était parce qu'elle ne donnait pas assez à Dieu, donnant trop à son activité naturelle et s'appuyant trop sur son sens particulier.

Et suivant l'ordinaire de ces paroles de Dieu, cette répréhension eut son effet, puisque, de ce pas, elle s'en alla trouver Notre Mère entre les mains de laquelle elle se démit entièrement de son sens et de sa volonté propre, par un acte qu'elle écrivit, et voulut signer de son sang. Promettant ne faire dorénavant, en cette affaire, aucune chose par son élection propre, mais de dépendre en tout et partout, des ordres de cette digne Mère qui lui représentait Dieu sur terre en cette oeuvre, et les exécuter fidèlement, fussent-ils les plus répugnants du monde à sa raison.

Et, pour un plus grand dégagement d'elle-même, elle voulut encore passer plus avant : renonçant, comme elle fit, par ce même acte, à tous ses droits, privilèges et prérogatives, qu'elle avait comme Fondatrice dans cette maison pour les entrées ou autrement ; et s'en démettant entièrement, comme par une espèce de voeu d'obéissance entre les mains de Notre Mère, pour n'en n'user que sous son bon plaisir et par ses ordres ; ce qui était, sans doute, un acte de très grande perfection et qui doit être considéré pour n'être pas un médiocre effet de la grâce, considérant la qualité de son esprit naturel. Et elle a avoué depuis qu'elle s'aperçut visiblement, bientôt après, que Dieu répandait plus de bénédictions sur son oeuvre qu'il ne faisait auparavant.

QUELQUES SERVITEURS ET SERVANTES DE DIEU ONT EU DES VUES SUR CET INSTITUT,

QU'IL NE FAUT PAS NÉGLIGER DE METTRE ICI

PUISQU'ELLES SONT DE GRANDE ÉDIFICATION

Pendant que notre Révérende Mère Prieure était à l'Abbaye de Vignas, en Normandie, Soeur Dorothée de Ste Gertrude, sa compagne, étant un jour au réfectoire, elle fut ravie en esprit ; et dans ce ravissement elle la vit à genoux — ce lui sembla fort dévotement devant Notre Seigneur Jésus-Christ, qui lui paraissait être au milieu du réfectoire, entouré d'une merveilleuse clarté, le corps a demi couvert d'un manteau couleur de pourpre, le visage infiniment doux, mais qui paraissait affligé comme s'il eût eu quelque sujet d'un grand déplaisir. Lequel, portant sa main sur le front de notre Mère Prieure, la marqua d'une façon à faire concevoir qu'il la destinait à quelque chose de grand, et que l'accomplissement de la chose pour laquelle il la marquait ferait cesser le sujet de sa tristesse.

Et comme la chose parut à Soeur Dorothée être grandement glorieuse à Notre Mère, la pensée lui vint, en revenant à elle, si elle ne ferait point mal de la lui communiquer, de peur qu'elle n'en tira de la vanité ; mais il lui fut dit en son intérieur : « Ne crains point, dis-le lui seulement, elle n'en sera que plus anéantie ». Et cela lui fut répété jusqu'à deux fois, parce que son doute n'avait pas cessé par la première.

Et depuis qu'elle a vu l'Institut de l'Adoration perpétuelle établi, elle n'a point douté que ce ne fut la chose pour laquelle Notre Mère avait été ainsi désignée, par cette croix rouge qui lui fut marquée sur le front.

Notre Révérende Mère Prieure avait eu une vision fort approchante de celle-là, plusieurs années auparavant ; qu'un jour, étant tombée, comme on croyait, dans un accident d'apoplexie, dans lequel elle demeura plus de 15 heures sans connaissance — ce semblait —, elle vit, pendant sa suspension, ce doux Sauveur en la même manière que nous venons d'écrire, qui, la regardant d'un oeil amoureux, lui mit sa main sur la tête, et la poussa doucement comme lui disant : retourne au monde. En effet elle revint. C'est tout ce qu'on en a pu savoir d'elle. Elle n'avait alors que 22 ans.

Un an après l'établissement de Paris, au mois d'avril, notre Révérende Mère Prieure étant allée à notre monastère de Remberviller, la même religieuse — qui est de cette communauté — vit le Père éternel tenant les bras ouverts sur ce monastère-là et sur celui de

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Paris, comme s'il les eût voulu embrasser pour les renfermer dans son sein. Et comme elle n'avait nulle pensée alors, de l'union qui s'est faite depuis entre nos deux maisons, elle appliqua sur ce qui la touchait le plus : qui était l'appréhension où elle était, de même que toute la communauté, de perdre Notre Mère pour toujours, à cause de notre Institut qui l'attachait à Paris, ce qui les affligeait grandement. Et cette peur lui ayant fait produire sur l'heure un acte de résignation à la divine volonté, elle entendit une voix qui lui dit, :

« NE CRAINS POINT TOUT IRA BIEN ».

Elle ne comprit pas en ce temps-là ce que cela voulait dire, mais six ou sept ans après, l'évènement lui en a donné l'intelligence, qui est : que la maison de Remberviller ayant reçu notre Institut de l'Adoration perpétuelle, et par ce moyen s'étant uni au monastère de Paris, cette union nous conserve également cette chère Mère.

Le Père Marin Jomart, religieux Minime, personnage de très grande considération dans son Ordre, ayant été plusieurs fois Provincial, se rencontrant à Paris, malade, eut peur que la mort ne le prévint devant qu'il pût faire part à notre Révérende Mère Prieure d'une chose qu'il jugea devoir lui être extrêmement agréable ; si bien qu'il lui envoya un de ses religieux le lui dire. Qui était que la bonne Barbe, de Compiègne (5), avait prédit notre Institut de l'Adoration perpétuelle, ainsi qu'il voyait bien par l'évènement — disait-il — et qu'il l'avait entendu dire au Père de Condren, général de l'Oratoire, quelques années avant sa mort, sans qu'il eût dit ce que ce pourrait être. Ce général lui disant que cette fille l'entretenant un jour du respect dû au Saint Sacrement de l'autel lui avait dit : « Le temps viendra qu'il y aura des religieuses qui seront toutes appliquées à l'adorer », et que ce seraient des vraies réparatrices ; mais que la chose n'était pas encore prête.

Cette bonne Barbe était une pauvre servante de Compiègne, mais très riche des trésors de la grâce, dans laquelle elle était fort élevée par un très haut degré d'oraison et par le don de prophétie.

Elle était venue à Paris exprès pour avertir de la part de Dieu, Monsieur le Cardinal de Richelieu d'une conspiration qui se faisait contre sa personne. Et la chose examinée, il se trouva que son avis était vrai. Il est parlé d'elle fort amplement et fort honorablement dans la vie de ce Père général qui était son directeur.

(5) D'abord simple bergère puis servante chez un honnête marchand de Picardie, Barbe avait passé quelques 15 ans sans autre directeur que J.-C., lorsqu'elle connut le Père de Condren. Le Père Marin-Jomart dirige le petit groupe auquel appartient la soeur Barbe et qui sera illustré surtout par Antoinette Vivenel (mère Antoinette de Jésus lorsqu'elle entrera à l'abbaye SaintePerrine et que Brémond compare aux meilleurs mystiques de son temps). Cette âme éminement mystique a trouvé dans la direction du Père Marin l'aide dont elle avait besoin. Ce Père avait été formé chez les Minimes de la place Royale à Paris. Dans ce même couvent, nous rencontrons aussi le Père Le Sergent, frère de la mère Charlotte Le Sergent, mystique rayonnante de l'abbaye de Montmartre qui aura une grande influence sur mère Mectilde lors de son passage dans la célèbre abbaye. Abbé L. M. Pin, Vie du Père Charles de Condren, Lecoffre, Paris 1855. — Brémond, op. cit., t. VI, p. 342 & suiv.

Monsieur le baron de Renty (6), l'honneur de la noblesse française pour sa rare piété, avait prédit pareillement l'Institut ; car une fois, discourant avec quelqu'un de la dévotion à l'Enfance de Notre Seigneur Jésus-Christ, — à laquelle il était très particulièrement porté, — cette personne lui disait qu'il s'étonnait comment il ne s'appliquait pas plutôt à la dévotion au Très Saint Sacrement de l'autel, dans lequel se trouvait réellement ce Jésus-Enfant ? Il répondit qu'il trouvait cette dévotion trop forte pour lui, mais qu'il viendrait bientôt un Institut de religieuses qui y seraient entièrement appliquées. et que ce seraient des âmes d'élite ».

Une simple femmelette du faubourg St Germain, très favorisée de Dieu par beaucoup de connaissances qu'il lui départait — de laquelle même on rapporte qu'elle n'avait jamais perdu la divine présence pendant 14 ans qu'elle tint hostellerie —, nous prédit, devant que nous eussions le Saint Sacrement, que nous l'aurions, quoiqu'il n'y eut nulle apparence pour lors. Et après que nous l'eûmes eu, le jour de Notre Dame de Mars 1653 — comme nous avons dit ci-devant —, elle assura encore que nous l'avions pour toujours, de quoi l'on doutait fort pour lors.

C'est la même à qui Dieu avait donné connaissance du Séminaire de St Sulpice, avant qu'il fut entrepris par Monsieur l'abbé Olier, qui daigna déférer beaucoup, en cette entreprise, aux sentiments de cette âme de grâce (7).

Une autre femme, de même qualité que celle-là, et pareillement gratifiée de Dieu avait vu, plus de 20 ans auparavant, notre établissement. Ainsi qu'elle assure avoir vu notre monastère de Paris, tel qu'il se voit à présent, avec deux rangs de chaises au choeur — mais vides — pour signifier que c'était une chose à venir, et laquelle n'étant pas encore faite, les sièges ne pouvaient être remplis et que Dieu tirerait une très grande gloire de cet établissement.

Elle est encore pleine de vie, de même que la précédente, c'est pourquoi nous ne les nommerons point. Elle a eu diverses autres connaissances sur l'Institut qui se manifesteront avec le temps.

Le mari de cette dernière, qui n'est pas moins pieux que sa femme, ni moins favorisé de Dieu, assure avoir vu aussi Notre Seigneur Jésus-Christ sur cette maison, chargé de la croix, et plusieurs

(6) Né en 1611, au château de Bény, près de Bayeux. Il voulait entrer chez les Chartreux, mais ses parents l'obligèrent à embrasser la carrière des armes, c'est ainsi qu'il servit dans les guerres de Lorraine avec le duc de Weimar. Il épousa Mlle Elisabeth de Balzac d'Entraigues et se retira de la Cour 5 ans après, en 1638, pour se consacrer entièrement à la religion : secours aux catholiques anglais réfugiés, missions, sociétés d'artisans vivant en commun (tailleurs et cordonniers subsistèrent jusqu'à la Révolution). Il travailla à ces sortes de confréries artisanales avec celui que l'on a appelé le Bon Henri. Il est mort le 11 avril 1649. Hoefer, Bibliographie Générale, 1865. — J.-B. Saint-Jure, S. J., Vie de M. de Renty, Pierre le Petit, Paris 1664. — Père François Giry, Vie des Saints, supplément, Victor Palmé, Paris 1860.

(7) Ne serait-ce pas Marie de Gournay, veuve de David Rousseau ?

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Anges à l'entour, empressés à pourvoir aux besoins temporels des religieuses ; et particulièrement il leur voyait amasser du pain et du vin, pour signifier sans doute que Dieu l'assisterait toujours d'une spéciale providence pour le temporel, mais que ce pain et ce vin étaient la marque que ce serait la maison spéciale de ce divin Sacrement, qui s'opère sur ces deux principaux aliments de l'homme ; qu'ainsi ce serait la maison du pain de froment des élus et du vin qui fait germer les vierges.

Monsieur Gontier, trésorier de la Sainte Chapelle de Dijon, et Vicaire général de Monsieur l'Evêque de Langres, fort ami de notre Révérende Mère Prieure, l'étant un matin allée visiter, accompagné d'un bon religieux qui demanda de dire la Messe ; et quand il l'eût achevée il s'en vint dire à notre Révérende Mère, en présence de ce bon Monsieur Gontier : « Ma Mère, Dieu veut faire quelque chose de grand par vous pour faire honorer le Saint Sacrement de l'autel. Réjouissez-vous et préparez-vous y, il me l'a fait connaître à la Messe ».

Et ce même religieux, y retournant une autre fois, lui dit qu'il avait encore vu depuis leur maison comme un très beau parterre, dans lequel le Fils de Dieu se promenait avec un extrême plaisir, et semblait y prendre ses délices, comme si les âmes des religieuses lui étaient de très belles fleurs et de très bonne odeur ; et que ce doux Sauveur, le regardant, l'avait assuré qu'il ne laisserait manquer de rien à ces religieuses.

Il eut encore d'autres connaissances là-dessus, dont il ne nous souvient pas à présent.

Mais ce bon Monsieur Gontier faisait un si grand état de notre Révérende Mère Prieure qu'à son exemple, depuis l'Institut, il a introduit dans Dijon la dévotion de la Réparation au Très Saint Sacrement de l'autel pour tous les Jeudis de l'année, le soir, à l'heure du Salut public dans la grande église, où le prêtre même qui doit faire le Salut met la corde à son col et prononce, en présence du Très Saint Sacrement, devant tout le peuple, une oraison approchante de celle qui se dit céans (8).

Un religieux de l'Abbaye St Victor de Paris, nommé le Père de Troye, homme de grande oraison et d'une vie tout à fait austère et pénitente, lequel est mort en odeur de sainteté, assura pareillement un jour à notre Mère Prieure, qu'il avait vu la maison entourée d'une merveilleuse gloire, et que le Saint Sacrement y serait grandement honoré, et que cela arriverait infailliblement. Elle n'avait pas encore obtenu la permission de l'exposer ni de s'y établir.

(8) Cette coutume était aussi observée en l'église Saint-Sulpice avant la fondation de notre institut.

Une religieuse d'un autre Ordre, étant à l'oraison il lui fut dit en latin quelque chose de très grand de notre Institut ; et bien qu'elle n'eût aucune intelligence de cette langue, la parfaite explication lui en fut donnée pour entendre ce que ces paroles voulaient dire ; elle les écrivit après à notre Révérende Mère Prieure, par un billet qu'elle lui envoya, et qu'elle n'a pas pris soin de conserver.

Pendant que l'on bâtissait l'église de notre monastère de Paris, en l'an 1658, l'entrepreneur du bâtiment ayant négligé de visiter les carrières sur lesquelles elle est bâtie — quoiqu'il en fût averti par le bail à prix fait — se fussent [fut] chargé de faire à leur dépens les reprises qu'il y croirait nécessaire —, il arriva que, comme l'église fut achevée et que le couvent fut jeté, lui-même s'aperçut que tout s'en allait par terre, à faute de n'être pas soutenu par les fondements si bien que tout épouvanté, car la chute en paraissait tellement prochaine qu'il semblait même que l'on voyait branler les murailles ; il courut en avertir notre Mère Prieure qui, d'abord, fit faire de grandes prières et voua de faire dire plusieurs Messes pour les âmes du Purgatoire et en l'honneur des Saints Anges ; parce que l'on ne pouvait faire entrer des ouvriers dans ces carrières pour reprendre les piliers sans un péril évident d'y demeurer accablés.

Et dans ce temps-là, la Mère Benoîte de la Passion, Prieure dans notre maison de Remberviller — qui est morte depuis en très grande odeur de sainteté —, laquelle ne savait rien de ce péril, en étant éloignée de plus de soixante ou quatre vingt lieues, écrivit en ce même temps, qu'elle avait vu les Saints Anges et les âmes du Purgatoire soutenir un chantier de l'église qui était — selon que l'on peut juger de la manière dont elle l'écrivit — tout ce côté dangereux. Et le succès montra bien qu'il y avait eu un secours bien spécial du ciel, puisque tout ce travail qui dura plus de six semaines, et coûta plus de quatre mille livres, s'acheva sans qu'il en arriva le moindre accident du monde aux ouvriers.

Nous n'avons mis cette vision que pour montrer la protection particulière de Dieu sur notre maison de Paris. Il s'en pourrait rapporter encore bien d'autres de la qualité de celle-là, mais puisque celle-ci suffit à notre dessein, le surplus ne ferait qu'en vain grossir ce volume et ennuyer le lecteur.

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DE QUELQUES PERSÉCUTIONS SECRÈTES SOUFFERTES

PAR NOTRE TRÈS DIGNE MÈRE

Quand nous ne ferions pas mention que notre Révérende Mère a été persécutée, il n'est personne qui ne le supposât bien, puisque l'on sait assez que c'est l'ordinaire à toutes les oeuvres de Dieu d'être accompagnées de souffrances, et que c'est leur caractère essentiel, (au respect des oeuvres du monde).

Cela vient de ce que l'esprit malin, prince du monde et ennemi du règne de Jésus-Christ sur la terre — comme il (se) l'a déclaré dès le commencement dans le ciel, ne manque point de s'opposer quand il voit que ce règne peut recevoir de l'accroissement, parce qu'il va à la destruction du sien ; et leurs maximes se trouvant si différentes qu'il est absolument impossible de jamais les concilier, il faut de nécessité que l'un l'emporte sur l'autre, ce qui ne peut se faire sans combat. Ainsi les amis de Dieu, ou plutôt, ses fidèles sujets, qui soutiennent ses intérêts, ont toujours beaucoup à souffrir car ils ne sont pas les plus forts en nombre.

Nous avons déjà vu les assauts que Notre Mère a soutenus avant l'établissement de l'Institut ; il s'agit à cette heure de parler de quelques-uns, qu'elle a eu à soutenir en secret depuis. Et, en ceux-ci, cet esprit d'iniquité qui l'avait attaquée sous tant de différentes formes au commencement, pour la détourner de sa sainte entreprise, s'étant vu vaincu partout ne se rendit pas pourtant ; il se résolut de se mieux travestir à l'avenir, pour n'être plus reconnu, et prendre de nouvelles armes, plus propres pour attaquer sa patience et la faire du moins trébucher puisqu'il n'avait pu la détourner de son entreprise.

Pour faire cela il emprunta le zèle indiscret et immodéré de plusieurs serviteurs de Dieu, qui lui firent en effet ressentir cette sorte de persécution que le Fils de Dieu, parlant à Sainte Thérèse, nommait : la plus cuisante de toutes les persécutions, c'est à dire : celle venant des gens de bien — souvent vrais amis de Job par leur peu de prudence —, plus propres, sous prétexte de leurs bonnes intentions, de désoler l'affligé que de le consoler.

Et, ce qui en est de fâcheux, c'est que contre ces sortes de personnes l'on n'a rien du tout à dire, parce que la prévention où est tout le monde de leurs bonnes intentions fait que l'on n'écoute pas même les justifications. Ainsi l'on ne saurait éviter de demeurer dans l'humiliation profonde quoique l'on soit innocent.

Du moins, en celles qui viennent de la part des méchants, a-t-on la consolation que les gens de bien sont pour nous, et qu'il est glorieux de souffrir pour la justice — ce qui n'est pas un petit appui —, mais en l'autre, l'on n'a rien à s'appuyer qu'en Dieu seul, et il n'y a qu'à demeurer dans le silence.

L'occasion de celles dont nous avons à parler, vient de l'éclat que commença d'avoir notre Institut, sa nouveauté, et ce, qu'en effet c'est une chose tout à fait extraordinaire à des Filles que d'entreprendre d'être jour et nuit en adoration devant le Très Saint Sacrement, quelque temps qu'il fasse, et quelque rigoureux que soit le chaud ou le froid ; leur persuada qu'il y avait de l'illusion, ou tout au moins une témérité épouvantable, jugeant du tout impossible que des personnes d'un sexe si faible et si délicates puissent soutenir longtemps cette entreprise.

Si bien qu'ils venaient quelquefois examiner Notre Mère, et d'autres fois, seul à seul, l'interrogeant sur les mouvements qu'elle avait eus d'entreprendre cette grande oeuvre : et comment c'était ? et d'où lui en était venue la mission ? Comme si chacun d'eux eût (eu) droit de l'éprouver, ajoutant à toutes ces interrogations des remontrances très mortifiantes.

Et elle endurait tout cela volontairement, car, si elle eût eté moins humble, il lui eût été bien aisé de se défaire de ces importunités ; puisqu'étant établie — comme elle était — par l'autorité du Roi et des Supérieurs écclésiastiques, elle n'avait plus que faire d'en rendre compte à personne. Ainsi elle n'avait qu'à leur répondre avec un peu de fermeté qu'elle avait satisfait ses légitimes Supérieurs, qu'après cela elle n'était point obligée d'en instruire le reste du monde.

Ou bien, elle pouvait refuser d'aller à ces grilles leur parler ; ou bien encore, elle pouvait les rendre : de ses censeurs, ses admirateurs, en leur découvrant les excellentes choses qui s'étaient passées et se passaient encore en elle là-dessus.

Mais comme son esprit a toujours été un esprit de mort et de sacrifice, elle ne voulut faire ni l'un ni l'autre, mais voulut obéir à tout le monde ; se laissant, comme une pauvre victime, dévorer à qui le voulait sans leur résister en rien. Au contraire, leur rendant avec respect compte de sa conduite, par toutes les raisons que la prudence humaine lui permettait d'alléguer, et puis elle se taisait respectueusement après avoir achevé. Même, quand ils semblaient n'en être pas tout à fait convaincus, elle endurait leurs censures sans répliquer davantage, quoiqu'ils les fissent souvent avec bien de la chaleur.

Cependant cette importunité ne dura pas seulement des mois entiers, mais encore des années, car elle fut près de trois ans comme cela inquiétée ; et dans ces trois ans, souvent des trois et quatre heures par jour, sans que jamais, au sortir de ces ennuyeux entretiens, on l'entendit s'en plaindre ni murmurer tant soit peu, ni seulement en paraître altérée ou ennuyée ; quoique, bien des fois, elle était prête à s'évanouir de fatigue ou de rompement de tête, ou de l'excès du

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chaud ou du froid extrême qu'elle avait enduré au parloir. Bien plus, quand ses religieuses lui voulaient remontrer pour quoi elle endurait tout cela ? qu'elle ne les congédiât ! qu'après tout c'était une honte pour la communauté qu'on usât de la façon sur elle ! elle répondit doucement qu'elle était si abjecte et si misérable que tout le monde avait droit de la gourmander.

Il y eût même un Père, d'un Ordre fort considérable, qui lui vint dire un jour que c'était par l'esprit du diable qu'elle avait fait tout ce qu'elle avait fait, et qu'il n'y avait qu'orgueil en tout cela.

Il est vrai qu'à ce mot de : diable, elle dit à celui-ci : « Mon Père, puisque votre Révérence croit que l'esprit du démon est l'auteur de cette maison il est juste de la détruire. A Dieu ne plaise que je lui adhère un moment ». Et comme il lui répartit qu'elle n'avait garde de le faire, elle se fit tout à l'heure apporter une échelle sur laquelle elle monta pour aller détacher la croix qui était posée sur leur porte de clôture. Elles étaient lors à la rue Férou. Mais comme ce Père vit, qu'en effet, elle commençait d'y monter, il admira cette grande démission d'elle-même et cette grande obéissance, pareille à celle de St Siméon Stylite, qui s'apprêtait de descendre de sa colonne au commandement que lui en faisaient, pour l'éprouver, plusieurs serviteurs de Dieu, quoiqu'ils ne fussent pas ses supérieurs, et lui cria de cesser, lui commandant de descendre, ce qu'elle fit aussitôt sans réplique et sans qu'il parût ni en son visage ni en son discours la moindre altération du monde.

Et ce Père demeura si édifié d'elle qu'il fut toujours, depuis, son ami et son admirateur, ne cessant de publier ses louanges.

De même que firent tous ses autres persécuteurs, qui furent à la fin vaincus de son humilité profonde et de la sagesse qui paraissait en tous ses discours ; et changèrent leur censure en estime et en respect, et lui furent, après, tout autant affectionnés qu'ils lui avaient été contraires.

Une autre chose encore lui attira bien de la persécution dans ce même temps : ce fut quand il se présenta des filles.

L'envie des uns et le mépris des autres lui donnèrent bien de l'exercice, pour les contes que l'on faisait d'elle et de sa maison, pour détourner les prétendantes de s'y rendre.

Les uns allaient dire aux parents s'ils pensaient bien à ce qu'ils faisaient, de souffrir que leurs filles eussent ce dessein ! Que c'était une maison faite depuis quatre jours seulement ! qu'on ne voyait point clair dans leurs affaires ! qu'il y avait, à la vérité, des contrats de fondation, mais qu'il y pouvait avoir des contre-lettres en faveur des prétendues Fondatrices ! qu'il n'y avait point de plaisir de faire la planche en semblable occasion, qu'il faisait bon de la laisser faire aux autres ! Que, de plus, c'étaient des étrangères dont l'esprit, les moeurs et les humeurs ne convenaient point avec les moeurs et les humeurs de France ; que l'Ordre en était trop austère, que c'était un Institut tout nouveau et qui, apparemment, ne pouvait se maintenir, à cause de cette grande sujétion de l'adoration perpétuelle ; et cent autres choses que l'on remontrait aux pères et mères, et aux filles mêmes.

D'autres survenaient là-dessus, leur dire comme en dérision : Quoi ! c'est à ces petites filles de Lorraine, à qui, il n'y a pas encore deux ans que nous faisions l'aumône, où vous voulez aller ? Elles mourraient de faim il y a si peu de temps ! comment pourraient-elles avoir amassé assez de biens depuis ce temps-là pour avoir fait une maison où il fit bon s'aller rendre ? C'est se moquer seulement que d'en avoir la pensée, et ce serait grande folie à vos parents de le souffrir !

Tout cela était rapporté à cette humble Mère, ou par les tilles ou par leurs parents, qui, se trouvant souvent échauffés par ces beaux donneurs d'avis, lui venaient dire à elle-même d'un ton fort désobligeant que toutes ces choses les tenaient en considération ; et que tous leurs amis n'étaient point du tout d'avis qu'ils donnâssent leur consentement à leurs filles.

Quelques uns en vinrent à lui demander à voir les contrats de fondation et l'exécution qui s'en était ensuivie, et même leurs livres de comptes, et enfin les papiers les plus secrets de leur maison. Et ensuite, l'interrogeaient : de son nom ? de sa naissance ? de ses amis ? du sujet qui l'avait fait venir en France ? et depuis quand elle y était venue ? et comment ? et pourquoi ? et avec qui ? Et telles autres importunités et impertinences qui n'altéraient non plus sa paix et sa douceur que ces premiers importuns.

Même, comme il se trouva une fille, bien apparentée, assez courageuse pour se déterminer à venir malgré tous ces ridicules contes, les parents obligèrent un prélat de grande piété, de qui elle était fort connue, de l'en détourner absolument — comme il fit —. Et afin que la chose fût plus amère à notre vraie patiente, il voulut lui-même se charger de dégager la parole de cette fille, et au lieu de le faire avec quelque honnêteté, — puisqu'il lui venait annoncer une chose fort désagréable sans doute, car la fille était un très bon sujet, et pouvait apporter bien du bien, — il le prit sur un ton de réprimande, comme si notre pauvre Mère eût paru trop téméraire d'avoir osé seulement écouter cette pensée, lui disant qu'elle en devait dégager son coeur, et la rendre à Dieu sans y prendre plus de part.

Et, de fait, depuis ce jour-là, cette fille fut trois ans sans y revenir. Mais au bout de ces trois ans, il fallut qu'elle cédât à l'esprit de Dieu qui la voulait dans cet Ordre, et qui n'avait cessé de l'en solliciter tout ce temps-là. Si bien qu'après plusieurs combats rendus contre le monde et contre elle-même, elle s'en vint courageusement au monastère, où elle fut bientôt reçue parce que — comme nous avons dit — elle était déjà connue pour être assortie de toutes les

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qualités que l'on pouvait désirer et lesquelles la persévérance couronnait. Aussi a-t-elle très bien réussi, et réussit-elle encore, de l'heure que nous écrivons. Ceci pour une récompense que Dieu donna à notre très digne Mère de l'humiliation qu'elle lui avait fort innocemment causée.

D'autres filles après cela y vinrent, et quelques autres avaient été reçues auparavant.

Ainsi la maison commença de devenir en assez grande considération pour que la persécution cessât quant à ces deux points.

Mais, quand on les vit ainsi accroître et éclater, quelques maisons religieuses commencèrent aussi à se soulever contre elle, par envie.

Il y eut même une Supérieure qui lui écrivit fort aigrement qu'elle usurpait sur son Ordre le titre de Religieuse du Saint Sacrement, qu'elles en étaient en possession les premières, et qu'elles s'y feraient bien maintenir, la menaçant de procès.

Mais si la charité est cause que l'on n'a pas gardé cette lettre, l'humilité a fait découvrir la réponse que lui fit notre Mère Prieure, parce que, bien qu'elle s'en cachât beaucoup, comme toute la communauté avait eu le vent de cette bravade, elles étaient tellement aux aguets pour voir cette réponse — à cause qu'elles se méfièrent qu'elle s'abaisserait trop selon sa coutume, devant celle qui la prenait si légèrement à partie —, qu'elles surprirent sa lettre, et la trouvèrent en effet du style qu'elles avaient appréhendé, si bien qu'elles la retinrent secrètement ; et par ce moyen elle est demeurée entre les mains de quelqu'unes comme un monument éternel de sa constante humilité en toutes rencontres ; et elles nous l'ont prêtée pour la mettre ici en témoignage de la vérité que nous disons. Et le silence dans lequel nos Soeurs sont demeurées à la suite a mis fin à cette jalousie.

RÉPONSE DE LA MÈRE PRIEURE

Il n'y a rien de plus véritable que je suis indigne du titre glorieux de Fille du Très Saint Sacrement. Peut-être que celles qui me blâment de l'avoir usurpé ne pénètrent pas si profondément que moi les raisons qui m'en rendent indigne ? Le monde parle en sa lumière ténébreuse, qui procède des raisons humaines et souvent d'un fond imparfait, mais Dieu, qui est la Lumière éternelle, ne se trompe point dans les raisons qu'il envoie dans l'intime de nos âmes pour nous faire connaître et confesser notre néant à sa pure gloire.

Oui, j'avoue que j'ai pris ce titre glorieux de : Fille du Très Saint Sacrement, et celles qui me le veulent ôter exercent en cela un acte de justice que j'adore en Dieu, me réjouissant de voir que l'on se revêt de ses intérêts, et que l'amour de sa gloire m'en prive, et me dépouille de ce que je tiens de plus précieux et de plus auguste, et dont je tire toute la mienne.

Puisque j'ai profané ce titre en des manières infinies j'en dois une restitution qui surpasse ma capacité, et que Dieu seul se doit rendre à lui-même, comme étant, dans ce divin et adorable Mystère, notre Réparateur aussi bien que notre avocat, et que notre Juge Souverain Seigneur.

C'est pourquoi je remets ce titre au pied du trône de sa suprême grandeur, avec protestation de souffrir que l'on m'en prive, avec honte et ignominie de l'avoir usurpé ; puisqu'il est vrai de dire et de prouver qu'il n'y a créature sur la terre qui le mérite moins que moi, d'autant que je suis une profanatrice de ce Mystère adorable, et que le mésusage que j'en ai fait toute ma vie me condamne absolument, sans que je puisse rappeler de ma sentence.

Dans ce sentiment de vérité je dois souffrir tout ce que ma présomption mérite de châtiments ; et je les reçois, dès à présent, tels qu'il plaira à sa divine providence de me l'imposer, sans que je voulusse me défendre, ni soutenir mon droit apparent ; je l'anéantis au pied du Saint Autel en hommage et réparation de ma superbe qui souffrira sa dégradation.

Et qu'elle soit confondue devant le ciel et la terre ! Et ce sera d'autant plus justement qu'elle sera trouvée vide des saintes qualités et dispositions que doivent avoir les filles du Très Saint Sacrement, ne le suis-je pas plus de me dire sa victime sans doute le prenant de moi-même mais il me semble qu'en celui-ci je serai moins coupable que de l'autre, puisque Jésus-Christ lui-même me le donne et qu'au dire de Saint Paul nous sommes immolées avec Lui.

Tous les chrétiens doivent être des victimes, et ils le sont par la grâce du baptême. Je n'usurperai rien donc en cette qualité, puisque Jésus-Christ même me l'impose, et qu'elle m'est commune avec tous les chrétiens, dont la plupart ignorent leur grandeur et la parfaite union qu'ils ont en Jésus-Christ. Les créatures, ni l'enfer même ne m'ôtera pas ce sacré caractère de victime de Jésus puisque le saint baptême que j'ai reçu me l'a gravé et imprimé jusqu'au centre de mon âme et dans toute la substance de mon être. O titre glorieux ! O qualité sacrée, je dois vous recevoir et vous porter avec amour et respect puisque Dieu Lui-même me l'a donné avec Lui, et me commande même de vivre de cette vie et de cet esprit, en sorte que je remplisse cette qualité de victime comme Lui-même l'a remplie en Lui-même et par Lui-même autant que la créature en est capable, le monde donc me dépouillera de celle de fille du Très Saint Sacrement et Jésus me revêtira de celle de sa victime.

Je puis dire qu'il est la mienne aussi et que s'immolant sans cesse à son Père pour mes crimes, je dois être immolée à sa sainteté et à sa justice. C'est le voeu que nous faisons et que nous devons fidèlement observer par toutes les fidélités que cet état demande indispensablement ; quoique j'ai ouï ingénuement que je ne l'ai point encore remplie comme je devais.

QUATRIÈME PARTIE SUITE DES MÉMOIRES 1633-1663

CHANGEMENT D'ORDRE DE LA MÈRE PRIEURE

Voici donc un de ces faits desquels nous avons promis d'informer notre lecteur, pour lui donner une connaissance entière de toute la vie de cette digne religieuse, dont tous les endroits sont si beaux, qu'il serait à souhaiter que quelque excellente plume en entreprit l'histoire ; et toutefois, quiconque l'entreprenne, ce lui sera toujours chose fort malaisée de s'en acquitter avec le succès que la chose mériterait, par les soins qu'elle a apportés de cacher aux yeux du monde ce qu'il y avait de plus admirable ; car le narré n'en saurait paraître que dénué de ses principaux ornements.

Ce que nous en devons dire à présent, c'est que, bien que religieuse depuis presque son enfance, elle n'a pas toujours été Bénédictine. La première Religion où elle avait fait profession est celle de la Bienheureuse Jeanne de France, sous le titre de l'Annonciation de la Sainte Vierge, autrement : des dix vertus, qui sont vêtues de gris avec un scapulaire rouge.

Ce fut en 1632, dans le bourg de Bruyère, proche St Diéz, lieu de sa naissance, vers les montagnes de Lorraine, qu'elle prit l'Habit dans une maison de cet Ordre, étant âgée d'environ 17 ans, et y fit profession l'année suivante, sous le nom de Soeur Catherine de Saint Jean.

En cette action il se passa plusieurs choses merveilleuses ; et, entre les autres, une qui fait trop à notre sujet pour que, bien que nous n'ayons pas dessein d'approfondir jusqu'aux circonstances de la vie, nous [ne] puissions nous empêcher de la rapporter. C'est que dans cet Ordre ils observent une cérémonie : qu'après les voeux faits, le prêtre qui fait la solennité met au doigt de la nouvelle professe une bague, en signe de ses épousailles avec Dieu, laquelle les parents ont accoutumé de donner des plus belles qu'ils puissent trouver. Mais elle ne la porte que les dix jours du silence sponsal — qu'ils appellent — qui sont 10 jours qu'elle demeure en retraite, après la profession, sans parler à personne du monde ; bien que les religieuses ne laissent pas d'aller tour à tour dans sa chambre pour la saluer.

Et, dans les 10 jours de notre Soeur Catherine de St Jean, un jour, en présence de quelques unes qui se rencontrèrent dans sa cellule, son anneau s'ouvrit de soi-même par le côté sans qu'elle y eût seulement touché, ni même fait chose aucune de cette main qui l'eût pu forcer ; ce qui paraissant fort extraordinaire à toutes celles

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qui la virent, elle s'en alla tout éplorée le montrer à la Supérieure, se jettant à genoux devant elle sans lui dire mot, mais lui mettant cette bague entre les mains ; et la Supérieure, la voyant ainsi ouverte, après avoir bien examiné le tout, lui répondit en soupirant : « Cela signifie, ma Soeur, que vous ne mourrez pas dans l'Ordre ».

Elle prophétisa mieux que peut-être elle ne pensait, puisque sa prophétie s'accomplit assez peu de temps après, qu'elle en changea en effet, par des évènements tout à fait de providence.

Car il arriva que, trois mois après sa profession, la guerre s'alluma tellement en ce quartier, que le bourg de Bruyère ne pouvant éviter d'en sentir la fureur, les religieuses se résolurent de fuir de bonne heure. Comme cela elles vinrent chercher refuge à la ville de Badonviller, à cause d'une des maisons de S.A. de Lorraine, dans laquelle elles furent logées ; et d'où, après un séjour assez court, à cause du peu de sûreté qu'elles y trouvaient, elles s'en vinrent à Commercy, chez Monsieur des Armoises (1) qui est co-seigneur de ce lieu-là avec la maison de Retz, lequel leur prêta la moitié de son château, où elles demeurèrent assez longtemps, parce qu'elles y étaient en une très grande assurance.

Et pendant qu'elles y firent séjour, notre Soeur de St Jean fut élue Supérieure, quoiqu'elle n'eût pas encore trois ans de profession et vingt et un d'âge (2), tant son mérite éclatait déjà.

Mais, la guerre continuant, ce lieu ne put éviter de s'en sentir à la fin comme tous les autres ; si bien qu'elles furent contraintes d'en partir, et s'en vinrent dans la ville d'Epinal, se réfugier ; où pareillement, ayant demeuré quelque temps en maison bourgeoise, elles furent conseillées de s'en venir dans la ville de Remberviller qui valait encore un peu mieux ; et où les parents de notre Mère de St Jean l'y désiraient fort

Monsieur le Colonel Lhuyliers (3), son beau-frère, qui la chérissait beaucoup, étant allé lui-même faire la proposition à la Mère Bernardine qui était Prieure de notre maison de ce lieu, de la prendre en pension, ce qu'elle lui accorda, à cause de la grande considération où il était dans l'armée de Lorraine. Si bien qu'elles la mandèrent venir pour voir elle-même si elle pourrait s'y accommoder, ce

(1) Un Antoine des Armoises, baron d'Autren et de Basville s'est marié à Matilde Catherine du Mesnil de Vaux. Dict. de la Noblesse, la Chesnaye Desbois, t. II, p. 210.

(2) Il ne faut pas trop s'étonner de voir nommer supérieure une si jeune religieuse. La plupart des abbayes étaient alors gouvernées par de très jeunes abbesses. Ce sont des jeunes filles de 20 ans, et parfois moins qui ont réformé les grandes abbayes de France au xviie. Blémur, Eloges, Bremond, op. Cit., t. II.

(3) Il avait épousé la soeur aînée de mère Mectilde, Marguerite. Le N 248 dit de lui : « Il était brigadier des armées du duc de Lorraine et colonel d'un régiment. Il fut depuis gouverneur de Bar et de plusieurs autres places. Le colonel L'Huillier faisait partie des armées du Duc de Lorraine et bien qu'il ait reçu de flatteuses propositions des armées de France, il resta fidèle à Charles IV ». Dom Pelletier, Nobiliaire de Lorraine, p. 492. — Bulletins de la Société Philomatique Vosgienne, Saint-Dié.

qu'elle fit. En étant demeurées également satisfaites de part et d'autre

— après un séjour de trois semaines qu'elle y fit avec une compagne

— elles convenaient fort qu'il ne fallait plus se séparer.

Mais il y avait l'obstacle que la Mère de St Jean ne pouvait du tout se résoudre d'abandonner sa petite communauté, de sorte que la Mère Bernardine, qui l'avait beaucoup goûtée, lui offrit pour remédier à cela que, si elle voulait revenir avec toute sa communauté, elle lui ferait vider un quartier du monastère pour tout le temps qu'elle voudrait, où elles pourraient vivre à part, dans toutes leurs observances.

Et lui promit [de] les aider de tout ce que leur pauvreté leur pourrait permettre, car les guerres les avaient rendues aussi très pauvres ; sans cela elle aurait entrepris de les nourrir, plutôt que de n'avoir pas notre Mère de St Jean ; laquelle, accep tant des offres si charitables de la Mère Prieure et de la communauté, promit de revenir au plus tôt, si on lui permettait d'aller quérir le reste de sa petite troupe, et leurs pauvres hardes, qui consistaient à bien peu.

Elle le fit, et demeura comme cela un an entier dans notre monastère de la Conception, pendant lequel la M. Bernardine ayant encore plus de temps de découvrir les grands trésors de nature et de grâce qui se trouvaient renfermés dans la M. de St Jean, ne songeait plus qu'aux moyens de l'acquérir tout à fait à sa maison.

Si bien que, se servant du mauvais état de sa fortune présente, elle se hasarda de lui en faire la proposition un jour, lui remontrant qu'elle ne pouvait plus du tout espérer retourner dans son monastère, puisqu'il était absolument détruit dans les ruines de ce bourg de Bruyère, comme en effet il fut brûlé et démoli peu de temps après que la M. Catherine de St Jean avec sa communauté en furent sorties. Qu'elle ne pouvait pas espérer non plus, dorénavant, de se rétablir en corps de communauté en aucune ville du pays, — d'autant que toutes étaient hors de défense, et par conséquent toujours dans l'appréhension d'être prises et saccagées —, qu'aussi, d'aller comme cela rôdant parmi le monde, en habit religieux, elle se trouverait exposée à de grands inconvénients, étant jeune et bien faite comme elle était. Ajoutant à cela encore qu'il était permis par les saints canons aux personnes religieuses de passer dans un Ordre plus austère que celui où elles avaient fait profession pour trouver leur perfection, et que l'Ordre de St Benoit était, sans difficulté, plus austère que celui dans lequel elle vivait.

Et toutes ces considérations si fortes, jointes à la très pressante sollicitation que Dieu lui faisait dans son coeur d'en venir à ce changement, firent qu'après une longue et mûre délibération, suivie de plusieurs consultations de docteurs et autres gens de piété desquels elle prit avis, la Mère de St Jean se résolut à la fin à cela.

Mais auparavant elle ne manqua pas de pourvoir à placer les religieuses qui lui restaient de sa communauté, qui n'étaient en tout que cinq, parce que, dans ces fréquentes alarmes et dans tant de

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changements de demeures qu'elles avaient été contraintes de faire, plusieurs s'étaient retirées chez leurs parents et les autres étaient mortes. Et pour les cinq, elle les plaça dans diverses maisons de leur Ordre, avec la permission des Supérieurs, auxquels elle fit aussi de grandes instances de lui permettre ce changement. Ce qui, lui étant absolument refusé, elle fut conseillée pourtant de ne pas laisser de passer outre à prendre l'Habit de Saint Benoit, puisqu'elle avait assez suffisamment fait ses diligences pour obtenir son congé.

Comme cela elle prit notre saint Habit, sous le nom de Catherine Mechtilde au lieu de celui de Catherine de St Jean. Ce fut au mois de juillet 1639, et elle fit profession au bout de l'an du Noviciat, sans avoir voulu être dispensée de le faire à la rigueur, quoiqu'elle eût rempli les premières charges de l'Ordre dont elle sortait. Et il n'y avait que 7 ou 8 mois qu'elle y avait fait ses voeux quand elles vinrent à St Mihiel, et de St Mihiel à Montmartre [cf. p. 51-56] ; Dieu l'ayant toujours chassée de toutes parts, par le moyen de la guerre, jusqu'à ce qu'à la fin elle eût pris la résolution de s'arrêter à Paris, où il la destinait pour sa gloire.

Nous avons de son changement d'Ordre un Bref de notre Saint Père le Pape Alexandre 7ème, du 20 octobre 1660.

Cependant nous dirons quelle a été l'occasion qui a obligé cette Mère de l'obtenir. Ce fut que les Pères Cordeliers de Lorraine, directeurs de ce premier Ordre, voyant l'éclat de notre établissement et la grande estime où était l'Institut, se faisaient déjà entendre [disant] que le tout leur appartenait, puisqu'il avait été fait par une personne de leur Ordre et dépendant de leur juridiction ; que, comme son passage dans l'Ordre de St Benoit n'avait pas été autorisé par le Pape, tout ce qu'elle avait fait dans cet Ordre était de nulle valeur.

Par ce moyen ils prétendaient que le leur devait être réintégré et de la personne et des biens, et demeurer légitimes possesseurs de tout ce que nous avons vu qui a été fait en faveur de Notre Mère ; car, disaient-ils, elle n'était pas capable, à cause de ses voeux de religion, de rien acquérir à son profit particulier et rien recevoir que pour son Ordre.

En façon que ces menaces étant venues jusqu'à nos Mères, elles résolurent de les prévenir, quoiqu'elles fussent bien assurées que la conduite de notre Mère Prieure pouvait être soutenue, d'autant que les empêchements invincibles que la guerre, qui régnait lors si cruellement en son pays et qui n'a cessé de longtemps après — avec l'extrême pauvreté où la même guerre l'avait réduite —, l'avaient assez dispensée des choses qu'elle eût été obligée de faire en un autre temps à l'égard de la Cour de Rome ; et qu'elle n'avait rien fait qu'avec l'autorité des Seigneurs Evêques diocésains. Mais il fut trouvé meilleur de couper chemin à cette occasion de persécution, que d'attendre d'avoir la peine, après, de s'aller défendre à Rome par les voies de la justice.

Depuis ce temps-là, soit que ce Bref ait été connu de ces Pères, ou soit qu'eux-mêmes ayant reconnu qu'ils ne seraient pas bien fondés, ils n'ont plus parlé de rien.

Mais il faut regarder les choses venir de plus haut et reconnaître qu'il y avait, en son passage d'un Ordre à l'autre, un mystère qui ne paraissait pas alors, et qu'il n'y avait que l'Institut de l'Adoration perpétuelle qui nous l'ait pu découvrir : il fallait que, pour appartenir si étroitement — comme elle fait à présent — au Saint Sacrement de l'autel, elle fût fille de St Benoit. C'en devait être la porte et le vrai chemin pour y arriver.

Le rapport et convenance qui se trouve de la Règle de ce grand Patriarche avec l'Institut de l'Adoration perpétuelle, demandait que cette sainte Règle en fut la base et le fondement ; puisque celles de l'Institut devaient mener une vie austère, pénitente, et fort séparée du monde pour être des vraies victimes et dignes réparatrices, et cette sainte Règle contient éminemment tout cela, comme nous avons vu dans l'un des Ecrits de notre dite Mère Prieure.

Nous remarquerons seulement une autre espèce d'alliance ou de liaison que Notre Mère a su faire encore, de son premier Ordre à celui de St Benoit. C'est ce respect tout particulier qu'elle fait rendre dans sa maison à la Très Sainte Vierge, Mère de Dieu, de la faire reconnaître pour ABBESSE ; parce que l'on en fait de même dans cet Ordre des dix vertus, et cela ne se fait pas dans les maisons de St Benoit. Comme aussi elle en a apporté la dévotion à St Jean l'Evangéliste, duquel l'on fait commémoration céans comme d'un patron spécial, en qualité de fils adoptif de la très sacrée Vierge. Ainsi, en quittant l'Ordre, elle en a su conserver l'esprit principal, sans altération de celui de St Benoit.

Dominique L'Huillier, né à Moyemont, épousa Marguerite de Bar, soeur de Mère Mectilde. Il était lieutenant-colonel d'infanterie dans les troupes de Lorraines lorsqu'il fut annobli le 17 janvier 1646. Il fut successivement gouverneur de Bitche, Hambourg, Neufchâteau et Landsthul. Il obtint de Son Altesse de Lorraine l'hérédité de la capitainerie de Spitzemberg, en indemnité de ce qu'il avait été fait prisonnier trois fois à son service, et s'était racheté à grands frais.

Les armes parlantes de L'Huillier portent d'azur, à une bande d'argent, chargée de trois olives de sinople ; et pour cimier un dextrochère tenant une branche d'olivier au naturel.

(Extrait du « Nobiliaire de Lorraine » de Dom Pelletier, p. 492, communiqué par le Président du Cercle généalogique Lorrain).

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DIVERSES LETTRES DE NOTRE RÉVÉRENDE MÈRE PRIEURE DU SAINT SACREMENT, ÉCRITES A MADAME LA COMTESSE DE CHATEAUVIEUX

LETTRE PREMIÈRE.

Ne voulez-vous pas bien, ma bien aimée fille, que je verse la douleur de mon âme dans votre coeur, en l'aveu profond de mes extrêmes indignités qui me mettent aujourd'hui en privation de la plus glorieuse possession que je puisse avoir sur la terre.

Vous voyez, mon enfant ; et vous pouvez pénétrer sans peine très profondément jusqu'au point où l'abîme de ma misère me réduit.

Je suis touchée, je l'avoue, mais d'une touche qui m'anéantit ; Ce n'est point une douleur passagère ou simplement sensible, mais c'est un je ne sais quoi qui fait des effets en moi très particuliers, qui me retire dans l'essence divine, qui me fait voir mon indignité, et qui m'y fait prendre plaisir, voyant que le procédé de Dieu est si saint et si juste, que toute mon âme se trouve fondue et liquéfiée d'amour et de respect au regard de sa divine conduite.

Ne voulez-vous point me consoler, mon unique enfant ? Vous me laissez dans la privation, et ne m'en dites mot.

Hélas ! peut-on consoler une âme privée de son Dieu ? ô rigoureuse privation ! ô soustraction insupportable à une âme qui aime, et qui n'est point encore morte !

Mais, si je vous parle selon ma petite lumière, ô qu'il fait bon perdre Dieu dans Dieu même, et porter un état de mort à tout.

Mon âme s'étant retirée dans un profond silence s'est rendue, selon sa grâce et sa capacité, une victime d'amour, où j'apprends une loi plus étroite de retraite, d'abjection, de bassesse, de rebuts, de pauvreté et de néant. J'apprends de grands mystères sur cette privation, et comme la foi pure et nue est mon précieux sacrement, comme j'y dois être unie et consommée par le très pur et dévorant feu du divin amour.

O que Dieu veut que je sois petite en toutes manières devant les créatures, que je n'y trouve point de place, point de rang, ni d'affection !

Il n'y a qu'à vous, très chère et unique, à qui je veux parler ; mais en vous écrivant les dispositions de mon âme il me vient un doute. Si vous persévérez dans la fidélité que vous m'avez si solennellement promise, vous pouvez-vous retirer de nous en secouant le joug de l'obéissance et de la soumission ? Cette pensée n'a pas eu la force d'arrêter le courant de mon esprit qui s'épanche dans votre âme.

Parce que je n'ai point recherché ni l'ouverture de coeur, ni l'union, Celui qui en est l'auteur la conservera pour sa gloire en la manière qu'il lui plaira ; je ne m'en veux point mettre en peine.

Dieu est bon, je dois agréer qu'il m'anéantisse, et continuer à vous parler comme j'ai commencé ; ne m'en pouvant dédire je vous garderai cette sincérité que rien ne vous sera caché de ce que la Providence fera tomber dans mon souvenir, ou que vous pourrez désirer, tant il est vrai que nous n'avons qu'un coeur en Jésus.

Je n'avais pas dessein de vous dire toutes ces choses, mais seulement vous prier de me dire votre pensée touchant la somme que Madame de Bauves m'a mise en mains ? Je suis fort pressée intérieurement de la rendre demain qu'elle viendra céans ; car il ne faut tromper personne dans leurs intentions, puisque nous n'avons point le Très Saint Sacrement il faut lui rendre ce qu'elle avait donné pour l'orner ; et même le tabernacle, car je ne puis agir autrement.

Il me semble que je touche si peu toutes les choses de la terre, que la privation d'icelles m'est comme la possession ; et mourir dans l'extrême pauvreté m'est la même chose, voire — si je l'ose dire —, infiniment plus précieux que de mourir dans l'abondance et dans l'éclat. Jésus notre divin Maître nous a donné un admirable exemple de cette suprême pauvreté.

O ma bonne fille ! ne serons-nous jamais pénétrées et consommées ? n'aurons-nous jamais de vie [qu'] en Jésus [seul] ? O ! que cette vie-ci est pleine d'impuretés et de malignités, qui nous retirent sans cesse de notre bienheureuse union à Jésus !

O que mon pauvre coeur vous dit de choses ! et pourquoi veut-il parler à vous, après s'être tu tant d'années ? Non ! je ne veux point lui donner l'essor, il faut anéantir la satisfaction que j'y pourrais prendre, pour m'abîmer dans le bon plaisir de Dieu en qui nous devons prendre nos délices.

A Dieu ma très chère, je vous embrasse en l'amour divin par lequel je suis, comme vous savez, plus à vous qu'à moi-même.

LETTRE DEUXIÈME.

Ma doublement vraie et unique fille,

Je vous viens dire bonjour dans un transport de joie très grand que je ressens dans le fond de mon âme, au regard de la possession aimable du Très Saint Sacrement de l'autel.

O ! que je me sens infiniment votre obligée, de m'avoir donné tout ce que le paradis aime et adore, et qui est l'objet béatifique des Saints ! O ! que de mystères pleins d'étonnement !

C'est à vous, ma chère fille, à qui je dois cet honneur et cette grâce. Il me semble que je vous ai engendrée et produite intérieure-

188 CATHERINE DE BAR DOCUMENTS HISTORIQUES 189

ment à Jésus-Christ, et il a voulu que je réveille en vous son amour, et l'adoration de ce saint et sacré Mystère. Je vous ai donc, en une certaine manière, produite à Jésus, et vous mon enfant, vous me produisez aujourd'hui en qualité de victime du Très Saint Sacrement. Vous êtes donc ma mère et mon enfant, et je suis votre mère et votre fille ! Vous me produisez extérieurement à Jésus dans le Saint Sacrement, car l'oeuvre qu'il a faite par vous nous immole et nous sacrifie toutes à sa grandeur dans la sainte Hostie.

Voilà six victimes que vous donnez au Très Saint Sacrement ! Je suis la plus impure et la plus indigne de toutes, et j'en ressens si fort mon indignité qu'hier au soir, approfondissant la sainteté de cette oeuvre, je me trouvais toute saisie d'étonnement : comment y consentir ! et j'ai sujet de douter si Dieu versera ses divines bénédictions sur cette oeuvre, tant que j'occuperai la place que je tiens si indignement.

Priez Jésus, mon enfant, que sa sainteté me purifie, et qu'il me rende digne d'être consommée avec vous en amour et adoration éternelle du Très Saint Sacrement.

Ne vivons plus que pour le glorifier. Nous ne sommes plus à nous ; nous voilà toutes dévouées et toutes immolées : tout notre être, notre vie, nos mouvements, nos pensées et nos opérations sont à Jésus dans la sainte Hostie. Il vous a fait faire des victimes de son divin Sacrement ; mais il faut que vous la soyiez vous-même, afin que celles que vous avez produites et produirez comme cause seconde, soient plus agréables à Dieu parce que vous les aurez choisies, par son Esprit Saint, qui dans la grâce de sacrifice et de victime vous animera à ne rien faire que pour lui.

Je m'en vais communier en reconnaissance de l'honneur et de la grâce que vous nous avez faite. Priez Dieu que je ne détruise point la sainteté de cette oeuvre... Je ne finirais point si je suivais mon sentiment. C'est assez !

Dites-moi maintenant comme vous vous portez, et si vous n'êtes pas bien harassée de la journée d'hier qui fut fort pénible pour vous ? Donnez-moi aussi des nouvelles de Madame votre fille.

A Dieu, bon jour.

Je suis très humble servante à Monsieur le Comte ; je veux bien être sa caution s'il daigne prendre créance en ma parole que sa piété et ce qu'il donne au Très Saint Sacrement sera glorieusement récompensé et cette oeuvre lui sera payée très avantageusement dans l'éternité ; il verra l'effet de ce dont j'ose vous assurer.

[Cette lettre est probablement de mars 1653].

LETTRE TROISIÈME.

Je n'ai pu ce matin vous faire réponse, ma chère fille, nous allions faire la sainte communion.

J'ai connu ce que Dieu veut de vous sur une chose que vous me proposâtes hier, et sur laquelle j'hésitais de vous répondre, et vous me dites que je verrai ce que Dieu m'en ferait connaître.

De plus j'ai trouvé mon âme dans l'impuissance de demander de l'or ou de l'argent à Dieu ; ce n'est pas que je m'en défie : si il donne le plus il peut bien donner le moins. Mais j'ai trouvé cela si indigne de l'occupation d'une âme qui ne doit plus avoir de vie, que je n'ai pu y avoir d'occupation. Même, ce que vous me proposâtes hier sur toutes ces choses, m'a tellement passé de l'esprit que je n'en n'ai aucune idée, et il me semble que je ne le compris point.

Mon trait intérieur me porte si loin, que je ne puis voir tout cela qu'avec quelque effort. Ne me donnez point de quoi nourrir ma vanité et mon amour-propre, lequel serait possible [peut-être] bien aise de trouver le moyen, sous [un] bon prétexte, de se tirer de la dépendance et de la captivité. Laissez-moi dans ma misère, ne me tirez point de ma pauvreté. Ne voyez-vous pas que c'est ma voie ? pourquoi me lier à des biens ?

Il me semble que, représentant ces choses à Dieu, mon âme s'en est enfuie et s'est perdue en Dieu, renonçant à toutes les possessions de la terre. Dieu, Dieu me suffit, mais d'une suffisance éternelle. Mon âme ne peut recevoir ce que l'on accepte [propose] et quand il faut penser à donner mon nom cela me donne du rebut. Il me semble que je ne puis m'y résoudre, et que j'ai bien d'autres possessions que les choses de la terre. Je crains même que les dernières diminuent quelque chose des autres, qui me causent tant de bonheur et tant de contentement que je ne vois rien au monde capable de l'ôter.

O ! que Dieu est grand, que Dieu est saint, qu'il est puissant ! Il est la richesse éternelle. Il faut pour le posséder pleinement être vide de tous les biens de la terre. Avec Dieu j'ai toutes choses. C'est son bon plaisir que je sois toute pauvre et sans appui. Mon âme prend ses délices dans cette pauvreté et le plus grand malheur qui lui puisse arriver c'est d'avoir des richesses.

Pauvreté ! ô disette ! ô privation ! que tu m'es précieuse puisque je ne puis posséder ton contraire sans me rendre indigne de Dieu.

Dieu ! Dieu ! et rien plus, mon enfant !

Je ne puis adhérer à la proposition de votre lettre ni au sentiment de NN... Pourquoi me faut-il tirer de la mort et du néant ? Laissez-moi, ma chère fille, ne me redonnez point la vie que j'ai tâché de quitter, et qui m'a coûté beaucoup, pour me la ravir. J'en ai encore trop ! Que je souhaite tout anéantir ! J'ai retenu pour partage le néant et la mort, c'est ma portion, on ne me la peut ôter sans injustice.

Je me suis bien plus étendue sur ce point que je n'espérais... que dis-je à vous ! Je m'emporte parce que j'ai la liberté sans retour.

[Cette lettre est probablement de juillet 1652].

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LETTRE QUATRIÈME.

J'ai reçu vos chères lettres ma chère fille, et j'ai porté une petite mortification de n'y pouvoir répondre : de petits embarras m'en ont empêchée.

En la première, je vous vois toute pleine d'étonnement et admiration des bontés de Notre Seigneur en votre endroit. Vous goûtez par expérience qu'il fait bon s'abandonner à Dieu.

O mon enfant ! si vous pouviez pénétrer ce que Dieu opère dans le fond d'une âme abandonnée, vous en seriez encore plus touchée ! C'est Dieu qui tient les coeurs et qui en dispose comme il lui plait ; mais je puis dire qu'il fait la plus grande partie de ce que vous désirez. Il dispose toutes choses suavement et d'une manière ineffable.

Enfin votre coeur a tressailli de joie dans l'espérance et le désir que nous fissions une petite retraite. Faites tout ce que Dieu vous fera faire, je consens à tout ce qu'il veut de moi ; mais je vois des espèces de miracles, cela étant plus qu'humain. J'entre avec vous en admiration sur toutes ces choses et j'adore la main de Dieu qui conduit tout.

Je ne trouve aucune répugnance en mon fond pour tout ce que vous désirez de moi ; mais, ma chère fille, je vous prie pour l'amour de Jésus-Christ, aidez-moi à sortir de la supériorité, afin que les choses se fassent avec plus de bénédictions et plus à la gloire de Notre Seigneur. Sa gloire vous doit obliger à cela.

Nous ne pourrons demain aller voir le banquier parce que j'attends des nouvelles du Saint-Sacrement. Monseigneur l'archevêque de Reims en doit parler à Monsieur de Metz et nous a mandé que s'il pouvait, il nous en viendrait lui-même donner des réponses, ou nous les envoyer.

Sans cela, je serais allée avec vous communier à Saint-Victor (4), c'était ma pensée si la Providence ne m'en détournait point. Il faut faire quelque autre jour cette dévotion. On dit en effet qu'il y a grande dévotion.

(4) Autrefois prieuré bénédictin dépendant de l'abbaye Saint-Victor, de Marseille. Au début du xne siècle, le roi Louis VI, à la demande de Guillaume de Champeaux, l'ancien adversaire d'Abélard, a transformé le Prieuré en abbaye confiée aux chanoines réguliers de Saint-Augustin. Le premier supérieur fut Hugues de Saint-Victor. On dit que saint Bernard aimait se retirer à Saint-Victor lorsqu'il venait à Paris. Il y aurait laissé sa coule en signe d'amitié. Quand Simon Gourdan demanda son admission, le 25 janvier 1661, l'abbaye était bien loin de sa ferveur et de son rayonnement primitif. Le religieux eut beaucoup à souffrir de la part de ses pères ; son renom de sainteté et la puissance de sa prière attirèrent quantité de personnes à Saint-Victor qui devint un centre de prière et un pélerinage. Le père Gourdan pour se soustraire à la faveur populaire essaya, mais en vain, de se faire admettre à la Trappe. Né en 1646 il est mort à Saint-Victor le 10 mars 1729. Ses grandes dévotions étaient le Saint Sacrement et la Très Sainte Vierge. Sa soumission absolue au Souverain Pontife lui fut une cause de persécutions pénibles de la part de ses supérieurs dans l'affaire de la bulle Unigenitus. Les chanoines de Saint-Victor étaient gallicans pour la plupart. — Vie du Vénérable Père Simon Gourdan, chanoine régulier de Saint-Augustin en l'abbaye de Saint-Victor de Paris, 1755.

CINQUIÈME LETTRE.

Chère et très aimée en Jésus,

Je viens de faire la sainte communion, où j'ai reçu tant de miséricordes de la bonté ineffable de Notre Seigneur que je ne le saurais exprimer. O que Dieu est bon ! mais d'une bonté infinie...

O heureuse, et mille fois heureuse l'âme qui a l'honneur et la grâce d'être toute à Dieu ! Ce ne sont point des extases ni des révélations que j'ai reçues, ce sont des miséricordes, que je chéris davantage puisqu'elles me lient plus purement et plus fortement à Dieu.

O, ma bonne fille, si mon coeur pouvait s'ouvrir, pour vous faire ressentir ce que je goûte ! Que vous seriez bien de mon sentiment, et que vous diriez de bon coeur que le pur amour nous est toutes choses !

Dieu est amour, et vous ne pouvez être en pureté d'amour que vous ne soyiez toute en Dieu et toute remplie de Dieu.

O qu'une âme touchée de ce pur et divin amour méprise facilement toutes les créatures, qu'elle à peu d'inclination pour les choses de la terre ! Le monde lui est crucifié, et elle est crucifiée au monde, n'y pouvant plus prendre aucun goût et plaisir.

Dieu ! Dieu ! Dieu tout seul ! « Trop est avare à qui Dieu ne suffit » ! Contentez-vous de Dieu, trouvez votre suffisance en lui, n'estimez rien, tout le reste. Un jour viendra que vous serez pénétrée en fond des vérités que je vous dis. Voyez tous les grands accidents que la Providence nous fait voir tous les jours : ce sont des leçons très puissantes pour nous affermir dans cette vérité qu'il n'y a que Dieu seul qui soit, — tout le reste est sujet aux inconstances —, et vous serez permanente, rien ne vous ébranlera.

Mon Dieu ! mon Tout ! ne serons-nous pas un jour tout abîmées dans le saint amour ? quand sera-ce que nous en serons consommées et que Dieu seul régnera en nous ? « Nous gémissons après notre délivrance de cette chair de péché, » dit St Paul. Oui ma fille, nous soupirons après la liberté des enfants de Dieu, nous demandons avec l'Apôtre : « qui nous délivrera de ce corps de mort ? » : ce sera la grâce et l'amour de Jésus-Christ Notre Seigneur.

Vivons et mourons tout ensemble ; vivons à Dieu et mourons à tout le reste. O que la mort me serait douce et désirable, — s'il m'était permis d'avoir un désir, je ne fais aucun choix, ni de la vie ni de la mort — mais je désire que Dieu soit glorieux et en vous et en moi !

Voyez les saillies d'une autre vous-même qui les verse dans votre coeur pour y être anéantie comme Dieu veut que je le sois. Pardonnez-moi, chère enfant, et jetez la présente dans le feu après l'avoir lue.

Je le dis et je le proteste devant le ciel et la terre, que je ne veux plus rien dans aucune créature. Dieu seul ! Dieu seul ! Dieu seul !

192 CATHERINE DE BAR DOCUMENTS HISTORIQUES 193

Bon jour chère enfant, ne vivons plus que pour Dieu seul, en Dieu seul, avec Dieu seul et dans Dieu seul, et par Lui seul à jamais. Amen.

SIXIÈME LETTRE.

Ma chère fille ;

Je sors du Chapitre touchée de me rendre plus fidèle à Jésus-Christ. C'est à ce coup-ci qu'il faut que je commence, avec vous, d'être toute à Dieu. Ne nous amusons plus. Le temps de nos sanctifications est bref, souffrons et mourons continuellement.

Je m'en vais recevoir les Cendres dans le désir que la vertu des paroles que l'Eglise dit sur ma tête, fasse en moi effet d'anéantissement. Priez, ma chère fille, pour la destruction de mon orgueil qui est bien épouvantable. Il me semble que je vais être toute renouvelée à la sainte communion. Je vous y porterai entre mes bras pour vous sacrifier avec moi, et avoir part aux miséricordes qu'il plaira à Dieu me communiquer. Y consentez-vous ? Car, ce que j'appelle : faveur et miséricorde c'est : la croix, la pauvreté, l'anéantissement, les privations, les ténèbres, etc... Car cela serait-il bienséant que l'esclave soit en délices tandis que son divin Maître souffre dans les déserts, la disette, les mésaises, les tentations, et qu'il n'a pas où reposer son sacré chef.

O ma fille ! il le faut suivre dans la solitude, dans le silence et dans la mortification, c'est à dire dans les privations.

Réjouissons-nous d'avoir quelque chose à souffrir pour [nous] présenter [à lui] dans notre solitude et dans le désert, plus séparées des créatures. Demeurez avec Jésus, vous êtes bien en sa compagnie. Séparez-vous encore de vous-même pour être toute adhérente à Lui.

SEPTIÈME LETTRE.

Si la Providence ne m'obligeait à vous faire ces mots pour obéir à N..., laquelle a trouvé une maison proche La Charité, qu'elle vous prie de voir, je vous aurais laissée ce matin dans votre silence pour demeurer dans celui que je possède intérieurement.

Lundi, à votre sortie de notre chambre, je me trouvai toute renfermée dans Notre Seigneur, et j'y suis — ce me semble — restée, voire encore plus abîmée à la sainte communion que je fis hier. Et toute la journée se passa dans cette disposition où l'âme est si unie et liée à son Dieu qu'on dirait volontiers qu'elle n'a plus d'être ni de vie qu'en lui, étant pour lors impuissante de se pencher vers les créatures.cxxxiv

O qu'il est bon à l'âme de demeurer perdue en Dieu !

O que l'anéantissement est saint, qui fait des effets si divins Heureuse perte ! et mille fois heureuse l'âme qui se laisse toute anéantir !

J'ai vu Monsieur de Bernières qui était tout plein de grâces et de ferveur, et moi toute plongée dans le néant. Et plus je vois de grandes choses en ces âmes, plus je suis dans le silence et renfermée dans mon cher anéantissement, où je trouve Dieu caché dans la plénitude et sainteté de lui-même ; et, là, je goûte en silence ma petite félicité, sans que les créatures y aient de part.

194 CATHERINE DE BAR DOCUMENTS HISTORIQUES 195

PRISE D'HABIT DE MADAME LA COMTESSE FONDATRICE

Il faut donc savoir que, dès l'année 1652, cette dame avait fait une expérience si convaincante du profit que son âme recevait de la conduite de notre Mère Prieure, qu'elle crut en devoir cette reconnaissance à Dieu, qui la lui avait envoyée, comme au jeune Tobie l'ange Raphaël, que de vouer de lui obéir [et désira lui vouer obéissance] pour se rendre plus fidèle à correspondre à cette grâce. Elle le fit donc, mais avec assez de résistance de la part de Notre Mère, qui ne voulut l'accepter qu'avec bien des conditions.

Et quelque temps après, elle lui donna en signe de plus grande liaison le scapulaire de St Benoit qu'elle a toujours porté depuis.

Cependant son âme s'avançant de jour en jour dans la perfection, elle se trouvait toujours plus désireuse du bien. Ce qui fit que, quelques années après, ayant ouï dire que dans l'Ordre de notre grand Patriarche, ils avaient accoutumé, pour reconnaître leurs signalés bienfaiteurs, de leur accorder la grâce de mourir dans l'Habit de l'Ordre ; mais — parce qu'on n'est guère, dans l'extrémité de mort, en état de le recevoir avec les cérémonies requises, — on le leur donnait pendant leur vie, pour ne s'en servir toutefois qu'à la mort, demeurant néanmoins participants à tous les biens de la Religion. Comme cela elle conçut un extrême désir de le recevoir, et le demanda instamment à Notre Mère.

Mais, bien que cette Mère ne désirât pas mieux que de lui témoigner sa reconnaissance en lui accordant cette grâce, néanmoins, comme c'est une fille fort prudente et qui n'entreprenait rien sans consulter Dieu auparavant, elle ne se laissa pas aller si vite à le lui permettre. Au contraire, elle fut la première à lui former de grandes difficultés là-dessus, soit pour lui en donner plus d'estime et de dévotion, ou soit encore par ce qu'en effet la chose en recevait de soi, [quelques difficultés] dont l'une était : qu'il fallait avoir le consentement des Supérieurs et de toutes les religieuses de la maison, et l'autre : celui de Monsieur le comte son mari.

Hélas, le bon seigneur ! Il ne faisait pas réflexion que par cette même action, il venait d'acquérir un rival puissant et jaloux, qui veut posséder les coeurs sans partage et sans compagnon, et que pour cela il lui en coûterait bientôt la vie ! car il est vrai qu'il mourut trois mois après, quoiqu'alors il se portât extrêmement bien.

Mais comme si, en effet, Dieu n'eût pu souffrir plus longtemps qu'il eût part à un coeur qui venait de lui être dédié, il lui envoya [1662] une maladie, au mois d'octobre suivant, qui l'enleva de ce monde le 6 novembre d'après ; sans doute pour aller jouir au ciel de la récompense que méritait ce dépouillement volontaire qu'il avait fait sur la terre, pour l'amour de Lui, de la possession entière de ce coeur qui lui appartenait par les droits du mariage ; et sa mort toute sainte et parfaitement tranquille, nous confirme dans cette croyance, puisque ce Dieu de magnificence n'a pas accoutumé de se laisser vaincre en libéralité par ses créatures. Et il ne faut point douter qu'il voulut bien se donner lui-même à celui qui lui avait comme cédé un autre soi-même.

Ce n'est pas que, d'ailleurs, [cette action] ne soit assez [autorisée] par des exemples tirés de la plus profonde antiquité, puisqu'elle a un parfait rapport au conseil que le grand Tertullien, dans son traité « de la Virginité et du célibat », donnait aux femmes mariées et à la sienne propre : de vouer chasteté au cas que son mari vint à mourir avant elles, afin — disait-il — que par ce voeu anticipé elles puissent jouir dans le mariage du mérite de la chasteté.

Mais nous parlerons encore de ces voeux, et cependant nous devons [dire ici] que, comme cette dame ne prenait l'Habit que pour pouvoir s'en revêtir à l'heure de la mort, il ne fut pas nécessaire qu'il en demeurât aucune marque sur elle que le scapulaire, qu'elle avait déjà sous sa robe, sinon qu'elle voulut ajouter la tunique de serge sous ses habits, pour coucher ainsi vêtue selon la Règle de Notre Père St Benoit, à quoi elle n'eut pas besoin du consentement du bon seigneur son mari, puisque déjà leur piété les avait séparés de lit il y avait assez longtemps, et fait vivre dans une manière toute sainte.

196 CATHERINE DE BAR DOCUMENTS HISTORIQUES 197

DISCOURS DE LA RÉVÉRENDE MÈRE PRIEURE A LA MÊME DAME COMTESSE EN LUI DONNANT L'HABIT

Ma chère Soeur,

Je sais votre dessein. Vous venez chercher Dieu, et désirez vous consacrer toute à lui par le voeu de victime que vous prétendez faire. Je connais les ardeurs de votre coeur, je sais ses désirs.

O ma chère Soeur ! que la grâce que Dieu vous prépare est bien plus grande que vous ne la sauriez concevoir ! Quoi ! vous recevoir

pour victime, et victime de sa Justice ! C'est l'état que son Fils unique a porté dans tout le cours de sa sainte vie, voire il l'a porté dès l'éternité dans le sein de son divin Père.

Et depuis la naissance du monde c'est cet Agneau sans macule qui a été immolé et occis en figure par tous les sacrifices de l'Ancienne Loi, et qu'il a consommés réellement en sa Personne dans tous les divers états de sa vie.

Il est mort dès sa conception, il meurt en naissant, il est mort dans tous les moments de sa vie. Bref : il est mort en mourant, et dans la divine Eucharistie il meurt à tous moments. Et cela pour la gloire de Dieu son Père et pour le salut de ses frères.

Et c'est votre obligation, ma très chère. Il ne faut pas aimer le voeu de victime pour sa grandeur et son excellence seulement, - car l'esprit humain aime les choses relevées et extraordinaires, et souvent l'on en demeure là, — mais il faut passer à la pratique. Autrement c'est se moquer de Dieu, et il vaudrait beaucoup mieux ne point faire de voeux que les négliger après les avoir faits.

Oui, mes Soeurs, le voeu de victime demande une perfection consommée ; cela demanderait un discours fort étendu, mais le temps ne le permet pas.

Disons seulement deux mots de votre obligation de victime. Ma chère Soeur, je la trouve renfermée dans l'Evangile d'aujourd'hui, où Notre Seigneur étant interrogé d'un docteur de la Loi de ce qu'il devait faire pour être sauvé, il lui répond qu'il faut aimer Dieu de tout son coeur, de toute son âme et de toutes ses forces, et le prochain comme soi-même. Voilà ce qu'il vous dit à présent, dans le désir que vous avez d'être parfaite.

Et pour cela, je vous annonce de sa part l'obligation que vous avez de mourir incessamment à toutes choses sans aucune réserve : mourir à votre propre esprit et à ses raisonnements, curiosités, désirs de savoir, d'entendre, de voir ; mourir aux désirs de votre perfection pour l'amour de vous-même, mourir à vos sens, à vos passions, à tous désirs d'être aimée, estimée, et le reste ! Ne prétendant plus dans la vie : ni plaisir, ni satisfaction, vivant dans le monde comme n'y étant pas, et seulement pour la nécessité de votre condition qui vous y retient, mais que ce soit de corps seulement et que le coeur et l'affection soient tout à Dieu. Que vous portiez en tout et partout une disposition de mort qui ne doit avoir plus part au monde ni à soi-même, puisqu'elle est dévouée et consacrée à Dieu.

Je vous demande si un criminel que l'on mènerait au supplice garroté de chaînes, pourrait être capable de quelque plaisir ? et ce qu'il répondrait à une personne qui lui offrirait des honneurs, des plaisirs et des richesses ? Sans doute qu'il ne répondrait rien, sinon : il faut mourir, mon arrêt est prononcé.

Mes chères Soeurs, toutes autant que vous êtes ici qui portez un voile sur vos têtes, sachez qu'à même temps que vous avez fait voeu de victime du Saint Sacrement, l'on vous a prononcé arrêt de mort C'est une nécessité à la victime de mourir.

Que devrait donc répondre une Fille du Très Saint Sacrement à qui l'on présenterait des empires — si vous voulez — sinon : je suis morte et ne suis plus capable d'être touchée de vos offres.

Voyez une personne aux abois de la mort ! comme elle est incapable de prendre aucune satisfaction à tous les plaisirs de la vie ! O, point du tout ! elle ne songe qu'à rendre ses derniers soupirs avec son esprit à Dieu son Souverain juge, et ce serait hasarder son salut de s'occuper de quelque chose du monde dans ses derniers moments.

De même c'est un crime à une victime de désister de mourir incessamment et à tout. Si l'on lui fait quelque tort ou affront, elle doit dire : ce n'est pas la peine d'y songer, il faut mourir.

Mourez donc, ma chère Soeur, à toutes les lumières et raisonnements de votre esprit propre, aux attaches à votre sens, à vos dispositions. Il faut vous résoudre à n'avoir désormais autres lumières que les ténèbres, et demeurer en captivité, impuissance et pauvreté.

La seule foi nue sera votre flambeau. Voyez que Notre Seigneur Jésus-Christ a opéré ses plus grands mystères la nuit : sa sainte Conception a été à minuit, sa Nativité à même heure, notre divin Sacrement a été institué le soir. Bref il est mort sur la croix au milieu des ténèbres, ne voulant pas même dans son sacrifice avoir la joie de la lumière. Tout s'opère dans les ténèbres ! L'impuissance de la petitesse doit être votre partage ; vous devez être très petite à vos yeux et aux yeux du monde ; en un mot vous ne devez être rien, en tout.

Je vous le réitère, ma chère Soeur, le voeu de victime que vous allez promettre à Dieu demande une perfection consommée. C'est quelque chose de plus que faire voeu de pauvreté, de chasteté et d'obéissance. L'on peut encore, ayant fait ces voeux, se réserver quelque désir de sa perfection, de son éternité, etc... mais par le voeu de victime tout est immolé à Dieu. Non seulement nos corps, nos biens, nos volontés, nos actions et nos pensées, mais tout notre être sans réserve quelconque ; et cela dans la pure vue de Dieu seul, pour sa seule gloire et pour le salut de nos frères.

198 CATHERINE DE BAR DOCUMENTS HISTORIQUES

Et c'est une seconde obligation en qualité de victime du Très Saint Sacrement. Il faut donc que vous ayez une charité parfaite pour votre prochain ; car de croire que vous aimerez Dieu parfaitement sans aimer, mais avec tendresse, votre prochain, c'est un abus.

Celui qui dit qu'il aime Dieu et n'aime point son frère, dit St Jean, c'est un menteur. Cela ne se peut ! L'amour de Dieu et du prochain est inséparable.

Voyez Jésus dans la divine Eucharistie s'immolant sans cesse à la gloire de Dieu son Père, et à [de] même pour le salut de ses frères. Dieu ne peut pas agréer nos sacrifices s'ils ne partent d'un coeur plein de charité pour nos frères. Aimez-les donc ; réparez pour eux devant Dieu, et surtout aimez et ayez de la tendresse pour toutes les religieuses de cette maison et pour toutes celles qui seront dans l'Institut.

Voyez l'obligation que vous avez à Notre Seigneur de vous avoir choisie pour son établissement ! Car bien qu'en quelque façon l'on vous en ait, pour l'affection avec laquelle vous y avez contribué de vos biens et de vos soins, je vous dis, ma chère Soeur, que vous en avez infiniment à sa bonté, qui, sans doute, a fait cette maison pour votre sanctification.

Vous savez que c'est le sentiment de quelque serviteur de Dieu. Et il aurait pu se servir d'une infinité d'autres pour son oeuvre, qui le méritaient mieux que vous, et qui feraient encore mieux à présent.

Cependant voilà, pour reconnaissance de vos bienfaits, que la Religion vous honore aujourd'hui du saint Habit du grand St Benoit. Grâce très grande, et extraordinaire faveur qui s'est faite aux Rois, qui l'ont reçu autrefois avec tant de vénération que, comme ils ne le pouvaient porter publiquement, à raison de leurs conditions qui les attachaient dans le gouvernement de leurs royaumes, il y en eut un qui enferma cet Habit précieux dans une cassette d'or, qu'il tenait sous le chevet de son lit, et ce bon Roi en portait la clé à son col, et il ordonna dans son testament que l'on l'enterrât dans ce saint Habit qu'il préférait à la pourpre et aux diadèmes.

Nous allons donc, ma chère Soeur, vous honorer de cette faveur. Recevez-la en esprit de mort. Cet Habit noir vous l'annonce, ce voile noir que nous vous mettrons sur le chef vous dit que vous êtes voilée, c'est à dire : cachée au monde et séparée du monde. Le bandeau vous dénote qu'il faut mettre un bandeau sur les yeux de votre esprit, pour condamner toutes ses curiosités, pour vous cacher à vous-même, en un mot pour ne rien voir que Dieu. En vous mettant le scapulaire vous endossez le joug du Seigneur, vous vous chargez de la sainte croix ; c'est pourquoi, lorsque nous nous habillons tous les jours nous le baisons pour marquer que nous acquiesçons et agréons toutes les croix dont il nous voudra honorer, et conduite des peines par lesquelles il lui plaira nous mener ; car, ma chère Soeur, vous n'êtes pas seulement victime d'amour pour recevoir de Dieu ses faveurs et consolations, — quoique les âmes qui sont menées par cette voie ont leurs croix, l'amour leur en fournit assez ! — mais vous êtes aussi victime de la divine Justice et ainsi destinée à la croix. La ceinture : c'est vos liens qui vous captivent comme criminelle, ou bien : qui ceint vos reins pour marquer que vous ne devez plus avoir de part à la terre.

Mettez-vous donc en état de recevoir cette grâce et priez la très sainte Mère de Dieu qu'elle vous obtienne de son cher Fils les dispositions d'une véritable victime.

MORT DE MONSIEUR LE COMTE DE CHASTEAUVIEUX, FONDATEUR (5)

Ce vertueux seigneur était extrêmement sujet à la goutte et à la colique néphrétique, et il était peu d'années qu'il n'en fût extrêmement travaillé. Cependant presque toute l'année 1662 se passa sans qu'il en eût eu, que de très légères atteintes. Mais au mois d'octobre de cette même année, la fièvre double tierce le prit, et de double tierce après cela elle se changea en tierce, puis en quarte, double quarte, triple quarte, et à la fin en continue.

Depuis qu'il connaissait notre Révérende Mère Prieure, c'est à dire depuis qu'il avait eu connaissance particulière de son mérite et de sa vertu par sa fréquentation, il avait conçu tant d'estime pour elle, et tant de confiance dans ses prières, qu'il lui arrivait très souvent de dire qu'il demandait ardemment à Dieu cette consolation qu'elle lui pût fermer les yeux à sa mort.

Dieu, qui accomplit volontiers les désirs de ceux qui l'aiment, lui accorda ses souhaits, contre toute apparence du monde ; car enfin, il semblait que c'était rêverie d'espérer qu'une religieuse cloîtrée pût sortir de sa clôture rien que pour aller assister une personne à la mort, puisque ce n'est pas affaire aux femmes, moins aux religieuses qui ne doivent jamais sortir de leur cloître, mais aux pasteurs de l'Eglise, d'assister en ce passage.

Toutefois la chose arriva ainsi, et elle lui ferma les yeux, sans violer aucun de tous ses devoirs, tant la conduite de l'esprit de Dieu est sage, suave et douce.

Ce bon Monsieur renouvelant son désir quand il vit sa maladie si opiniâtre qu'au lieu de s'amender les remèdes l'aigrissaient, — et ce pendant ses forces se diminuaient, — employa fortement son crédit auprès du Père Prieur de l'Abbaye St Germain, notre supérieur, pour

(5) L'orthographe actuellement reçue est : Châteauvieux, mais les manuscrits anciens portent Chasteauvieux.

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obtenir cette grâce : qu'elle vienne le voir ; mais ce fut toujours en vain, ce bon Père se choquant seulement bien fort de la simple proposition, quoique d'ailleurs il eût désiré avec passion de lui plaire en toutes choses, en reconnaissance des grands bienfaits qu'il avait faits à cette maison, qui ne lui étaient pas inconnus.

Mais, outre que cela était absolument contre l'ordre, il craignait la conséquence. Toutefois, heureusement, pendant qu'on pressait ainsi, il s'alla ressouvenir que, quelques temps auparavant, on nous avait demandées à lui pour aller établir à St Germain en Laye.

Si bien que, ne désirant pas mieux que de pouvoir faire plaisir à ce comte sans blesser sa conscience, il envoya dire à notre Révérende Mère qu'elle prit cette occasion de sortir pour aller voir cette maison avec quelques unes de ses religieuses, et qu'elle allât voir en passant le malade, pour lui donner la satisfaction qu'il souhaitait.

Elle sortit donc, accompagnée de 3 de ses religieuses, le dimanche 5ème de novembre. Et ce fut si à propos, par un ordre de Providence, que ce fut la veille de la mort de ce seigneur, contre l'opinion toutefois des médecins, et de Madame la comtesse même, car bien qu'ils l'estimassent être en danger, pourtant ils ne croyaient point que ce fût pour mourir si tôt, et pensaient que tout au moins, il avait encore huit ou dix jours à vivre.

Notre Révérende Mère s'en alla donc premièrement chez lui, devant que de partir pour St Germain, et il était averti qu'elle était prête à sortir. Il voulut que Madame la comtesse sa femme la vienne prendre elle-même dans son carosse, au monastère, pour l'amener, se préparant de son côté à la recevoir avec des prévoyances admirables pour empêcher qu'il ne fût interrompu dans l'entretien qu'il se proposait d'avoir avec elle ; ayant ordonné pour cela que personne du monde n'entrât dans sa chambre dans ce temps-là, non pas même Madame la duchesse de la Vieuville sa fille unique, — qui était presque incessamment auprès de lui pour lui rendre ses services, — qu'il fit occuper ailleurs, afin que, sans qu'elle s'en aperçut, elle ne vint point l'interrompre.

Tout cela se fit ainsi, et ce premier entretien ne dura guère moins de deux heures, à la sortie duquel il parut aussi consolé, content et satisfait qu'il parut empressé à son abord ; témoignant sa confiance et son estime au dessus même de toute la tendresse qu'il pouvait avoir pour Madame sa femme et Madame sa fille.

Et de chez lui, ce même jour, notre Révérende Mère fût coucher à St Germain, où le peu d'apparence qu'elle trouva à l'établissement proposé nous a fait voir depuis que cette proposition n'était qu'un moyen que la Providence avait disposé de loin, pour donner satisfaction à son très dévot serviteur, car cette maison ne s'est point faite.

Et le lendemain, notre Révérende Mère s'en revenant à Paris, retourna voir son malade, et le trouva fort empiré, en façon qu'il n'était plus en état de l'entretenir. Si bien que, si elle ne lui eût parlé le jour de devant, sa sortie lui eût été inutile. C'est ce qui fait bien connaître que Dieu avait conduit cette sortie et ménagé jusqu'au moment pour la consolation de ce comte.

Il parlait pourtant encore, mais peu ; mais il entendait et voyait fort bien, et il jetait souvent ses regards sur notre Révérende Mère Prieure qui demeurait debout au pied de son lit, sans s'avancer, que rarement, pour lui parler, par respect qu'elle portait à un évêque qui était là présent, et à Monsieur le curé de la paroisse qui l'assistait.

Pourtant, elle sollicita si puissamment, qu'à la fin il reçut l'Extrême-onction qu'elle lui avait conseillée à sa première visite de demander, et qu'en effet il avait demandée. Mais les médecins ne voulaient pas permettre qu'on la lui apportât, sur ce qu'ils soutenaient qu'il n'en n'était pas encore temps. Mais à la fin il la reçut : ce fut sur les 5 heures du soir, et à 7 heures il mourut, après avoir fait avec une dévotion merveilleuse tous les actes de foi, d'espérance et d'amour de Dieu, de pardon des ennemis, (voilà ce que l'on pouvait désirer d'un parfait chrétien !) sans jamais avoir voulu demander, ni consentir que l'on demandât à Dieu pour lui la vie ni la santé, mais seulement et uniquement l'accomplissement de son bon plaisir.

Et il expira si doucement que son visage ne se changea point du tout, en sorte que pour connaître si c'était qu'il sommeillait, ou bien s'il était passé, il fut nécessaire d'avoir recours à un miroir qu'on lui mit contre la bouche, comme on a accoutumé de faire en pareilles occasions, et alors l'on connut qu'il était mort.

Même au bout de deux ou trois heures, son visage redevint si vivant et coloré, avec un certain air doux et dévot si extraordinaire que tous ceux qui le virent en entrèrent en admiration, et on envoya quérir un peintre pour le tirer, pour la consolation de sa veuve.

Et bien que son corps fût ouvert pour en avoir le coeur, (qu'il avait donné céans pour être mis de notre côté), cette beauté de visage ne se changea pas, — ce qu'il eût pourtant dû faire selon sa maladie, — car on lui trouva un abcès au foie et toutes les entrailles gangrenées de l'humeur de la goutte remontée.

Aussi les saintes dispositions dans lesquelles il mourut, ajoutées à sa très vertueuse vie, nous donnent tout sujet de croire que cet air tout céleste était une marque visible de la gloire invisible dont son âme jouissait déjà ; et que Dieu avait bien daigné remplir la confiance dans laquelle il paraissait dans ses dernières années, qu'il lui ferait miséricorde en considération de la maison du Saint Sacrement.

Mais il ne faut pas priver ceux qui liront ces mémoires de l'édification qu'ils peuvent tirer de ses saintes dispositions, et de l'utilité que chacun en peut recevoir. C'est pourquoi nous allons mettre ici au long, ce que notre Révérende Mère Prieure en écrivit pour l'instruction de celui qui fit l'oraison funèbre.

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Aussi personne n'en pouvait savoir tant de particularités qu'elle, puisque c'était elle qui les lui avaient inspirées ; et depuis qu'elle l'eût fait, on le voyait fréquemment jeter les yeux sur un crucifix qu'on lui avait attaché au pied de son lit et proférer doucement cette parole : AMEN. Ou bien, quand il ne pouvait pas la prononcer et que Madame la comtesse l'en faisait ressouvenir, comme il l'en avait priée, il le faisait par des oeillades amoureuses sur ce même crucifix.

Dans ce même écrit il est encore dit quelque unes de ses vertus.

LETTRE DE NOTRE MÈRE PRIEURE

Monsieur,

Je m'oubliais hier de vous dire que feu Monsieur le comte de Châteauvieux n'ayant pu recevoir, le dernier jour de sa vie, le Très Saint Sacrement en viatique, à cause d'un hoquet et vomissement continuels, il témoigna sa foi, son amour et son respect vers ce divin Mystère, disant qu'il aimait mieux se priver de la consolation de le recevoir que de profaner son Dieu.

Il a donné souventes fois des marques de cette vertu de foi et de respect, ne voulant jamais entrer dans le sanctuaire de notre église, quoiqu'il fût notre Fondateur, et donnant par là un exemple à tous les peuples, de sa retenue et du respect et vénération qu'on doit envers cet auguste Sacrement, n'en approchant pas témérairement, comme font plusieurs, qui par outrecuidance entrent jusqu'au pied des autels sans crainte et sans tremblement à l'aspect de ce redoutable Mystère.

On peut dire qu'il a signalé encore sa dévotion envers ce divin Sacrement par son assiduité incomparable, dont nous avons été les témoins oculaires, ne manquant jamais, s'il n'était malade, de lui venir rendre tous les Jeudis de l'année et Fêtes solennelles, où il est exposé dans notre église, les hommages et adorations avec une édification publique.

Quant à l'Institut de ce monastère, duquel ce bon Monsieur était Fondateur, il suffit de vous dire sommairement que l'unique motif qui lui a fait établir cet ouvrage est le désir de réparer, autant qu'il est au pouvoir de sa créature, les irrévérences, impiétés, sacrilèges et profanations qui se font incessamment contre l'honneur dû au Très Saint Sacrement de l'autel. Ce qui nous oblige, suivant le voeu qui en a été fait et qui a donné commencement à cette oeuvre, d'être jour et nuit en sa sainte présence, en qualité de ses victimes, lui faisant amende honorable pour tous les déshonneurs qu'il reçoit, [et] conti nuant toutes les autres actions de la journée dans ces mêmes motifs de religion vers Jésus-Christ anéanti dans ce divin Mystère.

J'ajoute que feu Monsieur le comte avait une affection si ardente pour cette oeuvre que, ne pouvant contenir son zèle pour cette seule maison, il souhaitait ardemment de la voir multipliée. On peut dire qu'il est mort dans ce désir, et qu'il témoignait une merveilleuse joie quand la divine Providence faisait quelque augmentation de biens et de sujets. Il semble qu'il ait laissé comme par succession ce même esprit aux personnes qui lui appartenaient, ayant hérité quelque chose du zèle qui l'animait vers la divine Eucharistie.

Durant sa dernière maladie dont il est mort, il élevait quasi incessamment ses yeux et son coeur sur l'image d'un crucifix qu'il avait fait mettre au pied de son lit, lui disant d'un coeur pénétré : « O mon Sauveur ! O mon Sauveur ! » réitérant par forme d'aspiration souventes fois ces deux mots avec un esprit de confiance et de retour à Jésus-Christ.

Lui ayant plusieurs fois demandé s'il désirait qu'on fit instance à Dieu pour obtenir sa santé, il a toujours dit que non, et qu'il préférait la volonté de Dieu à toutes choses, et même à sa propre vie ; mais qu'il suppliait ardemment qu'on pria Dieu qu'il n'entra point en jugement contre son serviteur. Il a dit plusieurs fois qu'il aimait mieux mourir plutôt que de continuer une vie qui ne glorifierait point Dieu. Une de ses plus grandes peines était de ne point pouvoir tenir son esprit élevé à Dieu incessamment.

Il n'a jamais manqué de faire faire les prières du soir à tous ses domestiques, même dans sa dernière maladie, voulant qu'elles se fissent dans sa chambre en sa présence, répondant aux Litanies et autres dévotions. Il y fut encore appliqué très dévotement la veille de sa mort.

Il proférait souventes fois, durant sa dernière maladie, ce mot mystérieux que les vieillards de l'Apocalypse prononçaient avec tant d'anéantissement : AMEN. Prétendant par ce beau mot consentir et acquiescer à tous les desseins de Dieu sur son âme, sur son être, et sur tout ce qui lui appartenait ; d'entrer en union à toutes les adorations, amour, foi, vertus, qui se pratiquent dans l'Eglise militante et triomphante.

Il s'unissait par ces paroles aux louanges qu'on donne par toute la terre au Très Saint Sacrement et à tous les actes de religion qui se font et qu'il est possible de faire par les hommes, les anges et les saints.

Il entrait en société avec tout ce que l'Eglise fait, souffre, pour Dieu, et par ce mot il consentait que Dieu l'anéantisse par la mort, qu'il fit de lui selon son bon plaisir, prétendant n'avoir point d'autre volonté que la sienne, à laquelle il s'immolait du meilleur de son coeur.

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Durant sa vie il avait grand soin que le pauvre, la veuve et l'orphelin ne fussent point oppressés étant sur ses terres. Il y apportait un soin si grand qu'il se fâchait contre Madame sa femme quand elle les faisait attendre et qu'elle ne les expédiait [recevait] pas promptement.

Il avait un talent particulier pour réconcilier les différends c'était son grand emploi —, et de solliciter pour les personnes qui étaient mal traitées en justice et qui manquaient de connaissance et d'appui.

Il ne manquait jamais d'entendre la sainte Messe tous les jours, s'il n'était alité par maladie. Ce bon Monsieur disait pendant sa vie, qu'il faisait son capital de la maison du Saint Sacrement, y ayant une parfaite confiance, disant toujours qu'il espérait obtenir son salut par les prières, pénitences et autres bonnes oeuvres que l'on faisait dans l'Institut du Saint Sacrement.

**

Nous devons encore ajouter à ce qui vient d'être dit que ce bon seigneur avait un zèle si pur pour Dieu qu'il ne voulut jamais consentir qu'une soeur qu'il avait, de l'Ordre de St Benoit ; (laquelle ne vivant pas contente dans son monastère pour quelque cause très juste, désirait de se mettre en pension dans un autre monastère de l'Ordre), il ne voulut jamais, dis-je, consentir qu'elle vienne à celui-ci ; à cause qu'il voyait bien que notre Mère Prieure lui voudrait céder la supériorité à sa considération ; ou bien avoir des déférences pour elle, qu'il croyait pouvoir altérer la régularité de la maison. Si bien qu'il fut du tout impossible de le vaincre là-dessus. Il s'en trouve peu dans un si grand désintéressement !

Son heureuse mort donc, étant arrivée le 6ème de novembre 1662, à 7 heures du soir, à la soixante et onzième année de son âge, sa désolée veuve passa la nuit dans la maison ; pour donner air aux premiers mouvements de sa violente douleur, car cette mort l'avait tout à fait surprise et notre Mère Prieure avec les religieuses qui étaient avec elle n'eurent garde de la quitter dans ce déplorable état.

Mais dès le lendemain, à dix heures du matin, avant que le corps fut enlevé pour être porté en terre, elle voulut courageusement le devancer et venir elle-même s'ensevelir toute vivante dans la maison du Saint Sacrement où il devait être enterré, la choisissant pour sa demeure pour le reste de ses jours, sans avoir aucun égard en ce rencontre à ses intérêts temporels qui ne pouvaient que recevoir du préjudice de quitter ainsi sa maison dans une conjoncture de cette importance.

Comme cela notre Mère Prieure s'en revint emportant une double dépouille sur le monde, puisqu'elle amena avec elle la veuve pour se dédier à Dieu, après avoir mis le mari dans le ciel.

Et le jeudi, sur le soir, aux flambeaux, après que le corps eût demeuré exposé tout le jour à sa paroisse, il fut apporté céans avec une magnificence digne de sa qualité et du respect et amour que Madame sa femme avait pour lui, laquelle avait donné ordre qu'on n'épargna rien pour cela.

Et fut inhumé dans le caveau de sa chapelle qui est vis à vis de notre choeur ; et son coeur fut mis de notre côté, sous les pieds de la statue de la Ste Vierge où il repose à présent ; ce convoi ayant été suivi d'une harangue funèbre par un des premiers prédicateurs du temps.

Deux jours après, Madame la comtesse, sa veuve, voulant se consacrer à Dieu encore plus particulièrement qu'elle n'avait fait pendant la vie de Monsieur son mari, car il était assez malaisé — quelque détachement de coeur qu'elle s'étudia d'avoir — elle eut encore bien de l'attache à sa personne, qui la retenait de s'élever si purement au ciel, prononça ses voeux de Victime et d'obéissance à notre Révérende Mère [Prieure], auxquels elle ajouta celui de chasteté perpétuelle.

Et cela se passa de la même sorte, avec les mêmes cérémonies que la première fois, sinon qu'elle fut revêtue d'une façon d'Habit fort approchant du nôtre, lequel elle n'a pas quitté depuis, n'en étant différent qu'en ce qu'elle n'a pas de scapulaire, ni de bandeau, mais elle est voilée de deux voiles comme nous.

Nous disons que la cérémonie de cette vêture se passa comme la première fois. Nous avons été contraintes de ranger ce petit évènement ici, afin d'unir vêture et profession.

Pour en revenir à notre nouvelle religieuse nous pouvons dire que si elle ne prononça pas lors de bouche le voeu de pauvreté avec les trois autres, elle l'avait par effet auparavant, en se dépouillant le même mois de son entrée parmi nous, d'une partie très considérable de ses biens, par le don qu'elle nous fit d'une somme de trente trois mille livres en deniers comptant ou contrats de constitution de rentes, (outre tout ce qu'elle nous avait déjà donné), remettant cette somme entre les mains de notre Révérende Mère [Prieure] pour être employée, non plus comme les autres, pour la maison de Paris, mais où elle se trouverait inspirée de l'appliquer, à l'augmentation de l'Institut de l'Adoration perpétuelle, suivant le premier mouvement qu'elle eût lorsqu'elle nous vint apporter ces 12.000 francs dont nous avons parlé ailleurs ; lui semblant — à ce qu'elle dit encore présent — que ce zèle ardent qu'elle avait au commencement pour notre établissement de Paris se trouvait changé et étendu, de sorte qu'elle ne pouvait plus du tout s'arrêter sur cette seule maison, mais était doucement forcée lui laisser prendre un plus grand essor, qui revenait toujours plus approchant aux desseins de la Congrégation, comme nous voyons bien à présent.

Et bientôt après qu'elle nous eût fait ce nouveau don, l'on nous demanda à Rouen pour y aller établir ; parce que Monsieur de Saint

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Vincent, père de notre Soeur Thérèse de Jésus, promettait de nous y aider aussi très considérablement.

Et il y avait lieu de croire que, joignant ce qu'il voulait donner aux 24.000 livres que l'on y destina, des 33.000 que Madame la comtesse venait de donner, cet établissement serait fort avantageux. Aussi travailla-t-on incessamment d'en obtenir les Lettres Patentes, et la Reine Mère, notre Protectrice nous les fit accorder les plus authentiques qui se puissent. Elles [sont] du mois de juillet 1663, qualifiant la maison qui s'allait faire de Fondation royale, pour qu'en suite elle put jouir de toutes exemptions, privilèges, immunités, honneurs et prérogatives qui sont attribuées à telles sortes de Fondations.

Et ces Lettres furent présentées au Parlement de Rouen, où nous eûmes d'abord les conclusions favorables de Messieurs les Gens du Roi, du mois de juillet 1664. La permission de Monseigneur l'Archevêque de la même ville ayant précédé : du 30ème mars 1663.

Ainsi notre Révérende Mère Prieure crut y devoir aller elle-même pour y mettre la dernière main et choisir une maison, l'affaire paraissant si proche de sa conclusion ; mais avec tout cela cette Fondation n'a pas réussi jusqu'ici, étant demeurée en cet état par un ordre de Providence dont nous ignorons encore la cause, car selon l'humain tout était parfaitement disposé et nous ne pouvions rien faire de mieux.

Aussitôt après cette fondation de Rouen, il en fut proposé une pour la ville de St Dié (6), en Lorraine, où Mad. L'Huillier, soeur de notre digne Mère, faisait sa demeure ordinaire, à cause que la plus grande partie de ses biens en sont tout autour ; et elle avait promis de donner pour cela des héritages considérables.

Là-dessus les Lettres Patentes de Son Altesse de Lorraine nous furent expédiées avec toutes les autres permissions et consentements nécessaires ; même, deux de nos religieuses y furent envoyées pour voir de près tous les accommodements qu'on y offrait, et examiner si ils seraient suffisants pour nos besoins.

Mais la mort de cette très vertueuse dame, arrivée là-dessus, rompit ce dessein.

Ce n'est pas que, depuis sa mort, Monsieur de Vienville son beau-fils n'ait offert de donner lui-même une seigneurie en toute justice, consistant en fort bon droit, de laquelle il envoya ici la donation signée pour montrer que son offre était bien effective et qu'il y avait plus que du compliment. Mais, la rudesse du lieu, — qui est dans les montagnes des Vosges —, et la considération de l'éloignement de tout commerce et de toutes commodités nous avait déjà assez dégoûtées, en sorte qu'il n'y avait que le seul respect de cette très bonne Dame défunte, unique soeur de notre très digne Mère, qui nous balançât encore. Mais sa mort faisant cesser cette considération, nous n'y voulûmes plus penser.

Cependant cette Fondation, avec celle de Rouen, nous servirent d'entrée en cour de Rome pour demander l'érection de la Congrégation, car, bien que ces deux maisons ne fussent pas effectivement accomplies — en ce qu'il n'y avait point de religieuses actuellement résidentes sur les lieux ni qui eussent pris possession d'un monastère, — toutefois il ne laissait pas de sembler, par les contrats de Fondation et par les Lettres Patentes, que le tout était consommé ; et comme on espérait encore d'effectuer celle de Rouen, nous crûmes qu'il n'était que bon d'avancer cependant le plus que l'on pourrait l'affaire de la Congrégation à Rome, si bien que ces deux maisons, avec celle ici de Paris, faisaient nombre de trois, qui était requis pour commencer la Congrégation (7).

(6) Pièces concernant cette tentative d'établissement aux Archives du département des Vosges, Epinal, liasse : 40 H.

(7) En annexe XXVI : lettre à la Reine Anne d'Autriche, p. 323.

CINQUIÈME PARTIE

LES FONDATIONS 1663-1670

LES FONDATIONS. 1663-1670

REMARQUE

Nous allons voir le progrès de l'Institut en la fondation d'une maison dans la ville de Toul, en l'union et agrégation de celles de Remberviller, et de Notre Dame de la Consolation de Nancy, à notre même Institut, et enfin en l'érection de nos quatre maisons en corps de Congrégation, sous le titre de : l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel, faite par la Bulle d'érection de Notre Saint Père le Pape, et précédée par celle d'un Légat Apostolique, par laquelle nos Constitutions, tant du Régime que de tout l'Ordre, sont approuvées ; le tout accompagné d'autres choses fort remarquables.

Et ce progrès si surprenant renouvelant nos admirations, nous fait dire que la figure que l'Ecriture Sainte propose de la grandeur à laquelle devait être élevée la Reine Esther, — de cette petite source qui devient un très grand fleuve, — ne convient guère moins bien au sujet que nous avons à traiter qu'à cette Reine, puisque notre Congrégation a été comme cela dans ses commencements : une très petite source, de laquelle aussi, à la suite, s'est ensuivi un succès assez considérable pour le comparer à un fleuve.

Car si, dans son origine, cette grande Reine n'était qu'une pauvre fille juive, amenée captive en Assyrie pendant les guerres qui désolaient sa nation, et, qu'en son progrès, elle devient la Reine du pays même où elle était en captivité, notre Congrégation pareillement, dans le sien, n'était qu'une troupe de cinq ou six pauvres religieuses étrangères du royaume, chassées aussi de leur pays par les malheurs des guerres, et réfugiées dans Paris, mais dans une sorte de refuge que nous pouvons bien nommer : captivité, eu égard à la dépendance dans laquelle la pauvreté extrême qui les accablait les tenait au respect de tout le monde. Et enfin, dans son progrès nous la voyons aussi s'accroître par l'établissement d'une maison très florissante dans cette même ville de Paris où ces réfugiées avaient vécu en si grand dénuement.

Et nous voyons encore que ces trois autres maisons que nous venons de nommer se sont unies et agrégées à elle pour former ce corps de Congrégation, avec cette circonstance considérable que,

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contre la nature des choses, ce fleuve a remonté contre sa source pour la grossir. ! Je veux dire que notre maison de Paris a donné l'Institut à celle de Remberviller, de laquelle elle tire sa première origine, puisqu'elle nous a donné l'Institutrice.

Et nous voyons aussi [que] cette Institutrice, qui nous a paru dans la première partie si dépourvue de biens, d'amis et de protection pour parvenir à quelque chose, a si avantageusement réussi qu'elle se trouve, en temps bien court auprès du progrès qu'elle a fait, avoir plusieurs maisons de son Institut sous sa conduite, être estimée des Souverains Pontifes, de leurs Légats, et de plusieurs Cardinaux, protégée et aidée avec empressement par des reines et des princesses souveraines, en sorte qu'il y a eu de l'émulation entre elles à qui lui rendrait service en cette affaire.

Et le tout s'est fait dans des conjonctures les plus contraires du monde à ce dessein : soit des rigoureux édits que le Roi a fait publier contre les Corps Religieux pour en empêcher la multiplication et l'augmentation, soit encore, qu'outre les premières guerres qui nous ont amené en France cette digne Mère, et comme cela se peut dire : avoir produit l'Institut, c'est qu'elle ne fut pas plus tôt partie de Paris cette dernière fois pour Nancy, tout étant en bonne paix lors de son départ, que le Roi déclara la guerre à Son Altesse de Lorraine pour lui faire mettre bas les armes qu'il avait prises contre le Palatin du Rhin.

Mais tout cela se vit pacifié d'une manière qu'il semblât que la divine Majesté n'avait pris plaisir de permettre tous ces troubles, que pour faire de nouveau triompher son Sacrement de toutes les puissances du monde et de l'enfer, après les avoir tant de fois terrassées depuis qu'elles s'étaient opposées à la naissance de l'Institut, ayant en tout cela procédé par des moyens ou des temps les plus contraires aux temps et aux moyens communs et ordinaires du monde, afin de confondre la prudence humaine, et par là, faire connaître que c'est ici véritablement son oeuvre.

Mais si nous voyons à cette digne Mère de l'éclat dans ce Royaume, nous ne lui en verrons pas moins en Lorraine, son pays natal, d'où elle est appelée pour rétablir le premier et plus considérable monastère de filles de cet Etat, dans la ville capitale du pays. C'est l'Abbaye Notre Dame de la Consolation, de Nancy, qui, dans ses commencements était accompagnée d'une grande splendeur, parce que c'était Madame Catherine de Lorraine, Abbesse de Remiremont, tante de Son Altesse de Lorraine (1), qui l'avait fondée et y faisait sa demeure ; que nous pouvons dire avec vérité que les religieuses de notre monastère de Remberviller eussent à peine osé se mêler avec elles ! Du moins eussent-elles reçu pour un honneur tout à fait grand d'être seulement regardées de cette princesse Abbesse.

(1) Mme Douairière Duchesse d'Orléans était Altesse Royale par son mariage avec Gaston d'Orléans, frère de Louis XIII. Soeur du Duc Charles IV de Lorraine, elle était la nièce de Mme Catherine de Lorraine.

Cependant, de cette maison de Remberviller est sortie cette petite religieuse — petite, eu égard à la grandeur de celle à qui elle va succéder —, par laquelle l'ouvrage d'une si illustre princesse est redressé. Ainsi, ce que la grandeur et la puissance mondaine n'a pu achever, la petitesse et la faiblesse le vont faire. Et pourquoi ? Parce que Dieu [agit] particulièrement avec les petits et triomphe de la fastueuse grandeur du monde par l'infirmité.

Et pour signaler de tous points cet emploi, c'est Son Altesse Royale Madame Douairière, soeur de ce duc et nièce de cette illustre Abbesse qui l'y envoie, et c'est ce même Prince souverain du pays qui l'y appelle ; et regardant l'un et l'autre comme une grâce qu'elle ait voulu y aller, après plusieurs années qu'ils l'en ont sollicitée sans qu'elle ait pensé s'y résoudre, tant elle a de répugnance à l'élévation et à paraître dans le monde.

Mais à la fin elle y va, de façon que nous la verrons retourner dans sa patrie d'une manière bien différente de celle dont elle en sortit la première fois pour s'envenir à St Mihiel ; puisqu'alors [nulle] âme du monde ne s'aperçut de sa sortie, tant elle était inconnue et cachée par la mauvaise fortune ; et qu'à présent il n'est pas depuis le Souverain jusqu'au moindre de ses sujets qui ne sache son retour, tant il fait de bruit et reçoit d'applaudissements.

Que faut-il dire à cela ? Sinon que ce sont de ces sortes de renversements qui n'appartiennent qu'à la dextre du Très Haut, qui dépose quand il lui plait les puissances de leurs sièges pour y établir les humbles ; qui élève les pauvres de la poussière pour les faire asseoir avec les princes, et qui détruit les choses qui sont, par celles qui ne sont point ; ce qui ne peut convenir qu'à un Dieu.

Mais nous ferons mieux d'entrer en matière par le récit des choses, que de tenir davantage le lecteur sur ce discours, parce qu'il lui sera bien plus agréable de voir les évènements que nous lui promettons, que de s'arrêter si longtemps sur la vue de l'échantillon que nous lui en montrons ici.

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MÉMOIRE DE LA NAISSANCE DE L'INSTITUT

DE L'ADORATION PERPÉTUELLE

DU TRÈS ST SACREMENT DE L'AUTEL,

ET DE L'ÉTABLISSEMENT

DE LA MAISON DANS LA VILLE DE TOUL -1664-

Depuis que l'établissement de Paris fut fait, notre Révérende Mère Supérieure ne songea plus qu'au moyen de le maintenir. Et pour cela elle vit bien qu'il n'y avait rien de meilleur que d'en faire d'autres maisons qui s'agrégeassent à celle-ci ; car elle jugeait assez qu'il était à craindre que les monastères n'étant pas unis, et n'agissant pas d'intelligence, il dépendrait absolument d'une Supérieure de maintenir l'Adoration perpétuelle ; et que, s'il en venait quelqu'une moins fervente elle ne laissât éteindre cette dévotion, à cause de la sujétion qu'il y a, qui demande une ferveur qui ne soit pas commune. Mais que s'il y avait plusieurs maisons congrégées, il ne se trouverait pas de Supérieure qui osât rien altérer, ou du moins, y pourrait-on remédier bientôt, en la changeant et mettant une autre à la place, outre [que] en plusieurs, il serait moralement impossible qu'il n'y eût toujours quelque religieuse de l'Institut en adoration devant le Saint Sacrement, en sorte que la fin pour laquelle l'Institut a été fait ne manquerait jamais d'avoir son accomplissement.

Toutefois elle ne s'en déclarait à personne, ayant porté plus de 2 ans devant Dieu cette pensée, attendant toujours, à son ordinaire, que la Providence lui ouvrit les moyens d'en parler et de connaître si c'était sa volonté, pour ne rien faire par son propre esprit.

A la fin Dieu permit que le Révérend Père Dom Ignace Philibert (2), un vrai saint, Prieur de l'Abbaye Saint Germain, la fut voir un jour, plein des mêmes pensées pour les lui communiquer, — ce fut en 1662 —, ignorant jusque là ce qui se passait en elle, et l'ayant appris de sa bouche avec bien du plaisir.

(2) Lorrain, né à Hermeville, diocèse de Verdun en 1602. Il fit profession au monastère de Saint-Vanne le 13 avril 1621. Il est maître des Novices, puis Grand Prieur. En 1630, il est envoyé à Saint-Martin-des-Champs de Paris de l'Ordre de Cluny poury mettre la réforme. Nommé abbé de Saint-Vincent du Mans, puis Prieur de Saint-Denis de 1651 à 1657, enfin de Saint-Germain-des-Prés en 1660 et 1663. Il meurt le let septembre 1667. Dom Martène dit qui« il fut l'un des plus grands supérieurs de la Congrégation et auquel il n'a manqué que d'être français pour devenir général ». Dom Martène, La Vie des Justes, édité par Dom Heurtebise, 1924, t. I, p. 113 et suiv. — Dom Martène, Histoire de la Congrégation de Saint-Maur, op. cit.

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D'autre part il se rencontrait que Madame la comtesse de Château-vieux, notre Fondatrice, était allée, 7 ou 8 mois auparavant, porter à notre Révérende Mère Prieure une somme de 12.000 livres pour employer comme il lui plairait à l'augmentation de la gloire du St Sacrement ; témoignant néanmoins qu'elle serait bien aise que ce fut pour commencer une nouvelle maison hors Paris, car Dieu lui donnait déjà un certain instinct, fort rapportant, aux pensées de notre digne Mère, — sans qu'elle eût rien connu non plus de ce qui se passait dans son esprit —, d'où venait qu'au lieu d'avoir, comme auparavant, tout son zèle et son ardeur arrêtés sur cette première maison, en façon que, qui eût prétendu lors, de lui proposer autre chose il n'aurait pas été le bienvenu, son coeur se trouvait plus élargi, et lui faisait déjà embrasser en esprit avec cette maison plusieurs autres qu'elle voyait qui se pourraient faire. Et là-dessus, notre Révérende Mère et toute la communauté de Paris avait passé avec elle des articles qui tendaient, dès lors, comme l'on verra, à faire une Congrégation ; et cette dame leur avait dès ce temps-là compté et délivré cette somme de 12.000 livres.

Si bien que ces deux évènements si considérables et si imprévus touchèrent grandement notre digne Mère, ne lui laissant plus lieu de douter que c'était la volonté de Dieu qu'elle travaillât à cette oeuvre, puisqu'il s'en expliquait si clairement et même efficacement au spirituel et au temporel, et par des voies si légitimes puisque c'était par la bouche du Supérieur. Aussi elle pria ce bon Père, à la seconde visite qu'elle en reçut, qu'il voulut donc s'appliquer à lui aider en cette entreprise, et qu'à cet effet il lui plût d'assembler assez bon nombre de Docteurs et gens d'expérience pour, avec lui, digérer la chose à loisir et lui prescrire comme elle aurait à s'y conduire.

Il le fit, en ayant assemblé jusqu'à douze, lui compris, tous gens de mérite, d'expérience et piété, entre lesquels nous nommerons : le Très Révérend Père Dom Audebert (3), général de la Congrégation, le Révérend Père Brachet (4), son compagnon, Monsieur l'abbé de

(3) Né à Bellac dans le Limousin en 1600, il entra tout jeune dans la congrégation de Saint-Maur et fit profession à 20 ans, en 1620, au monastère de Nouaillé. Après avoir rempli de nombreuses charges en divers monastères, il est nommé en 1645 prieur de Saint-Denys ; en 1648 assistant du très révérend père général Dom Jean Harel, en 1654 prieur de Saint-Germain-des-Prés, en 1660 général de la congrégation, charge qu'il exerça onze ans. Il encouragea Dom Claude Martin (le fils de la Vénérable Marie-de-l'Incarnation, l'Ursuline de Québec) à écrire des méditations sur les dimanches et fêtes, ainsi qu'une « Pratique de la Règle de saint Benoît ». Homme de pénitence et d'oraison, c'était aussi un homme de gouvernement. Presque aveugle, il fut déchargé de la direction de sa congrégation en 1672, mais demeura à Saint-Germain-des-Prés à la demande de son successeur Dom Marsolles qui appréciait beaucoup ses conseils. C'est là qu'il est mort le 29 août 1675. — Dom Martène, op. cit., t. II, p. 16 et suiv.

(4) Né en 1608, originaire d'une grande famille d'Orléans, il entra à 12 ans à Saint-Benoit-sur-Loire. Le monastère était alors si relâché que le jeune homme décide de solliciter son admission dans la congrégation de Saint-Maur. Il fait profession le 6 juin 1627 au monastère de Saint-Faron. Jusqu'en 1639 il enseigne les jeunes novices en plusieurs maisons. En 1639, il est prieur de Saint-Germain-des-Prés, malgré son jeune âge : 30 ans. Très apprécié non seulement de sa

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Prierez (5), général de la Congrégation réformée de Citeaux que l'on nomme : les abstinents, un des premiers et des plus excellents hommes du siècle en toutes sortes d'affaires, mais surtout en celles-là. Pour les autres nous n'en n'avons pas retenu les noms.

Et ce bon Père Ignace leur ayant exposé ce de quoi il s'agissait, avec les raisons que nous venons de toucher, et plusieurs autres encore qu'il ajouta, tous unanimement furent de ce même avis, qu'il fallait sans hésiter travailler à ce dessein, et qu'il ne se pouvait rien faire de mieux. Que cela était même tellement nécessaire, qu'à moins que la chose réussit, il ne fallait point du tout attendre que notre Institut subsistât.

La question fut, après cela, qui est-[ce] qui dresserait les Statuts de cette nouvelle Congrégation ? Notre Révérende Mère eût beau s'en défendre, elle ne put éviter qu'il ne lui fut commandé d'y travailler, sous la censure de Dom Ignace.

Mais ce ne fut pourtant pas par où elle commença, car ce qu'il y avait de plus pressant était de faire de nouvelles maisons, parce que les Messieurs de cette assemblée avaient trouvé qu'il n'y avait pas d'apparence de rien demander à Rome que nous n'eussions du moins trois maisons, et que jamais, sur une unité, on n'accorderait des Bulles de Congrégation. C'est à quoi donc elle s'appliqua, toutefois à sa manière ordinaire, c'est à dire attendant d'en voir, dans la rencontre des évènements, les ordres de la divine Providence.

Il lui en arriva bientôt un qui lui fit une grande ouverture à ce dessein, ce fut la mort de Monsieur le comte, Fondateur du monastère de Paris, parce que sa pieuse veuve s'étant retirée avec les religieuses pour le reste de ses jours, y porta assez de biens pour entreprendre une maison plus considérable qu'elles n'eussent pu faire avec ces premières douze mille livres.

congrégation, mais aussi du Roi et du Parlement, il est plusieurs fois chargé par la Cour de régler des contestations entre communautés. Les évêques et abbés désireux d'établir la réforme en leurs monastères s'adressent à lui. Il parvient avec succès à réformer ainsi 60 maisons. Il avait même l'estime de son abbé commendataire M. de Metz qui voulait en faire son coadjuteur, il refusa. En 1645, il est élu assistant du très révérend père Dom Grégoire Tarisse. Elu général de la congrégation en 1681 et réélu en 1683. Il meurt le 7 janvier 1687. Dom Martène, op. cit., t. II, p. 94 et suiv.

(5) Prière, commune de Billiers, canton d'Auzillac, arrondissement de Vannes, Morbihan. L'abbé en était Jean VI (Jouand) élu en 1631, décédé le 2 juin 1673. Conseiller de Mazarin qui l'avait chargé de promouvoir la réforme de Cluny, il s'employa à cette tâche avec Dom Ignace Philibert, Dom Placide Roussel et Dom Thimothée Bourgeois qui était à l'époque de cette nomination prieur de l'abbaye de Saint-Wandrille (Seine-Maritime). De 1656 à 1667, l'abbé de Priez et les trois prieurs nommés s'efforcèrent d'établir la réforme, de faire des constitutions et d'unir Cluny à la congrégation de Saint-Maur selon le désir de Mazarin qui était abbé commendataire de Cluny, mais ils ne purent y parvenir. Gallia Christiana, t. XIV, col. 967. — Dom Martène, Histoire, op. cit., Ligugé 1930.

ARTICLE

Nous : Soeur Mectilde du St Sacrement, Prieure, Bernardine de la Conception, Sous-Prieure, Anne de Ste Magdelaine, Marie de Jésus, Anne de la Présentation, Marie du St Enfant Jésus, Marie de St Joseph, Marie de St Benoit, Magdelaine de Ste Gertrude, Mectilde de la Croix, Marie Hostie du St Sacrement, et Anne Victime de Jésus, étant toutes assemblées capitulairement, au son de la cloche, à la manière accoutumée, pour entendre les propositions à nous faites par Madame la comtesse de Châteauvieux, notre digne Fondatrice, disant que Dieu lui ayant donné un ardent désir de le faire honorer dans [la] divine Eucharistie, pour réparer, selon le pouvoir de la créature, les outrages qu'il y reçoit par les impies, elle aurait reçu un mouvement très particulier de contribuer à un second établissement, du même Institut que celui de ce monastère, où l'on pratiquerait les mêmes devoirs vers le Très Saint Sacrement de l'autel, hors la ville et fauxbourg de Paris, et pour cet effet, ladite dame prie vouloir accepter la somme de 12.000 livres, payables dès à présent, aux charges et conditions suivantes :

Premièrement : que la Mère Prieure et toute la communauté consentent et acceptent l'union de ce nouveau monastère, et tous autres qu'il plaira à Dieu établir du même Institut, et où les mêmes Constitutions seront observées.

Et comme il a plu à Notre Seigneur se glorifier en celui-ci lui donnant les prémices de grâce et en faire comme la source des autres, l'on désire que les susdits monastères qui en proviendront et qui seront désormais établis, y demeureront étroitement liés et unis, s'entre-soulageant les uns les autres, tant pour les Supérieures qu'autres Officières, pour les bonnes conduites s'ils en ont besoin, pour les conserver et maintenir dans la force et vigueur de leurs observances.

Deuxième : que, dans le dit monastère, on y recevra à perpétuité une pauvre fille, damoiselle ou autre, de bonne vocation, qui sera comme une victime immolée au Très Saint Sacrement de l'autel en réparation des irrévérences et autres manquements de devoirs, commis par la dite dame, ses ancêtres et sa famille ; et la dite fille venant à décéder, une autre lui succédera, et ainsi pour toujours se succèderont l'une l'autre, la place ne restant vide que le temps nécessaire pour trouver un sujet capable de la dignement remplir.

Troisième : que le monastère du Saint Sacrement de Paris se chargera de la dite somme de 12.000 livres pour employer en fond ou rente, avec déclaration pour la sûreté des dits deniers, desquels le

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monastère sera responsable et garant, et sera tenu de fournir la dite somme toutefois et quand la Révérende Mère Prieure et son Conseil le requerrons lorsqu'elles auront choisi un lieu dans quelque bonne ville, sans exception des Provinces, pour faire commodément à petits frais le dit établissement ; ou, si elle aime mieux pour la sûreté des deniers, en payer seulement la rente, en attendant que l'on voie si le dit établissement réussira.

Quatrième : que la rente des dites 12.000 livres sera employée tous les ans, en attendant le dit établissement proposé, savoir 500 livres pour la subsistance et entretien de la dite victime, que le monastère du Saint Sacrement de Paris sera obligé de prendre dès à présent, et d'en avoir toujours une jusqu'au dit établissement. Lequel ayant son effet, le dit monastère de Paris s'en déchargera et en chargera le nouveau.

Et le surplus de la dite rente sera employé pour faire la Cène le Jeudi Saint, et contribuer à l'aumône des Jeudis, comme il est dit et porté par la Fondation du 24 de février 1661, dont la dite dame sera déchargée jusqu'au dit établissement proposé, lequel ayant son effet, la dite dame donnera sa vie durant tous les ans la somme de 100 livres.

Cinquième : que le dit établissement proposé ne pourra se faire que lorsque ce monastère [sera] en état de se priver de cette somme de 12.000 livres sans incommoder la communauté, car en ce cas il faudrait différer le dit établissement ; et, lorsqu'il aura son effet le dit monastère du Saint Sacrement de Paris ayant fourni la dite somme il demeurera déchargé de toutes les choses et conditions qui le pourraient charger, à la réserve de l'union.

Sixième : que le dit établissement ne se pourra faire que par l'ordre, le choix et l'entremise de la Mère Mectilde du St Sacrement, à présent Prieure de ce monastère, lorsque Notre Seigneur lui en donnera le mouvement et que la Providence lui en fournira l'occasion. La dite Dame comtesse lui en laisse entièrement le pouvoir, la priant même très instamment d'en vouloir prendre le soin et d'y vaquer pour la décharge de sa conscience ; et, en cas que le dit établissement ne se fasse point du vivant de la dite Mère Prieure, celle qui sera élevée Prieure après sa mort, assistée de son Conseil, en prendra le soin.

**

Nous : Prieure et religieuses du dit couvent, ayant mis l'affaire en délibération, et voyant que ma dite Dame comtesse n'a d'autre motif en ses prétentions que de faire adorer, connaître et aimer, autant qu'elle peut, l'auguste Sacrement de l'autel, et que ce zèle dont elle est animée la porterait — s'il était à son possible — à faire un nombre considérable de monastères consacrés à la gloire et adoration perpétuelle de ce Mystère d'amour. Autant qu'il sera de notre pouvoir de le faire honorer, et pour comble d'une éternelle mémoire la piété et singulière dévotion de ma dite Dame, nous avons toutes, d'un commun consentement, agréé, accepté, agréons et acceptons la dite Fondation, aux conditions et charges que dessus.

Le tout sous le bon plaisir du Révérend Père Prieur de l'Abbaye de St Germain des Prés, Vicaire général de Monseigneur Henry de Bourbon, Abbé commendataire de la dite Abbaye. En foi de quoi nous avons signé le présent acte, à notre dit monastère du Très Saint Sacrement, le premier jour de mars de l'année 1661.

Signé : Sr Mectilde du St Sacrement, Prieure, Sr Bernardine de la Conception, Sous-Prieure, Sr Anne de Ste Magdelaine, Sr M. de J., Sr Anne de la Présentation, Sr M. du St Enft J., Sr M. de St Joseph, Sr M. de St Benoist, Sr M. de Ste G., Sr Mectilde de la Croix, Sr M. Hostie du St St, Sr M. Victi. de J., et Marie de la Guesle.

Nous, Frère Ignace Philbert, humble Prieur de l'Abbaye de St Germain des prés, dépendant immédiatement du Saint Siège, et grand Vicaire d'icelle, ayant vu, lu et examiné l'acte capitulaire écrit ci-dessus, et de l'autre part à nous présenté dans l'acte de la Visite par la Supérieure et [les] religieuses du Saint Sacrement, sis dans notre faubourg et ressort de notre juridiction spirituelle, pour être de nous approuvé, l'avons lu et approuvé, louons et approuvons, en tant qu'à nous appartient, pour être exécuté selon sa forme et teneur ; et néanmoins ne pourra la dite Supérieure, celles qui lui succéderons dans sa charge de Supérieure du dit monastère, traiter d'aucun établissement, en quelque lieu que ce soit, y envoyer aucune religieuse, ni y faire aucun transport des deniers du monastère du Saint Sacrement de notre dit faubourg, sans en avoir premièrement communiqué avec nous, ou nos successeurs grand'vicaires, et en avoir obtenu notre consentement par écrit.

Fait le 10ème jour de mars 1661.

Signé : F. Ignace Philbert, humble prieur et v.g. (avec paraphe).

Notre très digne Mère Prieure ayant jeté les yeux sur la ville de Toul (6), fort voisine de la Lorraine pour faire la première maison qui se pouvait entreprendre, par bien des considérations, dont l'une était la proximité de Toul à Paris et à Remberviller ; car nous espérions déjà que nos Mères de Remberviller recevraient l'Institut de l'Adoration perpétuelle, et s'uniraient à la Congrégation, — comme elles ont fait depuis —, si bien que la chose fut arrêtée que l'on y travaillerait incessamment, et qu'on y appliquerait 10.000 écus des

(6) L'histoire de la fondation du monastère de Toul sera rapportée avec les lettres que mère Mectilde écrivit aux religieuses de ce monastère qui fut l'un des plus florissants de notre institut.

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sommes que notre libérale comtesse avait données pour des nouveaux établissements, savoir : les 4.000 écus que nous avons vus ci-devant, pour raisons desquels nous avons rapporté les premiers articles ci-dessus ; 7.000 livres, prises sur les 24.000 qui avaient été destinées pour la fondation de Rouen qui n'avait pas réussi ; et 11.000 livres que cette pieuse Dame donna en deniers comptants. Comme du tout il appert par les contrats de fondation, faisant le tout la somme de 30.000 livres.

Et, pour le paiement de partie de cette somme, nous cédâmes des contrats de constitution de rentes au profit de ce nouvel établissement, parce que nous avions touché les deniers que Madame la comtesse avait destiné à cet emploi.

Il fut arrêté que, comme ces sommes procédaient de sa libéralité, elle serait reconnue pour Fondatrice de cette nouvelle maison, et que le tout se ferait aux conditions portées par les articles ; qu'elle demeurerait unie à celle de Paris, et au Corps de notre Congrégation.

DE L'ORIGINE DU MONASTÈRE DE NOTRE DAME DE LA CONCEPTION DE LA VILLE DE REMBERVILLER, DIOCÈSE DE TOUL, ET DE SON UNION A LA CONGRÉGATION DU SAINT SACREMENT

Ce monastère se doit regarder comme un riche rejeton de ce grand et fructueux arbre : la très ancienne et très célèbre Abbaye de St Maur de Verdun.

Nos Pères de St Nicolas, de la Congrégation St Vanne, jaloux que la Lorraine fut le seul pays privé de l'avantage d'avoir des religieuses de St Benoit, s'adressant à cette Abbaye pour aller faire un établissement dans la même ville de St Nicolas ; en suite de quoi ils obtinrent leur demande, et deux religieuses professes y furent envoyées pour cet effet, qui furent : Mesdames Eufraise du Hautoy (7) et Barbe de

(7) Les princes de Salm sont issus d'une ancienne maison princière d'Allemagne qui remonte au Ix. siècle. En 1040, les états du prince furent partagés entre ses deux fils : la branche aînée, Ober Salm qui avait juridiction sur le Haut-Salm dans les Vosges aux frontières de l'Alsace et de la Lorraine et pour ville principale Senones ; la branche cadette, comté de Nieder-Salm ou BasSalm (qui devinrent les ducs de Limbourg) était situé sur les frontières des provinces de Liège et du Luxembourg avec la ville de Salm ou Vielsalm, dans les Ardennes Belges pour chef-lieu. Les mères du Hautoy et de Hulce sont originaires de la branche aînée. Bouillet, op. cit. — Archives de Meurthe-et-Moselle, H 2414, fol. 44-56.

Hulce (8), qui étaient de très grande vertu, de très grande maison : appartenant d'alliance aux princes de Salm et à plusieurs grands de Lorraine et d'Allemagne.

Elles vinrent donc à St Nicolas et s'y établirent avec un succès autant heureux qu'elles le pouvaient souhaiter, car leur sainte vie et l'appui de nos Pères leur attirèrent bientôt plusieurs bons sujets qui leur apportèrent du bien ; en sorte qu'au bout de quatre ans elles se trouvèrent en état d'écouter la proposition qui leur fut faite, d'aller faire un autre établissement dans la ville de Remberviller, qui n'est qu'à sept lieues de St Nicolas.

Les principaux du lieu les en sollicitaient pressamment, si bien que la Mère Eufraise s'y transporta, accompagnée de trois professes de St Nicolas, et y fut reçue avec un applaudissement d'autant plus général qu'il n'y avait point d'autres religieuses qu'elles seulement.

La ville ajouta cette condition à leur réception, qu'elles tiendraient une espèce d'école pour l'instruction des jeunes filles, de sorte que, comme elles acceptèrent cette condition, elles furent reçues sans difficultés le 29 mars 1629.

Et dix jours ne se passèrent point qu'il ne s'y présenta aussi plusieurs filles à l'Habit, dont celle qui paraissait la plus [apte] était notre Mère Bernardine de la Conception, de laquelle nous avons parlé ci-devant et en parlerons encore. Aussi fut-elle la première admise au voile blanc et ensuite à la profession, étant âgée de 23 ans. Mais comme elles n'avaient encore point d'église dans la ville à sa vêture, elles furent contraintes de faire la cérémonie dans l'église paroissiale du lieu, et la chose se fit en la forme que nous allons mettre.

La prétendante fut conduite en cette église par ses parents et par les principaux de la ville qui la suivaient. Devant elle, marchaient quantité de jeunes filles de bon lieu, bien parées, portant la croix, la couronne d'épines, et les Habits de religion dans des bassins d'argent, marchant deux à deux, modestement, en bel ordre.

Comme ils furent arrivés dans l'église, les religieuses qui les y étaient allées attendre, entonnèrent le Veni Creator, et ensuite chantèrent la grand'Messe qui fut célébrée par le curé du lieu, après laquelle le Père Gardien des Capucins de ce lieu-là prêcha.

Et après le sermon fini, la fille fut voilée avec les cérémonies ordinaires, en présence d'un si grand concours et affluence de monde qui accourait de toute part, n'ayant jamais vu une chose pareille, qu'on eut bien de la peine d'en venir à bout.

Après la cérémonie faite et le « Pange lingua » chanté, le même curé prit le Saint Sacrement dans le soleil, et conduisit processionnellement les religieuses en leur nouveau monastère, pour les en mettre

(8) Barbe de Hulce de Villaune, on trouve trois abbesses portant ce nom à l'abbaye de Verdun : la première en 1631-1634 ; la deuxième, 1637-1640 ; la troisième, 1643-1648. Ce doit être la même réélue pour des triennats successifs.

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en possession. La Novice marchant seule la première après le Très Saint Sacrement, ayant le crucifix à la main et la couronne d'épines sur la tête ; et après elle, allaient deux à deux [les] jeunes demoiselles, les religieuses, ayant chacune un cierge blanc à la main ; et plusieurs dames et demoiselles avec un nombre infini de peuple terminaient la procession, qui alla ainsi jusqu'à leur chapelle, où, quand la Bénédiction fut donnée, le Saint Sacrement leur fut laissé dans leur tabernacle ; et la procession s'en retourna comme elle était venue, sinon que les religieuses demeurèrent dans leur clôture et ne retournèrent plus à l'église. Et tout le monde resta grandement content et édifié de ce nouvel établissement.

Mais trois mois après cela la Mère Eufraise du Hautoy fut contrainte de s'en retourner à son monastère de St Nicolas avec une de celles qu'elle avait amenées, laissant dans ce nouveau monastère qui fut nommé : de la Conception Notre Dame, la Mère Barbe de Hulce pour Prieure, qu'elle avait fait venir exprès de St Nicolas.

Et celle-ci y demeura plus de deux ans pendant lesquels elle reçut aussi à l'Habit plusieurs Filles ; mais comme c'était une personne d'un rare mérite elle ne tarda pas d'être rappelée par les religieuses de l'Abbaye de St Maur, son premier monastère, et laissa en partant un regret extrême de sa perte à cette communauté naissante, qui se trouva obligée par ce moyen de procéder à l'élection d'une autre Prieure, sous le bon plaisir de l'Evêque diocésain qui était Monseigneur de Sity [Charles Chrétien de Gournay].

Ainsi, au mois de novembre 1631, fut élue la Mère Dorothée, professe de St Nicolas, laquelle était si profondément humble qu'elle mourut un mois après son élection, de douleur de se voir élevée à cette charge tant elle s'en estimait indigne.

Et Mère Agnès, professe du même monastère St Nicolas, et venue aussi à cet établissement lui succéda par le suffrage de toutes et gouverna la maison jusqu'à 1637, qu'elle s'en retourna aussi à son couvent ; de façon qu'il n'y resta plus du tout des Mères de St Nicolas qui étaient venues les établir ; et par ce moyen les religieuses se virent obligées d'en choisir une d'entre elles pour les gouverner.

Ce fut notre Mère Bernardine (9), première Novice, première Pro-

(9) L'abbaye de Rambervillers avait été fondée en 1625 par Barbe de Hulces et Euphrasie du Hautoy. Formées toutes deux à l'abbaye de Saint-Maur au diocèse de Verdun et parties à Rambervillers sur la demande des Bénédictines de Saint-Nicolas, à 2 lieues de Nancy, de la réforme de Saint-Vanne. Dix jours après l'arrivée des deux fondatrices, une postulante se présentait : Mlle Gromaire qui sera mère Bernardine de la Conception. Formée aux plus pures traditions vannistes, mère Bernardine qui recevra mère Mectilde en qualité de prieure en 1640, restera prieure du monastère jusqu'à l'élection de mère Benoite de la Passion de Brem en cette charge, le 31 aout 1653. Mère Bernardine sera la fidèle compagne et le bras droit de mère Mectilde jusqu'à sa mort : comme sous-prieure de sa maison, puis comme prieure de la jeune fondation de Toul, en 1669, elle passe quelque temps à Nancy pour préparer l'union de l'abbaye de Notre-Dame de Consolation avec notre institut ; puis au second monastère parisien rue Saint-Marc en 1674 et ensuite rue Saint-Louis. En 1685, elle

fesse de la maison, qui fut encore première Prieure de ce monastère de celles du plant du lieu, celles qui l'avaient précédé en cette charge en étant étrangères et passagères.

Et bien valut à celle-ci de se trouver douée de courage et d'entendement, car elle prit les rênes du gouvernement dans un temps où le couvent se voyait déjà dans la décadence, par le désordre des guerres qui avaient commencé de s'allumer tout à l'entour de ce lieu dès l'année de son noviciat, c'est à dire en 1629, premièrement par les troupes de l'empereur, commandées par le général Mercy — qui vinrent ravager tout l'évêché de Metz —, puisque les troupes du Roi, qui bien qu'elles vinssent comme amies dans cet évêché et dans Remberviller ne laissèrent pas de les rencontrer ; et y demeurèrent jusqu'à 1631, que le duc de Lorraine vint aussi assiéger cette pauvre ville qui n'est pas de ses Etats, avec une armée de 30.000 hommes, commandés par Jean du Vert, Gassion et Picolomini (10), et le même Mercy, cette armée étant composée de plusieurs nations étrangères qui avaient été envoyées par leurs Princes comme troupes auxiliaires [à] l'Empereur.

Et ce siège dura onze jours, où, après avoir souffert le canon et les assauts, la ville se rendit à composition le jour de la St Laurent, 10ème d'août 1634. En suite de quoi l'armée demeura campée tout autour près de trois mois, et les officiers logés dedans.

Mais la composition n'empêcha pas qu'on ne rendit bientôt du déplaisir aux habitants (11), — sinon en leurs femmes et filles, desquelles l'honneur fut soigneusement conservé —, du moins en leurs biens, les mettant sans quartier à une rançon de 200.000 francs, pour laquelle payer, les principaux leur baillaient leur vaisselle d'argent, dont ils étaient tous bien fournis en ce temps-là, et étaient contraints de la leur laisser à bas prix parce qu'ils étaient les maîtres.

Puis les Lorrains en furent chassés par les troupes du duc Bernard de Vaymard, lui-même y étant en personne, qui enchérirent sur retourne rue Cassette. A partir de 1692 on ne trouve plus de mention de son nom, on peut supposer qu'elle est morte un peu avant mère Mectilde qui eut encore ce sacrifice, bien dur à son coeur, à offrir sur la fin de sa vie.

(10) Généraux des armées qui assiègent Rambervillers, alliés du duc de Lorraine. Gassion : fils de Jacques de Gassion (ancienne maison de Béarn) et de Marie d'Esclaux, il est né à Pau le 20 août 1609. Il va en Allemagne où Gustave-Adolphe de Suède lui confie le commandement de la compagnie destinée à sa personne. C'était un admirable soldat, mais un chef d'armée très dur qui réprime cruellement la révolte justifiée des populations de l'Avrenchin (les Nu-Pieds). A la mort de Gustave-Adolphe 1632, Gassion retourne en France avec son régiment et rejoint l'armée du maréchal de La Force en Lorraine où il sème la terreur. Il est de tous les combats : Charmes, Neufchâteau, Bayon, Saint-Nicolas. Blessé à Thionville, il reçoit le bâton de maréchal de France la même année 1643. Blessé au siège de Lens il meurt huit jours après à Arras le 2 octobre 1647. Il est enterré au temple protestant de Charenton. La Chenaye, Dict. de la Noblesse, t. IX, col. 22-24. — Vie par l'Abbé de Pure. P. Anselme, op. cit. Piccolomini : né à Sienne en 1599. Mort à Vienne en 1656. Général de l'armée impériale pendant la guerre de Trente ans, commande une armée à Lutzen-Nordlingen. L'Empereur le fait Prince d'Empire. Dezobry, Dict. Géograp. et Hist., Delagrave 1876.

(11) Lire : bien que la ville se soit rendue cela n'empêcha pas.

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toutes autres en cruauté, faisant souffrir à ces pauvres habitants des tortures inouïes pour leur faire déclarer les caches dans lesquelles ils avaient sauvé le reste de leurs effets et les meubles des églises.

Mais ce monastère fut toujours préservé, — tant en ce temps-là qu'encore en 1648 et jusqu'en 1660, que les hessiens et les français vinrent attaquer cette ville, — de l'insolence des soldats, par des miracles continuels.

Entre les autres : une fois (c'était en 1648), les hessiens entreprirent de forcer la porte de clôture, sous prétexte que les plus riches bourgeois s'étaient cachés dans le couvent, et travaillant pour cela, notre Révérende Mère Prieure [Mère Bernardine de la Conception], — qui l'était lors de Remberviller, — vint se ranger à genoux, à la tête de toute la communauté, derrière cette porte, ayant une image de la Sainte Vierge entre les mains, implorant à chaudes larmes cette Mère de bonté de détourner le malheur dont elles étaient menacées ; et n'en furent pas éconduites, puisque, par un miracle évident, ces tigres l'ayant voulu rompre [elle] revenait toujours en son même état, après cela ils tâchèrent de l'enlever de dessus ses gonds en passant des barres de fer par dessous : la porte s'enlevait en effet, mais elle ne manquait jamais de retomber sur ces mêmes gonds.

Tant qu'à la fin ils commencèrent à s'étonner et à filer doux, demandant bien humblement à nos [Mères], qu'elles en laissassent entrer un seulement, pour voir s'il n'y avait point de bourgeois cachés, et leur assurant que, s'il n'y en trouvait point, ils les laisseraient en repos.

Ce pas était bien dangereux, et pourtant elles furent si hardies que de le leur accorder, tant elles avaient pris de confiance au secours de cette Mère de miséricorde dont elles venaient de voir des miracles si évidents. Si bien que notre Mère Prieure ouvrit la porte, mais ce fut elle toute seule, car toutes les autres religieuses s'enfuirent de peur, se cacher. Et elle-même prit hardiment par le bras le soldat qui se présenta pour entrer, et referma incontinent la porte sur lui, lui disant donc d'aller chercher par la maison. Mais un nouveau miracle : ce soldat si furieux auparavant devint tremblant et effrayé, d'une sorte qu'il la pressa aussitôt de le mettre dehors, disant ne vouloir pas regarder davantage. Elle au contraire, l'encourageant plutôt, le poussa par les épaules le faisant marcher devant elle comme un enfant, tant il paraissait épouvanté, jusqu'à ce qu'il eut fait tout le tour du cloître sans qu'il osât seulement lever les yeux ; puis elle le fit sortir, et aussitôt après ils se retirèrent sans leur faire nul déplaisir.

Une autre fois le Colonel revenant avec 5 ou 6.000 hommes pour assiéger cette pauvre ville, il partit de demi-lieue près, sur le soir, avec la plus grande partie de ses troupes, ayant envoyé le reste devant à la sourdine, l'attendre pour user de surprise. Mais après avoir marché toute la nuit il se trouva le lendemain au matin à plus

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de 14 lieues loin, ce qui l'effraya si fort qu'il se désista de son entreprise et se retira. Ce pauvre lieu fut préservé.

Ce général avait bien d'autres desseins en ce siège que d'avancer les affaires de son parti. Il était passionnément amoureux d'une de nos religieuses, dont la beauté l'avait charmé devant qu'elle prit le voile, et il venait pour tâcher de l'enlever ; et comme elle savait ce dessein, elle et toute la communauté, firent tant de prières et tant de pénitences que Dieu détourna ce coup.

Une autre fois encore, Monsieur le maréchal de la Ferté venant pour piller la ville, nos Mères se mirent aussi en prières, et son canon s'embourba par les chemins quoique la terre était extrêmement gelée partout, et en cet endroit comme ailleurs. Elle se ramollit seulement sous le canon, en forme d'abîme, mais point en aucun autre endroit ; en sorte que plus de 400 hommes que l'on avait mis après pour l'en retirer n'en purent venir à bout, lors, ni depuis, car on tient qu'il y est encore ; et ce maréchal ne vint point.

Aussi la ville de Remberviller avait accoutumé de dire que ce monastère était leur meilleur boulevard [rempart]. Enfin il ne se peut dire ce que ce pauvre lieu souffrit de la guerre. Mais la peste qui survint en ces entretemps affligea et fatigua étrangement nos religieuses qui, ou pour ce sujet ou pour la guerre, furent souvent contraintes de tenir les bois, parce que leurs Supérieurs les obligeaient de fuir ; et comme tout le voisinage était pareillement empesté ou tout désolé par les troupes, elles n'avaient pas d'autre retraite.

Une fois entre les autres, elles se rendirent dans une forêt voisine, à pied, tout de nuit secrètement, pour la crainte des soldats, avec l'effroi et l'appréhension que Dieu sait ! et prirent leur logement dans un bâtiment abandonné qui se nommait « la scie aux corbeaux » où l'on sciait les planches et autres bois à bâtir.

Là elles demeurèrent dix jours, sans dormir presque et sans manger rien que quelques herbes sauvages bouillies dans l'eau, exposées à la pluie et au serein, à la merci des loups et autres bêtes carnassières qui étaient plus acharnées en ce temps-là sur la chair humaine, à cause que la peste — qui faisait abandonner les corps morts leur donnait le moyen de s'en paître ; et souvent entourées de couleuvres qui venaient avec des sifflements horribles leur céder tout alentour ; qui plus est et dans des affres continuelles que les soldats ne les découvrissent.

Si bien que, ne pouvant résister davantage à de si grandes extrémités, elles n'eurent pas de meilleur parti à prendre que celui de retourner dans leur maison ; ce qui n'était pas une moindre extrémité puisqu'en effet aussitôt qu'elles y furent rentrées il y en eut sept frappées de peste qui en moururent.

En suite de quoi, la famine les attaqua comme tout le reste du pays, presque personne n'en étant exempt. Et ce fut en ce temps-là qu'elles se virent réduites à ce quarteron de pain de blé noir par

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jour, dont nous avons déjà fait mention en la première partie. Encore en manquaient-elles souvent.

Si bien donc que notre nouvelle élue, la Mère Bernardine, n'eut pas peu d'affaires à tout soutenir, ayant toujours à combattre entre la misère du temps et l'abattement de coeur où pouvait se trouver lors le troupeau qu'elle avait à gouverner, parmi de si longues et de si étranges calamités que leur patience n'était guère moins à bout que leurs biens.

Pourtant, elle tint bon très longtemps, et fit que sa communauté ne se relâcha jamais de toutes les observances, non pas même dans les bois, qu'elles allaient aux pieds des arbres — comme à des oratoires — s'acquitter de leurs prières.

Mais à la fin elle fut contrainte de céder à cette misère extrême, sortant en 1641, avec la majeure partie de ses religieuses, par commandement de Monseigneur l'Evêque de Toul, leur supérieur, pour venir se réfugier à St Mihiel, puis de St Mihiel à Montmartre et à St Maur, comme nous avons dit ailleurs (12).

Mais auparavant — cela fut au mois de juillet précédent, — elle eut le bonheur de donner l'Habit de St Benoit à notre même Révérende Mère et Supérieure de la Congrégation, qui est notre Mère Catherine Mechtilde du St Sacrement, et de lui voir faire entre ses mains les sacrés voeux de la Religion dans notre même Ordre, le onzième de juillet 1640, un an environ devant qu'elles vinssent à St Mihiel.

Mais nous ne dirons plus rien de ce qui s'est passé pendant la supériorité de la Mère Bernardine depuis le temps qu'elle fut venue en France, parce que nous en avons assez parlé dans les première et seconde parties, où nous avons rapporté exactement ce que notre Révérende Mère et toutes les autres de sa troupe devinrent ou sont devenues, jusqu'à l'établissement de l'Institut de l'Adoration perpétuelle, et où partout sa conduite a paru très excellente.

Seulement il est nécessaire de remarquer à l'égard de la maison dont nous parlons, que la Mère Benoîte de la Passion en fut élue Prieure (13) après notre Mère Bernardine, et a rempli depuis elle très dignement cette place pendant 15 ans sans interruption, succédant à notre Révérende Mère Supérieure générale, la Mère Catherine Mechtilde, qui fut élue Prieure de Rembervilller pendant qu'elle était

(12) Pour l'histoire de Saint-Mihiel à cette époque, on peut consulter les archives paroissiales de Saint-Mihiel incluses dans les archives de l'abbaye bénédictine de Saint-Mihiel aux archives départementales de Bar-le-Duc.

(13) Née à Saarbourg en 1609. Mariée à 17 ans pour plaire à ses parents bien qu'elle désirât beaucoup la vie religieuse. Elle eut une fille et perdit son mari après trois ans de mariage. A 23 ans, elle se retire chez les Bénédictines de Rambervillers. Sa fille est élevée à l'alumnat du monastère. Ses riches qualités naturelles, surtout sa piété profonde, un attrait peut-être un peu excessif pour les mortifications corporelles, inciteront ses supérieurs à lui confier assez vite des charges importantes dans le monastère. C'est elle qui sera la maîtresse des novices de soeur Catherine de Sainte-Mectilde. Après le départ de la mère encore à Notre Dame de Bon Secours de Caen ; mais, depuis la supériorité, qu'elle fut toujours absente, n'ayant pu demeurer que huit mois dans son monastère à cause des guerres — comme nous avons dit ailleurs, — et que la dite Mère Bernardine était sa Sous Prieure à Paris, que nous pouvons dire que son gouvernement a été de 15 ans sans interruption.

La très miraculeuse vie de cette dernière et sa précieuse mort ayant mérité des mémoires à part, nous n'en dirons rien au long. Seulement nous en faisons mention en cet endroit, pour un enrichissement à ce que nous avons entrepris de rapporter de cette maison, car, comme nous en tirons notre origine, il nous est infiniment glorieux de montrer qu'elle a toujours été une pépinière de sainteté, vu qu'en elle se sont formées tant et de si grandes âmes ; et continue tous les jours, non pas par des curiosités subtiles dont se nourrissent la plupart des dévotions du temps, mais à la faveur d'une simplicité parfaite sous la sûreté de laquelle (14) et des extrêmes souffrances par lesquelles Dieu les a fait passer comme nous avons déduit.

Il les a établies dans une très solide vertu, à quoi n'a pas peu servi cette absolue retraite dans laquelle elles vivent en ce petit recoin du monde, qui les tient dans l'éloignement du mélange de tant de directions et d'amusements spirituels, et leur cache à elles-mêmes les riches dons des grâces que Dieu y répand, et par ce moyen les laisse appliquées à la pratique sérieuse et fidèle d'une véritable mortification ; différant encore [en] cela de tous ces spirituels qui ne s'occupent qu'à connaître, semblant épuiser toute leur ferveur dans ces connaissances, puisqu'on remarque avec douleur que, sachant parfaitement la définition de toutes les vertus, ils n'en pratiquent que très peu, et encore bien légèrement.

Mais, passons à l'union de cette maison à la Congrégation de l'Adoration perpétuelle.

Nous avons vu ci-devant que notre Institut a pris naissance depuis que notre Mère Prieure a été obligée de sortir de ce monastère pour se venir réfugier à Paris, à cause des guerres de Lorraine. Et il n'est pas difficile de comprendre qu'après la notable différence que cet établissement mettait entre elles, cette maison ici et celle-là ne pouvaient plus être une même chose comme auparavant. Les coeurs demeuraient bien unis par les liens d'une charité sincère, mais les esprits et les intérêts ne pouvaient pas se trouver de même.

Bernardine de la Conception, rejoignant mère Mectilde à Paris en 1653, mère Benoite sera élue prieure du monastère de Rambervillers : 31 août 1653 et le restera jusqu'à sa mort. C'est sous son priorat que se fera l'agrégation de son monastère à l'institut. Sa fille sera d'abord élève du pensionnat tenu par les Bénédictines de Rambervillers à Saint-Maur-des-Fossés. Elle fera plus tard profession au monastère rue Férou (puis rue Cassette) sous le nom de soeur Marie de Jésus. Il nous reste de nombreuses lettres de mère Mectilde à soeur Marie-de-Jésus. Elle est morte, encore très jeune, rue Cassette, entourée d'une véritable vénération. Blémur, op. cit. — Vie manuscrite de la mère Benoite de la Passion aux archives du monastère du Saint-Sacrement de Paris.

(14) Lire : laquelle est une voie bien plus assurée ainsi que les extrêmes souffrances.

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Si bien que cette espèce de séparation donnant beaucoup de douleur à nos Mères [de Paris] qui étaient leurs filles, elles tâchèrent de tout leur pouvoir de les porter à concourir avec elles à cette même entreprise, en recevant l'Institut, pour ensuite procurer la Congrégation de l'Adoration perpétuelle que l'on projetait déjà.

Et nos Mères y étaient aidées par cinq ou six de leur maison qui avaient passé quelques années en celle-ci [rue Férou, puis rue Cassette] mais qui, n'en étant pas professes, avaient été obligées de s'en retourner dans leur couvent. Et comme il leur en était resté une haute estime, elles brûlaient du désir que leur maison le reçut, de sorte qu'elles y travaillaient de tout leur mieux.

Tout cela pourtant se trouvait fort inutile, parce que le plus grand nombre était contre, et qu'elles étaient appuyées de l'autorité de leur supérieure, la Mère Benoîte, qui toute sainte qu'elle était, ne laissait pas de nous être fort opposée, par des motifs qui lui semblaient aussi saints que ceux qui faisaient agir nos Mères ; en façon qu'elles ont été six ans devant que de se rendre et (le) recevoir (l'Institut].

A la fin, Dieu, dont la gloire se trouvait intéressée par leurs trop longues résistances, se mêla de la partie et trouva bien les moyens de les ranger à sa volonté, quand les créatures ne purent plus rien. Pour cet effet il frappa deux coups de sa puissance sur les deux têtes qui lui résistaient le plus, et ne manqua point de les fléchir.

Le premier, fut sur la Mère Scholastique Girard (15), qui consent bien qu'on la nomme pour la gloire du Saint Sacrement, laquelle il terrassa comme un St Paul, par une main invisible au plus fort de sa résistance. Celle-ci était si fort opposée à ce dessein qu'elle a confessé depuis qu'elle ne pouvait pas même souffrir la vue de notre Révérende Mère, et que l'ouïr seulement nommer la faisait frémir, quoiqu'auparavant elle l'aimait tendrement.

Un jour donc, — c'était dans le mois d'octobre 1665, — cette religieuse passant devant la porte du choeur pour aller en un endroit là tout proche, la pensée lui vint de faire une génuflexion pour adorer le Saint Sacrement, puis, s'allant se souvenir que ce serait nous imiter — parce que cela ne s'observait pas fort auparavant —, elle se repentit de le faire, et comme hochant la tête de dépit, elle voulut passer outre ; mais, tout à l'instant même, elle sentit qu'une puissance invisible l'enleva et la jeta si rudement contre terre, la tête en bas, qu'elle en eut le crâne cassé et notablement ouvert.

(15) Elle avait beaucoup connu mère Mectilde et avant le départ de celle-ci pour Paris en 1651, elles étaient très unies. Par ailleurs le frère de mère Scholastique avait épousé une nièce de mère Mectilde. Mais depuis l'établissement de l'institut la mère Scholastique avait conçu une antipathie secrète, devenue bientôt une aversion déclarée pour son ancienne amie. Aussi était-elle décidée à user de tout son crédit, qui était grand au monastère et au dehors, pour empêcher l'agrégation. Elle signe habituellement Gérard et non Girard. Mgr Hervin, op. cit.

DOCUMENTS HISTORIQUES

Il ne faut pas demander si elle demeura pâmée de ce coup, puisqu'elle en perdit l'usage de tous ses sens et qu'elle jetait du sang par le nez, les yeux, la bouche et par les oreilles, ne donnant autre signe de vie que celui de la respiration.

On la prend, on l'emporte à l'infimerie en cet état, et le chirurgien étant appelé fut étrangement épouvanté de ce coup qu'il trouva bien extraordinaire, ne pouvant comprendre comme elle avait pu se casser ainsi le haut de la tête, à moins que de s'être précipitée de haut en bas, — ce qu'elle n'avait pas fait —. Car, d'être comme cela tombée de sa hauteur, elle ne pouvait tomber qu'en devant, ou en derrière, ou sur les côtés, de laquelle de ces façons qu'elle l'eût été elle ne pouvait que s'être atteinte au visage, ou au derrière, ou aux côtés de la tête, mais point du tout au dessus. Cependant c'était là le coup ! et cela nous aurait bien, dès lors, persuadées qu'il y avait en cette chose, quelque chose hors du commun quand nous n'en n'aurions eu que cette évidence.

Mais nous en eûmes la preuve entière bientôt après, de la bouche de la mourante ; car, après avoir demeuré quatre jours en ce pitoyable état que nous avons dit, qu'elle ne parlait ni voyait et qu'on n'attendait que le moment de la voir expirer, tout d'un coup : elle se lève en son séant et commence d'une voix forte, comme dans une espèce de transport, à demander un cierge, une corde, et sa supérieure.

Dieu sait quelle surprise ce fut aux religieuses qui la gardaient ! et quels en furent les cris ! Néanmoins comme elles crurent que c'était un dernier effort de nature et que la mourante rêvait, elles tâchèrent de la remettre, sans se mettre fort en peine de lui donner ce qu'elle demandait. Mais elle, persistant toujours en ses demandes, l'on courut en avertir la Mère Benoite qui, ayant déjà été [alertée] par les grands cris et clameurs qu'elle avait entendus de ce côté-là, ne tarda pas de s'y rendre ; et comme elle fut présente, la malade lui réitéra humblement sa demande de cette corde et de ce cierge, qu'elle lui accorda bientôt, et s'étant à même temps [tout aussitôt] passé la corde à son col, avec le cierge allumé en ses mains, elle commença de faire amende honorable au Très Saint Sacrement, de s'être opposée à l'amplification de son culte, mais avec tant de larmes, de sanglots, et en des termes si touchants qu'elle faisait fondre en pleurs toute l'assistance.

Et ce fut lors qu'elle déclara ce que nous venons de dire de sa chute, et ajouta qu'encore — comme St Paul — pendant que ses yeux corporels étaient fermés, ceux de son âme furent ouverts avec tant de lumière sur la majesté de cet auguste Sacrement et sur la gloire qu'il reçoit de notre Institut , qu'elle disait que, si elle pouvait dicter tout ce qu'elle en avait vu, il y aurait pour occuper un grand nombre d'écrivains pour bien des années.

Ensuite elle fut remise au lit et pansée avec tant de soins — ou plutôt tant de bénédictions de Dieu qui la réservait sans doute par un témoignage non suspect, de la gloire de notre Institut —, qu'elle en

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guérit, quoique ce coup en cet endroit semblait n'être pas curable à cause que le crâne était tout à fait ouvert, qu'encore à présent il n'est pas bien refermé pour marquer de la merveille, puisque du reste elle se porte très bien et agit comme auparavant.

Cet évènement si étrange ne manqua pas de toucher la Mère Benoîte, qui, après celle-là, nous était la plus opposée, quoiqu'avec bien plus de modération.

Pourtant nous pouvons dire que le coup ne fit qu'effleurer, vu qu'elle ne parlait pas pour cela de nous recevoir. Mais c'était que Dieu se réservait de la toucher aussi à son tour, pour mieux faire connaître que cette affaire était son oeuvre.

Il le fit en effet au mois de décembre suivant, le jour de l'Immaculée Conception de la Ste Vierge, qui est la grande fête de ce monastère, parce que c'en est le titre. L'ayant si fort pénétrée de la gloire que ce Dieu immolé sous les espèces du Saint Sacrement reçoit d'être ainsi perpétuellement adoré, et qu'il y eût des personnes dévouées à cet effet, (qu)'aussitôt que la Communauté fut assemblée, après l'Office divin, elle parut en leur présence — sans en avoir communiqué à personne —, (où) : la corde au col, le cierge ardent à la main, et les yeux tout pleins de larmes, elle vint se mettre à genoux pour faire pareille Réparation au Saint Sacrement de s'être aussi opposée à ce que la maison n'en reçut pas l'Institut, confessant à la compagnie tout ce qu'elle avait vu et senti au coeur de reproches de la part de Dieu là-dessus.

Il n'en fallut pas davantage pour enlever le consentement de tout le reste de la troupe, qui se trouvait déjà beaucoup ébranlée depuis l'accident de la Mère Scholastique, vu que, — comme nous avons dit —, il y en avait déjà quatre ou cinq qui le désiraient si ardemment que même, elles en avaient fait le voeu en leur particulier. Si bien que, se jettant toutes à genoux aussi, en pleurant de dévotion, c'était à qui crierait plus fort qu'il était temps de se rendre et de ne plus résister à Dieu, tâchant ainsi de témoigner à l'envi l'une de l'autre une extrême ardeur pour cela.

Et après que ces premiers feux furent un peu exhalés, elles ne tardèrent pas de délibérer sur les moyens d'appeler au plus tôt notre Révérende Mère Prieure, pour y aller faire l'établissement, lui en écrivant pour cet effet à l'heure même, et récrivant plusieurs fois depuis, devant qu'elle voulut s'y transporter ; car, comme elle est beaucoup prudente, elle voulut laisser rassoir ce grand zèle, pour leur donner le temps de considérer ce qu'elles demandaient, et comprendre la faute qu'elles avaient faite de le refuser lorsqu'on leur avait offert.

Mais à la fin, comme elle ne demandait pas mieux, non plus que cette maison ici et celle de Toul aussi, elle se rendit au mois de mars 1666, et en prit possession au nom de la Congrégation le mois d'avril suivant, sur les ordres de Monseigneur l'évêque de Toul, évê que diocésain de Remberviller (de même qu'il l'est de Toul et de Nancy), mais qui agissait en cela comme premier Supérieur nommé de notre même Congrégation, lequel avait commis notre Révérende Mère Prieure pour supérieure et directrice de l'Institut, et, en cette qualité, donné pouvoir de prendre possession des maisons qui s'y voudraient unir (16).

Et cette possession fut prise au nom de la Ste Vierge, l'image de laquelle notre Révérende Mère Prieure portait, allant ainsi processionnellement par tous les lieux réguliers, pour la faire reconnaître Dame et Maitresse de la maison ; comme elle est reconnue de tout l'Institut pour la seule et unique Abbesse et Générale.

Tout cela s'étant passé avec un excès de satisfaction incroyable de part et d'autre tant les coeurs étaient touchés.

Et après, notre Révérende Mère s'en revint à Paris au mois de mai suivant, sans avoir rien innové dans cette nouvelle maison, que l'usage de nos Constitutions, qui sont plutôt le perfectionnement de la Règle de St Benoit — s'il est permis d'user de ce mot —, qu'elles n'en sont une innovation ; je veux dire : elle ne changea rien dans les charges, ni dans le train ordinaire de la maison parce que tout y allait parfaitement bien et à la même manière que nous tenons.

Et depuis encore, elles ont reçu la Bulle de Monsieur le Légat concernant la Congrégation, qui leur a été publiée au voyage que fit notre Révérende Mère l'année 1669 pour Nancy. Si bien que, par cette union, nous avons vu évidemment expliquer la vision qu'une religieuse de leur maison, nommée Dorothée de Ste Gertrude, avait eue douze ans auparavant, — ainsi que nous l'avons déjà rapporté en la 3ème partie, — où le Père éternel lui fut montré embrassant tendrement et mettant comme dans son sein ces deux maisons de Paris et de Remberviller ; mais ce qu'elle ne pouvait comprendre lors, parce qu'il n'y avait nulle apparence en notre union, lui a paru depuis, et à tous les autres, bien intelligible, par le succès.

Que le tout soit à l'honneur et gloire du Très Saint Sacrement de l'autel, et qu'il soit loué et adoré à jamais.

(En annexe quelques lettres de la Mère Mectilde).

(16) En annexe le récit et l'acte de prise de possession du monastère au nom de l'institut par mère Mectilde, XII, XIII, XIV, p. 304.

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SUITE DE L'ENTREPRISE DE LA MÊME CONGRÉGATION ET DES BULLES

ACCORDÉES POUR CET EFFET

PAR LE CARDINAL DE VENDOME (17),

LÉGAT A LATERE DU SAINT SIÈGE

ET AUTRES CHOSES TOUCHANT CE SUJET

Après l'heureux succès de cet établissement et de cette union, notre Révérende Mère Prieure se trouva encore plus encouragée de poursuivre avec ardeur à Rome les Bulles pour la Congrégation ; car, en ayant rendu compte à la Reine, Mère du Roi, Sa Majesté l'approuva fort et lui promit sa protection en tout et partout. Pour cet effet elle lui donna des Lettres de recommandation pour Notre Saint Père le Pape et pour quelques Cardinaux, dont voici la teneur :

LETTRE DE LA REINE-MÈRE AU PAPE. TRÈS SAINT PÈRE,

Comme j'ai été très sensiblement touchée des désordres dont il a plu à Dieu permettre qu'une grande partie de la chrétienté ait été affligée par les dernières guerres, principalement à cause de la profanation des temples du Très Saint Sacrement qui y repose, j'ai aussi embrassé avec bien de la joie la Fondation, que des personnes de singulière piété m'ont fait proposer, d'un monastère en cette ville de Paris, de religieuses, lesquelles, outre l'observance étroite de St Benoit, font une profession particulière d'adorer continuellement jour et nuit ce très auguste Sacrement, d'exécuter [de réparer] par leurs prières publiques et cette adoration, et de s'offrir en sacrifice à Dieu comme victimes pour l'expiation de tant de sacrilèges et impiétés qui se sont commis et qui se commettent encore tous les jours.

Et j'ai quelque confiance que la divine Providence a eu acquiescé cette dévotion, puisque le prompt et le grand progrès qu'elle a déjà fait en ce Royaume ne peut être qu'un effet sensible de la bénédiction du ciel.

(17) Légat a latere pour le baptême du Dauphin, mars 1668. Louis duc de Vendôme, fils aîné du duc César de Vendôme et donc petit-fils de Henri IV et de Gabrielle d'Estrées. Né en 1612, il porta le nom de duc de Mercœur jusqu'à la mort de son père 1665. En 1649, il était vice-roi de Catalogne pour la France et épouse en 1651 Laure Mancini, nièce de Mazarin. Il commande en Provence puis en Lombardie. Après la mort de sa femme, il se fait prêtre et devient cardinal en 1667, et légat de Clément IX en France. Il eut deux fils : Louis Joseph, duc de Penthièvre né en 1654, célèbre général, mort en 1712 et Philippe dit le Prieur de Vendôme né en 1655, mort en 1727, grand Prieur en France de l'Ordre de Malte ; avec lui s'éteignit la maison de Vendôme. Bouillet, D.H.G.

DOCUMENTS HISTORIQUES 233

Mais comme il y a quelques monastères de cet Institut fondés sur le modèle de ce premier, et beaucoup d'autres anciens du même Ordre de St Benoit qui demandent d'y être agrégés, et de former tous ensemble une Congrégation sous le titre de : a L'Adoration perpétuelle du Saint Sacrement », laquelle étant conduite et dirigée par les mêmes Supérieurs, aussi animées d'un même esprit, à l'exemple des religieuses bénédictines du Calvaire, Je supplie très humblement et très instamment votre Sainteté, d'accorder la même grâce à ces religieuses du Saint Sacrement, que le Pape Urbain 8ème, de très sainte mémoire, a fait à celles du Calvaire, les érigeant en Congrégation.

Y ayant lieu d'espérer que Dieu en sera glorifié, les peuples édifiés, et les ennemis de l'Eglise excités à leur conversion, et pour (moi) Très Saint Père, comme j'en recevrai une consolation très particulière, ce me sera un nouveau sujet d'obligation que je lui en aurai... etc...

LETTRE DE LA REINE-MÈRE A MONSEIGNEUR LE CARDINAL GINETTI (18).

Monsieur mon cousin,

J'ai très humblement supplié notre Très Saint Père le Pape, d'ériger en Congrégation les monastères de religieuses Bénédictines de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement ; mais, parce que j'ai été informée que cette affaire doit être examinée dans la Congrégation des Réguliers où vous présidez, je la recommande de toute mon affection à la protection de votre Eminence, étant persuadée qu'après tant de profanations, de sacrilèges et d'impiétés que les dernières guerres ont causés, la divine Providence a inspiré (à) ce saint Institut pour lui en faire quelque réparation.

En effet, cette dévotion a été si reçue des peuples et a eu un si heureux succès, qu'elle est désirée en plusieurs villes de ce Royaume.

Je joins à ces considérations l'exemple d'une favorable Congrégation des religieuses Bénédictines du Calvaire, érigée par le Pape Urbain 8ème, laquelle a produit des fruits très utiles et très glorieux à l'Eglise.

Je prie encore votre Eminence que cette recommandation que je lui fais serve aussi pour Messieurs les Cardinaux de la Congrégation, que je ferai solliciter de ma part de cette expédition.

**

Et ces lettres furent appuyées des trois certificats suivants : de trois évêques de mérite et de piété.

(18) Préfet de la Congrégation des religieux. Créé cardinal le 19 septembre 1626. Il est légat à Ferrare, puis légat a latère en Allemagne, évêque d'Albano, Sabine et Porto, vicaire du pape pour Rome, enfin sous-doyen du Sacré-Collège. Il meurt le 1" mars 1671. Dictionnaire des Cardinaux.

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CERTIFICAT DE MONSEIGNEUR L'EVÊQUE D'EVREUX (19).

Nous, HENRY DE MAUPAS du Tour, Evêque du Puy, nommé à l'évêché d'Evreux, ayant pris une particulière connaissance de l'état des religieuses nommées : du Très Saint Sacrement, établies en cette ville de Paris, du faubourg St Germain, lesquelles sous la grande Règle de St Benoît ; et même ayant fait le premier Office Solennel et la première prédication dans la nouvelle église des dites religieuses, nous avons remarqué une conduite si régulière et si louable dans le dit monastère, que nous avons jugé à propos d'en rendre ce témoignage par écrit, pour la plus grande gloire de Dieu et pour l'édification publique de tous les fidèles.

L'esprit de cette communauté est très fidèlement pratiqué par les sujets qui la composent. Les religieuses de ce monastère, non seulement suivent la Règle de St Benoit dans sa plus exacte rigueur, mais, bien plus, elles ont établi parmi elles l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel. Elles s'appliquent successivement, les unes après les autres, en qualité de victime, pour faire amende honorable à la sainte Eucharistie, en réparation de toutes les injures qui lui ont été [faites] dans la licence des guerres, et dans tous les autres temps où la fureur des hérétiques et impiété des libertins ont déshonoré ce sacré Mystère.

C'est par cette considération que nous estimons qu'en réparation de tant de sacrilèges qui ont profané la Sainteté des Autels, il serait à désirer de pouvoir établir, sous l'autorité du Saint Siège, une Congrégation pour maintenir cette Adoration perpétuelle dans tous les monastères du même Institut, ou autres couvents du même Ordre qui voudront s'y agréger.

En foi de quoi nous avons signé le présent certificat, et fait contresigner notre secrétaire, avec apposition du sceau de nos armes, pour servir aux dites religieuses partout où elles aviseront bon être.

Fait à Paris, ce 12ème mars 1663.

HENRY, du Puy

Par le commandement de Monseigneur, nommé A. d'Evreux, signé :

Bachelier (avec paraphe).

**

CERTIFICAT DE MONSEIGNEUR DE SOISSONS (20).

Nous, CHARLE, par la grâce de Dieu Evêque de Soissons, certifions à tous qu'il appartiendra, que les Religieuses du Très Saint Sacrement, établies au faubourg St Germain de Paris, vivent, non seulement dans une louable et étroite observance de la Règle de St Benoit sous laquelle elles sont établies, mais encore ont établi parmi elles

(19) C'est lui qui avait béni l'église et les lieux réguliers du monastère rue Cassette, le 25 mars 1659.

(20) L'évêque de Soissons était alors Mgr Charles de Bourlon qui occupa le siège de 1656 à 1685. Gallia Christiana, IX, 380-381.

l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'Autel, à laquelle elles s'appliquent jour et nuit successivement, les unes après les autres, en qualité de victime, pour amende honorable à la sainte Eucharistie, en réparation de toutes les injures qui lui ont été faites dans la licence des guerres, et dans tous les autres temps ou la fureur des hérétiques et impiété des libertins ont déshonoré ce sacré Mystère.

C'est pourquoi nous estimons qu'en réparation de tant de sacrilèges qui ont profané la Sainteté des Autels, il serait à désirer de pouvoir établir, sous l'autorité du Saint Siège, une Congrégation pour maintenir cette adoration perpétuelle dans tous les monastères du même Institut, ou autres couvents du même Ordre qui voudront s'y agréger.

En foi de quoi nous avons signé le présent certificat, après y avoir fait apposer le scel de nos armes, pour servir aux dites religieuses partout où elles aviseront bon être.

Fait à Soissons, en notre palais épiscopal, ce dix-neufvième jour du mois de juin, l'an mil six cens [soixante] trois.

Signé : CHARLE, Evêque de Soissons.

Par commandement de Monseigneur l'illustrissime et révérendissime Evêque de Soissons : C. Baublan.

*

**

CERTIFICAT DE MONSEIGNEUR L'EVÊQUE DE RENNES (21).

Nous CHARLE François de la Vieuville, par la grâce de Dieu et du Saint Siège Apostolique, Evêque de Rennes, certifions qu'ayant une particulière connaissance des religieuses nommées : du Très Saint Sacrement, établies en cette ville de Paris, fauxbourg St Germain, nous avons remarqué en elles un zèle conforme à l'excellence de leur Institut.

Ce sont des Filles qui font revivre l'ancienne Règle de St Benoit et la première rigueur de son observance, — et il plait à Dieu de susciter de temps en temps des religieuses qui aspirant à une sainte réformation de leur Ordre servent d'instrument à la procurer —. On doit aussi estimer ces Filles pour des personnes qui sont autant de flambeaux à celles de leur sexe, et qui pourront par leurs exemples les attirer à les suivre.

Mais, ce qu'elles ont de plus remarquable, est l'attache particulière qu'elles ont à la sainte Eucharistie, à qui elles rendent une adoration continuelle, ne cessant jour et nuit sans discontinuer de s'y offrir en qualité de victime.

Et comme les saints autels sont les lieux où l'on sacrifie pour les péchés des hommes, ce leur semble avoir une prérogative plus singu-

(21) Il prit possession de son siège de Rennes en 1664. Il est mort en 1676. Gallia Christiana, XIV, col. 763-764.

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lière en ce qu'il est encore destiné pour qu'on y fasse une amende honorable de toutes les profanations et sacrilèges qui se commettent, sur les autres.

C'est pourquoi Nous estimons qu'on ne saurait assez augmenter le nombre de si saintes filles, et que, pour cet effet, il est expédient de les régler et établir en une Congrégation, par l'autorité du Saint Siège, ne doutant point qu'en ayant obtenu la grâce et la permission, plusieurs couvents ne s'agrègent à elles.

En foi de tout ce que dessus nous avons signé les présentes, fait contresigner par notre secrétaire, et y apposer le sceau de nos armes. Fait à Paris ce 10ème juillet 1663.

Signé : CHARLE FRANÇOIS, Evêque de Rennes.

Par commandement de Monseigneur l'illustrissime et révérendissime Evêque de Rennes : de Galleron.

*

Si bien que cette dépêche produisit que Monseigneur le Cardinal SACHETI se chargea de notre requête, pour en faire le rapport à la Sacrée Congrégation des Réguliers. Toutefois, comme le procédé de cette Cour est de mener toujours les affaires dans une longueur extrême, la Requête fut bien rapportée, mais elle ne fut pas pour cela répondue. Ainsi, par des remises de jour à autre, l'affaire fut portée si loin que cette pieuse Reine et ce Saint Père Alexandre 7ème vinrent à mourir avant qu'il y eut rien de fait. Comme cela ce fut à recommencer, ce qui ne fut pas chose aisée, vu que nous étions en hasard que la protection nous manquât. Il est vrai que la jeune Reine nous accorda deux Lettres très affectionnées, pour des Cardinaux et pour Monsieur l'Ambassadeur, qui méritent bien aussi de trouver place en cet endroit pour le très grand honneur qui nous en revient.

LETTRE DE LA REINE, ÉCRITE A MONSEIGNEUR LE CARDINAL FARNESE.

Mon cousin,

La feue Reine Madame ma belle-mère, s'étant rendue Fondatrice du monastère des religieuses du Très Saint Sacrement, établies à Paris, et les ayant toujours assistées de sa protection, je suis bien aise de [leur] donner la mienne et favoriser leur Institut en toutes occasions. Celle qui se présente de la supplique qu'elles ont fait présenter à notre Saint Père le Pape pour obtenir l'érection de leur Congrégation, sous trois Supérieurs généraux, m'oblige à vous en écrire et à vous recommander, comme je fais bien particulièrement et avec beaucoup d'affection, les dites religieuses qui méritent par leur vie exemplaire d'être protégées dans l'avancement de leurs pieuses et vertueuses

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intentions, pour la plus grande gloire de Dieu, que je prie de bon coeur vous avoir, mon cousin, à sa sainte et digne garde.

Ecrite à St Germain en Laye, le 30ème Janvier 1667.

MARIE-THÉRÈSE :

de Brisacier.

LETTRE DE LA REINE, ÉCRITE A MONSIEUR LE DUC DE CHAULNES, Ambassadeur à Rome.

Mon cousin,

Les religieuses du Très Saint Sacrement, établies au faubourg St Germain à Paris sous la faveur et protection de la feue Reine Madame ma belle-mère, poursuivent à Rome un Bref pour l'érection de leur Congrégation sous trois Supérieurs généraux ; et parce que je désire les assister dans leur pieux dessein, connaissant comme elles sont dans une conduite merveilleuse et dans une suite continuelle d'actions de vertu et de sainteté, je vous écris bien volontiers en leur faveur, pour vous dire que vous ferez chose qui me sera très agréable en donnant vos soins pour le succès de ce qu'elles souhaitent.

C'est l'affection que j'ai pour elles qui m'engage à y prendre intérêt, et d'autant plus que je crois que c'est pour la gloire de Dieu, que je prie vous avoir, mon cousin, en sa sainte garde.

Ecrite à St Germain en Laye, le 30ème janvier 1667.

MARIE THÉRÈSE

** et : de Brisacier.

Mais celle qui a le plus travaillé à cela, c'est Madame Douairière ; car Dieu, qui a pris plaisir de se manifester en cet ouvrage jusque dans les moindres choses, disposa son coeur de sorte qu'elle commença à venir céans fort fréquemment en ce temps-là, ayant pris en si grande amitié notre Révérende Mère Prieure qu'elle ne feignait pas de dire publiquement qu'elle regrettait le temps qu'elle avait vécu sans la connaître.

Il paraissait qu'elle voulait en quelque façon recouvrer ce temps perdu, en ce qu'elle la venait voir presque tous les jours, et souvent deux fois par jour, pour verser dans son coeur, en confiance, les secrets les plus intimes du sien ; et soulager la douleur de sa viduité par le récit de la sainte vie et de l'heureuse mort de Monsieur.

Comme cela elle vint à savoir notre affaire et s'offrit de la protéger. Aussi sa rare vertu ayant toujours été vénérée très particulièrement dans la Cour de Rome, depuis les persécutions que lui avait fait souffrir le cardinal de Richelieu sur le sujet de son mariage [sa vertu l'y] avait mise en très grande considération. Si bien qu'elle donna des Lettres à notre Révérende Mère Prieure pour plusieurs

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Cardinaux, et chargea par exprès Monsieur l'abbé de Jambulle son agent, de poursuivre cette affaire comme si c'était la sienne propre.

Ce ne fut pas encore là tout. Elle obligea Monsieur le duc de Florence et Monsieur le Prince de Toscane son fils, qui a épousé Mademoiselle d'Orléans, fille aînée de cette Altesse royale, d'envoyer des exprès la solliciter aussi. Ils n'ont pas manqué de le faire plusieurs fois, non plus que Son Altesse royale d'écrire et réécrire tout autant de fois qu'il l'a fallu. Mais sans effet jusqu'à présent.

Cependant elle nous servit beaucoup encore en une autre rencontre qui survint en ce même temps, laquelle ne nous était guère moins importante.

Ce fut que notre Révérende Mère Prieure (que le P. Dom Ignace avait chargée de faire les Constitutions de la Congrégation), ne pouvant y travailler à cause des fréquents voyages qu'elle était obligée de faire pour des établissements de l'Institut, — comme nous venons de voir — et de l'application qu'elle était contrainte de donner à la conduite de sa communauté le peu de temps qu'elle y arrêtait, fut dans la nécessité de le prier lui-même de les faire ; vu d'ailleurs qu'il avait bien plus d'intelligence à ces sortes de choses qu'elle n'en pouvait avoir, parce qu'il avait la pratique de leur Congrégation de St Maur, dans laquelle il avait même gouverné très longtemps plusieurs de leurs premières maisons.

Et il [le] lui avait accordé ; mais il arriva que, bientôt après qu'il eût commencé de mettre la main à la plume, les six ans de sa supériorité à l'Abbaye de St Germain expirèrent, et leur Chapitre étant mandé à Fleury, l'on songeait de l'envoyer plus loin commander, ainsi il ne se trouvait plus en état de continuer, et cela affligeait fort notre Mère Prieure.

Mais Madame y remédia bientôt, ayant envoyé un gentilhomme exprès à Fleury de sa part, chargé de lettres pour le Révérend Père général et pour les principaux Pères de l'assemblée, pour le faire revenir à Paris, le demandant pour son confesseur — comme il l'était déjà pendant qu'il était Prieur à l'Abbaye St Germain —, et ils n'osèrent l'en refuser.

Ainsi il y revint aussitôt, et continua deux ans son travail avec un zèle et une application admirable, car il avait grand amour et grand respect pour notre Institut, et bien de l'estime pour l'institutrice.

Mais ces deux ans ne lui auraient pas suffi peut-être, à cause de ses autres occupations s'il ne fut arrivé — sans doute par un ordre de Providence — que, s'étant trouvé plus indisposé que de coutume, et étant vieux et cassé, on fut obligé de l'envoyer changer d'air à l'Abbaye St Denis, avec le consentement de Madame ; et St Denis étant un lieu bien moins sujet aux visites, il y avança plus son ouvrage en six mois qu'il y demeura, qu'il n'avait fait en dix-huit mois à Paris.

Mais comme si Dieu ne lui eut prolongé la vie que pour ce sujet, aussitôt qu'il l'eût achevé — c'est à dire quinze jours ou trois semai- nes après —, il mourut d'une fort légère maladie, au mois de septembre 1667, au très grand regret de notre Institut pour les étroites obligations que nous lui avions, et particulièrement de notre Révérende Mère Prieure, qui l'honorait comme un saint et le chérissait comme son bon père, son conseiller et son appui (22).

Mais nous pouvons dire encore que cette même Providence, toujours favorable pour nous, nous aida peu de temps après d'un autre secours, plus inopiné encore, contre les longueurs ennuyantes de Rome, où, après la création du Pape Clément 9ème, Son Altesse Royale avait encore écrit, et obligé le duc de Florence et le Prince de Toscane de renvoyer des exprès, d'où il s'en suivit que, de nouveau, notre requête fut mise entre les mains du Cardinal pour la rapporter, et toutefois sans effet.

Mais ce secours dont nous allons parler nous donna plus de moyens d'attendre en patience la fin de tant de remises.

Cela a été que le Roi, désirant faire achever les cérémonies du Baptême de Monseigneur le Dauphin, que le Pape devait nommer, Sa Sainteté dépêcha pour cela en cette Cour, le Cardinal de Vendôme, en qualité de Légat à latere du Saint Siège, auquel elle expédia un pouvoir pour six mois, si ample, pour honorer davantage cette fête, qu'il a semblé qu'elle ne s'était rien réservé.

Le mois de mars 1668, ce Prince étant arrivé à Paris, ses facultés furent vérifiées et enregistrées au Parlement le 12 du même mois.

Ensuite la cérémonie se fit au château de St Germain, avec une magnificence royale.

Puis, Monseigneur le Légat étant revenu à Paris, tout le Corps écclésiastique, tant séculier que régulier de l'un et l'autre sexe, ne manquèrent pas de le reconnaître par leurs soumissions comme ils auraient fait le Saint Père même ; et estimèrent se devoir prévaloir de son séjour et de son pouvoir, pour faire confirmer leurs anciens privilèges, ou en obtenir de nouveaux [et] même terminer les différends qu'ils avaient ensemble. Comme : les Pères Jacobins pour la séparation des provinces de leur réforme, les Pères Cordeliers pour d'autres sujets.

De même plusieurs Congrégations ou Instituts réguliers nouvellement faits, demandèrent des Bulles d'approbation, comme : les Religieuses de Notre Dame de la Miséricorde, les Bernardines du Précieux Sang (23) pour leur réforme, les religieuses nommées : les

(22) Dom Martène dit que dom Ignace Philibert eut toujours une santé délicate et que sa dernière maladie, fort douloureuse, dura près d'une année. Il est mort le 1er septembre 1667 à 66 ans. Le fait rapporté ici est aussi noté par dom Martène. Dom Martène, op. cit.

(23) Les religieuses de Notre-Dame de la Miséricorde : fondées par la vénérable mère Marie Magdelaine de la Trinité et le père Yvan dans la ville d'Aix. Le nouvel institut était destiné à recevoir les jeunes filles pauvres n'ayant pas une dot suffisante pour être acceptées dans d'autres monastères. A. Piny, La vie de la vénérable mère Marie Magdelaine de la Très-Sainte-Trinité, Lyon, 1680. — Les Bernardines du Précieux Sang : Louise-Blanche-Thérèse de Ballon

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Filles du Père éternel, la Congrégation des Prêtres réguliers de Notre Dame de l'Ermitage, en Auvergne, dont le chef et instituteur se nomme Monsieur Plance, et quelques autres dont on ne se souvient pas du nom.

Ce ne fut pas que toutes ses facultés ne furent trouvées pouvoir s'étendre à choses plus grandes et plus importantes, puisque, de l'agrément du Roi, on se pourvut à lui pour la dissolution du mariage du Roi du Portugal et de Marie de Savoie de Nemours (24) comme nul ; et permettre à cette princesse d'épouser le prince, frère de ce Roi ; pour raison de quoi la princesse poursuivait en Cour de Rome il y avait déjà du temps pour en avoir la dispense, étant appuyée sur la faveur du Prince qui ne désirait pas moins qu'elle ce mariage, depuis qu'elle avait déclaré devant les Grands de Portugal que le Roi n'avait point été son mari, et que pour ce sujet elle s'était retirée dans un monastère de Lisbonne. Et à cause de son imbécillité, ce Roi fut dépouillé de son royaume par les Etats généraux, qui ne lui laissant que le titre de Roi et le duché de Bragance de son ancien domaine, élurent le Prince pour Régent.

Si bien que notre Révérende Mère ayant vu de si notables exemples du pouvoir de son Légat, duquel elle n'avait pas lieu de douter, prit conseil si elle ne ferait pas bien elle-même d'y avoir recours, et d'en prendre des Bulles de confirmation de nos Constitutions de la Congrégation, en attendant celles qu'elle espérait avoir de Rome ; et il lui fut répondu qu'elle ferait très bien de ne pas laisser échapper une si belle occasion, vu même que ces Bulles suffiraient seules si on n'en pouvait pas obtenir de Rome.

Suivant ce conseil nous présentâmes notre requête, et obtînmes un Décret autant favorable que nous le pouvions souhaiter, puisqu'en suite, les Bulles de confirmation de la Congrégation et des Constitutions du Régime de la même Congrégation, nous furent expédiées telles que nous les demandions.

naquit le 5 juin 1591 au château de Vauchy, entre Annecy et Genève. Elle entra à 7 ans au monastère cistercien de sainte Catherine d'Annecy et y fait profession le 4 mars 1607. Dirigée par François de Sales elle envisage avec lui la possibilité d'une réforme qui prend corps à partir de 1622, à Rumilly (Savoie). L'oeuvre prospère et à sa mort en 1668, la mère de Ballon avait établi neuf monastères de son observance. Sa formation salésienne l'incita à donner à sa réforme une spiritualité beaucoup plus proche de celle de saint François de Sales que de l'esprit cistercien primitif. Elle s'était d'ailleurs soustraite à la juridiction de l'abbé de Cîteaux pour placer ses monastères sous celle des évêques diocésains. Dict. spir., fascicule IV.

(24) L'une des deux filles de Charles-Amédée de Savoie, duc de Nemours, aîné des fils et chef de sa famille, qui fut tué en duel par Beaufort 1652. Marie de Savoie avait épousé Alphonse VI, roi de Portugal. Mais Pierre II, le frère du roi, entrant dans les intérêts de Marie de Savoie contribua à faire déclarer Alphonse VI incapable de régner. D'abord régent, puis roi du Portugal en 1683. Dès 1667, il enlève à son frère Alphonse, tout en lui laissant son titre de roi, sa couronne, sa liberté et sa femme. Il fait casser le mariage d'Alphonse VI et de Marie de Savoie (mariage qui n'avait jamais été consommé) et épouse sa belle-soeur en 1668. Dict. de biographies, d'histoire et géographie. — De Feller, op. cit.

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[Photo]


Ce fut le 4ème des calendes de juin 1668, c'est à dire au mois de mai, par l'abbé Bonfils, auditeur et secrétaire de la Légation, et fort ami de notre Révérende Mère. Elles sont couchées tout au long dans nos Registres, outre l'expédition originale en parchemin, avec le sceau, qui en est demeuré parmi nos titres, parmi lesquels il est bon de faire remarquer qu'il s'y en trouve encore une du Cardinal Chigi neveu du Pape Alexandre 7ème, qui était venu Légat en France, en l'année (précédente ?) 1664, pour faire satisfaction au Roi du mauvais traitement qu'il avait reçu à Rome, en la personne du duc de Créqui, son ambassadeur, de qui on avait assassiné les domestiques à la porte de son carosse ; et comme le Légat était sur le point de s'en retourner, quelques personnes conseillèrent notre Révérende Mère de prendre des Bulles de lui.

Mais elle fut si mal servie que ces Bulles ne servent bonnement à rien, ne portant autre chose que confirmation du pouvoir que nous avions d'avoir le Saint Sacrement exposé tous les Jeudis, comme faisant partie de notre Institut. Pourtant c'est quelque chose d'avantageux en ce que, si ce n'est directement, c'est du moins indirectement que ce Légat a approuvé et confirmé notre Institut.

Mais Monseigneur le Cardinal de Vendôme en accorde encore trois autres, à savoir : une, pour l'association des fidèles à l'Adoration perpétuelle ; une pour l'union de l'Abbaye de la Consolation, et dispense de l'austérité qu'elles avaient professée par delà la grande Règle de St Benoit qui s'observe par les réformées de France ; et une pour faire Office et Mémoire de plusieurs saints particuliers.

De plus, il se nomma lui-même, sur la requête qui lui fut présentée en notre nom, pour être l'un de nos Supérieurs.

Et nos Bulles d'érection et approbation étant présentées le 25 d'août suivant au Révérend Père Prieur de l'Abbaye St Germain, notre Supérieur Ordinaire comme grand'Vicaire de Monseigneur l'abbé, il a donné son consentement à ce qu'elles aient leur plein et entier effet.

Le 17ème octobre elles furent de même présentées à Monseigneur l'Evêque de Toul qui a donné le même consentement. En suite de quoi, par Acte capitulaire du Sème décembre de la même année 1668, nous avons déclaré accepter la Congrégation ; ayant pris auparavant lecture, durant plusieurs jours, des Constitutions du Régime ou gouvernement que notre Révérende Mère nous communiqua plusieurs fois, nous assemblant pour cela, pour nous donner pleine et entière connaissance (et) des obligations que nous contracterions en l'acceptant.

Nous en avions même de plus loin une parfaite intelligence, parce qu'il y avait deux ans que ces Constitutions étaient faites, sur quoi l'on projetait de plus loin encore de se mettre en Congrégation. Et déjà, le 19ème de mai précédent 1667 notre communauté de Paris avait donné un pouvoir en bonne forme à notre Révérende Mère Prieure de poursuivre, tant à Rome que partout ailleurs, l'érection de

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cette Congrégation. Ainsi rien n'empêcha que cette Bulle ne fut publiée dans notre monastère de Paris, le 18ème du mois de mai, par : de Blois, Notaire royal et apostolique, en présence de témoins considérables. Car notre Révérende Mère, désirant d'y apporter toute la solennité possible, afin qu'à la suite du temps on ne put douter [penser] qu'il y avait eu de la surprise, la Bulle nous ayant été expliquée mot à mot : de latin en français, toutes les religieuses allèrent signer pour marquer de leur acceptation ; mais parce qu'il se trouva que, par mégarde, on y avait mis que la maison de Paris serait le chef de la Congrégation — quoique ce ne fut point l'intention —, elles passèrent de bonne foi et volontairement un acte, le lendemain de cette publication, par lequel elles déclarent que, bien que cela fut porté dans la Bulle, toutefois leurs intentions n'étaient nullement de s'en prévaloir, qu'au contraire elles y renonçaient pour elles et pour celles qui [leur] succéderaient à l'avenir ; car elles comprirent fort bien que de faire un chef de la Congrégation était plutôt faire un titre de Bénéfice qu'une Congrégation, et s'exposer à souffrir d'avoir des abbesses par nomination du Roi ; si bien que ce fut très librement que nous nous déportâmes de ce droit.

Comme cela à l'égard de notre maison de Paris ce fut une affaire consommée, puisqu'il y avait une Bulle d'un Légat apostolique, obtenue à notre poursuite, consentie par les Supérieurs Ordinaires, et que nous l'avons acceptée de nouveau ; comme bientôt après firent nos maisons de Toul et de Remberviller. Car notre Révérende Mère Supérieure étant allée en Lorraine au mois de janvier de cette présente année 1669, passant par Toul y fit publier la même Bulle avec les mêmes solennités qu'à Paris, et de même les religieuses l'acceptèrent comme l'ayant aussi poursuivie, ou donné pouvoir de ce faire à notre Révérende Mère Supérieure par acte du 4ème avril 1668.

Et de là notre Révérende Mère alla à Remberviller devant que de se rendre à Nancy, leur fit faire la même publication, qui fut suivie de même acceptation, comme elle avait été précédée de même pouvoir pour l'obtenir.

Mais, pour la maison de Toul, elle se trouvait doublement engagée à y subir, puisqu'elle l'était par son propre établissement qui porte que, si cette maison venait à se séparer de la Congrégation et de l'union à la maison de Paris, les dix mille écus que Madame la comtesse leur Fondatrice leur donne, reviendraient à cette même maison de Paris.

Pourtant sur [ce] que nos amis avaient trouvé qu'il ne fallait pas négliger — pour celle du Légat — d'avoir de Rome une même Bulle d'érection, parce que la Congrégation en serait plus affermie, nous ne laissâmes pas d'y travailler, et y fûmes encore plus conviées par la rencontre du voyage qu'y allait faire l'abbé Bonfils, de la part de Monseigneur le Cardinal Légat, pour faire ratifier par le Pape tout ce qu'il avait fait à sa Légation, car cet abbé nous promettait de s'employer fortement pour nous faire avoir ce que nous demandions.

Aussi il se chargea très volontiers de notre affaire, et en effet il porta la chose à ce point qu'il avait eu parole d'une Bulle conforme à notre demande ; mais c'était avec cette condition que tout se ferait sous le bon plaisir de Monseigneur l'Archevêque de Paris ! Ce qui était nous donner et nous ôter à même temps, puisque c'est chose incompatible que d'être en Congrégation et dépendre des Ordinaires. Et il n'y avait nulle apparence que Mr de Paris, ni aucun autre Prélat, voulussent consentir qu'il fût fait que, dans leur diocèse, des religieuses eussent d'autres Supérieurs qu'eux.

Nous ne fûmes pas conseillées de faire expédier cette Bulle qui nous aurait coûté bien de l'argent et ne nous aurait de rien servi ; et nous demeurâmes à espérer toujours du bénéfice du temps, ou pour mieux parler : de la divine Providence, qui ne nous a pas manqué en cette occasion non plus qu'en toutes les autres, comme nous dirons en son lieu, car, auparavant il faut que nous parlions d'un évènement qui, ayant beaucoup de relation à ce que nous traitons ici, nous engage nécessairement d'en faire mention.

C'est que : ce grand procès, qui durait depuis si longtemps entre les Archevêques de Paris et les Abbés de St Germain des Prés, pour raison de la juridiction écclésiastique de ce faubourg, fut terminé par transaction du 20ème [de] septembre 1668. Et la juridiction se trouva cédée par Mr l'Abbé [de St Germain des Prés] à Monseigneur l'Archevêque sur tout le faubourg St Germain à la seule réserve de l'Abbaye, qui seule en demeure exempte (25).

Comme cela il ne pouvait arriver une conjoncture moins favorable pour nous, pour avoir son consentement. Car, quelle apparence y avait-il d'espérer que, dans le temps qu'il se mettait en possession d'une autorité qui lui avait été — et à ses prédécesseurs — si longtemps disputée, il voulut y déroger aussitôt en nous permettant sur l'heure de nous (en) soustraire de lui, pour nous soumettre à d'autres Supérieurs que lui-même ? Mais Dieu peut tout et il le montra bien.

(25) Antoine Espinasse. né en 1600 à Bagnols, diocèse de Clermont, d'abord avocat au barreau de Toulouse, il fait profession à Saint-Augustin de Limoges le 19 janvier 1626. Il est prieur dès 1630 à Bordeaux. Visiteur de la province de Toulouse de 1636 à 1660. Premier puis second assistant du révérend père général de 1660 à 1666. Prieur de Saint-Germain-des-Prés 1666-69. Il est envoyé à La Grasse (Aude), son action près de l'archevêque de Paris, relatée ci-dessous, ayant déplu aux supérieurs de sa congrégation. Il meurt à La Réole, le 21 novembre 1676. Religieux fervent, très austère il pratiquait de rudes mortifications. Alors qu'il était prieur de Saint-Germain-des-Prés, les rapports constants qu'il devait avoir avec les curés des paroisses dépendant de l'abbaye, la gestion des intérêts temporels des territoires sous la juridiction de Saint-Germain-des-Prés lui étaient tellement à charge qu'il chercha comment diminuer le fardeau pour lui et ses successeurs. Depuis plusieurs siècles l'abbaye de Saint-Germain avait juridiction spirituelle et temporelle sur le territoire du faubourg Saint-Germain et les archevêques de Paris avaient depuis plusieurs années entamé un procès avec l'abbaye pour reprendre leurs droits sur cette partie de leur diocèse. Pensant ainsi alléger sa tâche temporelle, le prieur, dom Antoine Espinasse, en accord avec l'abbé commendataire Mgr de Metz, duc de Verneuil, rendit à l'archevêché de Paris tous ses droits sur le faubourg. Dom Martène,

op. cit.

244 CATHERINE DE BAR DOCUMENTS HISTORIQUES 245

Cependant il arriva que Casimir, Roi de Pologne, par un exemple mémorable à la postérité, méprisant les grandeurs mondaines, renonça à sa couronne après la mort de la Reine Marie de Nevers de Mantoue, son épouse (26). Et comme il est des alliés de la France, et qu'il donnait au Roi les suffrages de ses créatures pour l'élection du Roi son successeur à ce qu'il fût de nos amis, Sa Majesté en reconnaissance lui donna toute la dépouille des Bénéfices de Henry de Bourbon, duc de Verneuil, son oncle naturel, ci-devant notre Abbé, lequel, à l'âge de 68 ans [s'est] marié, après avoir possédé toute sa vie des biens d'Eglise.

L'Abbaye St Germain, entre les autres, est échue à ce Roi. Mais nos Pères de cette Abbaye — qui n'étaient nullement contents de la transaction, qui se trouvait passée devant qu'il fût pourvu de l'Abbaye, — en prirent l'occasion de revenir contre, faisant naître des difficultés à l'homologation de Rome [pour] faire remettre l'affaire en contestation, et, ce pendant, suspendre cette homologation jusqu'à laquelle Mr de Paris ne pouvait prendre possession ; en façon qu'en effet, il ne la put prendre si tôt (27).

Ce retardement produisit ce bon effet que notre Révérende Mère eut tout le temps qu'il lui fallait pour faire ce voyage de Nancy, qu'elle se trouvait obligée de faire au sujet de l'union de l'Abbaye N.D. de la Consolation à notre Congrégation, et d'en revenir, devant que Mr de Paris ait été en droit de nous venir visiter et prendre possession de la qualité de Supérieur céans ; car plusieurs mois se sont passés devant que ces difficultés de Rome aient été levées.

Mais Mr de Paris ayant obtenu arrêt au Grand Conseil, qui le maintient — au refus de l'homologation de Rome —, dans la posses-

(26) Henriette duchesse de Clèves et petite-fille de François de Clèves, duc de Nevers et pair de France, épousa en 1565, Louis de Gonzague, tige des derniers ducs de Mantoue. Les deux duchés furent réunis pendant un siècle. En 1660, le Cardinal Mazarin acheta le duché de Nevers aux ducs de Mantoue pour son neveu Philippe Mancini-Mazarini. A partir de 1572, la couronne de Pologne devint élective. Tout noble avait droit de vote et un seul veto empêchait l'élection. Les pouvoirs du souverain étaient de plus en plus limités. Jean Casimir ou Jean II Wasa est le cinquième prince élu par la diète. Il a régné de 1648 à 1669. Fils de Sigismond III, il est né en 1609. Il avait d'abord été religieux dans la Compagnie de Jésus, puis cardinal. Relevé de ses voeux par le Pape pour pouvoir succéder à son frère Wladislas VII dont il épousa la veuve. Prince faible il était mal préparé pour lutter contre les plus redoutables périls que sa nation ait jamais courus. Ayant perdu sa femme en 1667, il abdiqua et se retira en France où le Roi lui donna l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, la Trinité de Fécamp et Saint-Martin de Nevers. Il mourut à Nevers en 1672. Alors qu'il était roi de Pologne, il avait confié la direction de l'armée à Jean Sobieski. Celui-ci montera sur le trône en 1674. C'est lui qui délivrera Vienne assiégée par les Turcs. C'est en reconnaissance de la protection divine sur son mari et sur son pays que la reine Marie Casimir fonda le premier monastère de l'institut en Pologne. Mouret, op. cit., t. VI. — Bouillet, D.H.G. — Archives de nos monastères de Pologne.

(27) Texte peu clair : l'auteur du manuscrit semble dire que les Pères de Saint-Germain-des-Prés n'étaient pas satisfaits de voir leur échapper la juridiction sur le faubourg Saint-Germain. Ils prirent occasion de la transaction de Louis XIV, donnant leur abbaye en bénéfice au roi de Pologne, pour faire opposition à Rome à l'homologation du procès gagné par l'archevêque de Paris, comme il a été dit ci-dessus. Cet archevêque était Mgr Hardouin Beaumont de Péréfixe.

sion des choses accordées par la transaction, il n'a pas manqué ensuite de l'exécuter, commençant par l'église paroissiale et par tous les couvents d'hommes et quelques uns de filles.

En façon qu'il semblait que nous n'avions plus de moyen d'échapper l'une de ces deux extrémités très grandes : de souffrir qu'il fit acte de possession en faisant sa Visite céans en qualité d'archevêque de Paris — ce qui était déroger absolument, et annuler entièrement ce qui avait déjà été fait pour établir la Congrégation, soit de la Bulle de Mr le Légat, soit de l'union de nos autres maisons, et perdre l'espérance d'y jamais plus revenir ; ou bien : de lui refuser l'entrée, actualisant, verbalisant et protestant contre lui. Et ensuite se résoudre de le plaider ; [ce] qui eût été une chose très fâcheuse et n'eût pas même été si favorable en l'état que nous nous trouvions : sans Bulle de Rome d'érection en Congrégation, ni Lettres Patentes du Roi, quoique nous ne fussions pas sans titres, puisque nous avions la Bulle du Légat et le consentement de nos précédents Supérieurs.

Si bien que nous étions fort angoissées dans ce détroit ; mais Dieu donna tant d'efficacité à la prière que lui [Mgr l'Archevêque] fit pour nous Madame Douairière, notre illustre Protectrice, que, contre toutes les apparences humaines, après qu'il eût pris une entière connaissance de ce qu'il y avait déjà de fait pour la Congrégation, il nous accorda le consentement que nous désirions si fort et que nous osions si peu espérer.

Nous pouvons faire état assuré d'avoir de Rome, quand nous voudrons, notre Bulle d'érection, puisque rien ne nous en avait empêchées que le défaut de ce consentement. Aussi nous y aurions travaillé d'abord après l'avoir obtenu, sans qu'il est arrivé la mort de notre Saint Père le Pape Clément 9ème, qui n'a pas encore de successeur créé quand ceci se trouve écrit.

Même, Monseigneur de Paris s'est nommé pour être l'un de nos Supérieurs à la place de Monseigneur le Cardinal de Vendôme qui est mort au mois d'août 1669, au très grand regret de tout notre Institut qui lui avait des obligations infinies pour la Bulle d'érection qu'il nous accorda si favorablement pendant sa légation, et par la protection que nous espérions à la suite, puisqu'il avait bien voulu accepter d'être l'un de nos supérieurs et notre Protecteur spécial.

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Nous, HARDOUIN DE PEREFIXE, Archevêque de Paris, etc...

Ayant vu et considéré les très humbles et instantes suppliques à nous faites, par les Prieures et religieuses bénédictines de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel, des monastères de Paris, Toul, Remberviller et Nancy, de vouloir agréer et approuver l'usage des Bulles à elles données, et des Constitutions confirmées par Mr le Légat de Vendôme, Légat Apostolique, pour agréer et unir en Congrégation les dits monastères ci-dessus nommés, et d'en vouloir

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être le premier et principal Supérieur Protecteur, Nous, voulant bénignement favoriser un dessein qui nous parait d'autant plus excellent qu'il ne tend, par tous ses emplois et fonctions, qu'à honorer incessament le Fils de Dieu dans le plus auguste de nos Mystères, et à réparer par des hommages continuels la gloire que le crime lui ravit tous les jours ; et pour témoigner à Madame la duchesse d'Orléans le zèle et (le) respect avec lequel nous accomplissons ses désirs, nous avons par ces présentes agréé et agréons, approuvé et approuvons, l'usage et pratique des Bulles et Constitutions susdites, données et confirmées par Mr le Cardinal de Vendôme, Légat Apostolique, VOULONS ET CONSENTONS que les dites Prieures et religieuses des monastères de Paris, Toul, Remberviller, Nancy, et autres qui pourront à l'avenir s'unir en ladite Congrégation, jouissent des grâces, privilèges et bénédictions (contenues) ès Bulles et Constitutions susdites, acceptant pour effet la qualité de premier Supérieur et protecteur de ladite Congrégation, assurant les dites Prieures et religieuses de notre bienveillance et singulière protection ; et pour confirmer tout ce que dessus et le rendre ferme et stable pour toujours, nous avons signé la présente, à notre palais archiépiscopal et scellé de notre scel, le huitième octobre mil six cent soixante neuf.

HARDOUIN Ar. de Paris

se trouve à gauche le cachet.

APPROBATION

de Monseigneur l'Archevêque de Paris de la bulle d'érection donnée par Monsieur le Cardinal de Vendôme légat pour une congrégation de l'Adoration perpétuelle etc.

Et pour être le premier supérieur de la Congrégation après la mort de Monsieur de Vendôme.

Monseigneur l'Evêque de Toul a de même donné son approbation par écrit — quoiqu'il nous l'eût déjà accordée ci-devant —, mais notre Révérende Mère Supérieure et tous nos monastères ont jugé qu'il était à propos de la faire renouveler, à cause de l'acceptation de Monseigneur l'Archevêque de Paris qui est intervenue depuis, qui consomme entièrement notre affaire et donc le véritable commencement [de] notre Congrégation, parce que nous n'avons plus rien à appréhender, puisqu'il n'y avait que la seule considération qui eût fait naître les difficultés que nous y avons rencontrées en Cour de Rome, où les Cardinaux ne nous voulaient rien accorder que sous cette condition de son bon plaisir.

Mais à présent qu'il veut bien être notre Supérieur, comme personne distincte de sa dignité d'Archevêque, il n'est plus rien qui nous puisse empêcher que nous ne soyions paisibles dans les usages de notre Congrégation et de toutes nos Constitutions.

DOCUMENTS HISTORIQUES 247

Ce fait nouveau nous a semblé mériter que Monseigneur de Toul renouvelât aussi son approbation, parce qu'ayant ces deux approbations là — avec celle de Monseigneur l'Evêque de Sées [Monseigneur François Rouxel de Médavy 1651-1670] que nous espérons à la suite — voilà nos trois Supérieurs établis, et par conséquent le Régime de notre Congrégation en sa forme.

Mais ce très bon Prélat de Toul a accordé la sienne avec une bonté si particulière que nous en devons faire mention, puisque, ne pouvant assez témoigner sa tendre affection envers nous par les termes ordinaires, il a voulu ajouter de sa main, après sa signature, qu'il accordait le tout, à la charge qu'il serait toujours, tant qu'il vivrait, notre Supérieur (quoiqu'il s'agit de cela même dans la requête qu'on lui présenta), comme si son coeur vraiment paternel ne s'était point assez exprimé par le consentement qui résultait de sa signature, et qu'il n'eût pu souffrir l'ombre de la privation des moyens de nous en donner des preuves, ce qui eût pu arriver s'il [ne fût] pas resté notre Supérieur. Et cette réserve obligeante ne nous engage pas moins à une éternelle reconnaissance envers lui, que nous [lui] devions déjà de respect pour les obligations infinies que nous lui avions, puisque sans tout ce qu'il avait fait auparavant pour nous mettre en Congrégation, notre affaire ne [se] serait pas trouvée dans l'acheminement où elle était pour obtenir la Bulle de Monseigneur le Légat, et ensuite le consentement de Monseigneur de Paris, et par conséquent il ne [se] serait rien pu faire.

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DE L'ORIGINE DE L'ABBAYE DE LA CONSOLATION NOTRE DAME DE NANCY

ET DE SON UNION A LA CONGRÉGATION

DE L'ADORATION PERPÉTUELLE DU TRÈS SAINT SACREMENT DE L'AUTEL

Charles, 3ème du nom, Duc de Lorraine, épousa Madame Claude de France fille du Roi Henry second et de la Reine Catherine de Médicis.

Et de ce mariage lui naquirent trois fils et quatre filles : Henri, François, et Charles — qui fut Cardinal ; et Christine, Elisabeth, Antoinette et Catherine.

Henri — comme l'aîné — succéda aux Etats du Duc son père ; et fut marié à une princesse de la maison de Mantoue, de laquelle il n'eût d'enfants que les princesses : Nicole et Claude. Et mourut ainsi sans laisser de postérité masculine.

François : fut Duc de Vaudémont ; et fut marié avec une fille de la maison de Salm, dont il eut deux fils et deux filles, savoir : Charles, Nicolas-François, Henriette et Marguerite.

Christine, fille aînée de Charles 3ème, fut mariée au Duc de Florence ; Elisabeth : au Prince électeur de Bavière ; Antoinette : au Duc de Clèves ; et Catherine fut Abbesse de Remiremont.

Des deux filles de Son Altesse le Duc Henri et [des] deux fils de François Duc de Vaudémont, son frère, furent faits double mariage, toutefois en divers temps.

Charles — qui était Son Altesse d'aujourd'hui — épousa Madame Nicole (et par ce moyen : Duc de Lorraine) ; et François-Nicolas épousa Madame Claude.

Et des soeurs de ces deux princes : Henriette fut mariée au Prince de Phalsbourg ; et Marguerite, comme nous avons dit ailleurs, à Monsieur, Fils de France, Duc d'Orléans, frère unique du Roi très chrétien Louis 13ème, et oncle du Roi à présent régnant Louis 14.

Il a été nécessaire de commencer ces mémoires par l'établissement de cette généalogie pour donner une intelligence plus claire de ce que nous avons à traiter, parce qu'il y sera parlé beaucoup de fois de tous ces princes et princesses.

Revenons à Catherine, Abbesse de Remiremont, fille du Duc Charles 3ème, qui est la personne dont nous avons le plus à parler.

C'était une princesse grandement bien faite de corps et d'esprit, et ses rares qualités l'avaient fait aimer si chèrement du Duc son père, que c'était un dire commun dans le pays que, si l'on voulait obtenir quelque grâce de Son Altesse, il fallait s'en adresser à

Madame Catherine. Et elle, réciproquement, avait une amitié si tendre et si respectueuse pour ce Prince que, quand il mourut, elle en pensa perdre la vie de douleur. Ne pouvant s'en consoler, du moins mourut-elle au monde, par un renoncement général à toutes ses folles grandeurs et par une conversion entière de toutes ses affections en Dieu pour jamais.

Cette mort, comme cela, enleva deux vies en même temps. La vie naturelle du père : en portant son corps au tombeau, et la vie que la fille prenait dans la jouissance de sa grandeur et de ses richesses, ayant fait que Madame Catherine s'adonna dès lors si fortement à la dévotion que, ne voulant plus ouïr de se marier, elle proposa de se rendre Capucine.

Mais, comme il n'y en avait point dans tout le pays, son dessein ne put être si promptement exécuté, quoiqu'elle entreprit pour cela d'en faire venir à Nancy et de les fonder largement ; ayant [fait] pour ce sujet de très grandes diligences en Cour de Rome et auprès des Pères Capucins par le moyen du Prince Cardinal son frère. Toutefois, lorsque l'affaire paraîssait fort proche de sa conclusion, un événement de Providence le rompit tout à fait.

C'est sans doute que Dieu la réservait pour être quelque jour un des grands ornements de l'Ordre de St Benoit ; et cependant il arriva que Madame la Rhingrave de la maison de Salm, Abbesse de Remiremont, se démit en sa faveur de son Abbaye. Et comme c'est un Bénéfice qui a toujours été rempli par des princesses, Son Altesse frère de Madame Catherine, voyant qu'elle voulait être religieuse l'obligea de l'accepter. Comme cela elle fut voilée et mise en même temps en possession de ce Bénéfice.

Mais comme son coeur aspirait à une très haute perfection, elle ne trouva pas en sa retraite de quoi contenter sa ferveur ; de sorte que sans s'arrêter à posséder mollement et doucement son état religieux, comme avaient fait ses devancières, passant leurs jours dans la pompe et dans l'éclat, elle forma bientôt le dessein de remettre son Abbaye dans l'ancienne discipline de l'Ordre de St Benoit dont elle est issue, quoique ces Dames Chanoinesses ne veulent pas l'avouer.

Elle fit pour cela tracer un monastère dans l'enclos de l'Abbaye de Remiremont, pour y établir des religieuses réformées de notre Ordre, et se retirer parmi elles, appelant à cet effet les Mères Eufraise du Hautoy et Barbe de Hulce, avec encore deux autres religieuses de St Maur de Verdun. Ce sont les mêmes Mères Eufraise et Barbe desquelles nous avons parlé au sujet de Notre-Dame de la Conception de Remberviller où elles allèrent depuis, mais elles étaient venues à Remiremont auparavant.

Et Madame de Remiremont les logea dans son palais abbatial en attendant que le monastère qu'elle leur faisait préparer fût bâti.

Toutefois ce projet se trouva vain, parce que les jeunes Chanoinesses — qui sont toutes Filles de qualité et qui ne se sont pas mises

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V-

là-dedans pour y professer une vie fort austère ! — s'opposèrent fortement à ce dessein. Car, bien que Madame de Remiremont ne leur parlât point de se réformer, elles ne laissaient pas de voir que si, une fois, les réformées y étaient établies, il leur serait assez malaisé d'éviter qu'on ne les y obligeât à la fin ; et cette peur leur fit rechercher toutes sortes de moyens pour traverser ce dessein, soit par dessous main, soit déclarément quand l'astuce n'y put plus rien. En étant venues à ce point que de démolir la nuit ce que les maçons avaient fait le jour au bâtiment du monastère ; et, à la suite, d'aller elles-mêmes de plein jour, détourner les ouvriers leur ôtant : chaux, mortiers et pierres, et les frappant de leurs outils ; et allant sous les fenêtres des réformées leur chanter des injures, les appelant « chiennes bénédictines » et mille autres outrages.

Mais ce ne fut pas encore assez à leur emportement. Comme deux prélats se portèrent sur les lieux pour faire poser des portes de clôture à l'Abbaye seulement, pour la séparer de la ville durant la nuit, et empêcher les conversations et veillées qui se faisaient souvent avec les hommes chez les Chanoinesses, chez qui ils jouaient grand jeu, il y en eut deux qui furent tellement possédées de l'esprit d'iniquité que d'en venir à prendre une cognée et rompre les portes en leur présence [ainsi que de] Madame de Remiremont et des Officiers de la ville qui ne faisaient que de les poser, à la vue de tout le peuple, sans avoir égard à toute autorité ; et — ce qui est de plus effroyable — au mépris d'une excommunication majeure que ces prélats venaient de fulminer dans ce moment, en vertu d'un Bref de Rome, contre toute personne qui serait si hardie que de toucher à ces portes.

Aussi, la punition du mal parût bientôt sur la plus hardie des deux, car Dieu la laissa tomber dans le péché, qui est le châtiment ordinaire de l'orgueilleux. La malheureuse fille s'étant laisser abuser fut dévoilée honteusement, et chassée avec infamie de Remiremont. Et n'a eu d'autre refuge qu'une maison réformée de St Benoit, fort éloignée, dans laquelle elle fut reçue sans la connaître, où elle a fini ses jours avec bien de la misère.

Pour sa complice, elle tomba malade quelque temps après cet attentat et mourut. Il est vrai qu'elle (se) reconnut [sa faute] auparavant, ayant demandé pardon à Dieu et à son Abbesse, et reçu l'absolution de l'excommunication qu'elle avait encourrue.

De sorte que notre princesse, voyant des scandales si horibles et s'étant comme lassée à des furieux procès, tant civils que criminels, qu'il lui avait fallu soutenir contre ses filles révoltées — pendant lesquels elle courut bien des fois hasard de la vie par le poison —, elle jugea que ce serait témérité de pousser plus avant cette entreprise. Comme cela elle s'en déporta [désista] par l'avis même de Son Altesse son frère, qui favorisait assez ces Chanoinesses en considération de leurs parents qui étaient les principaux de sa Cour. Et renvoya les réformées à Verdun en leur Abbaye de St Maur, d'où elles étaient venues.

Cependant son coeur ne demeurait point satisfait. Il aspirait sans cesse à la recherche de la plus grande gloire de Dieu, et ne la pouvant plus procurer en la chose même qui eût été de remettre cette Abbaye dans l'esprit de sa première institution de la Règle de St Benoit, elle se proposa de le faire par supplément, en fondant un monastère de la réforme dans la ville de Nancy (28) et se retirer parmi elles pour y vivre dans les mêmes observances, espérant que son exemple pourrait toucher ces coeurs endurcis.

Et le Duc son frère goûtant beaucoup son dessein lui en fit expédier les Lettres Patentes nécessaires au mois de juin 1624, auxquelles i! voulut ajouter de ses libéralités pour en faciliter l'exécution, ayant fait [un] don par ces mêmes Lettres à ce monastère : qui serait de deux mille livres Barrois de rente annuelle, pour commencer à le doter avec l'assignat le plus favorable qu'il pût choisir, qui est sur la recette du Barrois : la plus nette et la meilleure de tout le domaine des Princes de Lorraine.

Il est vrai qu'il les chargea de recevoir pour rien, une fois seulement, douze pauvres demoiselles bien appellées, mais ce fut sans doute plus pour attirer à cette princesse des bons sujets pour donner commencement à son ouvrage, que pour la surcharger.

En effet il s'y en présenta depuis à la foule, pour recevoir ce double avantage : d'être logées pour rien pour le reste de leurs jours, et d'avoir l'honneur de l'être dans la maison d'une si grande princesse. Comme cela le nombre a été rempli peu à peu, et ces religieuses entrèrent en jouissance de ces deux mille livres de revenu dès l'année 1624, et ont toujours continué d'en jouir paisiblement jusqu'en 1634 que les guerres renversant tout cet Etat les en privèrent.

Mais les Lettres Patentes furent vérifiées et enregistrées par toutes les cours où il fut nécessaire de le faire.

Mais Madame de Remiremont ne leur donna rien, pour lors, par contrat, se réservant de le faire jusqu'à ce qu'elle eût vu le train que cette entreprise prendrait ; comme aussi elle se conservait la propriété de son bien pour faire faire les bâtiments du monastère. et pour mille autres besoins qui ne se rencontrent que trop en pareille occasion.

Même elle ne les a pas dotées depuis, parce qu'elle [s'est] trouvée surprise des guerres qui rompirent toutes ces mesures, sinon qu'en 1631 elle leur fit une donation entre vifs : du monastère, de tous les meubles meublants dont il se trouverait meublé, et de tous les meubles de la sacristie, parce que le tout avait été fait et acquis en son nom.

(28) Le monastère est dédié à Notre-Dame de la Consolation. Archives de Meurthe-et-Moselle, H 2400 et H 2401.

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Toutefois cette maison n'a pas laissé de s'en prévaloir beaucoup, non seulement comme de la dépouille de leur Abbesse, mais de son patrimoine propre, parce qu'elle a fait testament ; suivant la permission qu'elle en avait obtenue de notre Saint Père le Pape, et à la réserve qu'elle en avait fait, du consentement du Duc Henry son frère, devant que de s'engager par les voeux de religion, de pouvoir succéder nonobstant et disposer de ses biens.

Et, par ce testament elle déclare qu'elle applique à la fondation de la Consolation : tous ses biens, noms, raisons et actions.

C'est sur cela que cette maison a droit sur les Rentes de l'Hôtel de Ville de Paris dont elle jouit encore ; ces Rentes étant échues, pour un septième, à Madame de Remiremont pour son partage en la succession de Madame Claude sa mère, à qui elles appartenaient suivant la coutume de Paris où les enfants partagent également ; et encore pour un septième : comme héritière universelle, par testament, de Madame Antoinette, duchesse de Clèves, sa soeur, qui lui avait laissé de bien plus grands biens encore que cela.

De ce même chef aussi a procédé l'opposition que cette Abbaye a formée, sous le nom de Madame sa tante, au décret qui fut mis il y a quelques années, sur l'hôtel de Lorraine en cette même ville de Paris, pour les principaux et les arrérages que Son Altesse devait à Madame de Remiremont. Et bien que le Roi se soit acquis cet hôtel par le traité de 1662 qu'il a fait avec la dite Altesse, leur opposition — de même que leurs droits — ne laisse pas de subsister, à cause que Sa Majesté s'est chargée de payer toutes les dettes du Rang, desquelles cette Abbaye est des premières et des plus privilégiées.

Elles s'en prévalent aussi de la Rente de Chaumont, qui est de dix mille francs en principal, laquelle avait été créée par cette princesse pour la fondation du Prieuré de St Romary destiné à ses religieux réformés. Et comme ce Prieuré est absolument aboli : n'y ayant plus de religieux, cette rente est revenue à la Consolation, en vertu de leur union, et encore en vertu du testament de la Fondatrice.

Pour le Prieuré du Pont St Vincent [Meurthe-et-Moselle] il a été cédé par accomodement par les religieuses [aux] religieux bénédictins de [la] Congrégation [de] St Vanne qui l'occupent présentement, sur ce que ces Pères disaient que le reliquat de cette réforme — consistant en quelques religieux — se trouvait parmi eux. Et là-dessus ils voulaient même leur disputer St Romary ; et pour s'acquérir la paix elles furent conseillées de partager, leur laissant ce Prieuré là et gardant celui de St Romary qui est plus à leur bienséance. De sorte que tous ces droits là se peuvent monter à bien haut si une fois ils sont payés !

Si cette disgression est longue elle n'est pas inutile. Reprenons notre propos.

Madame de Remiremont suivant sa pointe, et pour mettre la dernière main à son ouvrage, se résolut après cela de s'en venir en France pour s'instruire elle-même de nos observances et essayer à la pratique ; choisissant le Val-de-Grâce par dessus toutes les autres abbayes de notre Ordre, pour la grande régularité où cette maison se trouvait, sous la conduite de la Mère Marguerite d'Arbouze, leur Abbesse, qui vivait en odeur de sainteté.

Mais elle n'y arrêta pas si longtemps qu'elle se l'était proposé, parce que le Duc Henry son frère étant venu à mourir dans ce temps-là, elle se trouva obligée de s'en retourner en Lorraine. Ainsi son séjour ne fut guère que de dix mois ; mais ce temps qui semble si court pour une si grande affaire fut, en échange, extrêmement bien rempli, vu que nous pouvons dire avec vérité qu'elle fit plus de choses en ce petit nombre de mois, qu'une moins fervente qu'elle n'en n'avait su faire en pareil nombre d'années ; puisqu'elle y acquit une très parfaite connaissance de notre sainte Règle, et s'y exerça très fidèlement, jusqu'à ce point de se revêtir de l'humble Habit de Saint Benoit pour se déclarer hautement qu'elle embrassait la réforme et se dépouillait pour toujours de ce fastueux Habit et de ce voile magnifique des Abbesses de Remiremont. Mais pour les voeux : elle les avait faits depuis 1616 qu'elle prit possession de son abbaye.

Et fit encore avec cela prendre le voile blanc à quatre postulantes qu'elle avait amenées exprès avec elle, pour y faire leur noviciat et se dresser aux observances, afin de commencer sa maison avec l'aide de quelques religieuses professes, qu'elle espérait qu'on lui donnerait pour cela.

En effet, la Révérende Mère d'Arbouze lui en avait donné parole. Et comme cela elle arriva à Nancy et se logea d'abord dans le monastère avec ses quatre novices.

Ce fut le 27ème du mois de décembre 1624 qu'elle y entra, l'ayant trouvé tout en état d'y vivre en clôture par la grande diligence qu'elle y avait fait apporter pendant son absence pour que tout fût prêt à son retour. Encore était-ce son propre palais qu'elle voulut dédier à Dieu, pour qu'il n'y eût rien à elle ni en elle qui ne lui fut consacré ; et pour aussi que la chose ne fut nullement retardée parce qu'elle ne pouvait trouver d'autre maison assez grande.

Incontinent après son retour à Nancy elle renvoya son carosse à Paris pour en amener les religieuses du Val-de-Grâce qui lui avaient été promises. Mais elles n'y allèrent pas, à cause de quelques difficultés qui survinrent, par des demandes qu'elles firent alors et qu'elles n'avaient pas faites à Madame de Remiremont, ce qui la surprit assez.

Aussi étaient-elles fort dures et fort hors de temps, puisqu'entre les autres, d'abord elles proposèrent de rendre cette nouvelle maison élective ; et c'était comme lui en vouloir ôter la supériorité, car, bien que la chose ait été faite ainsi à la suite, ce n'était pourtant pas encore le temps de le demander.

Si bien que ceux qui les étaient aller quérir n'ayant pas pouvoir d'en résoudre, l'équipage sans retourna sans elles.

254 CATHERINE DE BAR DOCUMENTS HISTORIQUES 255

Et Madame de Remiremont s'en adressa depuis à l'Abbaye d'Ave-net — où notre sainte Règle est aussi fort bien gardée — et n'y rencontra pas tant de difficultés, puisque tout aussitôt on lui accorda deux professes, choisies d'entre leurs meilleurs sujets, à savoir : la Mère Lagnelet et la Mère Elisabeth de Monvoiset, autrement : des Anges, et une novice nommée Soeur Anne Rousseau, autrement : de Saint Maur, qui était un trésor de grâce comme nous dirons en son lieu.

Ces deux dernières y ont persévéré jusqu'à la mort, Soeur Anne y ayant fait profession et apporté tout son bien qui était considérable. Mais la Mère Lagnelet fut contrainte de s'en retourner après un peu de temps, parce qu'on ne put se passer plus longtemps d'elle dans son monastère.

Et le nombre des postulantes croissant tous les jours, Madame de Remiremont fit commencer à bâtir ce beau monastère neuf qui se voit à présent, joignant ce palais où elle avait mis la clôture.

Au mois d'avril de cette même année 1625, notre Saint Père le Pape Urbain 8ème expédia la Bulle d'érection du monastère en Abbaye, sous le titre de : Notre-Dame de la Consolation, nommant Madame de Remiremont pour abbesse perpétuelle durant sa vie, mais ordonnant qu'après elle les abbesses seraient sujettes à l'élection de trois ans en trois ans.

Et quatre mois après la Bulle reçue, qui fut le 7ème de septembre veille de la Nativité Notre-Dame, l'Office divin commença de se chanter publiquement dans l'église du monastère, où la clôture fut mise ce jour-là par Monsieur de Mauléon la Bastide, Official de l'évêché de Toul, à qui la Bulle était adressée pour la faire exécuter.

Ensuite Soeur Anne Rousseau, d'Avenet, fut admise à la profession. Et après elle, le furent aussi les quatre novices qui avaient pris l'Habit au Val-de-Grâce. Et presque toutes les domestiques séculières de Madame l'Abbesse se rendirent religieuses dans cette dévote maison ce qui en rendit bientôt le nombre fort grand.

Mais le zèle de notre princesse s'épurant toujours davantage pour la gloire de Dieu ne put encore s'en arrêter là. Il alla jusqu'à ce point de vouloir faire observer jusqu'à la lettre et sans glose la Règle de Saint Benoit, comme : de ne manger qu'une fois le jour, de porter la tunique sur la chair sans largette entre deux, de ne faire qu'une fois le jour et très peu de récréation, de garder un peu plus grand silence, de ne point loger dans des cellules mais d'avoir leurs lits dans des dortoirs, et plusieurs autres choses qui se voient dans notre sainte Règle, que les constitutions de l'Ordre ont depuis mitigées ou expliquées.

Et pour faire que cette réforme subsistât elle entreprit d'en faire une congrégation dans laquelle il y entrât des monastères d'hommes aussi bien que de filles.

Pour cet effet elle s'en revint en France en 1629, sur l'avis qu'elle avait eu qu'elle pourrait trouver des religieux qui s'entendraient à cela ; mais elle était en négociations avec le Prieur de Saint-Lazare, de l'Ordre de Saint Bernard, à la Ferté-Milon, qui lui faisait espérer de lui bailler de ses religieux pour commencer cette nouvelle réforme, et s'établir partout où elle les voudrait fonder.

Ainsi elle s'en revint à la Ferté-Milon s'aboucher avec lui, et il fut arrêté entre eux qu'il lui enverrait son Sous-Prieur qui se nommait Dom Albin, et cinq autres de ses religieux aussitôt qu'elle aurait les Bulles de Rome qui lui étaient nécessaires pour son dessein.

Et là-dessus elle s'en retourna à Nancy, faire travailler à leur logement et donner ordre à la dépêche de Rome pour les Bulles d'érection. Mais avant que de partir de France, elle voulut visiter toutes les principales abbayes de filles de notre Ordre aux environs de Paris, comme : Montmartre, Jouarre, Chelles, le Pont, et plusieurs autres, pour en recueillir comme la prudente abeille, le suc de tant d'excellentes pratiques qu'elle n'y manqua [pas] d'y voir afin d'en orner sa maison.

En l'année 1631 les Bulles d'érection en congrégation lui furent expédiées, sur l'union de sa maison de la Consolation avec ces deux prieurés de Saint-Romaric et de Saint-Vincent-du-Pont, qu'elle avait fondés pour ce dessein, parce qu'elle n'aurait pu espérer d'érection en congrégation à moins que d'avoir trois maisons qui en fussent.

Et la Bulle la nomma pour Générale de cette congrégation sa vie durant. Mais les abbesses, après elle, n'étaient nommées que sous le titre : « d'Abbesse élective par le Chapitre de l'Abbaye de la Consolation » qui fut comme cela établie pour chef de toutes les autres maisons de cette congrégation.

Ainsi elle fit venir les religieux de Saint-Lazare, qui trouvèrent leur maison prête à y entrer et parfaitement commode, et changèrent aussitôt leur Habit blanc de Saint Bernard au noir de Saint Benoit, par la permission du Pape. Dom Julien Varnier, qui était leur Prieur à Saint-Lazare et qui avait été Visiteur de cette nouvelle réforme, le leur ayant donné publiquement dans l'église de l'abbaye, et laissé pour Prieur Dom Albin qui n'en changea pas encore.

Et pour elle, elle commenca après cela de mettre ses religieuses dans l'exercice de ce nouveau genre de vie : de ne manger qu'une fois le jour et le reste ; à quoi elles acquiescèrent assez volontairement.

Madame de Remiremont demeura en cet état jusqu'à l'année 1633, goûtant doucement les fruits des travaux qu'elle avait soufferts pour procurer la gloire de Dieu et l'exaltation de l'Ordre de notre glorieux Patriarche, par une vie toute sainte qu'elle menait parmi ses religieuses, qui vivaient comme des anges, puisque c'était dans un genre de vie si austère qu'il semblait qu'elles ne tinsent rien de la matière, ne laissant à la nature quasi pas le moyen de subsister.

Mais en cette année-là commencèrent les effroyables malheurs qui la ravirent pour jamais à ses chères filles, et qui ne lui ont plus laissé de repos depuis, jusqu'à sa mort.

256 CATHERINE DE BAR

L'occasion fut que Monsieur, Duc d'Orléans, ayant suivi le parti de la Reine sa mère, qui s'était retirée en Flandres, s'était aussi évadé de France et retiré à Nancy.

Il ne fut guère de temps en cette Cour sans être épris de l'excellente beauté et de toutes les rares qualités de Madame Marguerite ; s'en étant trouvé si charmé qu'estimant ne pouvoir vivre heureux sans la posséder, il la demanda en mariage à Son Altesse de Lorraine. Ce Prince n'eut garde de la lui refuser vu le parti que c'était ! puisque le Roi n'avait point d'enfant en ce temps-là, ce qui faisait regarder Monsieur comme successeur de la couronne.

Et Madame de Remiremont ne put qu'elle n'eût grande part en cette affaire, parce que la princesse Marguerite était élevée auprès d'elle et sous ses yeux, à cause qu'elle la destinait à être sa coadjutrice en l'Abbaye de Remiremont, sans que pourtant elle en eut encore pris le voile.

Après cela il eût été malaisé qu'une affaire de cette qualité se put traiter sans lui en donner connaissance ; et son grand coeur se sentant de sa royale naissance, elle ne put s'empêcher de contribuer beaucoup à l'accomplissement d'un mariage si avantageux à la princesse sa nièce. En sorte qu'il fut célébré par ses soins, au mois de janvier 1632, dans l'église de son monastère, par le Père Dom Albin, Prieur de ses religieux réformés ; et l'acte des épousailles, avec le contrat du mariage, lui furent donnés en dépôt, parce qu'il fallait que ce mariage fût tenu extrêmement secret, à cause qu'il était fait sans le consentement du Roi, et par conséquent en danger d'être disputé.

Mais le secret ne pût être si bien gardé que le Roi n'en fût averti. Comme il se sentait déjà offensé de la retraite de Monsieur en Lorraine, ce nouveau sujet de courroux le fit déterminer de déclarer la guerre à Son Altesse, se couvrant pourtant d'autres prétextes. Mais il lui en arriva un, à la suite, qui sembla bien spécieux pour continuer la guerre : ce fut que Madame de Lorraine s'en vint demander à la Cour protection à Sa Majesté pour des mécontentements qu'elle avait contre Son Altesse — qu'il n'est pas nécessaire d'apprendre à notre lecteur, puisque toute l'Europe les a sus ! — et lui céda tous ses droits sur ces Etats.

Ainsi le Roi envoya une puissante armée en ce pays-là, avec ordre d'aller investir Nancy. Et Madame fut conseillée de sortir de la ville avant que la guerre fût davantage allumée, de peur que, si elle attendait davantage, sa personne ne vint à tomber en la puissance du Roi, duquel elle ne devait pas moins attendre — selon toutes les apparences — qu'un cloître pour le reste de ses jours, après avoir vu casser son mariage comme clandestin.

Comme cela, ayant pris résolution de s'évader et de se retirer en Flandres, auprès de la Reine, sa belle-mère, qui avait bien voulu son mariage, elle en sortit le 28ème d'août, même année 1632, travestie en homme pour passer en plus de sûreté l'armée ; car bien que le siège ne fût pas encore formé, pourtant elle ne pouvait manquer de ren-

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contrer bien des troupes. De cette façon elle monta à cheval à la première garde du matin, accompagnée de cinq ou six des siens seulement, et, ne marchant que la nuit et par des chemins détournés, elle se rendit heureusement à Bruxelles où elle trouva Monsieur qui l'y attendait.

Cependant Madame de Remiremont ne sortit pas pour cela encore. Mais le Roi, accompagné du Cardinal de Richelieu son premier ministre, étant venu en personne à Nancy après que Son Altesse de Lorraine eût mis — par composition — la ville entre les mains du Roi, comme en dépôt pour certain nombre d'années, le Cardinal se mit à rechercher si sérieusement les preuves du mariage de Monsieur, qu'il vint à découvrir qui était le religieux qui les avait épousés, et envoya pour le faire arrêter. Toutefois il s'évada.

Mais après ce coup d'autorité Madame de Remiremont ne se crût plus en sûreté dans sa maison, parce qu'on l'avait déjà obligée de déclarer le mariage, le Roi (qui) avait été assez averti qu'elle savait plus cette affaire que personne. Et appréhendant qu'on ne la retint elle-même prisonnière, ou qu'on ne lui enleva les actes dont elle était demeurée dépositaire, ou peut-être même, que les soldats ne vinssent mettre le feu dans son couvent, elle s'enfuit un soir à nuit close, et s'en alla pour quelques jours à Besançon, d'où bientôt après elle se rendit en Allemagne, auprès de la duchesse de Bavière sa soeur.

Le malhtur ne s'en arrêta pas là pour cette infortunée princesse, puisqu'au bout de 18 mois qu'elle y demeura, Madame de Bavière mourut ; si bien qu'elle fut contrainte d'aller chercher refuge auprès de l'archiduchesse d'Insbrück, sa nièce, fille de Madame la grande Duchesse de Florence.

Mais, lasse de mener une vie si inquiète et si contraire à sa profession, elle fit pratiquer du côté de la Cour qu'il plût au Roi lui permettre de se retirer dans son Abbaye de Remiremont, et lui accorder la neutralité pour ce lieu-là, et pour Arche, Epinal, et Boussieux, qui sont des villes et prévôtés qui en dépendent. Et fut plus heureuse qu'elle n'espérait, car la colère du Roi étant un peu apaisée Sa Majesté le lui accorda favorablement.

Ce fut donc par ce moyen qu'elle s'en alla à Remiremont, où elle continua de vivre paisiblement depuis ce temps-là jusqu'en 1644 que Madame l'envoya quérir, pour partager avec elle la joie de se voir rappelée auprès de Monsieur, qui venait de déclarer publiquement son mariage, et l'avait fait venir auprès de lui, en France, du consentement de la Reine Régente, aussitôt après le décès du feu Roi, arrivé au mois de mai 1643 ; comme aussi le Cardinal de Richelieu était mort six mois auparavant. Son Altesse Royale trouvant juste que, comme Madame de Remiremont avait extrêmement contribué à sa satisfaction en contribuant à son mariage, et qu'elle avait beaucoup souffert à son occasion, elle la rendit aussi participante de son bonheur et de sa gloire.

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Et Madame de Remiremont s'en venant la trouver, passa par Nancy ; mais elle ne put arrêter que trois jours dans son monastère, à cause que le peuple qui l'aimait extraordinairement accourant de toutes parts en foule pour la voir, le gouverneur de la ville pour le Roi appréhenda une sédition, et pour cela il la pria d'en partir tout au plus tôt, ce qu'elle fut contrainte de faire au bout de ces trois jours. Et c'est là tout le temps qu'elle y a demeuré depuis qu'elle fut contrainte d'en sortir la première fois.

Mais la douleur qu'elle en reçut lui fut adoucie par le bon accueil que leurs Altesses Royales lui firent à son arrivée à Paris, lui donnant toutes sortes de témoignages d'amitié et la logeant dans leur Palais d'Orléans, où elle demeura toujours depuis cette même année 1644 qu'elle y arriva, jusqu'en 1648 qu'elle mourut, âgée de 68 ans, sans avoir pu retourner à sa chère maison de Nancy, quoiqu'elle l'eut extrêmement souhaité.

Il ne serait pas nécessaire d'en dire davantage que ce que nous en avons dit pour en faire tirer la conséquence que ce grand ouvrage de la congrégation, que Madame de Remiremont avait entrepris échoua — ou peu s'en fallut — puisqu'il est évident que, depuis 1632 qu'elle en obtint la Bulle, jusqu'en 1633 ou 1634, qu'elle fut obligée de quitter sa maison, cet arbre n'avait pu prendre d'assez fortes racines pour résister aux orages dont il se trouva battu.

Le bouleversement général de toute la Lorraine par une si longue et si rude guerre, l'éloignement pour tant d'années de la Fondatrice, et la dissipation que les désordres généraux apportèrent aux biens dont elle faisait subsister sa fondation, y causèrent un tel changement que, non seulement tous les bâtiments cessèrent, mais de cinq religieux qui restaient de son monastère d'hommes, quatre, pressés de la misère, passèrent dans la congrégation Saint-Vanne, et le cinquième s'en alla où il voulut.

Pour le monastère de filles : il n'alla pas mieux que cela. Il ne s'en présenta plus pour être reçues à l'Habit, et celles qui étaient reçues souffrirent des pauvretés inconcevables.

Bien plus, Madame de Remiremont se vit elle-même quelquefois réduite à cette extrémité : de dépouiller sa sacristie de partie de précieux ornements dont elle l'avait décorée. Car elle l'avait enrichie en un point qu'il ne se voyait rien de plus magnifique.

Seulement le Soleil pour exposer le Saint Sacrement valait plus de 40 000 francs du pays. Il est bien encore en nature, mais les façons des ouvrages ayant fort changé depuis en diminuent un peu le prix. Il est tout d'or, pesant onze marcs, et tous les rayons sont enrichis de diamants ; avec une croix au haut, d'une fort bonne grandeur, dont les diamants sont fort beaux. Et pour servir comme de niche à ce beau Soleil il y a un grand manteau ducal d'argent ciselé, dont tous les plis et toutes les extrémités sont aussi enrichis de diamants moins gros pourtant que ceux du soleil. Et au dessus de ce manteau il se voit un pélican d'or, les ailes couvertes de diamants, qui ouvre sa poitrine qui est toute de rubis avec son bec pour donner nourriture à ses petits.

Le reste de la sacristie répondait à cette magnifique pièce. Mais cette infortunée princesse fut souvent contrainte après, par la nécessité de ses affaires — comme nous venons de dire —, d'en tirer tantôt une pièce et tantôt une autre pour s'assister. Comme cela elle ne se voit pas à présent au même état qu'elle était au commencement ; joint que les abbesses qui sont venues après elle n'étant pas plus accommodées qu'elle, s'en sont servies aussi pour faire subsister la maison et subvenir à leurs procès.

Nous voici maintenant au point, au sujet duquel nous nous sommes engagées de conter cette longue histoire. C'est l'union de cette même abbaye à notre congrégation de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel.

Nous venons de voir la décadence de cette maison, et nous allons voir bientôt son entier rétablissement.

C'est Son Altesse Royale Madame la Douairière à qui l'honneur en est dû. Elle était exécutrice, conjointement avec Monsieur le duc de Lorraine son frère, du testament de Madame leur tante, abbesse de Remiremont, et par ce moyen se trouvait engagée à pourvoir à la Fondation ; et ce fut ce qui donna la hardiesse aux religieuses, se voyant dans les extrémités que nous avons dites, de l'importuner souvent par leurs lettres, que — suivant cette qualité — il lui plut de regarder à leurs besoins.

Comme c'était dans le temps que Madame s'adonna à venir fréquemment céans, et qu'elle commencait d'avoir pour notre très digne Mère cette grande estime et cette affection tendre qu'elle lui témoigne encore, la pensée lui vint qu'elle pouvait bien faire deux bonnes oeuvres à la fois, et par une même affaire satisfaire tout d'un temps à deux pieuses intentions qu'elle avait.

Car il faut savoir que, dès le mois de mai 1664, désirant augmenter la gloire du Très Saint Sacrement, elle avait fait une donation à la maison céans d'une somme de dix mille écus après sa mort, pour être appliquée à l'établissement d'une maison de notre Institut dans la ville de Nancy, lieu de sa naissance.

[Il] lui vint à penser qu'en procurant l'union et agrégation de cette abbaye à nous, et y appliquant les dix mille écus qu'elle donnait pour un établissement au lieu d'en entreprendre un autre, elle rétablirait cette abbaye et n'augmenterait pas moins notre Institut, nous donnant une nouvelle maison toute faite, de notre Ordre, réformée, et dans la ville de Nancy, où sa dévotion la portait de nous établir.

Si bien qu'elle en fit l'ouverture à notre Révérende Mère, qui y répugna d'abord et s'en est défendue longtemps ; parce qu'en effet il s'y rencontrait des difficultés qui semblaient insurmontables, puis-

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que c'était une abbaye : et il en fallait supprimer le titre, car nous n'en voulions point recevoir. Il n'y avait point d'apparence d'en pouvoir venir à bout parce qu'il y avait une abbesse, personne de qualité, qui en était pourvue et dont on n'osait espérer la démission ; outre qu'il fallait avoir le consentement du Prince pour cette suppression parce que la nomination lui en appartenait.

Et, d'ailleurs, il y avait une quantité très grande de dettes dont il se fallait charger, quatorze religieuses à nourrir, et une église à bâtir ; qui étaient des obligations qu'il fallait contracter et y satisfaire sans remise en acceptant cette union. Et c'était là-dessus que notre Révérende Mère et toute la communauté, à qui elle en communiqua souvent, faisaient de grandes considérations.

Pourtant comme Madame se chargea d'obtenir la démission de cette abbesse et le consentement du Prince, et que les dix mille écus qu'elle donnait après sa mort pouvaient plus que suffire à l'acquittement des dettes, nous commençâmes à prêter l'oreille à cette proposition, parce que d'autre part nous considérions que puisque, par la donation de Madame, nous nous trouvions chargées de faire un établissement dans Nancy, ce serait beaucoup d'avance de prendre ainsi un des plus beaux monastères qui se voient, tout fait et tout meublé, et une très riche sacristie ; ce que nous n'aurions pu faire pour deux cent mille francs peut-être ; que, pour les quatorze religieuses à entretenir, elles avaient encore environ onze ou douze cent livres de rente. Outre cela : le nombre en pouvait diminuer avec le temps, et qu'après tout, aussi bien, nous fallait-il des sujets pour faire un nouvel établissement ; que ceux-là se trouvaient tout faits et nous épargnaient d'en faire d'autres, car aussi bien, peut-être en aurions-nous manqué, à cause que notre Institut ne fait bonnement que de naître, n'étant né pour ainsi dire que depuis que nous sommes dans une maison qui nous appartient, qui n'est que depuis le mois de mars 1659. Et encore, depuis ce temps-là, nous avons fait entièrement notre maison de Toul et reçu l'union de celle de Remberviller.

Si bien que, toutes ces considérations pesées de part et d'autre, il fut conclu que nous l'accepterions à ces conditions. Mais tout cela se passa verbalement. Et néanmoins les religieuses, à qui Son Altesse Royale en donna avis aussitôt, écrivirent comme d'une chose faite, tant elles le désiraient, à notre Révérende Mère, une lettre en forme de requête dont nous mettrons ici la teneur.

LETTRE

Loué soit le Très Saint Sacrement de Nancy le 9ème Février 1667

Notre Très Révérende Mère,

Nous étant aujourd'hui assemblées capitulairement pour lire la lettre qu'il a plu à l'Altesse Royale de Madame de nous faire la grâce de nous écrire après l'avoir fait voir à Son Altesse qui en a agréé et approuvé le contenu, qui est : que leurs Altesses veulent et entendent et souhaitent que nous cherchions les moyens de faire subsister notre monastère et communauté, dedans la pratique de notre Sainte Règle, et au plus approchant qu'il se pourra aux saintes intentions de feu l'abbesse, de Madame notre Illustre Fondatrice et première abbesse, nous n'en n'avons point trouvé de plus expédient que de supplier très humblement votre Révérence, comme nous faisons, de nous vouloir faire l'honneur de nous recevoir à l'union et agrégation de votre saint Institut et congrégation de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel ; moyennant que toutes les conditions nécessaires à une chose de cette nature s'effectuent.

Si cette grâce nous est accordée par votre saint zèle, charité, et affection, très honorée et révérende Mère, nous recevrons par même moyen toute la satisfaction dont nous sommes capables, d'être parties augmentantes une si juste, nécessaire et pieuse occupation.

De quoi nous aurons à jamais autant de reconnaissance et de gratitude que nous en imprimera la qualité respectueuse, notre Très Révérende Mère, vos très humbles, très obéissantes et très obligées filles et servantes :

Soeur Catherine de Sainte-Agnès, Prieure, Soeur Elisabeth de Jésus, Sous-Prieure, Soeur Marie de Sainte-Gertrude, dépositaire, Soeur Marie du Saint-Esprit, Soeur Anne de la Croix, Soeur Anne de Saint-Joseph, Soeur Jeanne de Saint-Anselme, Soeur Louise de l'Annonciation, Soeur Christine de Sainte-Scholastique, Soeur Anne de Sainte-Anne, Soeur Marguerite de Saint-Bernard, Soeur Toussaine de la Trinité, Soeur Claude de l'Incarnation, Soeur Marie de Saint-Joseph.

Et au dos est écrit :

A la Très Révérende Mère, la Très Révérende Mère des Bénédictines de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement, rue Cassette, à Paris. Avec un sceau autour duquel est écrit : Notre-Dame de la Consolation de Nancy. Le dit sceau représente une Vierge tenant son Fils assis sur des nuées et adoré par une Dame de piété qui est à genoux en terre.

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Toutefois il se passa plus d'un an et demi devant que d'en pouvoir venir à l'exécution, parce qu'il fallut bien du temps pour disposer les choses ; à avoir le consentement de l'abbesse, qui était Madame Anne-Marie de Livron, fille de M. le marquis de Ville, l'un des principaux seigneurs du pays ; laquelle avait succédé à cette abbaye à Madame de Mauléon, et celle-ci immédiatement à notre Sérénissime princesse Madame de Remiremont.

Encore ! si M. de Lorraine n'eût autant souhaité cette affaire que Madame, on n'en serait pas venu à bout ! Mais comme il avait un zèle extrême pour cela, et que les souverains peuvent tout, il en sut bien prendre les moyens ; toutefois avec des tempéraments justes et doux ; personne n'eut à se plaindre et au contraire tous eurent sujet de s'en louer.

Pour cela Son Altesse prit le temps que Madame de Livron était absente pour faire entendre à ses religieuses qu'il ne voulait plus absolument qu'elle y revint, et qu'elles eussent à en élire une d'entre elles pour supérieure. Que, si elles ne le faisaient pas dans le temps qu'il leur donna, lui même la nommerait de son autorité.

Si bien que les religieuses voyant que la dite Altesse [était] si fermement résolue à cela, n'osèrent plus résister, et procédèrent à l'élection qui tomba sur la Mère Catherine Agnès Rolin, qui était déjà Prieure sous Madame de Livron, laquelle demeura comme cela, faisant la fonction d'abbesse.

Bien plus, quand Madame de Livron, au bruit qu'elle entendit de cette élection, s'en voulut venir en diligence dans son monastère, il lui en [fit] refuser les portes, en sorte qu'elle n'y entra point du tout.

Mais aussi, en même temps il lui envoya pour la récompenser le brevet de Coadjutrice de l'Abbaye de Vergaville, de notre même Ordre, laquelle est sans comparaison plus riche que celle de la Consolation, et dont l'abbesse était mourante — comme en effet elle est morte un an après. — En façon que Madame de Livron, se voyant si bien traitée de ce prince son souverain s'apaisa facilement ; — vu d'ailleurs que de lui résister eût été malaisé — et lui promit de donner sa démission de la Consolation aussitôt qu'elle aurait ses Bulles de Rome pour Vergaville.

Cependant l'on faisait pressentir sous-main si les créanciers ne voudraient point faire quelque composition de leurs dettes, parce que les intérêts avaient presque triplé les sommes principales qui étaient déjà d'elles-mêmes assez fortes ; et on les trouva très disposés à le faire, même avec joie, parce qu'ils désespéraient quasi d'être jamais payés ; vu qu'ils n'avaient pas d'autres biens sur quoi se venger, que le monastère qu'il fallait faire vendre : ce qui était d'un très difficile recours parce que Son Altesse, comme Fondateur, s'y opposait et avait la puissance en mains pour l'empêcher. D'autre part les religieuses encore y formaient opposition pour les dots qu'elles avaient apportées.

Comme cela les choses prenant du côté des créanciers une bien meilleure face qu'elles n'avaient pas paru dans les commencements, et Madame de Livron ayant obtenu ses Bulles pour Vergaville au mois de juin de la même année 1668, notre Révérende Mère, qui était ponctuellement avertie de tout ce qui se passait, commença de disposer ses affaires pour partir à la Toussaint pour Nancy, — Madame ne cessant de l'en venir solliciter — ; mais sa mauvaise santé l'en empêcha en ce temps-là, et fit renvoyer le départ jusqu'aux fêtes de Noël suivantes.

Mais, en attendant, le Révérend Père Prieur lui expédia son obédience pour ce voyage, datée du 10ème décembre 1668, et Madame ses Lettres Patentes du 18ème du même mois — desquelles nous allons mettre à la suite — et lui fit toucher une somme de dix mille francs : ou pour les frais de son voyage ou pour les faux frais qu'il fallait nécessairement faire en entrant dans l'abbaye, comme : de faire habiller toutes les religieuses à notre façon, et mettre leurs dortoirs en cellules selon notre usage, et plusieurs autres très urgentes nécessités qui ne manquaient pas de se rencontrer dans cette délabrée maison.

Et le 23ème du même mois la communauté de céans passa procuration à notre Révérende Mère pour accepter l'union de cette abbaye toute puissante, pour gérer en notre nom partout où besoin serait pour les affaires de la congrégation, comme firent aussi nos maisons de Remberviller et de Toul.

FRÈRE ANTHOINE ESPINASSE, humble Prieur de l'Abbaye de Saint-Germain des Prés lès Paris, Ordre de Saint Benoît, Congrégation de Saint Maur, dépendant immédiatement du saint Siège Apostolique, et Vicaire général de la dite Abbaye, le siège Abbatial vacant,

A la Révérende Mère Catherine Mectilde du Saint Sacrement supérieure des religieuses Bénédictines du monastère du Saint Sacrement, sis dans le ressort de la juridiction spirituelle de la dite abbaye,

Salut en Notre Seigneur.

Etant obligée nécessairement de vous transporter en Lorraine pour les affaires présentes de votre congrégation, et pour pourvoir aux besoins des monastères de votre Institut, et spécialement à l'agrégation à votre dite congrégation du Saint Sacrement, du monastère de Notre-Dame de Consolation, Ordre de Saint Benoît, sis dans la ville de Nancy, que les religieuses du dit monastère demandent et prétendent faire, ainsi que vous nous avez remontré,

A CES CAUSES, et étant bien et dûment informé de votre bonne conduite dans la vie religieuse, et fidélité dans la foi catholique apostolique et romaine, nous vous avons permis, et par ces présentes

CATHERINE DE BAR

permettons, de vous transporter en Lorraine pour y pourvoir aux besoins des monastères de votre Institut et spécialement pour vaquer à l'agrégation [à] votre congrégation du Saint Sacrement du monastère de Notre-Dame de Consolation, Ordre de Saint Benoît, sis dans la ville de Nancy. Et à cet effet vous donnons pouvoir de faire traiter : concords, transactions, et passer tous contrats que vous jugerez nécessaires ; le tout du consentement de tous ceux à qui il appartiendra.

Et pour vous accompagner dans le dit voyage, nous vous avons désigné la soeur Marie Anne du Saint Sacrement, religieuse professe de votre dit monastère, et un ecclésiastique dont la probité nous est connue.

Et vos affaires faites vous ferez vos diligences et serez tenue de revenir dans votre dit monastère incessamment.

Donné à Paris, dans l'Abbaye de Saint-Germain-des-Prés, sous notre scel et le signe de notre secrétaire, le 10ème jour de décembre 1668.

Ainsi signé : F. Antoine Espinasse (avec paraphe).

Et plus bas : F. Arsène Monseau, secrétaire (aussi avec paraphe). Avec le sceau des armes de la dite abbaye.

Nous, MARGUERITE DE LORRAINE, Duchesse Douairière d'Orléans,

Considéré la très humble requête ci-attachée, à nous faite par les religieuses : abbesse, prieure et convent du monastère de Notre-Dame de la Consolation, de l'Ordre de Saint Benoit, fondé en la ville de Nancy, par Sérénissime Princesse Madame Catherine de Lorraine, notre tante, d'heureuse mémoire ; de vouloir introduire en leur dit monastère et couvent l'Institut de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel, et pour cet effet, de les faire agréger et incorporer, sous le bon plaisir du saint Siège, à la congrégation des religieuses Bénédictines qui en font une particulière profession,

DÉSIRANT contribuer de tout notre pouvoir à l'entérinement de la dite requête, et favoriser dans nos grâces spéciales le dit monastère de la Consolation, et faire goûter aux religieuses d'icelui les effets avantageux de leurs pieux désirs, POUR CES CAUSES, et autres importantes considérations, sous l'agrément de Son Altesse de Lorraine, mon très honoré frère, que je le supplie de le vouloir donner comme étant Fondateur du dit monastère conjointement avec nous, AVONS prié et exhorté la Révérende Mère Soeur Mectilde du Saint Sacrement, présentement Prieure du monastère des religieuses bénédictines de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel, en cette ville de Paris, et Supérieure des monastères de la dite Congrégation, de se transporter en la dite Abbaye de Notre-Dame de la Consolation à Nancy, pour faire la dite union et agrégation d'icelle abbaye à la dite Congrégation, y établir les Constitutions et Règle d'icelle, et faire toutes les autres choses requises et convenables pour l'entière perfection de ce pieux et louable dessein. Lui donnant, en tant que besoin est ou serait, tout notre pouvoir et autorité en la dite qualité de Fondatrice du dit monastère de la Consolation. Et prions la dite Altesse mon frère, de lui donner aussi son consentement, et même d'interposer son autorité, si besoin est, pour faire réussir et donner l'achèvement à cette union et agrégation, qui ne peut être qu'avantageuse pour le bien spirituel et temporel du dit monastère de la Consolation, et procurer davantage la plus grande gloire de Dieu et l'édification du prochain.

C'est pourquoi NOUS PRIONS et exhortons en outre, tous ceux à qui il appartiendra d'y contribuer, chacun à leur égard, de leur pouvoir et autorité. Et exhortons particulièrement les supérieurs et religieuses du dit monastère de la Consolation, de recevoir et agréer tout ce qui sera fait et réglé par la dite Révérende Mère Mectilde, Supérieure de la dite Congrégation, pour leur consolation commune et la

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LETTRES PATENTES

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nôtre, qui n'est que de leur procurer un plus grand bien, après la gloire de Dieu que je prie de faire réussir le tout pour le mieux ; et me recommande aussi à leurs saintes prières.

Donné à notre Palais d'Orléans, à Paris, sous notre signe et le sceau de nos armes, et fait contresigner par notre secrétaire, le 18 décembre 1668.

Signé : Marguerite de Lorraine.

scellé de sceau en placart des armes de la dite Dame Marguerite de Lorraine, Duchesse et Douairière d'Orléans, et contresigné : Desprez (avec paraphe).

***

Donc, le 26ème [de décembre] 1668, seconde fête de Noël (29), notre très digne et très chère Mère partit de la maison de Paris pour Nancy en carosse, accompagnée de la Mère Anne du Saint Sacrement, d'une séculière, d'un homme à cheval et d'un homme de pied, après avoir été prendre congé de Son Altesse Royale en son Palais d'Orléans, qui voulut à toutes forces lui faire l'honneur de lui donner un de ses carosses avec un de ses écuyers pour la conduire jusqu'à la première traite.

Et prit la route de Toul pour y visiter en passant notre maison, et donner la consolation à nos Mères de ce lieu-là de jouir quelques jours de son aimable et profitable présence. Mais Dieu la retint en ce lieu plus qu'elle ne s'était proposé, car elle n'y fut pas arrivée que le Roi envoya déclarer la guerre à Son Altesse de Lorraine, parce qu'il ne voulait pas désarmer contre le Comte Palatin, quoique sa Majesté — qui s'était rendue l'arbitre de leurs différends — eût pu faire pendant quelques mois pour l'obliger à cela. De sorte que tous les chemins se trouvant couverts de troupe que le Roi envoya incontinent en ce pays-là, Notre Mère se vit contrainte de demeurer à Toul plus d'un mois pour les laisser filer.

Mais tout ce temps-là ne fut pas perdu pourtant pour l'affaire qui l'amenait, car Monsieur de Lorraine lui fit expédier ce pendant les Lettres Patentes pour cette union, le 15ème jour du mois de janvier 1669, qui furent enregistrées en son Conseil Souverain au Parlement de Lorraine le même jour ; si fort ce pieux Prince avait à coeur la bonne oeuvre, que les affaires publiques de son Etat, — aussi importantes comme était celle de la guerre, — n'étaient pas capables de lui en faire perdre le souvenir (30).

(29) La seconde fête signifie probablement le premier jour dans l'octave.

(30) Lire : ce pieux prince avait si fort à coeur cette bonne oeuvre que les affaires publiques de son état, aussi importante que fut celle de cette guerre, n'étaient pas capables...

Et comme il fit bientôt après ce que le Roi voulut, les troupes se retirèrent, et Notre Mère eut les passages libres pour s'acheminer à Remberviller.

Toutefois avant que d'y aller, elle fit un tour jusqu'à Nancy pour saluer la dite Altesse, et jetter la vue en passant sur la maison qu'on lui proposait d'unir. Mais elle n'y voulut pas arrêter plus de cinq à six jours ; encore ne voulut-elle pas loger dans l'abbaye, parce que les affaires n'étaient pas réglées. Seulement elle y entra une fois, et y fut reçue avec tous les honneurs dont ces bonnes religieuses purent s'aviser, jusqu'à lui présenter la crosse d'abbesse, qu'elle refusa bien vite.

Et, avant cela, elle avait été saluer leurs Altesses, dans leur Palais, où elle avait reçu tous les honneurs qui se peuvent imaginer. Monsieur de Lorraine ayant envoyé au devant d'elle un des officiers de ses gardes, jusqu'au bas d'une petite montée du Palais par laquelle il voulut qu'elle passât, parce qu'il crut qu'elle aurait de la répugnance d'être vue de ce grand monde qu'elle aurait rencontré sur le principal escalier.

Même comme elle se mit à genoux devant lui par respect, il la releva avec tant de promptitude qu'il sembla être choqué de cette soumission si grande ; et puis, il l'entretint tout à fait gracieusement, quoique lors la consternation fût grande en cette Cour, à cause de la guerre, et puis lui donna congé.

Notre Mère fut accompagnée en sa visite par Messieurs les abbés de Saint-Michel et d'Estival, et par les Mères Anne du Saint Sacrement et Sainte Magdeleine, Prieure de Toul.

Puis elle s'en retourna à Toul, et de Toul, avec une nouvelle obédience du Prélat de ce lieu — comme l'un des supérieurs de notre congrégation et encore comme évêque de Nancy —, elle prit le chemin de Remberviller où elle arriva le 3ème de février ; parce que cette affaire de Nancy, qui lui avait semblé de loin ne recevoir plus de difficultés, s'en trouvant avoir encore de grandes, elle ne jugea pas à propos de les aller discuter dans la maison même dont il s'agissait ; voulant très prudemment se conserver libre en se tenant à Remberviller — qui n'est pas fort loin de Nancy, — pour disputer plus honnêtement les choses jusqu'à ce que le tout fût réglé.

Ainsi elle se rendit dans notre maison de Remberviller, et y demeura jusqu'à ce qu'elle put retourner pour tout de bon à Nancy.

La plus grande difficulté, et qui accrochait le plus l'affaire, était que Madame de Livron n'avait pas encore ses Bulles pour Verga-ville, quoiqu'elles fussent données dès le mois de juin précédent comme nous venons de dire. Mais : ou l'argent lui avait manqué pour les faire expédier, ou bien elle le faisait à dessein, se figurant que, pour l'envie que Son Altesse ou nous-mêmes, aurions que notre affaire s'achevât, nous donnerions l'argent qu'il fallait pour cela ; si bien qu'elle refusait sa démission jusqu'à ce qu'elle les eût en mains.

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Outre cette difficulté, elle avait bien des affaires à régler avec les religieuses de la Consolation, tant pour certains biens que Madame d'Araucourt, sa soeur, avait donnés là-dedans — qu'il fallait rendre, — que pour les dettes qu'elle même avait faites, que la maison ne voulait pas supporter parce qu'elles soutenaient ne lui avoir pas donné pouvoir de les obliger. Et il fallait nécessairement que tout cela fût réglé devant que Notre Mère put venir prendre possession.

Cependant Madame de Livron ne se hâtait pas, espérant toujours que le grand besoin qu'on avait d'elle — à cause de sa démission ferait qu'on lui passerait toutes choses comme elle voudrait. Mais on n'avait eu garde d'informer Notre Mère Prieure de toutes ces choses avant son départ de Paris, tant on avait envie de l'attirer en ce pays-là ; et comme elle-même n'avait garde non plus de se mêler de ce détail, il fallut qu'elle attendit à Remberviller qu'il fut réglé.

Comme cela elle n'en partit que le 19ème de mars, après qu'elle en eut nouvelle que toutes choses étaient arrêtées et les paroles données ; et arriva à Nancy le 20ème, qui était la veille de la fête de notre glorieux Père Saint Benoît.

Elle y fut reçue des religieuses avec tout le même empressement, plus grand encore s'il est possible, que l'autre fois ; et d'abord elles se rangèrent à notre façon de vivre, mangeant deux fois le jour comme nous, et se conformant à nous en tout, comme se tenant suffisamment dispensées de leur première méthode par la Bulle de Monseigneur le Légat que Notre Mère leur apporta. Car, comme l'uniformité en toutes choses est absolument nécessaire en nos maisons, nous ne voulûmes pas accepter l'union de celle-là qu'à cette condition qu'elles vivraient à notre manière ; comme ne suffisant pas qu'elles fussent de notre Ordre, si elles ne prenaient encore nos Constitutions, de façon qu'il fallut avoir recours au remède d'une Bulle pour les dispenser de leurs anciennes façons, au cas qu'elles en eussent scrupule. Mais pas une d'elles ne fit difficulté d'obéir à la Bulle, et Notre Mère la leur laissa en original.

Cette même Bulle porte aussi l'extinction du titre d'abbesse, et l'union à nous.

Mais le Parlement de Lorraine ne la voulut pas recevoir par jalousie d'Etat, parce qu'elle était émanée d'un Légat venu exprès pour la France, et dont les pouvoirs et facultés n'avaient été vérifiés que par le Parlement de Paris.

A cette fois elle ne fut pas saluer leurs Altesses en leur palais devant que de s'enfermer, parce qu'elle s'était acquittée de ce devoir à son premier voyage, il y avait peu de temps, comme nous venons de dire.

Mais Monsieur de Lorraine la fut visiter le jour de Pâques suivant ; et Madame, avec les princesses de Vaudémont et de Lisbonne y furent aussi peu après, avec mille et mille démonstrations d'estime et d'amitié.

Cependant notre Révérende Mère s'appliquait efficacement à procurer la diligente exécution de ce qui avait été arrêté. Madame de Livron, venue à Nancy exprès, donna le 26ème de mars sa démission de l'abbaye en faveur des religieuses de la Consolation, pour en faire et disposer de qui et comme bon leur semblerait ; et le même jour elle passa un autre Acte, par devant un Conseiller d'Etat de son Altesse et Maître des Requêtes ordinaires de son Hôtel, nommé Monsieur Nicolas Thomas, par lequel elle déclare encore, aux mêmes termes, et encore plus forts s'il est possible, qu'elle ne prétend rien du tout à cette abbaye ni directement ni indirectement, ni aux principaux, ni aux revenus, mais s'en démet de nouveau en tant que besoin serait, en faveur des mêmes religieuses de la Consolation.

Ayant ainsi réitéré cette démission (sur ce qu')elle requit ce Conseiller d'Etat de la mettre en possession de la Coadjutorerie de Vergaville, sur l'Ordonnance qu'elle en avait obtenue de Son Altesse, du mois de février précédent, en suite de ses Bulles qu'elle avait reçues de Rome — et la dite Altesse avait commis par sa requête ce Monsieur Nicolas Thomas — Si bien que, comme elle ne pouvait prendre cette possession sans renoncer absolument à son autre bénéfice, ce fut le sujet pour lequel elle réitéra ainsi la démission qu'elle venait d'en faire par devant un Notaire Apostolique de Nancy.

Et deux jours après, savoir le 28ème du même mois de mars, cette nouvelle Coadjutrice termina par transaction tous les différends qu'elle avait avec les religieuses de la Consolation.

Mais notre Révérende Mère n'y intervint point, parce que tout cela ne nous regardait point ; vu d'ailleurs qu'elle n'avait pas encore pris possession du monastère.

Le premier avril suivant, la Mère Catherine Rolin, de Sainte-Agnès, élue comme nous avons dit pour abbesse, par le commandement absolu de Monsieur de Lorraine, fit semblable Acte de démission de sa supériorité et de tout le droit qu'elle pouvait avoir en cette abbaye, en faveur de notre Institut et Congrégation, notre Révérende Mère l'acceptant en vertu des procurations que nos trois maisons de Paris, de Toul et de Remberviller lui avaient passées pour cela.

En suite duquel, le lendemain, arrêt fut rendu au Conseil de Son Altesse, portant permission à notre Révérende Mère de se mettre en possession de l'Abbaye, comme elle fit le Sème [du même mois] par devant le même M. Nicolas Thomas, Commissaire, député en cette partie. De quoi il dressa son procès-verbal par les formes ; et dans l'instant, notre Révérende Mère s'étant rendue au choeur des religieuses et étant installée dans la chaire de l'Abbesse ou Supérieure, tenant une image de la Sainte Vierge en ses mains, toutes La furent reconnaître pour Abbesse par les soumissions ordinaires en pareilles occasions, en baisant les mains et les pieds de l'image qu'elle tenait ; et après le Te Deum fut chanté.

De laquelle reconnaissance il en fut fait acte particulier par Petit Jean, Notaire et Tabellion du dit Nancy. Et ensuite il fut procédé

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incessamment à l'inventaire des meubles meublants, biens et effets, papiers et titres de la maison, selon qu'ils se sont trouvés, la Mère Agnès les délivrant et Notre Mère les recevant ; comme aussi on fit la dépèche de Rome pour l'extinction du titre de l'Abbaye, que Son Altesse appuya de beaucoup de lettres, qu'il écrivit pour cela aux personnes à qui il en fallait écrire, et chargea son agent à Rome de la poursuivre en son nom.

De plus les contrats de prix faits furent donnés pour travailler au bâtiment de l'église, où l'on commença de travailler ; et l'on fit fondre quatre cloches pour qu'il y eût de l'uniformité en toutes choses entre toutes nos maisons.

Et Notre très digne Mère appela, ou de Paris ou de Remberviller ou de Toul, jusqu'à huit de nos religieuses, sans la compter ni la Mère Anne du Saint-Sacrement.

Ainsi dès le commencement toutes choses se trouvèrent dans cette maison en un état non moins parfait que si c'eût été une maison faite depuis longtemps, car les religieuses de là-dedans s'étant volontairement jointes à nous, il y eut de quoi remplir toutes les heures du jour et de la nuit pour l'adoration, et de quoi soutenir le choeur de nos chants ordinaires avec édification.

Enfin : tout fut mis en très bon ordre par [notre] Révérende Mère avant qu'elle partit de là ; ce qu'elle ne fit qu'au bout de trois mois, après y avoir établi une Supérieure très capable de maintenir ce bon ordre. C'est notre Révérende Mère Bernardine de la Conception qui est demeurée pour Prieure, et la Mère Anne de Montigny de Saint-Joseph, — l'une des deux venues de Paris —, pour sa Sous-Prieure et Maîtresse des Novices.

Le jeudi treizième jour du même mois d'avril 1669, pour la première fois, nos Mères firent exposer le Saint Sacrement à notre façon ordinaire ; où se trouvèrent les Princes, avec un si grand concours de peuple que c'était chose admirable à voir ; tout le monde applaudissant à merveille à cette dévotion et témoignant un respect extrême pour notre Institut.

Aussi Notre Mère fut visitée généralement de toutes les personnes de marque de Nancy, et de la part de tous les Corps Religieux, et d'hommes et de filles, à l'envi, en ayant reçu tous les honneurs qu'on aurait pu faire à une princesse.

Le peuple surtout était charmé de se voir si bien payé de ce qu'il faisait pour la maison, de laquelle il y avait si longtemps qu'il ne (se) voyait point du tout sortir d'argent. Mais si le peuple était touché de cette joie, les créanciers que l'on commença de payer le furent bien davantage.

Quoique tout alla ainsi extrêmement bien dans cette maison, pourtant notre Révérende Mère voyait assez que, pour la mettre à son aise, il ne suffisait pas que les bâtiments s'avançâssent ni que les dettes se payassent, et qu'il fallait du revenu pour nourrir les reli gieuses. Cependant tout le fond qu'elle avait s'épuisait à ces deux choses ; si bien que, fort prudemment, elle fit connaître sa pensée à Madame la comtesse, qui, secondant toujours son zèle en toutes choses, ne manqua pas d'entrer dans son sentiment et proposa de leur appliquer les quinze mille francs qui restaient des vingt-quatre mille de la Fondation de Rouen qui n'avait pas réussi. Les sept mille pour faire la somme entière des vingt-quatre mille livres ayant été appliqués à la Fondation de Toul.

Et Notre Mère ayant goûté sa pensée, cette bonne dame, à qui la liberté était auparavant demeurée de faire cette application du consentement de la Communauté de céans par acte capitulaire au mois de décembre 1668, passa un acte de déclaration de sa main au profit de cette maison de Nancy, qu'elle leur appliquait cette somme de quinze mille livres et y en ajouta encore trois mille du sien, ayant envoyé le tout à Notre Mère en ce pays-là devant qu'elle s'en revint. Cet acte est du 29ème de mai 1669, et fut accepté par cette même communauté avec mille joies. Aussi c'est un grand secours, car cette somme est destinée pour leur acheter des fonds et héritages pour leur subsistance ; c'est-à-dire que pour cette somme de dix-huit mille livres, elles auront des terres et seigneuries de ce pays-là.

Pendant le séjour de notre Révérende Mère à Nancy elle fut honorée des fréquentes visites de Monsieur et de Madame de Lorraine, et des princes et princesses qui la venaient voir fort souvent ; et pour la voir plus à leur aise ils entraient dans le monastère. Surtout Son Altesse prenait plaisir de l'entretenir seul à seule, des heures entières, de ses plus intimes affaires ; témoignant au reste une très grande approbation et estime de tout ce qu'il voyait faire dans la maison, et une joie tout à fait grande de la voir si bien rétablie.

Il avait de la peine même, à consentir que Notre Mère s'en revint ; et quand elle fut prendre congé de lui pour partir, il lui fit tous les honneurs imaginables, la faisant asseoir à ses côtés et quittant son fauteuil pour se mettre sur un siège égal au sien, où il l'entretint plus d'une heure. Et après, il lui donna un de ses carosses pour la mener jusqu'à Paris, et quatre de ses gardes l'accompagnèrent jusque sur la frontière de ses Etats.

Ainsi notre Révérende Mère partit de la maison de Nancy le 7ème juillet 1669 pour revenir à Paris.

Mais son chemin s'adressant [passant] par Commercy elle se crut obligée d'aller saluer en passant Monseigneur le Cardinal de Retz (31)

(31) Paul de Gondi fit de solides études au collège de Clermont et conquiert le bonnet de docteur en théologie en Sorbonne. C'est un élève brillant qui couvre de sa science une vie licencieuse et une ambition dévorante. Il eut pour précepteur Vincent de Paul et fit sa retraite d'ordination à Saint-Lazare. Il suivait assidûment les conférences données par Vincent de Paul aux prêtres les plus zélés de Paris, en sorte que son saint précepteur se laissa prendre lui-même à la dévotion apparente du jeune Gondi. Coadjuteur de son oncle Jean-François de Gondi, archevêque de Paris depuis 1643, il soutient le clergé contre Mazarin

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qui y fait sa demeure ordinaire comme principal seigneur du lieu, car elle en était déjà connue. Et cette Eminence la reçut merveilleusement, avec des honneurs tout à fait grands, l'ayant fait asseoir auprès de lui pendant la visite qui dura plus d'une heure, dans un fauteuil comme le sien, et lui fit instance extraordinaire pour y coucher.

Mais Monsieur des Armoises, co-seigneur de ce même lieu, ancien ami de Notre Mère, l'emporta, et obtint de la mener coucher dans son château qui est au bout de la même ville.

Toutefois cette même Eminence lui donna le lendemain son carosse en relais pour jusqu'à huit lieues de là, où le carosse de Son Altesse qui les menait les étaient allé attendre pendant le temps qu'elles s'arrêtèrent à Commercy, pour être plus frais le lendemain.

Puis Notre Mère prit la route de Notre-Dame de Liesse (32), par Châlons, Reims et Laon, pour une dévotion qu'elle y avait.

Et arriva à Paris le 18ème de juillet, Madame la comtesse lui étant allée au devant jusqu'à Notre-Dame des Anges (33) et l'amena

et devient en 1648 chef incontesté de la Fronde « maître du pavé de Paris ». S'il chercha à se concilier les pieux solitaires de Port-Royal c'est afin de renforcer le côté dévot de son personnage et pour se faire des alliés contre la cour. Il est créé cardinal au consistoire du 18 février 1652 malgré l'opposition violente de Mazarin ; • cependant ses intrigues l'entraînent si loin que le tout-puissant ministre le fait arrêter au Louvre le 19 décembre 1652. Les curés de Paris, jansénistes en très grand nombre firent faire des prières publiques pour obtenir sa libération. A la mort de son oncle en cette même année 1652, il devient, bien qu'incarcéré, archevêque de Paris et il semble bien jouir de l'attachement d'une grande partie du clergé parisien ainsi que de certains milieux dévots. Evadé de la prison de Nantes où il avait été transféré, il sera exilé 6 ans ; errant de Rome à la Hollande et l'Angleterre. Le let juin 1655 Alexandre VII lui accorde le palium. Enfin, las des complots et des intrigues, déconsidéré en cour de Rome, il accepte de remettre sa démission d'archevêque de Paris, à Louis XIV, en 1662. Il se retire alors à Commercy dans la seigneurie qui lui vient de sa mère Marguerite de Silly. Il y vécut fastueusement, entretenant une ménagerie dans un parc magnifique. Très cultivé, il possédait une bible en 4 langues : italien, latin, grec, hébreu, qu'il lisait aussi facilement les unes que les autres. Il recevait beaucoup, le roi Louis XIV s'arrêta lui-même à Commercy. L'abbé de Saint-Mihiel, Dom Hennezon, mort en 1689, était devenu un familier du cardinal, il eut sur ce dernier une influence profonde et très heureuse. Rancé, le réformateur de la Trappe resta en correspondance avec lui après l'avoir visité à Commercy. Il meurt assisté par dom Hennezon le 24 août 1679.

(32) Le pélerinage semble commencer vers le début du xlle siècle. Les rois Louis XIII et Louis XIV y feront plusieurs visites. C'était un pélerinage marial très fréquenté et très fervent, il dépendait du chapitre de la cathédrale de Laon. Nous retrouvons une congrégation de pieux laïques, associés à Notre-Dame de Liesse, à Paris et ayant leur centre au monastère des bénédictines réfugiées de Rethel et installées rue du Vieux-Colombier. Dom Ignace Philibert, prieur de Saint-Germain-des-Prés a autorisé cette confrérie en 1662 (cf. note 10, p. 88). Cette association deviendra si florissante que l'archevêque de Paris, Mgr de Harlay devra la scinder en deux et établir le siège d'une seconde congrégation en la paroisse Saint-Sulpice, en 1672. Villette, Histoire de Notre-Dame de Liesse, Laon, chez F. Meunier, 1728.

(33) A 3 km de Livry-Gargan (Seine-et-Marne) autrefois Livry-en-Aulnois se trouve une petite chapelle dédiée à Notre-Dame des Anges. Bâtie en reconnaissance pour la protection que Marie avait accordée à trois marchands attaqués par des bandits en forêt de Bondy en 1212 elle devint un lieu de pèlerinage assez fréquenté. Détruite sous la Révolution, elle est réédifiée en 1808, agrandie en 1864 par les soins de Mgr Dupanloup. Cette chapelle existe toujours. Guide religieux de la France, Hachette 1967. coucher à Montmartre, pour satisfaire Madame l'Abbesse et toute la Communauté qui le désiraient ardemment.

En suite de quoi, le lendemain 19ème, nous eûmes le bonheur de la recevoir dans sa chère maison de Paris, après qu'elle eût été une couple d'heures auprès de Son Altesse Royale, en son Palais, lui rendre compte de son voyage en lui allant rendre ses très humbles respects. Mais comme elle affecte toujours de fuir l'éclat et la pompe, elle ménagea si bien le temps, en consummant le reste de sa journée à la visite de quelques maisons religieuses de nos amies, qu'elle ne put arriver en son monastère qu'à l'entrée de la nuit, parce qu'elle était avertie que nous nous préparions à lui faire une réception conforme à l'excès de la joie que nous avions de la revoir.

lc.

LETTRES PATENTES DE SON ALTESSE DE LORRAINE

POUR NANCY

CHARLES par la grâce de Dieu Duc de Lorraine, Marquis Duc de Calabre, Bar, Gueldres, Marquis du Pont à Mousson et de Nomény, Comte de Provence, Vaudemont, Blasmont, Zutphen, Saruvenden, Salm, etc.

A tous ceux qui ces présentes verront : Salut.

Sur ce qui nous a été représenté de la part des Abbesse, Prieure, religieuses et convent du monastère de Notre-Dame de la Consolation, de l'Ordre de Saint-Benoit, fondé en notre ville de Nancy par feu notre très chère et très aimée tante, Madame Catherine de Lorraine, Princesse et Abbesse de Remiremont,

que : la Révérende Mère Mectilde du Saint Sacrement, religieuse Bénédictine de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel, en la ville de Paris, et Supérieure des monastères de la dite Congrégation, NOUS AYANT présenté requête le 8ème mai dernier, à ce qu'il nous plut consentir et agréer l'union qu'elle tâche de procurer de la dite abbaye et couvent de Notre-Dame de la Consolation, à la Congrégation de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel, nous aurions bon de renvoyer la dite requête à notre très chère et très aimée soeur, Madame la Duchesse Douairière d'Orléans, Fondatrice, conjointement avec nous, de la dite abbaye de la Consolation, afin d'apporter et disposer les choses nécessaires à la dite union, pour l'exécution de quoi nous avions promis de faire expédier nos Lettres Patentes à ce convenable.

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En suite duquel renvoi, la dite Dame Duchesse Douairière d'Orléans avait donné ses Lettres Patentes le 18ème décembre en suivant ; par lesquelles elle déclare que, souhaitant contribuer de tout son pouvoir à la dite union et de favoriser [de] sa grâce spéciale le dit monastère de la Consolation, et [faire] connaître aux religieuses d'icelui les effets avantageux de leur pieux dessein ; elle aurait exhorté la dite Mère Mectilde du Saint Sacrement de se transporter en ce lieu de Nancy, pour faire avancer la dite union et agrégation d'icelle Abbaye à la dite Congrégation des religieuses Bénédictines de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel ; et y établir, sous notre bon plaisir, les règles et constitutions d'icelle, et faire toutes les choses requises pour l'entière perfection de ce pieux et louable dessein.

Nous priant aussi de donner notre consentement, et même d'interposer notre autorité pour le faire réussir et lui donner l'achèvement. A quoi inclinant favorablement, et désirant avec zèle et affection seconder les dévotes et louables intentions de notre très chère et très aimée soeur Madame la Duchesse Douairière d'Orléans, considérant d'ailleurs que cette incorporation sera avantageuse à la gloire de Dieu et à l'édification des peuples ; que, même, le revenu de la dite Abbaye de la Consolation était fort modique, il est nécessaire de les secourir et de leur donner moyen de subsister avec plus de facilité, NOUS, POUR CES CAUSES et autres bonnes considérations à ce nous mouvant, AVONS consenti, agréé et permis, consentons, agréons et permettons à la dite Mère Mectilde du Saint Sacrement de faire les poursuites en la meilleure forme et manière que faire se pourra, pour parvenir à l'union et incorporation de l'Abbaye de Notre-Dame de la Consolation de Nancy à la Congrégation des religieuses Bénédictines de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel ; à charge et condition que le dit monastère du Saint Sacrement demeurera dans la dépendance et soumission immédiate du Saint Siège, ainsi et comme il est porté dans l'établissement et fondation du dit monastère de la Consolation.

VOULONS en outre que les mêmes religieuses jouissent des mêmes franchises, privilèges, immunités, honneurs et grâces que les autres couvents, monastères et abbayes de maisons ducales.

Sy donnons et mandons à nos très chers et féaux : les Présidents et Conseillers de notre Cour Souveraine de Lorraine et Barrois, Conseillers et Présidents et gens tenant notre Chambre des Comptes de Lorraine, Bailli de Nancy, Procureur Général, leurs lieutenants et substituts, et tous autres : nos officiers et justiciers qu'il appartiendra, que, de l'effet des présentes, ils fassent et souffrent jouir les dites religieuses pleinement et paisiblement, sans leur faire mettre ou donner, ni souffrir leur être fait, mis ou donné, aucun trouble ou empêchement au contraire.

CAR AINSI NOUS PLAIT.

En foi de quoi nous avons aux présentes signé de notre main, et contresigné par l'un de nos Conseillers Secrétaire d'Etat, Commandements et Finances. Fait mettre et appendre notre grand scel.

DONNÉ A NANCY le 15ème janvier 1669. Signé : CHARLES.

et sur le repli : « par Son Altesse » Mengin (avec paraphe) et plus bas : Regta Cordier (aussi avec paraphe) et scellé du Grand Scel de Son Altesse (en cire rouge).

le*

Aux dites Lettres est annexé l'arrêt d'entérinement de la Cour Souveraine de Lorraine et Barrois, en la forme qui s'en suit :

CHARLES, par la grâce de Dieu Duc de Lorraine, Marquis Duc de Calabre, Bar, Gueldre, Marquis du Pont à Mousson et de Nomény, Comte de Provence, Vaudemont, Blasmont, Zutphen, Saruvenden, Salm, etc.

A tous ceux qui ces présentes verront : Salut.

Savoir faisons que, vu par notre Cour Souveraine de Lorraine et Barrois, la requête à elle présentée par les Abbesse, Prieure, religieuses et convent de Notre-Dame de la Consolation de notre ville de Nancy, contenant que, dans l'espérance qu'elles ont de prévenir à l'union et incorporation de la dite abbaye à la Congrégation des religieuses Bénédictines de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel, nous leur aurions octroyé les dites Patentes, par lesquelles nous consentons que la dite union ou incorporation se fasse, requérant à ce qu'elles soient homologuées et registrées pour y avoir recours au besoin ; le décret de notre dite Cour apposé à la dite requête, en date du 8ème du présent mois de février, portant qu'elles seraient communiquées à notre Procureur général, pour y dire et requérir ce qu'il trouverait au cas appartenir, nos dites Lettres Patentes d'agrément et consentement du 15 janvier dernier, et les conclusions du dit Procureur général, tout considéré :

NOTRE DITE COUR a entériné et entérine les dites Lettres Patentes selon leur forme et teneur ; ordonne qu'elles seront registrées au greffe d'icelle pour y avoir recours au cas de besoin, à charge de présenter à la dite Cour les Bulles d'union, lorsqu'elles auront été obtenues.

Et jusqu'à ce, ne pourront les impétrantes, jouir du bénéfice d'icelle.

Fait à Nancy, sous le Grand Scel de la dite Cour, le 16ème février 1669, et signé par la Cour : Cordier (avec paraphe) et scellé du Grand Scel de la Cour (en cire rouge).

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* *

Par le retour du carosse de Son Altesse — qui avait amené Notre Mère —, s'en alla à notre maison de Nancy : Soeur Anne de la Passion, novice de cette maison, née d'une des plus anciennes maisons de noblesse du Royaume, savoir la maison de Beuil (34).

Quoiqu'elle ait pris l'habit céans son attrait a toujours paru être pour nos maisons de Lorraine, faisant de grandes instances pour y être envoyée. Elle les renouvela si fort, quand elle vit la commodité de ce carosse et ce nouvel établissement de Nancy, qu'il fut impossible à Notre Révérende Mère de l'en plus éconduire.

Comme cela elle partit de céans pour Nancy au mois de juillet 1669, du consentement du marquis de Laval son oncle.

Elle apportera à cette maison, où elle prétend faire profession, de dix à douze mille écus de France de dot, ce qui ne contribuera pas mal à son parfait établissement.

Quelques mois après le retour de notre très digne Mère, Son Altesse Royale Madame Douairière l'étant venue visiter à son ordinaire, elle prit la liberté de lui remontrer qu'elle avait satisfait entièrement à toutes ses intentions par l'affaire qu'elle venait de consommer à Nancy ; que, cependant, elle ne laissait pas de se trouver encore chargée par un contrat public d'un autre établissement ; puisque par ce contrat de donation qu'il lui avait plu faire, pour ce sujet à cette maison, de la somme de dix mille écus, en 1664, il était dit que c'était aux conditions d'aller établir à Nancy une maison de l'Institut, la suppliant très humblement de vouloir déclarer là-dessus par écrit ce qu'elle avait déclaré verbalement quand elle nous avait proposé cette union ; savoir que : moyennant que nous y donnassions les mains, elle nous déchargerait de tout autre établissement, et appliquerait à cette maison les dix mille écus qu'elle avait destinés pour l'autre qu'elle avait dessein de faire.

Et Son Altesse Royale trouvant la demande de Notre Mère très juste ne fit point de difficulté de déclarer toutes ces choses par un nouveau contrat qu'elle passa avec nous le 19ème décembre année dernière 1669, qui a été insinué au Châtelet le 27ème février de cette même année 1670, portant que, se tenant pour satisfaite de cet établissement, elle nous décharge de tout autre, et applique à notre maison de Nancy cette somme de dix mille écus qu'elle déclare donner de nouveau ; et même en termes plus avantageux qu'elle n'avait

(34) La famille de Beuil est en effet une très illustre famille. Un ancêtre Jean de Beuil, comte de Sancerre, surnommé le Fléau des Anglais, était aux côtés de Jeanne d'Arc à Orléans et au sacre de Charles VII. Le marquis de Racan (Honorat de Beuil, peut-être le père de la soeur Anne) né en 1589 en Touraine, mort en 1670 ; d'abord officier dans l'armée du roi, se livre aux lettres ; devient ami de Malesherbes et membre de l'Académie Française dès sa fondation 1635. La maison de Laval remonte au lx° siècle et doit son nom à son origine : Laval en Mayenne. Le titre éteint au xIIIe est passé par mariage dans les maisons de : Montmorency, Retz, Chateaubriand, Luxembourg. Bouillet, D.H.G.

fait par la première, en ce qu'elle nous donne des préférences pour le paiement, qu'elle ne donnait pas ci-devant, et une somme de douze cents livres annuellement pour aliment aux religieuses, à cause que sa donation n'est payable qu'après sa mort, et que cependant nous aurions eu de la peine à soutenir la dépense de leur entretien.

Le premier jour de cette année, les mêmes religieuses de la maison de Nancy en renouvelant leurs voeux selon la règle de Saint Benoit ont fait avec nous le voeu de l'adoration perpétuelle, quoique le titre de l'abbaye ne soit pas encore éteint. Il est vrai qu'elles voient bien que c'est une chose infaillible puisqu'il n'y a que Monsieur de Lorraine d'intéressé en cette suppression, — à cause que la nomination de ce bénéfice lui appartient —, et c'est lui-même qui la demande. Ainsi il est infaillible qu'aussitôt que nous aurons un Pape cette suppression se fera.

* *

Voici la réponse de Notre Mère à la lettre que ces bonnes Mères lui écrivirent pour lui demander la permission de faire ce voeu. Elle est de grande édification.

LOUÉ SOIT LE TRÈS SAINT SACREMENT Ce 4 Xbre 1669

Je suis ravie, mes Révérendes et très chères Mères, que l'amour du Fils de Dieu dans l'auguste Eucharistie s'allume si avant dans vos coeurs qu'il vous presse de vous y consacrer en qualité de ses victimes pour lui rendre vos hommages jour et nuit, et vivre de son esprit d'hostie et de sacrifice.

J'ai une sensible joie que sa gloire soit augmentée par votre zèle et que vous tâchiez de nous en donner des marques.

Permettez-moi de vous supplier, mes très honorées Mères et très chères Soeurs, de bien poser le voeu que vous prétendez faire. Ce n'est pas assez qu'il vous engage à l'adoration perpétuelle, et qu'il vous incorpore à une Congrégation qui lui est consacrée, mais il faut prendre l'esprit de notre saint Institut.

Il faut travailler à la mort de nous-même pour n'être plus animées que de la vie de Jésus. Il faut lui demander incessamment de vivre désormais uniquement de lui et pour lui, comme il vit de son Père et pour son Père. Nous lui devons sacrifier tous nos désirs et nos affections. Nous devons même prendre à tâche de mourir aux inclinations de la nature et des sens et de n'agir plus par humeur naturelle.

Ce voeu de l'adoration perpétuelle doit être un renouvellement universel de toute votre vie et de toutes vos actions. Il doit opérer une nouvelle ferveur, un nouveau désir de perfection et surtout une fidélité inviolable.

Il renferme en soi celui de victime, qui vous oblige à soutenir jusqu'à l'épanchement de votre sang et la perte de votre vie, les

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intérêts de la gloire de Jésus en ce mystère d'amour ; mais ce n'est pas comme le commun des chrétiens qui se contentent de faire un peu honorer Notre Seigneur en faisant quelque oeuvre extérieure à sa gloire ; il faut, mes très chères Mères, que nous ayons un zèle ardent d'arracher de nos coeurs tout ce qui l'empêche de régner souverainement en nous et d'y avoir ses complaisances.

Ce n'est pas assez : il faut porter son amour dans les coeurs de ceux qui le profanent et contribuer à leur salut en réparant pour eux. Il faut même abréger [pour s'acquitter de] vos devoirs à cette auguste Eucharistie : que vous tendiez à une si haute pureté de coeur et d'opération que le Fils de Dieu trouve un supplément en nous, de gloire et de plaisir pour ce que les profanateurs de son divin Sacrement lui dénient par leurs crimes.

Il faut de plus qu'il n'y ait pas un respir en nous qui ne soit consacré à son honneur, nous persuadant bien sérieusement que nous n'avons plus aucun droit sur nous, ni de disposer de quoi que ce soit en nous.

Jésus par le voeu de victime rentre dans tous ses droits en nous ; et nous devons, de moment en moment, mourir pour lui dans les occasions de sacrifice, afin d'être en état de mourir uniquement pour sa gloire quand il lui plaira nous appeler au combat pour soutenir ses intérêts. Mais soyons certaines que nous ne les soutiendrons jamais par l'épanchement de notre sang que nous ne les ayons soutenus intérieurement en mourant à nous-même.

C'est en nous qu'il faut commencer de réparer la gloire de cet aimable Sauveur, c'est en nous qu'il faut premièrement établir son empire.

**

Nous allons à cette heure toucher certaines choses remarquables sur cette union, que nous avons triées de la matière générale que nous venons de déduire pour les mettre à part, parce que le sujet nous a semblé le demander tenant de l'extraordinaire.

Premièrement : nous remarquons la grande dévotion qu'avait cette Princesse Abbesse au Très Saint Sacrement de l'autel ; qui semblait être comme un signe que cette maison lui appartiendrait un jour, et que Dieu en faisait le choix dès lors, afin de la dédier à l'adoration perpétuelle.

Quand elle fit sa Congrégation de réformés, elle voulait déjà la faire nommer : la Congrégation du Saint Sacrement. Mais Dieu réservait ce glorieux titre à la nôtre et ne permit pas que cela fût, certaines considérations lui ayant fait changer de sentiment et la nommer : la Congrégation des réformés de l'étroite Observance.

De plus, elle obtint que l'on en ferait l'office tous les jeudis qui ne seraient pas occupés d'offices de douze leçons ; et on l'exposait [le Saint Sacrement] du côté des religieuses, où elle fit pour cela

préparer un lieu exprès avec une grande glace devant, où il demeurait tout le jour. Et après vêpres immédiatement, depuis l'Exaltation de la Sainte Croix jusqu'au Carême, la bénédiction s'y donnait au peuple ; et depuis le Carême jusqu'à l'Exaltation on la donnait après complies.

Les religieuses ce pendant, tour à tour, allant tout le long du jour passer une heure devant en adoration, suivant le rôle qu'en faisait Madame l'Abbesse. Et cette dévotion a continué 35 ans sans dessaisir et jusqu'au temps que nos Mères y sont allées, nonobstant les guerres et les autres mauvais temps.

Elle fit fondre de belles cloches, et fit mettre pour inscription sur la plus grosse : « Loué et adoré soit à jamais le Très Saint Sacrement de l'autel à la Consolation de Nancy ».

Mais ceci ne s'est découvert que par une espèce de merveille, car jusque là les religieuses même l'ignoraient absolument. Ce fut que cette cloche vint à tomber du haut du clocher, dans le plus fort que l'on parlait d'y envoyer nos Mères. La hauteur du lieu d'où elle tombait et sa propre pesanteur devaient avoir effondré tout ce qu'elle rencontrait en son chemin jusque sur la terre, cependant elle ne rompit qu'une poutre qui même n'était guère grosse, et s'arrêta sur un lambris de simples ais, attachés avec des clous, qui ne semblait pas capable de soutenir de plus petits fardeaux ; en sorte que .1a chose paraissant si merveilleuse qu'il semblait qu'une main invisible la soutenait, y attira toutes celles de la maison qui y accoururent avec bien des ouvriers appelés pour l'ôter, et lors on vint à lire avec étonnement — à cause de la rencontre de la venue de nos Mères —, cette inscription que nous disons ; la cloche ne s'étant arrêtée en cet état, ce semblait, que pour la faire lire et comme inviter nos Mères à y venir, leur disant que dès son commencement cette maison se trouvait dédiée à cet auguste Sacrement de nos autels.

Comme Madame de Remiremont passa par Besançon en 1634. s'en allant en Allemagne auprès de Madame l'Electrice sa soeur, elle y fit rencontre d'un très excellent religieux de l'Ordre de Cîteaux, nommé Dom Pierre Marmet, lequel vivait en odeur de sainteté ; et l'envoya à ses chères filles de Nancy pour prêcher le Carême pour les consoler de son absence.

Ce bon père étant un jour tout revêtu, dans la sacristie, pour aller dire la messe, comme il allait prendre le calice — ayant fait une élévation d'esprit en le prenant — il demeura ravi, les yeux au ciel et les mains jointes plus de trois quart d'heures durant, sans que jamais on put le faire revenir quoiqu'on le tira fortement par sa chasuble, et que l'on fit force bruit autour de lui pour cela même.

A la fin on fut contraint de congédier le peuple qui attendait et qui était venu au son de la cloche, leur disant que le prêtre [se] trouvait mal.

Et dans ce ravissement, — à ce qu'il avoua depuis avec une extrême peine, à la Mère Anne de Saint-Maur, lors Prieure, qui l'en

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pressait extraordinairement —, Dieu lui fit voir qu'il avait de grands desseins sur cette maison, qu'elle souffrirait beaucoup de misères et serait grandement persécutée, mais qu'au bout d'un temps, il y viendrait des religieuses, — comme un essaim d'abeilles —, qui y feraient des merveilles, et qu'une grande Dame leur ferait beaucoup de bien, en sorte que la maison aurait sujet de se nommer : la maison de la Providence.

La Mère de Saint-Maur l'ayant appris aux religieuses, elles le mirent en [un] mémoire qui se voit encore aujourd'hui. C'est une marque que ce n'était point chimère.

Ce bon père a prédit plusieurs autres choses à diverses personnes, qui leur sont arrivées.

Toute la même chose que celle que nous venons de dire fut dite en songe à Renée Imblot, tourière de dehors au monastère de la Consolation, qui était une sainte fille, laquelle s'en découvrit à la Mère Anne de la Croix, tourière du dedans, ajoutant de plus : « Vous, ma Mère, serez de celles qui verront ces religieuses, mais toutes ne les verront pas ».

En effet, cette Mère de la Croix a vu nos Mères car elle est encore vivante, et est l'une des plus ferventes pour notre Institut, comme aussi il en est mort [un] très grand nombre dans les 35 ans qui se sont écoulées depuis ce songe mystérieux. C'est de cette même Mère qu'on a appris ce fait-là.

Cette bonne fille n'était pas un songe-creux. En voici encore deux preuves bien évidentes, puisque les événements répondant à ses visions ne laissent pas lieu de douter de leur vérité ; et ceux-ci autorisent cet autre qui nous regarde.

Elle vit en songe quand Monsieur de Lorraine fut délivré du plus grand péril où il s'est jamais trouvé engagé. Ce fut lorsqu'il alla avec son armée au secours de la ville de Brisach en Alsace, que le duc de Vaymard avec l'armée suédoise assiégeait ; car cette Altesse ayant été trahie, se trouva tellement investie de toutes parts par les ennemis que, naturellement, il ne pouvait échapper d'être tué ou d'être pris. Néanmoins il se sauva heureusement et ne fut point blessé.

Mais, dans cette extrémité, Marie Imblot qui venait de se coucher, — car c'était sur les huit heures du soir, — le voyant en esprit, fut entendue par sa compagne crier avec grande angoisse : « Non, il ne sera pas tué, il ne sera pas tué ! » ce qu'elle répétait toujours. Et comme on l'eût éveillée à force de lui corner aux oreilles, elle en témoigna une extrême douleur, disant qu'on lui avait empêché de voir la plus belle chose du monde, et déduisit [raconta] tout au long aux religieuses, le lendemain, qu'elle voyait la Sainte Vierge, d'une beauté ravissante, vêtue d'un manteau d'un bleu céleste, qui voltigeait comme en l'air sur la ville, et qu'elle conservait Son Altesse, détournant les coups de lui en le dérobant des ennemis.

Et, en effet, ce Prince après s'être échappé comme nous avons dit, étant venu voir Madame sa tante à Remiremont, où elle était déjà lors, jouissant de la neutralité que le Roi lui avait accordée à son retour d'Allemagne, elle lui fit le récit de ce songe, et il confessa que tout était vrai jusqu'aux moindres circonstances ; ayant même eu la curiosité de voir cette fille à cause de cela, ce qui obligea Madame de Remiremont de l'envoyer quérir à Nancy.

Dans le commencement des guerres il lui fut montré en la même manière, des processions qui ne se firent que plus de six ans après par toute la Lorraine, de filles vêtues de blanc qui allaient à pied faire des pélerinages pour apaiser l'ire de Dieu, qui eurent cette marque étonnante que toutes les personnes qui étaient de la procession ou qui l'accompagnaient, se voyaient couvertes de croix de Lorraine à double croissant. Sur le blanc elles étaient noires, pour être vues, et sur le noir elles étaient blanches.

La même fille avait expérimenté en elle-même, par un miracle bien évident, le doux regard de Dieu sur elle.

Elle demeurait à Boussiers dans le commencement des guerres. Un jour, en plein midi, étant dans l'église avec beaucoup de peuple, il y entra huit détestables suédois, l'épée au poing, qui la voulurent ravir.

Et personne n'osant s'avancer pour s'opposer à leur violence, la fille se va jetter aux pieds de l'image de la Sainte Mère de Dieu qu'on appelle Notre-Dame de Boussiers ; et la tenant fortement embrassée, jamais ces malheureux ne purent l'ôter de là, quoiqu'un seul, naturellement, en aurait emporté quatre comme elle ; mais elle leur semblait immobile bien qu'ils s'efforçâssent plusieurs fois de l'ébranler.

A la fin tout le peuple ayant crié au miracle, ils commencèrent à s'effrayer et s'enfuirent, l'ayant laissée en repos.

En l'année 1635, l'aile droite du monastère de la Consolation étant bâtie tout à neuf, en sorte qu'on attachait encore les ardoises sur le couvert, il vint un jour un grand vent qui la jet ta par terre tout d'un coup, à la vue des religieuses, car c'était de jour, sans qu'il en restât rien du tout sur pied, au grand étonnement de toutes ; et la Mère Anne de Saint-Maur, d'Avenet, alla dire à la Mère des Anges, Monvoiset, et aussi d'Avenet : « Ma Mère, la réforme que Madame de Remiremont a entreprise sera bientôt renversée comme ce bâtiment là ». L'on crut qu'elle en avait eu connaissance par une lumière extraordinaire ou par quelque parler intérieur, dont Dieu la gratifiait souvent, au dire de son confesseur qui l'a déclaré.

Mais l'événement l'a mieux prouvé encore, puisqu'il est vrai que cette réforme a vu sa fin presqu'aussitôt que son commencement ; car cet excès, pour les filles, de ne manger qu'une fois le jour, et de

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ne point se récréer, en faisait tant de malades qu'il fallait incessamment les en dispenser. Ainsi la dispense devenait la règle, parce que le plus grand nombre était toujours de ce côté.

Et toutes ces différences ne faisaient qu'amasser des noises et des divisions ; d'autant mieux que la plupart ne s'y estimaient point obligées, parce qu'elles avaient fait les voeux devant qu'elle fût établie. Si bien qu'elles allaient (se) plaider pour cela quand nos Mères y sont allées, qui ont remis toutes choses dans le bon train.

Il n'est pas mal de dire ici que cette pieuse Princesse avait laissé aller son zèle si loin que de vouloir, devant que de demander des religieuses d'Avenet, en faire venir d'Espagne, qu'on lui avait fait entendre observer à la lettre notre sainte règle, comme elle se le proposait. Mais Dieu permit que, quand elle y envoya, elles venaient d'être mises à l'Inquisition, comme suspectes d'erreurs à cause de leur singularité de vie, de sorte qu'elle en perdit le dessein.

Pendant les années 1665 et 1666, que Madame de Livron leur Abbesse, poursuivait à Paris ce grand procès contre le marquis de Coligny, pour les intérêts de son abbaye, elle faisait faire (à) force prières pour en avoir bon succès.

Et, entre les autres, elle fit faire une neuvaine par un bon paysan, nommé Claude, du village de Saussure, proche Nancy, qui était grandement favorisé de la Sainte Vierge par plusieurs connaissances avancées, suivant lesquelles il a prophétisé quantité de choses qui sont arrivées.

Et comme ce bon homme avait accoutumé de se mettre en oraison tous les soirs, pendant que sa femme allait à la cragne, selon la coutume du pays, avec les autres villageoises filer la quantité de fusées qu'elles se proposent de faire par jour, y demeurant tout autant que la femme demeurait dehors, c'est-à-dire souvent quatre heures de suite, un soir, pendant la neuvaine, cette très Sainte Mère de Dieu et Notre Sauveur s'apparut à lui dans un éclat merveilleux, accompagnée de Sainte Thérèse, à laquelle Madame de Livron était aussi fort dévote, — sans que cet homme en sût rien, ce qui fit même qu'il s'étonna de voir cette sainte parce qu'il ne l'avait pas invoquée, — et la Sainte Vierge lui dit avec une grande démonstration de bonté : « Oui, je sais qu'il faut quelque chose pour la subsistance de mes servantes, parlant des religieuses de la maison de la Consolation et j'y pourvoierai ».

Elle ne lui parla point du tout de ce procès qui se poursuivait, aussi le perdit-elle. Mais cette promesse de pourvoir à leurs besoins ne peut être prise que pour leur union à notre Institut, qui leur a pourvu en effet de tout, comme nous venons de voir.

Il vint en suite de cela, à Nancy, le déclarer à Madame de Livron, paraissant si pénétré de dévotion par les douces larmes qu'il versait qu'il persuadait aisément qu'il y avait eu de l'extraordinaire, assurant cette Abbesse, dans un doux transport, que jamais cette Reine du ciel ne lui était apparue si pleine de majesté et de bonté, pour dénoter qu'elle avait la puissance de les assister et la volonté de le faire ; en sorte que, de la grande consolation qu'il en avait reçue, son âme ayant attiré toutes ses forces au dedans, son corps en était demeuré épuisé et languissant, et que c'était ce qui l'avait retardé quelques jours de lui venir en apporter ces heureuses nouvelles.

L'année passée 1669 que notre Révérende Mère prit possession de cette abbaye, comme elle entrait au choeur pour être mise en cette possession, il fut dit par une parole intérieure, à une personne très grande servante de Dieu qui lui est parfaitement intime, que Dieu avait très agréable sa venue, et qu'elle lui avait fait grand plaisir de venir. Ce ne furent pas tout à fait les mêmes termes, mais c'est le même sens, car ces paroles ici ne l'altèrent point du tout, au contraire, les autres paroles étaient plus fortes et plus avantageuses pour l'Institut.

Le désir de notre union qui se voyait dans le coeur de la plupart des religieuses de cette maison, doit être pris aussi pour une marque que Dieu la voulait bien, puisque tant d'effets semblables se rencontrant ne peuvent être attribués qu'à une cause générale influant également. Mais, surtout Dieu avait imprimé ce désir dans celle qu'[il] était plus nécessaire d'en toucher, parce qu'étant comme chef de la troupe elle y aurait pu apporter plus d'obstacles que pas une, si elle n'eût pas été fortement touchée : c'est la Mère Catherine de Sainte-Agnès Rolin que nous avons déjà vue Prieure dans l'abbaye sous une très jeune Abbesse, c'est-à-dire qu'elle gouvernait tout. Aussi il faut dire la vérité : elle en est extrêmement capable. Nous n'avons qu'à l'ouïr parler sur le sujet de cet Institut, elle s'en fera mieux entendre que nous, par une lettre qu'elle en écrivit à notre très Révérende Mère Supérieure, dès l'année 1665, laquelle nous rapporterons pour cela. Aussi a-t-elle mérité de Dieu l'avantage qu'une affaire dont il tire tant de gloire se soit consommée entre ses mains ; puisque nous venons de voir que c'est elle qui a reçu nos Mères dans l'abbaye de la Consolation, et qui s'est démise entre leurs mains, avec beaucoup de ferveur et d'humilité de sa supériorité, pour se rendre leur inférieure et soumise comme l'une d'entre nous.

C'est [d] elle principalement de qui nous avons appris tout ce que nous rapportons de cette abbaye ; son témoignage ne pouvant être que d'un très grand poids, parce qu'elle a toujours été élevée auprès de cette princesse, de qui elle avait l'honneur d'être filleule et fille de sa nourrice, puis sa domestique, jusqu'à ce que la congrégation se commençât, elle se rendit sa religieuse, et a toujours été fort chérie d'elle et eu grande part à son secret.

Depuis elle a passé par toutes les charges de cette maison et s'en est fort bien acquittée.

Ad Majorem Gloriam Dei Ma Très Révérende Mère,

Vous avez fait bonne expérience que la divine Providence a des ressorts merveilleux par lesquels elle nous conduit au but qu'elle

De l'Abbaye Notre-Dame, à Nancy, le 2ème X 1665

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prétend et qu'elle a déterminé de toute éternité. Il y a longues années que je les admire sans les connaître, par les orages divers et continus dont la petite barque de notre maison est attaquée avec tout ce qui lui appartient.

Ce n'est mon dessein de vous en faire le dénombrement quant à présent, puisque vous n'en pouvez ignorer la plupart, mais bien de vous faire connaître que, depuis quelques années j'ai de fortes pensées que notre monastère et communauté doivent être incorporés à votre congrégation et très saint Institut.

Il semble que le temps est venu qu'il y faut travailler ; si vous agréez cette première proposition que j'ai pris résolution de vous en faire, — et m'accordez la très humble supplication qu'elle soit entre vous et moi pour cette fois, — et qu'il vous plaise prendre la peine de me faire réponse sincère sur les points suivants, qui me semblent pouvoir apporter quelque obstacle à l'exécution.

Savoir : si vous ne pourriez pas souffrir que l'on demande à Rome un Bref de dispense sur le point que l'on dit être en vos constitutions, de ne pouvoir unir à votre congrégation aucune abbaye où les abbesses soient perpétuelles, c'est-à-dire à vie. Et ce, seulement pour Madame notre Abbesse moderne, à cause que nous la tenons comme insigne bienfaitrice. Après laquelle il serait dit, par le même Bref, que nous serions obligées de tenir la clause de notre première Bulle ou Bref qui rend les abbesses triennales.

Que, si Sa Sainteté la rendait à ces autres points exécutoire, il nous serait permis, sans autres cérémonies, de choisir tel Institut que nous voudrions d'une maison réformée de l'Ordre de Saint Benoit.

Il n'y a rien si facile à obtenir puisque nous avons avis qu'elle se pourrait faire sans avoir recours à Rome, moyennant que nos Fondateurs le veuillent ; présupposé que notre seconde Bulle n'a point eu d'effet et n'a jamais valablement été exécutée en l'érection d'une congrégation de l'étroite observance de la règle de Saint Benoit

ad literam » à laquelle elle unissait notre abbaye. A faute de quoi il est bien clair qu'elle peut et doit reprendre son premier Institut de la vie commune des autres religieuses réformées du même Ordre.

Ainsi il conviendrait seulement s'adresser au Saint Père pour la dispense ci-devant mentionnée, selon les avis ci-dessus, qui pourront encore être examinés davantage si cette proposition est agréée de vous, ma Révérende Mère, et par vous proposée à l'Altesse Royale de Madame d'Orléans qui j'espère l'agréera facilement et la protégera, nous accordant la grâce de son consentement et celle d'y employer son grand crédit à Rome ; moyennant quoi, je me promets que nous viendrons à bout de faire que Madame notre Abbesse s'y accorde, et finisse ses jours avec nous ; les avantages qu'elle nous a apportés et que Madame la marquise d'Haraucourt, sa soeur, prétend d'augmenter. Nous demeurons...

***

Nous avons interrompu le fil de la relation que nous avons entreprise de ce qui regarde la congrégation, pour traiter plus amplement et avec plus de netteté ce qui touchait l'union de cette abbaye. Il faut maintenant la reprendre pour dire ce qui nous reste à rapporter sur ce sujet de la même congrégation.

Nous dirons donc que, sur le même temps que l'on parlait d'aller à Nancy, il fut proposé à notre Révérende Mère l'union et agrégation de l'Abbaye Saint-Antoine, de la ville de Domfront, au diocèse du Mans, de notre Ordre. La ville nous ayant député le principal magistrat pour traiter avec nous, à cause que ce monastère étant en division pour raison de la supériorité, ils ne trouvaient point de moyen de les unir que celui de nous y appeler, parce que les deux parties des religieuses divisées le demandaient également, et promettaient de s'y soumettre.

Monseigneur l'Evêque vint lui-même en parler aussi à notre Révérende Mère, mais quoique les conditions qu'on nous offrait fussent fort avantageuses et que cette maison soit bonne et bien rentée, nous ne la voulûmes pas accepter parce qu'elles ne voulurent pas se ranger à l'abstinence de la viande ni quitter le linge.

286 CATHERINE DE BAR

MORT DE LA DUCHESSE DE LA VIEUVILLE

Le retour de notre Révérende Mère de son voyage de Nancy fut hâté par le triste événement de la mort de la duchesse de la Vieuville, fille unique de notre chère Fondatrice et toute la joie de son coeur.

Elle mourut le 7ème de juillet, — le propre jour que Notre Mère partait de Nancy pour venir, — car, comme sa maladie avait été fort longue et très périlleuse depuis deux mois, nous en avions averti notre Révérende Mère, pour qu'elle se hâta de venir assister la désolée mère, qui ne pouvait manquer d'avoir besoin de force et de consolation en une occasion comme celle-là.

Mais cette mort prévint le retour de Notre Mère, la divine Majesté ayant voulu que cette bonne comtesse portât comme cela sa croix toute seule, sans appui ; ce qu'elle fit très dignement quoiqu'elle fut extraordinairement touchée.

Mais, si la fille bien-aimée voulut, pour marquer de sa tendresse, laisser son coeur à sa triste mère pour sa consolation, — ayant ordonné par son testament qu'il serait apporté céans pour être placé de notre côté auprès de celui du comte son père, — cette mère comme vraiment chrétienne et parfaitement soumise à la volonté de Dieu, se trouva assez forte et courageuse pour l'aller recevoir de ses propres mains à nos grilles de l'église, — où il fut apporté par un grand convoi de prêtres, avec bien de la cérémonie, — et de le porter elle-même aux pieds de l'image de la Sainte Vierge où elle le fut poser, [non] sans verser quelques larmes qui furent arrachées à sa constance par la force de son bon naturel, sans pourtant l'avoir ébranlée.

Et ensuite elle s'alla prosterner sur sa face devant le Très Saint Sacrement pour en renouveler le sacrifice, nous avouant que la joie qu'elle sentait dans l'assurance présumée, avec tant de raisons, du salut de son enfant, avait beaucoup aidé à la soutenir en cette occasion et en la privation de cette chère personne.

Il est impossible de passer ainsi cet endroit sans toucher quelque chose des rares qualités d'une Dame qui nous était d'aussi grande considération que celle-là, en reconnaissance des extrêmes obligations de celle à qui elle devait la naissance ; et encore des bontés particulières qu'elle-même nous témoignait.

Elle était avantagée d'une très grande beauté, d'une haute taille, d'un port fort majestueux et d'un esprit admirable, soutenu par un coeur si ferme et si généreux qu'il ne savait ce que c'était que de fléchir, sinon sous ses devoirs.

Dieu, voulant couronner ses dons en elle, et voyant que la malice du monde lui en pouvait ravir la possession à la fin, — parce que tant

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de belles qualités la rendaient un grand ornement de la Cour et la faisaient beaucoup rechercher de toutes sortes de personnes, — l'afligea depuis quelques années de maladies continuelles, qui la retenaient presque toujours dans un lit. Et sa très chrétienne mort, qui s'est trouvée d'une édification si grande que depuis beaucoup d'années il ne s'en est pas vue de pareille dans Paris parmi les personnes de son sexe, — a bien montré que c'était le dessein de Dieu de la sauver, et que c'était une âme vraiment prédestinée.

Elle nous a laissé par testament, pour marque de son affection, une somme de quinze cent livres, que la comtesse nous compta huit jours après, et un fil de perles qu'elle aimait fort, valant quarante louis d'or, pour être mises autour de l'hostie à notre soleil du Saint Sacrement, en signe qu'elle déposait à ses pieds tous ses ornements de mondanité ; et pour marquer que c'était de fort bon coeur, elle a ordonné qu'il ne pourrait jamais être vendu ni employé à autres usages.

**

Nous avons parlé ailleurs de la considération que Son Altesse de Lorraine témoigne avoir pour notre Révérende Mère. En voici encore une preuve qu'il en donna.

C'est qu'au mois de janvier de cette présente année 1670, que Monsieur le duc François est mort, Monsieur de Lorraine adressa à notre Mère le courrier qu'il envoyait pour en porter la nouvelle à Son Altesse Royale Madame Douairière, leur soeur, avec ordre exprès à ce courrier de venir droit à Notre Mère lui apporter la dépêche devant que de voir personne ; et ne faire pas un pas que par ses ordres, jugeant, selon son estime, que la douceur de la main dont cette grande Princesse recevrait ce coup, en amoindrirait l'amertume et la soutiendrait par les saints motifs de consolation qu'elle lui donnerait, en même temps qu'elle la frapperait.

Aussi Madame témoigna, par la réponse qu'elle fit de sa propre main, sur le champ, à la lettre par laquelle cette très digne Mère lui annonçait cette funeste nouvelle, que c'étaient là ses vrais sentiments, et qu'elle en avait ressenti tous ces bons effets quoiqu'elle se trouvait extrêmement touchée de cette perte.

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Au mois de juillet 1670 notre congrégation a trouvé le moment heureux de sa consommation parfaite, par les Lettres Patentes qu'il a plu au Roi nous accorder.

Cette grâce est très grande et extraordinaire, eu égard à tous les édits et ordonnances que Sa Majesté a fait publier contre les Corps Religieux.

Cependant il autorise en notre faveur, par ces Lettres, la formation — si l'on peut parler ainsi — et l'établissement d'un Corps de

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Congrégation, qui est bien quelque chose de plus important que de simples établissements de maisons, comme ceux qu'il a réglé d'empêcher.

Sans ces Lettres il est chose constante et assurée que nous n'aurions su réussir dans notre dessein, puisque pour faire [ce] Corps [de Congrégation] avec qui l'on puisse traiter, contracter, et tenir les Assemblées de nos Chapitres, il nous fallait le caractère [le sceau] du Prince. Car, sans cette autorité, toutes Assemblées dans le royaume sont tenues pour suspectes de monopole, et tous Actes passés en qualité de Corps Public sont réputés pour nuls.

C'est un coup si merveilleux que de les avoir obtenues en un temps si contraire, qu'il semble tenir du miracle.

Son Altesse Royale Madame la Douairière se peut regarder comme la cause seconde dont Dieu s'est voulu servir pour l'opérer, sa recommandation nous ayant beaucoup servi auprès de Monsieur le Chancelier.

Mais la considération de notre Révérende Mère Prieure n'y a pas peu servi aussi, parce que Monsieur le Chancelier (35) en fait une estime très singulière dès longtemps, et Madame la Chancelière a pour elle une confiance très intime. Il semble que Dieu ayant laissé venir ce Grand Chancelier à cet âge si avancé de quatre vingt cinq ans où nous le voyons qu'il lui ait prolongé la vie, afin de lui procurer l'avantage de rendre encore ce service à son Fils caché sous le voile de notre très auguste Sacrement ; comme il lui a rendu celui de défendre l'Eglise du trouble où la voulaient jeter les nouvelles opinions du siècle, pour achever par là ce qui avait manqué à arrondir sa couronne dans le ciel.

Et bien qu'il ait usé de précautions fort exactes, devant que de nous accorder nos Lettres, toutefois nous n'avons pas moins de sujet de nous louer de lui, soit parce que le résultat de ses soins nous a été glorieux, soit encore parce qu'il pouvait, s'il eût voulu, nous en refuser absolument sans nous rendre raison de son refus, au lieu de se donner la peine qu'il a prise. Car il faut savoir que, voyant que nous mettions dans l'exposé de nos lettres que nous avions quatre maisons de notre Institut, il s'est bien donné la peine d'envoyer secrètement, à ses frais, l'un des siens sur les lieux pour vérifier si cet exposé était vrai, et prendre en même temps connaissance de notre forme de conduite, comme aussi du gouvernement de notre Révérende Mère à l'égard de toutes ces quatre maisons.

(35) Chancelier Pierre Séguier. Né à Paris en 1588, mort en 1672. D'abord intendant de Guyenne, puis sous Richelieu garde des sceaux en 1633 et chancelier en 1635. Il s'opposa parfois au ministre et à la régente Anne d'Autriche. H fut privé quelque temps de ses fonctions, mais on les lui rendit en 1653 et il les garda jusqu'à sa mort. Il eut un des premiers l'idée de l'Académie Française. Mère Mectilde connut la femme du chancelier Séguier par Louise de Marillac. Mme Séguier faisait partie des toutes premières Dames de Charité réunies par Vincent de Paul autour de Mile Legras. Le soutien de Mme Séguier n'a jamais manqué depuis à mère Mectilde. Mgr Baunard, op. cit. — Bouillet, D.H.G.

Se peut-il rien de plus glorieux pour l'Institut que de voir qu'après une recherche comme celle-là il nous ait accordé ces Lettres ? N'est-ce point dire qu'il est très bien établi, et que partout il est dans toute la bonne odeur que l'on saurait désirer ?

Ce n'est pas qu'à la rigueur ces Lettres nous fussent absolument nécessaires, puisque les facultés de Monseigneur le Légat ayant été vérifiées au Parlement de Paris, notre Bulle, — comme tout ce qu'il avait fait en conséquence de ses pouvoirs —, prenait assez de force de cet enregistrement pour n'en avoir pas besoin d'un autre. Mais en ces temps-ci, si contraires aux religieux, on nous l'aurait pu disputer ; au lieu qu'à cette heure il n'est personne qui nous y puisse troubler, sinon qu'à la vérité, a l'homologation des Lettres au Parlement, Monsieur le Procureur général nous y pourrait traverser ; mais il y a lieu d'espérer qu'il ne le fera pas et qu'il se laissera toucher, comme les autres, à la sainteté de cette oeuvre.

Nous aurions encore à désirer, — s'il s'agissait de rendre nos souhaits accomplis —, d'avoir la Bulle de Rome portant érection en Congrégation ; mais c'est de quoi nous pouvons beaucoup mieux nous passer que nous n'aurions pu faire des Lettres Patentes ; car, ayant Bulle de Monseigneur le Légat, consentie par les Supérieurs qui se pouvaient trouver intéressés à son exécution, [nous] pouvons, sous l'autorité du Roi, l'exercer de longues années et même toujours, sans que Rome nous y puisse apporter de l'empêchement.

Mais vu ce que nous avons dit ailleurs, et de plus ; à présent que Dieu a donné à son Eglise un chef par la création de notre Saint Père le Pape Clément 10ème, nous ne devons pas douter que nous ne l'obtenions, parce qu'il ne s'y présente plus de difficultés (36).

Enfin nous ne pouvons plus authentiquement et plus glorieusement clore et sceller nos mémoires, que de les finir, comme nous faisons, par ce fameux événement qui nous est arrivé du Grand Sceau de France. Après cela, rien n'est digne d'être avancé, et il faut condamner au silence notre plume.

Et si ceux qui liront ceci daignent prendre la peine de conférer le commencement de l'établissement de l'Institut avec sa consommation, ils se verront obligés d'admirer avec nous ce progrès, et de reconnaître que la main de Dieu est très visiblement sur cet ouvrage, pour l'augmentation de la gloire de Jésus-Christ son Fils résidant dans notre très auguste Sacrement.

(36) La fin du manuscrit est donc rédigée, après l'élection de Clément X, 29 avril 1670. La bulle d'érection de la congrégation ne fut accordée que le 10 décembre 1676 par le Pape Innocent XI.

LETTRES PATENTES DU ROI

POUR L'ÉRECTION DE LA CONGRÉGATION

Louis, par la grâce de Dieu Roi de France et de Navarre, à tous : présents et à venir : SALUT.

Comme il n'y a rien qui attire plus fortement la colère de Dieu que la profanation des choses sacrées, la feue Reine, notre très honorée Dame et Mère de glorieuse mémoire, ayant fait un voeu [de réparer] autant qu'il lui serait possible les offenses, sacrilèges et impiétés qui s'étaient commis durant les guerres, en aucuns lieux de notre Royaume, nous avait demandé de fonder à cet effet un monastère de religieuses de l'Ordre réformé de Saint Benoit, lequel fût singulièrement et spécialement établi à cette unique fin, pour être le lieu des réparations, adorations et hommages continuellement rendus par les âmes consacrées à Dieu en icelui, au très saint et adorable Sacrement de l'autel ; selon qu'il est expressément porté par nos Lettres Patentes du mois de mai 1653, régistrées et vérifiées en notre Cour de Parlement et Chambre des Comptes, à Paris, le 17ème juillet et 2ème septembre 1654, ci-attachées sous le contrescel de notre Chancellerie.

Par lesquelles nous aurions permis à la Mère Catherine de Bar, dite du Saint-Sacrement, religieuse du dit Ordre de Saint Benoit, ci-devant Prieure du monastère de la Conception Notre-Dame de Rembervillers, diocèse de Toul, d'établir un couvent de son dit Ordre au faubourg Saint-Germain de notre bonne ville de Paris ; ce qui aurait été heureusement exécuté, avec la bénédiction de Dieu, au grand contentement des personnes pieuses et à l'édification du public.

Depuis lequel temps, les Prieures et religieuses des monastères du même Ordre de Saint Benoit, fondés ès villes de Toul et Remberviller, voulant introduire, pour une plus grande perfection, une pareille observance dans leurs maisons, auraient souhaité d'entrer dans une union avec les dites religieuses du monastère de Paris, en sorte que de ces trois maisons il en fût fait une Congrégation, sous les mêmes statuts et titres de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel.

A l'effet de quoi, sous le bon plaisir du Saint Siège et le nôtre, présenté leur requête a feu notre très cher et très aimé cousin, le Cardinal de Vendôme, a latere en France, de feu notre Saint Père le Pape Clément Sème, il leur en aurait octroyé les Bulles, du 4ème des Calendes de juin 1668, avec pouvoir d'unir et agréger à la dite

Congrégation tous les monastères du même Ordre Saint Benoit qui voudront y entrer volontairement, sous l'obligation aux mêmes statuts, régime et constitutions.

Mais, parce qu'il est de notre zèle et autorité royale d'appuyer toutes les bonnes actions qui concernent le plus grand culte de Dieu et de la religion, les dites Prieures [et] religieuses nous auraient très humblement supplié de vouloir prendre en notre protection et sauvegarde la dite Congrégation, et agréer, confirmer et autoriser l'érection qui en a été faite par notre dit cousin le Cardinal de Vendôme, en la dite qualité de Légat a latere du Saint Siège apostolique, et leur en accorder nos Lettres sur ce nécessaires, A CES CAUSES, et pour d'autant plus seconder les bonnes intentions de la feue Reine Mère, notre très honorée Dame et Mère, à la plus grande gloire de Dieu, et pour maintenir la dite adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel que les dites religieuses observent si exactement à l'édification du public, NOUS, de l'avis de notre Conseil qui a vu les dites Lettres Patentes et Bref ci-attachés, sous le contre-scel de notre Chancellerie, ensemble : les consentements des Seigneurs Archevêque de Paris et Evêque de Toul, et du Grand Vicaire de l'Abbaye Saint Germain des Prés, NOUS, de notre certaine science, pleine puissance, et autorité royale, AVONS, par ces présentes signées de notre main, mis et mettons sous notre protection spéciale, et des Rois nos successeurs, la dite Congrégation érigée sous le titre de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel.

Et approuvons, confirmons et autorisons la dite érection faite par notre dit cousin le Cardinal de Vendôme, Légat a latere du Saint Siège ; voulons et nous plait qu'elle ait sa pleine et entière exécution touchant l'union de la dévotion et adoration du très adorable Saint Sacrement seulement, sans qu'en conséquence de la dite union, la dite : du Saint Sacrement puisse prétendre aucune juridiction sur les monastères qui y sont unis et s'uniront à l'avenir à la dite dévotion, que pour faire observer les règlements et statuts ordonnés pour icelle ; les dits monastères qui seront unis [et] s'uniront à l'avenir à icelle demeurant sous la juridiction des Supérieurs.

Ci ORDONNONS EN MANDEMENT à nos amis et féaux Conseillers, les gens tenant notre Cour de Parlement à Paris, et à tous autres nos justiciers et officiers qu'il appartiendra, que, ces présentes, ils aient à faire lire, publier et enregistrer selon leur forme et teneur ; et d'icelle faire jouir et user les supérieurs et religieuses des dits monastères, et autres unis et ainsi érigés en Congrégation, et qui pourront ci-après s'unir et s'agréger à icelle, pleinement, paisiblement et à toujours ; c'estant et faisant cesser tous troubles et empêchements qui pourraient leur être faits, et ce, nonobstant toutes choses à ce contraire, auxquelles pour ce regard nous avons dérogé et dérogeons par ces présentes.

Car tel est notre bon plaisir. Et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous avons fait mettre le scel à ces dites présentes.

Donné à Saint Germain en Laye, au mois de juillet, l'an de grâce 1670 et de notre règne le vingt huit.

Louis

Par le Roi : Philipeaux (37). Et à côté il y a : Séguier.

Pour servir aux Lettres de confirmation de l'adoration du très auguste Saint Sacrement, ainsi qu'il est porté par les Lettres.

**

Si faut-il pourtant, pour éternelle mémoire du bienfait que nous avons reçu en ces Lettres de ce Grand Chancelier, que nous fassions connaître à la postérité à qui c'est que nous les devons, et qui nous les a données, car de dire seulement : Chancelier, ne désigne pas la personne.

C'est à Monseigneur Pierre Séguier, duc de Saint-Liébaut, personnage d'un rare mérite, l'un des plus grands hommes qui aient jamais rempli cette charge de Chancelier : grand en science, grand en capacité, et de plus grand catholique encore, et très âpre ennemi de toutes nouvelles opinions en matière de religion.

Il y a 38 ans passés qu'il possède glorieusement cette haute charge qui est la première du Royaume pour le fait de la Justice.

Et le Secrétaire d'Etat qui a signé nos mêmes Lettres, c'est Monsieur de la Vrillière, de la maison des Phélipeaux.

Nous sommes bien obligées de prier Dieu pour eux, et surtout pour le premier.

REMARQUES CONSIDÉRABLES

Après cela nous devons faire les observations qu'il y a sujet de faire sur ces Lettres, puisqu'elles sont très utiles et fort considérables.

La première : est que le Roi reconnaît et déclare que notre maison de Paris est un voeu de la défunte Reine sa mère ; comme cela c'est rendre notre établissement ferme et stable à jamais, et le mettre à couvert de toutes les recherches qui se font en conséquence de ces Edits et nouvelles Ordonnances, sous le prétexte desquels l'on inquiète, depuis quelques années, plusieurs maisons religieuses plus anciennes même que nous ; outre qu'il nous est infiniment glorieux qu'il paraisse au public par un texte si authentique le choix que fit, de la personne de notre Révérende Mère, une si auguste Reine, pour l'accomplissement d'un si grand et si saint voeu.

La seconde : est que Notre Mère se trouve établie pour sa vie, par ces mêmes Lettres, pour chef de notre Congrégation puisqu'elle y est dénommée par son nom comme chef, sans qu'il soit nécessaire pour cela d'une élection des Chapitres.

Il est vrai que ce n'est que pour le spirituel, mais nous ne demandons que cela ; n'ayant au contraire jamais rien tant appréhendé ni tant voulu éviter que tout ce qui pourrait sentir la crosse et le titre d'abbaye.

Et comme toute exception confirme la règle, cette restriction au spirituel nous est une nouvelle confirmation pour notre Congrégation.

Et la troisième remarque : est que ces mêmes Lettres peuvent servir à jamais pour tous les monastères qui voudront s'unir à nous sans qu'il soit nécessaire d'en prendre d'autres.

Qu'à jamais le Très Saint Sacrement y soit aimé, loué, servi et adoré avec toute perfection.

LAUDETUR SACROSANCTUM ET AUGUSTISSIMUM SACRAMENTUM

(37) De Phelipeaux de la Vrillière. Secrétaire d'état de Louis XIV. La charge est restée dans la maison des Phelipeaux (ou Phelippeaux) de 1610 à 1775, c'est-à-dire pendant 165 ans. Le marquis Phelipeaux de la Vrillière a bâti son hôtel en 1620 dans l'actuelle rue de la Victoire à Paris, c'est aujourd'hui la Banque de France. Un des côtés de la Banque de France est rue de la Vrillière. Entrée principale, rue Croix-des-Petits-Champs.

294 CATHERINE DE BAR

ANNEXES (au nombre de 26 ! nombreuses lettres)

ANNEXE I

Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Amen.

Nous, Jean Midot, docteur en théologie et aux lois, grand archidiacre et chanoine de Toul, vicaire général de 1'Eglise du dit Toul, député par icelui le siège épiscopal vacant, à notre chère et bien aimée Soeur Mechtilde du Saint-Sacrement, religieuse professe du monastère de la Conception de l'ordre réformé de Saint-Benoit en la ville de Rambervillers et de ce diocèse, salut.

J'açois que nous avons il y a trois ans vous donner permission de vous transporter au monastère de Notre-Dame de Bon Secours de votre dit Ordre en la ville de Caen en Normandie, diocèse de Bayeux pour aider à y établir une bonne discipline et parfaite observance et de présent étant dûment averti tant de l'expiration de votre dite charge pour la Saint Jean prochaine que dans la grande nécessité que votre communauté a de votre personne, Nous vous commandons et enjoignions par les présentes, en vertu de la sainte obédience et sous peine d'excommunication, de sortir du lieu où vous êtes présentement, incontinent après le dit terme expiré, sans aucun délai, ni tergiversation, pour retourner à votre dite maison de profession dudit Rambervillers. Et afin d'ôter tous sujets et prétextes de vous arrêter et retenir davantage par delà, nous vous défendons très expressément en même vertu et sous la même peine de consentir à aucune élection que l'on voudrait ou pourrait faire de votre personne par delà ni d'accepter ni d'exercer plus aucune charge ni fonction de quelqu'office que ce puisse être hors de votre dit monastère de profession après le dit terme achevé ni ayant rien qui vous puisse dispenser en conscience de votre voeu solennel fait au dit monastère de Rambervillers sous notre juridiction, sans notre consentement et celui de votre dite communauté. Au reste nous vous faisons ces commandements si rigoureux non que nous doutons de votre vertu et prompte obéissance mais pour prévenir et obvier à tous les inconvénients qui pourraient arriver pour vous tenir plus longtemps absente de votre dit monastère auquel vous êtes absolument nécessaire. Et d'autant que l'ingratitude et méconnaissance est la mère de tous vices, ayant appris qu'il y avait plusieurs personnes de condition qui avaient conféré quelques bienfaits, tant à votre personne qu'à votre dit monastère de profession et quelqu'unes d'icelles avaient la dévotion de vous mener en pèlerinage au Mont de Saint-Michel avant que de vous laisser sortir de la province pour ce est-il, qu'en vertu des dites présentes nous vous permettons de faire le dit pélerinage et d'aller visiter, et remercier toutes les dites personnes, vos bienfaitrices, tant en votre nom qu'au nôtre et celui de votre communauté et les assurer que nous prenons part à toutes les charités faites à votre dit monastère réduit pour le présent à sa grande pauvreté par les seuls malheurs de nos longues guerres et continuels passages et logement des armées et que nous prions Dieu de leur en donner la récompense ; mais avant que de sortir de votre présente résidence vous prendrez l'obéissance et la bénédiction de Monseigneur de Bayeux ou de Monsieur son Vicaire Général et

DOCUMENTS HISTORIQUES 295

en tous vos voyages vous serez toujours accompagnée de votre compagne Soeur Dorothée, professe de votre dit monastère et de quelques honnêtes matrones et ne séjournerez en vos dites visites qu'autant que la simple nécessité et la bienséance le requêreront et icelles achevées vous reviendrez tout droit en votre dite maison de profession.

Nous vous recommandons à cet effet, à tous Seigneurs et hommes ecclésiastiques et séculiers, par où vous passerez les suppliant de vous aider et assister en toutes vos nécessités spirituelles et corporelles comme une bonne et fidèle servante de Dieu lequel nous prions de vous donner un heureux retour.

En foi de tout ce que dessus nous avons aux dites présentes, soussigné de notre main propre et contresigné par notre secrétaire, apposé notre cachet ordinaire armoyé de nos armes.

Fait en notre Hôtel à Toul, ce vingt huitième d'avril mil six cens cinquante. Obédience de Monsieur le Vicaire Général de l'Evêché de Toul pour la Révérende Mère du Saint-Sacrement, religieuse Bénédictine du Monastère de Rambervillers dudit Evêché.

Autographe aux Archives du monastère de Paris, n° 34.

ANNEXE II

ÉCRIT DE NOTRE RÉVÉRENDE MÈRE QUI EXPRIME SES SENTIMENTS SUR SON INDIGNITÉ

A FAIRE L'OEUVRE QUE NOTRE SEIGNEUR

A VOULU QU'ELLE AIT FAITE POUR SA GLOIRE

DANS LE TRÈS SAINT SACREMENT

Nous supplions très humblement les serviteurs de Dieu que la divine Providence assemble ici, de nous vouloir donner leurs conseils selon les lumières que le Saint-Esprit leur communiquera, sur cette maison et particulièrement sur ce que Notre-Seigneur veut de moi au regard d'icelle, portant un grand désir de la remettre entre les mains de quelques âmes qui aient la capacité d'y établir la pure gloire de Dieu, me trouvant absolument incapable de le faire pour les raisons suivantes : la première est que je n'ai point les grâces, ni les talents nécessaires pour y agir de la manière qu'il faut ; la seconde est que me trouvant fort impuissante, stupide et ténébreuse, je ne puis m'appliquer sans violence d'esprit à la conduite, n'ayant que des ignorances extrêmes. Troisièmement, je connais par expérience que ma conduite n'y établira jamais le bien en sa perfection, n'ayant pas, comme j'ai déjà dit, ce qu'il faut pour cela, perdant la mémoire, mon entendement étant hébété et plein de ténèbres causées par un fond d'orgueil épouvantable qui est en moi et par lequel je suis toute opposée à Jésus-Christ, cet orgueil faisant de si mauvais effets en moi que toutes mes opérations en sont corrompues. Je le crois la source de tous mes maux puisqu'il me rend indigne des miséricordes de Dieu pour moi et pour les autres.cxxxv

Au regard de ce monastère, voici mes petits sentiments : premièrement je conçois un si grand malheur de faire une oeuvre de telle conséquence qui ne soit point l'oeuvre du pur esprit de Dieu, qu'il vaudrait mieux qu'elle s'abîmat dans le néant que de subsister un moment hors de cette pureté.

Le dessein de cette fondation étant très saint en apparence, il est fort à douter que l'excellence extérieure d'icelle n'épuise la grâce et la substance intérieure, à moins que Notre-Seigneur y donne des sujets capables de la maintenir par une très grande fidélité.

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La principale pensée sur ladite fondation a été de la recevoir pour un petit nombre d'âmes qui veulent se donner à Dieu sans réserve, oubliant la conversation avec les créatures autant qu'il est possible, les religieuses devant vivre en icelle comme des recluses ; l'on n'y devrait rien connaître que la vie et les états de Jésus-Christ. Point de parloirs que pour la pure nécessité des affaires.

Le motif le plus important de ladite fondation est d'y vivre de la vie cachée et anéantie du Fils de Dieu dans le Très Saint Sacrement selon les degrés de grâce d'une chacune, d'y être pauvres, abjectes, inconnues et rebutées par hommage et union à Jésus Notre-Seigneur dans la sainte Hostie.

La difficulté étant de trouver des âmes assez généreuses pour entrer dans ces saintes dispositions, mon âme en souffre une douleur extrême.

Je souffre au regard de cette maison, tant d'amertume dans l'âme et des angoisses si crucifiantes que je suis dans un regret continuel de cet établissement et voudrais donner mille vies pour l'anéantir s'il n'est pas dans l'esprit et dans les desseins de Jésus-Christ et je prie ardemment les serviteurs de Dieu d'en examiner les circonstances et de voir si c'est l'oeuvre de Dieu et ce qui se doit faire pour la mettre dans un état où il la veut pour sa gloire.

Pour moi, je confesse derechef qu'il m'est impossible d'y réussir, ayant toujours cru et assuré plusieurs fois que je ne ferai point le plus important de cette oeuvre, et connu que je n'en avais point les talents, mon trait intérieur me portant à la solitude pour me rendre à Dieu, sortant du tracas des charges que j'ai exercées depuis plus de dix ans sans discontinuation, mon âme gémit sous le poids de ses misères et je crois ne me pouvoir sauver qu'en quittant tout et me retirant en profond silence et en lieu inconnu pour y faire mourir mon orgueil naturel duquel je ne puis me défaire et qui prend vie dans les grandes occupations. J'ai toujours cru que Notre-Seigneur voulait que je me retirasse puisque j'ai fait, ce me semble, ce qui m'était donné à faire en cette oeuvre et jusqu'à présent je n'avais point eu la liberté de la quitter, mais depuis quelques mois il me semble que je puis me retirer sans en porter aucun scrupule et mon âme a une pente si grande et profonde à me jeter dans un trou caché, gardant un profond silence, que la seule pensée me donne une nouvelle vie. Je ne vois pas lieu de rendre à Notre-Seigneur ce que je lui dois, ri de me sauver que par là.

Pour augmenter mon incapacité, j'ai perdu l'ouïe d'un côté et commence à être fort étourdie de l'autre.

Dans les affaires il me faut une si grande attention pour les comprendre que j'en souffre violence. Mon âme ne voudrait être captive de rien comme elle n'est capable de rien que de s'abaisser devant Dieu, gémir sa vie pleine de crimes, demander miséricorde et tâcher de me séparer du péché.

Archives du monastère de Paris.

ANNEXE III

LETTRE AU RÉVÉREND PÈRE PRIEUR DE SAINT-GERMAIN

Bénédictines du Saint Sacrement Août 1654, ce mardi à midi

Mon très Révérend Père,

Nous supplions humblement votre Révérence nous donner la permission de faire bénir un des jours de cette semaine une grande image en relief de la Mère de Dieu, à laquelle nous avons toutes une dévotion et une confiance toute particulière et croyons qu'elle sera la Mère et la protectrice de cette petite maison. Nous la regardons comme telle et comme notre Supérieure. Et nous la prierons qu'elle vous comble de ses plus saintes grâces et qu'elle nous rende digne d'être, en l'amour de son Fils.

Mon Très Révérend Père,

Votre très humble et très obéissante fille et servante. Soeur Mectilde du Saint-Sacrement.

Archives Nationale, Seine, L 763, n° 98.

ANNEXE IV

AU TRÈS RÉVÉREND PÈRE PRIEUR

Bénédictines du Saint Sacrement 14 août 1654

Mon Très Révérend Père,

Voici l'acte que nous avons fait pour nous dédier à la Sainte Mère de Dieu et cette petite maison. Nous supplions votre Révérence d'y ajouter tout ce que le Saint Esprit vous inspirera pour le rendre plus saint et plus solennel. Nous désirons beaucoup que ce soit pour demain, si toutefois un écclésiastique que j'ai fait prier de nous prêcher est en état de le pouvoir faire. Nous aurions besoin d'un de vos pontifical pour faire la bénédiction, on le rendra aussitôt. J'eusse bien désiré que votre Révérence l'ait fait, mais comme c'est un jour très solennel je n'ai osé espérer cette consolation. Je vous supplie, mon Très Révérend Père, prendre la peine de voir le dit acte aujourd'hui et que votre bonté nous le renvoie, s'il vous plaît.

J'attendrai les ordres et sentiments de votre Révérence, lesquels je veux suivre de même coeur que je dois être avec tout respect en Notre-Seigneur,

Mon Très Révérend Père,

Votre très humble et très obéissante fille et servante en Jésus. Soeur du Saint-Sacrement,

R. I.

Archives Nationales Seine, L 763, n° 99.

ANNEXE V

COPIE DE L'ACTE FAIT PAR LES RELIGIEUSES BÉNÉDICTINES DU SAINT SACREMENT, PAR LEQUEL ELLES ONT DÉDIÉ LEUR MAISON A LA TRÈS SAINTE MÈRE DE DIEU

POUR EN ÊTRE LA SUPÉRIEURE.

Au NOM DE LA SAINTE TRINITÉ,

DU PÈRE, DU FILS, ET DU SAINT-ESPRIT.

AINSI SOIT-IL.

Nous, Soeur du Saint Sacrement, indigne religieuse bénédictine, tenant la place de Supérieure dans cette maison establie à l'honneur et gloire du Saint Sacrement de l'Autel, prosternée humblement devant le trône adorable de la Majesté divine, en ce très auguste Sacrement, en la face du ciel et de la terre, confesse et déclare, au nom de toute la Communauté présente et à venir, que la Très Sainte Vierge, Mère de Dieu, est pour jamais choisie, nommée et reconnue, pour la très digne et très éminente Mère Abbesse et Supérieure en chef de cette petite maison du

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Très Saint Sacrement, suppliant très humblement sa bonté la vouloir prendre en une singulière et spéciale protection et rendre toutes les religieuses d'icelle des pures victimes dans le Très Saint Sacrement, offrant aussi très particulièrement toutes les personnes qui ont contribué et contribuent à l'établissement parfait de ce petit monastère qui est pour adorer continuellement ce très auguste Sacrement de l'Autel, et réparer autant que l'on peut sa gloire si souvent profanée par les impies qui n'adorent point Dieu dans ce Très Saint Sacrement. Recevez-nous donc très Sainte et très aimable Mère de Jésus, comme vos esclaves, vos filles et servantes. Usez de vos droits et pouvoirs sur nous, et sur le temporel et spirituel de cette maison ; nous vous acceptons et avouons pour notre Souveraine Dame, Mère et Supérieure, voulant par cet acte que nous faisons aujourd'hui solennellement devant toute la Cour céleste, nous obliger à dépendre à jamais de votre sainte conduite, et pour cet effet nous renouvelons nos obligations de baptême et nos voeux de religion entre vos mains, en qualité de victime du Très Saint Sacrement. 0 très sainte Mère de Dieu, nous vous supplions avec toute l'humilité possible que vous daigniez vous-même prendre sur nous toute l'autorité que nous vous pouvons donner et sur toute cette maison qui relèvera à jamais de vous. C'est la protestation irrévocable que nous en faisons. En foi de quoi nous signons ce présent acte, le vingt-deuxième d'août, mille six cent cinquante quatre, et voulons qu'il soit gardé à perpétuité dans le monastère et renouvelé tous les ans, le jour de l'Assomption Notre-Dame ou le jour que dessus. Soeur du Saint-Sacrement R.I.

Le Révérend Père Dom Bernard Audebert, Prieur de ce monastère, et Grand Vicaire de Monseigneur de Metz, a permis que l'offrande ci-dessus et rénovation d'icelle, se fit tous les ans, le jour de l'Assomption de la sacrée Vierge, non par obligation, mais seulement par dévotion, et que pour cet effet les religieuses du Saint Sacrement en dresseront un acte qui serait inséré dans leur livre des actes capitulaires par lequel il serait fait connaître à la postérité que cette rénovation était une pure dévotion et sans aucune autre obligation de péché en cas d'omission.

Frère Ludovic Belot, Secrétaire.

Archives Nationales Seine, L 763, n° 7.

ANNEXE VI

Pax Xti Saint-Mansuy, le le' mars 1653

Ma Révérende et très honorée Mère,

J'ai amplement entretenu Monsieur Cailler, le nouveau Vicaire Général de la patente que vous désirez. Il lui a fallu bien expliquer tout avant que de rien accorder. C'est un grand homme de bien et partant ne veut rien faire qu'avec connaissance de cause. Je l'en loue et espère que tout l'évêché en peu d'années prendra une autre face, et que...

Après m'avoir bien entendu, il m'a répondu qu'il ne pourrait en conscience vous donner la décharge et l'absolution des obligations que vous avez à votre maison de profession sans le consentement de votre Communauté. Beaucoup moins vous pourrait-il accorder le pouvoir de tirer de votre dite maison toutes telles religieuses que vous jugerez capable pour contribuer à une si sainte fondation et à une si haute et glorieuse entreprise, parce que (dit-il) vous en pourriez tirer toutes les meilleures, sans en laisser aucune qui pu ou voulu bien gouverner votre maison, et qu'il n'était pas raisonnable que l'on découvrit Saint Paul pour couvrir

Saint Pierre ; que la charité bien ordonnée commence par soi-même ; qu'il était bien aise et très joyeux de ce qu'en son district on avait trouvé une religieuse digne et capable d'être employée à une oeuvre si sainte et si glorieuse, et qu'il y consentait très volontiers pour la gloire de Dieu pourvu que votre maison demeura pourvue suffisamment d'une autre personne capable de la gouverner, etc.

Je lui ai répondu pour le premier point, que vous demandez vous-même le dit consentement, et que sans cela vous pourriez vous pourvoir à Rome par une [lettre] de la Reine. Et pour le second point, je lui ai dit que l'on pouvait modérer le dit pouvoir en y ajoutant la restriction et l'exception de quelqu'une ou de quelques unes de vos religieuses, mais qu'il fallait auparavant ouïr toute votre Communauté là-dessus qui savait mieux que nous ce qu'il était nécessaire.

A quoi il a acquiéscé.

J'ai donc ce matin envoyé un messager exprès à Rambervillers et écrit amplement toute l'affaire à la Communauté et les ai priées et pressées de vous accorder ce que vous désirez et de vous en dresser une belle et bonne patente parce que le tout tendrait et servirait non seulement à leur profit temporel mais aussi à leur réputation et honneur. Je leur ai donné aussi à entendre l'intention de Monsieur le Vicaire Général afin de ne le point mécontenter. Car il me dit, que le Pape même ne vous accorderait votre demande sans entendre les parties, et que s'il le faisait, ce serait par surprise, et que l'on n'y serait pas obligé d'y déférer. Il vaut donc mieux (comme vous avez très bien jugé vous-même) passer par les voies ordinaires et faire le tout avec la participation de tous ceux et celles qui y ont de l'intérêt, ni qu'il n'y ait rien à redire.

Le dit messager doit revenir ici mercredi prochain et le lendemain (s'il plait à Dieu) j'irai retrouver Monsieur le Vicaire Général et lui ferait voir la patente que vos religieuses vous auront expédiée afin qu'il ne fasse plus de difficultés de vous donner la sienne, de laquelle cependant je dresserai une minute la plus conforme à votre intention que faire se pourra, afin qu'il n'ait qu'à la faire décrire, et que nous vous puissions envoyer le tout aujourd'hui en huit jours. Car je serai contraint de partir le lendemain pour un voyage en Alsace qui durera bien un mois, c'est-à-dire jusqu'au dimanche des Rameaux. Et n'était cette affaire je vous assure que je partirais dès demain ainsi suis-je pressé par nos confrères de diverses maisons de faire le dit voyage de peur que je n'ai assez de temps pour revenir pour la Sainte Semaine. Il n'est pas besoin de me répondre à la présente, puisque la réponse ne me trouverait plus ici. Je me donnerai l'honneur de vous écrire encore quand je vous enverrai vos patentes, cependant je me recommande humblement à vos saintes prières, priant aussi Dieu pour vous afin qu'il lui plaise vous faire la grâce de réussir heureusement en ce pieux et glorieux dessein de la Reine et demeurant toujours ma très Révérende et honorée Mère

Votre très humble et très obéissant serviteur en Notre-Seigneur.

A. de l'Escale.

Autographe aux Archives du monastère de Paris.

DOCUMENTS HISTORIQUES 301

siez par des autres meilleures raisons convaincre l'esprit de vos bonnes filles et le mien, me semblant que cette entreprise avec les susdites conditions servirait plutôt à la risée du monde qu'à la gloire de Dieu puisque sans un miracle manifeste on ne la pourra jamais continuer un ou deux ans. Voici le conseil que vous donne selon sa conscience

Ma Très Révérende et Très honorée Mère

Votre très humble et très obéissant serviteur en Notre-Seigneur.

A. de l'Escale.

Autographe aux Archives du monastère de Paris.

ANNEXE VIII

De notre Maison de Rambervillers 16 mars 1653

Notre Révérende et chère Mère,

Notre Révérende Mère Sous-Prieure nous a fait part des nouvelles que vous lui avez écrites touchant votre établissement, ce qui nous à toutes touchées sensiblement, ne pouvant nous résoudre qu'avec une peine extrême de nous voir pour un si long temps privées du cher bien de vous posséder ici en votre pauvre maison. Nous nous jettons toutes à vos pieds pour vous supplier et conjurer votre bonté par tout ce qui la peut émouvoir à compassion, de nous faire la grâce de nous venir encore voir avant que vous fussiez engagée. Il ne semble que ce n'est pas contre les volontés de Dieu que vous entrepreniez ce voyage vu qu'il y a nécessité de faire non seulement de votre part mais la nôtre. C'est, ma chère Mère, que Monsieur Caillier le Grand Vicaire de Toul, notre Supérieur à présent, a dessein de faire la visite dans tous les monastères de son diocèse, incontinent après Pâques, et à cet effet, veut obliger toutes les Supérieures d'être présentes pour rendre compte tant du spirituel que du temporel de leur maison. Il juge tout à fait nécessaire que pour bien s'acquitter de ces visites, les supérieures y soient présentes pour plusieurs causes qu'il spécifiera dans les obédiences qu'il enverra tant à vous qu'à toutes les supérieures absentes.

Ma chère Mère, cela nous console un peu dans l'espérance que nous aurons encore le cher bien de vous posséder un moment et de vivre ensemble les moyens de vous rendre les devoirs que vous désirez de nous.

Nous avons appris que le Révérend Père Prieur de Saint-Germain a dessein de choisir d'entre notre Communauté celle qu'il jugera plus propre pour vous accompagner et servir pour la gloire de Dieu à votre établissement. Son zèle est véritablement louable mais nous lui supplions de croire qu'après Dieu, ma chère Mère, c'est à vous à qui nous voulons obéir en cette occasion là, et nous soumettre au choix que vous ferez sachant bien que votre bonté y procédera charitablement et que vous considérerez que pour établir une maison, il n'en faut pas ruiner une autre. Nous ne saurions faire à la vérité une plus notable perte que celle de votre chère personne cela est connu de tout le monde. Il n'y a personne qui sachant notre affaire n'estime avec nous qu'en vous cédant pour peu de temps que ce soit nous rendons à la France plus qu'elle ne nous a jamais donné, quoique nous nous estimions y être très obligées.

Mais s'il faut mettre en comparaison les biens spirituels avec les temporels, il est aisé à juger que c'est rendre plus que l'on ne nous peut donner cela et notre estime pour ce que le dit Révérend Père veut taire information de votre vie, nous en avons parlé à des Prieures et principales Supérieures de notre Ordre qui s'étonnent extrêmement de cela. Le bon exemple de votre vertu rend a ce témoignage de votre vie

300 CATHERINE DE BAR

ANNEXE VII

Pax Xti A Rambervillers, ce 15 mars 1653

Ma Très Révérende et Très chère Mère,

J'ai voulu passer par ici expressement en faisant mon voyage d'Alsace, afin de tirer le consentement à cette prétendue fondation que vous désirez

de votre vénérable et dévote communauté. Mais il faut avouer franchement que vos bonnes filles ont été plus éloquentes que moi, puisque non seulement je ne leur ai pu persuader de donner le dit consentement mais qu'elles m'ont détourné pour de bonnes et solides raisons de le leur plus demander.

Jusqu'à ce qu'elles et moi soyons plus éclairés et mieux informés des moyens et conditions de la dite fondation ; car elles m'assurent que pour

les moyens on ne donnait que 20 000 livres pour l'achat d'une maison et 30 000 livres pour la fondation d'icelle ; et que pour les conditions elles étaient très onéreuses tant pour l'adoration continuelle et perpétuelle, tant de nuit que de jour du très Saint et très auguste Sacrement de l'autel, que pour sept grands services annuels et autres charges semblables.

Si cela est ainsi, véritablement, ma Très Révérende Mère, non seulement je ne demanderai plus leur consentement à cette sainte entreprise

pour votre personne ains au contraire si elles le voulaient donner je le leur dissuaderais autant que je le pourrais, autrement je croirais offenser Dieu et votre sainte maison et de vous faire un très grand tort en vous laissant charger d'un fardeau insupportable. Car foncièrement, n'est-ce pas tenter Dieu de vouloir avec 25 000 livres acheter ou bâtir et meubler une église et une maison pour un monastère de l'ordre de Saint Benoit. N'est-ce pas se moquer de vouloir avec 30 000 livres faire un fond suffisant pour nourrir et entretenir autant de personnes qu'il sera nécessaire pour continuer la dite Adoration !

Et secondement pour pouvoir comprendre combien les dites conditions sont odieuses et onéreuses, il ne faut que considérer la peine que l'on a et les désordres que cause en une maison pour la seule nuit du Jeudi Saint et pour les jours de l'Octave du Saint-Sacrement qu'il faut toujours avoir des personnes devant le dit Saint-Sacrement. Hélàs, ma très honorée Mère, je vous assure que si on m'offrait cent mille écus pour une semblable grande entreprise je songerais et compterais plus de dix et dix fois avant que de les accepter. Il faut bien des personnes et certes un très grand nombre pour continuer une telle adoration de nuit et de jour, vous savez de plus qu'en toutes communautés il y en a toujours des malades et infirmes qui ne peuvent vaquer aux fonctions ordinaires et que partant il en faut un nombre tant plus grand.

Je ne parlerai des autres charges parce que celle-ci seule est trop grande et trop onéreuse. Dès que je parlais de cette fondation à Monsieur le Vicaire Général de cet évéché, comme à votre Supérieur, il me dit sur le champ que pour une telle continuelle adoration il fallait un terrible tond. Et moi je lui répliquais aussitôt que c'était aussi une entreprise royale et que sans doute la Reine y pourvoirait suffisamment, croyant véritablement que pour une si sainte oeuvre Sa Majesté emploierait au moins 100 000 écus à bâtir, à meubler l'église et le monastère et 100 autre mille à fonder le dit monastère. Je me trouve bien trompé en mon opinion et frustré en mon espérance.

C'est pourquoi si vous continuez en votre dessein d'avoir le susdit consentement je vous conseille et vous prie de faire un tour par deçà vous-même puisque les coches vont et viennent librement afin que puis-

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outre cela, ils sont tous près d'en donner attestation quand on voudra.

Ma chère Mère nous supplions en toute humilité votre Révérence de prendre le temps de votre voyage plus à propos pour votre santé, pendant que les chemins sont libres des gens de guerre ; mais toutes les villes voisines comme Epinal, Remiermont, Miercourt, en sont fort incommodées ; que cela n'empêche pas que vous fassiez votre voyage pendant que les soldats ne sont pas encore en campagne. Nous vous attendons toutes avec désir de nous voir bientôt à vos pieds pour vous témoigner nos soumissions en qualité de notre Révérende et très chère Mère.

Vos très humbles et très obéissantes Filles et très obligées servantes.

Soeur Bernardine

Soeur Benoite

Soeur Placide

Soeur Gertrude

Soeur Marie Joseph

Soeur Magdeleine-Scholastique

Soeur Dorothée

Soeur Saint-Paul

Soeur Jeanne de la Croix

Soeur Magdeleine de Saint-Joseph Soeur Catherine-Thérèse

A la Révérende Mère du Saint-Sacrement Prieure des Bénédictines de Rambervillers de présent, à Paris.

Autographe aux Archives du monastère de Paris.

ANNEXE IX

LETTRE DE MONSIEUR CAILLIER, VICAIRE GÉNÉRAL DE TOUL

A MÈRE MECTILDE, LE 30 MARS 1653

Ma chère Soeur en Notre-Seigneur,

On m'a communiqué un grand dessein que l'on dit être de la Reine qui est d'établir une maison de religieuses dont l'établissement eût pour fin la perpétuelle adoration du Saint Sacrement, et que pour en faire les commencements plus solidement, il serait nécessaire que vous quittiez votre monastère de Rambervillers, afin de demeurer quelque temps dans la dite maison qu'on m'a dit que Sa Majesté vous fait bâtir et fonder royalement dans Paris. C'est, ma Soeur, une chose laquelle ne peut que m'être très agréable, puisqu'elle a pour but la pure gloire de Dieu et la vénération du plus auguste de nos Sacrements. Mais avant que vous procurer le consentement de vos Soeurs de Ramberviller et vous donner la permission de quitter votre monastère pour vaquer à une oeuvre si sainte, il est tout-à-fait besoin que je sois pleinement informé de toutes les conditions et des moyens d'une si haute entreprise, afin de ne rien faire à la légère en une affaire si importante. C'est pourquoi à présent que les coches sont libres à aller et venir, je désire que vous veniez en personne pour en donner tous les éclaircissements nécessaires, tant à moi qu'à vos filles. Et si je vois que les conditions de cet établissement et fondation nous puissent faire espérer que cette affaire réussisse et que les fidèles en puissent être chrétiennement et solidement édifiés, alors je porterai vos filles à consentir à votre éloignement d'avec elles et moi-même le permettrai pour participer aux mérites et au bien qui reviendra d'un si saint établissement. Je vous attendrai donc au plus tôt pour

DOCUMENTS HISTORIQUES 303

m'en entretenir avec vous et pour vous assurer de vive voix de l'estime particulière que je fais de votre vertu et du désir que j'ai d'être toute ma vie, ma chère Soeur

Votre bien humble et très affectionné serviteur. Caillier, vic. général de l'Evêché de Toul. A Toul, ce 30 mars 1653.

(La lettre a été pliée et cachetée selon l'usage de l'époque. Voici l'adresse) :

A la Révérende Mère du Saint Sacrement prieure des religieuses bénédictines de Rambervillers, réfugiées au faubourg Saint-Germain rue du bac près les petits Jacobins

A Paris

Texte original aux Archives du monastère de Paris, n° 6.

ANNEXE X

LETTRE DE M. CAILLIER, VICAIRE GÉNÉRAL DE TOUL A MÈRE MECTILDE, 22 AVRIL 1653

Ma très chère Soeur en Notre-Seigneur,

Je suis très joyeux d'apprendre que la très sainte et toute royale intention de la Reine qu'elle désire effectuer par le ministère de votre vertu et la sage conduite de l'Esprit dont vous êtes redevable à Dieu, réussira à la gloire de Notre-Seigneur, lequel comme j'en conjure son infinie bonté en sera la digne récompense de Sa Majesté et de tous ceux et celles qui coopéreront à la dévotion d'une si pieuse Princesse. Je vous envoie la permission que vous avez désirée de moi, qui vous supplie d'avoir toujours une affection toute maternelle pour vos filles de Rambervillers, dont l'extrême nécessité vous doit faire pitié, et de donner tous les jours quelque part dans vos prières à,

Ma chère Soeur

Votre très humble et plus affectionné serviteur. Caillier, vic. général.

A Toul, ce 22e avril 1653.

(Adresse au dos) :

A la Révérende Mère

La Mèrei Mectilde du Sainct Sacrement,

Supérieure des Religieuses bénédictines de Ramberviller

A Paris

Autographe aux Archives du monastère de Paris, n° 7.

ANNEXE XI

Pax Christi A Saint-Mansuy, le 22 avril 1653

Ma très Révérende et très chère Mère,

Je reviens seulement hier soir de mon voyage d'Alsace qui a été de quinze jours entiers plus long que je ne l'avais compté. On me donna aussitôt à mon arrivée les deux vôtres des 4 et 5 du mois courant avec celle qu'il vous a plu écrire à Monsieur le Vicaire général, laquelle, je lui ai portée moi-même incontinent après un dîner et ensuite l'ai tellement prié et pressé de vous donner le consentement désiré, qu'il vient de m'en envoyer la dépêche pendant nos Complies, pour vous la faire tenir par le

304 CATHERINE DE BAR

DOCUMENTS HISTORIQUES 305

courrier de demain matin. Voilà donc une lettre de Monsieur, pour servir de réponse à celle que vous lui avez écrite et sa permission que vous avez demandée conformément au modèle que vous avez renvoyé.

Quant au consentement, permission et décharge, que vous désirez de vos filles je leur en ai aussi dressé un modèle le 17 du courant en repassant à Rambervillers. Il y a cinq jours qu'elles ont approuvé et agrée et ensuite m'ont promis de le faire rescrire par la meilleure plume d'entre elles pour vous l'envoyer aussi. Et si elles ne l'ont encore fait, elles le feront au plus tôt, autrement elles me tromperaient, en feraient contre leurs promesses, ce que je ne peux et ne dois croire d'elles.

Car dès que la Mère Sous-Prieure me montra la vôtre du 26 du passé

par laquelle vous leur mandiez que l'affaire était déjà faite dès le jour précédent, je leur dis à toutes qu'il n'y avait plus moyen de reculer ni

aucune raison à tarder davantage à vous procurer le consentement et congé désiré et ensuite leur fis le dit modèle. C'est pour vous faire savoir

que j'ai procuré ce consentement et permission pour vous, avant que j'ai

l'honneur de recevoir vos dites deux dernières et que si je fusse revenu plus tôt, je vous aurais aussi plus tôt envoyé ce que je vous envoie présentement.

Il est vrai qu'en passant à Rambervillers, au commencement de mon dit voyage, vos filles m'en dirent tant contre cette fondation, que n'en sachant le contraire, je fus obligé de les croire. Mais [vu que] du depuis, j'ai été mieux informé de l'affaire, j'ai aussitôt travaillé pour vous procurer votre obédience selon votre désir. Voyez si en autre chose je vous pourrais servir et commandez-moi librement mais faites moi l'honneur de m'écrire le titre sous lequel il vous faudra dorénavant adresser les lettres et je prierai Dieu qu'il bénisse vos travaux en cette pieuse fondation pour sa Gloire, l'honneur de votre maison, le salut des âmes et l'accroissement de vos mérites et demeurerai toujours

Ma très Révérende et très chère Mère

Votre très humble et très obéissant serviteur en Notre-Seigneur. de l'Escale

Autographe aux Archives du monastère de Paris.

ANNEXE XII

ACTE CAPITULAIRE DES RÉVÉRENDES MÈRES DE RAMBERVILLER QUI CONCERNE CE MONASTÈRE DE PARIS

9 août 1661

A NOS RÉVÉRENDES, ET TRÈS HONORÉES MÈRES, ET CHÈRES SŒURS,

LES RELIGIEUSES BÉNÉDICTINES DU MONASTÈRE DU TRÈS SAINT SACREMENT ÉRIGÉ A PARIS, SALUT, PAIX, UNION, A L'AMOUR DE JÉsus CRUCIFIÉ.

Nous soussignées Prieure, et religieuses du Monastère de la Conception de Notre-Dame, de l'étroite observance de l'ordre de Saint Benoit, érigé en la ville de Ramberviller Diocèse de Toul, capitulairement assemblées au son de la cloche, pour traiter des affaires importantes de notre dit Monastère, pour bonne considération, nous avons donné, et donnons, notre consentement par cet acte, savoir que la Révérende Mère Mectilde du Saint-Sacrement, la Révérende Mère Bernardine de la Conception, et les deux autres religieuses Professe de notre Maison, pourront demeurer en votre Monastère du Très Saint-Sacrement, tant qu'elles y verront de besoin et nécessaire pour la plus grande gloire de Dieu, vous pourrez voir nos très chères Mères et Soeurs, comme nous sommes reconnaissantes de vos bontés, de nous priver pour un temps, de celles qui nous sont les plus

chères en ce monde, pour vos satisfactions, et contentements, nous espérons aussi que vous nous honorerez de la continuation de vos saintes prières, que nous demandons avec instance et humilité, En foi de quoi et de tout ce que dessus, nous avons signées le présent Acte et consentement et y apposé le scel de notre Monastère le neuvième d'août mil six cent soixante et un.

Soeur Benoite Brem prieure, Soeur Dorothée Heurelle sous-prieure,

Soeur Placide Gérard, Soeur Gertrude de Vomecourt,

Soeur Marie Joseph Sommier, Soeur Paul Pierre,

Sœur Marguerite de la Conception de Lescale,

Soeur Jeanne de la Croix Parmontel,

Soeur Magdelaine de Saint Joseph Maire,

Soeur Catherine Thérèse Bagnerelle,

Soeur Magdeleine de Saint Michel Bellet,

Soeur Benoiste de Saint Prospere d'Arconas,

Soeur Anne-Marie de Jésus Lambert,

Soeur Marie de Saint Dominique Rambault,

Soeur Marie Mecthilde du Très Saint Sacrement Philippe.

Autographe au monastère de Rouen.

ANNEXE XIII

A LA RÉVÉRENDE

La très Révérende Mère Mectilde du Sainct-Sacrement

Prieure de Monastère des Religieuses Bénédictines

du très St Sacrement de Paris,

et Supérieure par commission des Monastères

de Linstitut de l'adoration perpétuelle

du Trs St Sacrement de Lautel,

REMONSTRENT TRES HUMBLEMENT LES

Religieuses Prieure et Convent de L'ordre de saint Benoist establies a Ramberviller Diocese de Toul, que depuis plusieurs années elles ont beny Dieu de la grande pensée qu'il vous avait donnée de faire honnorer le tres Saint Sacrement de Lautel avec un culte perpetuel, et de la Vigueur avec laquelle vous en aves faict voir depuis l'ontemps la pratique en vostre Monastere de Paris, Et depuis un an et demy en celuy de Toul, quelles auroient souhaité de vous suivre en un sy genereux et sy eslevé desseins, sy la conoissance de leur propre misere ne leur avoit persuadé quelles n'avoient pas les dispositions que les qualités dadoratrices perpetuelles et de reparatrices semblent demander : que nonobstant que cette pensée de leur abjection les retirast. Elles se sont s'enties souvent attirées par des touches quelles peuvent croire raisonnablement venir du Fils de Dieu qui veut estre adoré en la Divine Eucaristie, ce qui les auroit obligé a entreprendre L'adoration pendant le jour avec la reparation de puis vingt sept mois, que dans la continue de cet exercice elles ont receu des graces merveilleuses qui leur ont faict reconoistre que la Majesté cede a L'amour en ce tres auguste Sacrement, Et que le Fils de Dieu ne se rebutte point des miseres auquelles nre fragilité nous assuijettis, et se contente que nous ayons une volonté constante perpetuelle, et infinie de l'honnorer par tout ce que nous sommes, et par tout ce que nous pouvons : qu'en fin Elles ne veulent pas que le Fils de Dieu leur reproche plus l'ontemps que pendant que tant de sacrileges portent avec des efforts sy injurieux l'infamie Jusques sur les autels elles demeurent dans

306 CATHERINE DE BAR DOCUMENTS HISTORIQUES 307

une indiferance honteuse, sans avoir aucun zele pour la d'effence de son honneur. Ce qui leur auroit donne un desir tres ardant de sunir avec vos Monastères de Paris et de Toul, Et de sincorporer avec eux en vue mesme congrégation sil plaist au Saint Siege d'en eriger une : qu'en execution de ce desir elles vous ont escrit plusieurs fois, tant les particulieres que toute la Communauté afin quil vous pleut les recevoir en cette union et incorporation : quelles ont demandé les permissions nécessaires grand parloir du monastère de l'étroite observance de l'ordre de St Benoist a Ramberviller la Rde mere Benoiste de la passion prieure du dict monastere, la Rde mere Bernardine de la Conception Superieure de la maison du très St Sacrement de Toul religieuse professe de ce monastere, la mere Catherine Therese souprieure, la Mère Placide Gerard, la mere Gertrude de vomecourt, la mere Marie Joseph, la mere Anne de Ste Magdeleine Maistresse des Novices de la maison de Toul et religieuse professe de ce monastere de Ramber, la mere Scholastique, la mere Bernardine de la presentation, la mere Catherine Dorothée, la mere Angelique de la Nativité, la mere paul-pierre, la mere Marguerite de la Conception, Soeur Anne Magdeleine de St Joseph, Sr Marie Magdeleine de St michel, Sr Benoiste de St prospere, Sr anne Marie de l'enfant Jesus, Sr Marie de St Dominique, Sr Marie Mectilde du St Sacrement toutes ces religieuses du choeur et Sr Marie Marthe, Sr Bastienne et Sr Libaire Converses, lesquelles nous ont dict qu'ayant faict quantité d'assemblées capitulaires depuis plusieurs années pour veoir si elles uniroient leur monastere a l'institut de l'adoration perpetuelle du tres St Sacrement estably a Paris au fauxbourg St Germain enfin le quinziesme Décembre dernier, elles resolurent de prendre les Constitutions des monasteres du St Sacrement establys a Paris et a Toul, et d'entrer en congregation avec eux, qu'en mesme temps elles prierent par une lettre missive signée d'elles toutes la très Reverende mere prieure du St Sacrement de Paris de vouloir les recepvoir au nombre des adoratrices du tres St Sacrement de l'autel et de prendre la peine de se transporter a Rambr pour establir son institut dans leur monastere. Que du depuis elles s'éstoient addressées a Monseigneur L'illustrissime et Reverendissime ANDRE DU SAUSSAY Evesque et Comte de Toul Prince du St Empire leur Superieur pour avoir les permissions necessaires en cette occasion, lesquelles il leur auroit donné par son decret du troisiesme apvril mil six cent soixante six Que par diverses lettres reiterées elles avoient sollicité la dte très Rde mere prieure du St Sacrement de Paris de venir promptement satisfaire aux ardents désirs qu'elles avoient d'honorer le très St Sacrement en son institut, la quelle après tant d'instance seroit arrivée en cette ville et en leur monastere dés le seiziesme du courant : que depuis sa venue elles se seroient encor assemblées capitulairement et auroient faict diverses conferences sur le mesme subject de l'institut qui auroient toutes reussy a les affermir de plus en plus en leur dessein ce qui les auroit porté a prier la dte tres Reverende mere par une requeste signée d'elles toutes de vouloir les unir, associer et aggreger a l'institut de Fado-ration perpetuelle du tres St Sacrement pour estre incorporées avec les autres monasteres en la Congregation qu'on espere du St Siege et en suitte de cette union vouloir prendre possession du spirituel et du temporel de leur monastere adjoustant qu'à fin que les choses se fissent avec plus de fermeté et de solennité et en la meilleure forme qu'il se peut, elles m'ont prié de me transporter expres du lieu de ma residence ordinaire d'Hablenville en cette ville et en leur dict monastere pour reiterer en ma presence les mesmes prieres a la dicte tres Rde mere, comme elles ont faict, la suppliant en ma presence a deux genoux de ne vouloir point differer davantage les dictes unions et prises de possession.

MONSEIGNEUR ANDRE du SAUSSAY EVEQUE Sur quoy la tres Rde mere Catherine Mectilde du St Sacrement prieure susdicte des religieuses Benedictines du monastere du tres St Sacrement de St Germain de Paris presente au mesme parloir bien cogneue aux tesmoings soubscripts avec moy, à dict, qu'après avoir prit toutes les précautions necessaires a une affaire de cette importance, elle condescend avec toute la joye de son coeur aux Sts desirs des dtes Rdes meres les et comte de Toul leur superieur par la requeste quelles luy ont presentée a cet effect et qu'il a decretée favorablement, tesmoignant Agreer leur dessein, et leur donnant sa benediction pour lheureux sucés d'une entreprise qu'il estime fort louâble. C'est pourquoy, MA TRES REVERENDE MERE lesdittes Religieuses Prieures et convent vous reconnoissant en qualité de superieure des Monasteres du Sainct Sacrement vous supplier instamment de vouloir les Recevoir a l'adoration pertuelle en reparation des outrages qui se commettent contre le Fils de Dieu en la Divine Eucaristie de les unir a vos deux autres Monasteres sous le mesme institut du Très Saint-Sacrement ; déclarant qu'elles prétendent estre incorporées avec eux et avec tous les autres Monastères qui seront cy apres establis, en la congregation que le saint Siege erigera, voulant mesme que des apresent leur nom soit employes a Rome, sil en est besoin, en qualité d'adoratrices pour en impetrer l'erection de sa Saincteté ; Et que pour c'est effect vous prenies incessamment possession de leur Monastere dans les formes ordinaires et particulierement pour lestablissemet. effectif de L'adoration perpetuelle de jour et de nuit, sous les mesmes constitutions, loix et pratiques qui sobservent es deux autres Monasteres, autant que la bien seance et la difference des Lieux le pourront permettre, dont elles se remettent a vostre Prudence. En foy de quoi, et pour tesmoignage asseuré de leur volonté elles ont signées en leur Monastere de Ramberviller, et faict capitulairement. ce 19 Avril 1666.

Sr Benoiste de la passion prieure,

Sr Bernardine de la conception prieur a toul,

Sr Catherine de Ste Therese souprieure, Sr Marie de St Placide,

Sr Marie de Ste Gertrude, Sr Marie Joseph,

Sr Scolastique De lAssomption, Sr Bernardine de la presentation,

Sr Dorothee, Sr M de la Nativité, Sr Marie Anne de St Paul,

Sr M de La Conception, Sr M. Anne Madelene de St Joseph,

Sr Marie Magdelaine de St Michel, Sr Benoiste de St Prospere,

Sr Anne Marie de Jesus, Sr Marie de St Dominique,

Sr Marie M. du très St Sacrement,

Sr Marie Marthe, Sr Marie de St Sebastien, Sr Marie Libaire de

St Jean, ces trois converses n'ayant l'usage d'escrire elles m'ont

prie de signer pour elles Sr Marie Magdelaine de sainct Michel secretaire du chapitre.

Request a Madame la Superieure du St Sacremen par les Religieuses de Ramberviller diocese de toul. Autographe aux Archives du monastère de Rouen.

ANNEXE XIV

t

Le vingt huietiesme apvril de l'an de nostre Seigneur Jésus Christ mil six cent soixante six du Pontificat de nostre St Père le Pape Alexandre Septiesme l'année onziesme indiction quattriesme comparurent par devant moy nottaire apostolique Prestre, Curé d'Habtenville Diocèze de Toul au

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prieure et religieuses du dict monastere de Ramber que de l'authorité qui lui est commise specialement, elle les unit, associe et aggrege avec les

monasteres de Paris et de Toul en l'institut de l'adoration perpetuelle du

tres St Sacrement soub les mesmes loix et observances autant que la difference des lieux et la situation du monastere le pourront permettre et

pour estre incorporées avec toutes les autres religieuses qui sont desja dans l'institut ou qui y seront cy apres en la Congregation que le St Siege exigera et desirant de rendre cette union effective et accomplie par la prise de possession, elle nous a dict que c'est un poinct principal dans l'institut de recognoistre la très Ste vierge pour abbesse de tous les monasteres, et qu'ainssy elle pretend que la très Ste Vierge prenne possession de ce monastere de Rambr ne voulant agir en aucune façon que soub son nom nous priant de vouloir entrer dans le monastere pour etre present a toutes les solemnités, où estant entré avec les tesmoings nommés cy dessous, nous l'avons trouvé dans le choeur avec l'image de la très Ste Vierge entre ses mains accompagnée de deux porte cierges et l'ayant faict asseoir en la première place les dtes Rdes meres prieure et religieuses sont allées baiser les pieds de la tres Ste vierge entre ses mains en tesmoignage de leur obeissance, de là nous l'avons conduict en chapitre où en presence de toute la communauté, elle a posé l'image de la Ste vierge au lieu principal où par apres nous l'avons faict asseoir elle mesme, elle à sonné la cloche du dortoir, arraché de l'herbe au jardin et allumé du feu a la grande chambre de l'infirmerie, elle s'a faict representer l'estat du temporel de la maison que nous avons veu en destail consistant és fonds de terre, constitutions, obligations, cedules, debtes actives et passives, et receptes et despenses ordinaires et extraordinaires, en mesme temps elle à estably l'adoration perpetuelle de jour et de nuict a commencer dés le jour de demain ayant ordonné que le très St Sacrement serait exposé le mesme jour qui sera le jeudy dans la sepmaine de Pasques avec toute la magnificence possible pour une marque plus solennelle de l'établissement de l'institut Et parce que les dtes Rdes meres chascune pour soy nous a prie de faire un ou plusieurs actes de ces union et prise de possession pour les servir a ce que de raison nous l'avons redigé en cette forme, faict au dt monastere de Rambr le jour et an que dessus en presence du Rd Pere EPIPHANE LouY Docteur en theologie et Abbé regulier du monastere d'Estival de l'ordre de premonstrés, en présence du Rd Pere CHARLE RAMBEAU prieur du Convent des Peres Prescheurs de L'angres et Monsieur françois Chappelain ordinaire des dictes Religieuses

Sr MECTILDE du st Sacrement Indigne par commission

Supérieure des Monastères de la Congregation,

Sr Benoiste de la passion prieure de Ramberviller,

Sr Bernardine de la conception Prieure de toul,

Sr Catherine Therese Sousprieure de Ramberviller,

Sr Placide Gerard,

Sr Gertrude de vomecourt, Sr Marie Joseph,

Sr M Arme de Ste Magdelaine,

Sr Scolastique, Sr Bernardine de la Presentation huel,

Sr Catherine Dorothée, Sr Angélique de la Nativité,

Sr Arme de St Paul,

Sr Marguerite de la Conception, Sr Magdelaine de St Joseph,

Sr Marie Magdelaine de St Michel, Sr Benoiste de St Prospere,

Sr Anne Marie de Lamfans Jesus, Sr Marie de St Dominique,

Sr Marie M. du très St sacrement,

Sr Marie Marthe, Sr Bastienne, Soeur Libaire. DOCUMENTS HISTORIQUES 309

L L LOUYS

Abbé d'Etival témoin

Brouchenz Notaire

C Rambault Prieur temoing

Claude françois preste tesmoin

Prise de possession de la Rde M. Mectilde du St Sacrement du Monastere des Rses Benedictines et de Rembervillier pour s'unir et aggreger a l'institut de l'adoration perpetuelle le vingt huictme avril 1666

3° Piece De la 4eme liasse du ler.

Autographe aux Archives du Monastère de Rouen.


ANNEXE XV [ ! Lettres]

LETTRE AUX RELIGIEUSES DE RAMBERVILLERS

1646? Mes très chères Mères,

L'esprit pur et saint de Notre Seigneur Jésus-Christ, soit votre lumière, votre vertu, et votre sanctification et je le supplie qu'il le répande en vous comme il a fait sur ses Apôtres : qu'il vous remplisse de l'onction de la grâce, et qu'il vous fasse agir en toutes choses pour les purs intérêts de Sa gloire, Je vous supplie mes très chères Mères de vous revêtir de ses intérêts et de vous anéantir dans les vôtres afin de donner lieu a Son Esprit qui veut opérer dans vos coeurs, Je Le prie vous unir toutes en son amour. C'est la plus grande grâce que je vous désire, sachant bien que où est l'union, la charité régne, et la charité est Dieu DEUS CARITAS EST. Dilattez vos coeurs et recevez le Saint Esprit qui unit et qui transforme nos âmes en Jésus-Christ.

Je vous écris, mes très chères Mères de trouver bon que je vous témoigne le désir que j'ai de vous voir toutes à Dieu par Jésus-Christ et comme je sais que nous n'y pouvons pas être que par Lui, je le supplie posséder vos âmes et vous donner toutes les grâces qui vous sont nécessaires pour arriver à la consommation de votre perfection et sachant que Notre Seigneur veut que vous vous aidiez l'une l'autre a porter son Joug. C'est pourquoi je vous prie et vous ordonne en Sa Sainte Présence de vous entre-soulager l'une l'autre avec dilection, amour et charité, mais très particulièrement que vous tendiez les bras de votre affection à notre très bonne Mère, à laquelle vous et moi avons des obligations infinies, pour tant de soins et de peines qu'elle continue de prendre, pour le bien de toutes en particulier, et pour le général de la maison, sans jamais désister ni manquer d'une admirable fidélité, qui nous doit rendre éternellement redevable à sa bonté, et pour moi je vous avoue que j'en ai de très grands sentiments, et que je voudrais bien les pouvoir dignement reconnaître. Je voudrais être avec vous pour y faire ce que Notre Seigneur me donnerait de grâce et de capacité pour La secourir. Mais puisque Sa Providence m'en prive, je vous prie d'y suppléer et de continuer votre bon zèle et sainte affection pour le bon rétablissement de notre maison.

Il semblait vous en avoir fourni un moyen humain, mais lui même L'a détruit, Il faut s'abandonner à Sa Sainte conduite et adorer les desseins cachés de son Amour, sur notre Communauté. Le temps n'est pas encore venu, il le faut attendre en humilité et patience, et cependant nous rendre à Dieu dans une entière fidélité, anéantissant tout autre dessein ou prétention que nous pourrions avoir. Mes très chères Mères les heures et les moments se consomment, mais il faut tâcher que ce ne soit

310 CATHERINE DE BAR

point inutilement, en nous amusant a beaucoup de pensées et de retour, marchons pendant que nous avons la Lumière, allons à Dieu c'est notre principal dessein et notre unique fin.

Mais comment irons nous à Dieu, dans les tempêtes, dans les orages, dans les renversements, dans les humiliations, et dans toutes sortes de peines et de contradictions, voilà la voie, mais après avoir outrepassé ces choses l'âme trouve Dieu d'une manière ineffable, nous en avons l'exemple en l'Ecriture Sainte ; sur cette montagne d'Oreb, Elie trouva Dieu dans le doux zéphyr, mais ce ne fut qu'après les tourbillons de vents, d'éclairs, de tonnerres, et de tempêtes. Il faut souffrir avant que d'avoir le repos. Il faut anéantir nos sens et notre esprit humain avant que de goûter la suavité de la mort mystique. Enfin, mes très chères Mères nous n'avons que Dieu pour toutes choses, tout le reste nous doit être insipide et notre vie ne doit point avoir d'autre but que d'être consommée en l'amour de Son bon plaisir.

Je suis en lui, mes très chères Mères votre très affectionnée et fidèle servante.

Archives du Monastère de Tourcoing.

ANNEXE XVI

LETTRE A LA RÉVÉRENDE MÈRE BERNARDINE DE LA CONCEPTION SOUS-PRIEURE DES RELIGIEUSES DE RAMBERVILLER

A Paris, jour de Saint-Laurent 1652

Ma très chère Mère,

J'ai reçu votre chère lettre commencée du jour de Sainte-Marguerite et achevée le jour de Sainte-Anne par laquelle je vois les excès de bonté que vous avez pour moi et combien les peines que vous croyez que je souffre vous sont sensibles. O ma très chère Mère, je suis bien indigne d'en souffrir ; vous aurez appris de la bouche de nos Soeurs que nous n'avons point encore souffert d'extrémités. Je ne sais ce que la Providence nous garde il s'y faut tout abandonner et se résoudre à la mort. Je suis bien en peine non de la misère que je puis souffrir, mais de bien faire les volontés de Dieu. Je suis arrêtée ici par un ressort de la divine Providence sous quelque apparence importante à la gloire de Dieu, mais le grand mystère c'est d'y bien discerner l'ordre de Dieu et ce qu'il veut de moi. Des Dames, touchées de très grande piété, assemblent ce qu'elles peuvent pour faire un petit fond pour assembler nombre de religieuses vouées et consacrées au Très Saint Sacrement de l'Autel pour l'adorer nuit et jour. Elles se sont mises en devoir d'en dresser quelques articles et de faire un concordat. Je les laisse agir, abandonnant le tout à la Providence, me tenant passive, dans aucune volonté, néanmoins le règne où nous sommes nous fait considérer beaucoup de choses et me fait vous supplier, ma très chère Mère, avec toute l'instance que je peux, de faire faire des prières, beaucoup de prières pour cet ouvrage et à l'intention de cette petite fondation qui est de réparer les outrages, les injures, mépris, sacrilèges, rendus au Très Saint Sacrement de l'Autel, non seulement par les soldats et par les malheurs de la guerre, mais plus méchamment et abominablement par les magiciens, sorciers et autres malicieuses personnes qui déshonorent volontairement le Très Saint Sacrement et qui foulent un Dieu dans la sainte hostie. Je vous avoue que l'intention est si sainte qu'elle me touche beaucoup, car je m'estimerais bien heureuse de mourir dans ce travail et d'y souffrir quelque chose, mais comme je suis moi-même sacrilège et abomination, je me vois tout à fait indigne d'y

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DOCUMENTS HISTORIQUES

travailler, ni coopérer en aucune sorte, et je crains de déshonorer Jésus-Christ dans son Saint Sacrement au lieu de l'y glorifier et réparer la gloire qu'on lui ôte tous les jours, car il se fait par les guerres, mais plus particulièrement par les sorciers et magiciens des exécrations si abominables qu'on ne les peut entendre sans mourir. Je ne doute donc point de la sainteté et excellence de l'oeuvre, mais mon indignité, insuffisance et le reste de mes misères font de très grandes oppositions et ne sais comme y consentir. Je suis pressée en deux manières, la première de ne point empêcher la gloire de Dieu dans le Très Saint Sacrement, parce que si je n'accepte l'affaire, elle ne se fera point ; l'autre, les incapacités et misères qui sont en moi que je touche si palpablement que j'en suis toute environnée et quelquefois submergée, et je me trouve comme en presse de ce que je dois faire, car dans mon fond je ne veux que le bon plaisir de Dieu, sa pure gloire et l'accomplissement de ses desseins sur moi. Je n'ai aucun intérêt propre, ce me semble, à cet ouvrage, d'avoir son effet ou de ne l'avoir pas, cela m'est très indifférent, m'étant impossible d'avoir aucun désir particulier, ni de m'attacher à aucune chose. C'est pourquoi je ne m'en occupe pas et au dedans et au dehors j'en possède un repos et calme très grand. Ce n'est point l'oeuvre des créatures, c'est celle de Jésus, il la fera comme il lui plaira.

Dans votre chère lettre, ma très chère Mère, vous me pressez de retourner, voilà ce qui me lie et me retient, ne pouvant former une résolution, de crainte d'agir contre les ordres de Dieu. Je suis prête de retourner quand Notre Seigneur me le permettra mais l'on me fait scrupule de négliger cette oeuvre qui n'aura point d'effet si je m'en retire ; si je n'envisageais que mon repos et mes intérêts, je saurais bien ce que j'aurais à faire, mais il ne se faut point considérer dans les affaires de Dieu ; nous n'y devons voir que sa pure gloire et nous perdre et abîmer dans le néant.

Je vous supplie de communiquer la présente à notre bonne Mère Benoîte, à la Mère Gertrude, Mère Placide, Mère Madelaine et à ma Soeur Dorothée et les suppliez de ma part de beaucoup prier que Dieu se glorifie comme il lui plaira et que je ne souille point son ouvrage, priez-le toutes qu'il en fasse à sa volonté et que je n'y aie point d'autre part que la profond néant. Faites aussi prier le bon frère Jean et lui parlez de cette affaire. Pour moi je la remets en Dieu et proteste devant le Ciel et la terre que je n'y prétends rien, pourvu que Dieu soit glorifié, il me suffit ; la Providence ne m'a jamais présenté aucune affaire où je sois plus morte et dégagée qu'en celle-là. Je prie Notre Seigneur que je n'y aie jamais de vie, mais que lui seul y soit vivant et glorieux. Si le Révérend Père de l'Escale était de retour, il serait très bon de lui en conférer, et c'est le sujet qui a retardé mes lettres à son égard, voulant avoir plus d'intelligence du fond de l'affaire pour lui mander, mais je n'ai pu l'avoir plus tôt que mardi dernier où ces Dames s'assemblèrent et me donnèrent leurs paroles et demain ou lundi elles signeront le concordat. Cela n'est-il pas surprenant dans le temps des malheurs et des misères où nous sommes pendant que tout le monde s'enfuit de Paris et qu'on croit absolument sa ruine, l'occasion se présente pour s'y établir, cela est assez particulier, et ne peut être sans mystère si la chose réussit.

Voilà donc le sujet qui m'a fait vous supplier de faire ici un voyage pour en conférer avec vous, et j'aurais bien désiré pouvoir être en puissance de vous aller trouver pour ne vous donner cette peine, mais je ne le puis. Voyez donc avec nos très chères Mères ce que vous croyez qu'il faut faire.

Il faut des âmes bien abandonnées à la croix pour commencer et

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perfectionner cet ouvrage, car le démon et les créatures y livreront de furieux combats, mais il ne se faut plus considérer que comme les victimes du Très Saint Sacrement qui doivent être consommées en amour. Il se faut perdre en Jésus-Christ et vivre de sa vie pauvre, cachée, et anéantie dans l'hostie.

Voilà pour cette affaire ce que je vous en puis dire, je prie nos chères Mères qui verront la présente ou sauront la substance d'icelle de m'en écrire leurs sentiments et de beaucoup prier pour la gloire du Très Saint Sacrement de l'Autel.

Au reste, j'ai appris avec joie et consolation de mon âme l'heureuse profession de ma chère Soeur de Saint-Joseph, je m'en réjouis et remercie Dieu de tout mon coeur de toutes les grâces et miséricordes que Notre Seigneur lui a faites je le supplie les lui continuer en abondance et lui donner la grâce de persévérer en son amour. Nous ne l'avons point oubliée bien que je n'ai pu lui écrire comme j'aurais désiré. Dieu, Dieu, ma très chère Mère, supplée abondamment à l'indigence des créatures ; il ne faut que recourir en foi à sa bonté et s'y fortement abandonner.

J'apprends avec douleur comme il a plu à Dieu vous visiter des fléaux de sa très sainte et adorable justice, ma très chère Mère, voilà des accidents bien effroyables, l'on en sait bien les nouvelles à Paris et beaucoup de personnes en sont touchées. Je prie Notre Seigneur qu'il console ceux qui sont dans la mer d'affliction, je ne sais si ma soeur ne sera point submergée, car on dit qu'à Saint-Dié la foudre et l'orage fut extrême. Je la donne à Notre Seigneur : pourvu qu'elle soit morte de la mort des justes, c'est tout le bonheur que je lui désire.

Je crois que je vous en dis trop si vous n'aviez la charité que Dieu vous a donnée pour moi. Je le prie qu'il s'en glorifie, peut-être que bientôt vous direz que mes lettres vous sont importunes ce sera un sujet de me remettre plus profondément dans mon abjection, sans pourtant me tirer jamais de l'étroite union que Dieu me fait avoir avec vous, adieu je vous laisse toute à lui et suis par lui toute à vous.

Archives de l'Abbaye Saint-Louis du Temple, Limon.

ANNEXE XVII

LETTRES AUX RÉVÉRENDES MÈRES

LES RELIGIEUSES BÉNÉDICTINES

DU MONASTÈRE DE RAMBERVILLER

Mes Révérendes et mes très chères Mères, Le 2è avril 1653.

La paix et l'amour de Jésus dans le Très Saint Sacrement de l'autel soit le lien indissoluble de nos coeurs pour le temps et pour l'éternité.

J'écrivis samedi dernier une lettre à notre très chère et révérende Mère Sous-Prieure, par laquelle je vous exprimais les sentiments que les vôtres m'obligeaient d'avoir, mais la crainte que j'ai de vous avoir causé quelque peine par icelle, me fait vous réitérer la présente, par laquelle je vous assure que mon désir n'est point de me désunir d'avec vous. Je chéris trop la grâce et l'honneur que vous m'avez fait de m'admettre en votre sainte compagnie et de m'y avoir souffert avec tant de bonté, qu'éternellement j'eu aurai de la reconnaissance et je vous proteste que le consentement que je vous demande n'est que pour éviter la renonciation et je vous supplie mes très chères Mères me le donner ; ce n'est pas seulement pour raison de l'établissement, quoiqu'il soit nécessaire de bienséance, mais c'est pour parer les coups d'une très grande persécution qui s'élève et laquelle fera avec la grâce de Jésus-Christ quelque bon effet de destruction en moi. Je dois éviter les occasions de faire parler si je peux. Votre consentement par écrit en bonne forme avec les témoignages de votre sainte affection y fera beaucoup ; cela fera taire ceux qui croient que je suis mal avec vous ou que je vous aurais obligées de me chasser, car, mes très chères Mères, si la Reine et quelques autres personnes me supportent, il y en a un très grand nombre qui tâchent de m'abattre (1) ; je souffre avec grand repos et paix d'esprit leurs discours. Hélas ! s'ils me connaissaient devant Dieu telle que je suis, ils en feraient bien davantage. Je dois donc envisager l'ordre de Dieu dans leur conduite et y prendre ma complaisance et ma satisfaction. Il faut que les desseins de Dieu s'accomplissent.

Je ne veux pas vous assurer absolument que cette oeuvre soit la volonté de Dieu, mais nous avons grand sujet de croire que son ordre nous y tient ; car il est impossible de désister présentement, il faut suivre les ouvertures que Dieu donne et abandonner le tout à sa sainte Providence. Je n'y suis point plus ardente que du passé et ne poursuis point l'accomplissement parfait d'icelle. Il me suffit de posséder le Très Saint Sacrement, le reste n'entre point dans ma pensée. J'ai même fait différer de planter la croix, afin de ne point tant éclater. Je ne sais point si Notre Seigneur me rendra digne d'avoir part à cette oeuvre, il me la fait connaître si sainte et si pleine de bénédictions, que je ne la puis regarder qu'en respect. Je ne m'y suis jamais trouvée, ni au commencement ni maintenant ; dans sa poursuite ce n'est point à moi d'y vouloir ou n'y vouloir point être, puisque je ne dois faire aucun usage de ma volonté. Si Dieu l'achève, à la bonne heure, s'il l'anéantit, il en soit à jamais béni. Tout ce que j'ai tâché de faire jusqu'ici ç'a été de n'y point prendre de vie, elle est entre les mains de la divine Providence, mais quoiqu'il en arrive, je ne serai jamais séparée de vous, mes très chères Mères, car si c'est Dieu qui m'a donnée à vous et qui nous a unies en son saint amour, il peut m'appliquer à ses ouvrages sans interrompre notre chère union et je vous assure que de ma part, elle sera inviolable. J'espère que de la vôtre il en sera autant et que pour confirmation d'icelle vous me donnerez en toute diligence le consentement que je vous demande et pour vous témoigner que je n'ai aucun dessein de vous quitter, ni me retirer de vous, bornez ma demeure en ce pays pour le nombre d'années que vous jugerez à propos après lesquelles vous désirez que je retourne si Dieu ne me retient absolument en ce lieu par les règles de l'obéissance, pour sa gloire, plus longtemps.

Je vous supplie et conjure mes très chères et mes très bonnes Mères, de ne me point presser à faire un acte de renonciation. Si vous craignez quelque chose de ma part et que je vienne à faire un trop libre usage de vos bontés, je vous promets ne retourner jamais dans votre sainte Maison, que par l'agrément de toute la Communauté. Je ne ferai rien à son désavantage, je vous en ferai telle protestation qu'il vous plaira par écrit si vous voulez et en présence de témoins. Je vous avoue que j'ai une répugnance très grande de rompre par le renoncement et me séparer de vous ; ce n'est pas que je veuille avoir la liberté de retourner quand il me plaira et de vous tenir en impuissance de me refuser. Non, mes très chères Mères, je vous proteste devant Notre Seigneur que je renonce de tout mon coeur à cette liberté et que je vous remets le droit, le pouvoir

(1) Persuadés que ma mauvaise conduite vous a obligées de me renvoyer de chez vous (variante d'un manuscrit du monastère de Paris).

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et la liberté de me chasser et refuser la porte comme indigne de votre sainte compagnie.

Hélas ! je vois très bien que je ne mérite pas cette grâce, puisque Dieu me retient. Sa très sainte volonté soit faite, mais je crois qu'il veut bien que vous me donniez pour sa gloire le consentement que je vous demande. Je vous assure que je ne l'exigerais point s'il n'était nécessaire pour montrer l'union qui est entre vous et nous, et pour faire voir que ce n'est point les considérations humaines de mes intérêts qui m'ont fait venir en ce pays-ci et pour d'autres raisons encore plus fortes que je ne vous puis dire. Si vous me le refusez, je dois prendre ce refus comme une marque assurée de vos volontés pour former l'acte de renonciation. Je vous supplie, mes très chères Mères, ne me point obliger à cela ; je vous en serai infiniment obligée.

Quant à l'importance de cette oeuvre, je vous puis dire qu'elle est autant épluchée et examinée qu'elle le peut être et que, nonobstant que je ne lui ai point donné l'être, elle ne laisse pas de nous causer d'assez grandes persécutions et quelque jour je vous en écrirai le détail qui vous fera admirer la conduite de Dieu et les ordres de sa sagesse sur moi, sa très indigne créature. Ce m'est une horrible humiliation d'être employée à cette oeuvre. Hé ! quel moyen d'être en réparation devant le Très Saint Sacrement pour tant de monde, moi qui l'ai plus profané que tous les plus méchants de l'univers. C'est un abîme où je me perds.

Je vous supplie, mes très chères Mères, de réparer pour moi et de m'obtenir du Ciel l'esprit et la grâce d'une telle oeuvre, si la Providence nous y attache. Je vous supplie aussi de croire que je ne serai pas moins affectionnée à vous servir en tout ce qui sera de mon petit pouvoir. Je vous témoignerai partout ma fidélité qui sera inviolable et qui me tiendra en une actuelle disposition de vous faire connaître par effet que je suis plus à vous qu'à moi-même et que je porterai à jamais la très chère qualité, mes très Révérendes et mes plus chères Mères,

De votre très humble, très obéissante, très fidèle et très parfaitement obligée servante en Notre Seigneur

Soeur du Saint Sacrement R.I.

Archives de l'Abbaye Saint-Louis-du-Temple à Limon.

ANNEXE XVIII

LETTRE A UNE RELIGIEUSE DU MONASTÈRE DE LA RUE CASSETTE

Mon enfant, si vous voulez m'en croire, vous vous mettrez au-dessus de plusieurs petites choses qui choquent votre sens et dont la vie est quasi toujours remplie par mille petits événements qui nous contrarient. Je vous conseille de n'être point esclave de cela ni des façons de faire et d'agir d'autrui parce que nous ne les pouvons pas changer. L'expérience nous doit persuader que ce sont de certaines choses qu'il faut souffrir, mais pour en faire bon usage, ne vous appliquez point volontairement à regarder la manière ou la conduite des créatures parce qu'il est du tout impossible que leur façon de faire vous puisse toujours agréer, mais tenez-vous en Dieu ; ne voulez en aucune chose que Dieu, ne vous souciez que de lui plaire et abandonnez le reste à sa divine Providence et vous posséderez un plus grand repos dans votre coeur. Notre-Seigneur a permis comme vous dites que le démon vous ait surprise, mais pour vous en garantir une autre fois faites ce que je vous dis.

Souvenez-vous du passage de l'Evangile : laissez les morts ensevelir les morts, suivez-moi. C'est ce que Notre-Seigneur répondit à un jeune

homme qui demandait d'aller ensevelir son père. Laissons les créatures dans les créatures, mais nous, allons à la suite de Notre-Seigneur. Il vous y appelle comme moi, et je puis dire plus fortement que moi qui ne suis plus qu'un tronc sans vigueur et sans fidélité. Relevez-vous promptement de votre faute et vous remettez en Dieu par le secours de sa très sainte Mère qui ne vous le refusera jamais. Priez-le pour moi qui suis en son amour toute à vous.

Ne vous troublez point de vos défauts mais tâchez de vous en humilier plus profondément par une plus grande expérience de votre faiblesse et du besoin actuel de la grâce de Dieu pour vous soutenir. Réparez par l'humilité les avantages que le démon a pris sur vous. S'il ne vous avait pas trouvée hors du sacré anéantissement, vous n'auriez pas été attaquée. Relevez votre courage et votre fidélité.

Archives du monastère de Bayeux.

Novembre 1662.

Ma chère soeur,

Je viens vous tirer de votre retraite et solitude ; je viens vous ôter de votre paradis ; je ne doute pas que vous n'ayez quelque crainte en sortant du repos où vous êtes ; mais vous savez que Notre-Seigneur ne vous l'a donnée que pour y acquérir de la force et les lumières dont vous avez besoin pour vivre en véritable religieuse. C'est pour quoi vous devez sortir de votre retraite comme un soldat sort de la ville où il a été en garnison pour se reposer, et être disposée à combattre les ennemis. Vous ne devez pas douter que vous n'ayez de puissants combats ; soit des démons, des créatures, et plus encore de vous-même afin de vous supporter dans vos misères, et souffrir votre corruption avec grande patience, sans jamais vous décourager ; et c'est la chose que je vous recommande le plus, et si j'osais je vous le commanderais, aimez vous petite et chérissez votre abjection, car c'est l'ordre de Dieu sur votre âme, et c'est une nécessité qu'il faut pourir.

Je songeais à cela après la sainte communion, et je le voyais plus clairement que je ne vous le saurais exprimer ; mais cela vous doit servir de grande consolation, c'est pourquoi lorsque vous vous verrez tomber dans quelques imperfections, relevez vous aussitôt, et en quelque méchante humeur que vous soyez, ne perdez jamais le courage ; dites avec le saint homme Job au dessus de vous même : « Quand Dieu m'aurait précipité dans les abîmes, j'espérerais encore à sa bonté ».

Ayez donc une grande espérance à la miséricorde de Dieu, et soyez donc certaine qu'il fait son ouvrage en vous, et qu'il se sert de vos pauvretés pour cela. Nous en avons besoin pour ne pas tomber dans de plus grands maux, et attendez avec respect et soumission à sa divine volonté, qu'il vous en délivre. Vous ne savez quel sera le moment, et afin de ne pas perdre cette grâce qui sera peut-être annexée à la ponctualité à une de vos observances, et peut être à celle qui vous semblera la moindre, soyez fidèle et ne cessez de mourir à vous même, nous vous l'avons dit il y a quelque temps dans une conférence.

ANNEXE XIX

A UNE RELIGIEUSE (RUE CASSETTE)

EN LA FAISANT SORTIR DE RETRAITE

A QUI ELLE DONNE PLUSIEURS INSTRUCTIONS

POUR SA PERFECTION

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DOCUMENTS HISTORIQUES 317

Rendez donc un hommage continuel à l'être infini de Dieu, en lui sacrifiant tout ce que vous êtes, et tout ce qui n'est pas lui, puisque lui seul doit régner. Vivez donc en continuel sacrifice ; l'autel est votre coeur, les trois divines personnes sont dessus, et toutes les créatures qui se présenteront à votre esprit, allez les brûler et dites à Notre-Seigneur : « Mon Dieu, je vous immole ces créatures, cette curiosité, cette parole que l'on m'a dite qui me choque, ce désir de plaire, et d'être estimée, enfin, mon Dieu, je vous prie de l'accepter, puisqu'il n'y a que vous qui devez avoir vie en moi ».

Vous ne devez pas seulement sacrifier ce que je viens de dire, mais ma soeur, il faut sacrifier le fond d'ardeur que vous avez de votre perfection, puisqu'en vérité, c'est souvente fois plus tôt notre élévation que nous recherchons que la gloire de Dieu ; brûlez donc de ce désir de votre éternité, et laissez en le soin à Dieu ; et pour vous n'en ayez aucun que celui de lui tout immoler par rapport à Jésus au Très Saint Sacrement : conformez donc votre vie à la sienne, et pratiquez tout doucement et petit à petit les vertus dont il vous donne de si fréquents exemples, et ne vous étonnez pas de vous voir si impuissante, car c'est le propre de la créature.

Les avis que j'ai à vous donner, c'est d'agir avec toutes vos soeurs dans une grande douceur, et un grand respect, ne les contrariant point.

Faites vos efforts pour ne les point contrister, et si par hasard il vous échappe quelques mots qui leur puissent donner de la peine, faite leurs en excuse ; ne dites jamais vos sentiments sur quoi que ce soit, à moins que ce soit quelques choses qui ne porte point de conséquence ; ne trouvez à redire ni à l'humeur ni aux actions d'aucunes. Tous les mouvements qui vous en viendront, portez les aussitôt au feu, et sacrifiez les, soyez ponctuelle au silence, soit la nuit ou le jour, et moins vous parlerez ce sera le mieux, et vous aurez plus de tranquilité d'esprit, que vous devez chérir comme votre bonheur, puisque l'on ne peut trouver Dieu que dans le calme intérieur, et il vous fait faire votre possible pour le conserver dans tous les événements de la vie qui n'est remplie que de troubles.cxxxvi

Si l'on ne sais se ménager, et rentrer dans la solitude du coeur, très souvent et insensiblement, vous reconnaîtrez la grâce et la force que vous en tirerez ne vous ingérez à faire quoi que ce soit qui n'est point de votre charge, et laissez toutes les choses dont vous n'avez que faire, et vivez autant que vous pourrez dans un saint dégagement de tout ce qui n'est point Dieu ; vous n'avez que Lui à contenter ; et référez Lui toutes vos actions, les faisant dans la plus grande pureté que vous le pourrez, sans mélange des créatures, et de vous même, et tenez pour suspect toutes vos pensées, et tout ce qui provient de vous même comme étant le plus grand ennemi que vous ayez sur la terre, puisque rien ne met tant d'obstacles entre Dieu que nous même.

Tâchez donc ma chère soeur à faire usage de tous ces petits avis et j'espère que Dieu vous bénira.

Archives du monastère de Ghiffa (Italie).

ANNEXE XX

LETTRE A UNE RELIGIEUSE DE LA RUE CASSETTE

Ma très chère fille en Jésus, Nancy, 20 mai 1664 (1).

Le retardement de la présente ne vous doit point jeter dans la pensée que je néglige de répondre à celle que vous avez pris la peine de m'écrire. Je vous en suis très obligée. Ce m'est une joie singulière d'apprendre de vos nouvelles et que tout soit comme vous me mandez en bonne disposition. Tout va bien quand Dieu règne dans les coeurs souverainement et tout est soumis à sa sainte conduite.

Mon Dieu ! qu'il y a de plaisir de voir une communauté qui marche à grands pas à la sainte perfection ! Je désire de tout mon coeur que toutes celles [les religieuses] de Paris soit aussi saintes que Notre-Seigneur le désire. Celle-ci fait son possible pour le devenir. Je voudrais que vous vissiez la douceur et l'union de tous les esprits. Cela va autant bien qu'on le peut souhaiter pour le présent. Dieu leur veuille donner s'il lui plaît la grâce de persévérance !

Je sais bien, très chère, que de votre part vous en voulez faire autant et que vous ne désirez rien avec plus d'ardeur que de remplir le dessein de Dieu sur votre âme. Qu'il soit à jamais béni de toutes les grâces qu'il nous donne en général et en particulier à tout l'Institut. Si mes péchés ne s'y opposent j'espère qu'il s'en glorifiera.

La maison de Rambervilliers va bien aussi et dans une grande ferveur et union. C'est le principal dans une communauté que cette belle union. Sans cela c'est un lieu de misère. Je vous dirai à mon retour tout ce que nous avons fait dans cette maison de Rambervilliers et comme Notre-Seigneur a béni notre voyage en donnant un beau et saint commencement à notre Institut en ce lieu. Toute la communaté l'a reçu avec respect et grande reconnaissance d'une telle grâce qu'elle estime merveilleusement. Je vous ai souhaitée de la partie, sachant que vous aimez cette maison. Je vous assure qu'elle vous aime aussi très chèrement et toute la communauté de Paris qu'elles estiment comme des anges sur terre, animées de la première grâce et ferveur de l'Institut. On ne parle à Rambervilliers de la maison de Paris qu'en vénération. Au reste, vous m'avez tant pressée pour laisser aller à Paris une de mes petites nièces que je souffre que ma Soeur Catherine vous emmène une telle que notre Révérende Mère Sous-Prieure l'a choisie. Vous voyez comme j'adhère à vos volontés. Je voudrais vous pouvoir témoigner en meilleure occasion que je suis toute vôtre en Jésus.

Je salue toute votre chère famille sans en oublier aucun, et Madame N. tâchez de la voir et de l'en assurer et de me recommander à ses saintes prières. Je salue aussi Monsieur et Mademoiselle Lemoine, Baptiste, et François, et Madame Barbe qu'il faut embrasser de ma part, à

otre loisir, et quand vous n'aurez plus rien à faire, et Catherine, la tourière.

Archives du monastère de Bayeux.

(1) En regard de cette lettre, Monseigneur Hervin note ceci : « La date m'embarrasse : les « vies » de Mère Mectilde disent que vers les fêtes de Pâques 1663, elle alla à Rambervillers (avec la Mère Bernardine) où elle prépara les esprits à recevoir l'Institut. Il est certain que Mère Mectilde n'alla a Toul pour la fondation de ce monastère que vers la fin de septembre 1664, ainsi j'incline à croire que cette lettre est de 1663. Je laisse cependant 1664 comme le porte le manuscrit de Saint-Nicolas-de-Port, car je puis me tromper dans mes conjec-

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ANNEXE XXI

A LA COMMUNAUTÉ DE LA RUE CASSETTE

Toul, fin novembre 1664.

J'ai reçu avec grande joie les témoignages de vos affections vers ma grande patronne sainte Catherine, et les marques de votre souvenir en me régalant de tant de jolis bouquets et autres belles choses. Je vous assure qu'en défaisant votre boîte à dix heures du soir pour être plus en repos, nous avons dit pour le moins cent fois : les pauvres enfants, elles ont trop de bonté, elles s'incommodent pour m'envoyer leur présent. Je les reçois donc, mes très chères, du même coeur que je sais que vous me les envoyez, et vous en rend un million de grâces, et payerai le port fidèlement. Mais vous seriez bien étonnées si je vous le portais moi-même ; l'ardeur que vous me témoignez toutes pour mon retour me fait croire que vous n'en serez pas fâchées.

Soyez certaines que je l'avancerai de tout mon possible, et qu'il n'y aura que N. qui le pourra retarder, incontinent après que nous aurons exposé dans la petite chapelle que nous avons dressée en ce lieu le très saint et très auguste et très adorable Sacrement de l'autel le jour de l'Immaculée Conception de la très sacrée Vierge. Comme c'est le jour que la fondation a pris naissance ou pour mieux dire a été conçue dans l'esprit de ceux que Dieu a choisis pour y travailler.

Voici donc, mes enfants, une production de la maison du Très Saint Sacrement. Voici ce qu'elle a présenté à Dieu par les mains de sa très sainte Mère et je vous conjure de joindre vos voeux et prières à celles que nous tâchons de faire ici et que la dédicace s'en fasse de tout nos coeurs, avec même zèle et même sentiments dans la vue d'une entière union pour la gloire de Jésus-Christ, dans ce mystère d'amour et auguste Eucharistie, que nous faisons profession publique d'honorer de toutes les manières qui nous sont possibles. Mon Dieu, que j'aurais de joie dans la naissance de cette oeuvre si mes indignités et infidélités ne s'opposaient à la complaisance que Notre-Seigneur y prendrait s'il était fait dans la pureté qu'il désire. Je ne puis comprendre comme cet ouvrage vient à son effet, je croyais en moi-même que Notre-Seigneur l'anéantirait à cause de mes crimes. J'en ai souffert en sa sainte présence des confusions très grandes et n'en peux revenir. Cependant les choses sont fort avancées et apparemment tout réussira. Après cela je voudrais être abîmée dans un cachot pour toujours, et n'était la tendresse que Dieu m'a donnée pour vous toutes, je n'aurais pas la force de retourner. Mais l'affection donne des ailes pour voler où elle ne peut marcher.

Puis donc, mes chères filles, que Notre-Seigneur fait une seconde maison à l'honneur de sa personne adorable dans le Très Saint Sacrement renouvelons notre zèle pour l'aimer plus constamment, et pour souffrir pour son amour je vous invite de redoubler votre fidélité pour vous rendre de vraies victimes. Mes très chères soeurs, ce n'est point une qualité nouvelle que je vous donne, c'est un titre que Jésus vous a imprimé au baptême, avec obligation de la rendre efficace. Je vous conjure que ce soit dès ce moment que vous entriez dans les usages de cette précieuse qualité par une simplicité d'esprit, une obéissance de coeur, et une profonde humilité. O mes enfants, la superbe n'a point de part aux communications divines et ineffables de Jésus au Très Saint Sacrement. C'est pourquoi l'on trouve peu d'âmes qui portent les sacrés effets de ce divin mystère. Notre-Seigneur s'en est plaint à la bienheureuse Angèle de Foligno.

Vidons nous, mes très chères soeurs, de mille petites délicatesses d'esprit, du petit point d'honneur, de la petite présomption d'esprit, du petit dédain que nous avons du prochain, et surtout de la secrète estime de nous-mêmes ; c'est notre malheur et c'est cette propre excellence qui fait tout le désordre et qui empêche la tranquillité de l'âme. Sacrifions tout cela et nous serons de véritables victimes, capables d'être consommées au feu du divin amour que Jésus est venu apporter en terre, et qui veut qu'il brûle absolument. Ne l'empêchons pas, et quand nous ne travaillons pas à la mortification de ces choses ne nous étonnons pas de nos pauvretés, de nos désolations, et de nos misères. Si la superbe fait le trouble de nos esprits, comme l'humilité en fait le calme, c'est assez dire à des âmes qui veulent contenter Dieu uniquement.

Je vous crois toutes dans cette disposition, et le prie de vous y maintenir, autrement je mourrais de douleur et d'affliction, parce que Notre-Seigneur n'aurait pas en vous sa joie et sa complaisance. Vous savez qu'il ne demande que cela d'être tout à vous, et vous d'être toutes à lui sans réserve. Ainsy soit-il.

Archives du monastère de Craon.

ANNEXE XXII

LETTRE A LA MÈRE ANNE DU SAINT-SACREMENT (RUE CASSETTE)

Toul, 28 décembre 1664.

Gloria in excelsis Deo et in terra pax hominibus bonae voluntatis.

C'est, très chère, cette précieuse paix que Jésus a apportée sur la terre au moment de sa naissance que je vous souhaite. Jésus est un fruit de paix ; il l'envoie annoncer aux pasteurs et dans sa résurrection il l'apporte lui-même : « PAX vOBIS ».

C'est, ma très chère, où je finis cette année, puisque voici la dernière lettre que vous recevrez avant la prochaine. Finissez-la en paix et commencez-la de même ; que la paix soit toujours dans votre coeur et qu'il ne soit jamais privé de cette bénite paix sans laquelle rien n'est agréable en cette vie et même pour les choses de Dieu. Je prie ce divin et adorable Enfant qu'il vous tienne dans sa paix, que vous n'ayez que des pensées de paix pour Dieu et pour les créatures, que des paroles de paix, que des oeuvres de paix.

« PAX, PAX » en tout et partout dans la maison et dans le coeur des filles du Saint Sacrement. Hélas ! pourquoi ne fait-on pas l'impossible pour être toujours en paix puisqu'il n'y a rien de si doux, ni de plus aimable à Jésus et aux hommes. Paix au ciel de votre âme, paix en la terre de votre coeur, paix partout. Je vous la désire pour étrenne et si je pouvais vous la mettre dans le coeur je l'y graverais profondément comme un bien infini. Hors de la paix c'est un enfer. Toutes les choses de la terre ne doivent pas nous ôter la paix, n'étant que des ombres et des figures qui passent. Dieu seul est, tout le reste n'est qu'un pur néant qui sera avec le temps abîmé dans le rien, et pourquoi donc nous en occuper ?

Vivez, très chère, dans la vérité, et ne vous repaissez pas de mensonges. Attachez-vous à Jésus le Prince de la Paix. Je crois qu'il en a fait quelque impression en moi en sa sainte naissance, priez qu'il me la conserve pour son pur amour et pour votre édification.

Archives du monastère de Dumfries (Ecosse).

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ANNEXE XXIII

A UNE RELIGIEUSE DE LA RUE CASSETTE

J'interdis, ma fille, tous les voeux qui se prononcent en vous qui ne sont pas soumis et purement dépendant de la sainte obéissance ; il faut toujours que vous disiez, je veux m'engager à tout ce que l'obéissance me permettra. Gardez vous bien de faire autrement, crainte que l'illusion ne se mêle avec la grâce, vous savez que quand le démon ne peut faire le mal directement il le déguise et le couvre de l'apparence du bien.

Je comprends bien ce que l'on veut de vous c'est une captivité en toutes choses et un garotement si étroit que vous ne puissiez échapper de part ni d'autre. C'est un grand ouvrage que cet enchaînement ; c'est être libre et esclave. C'est la force divine qui terrasse l'enfer en vous, c'est gagner en perdant, comme c'est vivre en mourant. Ne faites donc aucun voeu que dans la probation et confirmation de l'obéissance, du reste n'appréhendez rien ; celui qui vous lie, vous mène par la main et si vous ne pouvez marcher, il vous portera sur ses sacrées épaules ; vous trouverez en lui des forces dans votre faiblesse et dans le désespoir une secrète confiance. Votre qualité sera pour toujours victime d'obéissance, voilà votre nom par hommage à celui que l'obéissance immole tous les jours, ce mot comprend tout.

A Dieu jusqu'au moment que je vous pourrai voir. Priez Dieu pour moi et me croyez en lui toute à vous.

Archives du monastère de Dumfries (Ecosse).

ANNEXE XXIV

A LA SŒUR MARIE DE SAINT-JOSEPH,

NOVICE DU DÉVOT MONASTÈRE DES CARMÉLITES DE RHEIMS

Du Monastère de Notre-Dame de Bon-Secours, Caen, 23 janvier 1648 Ma très chère et honorée Soeur,

Jésus-Christ soit l'Unique tout de notre coeur et notre consommation.

Il y a longtemps que je désire de vous donner des nouvelles des effets de la Divine Providence en notre endroit ; elle a permis que je sois 'envoyée en Normandie à une maison de notre saint ordre pour y établir la réforme ; il y aura bientôt un an que cette croix me fut endossée sur les épaules, laquelle j'ai trouvée si lourde et insupportable que je n'y pensais pas subsister jusqu'à présent.

Si vous saviez ma très chère fille la rébellion des esprits dans les commencements et les résistances qu'ils nous ont fait, un bon coeur comme le vôtre aurait eu compassion de nous ; mais la Sagesse Éternelle ne nous a pas laissé longtemps dans cette douleur, elle a eu pitié de moi et en trois ou quatre mois elle rendit tous les esprits dans une telle souplesse que je puis dire avec vérité que l'on en fait quasi ce que l'on veut, et sont à présent dans un grand désir de perfection. Tout leur malheur est d'être tombé entre les mains d'une pécheresse indigne de recevoir grâce et très incapable de les aider au chemin de la sainte vertu, en étant moi-même si dépourvue, et dans une si grande pauvreté que je n'ai jamais vu une telle abjection que celle que je porte et que j'ai portée.

Par surcroît, depuis trois mois je suis tellement malade et languissante, que j'ai souvent pensé n'en pouvoir relever. Je ne sais si c'est l'air du pays, mais la fièvre ne me quitte que très peu avec un dévoiement d'estomac. Voilà ma toute chère où l'adorable Providence me tient depuis quel- que temps, durant lequel j'ai été honorée d'une de vos chères lettres que j'ai reçue fidèlement et mon âme s'est très aouïe du bonheur et des miséricordes que Dieu verse dans la vôtre.

Courage ma très aimée Soeur, il faut être sans réserve à Jésus-Christ, mais dans la pure fidélité de vertu et dans un total abandon à sa divine

conduite. Tout le secret de la sainte perfection, c'est d'être purement adhérente à la grâce, et pour bien pratiquer ce point, il faut le silence et la vigilance, et l'attention sur les mouvements de son coeur. J'ai une consolation si grande de vous savoir en un lieu si saint que je n'en puis assez remercier la Divine Bonté qui vous y a conduit, et qui a donné une char:té si entière à votre sainte Communauté de vous y recevoir. N'avez-vous pas des preuves suffisantes de la miséricorde éternelle de Dieu en votre endroit, et après une telle grâce pouvez-vous jamais désister de l'aimer ? Non ma très chère fille, je réponds pour vous que vous voulez être à Jésus-Christ sans réserve et que vous êtes toute déterminée d'y mourir à la peine. Continuez donc avec une humble confiance, apprenez de bonne heure à vous anéantir et à laisser régner Dieu en vous. Je Le prie de tout mon coeur vous remplir de sa grâce et de son Esprit, afin que vous puissiez dignement persévérer. Faites un saint usage des saintes instructions que votre digne mère maîtresse vous donne, soyez candide dans la découverte de votre âme, estimez autant qu'il vous est possible la sainte obéissance et n'opérez jamais aucune chose qu'en esprit d'amour et de soumission. Ne trompez point mon espérance, ma chère fille, il m'a toujours semblé que Dieu veut quelque chose de vous, laissez-vous toute à Lui afin que sa toute-puissance l'opère.

Cependant, priez-le pour moi et pour la mission à laquelle il nous a envoyé. Ma Soeur Dorothée de Sainte-Gertrude est ici avec nous qui vous salue de tout son coeur, elle continue d'être très fidèle à Dieu, elle a un peu plus de santé qu'à Saint-Maur. Il y a longtemps que je n'ai rien appris de Remberviller, je ne sais si vous avez su qu'une bonne vieille Soeur Anne que vous y avez vue est morte. Je ne sais rien de ce pays-là, sinon que la bonne Mère Benoîte de la Passion a été voir l'Abbaye de Saint-Jean-desChoux, c'est une abbaye de religieuses bénédictines mitigées en Alsace où l'on veut mettre la réforme, mais je ne sais point la conclusion de son voyage. Nous recevons des lettres : la croix de la guerre y est toujours, je ne sais si vous me comprenez bien. Je serais bien aise d'entendre quelquefois de vos nouvelles si votre Révérende Mère Supérieure le trouve bon, que si elle juge à propos de vous en priver, je le veux de tout mon coeur. Je vous prie de lui présenter mes très humbles obéissances et de lui témoigner l'extrême désir que j'aurais de la servir si Notre-Seigneur avait mis en nous quelque capacité pour cela ; obligez-moi de lui marquer mon affection, de l'assurer que je reçois comme à moi-même la grâce et l'honneur qu'elle vous a fait, et toute ma vie j'en demeurerai fort obligée, et d'autant que ma pauvreté ne me fournit aucun moyen de reconnaître dignement ses bontés. Je veux faire prier Dieu pour elle, non tellement par cette Communauté et la nôtre de Lorraine, mais encore par les bonnes âmes que la Divine Providence nous a fait connaître ; suppliez-la d'avoir pour agréable ma bonne volonté et de souffrir mon impuissance qui m'est d'autant plus chère et aimable qu'elle me rend abjecte dans les créatures ; recommandez-nous à ses saintes prières et de toute la sainte communauté et m'excusez si j'ai continué de vous écrire avec franchise, vous savez à quel point je vous ai toujours aimée et combien vous m'êtes chère devant Notre-Seigneur ; je Le prie derechef de vous combler de ses miséricordes et de vous sanctifier. Suis en Lui plus que jamais toute votre fidèle et intime servante Soeur du Saint Sacrement.

322 CATHERINE DE BAR

ANNEXE XXV

SECONDE LETTRE A LA MÈRE MARIE DE SAINT-JOSEPH Des Bénédictines du Saint-Sacrement de Paris.

Le jour de Saint-André 1654 Ma très chère Soeur,

Loué soit Notre-Seigneur Jésus-Christ au Très Saint Sacrement de l'Autel,

J'ai reçu deux de vos chères lettres quasi en même temps, et je vous y fais ce mot de réponse assez en hâte, mais pour vous témoigner le déplaisir que j'ai de ne vous pouvoir moi-même rendre le petit service que vous désirez. Plût à Dieu être digne de vous en faire un plus grand, mais vous savez comme la Sainte Providence m'a rendue en votre endroit tout à fait inutile, nonobstant la continuation de ma très sincère affection qui ne pourra jamais être anéantie ; je vous supplie de votre part qu'elle demeure en son entier autant que Notre-Seigneur vous le permet, afin que par le secours que j'attends de vos saintes prières, je me rende à Jésus-Christ et qu'il me fasse la miséricorde de me remplir de l'esprit et de la grâce de cette fondation, laquelle est faite en l'honneur du Très Saint-Sacrement de l'Autel, par voeu de la Reine, pour réparer autant que l'on pourra tous les outrages, sacrilèges, et impiétés qui se sont commis et se commettent contre ce très auguste et adorable Sacrement, devant la majesté duquel nous sommes obligées d'assister jour et nuit pour lui rendre nos hommages et très chétifs adorations.

Mon temps, outre l'office divin et l'oraison ordinaire, est depuis minuit jusqu'à deux heures que je sonne Matines et continue avec la Communauté, une autre y demeure une heure, ainsi chacune à son tour. Je vous ai dit la mienne afin que vous vous en souvenant quelquefois vous m'aidiez à réparer les irrévérences et les restes des méchancetés qui se commettent contre cet adorable Sacrement et que j'ai moi-même commis et commets tous les jours. Il n'y a que huit mois que nous avons la Croix plantée, j'ai eu de grandes répugnances à cet établissement, tant par les vues de mon insuffisance que d'autres bien particulières, mais enfin je puis vous dire en confiance que Dieu a fait son oeuvre sans moi et que je n'y ai contribué en aucune chose, y apportant un esprit d'anéantissement et de simple adhérence, m'ayant été défendu d'y faire opposition, et dans l'impuissance où j'étais aussi de l'accepter, je l'ai laissée à Dieu le plus entièrement qu'il m'a été possible ; ce n'est pas que je ne l'aie bien souillée depuis qu'elle est faite et y ferai encore bien des oppositions à sa sainteté, c'est ma douleur et qu'il faut que je la souffre dans ma profonde abjection.

Vous serez bien aise de savoir que ma Soeur Louise et sa compagne ont reçu le voile et deux autres bonnes filles, mais croyez qu'il faut une vocation bien particulière pour entrer ici, nous devons vivre de la vie toute anéantie de Jésus dans l'Hostie, très retirées ; nous n'y voyions quasi personne, et jamais les grilles ouvertes qu'aux pères et mères ou quelque personne de considération, comme l'évêque, etc. Nous sommes aussi solitaires dans Paris que nous serions dans un village. Il faudrait du temps pour vous en dire plus de particularité et les rencontres de la Providence avec ses effets miraculeux.

La bonne Mère Bernardine de la Conception qui était autrefois prieure à Ramberviller est ici avec nous et est notre Supérieure, la Mère Madeleine de la Résurrection et la Mère Angélique de la Nativité y sont aussi, et Sœur Marie de Jésus et deux autres professes qui n'ont pas l'honneur d'être connues de vous.

DOCUMENTS HISTORIQUES 323

Si vous n'étiez pas dans le Saint Ordre où vous êtes, j'aurais un sensible regret que vous ne soyez pas du nombre, mais j'ai tant d'amour et d'estime pour les saintes Carmélites que si je n'étais ce que Dieu a voulu que je sois, ma douleur serait de n'en être point. Il faut nous rendre fidèles, chacune dans notre vocation. Ce qui nous console c'est que c'est le même Dieu qui est notre divin Père, notre Maître, notre Seigneur et notre Tout, et que nous pouvons être dans une union inséparable par son amour. Priez-le qu'il soit en moi comme je le désire en vous, afin que nous soyions éternellement une en Lui.

Soeur du Saint Sacrement.

Archives du monastère de Bayeux.

ANNEXE XXVI

A LA REINE ANNE D'AUTRICHE

De Votre monastère du Très Saint-Sacrement de Paris, ce 28 juillet 1664

Madame,

Pour éviter de me rendre importune à Votre Majesté par la longueur de mes lettres, j'ai prié le Révérend P. Paulin de se transporter à Fontainebleau pour vous très humblement supplier, Madame, de vous souvenir que votre bonté m'a fait l'honneur de m'assurer qu'elle prendrait la peine d'écrire à Notre Saint Père, pour obtenir l'érection d'une congrégation des monastères de notre Institut.

Voici, Madame, l'occasion de Monsieur le Légat qui tiendra à faveur d'accorder à votre Majesté la grâce qu'elle lui demandera pour nous (ou pour mieux dire) pour la gloire du Très Saint Sacrement de l'autel par la confirmation de l'adoration perpétuelle de ce divin mystère que nous avons professée comme il est exprimé au mémoire ci-joint. Ce bon Père l'expliquera à votre Majesté et l'assurera de notre part que l'on continue de prier Dieu pour la conservation du Roi et de toute la famille Royale, mais singulièrement pour la vôtre, Madame, qui est si nécessaire à l'Eglise pour y soutenir les intérêts de Jésus Christ qui est quasi abandonné de tout le monde, c'est pour sa gloire qu'il vous fait vivre et pour la consolation de tout le Royaume et particulièrement de celle qui est avec très profonds respects, Madame,

De votre Majesté la très indigne et très fidèle servante. Sr. M. du Saint Sacrement, R.I.

Autographe au monastère de Bayeux.

DOCUMENTS HISTORIQUES

CHRONOLOGIE DE LA VIE DE MÈRE MECTILDE

[2 colonnes à réviser]

Profession au monastère des Annonciades rouges de Bruyères.

Exode : séjour à Saint-Dié, Badonvillers, Epinal (6 mois).

Exode : séjour à Commercy. Exode : séjour à Saint-Dié.

Entrée au monastère des bénédictines de Rambervillers.

Profession au monastère des bénédictines de Rambervillers.

Départ pour Saint-Mihiel. Arrivée à Paris.

Départ de l'abbaye de Montmartre.

Séjour en Normandie : Caen, Alrnenèches, Vignats, Barbery.

Saint-Maur-des-Fossés.

Priorat au Bon-Secours de Caen.

Retour à Rambervillers comme Prieure. Retour à Paris (rue du Bac).

Premier contrat de fondation de l'Institut.

Première exposition du Saint Sacrement, rue du Bac.

Consécration de l'église et première exposition du Saint Sacrement, rue Férou.

Election de la Sainte Vierge, abbesse perpétuelle de tous les monastères.

Bénédiction de l'église et du monastère, Ille Cassette.

Fondation du monastère de Toul. Agrégation du monastère de Rambervillers.

1614 31 décembre Naissance.

1631 novembre Entrée au monastère des Annonciades de Bruyères.

1633

1635 mai

1636-1638

1638-1639

1639 2 juillet

1640 11 juillet

1640 septembre 1641 28 août

1642 10 août

1642 août - 1643 juin

1643 23 août 1647 juin 1650 1650 28 août 1651 24 mars 1652 14 août 1653 25 mars

1654 12 mars 1654 22 août 1659 25 mars

1663-1665

1665-1666

326 CATHERINE DE BAR

1667-1669 Agrégation de l'abbaye Notre-Dame-de-Consolation

de Nancy.

1668 mai Approbation de nos constitutions par le Cardinal

de Vendôme, Légat en France de Clément IX.

1676 10 décembre Bref d'Innocent XI : érection de la congrégation.

1677 4 novembre Première exposition du Saint Sacrement au monastère de Rouen.

1684 Achat de l'hôtel de Turenne, rue Neuve-Saint-Louis

au Marais pour le second monastère de Paris.

1685 30 septembre Union du monastère du Bon-Secours de Caen à l'Institut.

1687 27 juin Fondation du monastère de Varsovie (Pologne).

1688 21 octobre Fondation du monastère de Châtillon-sur-Loing.

1696 23 février Fondation du monastère de Dreux.

1696 3 juillet La bulle d'Innocent XII place les monastère sous

la juridiction des évêques, à la demande de mère Mectilde.

1698 6 avril Dimanche de Quasimodo, mort de mère Mectilde.

On peut se procurer cet ouvrage dans les monastères ci-dessous :

12380 Notre-Dame d'Orient, Saint-Sernin-sur-Rance (Aveyron).

14000 1, rue des Fosses, Caen (Calvados).

14400 48, rue Saint-Loup, Bayeux (Calvados).

20222 Erbalunga, Bastia (Corse).

53400 16, rue de la Libération, Craon (Mayenne).

59200 18, rue Faidherbe, Tourcoing (Nord).

67560 28, rue du Couvent, Rosheim (Bas-Rhin).

68490 Ottmarsheim (Haut-Rhin).

75005 33, rue Lhomond, Paris.

76000 14, rue Bourg-l'Abbé, Rouen (Seine-Maritime).

82700 Mas-Grenier par Montech (Tarn-et-Garonne).

G rand-Duché de Luxembourg : Peppange-les-Bettembourg. Ecosse : Dumfries.

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330 CATHERINE DE BAR DOCUMENTS HISTORIQUES 331

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TABLE DES MATIÈRES [omise]



Ecoute

= Mère Mectilde du Saint Sacrement à l’écoute de Saint Benoît, Bénédictines du SS Rouen, Téqui, 1988


[Quatrième]


« Tous les commentaires de la Règle de saint Benoît ont été marqués, et limités, par la personnalité de leur auteur et la mentalité de leur temps et de leur milieu... Celui de Catherine de Bar est l'un d'eux et non des moins riches.

...Ce qui confère à sa doctrine une valeur permanente et universelle, c'est l'intensité de l'expérience personnelle dont elle fait part. Elle est moniale, mais comme elle aimera le dire la vie monastique authentique se doit d'abord d'être chrétienne».

Dom Jean Leclercq (Introduction)

A l'occasion de « l'Année de saint Benoît », une anthologie de commentaires de « la Règle des moines» a été recueillie parmi les textes manuscrits encore inédits à ce jour. Les moniales témoignent de la pensée toujours vivante et actuelle de Mère Mectilde, par la présence de leurs cinquante monastères en Europe et en Afrique.



[page titre :]

Mère Mectilde / du Saint Sacrement /à / l'écoute / de / Saint Benoit

Bénédictines du Saint Sacrement

ROUEN

TÉQUI - 82 RUE BONAPARTE - 75006 PARIS


INTRODUCTION

Tous les commentaires de la Règle de saint Benoît - et de tout autre texte - ont été marqués, et limités, par la personnalité de leur auteur et la mentalité de leur temps et de leur milieu. Aussi a-t-on projeté sur la Règle, au IXe siècle, les conceptions issues de la réforme carolingienne ; au XIIe siècle, celles des ordres monastiques nouveaux ; au XVIe siècle, celles du Concile de Trente. Il en fut de même lors du XIXe siècle finissant, puis dans les premières décennies du XXe. De nos jours, l'application de la méthode philologique apporte un complément, voire un contrôle scientifique, à ces explications qui, si elles étaient parfois dénuées de fondement historique, n'en constituaient pas moins des témoignages spirituels et culturels. Celui de Catherine de Bar est l'un d'eux et non des moins riches.

I. UNE BENEDICTINE EN SON SIECLE

En dépit des conditionnements propres au XVIIe siècle français, et qui se manifestent partout dans le langage, Mère Mectilde formule, avec une lucidité inexorable, les exigences fondamentales de toute spiritualité chrétiennecxxxvii.

Les extraits présentés ici ne constituent pas, en effet, un commentaire suivi du texte complet de la Règle, dans lequel on se croit obligé de trouver une explication à tout, voire de tout admirer. Ceci évite le caractère caduc de bien des interprétations données à des pratiques d'autres temps. Ici, il ne s'agit que de données essentielles, de questions vitales posées par l'existence elle-même. Il n'y a guère de ces détails insolites qui, parfois, détournent l'attention de ce qui seul compte. Les archaïsmes du style sont moins nombreux que l'on aurait pu l'attendre ; ils sont en moindre proportion qu'en d'autres-

8 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 9

écrits du même temps. Ils obscurcissent rarement la pensée ; plus souvent, ils ajoutent du charme à l'exposé. L'occasion se présentera bientôt d'en signaler quelques-uns. Ils confirment que Mère Mectilde fait réellement partie de son époque. Mais ce qui confère à sa doctrine une valeur permanente et universelle, c'est l'intens.ité de l'expérience personnelle dont elle fait part. Elle est moniale, mais, comme elle aimera le dire, la vie monastique authentique se doit d'abord d'être chrétienne. Comme un Dom Marmion et un Dom Delatte, elle se plaît à citer les textes où saint Paul dit l'essentiel sur notre participation au mystère pascal.

Après cela, elle a le droit d'être «bénédictine», et elle l'est étonnamment. Elle se réfère sans cesse à la Règle de saint Benoît : ceci pourrait n'être qu'un procédé artificiel. Mais on la devine formée par toute la tradition monastique d'Occident, et par les sources mêmes auxquelles avait renvoyé saint Benoît. Des rapprochements, des parallèles, des dépendances possibles devront être indiqués à propos de plusieurs points de son enseignement. Toutefois, les similitudes les plus proches sont celles qui existent entre celui-ci et la doctrine des meilleurs maîtres de son temps, qui fut, en spiritualité comme en d'autres domaines, un «grand siècle». Elle pense et écrit en France - singulièrement à Paris et en Normandie - et en Lorraine, ces régimes où deux Congrégations, celle de Saint-Maur et celle de Saint-Vanne, issues de la récente réforme générale de l'Église, arrivent alors à leur plein épanouissement, produisent leurs plus purs modèles vivants de sainteté et leurs meilleurs livres, avant les scléroses qui suivront. Elle a surtout beaucoup reçu de ces Mauristes dont un Dom Guéranger tiendra à se déclarer, lui aussi, l'héritier .

Elle est aussi contemporaine d'un spirituel éminent, mais qui dut, lui, accomplir sa réforme, au lieu d'en cueillir les fruits mûrs : Rancé, dont l'influence durable atteste qu'il était porteur d'un message de haute valeur, en dépit de traits de caractères personnels qui marquent son oeuvre. Mais heureusement, elle n'est pas, comme lui, une personne «convertie» : elle n'en a ni les complexes ni les défoulements.

Elle n'a pas eu à passer d'une existence très mondaine à une autre qui fût très austère. Elle a simplement les réflexes d'une moniale qui a grandi paisiblement dans sa vie chrétienne et sa vocation religieuse. Aussi peut-elle aider d'autres personnes - moniales ou non - à croître également dans la paix, sans violence, mais sans faiblesse. Il est déli-

cat d'introduire en son enseignement un ordre dont, nulle part, elle n'a indiqué le plan. Cependant, à la lire, on constate bientôt que certaines pensées la dominent. Elle y revient avec une insistance qui ne laisse aucun doute sur celles de ses convictions qui sont prioritaires. Ce sont elles qu'il faudra tenter de dégager ici, tout le reste étant du domaine des conséquences et des applications pratiques.

II. OUVERTURE

Presque tous les thèmes qui reviendront dans le reste du volume se trouvent déjà dans ce qui concerne le Prologue. Aussi ces textes méritent-ils qu'on leur prête d'abord attention. Ils introduiront aux suivants. Dès le début, Mère Mectilde a perçu que le mot de perfection est l'un des termes-clef du langage de saint Benoît, et qu'il exprime, non un résultat que l'on puisse obtenir une fois pour toutes, mais un but vers lequel on ne doit jamais cesser de tendre. Cet effort implique que l'on persécute toute forme de retour sur soi, spécialement en se contentant de «petites choses» et de «petites grâces» ; en faisant de «petites actions». Comment ici ne pas évoquer Pascal ? «Faire les petites choses comme grandes, à cause de la majesté de Jésus Christ qui les fait en nous, et qui vit notre vie ; et les grandes choses comme petites et aisées, à cause de sa toute puissance»cxxxviii. Comment ne point penser aussi à cette jeune moniale de Normandie qui, près de notre époque, devait remettre en lumière la «petite voie» ? Ici comme chez Thérèse de Lisieux, tout n'est que «pure simplicité», «simple abandon», oeuvre du Saint Esprit qui «touche les âmes». L'Évangile et la liturgie ne disent-ils point qu'il est le «doigt de Dieu» ?

Avec réalisme, Mectilde part de l'expérience que nous faisons, en notre coeur charnel, du «fond pécheur qui est en nous», et dont la tentation nous fait prendre conscience. Aussi la tentation est-elle utile, comme tout le monachisme antique et médiéval l'avait enseigné avec une insistance qui nous étonne ; car tout ceci est plein de sève monastique, tout en étant très XVIIe siècle : il n'est pas jusqu'à une formule comme celle de «moyen court» qui ne nous le rappelle. Henri Bremond, s'il avait eu connaissance de ces manuscrits, eût certainement joui d'expressions comme celle-ci : «être pressés et réduits en liqueur» pour que l'amour de Dieu sorte de nous. «Sortir de soi»

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tel est le sens de cette vocation d'Abraham dont Cassien avait fait le symbole de la conversion monacale jamais achevée. «Tendre toujours vers Dieu», c'est le moyen de conserver confiance et de garder persévérance. Mectilde est aussi optimiste qu'elle est réaliste. En un langage déjà moderne, et qui reste classique, elle nous enseigne à «sacrifier ce nous-même - ce «moi», dit-on aujourd'hui - qui seul est opposé à Dieu en nous». Tel est le rôle des «croix» ; Mectilde fera rarement, comme ici, usage de ce pluriel, alors qu'il est devenu ensuite si fréquent. Ce qui importe est la Croix, celle du Seigneur : ce mystère de souffrance et de victoire auquel nous sommes associés, comme «membres vifs de Jésus Christ, incorporés à son humanité déifiée, vivant de sa vie et de son Esprit», par la grâce de notre baptême. «Je ne vis plus, c'est Jésus Christ qui vit en moi». Il faut seulement «être fidèle à l'attrait de la grâce qui nous tire de notre néant... Laissez-vous tomber dans le rien... » Alors nous connaissons la consolation d'être «en ce bienheureux néant qui fait peur à notre nature» : le tout et le rien coïncident - todo y nada -, le tout de Dieu emplissant notre vide.cxxxix

Mectilde, ici, s'élève au niveau des plus hauts mystiques. Ce prologue au reste de l'oeuvre en donne déjà le ton. Tout sera grave et exigeant, agrémenté de quelques archaïsmes, et de touches de poésie, qui suffiront à faire sourire. Tout restera centré sur Jésus et sur son Esprit, qui nous conduit au Père. Ce que saint Benoît dit de Dieu est, ici, précisé, et, si l'on peut ainsi s'exprimer, personnalisé. La Vierge Marie, elle aussi, est toujours tournée vers son Fils, elle nous oriente vers lui, elle le prie pour nous. L'idée même, si traditionnelle, de la paternité de saint Benoît - thème qui fut aussi appliqué aux autres fondateurs d'ordres religieux - est mise en relation non seulement avec le Seigneur, mais avec l'Eucharistie : selon saint Grégoire, en effet, «le Législateur» expira au pied de l'autel, «ravi à lui-même» par Jésus pour être enlevé au ciel. L'adoration du Saint Sacrement fait ici l'objet d'une mention explicite, associée à cette idée de «réparation» à laquelle des théologiens de renom, aujourd'hui, reconnaissent une profonde signification 2 . Mais aucune dévotion ne reçoit un accent exagéré. Nous sommes ici en présence de ce que Dom Vonier appelait «le christianisme classique», et c'est par là que ce message a valeur non seulement pour le XVIIe siècle, pour les bénédictines, mais pour les chrétiens de tous les temps, et du nôtre.

III. LE FOND

Faut-il encore, maintenant, relever, avec plus de détail et d'insistance, certains des points d'application de la doctrine qui vient d'être résumée ? Si le but d'une introduction est de préparer le lecteur à saisir le sens d'un ouvrage et de l'aider à le juger avec équité, il semble qu'il ne soit pas hors de propos d'attirer l'attention, d'une part, sur la cohérence de l'ensemble qui suit le Prologue, et, d'autre part, sur certains problèmes relatifs à la mise en pratique d'une telle doctrine. Car il y a ici une authentique spiritualité, qui ne manque pôint d'un caractère concret, toujours actuel.

L'une des convictions les plus vives de Mectilde lui fait souvent parler de ce qu'elle appelle «le fond», «notre fond», et employer les mots «profond», «profondément». Ceci rappelle ce que les mystiques rhénans - dont l'influence sur l'École Française est bien connue - avaient nommé le Grund : ce centre de nous-même où se situe notre égoïsme et qui, vidé, purifié, peut devenir le lieu de la présence divinecxl. Il est alors rendu à sa véritable nature, à laquelle il nous faut revenir : c'est ce que Mectilde appelle «le retour au fond». C'est là cette «connaissance de nous-même» qui occupe, dans sa doctrine, autant de place que dans celle d'un saint Bernard. «Revenons à notre coeur», avait-il écrit plus d'une fois, en citant un Psaume : Redire ad cor, ou la parole du fils prodigue : ad se reversus, revenu à lui-même. «Rentrez chez vous, dans votre intérieur, vous tenant aux pieds de la majesté de Dieu ; c'est là que vous le trouverez». Tout ceci n'est point théorique. Ainsi que Bernard, Mectilde part de «l'expérience», elle aime ce mot et celui d'«expérimenter». Elle connaît nos amusements - Pascal disait nos divertissements. Elle sait que l'opposé «du fond» est «l'élévation», «ce sentiment de la propre excellence. L'orgueil fait qu'on s'élève. Il faut descendre». Et comment ? Remplacer ce pôle d'attraction qu'est l'amour propre au fond de nous par cet autre qu'est Jésus Christ, «ce centre divin où nous devons rentrer». Substituer son «règne», son «empire» - selon le vocabulaire du siècle de Louis XIV /3 - à l'intérêt que nous portons à nous-même. «L'Esprit de Jésus Christ», «notre Seigneur et son divin Esprit» doivent s'établir en nous, et y dominer tout. Il nous faut «désirer ce règne», puis juger de tout «par rapport à Lui». Une fois seulement, le «Sacré Coeur» est mentionné. Le style est différent de celui de Marguerite Marie Alacoque ; il n'est pas moins fervent. Certaines pages, très pauliniennes, trahissent une obsession amoureuse de Jésus

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Christ : un résumé n'en rendrait pas le ton (par exemple le n° 1757).

Le retour au Père dans le Christ et par son Esprit ne peut être en nous qu'un effet de la grâce, celle de la foi, déposée en nous, en germe, lors de notre baptême, et qui ne cesse de nous guider. D'où l'insistance sur la souplesse, en tout, aux mouvements - plus exactement : à la mouvance - de la grâce : «Dieu donne mouvement à l'âme..., priez à la manière qu'on vous donne mouvement». «Un trait de grâce, un coup de la miséricorde de Dieu, le mouvement du Saint Esprit...». Faire tout «en foi» : ceci conduit d'abord à la prière, conçue comme continuelle. Avant de s'exprimer en certaines activités intérieures - bien qu'elle soit également favorisée par celles-ci -, la prière est une attitude de présence à Dieu «d'adhérence à Dieu». Mectilde a aimé ce jeu de mots : «adorer et adhérer». Une de ses pages les plus denses se laisse résumer en deux mots : «attendre Dieu» (chap. LII, n° 267). De cette vie de prière, les activités de prière découleront d'elles-mêmes, simplement, c'est-à-dire sans complication. Quand elle en parle, Mectilde reprend les thèmes - parfois même les termes - de la tradition monastique du temps des Pères et du Moyen-Age, et peut-être surtout du XIIe siècle : ainsi quand elle caractérise comme «des prédicateurs muets» les textes qui font l'objet de la lectio divina ; /4 ainsi lorsqu'elle décrit l'office divin comme prière intégrale, engageant l'être tout entier, à commencer par les sens ; ou quand elle montre dans l'adoration perpétuelle une façon de continuer la laus perennis. Ainsi surtout lorsqu'elle commente, en termes exquis, le peu que saint Benoît a dit de «l'oraison». Pour pratiquer «l'oraison simple», «laissez les diverses méthodes... Évitez une manière de faire oraison qui fasse mal à la tête...». L'oraison est comme un désert mystique «où l'on rencontre l'Époux».cxli Rester fidèle au «souvenir de Dieu», auquel le P. I. Hausherr a consacré tant de pages. Garder «la douce habitude d'opérer en amour non sensible, mais en foi». Ceci toujours en relation avec les fêtes et les mystères que célèbre la liturgie. Il n'est pas jusqu'à ces prières jaculatoires, brèves, mais fréquentes, recommandées par saint Benoît, qui n'aient ici leur équivalent charmant : «Faire un petit retour amoureux...», «l'esprit jette une oeillade vers Dieu...». Les pages que Mectilde écrit sur l'oraison sont sans doute les plus belles de toute son oeuvre. Elle s'y exprime en spécialiste. Sa compétence est garantie d'abord par ce qu'elle a elle-même éprouvé, mais également par sa conformité avec la tradition spirituelle la plus ancienne et la plus constante de l'Église.cxlii

IV. LA VOIE DE PETITESSE

Pour traiter de l'humilité, Mectilde a trouvé un langage qui est de l'Évangile et qui anticipe sur celui de Thérèse de Lisieux. Le vocabulaire qu'elle préfère est celui de la petitesse et de toutes les variations auxquelles il se prête : comme saint Grégoire et les Pères, elle connaît la «componction». Mais à ce terme à consonance latine, elle préfère des mots de son temps, combien plus expressifs pour le XVIIe siècle et le nôtre : «Se laisser consumer, demeurer exposée au Saint Sacrement, être abîmée en Dieu» - et l'image de l'abîme évoque celle «du fond». Etre en «un dégagement entier, continuel». Elle n'emploie qu'une fois les mots de «sainte indifférence», mais elle parle de «simple regard» porté sur Dieu, par conséquent sans «recherche de nous-même». Avec saint Paul, elle dit : «Mourir à nous et vivre à Dieu». «Se désapproprier», sans secrète complaisance en soi.cxliii Vivre comme en exil, en terre étrangère, dans la pauvreté : tout attendre, désirer Dieu, même quand il garde le silence. «Si votre fond est crucifié...» «Etre anéanti à soi-même pour être uni à Dieu», «être une capacité de Dieu», «lui qui aime les âmes petites, humbles, basses, anéanties», et «la profonde petitesse». «N'être propriétaire de rien, ne rien posséder avec attachement». Bien plus «n'être rien» (saint Bernard disait : annullari), «tout perdre», en vue de l'union, de la présence à Dieu, de la «possession de Dieu». Vivre «dans une simplicité d'enfant», parce que l'on connaît la vérité sur soi : une fois de plus s'impose le rapprochement avec le traité de saint Bernard Sur les degrés d'humilité. Rester dans «une profonde petitesse», et là, au plus bas, goûter Dieu, sa miséricorde... Etre «investie de Dieu jusqu'à des pénétrations inexprimables».cxliv Le Magnificat de Marie fut le chant de son abaissement et de son exaltation. Cette mosaïque de vigoureuses formules pourrait être largement étendue. Toutes ces citations reçoivent leur pleine signification de leur contexte : une mystique d'anéantissement, marquée par la patience et la tranquillité.cxlv

Patience dont celle de Jésus est le modèle et la source. Elle est une forme de cet «esprit d'enfance» que la dévotion du XVIIe siècle français à «l'Enfant-Roi» favorisait et exprimait /5 . Mectilde non seulement utilise la formule «esprit d'enfance», mais il lui arrive d'en associer l'idée à Jésus d'une façon qui nous est peu habituelle, bien qu'elle ait des antécédents dans la tradition patristique et la Règle de saint Benoît : «Allez à Notre Seigneur comme un petit enfant. C'est

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votre Père qui vous aime en toute vérité...». Il a toujours été de christologie correcte d'attribuer au Fils de Dieu les sentiments d'un père qui attend le retour de ses enfants 6 . Et aussitôt, Mectilde montre qu'elle possède une vue exacte du mystère pascal, lorsqu'elle parle «d'être toute revêtue de l'Esprit de Jésus Christ, parce que toute anéantie en lui».

Par rapport à ces profondeurs, les souffrances quotidiennes ne sont, pour ainsi dire, que des incidents de surface. Non qu'elles ne soient vivement ressenties. Mais elles ne sont jamais recherchées pour elles-mêmes, et comme provoquées. En tel commentaire de la Règle qui fut composé à l'époque baroque en forme «d'emblèmes» surmontés chacun d'une brève légende, le coeur meurtri est l'un des symboles les plus fréquents : on le voit écrasé entre une enclume et un marteau, transpercé de flèches, couronné d'épines, endolori de toutes les façons possibles. Rien de semblable chez Mectilde, aucune complaisance dans la souffrance, mais acceptation, silence, obéissance, et, à ce prix, tranquillité, affabilité, douceur, joie, consolation, action de grâces, bonheur de l'âme qui «s'élance vers Dieu»cxlvi. Présence à Dieu, plus que volontarisme ; et cependant, point de trace de quiétisme : une sereine acceptation de tout ce que Dieu veut. La pénitence ne peut être qu'une participation «au délaissement de Jésus» en sa Passion. Lorsque l'on est «stabilisé en Dieu», en un «dénuement prodigieux», on peut garder en toutes circonstances la paix du Christ ressuscité. «Dieu est tranquille et tranquillise tout», avait déclaré saint Bernard. Et Mectilde peut écrire de «l'âme possédant cette tranquillité» : «Dieu se contemple dans le fond de cette âme. Il y fait une impression de ses perfections divines».

V. SPIRITUALITÉ PRATIQUE

Deux observances fondamentales de la vie monastique font l'objet de mentions insistantes, sinon fréquentes : le silence et l'obéissance. Du premier, Mectilde retient surtout, comme de tout le reste, le sens «profond» : il est une participation au silence de Jésus, celui que Jésus gardait avant de naître, en Marie, puis en sa Passion. Et de citer, comme Bossuet, la courte phrase en l'Évangile : «Mais Jésus se taisait, Ipse autem tacebat». Quant à la conception de l'obéissance, elle peut soulever aujourd'hui un problème qui ne se présentait point jadis ; en effet, la formule d'«obéissance aveugle» est à bien entendre, et plusieurs textes nous y aident. Selon l'enseignement de saint Benoît, que reprend Mectilde, l'obéissance est don de Dieu : «C'est Dieu qui vous donne la force de vous soumettre». Or, se soumettre est une activité ; ce n'est pas une passivité, le fait d'une oppression subie. Quand Mectilde déclare : «Je n'ai plus de volonté», tout le contexte prouve qu'elle a de la volonté ; mais elle veut dire qu'elle n'agit plus que «par rapport à Jésus Christ».cxlvii Les observances, dit-elle encore, sont «porteuses de grâce», non en elles-mêmes, mais si on les pratique «en vue de Jésus Christ». Aussi les formules qui louent la «liberté entière» sont-elles aussi énergiques que celles qui prônent l'obéissance.

A propos de toutes les observances particulières, Mectilde considère, plutôt que l'exactitude superficielle, la profondeur. Ne négligez jamais «un petit reproche intérieur», il vous ouvre à la grâce. «Rectifiez vos intentions» ; en ce domaine il n'y a point de limites aux exigences de Dieu et de celle qui conseille en vue de lui. Puis tout le reste est modérationcxlviii. Autant Mectilde a son franc parler quand l'abnégation manque, autant elle sait alors rappeler, non seulement la bonté, la miséricorde de Dieu, mais aussi sa justice et sa vérité, autant elle sait prêcher la joie, la sécurité et la paix, libérer ses moniales et ses amies de tout souci excessif de l'austérité. Elle a le sens des faiblesses physiques : «Ne vous privez pas de fruits, vous avez besoin d'un peu de rafraîchissement. Prenez aussi du vin avec votre eau. Mangez, et vous tenez joyeuse, car pour servir Dieu, il faut une sainte liberté, qui procède d'un coeur dégagé...» Et à propos d'une autre religieuse, elle écrit à sa supérieure : «Consultez les médecins pour son carême, je ne la crois pas capable de le faire».

Avec la modération vont de pair la miséricorde, l'indulgence, la compassion : «Soyez tendre aux souffrances du prochain» et encore : «Vous ne gagnerez rien, qu'en cédant toujours». Ce sens aigu des limites de toutes et de tous fait trouver à Mectilde une traduction charmante du multorum servire moribus de saint Benoît : «se proportionner aux humeurs» de chacune et de toutes. Enfin, le sentiment du «besoin des âmes», qui s'exprime si intensément dans les volumes de correspondance, n'est point absent de ce que dit Mectilde, à l'occation de la Règle, à propos de la prière, des conversations au parloir, des lettres à écrire.

Son sens pratique, son désir de servir apparaissent dans les efforts qu'elle entreprend pour faire supprimer la dot, alors condition d'ad-

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mission pour les moniales de choeur ; mais elle a bien conscience que libérer l'Église de cette fâcheuse tradition «ne peut être qu'une faveur de Dieu». Elle a été maintenant obtenue, du moins presque partout. Mectilde était en avance de trois siècles.

VI. ENVOI

En rédigeant cette introduction, la tentation était constante de citer de plus nombreux et plus larges extraits des textes qui vont suivre. Mais le choix était difficile, car beaucoup s'imposaient à l'admiration. Mieux valait laisser au lecteur la surprise de découvrir des trouvailles inattendues - parfois dignes de figurer dans un recueil de ces Apophtegmes qu'ont laissé non seulement les Pères du Désert, mais, au Moyen Age, un saint Bernard 8 , et, plus tard, les Mauristes 9 . Mectilde fait parfois allusion aux textes des Pères qu'on lisait en communauté, à l'office : n'oublions pas qu'à l'arrière-plan de ses écrits se trouve l'érudition des Mauristes. Elle cite rarement des noms d'auteurs comme Augustin et Condren. Mais elle en connaît d'autres, soit de première main, soit parce qu'ils sont ceux que fréquentaient les milieux monastiques de son temps. Parmi les modèles bibliques, elle va d'emblée à ceux auxquels la tradition avait reconnu une signification spéciale pour les moines et les moniales : Abraham, saint Jean, saint Paul, la Madeleine.

Dans la direction spirituelle que, comme tant d'autres femmes, elle a exercée dans l'Église, elle a excellé à donner des conseils très pratiques, pleins de pénétration psychologique et de bon sens.

Mais il y a en ses écrits beaucoup plus que cela : un authentique enseignement spirituel. Ce qui la distingue pourrait se caractériser en très peu de mots : une mystique de la présence continuelle à Dieu grâce à la pauvreté du coeurcxlix. Non que ceci lui soit propre ; elle l'a en commun avec les plus grandes parmi les témoins de la théologie spirituelle. Cependant, pour en parler, elle trouve, un accent de foi intense qui rend son message à la fois utile à ses contemporains et valable pour nous. Une foi qui va jusqu'à lui faire «congratuler» une défunte enfin arrivée, «parvenue», comme dit saint Benoît dans le dernier mot de sa Règle. Tel est le but vers lequel tend cette «conversion des moeurs» à laquelle tant d'interprètes de la Règle ont fait de grands efforts pour trouver un sens acceptable. Elle dit simplement que saint Benoît, spécialement au chapitre IV, Sur les instruments des bonnes oeuvres, nous «apprend à réprimer nos moeurs par les vertus». Et à la fin, à propos du dernier chapitre de la Règle, elle rapprochera encore une fois, en une synthèse magnifique, toutes les grandes réalités qui doivent pénétrer notre vie : l'Incarnation, l'Évangile, l'Esprit, l'Église, l'Eucharistie (n° 2636).

«Tout le monde veut être spirituel, et encore de la plus fine spiritualité». Mectilde attribue à ce vieux terme du langage chrétien l'authentique signification selon laquelle il désigne ce qui s'oppose, non à la matière ou à la «corporalité» - on a vu qu'elle se soucie des santés -, mais à la vie selon la chair, c'est-à-dire la nature en tant qu'inclinée au péché. Au XVIIe siècle, on abusait parfois de termes comme «spiritualité», «mystique», «amour», au point que certains auteurs se croyaient obligés de les faire précéder de qualificatifs : «pur amour», «vraie mystique». Mectilde sourit discrètement de cette sorte de mode, et c'est sans doute parce qu'elle est avertie de ses dangers qu'elle n'emploie guère ce vocabulaire. Pour elle, conformément au langage de saint Paul, la «fine spiritualité» consiste à vivre selon l'Esprit du Christ, et voilà ce qu'elle exige d'un bout à l'autre de ces textes, avec une simplicité qui ne laisse pas de doute sur la qualité d'expérience qui sous-entend le message: Point de rhétorique inutile : «L'humilité ne consiste pas à avoir des pensées humbles, mais à soutenir le poids de sa vérité, qui est l'abîme de notre extréme misère quand il plaît à Dieu de nous la faire connaître...».cl Tel est vraiment le charisme de Mère Mectilde : «Dieu m'a donné une tendresse et un je ne sais quoi pour les âmes peinées et affligées, en sorte que je les ai toujours présentes d'esprit... Il me semble que Dieu m'ait faite pour de telles âmes...». N'est-ce point pourquoi nous la sentons si proche de nous ?

J. LECLERCQ Moine de Clervaux

NOTES

1.- Sur le contexte historique dans lequel écrit Mère Mectilde, sur certaines sources, et sur d'autres points auxquels il ne sera possible ici que de faire allusion, j'ai donne des indications sous les titres : Une école de spiritualité bénédictine datant du XV& siècle :les Bénédictines de l'Adoration Perpétuelle dans Studio monastica, 18 (1977), p. 433-453, et Lumières nouvelles sur Catherine de Bar, ibid. 20 (1978), P. 397-409.

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2.- Par exemple A. Chapelle, S.J., L'adoration eucharistique et la réparation dans Vie consacrée, 46 (1974), p. 338-354.

3.- Sous le titre La royauté du Christ dans la spiritualité française du XVIle siècle, dansLa vie spirituelle, Supplément, I (1947), p. 216-229 et 291-307, j'ai cité des textes.

4.- Cf. L Gougaud, Muta praedicatio, dans Revue bénédictine, 42 (1930), p. 170-171.

5.- Cf. La royauté du Christ, loc. cit.

6.- Ceci a éte montré par A. Borias, Le Christ dans la Règle de saint Benoît, dans Revue bénédictine, 82 (1972), p. 109-132.

7.- B. Gallner, Regula emblematica S. Benedicti, Vienne, 1780.

8.- B. Ward, Apophetegmata Bernardi, dans The Influence of St. Bernard, Oxford, 1976, p. 134-143, et J. Leclercq, dans Collectanea Cisterciensia, 40 (1978), p. 147-149.

9.- La Vie des Justes, Dom Martène, dans Archives de la France monastique, vol. XXVII à

XXX, Ligugé, 1924 -1926.

VIE DE CATHERINE DE BAR 1614 - 1698

DE L'ENFANCE AUX CLOITRES DANS LA TEMPETE (1614 — 1639)

Catherine de Bar - la future Mère Mectilde - naquit à Saint-Dié, au duché de Lorraine, le 31 décembre 1614, dans une famille de robe fort pieuse et qui, à cette époque de la Contre-Réforme catholique, manifestait une ardente dévotion envers l'Eucharistie. Très jeune, elle perdit sa mère. Son père dirigea alors son éducation et fit donner à l'enfant, dont il appréciait l'intelligence pénétrante, une solide instruction.

Dès son âge le plus tendre, Catherine fut attirée par la vie religieuse. Repoussant de beaux partis qui s'offraient à elle, elle arracha finalement l'autorisation d'entrer, en novembre 1631, au monastère des Annonciades de Bruyères, à six lieues de Saint-Dié.

Admise à la profession en 1633 sous le nom de Mère Saint-Jean l'Evangéliste, elle se fit remarquer par son obéissance, son humilité et ses austérités, au point qu'à l'âge de vingt ans, elle fut désignée pour diriger le couvent. Deux ans plus tard, les tribulations commençaient : les troupes françaises, accourues au secours des Suédois lors de la guerre de Trente Ans, envahirent la Lorraine, saccagèrent

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Bruyères et le monastère. Les Annonciades cherchèrent refuge à Saint-Dié, à Badonviller, à Epinal et à Commercy, pour revenir finalement à Saint-Dié, où Jean de Bar offrit à sa fille et à ses religieuses un asile provisoire en sa propre maison.

C'est alors que mère Bernardine de la Conception, prieure des Bénédictines réformées de Rambervillers, proposa aux exilées une partie de son cloître. Au cours de leur séjour (1638-1639), la prieure suggéra à Mère Saint-Jean d'embrasser la Règle de Saint-Benoît. Notre religieuse, approuvée par le Visiteur de la Congrégation réformée de Saint-Vanne, dom de l'Escale, abandonna la blanche robe des Annonciades pour revêtir l'habit noir des Bénédictines, le 2 juillet 1639, et prendre le nom de Soeur Catherine de Sainte-Mectilde.

Avec Mère Bernardine, sa prieure, Mère Mectilde vint s'y fixer en août 1643, et les religieuses, aumônées par de nobles dames, y ouvrirent un pensionnat.

Mais voici que, sur le conseil de dom Quinet, on réclamait Mère Mectilde comme prieure du monastère des Bénédictines du Bon-Secours, à Caen. Elle y séjourna du 28 juin 1647 au 26 août 1650. Après avoir- réorganisé cette maison au cours de son triennat, elle regagna Rambervillers, son monastère de profession. Les troupes françaises l'en expulsèrent une nouvelle fois. Avec quatre autres moniales, elle rejoignit Paris, où, rue du Bac, en mars 1651, elle retrouva les Soeurs de Saint-Maur, chassées de leur cloître par les troubles de la Fronde.

LA BENEDICTINE ERRANTE (1640 - 1651)

A peine avait-elle prononcé ses voeux, le 11 juillet 1640, que Rambervillers fut dévasté par les Suédois, qui exigèrent de la ville une rançon si exorbitante que le monastère fut plongé dans la misère. En septembre 1640, afin d'alléger les charges de la communauté, Mère Mectilde et deux autres religieuses furent envoyées à Saint-Mihiel, mais elles y connurent, là encore, une détresse qui émut un lazariste, délégué par M. Vincent pour secourir la malheureuse Lorraine. Grâce à ce charitable messager, Marie de Beauvillier, abbesse réformatrice de Montmartre, accepta de recevoir Mère Mectilde en son abbaye (30 août 1641).

Le 10 août 1642, Mère Mectilde partit pour la Normandie, où elle pensait rassembler les moniales de Rambervillers, chassées de leur pays par les combats et la disette. Quatre Bénédictines lorraines vinrent donc s'installer à Barbery, non loin de Caen, près d'une abbaye cistercienne que dirigeait dom Louis Quinet. C'est là que la Mère connut les mystiques normands : MM. de Rocquelay, de Renty, Jean de Bernières surtout, mais aussi saint Jean Eudes et l'archidiacre d'Evreux, M. Boudon.

Bientôt, un jésuite, le Père Bonnefonds, signala à nos moniales une vaste maison sise à Saint-Maur-des-Fossés, dans les environs de Paris.

L'ADORATION PERPETUELLE (1651 - 1661)

Dans ce couvent improvisé, les religieuses lorraines vivaient dans un affreux dénuement, quand leur compatriote, Marguerite de Lorraine, soeur du duc régnant Charles IV et épouse de Gaston d'Orléans, apprit leur présence dans la capitale. Des grandes dames de l'entourage de la princesse, dont la comtesse de Châteauvieux, vinrent à leur aide. C'est alors que l'abbé Gontier, trésorier de la Sainte-Chapelle et vicaire général de Langres, suggéra à Mère Mectilde d'établir dans son logis l'Adoration perpétuelle. La création d'une congrégation vouée au culte du Saint-Sacrement et à la réparation des sacrilèges commis à son égard par les Huguenots, les libertins et les sorciers, hantait alors bien des âmes pieuses. Mme de Châteauvieux et ses amies pressèrent la Mère de fonder, à Paris même, un monastère de Bénédictines réformées qui «seraient incessamment occupées à l'Adoration perpétuelle du très Saint-Sacrement, en sorte qu'il y eût toujours une religieuse en adoration». La comtesse obtint des lettres patentes, recueillit l'argent nécessaire, et le contrat de fondation fut signé le 14 août 1652.

Une fois satisfaites, les exigences des moines de Saint-Germain-des-Prés, l'appui d'Anne d'Autriche, à la suite d'un voeu formulé sur sa demande, lors de la Fronde, par M. Picoté, curé de Saint-Sulpice, triompha des dernières difficultés. Le 25 mars 1653, en la fête de

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l'Annonciation, eut lieu, rue du Bac, la première exposition du Saint-Sacrement. L'Institut regarde ce jour comme la première solennité de l'Adoration perpétuelle. Mais ce fut seulement le jeudi 2 mai 1654, que, rue Férou, où les religieuses s'étaient transportées, fut établie la clôture. Le soir, au salut, Anne d'Autriche, agenouillée devant l'autel, lut l'acte de réparation. Alors débuta vraiment l'Adoration perpétuelle, cependant que les moniales prenaient le nom de Bénédictines du Saint-Sacrement. Le 22 août suivant, Mère Mectilde proclama la Vierge Marie seule abbesse et supérieure perpétuelle de l'Institut.

En janvier 1658, toujours secondée par Mme de Châteauvieux, la Mère Prieure acquit un vaste terrain rue Cassette et y construisit un monastère digne de ce nom. Les religieuses en prirent possession le 21 mars 1659, en la fête de Saint-Benoît. La communauté comprenait alors dix-huit professes et trois novices.

LES DÉBUTS D'UNE CONGRÉGATION (1661 - 1698)

Pour affermir son oeuvre, Mère Mectilde conçut l'idée d'établir une véritable congrégation. Les supérieurs de Saint-Germain-des-Prés lui conseillèrent alors d'agréger à son Institut ou de créer deux ou trois monastères. C'est ainsi que, le 7 décembre 1664, elle fonda une maison à Toul et que, le 24 avril 1666, elle eut la joie d'agréger son cher monastère de Rambervillers. Le 25 mai 1668, le cardinal de Vendôme, légat en France de Clément IX, approuva la nouvelle Congrégation de l'Adoration perpétuelle. En juillet 1670, Louis XIV délivra les lettres patentes et décerna à l'Institut le titre de fondation royale.

Le 8 août 1669, Mère Mectilde avait agrégé le monastère de Notre-Dame de Consolation, à Nancy. Pendant ce temps, dom Ignace Philibert, prieur de Saint-Germain, rédigeait, en s'inspirant du modèle mauriste, les Constitutions, que la Mère retoucha de 1673 à 1675 avant de les faire imprimer en 1677. Le 10 décembre 1676, par la bulleMilitantis Ecclesiae, Innocent XI avait confirmé l'acte du cardinal de Vendôme et érigé officiellement en congrégation les monastères de l'Adoration perpétuelle.

Après avoir installé la maison de Rouen le 1 er novembre 1677, Mère Mectilde, en 1684, ouvrit un second monastère parisien, en l'hôtel de Turenne, au Marais. Puis elle agrégea le Bon-Secours de Caen (1685) et, peu avant sa mort, envoya ses Filles à Varsovie (1688), à Châtillon-sur-Loing (1688) et à Dreux (1696).

Les tracas que donnait à la fondatrice l'implantation et l'animation de toutes les maisons s'accompagnaient, pour cette âme vouée à l'état de victime, d'humiliations et de souffrances continuelles. Aux ennuis qui l'assaillaient de partout s'ajoutaient les infirmités de l'âge. Pourtant, elle ne cessait d'encourager ses religieuses dans leur vocation d'adoratrices et de réparatrices et de leur donner l'exemple jusqu'au bout.

Le dimanche de Quasimodo, 6 avril 1698, elle reçut le viatique : «J'adore et me soumets», murmura-t-elle. Et elle recommanda une dernière fois à ses Filles de se jeter avec confiance dans les bras de la Sainte Vierge. Puis elle s'éteignit paisiblement, à l'âge de quatre-vingt-trois ans. Un masque mortuaire émouvant nous permet, aujourd'hui encore, d'admirer la sublime noblesse de ses traits.

Durant toute sa vie religieuse, Mère Mectilde, tant par sa stricte observance de la Règle que dans ses écrits, s'était révélée une parfaite disciple de Saint-Benoît.

J. Daoust

Docteur ès Lettres

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NOTE PRÉLIMINAIRE

Au mois de juin 1978, les Mères Prieures des monastères français de l'Institut des Bénédictines du Saint Sacrement, au cours de leur réunion fédérale, avaient envisagé, à l'occasion du quinzième centenaire de la naissance du Patriarche des moines d'Occident, d'éditer un certain nombre de textes de Mère Mectilde commentant la Règle de saint Benoît.

Le volume que nous publions est l'oeuvre de tous les monastères.cli Les textes de Mère Mectilde se rapportant à la Règle ont été distribués entre les différentes Maisons qui les ont étudiés, le plus souvent en communauté.

Au début de 1979, nous recevions les résultats de ce travail. Chaque texte retenu avait été relevé en fonction du chapitre ou du verset de la Règle auquel il se rapportait.

«L'équipe des Écrits» a ensuite rassemblé, classé, collationné tous ces passages, ne conservant que les meilleurs commentaires. Il reste donc beaucoup d'autres passages de Mère Mectilde ayant trait à la Règle et qui ne se trouvent pas dans cet ouvrage, soit parce qu'ils ne sont que des redites, soit parce qu'ils n'ajoutent rien d'essentiel à ce qui est déjà dit ici même.

Nous avons voulu montrer combien Mère Mectilde était imprégnée de l'esprit de saint Benoît, à quel point elle l'avait compris et comment elle s'était assimilé sa pensée, y apportant cependant la note de son propre charisme. C'est pourquoi nous n'avons pae fait figurer dans ces commentaires tous les passages des Constitutions ou du Coutumier qui ne sont qu'une adaptation de la Règle à l'usage des moniales et, portant la marque du XVIIe siècle, ont perdu beaucoup de leur valeur aujourd'hui.

La traduction de la Règle est celle qu'a éditée l'abbaye de Maredsous. Nous la reproduisons ici avec la bienveillante autorisation du Révérendissime Père Abbé. Nous ne donnons d'ailleurs que les chapitres correspondant aux commentaires retenus et, dans ces chapitres, nous avons omis les versets non commentés. Ce ne sont donc que des extraits de la Règle, reproduits ici pour faciliter la compréhension du texte de Mère Mectilde.

A la suite de chaque commentaire, nous avons indiqué :

1.— le numéro du texte entier dans le fichier alphabétique des oeuvres de Mère Mectilde, fichier qui permet de retrouver rapidement le texte intégral.

2.— la destinataire ou la nature du texte, ainsi que sa date, dans la mesure du possible.

Plusieurs passages sont extraits des Constitutions manuscrites, mises en application par Mère Mectilde elle-même, ainsi que du Cérémonial, lui aussi manuscrit. Pour ce dernier nous avons utilisé celui qui était en usage dans les monastères lorrains et que conserve actuellement le monastère de Bayeux ; il en est de même pour le Coutumier.

La Journée religieuse manuscrite porte en tête : «Pensées et intentions de notre très Révérende Mère Institutrice sur notre Institut, qu'elle mit par écrit pour en donner quelque idée à celles qui s'y engageraient, en attendant qu'elle eût dressé les Constitutions». Nous ne possédons plus le document autographe, mais nous en gardons deux copies, à peu près identiques, conservées, l'une dans notre monastère de Rouen, l'autre au monastère de Bayeux.

Tous les textes imprimés dans cet ouvrage sont inédits, à l'exception de deux courts extraits du Véritable Esprit des Religieuses adoratrices perpétuelles du Très Saint Sacrement de l'autel (Edme Couterot, Paris, 1684) et d'un fragment d'une lettre, adressée à Mère Marie de Sainte Agnès Camuset à Rouen, parue dans le volume : Catherine de Bar, fondation de Rouen (Rouen, 1977, p. 195). Cet ouvrage est le troisième que nous avons donné au public, concernant Mère Mectilde, ce qui porte présentement à 535 le nombre des lettres éditées.

Pour composer cet ensemble de commentaires, nous avons parfois utilisé plusieurs parties d'un même texte. Pour permettre, le cas échéant, de reconstituer le texte complet ou partiel, nous avons dressé une table numérique, indiquant les citations, non pas dans l'ordre des chapitres de ce livre, mais telles qu'elles se présentent dans le manuscrit.

La table analytique regroupe sous un même chef les différents aspects d'une pensée très riche et qui ne se laisse jamais enfermer dans des catégories trop étroites. Nous pouvons ainsi mieux saisir les divers points de vue de Mère Mectilde sur les fondements de la vie monastique et les éclairer l'un par l'autre. Comme dans les deux ouvrages précédents, cette table voudrait surtout inviter à une étude plus complète. Le travail accompli déjà dans nos monastères, notamment à l'occasion de la préparation en commun de ce livre, nous est une preuve de l'intérêt puissant que peut susciter aujourd'hui encore la pensée de notre fondatrice et montre bien quelle riche sève monastique circule dans tous ses écrits.

SAINT BENOIT ET SA REGLE

J’ai vu que notre glorieux Père saint Benoît était une vive image et expression de la sainteté de Jésus Christ, et que tous ses enfants glorieux avaient puisé en lui une grâce singulière de sainteté ;

que Dieu avait communiqué sa sainteté à saint Benoît pour lui et pour ses enfants, et qu'il a eu une plénitude de l'esprit de Jésus Christ, qui est l'esprit de tous les justes ; qu'une religieuse bénédictine devait puiser en saint Benoît une plénitude de grâce parce qu'il l'avait reçue pour la communiquer à ses enfants.

qu'aucune ne se perfectionnerait que par un secours particulier de ce grand saint ;

qu'il avait coopéré avec le Saint Esprit à la sainteté de tous les saints de son Ordre.

n 848 A la comtesse de Châteauvieux, 13 novembre.


La vie de saint Benoît a été si conforme à celle de Jésus Christ que l'on, peut dire qu'elle en a été une des plus dignes copies, et qu'il a pu dire avec saint Paul : je ne vis plus, mais c'est Jésus Christ qui vit en moi...

Représentez-vous, mes Soeurs, voir ce petit saint sortant de la maison paternelle, méprisant tons les avantages de sa naissance, prévenu d'une lumière et d'une grâce si forte qu'il reconnaît que rien ne doit être préféré à Dieu ; il quitte toutes les grandeurs, les richesses, sans y faire de réflexion, et sans y avoir même depuis aucun retour, prévenu qu'il est que rien n'est grand que Dieu. Tout le reste, en comparaison, lui paraît si peu de chose qu'il compte tout pour rien, hors le bonheur de posséder Dieu. C'est ce qui l'oblige à prendre la fuite et le chercher dans la solitude. Il sort de sa maison et s'abandonne à la Providence sans avoir égard à ce qu'il deviendra, ni savoir où il ira. Si on lui eût demandé pour lors ce qu'il cherchait et ce qu'il prétendait, il eût sans doute répondu qu'il cherchait Dieu et qu'il pouvait seul contenter ses désirs. Admirez son courage, et non seulement les avantages et les grandeurs qu'il quitte, mais encore l'oubli qu'il fait de lui-même, et la guerre qu'il se déclare par les veilles,

28 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 29

les jeûnes, les austérités qu'il a pratiqués dans cette affreuse solitude dans sa plus tendre jeunesse, dont Dieu seul a été témoin. Ah ! si nous pouvions pénétrer dans la profondeur de ce rocher pour voir ce qu'il fait, quelles sont ses occupations et de quoi il s'entretient dans son profond désert, nous n'en sortirions que remplies d'admiration ! Ce n'est pas sans raison qu'il porte ses enfants et qu'il les exhorte en toutes rencontres à la solitude. Il en connaît mieux que personne les avantages, ayant été un parfait solitaire.

n° 2291 Conférence sur la fête de notre glorieux Père saint Benoît.

Ce n'est pas une petite grâce d'avoir un Père si saint. Et comme les pères qui aiment leurs enfants sont réjouis de leur bonheur et le leur procurent autant qu'ils peuvent, nous ne devons pas douter que ce grand saint ne favorise ses enfants... II faut donc vivre dans l'esprit de sainteté de notre Père. Dieu ne nous dit-il pas aussi : «Soyez saints comme je suis saint) ? Ne sentons-nous pas cette grâce en nous qui nous dit sans cesse ces mêmes paroles : «Soyez saints parce que je suis saint) ?

n 3129 Conférence de la veille de la fête de notre glorieux Père saint Benoît.

Nous ne parlons point ici de la dévotion que nous devons avoir à notre glorieux Père saint Benoît ; c'est assez de savoir qu'il est notre Père et que nous lui appartenons singulièrement, puisque nous militons sous sa sainte Règle, et qu'il nous apprend d'une manière admirable le parfait anéantissement. Nous y ferons un progrès merveilleux si nous l'imitons en sa vie et si nous observons ses préceptes, si bien exprimés en sa sainte Règle.

Journée religieuse.

Pour notre glorieux Père saint Benoît, dont nous faisons lundi la fête, il est saint par excellence, ayant été rempli de l'esprit de tous les justes. C'est l'éloge que lui donnent les saints Pères. Que disent-ils ? Lisez la Règle de saint Benoît ; elle contient toute la perfection et la perfection par éminence. On la nomme tout court dans Rome : la sainte Règle. Tous les autres instituteurs y ont puisé quelque chose. Il ne s'en trouve point où l'on n'ait diminué ou augmenté ; il n'y a que celle de saint Benoît qui soit demeurée dans sa première institution ; elle a été composée par le Saint Esprit. Quel honneur pour vous, mes Soeurs, d'être les enfants d'un si digne Patriarche ! Que vous ne le soyez pas seulement de nom et d'habit, mais par imitation ! Vous ne pouvez mieux honorer notre bienheureux Père qu'en pratiquant sa sainte Règle... Ce n'est point assez de la porter dans vos pochettes, de la mettre sur vos coeurs, il en faut prendre l'esprit... Elle est toute fondée sur l'Évangile et sur l'Écriture. Se peut-il rien de plus saint ? Ce sont les paroles de Jésus Christ...

Quand je vous dis que saint Benoît est dans un degré de gloire très excellent et éminent, ne croyez pas que j'exagère. Non, mes Soeurs, il est reconnu de toute l'Église comme le plus grand Législateur et Patriarche... Que vous êtes obligées à Dieu de vous avoir fait les filles d'un si digne Père !

no 3128 Chapitre.

Je ne vous dirai pas, mes Soeurs, avec quelle ferveur nous devons célébrer la fête de notre grand Patriarche. Il suffit bien pour nous exciter à l'honorer de savoir qu'il est notre Père et notre Législateur, que le mystère de l'adorable Eucharistie auquel nous avons le bonheur d'être dévouées a fait tout l'amour de son saint coeur sur la terre, tellement que c'est Jésus Hostie qui l'a ravi à lui-même pour l'enlever au ciel. Saint Benoît, expirant au pied de l'autel comme une victime immolée au très Saint Sacrement, a légué son âme au pied de l'autel et lui a en même temps dévoué tout son Ordre. Ne peut-on pas dire que c'est à la grâce de cette consécration que ses disciples ont dù de combattre si généreusement les ennemis de ce sacré mystère et d'être les hérauts de la gloire du très Saint Sacrement ? Mais il ne suffisait pas à ce saint Patriarche que ses Fils publiassent hautement les merveilles du Sacrement adorable de l'Eucharistie, il fallait encore que ses Filles y fussent consacrées, en esprit d'hommage et de réparation, et que la dévotion de ce grand saint se perpétuât ainsi dans son Ordre jusqu'à la consommation des siècles. Conservons avec amour et reconnaissance l'héritage et la bénédiction qu'il a daigné nous laisser en mourant.

no 1234 Conférence pour la fête de notre Père saint Benoît.

Notre sainte Règle renferme la perfection des commandements de Dieu, des conseils et du saint Évangile, et qui la méditera comme il faut, trouvera qu'elle contient l'abrégé de la perfection.

no 372 Chapitre.

Méditez votre sainte Règle, et croyez que la moindre chose qu'elle vous ordonne c'est la volonté de Dieu qu'elle vous prescrit jusqu'à un point. Pratiquez-la dans cette vue et tout vous sera facile.

no 2812 Chapitre, 25 septembre 1671.

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Surtout, je vous prie, soyez exactes à l'observance de votre sainte Règle, n'estimez rien de petit, afin que par votre fidélité en tout vous receviez la grâce que Dieu a attachée à tous les exercices de la sainte Religion. Faites grand cas du silence et de l'obéissance tant recommandés par notre glorieux Père saint Benoît, et sachez que ce sera sur la Règle que vous serez examinées au jour du Jugement. On vous demandera si vous avez observé la Règle et rempli la grâce de votre vocation... Lisez donc notre sainte Règle, méditez-la souvent, et je vous assure que, si vous l'observez, vous serez parfaites.

n° 1776 Chapitre.

[Voyez] quelle estime on a des Règles et Constitutions, et si l'on est soigneuse de les lire avec application pour tâcher d'en pénétrer le véritable esprit avec un désir sincère de les pratiquer, ou si, au contraire, on les lit par coutume et sans attention, et si par négligence ou mépris on manque de les lire.

Journée religieuse.

Elles prieront surtout notre glorieux Père saint Benoît pour lui demander l'esprit de notre sainte Règle.


PROLOGUE

Écoute, mon fils, les préceptes du Maître et prête l'oreille de ton coeur. Reçois volontiers l'enseignement d'un si bon père et mets-le en pratique ; afin de retourner par l'exercice de l'obéissance à celui dont t'avait éloigné la lâcheté de la désobéissance. C'est à toi donc maintenant que s'adresse ma parole, à toi, qui que tu sois, qui renonces à ta volonté propre et prends les fortes et nobles armes de l'obéissance, pour combattre sous l'étendard du Seigneur Christ, notre véritable Roi.

Avant tout, demande-lui par une très instante prière qu'il mène à bonne fin tout bien que tu entreprends, en sorte que, après avoir daigné nous admettre au nombre de ses enfants, il n'ait pas sujet, un jour, de s'affliger de notre mauvaise conduite. Car, en tout temps, il faut avoir un tel soin d'employer à son service les biens qu'il a mis en nous, que non seulement il n'ait pas lieu, comme un père offensé, de priver ses fils de leur héritage, mais encore qu'il ne soit pas obligé, comme un maitre redoutable et irrité de nos méfaits, de nous livrer à la punition éternelle, tels de très mauvais serviteurs qui n'auraient pas voulu le suivre pour entrer dans la gloire.

Journée religieuse.

les religieuses bénédictines, aussi bien que les religieux, peuvent apprendre et reconnaître clairement l'excellence de leur sainte vocation par la lecture de ce prologue et l'étroite obligation que toutes ont d'y correspondre fidèlement, en s'avançant de jour en jour [dans] en la perfection où Dieu les appelle par l'exacte observance de leur sainte Règle.

n° 2082 Pensées sur l'Institut

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Voilà les effets de la malignité du péché originel qui nous a détournées de Dieu et converties à nous-mêmes, en telle sorte qu'il faut faire une étrange violence pour nous en détourner. Mais avec tout cela, courage ! Il ne faut pas s'étonner pour nous voir pleines d'oppositions. La grâce de Notre Seigneur Jésus Christ triomphera en nous. Elle nous est donnée au saint baptême pour cet effet.

n 345 et 561 A la comtesse de Châteauvieux.

Il faut donc désormais que vous fassiez tout le contraire de ce que vous avez fait par le passé. La vanité, votre propre esprit vous ont retirée de Jésus et, par conséquent, séparée de Jésus : il faut que 4 fidélité à l'observance régulière et à l'obéissance vous y attache inviolablement ; il ne faut rien négliger et n'estimer rien de petit ; tout est grand, tout est saint dans la Religion, il n'y a pas une observance, une action, pour petite qu'elle paraisse, qui ne porte sa grâce et sa bénédiction lorsqu'elles sont faites comme il faut.

n° 3059 Chapitre à novice, Soeur Marie du Saint Sacrement Hardy, rue Cassette, 26 mars 1660.

Je dirais volontiers une chose surprenante à plusieurs, que comme le grain de froment ne fait nulle coopération à sa renaissance, ou à sa nouvelle vie, que de demeurer en terre, et de pourrir ; que l'âme doit aussi demeurer ensevelie dans la terre de son propre néant, et de sa propre corruption, attendant avec une patience éternelle (c'est-à-dire prodigieuse) le point de sa résurrection ; car ce germe de vie cachée en elle-même, sans qu'elle le découvre en ce temps-là, ne peut perdre sa vie dans cette terre, parce qu'il est vie ; Ego sum vita, et essentiellement vie, et que si l'âme par le péché n'étouffe et n'arrache ce germe précieux de vie, il poussera et fera une renaissance admirable en l'âme ; mais il faut remarquer que le grain de froment est demeuré pourri dans la terre, et qu'il n'y a eu que son germe qui a produit ; de même l'âme demeure comme ensevelie et perdue dans la terre de son néant, et ce germe de vie, Jésus Christ, pousse et produit en l'âme des choses ineffables, et qui ne se peuvent dire : Il faut donc que l'âme demeure toujours dans la mort, jusqu'à ce qu'elle soit passée en Jésus Christ comme en la source de la vie, et qu'elle attende qu'il se produise lui-même en elle comme vie : Le grain de froment est la comparaison que le Fils de Dieu nous a donné en l'Évangile, et il se l'appioprie à lui-même.

Mère Mectilde du Saint-Sacrement de Bar, Véritable Esprit, Paris, 1684.clii

Nous voulons que Dieu fasse des miracles pour nous rendre parfaites, sans qu'il nous en coûte rien ! Non, non, il ne le fera pas ! Il nous a donné des Règles; c'est à nous de les suivre, sans prétendre de voler sans [elles]. L'on s'étonne de tant de personnes qui souhaitent la perfection ; il y en a si peu qui y arrivent ; c'est qu'elles la souhaitent d'une autre manière que Dieu ne veut et, comme nous nous faisons une voie selon notre propre esprit, tout notre travail n'étant pas secondé de la grâce, il est inutile. Exemple : Dieu vous veut petite, et vous voulez être élevée ; il vous veut dans le combat d'une passion, d'une habitude, et vous voudriez en être affranchie sans travailler. Que celles qui sont dans les combats aient patience et prennent courage, c'est trop de bonheur pour elles de mourir ainsi. Ayons pour ce sujet recours au Saint Esprit, c'est son ouvrage que la sanctification des âmes.

no 414 a Conférence pour le jour de la Pentecôte.

Il faut recourir à Dieu, lui demander son secours, sans lequel nous ne sommes capables de rien. Le besoin que nous avons de Dieu pour remplir nos devoirs est si grand qu'il nous est impossible d'être fidèles sans une grâce particulière.

no 950 Conférence, 1695.

Levons-nous donc, enfin, l'Écriture nous y invite : «L'heure est venue, dit-elle, de sortir de notre sommeil». Ouvrons les yeux à la lumière qui divinise. Ayons les oreilles attentives à l'avertissement que Dieu nous adresse chaque jour : «Si vous entendez aujourd'hui sa voix, n'endurcissez pas vos coeurs», et ailleurs : «Que celui qui a des oreilles, entende ce que l'Esprit dit aux Églises». Et que dit-il ? «Venez, mes fils, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte du Seigneur. Courez, pendant que vous avez la lumière de la vie, de peur que les ténèbres de la mort ne vous saisissent».

Le Seigneur cherchant son ouvrier dans la multitude du peuple à laquelle il fait entendre ces appels, dit encore : «Qui est celui qui désire la vie et souhaite de voir des jours heureux ?» Que si à cette demande, tu lui réponds : «C'est moi», Dieu te réplique : «Si tu veux jouir de la vie véritable et éternelle, garde ta langue de tout mauvais discours et tes lèvres de toute parole trompeuse ; détourne-toi du ma! et fais le bien ; cherche la paix avec ardeur et persévérance. Et lorsque vous agirez de la sorte, mes yeux veilleront sur vous et mes oreilles seront attentives à vos prières, et avant méme que vous ne m'invoquiez, je vous dirai : Me voici». Quoi de plus doux, mes très chers frères, que cette voix du Seigneur qui nous invite ? Voyez comme le Seigneur lui-même, dans sa bonté, nous montre le chemin de la vie.

Ceignons donc nos reins de la foi et de la pratique des bonnes oeuvres ; sous la conduite de l'Évangile, avançons dans ses chemins, afin de mériter de voir un jour Celui qui nous a appelés dans son royaume. Si nous voulons habiter dans le tabernacle de ce royaume, sachons qu'on n'y parvient que si l'on y court par les bonnes actions.

Mais interrogeons le Seigneur en lui disant avec le prophète : «Seigneur, qui habitera dans votre tabernacle ? Qui reposera sur votre montagne sainte ?» Après cette demande, mes frères, écoutons la réponse du Seigneur ; il nous montre la route de ce tabernacle en disant : «C'est celui qui marche sans tache et accomplit la justice ; celui qui dit la vérité du fond de son coeur, qui n'a pas commis le dol par sa langue, qui n'a pas fait de tort à son prochain, ni accueilli des discours injurieux contre lui». C'est celui qui rejette loin des regards de son coeur l'esprit malin qui le tente, et les suggestions qu'il lui souffle, les réduit à rien, saisit les premiers rejetons de la pensée diabolique et les brise contre le Christ. Ce sont ceux qui, craignant le Seigneur, ne s'enorgueillissent pas de leur bonne observance. mais qui, reconnaissant que le hien qui se trouve en eux vient de Dieu et non d'eux-mêmes, glorifient le Seigneur qui opère en eux, et lui disent avec le prophète : «Non pas à nous, Seigneur, non pas à nous, mais à votre nom donnez la gloire». De même l'apôtre saint Paul ne s'est rien attribué du succès de sa prédication, mais disait : «C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis», et encore : «que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur».

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Soyez attentive à sa divine voix, écoutez ses inspirations et sacrifiez-vous à lui pour tout ce qu'il lui plaira.

n° 1166 A Mademoiselle Loyseau.

Gardez-vous bien d'endurcir vos coeurs, ainsi qu'il est dit dans notre sainte Règle. Oui, mes Soeurs, négliger une inspiration ou un petit reproche intérieur de nos consciences qui nous dit de ne point faire telles choses, c'est endurcir nos coeurs et fermer nos yeux à l'étoile de la grâce, et c'est le dernier malheur.

n° 431 Conférence pour la fête de l'Épiphanie, 5 janvier 1663.

Je disais tantôt qu'il fallait sortir de chez soi, de l'amour et estime de soi-même, et vous, je vous dis que vous rentriez chez vous dans votre intérieur, vous tenant aux pieds de la majesté de Dieu ; c'est là où vous le trouverez. Apprenez de saint Augustin que tout le temps qu'il a cherché Dieu dans les créatures, il ne l'a point trouvé, et rentrant en son fond intérieur, il trouve qu'il y fait sa demeure. Appliquez-vous sérieusement à ne plus être vagabonde. Si vous y prenez peine, je ne doute pas que Dieu ne vous donne beaucoup de gràces.

n° 1711 Chapitre, à une jeune Professe.

Soyez toujours bien généreuse pour Dieu, ne faites aucun cas des créatures qu'en Dieu et pour Dieu mais ne vous y engagez point, conservez votre liberté entière, et vous souvenez que Dieu vous l'a donnée pour lui en faire un présent, et non pour la captiver sous la tyrannie de votre amour-propre. Allons, allons, que rien ne vous arrête plus en ce monde. Dieu seul nous doit suffire. Courez dedans les plaies de notre adorable Sauveur, et gardez votre paix au-dessus de toutes choses.

n° 1099 A une Religieuse de l'Institutcliii.

Rien ne charme Dieu comme une personne humble. Il se précipite dans cette âme avec la même vitesse comme vous voyez l'éclair qui précède le tonnerre ou un trait d'arbalète, et même Dieu tient cette conduite sur les âmes sur qui il a dessein de perfection, leur laissant un poids d'humiliation... qui les tient toujours bas afin de conserver ses dons en elles, et cela parce que nous sommes si légères que la moindre grâce nous élève et nous fait oublier ce que nous sommes ; et cette peine, cette tentation ou cette abjection que Dieu nous laisse rabaisse notre orgueil, nous tient petites... nous apprenant ce que nous sommes. Nous avons des exemples de ceci dans les saints mêmes. Voyez un saint Paul : Notre Seigneur permettait qu'il soit souffleté par le démon. Aimons, mes Soeurs, aimons donc notre petitesse et nos misères, et les regardons toujours dans l'ordre de Dieu sur nous. Demandez-en la grâce à la sainte Mère de Dieu pour vous et pour moi.

n° 659 Conférence.cliv

L'expérience nous apprend assez que l'on n'arrive pas au dégagement parfait tout d'un coup, sans miracle d'une grâce extraordinaire. Aussi notre bon Dieu ne demande pas de nous que nous soyons parfaitement maître et que nous jouissions d'une liberté entière dès le premier moment qu'il nous appelle, mais il veut que nous soyons, et que nous nous exercions sans cesse, dans la volonté d'y parvenir et qu'en effet nous y travaillions par les actes particuliers selon les occasions qui se présentent, afin que nous ayons quelque jour, en effet, ce que nous n'avons, au commencement, qu'en désir et en vue.

n° 2479 Maximes spirituelles.

Portons donc cette sentence de mort et mourons toujours pour vivre un jour de la vie de Jésus Christ. C'est l'ouvrage de son amour en nous et de sa divine miséricorde. Ayez courage, cet ouvrage sera accompli en vous ; demeurez en paix et en pur abandon à Notre Seigneur, sans retours et sans aucune défiance, quoique vous ayez mérité l'enfer. Demeurez dans l'amour de Jésus Christ. II vous y attire. Ne croyez pas qu'une saillie d'orgueil ou d'amour-propre vous fasse sortir de ce bonheur. Non, non, mais quand cela vous arrive, ne faites autre chose que de vous laisser doucement rentrer dans la paix ; et si cette faute vous laisse quelque temps dans la peine ou dans quelque petite agitation de coeur, portez cela sans inquiétude et sans autre intention que de la souffrir en esprit de pénitence...

Je vous dis encore que votre cœur est à Dieu par la grâce et non pas naturellement par vous-même.

n° 1331 Conférence.clv

Oh ! que celles qui sont peinées, troublées, affligées, viennent chercher la paix et le calme de toutes leurs passions aux pieds de cet adorable Enfant qui s'appelle Princeps pacis. Croyons pour une vérité indubitable que la paix que nous ressentons souvent au fond de notre intérieur nous marque que Notre Seigneur en approche pour le posséder. Mais, mes Soeurs, souvent nous lui en refusons l'entrée, en ne nous abandonnant pas assez à la conduite de son divin Esprit.

n° 3060 Conférence.

36 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 37

Souvent Notre Seigneur nous laisse les peines et les tentations dont il ne veut pas nous délivrer. Pourquoi, mes Soeurs, sinon parce qu'elles servent à nous purifier et à disposer nos âmes aux grâces et aux faveurs qu'il a dessein de nous communiquer, si nous sommes fidèles à le laisser opérer en nous notre destruction et la mort de tout ce qui lui est contraire.

n° 1767 Conférence du jour de sainte Thérèse, 1687.

Aussi le Seigneur dit dans son Évangile : «Celui qui écoute mes paroles et les accomplit, je le comparerai à un homme sage qui a bâti sa maison sur la pierre ; les fleuves ont débordé, les vents ont soufflé et l'ont battue avec violence, mais elle n'est point tombée, parce qu'elle était fondée sur la pierre».

Pour achever, le Seigneur attend de nous que nous répondions chaque jour par nos oeuvres à ses saintes leçons. S'il prolonge comme une trêve les jours de notre vie, c'est pour l'amendement de nos péchés, selon cette parole de l'Apôtre : «Ignores-tu que la patience de Dieu te convie à la pénitence ?» Car ce doux Seigneur affirme : «Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive».

Lorsque nous avons demandé au Seigneur, mes frères, qui habitera dans son tabernacle, nous avons appris ce qu'il faut faire pour y demeurer. Puissions-nous accomplir ce qui est exigé de cet habitant !

Il faut donc préparer nos coeurs et nos corps aux combats de la sainte obéissance à ses commandements. Quant à ce qui manque en nous aux forces de la nature, prions le Seigneur d'ordonner à sa grâce de nous prêter son aide. Et si, désireux d'éviter les peines de l'enfer, nous voulons parvenir à la vie éternelle, tandis qu'il en est temps encore et que nous sommes en ce monde et que nous pouvons accomplir toutes ces choses à la lumière de cette vie, courons et faisons, dès ce moment, ce qui nous profitera pour toute l'éternité.

C'est à cette fin que nous voulons fonder une école où l'on serve le Seigneur. Dans cette institution, nous espérons ne rien établir de rude ni de pesant. Si, toutefois, il s'y rencontrait quelque chose d'un peu rigoureux, qui fût imposé par l'équité pour corriger nos vices et sauvegarder la charité, garde-toi bien, sous l'empire d'une crainte subite, de quitter la voie du salut dont ies débuts sont toujours difficiles. En effet, à mesure que l'on progresse dans la vie religieuse et dans la foi, le coeur se dilate, on court dans la voie des commandements de Dieu, rempli d'une douceur ineffable de dilection. Ne nous écartant donc jamais de son enseignement, et persévérant jusqu'à la mort dans la pratique de sa doctrine au sein du monastère, participons par la patience aux souffrances du Christ et méritons d'avoir une place dans son royaume. Amen.

La foi sans les oeuvres est une foi inanimée, parce qu'elle n'a pas devant les yeux son unique objet qui est Dieu seul.

n° 2654 Entretiens familiers, août 1694.

C'est pour l'ordinaire que nous faisons nos actions par notre propre esprit et que nous n'avons en vue que nos inclinations. Ainsi il ne faut pas s'étonner si nous les faisons si imparfaitement et si nous avançons si peu à la vertu. Je vous le disais il n'y a pas longtemps : que je ne demanderais à une religieuse pour être bientôt parfaite que d'envisager uniquement et en toutes ses actions, voire aux plus petites, que la très sainte volonté de Dieu. Notre Seigneur dit un beau mot à ce propos dans l'Évangile : «Si votre oeil est simple, etc.» Oui, mes Soeurs, si l'oeil de votre âme est simple, regardant uniquement Dieu en tout ce qu'elle fait, sans retour sur soi ni sur les créatures, tout votre corps sera lumineux, c'est-à-dire toutes les puissances de votre âme, toutes ses facultés seront éclairées de ce beau soleil éternel, Jésus Christ, que vous avez en vue et en objet, à la faveur duquel [vous] connaîtrez jusque à vos moindres défauts.

n° 196 Chapitre, septembre 1662.clvi

Vous pouvez même souffrir beaucoup par les impressions fâcheuses qui se font sentir quand il plaît à Notre Seigneur vous laisser à la puissance des ténèbres ; mais il n'y a de péché que lorsque notre volonté y adhère... Il est bon, il est très bon de connaître le fond pécheur qui est en nous. Il est même nécessaire d'en ressentir les mauvaises productions ; c'est ce qui nous rend vigilantes à nous tourner vers Dieu pour demander la grâce de n'y point adhérer... Marchez en pure simplicité, et devenez comme un petit enfant entre les bras de votre bon Père qui est Dieu.

n° 1331 Conférence.

FIN DU PROLOGUE

Dieu ne manque jamais aux âmes qui entendent sa divine voix. Il vous donnera l'intelligence des sacrées paroles portées dans l'Évangile de ce jour : «Seigneur, voici que nous avons tout quitté... », et comme ce n'est pas sans mystère que l'Église les approprie à tous les saints de notre Ordre, lesquels peuvent dire avec les saints Apôtres : «Ecce nos reliquimus », c'est, mes Soeurs, ce qui fait aujourd'hui le sujet de leur triomphe et félicité dans le paradis.

n° 883 Conférence de la veille de tous les Saints de l'Ordre, 1663.

Jésus Christ [est] notre divin Maître. Il a triomphé pour nous du diable, du monde et de nous-mêmes qui sont nos plus cruels ennemis. Unissons-nous à sa vertu divine et nous rendons à lui afin qu'il triomphe en nous, qu'il terrasse nos ennemis, et surtout l'orgueil de la vie comme le plus malin.

n° 1757 Pour le premier dimanche de Carême.

Ne vivez pas comme cela dans la négligence : prenez quelques sujets de présence de Dieu, afin que, quand les tentations ou autres mauvaises pensées viendront, vous ne soyez pas trouvées au dépourvu et que vous ayez de quoi

38 CATHERINE DE BAR

les repousser : voyant ce qu'un Dieu a souffert pour vous, cela vous encouragera à souffrir pour son amour.

n° 377 Entretiens familiers, 4 septembre 1694.

Vous ne sauriez assez faire état des plus petites grâces [dit-elle], quand ce ne serait qu'une bonne pensée, parce que Dieu ne vous les doit point.

n° 3124 Entretiens familiers, 13 août 1696.

Vous ne serez pas parfaite tout d'un coup, mais petit à petit la grâce perfectionnera son ouvrage... Il est vrai que vous êtes encore bien faible et très peu établie dans les solides principes de la vie vraiment chrétienne, et que votre lumière est éteinte au moindre souffle des contradictions ou même des événements moins sensibles ; mais ne vous ébranlez pas pour voir une si grande misère; tenez-vous fermement attachée au tronc qui est Dieu, dans l'immensité, puissance et vertu duquel vous êtes réellement et actuellement. Et dans les occasions, recourez intérieurement et amoureusement à sa bonté, le suppliant de vous soutenir et de faire ou soutenir en vous telles peines ou telles actions. Et, en même temps, abandonnez-vous à sa grâce et à son esprit, pour le laisser opérer en vous le courage, la force ou la patience, et l'humilité, etc. qui vous sont nécessaires.

no 1387 A la comtesse de Châteauvieux.

Car Jésus Christ, lui seul étant la perfection, quand l'âme s'abandonne entièrement à lui, il s'établit dans l'âme, il y vit et règne, et voilà la perfection ; or, de cette sorte l'âme n'a rien à faire qu'à se laisser dans un simple abandon, sans se troubler de ses défauts, de ses misères et du reste, parce qu'elle ne peut être meilleure par elle-même, et ainsi elle attend en patience la venue de Jésus en soi, pour y vivre sa vie et y établir son empire.

n° 165 A Mère Marie de Jésus Chopinel, rue Cassette.clvii

Tâchez à vous surmonter aux occasions de Providence et à ne point vous laisser aller aux saillies de la nature : on n'emporte de victoire qu'en combattant.

n° 1711 Chapitre à une jeune Professe.

J'ai connu aujourd'hui qu'il n'y avait point de moyen plus court et assuré pour aller à Dieu que la croix, c'est-à-dire les souffrances de corps ou d'esprit.

A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 39

Les peines intérieures sont plus efficaces parce qu'elles détruisent en nous ce qui est impur et opposé à Dieu, mais celles du corps sanctifient aussi lorsque l'on en fait un bon usage.

no 976 Diversités spirituelles.

Les saints ne sont remplis de Dieu qu'autant qu'ils se sont vidés d'eux-mêmes. Hélas ! si l'on nous pressait et que l'on nous réduisît en liqueur, l'on ne verrait qu'amour de nous-même. Il y avait un serviteur de Dieu qui disait que, si l'on le pressait, il ne sortirait que de l'orgueil. Ne sortirons-nous jamais de nous-même, de notre propre terre ? Ah ! mes Soeurs, il faut une force toute divine ; demandez-la bien à Dieu ; vous n'en pouvez sortir sans secours. Quand nous oublierons-nous nous-même ? Quand ne nous soucierons-nous plus de nos intérêts ? D'où vient que la moindre parole nous choque si fort ? Dieu permet quelquefois que l'on exerce notre patience par des événements fâcheux et qui contrarient notre volonté, mais il faut dans ces rencontres lui montrer notre fidélité et notre amour pour lui.

n° 1075 Conférence pour la fête de la Toussaint.clviii

Je sens bien que le démon fait tout son possible pour vous accabler... Il faut attendre en patience la conversion des âmes... C'est à son divin esprit de faire cette opération, et vous et moi la devons attendre en vous avec une très grande patience, sans nous lasser...

Pour toutes ces sortes de tentations que vous avez, c'est fort peu de chose. Dieu vous les envoie pour vous purifier... Quand il plaira à Notre Seigneur, il vous les ôtera ou vous donnera la grâce d'en faire l'usage qu'il désire... Tendez toujours à Dieu, quelque éloigné qu'il vous paraisse, car enfin il viendra, car cela est certain ; mais ne désistez point de gémir à ses pieds toujours, dans la confiance et en patience. Il faut une longue et très longue persévérance.

no 1415 A une Religieuse, rue Cassette.clix

Je vous prie, soyez déterminée, n'écoutez point la tentation ; il faut, malgré vous-même, que vous soyez à Dieu. Vous y ressentirez de la peine dans les commencements, mais la suite sera plus douce et plus accompagnée de grâces ; Notre Seigneur ne vous manquera pas. Entreprenez donc hardiment un généreux combat contre vous-même.

n° 1007 A Mademoiselle Loyseau.

40 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 41

Portez votre croix comme un présent du ciel et en bénissez le Seigneur. n° 2639 Sentence.

Un grand mal dans la vie spirituelle, c'est qu'on n'a quasi point de persévérance ; l'on fait bien aujourd'hui et demain l'on quitte tout, on ne veut pas assujettir l'esprit sous les conduites pénibles et crucifiantes de la main de Dieu. Nous voudrions la vertu sans peine et posséder Dieu en nous possédant nous-mêmes ; mais nous nous trompons, car Dieu ne peut régner en nous avec nous, il veut être absolu et ne point partager son empire.

Que celui-là est avare à qui Dieu ne lui suffit pas ! Il faut avouer que nous sommes dans des ignorances et ténèbres épouvantables, la seule vérité nous est inconnue parce que nous ne voulons pas nous séparer de nos sens, nous ne voulons point sacrifier ce nous-même qui seul est opposé à Dieu en nous.

no 2438 A une Religieuse de l'abbaye de Montmartre, 18 mars 1695.

Il y en a assez qui veulent entrer dans le palais de la perfection tout d'un coup, comme des larrons ; par tout ce qu'il y a de plus haut et de plus sublime, ils veulent monter par-dessus le toit, mais Dieu les humilie et les confond : Jésus, pour nous tirer de cette ignorance, a fait tout le contraire ; il ne nous a proposé d'abord que des croix et des souffrances, qu'il a lui-même supportées pour l'amour de nous, pour nous donner l'exemple et pour nous encourager à le suivre.

n° 2479 Maxime spirituelle.

Si la croix vous fait trop peur et que vous préfériez l'amour, aimez.

n° 2401 Entretiens familiers.clx

Si vous voulez trouver le royaume de paix et le paradis en terre, soyez fidèle à l'attrait de la grâce qui vous tire dans le néant. C'est une très grande miséricorde que Notre Seigneur vous fait de vous la présenter ; ne la refusez pas, si vous voulez être heureuse. Laissez-vous tomber dans le rien. O Dieu ! si l'on pouvait connaître le bien infini qui s'y rencontre, tout le monde s'y voudrait plonger. Résolvez-vous, très chère Mère, d'y entrer solidement, mais tout de bon donnez ce plaisir à Notre Seigneur, et à moi la consolation de vous voir dans ce bienheureux néant qui fait peur à la nature, mais avançant dans le chemin tout devient plus facile. Votre expérience vous fera croire cette vérité.

n° 752 A Mère Saint Placide, 4 mars 1685.clxi

Il n'est pas besoin de chercher Dieu par quantité de pratiques. Qui cherche n'a pas, mais il faut jouir avec paix et douceur d'esprit de ce trésor infini, puisque nous le possédons aussi véritablement comme les saints le possèdent dans le ciel. O bonheur infini, mais trop peu connu de la plupart des chrétiens qui ignorent le trésor qu'ils possèdent et qui leur a été donné au baptême par Jésus Christ !

n° 2641 Chapitre durant l'Avent, 1663.clxii

Soyez toutes revêtues de Jésus Christ. Marchez en nouveauté de vie comme dans un monde nouveau où vous ne voyez que Dieu et n'y vivez que pour lui. Sa bonté aura soin de tout ce qui vous regarde, si vous avez un soin unique de lui plaire et de ne désirer que lui, en travaillant à sa gloire. Je puis vous assurer que vos fatigues seront bien récompensées ; relevez toujours votre courage, ne vous rebutez point des difficultés. Les oeuvres de Dieu ne s'établissent que par la croix.

n° 117 A la Communauté de Varsovie (Pologne), 8 septembre 1687.clxiii

Il faut la persévérance à ne point se rebuter pour les difficultés qui s'y rencontreront. Il ne faut pas oublier qu'un des plus grands secrets de la vie spirituelle est que le Saint Esprit nous conduit, non seulement par les lumières, consolations, douceurs, tendresses, facilités, mais aussi dans les obscurités, insensibilités, tristesses, révoltes des passions et autres peines intérieures. Je dis bien plus, cette voie crucifiée est la meilleure et la plus assurée, et qui fait que l'âme arrive plus tôt à la sainte perfection.

n° 544 Conférence.clxiv

Je ne prétends pas que vous soyez parfaite dès à présent, non, mais que vous ayez un grand courage pour y tendre de toutes vos forces. Je vous avoue qu'il faut une grande grâce et une généreuse résolution pour en venir là. Pour la grâce, elle nous est donnée avec la vocation, reste à en faire un fidèle usage, croyez-moi, ne vous épargnez point, mourez sans compassion de vous-même, et ne trouvez point étrange si la sainte Religion qui est notre mère travaille à vous arracher de vous-même pour vous rendre tout à Jésus Christ... Si vous avez la sainte haine de vous-même tout cela vous sera doux, puisqu'il faut mourir pour vivre, mourir à nous, pour vivre à Dieu et de Dieu. Si j'avais le loisir, je vous ferais voir comme la sainte Religion est un beau verger, où les âmes sont mises, comme de belles plantes pour être l'objet des complaisances des trois Divines Personnes.

n° 1776 Parlant à une Fille qui devait prendre le saint habit.

42 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 43

Priez la très sainte Vierge qu'elle nous favorise de sa protection, afin que nous fassions un fidèle usage de la grâce renfermée dans l'exacte observance de nos saintes Règles et Constitutions.

no 1760 Chapitre, 18 août 1662.

Jésus Christ est tout ce que nous pouvons attendre de la charité immense de Dieu et tout ce que Dieu attend et exige de nous. Tout ce que nous pouvons attendre de Dieu, tout ce qui est enclos dans l'immensité de son amour vers nous, c'est que nous soyons dieux et enfants de Dieu, c'est que nous vivions de la vie des enfants de Dieu, c'est que nous jouissions de son royaume comme ses enfants et ses héritiers.

Or tout cela est enfermé en Jésus Christ son Fils, de telle sorte que nous n'y pouvons parvenir qu'en tant que nous sommes membres vifs de Jésus Christ, incorporés à son humanité déifiée, vivant de sa vie et de son esprit. Dieu nous a rendus consors de sa nature divine, mais saint Pierre nous apprend que c'est par Jésus Christ, son Fils. Dieu nous a élevés à la dignité de ses enfants : «Dedit eis potestatem filios Dei fieri », mais c'est en tant que nous sommes liés et adhérents à son Fils Jésus Christ par une vive foi, qui nous fait être quelque chose de lui. Dieu nous a appelés à vivre en lui de la vie sainte et bienheureuse dont il est vivant en soi-même ; mais nous n'en pouvons vivre que par Jésus Christ et comme ses membres, et l'apôtre saint Paul nous dit tantôt que nous sommes morts et que notre vie est cachée avec Jésus Christ en Dieu, tantôt que nous vivons à Dieu et de Dieu en Jésus Christ, et mille choses semblables, qui confirment cette vérité.

no 1524 A la comtesse de Châteauvieux.

CHAPITRE PREMIER DES ESPECES DE MOINES

Il est manifeste qu'il y a quatre espèces de moines.

La première est celle des cénobites, c'est-à-dire de ceux qui vivent en commun, dans un monastère, et combattent sous une Règle et un Abbé.

La deuxième est celle des anachorètes ou ermites...

La troisième espèce est celle des sarabaites...

La quatrième espèce de moines est celle des gyrovagues...

Laissons donc ces diverses espèces de moines ; et, avec l'aide du Seigneur, venons-en à organiser l'état des cénobites, la plus forte espèce de moines.

Notre glorieux Patriarche saint Benoît a établi, dans le premier chapitre de sa Règle, l'état de vie le plus parfait, qui est de ceux qui observent une même Règle en communauté, qu'il nomme très fort, très assuré, pour être garanti de tous hasards, sous l'abri de l'obéissance et du concours mutuel de plusieurs personnes qui aspirent à une même fin.

no 2277 Maxime.

Nous pouvons inférer dans ce premier chapitre que rien n'est plus avantageux aux religieuses que de vivre en commun sous la conduite d'une Supérieure douée des qualités requises pour tenir, dans le monastère, la place de Notre Seigneur et de sa très Sainte Mère, et conduire les âmes à la perfection de leur état. Cet esprit de communauté régnait parmi les Apôtres : les premiers chrétiens en faisaient profession, et c'était leur joie ët leur délice de ne posséder aucune chose. C'est de ces premières plantes du champ de l'Église que nous devons apprendre la pratique d'un saint dégagement et, à leur exemple, n'avoir toutes qu'un coeur, qu'une volonté, et qu'un même esprit, retranchant toute singularité pour nous conformer en toutes choses à la règle commune du monastère.

Constitutions.

A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 45

CHAPITRE II DES QUALITES QUE DOIT AVOIR L'ABBE

L'abbé qui est jugé digne de gouverner le monastère doit se souvenir sans cesse du nom qu'il porte et réaliser par ses actes le titre de supérieur. On le regarde, en effet, comme tenant la place du Christ dans le monastère ; c'est pourquoi il porte le nom même donné au Seigneur, selon ces paroles de l'Apôtre : "Vous avez reçu l'esprit des enfants d'adoption, qui crie en nous : Abba, c'est-à-dire Père ".

L'abbé ne doit donc rien enseigner, établir ou commander qui s'écarte des préceptes du Seigneur ; mais ses ordres et ses instructions doivent se répandre dans les âmes de ses disciples, comme un levain de la divine justice. L'abbé doit se souvenir sans cesse qu'au redoutable jugement de Dieu il devra rendre un compte exact de deux choses : de sa doctrine et de l'obéissance de ses disciples. Qu'il sache que l'on imputera à la faute du pasteur tout ce que le Père de famille trouvera de mécompte dans ses brebis. Au contraire, c'est pour autant qu'il aura consacré toute sa sollicitude pastorale à un troupeau turbulent et indocile, et dépensé tous ses soins pour guérir leurs maladies spirituelles, que lui-même, absous au jugement du Seigneur, pourra lui dire avec le prophète : "Je n'ai point caché votre justice, dans mon coeur : je leur ai dit votre vérité et votre salut, mais ils n'en ont fait aucun cas et ils m'ont méprisé". Alors, en punition, la mort frappera ces brebis qui ont été rebelles aux soins de leur pasteur.

Celui qui accepte la dignité d'abbé doit donc gouverner ses disciples par un double enseignement, c'est-à-dire qu'il lui faut inculquer ce qui est bon et saint par des actes plus encore que par des paroles. A ceux qui sont intelligents, il enseignera par ses discours les préceptes du Seigneur ; aux durs de coeur et aux simples, il les fera voir par son exemple. C'est aussi par ses actes qu'il apprendra à ses disciples à éviter ce qu'il leur aura dénoncé comme contraire à la loi divine, de peur qu'après avoir préché aux autres, il ne soit lui-même réprouvé et que Dieu ne lui dise un jour à cause de ses péchés : "Pourquoi annonces-tu mes justices et déclares-tu mon alliance par ta bouche, toi qui hais la discipline et qui rejetais mes paroles ?" Et encore : "Toi qui apercevais un fétu dans l'oeil de ton frère, tu ne voyais pas la poutre dans le tien."

Que l'abbé ne fasse point acception des personnes dans le monastère. Qu'il n'aime point l'un plus que l'autre, si ce n'est celui qu'il trouvera plus avancé dans les bonnes actions et l'obéissance. L'homme libre ne sera pas préféré à celui qui sera venu de la servitude, à moins qu'il n'y ait à cela une autre cause raisonnable. Si l'abbé juge, pour un juste motif, pouvoir faire cette distinction qu'il en use ainsi à l'égard de chacun, de quelque condition qu'il soit ; hormis le cas susdit, que chacun garde sa place ! car, libres ou esclaves, nous sommes tous un dans le Christ, et nous portons tous les mêmes armes au service d'un même Seigneur. "Auprès de Dieu, en effet, il n'y a pas acception de personnes ." La seule chose qui nous distingue à ses yeux, c'est le fait d'être plus riches que d'autres en bonnes oeuvres et en humilité. L'abbé témoignera donc à chacun une égale charité ; et il n'y aura pour tous qu'une même discipline, appliquée selon les mérites de chacun.

Dans son enseignement, l'abbé doit suivre toujours le modèle que lui donne l'Apôtre quand il dit : "Reprends, supplie, menace ." Ainsi il doit varier sa manière selon les circonstances mêlant douceurs et menaces, montrant tantôt la sévérité d'un maître, tantôt la tendresse d'un père. Ainsi, encore, reprendra-t-il plus durement les indociles et les turbulents, tandis qu'il se contentera d'exhorter au progrès ceux qui sont obéissants, doux et patients. Quant aux négligents et aux rebelles, nous l'avertissons de les réprimander et de les corriger.

CATHERINE DE BAR

46 A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 47

Qu'il ne ferme pas les yeux sur les péchés des délinquants. Mais qu'il les retranche autant qu'il le pourra, jusque dans leurs racines, aussitôt qu'il les verra nattre, se souvenant du malheur d'Héli, grand-prêtre de Silo . Pour ce qui est des âmes plus délicates et intelligentes, il lui suffira de les reprendre une fois ou deux par des admonitions, tandis qu'il doit punir par des verges et autres châtiments corporels les méchants, les opiniâtres, les superbes et les désobéissants, et cela dès qu'ils commenceront à mal faire, sachant qu'il est écrit : "L'insensé ne se corrige point par des paroles " ; et encore : "Frappe ton fils de la verge et tu délivreras son âme de la mort ."

L'abbé doit toujours se rappeler ce qu'il est, se rappeler le nom qu'il porte ; savoir qu'il est exigé davantage de celui à qui plus a été confié. Qu'il considère combien difficile et laborieuse est la charge qu'il a reçue de conduire les âmes et de s'accommoder aux caractères d'un grand nombre. Tel a besoin d'être conduit par les caresses, tel autre par les remontrances, tel encore par la persuasion. L'abbé doit donc se conformer et s'adapter aux dispositions et à l'intelligence de chacun, en sorte qu'il puisse, non seulement préserver de tout dommage le troupeau qui lui est confié, mais encore se réjouir de l'accroissement de ce bon troupeau.

Avant tout, qu'il se garde de négliger ou de compter pour peu le salut des âmes qui lui sont commises, donnant plus de soin aux choses passagères, terrestres et caduques. Qu'il pense sans cesse que ce sont des âmes qu'il a reçues à conduire et qu'il devra en rendre compte. Et, de peur qu'il ne se préoccupe à l'excès de la modicité éventuelle des ressources du monastère, il se rappellera qu'il est écrit : "Cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa justice : le reste vous sera donné par surcroft " ; et encore "Rien ne manque à ceux qui craignent Dieu ."

Qu'il sache donc bien que ce sont des âmes qu'il a reçues à conduire : qu'il soit prêt à en rendre compte. Quel que soit le nombre des frères placés sous sa garde, qu'il tienne pour certain qu'au jour du jugement il répondra devant le Seigneur de toutes ces âmes, et de plus, sans nul doute, de la sienne propre. Vivant ainsi dans la crainte constante de cet examen qui attend le pasteur au sujet de ses brebis, c'est le souci même des comptes dus pour autrui qui le rendra attentif sur lui-même, et, en amendant les autres par ses avis, il se corrigera de ses 9ropres défauts.

Ma très chère fille, si mes lettres pouvaient avancer votre âme dans la sainteté où Dieu l'appelle, tous les jours et à toute heure, je vous écrirais, mais je me sens bien indigne d'y contribuer. Hélas ! mon enfant, que je suis téméraire de vous parler ainsi ! C'est à Jésus Christ et à la puissance de sa grâce de vous faire faire un grand progrès à la sainte vertu ; ce n'est pas la créature qui sanctifie, bien que Notre Seigneur s'en serve pour nous enseigner ses divines volontés, et c'est pourquoi nous sommes obligées à une très grande fidélité à distribuer ce que Dieu donne pour les âmes, le donner purement dans un esprit très désintéressé et dans une profonde humilité.

n 2706 A la comtesse de Châteauvieux.clxv

Je me trouve intérieurement chargée de vous d'une manière très particulière, et que je ne vous puis exprimer qu'en vous disant qu'il me semble vous offrir à Dieu actuellement, dans un désir de vous voir toute à lui ; et les fautes que vous commettez volontairement, j'en suis chargée et en doit faire pénitence pour vous, puisque je me suis sacrifiée (quoiqu'indigne) pour vous. Jugez combien je suis obligée de vous presser d'être fidèle, en ce que vous avez promis, j'ai répondu pour vous, et promis à Dieu que vous serez toute à lui, autant qu'il aura agréable de vous en faire la grâce, et j'ai engagé, sur ce sujet, mon âme pour la vôtre.

n 1387 A la comtesse de Châteauvieux.clxvi

Il n'y a dans la charge que Dieu nous impose, et à vous, très chère Mère, que d'établir une régularité parfaite et de conduire les âmes dans un entier dégagement de toutes choses, les faisant marcher dans les voies d'une humilité profonde, d'une grande simplicité et dans la soumission.

no 105 A une Prieure de l'Institut, 13 juin 1695.

La Mère Prieure prêchera la régularité bien plus par ses exemples que par ses paroles. Elle sera fidèle à toutes les prescriptions de la Règle et des Constitutions, à toutes les pratiques de la sainte Religion ; elle sera la première à toutes les observances, soit à l'oraison, soit à l'Office, soit au travail, afin d'animer les autres par sa présence. Un bon pasteur n'est-il pas toujours à la tête de son troupeau ? Or, la Mère Prieure tient la place du pasteur dans le monastère.

Coutumier.

Gardez-vous bien de faire naître de la jalousie en lui témoignant plus de confiance et d'affection qu'aux autres. Vous savez qu'il faut ménager les esprits pour conserver la paix. Les Supérieures doivent avoir une grande prudence.

n 797 A une Prieure de Pologne, 23 septembre 1695.

Il faut donc, comme dit la sainte Règle, que la Mère Prieure corrige celles qui sont légères et inquiètes, qu'elle console celles qui sont faibles et infirmes, et qu'elle soit douce et patiente à l'égard de toutes.

Coutumier.

Il faut que la Mère Prieure, selon que le demande la sainte Règle, s'efforce de gagner toutes les âmes à Dieu, les unes par caresses et amitiés, les autres par réprimandes et corrections, les autres par remontrances et exhortations. Qu'elle

48 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 49

se proportionne tellement aux humeurs, qu'elle se mette tellement à la portée de chacune de ses Filles que son troupeau ne se détériore en rien, qu'il s'améliore, qu'il se perfectionne, qu'il prenne chaque jour sous sa garde des accroissements nouveaux.

Coutumier.

La charge me serait un poids insupportable si Dieu ne me soutenait. Je ne sais pas comme font les autres, mais, pour moi, je porte le faix de tous les intérieurs de mes Soeurs. Les faiblesses des esprits, les infidélités, tout cela me charge devant Dieu. Dieu m'a donné une tendresse et un je ne sais quoi pour les âmes peinées et affligées, en sorte que je les ai toujours présentes d'esprit et n'en [puis] quitter le soin tant que leur peine dure. Il me semble que Dieu m'ait faite pour de telles âmes.

no 1944 A la comtesse de Châteauvieux.clxvii

C'est à une Supérieure de juger des choses qu'elle doit permettre ou non, accordant aux unes ce qu'elle refuse aux autres.

no 1965 Entretiens familiers, ler mai 1695.

La Mère Prieure usera envers les esprits faibles de quelque condescendance, se rappelant qu'après tout c'est spécialement des âmes qu'elle est chargée, comme parle la sainte Règle, qu'elle doit les soigner préférablement à tout ce qui n'est que temporel, terrestre et périssable, et que, cherchant premièrement le royaume de Dieu et sa justice, tout le reste lui sera accordé, à elle et à ses Soeurs, comme par surcroît.

Coutumier.clxviii

Vous vous devez sans réserve à Jésus-Christ et ne croyez pas que vous possédiez aucun véritable repos que dans ce centre divin où vous devez rentrer, et où je voudrais vous avoir remis au prix de mon sang et de ma vie, ne sachant pas une peine plus sensible dans l'état où Dieu nous tient que de voir une âme qui ne tend point de la bonne manière à sa fin.

no 3006 A une Religieuse, rue Cassette.clxix

Désirez ardemment Jésus et vous l'aurez ; il viendra en vous. Que ce désir soit l'unique qui vous occupe. Priez la très sainte Vierge qu'elle vous fasse la grâce de n'en avoir point d'autre, et d'entrer dans la pureté de ses saints désirs. Mais, me direz-vous, la nécessité présente nous oblige à en avoir d'autres. Quelque grande qu'elle puisse être, il ne faut désirer que Jésus et son règne en nous. Plût à Dieu que ce fut là notre principal soin ! Nous n'aurions que faire de craindre que quelque chose nous manquât. C'est lui-même qui le dit et qui nous le promet ; vous devez le croire : «Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donné en surcroît».

no 2381 Conférence, 17 décembre 1694.

Ma chère Enfant, Dieu vous attend, il est à la porte de votre coeur avec une infinité de grâces qu'il a dessein de vous faire, il attend que vous lui donniez entrée, il le désire avec un amour incroyable ; ne le refusez pas. Il y a longtemps que vous lui fermez la porte de votre coeur dont il veut être le maître, il y veut régner tout seul. Retournez à lui, ma chère enfant, mais de tout votre coeur ; ayez confiance en sa bonté et en son amour, et je vous donne parole et assurance qu'il vous recevra à bras ouverts, comme un bon père, son enfant ; ne différez plus, car vous augmenterez toujours votre peine ; prenez donc une résolution forte et généreuse de vouloir être à Dieu sans aucune réserve, quoi qu'il vous en doive coûter.clxx Je vous prie, faites cette résolution tous les jours le matin, et la renouvelez souvent du meilleur de votre coeur, protestant à Dieu que vous voulez pour son amour vous faire toutes les violences qu'il sera nécessaire de vous faire pour lui conserver la fidélité que vous lui devez dans les plus petites choses et, quand il vous en devrait coûter la vie, que vous ne désisterez jamais, avec confiance qu'il vous en donnera la grâce. C'est un acte intérieur qui se peut faire en peu de temps ; je voudrais que vous le puissiez faire à tous moments. Je suis certaine que vous ne le ferez pas longtemps sans en ressentir les effets, et que vous y trouverez une force et une grâce particulières pour vous retirer de la disposition où vous êtes, qui est plus dangereuse que vous ne la croyez. Tâchez tous les jours de rendre une visite exprès au très Saint Sacrement, et plus si vous pouvez ; et, vous prosternant, dites-lui, avec tout l'amour et toute la confiance qui vous sera possible, que vous venez à lui pour lui demander secours contre ses ennemis et les vôtres, qui font effort pour vous retirer de lui, et que vous venez exposer à la porte de son tabernacle toutes les rebellions, oppositions, répugnances et malignités de votre nature et de votre esprit humain, afin qu'il envoie de cette demeure adorable une petite étincelle du feu qu'il y renferme, pour consommer en vous toutes les choses qui ne sont point lui et qui vous empêchent d'être à lui. Protestez-lui avec sincérité que vous le désirez et que vous attendez cette miséricorde de son amour, et demeurez exposée à sa toute puissance pour qu'il fasse et opère ces effets en votre âme. Soyez fidèle à cela, ma chère enfant, ne'vous rebutez pas s'il n'arrive pas si tôt, attendez en patience sans vous décourager, ne vous étonnez pas des fautes que vous ferez, relevez-vous promptement par un retour vers Dieu pour lui demander pardon et par un renouvellement de votre résolution et après n'y pensez plus. Prenez à coeur, dans tout ce que vous ferez intérieurement et extérieurement, de le faire avec le plus de perfection que vous pourrez pour plaire à Dieu, et vous souvenez que son dessein est que vous soyez sainte. Il ne faut pas prétendre rien moins que cela. Je sais qu'il vous en doit coûter, mais pourtant il n'est pas si difficile que la tentation, jointe à la nature, vous persuade. Courage donc, ma chère enfant. Priez bien la sainte Mère de Dieu pour moi, soyez persuadée que je vous désire à Dieu du même coeur et

50 CATHERINE DE BAR

de la même affection que moi-même. A Dieu, ma chère enfant, je vous laisse et vous abîme en lui ; demeurons-y ensemble et, par ce moyen, nous ne serons jamais séparées.clxxi

no 1958 A une Religieuse.

Je suis bien aise de vous dire, mes Soeurs, que l'intention pour laquelle nous disons tous les jours à la très sainte Vierge, avant la lecture que nous faisons ici le matin, la prière Ave Maria Filia Dei Patris, etc. est pour nous mettre sous la protection de cette Auguste Mère de Dieu ; pour lui demander son secours et les grâces dont nous avons besoin pour être fidèles à remplir les devoirs de notre état, la priant qu'elle soit notre Mère, qu'elle nous gouverne et conduise dans le chemin de la perfection, qu'elle nous donne les vertus qui nous sont nécessaires pour y arriver, remettant cette maison entre ses bénites mains qu'elle en prenne soin aussi bien que de tout l'Institut, afin qu'elle le protège et soutienne pour la gloire de son divin Fils, qu'elle nous attire de lui toutes sortes de bénédictions pour que nous en remplissions la sainteté.

No 1442 Conférence pour le deuxième jour de l'an 1694.

A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 51

CHAPITRE III COMMENT IL FAUT PRENDRE L'AVIS DES FRERES

Toutes les fois qu'il y aura dans le monastère quelque affaire importante à décider, l'abbé convoquera toute la communauté et exposera lui-même ce dont il s'agit. Après avoir recueilli l'avis des frères, il délibérera à part soi et fera ensuite ce qu'il aura jugé le plus utile. Ce qui nous fait dire qu'il faut consulter tous les frères, c'est que souvent Dieu revole à un plus jeune ce qui est meilleur.

Les frères donneront leur avis avec toute humilité et soumission. Ils n'auront donc pas la présomption de soutenir effrontément leur manière de voir, mais il dépendra de l'abbé de décider ce qui vaut le mieux ; et tous alors devront s'y soumettre. Cependant, tout comme il convient que les disciples obéissent au martre, ainsi Put-il également que le maître dispose tout avec prévoyance et équité.

En toutes ces choses donc, tous suivront la Règle comme un martre, et personne ne se permettra de s'en écarter à la légère. Que nul dans le monastère ne suive la volonté de son propre coeur ; que nul n'ait la hardiesse de contester avec son abbé insolemment, ou hbrs du monastère. Si quelqu'un avait cette témérité il serait soumis à la correction régulière.

L'abbé, toutefois, doit faire toutes choses dans la crainte de Dieu et selon la Règle, persuadé que, sans doute aucun, il aura à rendre compte de toutes ses décisions à Dieu, ce juge souverainement équitable.

Pour les affaires moins importantes qui intéressent le bien du monastère, l'abbé prendra seulement le conseil des anciens, selon ce qui est écrit , "Fais tout avec conseil, et, après coup, tu ne t'en repentiras pas ."

Il faut s'accommoder, comme dit la sainte Règle, et croire que Notre Seigneur fait quelquefois connaître ses volontés par les plus jeunes. Rien ne plaît tant à Dieu que le coeur humble ; défiez-vous de vos propres sentiments.

no 949 A Mère Marie de Jésus, Prieure du monastère de Varsovie, ce 4 juillet 1695.

Il n'y a point de bonheur plus grand que de voir une maison religieuse bien réglée... Ce qui fait la perfection des maisons, c'est que chacune voit ce qu'elle doit faire dans l'emploi que la Religion lui donne et, par ce moyen, il n'y a point tant de paroles ni de diversité de sentiments. L'on n'a qu'à suivre ce qui est écrit, conforme aux Constitutions, qui ne peuvent être bien observées que par la fidèle pratique des règlements. Je ne doute pas que, si on veut les pratiquer, que vous ne demeuriez d'accord que votre maison sera dans une grande perfection par l'union et conformité de pratiques qui la maintiennent. Pour bien établir une maison religieuse, il faut établir les observances qui doivent la bien régler en tout, et, dès les commencements, il faut établir les choses si l'on veut réussir, avant que l'on ait pris des habitudes que l'on ne peut après réformer qu'avec de très grandes peines.

no 801 A trois Religieuses de Pologne, 1695.


Par défiance d’elle-même et de ses propres lumières, la Mère Prieure ne fera rien sans conseil. Elle prendra, dans les diverses rencontres qui pourront se présenter, l’avis de celles d'entre les anciennes qui sont plus régulières et plus capables.

Coutumier

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CHAPITRE IV

QUELS SONT LES INSTRUMENTS DES BONNES OEUVRES

Avant tout aimer le Seigneur Dieu de tout son coeur, de toute son âme, de toute sa force.

Ensuite, le prochain comme soi-même.

Honorer tous les hommes.

Ne point faire à autrui ce que nous ne voudrions pas qu'on nous fît.

Se renoncer à soi-même pour suivre le Christ.

Aimer le jeûne.

Soulager les pauvres.

Vêtir qui est nu.

Visiter les malades.

Ensevelir les morts.

Secourir ceux qui sont dans la tribulation.

Consoler les affligés.

Rompre avec les manières du siècle.

Ne rien préférer à l'amour du Christ.

Ne point se mettre en colère.

Ne point se réserver un temps pour la vengeance.

Ne pas nourrir de fausseté dans son coeur.

Ne point donner une fausse paix.

Ne jamais perdre la charité.

Ne point jurer de peur de se parjurer.

Dire la vérité de coeur comme de bouche.

Ne point rendre le mal pour le mal.

Ne faire injure à personne, mais supporter patiemment celles qu'on nous

Aimer ses ennemis.

Ne pas maudire ceux qui nous maudissent mais plutôt les bénir.

Souffrir persécution pour la justice.

N'être point orgueilleux.

Mettre en Dieu son espérance.

Si l'on voit en soi quelque bien, le rapporter à Dieu et non à soi-même.

Se reconnaître, au contraire, toujours comme auteur du mal qui est en soi et se l'imputer.

Craindre le jour du jugement.

Redouter l'enfer.

Désirer la vie éternelle de toute l'ardeur de son âme.

Avoir chaque jour devant les yeux la menace de la mort.

Veiller à toute heure sur les actions de sa vie.

Tenir pour certain qu'en tout lieu Dieu nous voit.

Briser contre le Christ les pensées mauvaises sitôt qu'elles naissent dans le coeur, et les

découvrir à un père spirituel.

Garder sa langue de tout propos mauvais ou pernicieux

Ne pas aimer à beaucoup parler.

Ne pas dire de paroles vaines ou qui portent à rire.

Ne point aimer le rire trop fréquent ou aux éclats.

Entendre volontiers les saintes lectures.

S'appliquer fréquemment à la prière.

Confesser chaque jour à Dieu dans la prière avec larmes et gémissements ses fautes pas-

sées, et, de plus, se corriger de ces maux.

Ne pas accomplir les désirs de la chair.

Haïr sa volonté propre.

* Ces instruments ou outils sont des formules pratiques du bien. Presque tous les versets de ce "catéchisme de perfection" sont empruntés à la Sainte Ecriture, plus ou moins littéraienent.

54 CATHERINE DE BAR E A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 55

Obéir en tout aux ordres de l'abbé, si même, ce qu'à Dieu ne plaise, il agit autrement ; se

souvenant du précepte du Seigneur : "Faites ce qu'ils disent, mais ce qu'ils font, gardez-vous

de le faire ."

Ne pas vouloir passer pour saint avant de l'être, mais le devenir d'abord, en sorte qu'on

soit estimé tel avec plus de vérité.

Accomplir, tous les jours, par ses oeuvres les préceptes du Seigneur.

Aimer la chasteté.

Ne haïr personne.

Ne pas avoir de jalousie.

Ne pas agir par envie.

Ne pas aimer à contester.

Fuir l'élèvement.

Vénérer les anciens.

Aimer les plus jeunes.

Par amour du Christ, prier pour ses ennemis.

Se réconcilier, avant le coucher du soleil, avec qui est en discorde avec nous.

Et ne jamais désespérer de la miséricorde de Dieu.

Voilà quels sont les instruments de l'art spirituel, Si, jour et nuit, sans relâche, nous nous

en servons, quand, au jour du jugement, nous les remettrons, le Seigneur nous donnera la

récompense qu'il a promise lui-même : "Ce que l'oeil n'a pas vu, ce que l'oreille n'a pas

entendu, ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment ."

Or, l'atelier où nous devons travailler diligemment avec tous ces instruments, c'est le

cloître du monastère avec la stabilité dans la communauté.

Dieu vous doit être uniquement toute chose et rien ne doit être préféré à son amour, car le respect et la crainte de Dieu vous doit pénétrer jusqu'à la moelle des os. Concevez donc une haute estime de Dieu par la foi, afin que votre esprit le préfère à toutes choses et que vous puissiez demeurer dans la fidélité que je vous propose de sa part.

no 1511 A la comtesse de Châteauvieux.clxxii

Heureuse l'âme qui a trouvé Dieu en soi ; elle est plus heureuse que d'avoir conquis toute la terre.

Aime Dieu et puis fais ce que tu voudras, dit saint Augustin.

no 2015 Maximes.

Laissez tomber toutes les contradictions qui vous arrivent : ne vous détournez point de Notre Seigneur pour vous amuser à les regarder et à y réfléchir par les retours de votre esprit. Que rien ne soit capable d'empêcher votre regard vers lui ; il vous suffit. Si vous avez Dieu, qu'on vous mette haut, qu'on vous mette bas, qu'on vous dise une chose, qu'on vous en dise une autre qui vous mortifie, ni peine, ni affection, rien ne vous détournera de votre divin objet.

no 176 Entretiens familiers, dimanche de Quasimodo, 1694.clxxiii

Vouloir Dieu de tout son coeur, que pouvons-nous vouloir de meilleur ? Celle-là serait bien avare à qui Dieu ne suffirait pas. Ne soyez pas de ce nombre, mais soyez fidèle à vos saintes Règles et Constitutions ;c'est cela qui vous sanctifiera. Séparez-vous de tout ce qui trouble le repos de votre âme. Liez-vous à toute la Communauté pour l'amour de Jésus Christ, comme aux membres de son corps mystique, dont vous faites partie.

no 1260 A une Religieuse, rue Cassette ; de Toul, 28 décembre 1664.

On aime Dieu très facilement, mais que l'on ait cette union pour son prochain, cela est rarissime. L'on dit : «Oui, je l'aime et lui veux du bien», et l'on ment souvent, car cela n'est pas véritable. C'est ce que je demande le plus à Dieu pour vous, mes Soeurs, et la chose que je vous recommande le plus.

no 1526 Diversités spirituelles.

Vous m'avez quelquefois demandé comment il faut prier pour le prochain. Les uns prient vocalement, et d'autres en esprit pur et simple. L'âme prie pour son prochain selon son degré d'oraison ; quelquefois Dieu donne mouvement à l'âme de prier pour les misères d'autrui et, quand vous sentez en vous cette disposition, vous devez prier en la manière qu'on vous donne le mouvement. La plus ordinaire façon en laquelle vous devez prier, c'est en foi, par un simple regard vers Dieu qui connaît les besoins de ses créatures ; vous le priez qu'il les sanctifie toutes, et si votre prochain a des besoins particuliers qui soient à votre connaissance, vous les pouvez offrir à Notre Seigneur sans beaucoup vous en remplir, crainte que, sous prétexte de charité, vous ne jetiez votre esprit dans la dissipation et dans les égarements de votre imagination... Aimez votre prochain comme Dieu l'aime, et en l'état où sa sagesse éternelle le réduit ou le tient.

no 33 A la comtesse de Châteauvieux.clxxiv

Pour être uni à Jésus Christ, il faut nous désunir de nous-même, mourir à tous moments à tout ce qui n'est point Jésus Christ et, pour lors, il vaincra et règnera en nous.

no 1828 Chapitre à des Novices.

Nous commençons quelquefois très bien, mais nous n'allons guère loin. Et cela vient de ce que nous ne voulons pas mourir à nous-mêmes et donner vie à Jésus Christ en nous. Perdez-vous, ma très chère Soeur, et vous assurez que la meilleure et plus haute fortune que vous puissiez faire, c'est de vous perdre vous-même et toutes les créatures, car jamais Dieu ne se communiquera pleinement à votre âme que vous n'ayez tout perdu. Accoutumez-vous à vous contenter de Dieu seul, et vous expérimenterez qu'il est infiniment suffisant pour vous satisfaire.

no 1645 Chapitre.clxxv

Je vous vis autrefois si persuadée que tout ce qui n'était pas Dieu n'était que vanité et ne pouvait donner de véritable joie et satisfaction à votre coeur, qu'il n'est pas possible que vous voulussiez vous arrêter et attacher à quoi que ce soit de créé. Notre propre expérience est plus que suffisante pour nous rendre savante là-dessus, et pour nous convaincre qu'il n'y a point de bonheur pour une âme qu'en Dieu... Heureuse l'âme qui ne vit que de lui et pour lui, et, pour y arriver, je ne crois pas qu'il y ait d'autre voie que la mort.

no 1855 A une Religieuse de l'Institut.

56 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 57

Pour acquérir la véritable sagesse chrétienne, il faut nécessairement nettoyer notre coeur des indispositions qui pourraient contrarier son inestimable pureté et empêcher les progrès que vous prétendez faire en son amour.

no 2479 Maximes spirituelles.

Vous demandez ce qu'il faut faire pour que tous les moments de votre vie soient pour Dieu. Je ne sais rien autre chose, sinon qu'ils ne soient plus à vous-même et que vous ne viviez plus pour vous. Si vous me demandez comment, je vous répondrai que c'est par l'abnégation de vous-même en tout et partout, sans aucune recherche, sans aucune relâche. Si vous dites que cela est bien rude, je vous dirai qu'il faut bien que cela soit. J'ai toujours ouï dire que la vie chrétienne était une continuelle abnégation de toutes choses ; sans cela, ce n'est qu'une ombre et un amusement. Vous trouverez Jésus parfaitement en vous perdant, en vous éloignant de vous-même.

no 1565 Billet à une Religieuse, rue Cassette.clxxvi

Et comment ferons-nous des sacrifices, si nous voulons en éviter les occasions ? Puisque vous avez tant de choses à retrancher, hâtez-vous et commencez une bonne fois à sortir de vous-même pour vivre de la vie de Jésus Christ. Demandez-lui cette grâce par l'intercession de sa sainte Mère.

no 2387 Conférence pour les premiers jours de l'an.

Vous m'apprenez la mort d'une prédestinée, ma très chère Mère, et je ne doute pas qu'elle ne soit en possession d'un souverain bonheur duquel je la congratule...

Si vous n'avez point de cave bénite, il faudra la mettre dans la cave de votre église, en attendant que vous ayez un caveau. On dit que vous avez plusieurs caves, vous pourrez en destiner une pour cela. Monsieur de Rabaumont * obtiendra permission de la bénir ou Monsieur votre Supérieur ira la bénir. Cela sera fait dans une bonne heure de temps. Il faut emprunter un Pontifical pour faire cette cérémonie, nous n'en avons point. Voici ses voeux, dont la Mère Sous-Prieure tire une copie pour vous envoyer, que vous ferez écrire en parchemin, avec l'âge de la défunte et le jour de sa mort. Il y faut aussi insérer les années de Religion et de profession, et puis vous mettrez ce mémoire avec les voeux dans une boîte de plomb ou de fer blanc bien soudée, que l'eau n'y puisse entrer et avec un fil d'archal, vous attacherez cette boîte au bras de la défunte, cachée dans la manche de son habit.

Prêtre, peut-être originaire de Lorraine. Il fut toujours un ferme soutien de notre Institut et paraît avoir rempli des fonctions ecclésiastiques près de plusieurs de nos maisons. Une lettre de Mère Mectilde le signale à Rouen, le 1er mars 1678, puis elle lui écrit le 30 septembre suivant pour lui demander d'aller rendre les mêmes services près des religieuses, encore en «Hospice», rue Saint-Marc, à Paris. On sait qu'il retourna en Lorraine vers 1691. Il continua, sans doute, ses bons offices près des monastères de cette région, puisque nos archives ont conservé le texte de l'oraison funèbre de Mère Mectilde, que Monsieur de Rabaumont prononça dans l'église du monastère de Toul, le 11 juin 1698. cf. C. de Bar, fondation de Rouen, Rouen, 1977, p. 155 - 174 - 175.

Nous ne mettons plus les mortes dans le brancard ; l'on a trop de peine de les en tirer pour les mettre dans leur cercueil. Nous les mettons d'abord directement dans le cercueil où elles doivent être enterrées. L'on y met des chevets fort élevés étant comme demi-assises.

Voilà le petit Saint Sacrement que vous mettrez entre les mains, et vous ferez faire une petite croix de bois que vous mettrez sur son coeur, en ôtant le Saint Sacrement d'entre ses mains. Vous ne faites cela que lorsqu'on la va mettre en terre, que vous lui couvrirez le visage d'un linge. Nous vous envoyons de l'étoffe noire pour entourer son cercueil, étant exposée... Si ma présence vous était utile, quoique misérable, j'irais de tout le coeur.

no 3072 A la Révérende Mère de Saint François de Paule, Prieure, mercredi 15 mars 1690. (autographe)

En recevant votre charité, de laquelle je vous rends grâce très humble, j'ai appris l'indisposition de Monsieur votre frère, dont je suis très touchée, sachant bien que vous l'êtes, mais sensiblement, puisque c'est la personne du monde qui vous est la plus chère. Je prends part à votre douleur et vous supplie me donner des nouvelles de sa santé et de la vôtre. La longue privation de votre présence me fait douter qu'elle soit bonne.

Toute la petite Communauté a commencé une neuvaine pour Monsieur votre frère. C'est un petit coup que la main de Dieu frappe sur votre coeur ; il en tirera sa gloire.

no 395 A Mademoiselle Loyseau, 14 mars.

Je vous compatis, et vous dis de ne point faire tant de violence pour vous empêcher de pleurer et de ressentir votre douleur ; laissez couler doucement vos larmes, elles dureront encore un peu de temps ; après cela, Notre Seigneur vous tirera imperceptiblement dans sa force divine, et vous unira à lui avec l'âme de ce cher défunt, qui est en Dieu, je vous prie de le croire. Selon l'humain, vous avez raison de le regretter, mais, selon le divin, il est heureux, et vous entrerez quelque jour dans son bonheur ; mais courage donc, ne vous troublez pas de votre douleur, Dieu la bénira ; tâchez seulement de ne vous laisser point accabler, faites votre possible pour dormir et manger. Il ne faut point vous laisser abattre.

n 2969 A Mère Saint Placide, rue Saint-Louis, mars 1694.

J'ajouterai encore un mot, mes Soeurs, pour vous recommander les misères et les nécessités publiques, et tant de pauvres âmes qui souffrent et qui gémissent dans leurs maux. Priez Dieu de les soulager et de leur faire faire de leurs peines un saint usage pour l'éternité, car c'est à quoi ils négligent de penser dans leur accablement ; et ainsi leurs souffrances leur sont inutiles. Il me souvient d'avoir connu un serviteur de Dieu qui me disait qu'il parcourait toutes les souffrances de la terre pour les offrir à Notre Seigneur, au défaut de ceux qui ne pensent pas à les lui offrir, ni à en profiter pour leur salut. Faites de même, mes Soeurs ; offrez à Notre Seigneur les souffrances de tous les affligés, lui demandant de les faire servir à leur sanctification, en leur accordant la grâce de les porter patiemment avec amour et soumission à ses divines volontés, et aussi en esprit de péni-

58 CATHERINE DE BAR

tente pour leurs péchés. Ainsi, ne pouvant exercer la charité envers eux d'une autre manière, vous les soulagerez par ce moyen. C'est à quoi je vous exhorte, et aussi à prier Notre Seigneur pour moi.

no 1752 Chapitre, vendredi, surveille de la Toussaint, 1693.clxxvii

Examinez si l'on compatit aux infirmités et faiblesses du prochain, et si on les supporte avec esprit de charité, comme dit la sainte Règle.

Journée religieuse.

Une âme dépouillée de toutes choses est le lieu où Dieu fait sa demeure et prend ses délices avec elle. Aspirons à ce bienheureux état et ne nous soucions de rien que d'aller à Dieu.

n 2859 A une Religieuse de Rambervillers.

Ne rien préférer à son amour, mais être prête à donner votre vie à tout moment pour la pure gloire de sa majesté, sans retour, sans recherche et sans récompense.

no 1645 Chapitre.

Soyez fidèles et courageuses pour aller au-dessus de vous-mêmes, car vous ne pouvez être exactes aux observances sans mourir beaucoup. Mais si ce terme vous déplaît et vous semble trop rude, disons, [alors] sans sacrifier à tout moment. Mais, sans aller plus loin sur ce voeu de conversion des moeurs et m'étendre davantage à vous l'expliquer, vous pouvez vous en tenir au chapitre de la Règle qui traite assez long de cette matière. Des instruments des bonnes oeuvres, qui nous apprend à réprimer nos moeurs par les vertus qu'il nous enseigne de pratiquer. Vous y trouverez plusieurs pratiques, entre autres une que je vais vous dire, qui seule suffirait si elle était bien observée pour nous rendre parfaites, qui est de ne rien préférer à Jésus Christ. Voilà une grande parole, mais qui est-ce qui peut dire : «Je ne préfère ricn à Jésus Christ» ; il n'en faudrait pas davantage pour être sainte.

no 950 Conférence, 1695.

Ne prenez le parti de personne... Ne vous mêlez que de votre obligation ; gardez-vous de donner à la complaisance quelque parole moins charitable qu'il ne faut.

no n 1260a A une Religieuse, rue Cassette ; de Toul, 28 décembre 1664.

Les paroles de railleries doivent être entièrement bannies de vos discours, étant absolument opposées à l'esprit de notre sainte Règle, à la charité et à l'humilité, qui ne nous permettent pas de mépriser personne que nous-même.

Journée religieuse.

A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 59

Vous voyez qu'il faut porter sa croix de quelque part qu'elle nous arrive. Il faut tâcher de la souffrir avec douceur et patience, c'est-à-dire qu'il ne faut pas s'emporter contre celle qui vous fait de la peine, mais la souffrir patiemment à l'exemple de Notre Seigneur, qui doit être notre modèle partout et dans toutes les occasions de pratiquer la vertu.

n°1300 A toute la Communauté de la maison de Pologne, 5 août 1695.

Aimons le prochain, puisque Dieu nous le commande, et même nos ennemis, rendant le bien pour le mal, parce que ce prochain lui est cher comme la prunelle de l'ceil... Vivons de foi, agissons par la foi, et nous nous comporterons bien envers notre prochain, parce que nous regarderons toujours Dieu en lui qui nous empêchera dans les occasions de le condamner ou censurer.

no 417 Entretiens familiers, 17 avril 1695.

On ne se fait aucun scrupule de juger des sentiments, des actions et souvent même des intentions, à tort et à travers et fort mal à propos, quoique Dieu y soit toujours offensé, car c'est anticiper sur ses droits à qui seul il appartient de juger.

no 950 Conférence, 1695.

Il nous faut seulement nous abandonner en toutes choses à son aimable volonté, sans nous mettre en peine d'autre chose... A quoi bon se tant inquiéter pour l'avenir ? Il n'arrivera rien que par la permission de son adorable Providence.

no 2654 Entretiens familiers, août 1694.

Ne vous inquiétez de rien, laissez tout à la Providence qui en aura soin, et si elle veut que nous souffrions il faut le vouloir. Ce n'est pas si grande chose, pourvu que Notre Seigneur soit content et que nous fassions son plaisir cela doit nous suffire. Ne pensons qu'à lui plaire et il pensera pour nous, ainsi qu'il le disait un jour à sainte Catherine de Sienne : «Ma fille pense pour moi et je penserai pour toi». Patience, patience, je vous dis : encore un peu de patience vous verrez les bontés de Dieu et qu'il ne nous abandonnera pas, mais confiez-vous en lui comme des enfants aux soins de leur Père.

no 2242 Entretiens familiers.

C'est une vérité de foi que nous ne pouvons rien faire de nous-même ; tout le bien que nous faisons, nous devons le rapporter à Dieu qui en est l'auteur. Si nous réussissons à quelque chose, si nous avons une bonne pensée, si nous nous trouvons dans une bonne disposition, tout cela ne vient pas de nous et n'est pas de nous ; il n'y faut pas faire de fond, car Dieu l'ôte et le donne comme il lui plaît.

no 2640 A une novice en particulier.clxxviii

60 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 61

Vous connaissez votre faiblesse, et avez assez d'expérience de l'inconstance et de la misère humaine. C'est pourquoi je vous conseille, dans les bonnes dispositions que vous ressentez, de les écouler toutes en Dieu, c'est-à-dire remettez-les en Dieu, afin que sa grâce et son amour le glorifient en vous selon son bon plaisir ; et, si vous êtes fidèle à ce point, vous vous garantirez de certaine secrète complaisance que l'âme prend quelquefois en ses bonnes dispositions et, les remettant en Dieu, elle s'en désapproprie.

no 1664 A la comtesse de Châteauvieux.

Il y en a quelquefois qui disent : «Si Dieu savait le désir que j'ai de lui plaire !» Ah ! pauvres Enfants, peut-il ignorer quelque chose, et ce désir peut-il vous être naturel ? Non, non, il ne vient que de sa pure miséricorde. C'est lui qui en est l'auteur, aussi bien que de tout le bien qui est en nous.

no 417 Entretiens familiers, 17 avril 1695.clxxix

Je suis bien consolée de la résolution que vous prenez, mais donnez-vous à la force et à la puissance de Jésus Christ pour persévérer. Nous commençons souvent, mais le courage nous manque pour continuer ; c'est pourquoi il se faut donner plusieurs fois par jour à l'Esprit Saint de Jésus Christ pour obtenir la grâce de fermeté, afin de ne point désister du bien à la première occasion un peu difficile.

no 1448 A Mère Sainte Mectilde Cheuret de Rouen.

Que nous aurons de regret à la mort de n'avoir pas rempli les desseins de Jésus Christ ! N'attendons pas à ce moment, mes Soeurs, où il n'y aura plus de temps. Faisons à présent ce que nous voudrions avoir fait. Ah mais, me direz-vous, une telle m'a dit une parole qui m'a choquée et cela m'occupe. Laissez-la tomber. Voilà une belle bagatelle, et qu'est-ce que c'est qu'une parole : c'est un vent et un néant ; cela mérite-t-il bien qu'on y pense ? Allons, allons au-dessus, méprisant ces choses et les négligeant comme des mouches qui passent, et attachons-nous à Dieu et nous occupons de sa sainte présence, suivant avec fidélité sa sainte volonté partout et en toutes choses, selon nos Règles et Constitutions. Ce sera le moyen de devenir sainte par la sainteté de Notre Seigneur et de son divin Esprit.

no 2663 Chapitre.

Mon Dieu ! que nous serons surprises à l'heure de notre mort, lorsque la vérité nous sera découverte. de voir de quelle manière nous avons consommé le temps et la vie !

Certainement, nous faisons tout autre chose que ce que nous devrions faire. Commençons à être tout à Jésus Christ. Cette parole est bientôt dite, mais elle n'a pas si tôt son effet !

no 2695 A une Religieuse de l'abbaye de Montmartre.

Il n'y a qu'une seule chose qui puisse me donner de la joie, c'est si je me voyais sur le point de m'aller reconcentrer en Dieu. Il n'y a que cela seul qui puisse me réjouir, mais j'avoue que j'en aurais une grande joie. Toutes les beautés du Paradis même ne me frappent point ; je n'y suis pas sensible, et je ne désire de mourir que pour retourner à Dieu et m'abîmer en lui...

Comment voudriez-vous que nous nous réjouissions, étant hors de notre patrie dans une terre étrangère ? La seule chose qui peut adoucir notre peine est l'espérance de sortir de cet exil pour retourner à Dieu.

n° 374 Entretiens familiers, 20 octobre 1694.clxxx

Le plus pressant est ma conversion et la grâce de bien mourir ; c'est le grand pas et le plus important de notre vie, et vous voyez qu'il ne faut pas attendre au moment pour s'y préparer.

no 2273 A une Religieuse de l'abbaye de Montmartre. 1664

Parlant sur la mort d'une religieuse, elle dit : «Voilà ce que c'est que la vie ; ne songeons plus qu'à nous y préparer, nous n'avons point de moment assuré. Il faut toujours se tenir prête. Pour moi, je suis entièrement dans la mort ; j'en approche de près... Commençons donc à vivre sur la terre d'une manière libre et dégagée, sais attache à quoi que ce puisse être, nous élançant de temps en temps vers Dieu, nous tenant toujours prêtes. Faisons y tout ce que nous pourrons, et ce que nous ne pourrons pas, prions Notre Seigneur qu'il le fasse en nous pour sa gloire».

no 417 Entretiens familiers, 17 avril 1695.clxxxi

Dites doucement et confidemment à cette jeune professe que vous voyez devant Dieu qu'elle ne remplit pas ses devoirs. Dites-lui que la Religion peut bien, dans les maladies, dispenser des austérités de la Règle, mais non jamais de l'obligation de tendre à la perfection de son état, c'est-à-dire de sa profession. Ramenez doucement son esprit, en parlant des devoirs d'une religieuse infirme, afin que, si le corps est incapable de remplir les obligations extérieures, l'esprit demeure appliqué à Dieu et soumis à sa conduite.

no 359 A une Religieuse du second monastère de Paris.

Faisons usage du présent, de crainte que nous ne possédions point l'avenir. C'est une grande importance dans la vie intérieure, pour faire en peu de temps un grand progrès, d'être attentive au moment présent, et c'est où la plupart des âmes manquent, car notre esprit naturel, souvent poussé par la tentation, aspire à ce qu'il ne possède pas, afin de n'être point appliqué à ce que la Providence lui présente dans le moment.

Voyons donc ce que Notre Seigneur veut de nous présentement ; soyons toujours en sa sainte présence, avec une disposition de respect, d'amour et de sou-

62 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 63

mission. Jamais ne la quittons sous prétexte d'en prendre de plus élevée, et, en cet état, laissons-nous agir par Jésus Christ, laissons-le opérer en nous à sa mode, qu'il renverse, qu'il détruise, qu'il crucifie, qu'il tue, qu'il consomme, il ne fera rien que de très bien à sa gloire et à la sanctification de ses élus.

n" 2438 A une Religieuse de l'abbaye de Montmartre, 18 mars 1695.

Je ne fais pas grand fond sur nos résolutions, car notre faiblesse nous empêche de les tenir, mais ce que nous avons à faire pour nous rendre fidèles et nous garantir de nos imperfections, c'est de nous tenir proches de Dieu, de l'avoir le plus que nous pouvons en vue, de le regarder toujours présent. Voyez même qu'il le dit à Abram avant qu'il eût fait son sacrifice : «Marche en ma présence et tu seras parfait». C'est véritablement aussi le moyen le plus court et le plus facile pour se perfectionner car une âme qui a toujours Dieu présent se garde bien de rien faire qui lui puisse déplaire.

no 1081 Entretiens familiers.

Pour rectifier vos intentions, il est nécessaire que vous tâchiez de vous conserver en présence de Dieu, en vous souvenant que vous êtes environnée de son immensité, de telle sorte que vous n'en pouvez sortir. Un souvenir de Dieu bien fréquent fait un très grand bien à l'âme. C'est de cette présence que l'on tire la règle de perfection à laquelle Dieu nous appelle. Si vous la pratiquez, vous serez heureuse... Tâchez de tendre à Dieu et de vous remplir de sa présence : vous en serez plus forte et votre âme en recevra plus de consolation.

no 1025 A une Religieuse, rue Cassette.clxxxii

Le plus grand de vos maux, c'est que vous ne vous tenez pas ferme en la présence de Dieu, et que, vous occupant de cent choses que vous ne devez pas, vous tombez dans les tentations. Retournez, retournez vers Notre Seigneur, et voyez votre obligation intérieure... Du reste, allez à Dieu par les voies d'une profonde humilité et d'une action de grâce continuelle de ses miséricordes. Il permet vos dégoûts pour le bien, afin que vous conceviez qu'il faut une vocation bien forte pour remplir les obligations d'une profession religieuse.

no 2900 A une Religieuse, Paris, 13 février 1683.

Ne sortez jamais de la vue adorable de Dieu présent, si vous ne voulez pas vous exposer au péril. Vous êtes une enfant, qui ne pouvez marcher seule. Appuyez-vous sur cette divine présence, qui vous accompagne partout. Cette vue règlera votre esprit et vous empêchera de vous empresser.

Pour moi, je ne sais point faire de résolution. Mais ce que je fais, c'est de me tenir près de Notre Seigneur. C'est le seul moyen que je sais trouver pour m'empêcher de tomber. Je vous conseille de vous en servir, et vous verrez que vous vous en trouverez bien.

no 2854 Entretiens familiers.

Si le Saint Esprit se sert de nos méditations, Dieu se sert souvent des lectures pour nous éclairer. C'est pour cela que les Règles de la sainte Religion ordonnent si expressément l'usage des lectures spirituelles : ce sont des prédicateurs muets qui ne laissent pas de frapper le coeur et d'éclairer l'esprit. De quelque façon qu'elles puissent venir en nous, je les vois comme des effets de très grandes grâces. C'est pourquoi je vous exhorte de les bien suivre.

no 469 A Mère Saint Placide, rue Saint Louis (autographe).clxxxiii

Quand vous ne savez que faire, pensez que Dieu est en vous, et occupez-vous à le remercier de toutes les grâces qu'il vous fait actuellement ; vous en recevez une infinité auxquelles vous ne pensez pas, et que vous ne connaissez même point.

no 2829 Entretiens familiers.clxxxiv

Prenez l'habitude de vous rendre souvent à Dieu en esprit, et, dans les rencontres fâcheuses, le renouvellement de votre sacrifice vous servira de force pour triompher de vous-même et de vos ennemis. Je prie Notre Seigneur Jésus Christ qu'il vous imprime au fond du coeur, l'obligation que vous avez de vivre de sa vie.

no 1387 A la comtesse de Châteauvieux.clxxxv

Ne faisons plus d'infidélités volontaires. Pour les faiblesses, nous en aurons toujours, car si le juste tombe sept fois le jour, combien tomberons-nous davantage, nous qui ne le sommes pas ? Il n'est pas en notre pouvoir de nous empêcher de faire des fautes, mais au moins tâchons qu'elles ne soient que de pure fragilité, c'est-à-dire involontaires : et. aussitôt que nous en avons commis quelqu'une, retournons à Notre Seigneur, pour nous en humilier devant lui et nous réunir à lui

no 3157 Conférence, 11 mai 1695.

Il faut avoir du regret de ses infidélités et du peu d'usage que l'on a fait du sang de Jésus Christ, mais sans aucune défiance de sa miséricorde, qui est infinie...

Ces âmes humiliées sont agréables à Notre Seigneur, pourvu qu'elles se gardent de l'inquiétude et de l'empressement, mais qu'elles demeurent seulement dans l'esprit de componction.

no 1862 A la comtesse de Châteauvieux.

Journée religieuse.

64 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 65

Si vous n'avez pas vécu jusqu'à présent conformément à la sainteté de votre état, soit pour n'en avoir pas compris la grandeur ou manque de fidélité, humiliez-vous en devant Dieu, et lui en demandez pardon.

no 950 Conférence, 1695.

Gardez-vous bien de regarder la créature en la Supérieure ; c'est un grand malheur dans la Religion. Il est de foi que c'est Jésus Christ qui gouverne en leur personne ; c'est pourquoi nous le devons honorer en eux, puisqu'il dit lui-même en parlant des Supérieurs : «Qui vous obéit, m'obéit ; qui vous écoute, m'écoute ; qui vous méprise, me méprise». Et comme il y en a d'imparfaits, il dit ailleurs : «Faites ce qu'ils disent, mais gardez-vous de faire ce qu'ils font». Quand vous auriez un ange, il y a toujours beaucoup de bénédiction d'envisager Dieu uniquement et nous détourner de la créature autant que nous le pouvons.

no 527 Chapitre.

Vivez de foi, ne vous laissez point conduire par la raison humaine ; mais que la foi pure soit votre lumière et qu'elle vous éclaire partout...

Pensez souvent que Dieu est votre commencement et votre dernière fin. Soyez tout à lui sans réserve ; rien au monde n'est capable de nous séparer de Dieu, que nous-même ; toutes les puissances de la terre et de l'enfer n'en ont pas le pouvoir. Voyez ce que saint Paul en dit.

n 2640 A une novice en particulier.

Il y en a quelquefois qui disent : «Dieu fait bien plus de grâces à celui-ci, à celle-là, qu'à moi». Jamais il ne faut regarder les grâces que Dieu fait aux autres pour les envier, ni vous contrister de ce que vous en avez moins ; au contraire, vous devez vous réjouir que Dieu soit glorifié dans ces âmes. Il y a plusieurs demeures en la maison de Dieu.

n 547 Entretiens familiers.

N'ayez jamais rien à démêler avec personne ; cédez partout ; mettez-vous toujours au-dessous de tout ; croyez que vous ne serez jamais aussi bas que vous devez être et que Notre Seigneur s'est abaissé pour vous.

Prenez bien garde que toutes vos intentions soient pures et que Dieu soit votre unique motif en toutes choses.

n 1955 A une jeune Religieuse.

Si nous nous observions un peu, nous remarquerions en nous ce penchant malheureux qui tend toujours à l'élévation. La moindre apparence d'humiliation nous met au désespoir, et vite nous cherchons les moyens de l'éloigner de nous. L'on ne veut point être reprise, ni censurée, ni contredite, enfin l'on veut toujours être approuvée, et l'on s'éloigne bien de la vérité.

Faites votre fort du néant, car si une fois vous pouvez vous [y] plonger, vous trouverez le Paradis en terre, et nulle créature ne pourra troubler votre paix.

no 416 Sentence.

Puisez en Dieu un fond de confiance et demandez-lui pardon de l'outrage que vous lui faites en vous défiant de sa bonté. Il se tient moins offensé d'un crime que de la défiance en sa miséricorde... Modérez vos sentiments et gardez-vous de la défiance : Dieu est votre Père et votre Sauveur. Regardez-le en ces qualités, et non comme un tyran, ainsi qu'il paraît que vous faites. A quoi bon se retirer de la confiance pour se jeter dans le désespoir ? ... Quelque méchante que vous soyez, Dieu est toujours votre Père, et il a plus de bonté pour vous que vous n'avez de malice.

no 2004 Entretiens familiers, 1er avril 1694.clxxxvi

Le pauvre a besoin de demander souvent l'aumône pour soulager son indigence. De même notre âme, pauvre de Dieu, qui est son trésor et sa richesse éternelle, doit souvent gémir au pied du trône de sa miséricorde sans jamais s'en rebuter, quoiqu'il semble quelquefois qu'on ne vous écoute pas. La persévérance gagne souvent ce que nous ne méritons pas d'obtenir.

no 2016 A la comtesse de Châteauvieux, décembre 1662.

Notre consolation dans notre misère est que Notre Seigneur n'est point venu pour les justes, mais pour les pécheurs. Confions-nous en lui, non d'une confiance téméraire, mais nous confiant sur sa bonté infinie. Pour moi, j'en ai plus besoin que personne, et si saint Michel ne fait un bon poids sur ma balance, j'ai tout lieu de craindre par le grand compte que j'ai à rendre.

no 374 Entretiens familiers, 20 octobre 1694.

Le jour de la Présentation de Jésus au temple, à la récréation, elle dit à une de nous : «Soyez fidèle à vos pratiques extérieures ; soyez fidèle à la présence de Dieu ; soyez fidèle à ne point communiquer vos sentiments pour vous contenter ; soyez fidèle à conserver votre paix intérieure, car, quand on l'a perdue, on ne voit goutte, on ne sait où l'on va».

no 1986 Entretiens familiers, 2 février 1696.

L'attention à Dieu, le regard de Dieu simple, l'adhérence à Dieu, tous trois sont quasi mêmes choses. Il ne faut que la fidélité à ces choses pour être bientôt parfaite. Heureuse l'âme qui a trouvé Dieu en soi ! Elle est plus heureuse que d'avoir conquis toute la terre.

no 621 Diversités spirituelles.clxxxvii

n 2215 Conférence.

66 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 67

Une âme humble est le trône de Dieu, mais pour être son trône, il faut avoir un esprit stable, car, comme une personne ne pourrait être assise sur un siège mouvant, ainsi Dieu ne peut pas se plaire dans une âme mouvante qui veut aujourd'hui le bien et demain plus, qui est à point quiète et tantôt dans le trouble ; il faut donc être stable pour être le trône de Dieu.

C'est le propre d'une âme humble d'être paisible, tranquille, affable, douce, toujours dans une égalité d'esprit ; une personne humble gagne les coeurs de tout le monde.

n 458 Conférence.

CHAPITRE V DE L'OBEISSANCE

L'obéissance sans délai est le premier degré de notre état d'humilité. Elle convient à ceux qui n'ont rien de plus cher que le Christ. Mus par le service sacré dont ils ont fait profession, ou par la crainte de l'enfer, ou par le désir de la gloire éternelle, dès que le supérieur a commandé quelque chose, ils ne peuvent souffrir d'en différer l'exécution, tout comme si Dieu lui-même en avait donné l'ordre. C'est d'eux que le Seigneur dit : "Dès que son oreille a entendu, il m'a obéi". Et il dit encore à ceux qui enseignent : "Qui vous écoute m'écoute." Ceux qui sont dans ces dispositions, renonçant aussitôt à leur propres intérets et à leur propre volonté, quittent ce qu'ils tenaient à la main et laissent inachevé ce qu'ils faisaient. Ils suivent d'un pied si prompt l'ordre donné que, dans l'empressement qu'inspire la crainte de Dieu, il n'y a pas d'intervalle entre la parole du supérieur et l'action du disciple, toutes deux s'accomplissant au même moment. Ainsi agissent ceux qui aspirent ardemment à la vie éternelle.

C'est pour cela qu'ils entrent dans la voie étroite dont parle Notre Seigneur, lorsqu'il dit : "Étroite est la voie qui conduit à la vie ." Aussi, ne vivant plus à leur gré et n'obéissant plus à leurs désirs ni à leurs inclinations, ils marchent au jugement et au commandement d'autrui, et souhaitent de se soumettre à un abbé dans un monastère. Assurément les hommes de cette trempe imitent l'exemple de Notre Seigneur qui dit : "Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais la volonté de Celui qui m'a envoyé ."

Mais cette obéissance ne sera bien reçue de Dieu et agréable aux hommes, que si l'ordre est exécuté sans trouble, sans retard, sans tiédeur, sans murmure, sans parole de résistance. Car l'obéissance rendue aux supérieurs, c'est à Dieu qu'on la rend, puisqu'il a dit : "Qui vous écoute m'écoute ." Et c'est de bon coeur que les disciples doivent obéir parce que "Dieu aime celui qui donne joyeusement ."

Si, au contraire, le disciple obéit, mais s'il le fait de mauvais gré, s'il murmure non seulement de bouche mais encore dans son coeur, même s'il exécute l'ordre reçu, cet acte ne sera pas agréé de Dieu, qui voit dans sa conscience le murmure. Bien loin d'en être récompensé, il encourt la peine des murmurateurs, s'il ne se corrige et ne fait pénitence.

Oh ! le bonheur d'une âme de se reposer en Dieu et s'oublier d'elle-même !... Regardez-le donc toujours pour suivre son esprit, pour adhérer à lui, pour vouloir tout ce qu'il veut, pour nous y soumettre, pour qu'il nous attire tout à lui. «Trahe me post te. » Il n'y a que deux choses à faire dans la vie pour être à Dieu : adorer et adhérer toujours, donc adorer et adhérer à tout ce qu'il fait, à tout ce qu'il permet, à tout ce qu'il veut, l'aimant, le voulant et l'agréant par soumission à ses ordres. Voilà le moyen que tout ce qui peut arriver en la vie ne nous puisse troubler.

no 1875 Entretien familier.

Je ne vois rien de plus nécessaire à une âme que l'obéissance, après avoir bien considéré ce qui est écrit de Jésus Christ : qu'il a été obéissant jusqu'à la mort et la mort de la croix. L'on ne fait pas tant de mention de ses autres vertus comme de son obéissance : « obéissance jusqu'à la mort de la croix ». Aussi est-ce jusqu'à ce point où notre bienheureux Père la met dans sa sainte Règle, puisqu'il la porte jusques aux choses impossibles. Si nous concevions bien cela, nous serions plus ponctuelles, non seulement à obéir aux supérieures et à toutes sortes de personnes pour l'extérieur, mais à Dieu, selon son degré. Que cette obéissance est grande et qu'elle est d'une longue étendue !...

Quand je vous dis que vous suiviez les mouvements de la grâce selon toute son étendue, je n'entends pas que vous fassiez quelque chose d'extraordinaire

68 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 69

sans congé exprès... C'est le seul et unique point qui nous est nécessaire pour arriver en peu de temps à la vraie perfection.

n° 1218 Conférence sur l'obéissance.clxxxviii

Le plus grand sacrifice que nous puissions faire est l'obéissance, puisqu'en obéissant on renonce au pouvoir que l'on a [de] disposer de sa propre volonté, de son jugement et de la raison pour en faire un sacrifice, en les assujettissant aux volontés de Dieu et aux personnes qui nous tiennent sa place...

Mais l'obéissance a trois conditions, sans lesquelles elle ne peut être parfaite :

1°) Elle doit être prompte et sans retardement, quittant tout ce que l'on fait... aussitôt qu'on entend l'ordre de l'obéissance, et c'est par cette promptitude que se fait le sacrifice de la propre volonté...

2°) L'obéissance doit être aveugle, ne se donnant jamais la liberté d'examiner... ce qui est plus ou moins proposé puisque, si l'on raisonnait, ce serait seulement obéir à la raison humaine...

3°) L'obéissance doit être entière... Celles qui manqueront volontairement à une de ces trois conditions ne rendront point parfait le sacrifice qui rend Dieu le Maître absolu de notre volonté... ; et l'obéissance étant défectueuse et imparfaite ne peut lui être entièrement agréable.

Journée religieuse.

L'Apôtre, considérant l'abondance des grâces que nous avons reçues par Jésus Christ, les attribue à son obéissance, et dit que, comme nous sommes devenus pécheurs par la désobéissance du premier homme, nous sommes purifiés par l'obéissance de Jésus Christ. C'est ce qui doit porter nos Soeurs à demander tous les jours à Dieu le véritable esprit d'obéissance et la grâce de bien pénétrer ce que dit la sainte Règle : qu'il faut regarder et obéir à la Supérieure comme à Dieu même, de peur que, manquant à ce devoir, il ne soit offensé en sa personne.

Journée religieuse.

Jésus Christ nous est venu enseigner l'obéissance par son exemple... Qui nous empêchera de nous y rendre fidèle à son exemple et à celui de sa très sainte Mère, qui n'y a jamais manqué d'un seul point ? En vérité mes Soeurs, il faut y travailler. Je me sens pressée de vous l'ordonner en vertu du pouvoir que Jésus Christ me donne sur vos âmes ; c'est lui qui vous le commande. Que chacune y prenne garde et se rende attentive intérieurement à ses mouvements, pour les exécuter fidèlement et courageusement, sans plus tarder. Dieu vous le demande.

no 1218 Conférence sur l'obéissance.

Je vous conjure d'être fidèle à vos exercices, à l'obéissance, à vos Règles, à la charité du prochain. Si votre fond est crucifié, il en deviendra plus pur. Si vous êtes humiliée, c'est ce qui vous est nécessaire pour vous approcher de Dieu.

Ma Soeur, je vous dis aujourd'hui de la part de Dieu... que vous preniez à coeur l'obéissance, faisant tout ce qu'elle vous ordonne.

n 1711 A une jeune Professe.

Soyez un peu généreuse et vous oubliez de vous-même, pour vous abandonner à la conduite de Dieu et de l'obéissance ; ne dites point qu'il ne vous connaît pas, simplifiez votre sens naturel, et soyez certaine que vous ne risquez rien de vous soumettre aux avis et conseils de vos supérieures ; nous ne voyons personne qui ait jamais péri pour avoir obéi. Saint Bernard dit : qu'il n'y a point d'obéissant en enfer ; saint François de Sales dit : qu'on peut être saint sans contemplation, mais non jamais sans obéissance. Attachez-vous, ma chère fille, à cette sainte vertu pour votre perfection intérieure et extérieure, bref pour toute votre conduite, vous assurant que Notre Seigneur donnera précisément tout ce qu'il faut de lumière et de grâce à vos supérieures pour vous faire marcher dans les voies de votre sanctification, mais il faut que vous ayez de la foi, de la confiance et du respect.

n 1312 A Mère Saint François de Paule Charbonnier, à Toul.

Je vous exhorte de toutes mes forces à tendre de plus en plus à la fidélité. Étudiez et examinez la sainte Règle pour en prendre l'esprit ; vous trouverez qu'elle ne porte qu'à la soumission et à la dépendance.

L'obéissance est donc votre principale obligation en qualité de religieuses de saint Benoît ; elle ne l'est pas moins en qualité de Filles du très Saint Sacrement, qui vous oblige à un rapport de conformité avec Jésus Christ, lequel a été obéissant jusqu'à la mort de la croix, obéissance qu'il continue encore sur l'autel... Ne cherchez pas de raisons pour vous dispenser d'obéir. Lisez souvent votre sainte Règle pour vous en imprimer l'esprit ; vous y trouverez toutes de quoi vous sanctifier, si vous êtes fidèles à suivre ses maximes ; les infirmes aussi bien que les autres, quoique dispensées des austérités, ne le sont pas de tendre à la perfection qu'elle renferme. Les austérités et les pratiques, étant bien observées, suffisent pour vous faire des saintes ; n'en cherchez pas davantage.

n° 2402 Entretiens familiers.

Entrons donc dans la pratique solide. Ce n'est pas assez d'être convaincue des vérités, mais il les faut mettre en effets et, pour cela, je trouve deux choses très nécessaires, qui est le silence intérieur et extérieur, une obéissance très exacte à tout ce que Dieu demande de nous par notre Sainte Règle et par nos règlements.

no 2862 Conférence, 1663.

Quittez donc tout pour vous rendre à une observance, et ne dites pas : «Je fais oraison !». Cette oraison est illusion, si elle vous retire de l'observance et de l'obéissance qui vous appelle.

n 1310 A une Religieuse, rue Cassette. n° 1776 Chapitre.

70 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 71

Je vous en prie, ayez un grand amour pour la vie commune ; aimons le commun et nous y conformons. Car tout ce que la Règle et les supérieures ordonnent, c'est Dieu qui le veut. Dites donc quand la cloche sonne : «C'est mon Dieu qui m'appelle, et je veux lui obéir». Ainsi, quand vous faites une observance suivant la Communauté, dites hardiment : «Mon Dieu, je fais votre sainte volonté ; mais donnez moi la grâce de la faire comme vous voulez, avec les dispositions que vous désirez». C'est un secret admirable de la vie intérieure, et nous appelons cela trouver Dieu partout par un amoureux acquiescement à ses ordres. C'est le coeur qui fait cette disposition, sans gêne ni contrainte, car il est le siège de l'amour. «Am et fac quod vis» (Dilige et quod vis fac. St Augustin : Commentaire de la 1re épitre de St Jean. S.C., Cerf 1961, Traité VII, 8, p. 328).

no 669 A la Communauté, rue Cassette, 1664.

Pour obéir parfaitement, il faudrait être entre les mains de ses supérieures comme l'outil est entre les mains de l'ouvrier, qui s'en sert à quel usage il lui plaît, sans y trouver la moindre résistance. Un vrai obéissant est de même entre les mains de ses supérieurs, prêt à faire indifféremment tout ce qu'ils voudront, sans témoigner la moindre répugnance aux emplois où on le met...

Nous ne pouvons rien donner de plus grand à Dieu que ce que nous lui donnons par le voeu d'obéissance, parce qu'il est celui qui nous captive davantage, et que naturellement nous n'avons rien de si cher que notre liberté... A la vérité, on ne peut être chrétienne par nature et encore moins religieuse ; ce n'est que par grâce, parce que l'on ne peut être ni l'une ni l'autre sans sacrifier à tout moment. L'obéissance perfectionne le sacrifice, et le sacrifice perfectionne l'obéissance.

no 950 Conférence, 1695.clxxxix

Ah ! mes Soeurs, soyons bien fidèles à nos Règles et Constitutions et à toutes les observances de la sainte Religion, principalement au silence et à l'obéissance. Notre Règle, cette Règle sainte nous dit qu'«ils n'auront pas même leur volonté à leur disposition». Que ce dégagement est grand et qu'il va loin ! Par vos voeux, mes Soeurs, vous avez tout quitté ; par la pauvreté, vous avez renoncé aux biens de la terre ; mais vous avez renoncé à votre volonté en faisant le voeu d'obéissance. Vous n'y avez plus de droit ; vous êtes entre les mains de la Religion et de vos supérieures pour faire ce qu'il leur plaira vous ordonner de la part de Dieu, puisqu'ils vous tiennent sa place.

no 2362 Chapitre à des novices, 1687.

La principale vertu, c'est la sainte obéissance, sans quoi nous ne pouvons être vraies religieuses ni faire aucune chose qui soit agréable à Dieu... La Religion établit des supérieures dans chaque monastère pour donner lieu aux religieuses d'obéir. Il les faut regarder comme celles que Dieu a choisies pour tenir sa place et pour lui confier son autorité ; c'est pourquoi il faut les respecter et leur obéir simplement et sincèrement comme à Dieu même ; ce sont les paroles de notre sainte Règle, c'est le moyen de conserver le bon ordre dans une maison religieuse et d'y vivre de la sainteté que nous y professons, car, sans l'obéissance, il n'y a rien dans une religieuse qui puisse plaire à Dieu.

no 1300 A toute la Communauté de la maison de Pologne, 5 août 1695.

Un vrai et parfait obéissant obéit en simplicité et ne fait pas comme certaines personnes qui s'informent jusqu'à quel degré on est obligé d'obéir sous peine de péché, afin de ne pas passer plus loin. Il est bien à craindre que ces personnes, qui ont si peur d'en trop faire, ne tombent petit à petit dans des fautes, sur cette matière, considérables. Il y faut prendre garde, car souvent des petites on en vient aux grandes.

n 950 Conférence, 1695.

Vous avez bien fait de nous dire vos sentiments, en remettant le tout à Notre Seigneur, qui ne permet les contradictions que pour nous sanctifier. Je n'ai eu aucun dessein de vous troubler, mais bien de vous toucher un peu pour Dieu, réveillant en vous le souvenir de vos obligations et l'esprit de notre sainte Règle, qui veut que l'on obéisse promptement et simplement. Tout notre mal, c'est que nous sommes bien vivantes dans nos propres sens et jugements, et que nous avons bien de la peine de nous en sortir.

Il ne faut pourtant pas se décourager... c'est un Dieu qui vous appelle, ce n'est pas moi. Je ne vous presse que pour le contenter, et sanctifier votre âme en la faisant jouir d'une paix et tranquillité divines.

no 3006 A une Religieuse, rue Cassette.

Il faut que vous abandonniez entièrement à Dieu tous vos plaisirs, toutes les satisfactions de la nature, tous vos intérêts, votre âme, votre vie. votre santé. que vous soyez dans une telle disposition qu'il ne faille que vous dire ce qu'il faut faire et que l'on vous trouve toujours très prête à le faire.

no 2479 Maximes spirituelles.

Ne refusez rien à Dieu et dites en vous-même : «Je suis créée pour Dieu, c'est pourquoi tout ce que je suis est à Dieu ; je ne dois donc plus vivre pour moi, mais être petite partout, céder partout».

no 2998 Diversités spirituelles.

Vous devez être persuadée d'une vérité fondamentale : que vous n'êtes point à vous-même, que vous êtes l'ouvrage d'un Dieu par votre création et le prix du sang de Jésus Christ par votre rédemption. Donc vous n'êtes rien à vous et ne devez avoir rien pour vous, vous n'avez pas un souffle de vie, ni un moment, ni un respir, ni la faculté de quoi que ce puisse être qui ne vous soit acheté par le sang d'un Dieu incarné...

Dieu demande de vous une enfance si grande que vous soyez sans aucune résistance, toujours prête à tout ce que l'on veut de vous... Soyez toujours en état d'être ou n'être pas, de faire ou ne point faire tout ce que la sainte obéissance voudra, laquelle obéissance vous devez rendre indifféremment à toutes celles qui sont établies sur vous et même à toutes personnes, pourvu que leur volonté ne préjudicie point à celles des supérieures.

no 629 A une Religieuse, rue Cassette.

72 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 73

C'est une belle chose de voir tout en Dieu et Dieu en toutes choses. Dieu m'ordonne-t-il cela ? Veut-il cette autre ? Me prive-t-il de celle-ci ? Permet-il celle-là ? Je suis prête à tout, je n'ai point de volonté, je ne veux rien que ce qu'il lui plaît.

no 868 A une Religieuse de Toul.

Il ne faut point faire de violence à votre vue, cela la gâterait tout à fait. Il la faut ménager, c'est une perte trop considérable ; ayez soin de la conserver, et, pour cet effet, le maigre vous est contraire ; je suis assurée que le médecin ne le permettra pas. Laissez-vous tout simplement à l'obéissance ; je vous le conseille, c'est le plus parfait. Si nous pouvions ne jamais faire ce que nous voulons, nous ferions plus souvent la volonté de Dieu.

no 1070 A une Religieuse, rue Cassette, 7 août 1679.

Je bénis Dieu de tout mon coeur qu'il vous donne la force de vous soumettre. L'obéissance est un remède à tous nos maux, ce me semble, car là où nous ne voyons goutte et que nous serions dans l'erreur, l'obéissance nous soutient, nous redresse et nous assure. Il n'y a point de péril d'obéir, et jamais aucune âme n'a mal fait d'obéir. Tâchez de vous tenir là. C'est le soulagement de votre esprit qui s'embarrasse facilement et qui se peine de toutes choses... Quand vous vous soumettez, prenez donc tâche de ne plus tant raisonner, ni répliquer. Quoique vous croyiez avoir bonne raison, vous devez croire que l'obéissance est encore meilleure, puisque nous ne vous commandons que ce que nous voyons que Dieu veut de nous.

no 903 A une Religieuse de Toul.

Formez une sainte résolution de croire en simplicité ce que l'on vous dit ; votre Supérieure est choisie de Dieu pour votre conduite et pour vous énoncer ses adorables volontés. Vous devez vous soumettre à ses conseils, qui sont saints et qui sont de l'esprit de Dieu. Vous devez l'écouter comme si lui-même vous parlait.

no 1607 A Mère Scholastique de Jésus d'Ambray à Rouen, ce 4 juillet 1692.

Vous ferez ce que Notre Seigneur voudra. Je ne peux souffrir des âmes qui disent qu'elles seront bien aises de ceci ou de cela. Il ne faut être bien aise que de faire la volonté de Dieu et de souffrir pour lui.

no 2003 Entretiens spirituels, ler avril 1698, mardi de Pâques. Dernière parole de Mère Mectilde à une religieuse.

Dieu nous assemble. Je dis que Dieu assemble cette petite compagnie et que nous devons être comme les apôtres dans le cénacle, qui étaient à l'attente du Saint Esprit. Et vous, mes Soeurs, vous êtes dans l'attente des volontés de Dieu sur vous, qui vous seront manifestées non par un ange mais par vos supérieures. Je suppose que vous êtes venues dans cette assemblée avec esprit et dans trois dispositions : la première, de dégagement ; la seconde, de simplicité ; la troisième, de docilité. De dégagement, pour n'avoir aucun choix, ne voulant pas plutôt un office qu'un autre, mais s'estimer indigne d'occuper ceux que Dieu vous ordonnera. De simplicité, ne raisonnant pas pourquoi cet office plutôt qu'un autre, sans murmurer ni condamner le choix qui en sera fait. Que si vous avez quelque lumière que les choses soient mieux à votre sens d'une autre manière, étouffez ces pensées, et croyez que Dieu ne les a pas données à votre Supérieure à la façon que vous les avez. qui n'a rien fait qu'elle n'ait pesé devant Dieu pour le faire en son Esprit. De docilité, les exerçant avec soumission et fidélité. Tout dépend de vos fidélités, et vous devez exercer les offices qui vous seront imposés comme la chose qui vous est manifestée de Dieu pour vous sanctifier.

n 350 Chapitre.

Vous savez, comme autrefois je vous ai dit, que la désobéissance nous avait tirés du paradis terrestre et privés de la grâce de Dieu. Il est de foi, ma très chère fille, que nous n'y pouvons retourner, ni recouvrer la perte que nous avons faite de l'amitié de Dieu (c'est-à-dire de sa grâce) que par l'obéissance ; et Notre Seigneur demande de certaines âmes une si grande fidélité au regard de cette sainte vertu qu'il semble y attacher toute leur sanctification et que. hors de la pratique d'icelle, elles sont environnées de naufrages et d'étranges précipices...

C'est un moyen pour vous acheminer plus promptement à la sainte perfection, et c'est par cette sincère obéissance que vous êtes faite semblable à Jésus Christ, lequel s'est rendu obéissant jusqu'à la mort de la croix. C'est donc dans l'obéissance qu'il faut consommer votre sacrifice.

L'obéissance vous garantira des pièges du démon et des illusions malignes. L'obéissance donnera un mérite actuel à toutes vos actions, même indifférentes.

L'obéissance vous séparera de vous-même pour vous rendre à Jésus Christ. L'obéissance soutient la grâce dans votre âme.

L'obéissance vous fait persévérer et consommer en amour pour Jésus Christ, bref, le vrai obéissant ne peut périr, puisque l'obéissance nous sanctifie. Elle est la marque de l'esprit de Dieu dans une âme. Le diable ne peut tromper le vrai obéissant, d'autant qu'elle détruit tout ce qui soutient en nous son malheureux empire. Voulez-vous être promptement anéantie ? Soyez parfaitement obéissante. En un mot, voulez-vous être unie à Dieu ? Convertissez-vous sans réserve à lui par l'obéissance. Voyez donc l'efficace et la vertu de l'obéissance ; elle chasse les démons ; elle fait les choses impossibles. La Sainte Écriture est toute pleine de ses merveilles.

n 993 A la comtesse de Châteauvieux.

Notre sainte Règle ne parle positivement que du voeu d'obéissance. Les autres sont enfermés dans celui d'obéissance. Toute la substance de notre sainte Règle n'est qu'obéissance, et je ne m'en étonne pas, puisque notre bienheureux Père saint Benoît était rempli de l'esprit de tous les justes, qui n'est autre que Jésus Christ Notre Seigneur, modèle d'une parfaite obéissance, de laquelle il a fait voeu dès le moment de son incarnation. C'est l'état qu'il a porté dans sa vie humainement divine, et c'est celui qu'il porte encore dans sa vie eucharistique,

74 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 75

là où il s'est engagé d'être et d'y demeurer jusqu'à la fin des siècles. Oh ! mes Soeurs, quel amour devrions-nous avoir pour l'obéissance dans la vue d'un Dieu obéissant ! Mais quelle fideté à cette sainte vertu, puisque notre sainte Règle, qui nous l'enjoint si expressément, n'est qu'une émanation du coeur de Jésus dans celui de notre Père saint Benoît. C'est l'obéissance du même Jésus qui sanctifie les nôtres et qui donne grâce et force pour obéir, et je vous donne ma parole que, si vous vous exercez fidèlement à la sainte obéissance selon nos saintes Règles, vous acquerrez toutes les vertus, puisque l'obéissance donne la mort à notre volonté propre. Malheur ! A peine une religieuse vraiment obéissante passe-t-elle par le purgatoire au sortir de ce monde, tant l'obéissance pacifie une âme et l'orne de toutes les vertus. Il se faut attacher à l'obéissance indispensablement et au nom de Dieu, mes Soeurs, ne demandez jamais de dispense de l'obéissance sous prétexte de choses qui vous semblent plus parfaites. Croyez-moi, votre perfection est dans l'obéissance, mais je ne vous réponds pas qu'elle soit dans les choses que vous proposez, quoiqu'elles vous semblent saintes. Exemple : vous voudrez faire oraison lorsque l'obéissance est de vous coucher ; je vous dis que votre oraison, pour sublime qu'elle soit, n'est pour lors qu'une illusion. Ce sont, pour l'ordinaire, productions de notre superbe, qui nous tire de l'obéissance à l'obéissance, pour nous rendre singulières, et il y a des contemplatifs superbes comme des démons. Oui, mes Soeurs, j'ai vu des âmes très élevées dans des états d'oraison éminents, qui sont tombées comme des étoiles du ciel, et cela pour s'être retirées de l'obéissance. Cela fait trembler, car ne vous imaginez pas que, pour demander de telles permissions à vos supérieures, vous soyez déchargées devant Dieu. Point du tout, à moins que ce ne soit quelque chose pour votre santé. Alors je vous le permets de grand coeur, mais nulle autre chose que vous pouvez faire ; au nom de Dieu, n'en demandez point d'exemption, et sachez que les Règles et observances de la sainte Religion sont très saintes. Je puis vous exempter des jeûnes et abstinences, mais non de l'obéissance, parce que c'est un voeu pour Notre Seigneur. Qu'il vous donne part à son obéissance, et le priez pour nous à ce qu'il me fasse la grâce d'obéir avant que de mourir.

no 1761 Chapitre, 1662.

Tâchons en toutes choses de contenter le bon plaisir de Dieu, d'en faire le nôtre, de préférer ses volontés aux nôtres pour nous y soumettre, pour les agréer, quoiqu'elles soient crucifiantes. C'est pourquoi il faut toujours être prêtes à les recevoir, faisant notre plaisir du plaisir de Dieu. C'est une espèce de sacrement que la volonté divine. Entendez-vous bien cela ? Oui, c'est une espèce de sacrement, quoique pourtant il n'en soit point parlé dans l'Évangile, mais Notre Seigneur l'entend bien. Nous le recevons souvent, car toutes les fois que cette divine volonté nous envoie quelques peines, croix, souffrances, humiliations et le reste, qui nous crucifient, ce sacrement nous est donné.

no 1443 Conférence pour le second jour de l'an 1694.

Il faut que nous soyons comme une capacité de Dieu, c'est-à-dire que nous soyons tellement conformes aux volontés de Dieu en nous et sur nous que nous n'ayons plus d'autres volontés et d'autres désirs que ceux de Jésus.

no 537 Entretiens familiers.

CHAPITRE VI DE LA RETENUE DANS LES PAROLES

Faisons ce que dit le Prophète : "J'ai résolu de surveiller toutes mes voies, pour ne pas pécher par ma langue ; j'ai placé une garde à ma bouche, je me suis tu et humilié, et je me suis abstenu même de parler de choses bonnes ". Le Prophète nous montre par là que, si l'on doit quelquefois s'interdire de bons discours par amour du silence, à plus forte raison faut-il retrancher les paroles mauvaises pour éviter la peine due au péché.

C'est pourquoi, étant donnée l'importance du silence, on n'accordera que rarement aux disciples, fussent-ils parfaits, la permission de parler même de choses bonnes, saintes et édifiantes. Il est écrit, en effet : "Tu n'éviteras pas le péché en parlant beaucoup ". De fait, s'il appartient au maître de parler et d'enseigner, il sied au disciple de se taire et d'écouter.

En conséquence, s'il faut adresser quelque requête au supérieur, on le fera en toute humilité, soumission et respect. Quant aux bouffonneries, aux paroles oiseuses et qui portent à rire, nous les bannissons pour jamais et en tout lieu, et nous ne permettons pas au disciple d'ouvrir la bouche pour de tels propos.

Notre glorieux Père saint Benoît nous fait assez connaître que le silence est absolument nécessaire pour maintenir la discipline régulière et que, dans les monastères où il ne sera point exactement observé, il n'y aura jamais aucune solide spiritualité. Et l'expérience fait assez voir qu'il ne faut point chercher le véritable esprit de piété et d'oraison dans une communauté qui n'a point de récollection.

C'est pourquoi notre grand Patriarche veut même que les plus parfaits gardent le silence, quoique leurs paroles soient pleines de grâce et d'édification. Le Fils de Dieu leur doit servir d'exemple : pendant les trente premières années de sa vie sur la terre, l'Évangile remarque qu'il n'a parlé qu'une fois et qu'il s'est tu au temps de sa Passion, quand les Juifs l'ont chargé d'outrages, qu'il a été interrogé par les juges et que son saint Corps a été navré de plaies et baigné dans son sang «ipse autem tacebat». Mais son silence nous paraît encore plus admirable dans la divine Eucharistie, si l'on considère les injures qu'on lui fait.

no 2278 Conférence.

Le soin que prend notre glorieux Père saint Benoît de recommander si souvent le silence dans sa Règle, et en tant de différentes manières, nous fait bien voir qu'il l'a crû très nécessaire pour la perfection de ses enfants, qui sont appelés à une vie solitaire et intérieure. Notre saint Patriarche veut donc que cette sainte vertu du silence soit si exactement pratiquée dans son Ordre, qu'il ordonne expressément que, non seulement ses religieux bannissent les discours mauvais et inutiles, mais qu'il leur soit rarement permis de parler même de choses bonnes et d'édification ; qu'ils ne parlent que quand ils sont interrogés, et qu'ils le fassent en peu de mots ; et qu'il ne soit permis à qui que ce soit de dire un seul mot après Complies ; que si quelqu'un y manque, il soit grièvement puni, si ce n'est qu'il le fasse par l'ordre de l'Abbé. Ce sont les paroles de la Règle.

Journée religieuse.

Si elles ne sont fidèles [au silence], elles ne conserveront jamais la grâce, la sainteté et le véritable esprit de l'Institut ; elles doivent donc, par rapport à

76 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 77

Jésus Christ et pour obéir à la sainte Règle, donner en toutes occasions des marques de l'amour et du respect qu'elles ont pour le silence.

Journée religieuse.

Gardez bien le silence. Que l'on n'entende point parler haut dans la maison. Vous savez comme la Règle l'ordonne.

no 430 Entretiens familiers.

Nos Soeurs étant de retour à leurs cellules après Complies prendront bien garde d'y faire du bruit, comme de tirer leurs lits, remuer leur chaise, etc., tant pour le respect qu'elles doivent à leurs Soeurs qui sont proches d'elles, qu'à cause du grand silence de la nuit, si fort recommandé dans notre sainte Règle.

Journée religieuse.

La Mère Maîtresse affectionnera beaucoup au silence, si fortement recommandé par notre glorieux Père qu'il a semblé à plusieurs qu'il le voulait perpétuel. Elle exigera que ses novices ne parlent que dans les moments marqués par les Constitutions. Si elles avaient indispensablement besoin de le faire en d'autres temps, que ce soit à voix basse et en peu de mots. En ce point comme en tous les autres, que la Mère Maîtresse se souvienne de prêcher d'exemple.

Cérémonial.

Nous devons nous attacher à la pratique fidèle de notre sainte Règle, si nous voulons avancer dans la perfection de notre état ; il ne faut pas se persuader d'y arriver par d'autres voies ; c'est un abus et une perfection imaginaire ; elle en est le fondement ; comme de vouloir faire un bâtiment sans poser le fondement, ce serait travailler en vain. Soyons donc exactes au silence, à la retraite intérieure qui nous tiendra en la présence de Dieu. D'où croyez-vous que naissent tant d'infidélités que nous commettons ? C'est faute de récollection. Nous n'avons rien dans l'intérieur ; notre esprit s'égare et s'épanche en mille inutilités.

no 2345 Chapitre.

Il faut apprendre à se taire au dedans et au dehors. Le silence est si nécessaire que, sans lui, la grâce n'aurait pas de lieu pour opérer dans une âme. Cessez donc de parler ; apprenez à vous taire, et vous entendrez la voix divine qui vous donnera une joie inconcevable.

O, la riche chose que le silence ! J'expérimente bien que la profonde solitude est un rare moyen pour posséder et goûter Dieu.

no 2567 Diversités spirituelles.cxc

Le silence intérieur et extérieur est un très grand secret et un excellent moyen pour parvenir à l'union de Jésus.

no 2998 Diversités spirituelles.

N'allez pas si vite, posez vos pas dans le sentier de la paix ; il ne faut point pourtant de bruit, il ne faut que le silence et le néant pour tenir tout en calme.

no 426 Sentences.

Je ne puis assez vous exhorter au silence ; et je trouve que ce n'est pas sans raison que saint Benoît le recommande dans la Règle si expressément ; c'est parce qu'il est impossible de parler beaucoup sans faire bien des imperfections. Car, pour peu que l'on parle, à grand'peine peut-on l'éviter ; c'est pourquoi, en parlant beaucoup, il est bien difficile de s'exempter de bien des fautes, et la charité du prochain s'y trouve souvent blessée. Si l'on pouvait retrancher tant de discours et de babils, l'on ne se ferait pas tant d'affaires. Si notre esprit n'était pas occupé de tant de bagatelles et d'inutilités, il serait plus rempli de Dieu.

no 950 Conférence, 1695.

Quel est notre silence ? Est-il conforme à celui de Jésus Christ ? Lorsqu'on nous choque ou qu'on nous contredit, l'on ne le peut souffrir. Il faut s'excuser. Et l'on se donne aussi la liberté de parler en toutes rencontres sans aucune nécessité. L'on veut tout voir et tout savoir, l'on s'ingère de mille choses dont l'on n'a que faire. Allons au très Saint Sacrement apprendre à nous taire.

no 1193 Chapitre.

Ne soyez pas si prompte de vous exposer hors de vous-même ; tenez-vous dans la solitude intérieure, occupée de Dieu qui est en vous. Dieu en nous, le Père, le Fils et le Saint Esprit ! Tout ce qui fait la gloire et la joie des bienheureux est en vous, et cependant nous nous y appliquons si peu que cela est digne de compassion de voir notre aveuglement et nos amusements.

no 1218 Conférence.cxci

Je vous vois dans un grand désir de silence. J'espère que Notre Seigneur vous l'accordera quelque jour, mais je vous donne avis qu'il faut une longue persévérance à sa poursuite. Il ne se faut jamais rebuter pour voir en soi une infinité d'oppositions à ce bienheureux silence ; il contient tant de grâces et de bonheur qu'il mérite bien la peine que l'on prend de l'acquérir ; n'en désistez jamais, quelque tentation qui vous pût arriver.

no 1664 A la comtesse de Châteauvieux.

Quoiqu'il soit permis de parler davantage quand on est à l'infirmerie que lorsqu'on suit les observances, nos Soeurs tâcheront de conserver toujours un grand respect pour le silence, qui est si expressément recommandé dans notre sainte Règle, surtout pour le grand silence de la nuit.

Journée religieuse.

Ne parlez point toute la journée, quoique vous soyez malade : je vous puis ôter les austérités de la Règle, mais vous dispenser de la sainteté où vous êtes

78 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 79

appelée, je ne le puis, pas même le Pape ; cela est vilain de parler toujours ; et ce Dieu qui vous attend, vous n'y allez point, vous n'y songez seulement pas.

no 377 Entretiens familiers, 4 septembre 1694.

Quel respect devons-nous avoir au sacré silence et à toutes les ordonnances divines sur nous, que nous apprenons par nos Règles et nos supérieures ! Souffrez en silence, priez en silence, faites tout en silence, et voyez comme Jésus se tait en une infinité de rencontres où il aurait des sujets importants à parler. Si un Dieu garde le silence, la créature devrait-elle parler ? Tenons-nous à ses pieds, adorons ce mystérieux silence, et le prions de nous fermer la bouche, afin que la parole de saint Jacques soit véritable en nous : «Que celui qui n'offense point par la parole est parfait».

no 2016 A la comtesse de Châteauvieux, décembre 1662.

Je me trouve dans une si extrême pauvreté, mes Soeurs, que je n'ai pas un mot à dire ; ne serait-il pas meilleur de vous laisser dans la solitude et, dans le silence, écouter Dieu, puisqu'il est plus utile à l'âme de parler à Dieu que de parler de Dieu ? O mes Soeurs, que c'est une chose sainte que le silence ! Si je regarde Jésus au sein virginal de sa glorieuse Mère, je le trouve observant un profond silence. La parole éternelle se fait muette, pour nous faire estimer le silence et concevoir en lui quelque chose de grand, puisqu'un Dieu même, qui ne peut rien dire que de très excellent, est venu en terre pour garder un si prodigieux silence. Au moment qu'il s'incarne et dans le temps de sa solitude en Marie, il ne parle point...

Croyez-vous pas que notre Père saint Benoît a honoré la solitude et le silence de Jésus lorsqu'il se renferma dans la grotte de Sublac. Et son profond silence a produit les merveilleux effets de son Ordre, Dieu le préparait à recevoir les éminentes grâces que l'on remarque en lui et le remplissait de l'esprit de tous les justes. C'est dans cette chère solitude qu'il a appris les secrets divins, qui ne peuvent être exprimés par nos paroles.

no 1013 Conférence du jour de notre Père saint Benoît, 4 décembre 1662.

Bienheureuse l'âme qui peut se confier et abandonner à Dieu ! Elle fera plus de progrès que celles qui parlent tant. Ce n'est pas le discours qui perfectionne, mais la vraie humilité et la bonne mortification. Exposez-vous à Notre Seigneur dans vos impuissances et dans votre ignorance. C'est assez savoir que de croire Dieu et Jésus Christ, son Fils, et vous abandonner à leur sainte conduite.

no 2248 A la comtesse de Châteauvieux.

Je n'ai rien trouvé en retraite de plus saint que le silence, et saint Jacques a eu raison de dire que «qui ne pèche pas par la langue est juste». Oui, mes Soeurs, je dis que c'est une chose très sainte que le silence. Le silence dissipe les nuages et chasse les ténèbres de l'intérieur ; il calme une âme et la met en possession d'une sainte paix par le moyen de quoi elle entre en union de Jésus Christ, qui se représente dans le fond de cette âme et se communique d'une manière ineffable. Le silence dispose l’âme à l'oraison. Quelqu'une (peut-être) me dira : «Je garde le silence le mieux qu'il m'est possible ; je ne parle que dans l'ordre et quand il faut ; je me tiens retirée dans notre cellule et si, pour tout cela, je ne suis pas fille d'oraison !» Cela se peut faire. Mais vous savez que le silence a plusieurs degrés. 11 y en a, à la vérité, qui gardent le silence de la parole, lesquelles font un babil et tintamare dans leurs intérieurs qui les empêchent d'entendre cette parole éternelle, qui ne peut se représenter dans ces âmes non plus qu'il ne vous serait possible de vous voir dans un miroir que l'on renverserait continuellement. Il y a donc le silence extérieur, qui est une très bonne chose, pourvu qu'il soit accompagné du silence intérieur, qui arrête le babil de l'esprit, nous éloigne de toutes les créatures et de nous-même. Il y a un troisième silence, plus intime et parfait, qui fait entrer l'âme en union avec Dieu ; silence des puissances, etc.

Entrons donc dans la pratique des deux premiers, et nous irons bien loin. Retirons-nous de l'application des choses qui ne sont point de notre obligation ; tenons notre esprit recueilli, et, lorsqu'il s'égare, rappelons-le sans que quasi il s'en aperçoive. Il y en a qui se fâchent contre elles-mêmes et qui s'invectivent, voyant leur légèreté, qui disent : «Oh ! que je suis misérable !». Non, croyez-moi, mes Soeurs, il n'en faut pas user ainsi, mais s'habituer tout doucement à la récollection et actuelle présence de Dieu, et, vous voyant distraite et dissipée, changez d'objet, c'est-à-dire laissez la créature et regardez Dieu comme qui retournerait une médaille, et dites : «Mon Dieu» ou «Mon Tout», et vous laissez ainsi emporter sans violence à ce divin objet, et vous verrez qu'avec un petit peu de fidélité, vous arrêterez la légèreté de cet esprit et vous habituerez au silence et récollection intérieure. J'en sais qui, pour s'être servis de cette petite pratique, ont fait grand progrès en l'oraison.

no 219 Chapitre, 31 décembre 1661.


CHAPITRE VII DE L'HUMILITE

La divine Ecriture, mes frères, nous crie "Quiconque s'élève sera humilié, et qui s'humilie sera élevé " En parlant ainsi, elle nous apprend que tout élèvement est une espèce d'orgueil ; et c'est ce dont le Prophète déclare se garder, lorsqu'il dit : "Seigneur, mon coeur ne s'est point exalté et mes yeux ne se sont pas élevés : je n'ai point marché dans les grandeurs ni dans des merveilles au-dessus de moi." Mais que m'arriverait-il "si je n'avais pas eu d'humbles sentiments, si j'avais exalté mon âme ? Vous me traiteriez comme l'enfant qu'on enlève du sein de sa mère ".

Si donc, mes frères, nous voulons atteindre au sommet de l'humilité parfaite, et parvenir rapidement à cette grandeur céleste, à laquelle on monte par l'abaissement dans la vie présente, il faut, par l'ascension même de nos actions gravir cette échelle qui apparut en songe à Jacob. Il y voyait des anges descendre et monter. Cette descente et cette montée assurément ne signifient pas autre chose sinon que l'on descend par l'élèvement et que l'on monte par l'humilité. L'échelle en question, c'est notre vie en ce monde, que le Seigneur dresse vers le Ciel, si notre coeur s'humilie. Les deux côtés de cette échelle figurent notre corps et notre âme ; sur ces côtés, l'appel divin a disposé divers échelons d'humilité et de perfection à gravir.

Efforcez-vous, mes Soeurs, de vivre conformément à cette vertu d'humilité, que notre saint Patriarche nous demande dans notre sainte Règle avec tant de perfection. Le roi Prophète dit : «Mon coeur ne s'est point élevé plus qu'il ne devait». Travaillons, mes Soeurs, à nous connaître ; ce sera le moyen de demeurer dans notre place... Que si nous sommes quelque chose et si nous avons quelque chose de bon en nous, reconnaître que ce n'est point de nous, mais de Dieu qui nous fait cette grâce, et lui en rendre la gloire, et lui rendre tout comme à son principe.

no 212 Entretien familier, décembre 1687.

Il faut commencer par la sainte humilité et connaissance de notre néant. Une âme humble ne voit pas les défauts d'autrui, ne sait ce que c'est que de répliquer à l'obéissance... Donc, étant bien persuadées de notre néant, nous entrons dans la vérité, nous venons de la vérité : vérité qui nous donne la connaissance de nous-même et nous fournit de véritables lumières de Dieu. Et c'est ce qui nous est signifié par cette échelle mystique que notre bienheureux Père saint Benoît nous fait voir dans la sainte Règle, où les anges «descendaient et montaient», qui est la connaissance de Dieu et de nous-même. Oh ! mes Soeurs, si nous pouvions dire en vérité les paroles du saint prophète David, portées dans ce même chapitre, qui disait : «Seigneur, je n'ai point marché en magnificenct% qui excèdent ma portée» ! Vous me direz : «Mais David, qui était un grand roi, il agissait en roi, avec toute la magnificence d'un grand monarque». Cela est vrai, il commandait en roi, il était servi et honoré comme roi, mais cela par ordre de Dieu et, en sa présence, il s'estimait un néant, ainsi qu'il dit lui-même. Il faut être humble en vérité. Qui peut dire qu'elle marche devant Dieu en vérité, sans élévation qui excédât sa portée ? Si nous étions vraiment humbles, nous serions parfaitement obéissantes à nos saintes Règles, Constitutions, règlements et saintes coutumes de la sainte Religion.

n° 1761 Chapitre, 1662.

82 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 83

Vivez dans un véritable esprit d'humilité qui vous tienne toujours dans la vue de votre rien, car, quelle chose horrible de voir une Fille du Saint Sacrement et de saint Benoît, superbe ! Ce grand saint,, qui nous enseigne tant l'humilité dans sa sainte Règle.

n 194 Conférence, 9 juillet 1694.

Saint Augustin, exhortant un de ses amis à la perfection chrétienne lui en apprend les règles et les plus importantes maximes. Voici ce qu'il dit : «La première c'est l'humilité ; la seconde c'est l'humilité ; la troisième c'est l'humilité. Et si vous me pressez de vous dire derechef le précepte de la perfection, laquelle nous sommes obligés d'acquérir, je vous répondrai toujours : l'humilité, l'humilité, l'humilité». Si vous savez bien ce seul point là, vous saurez tout.

no 1938 Diversités spirituelles.

Il faut une grande simplicité et une profonde humilité. Jamais vous n'aurez de perfection tandis que ces deux vertus vous manqueront. Demandez-les à la sainte Vierge : qu'elle vous les obtienne de son Fils.

Hâtez, mes Soeurs, hâtez-vous de vous défaire de vous-mêmes et de vos imperfections. Il vous reste peu de temps, et ce vous sera bien de la douleur à l'heure de la mort de voir que vous avez négligé la grâce qui vous est donnée ; il ne sera plus temps à ce moment ; faites usage du présent.

no 2812 Chapitre, 25 septembre 1671.

Pour ce qui est de vos défauts, vous les pouvez remarquer pour y donner ordre et vous corriger, mais je crois que la simple vue de Dieu ou connaissance de ces mêmes manquements, que vous voyez par la lumière de sa sainte présence, se corrigeront plus de cette sorte que par les résolutions. Détestez-les dans la lumière de la foi.

no 354 à la comtesse de Rochefort, 25 octobre 1661.

Tenez-vous toujours en Lui : sa continuelle présence fait des merveilles dans les âmes : il n'a point donné d'autre règle de perfection à Abram que de marcher en sa présence pour être parfait : « Ambula coram me ; estote perfecti ».

no 3069 A Mère Saint Placide, rue Saint Louis, ce mercredi 8 octobre 1692.

Entendez ce qui est dit dans l'Écriture, que «Dieu détourne ses yeux de ce qui est grand et élevé, mais qu'il regarde ce qui est bas». Pour nous faire entendre qu'il ne peut souffrir les âmes qui s'élèvent par l'orgueil, par la bonne opinion d'elles-mêmes, se croyant bien capables, pleines d'esprit et de science. Dieu a en horreur tout cela ; il n'y a que les âmes petites, humbles, basses, anéanties qui se croient incapables de tout... sur qui Dieu jette ses divins regards et qui font l'objet de ses complaisances.

n 2466 Conférence, 13 octobre 1687.

O mes Soeurs, la vie intérieure n'est pas ce que l'on pense et imagine ; elle ne consiste point à avoir de belles lumières, à dire de belles choses, à être à l'oraison divine sans pensée ni application, comme étant bien élevée. Tout cela n'est souvent que fantaisie de l'imagination et dispositions chimériques. Elle est dans les pratiques solides de la mortification, dans l'amour de la petitesse et le total dégagement de soi et des créatures...

Ne nous a-t-on pas dit cent fois que Dieu résiste aux superbes, qu'il est impossible qu'il se communique à une âme orgueilleuse, que le royaume des cieux est pour les petits ? Ce sont les paroles de Jésus Christ même et, cependant, en sommes-nous plus humbles ? Vous me direz que je fais consister toute la perfection à l'humilité, et ne faut-il pas pratiquer les autres vertus ? Mes Soeurs, la sainte humilité, étant dans une âme, y introduit toutes les vertus. C'est une racine céleste qui porte les fruits de toutes les vertus. Un saint Père dit admirablement que l'humilité est une plante qui porte sa racine jusque dans l'enfer, et ses branches et ses fleurs et ses fruits dans le paradis...

Pour moi, je ne sais rien de meilleur que la profonde petitesse. Si vous voulez autre chose, demandez-le au Saint Esprit.

no 2721 Chapitre, 1663.cxcii

Qui peut s'élever à Dieu par l'élévation ? Ne faut-il pas s'abaisser et rentrer dans son néant ? C'est là uniquement où l'on trouve Dieu, quand on sait s'anéantir et ne vouloir rien être. Mais c'est que le penchant de la créature est l'orgueil et l'élévation.

n 2059 Entretiens spirituels, 16 octobre 1697.cxciii

Jamais une âme ne saura par expérience combien Dieu est suave et délicieux, si elle ne- descend dans la véritable connaissance d'elle-même et dans la sainte humilité, parce qu'il ne se communique [pas] aux superbes, et qu'il se rend inaccessible à leur esprit , mais qu'il se repose sur le coeur humble.

n 3156 A la comtesse de Châteauvieux.

Le premier degré d'humilité consiste à se remettre toujours devant les yeux la crainte de Dieu et à fuir toute négligence, se rappelant sans cesse tout ce que Dieu a commandé. On repassera constamment dans son esprit, d'une part, comment la géhenne brûle, pour leurs pechés, ceux qui méprisent Dieu, et comment, d'autre part, la vie eternelle récompense ceux qui le craignent. Se gardant, à toute heure, des péchés et des vices de la pensée. de la langue, des mains, des pieds et de la volonté propre, ainsi que des désirs de la chair. l'homme estimera que Dieu, du haut du ciel, le voit à tout moment, qu'en tout lieu le regard de la divinité atteint ses actes, sans compter que les saints anges ne cessent de les lui rapporter.

Le Prophète nous fait entendre ces vérités, lorsqu'il affirme que nos pensées sont toujours présentes à Dieu : "Dieu scrute les reins et les coeurs " et de même : "Le Seigneur connaît les pensées des hommes .., et encore : "La pensée de l'homme vous sera découverte ... Aussi, pour être vigilant sur ses pensées perverses, le vrai moine répétera toujours dans son coeur : "Je serai sans tache devant lui, si je me tiens en garde contre mon iniquité ":

Pour ce qui est de notre volonté propre, il nous est défendu de la suivre par ces termes de l'Ecriture : "Renonce à tes volontés ", et, de plus, nous demandons à Dieu dans l'oraison dominicale que sa volonté s'accomplisse en nous.

C'est donc avec raison qu'on nous enseigne de ne pas faire notre volonté. Par là nous prenons garde à ce que dit l'Ecriture : "Il y a des voies qui semblent droites aux hommes

84 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 85

et dont le terme aboutit au fond de l'enfer " ; par là encore nous nous préservons de ce qui est écrit des négligents : "Ils se sont corrompus et se sont rendus abominables par leurs passions ". Quant aux désirs de la chair, croyons aussi que Dieu nous est toujours présent, suivant la parole du Prophète au Seigneur : "Tous mes désirs sont exposés à vos yeux ".

Il faut, par conséquent, se garder du désir mauvais parce que la mort est placée à l'entrée même du plaisir. C'est pourquoi l'Ecriture nous donne ce commandement : "Tu ne suivras pas tes convoitises ".

Si donc, les yeux du Seigneur considèrent les bons et les méchants, si, du haut du ciel, le Seigneur regarde continuellement les enfants des hommes, pour voir "s'il en est un qui ait l'intelligence et qui cherche Dieu ", si, enfin, les anges, commis à notre garde, lui rapportent quotidiennement, jour et nuit, nos actions, concluons mes frères, qu'à toute heure nous devons être vigilants. Craignons, en effet, que, selon la parole du Psalmiste, Dieu ne nous surprenne à quelque moment dévoyés dans le péché et devenus bons à rien . S'il use d'indulgence en ce temps-ci, parce qu'il est bon et attend que nous nous corrigions, redoutons qu'il ne nous dise un jour : "Tu as fais cela et je me suis tu ".

Le premier pas que vous devez faire dans la vie intérieure, c'est d'avoir la crainte de Dieu, mais une crainte amoureuse, qui vous imprime une grande estime de sa majesté. Voilà ce que vous avez à faire pour le présent, tâchant en tout et partout de ne lui point déplaire. Puis, quand elle sera bien imprimée dans votre esprit, pour lors vous direz avec saint Paul : «Seigneur, que vous plaît-il que je fasse . Me voici pour exécuter vos volontés».

no 3015 Chapitre : Parlant à deux postulantes, 1677.

Dieu est de soi, indépendant de toutes les créatures, et la créature n'est rien de soi et ne doit rien être pour soi. Dieu est, et vous n'êtes point. C'est la leçon qu'il fit un jour à la glorieuse Catherine de Sienne, lorsqu'elle lui demanda simplement et amoureusement : «Qui êtes-vous Seigneur ?» «Je suis celui qui suis, et tu es celle qui n'est point». Cette précieuse parole fit un si prodigieux effet au coeur de cette sainte que jamais, depuis, elle ne sortit de son néant. Il me semble que Jésus nous dit dans l'intime de notre coeur la même chose : «Je suis le tout, et tu es le rien». Écoutez cette voix et portez croyance à ce qu'elle nous prononce. Suivez cette vérité, et vous vivrez au-dessus de toutes choses. Rien ne pourra plus altérer la tranquillité de votre esprit, rien ne pourra troubler votre coeur.

no 340 A Mademoiselle Charbonnier, de Toul, juillet 1662.cxciv

Je ne sais rien de plus avantageux pour arrêter votre esprit et éviter les fautes qu'il nous fait faire que de marcher en la présence de Dieu autant qu'on le peut.

no 2126 Entretien familier, 26 février 1694.

Demandez la grâce de croire Dieu en vous, non pas de l'y trouver, car si une fois on le croit comme il faut, on le trouvera infailliblement.

no 317 Entretiens familiers.

Soyez fidèle à la présence de Dieu : la perfection est renfermée dans cette sainte pratique. Allons toujours à lui ; il connaît notre coeur et la sincérité avec laquelle nous le cherchons et le désirons. Cette présence de Dieu consiste à tâcher de ne rien faire, rien dire, rien vouloir, qu'en l'esprit de Dieu et pour Dieu. Cette pureté d'intention retranche les respects humains et les intérêts d'amour-propre. Il ne faut jamais se décourager, car Notre Seigneur connaît notre faiblesse et nous attend avec une patience divine. Quand vous seriez toute votre vie à tâcher de vous tenir en sa présence, c'est une pratique très efficace : la persévérance gagne tout.

no 296 A une Religieuse, rue Cassette.

Je voudrais que l'on eût assez de courage pour voir sa misère, ses chutes et son impuissance à tous biens, sans s'en troubler ni perdre la paix, s'exposant doucement à Dieu qui nous est présent pour trouver en lui le remède à nos maux : tout ainsi que l'on blâmerait une personne, laquelle, étant mouillée et crottée depuis les pieds jusqu'à la tête, s'amuserait à crier et à se plaindre, se voyant en cet état, sans vouloir s'approcher d'un bon feu pour se sécher, de même, quand nous tombons et que nous voyons nos misères, nous nous tempètons, nous nous jetons dans l'inquiétude ; c'est à se plaindre, à s'affliger ; ce n'est pas là le remède à nos maux. Il faut s'approcher de cette fournaise ardente de la charité de Jésus Christ et attendre en patience le secours de sa grâce. Pour nous tirer de nos misères, il n'y a rien de si facile : un acte de foi et d'abandon fait notre affaire.

no 1651 Diversités spirituelles.cxcv

Je n'ai en vue que le moment présent ; celui qui suit, je le laisse à Dieu et n'ai garde de m'en occuper. La raison est que je perdrais, non seulement la grâce qui est enfermée dans le moment présent, n'en faisant point d'usage, mais de plus je m'exposerais à mille inquiétudes, embarras et troubles d'esprit que la vue de quantité d'affaires me causerait et, ensuite, je n'agirais qu'en esprit de nature, ce qui serait un grand malheur. Ce n'est [pas] qu'il ne me vienne des distractions sur ce que j'ai à faire, mais je m'en divertis adroitement et me coule tout doucement, tout ainsi qu'une personne qui se retirerait d'une grande foule, et, laissant à Dieu toutes les affaires, je les vois en lui et les lui laisse gouverner selon sa sainte volonté. C'est un grand secret dans la vie intérieure d'en user ainsi, car, faisant autrement, l'on perd sa paix et la grâce enfermée dans le moment que nous possédons et dans l'action que nous faisons ; pour lors, bref, on ne fait rien qui vaille.

no 1021 Diversités spirituelles.cxcvi

Que servent les belles pensées que nous avons de l'humilité et de la petitesse et du néant de la créature, si nous n'en venons à la pratique ? Les hautes idées et les grandes lumières ne nous sauveront pas, si nous ne sommes petites en nous-même, à nos yeux et en nos oeuvres. C'est aux petits que Dieu se communique et révèle ses secrets, qu'il cache aux sages du monde. On ne comprend pas cette grande vérité ; on ne fuit rien tant que l'humilité... : personne n'en veut. Qu'il est malaisé de trouver une âme humble et petite à elle-même ! On estime la vertu d'humilité, mais on n'en veut point pour soi ; on se veut maintenir dans l'esprit des créatures ; on fait voir qu'on a raison de dire ou faire telle chose ; on ne peut souffrir une petite parole qui nous touche. Que la pauvreté de la créature est grande ! Qu'est-ce qui nous revient de tout cela ? Qu'importe que l'on nous estime ou non ? Quel mal nous en peut-il venir si une personne nous aime ou si elle nous méprise ?... Je souhaiterais que vous comprissiez bien aujourd'hui cette vérité : que jamais nous n'arriverons à l'union avec Dieu que par l'humilité. Vous aurez toutes les autres vertus, si vous avez de l'humilité ; point de vertu sans l'humilité. Mais comment faut-il faire pour acquérir l'humilité ? C'est se laisser tomber et anéantir dans les occasions. On improuvera ce que vous aurez fait : ne vous justifiez pas. Laissez tomber cette parole qui semblera vous choquer. Tant de petites rencontres qui se présentent où on satisfait son amour-propre ! II faut tout anéantir aux pieds de Jésus Christ, voulant plaire à lui seul.

n 1711 A une jeune Professe.cxcvii

Vous voyez donc qu'il n'y a rien de bon, de saint, ni de parfait que Dieu, et que la bonté et sainteté des âmes n'est qu'une émanation ou une participation de la sainteté de Dieu... Prenez bien garde de vouloir autre chose que sa sainte volonté : demeurer paisible en la présence de Dieu, ne point adhérer au trouble de votre esprit. Portez ce trait qui vous simplifie et demeurez dans ce cher abandon... La pensée que vous avez d'opérer toute chose en la vue de Dieu, très simplement, sans avoir d'autre attention ou intention, est bonne. Suivez-la, et si vous voyez que votre satisfaction et vos intérêts vous en retirent, il faut vous y remettre par un simple regard ou souvenir de Dieu. Que votre intention soit l'intention que Jésus Christ a pour vous, et, d'autant que vous ne la connaissez pas, il faut vous tenir anéantie en sa sainte présence, afin que Notre Seignéur fasse en vous et de vous ce qu'il lui plaira, et que vous laissiez vos actions en sa sainte disposition.

n 704 A Mère Marie de Jésus Chopinel, 1650.

Votre maladie présente est un chagrin de vous voir si pleine de misères que votre amour-propre ne trouve pas de lieu où poser le pied de son élévation ; cela le fait enrager... Ce que vous avez à faire présentement, est de vous soumettre à Dieu dans votre pauvreté et de trouver bon qu'il vous tienne où vous devez être sans perdre courage, vous soutenant par la foi, qui vous doit persuader que Dieu veut faire son oeuvre en vous qui est son règne et sa gloire sur la ruine du vôtre... Il faut vous rendre capable des conduites de la divine Providence et sans vous arrêter aux raisonnements humains vous abandonner à Dieu sans réserve ; voilà par où vous entrerez dans la voie de la sainteté et vous rendre digne que Dieu vous sanctifie.

n 306 A une Religieuse, rue Cassette.cxcviii

Nous avons grande obligation à nos saints anges ; remercions-les bien, aujourd'hui et tous les jours de notre vie, des grâces que Dieu nous confère par leur ministère, prenant un soin tout particulier de la personne qu'il garde, tant pour la préserver des ennemis qui l'environnent que pour la faire avancer à la perfection. Cela nous oblige à avoir un amour très tendre pour nos saints anges, étant toujours avec nous, nous suivant partout, que nous marchions, que nous dormions, que nous mangions, que nous priions, que nous conversions ; ils nous tiennent fidèle compagnie toujours proches de nous. Il les faut bien prier, mes Soeurs, et leur porter une singulière dévotion. Si nous nous rendions attentives à leur avertissement, nous ne tomberions pas dans tant de défauts. Demandez-leur la grâce de fidélité dans les occasions. Ils ne manquent jamais à nous avertir, mais nous manquons à' la fidélité.

n 2314 Chapitre du 2 octobre 1671.

Je vous recommande aussi fort l'obéissance, comme le fondement principal de la Religion, et une humilité profonde pour ne point suivre son esprit, ni ses propres lumières, qui souvent nous égarent beaucoup.

n 2000 Entretiens familiers, 30 avril 1695.

Il ne faut pas tant s'écouter, mais s'abandonner à la divine Providence, mépriser notre propre sens et cette fausse raison humaine, à qui l'on se fie si fort ; croyez-moi, mes Soeurs, elle est aveuglée par le cours impétueux de nos passions ; leurs brouillards sont trop épais pour qu'elle puisse nous conduire sûrement ; il faut suivre les très pures lumières de la foi : elle ne se trompe jamais.

n 1075 Conférence.

J'ai souvent expérimenté cela, et j'ai remarqué que si j'avais suivi dans de certaines rencontres mon zèle, je n'aurais pas agi selon Dieu, et j'aurais fait bien des fautes. Il est aisé de prendre le change. Ce que nous croyons être un effet de l'Esprit de Dieu n'est qu'un effet de l'esprit humain.

n 417 Entretiens familiers, 17 avril 1695.

Le second degré d'humilité consiste à ne pas aimer sa volonté propre, ni à se complaire dans l'accomplissement de ses désirs, mais bien plutôt à se conformer dans sa conduite, à cette parole du Seigneur : "Je ne suis pas venu faire ma volonté mais celle de celui qui m'a envoyé ". N'est-il pas écrit encore : "Le plaisir encourt la peine, l'effort procure la couronne ?"

Ne dites rien que vous ne l'eussiez bien pesé auparavant ; ayez une grande condescendance les unes pour les autres, ce qui se fera sans peine si vous considérez que Notre Seigneur dit : «Je ne suis point venu faire ma volonté mais celle de mon Père». Notre Père saint Benoit l'avait bien compris et médité lorsqu'il écrivait dans sa Règle que nous n'accomplissions point nos volontés, mais celles de celui qui nous a envoyé .

n 2170 Chapitre, 14 août.

Je n'ai choisi ni la vie ni la mort ; je me suis contentée de dire : «Il en sera tout ce que Dieu voudra».

n 2918 Entretiens familiers, 20 mai 1695.

88 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 89

Suivre son humeur, cela est indigne d'une âme religieuse et d'une Fille du très Saint Sacrement. Lisez votre Règle, voyez ce qu'elle vous dit dans le degré d'humilité. Vous me direz que je vous fasse faire l'abstinence ; ce n'est pas en cela qu'elle consiste, non, mais à mortifier votre esprit et votre humeur. Je peux vous dispenser des austérités corporelles, mais non de la sainteté, ni empêcher le trait de la grâce en vous.

n° 1711 A une jeune Professe.

Je sais bien que les infirmités, qui rendent les personnes incapables d'agir, sont fort avantageuses : elles retirent des embarras des créatures, mais il faut une grâce pour la solitude et l'amour de Dieu seul ; sans cela, la solitude est dure. Heureuse l'âme qui a la grâce d'y être, et plus heureuse encore celle qui a perdu sa volonté dans celle de Dieu, et qui ne sait plus rien que son seul bon plaisir ! Sans cela, il est impossible de conserver la paix de l'âme dans les contradictions de la vie. Je voudrais vous élever dans le Sacré Coeur de Jésus, mais je ne le puis mieux faire qu'en vous conjurant d'être fidèle à vos saintes Règles et de vous rendre la fidèle victime de la volonté divine. Je la trouve si admirable que si vous la voulez suivre constamment elle vous fera mourir à vous-même et vivre à Dieu de la vie de Jésus.

no 214 A une Religieuse, rue Cassette.

N'oubliez pas le dégagement qu'il faut avoir pour tout état et pour toutes dispositions, portant le plus que vous pourrez une sainte indifférence dans le fond de votre coeur, qui vous fasse recevoir du même amour tout ce qu'il plaira à Notre Seigneur appliquer à votre âme.

Il faut s'abandonner le plus souvent et le plus cordialement qu'il vous sera possible, vous remettant sans réserve à la disposition divine, renonçant à toutes les prétentions de votre amour-propre. Dieu n'aime et ne se complaît que dans les petits, dans les humbles.

n 1213 A une Religieuse, rue Cassette.

C'e qui vous trouble quelquefois, c'est le désir que vous avez d'être parfaite. Vous voudriez ne point tomber, parce qu'il vous semble que tant de misères en vous causent votre retardement. Ayez patience que Notre Seigneur vous ait purifiée et, en attendant, demeurez humiliée sous le poids de vos imperfections. 11 faut même se résigner d'être toute sa vie imparfaite. Vous faites consister la plus haute perfection à la pratique de quelques vertus. Elles sont toutes bonnes et nécessaires, mais la consommation de la vraie perfection consiste à la perte totale de notre volonté dans la volonté divine, de sorte qu'une âme est plus ou moins parfaite qu'elle est plus ou moins soumise et unie au bon plaisir de Dieu. Une âme qui veut ce que Dieu veut est contente ; et tous nos mécontentements viennent d'une volonté propre et des attaches secrètes que nous avons à nos propres inclinations.

no 2248 A la comtesse de Châteauvieux.

Le troisième degré d'humilité réclame la soumission au supérieur en toute obéissance, pour l'amour de Dieu, à l'imitation du Seigneur, dont l'Apôtre dit : "Il s'est fait obéissant jusqu'à la mort ."

J'ai toujours connu que Dieu voulait de vous trois choses : un simple abandon de tout vous-même à la conduite de l'obéissance, regardant les supérieures comme les lieutenants de Jésus Christ, ne permettant pas à votre raison de s'élever contre les volontés de l'obéissance, qui doit être votre vrai sacrifice, votre holocauste. Votre amour ne sera point pur s'il n'est réglé sous les lois de vos Règles et Constitutions. Prenez donc à tâche la soumission, l'humilité et l'exactitude ; et ce qui doit enrichir par-dessus, c'est une amoureuse confiance en Jésus Christ et sa très sainte Mère.

no 2684 A une Religieuse, rue Cassette.

Vraiment, vous êtes bien éloignée de la simplicité religieuse et de l'esprit de votre sainte Règle, qui vous ordonne d'obéir simplement et de soumettre votre jugement à celui de vos supérieures. Je ne m'étonne point que vous ayez tant de peines, car vous les fomentez et attirez en vous par l'attache à votre propre sens. Il faut nécessairement vous abandonner en toute simplicité à la sainte obéissance, et faire un effort à votre raisonnement et aux lumières naturelles de votre propre esprit, pour vous y assujettir. Voilà ce que Dieu veut de vous et absolument ; il faut vous résoudre à cela , autrement, vous serez encore très longtemps comme vous êtes, et peut-être toute votre vie, à moins d'un coup de la miséricorde de Dieu, qu'il peut faire par sa miséricorde toute puissante, mais qu'il ne fera point miraculeusement de la sorte, puisque vous avez la grâce ordinaire et actuelle pour cela.

no 1700 A Mère Marie de Jésus Chopinel, rue Cassette.

Toute votre tendance doit être de sortir de votre propre esprit, par une abnégation et renoncement fidèle à vos propres pensées et propres lumières. Devenez comme un petit enfant dans la soumission, et laissez en arrière vos craintes, qui ne vous servent que d'obstacles à vous avancer. Laissez votre perfection à la conduite de l'obéissance, pour faire exactement ce qui vous est ordonné. Si vous pouviez comprendre le bonheur inexprimable de n'être rien en tout et partout, vous trouveriez et possèderiez un bien qui n'est connu que des âmes qui veulent tout perdre pour jouir d'une paix éternelle, qui procède de la possession de Dieu.

no 2390 A une Religieuse, rue Cassette.cxcix

Le quatrième degré d'humilité est la patience qu'embrasse la conscience au point d'obéir silencieusement, quelque durs et contrariants que soient les ordres reçus, et ffit-on même vie. time de toutes sortes d'injustices . tenant bon, sans se lasser ni reculer, car l'Ecriture dit "Celui qui aura persévéré jusqu'à la fin sera sauvé ", et ailleurs : "Prends courage et attends le Seigneur ". Et pour nous montrer que le serviteur fidèle doit supporter pour le Seigneur toutes choses, même les adversités, l'Ecriture dit, au nom de ceux qui souffrent "C'est pour vous, Seigneur, que nous sommes, livrés à la mort durant tout le jour . nous sommes considérés comme des brebis destinées à être tuées" . Et ceux qu'anime l'espoir assuré de la récompense divine, ajoutent avec joie "Mais en toutes ces épreuves nous remportons la victoire, grâce à Celui qui nous a aimés". L'Ecriture dit encore en un autre endroit : "Vous nous avez éprouvés, Seigneur, vous nous avez fait passer par le feu, comme l'argent dans le creuset ; vous nous avez pris dans le filet, vous avez amassé les tribulations sur nos épaules " Et pour nous apprendre que nous devons vivre sous un supérieur, elle ajoute : "Vous avez établi des hommes sur nos têtes ".

Ainsi par la patience dans les adversités et les injures, les humbles pratiquent le précepte du Seigneur : si on les frappe sur une joue, ils tendent l'autre ; si on leur ôte leur tunique, ils abandonnent leur manteau ; si on les contraint de faire un mille, ils en font deux ; avec l'apôtre Paul, ils supportent les faux frères, et ils bénissent ceux qui les maudissent

Il faut bien de la patience pour se souffrir soi-même, sans compter toutes les rencontres de Providence qu'il faut soutenir. Vous dit-on une grosse injure ? Vous fait-on un bon affront ? C'est pour lors qu'il faut que vous disiez à vous-même : «Patience !» La pratique de la patience est en tous temps nécessaire.

no 1055 Entretiens familiers.

L'âme qui ne veut que Dieu est heureuse ; l'âme qui vit séparée d'elle-même vit en Dieu.

Si vous vous armez de patience, vous triompherez de toutes les contrariétés de la vie. Par Jésus Christ, en la force de sa grâce, on surmonte tout.

no 2458 Maximes.

Vous avez besoin de deux choses, si on vous accorde la grâce que vous demandez. La première : une grande patience, la seconde : une simplicité d'enfant. La patience, pour souffrir avec peine et douceur tout ce qui contrariera votre esprit, vos sens, vos inclinations ; la simplicité, pour se soumettre, faisant les choses en la manière qu'elles vous seront commandées... Faites tout simplement, sans voir s'il vous est nécessaire ou non, et ainsi de tout le reste.

Nous voyons dans les anciens Pères qu'ils exerçaient les novices dans une simplicité prodigieuse : aux uns, on faisait porter et reporter des pierres d'un endroit dans un autre, sans utilité ; aux autres, on leur faisait planter des choux la racine en haut. Si on faisait faire ces choses à présent, combien de fois ne dirait-on pas : «Il ne doit pas être ainsi, je sais comme cela se fait», et cent raisons que l'on donnerait. C'est qu'à présent on veut être à Dieu à sa mode. Les esprits sont si délicats qu'on n'ose pas les toucher ; que si on dit quelque petite parole pour le bien et avancement des âmes, on ne le peut souffrir, on se retire en soi-même, on y vit, on y meurt. Voilà le malheur des âmes ! Pensez, ma Soeur, que vous venez en Religion pour faire pénitence ; non pas une pénitence de discipline et d'austérité, la vraie pénitence est celle de l'esprit. Nous le voyons en la personne de Job. Ce grand saint, dans la perte de tous ses biens, de ses enfants, et même tout ulcéré sur son fumier, louait et bénissait Dieu de toutes ces choses, mais, lorsqu'il fut blessé en son intérieur, ah ! il gémit et ne put le supporter. 11 n'offensa point Dieu, bien qu'il fût dans la dernière douleur ; il nous figurait Jésus Christ. Voilà, mes Soeurs, un beau tableau de la vie intérieure : nous supportons volontiers des pénitences extérieures, nous les demandons - et on ne peut assez nous en accorder -, mais si Dieu, par lui-même, ou s'il se sert des créatures pour faire mourir notre esprit, nous laisse dans l'amertume et dans la douleur, on veut tout quitter, ne pouvant supporter une telle privation. C'est cependant le plus agréable à Dieu. Vous diriez, à voir la conduite que sa bonté tient sur nous, voulant entièrement nous détacher des créatures, qu'il a grand besoin de nos personnes.

Non, non, mes Soeurs, il n'a que faire de nous, ne nous trompons pas. Il n'en sera pas moins glorieux quand nous serions réduites au néant. C'est où vous devez tendre.

no 3015 Chapitre à une Postulante qui demandait le saint habit, 1677.cc

Dégagez-vous de vous-même, travaillez à bien mourir dans les occasions, et surtout à la tendresse sur vous-même. La nature veut qu'on la plaigne et compasionne dans les souffrances ; raidissez-vous contre vous-même, et, si vous aimez les mépris, vous aurez une paix profonde, car il n'y a que la vraie humilité qui met un coeur dans le calme et qui le rend capable d'être le trône immuable de Dieu.

n 710 A une jeune Religieuse de Toul.

Je voudrais jamais conseiller de demander des croix, mais je voudrais que chacune se rende fidèle au mouvement du Saint Esprit en son intérieur, qui nous presse à mille sacrifices par jour, tantôt de patience, tantôt d'humilité, tantôt de privations, tantôt d'entendre chose qui nous déplaît, tantôt de souffrir l'humeur de notre prochain, quelquefois de l'excuser, autres fois de rompre son humeur et sa propre inclination, sacrifier sa volonté et ses affections, etc.

Tout cela et beaucoup d'autres choses font de bons sacrifices et sont de continuelles souffrances à une âme généreuse qui veut aimer Jésus Christ.

no 1708 A une Religieuse, rue Cassette.

La possession d'un Dieu dans toute l'éternité mérite bien ce qu'il y a à souffrir dans le chemin de la vertu. Croyez-moi, il y a plus de plaisir à mourir pour Dieu qu'à vivre pour la nature. Rien en vérité de si heureux qu'une âme qui se jette à corps perdu et sans réserve dans cette sainte pratique de mort et de sacrifice, et rien de plus malheureux que l'âme qui veut vivre de la vie de la nature. Elle souffre des gênes incroyables de ses passions ; elle ne peut avoir de paix intérieure ; elle est toujours dans la recherche des satisfactions qu'elle ne rencontrera jamais. Tout la fait souffrir. J'estime qu'elle fait son enfer où les âmes véritablement tendantes à la mort commencent leur paradis dès cette vie par l'union qu'elles ont avec Dieu.

no 1855 A une Religieuse de l'Institut.

Ne vous étonnez pas des événements de cette vie. Ne vous ai-je pas dit qu'il faut souffrir ? C'est une nécessité, car la vie chrétienne est toute parsemée de croix, et vous êtes baptisée par la Croix.

Envisagez vos croix dans la vue de Dieu et vous serez plus forte à les porter.

no 2990 A une Religieuse de l'Institut.

On trouvera dans le bréviaire de notre Mère Mectilde un petit papier écrit de sa propre main qui contenait ce qui suit :

Le premier voeu est de ne me justifier jamais d'aucune accusation que l'on ferait de moi.

92 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 93

Le second, de ne me plaindre jamais, quelque mauvais traitement qu'on me fît ».

n° 2026 Billet.cci

Le cinquième degré d'humilité consiste à découvrir à son abbé, par un humble aveu, toutes les pensées mauvaises qui viennent à l'âme ainsi que les fautes qu'on aurait commises en secret. L'Ecriture nous exhorte à cette pratique lorsqu'elle dit : "Révèle ta conduite au Seigneur et espère en lui" ! et encore : "Confessez-vous au Seigneur, parce qu'il est bon, parce que sa miséricorde est à jamais". De même le Prophète : "Je vous ai fait connaître mon péché, et je n'ai pas caché mon iniquité ; j'ai dit : je proclamerai contre moi mes transgressions au Seigneur, et, du coup, vous m'avez pardonné l’ impiété de mon coeur".

Je sais aussi que Dieu m'a donné deux qualités : l'une de mère, pour vous toutes et pour avoir les tendresses et l'amour d'une bonne mère ; l'autre de Supérieure, pour avoir la force et le zèle de vos perfections. Aussi, de votre part, vous devez être bien aises que tous les petits manquements que vous faites viennent à notre connaissance. Si vous avez un vrai désir de vous rendre à Dieu, comme je ne doute pas, vous devez souhaiter que votre Supérieure connaisse toutes vos petites faiblesses. Ayez donc une grande liberté envers vos supérieures, car les choses que vous lui cacherez, vous en répondrez au jour du jugement, et elle n'en sera pas responsable, ne le pouvant pas être de ce qu'elle n'aura pas su.

n 350 Chapitre.

Si nos Soeurs ont un sincère désir de faire progrès dans les voies de la perfection, elles seront soigneuses de pratiquer fidèlement ce saint exercice.

Elles déclareront donc en simplicité à leur Supérieure leurs dispositions intérieures.

Journée religieuse.

L'humilité ne consiste pas à avoir des pensées humbles, mais à soutenir le poids de la vérité, qui est l'abîme de notre extrême misère, quand il plaît à Dieu de nous la faire ressentir.

no 1700 A Mère Marie de Jésus Chopinel.ccii

Quand nous exposons nos pensées et notre intérieur à nos supérieures, ne nous occupons point tant à faire des retours sur ce que nous avons à dire et à faire des excuses de notre manière de parler. Disons simplement, et puis laissons le reste et le succès à la Providence, qui ne manquera pas de leur donner les dispositions et les lumières qu'elles doivent avoir à notre égard, soit de rigueur ou de douceur. Cherchons Dieu en pureté.

Ne nous peinons point lorsque nous ne pourrons pas nous faire entendre en fond et clairement. On ne demande que notre fidélité à Dieu, et de dire ce que nous pourrons, et si, dans les entretiens, il nous donne la pensée de quelque chose nécessaire que nous pourrions avoir oubliée, nous en pouvons dire deux mots, mais toujours en la vue pure de Dieu.

no 2570 A la comtesse de Châteauvieux.

94 CATHERINE DE BAR I A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 95

Je suis bien aise quand quelquefois on fait des fautes, parce que cela sert à humilier. Humiliez-vous donc, mes Soeurs, et ce sera un bon fumier dans votre terre... Que si vous tombez, mettez-vous encore plus bas, et avouez votre misère devant Notre Seigneur, et croyez que c'est là ce dont vous êtes capables.

Criez à lui et il vous pardonnera, et si vos fautes sont volontaires, il faut crier plus haut, et il ne laissera pas de vous les pardonner. Notre Seigneur est si aisé à contenter ! Je ne l'aurais jamais cru, mais je l'ai appris. Il m'a fallu pourtant faire quelques sacrifices un Peu durs et sensibles, mais ils ont été adoucis par la bénignité de Notre Seigneur.

n 2286 Entretiens familiers, 28 mars 1694.

Le sixième degré d'humilité est atteint lorsqu'un moine se trouve satisfait de tout ce qu'il y a de vil et de bas ; lorsqu'en toutes les occupations qu'on lui donne, il s'estime indigne et incapable d'y réussir, disant avec le Prophète : "J'ai été réduit à rien et je ne sais rien ; je suis devenu comme une bête de somme devant vous et je suis toujours avec vous ".

Le premier pas que vous devez faire, c'est de vous humilier très profondément et d'apprendre, non seulement par lumière mais par expérience, ce que vous êtes et ce que vous méritez.

n 1645 Chapitre.cciii

En toutes rencontres, mettez-vous au-dessous de tous. Heureuse l'âme qui n'est plus rien dans les créatures et dans elle-même et qui n'a plus d'appui sur la terre ! Un tel dénuement fait peur à la nature, mais, à la vérité, je ne connais rien de meilleur. Rien n'est capable d'altérer la tranquillité d'une âme en cet état.

no 1996 Entretiens familiers, 25 mars 1695.cciv

L'amour-propre nous est plus nuisible que tout l'enfer, et cependant nous renversons tout pour nourrir cet ennemi qui ne cherche qu'à nous perdre. Ne croyez pas que l'amour-propre se contente de nous faire tomber dans le péché, comme ces gros pécheurs qui sont enfoncés jusqu'au-dessus de la tête. Non, non, l'amour-propre a ses vertus qu'il prétend acquérir, mais c'est pour soi, et il s'y complaît, il s'y mire comme le paon dans ses ailes. Ces âmes ainsi aveuglées, vous jugeriez qu'elles sont possédées du pur amour de Dieu et des seuls intérêts de sa gloire et, en vérité, elles se regardent et ne travaillent que pour s'établir dans les créatures et dans leur estime. Cela se connaît dans les moindres occasions de souffrance et d'humiliation, où elles éclatent en plaintes, chagrins et murmures : marque d'orgueil d'un fond immortifié car une âme qui a un peu de vraie humilité ne souffre rien... Tenons-nous donc bien bas, et ce sera le moyen de tuer notre amour-propre.

no 1876 Chapitre, 18 juillet 1658.ccv

Le septième degré d'humilité consiste non seulement à se proclamer des lèvres le dernier et le plus vil de tous, mais aussi à le croire du fond de son coeur, s'humiliant et disant avec le Prophète : 'Pour moi je suis un ver et non un homme ; je suis l'opprobre des hommes et le rebut du peuple ; j'ai été élevé, puis humilié et couvert de confusion ." Et ailleurs : "Il m'est bon d'avoir été humilié par vous, afin que j'apprenne vos commandements ."

Surtout, soyez humbles, car Dieu repose chez les humbles ; Jésus Christ ne fait sa demeure que chez ceux qui sont humbles de coeur. Soyez toujours au-dessous de tous et n'estimez personne au-dessous de vous. Tenez-vous la dernière en toutes choses ; c'est le moyen de demeurer en Dieu et de faire demeurer Dieu en vous.

no 2664 Chapitre.

Se soutenir, c'est l'effet de l'orgueil. Voilà un beau chef-d'oeuvre d'avoir emporté le dessus à l'endroit de votre Soeur ! Qu'avez-vous gagné de vous être soutenue ? Qu'auriez-vous perdu en cédant ? Que l'aveuglement est grand ! Cédez en toutes rencontres, et n'ayez jamais plus de joie que [de] laisser tomber et anéantir vos petits sentiments.

n 1711 Chapitre à une jeune Professe.

C'est manquer d'humilité que de contester, car une âme humble cède à tous et ne se soutient jamais. Étant persuadée de ce qu'elle est, elle se tient au-dessous de tout le monde sans jamais s'élever. Tâchez, mes Soeurs, de pratiquer cette sainte vertu, et vous n'aurez pas de peine à vous déférer les unes aux autres, et à l'abaissement, à ne vouloir être rien en tout et partout.

Tant que vous suivrez votre misérable orgueil, Dieu se retirera de vous. Dieu ne s'approche et ne donne ses grâces qu'aux humbles et aux pauvres. Si vous voulez les avoir, il faut vous humilier.

n 194 Conférence, 9 juillet 1694.

Humiliez-vous, ne jugez personne, tenez-vous toujours en-dessous de tout le monde... Ah ! la belle vertu que de se mépriser soi-même, en sorte que l'on s'estime indigne des moindres grâces !

n 377 Entretiens familiers, 4 septembre 1694.

Ne vous rebutez pas de me trouver parfois un peu sévère : c'est que je voudrais que vous fussiez vraiment à Dieu, tout à Dieu. Ayez une entière confiance à la sacrée Mère de Dieu, sans vous chagriner de vous voir environnée de tentations ; un peu d'humilité confondra vos ennemis. Ne vous désolez point de voir tant de misères... abaissez-vous toujours. Notre Seigneur prendra plaisir dans votre petitesse et vous donnera des grâces que vous n'attendez pas.

n 2257 A une Religieuse, rue Cassette, 5 avril 1695.

Que la connaissance de nous-même est nécessaire à une âme qui veut faire quelque progrès dans la vertu, car, si elle est une fois persuadée : «Je ne suis rien», aucune chose ne lui fera peine et ne la troublera. Une parole, une réprimande, un mépris, un rebut des créatures, tout cela ne fera aucune impression sur son esprit. Pourquoi ? Parce que : «Je ne suis rien, et que l'on ne me doit

96 CATHERINE DE BAR I A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 97

rien». Travaillez, mes Soeurs, à méditer ces vérités et à vous y bien établir, mais efficacement, pour les pratiquer dans les rencontres. Je ne suis que néant : ah, que voilà une grande leçon, et que l'on va loin lorsqu'on lui donne toute l'étendue que la grâce demande !

no 2362 Chapitre à des novices, 1687.

Croyez que tout le monde a droit de vous reprendre, de vous blâmer et de vous humilier. Soyez en esprit au-dessus de tout ; que chacun soit ce qu'il voudra être. Pour vous], ne sortez pas de cette lumière de vérité : hors de là, l'âme n'est que ténèbre et vanité ; mais, dans ce bienheureux néant, elle est éclairée d'une lumière divine et elle commence à vivre de Jésus Christ.

Vivez donc en ce repos sans sortir du néant où vous devez, si vous y êtes fidèle, trouver votre paradis.

no 1509 A une Religieuse, rue Cassette.

Tout ce que vous avez à faire dans votre état présent est d'en supporter humblement la vue et le sentiment d'être bien aise que le fond de malice soit découvert qui, jusqu'à présent, vous a été caché et qui vous a tenue dans une superbe secrète, ignorant ce que vous êtes en vérité et vous persuadant d'être le contraire. Goûtez donc la vérité, au lieu du mensonge qui vous a nourrie et occupée dans votre vie passée.

Soyez bien aise d'être détrompée et, voyant votre fond très méchant, ne vous en étonnez pas ; vous ne le connaissez pas encore dans son étendue. Entrez dans le dessein de la conduite de Dieu, et vous abandonnez à ce qu'il veut de vous en cette vue, et le laissez opérer ses volontés sur vous et détruire la propre excellence et estime secrète de vous-même. Présentez-vous en cet état à la très sainte Mère de Dieu et dites de temps en temps en son honneur :Magnificat, pour, par son humilité, triompher de votre orgueil, et attendez en patience les effets de sa miséricorde.

no 2822 A une Religieuse.

Estimez que toutes les conduites de Dieu sur vous, pour crucifiantes qu'elles puissent être, ne sont que des effets de sa bonté qui vous épargne et ne vous met dans ces états que pour humilier votre superbe, qui est effroyable. Otez donc ces plaintes, ces gémissements et tendresses sur vos propres misères, et sachez que vous ne connaissez pas l'ombre de ce que vous en portez ; croyez-les sans troubles et vous en humiliez.

no 3132 Diversités spirituelles.

Quand vous tomberiez dans quelque grand péché ou dans quelque faute considérable, bien loin de vous en troubler, il faudrait remercier Dieu de la grâce qu'il vous fait de vous connaître : il y a des âmes à qui Dieu laisse des défauts pour les humilier. Si Dieu se fâche contre vous, abaissez-vous. Si vous sentez ses coups, mettez-vous encore plus bas. S'il vous rebute, mettez-vous de plus en plus bas. Et quand vous serez descendue aussi bas que vous le devez, il viendra vous combler de grâces et de miséricorde, avec tant d'abondance que vous en serez surprise.

no 1214 Entretiens familiers, 12 avril 1694.ccvi

Le huitième degré d'humilité demande qu'un moine ne fasse rien que ce qui est prescrit par la règle commune du monastère ou conseillé par les exemples des supérieurs.

Elles fuiront toute singularité comme une très grande et très dangereuse imperfection qui détruit la simplicité religieuse, mais elles se conformeront en tout et partout à la Règle commune du monastère, comme dit notre Père saint Benoît... [et aux coutumes] qui sont prescrites par les Règles, Constitutions et règlements de la sainte Religion, qu'on est obligée d'observer par la sainte profession qu'on en a faite.

Journée religieuse.

Au lieu des grandes austérités que Notre Seigneur n'exige pas de vous, soyez humble et faites les actions selon vos forces, avec l'agrément de l'obéissance. Chérissez les observances communes mille fois plus que tout ce que votre propre esprit vous porte à faire dans le particulier. De même à la récréation, à moins que l'obéissance ne vous en fasse sortir, n'en demandez pas la dispense. N'affectez rien de singulier, quoique le motif qui vous y porte fût bon ; souvenez-vous que Notre Seigneur aime mieux l'obéissance que le sacrifice ; ne préférez rien à cette précieuse vertu.

no 41 A Mère Sainte Thérèse du Tiercent, rue Cassette, 1672.

Si vous aimez votre vocation faites-le paraître en travaillant à votre sainteté par la mortification, par l'humiliation, par l'exactitude aux observances et règlements de la sainte Religion, n'omettant aucune chose, pour petite qu'elle soit, au temps, au lieu ordonné. C'est là aimer sa vocation qu'aimer et observer tout ce qui est prescrit par la sainte Religion. Ne vous y trompez pas, mes Soeurs, vous verrez bien des choses à l'heure de la mort, bien des grâces perdues que vous aurez négligées et dont on vous demandera compte. Ayez beaucoup d'estime des petites choses, s'il y en a de petites ; tout est grand aux yeux de Dieu. Si vous aviez conçu une haute estime de Dieu, que vous agiriez bien autrement que vous ne faites ! Sa grandeur, sa Majesté, vous tiendraient toujours recueillies en sa présence, et vous introduirait à l'oraison, toujours nécessaire. Elle vous ferait entrer en union avec Dieu. Ayez tant de belles et sublimes lumières qu'il vous plaira, des idées relevées et des plus ravissantes, si vous n'êtes humble et si vous n'entrez dans la véritable mortification, je les appelle toutes : illusions. Tout le monde veut être spirituel, et encore de la plus fine spiritualité, et personne ne veut prendre la voie qui y conduit. Si vous aspirez à ces états sublimes, prenez-en le sentier qui est une profonde humilité.

n 1932 Conférence, 1672.ccvii

98 CATHERINE DE BAR I A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 99

Je fais tant état d'un acte de communauté que, quoique j'aie des affaires par dessus la tête, je quitte tout pour venir à la récréation, car je suis sûre que je trouverai Dieu et je ne suis pas certaine de le trouver à l'écart, et puis je tâche d'avoir un petit morceau de la grâce qui est renfermée dans les exercices réguliers. La récréation en est du nombre : ainsi il s'y faut rendre autant qu'on le peut.

n° 2998 Recueil de différentes pensées.

Le neuvième degré d'humilité fait que le moine défende à sa langue de parler et, pratiquant la retenue dans ses paroles, garde le silence jusqu'à ce qu'on l'interroge. Selon l'enseignement de l'Ecriture, en effet, "on ne saurait éviter le péché en parlant beaucoup ", et "le bavard ne marche pas droit sur la terre ."

Le dixième degré d'humilité veut qu'on ne soit ni enclin ni prompt à rire, car il est écrit : " Le sot, en riant. élév(. la voix

Le onzième degré d humiliié c'est que le moine, dans ses propos, s'exprime doucement et sans rire, humblement et avec. gravité, brièvement et raisonnablement, évitant les éclats de voix, ainsi qu'il est écrit : "On reconnaît le sage à la sobriété de son langage ".

Dieu est feu... Voulez-vous que je vous dise ce qui empêche que ce feu sacré n'opère en vous ? C'est la dissipation, car si nous savions nous occuper de Dieu en nous et garder le silence, cela nous attirerait bien des grâces, étant certain qu'on ne peut être spirituelle ni intérieure quand on n'est pas silencieuse et que l'on aime à se répandre et à parler facilement. Ne vous flattez pas, cela est impossible. Une personne intérieure n'aime pas à parler, et l'on n'en a point vu qui n'aient été fort retenues en ce point.

Tâchez donc d'observer le silence, afin que, vous conservant toujours dans un saint recueillement, rien ne vous empêche, soit dans votre cellule, soit en montant et descendant, d'avoir toujours en vous ce feu sacré.

no 2384 Conférence, 1693.ccviii

Elles prendront garde de ne point crier ni faire d'éclat de ris immodérés, et de ne pas parler toujours.

Il ne faut jamais interrompre celle qui parle...

Surtout nous devons être fort retenues dans nos paroles, pour n'en dire jamais qui puissent déplaire.

Journée religieuse.

Le douzième degré d'humilité comporte qu'un moine non seulement possède cette vertu dans son coeur, mais encore la manifeste au dehors par son attitude. A l'OEuvre de Dieu, à l'oratoire, dans le monastère, au jardin, en chemin, aux champs, qu'il soit assis, en marche, ou debout, il aura toujours la tête inclinée, les yeux baissés : se sentant à toute heure chargé de ses péchés, il se voit déjà traduit devant le tribunal redoutable de Dieu, et répète dans son coeur ce que le publicain de l'Evangile disait, les yeux fixés à terre : "Seigneur, je ne suis pas digne, moi pécheur, de lever les yeux vers le ciel ", et encore avec le Prophète : "Je me tiens courbé et humilié de toute manière ."

Je prie Notre Seigneur de vous vouloir établir dans une profonde humilité, non de spéculation mais de pratique. [Autrement], vous n'arriverez jamais à ce que Dieu demande de vous ; vous êtes bien persuadée qu'il veut votre anéantissement. S'il opère par sa lumière et par sa grâce au dedans, faites que le dehors soit de même par votre fidélité. Ne dites point que vous ne le pouvez ; je dis que si ; quand vous le voudrez, vous le ferez, car il y a grâce en vous pour cela. Mon enfant, ne prenez point l'apparence pour le vrai ; soyez fidèle.

no 2722 A une Religieuse, rue Cassette.

La Madeleine se jette aux pieds du Sauveur et les lave de ses larmes. L'humilité est une excellente pénitence... Nous n'avons en nous aucun mérite : il n'y a que la sainte humilité qui nous approche et nous fait trouver grâce devant Dieu. Vous vous troublez et lamentez sans raison : toutes vos plaintes et gémissements ne procèdent que d'une superbe cachée, qui ne peut supporter que Dieu la rebute. Je ne demande qu'une seule chose de vous, avec l'observance de vos voeux et de vos Règles : abaissez-vous, mais, je le dis, de la bonne manière. Tenez-vous aux pieds du Sauveur comme le Publicain au bas du Temple, et dites : « Ayez pitié de moi, mon adorable Seigneur. Je ne suis pas digne de vos miséricordes, mais je les attendrai humblement autant de temps qu'il vous plaira...» Ne doutez pas, si vous faites de cette sorte avec patience et humilité, que vous y soyez longtemps sans recevoir une effusion de grâces divines. Nous ne savons pas, ou nous ne voulons pas savoir le secret de ravir le coeur de Dieu.

Abaissez-vous et méprisez-vous en vous-même, non en paroles mais en fond de vérité. Si vous faites ce que je vous dis, tout le ciel viendra fondre sur votre intérieur, et vous regorgerez de tant de grâces que vous en aurez pour convertir le monde entier. Personne ne connaît ni ne goûte Dieu qu'«humblement». Devenez-le, et vous verrez, par expérience, que je dis vrai.

no 3158 A une Religieuse, rue Cassette.ccix

Le temps de l'oraison venu, il faut la commencer par le souvenir simple de Dieu et la continuer en cette même façon, et il faut dire ses prières vocales, entendre la sainte messe et même faire l'examen de conscience, puisque cette même lumière de foi qui nous tient attentive à Dieu nous fera découvrir nos moindres imperfections et en concevoir un grand déplaisir. Aller au réfectoire avec le même esprit de simplicité qui nous rendra plus attentives à Dieu qu'au manger et qui nous laissera la liberté, ne nous attachant à rien, attachées à Dieu seul. Il se faut récréer ensuite pour donner au corps et à l'esprit quelque soulagement, sans se dissiper néanmoins l'intérieur à entendre des nouvelles curieuses et à des ris immodérés, mais conserver son intérieur par des retours simples et amoureux vers Dieu, se souvenant que l'on est en sa sainte présence et qu'il ne veut pas que nous nous séparions de sa sainte volonté... L'on se doit comporter de la même façon et avec le même esprit en toutes autres choses, comme au travail, au souper et à la récréation ainsi que dessus, enfin l'on se couchera dans la vue de la présence de Dieu et l'on s'endormira avec cette attention amoureuse. S'il est possible, l'on entrecoupera son sommeil de quelque parole dévote comme : «Mon Dieu, soyez moi toutes choses, je ne veux que vous pour le temps et l'éternité».

no 544 Conférence.

100 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 101

Après avoir gravi tous ces degrés d'humilité, le moine parviendra bientôt à cet amour de Dieu, qui, s'il est parfait, bannit la crainte. Grâce à cette charité, il accomplira sans peine, comme naturellement et par habitude, ce qu'auparavant il n'observait qu'avec frayeur. Il n'agira plus sous la menace de l'enfer, mais par amour du Christ, sous I effet d'une sainte accoutumance et de l'attrait délectable des vertus. C'est la grâce que Notre Seigneur daignera manifester par le Saint Esprit dans son serviteur purifié de ses défauts et de ses péchés.

L'humilité est le fondement de la vie spirituelle. Autant que vous aurez d'humilité, autant vous aurez de sainteté, et non plus.

no 1845 A la comtesse de Châteauvieux.

C'est l'humilité qui est, à mon sens, la plus rare de toutes les vertus ; mais quand une âme est parvenue au point de la posséder sincèrement, elle est au comble d'un bonheur qui ne se peut assez estimer, tant elle possède de richesses et de grâces dont une des plus admirables est une paix si profonde que rien de ce monde ne la peut troubler. Vous serez heureuse si vous pouvez soutenir tous les sacrifices qu'il faut faire pour y parvenir solidement ; je vous conseille de vous y appliquer de la bonne manière et,pour cet effet,de demander un grand courage à la plus humble de toutes les créatures.

no 3038 A une Religieuse, rue Cassette.ccx

Oh ! si vous saviez que c'est une bonne chose de savoir bien s'abaisser devant Dieu ! Autrefois, je prenais plaisir à considérer et à m'appliquer à cela : ces personnes qui vont dans les mines chercher l'or et l'argent, elles descendent toujours de plus bas en plus bas pour le chercher, il en faut faire de même pour trouver Dieu, descendez, descendez toujours de plus bas en plus bas dans la profondeur de votre bassesse, allez tout jusqu'où l'on peut aller et je vous assure que dans ce lieu si bas et si abject de votre misère Dieu vous y viendra chercher et trouver. Oui, il y viendra fondre, bien plus, je vous dis qu'il vous y viendra faire la cour. Je [le] sais d'expérience, vous me pouvez croire . Oui, ce Dieu de bonté s'unira à vous, vous comblera de ses grâces , et dans la profonde petitesse vous goûterez ses infinies miséricordes. Il n'y a qu'à se savoir abaisse! pour l'attirer tout en nous.

no 314 Entretien familier. ccxi
CHAPITRE XIX DES DISPOSITIONS A APPORTER A LA PSALMODIE

Nous avons foi que Dieu est présent partout et que ses yeux considèrent en tout lieu les bons et les méchants. Mais surtout, il faut être fermement assuré qu'il en est ainsi lorsque nous assistons à l'office divin. Ajons donc toujours dans la mémoire ce que dit le Prophète : «Servez le Seigneur dans la crainte.» Et encore : «Psalmodiez avec sagesse.» Et : «Je vous chanterai en présence des Anges.» Considérons donc comment nous devons nous tenir en la présence de la Divinité et de ses Anges, et conduisons-nous dans la psalmodie de manière que notre esprit concorde avec notre voix.

J'apprends, ma très chère Mère, que le Verbe éternel, cette Parole adorable, devenu muet au sein de sa glorieuse Mère, vous a fait perdre la parole aussi bien que la voix ; je vous prie, très chère fille, de prier sa très sainte Mère de vous rendre l'une et l'autre, pour l'amour de son divin Fils au très Saint Sacrement, où il est aussi dans cet auguste mystère un Dieu sans parole ; mais il veut que nous en ayons pour l'adorer et chanter ses louanges. Je vous prie, très chère, de prier humblement le Fils et la Mère de vous donner la faculté de parler et de chanter ; demandez-leur cette grâce par obéissance, afin que, tenant la voix de leur souveraine bonté, vous puissiez les honorer en chantant leurs louanges et en apprenant à vos novices à les aimer et servir fidèlement. Ne m'oubliez pas auprès de la sainte famille de Bethléem ; je suis si accablée de menus tracas que je ne puis que vous assurer que je suis de coeur tout à vous.

no 867 A Mère Marie de Jésus Chopine!, Paris, 5 décembre 1683.

Pour rendre le sacrifice de louange agréable à Dieu, il est absolument nécessaire que, suivant l'avertissement de notre glorieux Père saint Benoît, les Soeurs se considèrent toujours en sa sainte présence, accompagnées des bienheureux Esprits, afin qu'en psalmodiant, leurs coeurs et leurs affections soient d'intelligence avec leurs langues et leurs voix.

Cérémonial.

102 CATHERINE DE BAR

Quand on récite l'Office divin seule et en particulier, on doit s'en acquitter avec autant de respect, de révérence, d'attention et de dévotion que si on le récitait en commun, prononçant distinctement toutes les paroles, sans se trop précipiter, étant bien raisonnable que, traitant avec Dieu, on ne lui parle pas avec moins de respect que lorsqu'on parle à quelque personne de considération.

Journée religieuse.

Mes Soeurs, c'est l'oeuvre de Dieu que l'Office divin. Ne croyez pas que ce soit une chose dont il faille s'acquitter négligemment. On peut dire : «Qu'est-ce que dire un bréviaire ?» C'est ce qu'on peut faire depuis le matin jusqu'au soir. 11 n'y a rien de si saint, mes Soeurs, et où il y ait moins d'humain qu'au récit de l'Office divin. Tout est employé pour honorer Dieu : l'esprit, les sens. L'esprit, par application ; les oreilles, pour écouter ; les yeux, pour regarder ; la langue, pour parler ; tout le corps, par les prostrations : tout est employé à ce saint exercice. Nous ne devons jamais aller à l'Office qu'avec grand respect, avec zèle et un saint recueillement il faut se préparer par ces trois choses : respect, zèle, recueillement. C'est l'oeuvre de Dieu par excellence. Dans l'Église romaine, on ne l'appelle point autrement que : l'Œuvre de Dieu. Nous faisons ici-bas ce que les anges font dans le ciel, où ils chantent sans cesse les louanges de Dieu par leur Sanctus...

Souvenez-vous que c'est à Dieu que vous parlez. Notre glorieux Père saint Benoît, que vous dit-il dans sa Règle ? Ne vous avertit-il pas de la présence de Dieu let] avec quel respect vous devez psalmodier ?

no n 31 28 Chapitre.

11 faut aller à l'Office divin, il faut s'y comporter avec une profonde révérence, une grande modestie, et il est bon, entrant au choeur, de renouveler notre foi sur la réalité de Dieu présent. Voyez les saints anges : avec quel respect et révérence ils assistent en sa sainte présence ! Nous le possédons aussi véritablement qu'eux, à la réserve qu'ils le voient à découvert, et nous ne le voyons qu'à travers le voile de la foi.

no n 3059 Chapitre, en parlant à une Novice.

Si la Religion est l'image du paradis dans toutes ses pratiques, elle l'est plus particulièrement par la psalmodie et le chant de l'Office divin, qui est notre principal exercice...

Et comme l'Office divin est proprement ce qui s'appelle l'Oeuvre de Dieu, il faut tâcher que notre esprit s'unisse et réponde toujours à notre voix, et faire en sorte que les louanges que nous donnons à Dieu sortent plutôt du coeur que des lèvres, et que nos désirs de le louer et glorifier s'étendent à l'infini, s'il était possible.

Journée religieuse. A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 103

Je vous dirai aussi, en passant, que nous avons reçu [de notre bienheureux Père] l'adoration perpétuelle, qui est un «laus perennis» intérieur. Au commencement de l'Ordre, il y en avait un extérieur, et il serait à souhaiter qu'il durât encore. Mais nous le faisons mentalement, adorant nuit et jour, et nous succédant les unes les autres. Faisons donc bien cet exercice que nous avons reçu du coeur de notre bienheureux Père saint Benoît.

n 3129 Conférence pour la fête de saint Benoît.

Elles entreront dans le lieu sacré, où cette majesté adorable réside, avec un très profond respect, s'unissant à la compagnie des anges qui l'y adorent incessamment avec des dispositions si saintes que cette seule réflexion serait suffisante pour élever leur coeur à Dieu, et entrer dans ce respect si profond, qui nous doit tenir en sa sainte présence, et psalmodier saintement, mais, quoiqu'il faille tâcher de se rendre au Choeur des premières, il faut néanmoins y aller modestement, sans courir ni faire de bruit.

journée religieuse.

Comme le divin Office est ce qu'il y a de plus saint dans toutes les actions de la vie religieuse et auquel notre bienheureux Père saint Benoît défend de ne rien préférer, la Mère Prieure donnera la charge de Maîtresse des Cérémonies à une ancienne, capable de s'en bien acquitter et à laquelle toutes les Soeurs déféreront avec une sainte condescendance touchant les choses qui sont de son office.

Cérémonial.

Quant à l'Office divin, vous pouvez renouveler l'attention en disant le Gloria Patri. L'esprit jette son oeillade vers Dieu sans peine ni sans inquiétude, un petit penchant de coeur, une petite adhérence à Dieu en simplicité de coeur ; il ne faut point d'embarras.

no 3136 A Mère Saint Placide, rue Saint Louis, ce mardi soir, 28 février 1696.

104 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 105

CHAPITRE XX DE LA REVERENCE A GARDER DANS LA PRIERE a

Pour votre oraison, vous la commencerez par la foi, vous tenant en silence, et, faisant cesser tout babil et raisonnement, vous vous tiendrez en simplicité au-dessous de Dieu.

Si, lorsque nous avons une requête à présenter aux puissants de la terre, nous ne l'osons faire qu'avec humilité et respect, à plus forte raison faut-il supplier le Seigneur Dieu de l'univers en toute humilité et pureté de dévotion. Sachons bien que ce n'est pas l'abondance des paroles, mais la sincérité du ccei,r et la componction qui nous rendront dignes d'être exaucés. La prière doit donc être brève et pure, à moins que peut-être la grâce de l'inspiration divine ne nous incline à la prolonger. Mais en communauté, la prière sera très courte, et, sur le signal du supérieur, tous se lèveront en même temps .

Soyez fidèle à demeurer en la présence de Dieu sans vous mettre en peine de ne pouvoir rien faire. Jésus Christ est celui qui vit en nous, nous n'avons qu'à adhérer à lui en humilité et simplicité de coeur et d'esprit... N'ayez point de répugnance d'être en la présence de Dieu sans rien faire, puisqu'il ne veut rien de vous que le silence et l'anéantissement, vous ferez toujours beaucoup lorsque vous vous laisserez et abandonnerez sans réserve à sa toute puissance. Soyez fidèle en ce point, ne vous affligez point de vos distractions, laissez-les passer et demeurez humblement aux pieds de Jésus, vous estimant indigne de ses grâces.

n 1746 A Mère Marie de Jésus Chopinel, Caen, 24 mai 1649.

Notre saint Législateur, qui sans doute était un homme d'oraison, ordonne à ses disciples de s'appliquer à ce divin exercice avec pureté et componction de coeur, en sorte pourtant que dans la Communauté l'oraison soit courte, si ce n'est que quelqu'un en particulier la prolonge par un spécial mouvement de l'Esprit de Dieu, qui se communique à qui il lui plaît. Cérémonial.

L'humilité, mes Soeurs, vous donnera entrée à l'oraison, qui est la nourriture de l'âme. Dieu se communique aux âmes petites.

no 1711 A une jeune Professe.

L'oraison n'est pas si pénible que vous pensez. Il y faut aller dans le dessein de se laisser tout à Jésus Christ et se soumettre à sa très sainte volonté, dans l'agrément de tout ce qu'il lui plaira vous y donner, soit ténèbres, soit impuissances, soit inquiétude, soit tentation. Humiliez-vous et demeurez contente du bon plaisir de Dieu.

no 2248 A la comtesse de Châteauvieux.

a Saint Benoît emploie le mot oratio : il désigne ici la prière privée, distincte de la prière vocale liturgique.

n 638 Entretien familier.

Vous mettant à genoux pour faire votre oraison, vous la commencerez par un acte de foi de Dieu présent. Vous l'adorerez en abaissant votre esprit devant sa très sainte majesté... en sa présence, avec résolution de vous y tenir dans un profond respect et dans une volonté toute soumise et tout abandonnée à la sienne très adorable. Et lorsque les distractions se rendront importunes, en les méprisant seulement, tourner votre regard intérieur vers Dieu, vous remettant simplement dans le souvenir de sa souveraine majesté.

n 3106 A la comtesse de Châteauvieux.

L'oraison du coeur n'est autre chose que de croire Dieu dans son coeur, de l'y adorer et de se laisser amoureusement à lui. Cette oraison ne demande point d'autre instruction que les inventions que le Saint Esprit inspire à l'âme. C'est l'amour divin qui en est le maître et le directeur, et voilà le secret ; les créatures ne doivent point s'ingérer de faire son office.

Cette oraison porte amour et respect des grandeurs de Dieu ; l'âme n'a qu'à se recueillir et s'occuper doucement de Dieu, voilà tout ce que j'en sais. Chacun en reçoit des effets différents selon les voies et les conduites de Dieu. Cette sorte d'oraison, quand l'âme est fidèle, doit opérer une profonde humilité, une grande simplicité. Douceur, charité, résignation, toutes les vertus s'y trouvent renfermées ; l'usage vous le fera expérimenter.

Ne gênez point votre esprit ; suivez Jésus Christ en humilité et simplicité.

n 2032 A la comtesse de Châteauvieux.ccxii

Il y a un certain regard vers Dieu qui tient lieu de toutes choses à l'âme..., pour la tenir appliquée à Dieu seul et sans chercher autre chose que de l'adorer et de lui rendre en silence tous les hommages possibles, qui tient l'âme simplement élevée et attachée à Dieu des heures entières, sans chercher autre chose que Dieu en Dieu, et Dieu pour lui-même.

n° 1957 A une Religieuse de l'Institut.ccxiii

J'ai lu, ma très chère Soeur, le billet qui explique quelque chose de vos dispositions intérieures. Je vois que votre esprit se gêne trop pour l'oraison, il faut le conduire doucement, sans le rebuter pour les distractions qu'il y souffre, et, pour bien réussir, tâchez de ne le point trop multiplier ; puisque vous avez attrait et amour pour Notre Seigneur Jésus Christ méprisé, envisagez-le en esprit de foi et tenez-vous en sa sainte présence. Le petit livret de L'oratoire du coeur * vous

* Maurice Le Gall de Querdu, L'oratoire du coeur ou méthode très facile pour faire oraison avec Jésus Christ dans le fond du coeur, Paris, 1682.

106 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 107

serait utile et cette méthode d'oraison ferait un bon effet dans votre intérieur, tant pour réformer la légèreté de l'esprit que pour la pratique solide des saintes vertus, ce bandernent de tête vous nuira si vous ne le modérez. L'occupation de votre intérieur doit être de regarder Notre Seigneur dans quelque état de sa passion, l'adorer et vous y unir, quelquefois en silence de respect, autre fois en production amoureuse, courte et souvent réitérée. La vue de vos infidélités est utile, si vous savez la ménager, mais si cette vue vous cause de l'inquiétude, c'est une marque que vous ne vous connaissez pas et que le fond est plein de superbe et d'estime de vous-même. 11 ne se faut pas étonner des tentations ; c'est l'impossible de s'en dispenser, mais elles nous doivent rendre vigilante pour n'y point adhérer.

n° 710 A une jeune Religieuse de Toul.

Persévérez dans l'oraison simple, sans vous rebuter de vos faiblesses ou par le trop peu de progrès que vous faites dans la vertu ; ce n'est point ce motif qui doit vous faire agir, mais Dieu uniquement pour lui-même... Vous faites demeurer la volonté en Dieu, sans discours, ni raisonnements, vous demeurez de la sorte en lui, et il fait en l'âme ce qu'il lui plaît.

n° 2239 A Mère Françoise de Sainte Thérèse du Tiercent, à Paris, 1674.

C'est une grande miséricorde de Dieu et une marque qu'il vous veut tout à lui et appliquée à lui seul, par un regard simple et amoureux... Il veut de vous deux choses : le silence intérieur qui renferme en soi l'attention simple et, l'adhérence à Dieu. C'est ce qui s'observe dans ce regard silencieux et respectueux que vous pratiquez qu'il faut continuer, quelque sécheresse ou incapacités de demeurer en la présence de Dieu que vous puissiez ressentir. Ne désistez point de votre fidélité, ne regardez jamais le profit qui vous en revient... J'espère que dans la suite de ses miséricordes, il vous fera entrer dans un plus grand dégagement de vos propres pensées et de vos craintes. Courage, allez à lui avec confiance et amour, non sensible, mais de foi et d'abandon.

n° 2217 A une Religieuse, rue Cassette.ccxiv

Il est bien juste que nous reconnaissions l'amour que Jésus Christ nous porte. Une des plus intimes dispositions que vous pourriez prendre serait de vous tenir dans un profond respect devant cette adorable majesté, de demeurer en sa sainte présence avec un silence d'étonnement, d'être le plus que vous pourrez dans ce saint recueillement, qui vous tient quasi toujours dans une disposition d'adoration, d'admiration et de reconnaissance, et qui vous porte à vous réduire amoureusement dans le néant, dans la douceur et dans la fidélité aux occasions.

no 3037 A une Religieuse, rue Cassette.

Dieu ne vous doit rien. Si vous sentez des rebuts à l'oraison, s'il vous semble que Dieu vous méprise et ne vous écoute pas, gardez-vous bien de murmurer comme si Dieu vous devait quelque chose. Au contraire, humiliez-vous, ne faites point comme celles qui, lorsqu'elles ne sentent point de douceur ou leur petit attrait, se découragent, se chagrinent, comme si tout était perdu. Ces personnes-là se recherchent elles-mêmes et non pas Dieu.

Mais, me direz-vous, je me chagrine parce que je crois que ma sécheresse vient à cause de mes infidélités et qu'elles sont la marque de la disgrâce de Notre Seigneur. Ces raisons-là ne sont qu'amour-propre. Si c'est vos infidélités qui vous les ont attirées, vous les devez souffrir comme une pénitence que vous avez méritée. Il ne faut pas tant se réfléchir, il faut s'abandonner. Marchons dans les pures lumières de la foi et non point dans la vanité de nos sens. Laissons-là, ne pensons qu'à contenter Dieu, admirons cette bonté qui nous souffre, cet amour infini qu'il a pour nous ; ne pensons qu'à l'aimer, qu'à le contenter. Voilà l'unique nécessaire, tout le reste n'est rien.

n° 2548 A une Religieuse en particulier.ccxv

Ce n'est pas les belles lumières ni les goûts qui font une bonne oraison, mais c'est la conformité à la volonté de Dieu. Allez à l'oraison pour contenter Dieu, et non point pour y chercher votre satisfaction : ... «Me voici pour vous adorer, vous êtes la grandeur infinie et c'est ma joie ; et moi, l'extrême pauvreté et misère, j'en suis contente». Ah ! la belle oraison de se réjouir de ce que Dieu est ce qu'il est ! ... Prenez part au plaisir que Dieu prend en lui-même, adorez ses divines perfections, réjouissez-vous de ce qu'il sera toujours le même durant toute l'éternité.

n 607 Untretiens Familiers, 29 septembre 1694.

Il nous faut établir dans la foi pure de Dieu en nous, non seulement comme soutenant notre être, mais comme opérant et concourant à tout ce que nous faisons. Il ne faut point d'imagination pour le croire, mais la foi toute simple suffit, pourvu qu'elle soit continuelle. Si elle s'amortit, il faut la réveiller doucement jusqu'à ce que l'habitude en soit formée et que l'âme se voie plus en Dieu qu'en elle-même. Il me semble que cette vérité de Dieu essentiellement en nous fait un admirable effet pour nous faire voir notre dépendance de sa bonté, et pour nous soutenir en respect et anour en sa sainte présence. Car si, au dedans, il semble que les organes de l'âme soient obscurcis et comme impuissants de s'élever pour trouver Dieu, la vérité le fait posséder en foi puisqu'il est vrai qu'il nous environne, qu'il est tout notre être plus nous que nous-même. Et si l'âme dit : «Je ne puis être unie à Dieu à cause de mes impuretés», je lui réponds qu'elle est en Dieu, qu'elle vit en lui et que, si elle doute avoir quelque crime en sa conscience, qu'elle le déteste et se tienne en Dieu par la foi : elle en recevra de très grands avantages.

Si on savait le bien que l'âme reçoit de cette présence quand elle s'y exerce en foi à toute heure ! Elle se trouve investie de Dieu jusqu'à des pénétrations inexplicables. Tout notre mal est que nous ne voulons pas nous captiver sous cette loi d'amour et de simple application à Dieu présent.

no 592 Chapitre.ccxvi

Il faut accoutumer votre esprit à se nourrir de la présence de Dieu en foi, et s'en contenter dans l'oraison. Si d'abord il s'occupe de cette divine présence, il faut qu'il s'en laisse remplir et posséder. Tant que la mouche à miel voltige sur les fleurs, elle ne fait ni miel ni cire ; de même, tant que votre esprit se remplit de multiplicités, il n'est pas capable de goûter Dieu ni de le posséder.

Il faut qu'il apprenne à se taire et à demeurer avec respect et attention amoureuse à sa sainte présence, y portant acquiescement au bon plaisir de Dieu et à toute sa sainte conduite sur vous, demeurant en cette posture d'abandon autant de temps qu'il vous sera possible, mais du moins une petite demi-heure le matin et quelque quart d'heure le soir.

n0 1325 A la comtesse de Rochefort.

Aimons bien Dieu, adorons-le, louons-le incessamment, nous n'avons que cela à faire et à penser: Que la créature est misérable de s'occuper d'autre chose que de Dieu, je ne le saurais dire ; oui je voudrais avoir une voix assez forte pour le crier à toutes les créatures, qui fût comme le rugissement d'un lion ou le bruit d'un taureau pour faire entendre d'un bout du monde à l'autre le malheur d'une âme qui est désoccupée de Dieu d'un moment.

n 13 Diversités spirituelles.

CHAPITRE XXI DES DOYENS DU MONASTERE

Si la communauté est nombreuse, on choisira quelques-uns d'entre les frères qui soient de bonne réputation et de sainte vie et on les établira doyens. Ils veilleront en tout sur leurs décanies, conformément aux commandements de Dieu et aux ordres de l'abbé. On choisira pour doyens ceux des moines avec lesquels l'abbé puisse en toute sécurité partager son fardeau. On ne les nommera pas selon leur ancienneté dans la communauté, mais selon le mérite de leur vie et la sagesse de leur doctrine.

Si, par hasard, l'un d'eux, enflé de superbe, mérite répréhension, on le corrigera une première, une seconde et une troisième fois. S'il ne veut pas s'amender on le déposera et on mettra à sa place un autre qui en soit digne. Nous établissons la même règle au sujet du prieur.

Il faut que les discrètes [conseillères] s'appliquent à bien comprendre tout ce qui est de l'Institut, à connaître parfaitement la Règle, les Constitutions et les règlements des offices et qu'elles concourent avec la Mère Prieure à faire observer toutes ces choses le plus parfaitement possible.

Cérémonial.

110 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 111

CHAPITRE XXVII DE LA SOLLICITUDE QUE L'ABBE DOIT AVOIR A L'EGARD DES EXCOMMUNIES

L'abbé doit s'occuper en toute sollicitude des frères qui ont failli, parce que "ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin du médecin mais les malades ." C'est pourquoi il doit, comme un sage médecin, user de tous les moyens. Il enverra des frères anciens et sages qui, comme en secret, consoleront le frère qui est dans le trouble et l'engageront à faire une humble satisfaction : ils le soutiendront de peur qu'il ne soit accablé par un excès de tristesse ; mais, comme dit l’Apôtre, "Il faut redoubler de charité envers lui ", et tous prieront à son intention.

L'abbé, en effet, doit avoir un soin tout particulier et s'empresser , avec toute son adresse et toute son industrie, pour ne perdre aucune des brebis à lui confiées. Il doit savoir qu'il a reçu la charge de conduire des âmes faibles et non d'exercer sur des âmes saines une autorité tyrannique. Qu'il craigne donc la menace du Prophète, par la bouche duquel Dieu dit : "Les brebis qui vous paraissaient grasses, vous les preniez pour vous, et celles qui étaient débiles, vous les rejetiez ." Qu'il imite plutôt l'exemple de tendresse du bon Pasteur qui, avant laissé dans les montagnes quatre-vingt-dix-neuf brebis, se mit en quête de l'unique brebis qui s'était égarée ; il eut de sa faiblesse une si grande compassion qu'il daigna la charger sur ses épaules sacrées et ainsi la rapporter au troupeau.ccxvii

Je vous réponds, très chère Mère, que vous devez décharger votre conscience à Monsieur de Rabaumont pour les communions de la Soeur converse, et dire sa conduite et la peine qu'elle fait à ses Soeurs ; puisqu'il est son confesseur, il y doit donner ordre, autant qu'il pourra.

Vous ne pouvez enjeux faire, pour éviter les tracas, que de passer doucement les choses. Mais si elle était capable de correction, elle en mériterait de bonnes. Soulagez les autres comme vous pourrez, et croyez que vous, dans vos emplois, ni moi dans les miens, nous ne ferons pas tout ce que nous voudrions pour le bien, la paix et la perfection, car nous ne sommes pas maîtresses des esprits ni des coeurs. Il faut beaucoup de patience ; et pour cela prenez courage, sans vous inquiéter. Vous ne pouvez empêcher cette personne d'offenser Dieu, si elle veut mal faire. ,lais consolez celles qu'elle fait souffrir par ses emportements. Vous n'avez pas besoin de vous confesser d'avoir toléré le vice, puisque vous n'y pouvez point mettre de remède. Il faut beaucoup prier Dieu pour elle.

Vous ne ferez point contre la charité de faire connaître au confesseur de la Soeur converse les manquements qu'elle fait et la peine qu'elle donne aux autres, afin qu'il tâche de la corriger, si elle en est capable.

no 1790 A Mère Saint Placide, Paris, mercredi 18 mai 1690, (autographe).

Demandez donc sans cesse la conversion des pécheurs ; adressez-vous à la sainte Vierge *, lui représentant vos besoins ; vous y serez toujours bien reçues. Elle a grande compassion de nos misères et faiblesses.

Vous direz qu'ayant été prévenue elle ne les a pas expérimentées ; je crois que c'est ce qui lui donne plus de compassion pour nos infirmités ; elle est le refuge des pécheurs et la Mère de miséricorde.

no 1932 Conférence, 1672.

* Le dimanche dans l'octave de l'Assomption 1654, Mère Mectilde établissait la sainte Vierge, Abbesse perpétuelle de chaque monastère de son Institut. Cette "élection de Notre Dame Abbesse" se renouvelle chaque année dans nos maisons.

Connaissez par votre propre expérience le besoin que vous avez d'une profonde humilité. Prenez vos applications intérieures sur les souffrances et les humiliations de Notre Seigneur. Voyez-le dans les états de sa Passion et dans les mauvais traitements des pécheurs dans le très Saint Sacrement. Adressez-vous à la très sainte Vierge, demandez-lui humblement son secours, dites tous les jours le Magnificat les genoux nus en terre pour obtenir la force de vous abaisser et de vous corriger de votre attache à votre sens et de votre opiniâtreté ; vous verrez qu'elle vous donnera un grand secours.

n°283 A une Religieuse, rue Cassette.

Je ne saurais assez vous exciter à l'amour et à la confiance que vous devez avoir au très saint Coeur de la très sainte Mère de Dieu, sans crainte d'en être mal reçues, car elle ne rebute personne. Et ce qui doit le plus l'augmenter en nous c'est parce que l'Institut est sorti de son saint Coeur.

La très sainte Mère de Dieu est la cause du salut d'une infinité de pécheurs que ne l'eussent jamais été sans elle. Vous devez chacune lui demander la conversion d'un pécheur... Je vous raconterai à ce propos qu'un jour je vis un tableau fort grand où la très sainte Mère de Dieu était peinte à plusieurs endroits ; dans l'un, il y avait autour d'elle des petits moutons houssés, crottés, qu'elle décrottait ; dans un autre endroit, elle savonnait et blanchissait ces mêmes moutons qu'elle avait décrottés ; et dans un autre elle les parait et les enjolivait, ensuite elle les présentait à son Fils. Je vous laisse à penser si après cela ils n'étaient pas bien reçus !

C'est la gloire de Dieu qu'il y ait des pécheurs en qui il exerce son infinie miséricorde. Ce n'est pas que je veuille dire qu'il faille offenser Dieu pour le glorifier, ni autoriser les pécheurs dans leurs crimes, c'est seulement pour leur faire voir la bonté de Notre Seigneur, qui tire sa gloire de leur pardonner et qui est toujours prêt à les recevoir, quelque misérables et chargés de péchés qu'ils puissent être, afin qu'en étant persuadés ils ne désespèrent pas après être malheureusement tombés, mais qu'ils recourent à lui pour recevoir les effets de ses miséricordes infinies dans une amoureuse confiance. En cela je ne dis rien contraire aux sentiments de l'Église qui, considérant les grands biens que nous avons reçus par Jésus Christ, chante tous les ans le Samedi Saint : « O felix culpa », ô heureuse faute qui a mérité d'avoir un si grand Rédempteur ! O péché d'Adam que l'on peut dire, avec vérité, avoir été nécessaire, puisqu'il a été effacé par la mort de Jésus Christ !

no 1200 Conférence du 7 février 1695. Même conférence et textes parallèles in, J. Daoust, Catherine de Bar, Mère Mectilde du Saint Sacrement, Téqui, Paris, 1979.

CHAPITRE XXVIII DE CEUX QUI APRES AVOIT ETE SOUVENT REPRIS, NE SE CORRIGENT POINT

Si un frère, après avoir été fréquemment repris pour quelque faute et même après avoir été excommunié, ne s'amende pas, on lui infligera une correction plus rude, c.-à-.d. on procédera contre lui par le châtiment des verges. Que s'il ne se corrige pas encore, ou que, peut-être, enflé d'orgueil, ce que Dieu ne permette pas, il veuille même défendre sa conduite, l'abbé devra faire alors ce que fait un sage médecin : s'il a employé les fomentations et les onguents des exhortations, les remèdes des divines Ecritures, enfin la brûlure de l'excommunication et les coups de verge, et s'il voit que toute son industrie n'a rien obtenu, il devra employer alors un moyen plus efficace, sa prière et celle de tous les frères pour lui, afin que le Seigneur qui peut tout, rende la santé à ce frère malade. Mais si ce remède n'aérait point la guérison, l'abbé prendra alors le fer qui retranche, selon la parole de l'Apôtre : "Otez le mal d'entre vous ." Et encore : "Si l'infidèle s'en va, qu'il s'en aille ", de peur qu'une brebis malade ne contamine tout le troupeau.

Mes Soeurs, souvenez-nous de cette vérité effroyable qu'à l'heure de la mort, le Père Éternel nous dira : «Rends-moi compte de mon Fils». Hélas ! que répondrons-nous ? Rendre compte d'un Dieu à Dieu même ; non seulement de ses grâces, de ses dons et faveurs continuelles, mais de Dieu, des usages que nous avons faits de Jésus Christ, son Verbe. Ah ! mes Soeurs, il faut se pâmer de honte et mourir de douleur dans la vue du peu d'usage que nous en avons fait ! Car tous, tant que nous sommes, soyons dans la lumière de vérité : quel a été le profit de tant de communions ? Il n'en faut qu'une pour faire d'un grand pécheur un Jésus Christ. Oui, en somme, nous sommes, nous, des Jésus Christ...

11 se trouvera que nous l'avons rendu captif, empêchant par nos résistances ce qu'il opère en nous, ses desseins adorables que nous avons méprisés, son divin regard, pour nous regarder nous-même, négligé ses inspirations, faute d'application sur notre intérieur, nous amusant à regarder les actions d'autrui, à censurer celle-ci, à improuver cette autre. Bref, que nous l'aurons égorgé, nous opposant à sa vie divine dont il voulait nous faire vivre, pour vivre en nous-même, pour nous-même, de nos humeurs, de nos caprices. Choses effroyables, en vérité, faire froid à une de nos Soeurs, avoir de l'aversion pour l'une, de l'amitié pour l'autre. Et quoi ? le coeur de Jésus Christ que ,vous possédez par la sainte communion, n'est-il pas tout amour ? N'embrasse-t-il pas tout chacune ? C'est une chose que je ne puis comprendre, et je mourrai dans cette surprise qu'après une communion on puisse vivre de la sorte et que la force de la présence de Dieu ne puisse nous tirer de nos humeurs et de nos passions. Je le réitère en la présence de mon Maitre et vous le dis en son nom et de sa part : souvenez-vous que c'est une chose terrible de rendre compte à Dieu vivant de Dieu même. Faites-y de sérieuses réflexions car, après une vérité de cette force, il ne faudrait jamais plus avoir sujet de Chapitre ; si cela n'est capable de corriger, je dirai : «Si vous voulez croupir sur votre fumier, enfoncez-vous y ! Que celui qui est souillé, se souille encore plus !». Ce sont des paroles terribles de la Sainte Écriture.

no 2954 Chapitre.

CHAPITRE XXXI DES QUALITES QUE DOIT AVOIR LE CELLERIER DU MONASTERE

On choisira pour cellérier du monastère un des frères qui soit sage, d'esprit mûr, sobre, pas grand mangeur, ni hautain, ni turbulent, ni porté à l'injure, ni lent, ni prodigue, mais craignant Dieu, et qui soit comme un père pour toute la communauté.

Qu'il ait soin de tout ; qu'il ne fasse rien sans l'ordre de l'abbé ; qu'il exécute ce qui lui est commandé, qu'il ne contriste pas les frères. Si l'un d'eux vient à lui demander quelque chose qui ne soit pas raisonnable, qu'il ne l'attriste pas en le rebutant avec mépris, mais qu'il lui refuse avec raison et avec humilité ce qu'on lui demande mal à propos.

Qu'il veille à la garde de son âme, se souvenant toujours de cette parole de l'Apôtre : "Celui qui aura bien administré, s'acquiert un rang élevé ."

Il prendra un soin tout particulier des malades, des enfants, des hôtes et des pauvres, dans la conviction qu'au jour du jugement il devra rendre compte pour eux tous.

Il regardera tous les meubles et tous les biens du monastère comme les vases sacrés de l'autel. Qu'il ne tienne rien pour négligeable. Qu'il ne soit ni avare, ni prodigue, ni dissipateur des biens du monastère. Il fera plutôt toutes choses avec mesure, et conformément aux ordres de l'abbé.

Avant tout qu'il ait l'humilité et, s'il ne peut accorder ce qu'on lui demande, qu'il donne au moins une bonne réponse selon qu'il est écrit : "Une bonne parole vaut mieux qu'un don excellent ."

Il aura soin de tout ce que l'abbé lui aura prescrit, et il ne s'ingérera pas dans ce qu'il lui aura défendu. Il servira aux frères, sans hauteur ni délai, la portion qui leur revient, afin de ne pas les scandaliser, se souvenant du châtiment dont la parole divine menace celui qui aura scandalisé un des plus petits.

Si la communauté est nombreuse, il recevra des aides, afin que, assisté par eux, il puisse remplir sa charge l'âme en paix ! On donnera et on demandera aux heures convenables ce qui doit être donné et demandé, afin que personne ne soit troublé ni contristé dans la maison de Dieu.

La cellérière aura soin de lire souvent le chapitre de la Règle et des Constitutions qui traite de son emploi, et elle tâchera de s'y conformer fidèlement. Cérémonial.

S'il était permis à nos Soeurs de se dispenser de charges que la Religion impose, sans doute elles préféreraient le bonheur de se consommer; au pied de l'autel aux offices les plus honorables qu'on leur pourrait présenter. Mais comme notre saint Législateur établit différents emplois pour le bon règlement du monastère, elles sont obligées de recevoir celui que la volonté divine, signifiée par l'obéissance, leur imposera, et sans écouter les répugnances de la nature, s'y soumettre humblement en s'abandonnant à la discrétion de la Mère Prieure, qui les distribuera avec tant de prudence qu'aucune n'en demeure accablée.

Elle choisira pour cellérière celle qu'elle jugera capable de cette charge, et comme la Règle donne au cellérier la qualité de Père commun du monastère, elle doit porter celui de Mère, non par autorité ni élévation, mais par les vertus qui doivent accompagner ses actions. Elle ne se départira jamais des ordres et volontés de la Mère Prieure et tâchera d'y avoir en toutes choses un parfait rapport, n'entreprenant jamais quoi que ce soit sans sa permission.

Elle sera douce et affable en ses paroles, prévenante et de facile accès aux Soeurs et à toutes les personnes qui auront à traiter avec elle, se gardant bien d'en rebuter aucune, ou leur donner sujet de plaintes, ni de mal édifier qui que ce soit. Et pour bien réussir dans cet office et répandre partout la bonne odeur de Notre Seigneur Jésus Christ, la charité, l'humilité et l'obéissance seront la règle et la conduite de toutes ses actions.

Elle usera discrètement des biens qui seront confiés à ses soins pour l'entretien des Religieuses, et se gardera de l'esprit d'avarice et de celui de prodigalité, l'un et l'autre étant contraires à la sainteté de l'état religieux.

Constitutions.

Compatissez à celles qui souffrent dans leurs offices. Si elles excèdent leurs forces, vous pourrez bonnement avertir la Mère Prieure, mais n'entrez pas dans de petites compassions humaines, qui vous fassent trouver à redire à la conduite de l'obéissance. Elles ont plus de liberté que vous d'exposer leurs peines à la Mère Prieure. Pour vous, ne vous embarrassez point ; il ne faut point considérer ce qui [est] agréable dans les offices selon l'humain, mais plutôt le regarder dans l'ordre [de] Dieu et le recevoir humblement. Saint François de Sales dit : qu'«une bonne religieuse ne doit rien demander en fait de charge, ni ne rien refuser». Tenez-vous dans une sainte liberté d'esprit, sans vous empresser de rien : la paix de votre intérieur vous doit être plus précieuse que toutes les choses du monde.

Recevez donc humblement, sans rien dire, ce que l'obéissance vous donnera, comme si vous voyiez visiblement Notre Seigneur qui vous impose cette charge. Ne la considérez ni honorable, ni méprisable : tout est également excellent dans la volonté de Dieu.

no 3163 A Mère Saint Placide, rue Saint Louis, Paris, 1685 (autographe).

Si la Mère Prieure ne jugeait pas à propos d'accorder les demandes extraordinaires, la cellérière s'efforcera d'ôter à ce refus tout ce qu'il pourrait y avoir de pénible pour ses Soeurs. Elle leur dirait que ce n'est pas qu'on manque de charité, que ce n'est pas non plus qu'on ne croit pas à leur besoin, mais que c'est parce que la Règle, les Constitutions ou l'état présent de la maison ne permettent pas de faire tout ce qu'on voudrait bien.

Ainsi doit toujours se conduire la cellérière lorsqu'elle est obligée de refuser. Quand même on lui demanderait des .choses peu raisonnables, il faudrait encore qu'elle fût bonne, qu'elle se gardât d'attrister, de rebuter ses Soeurs. Elle devrait en pareil cas leur faire entendre avec humilité que ce qu'elles demandent ne peut être accordé. «Quand la cellérière ne peut pas donner ce qu'on lui demande, dit la sainte Règle, qu'elle donne au moins une réponse douce et agréable, parce qu'il est écrit qu'une parole douce agrée et plaît plus qu'un grand don».

Cérémonial.

La Mère Prieure donnera à la cellérière une ou deux Soeurs de choeur pour l'aider en sa charge...

La dépositaire doit avoir les biens du monastère en sa charge et en prendra soin comme un patrimoine de Jésus Christ, par lequel il fait subsister celles qui lui sont dévouées en qualité d'épouses et de victimes, qui ne vivent que pour l'adorer. Elle le conservera soigneusement pour en rendre compte premièrement à Dieu, et puis à la Mère Prieure.

Constitutions.

Sur toutes choses, en faisant l'aumône, séparez-vous de vous-même et de vos intérêts. N'envisagez jamais la récompense ; faites votre oeuvre pour le respect de Dieu et pour obéir à ses ordres ou à ses saintes inspirations ; et la meilleure disposition pour la bien faire, c'est de la faire en vue de Dieu et en son Esprit.

n 1387 A la comtesse de Châteauvieux.

Ne faites jamais aucunes affaires comme vôtres, mais faites-les comme les affaires de Jésus Christ, auxquelles vous êtes appliquée par son ordre et pour ses intérêts. Anéantissez tous les vôtres et, agissant dans cet esprit de dégagement, de déférence et d'adhérence à Jésus, vous trouverez votre sanctification au milieu de vos embarras et de toutes vos occupations ; et jamais vous ne serez empressée, parce que vous ne serez plus intéressée. Je vous supplie de bien peser cette vérité.

no 1862 A la comtesse de Châteauvieux.

J'ose vous assurer que Dieu est content de vos tracas, qui sont dans l'ordre de l'obéissance. Ne vous troublez plus d'aucune chose : Notre Seigneur vous bénira. Vous portez le poids et le joug de la sainte Religion par un travail continuel, qui est bien violent. C'est une bonne croix et une rude pénitence. Notre Seigneur en tirera sa gloire et votre sanctification. Tenez seulement votre intention vers lui, faisant tout parce qu'il le veut de la sorte. Évitez de tout votre possible le trouble et l'inquiétude ; c'est la chose qui vous nuit davantage et où vous devez travailler doucement.

n 1790 A Mère Saint Placide, Paris, mercredi 18 mai 1690 (autographe)

Nous enjoignons les officières d'être exactes à donner fidèlement aux pauvres ce qui aura été servi à l'honneur de la très sainte Vierge, parce que l'intention des institutrices de l'Institut a engagé les monastères, dès leur établissement, à faire cette aumône à l'honneur de la Mère de Dieu, qui la saura bien rendre au centuple. Et si Elle ne le rend pas en bénédictions, comme une chose qui lui est agréable, tenez pour certain que le manquement en viendra des officières, qui, sous prétexte d'épargner quelque chose, auront retranché ou diminué cette charité.

no 2349 Billet sur l'aumône du réfectoire.

116 CATHERINE DE BAR

CHAPITRE XXXIII SI LES MOINES DOIVENT AVOIR QUELQUE CHOSE EN PROPRE

Il faut particulièrement retrancher du monastère jusqu'à la racine ce vice de la propriété. Que personne n'ait donc la témérité de rien donner ou recevoir sans l'autorisation de l'abbé ; ni de rien posséder en propre, quoi que ce puisse être, ni livres, ni tablettes, ni stylet pour écrire, en un mot absolument rien : puisqu'il n'est même plus licite aux moines de disposer eux-mêmes ni de leur corps ni de leur volonté. Ils doivent espérer et attendre du père du monastère tout ce qui leur est nécessaire. Et personne ne pourra avoir quelque chose que l'abbé n'ait donné ou permis d'avoir.

Que tout soit commun à tous, ainsi qu'il est écrit . Que personne ne dise que quelque objet lui appartient, ni n'ait la témérité de se l'approprier. Si quelqu'un se complaisait en ce vice détestable, on l'admonesterait une et deux fois ; s'il ne s'amendait pas,-on le corrigerait.

Notre bienheureux Père fait assez connaître dans le trente troisième chapitre de sa Règle que son dessein est de former ses enfants sur le modèle de Jésus Christ, pauvre et dénué de toutes choses... L'on peut dire que notre grand Patriarche possédait parfaitement l'esprit de pauvreté, cette vertu évangélique, puisqu'il défend à ses enfants d'avoir quoi que ce soit en propre.

Journée religieuse.

Nos Soeurs feront souvent réflexion qu'ayant fait voeu solennel de pauvreté en se consacrant à Jésus Christ, elles ne doivent avoir aucune chose en propre, pour petite qu'elle soit.

Journée religieuse.

Pour moi, je vous assure que j'aime beaucoup à remercier Dieu des grâces, et l'on croirait quelquefois à me voir, à cause de cela, que je suis à la noce, lorsque je n'ai pas seulement de pain. Mais c'est que peu de choses me contente, et, pour mieux dire, je le suis toujours, car si ce n'est d'une façon c'est d'une autre, j'ai toujours sujet de remercier Dieu.

no 3124 Entretiens familiers, 13 avril 1696.

La véritable pauvreté est celle de l'esprit, dans laquelle Notre Seigneur fait consister notre bonheur et à laquelle il promet le royaume des Cieux. Saint Benoît ne pouvait mieux faire comprendre combien la pauvreté de ses enfants doit être parfaite et entière, lorsqu'il dit, dans sa sainte Règle, que le religieux ne doit pas même avoir son corps et sa volonté propre à sa disposition.

La religieuse qui n'a plus de volonté ne désire rien, ne demande rien et se contente de tout ce que la Religion lui donne, et, comme Dieu lui tient lieu de toutes choses, si elle a des désirs, c'est de faire sa sainte volonté et d'être la plus pauvre du monastère, pour avoir plus de rapport à Jésus pauvre et indigent sur la terre et d'être plus parfaitement dans l'esprit et la pratique de notre sainte Règle. Journée religieuse.

Mourez à tous vos petits désirs, à la propriété que vous pouvez avoir à des petites choses, qui ne sont pas mauvaises mais qui ne sont pas assez bonnes pour

A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 117

vous attacher, au préjudice... d'un dénuement total que vous devez avoir de vous-même, qui ne peut mieux réussir que sous les lois de la sainte obéissance.

n°581 A Mère Marie de Jésus Chopine, rue Cassette.

Toutes choses, selon la Règle, seront en commun dans le monastère, et personne n'aura rien en propre pour peu que ce soit, et, afin de bannir entièrement le vice de propriété, qui est l'entière destruction de la Religion, il n'est point permis aux Soeurs de recevoir, donner, prêter, emprunter, changer et disposer d'aucune chose sans la permission de la Mère Prieure.

Journée religieuse.

Gardez-vous bien de vous chagriner de votre extrême pauvreté : c'est un avantage très grand de la bien expérimenter. Cette lumière est si nécessaire qu'il la faut quasi toujours ressentir, pour nous bien persuader de notre néant par nos propres misères. Nous voulons bien les lumières du néant, mais nous refusons ce qui nous y abîme. Les impuissances, les indigences, l'extrême pauvreté sont les richesses du néant, parce que cela nous tire de nous-même pour nous laisser en Dieu.

Oh ! que vous seriez heureuse si vous pouviez bien agréer cette pauvreté, qui nous met dans un si grand dénuement !...

Ne vous affligez donc plus de votre pauvreté, quelque grande qu'elle puisse être.

no 2130 A Mère Saint Placide, rue Saint-Louis, ce lundi, 18 novembre 1686.

Il faut être généreuse pour se laisser mourir. La nature résiste naturellement à la mort, et l'esprit humain répugne de s'anéantir. Or l'anéantissement n'est autre chose qu'une mort mystique, c'est une opération qui détruit l'être corrompu du péché qui est en nous, fait prendre une vie nouvelle en Jésus Christ, comme dit saint Paul. Oh ! que cet anéantissement comprend de merveilles ! Je prie Notre Seigneur qu'il vous rende digne de l'expérimenter. Je finis dans la volonté de vous écrire davantage quand il plaira à Notre Seigneur m'en donner la grâce.

no 1664 A la comtesse de Châteauvieux.

Je vous dirai seulement, comme en passant, qu'une religieuse, par ce voeu, est si pauvre que ceux qui demandent l'aumône ne le sont pas tant, par raison que, si on lui donne un morceau de pain, il est libre, lui, de le donner à qui il veut, mais une religieuse ne peut pas seulement disposer d'une de ses portions pour la donner à une autre sans une expresse permission...

Voilà proprement ce que fait la pauvreté dans une âme : elle rafle tout et la dénue de manière qu'elle n'a plus rien, rien du tout, pas seulement le moindre appui ; autrefois, on avait encore un peu d'estime et de considération pour elle, elle avait quelques amis, mais la pauvreté a fait divorce et l'a dépouillée généralement de tout. Du temps passé de ma jeunesse, je croyais que tout le bonheur d'une âme, sa perfection et son élévation dans l'oraison, consistaient dans ce voeu, car rien ne peut l'arrêter ainsi dégagée, ni l'empêcher d'être toujours élevée à Dieu. Il n'y a plus rien qui l'occupe, Dieu se donne lui-même à ces âmes, et fait leur unique possession. Elles vivent sur la terre comme si il n'y avait que Dieu et elles.

n 950 Conférence, 1695.ccxviii

118 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 119

CHAPITRE XXXIV SI TOUS DOIVENT RECEVOIR EGALEMENT LE NECESSAIRE

On fera comme il est écrit : "On partageait à chacun selon ses besoins . » Par là. nous ne disons pas qu'on fasse acception des personnes -- ce qu'à Dieu ne plaise - mais qu'on ait égard aux infirmités. Celui qui a besoin de moins, rendra grâces à Dieu et ne s'attristera point celui à qui il faut davantage, s'humiliera pour son infirmité et ne s'élèvera point à cause de la miséricorde qu'on lui fait. Ainsi tous les membres seront en paix.

Avant tout, que jamais n'apparaisse le vice du murmure, pour quelque raison que ce soit, ni en parole, ni en un signe quelconque. Que si quelqu'un en est reconnu coupable, il sera soumis à une correction sévère.

Elles conserveront avec le plus de soin qu'il leur sera possible ce qu'on leur donnera pour leur usage particulier, considérant que toutes ces choses appartiennent à Jésus Christ...

Ce qui néanmoins ne doit pas empêcher qu'elles ne demandent leurs besoins... mais si les choses qu'elles demandent ne se peuvent trouver qu'avec difficulté, ou si on leur refuse tout à fait, elles souffriront ce refus et cette privation avec patience pour l'amour de Notre Seigneur, lui en faisant un sacrifice, se gardant bien de murmurer, ni intérieurement ni extérieurement, mais plutôt qu'elles s'en réjouissent, puisque c'est dans le manquement des choses nécessaires qu'elles sont plus véritablement pauvres et qu'elles ont plus de rapport à Jésus Christ.

Journée religieuse.

Nos Soeurs se souviendront de préndre les soulagements que l'obéissance leur donne dans l'esprit que notre sainte Règle le prescrit, quand elle dit que celui qui a plus besoin s'humilie, etc.

L'on doit désirer de compenser par la fidèle pratique des vertus ce qu'on ne fait pas des austérités de la Règle.

Journée religieuse.

Comme la Règle leur permet de représenter leurs besoins, elles le feront avec humilité, laissant à la Providence divine le succès de leur demande si la nécessité n'est point pressante. Elles feront aussi connaître à la Mère Prieure celles qui, par mortification, cacheraient leurs besoins, afin de donner à chacune ce qui est nécessaire. Mais si quelqu'une désirait quelque chose qui ne se pourrait trouver, elle tâchera d'en porter patiemment la privation pour l'amour de Notre Seigneur.

CHAPITRE XXXV DES SEMAINIERS DE LA CUISINE

Les frères se serviront mutuellement. Personne ne sera dispensé du service de la cuisine, sinon pour cause de maladie ou pour quelque occupation de grande utilité. Par cet exercice, en effet, on acquiert plus de mérite et de charité. On donnera des aides à ceux qui sont faibles, afin qu'ils s'acquittent de leur tâche sans tristesse. Tous auront ainsi des aides, selon que le demandera l'état de la communauté ou la situation du lieu.

Si la communauté est nombreuse, le cellérier sera exempté du service de la cuisine, ainsi que ceux qui, comme nous l'avons dit, sont occupés à des besognes plus utiles ; mais tous les autres se serviront mutuellement avec charité.

Celui qui doit sortir de semaine, fera, le samedi, les nettoyages. Il lavera les linges avec lesquels les frères s'essuient les mains et les pieds. Aidé de celui qui entre en service, il lavera les pieds de tous les frères. Il remettra au cellérier, propres et en bon état, les objets de son office. Le cellérier les passera à celui qui entre en semaine : il saura ainsi ce qu'il donne et ce qu'il reçoit.

Une heure avant le repas, les semainiers prendront chacun, en sus de la portion ordinaire, un coup à boire et du pain : de cette façon, au moment du repas, ils pourront servir leurs frères sans murmure et sans trop de fatigue. Mais les jours solennels, ils attendront jus-qu'après la messe .

Ceux qui entreront en semaine et ceux qui en sortiront, se prosterneront. dans l'oratoire, à la fin des Laudes du dimanche, aux genoux de tous, et leur demanderont de prier pour eux. Le sortant dira ce verset : "Soyez béni, Seigneur Dieu, qui m'avez aidé et consolé ." L'ayant dit trois fois , il recevra la bénédiction. Celui qui entre en charge lui succédera et dira : "0 Dieu, venez à mon aide, hât,z-vous de me secourir ." Ce verset avant été répété de même trois fois par tous les frères, il recevra la bénédiction et entrera en charge.

Bien que le travail de la cuisine paraisse stérile, n'ayant, ce semble, autre motif que de nourrir le corps humain, on le trouvera néanmoins rempli de grâces, si on le considère dans l'ordre que Dieu l'a établi, se souvenant des paroles de notre divin Maître lorsqu'il dit : «J'ai eu faim, vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif, vous m'avez donné à boire. » Pour avoir part à ce mérite, toutes les Soeurs du choeur serviront au réfectoire et à la cuisine ; aucune ne s'en dispensera sans la permission de la Mère Prieure.

Constitutions.

Non, mes Soeurs, ce n'est point les personnes que vous servez, c'est Jésus Christ. Ne le dit-il pas lui-même ? Donc, quand vous faites cuire la marmite ou que vous faites quelqu'autre chose, croyez fermement que vous apprêtez à manger à Jésus Christ. Quel honneur pour vous, mais quelle joie devez-vous avoir dans votre travail si vous croyez, comme il est véritable, que c'est pour sustenter Jésus Christ ! La très sainte Vierge a tenu à honneur de le servir, et saint Joseph a travaillé pour gagner sa vie... je suis certaine qu'une religieuse qui mourrait dans un acte d'obéissance et d'observance serait sauvée. Oui, si vous servez fidèlement et dans la vue de Dieu seul, vous pouvez lui dire avec justice à l'heure de votre mort : «Mon Seigneur, donnez-moi votre paradis, car je vous ai donné à manger».

Constitutions.

no 2954 Chapitre.

120 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 121

CHAPITRE XXXVI DES FRERES MALADES

On prendra soin des malades avant tout et par-dessus tout, les soignant comme s'ils étaient le Christ en personne, puisqu'il a dit : « j'ai été malade et vous m'avez visité ", et "ce que vous avez fait à l'un de ces petits, c'est à moi que vous l'avez fait ."

De leur côté, les malades doivent considérer que c'est en l'honneur de Dieu qu'on les sert. Aussi ils ne contristeront pas par des exigences superflues les frères qui s'occupent d'eux. Eventuellement, il faudrait cependant les supporter avec patience, parce qu'il en revient plus de mérite. L'abbé veillera donc avec très grand soin à ce que les malades ne souffrent d'aucune négligence.

On assignera aux infirmes un logis particulier, et, pour leur service, un frère craignant Dieu, diligent et soigneux.

On permettra aux malades l'usage des bains toutes les fois qu'il sera expédient ; mais on l'accordera plus rarement à ceux qui se portent bien, principalement aux jeunes. On concédera également aux infirmes tout à fait débiles l'usage de la viande afin de réparer leurs forces ; mais lorsqu'ils seront rétablis, ils s'en abstiendront tous, comme à l'ordinaire.

L'abbé veillera avec la plus grande sollicitude à ce que les cellériers et les infirmiers ne négligent pas les malades ; c'est lui-même, en effet, qui est responsable de tout manquement commis par ses disciples.

De tous les lieux de la maison, il n'y en a point où Jésus Christ se trouve plus présent qu'à l'infirmerie. C'est là où il souffre en la personne des religieuses malades, ses épouses.

Je ne parle point du choeur, qui est le «sancta sanctorum» où il réside réellement par le très Saint Sacrement, comme dans son trône. Mais il est à l'infirmerie sur sa croix ; c'est pourquoi il faut s'y comporter avec respect, et n'y rien faire ni dire qui pût tant soit peu l'offenser.

no 328 Pensées sur l'Institut.

J'ai connu aujourd'hui qu'il n'y avait point de moyen plus court et assuré pour aller à Dieu que la Croix, c'est-à-dire les souffrances de corps et de l'esprit. Les peines intérieures sont plus efficaces parce qu'elles détruisent en nous tout ce qui est impur et opposé à Dieu, mais celles du corps sanctifient aussi lorsque l'on en fait un bon usage.

no 2998 Diversités spirituelles.

Les malades et les infirmes prendront garde d'abuser de la charité et du soin que la Règle et les Constitutions recommandent que l'on ait pour elles, se rendant difficiles dans les services qu'on leur rend ou pour la nourriture et les remèdes.

Journée religieuse.

S'il faut que l'infirmière refuse aux malades ce qu'elles lui demandent, elle se rappellera que c'est ici surtout le cas d'observer ce que dit notre glorieux Père dans sa sainte Règle : «que lorsqu'on demande des choses qu'on ne peut pas donner, il faut les refuser avec des paroles douces, honnêtes et charitables, en sorte qu'on puisse se persuader que ce n'est que l'impuissance, la raison ou l'obéissance qui empêche de les accorder».

Cérémonial.

Puisque vos infirmités vous empêchent de faire des austérités et qu'elles ne vous permettent pas même de faire votre Règle, je m'en vais vous donner un moyen qui suppléera à cela, un moyen qui vous dédommagera des pertes que vos infirmités vous feront faire, si vous les pratiquez avec fidélité : c'est de vous rendre bien petite, bien humble. Tenez-vous au-dessous de tout le monde ; ne vous soutenez en rien ; cédez toujours.

Enfin, dans toutes les occasions pratiquez l'humilité ! Oh ! si vous saviez le plaisir que Dieu prend dans une âme humble, dans une âme qui se met à sa place !

n 2548 A une Religieuse en particulier.

Prenez la sainte patience pour votre exercice pratique ; elle est merveilleusement de saison. L'on doit la tenir dans ses mains parce que l'usage en est fréquent, et l'on peut dire qu'elle est de pratique à toute heure, tant pour les souffrances du corps que celles de l'esprit.

n 2520 Entretiens familiers, 2 mai 1695.

On ne peut, ma très chère Fille, entendre le récit de vos extrêmes douleurs sans verser des larmes ; toute la communauté en est touchée et voudrait vous pouvoir soulager ; elle prie Dieu pour vous de grand coeur, lui demandant sa grâce de soutenir, par sa force divine, les terribles souffrances qu'il lui plaît vous donner. Oui, ma très chère, c'est un ouvrage de sa sainte main, c'est lui qui vous blesse et qui fait une plaie cruelle selon la nature, mais qui vous rend par cette douleur la victime de son amour. Je vous regarde sur la croix, attachée et percée avec votre Époux. C'est par la souffrance que vous y avez rapport ; accompagnez, je vous prie, votre amour douloureux d'une humilité profonde, afin que rien ne manque à la perfection de votre sacrifice, sachant bien que cette précieuse vertu est nécessaire pour attirer les regards de Notre Seigneur sur nous... Tout mon désir est de vous voir au dedans et au dehors un objet de la complaisance divine, et que vous viviez et mouriez dans un si pur abandon de tout vous-même que Dieu seul vive et règne uniquement en vous.

no 2417 A une Religieuse de Toul.

122 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 123

Je suis fort touchée de vous savoir malade. Très chère, qu'avez-vous et qu'est-ce qu'il vous est survenu ? Si vous ne me le pouvez mander, faites-moi écrire au plus tôt, ou agréez, je vous prie, M.B. de vous aller voir pour moi et qu'il m'apprenne de vos nouvelles. Courage, tenez-vous ferme et tout abandonnée à Dieu. Je réponds de votre état, mais, par obéissance, ne croyez rien de ce que vous sentez en vous, sinon que Dieu est bon, que Dieu vous aime, qu'il pense à vous, qu'il est avec vous et qu'il vous tient sur son Coeur adorable : de cela je vous en réponds.

n0 n 1485 A une Darne de ses amies.

CHAPITRE DU LECTEUR SEMAINIER

La lecture ne doit jamais manquer à la table des frères. Il ne faut pas que, au hasard, quelqu'un s'empare du livre et fasse la lecture ; mais on désignera pour toute la semaine un lecteur qui entrera en fonction le dimanche. Avant de commencer sa semaine, après la Messe et la Communion, il demandera à toute la communauté de prier pour lui afin que Dieu daigne le préserver de l'esprit de vanité. A cet effet, tous diront trois fois dans l'oratoire ce verset après lui : "Seigneur, ouvrez mes lèvres et ma bouche annoncera votre louange ." Et ainsi ayant reçu la bénédiction, il entrera en fonction.

On gardera un silence parfait à table en sorte qu'on n'y entende aucun chuchotement, ni parole, mais seulement la voix du lecteur. Quant aux choses nécessaires pour la nourriture et la boisson, les frères se les serviront mutuellement de façon que personne n'ait besoin de rien demander. Si toutefois il leur manque quelque chose, ils le demanderont plutôt par quelque signe que par la parole. Que personne n'ait la hardiesse de faire à ce moment des questions sur la lecture ou sur quelque autre sujet, de peur de donner occasion (à la dissipation). Toutefois le supérieur pourra dire quelques mots pour l'édification, s'il le juge à propos.

Au reste, les frères ne liront et ne chanteront point chacun a son tour, mais ceux-la seulement qui peuvent édifier les auditeurs.

On fera toujours un peu de lecture avant que de commencer à manger, afin de nourrir l'âme avant le corps..., prenant garde de ne faire que le moins de bruit qu'elles pourront. Elles s'appliqueront à écouter la lecture autant qu'il leur sera possible, ayant plus de soin de nourrir leurs âmes que leurs corps… si la divine Providence permet que nos Soeurs manquent de quelque chose, elles doivent se réjouir d'avoir cela à offrir à Notre Seigneur, le remerciant de leur donner cette occasion de se mortifier.

Nos Soeurs d'elles-mêmes peuvent faire signe qu'on leur donne du pain, de l'eau, une cuillère ou couteau, si elles en manquaient ; ces choses étant nécessaires, elles les demanderont par humilité...

Mais si on s'aperçoit que quelqu'une manque de quelque chose, on fera doucement le signe à celle qui sert pour remédier à ce manquement. On observera au réfectoire un silence fort étroit.

Celles qui servent prendront garde d'y observer exactement le silence.

Journée religieuse.

CHAPITRE XLII QUE PERSONNE NE PARLE APRES COMPLIES

Les moines doivent s'appliquer au silence en tout temps, mais principalement pendant la nuit. C'est pourquoi, en toute saison, soit que l'on jeûne, soit qu'il y ait dîner, si c'est une époque où il y ait dîner, aussitôt après le repas du soir, les frères iront s'asseoir tous ensemble en un même lieu : l'un d'eux lira les Conférences ou les Vies des Pères ou quelque autre chose qui puisse édifier les auditeurs. On ne lira pourtant pas alors l'Heptateuque ou les Livres des Rois parce qu'il ne serait pas bon pour les esprits faibles d'entendre, a cette heure-là, cette partie de l'Ecriture. On pourra la lire à d'autres moments.

Donc, en période de jeûne, après le chant des Vêpres, suivi d'un court intervalle, les frères se rendront promptement a la lecture dont nous avons parlé. On lira quatre ou cinq feuillets, ou autant que l'heure le permettra, tandis que tous s'empressent de rejoindre la réunion pendant la durée de cette lecture, y compris ceux qui auraient été occupés à quelque obédience.

Tous étant ainsi assemblés, on récitera Complies. Au sortir de cette Heure, il ne sera plus permis à personne de dire quoi que ce soit. Si quelqu'un viole cette règle du silence, il sera puni rigoureusement : on excepte les cas urgents d'hospitalité ou un ordre de l'abbé. Mais, même en ces circonstances, tout se fera avec une extrême gravité et une parfaite retenue.

Notre bienheureux Père saint Benoît est le premier qui marque distinctement l'Office de Complies...

L'ordre de Complies s'explique de lui-même. La brève leçon a tiré son origine de la lecture à laquelle les religieux s'assemblaient suivant l'ordonnance de la sainte Règle, comme nos Soeurs le font aujourd'hui.

...Les Soeurs tâcheront de prévoir si bien tout ce qu'elles ont à dire aux heures destinées pour cela, qu'elles ne soient pas obligées de dire une seule parole, ni d'en faire dire aux autres par leur faute aux heures indues, surtout pendant le grand silence, qui est depuis Complies jusqu'au ePretiosee de Prime du lendemain, et l'heure qui suit en tout temps la récréation d'après de dîner...

Elles demanderont les choses dont elles auront besoin, tant pour elles que pour leurs offices dans le temps et la manière qu'il est ordonné, et si elles avaient oublié quelque chose nécessaire, elles ne la demanderont point pendant le silence sans permission. Pour les autres temps elles pourront le faire en peu de mots et fort bas...

Quant à l'égard des choses qu'on n'aurait pu prévoir... on pourra le demander même dans les temps du grand silence ; mais il faut se souvenir lorsqu'on sera obligée de parler dans ces occasions de le faire toujours si bas, qu'il n'y ait que celle à qui on parle qui le puisse entendre.

Journée religieuse.

111

Cérémonial.

CHAPITRE XLIII DE CEUX QUI ARRIVENT EN RETARD A L'OEUVRE DE DIEU OU A LA TABLE

A l'heure de l'office divin, aussitôt le signal entendu, on quittera tout ce qu'on a dans les mains, et l'on se hâtera d'accourir, avec gravité néanmoins afin de ne pas donner aliment à la dissipation. Que rien donc ne soit préféré à l'OEuvre de Dieu.

A la table, celui qui n'arrivera pas avant le verset, de façon que les frères puissent le réciter tous ensemble avec la prière et se mettre à table en même temps : si c'est par négligence ou par sa faute qu'il n'est pas arrivé à temps, il sera repris jusqu'à deux fois. Si ensuite il ne s'amende pas, il ne pourra plus participer à la table commune, mais il prendra son repas tout seul, séparé de la compagnie de ses frères et privé de sa portion de vin, jusqu'à ce qu'il ait satisfait et qu'il se soit corrigé. On traitera de la même manière celui qui ne se trouvera pas au verset qu'on dit après le repas.

Nul ne se permettra de manger ou de boire quoi que ce soit, avant ou après l'heure fixée pour le repas. S'il arrive que le supérieur offre quelque chose à un frère et que celui-ci ne l'accepte pas, lorsqu'il viendra à désirer ce qu'il avait d'abord refusé ou quelque autre chose, on ne lui accordera absolument rien jusqu'à ce qu'il ait fait une satisfaction convenable.

Lorsque nos Soeurs entendront sonner l'Office divin, elles quitteront tout ce qu'elles font pour s'y rendre promptement, comme l'ordonne notre glorieux Père saint Benoît qui dit qu'on ne doit rien préférer à l'Office divin si l'obéissance ne les en retire.

Journée religieuse.

Rendez-vous fidèles à vos observances ; au premier coup de la cloche quittez tout avec amour et ferveur, car ne croyez pas que celles qui attendent toujours le dernier coup, qui écoutent leur lâcheté, soient récompensées comme celles qui étant fidèles à la voix de Dieu qui les appelle, quittent promptement tout pour lui obéir.

no 1735 Conférence, 1694.

Quant à celle qui manque à se trouver au réfectoire, tant à la première qu'à la seconde table, par pure négligence et par sa faute, elle mériterait d'être privée de bénédiction...

L'on ne doit point manger hors les heures ordonnées sans une permission expresse de la Mère Prieure.

Journée religieuse.

CHAPITRE XLV DE CEUX QUI FONT DES FAUTES DANS L'ORATOIRE

Lorsque quelqu'un se trompe en récitant un psaume, un répons, une antienne ou une leçon, s'il ne s'en humilie point sur place, devant tout le monde, en faisant satisfaction , il sera soumis à une correction plus sévère : c'est qu'en effet il n'a pas voulu corriger par un acte d'humilité la faute qu'il a commise par sa négligence. Les enfants, pour ces sortes de fautes, seront frappés de verges.

Celles qui en chantant, en psalmodiant au Choeur, se méprendront, ou feront quelque faute, qui fera de la confusion ou du désaccord, elles y satisferont conformément à ce qui est ordonné dans la Règle.

Cérémonial.

CHAPITRE XLVI DE CEUX QUI MANQUENT EN QUELQUE AUTRE CHOSE

Lorsque un moine dans un travail quelconque à la cuisine, au cellier, dans un service, à la boulangerie, au jardin, dans l'exercice d'un métier, ou en quelque lieu que ce soit, vient à faillir, à briser ou à perdre quelque chose, ou à commettre un autre délit, il ira aussitôt s'en accuser spontanément devant l'abbé et la communauté . S'il ne le fait pas et que son manquement soit connu par un autre, il subira une peine plus sévère.

Mais s'il s'agit d'un péché secret de l'âme, il le manifestera seulement à son abbé ou aux pères spirituels , qui sachent guérir et leurs propres plaies et celles des autres sans les découvrir ni les publier.

Il faut faire toutes vos actions dans la vue de Dieu. Gardez-vous bien d'en faire aucune par coutume et, quelque petite qu'elle soit à vos yeux, souvenons-nous que tout ce qui est dans la Religion est grand ; et partant l'on doit avoir respect et vénération pour tout, puisque c'est l'esprit de Dieu qui a inspiré toutes ces choses à notre saint Législateur pour notre sanctification. Il n'y a pas une seule observance qui ne porte sa grâce. Le Chapitre, par exemple, est pour nous purger des fautes qui ne sont pas matière de confession, à raison qu'elles ne causent pas une contrition capable d'en recevoir l'absolution... Il faut donc s'en accuser avec douleur en sa sainte présence, puisque c'est lui-même qui y préside, ainsi qu'il le fit voir un jour à sainte Gertrude.

no 527 Chapitre.

Mes Soeurs, le Chapitre vous doit être un renouvellement de vie, et il doit opérer dans vos esprits la grâce d'une nouvelle ferveur pour vous corriger des fautes dont vous vous accusez. Je suppose que vous le faites avec esprit, c'est-à-dire avec douleur d'avoir déplu à Dieu par telles infidélités et, en sa sainte présence. Puisque, comme je vous en ai dit, c'est Notre Seigneur qui préside au Chapitre, ne regardez que lui, mes Soeurs_ Voyez-le uniquement et faites cette action de telle sorte que vous méritiez de sa bonté la grâce de vivre avec plus de pureté.

Je prends grand plaisir de vous entendre accuser des plus petites fautes, non qu'il y ait rien de petit aux yeux d'un Dieu si saint, mais cela marque que vous voulez vous en corriger.

Il est bon à la sortie du Chapitre, de faire une petite réflexion sur les défauts dont vous vous êtes accusées afin d'être plus sur vos gardes pour ne les plus commettre.

Il faut, mes Soeurs, ce renouvellement à tous moments, et entrer tous les jours en nouveauté de vie, comme dit l'Apôtre, et vous souvenir que toutes vos actions sont comptées devant Dieu. Que si elles ne sont trouvées remplies en sa présence, elles vous seront sujet de condamnation.

no 2677 Chapitre du vendredi de la Passion, 1663.

Vous savez bien ce que Dieu veut de vous. Soyez fidèles aux lumières qu'il vous donne. Voyez en quoi vous manquez et les fautes les plus ordinaires auxquelles vous tombez, pour vous corriger... Faisons aujourd'hui une sérieuse réflexion sur les fautes auxquelles nous sommes inclinées ; voyons-en la cause, qui ne peut être qu'une superbe qui nous pousse toujours à nous élever et maintenir et nous fait croire que nous avons raison et jamais nous ne nous donnons le tort. Il faut aujourd'hui, mes Soeurs, donner lieu à la grâce d'opérer.

no 1711 Chapitre, à une jeune Professe.

CHAPITRE XLVII DE LA CHARGE D'ANNONCER L'OEUVRE DE DIEU

La charge d'annoncer l'heure de !'Ouvre de Dieu aussi bien le jour que la nuit, incombe à l'abbé. Il l'exercera lui-même, ou la confiera à un frère si ponctuel que l'office se fasse toujours aux heures prescrites.

Ceux qui en auront reçu l'ordre, entonneront psaumes et antiennes, à leur rang, après l'abbé. Personne n'aura la présomption de chanter ou de lire s'il ne peut s'acquitter de cette fonction de manière à édifier les assistants. Celui qui en aura reçu faculté de l'abbé le fera avec humilité, gravité et crainte de Dieu.

Toutes les Soeurs Professes du Choeur officieront leur semaine, si elles ont capacité de voix pour s'en acquitter à l'édification des assistants, selon le précepte de la sainte Règle...

Les officiantes ne se dispenseront jamais de faire leur devoir pendant leur semaine, se souvenant que rien ne doit être préféré à l'oeuvre de Dieu, au sentiment de notre bienheureux Père.

Cérémonial.

CHAPITRE XLVIII DU TRAVAIL MANUEL DE CHAQUE JOUR

L'oisiveté est ennemie de l'âme. Les frères doivent donc consacrer certaines heures au travail des mains et d'autres à la lecture des choses divines. C'est pourquoi nous croyons pouvoir régler l'une et l'autre de ces occupations de la manière suivante :

De Pâques au 14 septembre , les frères sortiront dès le matin pour s'employer aux travaux nécessaires, depuis la première heure du jour jusqu'à la quatrième environ ; depuis la quatrième jusque vers la sixième, ils s'adonneront à la lecture.

Après la sixième heure, leur dîner fini, ils se reposeront sur leurs lits dans un parfait silence. Si quelqu'un veut lire, il pourra le faire, pourvu qu'il n'incommode personne . On dira None plus tôt qu'à l'ordinaire, environ à la huitième heure et demie. Après quoi, ils se mettront de nouveau à l'ouvrage jusqu'aux Vêpres.

Si les frères se trouvent obligés, par la nécessité ou la pauvreté, à travailler eux-mêmes aux récoltes, ils ne s'affligeront point ; c'est alors qu'ils seront vraiment moines, lorsqu'ils vivront du travail de leurs mains, à l'exemple de nos pères et des Apôtres. Que tout néanmoins se fasse avec modération, par égard pour les faibles.

A partir du 14 septembre jusqu'au commencement du Carême, les frères vaqueront à la lecture (depuis le matin) jusqu'à la fin de la deuxième heure ; puis on dira Tierce. Ensuite, ils travailleront jusqu'à la neuvième heure à l'ouvrage qui leur aura été enjoint. Au premier coup de None, ils quitteront tous leur travail de façon à être prêts quand le second coup sonnera. Après le repas, ils s'appliqueront à leurs lectures ou à l'etude des psaumes.

Durant tout le Carême, ils s'occuperont à la lecture depuis le matin jusqù.'à la fin de la troisième heure ; ils travailleront ensuite jusqu'à la dixième heure entière.

En ces jours de Carême, on donnera à chacun un livre tiré de la bibliothèque, qu'il lira à la suite et en entier. Ces livres seront distribués au début du Carême. On ne manquera pas de nommer un ou deux anciens, qui parcourent le monastère aux heures consacrées à la lecture. Ils examineront s'il ne se trouve pas quelque moine paresseux, perdant son temps à l'oisiveté ou au bavardage, au lieu de s'appliquer à la lecture : et qui ainsi, non seulement se nuit à lui-même, mais dissipe les autres. Que si, à Dieu ne plaise ! un frère est surpris en cette faute, on le reprendra jusqu'à deux fois. S'il ne s'amende point, on le soumettra à la correction régulière, de façon à inspirer de la crainte aux autres.

Un moine ne se joindra pas à un autre aux heures indues.

Le dimanche, tous vaqueront à la lecture, excepté ceux qui sont employés à divers offices. Si toutefois quelqu'un était si négligent et paresseux qu'il ne voulût ou ne pût ni méditer ni lire, on l'appliquera à quelque travail, afin qu'il ne demeure pas oisif Quant aux frères infirmes ou délicats, on leur donnera tel ouvrage ou métier qui les garde de l'oisiveté, sans les accabler ni les porter à s'esquiver. L'abbé doit avoir leur faiblesse en considération.

Voyez si vous n'avez pas plus d'empressement pour le travail que pour votre perfection. En sortant du choeur, n'allez pas vous y mettre avec tant d'activité. N'estimez les choses qu'autant que Dieu en fait cas.

no 315 Conférence.

La Mère Prieure et la Maîtresse des Novices auront égard de donner à chacune des Soeurs un travail proportionné à leurs forces, et mettront si bon ordre que pas une, selon la sainte Règle, ne demeure oisive...

Elles s'y emploieront, par soumission à l'ordre de Dieu, en esprit d'humilité, de pénitence et de pauvreté, pour se conformer à notre adorable Sauveur... les saints Apôtres nous ont laissé le même exemple... les saints Pères des déserts en ont fait de même. Enfin notre glorieux Patriarche nous l'ordonne si expressément que nous n'y pouvons manquer sans infidélité...

Comme nos Soeurs ne doivent rechercher en toutes choses qu'à faire la volonté de Dieu, elles prendront bien garde de suivre leur inclination dans le choix de leur travail, non plus que dans les autres choses, ni d'en faire aucun de leur propre volonté, mais elles s'occuperont à ce qui leur sera marqué par l'obéissance, comme si Dieu même le leur avait ordonné...

Elles se souviendront que le travail corporel est un des principaux exercices de la vie monastique, recommandé expressément dans notre sainte Règle et pratiqué anciennement par tous les Pères des déserts, et encore aujourd'hui dans les monastères bien réglés...

Toutes celles qui auront zèle et affection pour notre sainte Règle contribueront de tout leur possible à ce que toutes les choses nécessaires à l'usage de la Communauté se fassent dans le monastère, comme notre glorieux Père saint Benoît nous le recommande si expressément.

Journée religieuse.

La Mère Prieure, conformément à la sainte Règle, donnera au commencement du Carême des livres de lecture aux Soeurs.

Journée religieuse.

Nos Soeurs s'occuperont plus particulièrement à la lecture les dimanches et les fêtes que l'Église nous oblige de sanctifier. Ce qui ne se fait pas seulement en cessant de travailler, mais en s'occupant davantage de Dieu par de bonnes oeuvres, soit en méditant, ou s'employant à la prière, à la lecture spirituelle...

Il est permis, pendant le travail d'obligation, de lire, une fois ou deux, quelques pages de l'Imitation de Jésus Christ ou dans notre sainte Règle ou autre livre, quand on en a besoin pour se recueillir.

Journée religieuse.

Il ne faut pas négliger la lecture des livres, mais il les faut lire en simplicité et en esprit d'oraison, et non par une recherche curieuse. On appelle lire de cette façon quand on laisse imprimer dans son âme les lumières et les sentiments que la lecture nous découvre et que cette impression se fait plutôt par la présence de Dieu que par notre industrie.

no 544 Conférence.

La lecture est excellente, mais il la faut faire en esprit d'oraison, sans aucune curiosité et sans activité, vous abandonnant à la grâce contenue dans les livres que vous lisez, écoutant plus Dieu dans le fond de votre âme que dans le beau discours des livres. Il y a peu d'âmes qui lisent chrétiennement, mais il y en a beaucoup qui lisent comme les philosophes, curieusement ; n'ayez plus de désir de rien savoir que Jésus Christ.

no 711 A la comtesse de Rochefort.ccxix

Le livre de la dévotion du Sacré-Coeur de Jésus est plein d'onction. Je crois qu'il aura opéré de grandes grâces dans votre intérieur. Priez ce Coeur adorable de convertir le mien et que je sois toute à lui avant que de mourir.

n 2930 A Mère Saint Placide, rue Saint Louis, ce 13 octobre 1692.

Pour votre oraison, ma pensée serait de vous abandonner absolument au trait de la grâce et vous laisser à Jésus Christ pleinement, vous servant pour votre lecture du Chrétien Intérieur, du Trésor spirituel et de la Vie de Monsieur de Condren.

Si vous voulez, avant que d'entrer en solitude, voir le Révérend Père Hayneuve ; vous le pouvez.

n 1245 A la comtesse de Rochefort.

Jean de Bernières, le Chrétien intérieur. 1672.

Jean Delacroix, Thrésor spirituel, contenant les obligations que nous avons de nous disposer à la mort, et les règles nécessaires pour vivre en parfait confrère de la dévote et illustre confrérie des agonisants. Valenciennes, 1668.

Charles du Bois de Condren, né le 15 décembre 1588 à Vaubuyn près de Soissons, fut ordonné prêtre le 17 septembre 1614. Admis à l'Oratoire le 17 juin 1617, il en était élu supérieur général le 30 octobre 1629. Le Père de Condren mourut le 7 janvier 1641.

Le Père Denis Amelote a écrit une vie du Père de Condren parue en 1645, à Paris (cf. Catholicisme, t. II, col. 1482 - 1484).

Julien Hayneufve naquit le 3 septembre 1588 à Laval (diocèse du Mans). Il entra en 1608 dans la Compagnie de Jésus. Après avoir rempli des fonctions de professeur dans divers collèges de la Compagnie, on le trouve à Paris en 1632 jusqu'en 1647, puis de 1659 à sa mort, le 31 janvier 1663. (cf. Dictionnaire de Spiritualité, fasc. XLIV, col. 97 - 107).

Aidez-vous de la lecture, recommençant à lire Le Sacré Palais de l'Amour divin, qui traite du néant. Lisez-le avec attention : il vous sera utile.

n 2354 A Mère Saint Placide, rue Saint Louis, 20 juillet 1685 (autographe).

Laurent de Paris, le Palais d'amour divin de Jésus et de l'âme chrétienne où toute personne religieuse et séculière apprend à aimer Dieu en vérité. Paris, 1602, réédition augmentée en 1626

CHAPITRE XLIX DE L'OBSERVANCE DU CAREME

La vie d'un moine devrait être, en tout temps, aussi observante que durant le Carême. Mais, comme il en est peu qui possèdent cette perfection, nous exhortons tous les frères à vivre en toute pureté pendant le Carême, et à effacer, en ces jours sacrés, toutes les négligences de l'année. Ce que nous ferons dignement, si nous nous préservons alors de tous dérèglements, si nous nous appliquons avec larmes à la prière, à la lecture, à la componction du coeur et au renoncement.

En ces jours donc, ajoutons quelque chose à la tâche accoutumée de notre service : oraisons particulières, restriction dans les aliments et la boisson. Chacun offrira spontanément à Dieu, dans la joie venant de l'Esprit Saint, quelque pratique surérogatoire ; il retranchera à son corps sur la nourriture, la boisson, le sommeil, les entretiens, la plaisanterie ; et il attendra la sainte Pâque avec l'allégresse du désir spirituel.

Chacun cependant soumettra à son abbé ce qu'il se propose d'offrir à Dieu et n agira qu'avec son approbation et sa prière : car tout ce qui se fait sans la permission du pére spirituel sera imputé à présomption et à vaine gloire, non à mérite. Partant, que tout se fasse avec l'assentiment de l'abbé.

La sainte Église est si bonne mère qu'elle dispose toutes choses pour le bien de ses enfants ; et comme elle sait que la connaissance de nous-même nous est tout à fait nécessaire pour aller à Dieu, elle a ordonné très saintement la cérémonie qui se pratique aujourd'hui dans l'Église. Elle veut que l'on nous mette des cendres sur la tête, et que l'on nous avertisse que nous ne sommes que poudre et cendre. Remarquez qu'elle ne se contente pas que cela se fasse une seule fois, mais veut qu'on la renouvelle tous les ans, tant il est important que nous soyons persuadés que nous ne sommes rien...

La pénitence est un don de Dieu et une grâce qu'il [Jésus] nous a méritée par sa pénitence divine...

Concevez ce que je vous dis sur ce délaissement et privation de Jésus de la part de son Père, duquel il est inséparable quant à la partie supérieure de son âme ; mais pour l'inférieure, elle a porté des privations et délaissements tels que les saints Pères disent que l'on ne connaîtra qu'au jour du jugement les terribles peines qu'il a souffertes dans le désert. Tenons-nous y à ses pieds et le supplions de nous donner part à son esprit de solitude et de pénitence. C'est de sa charité divine que nous devons attendre la grâce d'une véritable pénitence, qui ne consiste pas tant à jeûner et à se macérer, quoique ce soit chose très bonne, comme à mortifier l'esprit propre, attaché à son sens, et à observer un silence exact et garder une profonde solitude.

no 1922 Chapitre du jour des Cendres, 1663.

Ce temps est deStiné à la pénitence : prenez votre état comme celle que Dieu veut de vous : patience en la vue de votre malice... Retenez doucement les rênes de l'inquiétude par l'abandon. Dieu se glorifiera dans votre peine, mais attendez en patience, faites le signe de la croix fréquemment. J'y ai grande foi et je sais son efficacité en pareilles dispositions.

n 1866 A une Religieuse, rue Cassette.

Ne vous tourmentez point pour les pénitences : la divine Providence y pourvoira suffisamment ; soyez libre, sans attache à rien, mais toujours prête à ce qu'il plaira au Seigneur vous envoyer ; ne recevez rien de la part des créatures, mais comme venant toujours de Dieu, afin que vous demeuriez en lui dans les déplaisirs qui surviennent.

n° 359 A une Religieuse du second monastère de Paris.

Je vous conseille de devenir humble, douce, patiente, en sorte que votre intérieur soit humilié ; cela ne se ressent pas dans votre fond, l'âme a de la propre excellence et de l'élévation, et n'est-ce pas ce que vous devez craindre ? J'approuve la présence de Dieu, mais il faut qu'elle vous porte aux pratiques chrétiennes et morales. Voilà ce que je puis vous dire. La pénitence que Dieu veut de vous c'est que vous deveniez humble.

n° 700 A une Religieuse, rue Cassette.

Je n'ai pas de mouvement de vous donner les pénitences que vous désirez ; j'aimerais bien mieux que vous voulussiez prendre à tâche de vous humilier. Je vous conseille de vous occuper durant ce saint temps des souffrances de Notre Seigneur, de ses états d'abaissement et d'anéantissement ; prenez-en la pratique un peu à tâche, et ne passez aucun jour que vous ne remportiez quelque chose sur votre orgueil.

n 1788 A une Religieuse de l'Institut.

Il faut faire pénitence toute votre vie : pour vous, pour moi, et pour tous les pécheurs. Mais comme vous n'êtes pas capable de faire de grandes choses, il faut vous humilier profondément et unir le peu que l'obéissance vous permettra aux souffrances de Jésus...

Soyez tout à Jésus sans réserve. En vérité, il n'y a que cela à faire : tout le reste n'est rien. Allez à lui le plus généreusement que vous pourrez ; vous n'aurez pas assez de temps pour l'aimer ; prenez-en une sainte habitude et ne vous en désistez jamais.

no 526 A une Religieuse, rue Cassette.

Je veux bien que vous fassiez quelques pénitences, mais discrètement. Vous n'aurez point plus de discipline dans ce saint temps de Carême que la communauté. Je vous ai, ce me semble, réglé quelques pénitences dans votre dernier billet que je vous écrivais il y a peu ; je ne sais si vous l'avez reçu ; vous prendrez les trois jours gras, etc... Ne vous privez point de fruits ; vous avez besoin d'un peu de rafraîchissement, prenez aussi du vin avec votre eau.

no 1237 A Mère Saint Placide, rue Saint Louis.

Portons toujours avec nous une petite serpette pour couper cette parole, trancher ce regard, vaincre cette saillie, et petit à petit, sans beaucoup de peine, nous viendrons à croître. Il est bien plus aisé de rompre et d'arracher au commencement un petit arbrisseau que d'attendre qu'il ait de fortes racines et un gros tronc.

Je ne vous dis pas de grands mots qui vous éprouveraient, comme : de mort continuelle et de grande mortification. Vous me diriez : «Comment est-il possible de mourir et se renoncer sans cesse ?» Mais il est plus doux de vous dire : «Retranchez, sapez, coupez», et, à la suite, vous verrez que Dieu bénira votre petit travail. C'est à quoi je vous exhorte.

n 2602 Conférence du 26 avril, 4e dimanche après Pâques.

Ma très chère Soeur, je ne puis vous donner de pénitences corporelles, mais je vous ordonne, à leur place, de bien crucifier vos humeurs, vos inclinations et tout ce qui n'est point dans le bon ordre de l'Esprit de Jésus en vous.

Vous lisez des merveilles dans le Chrétien intérieur, et vous voyez qu'elles vous servent. Continuez et en faites le sujet de vos oraisons.

Tâchez de vous guérir par patience, et ne souffrez du froid que le moins que vous pourrez. Mangez et vous tenez joyeuse, car, pour bien servir Dieu, il faut une sainte liberté d'esprit qui procède d'un coeur dégagé.

n 1189 A une Religieuse, rue Cassette, Rouen, octobre 1677.

Je ne vous crois pas en assez bonne santé pour vous permettre les pénitences que vous demandez. C'est pourquoi travaillez à deux ou trois choses nécessaires : la première, à bien connaître votre néant ; la seconde, à bien vous séparer de vous-même et des créatures ; et la troisième, à vous revêtir de Jésus Christ. Je sais bien que ces trois points renferment la perfection, et qu'on ne peut l'avoir tout d'un coup sans miracle. Tendez à les pratiquer de tout votre coeur, édifiant [fortifiant] votre âme par la douceur et l'humilité. Faites-vous petite en toutes choses. Si vous êtes fidèle à cela, vous verrez combien Notre Seigneur vous fera miséricorde.

n 1232 A Mère Marie de la Présentation de Beauvais, Religieuse, rue Cassette.

Nous ne vous donnons aucune austérité corporelle. Prenez les fatigues de vos emplois pour votre pénitence de ce saint temps et votre pratique intérieure doit être la fidélité que vous marquez dans votre billet sur les petites occasions de mortification que la divine Providence vous envoie. Elle ne vous manquera pas. Suivez-la amoureusement et respectueusement en esprit de foi.

Pour votre intérieur, tenez-le recueilli sans adhérer à la curiosité de l'esprit humain. Soyez courageuse pour Dieu et tâchez de vous abandonner toute à lui. Allez à Notre Seigneur comme un petit enfant tout plein de confiance. C'est votre Père et qui vous aime en vérité. Abstenez-vous des paroles inutiles pendant ce saint temps, pendant la journée. Entre-édifiez-vous l'une l'autre et que la charité règne dans votre coeur comme la souveraine de toutes les vertus.

n 1388 A une Religieuse, rue Cassette.

Nous vous permettons telles pénitences... Je vous prie que le tout se fasse avec esprit, sans quoi il n'y aurait pas d'utilité pour votre âme. Je n'y ajoute rien, sinon la retenue des yeux, des oreilles et de la langue. Quand ces trois choses sont bien mortifiées dans une âme religieuse, elle marche dans le sentier de la sainteté. Souvenez-vous toujours des promesses que vous avez faites à Notre Seigneur ; soyez fidèle à ses divines paroles. Il vous dit : «Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur». Vous le serez dans vos paroles et vos actions. Ne vous découragez pas, mais ayez un peu de zèle pour aimer Notre Seigneur, qui vous donne tous les jours des marques de son amour. Marchez en sa présence et vous serez parfaite.

no 3005 A une Religieuse, rue Cassette.

Nous vous permettons de faire telle pénitence qu'il vous plaira, à votre dévotion. Au lieu des grandes austérités que Dieu n'exige pas de vous, soyez humble et faites-en les actions selon vos forces, avec l'agrément de l'obéissance, que vous pouvez demander à votre Mère Maîtresse. Chérissez les observances communes mille fois plus que tout ce que votre esprit vous porte à faire dans le particulier. N'affectez rien de singulier. Souvenez-vous que Notre Seigneur aime mieux l'obéissance que le sacrifice. Ne préférez rien à cette précieuse vertu.

n 2391 A Soeur Françoise de Sainte Thérèse du Tiercent, rue Cassette, décembre 1674.

La plus grande pénitence que vous puissiez faire dans ce saint temps [de Carême], c'est de porter vos croix avec soumission, avec foi et confiance. Je sais qu'il faut des miracles pour vous tirer de l'abîme terrible où vous êtes, mais la très sainte Mère de Dieu s'en mêlera. Continuez de la prier et d'y avoir une parfaite confiance, par son Immaculée Conception.

n 3136 A Mère Saint Placide, rue Saint Louis, ce mardi soir 28 février 1696.

Le mot de Pâques nous signifie un passage : l'Église fait mémoire de la sortie des enfants d'Israël de leur misérable captivité. C'est donc la fête des âmes régénérées du péché à la grâce, et c'est la fête du passage de Jésus Christ dans notre âme et notre âme en Jésus Christ. C'est dans votre âme qu'il veut opérer ce grand mystère et vous communiquer une vie divine et éternelle pour jamais, si vous êtes fidèle.

Voici comme il faut que vous correspondiez à cette grâce : premièrement, purifiant votre coeur de toutes les imperfections volontaires et de tout ce qui peut faire obstacle à l'effet de cette grâce. Secondement, il faut dégager votre âme de toutes les recherches, de vos satisfactions, de vos intérêts d'amour-propre, en un mot de toutes les petites vues humaines et de tout ce qui n'est pas produit par l'Esprit Saint en vous, et qui n'a pas uniquement Dieu pour objet. Troisièmement, pour remplir le dessein du Fils de Dieu, il faut que vous demeuriez en lui : cela se fera par la grâce de la sainte communion. Notre Seigneur se ressuscitant en vous, c'est pour vous ressusciter en lui, en sorte que vous n'ayez plus d'autre vie que la sienne, plus d'autre désir, plus d'autre volonté, plus d'autres inclinations, bref que vous soyez toute revêtue de son Esprit, afin que lui seul paraisse en vous, et vous toute anéantie en lui.

no 3039 A une Religieuse, rue Cassette.ccxx
CHAPITRE LII DE L'ORATOIRE DU MONASTERE

L'oratoire sera ce que signifie son nom. On n'y fera et on n'y déposera rien d'étranger à sa destination. Après l'OEuvre de Dieu, tous les frères sortiront dans un profond silence, et ils auront pour Dieu la révérence qui lui est due ; en sorte que, si peut-être un frère veut y prier en particulier, il 'n'en soit pas empêché par l'importunité d'autrui. D'ailleurs, si, à d'autres moments, un moine désire faire secrétement oraison, qu'il entre simplement et qu'il prie : non pas avec des éclats de voix, mais avec larmes et ferveur du coeur. A qui ne se conduirait pas ainsi on ne permettra donc pas de demeurer à l'oratoire après l'Œuvre de Dieu ; de peur, comme il a été dit, qu'il ne gêne autrui.

Le 6 novembre 1697, me parlant sur l'oraison, elle me dit : «Je ne regarde jamais ce qui est plus élevé, ou plus bas, mais seulement l'attrait de Dieu sur les âmes, et où il les attire. Car la plus simple méditation est aussi bonne et aussi sainte pour une âme, quand elle y est appelée, que la plus haute contemplation. Il n'importe, pourvu que nous y soyons comme Dieu nous y veut. Je vous dirais moi-même que quelquefois on me met au commencement de l'oraison, et d'autres fois à la fin. Il ne faut pas tant se tourmenter. Je vous dirai ce que je ne dirais pas à tout le monde, qu'il faut à l'oraison attendre Dieu. Je veux dire qu'il opère en nous selon son plaisir, et le laisser faire notre destruction. La lecture est bonne et utile quand on n'y a rien, et que l'on est distraite. Vous en pouvez faire quelquefois, quoique je vous dirai que pour vous, vous ferez mieux de n'en point faire, et de souffrir en la présence de Notre Seigneur les dispositions pénibles où il vous met, et vos distractions, en vous en détournant doucement, sans vous en troubler et inquiéter. Portez tout en patience et soumission aux conduites de Dieu, vous contentant de n'avoir rien que des misères, pauvretés, impuissances, etc. Humiliez-vous seulement et tout ira bien, car l'humiliation de l'âme attire Dieu en elle. Contentez-vous donc de l'état souffrant que vous portez, et ne voulez rien autre chose».

n 2067 Entretiens spirituels, 6 novembre 1697.ccxxi

Il ne faut point rechercher nos voies, mais il les faut suivre quand Dieu nous les donne. N'oubliez pas les pratiques des solides vertus, cela se fait sans peine, car si l'oraison est un trait de Dieu, elle porte l'âme à la fidélité ; l'amour de Dieu agit en secret.

n 1744 A une Religieuse, rue Cassette.ccxxii

Vous ferez autant de progrès dans l'oraison et dans la vie intérieure que vous remarquerez de conformité dans votre intérieur et extérieur à son divin et pur Esprit qu'il a possédé et manifesté par sa doctrine, et plus encore par son exemple. Je le prie de tout mon coeur qu'il le fasse croître dans votre âme autant qu'il me fait la grâce de vous le désirer. C'est en son amour et [en celui] de sa sainte Mère que je suis et serai toute ma vie.

n 463 A la comtesse de Châteauvieux.

[L'église] est le lieu saint où se doit observer un silence et respect perpétuels. L'on n'y doit jamais parler que quelques mots de nécessité absolue et fort brièvement, à voix basse. Les anges n'osent parler devant cette auguste Majesté, et nous avons souvent la hardiesse d'y commettre des légèretés et d'y prononcer des paroles inutiles et mouvantes à rire. Il faut marcher et fermer les portes doucement.

n 2176 Chapitre.

Voulez-vous bien faire votre oraison ? Conservez-vous en la présence de Dieu, le regardant en vous ; adorez-l'y ; adhérez à lui dans votre intérieur ; ne vous dissipez point à tant de choses inutiles, et, faisant cela, vous serez toujours disposée à faire oraison.

n 2726 Diversités spirituelles.

Voulez-vous faire une bonne oraison ? Mortifiez-vous sans cesse. Voulez-vous vous mortifier sans cesse ? Faites doucement l'oraison, car vous recevrez par l'oraison fréquente la vertu de force, la vigueur et le zèle pour vous mortifier sans relâche, et de même dans les autres vertus.

n 2998 Diversités spirituelles.

Soyez fidèle à l'intention que Jésus Christ a eue sur vous dès l'éternité où il a vu et disposé de toutes vos actions jusqu'aux moindres. Dussiez-vous vivre encore cent ans, envisagez-le toujours et en tout. Laissez les diverses méthodes que l'on donne pour dresser ses intentions. La vôtre doit être d'adorer et regarder sans cesse celle de Jésus. Pour votre oraison, elle sera la plus simple que vous pourrez, sans vous embarrasser de pensées et de sujets ; demeurez dans la posture que Dieu vous mettra.

n 1944 A la comtesse de Châteauvieux.

Il faut vous établir dans la foi de Dieu présent en vous... Il ne faut point d'imagination pour le croire, mais la foi simple suffit, pourvu qu'elle soit continue.

Il faut de la fermeté et de l'assiduité en cette simple pratique... Faites un petit retour amoureux et respectueux sur cette auguste Majesté qui nous est si intimement présente. Vous pouvez quelquefois laisser dilater le coeur en l'adorant et lui faisant mille témoignages de soumission, de confiance, d'abandon, enfin te que le Saint Esprit vous donnera mouvement de dire. Ceci, un peu pratiqué en la manière très simple que je dis, ne vous gênera point et ne vous fera nul mal à la tête, car ce sera le coeur qui produira suavement, et cela vous formera une certaine habitude de Dieu présent [si bien] que vous n'aurez nulle peine à faire oraison ; vous la ferez à toute heure, du moins serez-vous en état de la faire très facilement.

no 345 et 561 A la comtesse de Châteauvieux.

Demeurer simplement attentive à cette présence de Dieu et exposée à ses divins regards... Cette oraison est une union avec Dieu qui contient éminemment toutes les autres dispositions particulières... L'âme lui est semblable en cette oraison ; aussi elle y reçoit de merveilleux effets. Les rayons du soleil naturel font croître, fleurir et fructifier les arbres ; l'âme qui est attentive simplement et exposée en tranquillité, reçoit les divines influences du soleil de justice, qui l'enrichit de toutes sortes de vertus... L'âme d'abord s'imaginera de perdre beaucoup, mais l'expérience lui fera connaître qu'au contraire elle y gagne, puisque la connaissance qu'elle aura de Dieu sera plus grande, son amour plus pur, ses intentions plus droites, l'aversion des imperfections plus grande et sa mortification plus continuelle.

no 544 Conférence.

Le désert de l'âme aimante, c'est l'oraison. Elle y entrera par le silence et l'éloignement de toutes créatures et d'elle-même. Elle fera dans ce désert mystique ce que son divin Époux y a fait. Ce silence étant intellectuel, elle s'occupera de son Dieu par tendance et adhérence actuelle. Le désert suppose éloignement de toutes choses, paix profonde dans l'obscurité de la pure et nue foi.

n 1757 Conférence pour le premier dimanche de Carême.

Faisons un petit retour amoureux et respectueux sur cette auguste Trinité qui nous est si intimement présente. On peut quelquefois laisser dilater le coeur en l'adorant, en lui faisant mille témoignages de soumission, de confiance, d'abandon, enfin tout ce que le Saint Esprit vous donnera mouvement de dire...

Et quand le trait intérieur manquera et que la foi demeure nue, que l'âme en est comme sèche et rebutée, il faut qu'elle ne fasse point d'autre effet, sinon d'acquiescer en humble patience à toutes les conduites différentes de Dieu.

n 592 Chapitre.

Oui, mes Soeurs, allez vous exposer à ses pieds, tenez-vous y avec respect, amour et confiance, et vous recevrez les dons qu'il veut vous faire.

n 1936 Entretiens familiers, veille de la fête du Saint Sacrement, 1695.

Soyez bien exactes à toutes les choses de la sainte Règle ; gardez bien aussi le silence. Demeurez toutes recueillies en vous-mêmes et toujours en Dieu, sans tant vous dissiper dehors parmi les créatures, qui vous dérobent le temps et l'attention que vous lui devez et empêchent que vous ne vous remplissiez de lui ; car êtes-vous en état de faire oraison quand vous y allez de la sorte, avec un esprit tout distrait et rempli de mille inutilités, sans aucune préparation pour la bien faire et y recevoir les grâces et les lumières de Dieu ? Il faut toujours vous y préparer par un saint recueillement en vous-même, regardant toujours Dieu présent. Faisant ainsi, vous ferez toujours bien l'oraison en tout temps.

Mais, pouvez-vous me dire, je ne suis point distraite par ma faute ; je fais ce que je peux pour me recueillir, mais inutilement : mon imagination me forme cent idées folles dont je ne puis me défaire. A la bonne heure ! Si c'est malgré vous, elles vous sont un sujet de mérite et de patience, et non de péché. Souffrez ! Votre oraison est bonne quand vous y êtes de cette sorte et en quelque façon crucifiée, dans la peine, la privation et l'obscurité. Il ne faut pas que cette disposition vous la fasse négliger ou retarder. Au contraire, allez-y avec plus d'ardeur et de fidélité, dans un vrai esprit de sacrifice, vous y sacrifiant entièrement à la majesté de Dieu que vous voulez adorer, révérer et respecter par cette action.

n 3004 Chapitre, 6 août 1694.

Ne demeurez point à l'oraison si longtemps ; un quart d'heure suffit à la fois, à cause de vos infirmités, et réitérez à votre loisir deux ou trois fois le jour. Ce n'est pas la captivité à demeurer trois ou quatre heures en oraison qui nous perfectionne, mais c'est le souvenir de Dieu, actuel, non par application violente, mais par quelque simple pensée ou élévation, selon le trait de l'Esprit de Dieu en l'âme et une douce habitude d'opérer en amour non sensible, mais en foi.

n 939 A la comtesse de Rochefort, 22 juin 1653.

Cette fête contient des mystères infinis et il y a bien, mes Soeurs, de quoi vous occuper. Il me semble qu'elle appartient plus aux religieuses qu'à tout autre, à raison qu'elles ont beaucoup de rapport à cette sacrée Vierge... Elles sont comme elle dans le temple du Seigneur, elles logent sous un même toit. Quelle consolation de dire qu'à.toute heure nous pouvons l'aller adorer au très Saint Sacrement où il réside réellement ! Et même il n'est pas besoin, étant occupée ailleurs, d'aller à l'église pour lui rendre nos hommages, nous n'avons qu'à dresser notre coeur vers lui : les murailles ne l'empêchent pas de nous voir et de nous entendre.

n 233 Conférence, 21 novembre 1662, fête de la Présentation de Marie au Temple.

CHAPITRE LIII DE LA RECEPTION DES HOTES

Tous les hôtes qui surviennent au monastère seront reçus comme le Christ, car lui-même doit dire un jour : "J'ai demandé l'hospitalité et vous m'avez reçu ." A chacun on rendra l'honneur qui lui est dû, surtout aux "domestiques de la foi" et aux pèlerins . Dès qu'un hôte aura été annoncé, le supérieur et les frères se hâteront au devant de lui avec toutes les marques de la charité. Après avoir fait la prière ensemble, on prendra contact dans la paix. Ce baiser de paix ne se donnera qu'après la prière, pour déjouer les artifices du démon. Dens ce salut, on témoignera à tous les hôtes une profonde humilité et, soit à leur arrivée, sô'it à leur départ, c'est par une inclination de tête ou une prostration du corps qu'on adorera en eux le Christ même qu'on reçoit.

Aussitôt accueillis, les hôtes seront conduits à l'oratoire. Puis le supérieur, ou tel autre qui en aura reçu mandat, s'assiéra en leur compagnie et leur lira l'Ecriture Sainte, pour leur édification. Ensuite on les traitera avec toute l'honnêteté que l'on pourra. Le supérieur rompra le jeûne pour manger avec eux, à moins qu'ilVie s'agisse d'un jeûne ecclésiastique qu'on ne puisse enfreindre. Quant aux frères, ils garderont leurs jeûnes accoutumés.

L'abbé versera de l'eau sur les mains des hôtes ; lui-même, aidé de la communauté, leur lavera les pieds. Ce qu'ayant fait, ils diront : "Nous avons reçu, Seigneur, votre miséricorde au milieu de votre temple ." Ce sont les pauvres surtout et les pèlerins qu'on entourera le plus d'attentions parce que c'est principalement en leur personne que l'on reçoit le Christ. Pour les riches, en effet, la crainte qu'ils inspirent les fait assez honorer.

La cuisine de l'abbé et des hôtes se fera à part ; ainsi les hôtes, qui ne manquent jamais au monastère et qui surviennent à toute heure, ne troubleront point la vie des moines. Tous les ans on confiera la charge de cette cuisine à deux frères qui puissent bien s'en acquitter. On leur donnera, si besoin, des aides afin qu'ils travaillent sans murmure. Quand ils ne seront pas suffisamment occupés, ils s'emploieront à d'autres ouvrages qu'on leur indiquera.

On observera cette règle, non seulement pour eux mais pour tous les autres officiers du monastère, en leur accordant des aides selon leur besoin et en les envoyant travailler à d'autres devoirs lorsqu'ils ne seront pas occupés au leur.

Pour prendre soin du logement des hôtes on désignera un frère, dont l'âme soit remplie de la crainte de Dieu. Cette hôtellerie renfermera des lits garnis en nombre suffisant. Ainsi la maison de Dieu sera sagement administrée par des gens sages.

Aucun moine n'abordera les hôtes, ni ne leur parlera sans permission. S'il les rencontre ou les aperçoit, il les saluera humblement, comme il a été dit, en prononçant Benedicite , et il passera outre, ajoutant (au besoin) qu'il ne lui est pas permis de s'entretenir avec les hôtes.

Quand on a achevé l'ouvrage que l'obéissance a ordonné, il ne faut point s'occuper à ce que l'on veut, mais en demander d'autre afin d'avoir le mérite de l'obéissance en tout notre travail. Journée religieuse.

Quant aux pauvres, qui sont les vrais membres de Jésus Christ, on leur fera tous les jours l'aumône, selon les facultés du monastère. La Mère Prieure aura soin qu'ils soient traités bénignement avec des paroles compatissantes à leurs souffrances, sans jamais user à leur endroit d'aucun terme de mépris, d'autant qu'ils nous représentent vivement la personne de Notre Seigneur.

Constitutions.

CHAPITRE LIV SI UN MOINE PEUT RECEVOIR DES LETTRES OU QUELQUE AUTRE CHOSE

II n'est pas licite à un moine, sans autorisation de l'abbé, de recevoir, ni de ses parents ni de qui que ce soit, ni d'échanger avec des confrères des lettres, des eulogies, ou de petits présents quelconques, et pas davantage d'en donner.

Si ses parents lui adressent quelque chose, il n'aura pas la hardiesse de le recevoir avant d'en avertir l'abbé. Celui-ci, s'il permet d'accepter l'objet, pourra le destiner à qui il lui plaira.' Le frère à qui on l'avait envoyé, ne s'en attristera pas, de peur d'ouvrir la porte au malin. Celui qui enfreindra cette règle sera puni des peines régulières.

Le voeu de pauvreté est d'une grande étendue ; il y en a qui font consister toute leur obligation dans la privation des biens du monde et à n'avoir point d'argent, à la vérité c'est l'extérieur de cette vertu évangélique et qui ne se perfectionne dans ce premier pas, ne passera jamais dans l'intérieur ; donc après avoir renoncé aux possessions de la terre, il faut vivre dans un entier dépouillement quant à l'affection des choses que la Règle nous permet.

n 68 Conférence.

Une religieuse ne se doit rien approprier pas même les petits présents que ses parents lui peuvent faire, parce que du moment que quelque chose entre dans la Religion il est le bien de la Religion ; étant le bien de la Religion toutes les autres y ont autant de droit que vous, et vous ne pouvez vous l'approprier sans aller contre votre obligation. Prenez aussi bien garde de ne rien posséder avec attache. Examinez-vous là-dessus... Nous prendrons un jour pour vous lire sur ce voeu ce que les Pères en disent, qui étant bien pratiqué est capable d'élever une âme à la plus haute perfection par le dégagement où il la met intérieurement et extérieurement.

n 950 Conférence sur la rénovation des voeux, 1695.

CHAPITRE LV DES VETEMENTS ET DE LA CHAUSSURE DES FRERES

Pour les habits à donner aux frères, on aura égard aux conditions et au climat des lieux qu'ils habitent . Il leur en faut davantage dans les régions froides et moins dans les pays plus chauds. C'est à l'abbé d'apprécier cette différence. Nous estimons toutefois que, dans les endroits tempérés, une coule et une tunique suffisent pour chaque moine : coule velue en hiver, en été légère ou usagée ; avec cela, un scapulaire pour le travail ; pour couvrir les pieds, des bas et des souliers .

Les moines ne se mettront pas en peine de la couleur ou de la grossièreté de ces divers objets. Ils se contenteront de ce qu'on pourra trouver au pays qu'ils habitent ou se procurer à meilleur marché. Et pour couper jusqu'à la racine ce vice de la propriété, l'abbé donnera tout ce qui est nécessaire, à savoir coule, tunique, souliers, bas, ceinture, couteau, stylet , aiguille, mouchoir, tablettes. De cette façon on ôte toute excuse tirée de la nécessité.

L'abbé cependant doit toujours tenir compte de cette parole des Actes des Apôtres : "On donnait à chacun selon ses besoins ." Il aura donc égard aux besoins des faibles et non à la mauvaise volonté des envieux. Mais qu'en toutes ses décisions, il se souvienne que Dieu lui rendra selon ses oeuvres.

Elles se contenteront de tout ce qui leur sera donné par la Mère Prieure ou par son ordre... se conformant à ce que dit notre glorieux Père, que le religieux se contente de ce que l'on pourra trouver à plus vil prix, voulant non seulement que ses enfants fassent paraître en leurs habits la simplicité et la modestie qu'il faut garder dans la façon, mais encore qu'elles y pratiquent la pauvreté pour le prix des étoffes... Mais elles doivent s'en tenir à ce que la Règle et les Constitutions ordonnent...

Lorsqu'on leur donnera quelque chose de neuf, elles seront soigneuses de rendre ce qu'elles quittent, le mettant à la porte du vestiaire, ou le donnant à l'officière.

Journée religieuse.

CHAPITRE LVIII DE LA MANIERE DE RECEVOIR LES FRERES

On n’accordera pas facilement l'entrée du monastère à celui qui se présente pour s'y engager dans la vie religieuse ; mais on fera ce que dit l'Apôtre : «Éprouvez les esprits pour discerner s'ils sont de Dieu.» Que si le postulant persévère à frapper à la porte, et qu'il souffre patiemment les injures à lui faites et la difficulté opposée à son entrée, et s'il persiste dans sa demande depuis quatre ou cinq jours, il obtiendra alors la permission d'entrer. Il sera mis pour quelques jours dans le logis des hôtes. Ensuite, il passera dans celui des novices, où ceux-ci s'adonnent aux exercices spirituels, prennent leurs repas et leur sommeil.

On lui donnera, pour le conduire, un ancien qui soit apte à gagner les âmes et qui le surveillera très attentivement, afin d'examiner si le novice cherche vraiment Dieu, s'il a du zèle pour l'OEuvre de Dieu, l'obéissance et les humiliations. On lui fera connaître toutes les choses dures et âpres par lesquelles on va à Dieu.

S'il promet de persévérer en sa résolution, alors, après deux mois, on lui lira cette Règle tout au long, et on lui dira : «Voici la loi sous laquelle tu veux militer. Si tu peux l'observer, entre ; sinon, tu es libre de te retirer.» S'il persiste, on le reconduira au susdit logement des novices, et on se remettra à éprouver de toute manière sa patience.

Au bout de six mois, on lui lira encore la Règle, afin qu'il sache à quoi il s'engage. S'il persévère toujours, après quatre autres mois, on lui relira encore une fois la même Règle. Si enfin, après mûre délibération, il promet de la garder dans tous ses points et d'observer tout ce qui est commandé, il sera reçu dans la communauté : sachant au surplus que, en vertu de la Règle, il ne lui est plus permis, à partir de ce jour, de sortir du monastère, ni de secouer le joug de cette Règle, qu'après une aussi longue délibération il a été à même de refuser ou d'accepter.

Le récipiendaire promettra donc publiquement, dans l'oratoire, stabilité, vie religieuse et obéissance en la présence de Dieu et de ses saints.

Il sait donc que, si un jour il manquait à l'engagement, il serait condamné par Celui dont il se serait joué.

De cette promesse, il redigera une «pétition» au nom des Saints dont les reliques sont en ce lieu, et de l'abbé présent. Il écrira cette cédule de sa propre main, ou du moins, s'il est illettré, il priera un autre de l'écrire pour lui. Le novice lui-même la signera, et de sa main la déposera sur l'autel. Lorsqu'il l'y aura placée, il entonnera aussitôt ce verset : «Recevez-moi, Seigneur, selon votre parole et je vivrai, et ne me confondez pas dans mon attente.» Toute la communauté répétera trois fois ce verset, et conclura par le Gloria Patri. Le novice se prosternera ensuite aux pieds de chacun des frères, leur demandant de prier pour lui. A dater de ce jour, on le tiendra pour membre de la communauté.

S'il possède quelque avoir, ou bien il le distribuera auparavant aux pauvres, ou bien il l'attribuera au monastère par une donation solennelle, sans rien se réserver, car il doit savoir que, dès cet instant, il ne peut plus même disposer de son propre corps.

On le dépouillera donc immédiatement dans l'oratoire de tous les effets personnels dont il était vêtu, et on le revêtira d'habits appartenant au monastère. Les vêtements qu'il aura quittés seront déposés au vestiaire, afin que si, un jour, à l'instigation du diable, il voulait sortir du monastère — ce qu'à Dieu ne plaise — on puisse lui ôter l'habit du monastère et le chasser. On ne lui rendra pas néanmoins sa charte de profession, que l'abbé a prise jadis sur l'autel, mais on la gardera dans le monastère.

A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 145

Ce n'est pas peu pour bien avancer que d'avoir un vrai désir d'être à Dieu : voilà le premier pas et le plus important pour nous acheminer dans la vraie perfection, car l'âme qui a faim de Dieu, sans doute elle sera rassasiée, notre aimable Seigneur nous l'assure par sa divine et efficace parole. Ayons de la foi et nous trouverons grâce et force en Jésus Christ pour aller à lui. Puisqu'il vous a fait la miséricorde de vous donner ce désir, gardez-vous bien de le négliger. la grâce perdue ne revient plus.

no 2438 A une Religieuse de l'abbaye de Montmartre. 18 mars 1695.

Vous avez raison d'ajouter que vous êtes indigne d'obtenir la grâce que vous demandez. La sainte Religion est un si grand bien qu'elle ne s'accordait anciennement qu'à ceux qui savaient porter les affronts, les injures par lesquels on éprouvait leur vocation, ainsi que l'on vient de lire dans la sainte Règle. Peu d'âmes possèdent ce bonheur et très peu le conçoivent: Ceux qui cherchaient vraiment Dieu, au lieu de se rebuter des affronts qu'on leur faisait, demandaient toujours avec plus d'instance d'y être admis, parce qu'ils trouvaient ce qu'il désiraient, et les autres. qui s'en offensaient, se retiraient parce qu'ils se cherchaient eux-mêmes et leurs intérêts. Ainsi si c'est pour être plus à Dieu que vous entrez dans la sainte Religion, entrez-y pour y être sacrifiée à tous moments. La Providence vous en offrira des occasions fort fréquentes. Tout le bien que vous avez pu faire dans le monde n'est rien, parce que vous avez toujours conservé votre Isaac qui est votre volonté, que vous venez immoler dans la sainte Religion où il n'y en a point.

n 3015 Chapitre : Parlant à une postulante qui demandait k saint habit. 1677.

La douleur actuelle où je vous vois m'oblige de faire une réflexion devant Dieu sur le fond de votre état que vous devez dire à votre confesseur afin que, voyant et pénétrant vos dispositions, il puisse juger plus solidement de votre vocation ou, s'il n'en doute plus, qu'il prenne les temps nécessaires pour vous y bien établir, sans presser votre entrée en Religion croyant que vous pourriez faire quelque délai pour voir si vos peines et vos répugnances se diminueront. Je vous supplie de ne rien précipiter. Voyez votre bon confesseur. J'ai pris la liberté de lui écrire un mot sur ce sujet, afin qu'il vous sondât jusqu'au fond et qu'il s'assurât de votre vocation qui est le principal, le reste devant être sacrifié à Jésus Christ. Et comme cette affaire est de la dernière importance, vous pouvez prendre du temps, et même avis de ceux qui possèdent la pure lumière de Dieu.

n 1848 A Mademoiselle Loyseau, ce 16 avril 1660.

Ma chère Soeur, vous êtes encore toute nouvelle dans la sainte Religion et avant que de passer plus outre, il est bon que vous pesiez bien pourquoi vous y êtes venue. Si je vous le demande vous me répondrez que c'est pour être religieuse. Que veut dire ce mot : religieuse ? Il comprend toute la perfection : car religieuse veut dire cachée en Jésus Christ.

n 3059 Chapitre : A Soeur Marie du Saint Sacrement Hardy, 26 mars 1660.

Remarquez que dans les commencements l'on (ne) demande [peu] de vous, sinon que vous ayez un désir invariable et une volonté résolue constante de vous quitter en toutes choses pour chercher votre Dieu, mais dans les parfaits... Jésus Christ seul vit et règne dans l'âme, de sorte que ce n'est plus elle qui vit c'est lui seul qui vit en elle.

n 2479 Maximes spirituelles.

Je vous conjure de vous rendre tout à l'amour de Notre Seigneur et de vous désoccuper de tout le reste. C'est trop peu de chose pour un coeur qui est créé pour aimer et posséder son Dieu. C'est le plus grand bonheur que l'on puisse avoir en ce monde, car si l'âme n'est avec Dieu par sa grâce et son amour, elle est misérable. Rien que Dieu, mon enfant, rien que Dieu, et la paix de votre âme sera éternelle. Courage ! réjouissez-vous et vous animez l'une l'autre.

n° 3075 A une Religieuse, rue Cassette, 7 octobre 1664.

L'attention à Dieu, le simple regard de Dieu, l'adhérence à Dieu, tous trois sont quasi même chose : il ne faut que la fidélité à ces choses-là pour être bientôt parfaite.

Une âme qui ne cherche que Dieu ne se peut peiner d'aucune chose, car Dieu lui étant toutes choses, elle ne peut s'appliquer à aucune créature : la mort et la vie lui étant une même chose, pourvu que Dieu soit, il lui suffit. Soyez donc, ô mon Dieu. car vous seul êtes digne d'être «in aeternum». C'est beaucoup que Dieu soit content. Il ne faut point considérer nos souffrances, nous en dût-il coûter la vie.

no 2566 Diversités spirituelles.

Souvenez-vous que notre bonheur consiste dans la très profonde petitesse et séparation des créatures et de nous-même qui nous mettra au-dessus de mille petites choses qui nous occupent et inquiètent ; vous me demanderez s'il faut être insensible. Je vous réponds que non, l'on peut ressentir une peine, un déplaisir, la perte d'un parent ou d'un ami et porter en fond une soumission à Dieu très parfaite et une séparation de soi. Pleurez donc dans telles occasions, je ne vous le défends pas, mais conservez une âme dégagée.

no 883 Conférence, 12 novembre.

Ma Soeur, je vous l'ai déjà dit, je vous le réitère : tel sera votre commencement, tel sera le reste de votre vie. Si vous commencez négligemment, vous courez hasard d'être toujours malheureuse. Il n'y a rien si facile que de contracter des mauvaises habitudes et rien de plus difficile que de s'en défaire... Je vous avoue que je suis surprise et je ne conçois pas d'où vient ce malheur que des filles que Dieu favorise de la plus haute grâce du christianisme qui est la vocation religieuse, grâce infinie en son excellence, pour à laquelle correspondre, elles ont quitté père, mère, parents, richesses, avec tous les plaisirs licites qu'elles pouvaient prétendre dans le monde, sont entrées dans la sainte Religion avec des ferveurs et des dispositions de sainteté, et cependant elles n'y sont pas de trois jours qu'elles se ralentissent, donnent lieu à la tentation, et bien loin d'avancer, à tous moments reculent, et souvent avortent la grâce de leur vocation. Quoi ! devenir imparfaite dans le lieu de sainteté ! cela est horrible, mais trop ordinaire. Oh ça, mes Soeurs, je vous prends par vous-mêmes : combien de larmes avez-vous versées, combien d'ardeurs avez-vous témoignées, pour posséder le bien que vous avez en mains, que n'avez-vous pas fait ? Les unes se sont dérobées de la maison de leurs parents, les autres ont quitté généreusement leurs mères éplorées et affligées ; l'on a vu un père se pâmer de douleur diverses fois pour la séparation d'une fille. N'avez-vous point marchandé pour les quitter de leur marcher sur le ventre, ainsi que le conseille saint Jean Chrysostome ? De vous défaire des plaisirs et des richesses du monde pour témoigner à Jésus Christ votre amour et le désir que vous avez de vous immoler à sa gloire ? Se peut-il rien de plus généreux ? Pour moi, cela me ravit, et en voilà assez pour vous faire de grandes saintes, puisque les saints Pères estiment qu'un acte héroïque opère la sanctification d'une âme.

Cependant nous ne voyons pas que vos actions secondent un si beau commencernent ; mais d'où vient donc ce malheur ? Oh, mes Soeurs, ce n'est pas faute de vocation ; il y en a sans doute, mais bien de fidélité à la grâce de la vocation. Vous nous promettez aux grilles, lorsque vous faites instance pour vos réceptions, que vous ne ferez jamais vos volontés. L'on vous dit qu'il la faut laisser à la porte, et qu'elle ne doit point entrer dans la sainte Religion. Vous êtes déterminées à tout, dans le désir que l'Esprit de Dieu verse dans vos coeurs d'être faites les Épouses de Jésus, et de fait, il ne vous serait pas difficile de vous conserver dans cette ferveur et de vous faire quittes de toutes vos mauvaises habitudes, si vous aviez de la fidélité. Mais bien loin de cela, l'on retombe en nature aussitôt, l'on veut un peu faire sa volonté. O, mes Sœurs, je vous conjure de faire usage de la grâce que Dieu vous met en mains. Ne la négligez pas, et voyez qu'il vous a préférées à une infinité d'autres qui en profiteraient mieux que vous.

n 1760 Chapitre sur la vocation religieuse, 18 août 1662.

La Mère Maîtresse lira souvent le chapitre de la sainte Règle et des Constitutions qui traite de son emploi, afin d'en prendre l'esprit pour la conduite des âmes dont elle est chargée.

Cérémonial.

Que la Mère Maîtresse use de prudence et de discrétion. Qu'elle ne s'expose pas à troubler des esprits faibles encore, ou à les décourager dans la poursuite de la perfection...

Il faut donc se mettre à la portée des esprits, se proportionner à la capacité de chacun. Il faut que la Mère Maîtresse se propose toujours de suivre Dieu, qu'elle dispose peu à peu ses novices à entrer dans ses desseins, qu'elle se conduise aussi diversement que la disposition des âmes est différente.

Cérémonial.

Vous devez faire ce que votre devoir vous oblige, car, s'il faut laisser les novices faire ce qu'elles voudront, il n'est pas besoin de demeurer avec elles ni de leur donner de maîtresse. Vous êtes obligée de les avertir de leurs devoirs, sans craindre votre amour propre qui a peine à les mécontenter. Il faut leur enseigner leur devoir, autrement elles ne le feront jamais. Si je n'avais point la charge de Prieure, je vous exempterais de celle où vous êtes, mais n'y pouvant vaquer entièrement, il faut que quelqu'un y travaille ; et non seulement vous devez les avertir du mal qu'elles font, mais m'avertir moi-même afin qu'elles s'en corrigent. Comment feraient-elles ce qu'elles ne savent point. J'entends que vous les reprendrez en mon absence, et sans y manquer, si vous ne voulez pas être coupable des fautes qu'elles commettent et pour cela, il faut laisser à part votre propre misère et agir par la force de l'obéissance, laquelle vous soutiendra infailliblement.

no 525 A Mère Marie de Jésus Chopine!, Maîtresse des novices, rue Cassette.

Que j'aurais eu de satisfaction, ma chère Soeur, d'assister à votre sacrifice... l'absence du corps n'a point empêché que mon esprit et mon coeur ne vous aient bien accompagnée dans une action si sainte et si agréable à Dieu, car je ne doute pas que vous n'ayez apporté de votre part tout ce qui a été à votre pouvoir pour rendre votre sacrifice parfait et entier... Nous ne faisons qu'une fois profession, mais c'est pour tous les moments de notre vie. Notre Seigneur ne s'est offert en sacrifice à son Père qu'une fois au moment de son Incarnation et il n'a jamais sorti un seul moment de sa vie de la disposition et état de mort et de sacrifice ; c'est l'obligation que nous contractons par l'acte de notre profession qui ne nous peut permettre de vie ni aucun usage de tout ce que nous sommes que pour celui à qui nous nous sommes consacrées... N'oubliez jamais que vous n'êtes plus à vous, gravez -cette vérité bien avant dans votre coeur, afin de vous en souvenir à tous moments ; elle vous sera avantageuse et vous servira pour vous maintenir dans la fidélité de vos promesses et pour ne vous pas reprendre.

no 502 A une Religieuse de l'Institut.

Vous avez dû venir en Religion pour vous perfectionner et vous n'arriverez à cette perfection que par l'exacte observance de vos Règles et de tout ce qui s'y pratique, puisque tout ce qui s'y fait est dans l'ordre de la divine volonté.

n 3012 Conférence.

Je voudrais bien que toutes les âmes qui ont à se vouer à Dieu aient bien approfondi l'importance de leur engagement. Il ne faut se jouer au regard de Dieu. Ce sont des promesses éternelles sur lesquelles est compris notre salut. Il n'y va que de la perte éternelle de l'âme qui est si téméraire que de les enfreindre volontairement.

no 1645 Chapitre.

Notre obligation en qualité de chrétienne est bien grande et nous oblige à vivre saintement... Les voeux solennels que nous avons faits sont tous renfermés dans celui de baptême, car, mes Soeurs, faisant voeux de suivre Jésus Christ, c'est plus que pauvreté, que chasteté, obéissance, puisque c'est de vivre comme Jéstis

Christ, non que nous le puissions avec la même perfection étant la sainteté même, et nous, portant une nature corrompue ayant perdu la grâce originelle par la désobéissance de notre premier père, Adam, néanmoins Notre Seigneur nous dit dans le saint évangile : «Soyez saint comme je suis saint», et en un autre endroit : «Soyez parfait comme votre Père céleste est parfait». En voilà assez pour voir l'obligation que nous avons de tendre à la sainteté. La grâce actuelle que nous avons est suffisante ; l'habituelle vient encore au secours.

Nous sommes consacrées à Dieu par le baptême et resacrées par les voeux de Religion. Nous voilà par double obligation faites les temples et la demeure de Dieu. Lui donnons-nous un plein et absolu pouvoir dans son domaine ? Il règne, il est roi et souverain. Non, nous donnons tout à la créature. Ce qui m'étonne c'est de voir qu'étant créées pour chose grande nous mettons toute notre capacité en bagatelle. Nous nous ravalons infiniment. Comme chrétienne et Fille du Saint Sacrement ayant un objet si divin et si aimable nous n'avons pas une assez haute estime de Dieu, ce qui met un grand obstacle à nos perfections.

n° 1240 Chapitre de Paix, dernier jour de 1672.

Il faut, pour bien faire, faire profession en considérant d'un côté la grandeur d'une obligation où nous nous engageons, et de l'autre côté notre incapacité, faiblesse et impuissance, mettre tout notre appui et notre confiance en Dieu, espérant qu'il nous fera la grâce d'être fidèle et de remplir nos devoirs, et ne faire aucun fond sur nous-même.

no 2127 Entretiens familiers.

Ce que je vous demande, c'est la fidélité à vos Règles et Constitutions... C'est à vous de les garder exactement dans toute la fidélité possible, vous n'avez que cela à faire, c'est ce que Dieu demande de vous ; c'est à quoi vous allez vous engager. C'est la Règle que Dieu vous donne et qu'il vous prescrit pour aller à lui.

no 2466 Conférence, du 13 octobre 1687.

Avez-vous bien compris ce que dit la sainte Règle ? Vous êtes-vous rendues bien attentives à la lecture que l'on vient de faire sur la pauvreté et sur le dépouillement qu'elle demande ? C'est quelque chose de quitter des biens, des richesses et des commodités pour se renfermer dans un cloître et n'en plus avoir l'usage : l'on pourrait dire, pourquoi cela ? Ne vaudrait-il pas mieux se les réserver et en faire des aumônes, visiter les hôpitaux et le reste des bonnes oeuvres auxquelles on les peut employer ?...

Si vous vous dépouillez de vos biens parce que vous croyez que vous devez faire ce sacrifice à Dieu dans le désir de vous rendre tout à lui et d'ôter tous les obstacles qui vous en pourraient empêcher, je vous assure que le sacrifice de vos volontés lui est bien plus agréable : c'est peu d'avoir quitté de grands biens, si l'on ne quitte sa liberté ; on la quitte bien en un endroit, mais on se la réserve en bien d'autres : sachez que si vous avez la moindre attache, vous ne donnez rien du tout. H est dur de se renoncer sans cesse, à tous moments, en tout lieu, en tout temps. Je voudrais même que vous disiez à toute heure : c'est pour plaire à Dieu et faire sa volonté. Que dit la sainte Règle ? Elle dit qu'ils ne feront point leur volonté, qu'ils n'auront point leur propre corps à leur propre disposition : perfection très grande et qui veut un dénuement prodigieux. Il y a de la peine au commencement ; mais il ne faut pas désister : la fin en sera douce par une sainte habitude.

no 53 Conférence.

O mes Soeurs, vous êtes toutes remises en Dieu par vos professions, y avez-vous jamais bien pensé, l'avons-nous cru, en sommes-nous persuadées, nos coeurs sont-ils bien pénétrés de cette vérité que nous sommes toutes remises en Dieu ? Mais y avons-nous demeuré ?... Savez-vous bien que nous ne sommes plus à nous, nous sommes à Dieu par notre création, nous le sommes bien plus par notre baptême, mais doublement par profession religieuse, qui nous relie toute à Dieu et nous remet en Dieu. N'étant plus à nous-même nous n'en devons pas disposer ni nous approprier nous-même à nous-même, il faut que ce nous-même soit reporté en Dieu et qu'il y demeure.

no 1767 Conférence, 1687.

L'état d'une âme religieuse au jour de sa profession est un état de mort. Son année de probation a été une épreuve ou préparation à cette mort mystique, mais réelle et véritable, si l'âme se dispose à recevoir les grâces que Dieu y confère, car l'on tient que c'est un second baptême et que Jésus Christ, pour lors, revêt l'âme de sa vie divine pour être à l'avenir, lui seul, vivant et régnant en elle. Après que vous aurez prononcé vos voeux qui vous font mourir à tous vos sens par celui de chasteté, à toutes les créatures par celui de pauvreté, et à vous-même par celui d'obéissance, c'est par cette profession que vous êtes faite un Jésus Christ... pour laisser vivre Jésus Christ en vous, et pour en obtenir la grâce, unissez-vous bien d'intention et d'amour à la divine Marie ;'offrant à Dieu en sacrifice... Soyez fidèle à vos saintes Règles et Constitutions, c'est cela qui vous sanctifiera ; séparez-vous de tout ce qui peut troubler le repos de votre âme ; liez-vous à toute la communauté pour l'amour de Jésus Christ comme aux membres de son corps mystique dont vous faites une partie.

no 2097 A une novice de l'Institut.

J'estime que nous n'avons jamais pesé l'importance de notre voeu de conversion des moeurs qui nous oblige de tendre à la plus haute perfection. Hélas, que l'on sait peu ce que c'est de l'excellence de ce voeu. L'on conçoit quelque chose des voeux de pauvreté, chasteté et obéissance, mais de conversion de moeurs on n'y pense point, et c'est cependant le plus important. Quand on a rompu ou gâté quelque chose, on dit que c'est contre la pauvreté, et pourquoi ne disons-nous pas lorsque nous faisons quelque saillie, que nous adhérons à nos méchantes humeurs, à nos sentiments, que nous péchons contre notre voeu de conversion de moeurs, voeu qui contient une si haute perfection qu'autrefois l'on ne faisait profession que de stabilité et de conversion de moeurs, et ce voeu bien conçu et pratiqué a fait tant de saints...

On ne saurait être vraiment pauvre qu'en convertissant les moeurs, non plus qu'obéissante. Ah, que ce voeu est grand et sublime !...

Que croyez-vous que Notre Seigneur demande de nous lorsqu'il nous dit d'être parfaits comme notre Père céleste est parfait ? Ce n'est pas d'être parfait comme Dieu est parfait en soi-même, dans sa sainteté, son immensité et ses autres perfections, non, cela demande seulement nos adorations. Mais c'est d'être parfaits en notre état, notre vocation et notre grâce comme Dieu est parfait en soi-même et c'est ce que nous pouvons faire dans la pratique fidèle de notre voeu de conversion de moeurs qui ne laisse rien en nous qui ne soit tout converti en Jésus Christ. N'ai-je donc pas raison de dire que quasi personne ne sait en fond et par pratique l'importance de ce voeu ? Prions Notre Seigneur qu'il nous donne un petit rayon de lumière pour entrer dans la véritable pratique de ce voeu. Pourquoi pensez-vous que notre Père saint Benoît l'ait mis quasi le premier de tous et qu'il n'ait fait marcher devant, que celui de stabilité ? Ah ! mes Soeurs, que cela est mystérieux, stabilité, non, non, ne croyez pas pratiquer votre voeu de conversion de moeurs que vous ne soyez stables dans la résolution de faire mourir en vous toutes vos moeurs corrompues. Il faut donc être stabilisée en Dieu, stable dans la bonne mortification, stable et généreuse dans la destruction de notre amour propre.

no 413 Chapitre sur les voeux.

Il y a aujourd'hui tant d'années que vous prononçâtes vos voeux entre nos mains, et vous voudriez bien les renouveler. Faites-le comme si j'étais présente, et comme si c'était la première fois, vous immolant à la divine volonté pour user de ses droits sur vous et en faire ce qu'il lui plaira. Que votre voeu de chasteté soit pour ne point partager votre coeur, ni prendre aucune satisfaction ni complaisance qu'en Dieu seul, vous désappropriant de vous-même. Le voeu d'obéissance vous engage à une dépendance et soumission très grande à Dieu en toutes choses, ne vous laissant pas la liberté de faire aucun choix pour quoi que ce soit. Le voeu de pauvreté vous doit dépouiller de vous-même. Tous les jours quand vous les aurez prononcés, présentez-les à la sainte Mère de Dieu, et les mettez dans son divin coeur qu'elle les garde et vous donne la persévérance, dites-lui quelques prières pour cela, comme : «Sainte Mère de Dieu voilà mes voeux, je vous supplie en être la gardienne et me donner la grâce de persévérance». Que vous soyez donc aujourd'hui toute renouvelée.

no 534 A une Religieuse de Toul.

Je crois, mes Soeurs, que vous n'avez pas attendu à aujourd'hui à penser au renouvellement que vous allez faire de vos voeux, que vous vous y êtes préparées de longue main. Il est établi dans la Religion pour réveiller dans les âmes l'amour, la ferveur et la fidélité à notre vocation. Chacune doit s'examiner sur ses obligations pour voir si elle les a remplies, particulièrement sur les voeux et remarquer

les fautes qu'elle y a pu faire, et ce qui est la cause principale de ses manquements, afin de s'en séparer et retrancher avec courage et fidélité tout ce qui met

obstacle à sa perfection et qui l'empêche de remplir ses devoirs comme chrétienne et religieuse, y étant obligées par les promesses que nous avons faites à Dieu, tapt en notre baptême que par notre profession, où nous ratifions en face de l'Église, aux pieds des saints autels, avec une pleine connaissance, les promesses que nous avons faites à Dieu avant que d'avoir l'usage de raison par nos parrains et marraines. Nous y sommes par là doublement engagées, la vie religieuse est la perfection du christianisme.

n 950 Conférence sur la rénovation des voeux, 29 décembre 1694.

CHAPITRE LIX DES FILS, SOIT DIE NOBLES, SOIT DE PAUVRES, QUI SONT OFFFRTS

Lorsqu'une personne de condition notable veut offrir son fils à Dieu dans le monastère, et si l'enfant est en bas-âge, ses parents rédigeront eux-mêmes la pétition dont nous avons parlé. Ils envelopperont cette charte et la main de l'enfant, avec l'oblation (pour k Sacrifice ), dans la nappe de l'autel et ils l'offriront ainsi.

Quant à leurs biens, ils promettront sous serment, dans la "pétition" même, de ne jamais rien lui en donner ni par eux-mêmes, ni par personne interposée, nid'aucune manière, ni même de lui fournir occasion d'en posséder, ou bien, s'ils ne veulent pas agir ainsi, et qu'ils aient cependant l'intention d'offrir quelque chose en aumône au monastère comme rétribution, ils en feront donation à la communauté, s'en réservant l'usufruit durant leur vie, s'il leur plaît. De la sorte, on fermera toute issue (sur le monde), si bien qu'il ne restera à l'enfant aucun espoir, qui ne servirait ce qu'à Dieu ne plaise qu'à le tromper et à le perdre, comme nous l'avons appris par l'expérience.

Les moins fortunés agiront de même. Ceux qui ne possèdent absolument rien, feront simplement la Promesse par écrit et offriront leur fils, avec l'oblation, en présence de témoins.

Je tâche de trouver un bon sujet qui puisse vous aider au choeur : j'en trouve assez qui chantent, mais quasi point, et je dois dire point, qui soient appelées de Dieu en Religion ; la pauvreté leur donne des vocations de nécessité et, au fond, il n'y a ni grâce, ni bénédiction. Priez Notre Seigneur de m'en faire trouver qui puissent remplir ses desseins, car, pour de l'argent, je ne leur en demande point.

no 921 A Mère Marie de Sainte Agnès Camuset, à Rouen, 12 avril 1679.

J'avais demandé au Seigneur... d'être en pouvoir de recevoir les filles sans exiger rien pour leur dot.

no 1936 Entretiens familiers, veille de la fête du Saint Sacrement, 1695.

CHAPITRE LXI COMMENT RECEVOIR LES MOINES ETRANGERS

Si un moine étranger survient d'une région lointaine et demande à demeurer, comme hôte. dans le monastère, on le recevra autant de temps qu'il le voudra, pourvu qu'il se contente de la vie qu'on r inène, et ne trouble pas la communauté par ses vaines exigences, mais simplement s'accommode de ce qu'il trouve.

Si ce moine venait à reprendre ou à remontrer quelque chose, et qu'il le fi't raisonnablement et avec l'humilité de la charité, l'abbé examinera l'avertissement avec prudence : car c'est peut-étre pour cela même que le Seigneur l'a conduit ici.

Que si, dans la suite, il y veut fixer sa stabilité. on ne s'y refusera point, d'autant plus qu'on a pu juger de sa manière de vivre durant son séjour en qualité d'hôte.

Mais si l'on a remarqué, durant ce temps, qu'il est exigeant ou vicieux, non seulement on ne l'agrégera pas au corps du monastère, mais on lui dira honnêtement de se retirer, de peur que sa misère ne contamine les autres. Si, au contraire sa conduite ne lui mérite pas d'être congédié, non seulement on l'admettra dans la communauté, sur sa demande, mais même on lui conseillera de s'y fixer, afin que son exemple édifie les autres ; parce que, en tout lieu, c'est un seul Seigneur que l'on sert, c'est sous un même Roi qu'on milite.

Mais que l'abbé se garde bien d'admettre jamais à demeure en sa communauté un moine d'un autre monastère connu. sans le consentement de son abbé ou sans lettres de recommandation : car il est écrit : "C'e que tu ne veux pas qu'on te fasse, ne le fais pas à autrui ."

Je puis vous assurer, Madame, que j'aurais la dernière joie si je pouvais contribuer 'a votre :itisfact ion touchant le désir que vous avez pris la peine de me marquer, dans celle qu'il vous a plu m'honorer. Je vois bien que c'est une grande ardeur d'être plus parfaitement à Dieu qui vous fait désirer d'entrer dans une vie plus austère, mais je doute fort, Madame, si Dieu en veut l'exécution. Il vous a mise dans un lieu si rempli de sainteté, et où vous pouvez si facilement vous sanctifier que je craindrais que vous ne trouvassiez ailleurs bien plus d'obstacles. Ce qui me fait vous supplier, Madame, de ne point pousser votre résolution, d'autant qu'un changement pareil doit être immédiatement un pur effet de la grâce, bien connu et approuvé de Madame votre très illustre Abbesse, en qui Dieu a mis son esprit pour votre conduite, et pour connaître les voies par lesquelles il veut que vous remplissiez ses desseins. Pouvant vous assurer, Madame, que cette manière d'agir est selon l'Ordre et selon nos professions qui nous tient indispensablement aux volontés de nos Supérieures. Cependant, Madame, je ne condamne point votre zèle, j'ai même sujet de l'admirer et de vous assurer que si Notre Seigneur en veut l'exécution, qu'il en fera naître les moyens à votre consolation. Je continuerai à le présenter à Notre Seigneur, le priant de vous combler de ses grâces et de son Esprit.

no 1329 A une Religieuse d'Abbaye, 5 août 1680.

CHAPITRE LXIII DU RANG A GARDER DANS LA COMMUNAUTE

Les frères garderont dans le monastère le rang que détermine la date de leur entrée en religion, ou le mérite de leur vie et la décision de l'abbé. Celui-ci cependant ne troublera point le troupeau qui lui est confié, et ne prendra aucune disposition injuste comme s'il jouissait d'un pouvoir arbitraire. Il songera sans cesse au compte qu'il devra rendre à Dieu de toutes ses décisions et de tous ses actes.

Ainsi donc, c'est selon le rang qu'il aura établi, ou celui que les frères tiennent de leur entrée. qu'ils iront au baiser de paix et à la communion. cntonncmnt les p,aume, et prendront place au choeur. Nulle part, il n'y aura avantage ou préjudice du simplefait de l’âge dans l'ordre à garder, puisque Samuel et Daniel, encore enfants, ont jugé di anciens.

Donc, à l'exception de ceux que, comme nous l’avons dit, l’abbé aura promis, pour des motifs supérieurs, ou qu'il aura fait déchoir pour des raisons fondées., tous les autres prendront rang à dater de leur conversion : en sorte que, par exemple, celui qui sera entré au monastère à la seconde heure du jour, se reconnaîtra, quel que soit son àge ou sa dignité, le cadet de celui qui est arrivé à la première heure. Quant aux enfants, ils devront être maintenus dans la règle en tout et par tous.

Les plus jeunes honoreront donc leurs anciens ; et les anciens auront de l'affrction pour les jeunes. Lorsqu'ils se nommeront les uns les autres, il ne sera permis à personne de désigner quelqu'un par son seul nom, niais les anciens donneront aux plus jeunes le nom de Frères, et les jeunes à leurs anciens celui de Nonni , terme qui exprime la révérence à un père.

Quant à l'abbé, parce qu'il est censé tenir la place du Christ, il recevra l'appellation de Dominus et Abbas, non qu'il se l'arroge de lui-même. mais à cause de l'honneur et de l'amour dus au Christ. Aussi devra-t-il s'en pénétrer et s( rendre digne d'un pareil honneur.

Quand les frères se rencontreront, le plus jeune saluera son ancien en disant Benedicite . Si un ancien vient à passer, le plus jeune se lèvera, lui fera place pour s'asseoir, et ne se permettra pas de se rasseoir que son ancien ne l'y ait invité. On accomplira ainsi ce qui est écrit : "Se prévenir d'honneur les uns les autres. »

Vous saurez ce que dit notre sainte Règle : de se prévenir d'honneur les uns les autres, et ailleurs que se rencontrant le plus jeune demandera la bénédiction à son ancien. Ce mot d'ancien se prend de deux sortes : la première, c'est que nous devons regarder pour ancienne celle qui est entrée en Religion avant nous quand ce ne serait que de deux heures ; l'autre, c'est que nous devons estimer anciennes toutes celles qui nous devancent en vertu. Or, comme nous devons croire qu'il n'y en a pas une qui ne nous surpasse en vertu, aussi il n'y en a point à qui nous ne devions respect comme à nos anciennes.

no 458 Conférence.

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CHAPITRE LXIV DE L'ETABLISSEMENT DE L'ABBE

Dans l'établissement de l'abbé, on aura pour régie constante d'établir comme tel celui que toute la communauté, inspirée par la crainte de Dieu, aura élu d'un commun accord, ou même celui qu'aura choisi une partie de la communauté, quoique la moins nombreuse, pourvu que son jugement soit plus sage . Dans cette élection, on aura égard au mérite, à la sagesse et à la doctrine du candidat, quand bien même il occuperait le dernier rang dans la communauté .

L'abbé, une fois établi, devra penser sans cesse à la nature du fardeau qu'il a reçu, et à Celui à qui il devra rendre compte de son administration. Qu'il sache qu'il lui faut servir bien plus que dominer. Il doit donc être docte dans la loi divine, afin de savoir et d'avoir où puiser les maximes anciennes et nouvelles.

Qu'il soit chaste, sobre, indulgent : que toujours il préfère la miséricorde à la justice, afin d'obtenir pour lui-même un traitement semblable. Qu'il haïsse les vices, mais qu'il aime les frères.

Dans la correction même, il agira avec prudence et sans excès de crainte qu'en voulant trop racler la rouille, il ne brise le vase. Il aura toujours devant les yeux sa propre faiblesse, et se souviendra qu'il ne faut pas broyer le roseau déjà éclaté. Et par là nous n'entendons pas qu'il puisse laisser les vices se fortifier, mais qu'il les détruise avec prudence et charité, en adaptant les moyens à chaque caractère, comme nous l'avons déjà expliqué.

Qu'il s'étudie plus à se faire aimer qu'à se faire craindre. Qu'il ne soit ni turbulent, ni inquiet ; qu'il ne soit ni excessif, ni opiniâtre ; qu'il ne soit ni jaloux, ni trop soupçonneux sinon il n'aura jamais de repos.

Dans ses commandements, il sera prévoyant et circonspect. Dans les tâches qu'il distribuera, soit qu'il s'agisse des choses de Dieu, soit de celles du siècle, il se conduira avec discernement et modération, et se rappellera la discrétion du saint patriarche Jacob, qui disait : "Si je ,fatigue mes troupeaux en les faisant trop marcher, ils périront tous en un jour ."

Imitant donc cet exemple, et d'autres semblables, de la discrétion, cette mère des vertus, qu'il tempère tellement toutes choses que les forts désirent faire davantage et que les faibles ne se dérobent pas.

Par dessus tout, qu'il observe tous les points de la présente Règle, afin qu'après avoir bien servi, il s'entende adresser par le Seigneur cette parole au bon serviteur qui avait distribué le froment, en temps opportun, à ses compagnons : "En vérité, je vous le dis, le Maitre l'établira sur tous ses biens ."

Si vous êtes seule dans la souffrance, vous n'êtes pas sans compassion et sans que l'on désire de vous pouvoir aider à soutenir ce que vous supportez. Je suis plus à vous que jamais. Si Notre Seigneur agréait de me rendre digne de vous soulager, ce serait de très bon coeur, usez de moi comme vous voudrez et si l'entretien vous sert de quelque chose, venez, je vous écouterai et vous dirai ce que Dieu me fera la grâce de me donner pour vous.

no 2718 A Mère Marie de Jésus Chopinel, rue Cassette.

Un des principaux devoirs imposés par la charité à la Mère Prieure, c'est, comme dit la sainte Règle,- de corriger ses Soeurs...

Notre glorieux Père veut que les supérieurs, quand ils sont obligés de corriger le fassent avec prudence et sans excès, de crainte, dit-il, que voulant trop ôter la rouille, ils ne viennent à rompre le vase.

Cérémonial.

La Supérieure usera de son autorité avec modération pour la rendre aimable et s'attirer le respect de ses Soeurs. Elle s'efforcera d'adoucir la peine que causent naturellement aux inférieures l'assujettissement et la dépendance.

Cérémonial.

Croyez, ma très chère Mère, que pour être Supérieure il ne faut pas croire qu'on le peut emporter sur les autres. Il faut souvent obéir au lieu de commander. Ne croyez pas vos propres lumières, ne croyez pas même que vos lumières soient de Dieu, vous tomberiez dans une étrange erreur.

Pour bien réussir dans la charge il y faut être sans prendre vie à quoi que ce soit, ne désirant que de faire régner Jésus Christ dans les coeurs, ne parler qu'en son esprit, et toujours se séparer de soi-même. C'est le vrai moyen d'attirer du Ciel les bénédictions sur la Mère et les Filles et sur tout le couvent.

no 949 A la Mère Prieure de Varsovie, 6 juillet 1695.

L'amour que les religieuses doivent à la sainte Règle et aux Constitutions leur fait un devoir de les regarder comme le moyen le plus puissant qu'elles aient d'acquérir la vertu, d'opérer leur salut et de mériter la vie éternelle. Ce devoir est aussi imposé à la Supérieure ; mais il en est un qui l'emporte encore sur celui-là et qu'on peut regarder comme sa première obligation, c'est de veiller exactement à leur maintien et à leur entière observation. Dans l'ancienne loi, il était commandé à celui qui montait sur le trône d'écrire la loi de sa propre main et de la lire continuellement, afin d'apprendre à craindre le Seigneur et à garder ses ordonnances. C'est ainsi que la Supérieure doit étudier, méditer sans cesse, la Règle, les Constitutions et les règlements de la sainte Religion, et les avoir toujours présents à l'esprit. Qu'elle les regarde comme la lampe qui doit éclairer toute sa conduite, comme le guide qui doit diriger tous ses pas. Qu'elle demande à Dieu les lumières et les grâces nécessaires pour les bien pénétrer et se mettre en état d'en bien instruire les autres.

Elle considérera attentivement si la conduite de ses Soeurs est en tout conforme aux prescriptions de la Règle et des Constitutions, et, quand elle les trouvera en défaut elle sera soigneuse de les corriger avec prudence et charité : tout manquement de ce genre, si l'on n'y remédiait promptement, pourrait attirer beaucoup de mal à la suite.

Cérémonial.

Il est vrai que je ne réponds pas si vite que vous pourriez désirer, mais tôt ou tard, je n'y manquerai point, à moins d'être malade. Vous pouvez représenter vos surcharges à votre Supérieure, comme la sainte Règle le permet. Après, vous, devez vous en remettre à la Providence et, si l'on ne vous soulage pas, confiez-vous en la miséricorde de Notre Seigneur qui vous assistera sûrement, pourvu que vous receviez tout de sa sainte main, sans vous réfléchir sur les causes secondes. Couchez-vous, autant que vous pourrez, à l'heure, dans la vue de la volonté de Dieu et confiez-vous en sa bonté.

Oui, avec permission, vous pouvez vous lever un quart d'heure plus tôt que le couvent, pour un peu avancer le temps de l'oraison, mais quand vous vous trouvez mal, nous ne voulons point cela. Il faut prendre par obéissance ce petit soulagement.

Demandez-moi sur tout ceci ce que j'aurais manqué à vous répondre, car, comme je vous écris à plusieurs reprises, je m'oublie beaucoup. Mais prenez la peine de réitérer et me croyez en Jésus et sa très sainte Mère toute à vous.

no 489 A Mère Saint Placide, rue Saint Marc, Paris, 1683 (autographe).

Ne vous affligez pas de votre incapacité : Notre Seigneur vous fournira selon le besoin des âmes qu'il vous adresse ; ne vous découragez pas : quand il semble que nous ne disons rien qui vaille, c'est quelquefois alors que nous faisons le mieux... Il est vrai, très chère Mère, qu'après nous avoir bien fatiguées à parler, l'entretien n'a servi de rien ; mais nous faisons comme celui qui sème son grain ; il ne lui donne pas l'accroissement, il fait ce qu'il peut et Notre Seigneur fait le reste.

no 1147 A Mère Saint François de Paule, Prieure, Paris, vendredi 2 septembre 1695.

CHAPITRE LXV DU PRIEUR DU MONASTERE

Il arrive souvent que l'établissement du prieur fasse naître de graves scandales dans les monastères. Il s'en trouve, en effet, qui, enflés d'un méchant esprit de superbe, s'imaginent être de seconds abbés, et qui s'attribuant une autorité sans contrôle, entretiennent des scandales et causent des dissensions dans la communauté. Cela se produit surtout en ces lieux où le prieur est établi par le même évêque ou par les mêmes abbés que l'abbé lui-même.

On voit aisément combien cette manière de faire est absurde. C'est elle qui, dès le moment de sa nomination, donne au prieur matière à s'énorgueillir. Elle lui suggère qu'il est soustrait au pouvoir de son abbé, puisque : "Toi aussi, se dira-t-il, tu as été établi par ceux-là mêmes qui ont institué l'abbé."

De là surgissent des jalousies, des conflits, des détractions, des rivalités, des cabales, les pires désordres. Or, si l'abbé et le prieur sont opposés de sentiments, il est impossible que, dans une telle discorde, leurs âmes ne se trouvent pas en danger. Ceux également qui vivent sous leur conduite, prenant parti pour l'un ou pour l'autre, sont exposés à se perdre. De ce péril sont responsables au premier chef ceux qui se sont faits les auteurs d'un pareil dérèglement.

C'est pourquoi nous jugeons que, pour conserver la paix et la charité, il faut que le gouvernement de son monastère dépende entièrement de l'abbé. Si faire se peut, toute la marche du monastère sera assurée par des doyens, et cela selon les ordres de l'abbé, comme nous l'avons déjà dit. Les charges étant confiées à plusieurs, un seul n'aura pas l'occasion de s'énorgueillir.

Si toutefois le lieu rend un prieur désirable, ou si la communauté le demande pour un juste motif, et avec humilité, si l'abbé enfin le juge à propos, c'est ce dernier qui établira lui-même pour prieur celui qu'il aura choisi avec le conseil des frères craignant Dieu.

Le prieur exécutera avec respect tout ce que son abbé lui prescrira, sans jamais contrevenir à sa volonté et à ses ordres. Car, plus il est élevé au-dessus des autres, plus il doit observer consciencieusement les préceptes de la Règle.

Si ce prieur tombait dans quelque dérèglement, s'enflait d'orgueil, ou était convaincu de mépris pour la sainte Règle, on l'en reprendrait jusqu'à quatre fois. S'il ne s'amendait pas, on lui ferait subir la correction de la discipline régulière. Si par ces moyens il ne se corrigeait pas encore, on le déposerait de son rang de prieur, et on mettrait en sa place un autre qui en fût digne. Enfin, si après tout cela, il ne se montrait pas tranquille et obéissant dans la communauté, on le chasserait du monastère.

Que l'abbé cependant songe qu'il doit rendre compte à Dieu de toutes ses décisions, de crainte que le feu de l'envie ou de la jalousie ne vienne à brûler son âme.

La Mère Sous-Prieure lira souvent le chapitre LXV de la sainte Règle et la fin du même chapitre des Constitutions, qui parlent des devoirs particuliers de la Sous-Prieure. Elle les méditera devant Dieu, afin de les bien comprendre et de les remplir fidèlement. Elle tâchera d'acquérir par proportion les vertus et les qualités que saint Benoît demande de la Supérieure, et surtout une charité tendre et sincère qui s'étende à toutes ses Soeurs, sans exception, comme sans partialité. Qu'elle se souvienne surtout que, plus elle est élevée au-dessus des autres, plus elle doit être fidèle à la Règle ; que notre glorieux Père saint Benoît veut qu'elle fasse avec respect les choses que la Mère Prieure lui enjoindra, sans contrevenir jamais à ses volontés et ordonnances : et que, comme on l'a déjà dit, c'est à elle à entretenir par son exemple le respect, l'attachement et la soumission que toutes les religieuses doivent à leur Supérieure.

Que jamais donc elle ne donne aucun avis, qu'elle ne fasse aucune proposition, quoique bonne en apparence, qu'elle n'introduise rien de nouveau, sans en avoir conféré avec la Mère Prieure. Lorsqu'elle entendra quelque plainte, qu'elle verra quelque mécontentement, elle se hâtera de l'en avertir, afin de détourner le mal avec elle et de fortifier le bien. On ne saurait dire tous les maux qu'elle préviendra par cette conduite. Il faudrait savoir pour cela combien d'Ordres et de monastères le démon a renversés au moyen d'une conduite contraire.

Cérémonial.

Ainsi unie d'esprit et de coeur avec la Mère Prieure, la Sous-Prieure fermera l'accès à un des plus grands maux qui se puissent glisser dans les communautés. Lorsque les Supérieures d'une maison ne s'entendent pas, qu'elles ont, même innocemment, des sentiments et des inclinations qui diffèrent, que l'une improuve et rejette ce que l'autre affectionne, on voit les Soeurs se diviser à leur exemple, et former des partis différents. L'union des Supérieures prévient ce malheur. Comment en effet les Soeurs formeraient-elles des partis et partageraient-elles leurs affections, lorsqu'elles ne trouvent qu'une même âme dans la Mère Prieure et la Sous-Prieure.

Cérémonial.

Je ne laisse pas de vous plaindre et de vous compatir, je sais que vous souffrez, et la chère Mère Prieure, qui a le pauvre coeur rempli d'une très grande amertume. Je prie sans cesse Notre Seigneur qu'il lui plaise la fortifier ; la croix est assez forte pour la terrasser, si la grâce ne la soutenait. Vous faites bien, très chère, de lui épargner tous les chagrins que vous pouvez. Tâchez de la bien conserver, et consultez les médecins pour son carême, je ne la crois pas capable de le faire, prenez conseil de bonne heure.

n 3136 A Mère Saint Placide, rue Saint Louis, ce mardi soir 28 février 1696.

CHAPITRE LXVI DES PORTIERS DU MONASTERE

A la porte du monastère on placera un sage vieillard, qui sache recevoir et rendre un message : sa maturité le préservant de courir çà et là.

Le portier devra avoir sa cellule près de la porte, afin que ceux qui surviennent trouvent toujours à qui parler. Et aussitôt qu'on aura frappé ou qu'un pauvre aura appelé, il dira Deo gratias ou Benedic. Puis, dans toute la mansuétude que donne la crainte de Dieu, il s'empressera de répondre avec une charité fervente.

Si le portier a besoin d'aide, on lui donnera à cet effet un frère plus jeune.

Et nous voulons que cette Règle soit lue souvent en communauté afin qu'aucun frère ne s'excuse sous prétexte d'ignorance.

Nous ne saurions rien ajouter à ce que dit notre glorieux Père saint Benoît des qualités nécessaires au portier. On choisira pour cet emploi des personnes qui puissent remplir ses intentions, qui soient sages et discrètes, qui gardent l'entrée du cloître, comme le chérubin, dont parle l'Ecriture, gardait l'entrée du paradis terrestre.

Coutumier.

CHAPITRE LXVIIIDU CAS OU L'ON ENJOINDRAIT A UN FRERE DES CHOSESIMPOSSIBLES

S'il arrive qu'on enjoigne à un frère des choses difficiles ou impossibles, il recevra en toute mansuétude et obéissance le commandement qui lui est fait. Cependant, s'il estime que le poids du fardeau dépasse entièrement la mesure de ses forces, il représentera au supérieur les raisons de son impuissance, mais il le fera avec patience et à propos, et sans témoigner ni orgueil, ni résistance, ni contradiction. Que si après cette représentation le supérieur maintenait son ordre, l'inférieur se persuadera que la chose lui est avantageuse, et il obéira par amour, en mettant sa confiance dans l'aide de Dieu.

On ne contrevient pas au voeu d'obéissance pour représenter ses pensées, ses sentiments et ses difficultés sur les choses ordonnées, comme la Règle le permet en la manière marquée au chapitre LXVIII.

Journée religieuse.

Ce qui est impossible à la nature, Dieu le peut, mais par une grâce suprême, il faut que les entre-deux soient ôtés.

no 345 A la comtesse de Châteauvieux.

Le démon nous trompe souvent sous prétexte de perfection. Faisons notre Règle et conformons-nous aux louables coutumes de la Religion. Que dit la Règle ? Que l'on obéira jusqu'à l'impossible, perfection très grânde. Qu'est-ce à dire, Règle ? Cela veut dire que c'est le chemin que vous devez suivre pour vous rendre à Dieu. Exemple : une personne, un maître apprend à écrire à un enfant, si vous voulez ; il lui tire un trait et lui dit : voilà votre règle, suivez-là et vous irez droit ; n'allez pas de côté, mais allez sur votre règle et vous irez bien. Voilà notre chemin, marqué de Dieu pour aller à lui, il le faut suivre sans se détourner ; car de vouloir faire comme les Carmélites, les Récollettes, ainsi des autres, ce serait se fourvoyer, c'est leur sentier par lequel elles se sanctifieront, mais non pas vous qui avez l'honneur d'étre Filles de saint Benoît.

Pourquoi dit-on qu'on a vocation pour une telle Religion ? C'est que Dieu veut attirer cette âme par ce sentier dans la pratique de la Règle qui s'y observe.

n° 2314 Chapitre du 2 octobre 1671

Abandonnez-vous une bonne fois et surtout détruisez votre amour propre. Demeurez dans la parfaite obéissance ; autrement vous ne ferez rien qui ne soit à la ruine de votre perfection. Obéissez ponctuellement à notre bonne Mère Prieure, quand vous en devriez mourir de répugnance. Voilà la bonne perfection.

n 637 A Mère Marie de Jésus ('hopinel, Caen, ce 21 août 1648.

Si ce que l'on vous donne à faire surpasse vos forces, dites-le bonnement et humblement à la Mère Prieure, sinon recevez tout en silence avec humble soumission à Dieu, qui veut cela de vous.

no 3163 A Mère Saint Placide, rue Saint Louis, Paris, 1685 (autographe).

Si l'on avait inclination ou rebut pour un emploi, une charge, ou office, il n'est pas nécessaire de faire connaître l'attache ou l'inclination que l'on y pourrait avoir, mais se laisser à la divine Providence, et si cette charge que l'on aime vous est donnée, priez Notre Seigneur vous faire la grâce de n'y point suivre votre inclination.

no 817 A Mère Saint Placide, ce 24 juillet 1693.

CHAPITRE LXX QUE NUL NE SE PERMETTE DE CORRIGER A TOUT PROPOS

Il faut éviter dans le monastère toute occasion de présomption . aussi ordonnons-nous qu'il ne sera permis à personne d'excommunier ou de frapper l'un de ses frères, à moins qu'il n'en ait reçu pouvoir de l'abbé.

Ceux qui commettront des fautes seront repris devant tout le monde, afin que les autres en conçoivent de la crainte. Les enfants, jusqu'à l'âge de quinze ans, seront sous la garde et la surveillance de tous les frères ; mais cette vigilance s'exercera avec mesure et intelligence. Quant à celui qui se permettrait, sans l'ordre de l'abbé, de réprimander d'une façon quel conque les frères plus âgés, ou qui corrigerait les enfants sans discrétion, il serait soumi. à la discipline régulière, car il est écrit : "Ce que tu ne veux pas qu'on te fasse, ne le fais pa: à autrui ".

Comme Jésus Christ doit être notre unique modèle en toutes choses il faut les faire en sa sainte Présence... Nos Soeurs doivent être sociables les unes envers les autres, fort humbles, céder toujours, sans jamais contester. L'on ne doit jamais dire ses sentiments sur l'humeur et les façons de faire des unes des autres ; jamais railler et se moquer de ses Soeurs. Jamais les mépriser, Dieu ne le peut souffrir. Jamais les rebuter, ni contrister... Il ne faut jamais interpréter mal les actions, et les paroles de ses Soeurs, ni en porter jugement. Il faut toujours excuser les autres, et s'accuser soi-même... Il faut que leurs paroles adorent la Parole éternelle, et que parlant entre vous, mes Soeurs, vous parliez comme les anges et les saints, afin que votre conversation soit telle que saint Paul le désire.

Le Véritable Esprit, 1683.

Nos Soeurs ne se reprendront jamais les unes les autres d'aucune faute qu'elles se verront faire, si elles n'en ont ordre ; autrement cela serait contre le respect qu'elles se doivent, et contre l'humilité, qui ne vous permet pas de vous établir les supérieures de vos Soeurs.

Journée religieuse.

A l'orgueilleuse, il ne faut qu'une parole par mégarde, un geste sans dédain, c'est assez, on en fait une pièce de cabinet, on la met dans son coeur ; l'imagination s'en entretient. Voilà une belle pièce précieuse et un bel habillement pour en faire tant de cas ! Ce n'est pas tout, on la conserve dans un coin à part et dans l'occasion on la trouve pour dire qu'on s'en souvient bien. Mes Soeurs, le meilleur secret, c'est d'oublier tout ce qui choque nos sens et notre esprit, ne jamais garder volontairement ce qui nous aura causé quelque peine, oubliez-la et ne vous en souvenez jamais ; que si elle se présente, et vient rôder autour de vous, négligez-en le souvenir. Cela est étonnant qu'on oublie bientôt le bien qu'on nous fait, mais non pas quelque petite déplaisance. Je sais que vous vous aimez toutes ; que vous vous rendriez service si l'occasion se présentait et que vous le faites tous les jours dans les rencontres journalières, néanmoins on oublie tous ces bienfaits et une parole qui blesse en apparence, on la conserve et on en fait son trésor ; on la met dans son magasin. Que si on s'est tue par vertu lorsqu'elle a été dite, on en fait cent tours et cent détours dans son imagination pour se justifier par après. Il faut faire voir qu'on n'est pas bête, qu'on a du sens, que si l'occasion se présente on se gardera bien (della laisser échapper. On dit : «Je m'en souviens» et je ne l'oublie pas vingt ans après.

Et si Dieu se souvenait ainsi de nos péchés où en serions-nous ? Il dit que nous serons mesurés de la même mesure que nous mesurons les autres. Faites un petit examen là-dessus, et vous trouverez bien des choses à corriger. Dieu dit que le pécheur qui aura un véritable regret de ses péchés qu'il ne s'en souviendra jamais. Il les consume dans le feu de sa charité. Ha ! l'aimable parole ! Qu'il ne s'en souviendra jamais ! C'est lui-même qui le dit : ce ne seront point nos péchés passés qui nous damneront, non, mais les actuels qu'on est en volonté de faire.

n° 1640 Entretiens sur une lecture faite en commun Où il était parlé de l'humilité.

CHAPITRE LXXI QUE LES FRERES S OBEISSENT MUTUELLEMENT

Ce n'est pas seulement à l'abbé que tous les frères doivent rendre le bien de l'obéissance il faut encore qu'ils s'obéissent les uns aux autres. Ils sauront que c'est par cette voie de l’obéissance qu'ils iront à Dieu.

Plaçant ayant tout les ordres de l'abbé et ceux des officiers qu'il a établis ordres auxquels nous ne permettons pas de préférer les directives d'origine privée tous les plus jeunes obéiront pour le reste à leurs anciens, en toute charité et empressement.

S'il se rencontre quelqu'un qui ait l'esprit de contention, il sera chatié.

Lorsqu'un frère est repris par l'abbé ou par un supérieur quelconque en n'importe quelle manière, et pour une cause même de peu d'importance. s'il s'aperçoit alors tant soit peu que l'esprit de ce supérieur est irrité contre lui ou émoi ffloique légèrement, il se prosternera aussitôt par terre à ses pieds, pour faire satisfaction jusqu'à ce que la bénédiction qu'on lui donnera ait fait connaître que l'émotion est calmée. Si quelqu'un dédaigne d'en agir ainsi, il sera soumis à un châtiment corporel, et, s'il demeure opiniâtre. il sera expulsé du monastère.

Toutes les fois qu'elles seront reprises par la Supérieure, elles se mettront à genoux sans rien dire.

Journée religieuse.

Et puisque selon les Constitutions, les Conseillères peuvent donner aux Soeurs des avertissements charitables, elles doivent les recevoir avec humilité, se mettant à genoux, comme dit la sainte Règle, ne se relevant pas qu'on ne leur dise.

Journée religieuse.

Saint Benoît pousse l'obéissance si loin qu'il veut que l'on aille jusqu'à l'impossible, et il ne se contente pas que l'inférieur obéisse aux supérieurs, il ordonne de plus que les inférieurs s'obéissent mutuellement.

n 950 Conférence sur le renouvellement des vœux, 1695.

Vous devez être comme un morceau de cire dans les mains de l'obéissance pour faire ce que l'on vous dira, non seulement de vos Supérieures, mais de vos Soeurs que vous devez respecter... Souvenez-vous que vous n'êtes plus à vous et que vous ne devez plus rien rechercher pour vous. Marchez donc sans plus vous regarder et sans vous séparer des desseins de Jésus Christ.

no 3024 A une Religieuse, rue Cassette.

CHAPITRE LXXII DU BON ZELE QUE DOIVENT AVOIR LES MOINES

Comme il y a un zèle d'amertume, mauvais, qui sépare de Dieu et conduit en enfer, de même il y a un bon zèle qui éloigne des vices, et conduit à Dieu et à la vie éternelle. C'est le zèle que les moines doivent pratiquer avec une ardente charité, c'est-à-dire ils s'honoreront mutuellement de leurs prévenances. Ils supporteront très patiemment les infirmités d'autrui, tant celles du corps que celles de l'esprit. Ils s'obéiront à l'envi les uns aux autres. Nul ne recherchera ce qu'il juge utile pour soi, mais bien plutôt ce qui l'est pour autrui. Ils se rendront chastement les devoirs de la charité fraternelle. Ils auront pour Dieu une crainte inspirée par l'amour ; ils auront pour leur abbé une dilection humble et sincère. Ils ne préfèreront absolument rien au Christ, lequel daigne nous conduire tous ensemble à la vie éternelle.

Il faut de la ferveur. Tâchez d'être toutes plus ferventes les unes que les autres. Sans ferveur vous ne ferez rien. Je n'entends pas cette ferveur qui fait courir avec précipitation pour se devancer au choeur ou à l'office ; ce n'est point là la ferveur. Elle consiste en une grande exactitude à l'observance de notre sainte Règle, en une obéissance perpétuelle aux supérieures et en une charité, union, douceur et condescendance entre nous, afin qu'étant toutes membres d'un même corps, nous soyons un en Jésus Christ.

no 3102 Conférence.

Le corps de Jésus Christ est son Église, dont nous sommes membres. Le Père éternel nous a oints de la même onction qu'il a oint son propre fils, et notre baptême est le baptême de Jésus Christ. Par le baptême, nous sommes morts, avec Jésus, transformés en lui de manière que nous ne devons plus paraître, mais être toutes perdues et cachées en Jésus Christ.

Étant convaincues de cette vérité, vous ne devez jamais entre vous, vous regarder humainement...

Vous ne devez voir que Jésus Christ dans vos Soeurs, les regardant comme ses bien aimées, en qui il prend ses complaisances, destinées à le posséder éternellement dans la gloire. Vous aurez, dans cette vue, les unes envers les autres du respect, de l'estime et de la charité, vous n'y verrez rien humainement.

no 3157 Conférence, 11 mai 1695.

Soyez tendre aux souffrances du prochain et ne pouvant les aider dans leur pauvreté et leur affliction, prions pour eux.

L'esprit de Jésus inspire cette charité, il embrasse tout et veut faire du bien à tous.

Hélas ! si les pauvres affligés savaient bien faire usage de leurs croix, ils se sanctifieraient. Demandez pour eux cette grâce.

no 2749 A une Religieuse de Toul.

Il ne faut autre vie, ni autre coeur dans cette maison que le coeur et la vie de Jésus Christ... Nous ne devons voir en toutes choses que Jésus Christ, c'est notre

170 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 171

exemple et notre modèle. Imitons sa douceur, son humilité, sa condescendance et patience envers le prochain.

n 337 Chapitre, dans une nouvelle maison.

Cédez toujours ! Mais si je cède aujourd'hui il me faudra encore plus céder demain ! Qui se fait la brebis, le loup la mange ! Oh ça ! dites un peu combien de pistoles vous avez gagnées quand vous vous êtes bien soutenue dans les créatures ? Vous me direz : je n'en gagne pas, mais je me satisfais... Croyez-moi, vous ne gagnerez rien, qu'en cédant toujours.

no 74 a Entretiens familiers.

Il ne faut jamais soutenir son sentiment après l'avoir dit. Si l'on persiste, au contraire, il faut céder incontinent.

no n 976 Diversités spirituelles.

Ne vous amusez point à la causerie et à communiquer l'une à l'autre vos scrtiments, vous savez combien cela est contraire à la charité, et aussi comme L4 rapports sont pernicieux et qu'ils la brisent entièrement. Donnez-vous à vous-même la douceur et la satisfaction d'une sainte paix et union.

no 2028 A une communauté (Toul ou Saint Louis).

Ne regardons jamais aux autres ; voici un point de grande importance. Ne méprisons jamais personne, quoique, selon le monde l'on soit de moindre condition que vous, car à présent que vous avez l'honneur d'être professes, il n'y a plus de différence : vous êtes toutes égales, puisque vous êtes toutes remises en Dieu, comme je disais l'autre jour. Et ne jugeons [pas], car cela n'appartient qu'à Dieu qui est le seul qui puisse juger avec vérité, car nous ne voyons que l'extérieur et souvent une action qui paraîtra mauvaise en apparence, ne le sera pas en effet, car il n'y a que l'intention qui fait le péché. Et qu'une âme, à la mort, aura de consolation quand elle dira à Notre Seigneur : «Ne me jugez point parce que je n'ai pas jugé». Ah ! mes Soeurs, quel bonheur pour une âme quand elle peut dire cela avec vérité, et quelle assurance que d'avoir les promesses de Jésus Christ pour caution ! Faisons en sorte que cela soit.

no 2362 Chapitre aux novices, 1687.

Nos Soeurs se parleront toujours fort civilement, sans se tutoyer, ni user de termes trop libres, ni contester entre elles, prenant garde surtout de ne se dire jamais de paroles rudes, ni rien de mortifiant...

Les Soeurs du Noviciat seront fort respectueuses envers les Mères de la Communauté.

La charité que nos Soeurs doivent avoir les unes pour les autres les doit porter à s'entraider.

Journée religieuse.

Je vous conjure et vous exhorte de toutes mes forces de conserver cette union et charité, car, mes Soeurs, si vous êtes dans la charité et que vous vous aimiez les unes les autres Notre Seigneur ne vous délaissera pas, il versera sur vous ses abondantes bénédictions, et vous donnera un grand secours que vous n'espérez pas.

n° 2000 Entretiens familiers, 30 avril 1695.

L'on a coutume aussi de finir l'année par un exercice d'humilité et de charité, se demandant pardon les unes aux autres, vertu de charité que je vous recommande ou plutôt que Dieu vous ordonne par ma bouche. Ne dites jamais vos sentiments sur l'humeur ni sur la façon de faire de votre prochain directement ni indirectement. car ces sortes de libertés sont la peste de la Religion : cela détruit entièrement la charité et l'union sans laquelle les monastères ne sont plus que désordre et confusion. En matière de charité il n'y a rien de petit, tout est grand et considérable et Notre Seigneur nous l'apprend dans l'évangile lorsqu'il nous dit que quiconque offense son prochain l'a touché à la prunelle de

Ecoutez la mesure que Notre Seigneur donne à l'amour que nous devons avoir pour notre prochain : c'est de l'aimer comme nous-même en sorte que nous le devons traiter comme nous voulons être traité. Nous lui devons procurer le bien que nous nous souhaitons à nous-même : et quand vous voudrez dire quelque chose de votre prochain, faites réflexion si vous voudriez qu'on en dit autant de vous ; cette pratique vous retiendra infailliblement. Que tout le monde soit en sûreté avec vous. Une autre considération qui vous doit retenir, c'est que les fautes contre le prochain sont presque toujours irréparables, quelque bonne volonté que vous en ayez. Cette parole de mépris, ce sentiment que vous avez communiqué à cette personne s'est imprimé si fort dans son esprit qu'il ne lui est plus possible de l'oublier ni de l'effacer, quoi que vous puissiez dire.

no 2383 Chapitre, dernier jour de l'année.ccxxiii

Ayez un grand amour les unes pour les autres, en sorte que vous ne soyez toutes qu'un coeur et un esprit. C'est la prière que Jésus fit à son Père un peu auparavant sa mort, disant : «Mon Père, faites qu'ils ne soient tous qu'un comme vous et moi sommes un». O union admirable !

Il veut, mes Soeurs, que cette charité soit établie parmi vous. Elle y est déjà, mais pas dans la perfection qu'il souhaite. Travaillez-y, je vous en conjure. Ne dites jamais rien de vos Soeurs qui les puisse tant soit peu altérer. C'est une vertu délicate que la charité : il ne faut souvent qu'une parole pour la blesser.

no 2641 Chapitre du 2e vendredi des Avents, 1663.

Aimez vos Soeurs d'une sainte cordialité et voyez-les toujours en Dieu, jamais ne les contristez, ni contrariez volontairement ; servez-les avec douceur, humilité et charité, et non humainement, mais comme membres de Jésus et comme ses épouses. Portez grand respect à vos supérieures qui vous tiennent la place de Dieu.

no 1955 A une jeune Religieuse, rue Cassette.

172 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 173

Ne rebutez point, soyez douce et condescendante, faisant service à toutes comme à Jésus Christ, et, quoique votre trait semble vous séparer, il ne faut pas se rendre insupportable ni à charge. La raison de ceci est que notre sainte Règle veut qu'on ne soit point la croix de son frère, et que l'on se prévienne l'une l'autre ; que l'on s'entresupporte autant qu'il est possible, parce que vous n'êtes pas érémitique, mais conventuelle. Donc il faut vivre dans la pureté et sainteté de cet état ; et cela se peut sans sortir de notre désert, en vous accoutumant à voir Jésus Christ dans nos Soeurs, à les aimer et servir comme Jésus Christ.

n 456 A une Religieuse, rue Cassette.

Soyez douces et charitables dans les récréations, sans vous choquer l'une l'autre, conservant la paix. C'est ce que je vous recommande. Ne sortez point de la petitesse pour dire des paroles fières, car si vous ne conservez l'humilité vous sortez de l'état de victime et vous vous éloignez de la ressemblance à Jésus Christ immolé, sacrifié et anéanti sur l'autel. Encore une fois, je vous le répète, soyez douces, charitables et humbles : ce sont les vertus d'une victime du Saint Sacrement.

n 2663 entretiens familiers.

Notre disposition pour bien commencer cette année sera de faire une sérieuse réflexion, qu'étant toutes membres d'un corps, une religieuse qui fait une infidélité, blesse toutes ses Soeurs pour la liaison qu'il y a les unes aux autres et une ne peut commettre une faute, sans y intéresser toute la communauté.

Mes Soeurs, concevez bien l'importance de vivre en paix, union et charité, les unes entre les autres ; je le répète souvent..., : «Alter alterius onera portate et sic adimplebitis legem Christi», dit saint Paul. Supportez-vous les unes les autres en la charité de Jésus Christ...

La liaison des membres est si étroite que l'un se ressent de la douleur de l'autre, du moins il s'efforce à la secourir. Si on se blesse au pied, aussitôt le corps se courbe, les yeux le regardent, la main le touche, tous les membres se portent à le soulager et donner leur assistance. Ainsi, si une de nos Soeurs est malade, que chacune l'assiste, l'une pour l'excuser, l'autre pour prier, la compatir, supporter ses faiblesses : c'est ce que vous devez faire. Je parle de la maladie spirituelle comme la plus importante. Allez en paix. Priez bien les unes pour les autres.

n 1240 Chapitre de paix, dernier jour de 1672.

Je vous avoue que je fus touchée le Jeudi Saint entendant comme saint Jean nous décrit l'amour que Jésus recommandait à ses disciples d'avoir les uns pour les autres.

Il semble qu'il n'avait pas tant à coeur, l'amour que l'on doit avoir pour lui, comme celui qu'il veut qu'on ait pour le prochain... Ne vous étonnez donc pas si je réitère si souvent que vous vous aimiez les unes les autres... Oh ! mes Soeurs, il faut que votre amour parte du coeur, c'est peu de l'apparence ; «si votre justice, dit Notre Seigneur, n'excède, ne surpasse celle des pharisiens, vous n'entrerez pas au royaume de Dieu»...

Notre Seigneur hait infiniment le péché, mais il aime le pécheur. Il le reçoit à sa table, il convie au banquet les pauvres, les boiteux, les aveugles, et ainsi nous devons aimer nos Soeurs. Ne nous arrêtons pas à leurs défauts, et à leurs misères. Les plus faibles sont celles pour qui nous devons avoir plus de tendresse à l'exemple de notre divin modèle Jésus Christ au très Saint Sacrement où il exerce une charité infinie envers nous.

n 2887 Chapitre d'après Pâques.

Je vous exhorte donc, comme saint Jean faisait à ses disciples, de vous entr'aimer les unes les autres. Je vous avoue que je donnerais volontiers ma vie pour que Notre Seigneur soit glorifié dans cette maison et qu'il y trouve sa complaisance. Moyennant qu'il soit content, tout le reste ne m'est rien et je puis assurer qu'il le sera pleinement lorsque la charité sera bien établie dans nos coeurs.

n 1526 Diversités spirituelles.ccxxiv

Hors d'une vraie et sainte union de coeur et d'esprit l'on ne peut réussir. Je vous prie, mes très chères Mères, de bien tenir la main à cette union, autrement le démon renverserait toujours le bien que vous tâcheriez de faire. Vous commencez et commencez donc en bénédiction par cette parfaite charité qui règne et qui doit régner parmi vous. Prenez bien garde à retrancher les fautes qui se commettent contre la charité, surtout les rapports qui sont des pestes qui détruisent cette sainte vertu.

n 801 A trois Religieuses de Pologne, 1695.

Nous devons examiner (souvent) nos paroles.

Combien en disons-nous contre la charité ? Par la réflexion que nous y ferons, nous verrons que nous avons manqué de circoncire notre langue et à mortifier nos sentiments. Retranchons ces sentiments, mes Soeurs, aussi bien que nos paroles, et que l'on n'entende plus parmi nous [de paroles] opposées à la charité. Ne condamnons et ne biaiuons personne, mais excusons cc gui nous paraît défectueux dans notre prochain. Ce sera le moyen de conserver la paix que je ne saurais trop vous recommander, tant elle est nécessaire. Je ne dis pas la paix avec Dieu comme la possèdent les âmes qui ont la conscience pure (je ne doute pas que vous ne l'ayez), ni même celle dont jouissent les âmes les plus saintes ; mais je dis la paix que nous devons avoir ensemble, qui entretient l'union des coeurs et qui fait que l'Esprit de Dieu nous anime et nous donne véritablement cette paix qui nous fait posséder Dieu dans l'intime de notre âme où il fait sa demeure.

no 2660 Chapitre, 1693.

Demandez-vous donc pardon l'une à l'autre mais avec esprit et de bon coeur. Quelqu'une dira peut-être : «Je ne sache pas avoir offensé une de mes Soeurs». A la bonne heure ! Mais savons-nous bien que l'on offense en diverses manières ? Ce n'est pas toujours en querellant et contestant, cela ne se voit point en Religion, ce serait une chose horrible, nous offensons nos Soeurs lorsque nous ne leur donnons pas bon exemple... Voyez si vous avez un coeur de charité pour vos Soeurs...

174 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 175

Voyez ce que nous devons à nos Soeurs et comme nous avons bien sujet de leur demander pardon pour ne leur avoir point donné bon exemple et d'avoir arrêté par nos infidélités le cours de grâces que Dieu aurait versé sur la Communauté.

n 219 Chapitre, dernier jour de l'année.

C'est une maxime véritable que tout ainsi que nous traitons notre prochain, nous sommes traités de Dieu. Recevez cette parole, non de moi, mais de la vérité éternelle qui dit que : « Que nous serons mesurés de la même mesure que nous mesurons autrui». Et il est certain que si nous avons de la douceur, de la compassion et de la condescendance pour nos Soeurs, Dieu en aura pour nous... Par des dispositions contraires à la charité, nous nous retirons de l'effet de la prière de Jésus Christ, Notre Seigneur. Car sa prière est toujours efficace, et tout ce qu'il a demandé pour nous à son Père lui est accordé. Or il lui demanda la veille de sa mort que tout, ainsi qu'il n'était qu'un avec Lui, que, de même, tous les siens ne fussent qu'un entre eux ; et c'est dire par nos actions : «Je ne veux point de la prière de Jésus Christ», lorsque nous conservons des sentiments, voire une pensée contre la charité. 11 ne faut donc être qu'une âme et qu'un coeur. Mais quel sera ce coeur ?... Ce sera celui de Jésus Christ qui doit être notre coeur. Vous me direz et pourquoi pas celui de la sainte Mère de Dieu puisqu'elle est notre Mère et Supérieure ? C'est qu'elle n'en a point que celui de son Fils...

Mais si cette union est pour tous les chrétiens, à plus forte raison pour nous qui sommes ou nous disons Filles du très Saint Sacrement qui est un sacrement d'union et de charité.

Nos coeurs sont faits pour aimer ; ils ne sauraient vivre sans amour. Il faut donc renoncer à nous-même et à l'amour de notre propre esprit, pour n'aimer que par la charité de Jésus Christ, et, ce faisant, je vous promets que vous deviendrez des Jésus Christ.

no 217 Chapitreccxxv

Je vous recommande toujours la parfaite union qui ne se peut conserver que par une profonde humilité. Si vous avez ces deux points vous triompherez de l'enfer et par conséquent de tous vos ennemis.

Ne soyez donc jamais divisées, quelques choses qui vous puissent arriver, soit par tentation, par antipathie ou par dégoût.

Vivez dans cette paix divine qui vous unit ensemble par l'Esprit Saint de Jésus Christ.

n 117 A la Communauté de Varsovie, 8 septembre 1687.

Entr'aimez-vous les unes les autres, que chacune contribue de son côté à maintenir dans la Communauté la paix et l'union ; comme vous ne faites toutes qu'un corps, qu'il n'y ait de même entre vous qu'un coeur et qu'un esprit, qu'il n'y en ait jamais d'autre qui y règne que celui de Jésus Christ... Prenez toujours tout en bonne part et excusez plutôt que de condamner ; que chacune prenne à tâche de ne plus dire ses sentiments ; la charité y est presque toujours intéressée ; si on pensait bien que le prochain dont on parle est aussi cher à Dieu que la prunelle de qu'il est le prix du sang de Jésus Christ, on prendrait plus garde à ne rien dire qui lui puisse faire peine, parce que Dieu même s'en tient offensé... L'union des coeurs est la vertu et la grâce de Jésus Christ.

no 950 Conférence, 1695.

Puisque selon l'esprit de notre sainte Règle, les Supérieures tiennent la place de Jésus Christ dans le monastère, nos Soeurs seront très exactes au respect et à la soumission qu'on leur doit. Notre grand Patriarche veut qu'on les aime d'un amour humble et sincère... Nos Soeurs aimeront donc leur Supérieure suivant la sainte Règle, parce qu'elle leur tient la place de Dieu... Il faut enfin que par leur amour et soumission envers la Supérieure, elles tâchent de soulager et adoucir le poids de la charge au lieu de l'augmenter, car elle expose son salut pour celui de ses Filles, et elle travaille incessamment devant Dieu pour leur salut...

Journée religieuse.

Vous avez une bonne Mère Prieure à qui Dieu donne toutes les lumières nécessaires pour vous conduire à la perfection de votre vocation. Suivez ses conseils, ouvrez-lui votre coeur. ayez une entière confiance en sa bonté et charité. Elle aime tendrement votre âme, vous trouverez en elle tout ce que vous aurez besoin pour aller à Dieu.

n 710 A une Religieuse de Toul.

Vos supérieurs ne les regardez jamais humainement. Ne regardez en eux que l'autorité de Dieu duquel ils vous tiennent la place. Obéissez-leur et regardez leur volonté, leur commandement, comme vous feriez ceux de Dieu. Ne les regardez jamais sans regarder Dieu en leur personne, quand bien même vous y verriez mille défauts, que cela ne diminue point le respect et la soumission que vous devez avoir. Si vous pratiquiez ce que je vous dis, Dieu vous bénirait. Vous ne devez pas même regarder leurs vertus si elles en ont, car du moment que vous regardez en elles autre chose que Dieu, ce n'est plus Dieu que vous regardez. Il faut encore moins s'arrêter aux antipathies, à un je ne sais quoi qui nous déplaît et qui nous ôte la cordialité et la confiance que nous y devrions avoir. Voilà ce qui arrive bien souvent lorsqu'on les regarde humainement comme des créatures, et cela est un des plus grands obstacles que vous puissiez jamais avoir à votre perfection.

n° 2291 Conférence pour la fête de notre glorieux Père saint Benoît.

N'aimez donc que Jésus Christ, ne désirez que lui, n'estimez rien que lui, ne possédez rien que Jésus Christ, ne goûtez rien que lui, ne vous rassasiez de rien que de Jésus Christ, n'espérez rien que lui, ne voulez rien que lui, ne cherchez rien que lui, ne prétendez rien que lui, ne vous plaisez en rien qu'en lui, ne vous reposez en rien qu'en lui et prenez votre satisfaction d'être toute remplie de Jésus Christ.

n° 1757 Pour le premier dimanche de Carême.

176 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 177

CHAPITRE LXXIII QUE TOUTE LA PRATIQUE DE LA JUSTICE N'EST PAS CONTENUE DANS CETTE REGLE

Cette Règle, que nous venons d'écrire, il suffira de l'observer dans les monastères pour faire preuve d'une certaine dignité de moeurs et d'un commencement de vie monastique. Quant à celui qui aspire à la vie parfaite, il a les enseignements des saints Pères, dont la pratique conduit l'homme jusqu'aux sommets de la perfection. Est-il, en effet, une page, est-il une parole d'autorité divine, dans l'Ancien et le Nouveau Testament, qui ne soit une règle très sûre pour la conduite de notre vie ? Ou encore, quel est le livre des saints Pères catholiques qui ne nous enseigne le droit chemin pour parvenir à notre Créateur ? Et de même, les Conférences des Pères, leurs Institutions et leurs Vies , ainsi que la Règle de notre saint Père Basile, sont-elles autre chose que les instruments des vertus des moines vraiment bons et obéissants ?

Il y a là pour nous, relachés, inobservants et négligents, de quoi rougir de confusion.

Qui donc que tu sois, qui te hâtes vers la patrie céleste, accomplis avec l'aide du Christ, cette toute petite Règle, écrite pour les débutants. Cela fait, tu parviendras avec la protection de Dieu, aux plus hautes cimes de la doctrine et des vertus, que nous venons de rappeler.

Il s'agit ici des Conférences et des Institutions de Cassien et des Vies des Pères du désert. Avec les oeuvres de Saint Grégoire le Grand, elles ont été les "manuels" de la vie spirituelle au moyen âge.

ICI FINIT LA REGLE

Les vérités évangéliques sont les choses les plus remarquables du Nouveau Testament, comme les paroles de Notre Seigneur, lesquelles nous devons croire infaillibles, car il a dit de sa propre bouche : «Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point». Et les vérités évangéliques nous font connaître Dieu et nous découvrent les voies pour aller à lui...

C'est notre divin Maître qui nous fait cette leçon. Tâchons de la bien apprendre et de la fidèlement pratiquer.

n 1387 A la comtesse de Châteauvieux.

«Recevez en douceur le Verbe planté en nous lequel peut sauver nos âmes » en saint Jacques, chapitre premier. Parole admirable et qui enferme tout ce qu'il y a de grand dans le christianisme. Parole qui nous devrait occuper toute notre vie. Recevez avec douceur le Verbe enté en vous. Mais quel est ce Verbe, sinon Jésus Christ, enté en nous par le saint baptême, qui nous fait des Jésus Christ mêmes, comme la petite greffe du cerisier change en sa substance, un tronc sauvage et en fait un cerisier. Mais, mes Soeurs, que cela est déplorable ! Ces plants, végétants, feront notre condamnation, un jour. Quoi ! un petit rameau aura la vertu de changer en soi tout autre arbre sur lequel il sera enté et Jésus Christ, Notre Seigneur, enté en nous par le saint baptême et enté derechef par la sainte communion, n'aura pas le pouvoir de nous changer en lui ? D'où vient, mes chères Soeurs, d'où vient ce malheur ? C'est que nous étouffons ce greffe divin dans son berceau, que, si nous ne le faisons mourir, du moins, nous le coupons si près qu'il n'a pas la force de pousser ses branches, ses feuilles et ses fruits...

Ce n'est pas vivre que de ne point vivre de la vie de Jésus Christ qui est la vie ainsi qu'il dit lui-même : «Je suis la rie». Cette parole procède du Verbe éternel et partant, elle est infaillible. Lui seul est vie.

En vérité, faisons un peu de réflexion. Entrons chez nous et voyons si Jésus y est. En ce cas nous sommes des Jésus Christ. Est-ce sa vie qui anime nos âmes ? qui forme notre intérieur et qui règle notre extérieur ? Portons-nous Jésus en nos yeux, sur notre langue, dans nos oreilles, en tous nos mouvements ?...

Nous devons concourir avec Jésus Christ pour le former en nous par la pratique de toutes les vertus, nous abandonnant à sa conduite, lui donnant lieu en notre coeur, l'adorant et toutes ses divines perfections et opérations, puisque, sans cesse, il opère pour nous transformer tout en lui comme une greffe divine. Cela étant, son divin Esprit nous introduira dans l'intime de notre âme... C'est pour cela que nous sommes créés. Oh, mes Soeurs, qui pourrait voir et connaître les opérations de Jésus dans une âme ? Cela est incompréhensible. Mais quels sont les fruits qu'il y produit ? Ce sont les fruits d'un parfait anéantissement, d'humilité, d'abjection, de mépris de toutes les créatures et de nous-même.

Voyons-nous ces fruits en nous ? Je crains fort que non. Une parole contre nos sentiments, l'oubli que l'on fera de nous, une oeillade occupée et voilà des fruits abominables, fruits de péché qui étouffent ce germe sacré. Ah, mes Soeurs, souvenez-vous que tout ce qui n'est point Dieu n'est rien et partant, que nous ne devons pas nous en occuper. Entrons en de justes ressentiments en la présence de Dieu pour l'avoir si mal traité en nous et tâchons de réparer aujourd'hui tant de péchés et infidélités et nous rendons désormais plus fidèles à adhérer et nous unir à ce Verbe divin, enté en nous. Lorsque nous le recevons par la sacrée communion, ouvrons-lui notre coeur, recevons ce greffe sacré, abandonnons-lui notre liberté et marchons avec une grande attention et respect à toutes ses divines opérations pour devenir enfin des Jésus Christ.

n 2636 Conférence.

Il faut que vous vous rendiez attentive sur vous-même et que vous vous appliquiez à voir le trésor que vous possédez dans votre intérieur, qui n'est autre que les trois divines Personnes. Ah ! qui s'occupe bien de ces vérités ne s'amuserait pas à tant de fadaises. Travaillez-y, je vous en conjure et à former Jésus Christ en vous, car à l'heure de la mort, si vous n'êtes des Jésus Christ, le Père éternel ne vous connaîtra point pour siennes et vous dira : «Nescio vos- . Paroles effroyables, mais ce n'est pas assez de dire «Soyez des Jésus Christ, formez Jésus Christ en vous», on ne s'en revêt point comme d'un habit. Pour s'en nourrir, il faut le prendre par morceaux : notre estomac n'a pas la force de le contenir tout. Les âmes qui sont élevées à une grâce éminente comme un saint Paul, une sainte Madeleine et autres, ont été transformés en Jésus Christ, en un instant mais ceux et celles qui sont par la voie d'une grâce commune, ne doivent point attendre cela, mais s'appliquer à connaître Jésus Christ, à méditer ses vertus et mystères, faire usage de ses grâces, le voir en tout et partout ; le prendre par le détail, chacun selon sa grâce, car, enfin c'est notre unique obligation, tout le reste n'est que vanité et nous aurons à rendre compte de Jésus Christ, de l'usage que nous en avons fait. Rendre compte à Dieu de Dieu même, cela est étonnant.

no 2887 Chapitre d'après Pâques.

LA PAIX BÉNÉDICTINE

Que pensez-vous de cette terre qui est douce aux débonnaires ? C'est la terre de l'anéantissement, car débonnaire veut dire une personne douce, bienfaisante, qui porte la paix partout et la possède en soi-même ! Connaissance qui la met dans le néant où se trouvent toutes sortes de grâces et de bénédictions. C'est là où lui est donnée cette terre fortunée qui renferme Dieu même. Cette béatitude a bien du rapport à cette autre : «Bienheureux sont les pacifiques parce qu'ils seront appelés enfants de Dieu). Celle-ci a quelque chose de plus particulier comme enfant de Dieu. Elle est logée dans son coeur comme un enfant est logé dans la maison de son père ; le pacifique pacifie toutes choses, porte un grand calme en son intérieur, ce qui lui donne rapport à Dieu qui est un Dieu de paix.

no 2606 A la comtesse de Châteauvieux.

Désirons la paix que Jésus Christ donne aujourd'hui à ses Apôtres qui est le fruit de sa vie glorieuse. Cette paix est un trésor du paradis, il ne se trouve point en la terre, c'est la présence de Jésus qui l'opère...

Cette paix divine fait le soutien de l'âme... L'âme possédant cette tranquillité, Dieu se contemple lui-même dans le fond de cette âme et y fait une impression de ses perfections divines... Quand Jésus donne sa paix à une âme, il lui donne son esprit, il lui donne son amour. C'est une grâce merveilleuse d'avoir cette paix qui calme les troubles de nos intérieurs, qui chasse la crainte, qui tient l'âme dans un simple et amoureux abandon à l'opération divine... Qu'est-ce que cette paix sinon la présence de Jésus et sa demeure dans nos coeurs. C'est pourquoi le Saint Esprit réside au milieu de la paix, le prophète nous l'assure : «In pace locus ejus,, et si nous l'avons, le Saint Esprit nous enverra le divin amour.

no 325 Conférence, mardi de Pâques, 1665.ccxxvi

Voyez, mes Soeurs, si vous avez participé à la grâce de la Résurrection de Jésus Christ Notre Seigneur, dont l'une que j'estime des plus avantageuses c'est la paix qu'il donne à ses Apôtres. Les évangélistes remarquent qu'il leur donna trois fois, ce qui nous apprend qu'il veut que nous ayons la paix avec Dieu, paix avec le prochain et paix avec nous-même.

Pour l'avoir avec Dieu, il faut faire trois choses : la première, n'avoir aucun péché en l'âme puisqu'entre Dieu et le péché il y a une guerre irréconciliable. Je suis assurée que par la grâce de Notre Seigneur, vous avez toutes cette première ; mais il faut travailler à la seconde qui est de se défaire de certaines imperfections d'habitude qui déplaisent à Dieu et empêchent l'effet de cette paix divine. La troisième est de porter une soumission de volonté à tout ce que Dieu veut de nous, n'ayant ni désirs, ni projets aucuns, puisque pour l'ordinaire nos désirs font le sujet de nos inquiétudes. Je dis même pour les choses intérieures et qui regardent notre perfection et notre éternité.

La seconde paix qui est avec nous-même s'acquiert en travaillant à cette première, car si vous y prenez garde nous ressentons des troubles et des inquiétudes lorsque nous avons offensé Dieu ; la conscience est dans la gêne et les reproches ; comme aussi quand nous nous laissons emporter dans quelque saillie ou humeur naturelle. L'on dira peut-être que suivre ses désirs et volontés c'est le moyen d'avoir la paix en soi-même. Oh, c'est là une paix vicieuse, ce n'est point la paix de Jésus Christ, paix qui ne s'acquiert et ne se conserve qu'en nous renonçant à nous-même.

Il y a une troisième paix avec le prochain, paix si nécessaire à tout chrétien, et plus encore aux âmes religieuses, que j'estime ne pouvoir, sans cette paix, arriver à la perfection chrétienne ou religieuse. Elle est plus difficile à acquérir et à conserver que la paix avec Dieu même. La raison c'est que les remords de conscience et les reproches intérieurs qui suivent ordinairement le péché et les imperfections nous retiennent souvent d'y tomber ; mais pour le prochain notre naturel est si déréglé depuis le péché de notre premier père que nous trouvons de la satisfaction d'adhérer à nos antipathies et aux mauvaises humeurs que nous avons contre notre prochain. C'est à ce point que je vous exhorte, mes Soeurs, de travailler fortement et constamment afin de mériter de Notre Seigneur la grâce de cette troisième paix, si importante à notre perfection.

Si elle est nécessaire à tout chrétien, à plus forte raison à des Filles du très Saint Sacrement qui est un Sacrement de paix et d'union. Aussi voyez-vous que Jésus Christ nous l'envoie de l'autel après que le prêtre a dit : «Dona nobis pacem». L'on nous apporte la «paix» à baiser, qui est ordinairement la figure du très Saint Sacrement ou d'un crucifix. Il faut faire cette action avec esprit. Les prêtres et officiers s'embrassent à l'autel en signe de paix.

Donc la paix est une participation de Dieu qui est paix par essence, perfection en Dieu si adorable et si permanente que rien au monde ne peut troubler cette paix. Les hommes et l'enfer vomiraient contre Dieu tous les blasphèmes les plus horribles, qu'il ne perdrait rien de sa paix ni de son repos. C'est cette paix qu'il inspire à ses enfants, laquelle ils conservent au milieu de la guerre des tentations et contradictions de la vie, paix qui les rend bienheureux dès cette vie, ainsi que dit Jésus Christ : «Bienheureux les pacifiques parce qu'ils seront appelés enfants de Dieu» . Heureuse l'âme qui désire cette paix, mais qui la recherche et travaille de l'acquérir puisque par elle, elle entre en possession de Dieu même, lequel lui fait goûter un repos inexplicable. Paix sainte et généreuse. Mettez-vous, mes Soeurs, en état d'y avoir part en ce saint temps de la Résurrection de Jésus, lequel nous la mérite par sa mort, et que la sainte temps confère à ses enfants.

Dites à cet effet un Regina coeli à la sainte Mère de Dieu, pour honorer son Coeur fort généreux et tout de paix.

n° 3167 Chapitre du vendredi de Pâques, 1664.

Une âme qui possède cette paix est trop riche, elle est toujours égale dans les différents événements, parce qu'elle est établie en Dieu. Cette paix divine est le soutien de l'âme. Goûtez-la, très chère, non dans vos sens, mais dans le dénuement de toutes choses. Quand l'âme a perdu les créatures, elle jouit de cette paix précieuse, qui tient tout en repos, en silence et en solitude. L'âme possédant cette tranquillité, Dieu se contemple lui-méme dans le fond de cette âme, et y fait une impression de ses divines perfections. Ceci est meilleur au goût intime de l'âme qu'à la parole qui l'exprime.

n 1478 A la comtesse de Châteauvieux, quelques jours après Pâques, 1659.

Que peut-on dire de la grande sainte Scholastique, sinon que c'est une âme cachée en Jésus Christ, si profonde en oraison, qu'elle a acquis un pouvoir sur les créatures élémentaires. Si Josué a eu la puissance de faire rétrograder le soleil de plusieurs heures, notre glorieuse sainte a eu la puissance de renverser l'ordre des planètes et la sérénité du ciel, puisqu'au seul mouvement de son coeur, il a été contraint d'ouvrir ses cataractes et de donner une telle abondance d'eau, qu'il semblait un petit déluge. Et pourquoi ? pour posséder la joie de parler des grandeurs de Dieu, de ses divines perfections et de ses ineffables mystères, qui sont les mets délicieux dont les saints se rassasient durant toute une éternité, sans dégoût et sans changement. Cette grande sainte, se sentant proche de cette glorieuse possession et toute embrasée de l'amour de son Dieu, demande à son frère de lui parler des choses éternelles, pour soulager son coeur navré par les flammes de ce brasier qui ardait incessamment dans son âme... Ce n'était pas l'affection qu'elle portait à notre glorieux Patriarche, son frère, quoiqu'elle l'aima pour sa rare vertu, qui la faisait le prier avec instance de demeurer avec elle, ce fut pour parler de Dieu et se réjouir de ses grandeurs.

no 2608 A une Religieuse, sur la fête de sainte Scholastique.

MONASTÈRES CONTEMPORAINS

[liste omise]

REMERCIEMENTS

Au terme de ces pages nous tenons à exprimer notre profonde reconnaissance à Dom Jean Leclercq qui a accepté, malgré ses travaux, si nombreux et si érudits, de consacrer un peu de son temps à l'étude de la spiritualité de Mère Mectilde. Il a si bien compris, avec son coeur de moine, la pensée de notre fondatrice, que nous ne saurions lui en dire assez notre sincère admiration.

Nos plus vifs remerciements vont aussi à M. l'abbé Joseph Daoust, Docteur ès lettres, dont la compétence et la patience ont sans cesse soutenu notre travail et éclairé notre route.

Nous tenons enfin à redire tout ce que ce volume doit aux moniales de nos monastères qui ont participé si fraternellement à la recherche et au choix des textes que nous présentons ici.

Que Notre Dame, notre abbesse, et notre Père saint Benoît, obtiennent pour chacun d'eux, la Paix de Dieu.

TABLE NUMÉRIQUE

[omise]

TABLE ANALYTIQUE

Suggestions pour une étude des principaux thèmes abordés par Mère Mectilde dans les textes de ce volume.

ABANDON et confiance en Dieu : en la paternité de Dieu : 59 - à la volonté de Dieu : 59 en la bonté de Jésus Christ : 65 - à la miséricorde de Dieu : 59, 65, 85 - et oubli de soi : 88 - source de paix : 133 - aux conduites purifiantes de Dieu : 96 - nous fait entrer dans les voies de la sainteté : 86 - « comme un petit enfant » : 37, 135 - à la conduite de Dieu dans la prière : 107, 108, 137.

Tout quitter pour Dieu : 36, 147 - et destruction de notre amour-propre : 164 et progrès de l'âme : 78 - à l'amour de Jésus Christ : 35 - à son action sanctifiante : 38 ne pas choisir les emplois : 164.

l'ABBÉ (la Prieure). La paternité spirituelle : 46, 47, 48, 49, 50, 146, 154, 157, 159 - tient la place de Jésus Christ : 64, 70, 72, 175 - tient de lui son autorité : 68 - pèse ses ordres devant Dieu : 73 - cherche à le faire régner dans les coeurs : 158 - prie pour ceux qui souffrent : 161 - ses qualités dans le gouvernement : 48, 52, 93, 134, 154, 158 - son humilité :51, 158 - sa justice : 47 - condescendance envers les imparfaits : 110.

La Mère Maîtresse des novices : ses devoirs : 148 - coupable des fautes non corrigées : 148.

ACTION DE GRACE. 63 - pour les miséricordes de Dieu : 62 - pour les dons de Dieu : 116. AMOUR de Dieu et souffrance : 72 - plus que les contradictions : 54 - n'aimer que Dieu :

65, 146 - par dessus-tout : 54 - amour de Jésus Christ méprisé : 105 - de Jésus et Marie

avec confiance : 89 - adhérer à Dieu dans l'Oraison : 107.

DU PROCHAIN . prier pour le prochain selon notre grâce : 55 - et offrir à Dieu ses peines :57 - consoler ceux qui pleurent :5 7.

AMOUR-PROPRE : plus nuisible que l'enfer : 94 - prend l'aspect de la vertu : 94.

ANGES :aimer nos anges gardiens, être attentives à leurs avertissements : 86.

ASCESE : pour plaire à Dieu : 40 - et humilité préservent des illusions : 97 - corporelle : lui préférer l'humilité et l'obéissance : 97 - mortification des sens et sainteté : 135 - et stabilité en Dieu : 152 - permet à Dieu d'agir en nous : 163 -Carême et souci des santés : 161.

PÉNITENCE : La vraie est celle de l'esprit : 91, 133, 135 - don de Dieu : 133 - en quoi elle consiste : 133 - préférer celle envoyée par Dieu : 1 33, 134 - celle que Dieu veut : l'humilité : 134 - renoncement continuel : 134 - et obéissance : 134 - dans le travail : 135 - porter sa croix avec soumission et foi :1 36.

ATTENTION à Dieu : dans le silence : 7 7, 78 - et adhérence à Dieu : 65, 99, 146 - et présence de Dieu : 63 - y revenir par un simple regard : 86 - malheur de l'âme désoccupée de Dieu : 108.

CHERCHER DIEU : 28, 50, 76, 10S - ne chercher que lui : 34, 105, 175, 54, 146 sans se rebuter : 145 - en pureté : 93 - humilité : 83.

192 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 193

AUTORITÉ : respecter les Supérieures : 70, 167, 171, 175 - aimer les Supérieures : 175 alléger leur charge :175 - suivre leurs avis : 69 - leur être soumise comme à Dieu : 77.

BAPTEME : nous transforme en Jésus Christ : 146, 169 - voeu de vivre de Jésus : 149 - et profession : 153 - nous sommes baptisés dans la Croix : 91.

SAINT BENOIT : rempli de l'esprit de tous les justes : 27, 28, 29, 30, 74 - coopère à la sainteté de ses fils : 78, 113, 128 - lui demander son esprit, imiter sa vie : 28, 30, 43 son silence : 78 - son esprit de pauvreté : 116 - nous a légué l'adoration, et la «Laus perennis» : 29,103 - son estime du travail : 130.

BONHEUR de posséder Dieu : 65, 117 - et pauvreté : 74, 91, 95, 117, 135, 147 - et humilité :146 - et silence : 77 - de l'union à Dieu : 77, 107, 108, 116.

CHARITÉ FRATERNELLE : 58, 65, 87, 170, 171, 172, 173, 174 - comment la pratiquer : 52, 58, 59, 64, 121, 155, 165, 169, 170, 171, 172, 173, 174 - et silence :77 - et humilité : 81, 95,165, 170 - faire l'aumône en vue de Dieu :115 - Dieu regarde le « prochain» comme la prunelle de son oeil :59.

COEUR : secret pour ravir le coeur de Dieu : 99 - dilater son coeur dans la présence de Dieu : 138 - le soumettre à Dieu dans nos peines : 147 - conversion du coeur : 145 - « ne pas endurcir nos coeurs» : 34 - le purifier pour recevoir la vie de Jésus Christ : 35, 136.

COMBAT SPIRITUEL : 33 - avec courage : 50 - contre soi-même : 38, 39 - et présence de Dieu : 62 - et chapitre des coulpes : 128.

COMMUNAUTÉ : Corps Mystique du Christ : 54, 151 - soutien du moine : 43 - porteuse de grâces : 98 - amour de la vie commune : 43,70, 97 - sa part dans la gestion des affaires : 51 , 52.

CONVERSION : pour 'suivre Jésus : 32 - dans la foi : 82 - sans retard : 34 - du coeur : 58, 63, 85, 132, 145 - et grâce de bien mourir : 61.

CROIX : don de Dieu : 40, 91 - en faire bon usage :41,169 - moyen le plus court pour aller à Dieu : 39,41,120 - fait peur :40 - user fréquemment du signe de la croix : 133.

DÉTACHEMENT : pour Dieu seul : 34, 46, 58, 60, 88, 139, 150 - source de paix : 84, 94, 179 - et voeux de chasteté : 152.

ANÉANTISSEMENT : sa nature : 65, 94, 96, 117 - pour trouver Dieu : 83, 96, 98, 100 - et douceur : 77, 106 - tue l'amour-propre : 94 - vraie pénitence : 133, 135. DIEU : est Père : 65, 135 - feu : 98 - est : 84 - Dieu seul : 55, 64, 97 - vie de la Trinité en nous : 7, - 'ne refuse rien à ceux qui l'aiment : 181 - aime les humbles : 35, 96 - son action en nous : 98, 105 - nous demandera compte de Son Fils : 112 - notre adoption divine : 42 - faire sa volonté : 37, 98 - dans l'oraison : 106 - dans les choses impossibles : 163 - se contemple dans les âmes pacifiées :179.

FOI : tenir ferme au tronc qui est Dieu : 37, 38, 64 - en sa Parole : 107 - 145 - en son action en nous : 107 - et conversion : 82, 99, 138 - voir Dieu dans le prochain : 59 - à l'office divin et à l'oraison : 102, 108, 140 - se fier aux lumières de la foi : 87, 106.

FIDÉLITÉ : à Dieu : 54, 65 - à la grâce : 34, 50, 98, 128, 145, 147, 153 - aux observances : 98 - participation à la sainteté de Jésus : 60 - par charité :51, 65, 173 - et obéissance : 32 - et paix : 88 - source de sanctification : 54, 160 - et mortifications de Providence : 135.

INFIDÉLITÉ : et humilité : 63, 105, 121.

GLOIRE de DIEU : donner sa vie pour : 41,58 - de Jésus et de Marie en chantant leurs louanges : 101 - et Office divin : 102 - l'humble rend gloire à Dieu : 81.

ADORATION : de Dieu en ses perfections : 107 - sans cesse : 108, 140 - et la «Laus perennis» :103 - tient l'âme attachée à Dieu : 105 - et oraison : 105, 139.

HUMILITÉ : source de paix : 91, 100, 179 - de vérité : 37, 64, 81, 83, 87, 93, 94, 96, 97 de bonheur : 100 - qualités de l'âme humble : 66, 74, 81, 82, 95, 100 - comment la pratiquer : 39, 59, 64, 85, 88, 95, 96, 97, 99, 100, 114, 134,135, 136 - la préférer aux austérités : 97, 121, 134 - détruit l'amour-propre : 35, 96 - règle de perfection : 82, 83, 100, 135 - humilité et vie fraternelle : 64, 82, 95, 171 - indispensable pour l'union à Dieu : 68, 85, 95, 99, 100 - pour l'oraison : 97, 104, 105 - Dieu aime les humbles : 35, 82, 83, 88 - se repose en eux : 66, 91, 137 - la demander de Marie : 96, 100.

INFIRMES : Jésus Christ présent à l'infirmerie : 120 - la maladie ne dispense pas de la sainteté : 69, 77 - comment se comporter dans la maladie : 72, 88, 120, 121 - et envers les malades : 120 -garder le silence 77.

JÉSUS CHRIST : vivre de lui, l'imiter : 112, 116, 136, 169, 175 - notre incorporation à lui : 41, 42, 104, 112, 135, 136 - notre unité en lui : 169, 171, 172, 174 - le servir dans nos Sœurs : 172 - nous abandonner à lui : 37, 65, 86, 106 - ne rien lui préférer : 37,58 l'attendre en patience :85 - s'unir à ses souffrances :59, 134 - avoir foi en sa Parole : 176 - la Résurection et l'Eucharistie, sources de paix :179 - l'obéissance de Jésus : source de la nôtre : 67, 68, 74 - son silence : 75, 76, 78 - ses abaissements pour nous : 64, 120, 149, 174 - sa puissance sur le diable : 37 - sa patience : 35, 39 - oraison et conformité à l'Esprit de Jésus : 137.

JOIE :de ce que Dieu est : 107 - des bienheureux, déjà nôtre : 77 - se réjouir de la gloire de Dieu dans les âmes : 64 - d'entendre la voix de Dieu : 76 - de l'âme reconnaissante : 116 - silence, source de joie : 77 - et pauvreté :116, 118 - de céder en toute rencontre : 95 - et liberté d'esprit nécessaire pour servir Dieu :135.

194 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 195

LECTURE : et esprit d'oraison : 131, 132 - « prédicateurs muets» :63 - au réfectoire : 123 au travail : 131 - les livres de Carême : 131 - et sanctification du dimanche : 131.

LIBERTÉ : de l'âme occupée de Dieu seul : 117 - don de Dieu : 34 - sacrifiée dans l'obéissance : 70 - effet du renoncement : 35 - de l'humilité : 84.

MARIE : le coeur de Jésus et de Marie : 101, 174 - son obéissance, exemple de la nôtre : 68 lui demander la conversion des pécheurs : 110, 111 - l'humilité : 96, 100, 111 - Notre Dame abbesse : 43, 50, 110, 111, 115, 174 - nous confier en son Immaculée Conception : 152 - lui confier la vie de Jésus en nous : 151 - et notre persévérance : 152.

MORT au péché et vie à Dieu : 35, 88, 91,117, 121, 149 - par la fidélité aux observances : 58 - pour gagner la paix : 91 - mort et regret des grâces perdues : 97, 112 - ne pas se laisser surprendre : 60, 61 - la désirer pour être «reconcentrée» en Dieu : 61 - Dieu récompense ses serviteurs :119 - coutumes pour l'ensevelissement : 56.

OBÉISSANCE : à Dieu par la Règle et les Supérieurs : 69, 70, 72, 73, 74, 89 - aux Supérieurs :169 - comme à Dieu :68,69,71,72,73,77,89,167, 171, 175 - de saint Benoît : 30 - fondement de la vie monastique : 87 - sa puissance : 148 - nous rend agréables à Dieu : 70, 136 - assure le moine dans la vie parfaite : 43 - à l'imitation de Jésus et de Marie : 67, 73 - ses qualités : 69, 70, 71, 72, 73, 74, 78, 89, 91 - jusqu'à l'impossible : 68 - et pauvreté : 97, 114, 116 - y être fidèle : 68 - obéissance mutuelle : 71, 167, 170 et travail manuel : 141.

PECHE : nous détourne de Dieu : 32 - pas de péché sans adhésion de la volonté : 37 - appelle la miséricorde : 111 - pardon de Dieu et pardon mutuel : 165 - à sa source dans l'orgueil et l'entêtement : 128, 165 - les fautes font pratiquer l'humilité : 94 - avoir regret de ses imperfections : 99 - ne pas commettre d'infidélités volontaires : 63 - et chapitre des coulpes : 112.

PERFECTION y tendre est une obligation du baptême : 149 - la rechercher constam-

ment : 61, 150 - ses «sentiers» : 37, 40, 41, 65, 78, 82, 83, 88, 89, 95,135,146,149, 152, 164 - s'acquiert peu à peu : 38, 40, 135.

PERSÉVÉRANCE : sa puissance : 84 - fruit de la grâce et de l'Esprit Saint : 60 - la confier à Marie : 152 - exigence de la vie intérieure : 41.

PLAIRE à DIEU : 50, 72 - écouter sa voix : 34 - y trouver sa suffisance : 59 - le rechercher à tout heure : 150 - et ascèse : 40.

PRÉSENCE de DIEU : conditions de la vie en présence de Dieu : 61, 65, 76, 78,84, 97, 99,

104, 106, 107,128, 138,140 - ses effets : 38,41,60, 62, 63, 82, 84, 85,112,128,131 - en quoi elle consiste : 62, 84, 134, 135 - y être fidèle : 65, 104 - à l'Office divin :102 à l'oraison : 107, 108, 139 - et oraison du coeur : 105.

PRIERE : comment faire oraison : 104, 105, 106, 107, 137, 139, 140 - commencer par la foi : 105 - et adoration : 104, 105, 139 - et humilité : 83,105, 139 - et obéissance :69, 74 - et mortification : 138 - et silence : 75, 78,105,107 - en simplicité et abandon : 102,

105, 132, 138 - dans le combat spirituel : 50, 104, 106, 107, 137, 139 - nourriture de l'âme : 104, 108 - désert de l'âme aimante : 139 - prière de demande : 101, 110, 111, 121 - Office divin :101,102,103,126,127,129,153.

PROFESSION : nous conforme à Jésus Christ : 149, 151, 153 - accomplissement de notre baptême : 149, 151, 153 - engage notre vie éternelle : 149 - nous dépouille de. nous-même : 151, 152, 153 - renouveler nos voeux fréquemment : 152, 153.

PURETÉ :du coeur : 179 - d'intention : 115, 128 - n'avoir que celle de Jésus Christ : 138.

PAIX : fruit de la charité : 170, 172, 173 - de l'union à Dieu : 65, 67, 71, 85, 91, 146, 179 de l'humilité et du renoncement : 65, 77, 89, 91, 94, 100, 114, 179 - ses conditions : 84, 88, 139 - nécessaire à la perfection : 179 - la conserver dans le travail : 77, 115 don de Jésus Christ : 35, 179 - don de l'Esprit : 174 - fait posséder Dieu : 89, 173, 179 oeuvre de chacune dans la communauté : 174 - l'abbé en est le gardien : 47.

PATIENCE : pour attendre la venue de Jésus en soi : 38 - la conversion des âmes : 39 pour se supporter soi-même : 39 - et confiance en Dieu : 59 - dans les contrariétés : 39, 91 - et vie intérieure : 88, 99, 121, 134.

PAUVRETÉ : tout quitter : 70, 71, 116, 117, 142 - à l'exemple de Jésus : 116, 118 - ne jamais se justifier : 92 - pauvreté de l'âme : 65, 74, 86, 90, 116, 117 - vertu évangélique : 116, 142 - source de sainteté : 142 - et de joie : 116 - dans la réception des sujets : 153 les pauvres, images du Christ : 141.

RECUEILLEMENT : adhérer à la présence de Dieu 106 - en foi : 107 - goûter Dieu dans l'abandon et la foi : 108 - le garder pour être attentive à Dieu : 34, 139 - dispositions pour s'y tenir : 106 - dans le travail : 130.

REGLE : contient l'Évangile : 29 - l'estimer, en pénétrer l'esprit : 29, 30, 41, 97, 139, 169 aimer ses observances : 97, 136 - source de perfection : 29, 31, 33, 68, 70, 76, 150, 151, 163 - et obéissance : 89, 148 - celle de saint Benoît est la plus parfaite : 29 - la Supérieure doit veiller à son observance : 113, 114, 158.

RENONCEMENT : pour vivre la vie de Jésus Christ : 55, 56, 136 - pour posséda Dieu : 28, 40, 54, 146 - pour plaire à Dieu : 40, 137 - n'aimer que Jésus : 167, 174 - pour appartenir à Dieu seul : 106, 145 - pour posséder la paix : 179 - perfection de l'âme : 78, 121 - source de bonheur et de sagesse : 56, 147 - oubli de soi : 35, 67, 71, 87, 88, 89 - par notre consécration : 149 - meilleure que les pénitences corporelles :135.

196 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 197

REPOS EN DIEU notre repos en «Son Centre» : 48 - par l'abandon à sa conduite : 35 en simplicité dans les bras de Dieu : 37 - en se tenant dans notre néant : 96 - par le renoncement :67.

UNION à DIEU : 97,134, 146 - lui appartenir sans réserve :134 - et silence :78.

DANS LA COMMUNAUTÉ : 174 - entre les Supérieures : 161 - par la fidélité aux observances : 51 - oeuvre de chaque Soeur : 174.

VIE INTÉRIEURE : oeuvre du Saint Esprit : 41 - vie en Jésus Christ : 60, 112, 136, 146 et silence : 75, 76, 98 - et renoncement : 83, 85, 86, 91, 96, 117 - et humilité : 100 chapitre des coulpes, renouvellement de vie :128.

VOCATION : et appel de Dieu : 146 - tout y sacrifier : 146 - l'aimer en travaillant à notre sainteté : 59, 97 - doit être forte : 62, 145 - épreuves du noviciat : 146, 148.

VOLONTÉ : de Dieu : espèce de sacrement : 74 - mesure de la perfection : 88 - ne chercher que la volonté de Dieu : 84, 86, 87, 88, 99 - source de paix : 88 - lui offrir notre volonté propre : 145, 147, 150 - y faire demeurer notre volonté à l'oraison : 105, 106, 107.

SAINT ESPRIT s'abandonner à sa conduite : 35, 91, 139 - la vie intérieure est son oeuvre : 41 - n'agit en nous que par le recueillement : 98 - son rôle dans l'oraison : 105, 138.

SAINTETÉ : Jésus Christ l'opère en nous : 61 - oeuvre du Saint Esprit : 33 - participation à la bonté de Dieu : 86 - par l'abandon à Dieu : 86 - en quoi elle consiste : 60, 88, 97, 100, 152 - dans les peines de l'âme et du corps : 39, 69, 120 - et travail manuel : 115 la Règle nous y conduit : 128.

SILENCE : de Jésus : 75, 77 - pour goûter Dieu : 76, 77, 78, 107, 139 - et vie intérieure : 69, 75, 76, 77, 78, 98, 105, 138 - et charité : 75, 77, 170 - amour du silence : 75, 76, 77, 78, 164 - et vie régulière : 30, 75, 76, 77, 123, 125, 138 - dans les choses impossibles : 164.

SIMPLICITÉ : dans l'obéissance : 91 - à l'oraison : 105, 106.

SOLITUDE : don de Dieu : 88 - pour goûter Dieu : 76 - demander à Jésus son esprit de solitude : 133 - oraison et solitude : 139.

SOUMISSION à DIEU : à la volonté de Dieu, source de vie intérieure : 61, 63, 67, 70, 74, 134 - aux Supérieurs et aux anciens : 69, 167 - et pauvreté intérieure : 86, 147 - pour être en paix : 179 - à l'oraison : 104, 139 - dans les choses impossibles : 164.

STABILITÉ : en Dieu : 152 - de l'esprit qui demeure en présence de Dieu : 84 - nécessaire pour que Dieu demeure en l'âme humble : 66 - dans le combat spirituel : 40.

TEMPS PRÉSENT : grâce du moment présent : 85 - et volonté actuelle de Dieu : 86 - attention au moment présent : 61 - en faire bon usage : 82.

TENTATION : vivre en présence de Dieu pour lutter contre les tentations : 62 - ne pas les craindre, s'appuyer sur l'humilité : 95 - du bon usage des tentations : 39.

TRAVAIL MANUEL : Notre Seigneur le bénit : 115 - dans quel esprit l'accomplir : 93, 113, 114, 115, 130, 131 - en pureté d'intention : 115 - dans l'obéissance : 141 - la cellerière : 113,114 - travail de la cuisine : 119.



Tables


Table générale

Table des matières

Un TOTUM de et sur MECTILDE 3

Présentation 3

Revue par ouvrage 4

Dimensionnements 5

Avertissement 5

Tome premier 7

Ame offerte 7

= Catherine de Bar 1614-1698 Une âme offerte à Dieu en saint Benoît, Téqui, 1998 7

Quatrième de couverture : 7

Page titre : 7

PRÉFACE 7

Comme un encens devant la face du Seigneur DOM JOEL LETELLIER 8

I - De la naissance à la mort, la même adhésion à Dieu par Jésus et Marie 8

1 - Du rêve de l'enfant à la vérité de Dieu 8

2 - Les tribulations d'une âme assoiffée de Dieu 9

3 - Un sanctuaire habité par Dieu 11

Il - Un demi-siècle de recherches 11

1. Le retour aux sources 11

2. Les imprimés des XVIIe, XVIlle et XIXe siècles 12

3. La première moitié du XXe siècle et l'éveil de l'année 1953. 14

4. Les trois grandes éditions des années soixante-dix 19

5. Années de saint Benoît et du congrès eucharistique : 1980-1981 23

6. L'année 1984 26

7. Ces dix dernières années 29

8. Histoire et perspectives 36

Mère Mectilde et les Mauristes DANIEL-ODON HUREL 39

L'itinéraire bénédictin de Mère Mectilde 40

Mère Mectilde et les Mauristes : le temps des fondations 41

Placide Roussel 42

Bernard Audebert 42

Ignace Philibert 42

Benoît Brachet 43

Antoine Espinasse 43

Claude Boistard 43

Antoine Durban 43

Luc d'Achery 44

Mère Mectilde et dom Claude Martin : la Pratique de la Règle de Saint Benoît 45

L'affaire de l'approbation des constitutions par Rome (1702-1708) 47

Conclusion 48

Mère Mectilde du Saint Sacrement MÈRE VÉRONIQUE ANDRAL 49

Mère Mectilde épistolière ABBÉ JOSEPH DAOUST 56

57

V Lettres autographes de Mère MECTILDE 58

A Monsieur Henri-Marie Boudon 0 Le 2 septembre 1652 58

[ Manuscrit non reconnu ! De même pour tous les autographes suivants] 58

Au Révérend Père Prieur [abbaye Saint-Germain-des-Prés] 59

Au Révérend Père Prieur [abbaye Saint-Germain-des-Prés 24 aoust (1654)] 59

Au Révérend Père Prieur [abbaye Saint-Germain-des-Prés 18 novembre 1658] 59

A la Reine de France [Anne d'Autriche 28 juillet 1664] 60

A Mère de la Nativité 1 [au monastère Notre-Dame de Liesse 3 décembre 1680] 61

A une religieuse de l'Institut [ décembre 1685] 62

A la Mère Prieure Radegonde de Beauvais 1 [à Varsovie Pologne 13° may 1688] 62

A une religieuse de l'Institut [4 may 1691] 63

A une religieuse du monastère de Saint-Louis à Paris [Samedy 5 de l'an 1692] 63

A Mère Saint-Placide du Monastère [de Saint-Louis à Paris 17 octobre 1693] 64

A la Révérende Mère François de Paule 0 [Monastère de Saint-Louis au Marais ler aoust 1695] 65

A la Révérende Mère François de Paule Monastère de Saint-Louis au Marais [30 avril 1697] 65

A la Révérende Mère François de Paule [Monastère de Saint-Louis au Marais Samedy 18 octobre 1697] 66

Lettre de la Mère Mectilde du Saint-Sacrement à une de ces âmes peinées [P101] 72

VII La Dispersion lors de la Révolution ARCHIVISTES DE ROUEN 76

PARIS, rue Cassette 78

TOUL (Meurthe-et Moselle) 78

RAMBERVILLERS (Vosges) 79

ROUEN (Seine-Maritime) 80

PARIS - Saint-Louis-au Marais 82

CAEN (Calvados) 84

CHÂTILLON-SUR-LOING (Loiret), aujourd'hui Châtillon-Coligny 84

DREUX (Eure-et-Loir) 85

BAYEUX (Calvados) 86

VARSOVIE en Pologne 87

Les monastères actuels 88

Index des noms de personne [omis] 89

Index toponymique [omis] 89

Index thématique [omis] 89

TABLE DES MATIERES 89

Ecrits Châteauvieux 90

MERE MECHTILDE DU SAINT SACREMENT Ecrits Spirituels A la Comtesse de Châteauvieux 90

INTRODUCTION [Louis Cognet] 91

LE BAPTEME ET LA GRÂCE CHRETIENNE 97

LES MYSTERES DU VERBE INCARNE 105

DIEU PRESENT EN NOUS 111

L'ORAISON 115

L 'HOMME ET SON NEANT 118

L ‘AMOUR ET LA CROIX 125

LA VIE CHRETIENNE 130

Amitié 137

= Une amitié spirituelle au grand siècle, lettres de Mère Mectilde de Bar à Marie de Châteauvieux, Tequi, 1989 137

PRÉFACE de Mgr Charles Molette 137

Le voeu de la reine 138

Une amitié spirituelle au grand siècle 141

La présente édition 143

LE BREVIAIRE ADRESSE A MADAME DE CHATEAUVIEUX 147

Introduction de Michel Dupuy 147

I. MARIE DE CHATEAUVIEUX 147

II. LE « BREVIAIRE » ET LA THEOLOGIE DU TEMPS 149

Dieu 149

Le Père 149

Le Fils 150

L'Esprit-Saint 151

Attitudes 151

« Pure foi » 151

Amour 152

Anéantissement 154

Simplicité 155

Pratiques 155

Servitude 156

Voeu de victime 156

Contrition et confession 157

LA PENSEE SPIRITUELLE DE MERE MECTILDE DU SAINT-SACREMENT 160

Introduction de Paul Milcent, eudiste 160

[TABLE du seul début de l’ouvrage ; page sans titre !] 167

INDEX DES NOMS DE PERSONNES 167

Lettres à la comtesse de Chateauvieux 168

INSTRUCTION SUR LE SAINT BAPTEME 168

n° 1946 169

A QUOI NOUS OBLIGE LE BAPTEME 169

no 1947 170

NOUS SOMMES BAPTISES AU NOM DE LA TRES SAINTE TRINITE 8 170

n° 195 170

RENOUVELLEMENT DE LA PROFESSION QUE NOUS AVONS FAITE AU SAINT BAPTEME 14 170

n° 2408 172

EXPLICATION DE LA PROFESSION DE BAPTEME 172

N° 1653 175

DE LA CONSECRATION QUE JESUS-CHRIST FAIT DE NOS AMES AU SAINT SACREMENT DE BAPTEME 175

n° 996 177

DE LA GRACE DU BAPTEME 177

n° 2477 178

APPLICATION DU BAPTEME 50 178

n° 275 178

DE LA SAINTETE DIVINE 179

n° 88 180

108 181

DE LA PRESENCE DE DIEU EN FOI 181

N° 1379 181

DE L'ESTIME ET DU RESPECT QUE L'ON DOIT AVOIR POUR DIEU 181

no 2646 182

SUR LA CREATION DE L'AME 182

n° 3117 182

[8 pages de photos. Légendes ici omises] 182

C’EST PAR LA FOI QUE L'ON CONNAIT DIEU 182

N° 1391 184

DES EFFETS DE LA FOI 184

N° 884 185

COMME IL FAUT OPERER EN FOI 185

n° 1435 186

« CONTINUATION POUR OPERER EN FOI » 186

n° 9 187

POUR OPERER EN FOI (suite du même sujet) 187

DE LA NECESSITE QUE NOUS AVONS D'ETRE A JESUS-CHRIST, REVETUES DE JESUS-CHRIST, ET DE FAIRE TOUTES NOS ACTIONS POUR JESUS-CHRIST 188

n° 674 191

COMMENT L'ON DOIT SERVIR LES MALADES 191

n° 353 192

COMME NOUS DEVONS FAIRE TOUTES CHOSES PAR OBEISSANCE A JESUS-CHRIST 192

N° 2531 193

AFIN D'HONORER DIEU PAR NOTRE OBEISSANCE Dieu et rien de plus ! 193

N° 1873 194

DE LA NECESSITE QUE NOUS AVONS DE CONNAITRE JESUS-CHRIST ET QUE LES ATTRIBUTS DE DIEU AIDENT BEAUCOUP A LE CONNAITRE EN PURE FOI 194

n° 2054 198

QUELQUES-UNS DES ATTRIBUTS DE DIEU 198

no 341 199

EN QUOI CONSISTE LA PERFECTION CHRETIENNE 199

n° 2826 199

COMME L'ON DOIT SE SACRIFIER EN QUALITE DE VICTIME 126 200

n° 3146 200

TOUCHES INTERIEURES POUR SE RENDRE ESCLAVE DE JESUS-CHRIST 200

n° 1374 201

DES QUALITES D'ESCLAVE ET DES DISPOSITIONS QU'IL FAUT AVOIR POUR L'ETRE DE JESUS-CHRIST 201

n° 692 et 2 fragments n° 2435 et 2443 202

CE QUE C'EST QUE PUR AMOUR ET DE SES EFFETS 202

N° 1014 [= référence du passage précédent] 203

CONTINUATION DU MEME SUJET ET QU'IL Y A TROIS SORTES DE MORTS D'AMOUR 203

n° 1712 204

POUR LAISSER REGNER LE PUR AMOUR, IL FAUT ETRE ABANDONNEE A TOUTES SORTES D'ETATS ET DE DISPOSITIONS 204

n° 3057 et 3098 à partir de : vous me laissâtes hier l'esprit occupé de votre douleur. 207

REGLEMENT EN FORME DE JOURNAL SUR LES ACTES LES PLUS IMPORTANTS DE LA JOURNEE 207

n° 844 208

INSTRUCTION POUR MONTRER LA DIFFERENCE DE LA MÉDITATION ET DE L'ORAISON 208

no 2613 209

DE L'ORAISON DE PURE FOI ET D'ANEANTISSEMENT 209

n° 312 211

DE L'ORAISON QUI SE FAIT EN SIMPLICITE D'ESPRIT 156 SELON LES SENTIMENTS DE M. DE GENEVE 211

No 2471 212

COMMENT L'ON PEUT PRIER EN TROIS MANIERES POUR LE PROCHAIN 212

n° 1324 214

INSTRUCTION SUR LA CONFESSION 214

Il me semble que j'avais encore un point à vous répondre, que vous m'aviez demandé ce matin. Notre Seigneur permet que je ne m'en souvienne point pour vous mortifier par cette privation, et vous donner lieu de recourir à sa bonté dans vos besoins. Je le prie qu'il vous vivifie de son saint amour, qu'il vous donne un grand coeur pour bien souffrir et une fermeté inébranlable pour vous laisser crucifier. 217

N° 1879 217

SUITE DE LA CONFESSION 217

n° 841 218

DE LA SAINTE COMMUNION ET DES INTENTIONS QUE L'ON DOIT PORTER EN FOND POUR LA SAINTE COMMUNION 189 218

DANS QUEL ESPRIT NOUS DEVONS COMMUNIER 219

[no 530] 221

no 530 et 3022 221

SUR LA FETE DU TRES SAINT SACREMENT 221

n° 167 222

DES BONS EFFETS QUE L'AME RECOIT EN COMMUNIANT SOUVENT 222

196. Jn 6, 57. 222

(n° 1697). 222

n° 1697 et 1225 223

SUR LA DEDICACE D'UN TEMPLE SUR ZACHEE 223

no. 1698 223

L'INTENTION DES SUPERIEURES POUR L'ETABLISSEMENT DES RELIGIEUSES /202 223

no 2543 225

LA VOIE QUI REND PLUS DE GLOIRE A DIEU EST CELLE D'ANEANTISSEMENT 225

CHAQUE AME A SA VOIE DIFFERENTE POUR RENDRE GLOIRE A DIEU 228

N° 1191 228

n° 2404 229

QU'IL FAUT UN GRAND COURAGE POUR SOUFFRIR DANS LA VOIE D'ANEANTISSEMENT 229

n° 57 230

CE QU'IL FAUT FAIRE POUR ENTRER DANS LA VOIE D'ANEANTISSEMENT 230

n° 1474 231

CE QU'IL FAUT FAIRE POUR ENTRER DANS LA VOIE D'ANEANTISSEMENT 232

n° 2258 233

DES MAUVAIS EFFETS QUE TOUTES SORTES DE CREATURES FONT DANS L'AME 233

n° 3086 236

SUR LE SILENCE 236

n° 894 237

INSTRUCTION SUR LE SILENCE 237

n° 2549 240

DE L'EXCELLENCE ET DES BONS EFFETS DES CROIX 240

n° 901 240

JESUS-CHRIST SOIT ETERNELLEMENT DANS VOTRE CŒUR 240

n° 1819 241

n° 1815 241

n° 2152 242

LETTRES DE CONSOLATION SUR LA PERTE QUE L'ON A FAIT DANS UNE FAMILLE 242

n° 1248 242

n° 1894 243

n° 2985 244

n° 2986 244

n° 491 244

n° 3085 244

n° 3166 245

n° 2556 245

n° 2536 245

no 1248-1745 246

INSTRUCTIONS POUR CONNAITRE SI LES REPROCHES INTERIEURS SONT DE LA GRACE OU DE LA NATURE 246

n° 725 247

POUR FAIRE VOIR QUE LA VOLONTE EST MAITRESSE 247

n° 2922 247

n° 966 248

DU PECHE D'ORGUEIL ET DE SES MAUVAIS EFFETS 248

n° 356 249

n° 994 250

n° 2476 250

n° 3041 251

n° 2087 251

no 2251 252

no 356 253

SUR LE MYSTERE DE L'INCARNATION 253

n° 1562 253

DES DISPOSITIONS DANS LESQUELLES IL FAUT ETRE DANS LE SAINT TEMPS DE L'AVENT 254

n° 1813 254

DISPOSITIONS DANS LESQUELLES ON DOIT ETRE POUR LA NAISSANCE DE NOTRE SEIGNEUR JESUS-CHRIST 254

n° 2238 255

DE LA PAIX QUE LES ANGES ANNONCERENT AUX PASTEURS 255

n° 2540 257

QU'IL FAUT PRENDRE POUR MODELE JESUS ENFANT 257

n° 1389 258

SUR LE MYSTERE DE L'EPIPHANIE 259

n° 120 259

SUR LE MYSTERE DE LA PASSION DE NOTRE SEIGNEUR JESUS-CHRIST 259

n° 1008 260

SUR LE MYSTERE DE LA RESURRECTION 260

n° 279 261

TOUCHANT LE GENERAL DE VOS ECRITS, VOICI CE QUE NOTRE SEIGNEUR NOUS EN A FAIT CONNAITRE 261

n° 2804 262

INSTRUCTIONS IMPORTANTES 262

n° 389 266

INSTRUCTIONS SUR QUELQUES PROPOSITIONS sur le premier article* 266

n°421 270

REPONSES A QUELQUES PROPOSITIONS 270

n° 307 275

APPENDICE 276

TABLE (UNE AMITIE SPIRITUELLE AU GRAND SIECLE) omise 276

Daoust 277

= J. Daoust, Catherine de Bar Mère Mectilde du Saint-Sacrement, Tequi, 1979 277

BIBLIOGRAPHIE 277

INTRODUCTION 278

Vie de Catherine de Bar 278

UNE JEUNE ET PIEUSE BOURGEOISE DE SAINT-DIE (1614-1631) 278

LES TRIBULATIONS D'UNE ANNONCIADE (1631-1638) 279

[photos omises] 280

UNE BÉNÉDICTINE ERRANTE (1639-1651) 280

LA FONDATRICE DE L'INSTITUT DE L'ADORATION PERPÉTUELLE (1651-1662) 282

LES DÉBUTS D'UNE CONGRÉGATION (1661-1698) 284

Fondation de Toul (1664) 285

Agrégation de Rambervillers (1666) 285

Le cardinal de Vendôme approuve la Congrégation (1668) 285

Agrégation de Notre-Dame de Consolation, à Nancy (1669) 285

Les Constitutions de l'Institut (1675) 285

[Photos omises] 286

Fondation de Rouen (1676-1678) 286

Fondation d'un second monastère à Paris (1684) 286

Agrégation du Bon-Secours de Caen (1685) 286

Fondation de Varsovie (1687-1688) 286

Fondations de Châtillon (1688) et de Dreux (1696) 287

La fin d'une sainte vie (avril 1698) 287

MÈRE MECTILDE ET LES SOURCES DE SA SPIRITUALITÉ /1 287

DOCTRINE SPIRITUELLE DE MERE MECTILDE DU SAINT-SACREMENT [Mère Marie-Véronique] 292

LE BAPTÊME 292

Le Père 292

Le Fils 292

L'Esprit-Saint 292

Temples de la Trinité 292

Baptême et profession 293

L'EUCHARISTIE 294

Sacerdoce royal des fidèles * * victimes pascales avec le Christ 294

Sacerdoce des fidèles 295

Réparation eucharistique * 296

LA LITURGIE 297

Le Mystère du Christ vécu dans l'Église et par l'Église 297

[Photos omises] 297

Pour le Carême 297

Tous les mystères dans le Mystère 298

ADORATION * 299

Oraison 301

Vie eucharistique, vie pascale 301

VIE MONASTIQUE 303

Le Mystère pascal dans la Règle et la vie du moine 303

[Photos] 304

CONCLUSION 305

Notre place dans l'Église avec Marie 306

CONFÉRENCE SUR L'APPEL À LA SAINTETÉ [inédite non référée!] 306

CONFÉRENCE DONNÉE LA VEILLE DES ROIS de l'année 1694 SUR LA VOCATION D'ADORATRICE [inédite non référée!] 307

[Photos omises] 308

PRIÈRES 309

Appendice I Appendice II 311

LA JOURNÉE D'UNE BÉNÉDICTINE AUJOURD'HUI AU MONASTÈRE DE ROUEN 311

CHRONOLOGIE [µ reste à restituer les deux colonnes Vie / Histoire] 311

Documents historiques 315

= Catherine de Bar, Documents Historiques, 1973 315

CONFÉRENCE FAITE A L'INSTITUT CATHOLIQUE DE PARIS LE SAMEDI 8 FÉVRIER 1958 par M. l'Abbé Louis COGNET, 322

« Lettre de Fénelon, Archevêque de Cambray sur la mort de notre très honorée Mère Institutrice. A une religieuse. 326

LES ÉCRITS DE MÈRE MECTILDE 326

CATHERINE DE BAR. 1614-1639 327

AU LECTEUR* 331

PREMIÈRE PARTIE MÉMOIRES 1631-1651 333

MÉMOIRES. 1631-1651 333

DEUXIÈME PARTIE SUITE DES MÉMOIRES 1651-1655 344

SUITE DES MÉMOIRES. 1651-1655 344

TROISIÈME PARTIE ÉCRITS 364

NOTE SUR LES ÉCRITS DE MÈRE MECTILDE, RAPPORTÉS CI-APRÈS 364

ÉCRIT DE NOTRE RÉVÉRENDE MÉRE SUPÉRIEURE 365

PRÉFACE DES CONSTITUTIONS LA VOCATION DES RELIGIEUSES DU TRÈS SAINT SACREMENT (*) 366

RETRAITE DE NOTRE RÉVÉRENDE MÈRE PRIEURE DU SAINT SACREMENT — EN 1662 — 368

VOICI ENCORE UNE SUITE DE LA MÊME RETRAITE SUR LA VIE CACHÉE EN JÉSUS-CHRIST 374

[photo ms.] 375

DE L'AMOUR DU MÉPRIS 376

SUR LA SAINTE COMMUNION 376

SUR L'ESPRIT DE SAINT BENOIT ÉCRIT DE NOTRE RÉVÉRENDE MÈRE 380

L'ESPRIT DE L'INSTITUT DE L'ADORATION PERPÉTUELLE 381

DE QUELQUES PARTICULARITÉS REMARQUABLES CONCERNANT MADAME LA MARQUISE DE BAUVES L'UNE DES FONDATRICES 384

QUELQUES SERVITEURS ET SERVANTES DE DIEU ONT EU DES VUES SUR CET INSTITUT, 385

DE QUELQUES PERSÉCUTIONS SECRÈTES SOUFFERTES 387

QUATRIÈME PARTIE SUITE DES MÉMOIRES 1633-1663 390

CHANGEMENT D'ORDRE DE LA MÈRE PRIEURE 390

DIVERSES LETTRES DE NOTRE RÉVÉRENDE MÈRE PRIEURE DU SAINT SACREMENT, ÉCRITES A MADAME LA COMTESSE DE CHATEAUVIEUX 392

LETTRE PREMIÈRE. 392

LETTRE DEUXIÈME. 393

LETTRE TROISIÈME. 394

LETTRE QUATRIÈME. 394

CINQUIÈME LETTRE. 395

SIXIÈME LETTRE. 395

SEPTIÈME LETTRE. 396

PRISE D'HABIT DE MADAME LA COMTESSE FONDATRICE 396

DISCOURS DE LA RÉVÉRENDE MÈRE PRIEURE A LA MÊME DAME COMTESSE EN LUI DONNANT L'HABIT 397

MORT DE MONSIEUR LE COMTE DE CHASTEAUVIEUX, FONDATEUR (5) 398

LETTRE DE NOTRE MÈRE PRIEURE 399

CINQUIÈME PARTIE 402

LES FONDATIONS 1663-1670 402

MÉMOIRE DE LA NAISSANCE DE L'INSTITUT 403

DE L'ORIGINE DU MONASTÈRE DE NOTRE DAME DE LA CONCEPTION DE LA VILLE DE REMBERVILLER, DIOCÈSE DE TOUL, ET DE SON UNION A LA CONGRÉGATION DU SAINT SACREMENT 406

SUITE DE L'ENTREPRISE DE LA MÊME CONGRÉGATION ET DES BULLES 412

[Photo] 416

DE L'ORIGINE DE L'ABBAYE DE LA CONSOLATION NOTRE DAME DE NANCY 420

[Photos] 424

LETTRES PATENTES 428

ANNEXES (au nombre de 26 ! nombreuses lettres) 441

ÉCRIT DE NOTRE RÉVÉRENDE MÈRE QUI EXPRIME SES SENTIMENTS SUR SON INDIGNITÉ 442

CHRONOLOGIE DE LA VIE DE MÈRE MECTILDE 459

[2 colonnes à réviser] 459

BIBLIOGRAPHIE 460

TABLE DES MATIÈRES [omise] 462

Ecoute 463

= Mère Mectilde du Saint Sacrement à l’écoute de Saint Benoît, Bénédictines du SS Rouen, Téqui, 1988 463

[Quatrième] 463

[page titre :] 463

Mère Mectilde / du Saint Sacrement /à / l'écoute / de / Saint Benoit 463

INTRODUCTION 463

I. UNE BENEDICTINE EN SON SIECLE 463

II. OUVERTURE 464

III. LE FOND 465

IV. LA VOIE DE PETITESSE 465

VIE DE CATHERINE DE BAR 1614 - 1698 468

NOTE PRÉLIMINAIRE 469

PROLOGUE 471

CHAPITRE PREMIER DES ESPECES DE MOINES 476

CHAPITRE II DES QUALITES QUE DOIT AVOIR L'ABBE 477

CHAPITRE III COMMENT IL FAUT PRENDRE L'AVIS DES FRERES 480

no 949 A Mère Marie de Jésus, Prieure du monastère de Varsovie, ce 4 juillet 1695. 480

no 801 A trois Religieuses de Pologne, 1695. 480

CHAPITRE IV 480

no 1511 A la comtesse de Châteauvieux. 482

no 2015 Maximes. 482

no 176 Entretiens familiers, dimanche de Quasimodo, 1694. 482

no 176 Entretiens familiers, dimanche de Quasimodo, 1694. 574

no 1260 A une Religieuse, rue Cassette ; de Toul, 28 décembre 1664. 482

no 1526 Diversités spirituelles. 482

no 33 A la comtesse de Châteauvieux. 482

no 33 A la comtesse de Châteauvieux. 574

no 1828 Chapitre à des Novices. 482

no 1645 Chapitre. 482

no 1645 Chapitre. 574

no 1855 A une Religieuse de l'Institut. 482

no 2479 Maximes spirituelles. 482

no 1565 Billet à une Religieuse, rue Cassette. 483

no 1565 Billet à une Religieuse, rue Cassette. 574

no 1752 Chapitre, vendredi, surveille de la Toussaint, 1693. 483

no 1752 Chapitre, vendredi, surveille de la Toussaint, 1693. 574

no 2640 A une novice en particulier. 484

no 2640 A une novice en particulier. 575

no 417 Entretiens familiers, 17 avril 1695. 485

no 417 Entretiens familiers, 17 avril 1695. 575

n° 374 Entretiens familiers, 20 octobre 1694. 485

n° 374 Entretiens familiers, 20 octobre 1694. 575

no 417 Entretiens familiers, 17 avril 1695. 485

no 417 Entretiens familiers, 17 avril 1695. 575

no 1025 A une Religieuse, rue Cassette. 486

no 1025 A une Religieuse, rue Cassette. 575

no 469 A Mère Saint Placide, rue Saint Louis (autographe). 486

no 469 A Mère Saint Placide, rue Saint Louis (autographe). 575

no 2829 Entretiens familiers. 486

no 2829 Entretiens familiers. 575

no 1387 A la comtesse de Châteauvieux. 486

no 1387 A la comtesse de Châteauvieux. 575

no 2004 Entretiens familiers, 1er avril 1694. 487

no 2004 Entretiens familiers, 1er avril 1694. 575

no 621 Diversités spirituelles. 487

no 621 Diversités spirituelles. 575

CHAPITRE V DE L'OBEISSANCE 487

n° 1218 Conférence sur l'obéissance. 488

n° 1218 Conférence sur l'obéissance. 575

no 950 Conférence, 1695. 489

no 950 Conférence, 1695. 576

CHAPITRE VI DE LA RETENUE DANS LES PAROLES 492

no 2567 Diversités spirituelles. 493

no 2567 Diversités spirituelles. 576

no 1218 Conférence. 493

no 1218 Conférence. 576

CHAPITRE VII DE L'HUMILITE 494

no 2721 Chapitre, 1663. 495

no 2721 Chapitre, 1663. 576

n 2059 Entretiens spirituels, 16 octobre 1697. 495

n 2059 Entretiens spirituels, 16 octobre 1697. 576

no 340 A Mademoiselle Charbonnier, de Toul, juillet 1662. 496

no 340 A Mademoiselle Charbonnier, de Toul, juillet 1662. 576

no 1651 Diversités spirituelles. 496

no 1651 Diversités spirituelles. 576

no 1021 Diversités spirituelles. 497

no 1021 Diversités spirituelles. 576

n 1711 A une jeune Professe. 497

n 1711 A une jeune Professe. 577

n 306 A une Religieuse, rue Cassette. 497

n 306 A une Religieuse, rue Cassette. 577

no 2390 A une Religieuse, rue Cassette. 499

no 2390 A une Religieuse, rue Cassette. 577

no 3015 Chapitre à une Postulante qui demandait le saint habit, 1677. 499

no 3015 Chapitre à une Postulante qui demandait le saint habit, 1677. 577

n° 2026 Billet. 500

n° 2026 Billet. 577

no 1700 A Mère Marie de Jésus Chopinel. 500

no 1700 A Mère Marie de Jésus Chopinel. 578

n 1645 Chapitre. 501

n 1645 Chapitre. 578

no 1996 Entretiens familiers, 25 mars 1695. 501

no 1996 Entretiens familiers, 25 mars 1695. 578

no 1876 Chapitre, 18 juillet 1658. 501

no 1876 Chapitre, 18 juillet 1658. 578

no 1214 Entretiens familiers, 12 avril 1694. 502

no 1214 Entretiens familiers, 12 avril 1694. 578

n 1932 Conférence, 1672. 502

n 1932 Conférence, 1672. 578

no 2384 Conférence, 1693. 503

no 2384 Conférence, 1693. 578

no 3158 A une Religieuse, rue Cassette. 503

no 3158 A une Religieuse, rue Cassette. 578

no 3038 A une Religieuse, rue Cassette. 504

no 3038 A une Religieuse, rue Cassette. 578

no 314 Entretien familier. 504

no 314 Entretien familier. 579

CHAPITRE XIX DES DISPOSITIONS A APPORTER A LA PSALMODIE 504

CHAPITRE XX DE LA REVERENCE A GARDER DANS LA PRIERE a 505

n 2032 A la comtesse de Châteauvieux. 506

n 2032 A la comtesse de Châteauvieux. 579

n° 1957 A une Religieuse de l'Institut. 506

n° 1957 A une Religieuse de l'Institut. 579

n° 2217 A une Religieuse, rue Cassette. 506

n° 2217 A une Religieuse, rue Cassette. 579

n° 2548 A une Religieuse en particulier. 507

n° 2548 A une Religieuse en particulier. 579

no 592 Chapitre. 507

no 592 Chapitre. 579

CHAPITRE XXI DES DOYENS DU MONASTERE 507

CHAPITRE XXVII DE LA SOLLICITUDE QUE L'ABBE DOIT AVOIR A L'EGARD DES EXCOMMUNIES 507

CHAPITRE XXVIII DE CEUX QUI APRES AVOIT ETE SOUVENT REPRIS, NE SE CORRIGENT POINT 508

CHAPITRE XXXI DES QUALITES QUE DOIT AVOIR LE CELLERIER DU MONASTERE 509

CHAPITRE XXXIII SI LES MOINES DOIVENT AVOIR QUELQUE CHOSE EN PROPRE 511

n 950 Conférence, 1695. 512

n 950 Conférence, 1695. 580

CHAPITRE XXXIV SI TOUS DOIVENT RECEVOIR EGALEMENT LE NECESSAIRE 512

CHAPITRE XXXV DES SEMAINIERS DE LA CUISINE 512

CHAPITRE XXXVI DES FRERES MALADES 513

CHAPITRE DU LECTEUR SEMAINIER 514

CHAPITRE XLII QUE PERSONNE NE PARLE APRES COMPLIES 514

CHAPITRE XLIII DE CEUX QUI ARRIVENT EN RETARD A L'OEUVRE DE DIEU OU A LA TABLE 515

CHAPITRE XLV DE CEUX QUI FONT DES FAUTES DANS L'ORATOIRE 515

CHAPITRE XLVI DE CEUX QUI MANQUENT EN QUELQUE AUTRE CHOSE 515

CHAPITRE XLVII DE LA CHARGE D'ANNONCER L'OEUVRE DE DIEU 516

CHAPITRE XLVIII DU TRAVAIL MANUEL DE CHAQUE JOUR 516

no 711 A la comtesse de Rochefort. 517

no 711 A la comtesse de Rochefort. 580

CHAPITRE XLIX DE L'OBSERVANCE DU CAREME 518

no 3039 A une Religieuse, rue Cassette. 520

no 3039 A une Religieuse, rue Cassette. 580

CHAPITRE LII DE L'ORATOIRE DU MONASTERE 520

n 2067 Entretiens spirituels, 6 novembre 1697. 520

n 2067 Entretiens spirituels, 6 novembre 1697. 580

n 1744 A une Religieuse, rue Cassette. 520

n 1744 A une Religieuse, rue Cassette. 580

CHAPITRE LIII DE LA RECEPTION DES HOTES 521

CHAPITRE LIV SI UN MOINE PEUT RECEVOIR DES LETTRES OU QUELQUE AUTRE CHOSE 522

CHAPITRE LV DES VETEMENTS ET DE LA CHAUSSURE DES FRERES 522

CHAPITRE LVIII DE LA MANIERE DE RECEVOIR LES FRERES 523

CHAPITRE LIX DES FILS, SOIT DIE NOBLES, SOIT DE PAUVRES, QUI SONT OFFFRTS 527

CHAPITRE LXI COMMENT RECEVOIR LES MOINES ETRANGERS 527

CHAPITRE LXIII DU RANG A GARDER DANS LA COMMUNAUTE 528

CHAPITRE LXIV DE L'ETABLISSEMENT DE L'ABBE 528

CHAPITRE LXV DU PRIEUR DU MONASTERE 530

CHAPITRE LXVI DES PORTIERS DU MONASTERE 531

CHAPITRE LXX QUE NUL NE SE PERMETTE DE CORRIGER A TOUT PROPOS 531

CHAPITRE LXXI QUE LES FRERES S OBEISSENT MUTUELLEMENT 532

CHAPITRE LXXII DU BON ZELE QUE DOIVENT AVOIR LES MOINES 533

no 2383 Chapitre, dernier jour de l'année. 534

no 2383 Chapitre, dernier jour de l'année. 580

n 1526 Diversités spirituelles. 535

n 1526 Diversités spirituelles. 581

no 217 Chapitre 535

no 217 Chapitre 581

CHAPITRE LXXIII QUE TOUTE LA PRATIQUE DE LA JUSTICE N'EST PAS CONTENUE DANS CETTE REGLE 536

ICI FINIT LA REGLE 536

LA PAIX BÉNÉDICTINE 537

REMERCIEMENTS 539

TABLE ANALYTIQUE 539

Tables 543

Table générale 543

Table de premier niveau 554

Fin 554

Imprimé sous Lulu.com 554

Notes de fin 555

Note de fin 581





Table de premier niveau

Table des matières

Un TOTUM de et sur MECTILDE 3

Présentation 3

Tome premier 7

Ame offerte 7

Ecrits Châteauvieux 90

Amitié 137

Daoust 277

Documents historiques 315

Ecoute 463

Tables 543

Fin 554

Notes de fin 556

Note de fin 582


Fin

Imprimé sous Lulu.com

© 2021.


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les notes de fin qui suivent collectent les passages que j’ai appréciés. Ils pouront servir à constituer un relevé global anthologique.

Notes de finccxxvii

1Comme l’ont été des sources traduites au siècle dernier de textes d’orient aujourd’hui redécouverts (bouddhismes, sivaïsme) : le travail d’érudits occidentaux est heureusement repris et poursuivi sur leurs terres d’origine (Inde, Japon, demain Chine).

2 Voir notre volume : Le Amitiés mystiques de Mère Mectilde […], coll. ‘Mectildiana’ dirigée par dom Joël Letelllier, éditeur Parole et Silence, 2017. Consulter le chapitre « Histoire des transmission » rédigé par sœur M.-H. Rozec, l’archiviste de l’Ordre, et plus précisément ‘VII. Le Fichier Central des Ecrits’, 327-328. Ce « FC » est l’outil utile après le présent totum pour aborder l’immense fonds manuscrit.

3Parce qu’ils ont été préservés en favorisant « l’intérieur » à l’usage des nouvelles générations. Guyon et ses proches ne pouvant être facilement édités suite à condamnation du quiétisme s’occupent de préserver un legs. Mectilde demeurée suspecte est sauvée par les sœurs de sa fondation bénédictine. Ailleurs, chez les figures qui n’ont pas été inquiétées, les écrits intérieurs sont une fraction d’écrits religieux qui incluent rapports avec les autorités et gestion de fondations (Jeanne de Chantal). ou bien la majeure partie a été perdue (Marie de l’Incarnation ‘du Canada’).

4 Découverte assez probable car le rassemblement des sources à Rouen est récente ; car la fidélité vis-à-vis de l’auteur est absente avant la fin du XIXe siècle ; car l’avis – discret - de Molette archiviste de l’Église de France est révélateur ; car de nombreux manuscrits tel P Paris seraient restés inexploités dès qu’une autre saisie provenant d’ailleurs était faite ?

5 Mais pas uniquement : ses moniales et leurs suggestions du comment vivre intérieurement. Surtout le fonds protégé depuis trois siècles par un Ordre religieux reconnu est unique pour trouver traces de l’esprit qui anima Madame Guyon et d’autres « adeptes de la quiétude ». Mectilde elle-même fut suspecte et sa canonisation demeura fruit défendu. Qui se ressemble s’assemble et conduit au présent « double ».

6 En effet il ne s’agit pas d’accéder à ce que l’on demande habituellement « en bibliothèque » - quelques ouvrages pour consultation parce qu’on en a entendu parler - mais après conseils et finalement autorisation, découvrir en circulant dans des rayons de livres ou dossiers ce que l’on ne savait exister. La découverte par l’ancien chercheur ès physique devient possible. C’est une archéologie textuelle pour laquelle on développe le « nez » du sourcier. Merci à Solesmes, à la Bibliothèque franciscaine, au Premier couvent du Carmel, et ici à Rouen / Craon.

7 Rencontres autour de Jean de Bernières […], coll. Mectildiana, Parole et Silence, 2013 ; Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde […], coll. Mectildiana, Parole et Silence, 2017.

8 [Numérotation décalée car imprimée en bas de page. Italiques omise pour les titres d’écrits (c’est déjà le cas des notes antérieures). Décalage en haut de page (ce qui peut faire croire à un nouveau paragraphe). Appels de notes souvent réduites à « ‘ » : non corrigés car notes faciles à retrouver en même page. Vérification du texte limité à son survol en lecture rapide. En clair je relâche l’effort pour le bon millier de pages à venir, mon but étant – outre la contrainte tenue de faciliter la lecture intégrale éventuelle, ce qui suppose de bien distinguer note en maigre du texte courant en gras - d’apprécier les « bonnes feuilles » et surtout de relever la correspondance de Mectilde. NDE].

9 [Bernières fut condamné post-mortem comme quiétiste !]

10 [retours à la ligne de la transcription reproduisant exactement le manuscrit (en photo ici omise) NDE]

11 Oui, bien vu/

12 Oui, nombreuses. Et tout ce qui suit est bon : du grand Cognet !

13 À souligner. NDE

14 La Comtesse devait recevoir l’habit

15 « J’aime beaucoup... » discutable. Le silence vaudrait mieux. « estimer Dieu » ? inconnaissable mais expérimenté. « Notre Seigneur » comme « petit maître » (Guyon). NDE.

16 Oui. NDE.

17 Ibid.

18  ?. Que son insignifiance et dépendance de nature. Le « mal » toutefois ne peut être ignoré. NDE.

19 Toujours rectifier en « petit maître » !

20 Formulation discutable. Rédaction d’un catéchisme par des disciples.

21 Le verbe « falloir » devrait être interdit. C’est « Jésus Christ »  qui dépouille pas nous ! Etc. J’arrête dorénavant les notes réactives.

22 Non !

23 Sauter toutes ces mièvreries.

24 Pratique dangereuse. Pas d’effort ! « Adhérer », oui.

25 Prise au sens de communion des saints.

26 Non.

27 Parle trop.

28 + pour tout ceci. Et de même pour la belle suite – simplement il faut adapter à notre langue de 2000+

29 le mot « Dieu » est chargé d’un leg du passé devenu caduc (dualisant etc) ; A retrouver sous un autre terme chez les mystiques même si,dépendants de leur époque, ils utilisent des croyances liées à « dieu ».

30 Oui, sans « dieu » et sans douleur du péché, infra et sans falloir (grâce à la Voie).

31 ?

32  ? marque d’époque sur la « dame en noir ».

33  ?

34 +

35 +

36 +

37 +

38 + et la suite

39 +

40 +

41 ++ = on peut retirer « Dieu » en vivant le même essentiel.

42  ? et la suite. Effet de réorganisation par copistes pour retrouver la doxa ?

43  ?!

44 Ce qui est apparent à la lecture comme noté précédemment.

45 Utiles.

46 Partiellement mené : ouvrage du présent Totum, « Fichier central ». A poursuivre mais par qui ?

47 Bavardage théologique. Intéressante reemarque sur « mystiques de l’unité » et « mystiques nuptiales » i.e. caricaturable en tendances moniste ou dualiste – question simplement souvent de tempérment.

48 Oui, intéressant précision

49 « Inconnus au bataillon » mystique du XVIIe siècle. Excursus sur évidence. De même ensuite sur l’amour.

50 Autre danger

51En note de fin « ii » la façon de les utiliser pour sélection de beaux passages.

52 Entre crochets dans l’original

53 [Hauts de pages conservés!]

i

Je vous ai dit que Dieu ne tombe jamais dans nos sens. Vous y pouvez bien ressentir des rejaillissements de sa grâce, mais non pas lui-même, parce qu'il est un pur esprit et que sa résidence est dans le suprême de notre âme où il ne descend point. Nous parlerons de ceci, et vous verrez toujours plus clairement les solidités de la voie de mort et d'anéantissement en foi pure, en laquelle l'union de l'âme avec Dieu est immédiate.

ii Usage de notes de fin

Permet de lire et choisir sans effort autre que de l’intérieur6

sélectionner, copier, ordonner note de fin (bouton gauche 8e), coller (en fin de tome), [le retour a lieu

seulement après enregistrer….seulement au début ?]  suivi de cliquer sur l’appel de note !

Pour associer les n de fin > pdf > copier une sélection de n en un fichier odt = bloc continu de notes séparées par leur numérotation latine inactivée

Voir / ! usage de n de fin, répertoire placé en tête de la première liste de tomes A4

iiidiscerner ce qui vous frappe les sens : si c'est un effet opéré dans le pur de l'esprit qui s'épanche sans y rien contribuer, ou si les sens mêmes recherchent telles satisfactions

ivDieu, Dieu, Dieu seul, c'est-à-dire : que Dieu soit unique dans vos pensées, dans vos paroles, dans vos intentions, dans vos oeuvres, dans vos désirs, dans vos affections. Dieu uniquement partout : Dieu dans l'affliction, Dieu dans l'humiliation, Dieu dans la vie, Dieu dans la mort, enfin Dieu partout.

vIl rend le centuple en ce monde. Oui, ma très chère fille, la liberté que vous aimez tant et que votre amour-propre craint de sacrifier vous sera rendue doublement. C'est-à-dire que vous serez plus libre et que plus rien ne vous captivera.

viL'amour-propre ne se plaît pas aux petites choses. La malheureuse inclination de propre excellence que le péché a mise en nous nous fait toujours aspirer à des choses hautes ; et nous voyons peu d'âmes qui n'aspirent à de grandes choses sous prétexte de la gloire de leur Maître. Ne vous trompez pas, ma très chère fille, suivez la vraie lumière et les leçons que Jésus-Christ vous donne par lui-même. Si vous voulez être grande dans la grâce et dans les dons de Dieu, soyez si petite et si abjecte à vous-même et aux créatures que vous ne puissiez plus vous trouver. Faites votre demeure dans le néant, ne soyez rien en aucune chose

vii1. Pour bien faire votre action il la faut faire pour Dieu [faut faire = non ! ]

viii[très volontariste pas mystique!]

ix[non!]

x[oui]

xiLa lumière et la grâce qui vous sont nécessaires pour connaître en fond votre état ne vous seront point données par les efforts de votre esprit, mais bien en vous exposant le plus actuellement que vous pourrez à Notre Seigneur, avec une profonde humilité et une remise de tout vous-même à lui, attendant avec confiance, respect et patience qu'il lui plaise opérer en vous ce qui est de sa gloire, et qu'il verse dans votre âme un rayon de sa lumière et quelque petite étincelle de son pur amour.

Gardez-vous de l'empressement intérieur. Oui, ce serait mon désir, si cela se pouvait, que vous soyez dans l'ignorance de beaucoup de choses de la vie intérieure

xiiIl est bon que vous connaissiez quelque chose des attributs divins et de leurs opérations dans votre âme, pour vous y lier et ne vous y opposer pas. La connaissance que vous en devez avoir n'est pas par spéculation, mais par une application humble et amoureuse à leur effet en vous.

xiiiLes attributs divins servent pour nous donner une connaissance grossière de Dieu ; mais la foi, qui élève l'âme dans une sainte ignorance de tous les affirmatifs, la fait entrer dans une simple et amoureuse croyance de ce que Dieu est en lui-même, surpassant toute lumière et toute intelligence. Elle croit Dieu dans la vérité de son Essence, sans lui donner aucune forme ni image, pour délié qu'il soit.

Cette manière de connaître Dieu est la plus parfaite. Mais en attendant que l'âme en reçoive la grâce

xiv[médiocre, janséniste]

xvAyez une dévotion que j'ai vu longtemps pratiquer par quelque âme, de vous exposer souvent en esprit à Jésus, pour recevoir en vous sa grâce et sa vertu. Je sais combien cette vertu est efficace, mais il faut de la patience et de la persévérance. Je puis dire en vérité que l'âme qui y est fidèle reçoit ce que je ne puis exprimer, et je vous prie d'en faire l'expérience. Je voudrais que vous preniez un quart d'heure dans votre journée, selon votre loisir, pour vous exposer à Jésus-Christ selon vos besoins.

xvi[on peut remplacer Jésus-Christ par « Dieu » l’Inconnaissable, etc., ce qui élargit l’usage d’une anthologie]

xviiRetirez-vous dans votre néant en la présence de la très Sainte Trinité et, dans une humiliation profonde dans laquelle vous devez entrer, abandonnez-vous à leurs saintes opérations en votre âme, et croyez qu'elle fera en vous un effet de rénovation, bien que vous ne vous en aperceviez point ; et il est bon que vos sens n'y aient point de part, au moins volontairement.

xviiiPour vous, ma fille, vous la portez ou la devez porter d'une manière particulière, non avec contrainte, mais avec amour, d'autant que ce n'est pas la crainte ni la vue de la justice divine qui vous captive ; mais bien un trait de pure miséricorde et d'amour qui vous force d'une douce et amoureuse violence de vous captiver sous le joug de la sainte loi de Dieu, mais toute sainte et toute d'amour ; et où il n'y a que ceux qui se laissent conduire par le pur amour qui aient entrée dans cet aimable esclavage et servitude. /C'est dans cette sainte captivité où l'âme jouit en vérité d'une liberté entière, mais si douce et si agréable qu'à tout moment elle révère et adore les liens qui l'ont mise en cette heureuse captivité. Elle ne peut assez estimer son bonheur.

xixil y a bien de la différence entre l'esclave de Jésus et l'esclave des créatures.

La première est glorieuse sainte et libre.

La seconde est honteuse[...]

xxle pur amour est Dieu même, « Deus caritas est. Dieu est charité, et celui qui demeure en charité demeure en Dieu »134. Oui, ce sont les paroles de saint Jean, desquelles vous ne pouvez douter.

Une âme en charité, c'est une âme en amour. C'est une âme toute remplie de Dieu, toute occupée de Dieu, toute zélée des intérêts de la gloire de Dieu ; qui ne peut plus rien faire ni souffrir que pour lui seul ; qui ne se regarde plus soi-même ni les créatures ; et en ses opérations, elle n'a plus aucune tendance ni désir que de contenter Dieu. Elle ne regarde plus si elle en aura récompense, si elle en sera plus parfaite, si son oeuvre est méritoire, si elle aura plus de grâce ou de repos en son esprit. Son seul et unique motif est de contenter Dieu, sans envisager les intérêts de notre amour-propre

xxiOh ! que le pur amour est puissant et qu'il fait de grands effets dans une âme qu'il maîtrise et en laquelle il ne trouve plus de résistance à ses opérations. Qu'a-t-il fait en sainte Madeleine ? qu'a-t-il fait en la séraphique Catherine de Gênes ?

xxiiLe pur amour est beau et tout rempli de charmes, mais nous sommes encore trop impures pour le posséder ; il ne pourrait demeurer un moment en nous. Il fait sa retraite dans les âmes tout anéanties, et jusqu'à ce que vous le soyez, souffrez en patience de vous voir en cette dure et cruelle privation. Il faut que vous connaissiez que vous n'êtes pas digne de le posséder ; et pour vous en rendre digne, il faut que vous soyez dans l'abîme de l'humiliation. Car tant que la superbe règnera en vous, le pur amour n'y pourra demeurer.

xxiii[expliquer « péché » en élargissant hors culpabilité]

xxivPourquoi allons-nous à l'oraison ? C'est sans doute pour rendre nos devoirs à Dieu d'adoration, de sacrifice et d'amour. Bref, c'est avec dessein de nous rendre tout à Jésus-Christ. C'est dans le désir que nous avons d'être revêtues de son Esprit, et d'être faites une même chose avec lui. Or pour parvenir à la fin de l'oraison, il faut que l'âme souffre de très grands et rudes sacrifices. Il faut qu'elle souffre qu'on la dépouille de ses habitudes et qu'on la désapproprie de tant d'appuis. En un mot il faut qu'elle soit renversée et toute renouvelée. Et c'est le sujet pourquoi tant d'âmes souffrent en l'oraison, tantôt des sécheresses. d'autres fois des dégoûts, des ténèbres, et mille autres peines que nous y ressentons et qui nous apprennent que dans ces misères Dieu détruit notre amour-propre et établit secrètement son règne.

xxvle parfait amour ne consiste pas à être touchée dans les sens, mais il consiste à une totale conformité

xxviIl y a bien de la différence entre nos productions et celles de la grâce. Celles qui partent de nous sont toujours impures et ne peuvent s'élever vers Dieu, n'ayant que notre intérêt pour objet. C'est pourquoi ce sont lumières et opérations qui sont produites de nous-mêmes. Elles n'ont point de force ni de vigueur pour se tenir élevées vers Dieu ; et si l'âme y fait quelque petit effort, elle se retourne bientôt vers elle-même et ne se remplit point de Dieu, ni ne se vide point par conséquent d'elle-même. / Les opérations de la grâce sont d'une autre manière : elles sortent de Dieu et retournent à Dieu. Elles élèvent l'âme, la dégageant d'elle-même et des choses de la terre, la rendant capable de recevoir Dieu, c'est-à-dire son règne ; et l'âme étant fidèle à la grâce opérante, elle fait en peu de temps un progrès admirable, se rendant capable des miséricordes de Dieu. / Quand vous vous trouvez en impuissance et dans les ténèbres, ne pensez pas que votre temps soit perdu. Dieu vous fait porter ces dispositions pour vous apprendre petit à petit à mourir. L'esprit humain ayant accoutumé d'agir, souffre des agonies quand il se trouve en sécheresse et en privation. Et l'aveuglement dans lequel nous sommes au regard des choses saintes, nous fait penser que nous ne sommes pas bien avec Dieu. Et insensiblement l'âme s'empresse pour se tirer de sa peine et de sa captivité, pour se donner la satisfaction de ressentir autre chose.

xxviiquand vous vous trouvez recueillie avec Dieu en amour et en adoration, n'en sortez point pour faire vos actes. Ne quittez point Dieu pour chercher celui que vous possédez.

xxviiiLes actes que l'Esprit de Dieu nous fait produire nous remplissent de Dieu ; et ceux que nous faisons par notre esprit nous remplissent de nous-même. Il ne faut point faire acte pour envisager vos actions ; il ne faut qu'une simple vue en Dieu

xxixIl ne faut pas grand examen pour connaître vos obligations, la conscience au fond vous l'enseigne et ne permettra point de vous tromper si vous êtes attentive et fidèle à ses mouvements. Il n'est donc pas besoin de faire des actes pour les discerner, mais simplement regarder Dieu et son pur amour qui vous doit faire agir et régler. Oui, toute notre vie se passe en actions extérieures ; mais notre âme demeure anéantie intérieurement et mystiquement, se laissant régir par l'Esprit de Dieu ; de sorte qu'elle n'est plus active en son opération, mais patiente en celle que Dieu opère en elle.

xxxplus je vais en avant et plus je connais clairement que Notre Seigneur conduit les âmes157 à l'oraison d'une très simple unité et unique simplicité de présence de Dieu, par un entier abandonnement d'elles-mêmes à sa très sainte Volonté et au soin de sa divine Providence.

xxxiCar enfin, pour aller à Dieu et arriver à lui, il se faut laisser conduire par son Esprit.

xxxiiMarchez donc dorénavant avec une très humble assurance dans cette voie divine et n'y apportez aucune façon, ni industrie que de suivre très simplement et fidèlement l'attrait de Dieu, vous contentant de la portion qu'il vous donne, sans en désirer davantage.

xxxiiiElles doivent fort simplifier leur esprit en tout, retranchant toutes réflexions sur le passé, sur le présent et sur l'avenir ; et au lieu de regarder ce qu'elles font et feront, elles doivent regarder Dieu, s'oubliant,

xxxivLa troisième [forme de prière] se fait en pur esprit, tout remis et absorbé en Dieu ; ou quelquefois par une oeillade amoureuse, ou simple élévation à Jésus-Christ ; ou un simple souvenir des misères qu'on nous a recommandées ; ou en simple foi, se contentant que le bon plaisir de Dieu soit accompli en tout le monde, et particulièrement sur le sujet pour lequel on vous fait prier.

xxxvQu'est-ce que prier en foi ? C'est prier en silence, se contentant d'exposer ses besoins à Notre Seigneur, ou ceux de son prochain, et demeurer dans une ferme confiance en sa bonté qu'il y donnera les remèdes nécessaires

xxxvivous pouvez encore prier intérieurement et sans aucun soin ni effort de votre part. L'on vous applique même quelquefois imperceptiblement à prier pour quelque affaire, ou pour une personne en particulier, ou pour autre chose. Pour lors, il ne faut point résister, ains prier comme le trait vous y engage. Cette sorte de prière est bonne, car c'est l'Esprit de Dieu qui vous fait prier. Lors donc que vous vous trouverez pressée de prier pour quelque chose, priez sans scrupule, mais toujours dans la vue ou dans l'intention des intérêts de Dieu. Mais pour l'ordinaire, priez en silence

xxxviiVous serez encore bien aise de savoir comme il faut prier, lorsque votre prochain vous presse de lui promettre de prier Dieu pour lui ou pour quelque affaire. Vous devez intérieurement vous rendre à Dieu ou vous laisser à lui pour vous faire prier comme il lui plaira, sans vous empresser quelquefois par complaisance ou compassion naturelle. Et s'il faut répondre à ces personnes-là, vous pouvez dire que vous vous donnez à Notre Seigneur pour prier pour cela. Ne vous engagez jamais de prier Dieu pour personne, mais dites que vous ferez ce que vous pourrez, laissant toujours à Dieu la liberté de vous faire faire ce qui lui plaira.

Souvenez-vous que vous n'êtes point à vous et que vous êtes dans l'impuissance de disposer de vous en aucune manière, ni pour peu que ce soit. Mais ayez la volonté de faire ce que Dieu veut que vous fassiez, sans même le connaître. L'union que vous avez avec la très sainte volonté de Dieu vous fait faire beaucoup de choses en Dieu qui lui sont agréables et que vous ne voyez point.

Quand Dieu fait prier l'âme, sa prière est toujours efficace ; mais quand elle prie par son propre esprit, pour l'ordinaire c'est inutilement.

Soyez toujours simplifiée devant Dieu, avec intention d'y être et d'y prier selon ses desseins. Voilà une bonne et sainte disposition de prière.

xxxviii3. Voyez comme Notre Seigneur a été en cette posture d'abaissement en qualité de criminel. Il n'a point péché en sa personne, il ne le pouvait pas ; mais il s'est chargé de nos crimes et se présente devant son juge comme criminel. Et en cette vue entrez dans l'abîme de votre néant.

xxxix2. Les personnes qui nous exercent ou affligent font l'oeuvre de Dieu en nous. Ce sont des instruments en sa divine main par lesquels il nous taille, il nous façonne, il nous renverse et il nous perfectionne comme il lui plaît. O heureuse l'âme qui voit tout et reçoit tout dans la lumière de Dieu ! mais elle n'en peut être troublée. Les événements ne la surprennent point, elle est en quelque manière inébranlable.

xlNe vous affligez point de vos faiblesses intérieures ; faites-en des sujets d'humiliations et gardez-vous bien de détruire par violence votre activité : ce serait tout perdre. Il faut que vous ayez une grande patience à vous supporter dans vos misères. Votre esprit vous tranchera bien de la besogne. N'allez point si vite, tenez toujours l'humilité en main dans tous les événements intérieurs ou extérieurs qui voudraient vous troubler ou inquiéter sur votre peu de vertu et de fidélité.

xliQuand votre activité devance votre intention, il suffit, lorsque vous vous réveillez de votre promptitude naturelle, d'élever votre pensée à Dieu pour désavouer en silence, c'est-à-dire du fond de votre volonté, les saillies naturelles de votre esprit. D'un mal n'en faites pas deux en vous inquiétant. La saillie naturelle peut être de pure faiblesse qui n'est pas beaucoup criminelle devant Dieu, et l'inquiétude qui la suit est orgueil et amour-propre.

Quand vous voyez votre activité en campagne, que vous ne la pouvez retenir, faites un acte de désaveu de toutes les productions qu'elle vous fera faire, et attendez humblement le retour de votre calme, que Dieu vous renverra sans doute bientôt après cette petite tempête. Dans votre grande activité ne faites point tant d'effort pour l'arrêter, car c'est une double imperfection que vous commettez. Il faut seulement vous souffrir vous-même en patience et élever de temps en temps votre pensée à Dieu pour inviter tacitement la force et la puissance de sa grâce pour l'arrêter ; et puis continuez ce que vous avez à faire sans vous troubler.


xliiN'étant pas dignes de la qualité d'enfants, prenons l'humiliation pour la nôtre et n'en sortons jamais ; quelque grâce et quelque élévation que nous puissions avoir, demeurons dans le néant. Cette âme que je vous ai dit que Notre Seigneur commanda d'y entrer, depuis ce temps-là n'en est sortie ; et le néant d'être et le néant de péché, c'est sa noblesse originaire ; l'ire de Dieu et la damnation éternelle sont ses apanages186. Jugez de notre extraction, de nos dignités et de nos excellences. Sur quoi établir vos élévations ? Il faut être ridicule et hors de raison pour n'être éternellement confondues, puisque nous n'avons rien en nous que sujets d'horreur et d'humiliation. J'aime fort de vous voir humiliée, mais gardez-vous de l'inquiétude et de l'empressement. Demeurez paisible dans l'esprit de componction187.

xliiiOh ! quel bonheur de vivre en Dieu, de ne vivre plus dans la corruption de nos sens ni dans l'infection des créatures ! Oh ! quelle grâce d'être actuellement en Dieu, vivre de sa vie et être faite une même chose avec lui par l'étroite union dans laquelle il nous attire ! Avoir Dieu en soi et être dans Dieu même ; se reposer en lui et opérer par lui. En un mot, être par grâce et par amour ce qu'il est par nature.

xliv Et votre préparation sera de n'être rien, de n'avoir rien, de ne désirer rien, de ne pouvoir rien, ains seulement d'y porter une disposition d'un abandon total de vous-même, vous laissant à la puissance de Jésus au très saint sacrement pour être revêtue de ses miséricordes et de lui-même, comme il l'entend et non selon vos propres lumières ni l'appétit de vos sens.

xlvSi l'arbre lui appartient, ne lui dérobez pas les fruits.

xlviQu'il vous tourne comme il lui plaira : qu'il vous élève, qu'il vous abaisse ; qu'il vous donne, qu'il vous ôte ; qu'il vous caresse, qu'il vous rebute ; qu'il vous mette en lumière, qu'il vous tienne en ténèbres ; qu'il vous donne des douceurs qu'il vous donne de l'amertume ; qu'il vous reçoive, qu'il vous délaisse ; que vous ressentiez de la joie, ou de la tristesse ; que vous soyez sensible ou insensible, dans l'abondance ou dans la disette, tout vous doit être indifférent. Toutes ces choses ne font point la parfaite union, et Dieu ne s'arrête point à ces petites dispositions. Il n'y descend point. Tout cela se voit et se reçoit dans les sens ; c'est pourquoi ce sont des effets bien souvent de nous-mêmes en nous-mêmes ; et si vous y faites trop de réfléchissement, vous désisterez de la pureté de grâce où vous devez entrer.

Dieu fait ses ouvrages en l'âme au-dessus des sens ; et bien souvent le fond de l'esprit, que l'on appelle cette portion suprême de l'âme, ne les connaît pas. Il faut demeurer anéantie et très simplement abandonnée à l'opération de Dieu ; bien que vous ne la connaissiez point, vous y devez respect et acquiescement, trouvant bon que Dieu fasse son oeuvre en vous au-dessus de vous-même. L'impureté de notre fond oblige Dieu d'agir de la sorte, autrement son oeuvre serait actuellement souillée

xlviiNe désirez rien, ne demandez rien, ne cherchez rien, n'aimez rien, soyez vide, et Dieu vous remplira de lui-même.

xlviiiAprès la sainte communion, demeurez en silence, en foi, en respect et en amour au-dessus de vos sens. Ne vous étonnez point de ne rien sentir, de ne pouvoir rien dire, de ne pouvoir penser beaucoup de belles choses. Vous ne communiez pas pour trouver vie dans vous-même mais pour y trouver la mort. Donc laissez-vous dans la mort, afin que Dieu vous donne vie par lui-même.

xlixAllez à Dieu avec confiance et amour, ne vous en privez pas par crainte. Hélas quelle témérité en nous de penser nous pouvoir préparer à la communion ! Il n'y a que Dieu seul qui nous y peut disposer par ses grâces et par ses miséricordes. Donc vous n'avez rien et ne pouvez rien si Dieu ne vous le donne.

lConsentez à tout ce qu'il veut de vous, et vous laissez abîmer en son amour sans le sentir ni le connaître.

liSéparez-vous de tout ce qui vous peut tant soit peu détourner de son pur amour et demeurez dans cet esprit d'hostie, puisqu'en vérité vous êtes 204 hostie avec Jésus-Christ. Vous faites partie de lui-même. Perdez-vous toute en lui et soyez très fidèle à voir, à recevoir toutes choses dans l'ordre de son amour.

liiVos misères et vos éloignements ne me rebutent point. Dieu ne fera pas son oeuvre à demi. Mais commençons à nous bien anéantir, marchant dans les secrets sentiers de la foi où l'esprit humain perd la vie.

liiiAllons à Dieu avec humilité et confiance. Il est bon d'une bonté infinie. Il sait notre impuissance et notre incapacité, il y suppléera par sa suffisance divine

livelles doivent être dans une grande affection d'être inconnues à qui que ce soit, qu'à Dieu seul

lvLeur occupation la plus ordinaire doit être la sainte oraison. L'on ne doit vivre en cette maison que de cette céleste nourriture.

lvichacune doit être contente de sa portion puisque c'est notre Père céleste qui nous la départ206. Il faut nous en confier à sa conduite, étant certain qu'il nous donne le tout par un amour infini de notre sanctification. Et nous ne devons point nous réfléchir sur le peu ou beaucoup, mais continuer toujours de nous laisser à la disposition divine, nous contenter de tout, et même avoir de la joie d'être très pauvre intérieurement

lviiC'est un très grand défaut dans la vie intérieure et particulièrement dans la voie d'anéantissement d'entrer par désir ou affection dans une disposition où Dieu ne vous appelle pas, de vouloir faire de bonnes oeuvres à quoi Dieu ne nous applique pas. Et sous prétexte que vous voyez les oeuvres extérieures de piété bonnes et saintes, votre amour-propre voudrait tout embrasser, sans discerner si Dieu veut cela de vous ou non. Et le plus souvent, dans cette façon d'agir, vous faites de bonnes actions par le choix et l'inclination de votre esprit, sans ordre ni mouvement de grâce, d'où vient qu'après de très longues pratiques de ces oeuvres de piété, vous n'en êtes pas plus morte à vous-même, ni plus parfaite. Il les faut donc faire par la direction de l'Esprit de Dieu.

Secondement, il se faut bien garder de se remplir de toutes les bonnes choses que vous voyez pratiquées ; parce que, ce que Dieu demande d'une âme, il ne le demande pas de toutes. Les unes, il les applique à la charité et au service du prochain ; les autres, à consoler les affligés ; les autres à l'humilité, d'autres à la pauvreté, d'autres à la pénitence et à l'austérité, etc. Il ne s'ensuit pas que toutes fassent même chose. Il y a bien quelquefois quelque rapport dans les oeuvres extérieures, mais très grande différence dans le fond de l'esprit, à raison de la dissemblance des voies.

lviiiOr ce n'est pas une petite grâce de connaître votre voie : car la connaissant vous ne pouvez plus manquer que par une infidélité

lixêtre sans choix, sans vie et sans aucune volonté ; parce que lorsque vous êtes de la sorte il se glorifie parfaitement en vous.

En cet état, vous lui donnez plus de gloire que si vous bâtissiez mille hôpitaux et que si vous faisiez beaucoup d'autres bonnes oeuvres dans lesquelles votre amour-propre prendrait vie dans votre bonne action. Au lieu que dans la voie où la bonté de Dieu vous mène, tout tend au néant et à la destruction de vous-même. Votre voie est assurée

lxVous ne devez plus dire : « Je voudrais ceci ou cela », car la divine volonté doit tellement agir en vous qu'elle soit la toute-puissante dans votre âme, sans permettre à votre amour-propre de souhaiter, ou s'inquiéter de ne faire pas tant de bien que beaucoup d'autres. Si Dieu ne veut point ces oeuvres-là de vous, pourquoi les voulez-vous faire ?

lxiC'est un reste de la malignité que nous avons reçue d'Adam de vouloir toujours être et faire quelque chose qui nous paraisse, pour y prendre une secrète satisfaction. Nous ne pouvons mordre dans l'anéantissement ; la pensée d'icelui nous tourmente et cependant c'est notre salut. Dieu vous veut dans cet état : est-ce à vous d'en vouloir un autre ? La volonté de Dieu est-elle pas plus sainte que tout le reste ? Et ce que Dieu a choisi pour vous, vous est-il pas plus salutaire que tous les biens et bonnes actions que vous pourriez opérer ? O ma fille, serions-nous si téméraires de donner des lois à Dieu ? Pour moi, je vous avoue que j'ai tant de respect pour son bon plaisir, que j'aime mieux relever de terre des fétus, par son ordre, que de convertir tout l'univers par l'ardeur de ma volonté.

Aimons ce divin bon plaisir ; prenons nos félicités d'y être attachées. Les bienheureux n'ont point d'autre bonheur, et cette complaisance qu'ils ont dans l'accomplissement des volontés divines compose leur béatitude. Aussi voyez-vous sur la terre de certaines âmes qui, étant toutes mortes à elles-mêmes, jouissent d'une félicité anticipée. Car ayant perdu leur volonté propre dans la divine [volonté], elles sont toujours dans la satisfaction entière, ne voyant rien sur la terre hors du bon plaisir de Dieu.

lxiiN'estimez pas votre voie meilleure et plus élevée que celle des autres. Soyez fort retenue sur ce point ; d'autant que vous ne voyez pas le degré de grâce d'un chacun et qu'il ne vous appartient pas d'en juger.

Souvenez-vous que chaque âme a sa voie : celle des autres n'est point la vôtre. Dieu a donné à un chacun ce qui lui est propre. Si vous entriez dans la voie de quelque autre, vous y péririez ; et un autre dans la vôtre n'y ferait point son salut.

lxiiiDemeurez dans votre degré, et puisque le roi Jésus-Christ, votre tout, vous fait l'honneur de vous tenir en sa sainte présence et qu'il veut cette fidélité de vous, ne ravalez point votre trait pour vous occuper des créatures, pas même des anges. Lorsque Dieu vous occupe de lui, laissez toutes les créatures en Dieu être ce que Dieu veut qu'elles soient. Et vous, ma fille, cachez-vous dans Dieu même, dans sa divine Essence qui vous environne ; n'en sortez point, s'il est possible, au moins volontairement. Simplifiez votre esprit en toutes choses, notamment en ce que vous n'avez point d'ordre ni d'obligation d'éplucher ou de connaître ; par ainsi votre âme demeurera libre et dégagée.

lxiv la voie d'anéantissement est la plus sainte de l'Eglise. Et les serviteurs de Dieu disent que c'est la plus élevée et des plus pures et plus sanctifiantes. Pour moi, je la vois, par la miséricorde de Dieu, dans son excellence, selon que j'en suis capable ; mais avec toute sa sainteté, je la trouve ravalée au-dessous de toutes les voies en une certaine manière.

1. Elle est sans éclat.

2. Elle n'est quasi point connue, et peu de personnes en font état.

3. Une âme de cette voie se connaît si petite et si fort au-dessous de toutes choses, qu'elle ne se voit en tout qu'un néant.

4. Elle ne se compare pas même aux démons.

5. Elle se voit indigne de tous rebuts, mépris et confusion ; de sorte qu'elle est infiniment au-dessous de toutes choses.

217

6. Elle n'est rien dans les lumières ni dans les dons de Dieu ; elle ne prend part à aucune chose que dans le néant218. Or y a-t-il rien moindre que le néant ? La voilà bien basse en elle-même et dans les créatures : elle se voit rien en toutes choses.

lxvC'est le sentier étroit et secret219 que Notre Seigneur nous dit qui conduit à la vie véritable, puisqu'il vous conduit dans Dieu même où vous recevrez une nouvelle vie ; mais vie de grâce, vie d'amour, vie divine, vie qui ne peut être connue que de ceux qui l'expérimentent, vie si sainte et si digne que tout ce que l'on dit pour expliquer son excellence la ravale infiniment au-dessous de ce qui en est.

lxviNe quittez point le tout pour le néant.

lxviiVoyez si, en une certaine manière, vos misères ne sont pas aimables. Elles vous sont si utiles que sans les sentiments que vous avez d'icelle, vous ne pourriez jamais posséder solidement la sainte connaissance de vous-même.

lxviiiQuelles sont les infirmités de saint Paul ? Ce sont les aiguillons des péchés qu'il portait et ressentait continuellement en lui-même. Et lorsqu'il en demandait la délivrance, il a appris que, par toutes ces misères, son âme se perfectionnait227.

Ma très chère fille, ne vous troublez point, votre état est bon ; mais n'y soyez pas si réfléchie. Soyez plus abandonnée et plus dans la confiance en Dieu. Votre perfection est l'ouvrage de Jésus-Christ. Soyez assurée qu'il la couronnera de ses bénédictions. Mais il faut que vous demeuriez ferme, souffrant la destruction que son amour fait en vous de tout ce qui est opposé à son règne. Je plains votre âme qui se tourmente dans ses ténèbres et dans ses ignorances ; et pour ne comprendre point le chemin où Notre Seigneur l'attire pour se la rendre toute à lui, elle se travaille et se peine très inutilement.

Devenez petite enfant, plus soumise que jamais et plus simplifiée dans vos pensées. On vous assure que votre voie est bonne et sainte, marchez en confiance.

lxixIl y a deux ou trois pas qui vous coûteront cher, mais aussi ils vous causeront un extrême bonheur. Le premier c'est le mépris des créatures, de leurs louanges et de l'estime qu'elles peuvent avoir de vous, vous rendant insensible à leur opinion et à leur jugement. Le second de captiver votre esprit à la présence continuelle de Dieu. Vous souffrirez en votre esprit avant que d'en avoir l'habitude, d'autant qu'il s'est fort dissipé dans les sens et dans l'application à vous-même. Le troisième c'est l'abandon au-dessus de vos sens et de votre raisonnement humain ; l'esprit voulant toujours voir et connaître toutes choses pour en tirer ses appuis et sa satisfaction

lxxExposez-vous toute dénuée à la force du divin amour, et vous expérimenterez sa puissance. Notre Seigneur cherche des âmes vides pour les remplir de lui-même, et il n'en trouve point

lxxiMa chère fille, ne vous rebutez point sur cet état de mort totale de soi-même. Ce n'est point l'oeuvre de la créature, mais l'oeuvre de la main toute-puissante de Dieu qui y fait entrer l'âme à mesure qu'elle se dépouille et qu'elle se désapproprie de tout ce qui occupe et qui remplit son fonds. C'est l'état pur et saint que vous avez voué au baptême. C'est celui qui nous fait cesser d'être ce que nous sommes pour faire être et vivre Jésus-Christ en nous.

Cette mort paraît cruelle et très rigoureuse à la nature et aux sens ; mais elle est très savoureuse à l'esprit. Et une âme qui a tant soit peu d'estime, d'amour et de respect pour Dieu, sacrifie de bon coeur sa vie et son être à sa grandeur, par un intime désir de le voir vivre et régner en nous et s'y glorifier selon son bon plaisir.

Plus je vous connais, plus je suis confirmée à votre appel à cette pure voie. Ce n'est pas qu'il faille que vous y soyez introduite tout présentement ; mais vous devez toujours conserver le désir d'y arriver, et y tendre selon votre grâce et votre capacité. Et pour nous voir éloignées des dispositions de Jésus-Christ, nous ne devons pas laisser d'y aspirer et y faire tout ce que la Providence de notre Bon Dieu a mis à notre puissance, abandonnant tout le reste à sa miséricorde et à son amour.

L'éloignement où vous vous trouvez présentement de ce bienheureux état procède d'une lumière plus grande qui vous manifeste vos misères et vos indignités. Vous ne devez point connaître votre progrès en cette voie ; mais vous y devez marcher dans l'aveuglement, vous soumettant à la conduite que Dieu vous a donnée, sans permettre à votre esprit de se réfléchir pour voir son avancement.

lxxiiJe vous prie, demandez cette grâce à Notre Seigneur pour moi : que je puisse vivre dans le dégagement et dans la mort actuelle que je dois avoir avec toutes les créatures selon la loi qui m'en a été donnée235 et le voeu que j'en ai fait, lequel consiste en bien des choses, entre lesquelles :

1. A un mépris actif et passif de toutes les créatures.

2. A ne jamais nous complaire à aucune créature.

3. A ne jamais prétendre à leur affection.

4. A mépriser leur estime et leur louange comme la boue.

5. A n'avoir aucun respect humain en nos paroles et en nos actions.

6. A ne point désirer leur approbation.

7. A ne jamais rien faire ni rien dire pour nous produire dans leur esprit, ni attirer tant soit peu leur affection.

8. A n'y prendre aucun appui.

9. A ne rien désirer d'elles, à ne leur rien demander si Dieu ou le prochain ne nous y presse.

10. A n'en jamais rien prétendre ni rien espérer.

Bref, on doit user des créatures comme s'il n'y en avait point ; et nous en devons être si dégagées que l'usage et la privation d'icelles ne nous touchent point ; et en user comme si nous n'en usions pas236, nous tenant toujours séparées de toutes choses au moins par affection ; et ne nous servir des créatures que par charité et par nécessité, soit au regard de notre prochain, soit au regard de nous-mêmes. Une âme qui n'est pas bien sur ses gardes est continuellement blessée des créatures.


lxxiiiaussitôt que vous vous convertissez à lui, il se convertit à vous241 et vous le possédez et l'embrassez dans le secret de votre âme. Personne ne vous voit et personne ne vous peut empêcher ce sacré et divin commerce. Trouvez-vous pas, ma fille, cette grâce infiniment grande ? Car vous pouvez en jouir à tout moment.

C'est la leçon qui a été donnée à une âme qui aimait et désirait la solitude, et qu'elle ne pouvait posséder extérieurement à raison des emplois où la Providence la tenait. Mais il lui fut montré que la vraie solitude est dans l'essence divine, et que la meilleure retraite était d'être recueillie en Dieu, de demeurer en Dieu et de n'en jamais sortir, autant qu'il est à notre possible. Dès lors cette âme apprit à trouver sa solitude en Dieu et à le posséder avec paix et tranquillité d'esprit très grande. Aussi a-t-elle trouvé un repos que le monde ne lui peut ôter. Oh ! qui pourrait dire ce qu'une âme fidèle reçoit dans cette aimable solitude ! Je ne suis pas digne d'en expliquer davantage. Tout ce que j'en crois, c'est qu'elle possède ce qui ne se peut dire.

Laissons ces âmes-là jouir de leur paradis en terre, et tâchons de les suivre en nous retirant des créatures, au moins de coeur et d'affection, si nous ne le pouvons être d'effet et par des retraites extérieures. Faisons notre solitude dans Jésus-Christ ; demeurons seules avec lui seul.

lxxivLe silence vous dispose pour entendre. L'amour vous fait embrasser les instructions que l'Esprit de Dieu vous donne. Et le respect vous tient dans une profonde révérence de la science de Jésus-Christ.

lxxvL'entendement est de même en silence quand on ne reçoit point ses images ni ses raisonnements. Il faut négliger toutes ses productions pour se rendre attentive à Dieu en pure foi, sans le revêtir de nos imaginations. Il faut anéantir sa curiosité naturelle et se contenter de Dieu seul qui saura bien vous illuminer quand il lui plaira.

lxxviamour pur et simple, vous laissant tirer doucement par le trait puissant de la grâce de Notre Seigneur qui vous attirera comme il lui plaira, plus ou moins, selon la pureté et fidélité de l'âme ou selon le bon plaisir du Maître qui purifie quelquefois longtemps les âmes dans des états de peines, de ténèbres et de privations, pour les disposer à recevoir les hautes grâces et miséricordes qu'il leur veut communiquer.

lxxviiamour pur et simple, vous laissant tirer doucement par le trait puissant de la grâce de Notre Seigneur qui vous attirera comme il lui plaira, plus ou moins, selon la pureté et fidélité de l'âme ou selon le bon plaisir du Maître qui purifie quelquefois longtemps les âmes dans des états de peines, de ténèbres et de privations, pour les disposer à recevoir les hautes grâces et miséricordes qu'il leur veut communiquer.

lxxviiiJésus-Christ nous aime d'un amour trop saint pour nous aimer de la sorte. Il nous aime pour nous donner part à sa gloire. Il nous aime pour l'Eternité et pour nous faire goûter la vérité divine. Il nous aime pour nous unir à lui et nous faire, par sa grâce, une même chose avec lui.

lxxixJ'ai lu votre lettre du matin, par laquelle vous vous plaignez de votre peu de progrès, de votre peu de mémoire et de votre ignorance, ne sachant pas, à ce que vous dites, quelle est votre disposition sinon que confusément, et tout ce qui est en vous vous fait reproche, sans que vous puissiez discerner si c'est la grâce ou la nature.

Je crois qu'il y a de l'un et de l'autre. La grâce vous reproche l'impureté de votre fonds, non pour vous troubler, gêner ou inquiéter, mais bien pour vous humilier. Car du passé vous ne vous êtes jamais connue dans la vérité. C'est pourquoi vous viviez dans une estime secrète de vous-même ; et vous preniez tant d'appui en vos oeuvres, que vous en croyiez avoir de reste, pensant que Dieu vous en redevait beaucoup, et que vous augmentiez beaucoup les trésors de l'Eglise.

Or pour détruire cette estime de vous-même et cette vaine présomption de vos oeuvres, il a fallu que Notre Seigneur vous ouvre les yeux et vous fasse voir votre fonds et ses productions impures, pour vous détromper et dégager de cette superbe secrète, et pour renverser l'estime que vous aviez de vous-même, qui était établie depuis si longtemps et si bien enracinée.

lxxx6. Reconnaître que vous êtes indigne de bien opérer, et que c'est une grâce qui vous est méritée par Jésus-Christ, dont vous n'êtes pas capable de faire usage. Et pour y agir avec plus de simplicité, il faut tout abandonner à la justice et à la miséricorde divine, se cacher en Dieu, confessant qu'il n'y a rien de pur ni digne de lui que lui-même, et ainsi demeurer dans votre néant, dans vos ténèbres et vos impuissances, sans désister de faire ce que vous êtes obligée d'accomplir. Mais vous le ferez avec moins d'amour de vous-même, moins de satisfaction et avec plus d'indifférence, avouant que nos actions sont indignes de glorifier Dieu ; et cependant les faire avec autant de fidélité comme si Dieu en devait recevoir une gloire éternelle.

Voilà comme il faut opérer sans attache et sans propriété ; et après que vous aurez fait tout ce que vous aurez pu, dites que vous êtes servante inutile270. En effet, Dieu n'a que faire de vous. Il subsiste par lui-même.

lxxxiJe vous recommande la patience de vous-même et de vous défendre de votre activité et trop d'ardeur pour la perfection. Il faut mourir à tout, même aux désirs trop empressés d'icelle, vous contentant en tout et partout de la volonté divine qui doit être la règle de votre vie et de toutes vos perfections. Il ne faut rien vouloir que ce qu'il lui plaît vouloir pour vous. C'est un grand repos aux âmes qui la savent trouver et goûter.

Vous dites que vous désirez toutes choses et ne désirez rien. Désirez, ma fille, ce que Dieu désire en vous. Vous ne vous sauriez tromper en désirant les désirs de Jésus-Christ parce qu'il ne peut rien désirer qui ne soit juste et saint. Tous les desseins que vous formez sur vous, la plupart sont inutiles : laissez-vous à Dieu pour en disposer comme il lui plaira. Et tous ceux que vos affaires vous obligent de former, il faut que ce soit dans une si grande soumission aux ordres de la Providence, que vous soyez prête à tous moments d'en désister pour entrer dans ceux de Notre Seigneur quand il lui plaira de vous les manifester. Il faut être toujours en état de rompre votre volonté par hommage à la [volonté] divine, et par fidélité aux promesses que vous en avez fait solennellement en votre baptême.

Vous dites que vous ressentez l'impureté de vos opérations sans le pouvoir dire. Je ne m'en étonne pas, il faut souffrir et se voir détruire sans se pouvoir plaindre.

lxxxiiJe remarque en plusieurs endroits d'icelle que vous avez un grand désir de connaître et d'être pénétrée de l'horreur du péché d'orgueil, afin d'en convaincre votre esprit et de vous donner un vrai sentiment d'horreur de sa malice. Vous ne le connaîtrez jamais en fond qu'à mesure que vous entrerez par foi et amour dans l'estime de Dieu. Il faut connaître Dieu, sa sainteté, sa bonté et le reste de ses divines perfections pour bien pénétrer la malice de l'orgueil. La connaissance que vous en aurez sera plus ou moins grande [selon] que vous connaîtrez Dieu. Le reste qui s'en peut dire, comme de ses qualités et de ses effets, je crois vous en avoir dit et écrit quelque chose.

Si nous avions un petit brin d'humilité, nous ne serions pas si aveugles. Ce qui fait que vous connaissez si peu votre orgueil, c'est que vous avez toujours été de son parti. Vous ne lui avez point été contraire, et symbolisant273 ensemble, vous en avez fait votre ami, parce que l'amour de vous-même y trouvait sa vie et sa satisfaction. Vous voyez par expérience le malheur d'une âme qui lui adhère.

lxxxiiiNous sommes assez convaincues que nous ne faisons rien qui vaille ; cependant nous souffrons et avons un bien-aise secret en nous lorsqu'on approuve ce que nous faisons. Nous sommes abominables devant Dieu et souvent nous le disons en nous-mêmes ; et dans les rencontres où il faut être un peu méprisée, cela nous fait mourir.

C'est une chose bien rare de voir des âmes qui vivent en vérité. Nous vivons tous, mais hélas ! la plupart mènent une vie de mensonge, et l'on se nourrit de vanité. On prend l'ombre pour le corps et de l'accessoire nous en faisons le principal. Déplorons notre aveuglement, et voyons comme jusqu'à présent vous et moi nous avons vécu dans les ténèbres et dans le mensonge. L'âme qui n'est pas dans la connaissance d'elle-même n'est point dans la vérité. Pour vivre dans la vérité, il faut vivre dans l'humilité, ou pour mieux dire dans le néant.

lxxxivJ'eus hier beaucoup de pensées de vous écrire, et même cette nuit en attendant l'heure de l'Incarnation adorable du Verbe287. Mais deux choses m'ont divertie de ces pensées.

La première c'est que Notre Seigneur Jésus-Christ est un grand Maître, très adorable en ses divines leçons. C'est lui qui a instruit saint Paul dans le désert soixante-dix années288 qu'il y a vécu solitaire sans aucune conversation humaine. C'est lui qui a enseigné Marie l'Egyptienne et une infinité d'autres qui s'étaient volontairement, pour son pur amour, séparés des créatures. Et je voyais que ces grands saints s'étaient sanctifiés par la solitude, par le silence, par l'anéantissement et par la mort profonde d'eux-mêmes, vivant comme des morts dans l'oubli de tout le monde.

Oh ! que cette vie me paraît sainte ! Je la respecte en vous, non qu'elle y soit établie, ni que vous viviez de la sorte, mais dans la vue que Jésus est votre divin Maître, qu'il peut vous rendre savante dans tous ses saints mystères, par lui-même. Et je le priais de vous faire ces leçons adorables de son divin amour. Et comme je porte grand respect aux opérations secrètes de la grâce en votre âme, je les révérais en silence cette nuit, adorant cette Incarnation adorable du Verbe en vous, en une certaine manière, et je désirais que votre âme soit toute fondue et toute liquéfiée en l'amour de ses anéantissements.

lxxxvL'Eglise nous applique aussi à rendre hommage à l'avènement de Jésus. Il y en a de trois sortes : Le premier : son avènement en notre chair, le second : la majesté de sa gloire, et le troisième : se fait mystiquement dans les âmes. Nous devons adoration aux deux premiers, mais à ce troisième nous y devons une attention et une humilité profondes, une obéissance amoureuse pour nous disposer à sa venue en nous.

lxxxviDisons seulement en simplicité la disposition que vous devez avoir pour n'empêcher point en vous les effets de la divine naissance.

La première est un vide des créatures en vous-même. « Il n'y a point de lieu en l'hôtellerie »292, en saint Luc, pour loger Jésus. Les créatures avaient tout occupé les places ; et les intérêts de notre amour-propre ont été préférés à la réception de Jésus et de sa sainte Mère dans la petite ville de Bethléem. Si vous désirez, mon enfant, que Jésus vienne naître en vous, faites-lui place dans votre coeur. Videz-le de toutes les créatures et vos propres intérêts. L'étable de Bethléem se trouva désoccupée et Dieu y logea comme dans son palais et y fit son entrée au monde.

La seconde disposition c'est la foi. Jésus naît au milieu de la nuit, dans les ténèbres, sans autre lumière que celle de sa divinité. Dégagez-vous de vos sens et demeurez en foi si vous voulez recevoir la grâce de ce mystère. Il faut être en ténèbres au regard de vos sens et de votre propre esprit si vous voulez recevoir la lumière divine, et Jésus naîtra spirituellement en vous.

La troisième c'est le silence. Jésus fait son entrée au monde dans un temps de paix, à une heure qui tient toutes les créatures en silence pour nous apprendre qu'il est le roi de paix, qu'il aime le silence et que c'est dans le calme de toutes nos passions, de nos sens et de nos puissances qu'il fait ses profondes communications à l'âme, que c'est dans le recueillement et dans la solitude intérieure où il fait entendre sa divine voix. O qu'heureuse est l'âme qui ordonne si bien toutes choses en elle, que son adorable Seigneur y fait le lieu de sa naissance.

lxxxviiOh ! qu'il faut bien que l'orgueil soit un abîme d'une effroyable malice, de nous aveugler à ce point de ne pouvoir discerner la beauté et la sainteté de l'anéantissement. Jusqu'à quand serons-nous environnés de ténèbres, pour ne point voir que notre bonheur et notre félicité consistent à n'être rien en nous ni dans les créatures ?

lxxxviiiRendez-vous avec humilité et respect à la grâce de sa naissance. Soyez dans une disposition de vide, de silence, de foi et d'anéantissement. Il faut que tout soit détruit et anéanti, afin que Dieu seul soit.

lxxxixComment avez-vous avez-vous passé cette sainte nuit, mon enfant ? Avez-vous eu l'honneur de trouver la Mère et l'Enfant ? Vous y êtes-vous trouvée en ténèbres, en silence et dans le vide des créatures et de vous-même ? Avez-vous adoré les anéantissements adorables et incompréhensibles d'un Dieu-Enfant ?

xcO secret trop peu connu et très mal pratiqué ! De combien nous privons-nous de grâces et de bénédictions divines pour être trop remplies de ces malheureuses possessions qui n'enrichissent l'âme que d'impureté et de corruption étrange.

Notre adorable Roi établit sa puissance dans les opprobres, dans les croix. C'est là qu'il est magnifique et c'est ce qui le rend aujourd'hui comme un objet d'étonnement à nos esprits.

Un Dieu se fait enfant et se réduit dans les infirmités de notre chair.

xciOh, qu'il y a de prodiges renfermés dans un Dieu Enfant ! Il vient régner dans votre coeur d'une manière qui ne se comprend point. Il s'anéantit pour captiver les âmes et il fait en nous et pour nous ce que nous devrions faire si le péché ne nous avait détruit la grâce de l'accomplir. Il vient réparer la gloire de son Père et triompher de nos rébellions, mais par une voie bien contraire aux sens et à l'esprit humain. Il fait tout le contraire de ce que nous faisons actuellement.

Nous vivons pour nous-mêmes, et il vit pour la gloire de son Père et vit de sa vie divine. Nos tendances actuelles sont des élévations de nous-mêmes dans nous et dans les créatures ; une démangeaison effroyable d'être dans l'estime et l'affection des créatures, dans l'applaudissement, dans l'honneur et dans l'approbation. Jésus vient être l'opprobre des hommes et le rebut du peuple, se comparant à un ver

xciivous êtes et avez été si présente et pressante dans mon esprit que je crois oser dire qu'actuellement je vous dévoue à Dieu et vous y sacrifie. Je suis contrainte intérieurement de prier pour vous sans relâche, en veillant et dormant, et en négociant nos petites affaires. Il y a la principale partie de mon âme qui vous offre à Dieu et m'est impossible de m'en dédire ni pouvoir distraire, jamais je ne me suis trouvée au regard d'aucune âme de cette sorte. Je ne puis vous ôter ni reculer, vous êtes si ferme dans votre place qu'il me semble que mes bras n'ont pas assez de force pour vous en arracher. J'en ai voulu faire l'épreuve cette nuit en quelque rencontre, mais en vain : il faut vous y souffrir autant de temps que l'ordre de Dieu vous y tiendra et m'anéantir sur tout cela.

Ne vous peinez point pour m'écrire, vous ne le pouvez pas aujourd'hui. Ne vous empressez de rien. Laissez-vous doucement et paisiblement à Dieu. J'espère qu'il bénira vos croix et qu'elles ne seront pas si lourdes qu'on se l'imagine. Ayez une entière confiance en Dieu et attendez en paix les événements de sa Providence et les grâces qu'il vous veut donner pour vous rendre toute à lui.

xciiiLa seconde chose qui cause mon étonnement, c'est que nous vivons, nous respirons, nous nous mouvons et agissons en Dieu et dans Dieu, et cependant nous ne sommes point remplies de sa présence et nous vivons la plupart du temps comme s'il n'y avait point de Dieu, sans respect, sans amour et sans crainte de sa majesté présente.

xcivJésus-Christ a satisfait pour vous en plénitude, mais il veut que vous fassiez quelque petite chose de votre part, comme un petit tribut que vous payez à sa justice, vous reconnaissant redevable à sa miséricorde. Et votre pénitence doit être toujours unie à celle que Jésus-Christ a faite pour vous, soit en sa sainte vie, soit en sa mort ; mais singulièrement au jardin des Olives, où il se présenta devant la face de son Père chargé de nos péchés, et où il produisit un acte si saint et si parfait de contrition qu'il nous a mérité la grâce d'y participer

xcvL'âme habituée en la présence de Dieu et à vivre de son Esprit, n'a pas de peine à communier spirituellement ; car à tout moment elle est en état de communier, parce qu'elle est en actuel désir de Dieu, et se voudrait rendre à lui éternellement.

xcvivos intérêts et l'amour de vous-même étant anéantis, vous n'aurez point de difficulté d'aimer votre prochain comme vous-même.

xcviiVous devez vous voir toujours et actuellement en Dieu et le voir dans toutes les autres créatures. Votre demeure est dans l'essence divine, votre séjour est l'immensité de Dieu et votre palais c'est la divinité même, hors de laquelle vous ne pouvez jamais sortir. David vous l'assure dans l'un de ses psaumes : « Quo ibo a spiritu tuo... »335. O heureuse nécessité de demeurer en Dieu, de n'en pouvoir sortir !

xcviii14. L'âme prie Dieu pour son prochain selon son degré d'oraison. Les uns prient vocalement, les autres mentalement ; et d'autres, plus simplifiés, prient par un simple regard vers Dieu. Quelquefois Dieu donne mouvement à l'âme de prier pour les misères d'autrui ; et quand vous sentez en vous cette disposition, vous devez prier en la manière qu'on vous donne le mouvement.

La plus ordinaire façon en laquelle vous devez prier, c'est en foi, par un simple regard vers Dieu qui connaît les besoins de ses créatures. Vous le priez qu'il les sanctifie toutes. Et si votre prochain a des besoins particuliers qui soient à votre connaissance, vous les pouvez offrir à Notre Seigneur, sans beaucoup vous en remplir, crainte que sous prétexte de charité, vous ne jetiez votre esprit dans la dissipation et dans les égarements des sens et de votre imagination.

xcixIl faut remarquer que dans les ténèbres Dieu a des desseins très particuliers sur l'âme que sa sagesse y fait marcher et qu'elle y doit une fidélité extrême. Il ne faut point dans cet état rechercher de soulagement dans les sens ni dans les créatures. Il faut demeurer très simplement abandonnée et se laisser conduire à l'aveugle. Ne doutez point, vous êtes dans une main sainte et divine, vous n'y pouvez périr. Laissez-vous donc toute sacrifiée, car le sacrifice véritable demande ténèbres aussi bien qu'impuissance et le reste. Il faut que le sacrifice soit entier, car dans l'état de ténèbres l'âme sacrifie à Dieu la lumière de son propre esprit pour recevoir celle de Dieu. Il faut que tout soit purifié et renouvelé en vous ; c'est pourquoi prenez bon courage, et vous laissez aveugler comme il plaira à l'Esprit de Dieu.

cLe souvenir secret de Dieu qui est dans le fond de l'âme fait bien voir que l'âme n'en est point séparée. Mais d'autant qu'elle ne le voit ni le goûte, elle ne le croit pas. Il faut que vous vous habituiez à l'usage d'une foi pure et dégagée : c'est votre sentier. Mais je vois que vous y aurez très grande peine, d'autant que votre esprit étant accoutumé à sa lumière et à son raisonnement, cela le troublera souvent avant que d'être établi dans cet état où Dieu vous désire.

ciPlus vous donnerez à Dieu, plus vous recevrez de sa bonté. Sacrifiez-lui votre propre lumière : vous serez remplie de la sienne toute sainte et toute divine.

ciiun acte ou deux au commencement de votre oraison.

Premièrement, un souvenir de Dieu en foi, c'est-à-dire sans image, qui porte votre esprit à former un acte d'adoration, lequel acte contiendra en disposition le respect, l'estime et l'hommage que vous devez à la grandeur suprême de Dieu.

Le second, un acte de total abandon entre ses divines mains, vous soumettant à sa sainte conduite et vous sacrifiant comme une victime à l'amour de son bon plaisir pour le temps et pour l'éternité

ciiiLe goût de Dieu par la foi est bien plus pur et plus saint. Mais il faut recevoir humblement ce que Dieu vous donne, vous estimant toujours indigne de la plus petite de ses miséricordes. Ne tendez point à être élevée dans la grâce, mais tendez à vous laisser purement à la disposition divine. Abandonnez-vous, et Dieu fera de vous ce qu'il lui plaira. C'est à lui de diriger nos voies et de dresser nos sentiers ; et à nous de marcher en simplicité.

civJe ne vois pas encore cet amour établi en vous. Vous êtes trop intéressée pour vous-même, trop peu désirante du Règne de Dieu dans tous les coeurs, trop chiche pour les âmes. Vous les envisagez comme détachées de Jésus-Christ, ne vous souvenant pas qu'elles sont ses membres, qui composent son Corps mystique

cvDonc si votre vie est cachée en Jésus-Christ, rien ne doit paraître en vous que Jésus-Christ350. Vous devez être une vive expression de ses vertus, de ses dispositions et de sa sainteté.

cviJe crois que je vous disais cette nuit passée, pourquoi je ne pouvais plus dire : « Mon Dieu je me donne à vous ». Si je suis donnée à Dieu par Jésus-Christ, la donation n'est-elle pas parfaite ? Suis-je moins obligée d'être à Dieu ? Puisque Jésus-Christ m'y sacrifie continuellement, je ne m'en puis dédire. Cette donation est-elle pas plus que suffisante ? Il faut se laisser sacrifier et y acquiescer amoureusement, continuant par une disposition de soumission et de respect, cette vie ou cet acte de sacrifice.

cviiPuisque nous faisons partie de son Corps, nous sommes donc partie de lui-même.

cviiiEst-ce pas le degré d'amour qui donne le mérite à l'action ?

Oui, plus il y a d'amour, plus il y a de grâce. Or je n'entends pas parler de l'amour qui frappe les sens ; je veux dire que plus il y a de pureté dans votre fond, c'est-à-dire une intention plus épurée et qui tend à taire uniquement pour l'amour et par l'amour de Dieu, il y a plus de grâce

cixQuelle pensée faut-il avoir lorsqu'on est obligée à recevoir quelque service de notre prochain ?

Il les faut recevoir en esprit d'une profonde humilité intérieure étant confuse en nous-même que des âmes créées à l'image et semblance de Dieu, ses membres et ses épouses, et qui peut-être seront infiniment élevées dans le Ciel plus que nous, soient occupées à nous servir — mais bien plus : qui sont peut-être dans un degré de grâce, sur la terre, très élevé. Car l'âme dans l'état de la grâce est chérie et honorée de Dieu même et de ses anges ; et elles sont plus dignes d'être considérées que tous les plus grands monarques de la terre puisqu'elles sont dignes d'être les objets de la complaisance divine. C'est le trône de sa grandeur où il prend ses délices, les anges en ont respect, et cependant nous n'y pensons pas.

Nous avons bien souvent de la témérité et de l'arrogance dans les services qu'on nous rend. Cela vient de notre extrême ignorance qui fait que nous nous approprions les services qu'on nous rend. Ce n'est point pour l'amour de vous qu'on vous sert, mais pour l'amour de Dieu en vous356. Donc ces services, cet honneur, ce respect qu'on vous porte ne vous appartient pas, ains à Jésus-Christ ; et vous lui dérobez, car vous en faites votre propre, sans y avoir droit. C'est une usurpation qu'il faut rendre tôt ou tard. Laissez à Dieu ce qui appartient à Dieu, et tenez ce qui est vôtre, savoir le néant d'être, le néant de péché, l'ire de Dieu et la damnation éternelle. Voilà ce que vous méritez. Pourquoi anticipez-vous sur les droits de Jésus-Christ ?

cxPeu de jours après, passa un cordelier, le père Etienne, qui proposa aux religieuses trois moyens infaillibles pour atteindre à la perfection : « N'avoir en vue que Dieu et faire tout pour lui seul ; ne considérer dans tous ses actes que la volonté de Dieu ; ce qu'on fait, le faire naturellement, promptement et gaiement ». Cette voie parut « toute divine » à soeur Saint-Jean

cxi« Nous savons de foi que le coeur du chrétien est le temple du Dieu vivant : l'Apôtre nous en assure, et l'Église nous apprend que ce temple intérieur est dévoué et consacré au baptême à la sainte-Trinité par Jésus-Christ, et que les trois divines personnes : le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont continuellement résidentes dans ce temple, et jamais n'en sortent, quoi qu'il puisse arriver durant le cours de cette vie. Cette vérité étant de foi, il ne faut donc que se recueillir en soi-même pour adorer en nous l'auguste Trinité, lui présenter nos hommages et nos sacrifices, dont le plus excellent est de nous immoler à sa gloire incessamment, par Jésus-Christ qui nous présentera à son Père ».

cxiiIl faut remarquer le sens que Mère Mectilde donne au mot « perfection » dans cette même pièce : ce n'est pas une perfection « moralisante », mais la perfection « chrétienne », ainsi définie :

— elle nous conforme à la mort et à la vie nouvelle de Jésus-Christ ;

— elle imprime dans nos âmes son caractère et sa ressemblance de Fils qui est la ressemblance du Père : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » ;

— elle nous fait entrer dans la loi de grâce qui est une loi d'amour.

cxiiiDisons seulement deux mots de votre obligation de victime : mes chères soeurs, je la trouve renfermée dans le saint Évangile où Notre-Seigneur, étant interrogé d'un Docteur de la Loi de ce qu'il devait faire pour être sauvé, Jésus-Christ lui répond qu'il faut aimer Dieu de tout son coeur, de toute son âme et de toutes ses forces, et son prochain comme soi-même. Voilà ce qu'il vous dit à présent dans le désir que vous avez d'être parfaites ».

cxiv« Je vous le réitère, mes chères soeurs, le voeu de victime que vous avez promis à Dieu demande une perfection consommée. C'est quelque chose de plus que le voeu de pauvreté, de chasteté, d'obéissance... par le voeu de victime tout est dans les mains, tout est dans le coeur de Dieu, tout est immolé à Dieu, non seulement nos corps, nos biens, nos volontés, nos actions, nos pensées, mais tout notre être est immolé sans réserve quelconque, et cela dans la pure vue de Dieu seul, pour sa seule gloire et pour le salut de nos frères. Et c'est la seconde obligation en qualité de victimes du très Saint-Sacrement. Il faut donc que nous ayons une charité parfaite pour notre prochain; car de croire que vous aimerez Dieu parfaitement sans aimer votre prochain avec tendresse, c'est un abus (au sens du XVIIe siècle : une tromperie). « Qui dit qu'il aime Dieu et n'aime point son prochain, dit saint Jean, est un menteur ». Cela ne se peut. L'amour de Dieu et du prochain est inséparable. Voyez Jésus-Christ dans la divine Eucharistie s'immolant sans cesse à la gloire de Dieu son Père et en même temps pour le salut de ses frères. Aimons-les donc, réparons pour eux devant Dieu ».

cxvLes idées de Canfeld sont des idées dont le schéma est assez simple : pour lui, toute la vie de piété se résume à l'union à Dieu de la volonté. Dieu est essentiellement la « Volonté Divine », donc tout l'effort de l'homme doit être de se conformer et de s'unir à cette Volonté Divine, d'arriver, si vous le voulez, à perdre sa propre volonté dans la Volonté Divine. Et il pousse cela très loin, puisqu'il conclut son oeuvre par une partie proprement mystique celle-là, où il envisage ce qu'il appelle « La Vie Suréminente » et cette vie suréminente c'est, pour lui, le moment où la volonté humaine se perd dans ce qu'il appelle la Volonté essentielle de Dieu, c'est-à-dire, au fond, dans l'Essence Divine elle-même. Donc un schéma très mystique, assez abstrait d'ailleurs ; et, il faut bien le reconnaître, la faiblesse des vues de Canfeld, c'est d'être une sorte de mystique de l'Essence Divine dans laquelle le Christ tient assez peu de place, si peu même que les éditions postérieures de l'ouvrage de Canfeld seront corrigées

cxviCharlotte Le Sergent. Ce que nous savons de sa vie nous la montre plus douce et plus attachante que Mme de Beauvilliers. Elle présentait tous les caractères d'un mysticisme très élevé ; elle mériterait qu'une étude lui soit consacrée. Nous savons que mère Mectilde a été très intime avec la mère Le Sergent et qu'elle a subi son influence pendant son séjour à Montmartre.

cxviiCe qui est également remarquable, chez elle, c'est cette espèce d'union constante du sens surnaturel le plus profond et le plus absolu, et en même temps du solide bon sens le plus terre à terre. Elle avait vraiment le tempérament d'une grande fondatrice. Les qualités qu'on trouve chez une Sainte Thérèse, c'est-à-dire l'équilibre entre les dons mystiques et les dons naturels les plus réalistes, est chez elle, réalisé à un niveau incomparable, et même, je dois le dire, car on ne pose pas quelquefois la question comme il le faudrait, avec une santé physiologique qu'on ne trouve pas chez Sainte Thérèse. II y a, dans les perpétuelles maladies de Sainte Thérèse, dans les douleurs dans lesquelles elle a vécu, dans les aspects un peu spectaculaires de ses extases, un certain côté si vous voulez, de défaillance du tempérament dont il n'y a pas trace chez la mère Mectilde. Son mysticisme à elle s'est situé dans une région bien trop élevée pour connaître, disons, ces faiblesses.

cxviiiJe [Cognet!]souhaite ardemment qu'il soit possible de collationner ses écrits, de les réunir et ensuite d'en assurer l'édition. Il n'y a pas de doute, ils doivent trouver un public, et surtout remettre la mère Mectilde du Saint-Sacrement, dans la galerie des grandes figures religieuses et mystiques du xviie siècle, à sa place qui est, je n'hésite pas à le dire, l'une des premières.

cxixLe monastère de Bayeux est celui dont les archives sont le mieux fournies en manuscrits. En plus de son propre trésor il a reçu ce que les monastères lorrains ont pu sauver de leurs propres archives après la révolution et les guerres des siècles derniers, soit environ une centaine de manuscrits dont plus de la moitié peuvent être considérés comme les meilleures copies que nous possédions.

cxxLe classement par genre donne à peu près ceci :

Lettres aux religieuses, 2 000 ;

Lettres à la comtesse de Châteauvieux, 260 ;

Lettres à la comtesse de Rochefort, 130 ;

Lettre à la duchesse d'Orléans, 112 ;

Lettres à M. de Bernières, 137 ;

Lettres à M. Boudon, 11 ;

Lettre à Mme de Béthune, abbesse de Beaumont-les-Tours, 331 ;

Lettres diverses, allant des reines de France, de Pologne, d'Angle-

terre, des évêques, abbesses et autres célébrités, aux plus hum-

bles lettres à une « personne » ou à une « demoiselle » demeu-

rées inconnues, 169 ;

Conférences et Chapitres, 300 ;

Entretiens familiers, 70 ;

Ecrits divers, 160.

cxxiLorsqu'elle prononça ses voeux, il parut sur sa tête une couronne de grande clarté, soutenue par deux mains un peu élevées. Les rayons de cette couronne rejaillissaient contre les murailles du choeur, aux rapports de plusieurs personnes dignes de foi qui furent témoins de cette merveille tant à l'église au dehors des grilles, où l'on entendit le grand cri d'admiration, que dans le choeur du côté des religieuses, ce qui fut vu de plusieurs d'entre elles. Dès que la cérémonie fut finie, le curé du lieu qui y avait servi de diacre, et qui avait vu ce prodige, alla au château en faire le récit à M. Boudon, grand archidiacre d'Evreux, parlant de cette admirable circonstance, et ajouta que c'est une marque des grâces extraordinaires que Dieu devait faire à cette sainte fille, et des glorieuses récompenses qui les devaient suivre...

cxxiila mère de Saint-Jean un religieux Capucin pour l'avertir de veiller aussitôt à la sûreté de sa personne, et à celle de ses religieuses, qu'il ne croyait point en assurance dans ce petit bourg. Il lui conseilla d'en sortir s'offrant à les conduire dans quelque ville plus forte. Elles profitèrent de cet avis, sortant le même jour avec ses filles accompagnées de ce bon père. Le premier gîte qu'elles firent fut chez le père d'une de ses religieuses qui demeurait assez près de Bruyères. Le lendemain, elle rencontra sur la route le colonel l'Huilier, qui la croyant encore à Bruyères, venait avec escorte la chercher pour la conduire avec sa communauté dans quelque lieu où elle fut moins exposée. Il les fit toutes habiller en homme pour les faire sauver avec moins de danger. Ce commandant était le beau-frère de la mère de Saint-Jean, ayant épousé sa soeur aînée. Il était brigadier des armées du duc de Lorraine et colonel d'un régiment. Il fut depuis gouverneur de Bar et de plusieurs autres places... Le monastère et le bourg furent pillés et brûlés entièrement. Elles furent conduites à Saint-Diez chez M. de Bar, père de la mère de Saint-Jean,

cxxiiiPeu de jours après que nos pauvres réfugiées furent arrivées en ce lieu, leurs supérieurs ayant appris que les troupes approchaient de Badonvillers, envoyèrent un ordre pour faire sortir en diligence ces deux communautés. A peine l'eurent-elles reçu qu'on entendit l'alarme et qu'on leur cria de descendre au plus vite pour se sauver ; ce que chacune se mit en devoir de faire avec beaucoup de précipitation, excepté la mère de Saint-Jean qui ne pouvait se résoudre d'abandonner le Très Saint-Sacrement à la rage des soldats ; et se tenait sur la porte un pied dedans et l'autre dehors pressée d'un côté par l'obéissance, et la nécessité de se retirer, et retenue de l'autre par l'amour. Elle se tourna vers celui dont elle ne pouvait se séparer, et s'écria, dans l'excès de sa douleur : « Dites-moi donc, mon Dieu, que vous plaît-il que je fasse ? » En même temps elle entendit un grand bruit au bas de l'escalier, et s'étant avancée pour en apprendre le sujet, elle vit toutes les religieuses qui retournaient disantes : « il n'est plus temps de se sauver, les soldats ont déjà investi la ville ». Etant toutes rentrées elles s'enfermèrent, et se mirent en prière devant le Très Saint-Sacrement, demandant à leur divin époux la force de souffrir tous les tourments imaginables, plutôt que de consentir à rien de tout ce qui pourrait blesser leur pureté. Elles remplissaient ce lieu de leur sang par de rudes disciplines. Elles n'attendaient que le moment de leur mort, ne croyant pas la pouvoir éviter que par un miracle de la main toute-puissante de Dieu. Il avait entendu leurs prières, et il leur donna un secours en effet tout miraculeux. Ces soldats hérétiques, car ils étaient des luthériens, s'étant rendus maîtres de la ville, et ayant fait souffrir aux habitants des cruautés terribles, ils apprirent qu'il y avait des religieuses dans ce lieu. Soudain ils y accoururent comme des loups ravissans, pensant faire leur proie de ces innocentes brebis, et ayant trouvé la porte fermée, le plus téméraire l'enfonça, mais après s'avoir jeté dans la porte de ce sanctuaire, il fut précipité d'une manière si surprenante que jamais on n'a pu savoir ce qu'étaient devenus ces malheureux. Voulant tous entrer, ils demeurent à la porte de la chambre arrêtés par une puissance qui leur était inconnue, et regardant ces saintes religieuses autour du Saint-Sacrement. Ce spectacle les épouvanta si fort, c'est que tous remplis de terreur ils se retirèrent mais si précipitament et avec tant de confusion qu'ils se renversaient les uns sur les autres du haut de l'escalier en bas. Ils avouèrent qu'il y avait là quelque chose d'extraordinaire. Cependant nos pauvres filles s'étaient renfermées du mieux qu'elles avaient pu, en attendant de nouveaux secours de la divine providence qui était alors toute leur ressource...

... [A quelque temps de là, un officier qui avait recherché la mère de Saint-Jean avant qu'elle ne soit religieuse reçu le commandement des troupes de Badonvillers]... ayant su que la mère était dans cette ville il employa toutes ses adresses pour la retrouver... Il court, il cherche inutilement... Les supérieurs ne trouvent pas de moyen plus sûr pour la sauver que de la faire sortir de la ville déguisée en homme. Ils lui donnèrent pour compagne la mère Agnès de Saint-Pierre, qui était aussi professe du monastère de Bruyères. Etant ainsi travesties toutes les deux on les fit monter sur une charrette de marchandises, et l'on cacha la mère de Saint-Jean entre les deux ballots et deux religieuses les suivaient. Elles rencontrèrent un parti de soldats qui se mirent autour de cette charrette, donnèrent plusieurs coups d'épée dans les ballots sans qu'aucun put atteindre la mère de Saint-Jean par une protection singulière de la Très Sainte Mère de Dieu qu'elle invoquait continuellement... Elles furent obligées de rester quelques jours dans une hôtellerie où le diable qui ne cherchait qu'à traverser notre pauvre fugitive, mit dans le coeur de la fille du logis une passion si forte pour elle, qu'elle vint lui proposer de l'épouser

cxxivMais nous ne devons point finir cet article sans faire mention que les deux premières années que Notre Mère Mechtilde demeura dans ce lieu de St Maur, elle eut pour directeur de sa conscience ce grand contemplatif et très austère pénitent, Père Jean Chrysostome, du tiers-ordre de Saint François (26), qui a vécu dans l'estime d'une très haute sainteté, lequel était lors Prieur à leur couvent de Nazareth dans Paris. Mais au bout de ce temps-là il mourut, ayant toujours fait un état fort particulier d'elle, et ne se pouvait lasser de s'entretenir de la vie intérieure qu'il trouvait qu'elle entendait mieux qu'aucune personne qu'il eut vue. Aussi avait-il accoutumé de dire, quand il venait de la voir, qu'il venait d'un petit lieu où il se rencon-trait plus de spiritualité renfermée qu'il n'y en avait dans toute la grande ville de Paris.

cxxvA présent nous l'allons faire paraître jetant dans Paris les fondements de l'Institut de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel.

Mais pour dire les choses comme elles sont, il ne faut pas s'attendre de lui voir faire pour cela de grandes actions au dehors. Non, ce n'a pas été son caractère. Et pour bien faire comprendre quel a été son travail et sa façon de procéder, il faut dire qu'elle a plus consisté à pâtir qu'à l'agir, et qu'elle a été dans les mains de Dieu comme l'instrument entre les mains de l'ouvrier

cxxviEnfin la pauvreté où elle se trouvait réduite était si grande que Monsieur l'Evêque de Babylone (5) qui logeait au voisinage, étant venu dire la sainte Messe dans un petit réduit de chapelle — qu'on leur avait permis d'avoir dans cette chétive maison — pour lui porter la sainte Communion, ne put jamais retenir ses larmes la voyant ainsi couchée sur une chétive paillasse, toute vêtue, sans couverture, ni sans rien. Et de compassion qu'il en eut, quand il fut de retour à son logis, il lui envoya en aumône un matelas de son lit.

Toutefois ce que nous disons ici n'est qu'un léger crayon de leurs souffrances auprès de ce qu'il en était, jusqu'à ce qu'elles furent connues de ceux qui les assistèrent depuis.

cxxviiSUITE DE LA MÊME RETRAITE

O quel abîme ! Il n'y a rien de si surprenant ! Tout parait perdu. Rien, Rien, Rien, Rien, et tout Rien ! La nudité est si grande qu'on s'étonne comme l'âme se peut soutenir.

Si elle était sensible, elle mourrait de douleur. Mais elle ne se peut mouvoir, ni désister, ni vouloir aucune chose.

Tout parait mort et tout dépend du souffle de Jésus-Christ.

Il est impossible à l'âme de trouver en sa vertu et capacité un souffle de vie. Ce sont des morts éternelles qui attendent leur résurrection de la pure puissance et bonté de Jésus-Christ, sans que l'âme y puisse contribuer à la moindre chose. L'âme voit cette mort clairement, et d'autres fois elle est capable de trouble ; mais quoiqu'il lui arrive différentes dispositions, la mort est toujours en fond.

Il y a ici quelque chose de semblable au grain de froment qui tombe en terre, y meurt et y pourrit. Mais dans le fond de sa propre pourriture il y a une vie végétante qui s'y conserve et qui n'est point aperçue car le grain paraît pourri. Cette vie végétante est une vertu productive qui se trouve dans toutes les plantes et qui leur donne vie.

cxxviiiIl n'y a donc rien à faire ici qu'à souffrir sa mort et sa pourriture. Voilà tout le secret de la vie intérieure, qui donne tant d'emploi aux esprits, qui fait composer tant de livres et qui, le plus souvent demeurent courts dans leurs lumières et productions, chargeant les âmes de mille pratiques ou intelligences humaines qui les éloignent de la simplicité de Jésus-Christ.

cxxixElle n'a plus de puissance, plus de désirs, plus d'ardeurs, plus d'inclinations, plus de volonté, plus de prétention, plus de mouvements ; si je l'ose dire : tout paraît réduit à la mort. Jésus-Christ fait en cette âme ce que son divin Esprit fit dans la vision du prophète — qui souffla sur ces ossements de morts et chacun fut animé d'une nouvelle vie.

cxxxIl faut une patience terrible, parce que, comme cette résurrection dépend de la pure miséricorde de Dieu, il lui plait quelquefois de la différer, [tellement] que l'âme perd quasi l'espérance de la jamais recevoir. Je crois même qu'elle ne s'opèrera qu'à la mort corporelle en de certaines personnes ; et cela par une sagesse admirable, pour le bien de telles âmes, qu'il faut tenir dans ces cachots ténébreux, autrement elles se perdraient si elles apercevaient ce grand jour.

cxxxi***

Le langage des mystiques est fort malaisé à entendre pour ceux qui ne le sont pas.

C'est une théologie qui consiste toute en expérience, puisque ce sont des opérations de Dieu dans les âmes, par des impressions de grâces et par des infusions de lumières ; par conséquent l'esprit humain n'y pourrait voir goutte pour les comprendre par lui-même.

Ce « Rien » dont Notre Mère parle avec tant d'admiration se trouve de cette nature. C'est, sans doute, un dépouillement de l'âme effectué par la grâce, qui la met en nudité et en vide, pour être revêtue de Jésus-Christ, et pour faire place à son Esprit qui veut venir y habiter.

144 CATHERINE DE BAR

Mais nous pouvons dire encore que la nature, par elle-même, ne peut arriver à cet état. Il n'appartient qu'à Celui qui a su, du rien, faire quelque chose, la réduire de quelque chose comme à Rien, non pas par son anéantissement naturel, mais par un très grand épurement de tout le terrestre, où il la peut mettre.

cxxxiiLe propre de l'inclination de la créature est de paraître, et le propre de la grâce c'est de se cacher et de s'anéantir.

L'amour propre veut être considéré et faire quelque chose qui occupe les esprits et le fasse admirer ; et la grâce des victimes du Saint Sacrement c'est de fuir et s'abîmer dans la petitesse, le mépris et le néant.

cxxxiii Et sur ce temps-là elle entendit une voix, venant du côté du tabernacle, qui lui dit distinctiment : « DE QUOI TE METS-TU EN PEINE, PETIT AVORTON, EST-CE ICI TON ŒUVRE, ET N'EST-CE PAS LA MAISON DE JÉsus ET MARIE ? » Et cette voix la rassurant, elle ne laissa pas de s'humilier si profondément, qu'elle avoue qu'il lui semblait aller être réduite au néant.

cxxxivLundi, à votre sortie de notre chambre, je me trouvai toute renfermée dans Notre Seigneur, et j'y suis — ce me semble — restée, voire encore plus abîmée à la sainte communion que je fis hier. Et toute la journée se passa dans cette disposition où l'âme est si unie et liée à son Dieu qu'on dirait volontiers qu'elle n'a plus d'être ni de vie qu'en lui, étant pour lors impuissante de se pencher vers les créatures.

cxxxvNous supplions très humblement les serviteurs de Dieu que la divine Providence assemble ici, de nous vouloir donner leurs conseils selon les lumières que le Saint-Esprit leur communiquera, sur cette maison et particulièrement sur ce que Notre-Seigneur veut de moi au regard d'icelle, portant un grand désir de la remettre entre les mains de quelques âmes qui aient la capacité d'y établir la pure gloire de Dieu, me trouvant absolument incapable de le faire pour les raisons suivantes : la première est que je n'ai point les grâces, ni les talents nécessaires pour y agir de la manière qu'il faut ; la seconde est que me trouvant fort impuissante, stupide et ténébreuse, je ne puis m'appliquer sans violence d'esprit à la conduite, n'ayant que des ignorances extrêmes. Troisièmement, je connais par expérience que ma conduite n'y établira jamais le bien en sa perfection, n'ayant pas, comme j'ai déjà dit, ce qu'il faut pour cela, perdant la mémoire, mon entendement étant hébété et plein de ténèbres causées par un fond d'orgueil épouvantable qui est en moi et par lequel je suis toute opposée à Jésus-Christ, cet orgueil faisant de si mauvais effets en moi que toutes mes opérations en sont corrompues. Je le crois la source de tous mes maux puisqu'il me rend indigne des miséricordes de Dieu pour moi et pour les autres.

cxxxviLes avis que j'ai à vous donner, c'est d'agir avec toutes vos soeurs dans une grande douceur, et un grand respect, ne les contrariant point.

Faites vos efforts pour ne les point contrister, et si par hasard il vous échappe quelques mots qui leur puissent donner de la peine, faite leurs en excuse ; ne dites jamais vos sentiments sur quoi que ce soit, à moins que ce soit quelques choses qui ne porte point de conséquence ; ne trouvez à redire ni à l'humeur ni aux actions d'aucunes. Tous les mouvements qui vous en viendront, portez les aussitôt au feu, et sacrifiez les, soyez ponctuelle au silence, soit la nuit ou le jour, et moins vous parlerez ce sera le mieux, et vous aurez plus de tranquilité d'esprit, que vous devez chérir comme votre bonheur, puisque l'on ne peut trouver Dieu que dans le calme intérieur, et il vous fait faire votre possible pour le conserver dans tous les événements de la vie qui n'est remplie que de troubles.




cxxxviiEn dépit des conditionnements propres au XVIIe siècle français, et qui se manifestent partout dans le langage, Mère Mectilde formule, avec une lucidité inexorable, les exigences fondamentales de toute spiritualité chrétienne.

cxxxviiiComment ici ne pas évoquer Pascal ? «Faire les petites choses comme grandes, à cause de la majesté de Jésus Christ qui les fait en nous, et qui vit notre vie ; et les grandes choses comme petites et aisées, à cause de sa toute puissance».

cxxxixEn un langage déjà moderne, et qui reste classique, elle nous enseigne à «sacrifier ce nous-même - ce «moi», dit-on aujourd'hui - qui seul est opposé à Dieu en nous». Tel est le rôle des «croix» ; Mectilde fera rarement, comme ici, usage de ce pluriel, alors qu'il est devenu ensuite si fréquent. Ce qui importe est la Croix, celle du Seigneur : ce mystère de souffrance et de victoire auquel nous sommes associés, comme «membres vifs de Jésus Christ, incorporés à son humanité déifiée, vivant de sa vie et de son Esprit», par la grâce de notre baptême. «Je ne vis plus, c'est Jésus Christ qui vit en moi». Il faut seulement «être fidèle à l'attrait de la grâce qui nous tire de notre néant... Laissez-vous tomber dans le rien... » Alors nous connaissons la consolation d'être «en ce bienheureux néant qui fait peur à notre nature» : le tout et le rien coïncident - todo y nada -, le tout de Dieu emplissant notre vide.

cxlsouvent parler de ce qu'elle appelle «le fond», «notre fond», et employer les mots «profond», «profondément». Ceci rappelle ce que les mystiques rhénans - dont l'influence sur l'École Française est bien connue - avaient nommé le Grund : ce centre de nous-même où se situe notre égoïsme et qui, vidé, purifié, peut devenir le lieu de la présence divine.

cxliainsi lorsqu'elle décrit l'office divin comme prière intégrale, engageant l'être tout entier, à commencer par les sens ; ou quand elle montre dans l'adoration perpétuelle une façon de continuer la laus perennis. Ainsi surtout lorsqu'elle commente, en termes exquis, le peu que saint Benoît a dit de «l'oraison». Pour pratiquer «l'oraison simple», «laissez les diverses méthodes... Évitez une manière de faire oraison qui fasse mal à la tête...». L'oraison est comme un désert mystique «où l'on rencontre l'Époux».

cxlii«l'esprit jette une oeillade vers Dieu...». Les pages que Mectilde écrit sur l'oraison sont sans doute les plus belles de toute son oeuvre. Elle s'y exprime en spécialiste. Sa compétence est garantie d'abord par ce qu'elle a elle-même éprouvé, mais également par sa conformité avec la tradition spirituelle la plus ancienne et la plus constante de l'Église.

cxliiides mots de son temps, combien plus expressifs pour le XVIIe siècle et le nôtre : «Se laisser consumer, demeurer exposée au Saint Sacrement, être abîmée en Dieu» - et l'image de l'abîme évoque celle «du fond». Etre en «un dégagement entier, continuel». Elle n'emploie qu'une fois les mots de «sainte indifférence», mais elle parle de «simple regard» porté sur Dieu, par conséquent sans «recherche de nous-même». Avec saint Paul, elle dit : «Mourir à nous et vivre à Dieu». «Se désapproprier», sans secrète complaisance en soi.

cxliv Vivre «dans une simplicité d'enfant», parce que l'on connaît la vérité sur soi : une fois de plus s'impose le rapprochement avec le traité de saint Bernard Sur les degrés d'humilité. Rester dans «une profonde petitesse», et là, au plus bas, goûter Dieu, sa miséricorde... Etre «investie de Dieu jusqu'à des pénétrations inexprimables».

cxlvune mystique d'anéantissement, marquée par la patience et la tranquillité.

cxlviPar rapport à ces profondeurs, les souffrances quotidiennes ne sont, pour ainsi dire, que des incidents de surface. Non qu'elles ne soient vivement ressenties. Mais elles ne sont jamais recherchées pour elles-mêmes, et comme provoquées. En tel commentaire de la Règle qui fut composé à l'époque baroque en forme «d'emblèmes» surmontés chacun d'une brève légende, le coeur meurtri est l'un des symboles les plus fréquents : on le voit écrasé entre une enclume et un marteau, transpercé de flèches, couronné d'épines, endolori de toutes les façons possibles. Rien de semblable chez Mectilde, aucune complaisance dans la souffrance, mais acceptation, silence, obéissance, et, à ce prix, tranquillité, affabilité, douceur, joie, consolation, action de grâces, bonheur de l'âme qui «s'élance vers Dieu».

cxlviiQuant à la conception de l'obéissance, elle peut soulever aujourd'hui un problème qui ne se présentait point jadis ; en effet, la formule d'«obéissance aveugle» est à bien entendre, et plusieurs textes nous y aident. Selon l'enseignement de saint Benoît, que reprend Mectilde, l'obéissance est don de Dieu : «C'est Dieu qui vous donne la force de vous soumettre». Or, se soumettre est une activité ; ce n'est pas une passivité, le fait d'une oppression subie. Quand Mectilde déclare : «Je n'ai plus de volonté», tout le contexte prouve qu'elle a de la volonté ; mais elle veut dire qu'elle n'agit plus que «par rapport à Jésus Christ».

cxlviiiA propos de toutes les observances particulières, Mectilde considère, plutôt que l'exactitude superficielle, la profondeur. Ne négligez jamais «un petit reproche intérieur», il vous ouvre à la grâce. «Rectifiez vos intentions» ; en ce domaine il n'y a point de limites aux exigences de Dieu et de celle qui conseille en vue de lui. Puis tout le reste est modération.

cxlixune mystique de la présence continuelle à Dieu grâce à la pauvreté du coeur.

clPoint de rhétorique inutile : «L'humilité ne consiste pas à avoir des pensées humbles, mais à soutenir le poids de sa vérité, qui est l'abîme de notre extréme misère quand il plaît à Dieu de nous la faire connaître...».

cliAu mois de juin 1978, les Mères Prieures des monastères français de l'Institut des Bénédictines du Saint Sacrement, au cours de leur réunion fédérale, avaient envisagé, à l'occasion du quinzième centenaire de la naissance du Patriarche des moines d'Occident, d'éditer un certain nombre de textes de Mère Mectilde commentant la Règle de saint Benoît.

Le volume que nous publions est l'oeuvre de tous les monastères. [avec le référence du FC]

cliiJe dirais volontiers une chose surprenante à plusieurs, que comme le grain de froment ne fait nulle coopération à sa renaissance, ou à sa nouvelle vie, que de demeurer en terre, et de pourrir ; que l'âme doit aussi demeurer ensevelie dans la terre de son propre néant, et de sa propre corruption, attendant avec une patience éternelle (c'est-à-dire prodigieuse) le point de sa résurrection ; car ce germe de vie cachée en elle-même, sans qu'elle le découvre en ce temps-là, ne peut perdre sa vie dans cette terre, parce qu'il est vie ; Ego sum vita, et essentiellement vie, et que si l'âme par le péché n'étouffe et n'arrache ce germe précieux de vie, il poussera et fera une renaissance admirable en l'âme ; mais il faut remarquer que le grain de froment est demeuré pourri dans la terre, et qu'il n'y a eu que son germe qui a produit ; de même l'âme demeure comme ensevelie et perdue dans la terre de son néant, et ce germe de vie, Jésus Christ, pousse et produit en l'âme des choses ineffables, et qui ne se peuvent dire : Il faut donc que l'âme demeure toujours dans la mort, jusqu'à ce qu'elle soit passée en Jésus Christ comme en la source de la vie, et qu'elle attende qu'il se produise lui-même en elle comme vie : Le grain de froment est la comparaison que le Fils de Dieu nous a donné en l'Évangile, et il se l'appioprie à lui-même.

Mère Mectilde du Saint-Sacrement de Bar, Véritable Esprit, Paris, 1684.

cliiiSoyez toujours bien généreuse pour Dieu, ne faites aucun cas des créatures qu'en Dieu et pour Dieu mais ne vous y engagez point, conservez votre liberté entière, et vous souvenez que Dieu vous l'a donnée pour lui en faire un présent, et non pour la captiver sous la tyrannie de votre amour-propre. Allons, allons, que rien ne vous arrête plus en ce monde. Dieu seul nous doit suffire. Courez dedans les plaies de notre adorable Sauveur, et gardez votre paix au-dessus de toutes choses.

n° 1099 A une Religieuse de l'Institut.

clivRien ne charme Dieu comme une personne humble. Il se précipite dans cette âme avec la même vitesse comme vous voyez l'éclair qui précède le tonnerre ou un trait d'arbalète, et même Dieu tient cette conduite sur les âmes sur qui il a dessein de perfection, leur laissant un poids d'humiliation... qui les tient toujours bas afin de conserver ses dons en elles, et cela parce que nous sommes si légères que la moindre grâce nous élève et nous fait oublier ce que nous sommes ; et cette peine, cette tentation ou cette abjection que Dieu nous laisse rabaisse notre orgueil, nous tient petites... nous apprenant ce que nous sommes. Nous avons des exemples de ceci dans les saints mêmes. Voyez un saint Paul : Notre Seigneur permettait qu'il soit souffleté par le démon. Aimons, mes Soeurs, aimons donc notre petitesse et nos misères, et les regardons toujours dans l'ordre de Dieu sur nous. Demandez-en la grâce à la sainte Mère de Dieu pour vous et pour moi.

n° 659 Conférence.

clvAyez courage, cet ouvrage sera accompli en vous ; demeurez en paix et en pur abandon à Notre Seigneur, sans retours et sans aucune défiance, quoique vous ayez mérité l'enfer. Demeurez dans l'amour de Jésus Christ. II vous y attire. Ne croyez pas qu'une saillie d'orgueil ou d'amour-propre vous fasse sortir de ce bonheur. Non, non, mais quand cela vous arrive, ne faites autre chose que de vous laisser doucement rentrer dans la paix ; et si cette faute vous laisse quelque temps dans la peine ou dans quelque petite agitation de coeur, portez cela sans inquiétude et sans autre intention que de la souffrir en esprit de pénitence...

Je vous dis encore que votre cœur est à Dieu par la grâce et non pas naturellement par vous-même.

n° 1331 Conférence.

clviC'est pour l'ordinaire que nous faisons nos actions par notre propre esprit et que nous n'avons en vue que nos inclinations. Ainsi il ne faut pas s'étonner si nous les faisons si imparfaitement et si nous avançons si peu à la vertu. Je vous le disais il n'y a pas longtemps : que je ne demanderais à une religieuse pour être bientôt parfaite que d'envisager uniquement et en toutes ses actions, voire aux plus petites, que la très sainte volonté de Dieu. Notre Seigneur dit un beau mot à ce propos dans l'Évangile : «Si votre oeil est simple, etc.» Oui, mes Soeurs, si l'oeil de votre âme est simple, regardant uniquement Dieu en tout ce qu'elle fait, sans retour sur soi ni sur les créatures, tout votre corps sera lumineux, c'est-à-dire toutes les puissances de votre âme, toutes ses facultés seront éclairées de ce beau soleil éternel, Jésus Christ, que vous avez en vue et en objet, à la faveur duquel [vous] connaîtrez jusque à vos moindres défauts.

n° 196 Chapitre, septembre 1662.

clviiCar Jésus Christ, lui seul étant la perfection, quand l'âme s'abandonne entièrement à lui, il s'établit dans l'âme, il y vit et règne, et voilà la perfection ; or, de cette sorte l'âme n'a rien à faire qu'à se laisser dans un simple abandon, sans se troubler de ses défauts, de ses misères et du reste, parce qu'elle ne peut être meilleure par elle-même, et ainsi elle attend en patience la venue de Jésus en soi, pour y vivre sa vie et y établir son empire.

n° 165 A Mère Marie de Jésus Chopinel, rue Cassette.

clviiiLes saints ne sont remplis de Dieu qu'autant qu'ils se sont vidés d'eux-mêmes. Hélas ! si l'on nous pressait et que l'on nous réduisît en liqueur, l'on ne verrait qu'amour de nous-même. Il y avait un serviteur de Dieu qui disait que, si l'on le pressait, il ne sortirait que de l'orgueil. Ne sortirons-nous jamais de nous-même, de notre propre terre ? Ah ! mes Soeurs, il faut une force toute divine ; demandez-la bien à Dieu ; vous n'en pouvez sortir sans secours. Quand nous oublierons-nous nous-même ? Quand ne nous soucierons-nous plus de nos intérêts ? D'où vient que la moindre parole nous choque si fort ? Dieu permet quelquefois que l'on exerce notre patience par des événements fâcheux et qui contrarient notre volonté, mais il faut dans ces rencontres lui montrer notre fidélité et notre amour pour lui.

n° 1075 Conférence pour la fête de la Toussaint.

clixJe sens bien que le démon fait tout son possible pour vous accabler... Il faut attendre en patience la conversion des âmes... C'est à son divin esprit de faire cette opération, et vous et moi la devons attendre en vous avec une très grande patience, sans nous lasser...

Pour toutes ces sortes de tentations que vous avez, c'est fort peu de chose. Dieu vous les envoie pour vous purifier... Quand il plaira à Notre Seigneur, il vous les ôtera ou vous donnera la grâce d'en faire l'usage qu'il désire... Tendez toujours à Dieu, quelque éloigné qu'il vous paraisse, car enfin il viendra, car cela est certain ; mais ne désistez point de gémir à ses pieds toujours, dans la confiance et en patience. Il faut une longue et très longue persévérance.

no 1415 A une Religieuse, rue Cassette.

clxSi la croix vous fait trop peur et que vous préfériez l'amour, aimez. n° 2401 Entretiens familiers.

clxiSi vous voulez trouver le royaume de paix et le paradis en terre, soyez fidèle à l'attrait de la grâce qui vous tire dans le néant. C'est une très grande miséricorde que Notre Seigneur vous fait de vous la présenter ; ne la refusez pas, si vous voulez être heureuse. Laissez-vous tomber dans le rien. O Dieu ! si l'on pouvait connaître le bien infini qui s'y rencontre, tout le monde s'y voudrait plonger. Résolvez-vous, très chère Mère, d'y entrer solidement, mais tout de bon donnez ce plaisir à Notre Seigneur, et à moi la consolation de vous voir dans ce bienheureux néant qui fait peur à la nature, mais avançant dans le chemin tout devient plus facile. Votre expérience vous fera croire cette vérité.

n° 752 A Mère Saint Placide, 4 mars 1685.

clxiiIl n'est pas besoin de chercher Dieu par quantité de pratiques. Qui cherche n'a pas, mais il faut jouir avec paix et douceur d'esprit de ce trésor infini, puisque nous le possédons aussi véritablement comme les saints le possèdent dans le ciel.

n° 2641 Chapitre durant l'Avent, 1663.

clxiiiSoyez toutes revêtues de Jésus Christ. Marchez en nouveauté de vie comme dans un monde nouveau où vous ne voyez que Dieu et n'y vivez que pour lui. Sa bonté aura soin de tout ce qui vous regarde, si vous avez un soin unique de lui plaire et de ne désirer que lui

n° 117 A la Communauté de Varsovie (Pologne), 8 septembre 1687.

clxivIl faut la persévérance à ne point se rebuter pour les difficultés qui s'y rencontreront. Il ne faut pas oublier qu'un des plus grands secrets de la vie spirituelle est que le Saint Esprit nous conduit, non seulement par les lumières, consolations, douceurs, tendresses, facilités, mais aussi dans les obscurités, insensibilités, tristesses, révoltes des passions et autres peines intérieures. Je dis bien plus, cette voie crucifiée est la meilleure et la plus assurée, et qui fait que l'âme arrive plus tôt à la sainte perfection.

n° 544 Conférence.

clxvMa très chère fille, si mes lettres pouvaient avancer votre âme dans la sainteté où Dieu l'appelle, tous les jours et à toute heure, je vous écrirais, mais je me sens bien indigne d'y contribuer. Hélas ! mon enfant, que je suis téméraire de vous parler ainsi ! C'est à Jésus Christ et à la puissance de sa grâce de vous faire faire un grand progrès à la sainte vertu ; ce n'est pas la créature qui sanctifie, bien que Notre Seigneur s'en serve pour nous enseigner ses divines volontés, et c'est pourquoi nous sommes obligées à une très grande fidélité à distribuer ce que Dieu donne pour les âmes, le donner purement dans un esprit très désintéressé et dans une profonde humilité.

n 2706 A la comtesse de Châteauvieux.

clxviJe me trouve intérieurement chargée de vous d'une manière très particulière, et que je ne vous puis exprimer qu'en vous disant qu'il me semble vous offrir à Dieu actuellement, dans un désir de vous voir toute à lui ; et les fautes que vous commettez volontairement, j'en suis chargée et en doit faire pénitence pour vous, puisque je me suis sacrifiée (quoiqu'indigne) pour vous. Jugez combien je suis obligée de vous presser d'être fidèle, en ce que vous avez promis, j'ai répondu pour vous, et promis à Dieu que vous serez toute à lui, autant qu'il aura agréable de vous en faire la grâce, et j'ai engagé, sur ce sujet, mon âme pour la vôtre.

n 1387 A la comtesse de Châteauvieux.

clxviiLa charge me serait un poids insupportable si Dieu ne me soutenait. Je ne sais pas comme font les autres, mais, pour moi, je porte le faix de tous les intérieurs de mes Soeurs. Les faiblesses des esprits, les infidélités, tout cela me charge devant Dieu. Dieu m'a donné une tendresse et un je ne sais quoi pour les âmes peinées et affligées, en sorte que je les ai toujours présentes d'esprit et n'en [puis] quitter le soin tant que leur peine dure. Il me semble que Dieu m'ait faite pour de telles âmes.

no 1944 A la comtesse de Châteauvieux.

clxviiiLa Mère Prieure usera envers les esprits faibles de quelque condescendance, se rappelant qu'après tout c'est spécialement des âmes qu'elle est chargée, comme parle la sainte Règle, qu'elle doit les soigner préférablement à tout ce qui n'est que temporel, terrestre et périssable, et que, cherchant premièrement le royaume de Dieu et sa justice, tout le reste lui sera accordé, à elle et à ses Soeurs, comme par surcroît.

Coutumier.

clxixVous vous devez sans réserve à Jésus-Christ et ne croyez pas que vous possédiez aucun véritable repos que dans ce centre divin où vous devez rentrer, et où je voudrais vous avoir remis au prix de mon sang et de ma vie, ne sachant pas une peine plus sensible dans l'état où Dieu nous tient que de voir une âme qui ne tend point de la bonne manière à sa fin.

no 3006 A une Religieuse, rue Cassette.

clxxMa chère Enfant, Dieu vous attend, il est à la porte de votre coeur avec une infinité de grâces qu'il a dessein de vous faire, il attend que vous lui donniez entrée, il le désire avec un amour incroyable ; ne le refusez pas. Il y a longtemps que vous lui fermez la porte de votre coeur dont il veut être le maître, il y veut régner tout seul. Retournez à lui, ma chère enfant, mais de tout votre coeur ; ayez confiance en sa bonté et en son amour, et je vous donne parole et assurance qu'il vous recevra à bras ouverts, comme un bon père, son enfant ; ne différez plus, car vous augmenterez toujours votre peine ; prenez donc une résolution forte et généreuse de vouloir être à Dieu sans aucune réserve, quoi qu'il vous en doive coûter.

clxxidites-lui, avec tout l'amour et toute la confiance qui vous sera possible, que vous venez à lui pour lui demander secours contre ses ennemis et les vôtres, qui font effort pour vous retirer de lui, et que vous venez exposer à la porte de son tabernacle toutes les rebellions, oppositions, répugnances et malignités de votre nature et de votre esprit humain, afin qu'il envoie de cette demeure adorable une petite étincelle du feu qu'il y renferme, pour consommer en vous toutes les choses qui ne sont point lui et qui vous empêchent d'être à lui. Protestez-lui avec sincérité que vous le désirez et que vous attendez cette miséricorde de son amour, et demeurez exposée à sa toute puissance pour qu'il fasse et opère ces effets en votre âme. Soyez fidèle à cela, ma chère enfant, ne'vous rebutez pas s'il n'arrive pas si tôt, attendez en patience sans vous décourager, ne vous étonnez pas des fautes que vous ferez, relevez-vous promptement par un retour vers Dieu pour lui demander pardon et par un renouvellement de votre résolution et après n'y pensez plus. Prenez à coeur, dans tout ce que vous ferez intérieurement et extérieurement, de le faire avec le plus de perfection que vous pourrez pour plaire à Dieu, et vous souvenez que son dessein est que vous soyez sainte. Il ne faut pas prétendre rien moins que cela.Je sais qu'il vous en doit coûter, mais pourtant il n'est pas si difficile que la tentation, jointe à la nature, vous persuade. Courage donc, ma chère enfant. Priez bien la sainte Mère de Dieu pour moi, soyez persuadée que je vous désire à Dieu du même coeur et

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de la même affection que moi-même. A Dieu, ma chère enfant, je vous laisse et vous abîme en lui ; demeurons-y ensemble et, par ce moyen, nous ne serons jamais séparées.

no 1958 A une Religieuse.

clxxiiDieu vous doit être uniquement toute chose et rien ne doit être préféré à son amour, car le respect et la crainte de Dieu vous doit pénétrer jusqu'à la moelle des os. Concevez donc une haute estime de Dieu par la foi, afin que votre esprit le préfère à toutes choses et que vous puissiez demeurer dans la fidélité que je vous propose de sa part.

no 1511 A la comtesse de Châteauvieux.

clxxiiiLaissez tomber toutes les contradictions qui vous arrivent : ne vous détournez point de Notre Seigneur pour vous amuser à les regarder et à y réfléchir par les retours de votre esprit. Que rien ne soit capable d'empêcher votre regard vers lui ; il vous suffit. Si vous avez Dieu, qu'on vous mette haut, qu'on vous mette bas, qu'on vous dise une chose, qu'on vous en dise une autre qui vous mortifie, ni peine, ni affection, rien ne vous détournera de votre divin objet.

no 176 Entretiens familiers, dimanche de Quasimodo, 1694.

clxxivVous m'avez quelquefois demandé comment il faut prier pour le prochain. Les uns prient vocalement, et d'autres en esprit pur et simple. L'âme prie pour son prochain selon son degré d'oraison ; quelquefois Dieu donne mouvement à l'âme de prier pour les misères d'autrui et, quand vous sentez en vous cette disposition, vous devez prier en la manière qu'on vous donne le mouvement. La plus ordinaire façon en laquelle vous devez prier, c'est en foi, par un simple regard vers Dieu qui connaît les besoins de ses créatures ; vous le priez qu'il les sanctifie toutes, et si votre prochain a des besoins particuliers qui soient à votre connaissance, vous les pouvez offrir à Notre Seigneur sans beaucoup vous en remplir, crainte que, sous prétexte de charité, vous ne jetiez votre esprit dans la dissipation et dans les égarements de votre imagination... Aimez votre prochain comme Dieu l'aime, et en l'état où sa sagesse éternelle le réduit ou le tient.

no 33 A la comtesse de Châteauvieux.

clxxvDieu ne se communiquera pleinement à votre âme que vous n'ayez tout perdu. Accoutumez-vous à vous contenter de Dieu seul, et vous expérimenterez qu'il est infiniment suffisant pour vous satisfaire.

no 1645 Chapitre.

clxxviVous demandez ce qu'il faut faire pour que tous les moments de votre vie soient pour Dieu. Je ne sais rien autre chose, sinon qu'ils ne soient plus à vous-même et que vous ne viviez plus pour vous. Si vous me demandez comment, je vous répondrai que c'est par l'abnégation de vous-même en tout et partout, sans aucune recherche, sans aucune relâche. Si vous dites que cela est bien rude, je vous dirai qu'il faut bien que cela soit. J'ai toujours ouï dire que la vie chrétienne était une continuelle abnégation de toutes choses ; sans cela, ce n'est qu'une ombre et un amusement. Vous trouverez Jésus parfaitement en vous perdant, en vous éloignant de vous-même.

no 1565 Billet à une Religieuse, rue Cassette.

clxxviiJ'ajouterai encore un mot, mes Soeurs, pour vous recommander les misères et les nécessités publiques, et tant de pauvres âmes qui souffrent et qui gémissent dans leurs maux. Priez Dieu de les soulager et de leur faire faire de leurs peines un saint usage pour l'éternité, car c'est à quoi ils négligent de penser dans leur accablement ; et ainsi leurs souffrances leur sont inutiles. Il me souvient d'avoir connu un serviteur de Dieu qui me disait qu'il parcourait toutes les souffrances de la terre pour les offrir à Notre Seigneur, au défaut de ceux qui ne pensent pas à les lui offrir, ni à en profiter pour leur salut. Faites de même, mes Soeurs ; offrez à Notre Seigneur les souffrances de tous les affligés, lui demandant de les faire servir à leur sanctification, en leur accordant la grâce de les porter patiemment avec amour et soumission à ses divines volontés, et aussi en esprit de pénitente pour leurs péchés. Ainsi, ne pouvant exercer la charité envers eux d'une autre manière, vous les soulagerez par ce moyen. C'est à quoi je vous exhorte, et aussi à prier Notre Seigneur pour moi.

no 1752 Chapitre, vendredi, surveille de la Toussaint, 1693.

clxxviiiC'est une vérité de foi que nous ne pouvons rien faire de nous-même ; tout le bien que nous faisons, nous devons le rapporter à Dieu qui en est l'auteur. Si nous réussissons à quelque chose, si nous avons une bonne pensée, si nous nous trouvons dans une bonne disposition, tout cela ne vient pas de nous et n'est pas de nous ; il n'y faut pas faire de fond, car Dieu l'ôte et le donne comme il lui plaît.

no 2640 A une novice en particulier.

clxxixIl y en a quelquefois qui disent : «Si Dieu savait le désir que j'ai de lui plaire !» Ah ! pauvres Enfants, peut-il ignorer quelque chose, et ce désir peut-il vous être naturel ? Non, non, il ne vient que de sa pure miséricorde. C'est lui qui en est l'auteur, aussi bien que de tout le bien qui est en nous.

no 417 Entretiens familiers, 17 avril 1695.

clxxxIl n'y a qu'une seule chose qui puisse me donner de la joie, c'est si je me voyais sur le point de m'aller reconcentrer en Dieu. Il n'y a que cela seul qui puisse me réjouir, mais j'avoue que j'en aurais une grande joie. Toutes les beautés du Paradis même ne me frappent point ; je n'y suis pas sensible, et je ne désire de mourir que pour retourner à Dieu et m'abîmer en lui...

Comment voudriez-vous que nous nous réjouissions, étant hors de notre patrie dans une terre étrangère ? La seule chose qui peut adoucir notre peine est l'espérance de sortir de cet exil pour retourner à Dieu.

n° 374 Entretiens familiers, 20 octobre 1694.

clxxxiParlant sur la mort d'une religieuse, elle dit : «Voilà ce que c'est que la vie ; ne songeons plus qu'à nous y préparer, nous n'avons point de moment assuré. Il faut toujours se tenir prête. Pour moi, je suis entièrement dans la mort ; j'en approche de près... Commençons donc à vivre sur la terre d'une manière libre et dégagée, sais attache à quoi que ce puisse être, nous élançant de temps en temps vers Dieu, nous tenant toujours prêtes. Faisons y tout ce que nous pourrons, et ce que nous ne pourrons pas, prions Notre Seigneur qu'il le fasse en nous pour sa gloire».

no 417 Entretiens familiers, 17 avril 1695.

clxxxiiPour rectifier vos intentions, il est nécessaire que vous tâchiez de vous conserver en présence de Dieu, en vous souvenant que vous êtes environnée de son immensité, de telle sorte que vous n'en pouvez sortir. Un souvenir de Dieu bien fréquent fait un très grand bien à l'âme. C'est de cette présence que l'on tire la règle de perfection à laquelle Dieu nous appelle. Si vous la pratiquez, vous serez heureuse... Tâchez de tendre à Dieu et de vous remplir de sa présence : vous en serez plus forte et votre âme en recevra plus de consolation.

no 1025 A une Religieuse, rue Cassette.

clxxxiiiSi le Saint Esprit se sert de nos méditations, Dieu se sert souvent des lectures pour nous éclairer. C'est pour cela que les Règles de la sainte Religion ordonnent si expressément l'usage des lectures spirituelles : ce sont des prédicateurs muets qui ne laissent pas de frapper le coeur et d'éclairer l'esprit. De quelque façon qu'elles puissent venir en nous, je les vois comme des effets de très grandes grâces. C'est pourquoi je vous exhorte de les bien suivre.

no 469 A Mère Saint Placide, rue Saint Louis (autographe).

clxxxivQuand vous ne savez que faire, pensez que Dieu est en vous, et occupez-vous à le remercier de toutes les grâces qu'il vous fait actuellement ; vous en recevez une infinité auxquelles vous ne pensez pas, et que vous ne connaissez même point.

no 2829 Entretiens familiers.

clxxxvPrenez l'habitude de vous rendre souvent à Dieu en esprit, et, dans les rencontres fâcheuses, le renouvellement de votre sacrifice vous servira de force pour triompher de vous-même et de vos ennemis. Je prie Notre Seigneur Jésus Christ qu'il vous imprime au fond du coeur, l'obligation que vous avez de vivre de sa vie.

no 1387 A la comtesse de Châteauvieux.

clxxxviPuisez en Dieu un fond de confiance et demandez-lui pardon de l'outrage que vous lui faites en vous défiant de sa bonté. Il se tient moins offensé d'un crime que de la défiance en sa miséricorde... Modérez vos sentiments et gardez-vous de la défiance : Dieu est votre Père et votre Sauveur. Regardez-le en ces qualités, et non comme un tyran, ainsi qu'il paraît que vous faites. A quoi bon se retirer de la confiance pour se jeter dans le désespoir ? ... Quelque méchante que vous soyez, Dieu est toujours votre Père, et il a plus de bonté pour vous que vous n'avez de malice.

no 2004 Entretiens familiers, 1er avril 1694.

clxxxviiL'attention à Dieu, le regard de Dieu simple, l'adhérence à Dieu, tous trois sont quasi mêmes choses. Il ne faut que la fidélité à ces choses pour être bientôt parfaite. Heureuse l'âme qui a trouvé Dieu en soi ! Elle est plus heureuse que d'avoir conquis toute la terre.

no 621 Diversités spirituelles.

clxxxviiiQuand je vous dis que vous suiviez les mouvements de la grâce selon toute son étendue, je n'entends pas que vous fassiez quelque chose d'extraordinaire sans congé exprès... C'est le seul et unique point qui nous est nécessaire pour arriver en peu de temps à la vraie perfection.

n° 1218 Conférence sur l'obéissance.

clxxxixNous ne pouvons rien donner de plus grand à Dieu que ce que nous lui donnons par le voeu d'obéissance, parce qu'il est celui qui nous captive davantage, et que naturellement nous n'avons rien de si cher que notre liberté... A la vérité, on ne peut être chrétienne par nature et encore moins religieuse ; ce n'est que par grâce, parce que l'on ne peut être ni l'une ni l'autre sans sacrifier à tout moment. L'obéissance perfectionne le sacrifice, et le sacrifice perfectionne l'obéissance. [je souligne > obéissance à/par la grâce seule...]

no 950 Conférence, 1695.

cxcIl faut apprendre à se taire au dedans et au dehors. Le silence est si nécessaire que, sans lui, la grâce n'aurait pas de lieu pour opérer dans une âme. Cessez donc de parler ; apprenez à vous taire, et vous entendrez la voix divine qui vous donnera une joie inconcevable.

O, la riche chose que le silence ! J'expérimente bien que la profonde solitude est un rare moyen pour posséder et goûter Dieu.

no 2567 Diversités spirituelles.

cxciNe soyez pas si prompte de vous exposer hors de vous-même ; tenez-vous dans la solitude intérieure, occupée de Dieu qui est en vous. Dieu en nous, le Père, le Fils et le Saint Esprit ! Tout ce qui fait la gloire et la joie des bienheureux est en vous, et cependant nous nous y appliquons si peu que cela est digne de compassion de voir notre aveuglement et nos amusements.

no 1218 Conférence.

cxciiO mes Soeurs, la vie intérieure n'est pas ce que l'on pense et imagine ; elle ne consiste point à avoir de belles lumières, à dire de belles choses, à être à l'oraison divine sans pensée ni application, comme étant bien élevée. Tout cela n'est souvent que fantaisie de l'imagination et dispositions chimériques. Elle est dans les pratiques solides de la mortification, dans l'amour de la petitesse et le total dégagement de soi et des créatures...

Ne nous a-t-on pas dit cent fois que Dieu résiste aux superbes, qu'il est impossible qu'il se communique à une âme orgueilleuse, que le royaume des cieux est pour les petits ? Ce sont les paroles de Jésus Christ même et, cependant, en sommes-nous plus humbles ? Vous me direz que je fais consister toute la perfection à l'humilité, et ne faut-il pas pratiquer les autres vertus ? Mes Soeurs, la sainte humilité, étant dans une âme, y introduit toutes les vertus. C'est une racine céleste qui porte les fruits de toutes les vertus. Un saint Père dit admirablement que l'humilité est une plante qui porte sa racine jusque dans l'enfer, et ses branches et ses fleurs et ses fruits dans le paradis...

Pour moi, je ne sais rien de meilleur que la profonde petitesse. Si vous voulez autre chose, demandez-le au Saint Esprit.

no 2721 Chapitre, 1663.

cxciiiQui peut s'élever à Dieu par l'élévation ? Ne faut-il pas s'abaisser et rentrer dans son néant ? C'est là uniquement où l'on trouve Dieu, quand on sait s'anéantir et ne vouloir rien être. Mais c'est que le penchant de la créature est l'orgueil et l'élévation.

n 2059 Entretiens spirituels, 16 octobre 1697.

cxcivDieu est de soi, indépendant de toutes les créatures, et la créature n'est rien de soi et ne doit rien être pour soi. Dieu est, et vous n'êtes point. C'est la leçon qu'il fit un jour à la glorieuse Catherine de Sienne, lorsqu'elle lui demanda simplement et amoureusement : «Qui êtes-vous Seigneur ?» «Je suis celui qui suis, et tu es celle qui n'est point». Cette précieuse parole fit un si prodigieux effet au coeur de cette sainte que jamais, depuis, elle ne sortit de son néant. Il me semble que Jésus nous dit dans l'intime de notre coeur la même chose : «Je suis le tout, et tu es le rien». Écoutez cette voix et portez croyance à ce qu'elle nous prononce. Suivez cette vérité, et vous vivrez au-dessus de toutes choses. Rien ne pourra plus altérer la tranquillité de votre esprit, rien ne pourra troubler votre coeur.

no 340 A Mademoiselle Charbonnier, de Toul, juillet 1662.

cxcvJe voudrais que l'on eût assez de courage pour voir sa misère, ses chutes et son impuissance à tous biens, sans s'en troubler ni perdre la paix, s'exposant doucement à Dieu qui nous est présent pour trouver en lui le remède à nos maux : tout ainsi que l'on blâmerait une personne, laquelle, étant mouillée et crottée depuis les pieds jusqu'à la tête, s'amuserait à crier et à se plaindre, se voyant en cet état, sans vouloir s'approcher d'un bon feu pour se sécher, de même, quand nous tombons et que nous voyons nos misères, nous nous tempètons, nous nous jetons dans l'inquiétude ; c'est à se plaindre, à s'affliger ; ce n'est pas là le remède à nos maux. Il faut s'approcher de cette fournaise ardente de la charité de Jésus Christ et attendre en patience le secours de sa grâce. Pour nous tirer de nos misères, il n'y a rien de si facile : un acte de foi et d'abandon fait notre affaire.

no 1651 Diversités spirituelles.

cxcvie n'ai en vue que le moment présent ; celui qui suit, je le laisse à Dieu et n'ai garde de m'en occuper. La raison est que je perdrais, non seulement la grâce qui est enfermée dans le moment présent, n'en faisant point d'usage, mais de plus je m'exposerais à mille inquiétudes, embarras et troubles d'esprit que la vue de quantité d'affaires me causerait et, ensuite, je n'agirais qu'en esprit de nature, ce qui serait un grand malheur. Ce n'est [pas] qu'il ne me vienne des distractions sur ce que j'ai à faire, mais je m'en divertis adroitement et me coule tout doucement, tout ainsi qu'une personne qui se retirerait d'une grande foule, et, laissant à Dieu toutes les affaires, je les vois en lui et les lui laisse gouverner selon sa sainte volonté. C'est un grand secret dans la vie intérieure d'en user ainsi, car, faisant autrement, l'on perd sa paix et la grâce enfermée dans le moment que nous possédons et dans l'action que nous faisons ; pour lors, bref, on ne fait rien qui vaille.

no 1021 Diversités spirituelles.

cxcviiQue servent les belles pensées que nous avons de l'humilité et de la petitesse et du néant de la créature, si nous n'en venons à la pratique ? Les hautes idées et les grandes lumières ne nous sauveront pas, si nous ne sommes petites en nous-même, à nos yeux et en nos oeuvres. C'est aux petits que Dieu se communique et révèle ses secrets, qu'il cache aux sages du monde. On ne comprend pas cette grande vérité ; on ne fuit rien tant que l'humilité... : personne n'en veut. Qu'il est malaisé de trouver une âme humble et petite à elle-même ! On estime la vertu d'humilité, mais on n'en veut point pour soi ; on se veut maintenir dans l'esprit des créatures ; on fait voir qu'on a raison de dire ou faire telle chose ; on ne peut souffrir une petite parole qui nous touche. Que la pauvreté de la créature est grande ! Qu'est-ce qui nous revient de tout cela ? Qu'importe que l'on nous estime ou non ? Quel mal nous en peut-il venir si une personne nous aime ou si elle nous méprise ?... Je souhaiterais que vous comprissiez bien aujourd'hui cette vérité : que jamais nous n'arriverons à l'union avec Dieu que par l'humilité. Vous aurez toutes les autres vertus, si vous avez de l'humilité ; point de vertu sans l'humilité. Mais comment faut-il faire pour acquérir l'humilité ? C'est se laisser tomber et anéantir dans les occasions. On improuvera ce que vous aurez fait : ne vous justifiez pas. Laissez tomber cette parole qui semblera vous choquer. Tant de petites rencontres qui se présentent où on satisfait son amour-propre ! II faut tout anéantir aux pieds de Jésus Christ, voulant plaire à lui seul.

n 1711 A une jeune Professe.

cxcviiiVotre maladie présente est un chagrin de vous voir si pleine de misères que votre amour-propre ne trouve pas de lieu où poser le pied de son élévation ; cela le fait enrager... Ce que vous avez à faire présentement, est de vous soumettre à Dieu dans votre pauvreté et de trouver bon qu'il vous tienne où vous devez être sans perdre courage, vous soutenant par la foi, qui vous doit persuader que Dieu veut faire son oeuvre en vous qui est son règne et sa gloire sur la ruine du vôtre... Il faut vous rendre capable des conduites de la divine Providence et sans vous arrêter aux raisonnements humains vous abandonner à Dieu sans réserve ; voilà par où vous entrerez dans la voie de la sainteté et vous rendre digne que Dieu vous sanctifie.

n 306 A une Religieuse, rue Cassette.

cxcixToute votre tendance doit être de sortir de votre propre esprit, par une abnégation et renoncement fidèle à vos propres pensées et propres lumières. Devenez comme un petit enfant dans la soumission, et laissez en arrière vos craintes, qui ne vous servent que d'obstacles à vous avancer. Laissez votre perfection à la conduite de l'obéissance, pour faire exactement ce qui vous est ordonné. Si vous pouviez comprendre le bonheur inexprimable de n'être rien en tout et partout, vous trouveriez et possèderiez un bien qui n'est connu que des âmes qui veulent tout perdre pour jouir d'une paix éternelle, qui procède de la possession de Dieu.

no 2390 A une Religieuse, rue Cassette.

ccVous avez besoin de deux choses, si on vous accorde la grâce que vous demandez. La première : une grande patience, la seconde : une simplicité d'enfant. La patience, pour souffrir avec peine et douceur tout ce qui contrariera votre esprit, vos sens, vos inclinations ; la simplicité, pour se soumettre, faisant les choses en la manière qu'elles vous seront commandées... Faites tout simplement, sans voir s'il vous est nécessaire ou non, et ainsi de tout le reste.

Nous voyons dans les anciens Pères qu'ils exerçaient les novices dans une simplicité prodigieuse : aux uns, on faisait porter et reporter des pierres d'un endroit dans un autre, sans utilité ; aux autres, on leur faisait planter des choux la racine en haut. Si on faisait faire ces choses à présent, combien de fois ne dirait-on pas : «Il ne doit pas être ainsi, je sais comme cela se fait», et cent raisons que l'on donnerait. C'est qu'à présent on veut être à Dieu à sa mode. Les esprits sont si délicats qu'on n'ose pas les toucher ; que si on dit quelque petite parole pour le bien et avancement des âmes, on ne le peut souffrir, on se retire en soi-même, on y vit, on y meurt. Voilà le malheur des âmes ! Pensez, ma Soeur, que vous venez en Religion pour faire pénitence ; non pas une pénitence de discipline et d'austérité, la vraie pénitence est celle de l'esprit. Nous le voyons en la personne de Job. Ce grand saint, dans la perte de tous ses biens, de ses enfants, et même tout ulcéré sur son fumier, louait et bénissait Dieu de toutes ces choses, mais, lorsqu'il fut blessé en son intérieur, ah ! il gémit et ne put le supporter. 11 n'offensa point Dieu, bien qu'il fût dans la dernière douleur ; il nous figurait Jésus Christ. Voilà, mes Soeurs, un beau tableau de la vie intérieure : nous supportons volontiers des pénitences extérieures, nous les demandons - et on ne peut assez nous en accorder -, mais si Dieu, par lui-même, ou s'il se sert des créatures pour faire mourir notre esprit, nous laisse dans l'amertume et dans la douleur, on veut tout quitter, ne pouvant supporter une telle privation. C'est cependant le plus agréable à Dieu. Vous diriez, à voir la conduite que sa bonté tient sur nous, voulant entièrement nous détacher des créatures, qu'il a grand besoin de nos personnes.

Non, non, mes Soeurs, il n'a que faire de nous, ne nous trompons pas. Il n'en sera pas moins glorieux quand nous serions réduites au néant. C'est où vous devez tendre.

no 3015 Chapitre à une Postulante qui demandait le saint habit, 1677.

cciOn trouvera dans le bréviaire de notre Mère Mectilde un petit papier écrit de sa propre main qui contenait ce qui suit :

Le premier voeu est de ne me justifier jamais d'aucune accusation que l'on ferait de moi.

92 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 93

Le second, de ne me plaindre jamais, quelque mauvais traitement qu'on me fît ».

n° 2026 Billet.

cciiL'humilité ne consiste pas à avoir des pensées humbles, mais à soutenir le poids de la vérité, qui est l'abîme de notre extrême misère, quand il plaît à Dieu de nous la faire ressentir.

no 1700 A Mère Marie de Jésus Chopinel.

cciiiLe premier pas que vous devez faire, c'est de vous humilier très profondément et d'apprendre, non seulement par lumière mais par expérience, ce que vous êtes et ce que vous méritez.

n 1645 Chapitre.

ccivEn toutes rencontres, mettez-vous au-dessous de tous. Heureuse l'âme qui n'est plus rien dans les créatures et dans elle-même et qui n'a plus d'appui sur la terre ! Un tel dénuement fait peur à la nature, mais, à la vérité, je ne connais rien de meilleur. Rien n'est capable d'altérer la tranquillité d'une âme en cet état.

no 1996 Entretiens familiers, 25 mars 1695.

ccvL'amour-propre nous est plus nuisible que tout l'enfer, et cependant nous renversons tout pour nourrir cet ennemi qui ne cherche qu'à nous perdre. Ne croyez pas que l'amour-propre se contente de nous faire tomber dans le péché, comme ces gros pécheurs qui sont enfoncés jusqu'au-dessus de la tête. Non, non, l'amour-propre a ses vertus qu'il prétend acquérir, mais c'est pour soi, et il s'y complaît, il s'y mire comme le paon dans ses ailes. Ces âmes ainsi aveuglées, vous jugeriez qu'elles sont possédées du pur amour de Dieu et des seuls intérêts de sa gloire et, en vérité, elles se regardent et ne travaillent que pour s'établir dans les créatures et dans leur estime. Cela se connaît dans les moindres occasions de souffrance et d'humiliation, où elles éclatent en plaintes, chagrins et murmures : marque d'orgueil d'un fond immortifié car une âme qui a un peu de vraie humilité ne souffre rien... Tenons-nous donc bien bas, et ce sera le moyen de tuer notre amour-propre.

no 1876 Chapitre, 18 juillet 1658.

ccviQuand vous tomberiez dans quelque grand péché ou dans quelque faute considérable, bien loin de vous en troubler, il faudrait remercier Dieu de la grâce qu'il vous fait de vous connaître : il y a des âmes à qui Dieu laisse des défauts pour les humilier. Si Dieu se fâche contre vous, abaissez-vous. Si vous sentez ses coups, mettez-vous encore plus bas. S'il vous rebute, mettez-vous de plus en plus bas. Et quand vous serez descendue aussi bas que vous le devez, il viendra vous combler de grâces et de miséricorde, avec tant d'abondance que vous en serez surprise.

no 1214 Entretiens familiers, 12 avril 1694.

ccviiAyez beaucoup d'estime des petites choses, s'il y en a de petites ; tout est grand aux yeux de Dieu. Si vous aviez conçu une haute estime de Dieu, que vous agiriez bien autrement que vous ne faites ! Sa grandeur, sa Majesté, vous tiendraient toujours recueillies en sa présence, et vous introduirait à l'oraison, toujours nécessaire. Elle vous ferait entrer en union avec Dieu. Ayez tant de belles et sublimes lumières qu'il vous plaira, des idées relevées et des plus ravissantes, si vous n'êtes humble et si vous n'entrez dans la véritable mortification, je les appelle toutes : illusions. Tout le monde veut être spirituel, et encore de la plus fine spiritualité, et personne ne veut prendre la voie qui y conduit. Si vous aspirez à ces états sublimes, prenez-en le sentier qui est une profonde humilité.

n 1932 Conférence, 1672.

ccviiiDieu est feu... Voulez-vous que je vous dise ce qui empêche que ce feu sacré n'opère en vous ? C'est la dissipation, car si nous savions nous occuper de Dieu en nous et garder le silence, cela nous attirerait bien des grâces, étant certain qu'on ne peut être spirituelle ni intérieure quand on n'est pas silencieuse et que l'on aime à se répandre et à parler facilement. Ne vous flattez pas, cela est impossible. Une personne intérieure n'aime pas à parler, et l'on n'en a point vu qui n'aient été fort retenues en ce point.

Tâchez donc d'observer le silence, afin que, vous conservant toujours dans un saint recueillement, rien ne vous empêche, soit dans votre cellule, soit en montant et descendant, d'avoir toujours en vous ce feu sacré.

no 2384 Conférence, 1693.

ccixAbaissez-vous et méprisez-vous en vous-même, non en paroles mais en fond de vérité. Si vous faites ce que je vous dis, tout le ciel viendra fondre sur votre intérieur, et vous regorgerez de tant de grâces que vous en aurez pour convertir le monde entier. Personne ne connaît ni ne goûte Dieu qu'«humblement». Devenez-le, et vous verrez, par expérience, que je dis vrai.

no 3158 A une Religieuse, rue Cassette.

ccxC'est l'humilité qui est, à mon sens, la plus rare de toutes les vertus ; mais quand une âme est parvenue au point de la posséder sincèrement, elle est au comble d'un bonheur qui ne se peut assez estimer, tant elle possède de richesses et de grâces dont une des plus admirables est une paix si profonde que rien de ce monde ne la peut troubler. Vous serez heureuse si vous pouvez soutenir tous les sacrifices qu'il faut faire pour y parvenir solidement ; je vous conseille de vous y appliquer de la bonne manière et,pour cet effet,de demander un grand courage à la plus humble de toutes les créatures.

no 3038 A une Religieuse, rue Cassette.

ccxiOh ! si vous saviez que c'est une bonne chose de savoir bien s'abaisser devant Dieu ! Autrefois, je prenais plaisir à considérer et à m'appliquer à cela : ces personnes qui vont dans les mines chercher l'or et l'argent, elles descendent toujours de plus bas en plus bas pour le chercher, il en faut faire de même pour trouver Dieu, descendez, descendez toujours de plus bas en plus bas dans la profondeur de votre bassesse, allez tout jusqu'où l'on peut aller et je vous assure que dans ce lieu si bas et si abject de votre misère Dieu vous y viendra chercher et trouver. Oui, il y viendra fondre, bien plus, je vous dis qu'il vous y viendra faire la cour. Je [le] sais d'expérience, vous me pouvez croire . Oui, ce Dieu de bonté s'unira à vous, vous comblera de ses grâces , et dans la profonde petitesse vous goûterez ses infinies miséricordes. Il n'y a qu'à se savoir abaisse! pour l'attirer tout en nous.

no 314 Entretien familier.

ccxiiL'oraison du coeur n'est autre chose que de croire Dieu dans son coeur, de l'y adorer et de se laisser amoureusement à lui. Cette oraison ne demande point d'autre instruction que les inventions que le Saint Esprit inspire à l'âme. C'est l'amour divin qui en est le maître et le directeur, et voilà le secret ; les créatures ne doivent point s'ingérer de faire son office.

Cette oraison porte amour et respect des grandeurs de Dieu ; l'âme n'a qu'à se recueillir et s'occuper doucement de Dieu, voilà tout ce que j'en sais. Chacun en reçoit des effets différents selon les voies et les conduites de Dieu. Cette sorte d'oraison, quand l'âme est fidèle, doit opérer une profonde humilité, une grande simplicité. Douceur, charité, résignation, toutes les vertus s'y trouvent renfermées ; l'usage vous le fera expérimenter.

Ne gênez point votre esprit ; suivez Jésus Christ en humilité et simplicité.

n 2032 A la comtesse de Châteauvieux.

ccxiiiIl y a un certain regard vers Dieu qui tient lieu de toutes choses à l'âme..., pour la tenir appliquée à Dieu seul et sans chercher autre chose que de l'adorer et de lui rendre en silence tous les hommages possibles, qui tient l'âme simplement élevée et attachée à Dieu des heures entières, sans chercher autre chose que Dieu en Dieu, et Dieu pour lui-même.

n° 1957 A une Religieuse de l'Institut.

ccxivC'est une grande miséricorde de Dieu et une marque qu'il vous veut tout à lui et appliquée à lui seul, par un regard simple et amoureux... Il veut de vous deux choses : le silence intérieur qui renferme en soi l'attention simple et, l'adhérence à Dieu. C'est ce qui s'observe dans ce regard silencieux et respectueux que vous pratiquez qu'il faut continuer, quelque sécheresse ou incapacités de demeurer en la présence de Dieu que vous puissiez ressentir. Ne désistez point de votre fidélité, ne regardez jamais le profit qui vous en revient... J'espère que dans la suite de ses miséricordes, il vous fera entrer dans un plus grand dégagement de vos propres pensées et de vos craintes. Courage, allez à lui avec confiance et amour, non sensible, mais de foi et d'abandon.

n° 2217 A une Religieuse, rue Cassette.

ccxvDieu ne vous doit rien. Si vous sentez des rebuts à l'oraison, s'il vous semble que Dieu vous méprise et ne vous écoute pas, gardez-vous bien de murmurer comme si Dieu vous devait quelque chose. Au contraire, humiliez-vous, ne faites point comme celles qui, lorsqu'elles ne sentent point de douceur ou leur petit attrait, se découragent, se chagrinent, comme si tout était perdu. Ces personnes-là se recherchent elles-mêmes et non pas Dieu.

Mais, me direz-vous, je me chagrine parce que je crois que ma sécheresse vient à cause de mes infidélités et qu'elles sont la marque de la disgrâce de Notre Seigneur. Ces raisons-là ne sont qu'amour-propre. Si c'est vos infidélités qui vous les ont attirées, vous les devez souffrir comme une pénitence que vous avez méritée. Il ne faut pas tant se réfléchir, il faut s'abandonner. Marchons dans les pures lumières de la foi et non point dans la vanité de nos sens. Laissons-là, ne pensons qu'à contenter Dieu, admirons cette bonté qui nous souffre, cet amour infini qu'il a pour nous ; ne pensons qu'à l'aimer, qu'à le contenter. Voilà l'unique nécessaire, tout le reste n'est rien.

n° 2548 A une Religieuse en particulier.

ccxviIl nous faut établir dans la foi pure de Dieu en nous, non seulement comme soutenant notre être, mais comme opérant et concourant à tout ce que nous faisons. Il ne faut point d'imagination pour le croire, mais la foi toute simple suffit, pourvu qu'elle soit continuelle. Si elle s'amortit, il faut la réveiller doucement jusqu'à ce que l'habitude en soit formée et que l'âme se voie plus en Dieu qu'en elle-même. Il me semble que cette vérité de Dieu essentiellement en nous fait un admirable effet pour nous faire voir notre dépendance de sa bonté, et pour nous soutenir en respect et anour en sa sainte présence. Car si, au dedans, il semble que les organes de l'âme soient obscurcis et comme impuissants de s'élever pour trouver Dieu, la vérité le fait posséder en foi puisqu'il est vrai qu'il nous environne, qu'il est tout notre être plus nous que nous-même. Et si l'âme dit : «Je ne puis être unie à Dieu à cause de mes impuretés», je lui réponds qu'elle est en Dieu, qu'elle vit en lui et que, si elle doute avoir quelque crime en sa conscience, qu'elle le déteste et se tienne en Dieu par la foi : elle en recevra de très grands avantages.

Si on savait le bien que l'âme reçoit de cette présence quand elle s'y exerce en foi à toute heure ! Elle se trouve investie de Dieu jusqu'à des pénétrations inexplicables. Tout notre mal est que nous ne voulons pas nous captiver sous cette loi d'amour et de simple application à Dieu présent.

no 592 Chapitre.

ccxviiL'abbé doit s'occuper en toute sollicitude des frères qui ont failli, parce que "ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin du médecin mais les malades ." C'est pourquoi il doit, comme un sage médecin, user de tous les moyens. Il enverra des frères anciens et sages qui, comme en secret, consoleront le frère qui est dans le trouble et l'engageront à faire une humble satisfaction : ils le soutiendront de peur qu'il ne soit accablé par un excès de tristesse ; mais, comme dit l’Apôtre, "Il faut redoubler de charité envers lui ", et tous prieront à son intention.

L'abbé, en effet, doit avoir un soin tout particulier et s'empresser , avec toute son adresse et toute son industrie, pour ne perdre aucune des brebis à lui confiées. Il doit savoir qu'il a reçu la charge de conduire des âmes faibles et non d'exercer sur des âmes saines une autorité tyrannique. Qu'il craigne donc la menace du Prophète, par la bouche duquel Dieu dit : "Les brebis qui vous paraissaient grasses, vous les preniez pour vous, et celles qui étaient débiles, vous les rejetiez ." Qu'il imite plutôt l'exemple de tendresse du bon Pasteur qui, avant laissé dans les montagnes quatre-vingt-dix-neuf brebis, se mit en quête de l'unique brebis qui s'était égarée ; il eut de sa faiblesse une si grande compassion qu'il daigna la charger sur ses épaules sacrées et ainsi la rapporter au troupeau.

ccxviiiVoilà proprement ce que fait la pauvreté dans une âme : elle rafle tout et la dénue de manière qu'elle n'a plus rien, rien du tout, pas seulement le moindre appui ; autrefois, on avait encore un peu d'estime et de considération pour elle, elle avait quelques amis, mais la pauvreté a fait divorce et l'a dépouillée généralement de tout. Du temps passé de ma jeunesse, je croyais que tout le bonheur d'une âme, sa perfection et son élévation dans l'oraison, consistaient dans ce voeu, car rien ne peut l'arrêter ainsi dégagée, ni l'empêcher d'être toujours élevée à Dieu. Il n'y a plus rien qui l'occupe, Dieu se donne lui-même à ces âmes, et fait leur unique possession. Elles vivent sur la terre comme si il n'y avait que Dieu et elles.

n 950 Conférence, 1695.

ccxixLa lecture est excellente, mais il la faut faire en esprit d'oraison, sans aucune curiosité et sans activité, vous abandonnant à la grâce contenue dans les livres que vous lisez, écoutant plus Dieu dans le fond de votre âme que dans le beau discours des livres. Il y a peu d'âmes qui lisent chrétiennement, mais il y en a beaucoup qui lisent comme les philosophes, curieusement ; n'ayez plus de désir de rien savoir que Jésus Christ.

no 711 A la comtesse de Rochefort.

ccxxLe mot de Pâques nous signifie un passage : l'Église fait mémoire de la sortie des enfants d'Israël de leur misérable captivité. C'est donc la fête des âmes régénérées du péché à la grâce, et c'est la fête du passage de Jésus Christ dans notre âme et notre âme en Jésus Christ. C'est dans votre âme qu'il veut opérer ce grand mystère et vous communiquer une vie divine et éternelle pour jamais, si vous êtes fidèle.

Voici comme il faut que vous correspondiez à cette grâce : premièrement, purifiant votre coeur de toutes les imperfections volontaires et de tout ce qui peut faire obstacle à l'effet de cette grâce. Secondement, il faut dégager votre âme de toutes les recherches, de vos satisfactions, de vos intérêts d'amour-propre, en un mot de toutes les petites vues humaines et de tout ce qui n'est pas produit par l'Esprit Saint en vous, et qui n'a pas uniquement Dieu pour objet. Troisièmement, pour remplir le dessein du Fils de Dieu, il faut que vous demeuriez en lui : cela se fera par la grâce de la sainte communion. Notre Seigneur se ressuscitant en vous, c'est pour vous ressusciter en lui, en sorte que vous n'ayez plus d'autre vie que la sienne, plus d'autre désir, plus d'autre volonté, plus d'autres inclinations, bref que vous soyez toute revêtue de son Esprit, afin que lui seul paraisse en vous, et vous toute anéantie en lui.

no 3039 A une Religieuse, rue Cassette.

ccxxiLe 6 novembre 1697, me parlant sur l'oraison, elle me dit : «Je ne regarde jamais ce qui est plus élevé, ou plus bas, mais seulement l'attrait de Dieu sur les âmes, et où il les attire. Car la plus simple méditation est aussi bonne et aussi sainte pour une âme, quand elle y est appelée, que la plus haute contemplation. Il n'importe, pourvu que nous y soyons comme Dieu nous y veut. Je vous dirais moi-même que quelquefois on me met au commencement de l'oraison, et d'autres fois à la fin. Il ne faut pas tant se tourmenter. Je vous dirai ce que je ne dirais pas à tout le monde, qu'il faut à l'oraison attendre Dieu. Je veux dire qu'il opère en nous selon son plaisir, et le laisser faire notre destruction. La lecture est bonne et utile quand on n'y a rien, et que l'on est distraite. Vous en pouvez faire quelquefois, quoique je vous dirai que pour vous, vous ferez mieux de n'en point faire, et de souffrir en la présence de Notre Seigneur les dispositions pénibles où il vous met, et vos distractions, en vous en détournant doucement, sans vous en troubler et inquiéter. Portez tout en patience et soumission aux conduites de Dieu, vous contentant de n'avoir rien que des misères, pauvretés, impuissances, etc. Humiliez-vous seulement et tout ira bien, car l'humiliation de l'âme attire Dieu en elle. Contentez-vous donc de l'état souffrant que vous portez, et ne voulez rien autre chose».

n 2067 Entretiens spirituels, 6 novembre 1697.

ccxxiiIl ne faut point rechercher nos voies, mais il les faut suivre quand Dieu nous les donne. N'oubliez pas les pratiques des solides vertus, cela se fait sans peine, car si l'oraison est un trait de Dieu, elle porte l'âme à la fidélité ; l'amour de Dieu agit en secret.

n 1744 A une Religieuse, rue Cassette.

ccxxiiiEcoutez la mesure que Notre Seigneur donne à l'amour que nous devons avoir pour notre prochain : c'est de l'aimer comme nous-même en sorte que nous le devons traiter comme nous voulons être traité. Nous lui devons procurer le bien que nous nous souhaitons à nous-même : et quand vous voudrez dire quelque chose de votre prochain, faites réflexion si vous voudriez qu'on en dit autant de vous ; cette pratique vous retiendra infailliblement. Que tout le monde soit en sûreté avec vous. Une autre considération qui vous doit retenir, c'est que les fautes contre le prochain sont presque toujours irréparables, quelque bonne volonté que vous en ayez. Cette parole de mépris, ce sentiment que vous avez communiqué à cette personne s'est imprimé si fort dans son esprit qu'il ne lui est plus possible de l'oublier ni de l'effacer, quoi que vous puissiez dire.

no 2383 Chapitre, dernier jour de l'année.

ccxxivJe vous exhorte donc, comme saint Jean faisait à ses disciples, de vous entr'aimer les unes les autres. Je vous avoue que je donnerais volontiers ma vie pour que Notre Seigneur soit glorifié dans cette maison et qu'il y trouve sa complaisance. Moyennant qu'il soit content, tout le reste ne m'est rien et je puis assurer qu'il le sera pleinement lorsque la charité sera bien établie dans nos coeurs.

n 1526 Diversités spirituelles.

ccxxvNos coeurs sont faits pour aimer ; ils ne sauraient vivre sans amour. Il faut donc renoncer à nous-même et à l'amour de notre propre esprit, pour n'aimer que par la charité de Jésus Christ, et, ce faisant, je vous promets que vous deviendrez des Jésus Christ.

no 217 Chapitre

ccxxviCette paix divine fait le soutien de l'âme... L'âme possédant cette tranquillité, Dieu se contemple lui-même dans le fond de cette âme et y fait une impression de ses perfections divines... Quand Jésus donne sa paix à une âme, il lui donne son esprit, il lui donne son amour. C'est une grâce merveilleuse d'avoir cette paix qui calme les troubles de nos intérieurs, qui chasse la crainte, qui tient l'âme dans un simple et amoureux abandon à l'opération divine... Qu'est-ce que cette paix sinon la présence de Jésus et sa demeure dans nos coeurs. C'est pourquoi le Saint Esprit réside au milieu de la paix, le prophète nous l'assure : «In pace locus ejus,, et si nous l'avons, le Saint Esprit nous enverra le divin amour.

no 325 Conférence, mardi de Pâques, 1665.

ccxxvii Dernière note de fin

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