Mère MECTILDE 1614-1698



Médiocrité des lettres à la duchesse d’Orléans

Un TOTUM de et sur MECTILDE


Présentation


Ce gros dossier ne peut être lu rapidement ni en entier. Il ne saurait être réduit ni même simplement « retaillé » sans perdre une grande partie de son intérêt. Des regards très variés et complémentaires convergent sur la mystique figure de Mectilde.

Ce Totum – il demeure incomplet - constitue l’« ouverture » vers d’innombrables manuscrits accumulés en plusieurs siècles par les copistes bénédictines des écrits de leur fondatrice. Nous sont proposées quelques études incontournables comprenant des textes intérieurs soigneusement choisis par des religieuses intérieures. Ces transmettrices demeurent méconnues. Le labeur de plusieurs siècles mérite reconnaissance et redécouverte.

Destinés à usage interne, les supports papier édités au sein d’un Ordre à l’avenir incertain deviennent rares. Il m’a semblé urgent d’en photographier un Essentiel – j’ai eu la chance d’être guidé par des archivistes de l’Ordre aujourd’hui disparues.

Transcrits à l’aide d’un bon outil en reconnaissance de caractères et corrigés a minima pour en assurer la lecture aisée, cela permet de proposer ces ouvrages convertis en présentations informatisées (fichiers doc, odt, pdf, epub) pour une découverte par de futurs inconnu(e)s 1. Quelques-uns en recherche d’intériorité seront comfortés et prêts à suivre l’exemple offert par des « aîné(e)s », s’ils y ont accès sans déplacement ni limitation géographique ou culturel.

C’est le devoir de transmettre les traces de toute Tradition authentique.

Je propose de forts volumes (en format A4 proche des antiques in-folio, en corps Garamond petit mais lisible), après avoir réédité les principaux écrits mystiques de « l’autre » mystique de même mouvance : Madame Guyon, « Sœur dans le monde », et pour qui Mectilde était « une sainte ».

L’ancienne fut religieuse, la plus jeune demeura laïque ; changement d’époque. Ce sont les deux grandes mystiques qui ont atteint la fin du Grand Siècle.

Le fonds manuscrit protégé dans l’Ordre fondé par la Mère Mectilde est partiellement couvert dans ce Totum. Celle que ses proches appelaient également « notre Mère » - en compagnie de Fénelon « notre Père » - a été sauvé par des disciples dont le fidèle pasteur-imprimeur Poiret. Des milliers de textes de Mectilde recueillis, copiés et recopiés sur trois siècles par ses « filles » sont présentés en un « Fichier Central »2. Le Totum Mectilde repose sur une Base Mectilde.

C’est fort surprenant et unique - peut-on y voir un effet de grâce ?- que de disposer de deux immenses ensembles de textes intérieurs3.

Un travail comparatif devrait être entrepris : les deux femmes ont bien des points communs même si elles ont vécus fort distinctement, ce qui élargit encore le spectre des conditions et milieux rencontrés, des monastères aux Cours, des puissants aux prisons.

On relève l’approche intérieure commune qui leur a attiré des « ennuis » au sens ancien fort de prisons pour Guyon, de vieillesses sans repos pour les deux qui partagèrent le même souci de service à rendre, lavement des pieds de jeunes bénédictines ou de disciples et visiteurs étrangers. Même intensité exigeante – elle provient de leur origine intérieurement commune puisqu’elles sont rattachées à une filiation née du franciscain Chrysostome de Saint-Lô, passant par Monsieur de Bernières (son chapelain Bertot dirige la jeune Guyon).

Même dons d’écriture et de parole qui porte intérieurement. Contacts successifs avec deux épouses royales, donc expérience des Puissants. Les différences seraient les espaces où elles rayonnent : celui « interne » clôturé du monastère, celui « externe » - à peine plus libre - de la ville et de la Cour.


Revue par ouvrage


Ce dossier rassemble les imprimés dans l’Ordre d’Ame offerte …. à Rouen suivi de contributions en collection Mectildiana.


Mes préférences :


Partout : lettres de Mectilde à sortir de ce Totum.

Dans Ame offerte, ‘Comme un encens devant la face du Seigneur’ de dom Joël Letellier, une clé bibliographique.

Dans Ecrits Châteauvieux, l’Introduction de Louis Cognet & son choix dans le Bréviaire : certaines pièces sont admirables, d’autres sont faibles et suspectes [confirmation faite par l’archiviste Molette].

Dans Amitié, Introductions : de Molette très utile pour l’histoire des mss et sa confirmation de réécritures ; de Dupuis et Milcent [dont on peut omettre première lecture, aussi ne sont-elles pas corrigées soigneusement] – Lettres nombreuses mais moins intéressantes que le choix d’ Ecrits Chateauvieux opéré par Louis Cognet. [réécritures suggérées par Molette]  - A la lecture il me semble que l’ouverture du Bréviaire aux ‘filles’ par Mectilde a du s’accompagner d’une refonte. Hypothèse à étendre sur d’autres mss. Provenant de l’Ordre (?) d’où s’impose UN CHOIX mystique plutôt qu’une édition intégrale aveugle ...Sauf si le ms. Paris ou tel autre révèle une source pure ignorée ...Sauf si le recours direct aux mss. révèle une saisie avant manipulations 4. Etude de Mectilde à faire en partant du Fichier central, ce qui demanderait un temps considérable.

[...]

Itinéraire spirituel, Origines…, Entretiens familiers... ont été revus car ces oeuvres de sœurs « intérieures » remarquables ont été auparavant formatées livre pour réédition éventuelle.

Dans Pologne l’histoire douloureuse polonaise culmine par le récit des années de guerre.

Dimensionnements


1500 pages A4

6 853 000 car sans espaces

soit ~4500 car / page A4

page nbp date L


Avertissement 16

Ame offerte 16 84 98 L-

Ecrits Châteauvieux 98 50 65 L-

Amitié Châteauvieux 148 182 89 L

Documents historiques 330 151 79

Ecoute 481 88 88

Inédites 569 169 76 L

Itinéraire spirituel 738 68 97-

Origine des recueils de Conférences [M.-V. Andral] 806 7

Entretiens familiers [Sœur Castel] 813 32 84

Pologne 845 180 84 L

Rouen 1025 180 77 L-

Collection MECTILDIANA 1205 1

Les Amitiés Mystiques de Mère Mectilde 1205 155 17

Correspondance Bernières 1360 135 16 L

Fin 1495


Avertissement

Il s’agit de « sauver » l’universel mystique au moment où les Traditions qui l’accueillent au sein de chaque culture ancienne (chrétiennes, en terres d’Islam, bouddhistes… ) ne résistent pas aux bouleversements qui caractérisent notre siècle. Au moment où l’écriture laisse place au direct visuel, il faut transmettre l’intériorité vécu et suggérée par paroles recueillies de figures exemplaires.

Dans le cas particulier du dix-septième siècle et pour Mère Mectilde / Catherine de Bar, il y a urgence car l’Ordre qu’elle fonda ne recrute plus guère de nos jours des jeunes désirant devenir bénédictines. Les archives centrées sur elle5 sont très soigneusement stockées et classées à Rouen – aujourd’hui sous la houlette de sœur Marie-Hélène Rozec du couvent proche de Craon, avec laquelle j’ai exploré le fonds ; ayant eu la chance de rencontrer quinze ans auparavant lors de brefs séjours à Rouen ses prédécesseurs archivistes, je pouvais lui être utile et même guide. Mais ces dossiers connaîtront peut-être le sort des fonds de la bibliothèque jésuite de Chantilly : ces derniers sont préservés physiquement à Lyon, mais perdus quant à l’orientation spirituelle qu’ils transmettaient. Seuls des bibliothécaires d’antan pouvaient la suggérer aux visiteurs (dans mon cas, la transmission eut lieu par André Derville qui assura la bonne fin de l’édition du Dictionnaire de Spiritualité jusqu’à la dernière lettre Z)6.

J’ai constitué entre 2002 et 2017 une base photographique unique par sa taille (37 000 photographies de 74 000 pages choisies – quelques centièmes des archives – 39 Gigaoctets) et son organisation structurée (racine unique ouvrant sur 454 dossiers et sous-dossiers). Dom Joël Letellier, animateur de la collection « Mectildiana », ami sur une vingtaine d’années, m’a accueilli dans sa collection7.

Il s’agit aujourd’hui de mettre à la disposition des chercheurs spirituels le « double » informatisé de manuscrits choisis outre le présent fichier rassemblant les principaux ouvrages sur Mectilde publiés par ses soeurs. En recommandant sa première étude qui suit immédiatement cet Avertissement. Rédigée par dom Joë, elle est le guide qui ouvre sur des travaux et sur leur esprit (rares aux deux sens du terme : difficiles d’accès, peut-être bientôt perdus ? Qui révèlent l’exceptionnelle profondeur de vie de leurs auteures).

Il s’agirait maintenant de l’exploiter : je n’ai qu’effleurer les contenus de ces manuscrits.



Tome second

Inédites

= Catherine de Bar Mère Mectilde du Saint Sacrement 1614-1698, Lettres inédites, Bénédictines du SS, Rouen, 1976.



[TABLE inexistante ! À défaut : I. À la duchesse d’orléans p.17 II annales de Toul p.101 III à ses monastères lorrains p. 119]

[v. annotations DT en fin d’ouvrage au crayon avec appréciation « ! » et de même dans les ouvrages précédents]



PRÉFACE

Préfacer l'édition critique des lettres de Mère Mechtilde ne devrait être confié qu'à un historien familier de longue date de l'Institut que fonda Catherine de BAR. Un Pierre MAROT, par exemple, ou mon regretté confrère d'études au Séminaire des Carmes (cette maison si proche de l'endroit où se bâtit le monastère de la rue Cassette), Louis COGNET, ont su écrire ainsi en tête du volume naguère publié des «Documents historiques» concernant Catherine de BAR.

Pour introduire le présent ouvrage - les Lettres de Mère Mechtilde si on a sollicité l'actuel évêque de Saint-Dié, c'est sans doute parce que, dans ce diocèse tel qu'il est délimité depuis 200 ans, se trouvent, outre la ville natale de Catherine de BAR, les bourgs de Bruyères, où elle se fit «Annonciade», et de Rambervillers, où elle devint «bénédictine». Sans oublier l'importante abbaye d'Etival, dont l'Abbé de l'époque eut une telle influence sur Mère Mechtilde ; ni Remiremont, foyer historique - depuis l'époque des religieuses du «Saint Mont» - de la chrétienté dans la montagne des Vosges, le Remiremont des «Dames Chanoinesses» ensuite, tellement lié, par Mère Alix Le CLERC, à l'oeuvre réformatrice et à la fondation religieuse de saint Pierre FOURIER, peu avant que naisse Catherine.

Il m'est souvent advenu de réfléchir sur ce que fut le puissant mouvement de renouveau catholique qui, dès les lendemains du Concile de Trente, souleva cette région de Lorraine, dont une partie est devenue, plus tard, l'actuel diocèse de Saint-Dié. - Contre-Réforme ? - L'expression ne me plaît guère. Mais élan spirituel et pastoral, provoqué par le grand Concile réformateur que la Lorraine - qui n'était pas la France alors - put mettre en pratique, sans trop d'entraves et rapidement, sous l'influence d'évêques et de prêtres lucides et actifs, puissamment aidés en cela par des hommes et des femmes d'Eglise que l'Esprit suscita, en temps opportun, vigoureux et saints, pour que revive, en une sorte de printemps, un catholicisme à la sève féconde. En ce terreau spirituel naquit, grandit, pria, se forma à la vie chrétienne cette petite fille de Saint-Dié que fut Catherine de BAR.

Mais chaque pas de ce renouveau post-conciliaire à la fin du XVIe siècle comme dans la première moitié du XVI le, fut compromis - humainement - par les ravages de la guerre... Et voilà pourquoi Mechtilde, hormis un bref retour à Rambervillers, ne vécut plus en ce pays qui

6

l'avait vue accéder à la vie consacrée. Néanmoins nous savons - et la présente édition des lettres le révèle abondamment - combien demeurèrent forts les liens de Mère Mechtilde avec le courant religieux de cette terre lorraine.

Aujourd'hui, il n'y a plus de monastère à Saint-Dié, ni à Etival, ni à Bruyères, ni à Rambervillers, pas plus d'ailleurs qu'à Remiremont ou à Epinal. Et trois fois encore, dans les cent dernières années, la guerre a ravagé cette région besogneuse et paisible. Quant à la décennie qui s'achève, elle a vu les premières applications du Concile «pastoral» (sinon réformateur) que fut Vatican II. Ayant moi-même vécu la participation à ce Concile comme une grâce initiale de mon épiscopat, je me suis souvent référé, depuis, à cette époque des lendemains du Concile de Trente en Lorraine. La vie et l'oeuvre spirituelle de notre compatriote, Catherine de BAR, ainsi que tout son environnement, m'apparaissent en parallèle frappant avec les temps d'aujourd'hui. Non pas qu'il faille attendre une réédition littérale de l'histoire, mais du moins celle-ci est-elle maîtresse de vie et surtout signe de Dieu ou «signe des temps».

* *

Tel est l'état d'esprit avec lequel j'ai parcouru les lettres de Mère Mechtilde qui vont être éditées. Je dis avoir «parcouru» ce volume comme on parcourt les salles d'un musée lorsqu'on n'est pas un intime connaisseur... et lorsque l'on est pressé par le temps. On est alors impressionné par une certaine atmosphère : on se prend à s'arrêter devant un tableau, un détail. Est-ce le meilleur aux yeux des connaisseurs ? Peut-être pas. C'est du moins ce qui a retenu un instant le visiteur avide et attentif.

Les documents que voici m'ont frappé par ce que Mère Mechtilde y révèle de son sens de l'union à Dieu, simple, paisible, en quelque sorte permanente, profondément mystique sans pour autant planer à des hauteurs qui seraient inaccessibles.

Evidemment son secret est (si j'ose ainsi m'exprimer) la «médiation» de la rencontre entre l'âme et Dieu qu'est l'Eucharistie. Sans doute devrons-nous, pour transposer à notre temps, faire la part du langage de l'époque. La part aussi de l'influence de la Contre-Réforme, qui explique l'insistance sur la «réparation» due au Saint-Sacrement après les affres des luttes de la Réforme. On ne pourrait non plus se permettre aujourd'hui de parler d'un Jésus «enfermé dans le ciboire» et d'un appel à l'union à Lui en s'y enfermant 'avec Lui. Et je ne pense pas qu'il faille accepter sans nuance ce qu'on lit dans telle lettre à la duchesse d'Orléans, à savoir : contempler en l'Enfant Jésus supportant les souffrances normales d'un bébé, celui qui expie ainsi afin d'apaiser la colère de Dieu son Père envers l'humanité pécheresse. II en va de même d'une certaine insistance sur la coupure radicale avec un monde corrompu, batailleur et corrupteur. Ce langage ne peut exprimer exactement aujourd'hui la pleine signification de la vie contemplative et adoratrice, au coeur d'une Eglise présente par vocation à un monde dont «rien ne peut lui être étranger». (Vatican II, G audium et Spes, no 1).

Toute époque a son langage, ses schèmes et ses images, opportuns certes, ou tolérables dans leur contexte culturel, mais évidemment relatifs comme le sont, à nos yeux, par exemple, les naivetés des miniatures du Moyen-Age ou les faux-reliefs de la Renaissance.

Mais ceci dit, quelle aide puissante nous trouverons à lire et à relire les conseils spirituels de Mère Mechtilde tant à ses filles qu'aux grands et aux grandes de ce monde. Ses consignes de vie spirituelle fondées sur l'expérience, sont tout autant, me semble-t-il, du Vincent de Paul que du Marie de l'Incarnation ou, plus tard, du Caussade ou du Lallemand. Contemplation prolongée de Dieu présent à notre existence ; abandon à sa volonté ; union à Lui tant dans la contemplation par état que dans la vie active et charitable.

«Il y a trois demeures ou maisons de Dieu : le ciel, l'église et l'intime de l'âme chrétienne écrit Mère Mechtilde à la duchesse d'Orléans. Il faut espérer d'aller un jour au ciel pour n'en jamais sortir. Dans l'église, on n'y peut pas toujours demeurer, mais dans l'intime de nous-même il faut tâcher de ne point sortir puisque Dieu Trine et Un y réside continuellement.»

Les saints, les mystiques de ces siècles qu'on appelle «les temps modernes» n'ont cessé de nous apprendre à concilier ainsi l'inconciliable : vivre intensément uni à Dieu, au milieu même des affaires de ce monde et des relations avec les autres auxquelles nul n'échappe, fût-il cloîtré, puisque la vie sociale, comme la vie sociétaire en Eglise, en font la condition universelle.

Mère Mechtilde était élue de Dieu pour nous réapprendre, en quelque sorte, que le lieu privilégié de cette rencontre avec Dieu à aimer et avec nos frères les hommes à aimer et à servir pour Dieu, c'est le Fils, l'Unique, toujours vivant près du Père pour intercéder pour nous, toujours présent dans l'Eucharistie.

La théologie et le renouveau liturgique suscités par Vatican Il ont rappelé aux chrétiens que le Christ est présent à son Eglise et à chaque frère croyant, par sa Parole et dans la communauté des frères. Puissions-nous ne pas oublier qu'il l'est aussi par son Eucharistie ! D'une messe à l'autre, dans le temps et l'espace, la Présence réelle fait signe au croyant et à toute l'Eglise. Elle rappelle et actualise l'Incarnation, la mort et la Résurrection du Seigneur. Elle est comme ce point de rencontre, unique, entre la Trinité Sainte et le peuple des hommes en qui Dieu s'est choisi son Eglise. Elle est foyer de contemplation, livre ouvert pour le croyant sur la Parole unique qui taille, purifie, éclaire et transforme. Elle est le lieu de convergence et le ciment de toute communauté de baptisés. où se trouve, vivante et agissante, l'unique Eglise sainte, catholique et apostolique (cf. Vat 11, Décret Christus Dominus, no11).

Le mystère eucharistique est surtout «source et terme» de tout ce qu'annonce l'Eglise (cf. Const. sur la Liturgie no 7,10), de ce qu'elle vit, de ce qu'elle fait, de ce qu'elle est, de ce qu'elle prie, de ce vers quoi elle tend.

Comme Mère Mechtilde aurait été heureuse - j'imagine - de monnayer à temps et à contretemps pour ses filles, ses soeurs, ses amies, ses correspondantes, cette doctrine, traditionnelle certes dans l'Église, mais comme ravivée par Vatican II ! C'est la charge et la vocation de son Institut de continuer son oeuvre spirituelle pour notre temps.

19 mars 1976

évêque de Saint-Dié

SAINT-D1É

Notre-Dame de Galilée Vierge à la rose - X I Ve





INTRODUCTION

Marguerite de Lorraine, duchesse d'Orléans, fut une protectrice insigne de l'Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement. Les lettres de la prieure à la duchesse dont la copie est conservée aujourd'hui par les Bénédictines révèlent l'étroitesse des liens qui unissaient Marguerite à Catherine de Bar. Marguerite, comme la Mère Mechtilde, avait vécu les heures douloureuses de la Lorraine éprouvée par la guerre et la peste. Toutes deux avaient émigré, dans des conditions très différentes certes, et se retrouvèrent à Paris, toutes proches, puisque la rue Cassette où les religieuses du Saint-Sacrement s'étaient installées se trouvait à proximité du palais du Luxembourg où résidait la duchesse.

Née le 22 juillet 1613, Marguerite était le cinquième et dernier enfant de François de Vaudémont, frère du duc de Lorraine Henri II, et de Christine de Salm. Elle fut confiée aux soins de sa tante Catherine de Lorraine, fille du duc Charles III, qui s'était vouée à l'Eglise de la Contre-Réforme, de cette réforme dont la Lorraine donna l'exemple. Marguerite fut profondément marquée par Catherine. Celle-ci, depuis 1611 abbesse de Remiremont dont elle était la coadjutrice dès 1609, avait vainement essayé de réformer le fameux chapître de dames nobles, mais elle fonda à Nancy l'abbaye bénédictine de Notre-Dame de la Consolation elle avait pris l'habit, en 1624, au Val-de- Grâce où elle s'était pénétrée de la réforme de Marguerite d'Arbouze et entra dans son monastère en 1625, gardant toutefois son titre abbatial de Remiremont en se donnant comme coadjutrice Marguerite de Lorraine. Elle devait obtenir en 1631 la création d'une nouvelle congrégation bénédictine de l'Etroite observance. Marguerite, comme sa tante, avait l'âme mystique.

La confusion dont la Lorraine allait être le théâtre devait perturber considérablement la vie de la jeune princesse. Le duc de Lorraine Henri II, son oncle, était mort en 1624. Il n'avait eu que deux filles : l'aînée Nicole avait épousé son cousin germain Charles, frère de Marguerite. Il avait été convenu que Charles et Nicole règneraient conjointement, mais, au nom de la masculinité, le père de Charles, François, revendiqua la couronne et abdiqua, après quelques semaines de règne, en faveur de son fils. Charles IV, bon soldat, ambitieux, mais piètre politique, versatile et débauché, se montra d'une folle imprudence à l'endroit du roi de France, qui, installé dans les Trois Evêchés depuis

10

1552, était un voisin redoutable. Charles pactisa avec les ennemis du roi et de son ministre Richelieu. C'est ainsi qu'il accueillit, en août 1629, Gaston d'Orléans, frère de Louis XIII, qui s'était brouillé avec celui-ci.

La cour de France était traversée d'intrigues auxquelles participait continuellement le frère du roi ; des factions divisaient le royaume. On sait les difficultés qu'éprouvait Richelieu et le rôle que devait avoir la reine-mère, Marie de Médicis. Louis XIII n'ayant pas eu jusque-là d'enfants d'Anne d'Autriche, Gaston était l'héritier présomptif ; son mariage avec Marie de Montpensier avait été l'occasion de graves querelles. La jeune femme était morte en donnant naissance à celle qui devait devenir la grande Mademoiselle (1626). Marie de Médicis et Louis XIII voulaient le remarier, d'où de nouvelles cabales qui se muèrent en « conspirations ». Gaston s'opposait à son frère et à Richelieu, sa mère jouait un rôle douteux. Il passa la frontière du royaume. A Nancy, Charles IV le reçut avec honneur. Il donna des fêtes brillantes auxquelles participèrent les princesses lorraines. Un favori de Gaston, Puylaurens, séduisit la soeur aînée de Marguerite, Henriette, qui avait épousé contre son gré le prince de Phalsbourg. Gaston, ce viveur, apprécia les charmes pudiques de Marguerite, cette jeune fille de seize ans. Puylaurens, soutenu par Henriette, le poussa au mariage. Marguerite demeura d'abord réservée.

Bientôt, d'ailleurs, le duc d'Orléans regagna la France où il renoua avec son frère. Mais il revint en Lorraine en avril 1631, après s'être mis en rebellion ouverte contre Louis XIII. Charles IV était au service de l'empereur tout prêt à entrer en lutte avec les ennemis du roi de France. La Lorraine se trouvait dans une situation périlleuse, par surcroît la peste décimait ses habitants. C'est alors que Gaston revint à l'idée d'un mariage lorrain. Monsieur se montra très épris de Marguerite et celle-ci ressentit une véritable passion pour lui. La reine-mère Marie de Médicis, alors en exil, approuva le projet de cette union contre le gré du roi et de Richelieu. Emu de ces conjonctures, Louis XIII vint à Metz et menaça la Lorraine. Charles IV, en hâte, regagna le duché et fit sa soumission au roi en signant le 6 janvier 1632, à Vic, un traité par lequel il s'engageait à se départir de toute action qui pourrait porter préjudice au souverain. Or, le 3 janvier à Nancy, dans l'abbaye qu'avait fondée Catherine de Lorraine, en secret, Gaston avait épousé Marguerite, avec les dispenses qui lui avaient été accordées par le cardinal Nicolas-François de Lorraine, évêque de Toul, frère du duc et de la princesse.

Les nouveaux époux se séparèrent rapidement. Gaston, qui redoutait la proximité de Louis XIII, gagna les Pays-Bas et poursuivit une vie de dissipation à Bruxelles ; Marguerite était abandonnée par son mari et aussi par son frère. Gaston traversa furtivement la Lorraine où il rencontra sa femme en juin. Marguerite devait subir longtemps l'ostracisme de la cour de France qui s'employa par tous les moyens à faire rompre son mariage. En juillet, Gaston envoyait à Nancy un agent pour réclamer son épouse. Ce qu'apprenant, le roi envahit la Lorraine et, pensant s'assurer la personne de Marguerite, mit le siège devant Nancy à la fin du mois d'août. Le 4 septembre, Catherine réussit à faire évader sa nièce ; déguisée en page, celle-ci s'échappa à travers les lignes françaises et, par Thionville, gagna Namur où elle retrouva Monsieur, Se rendit à Bruxelles à la cour de l'Infante Isabelle, repaire des ennemis de Richelieu où résidait sa belle-mère Marie de Médicis.

Nancy tomba sans résistance aux mains du roi et, par le traité de Charmes, le 28 septembre 1633, Charles IV souscrivit à l'annulation du mariage qui devait être obtenu « par voies légitimes et valables » et s'engageait à livrer sa soeur à Louis XIII. Gaston affirma de son côté que Marguerite était sa femme ; mais, ménageant en quelque manière son frère, il ne répondit pas au manifeste que le roi de France venait d'adresser au Parlement sur la nullité du mariage que devait déclarer cette cour le 5 septembre 1634.

Au début d'octobre, Monsieur quitta Bruxelles. Marguerite était seule désormais. Elle fit face avec beaucoup de dignité et de courage pendant huit années à la situation qui lui était faite. Elle trouva sans doute dans l'éducation chrétienne qu'elle avait reçue la force d'âme dont elle donna la preuve. Elle réussit à faire ajourner par le Saint-Père la ratification de l'annulation de son mariage par le Parlement, malgré la pression de Richelieu et les propositions de l'Assemblée du clergé de France. Elle était dans une situation matérielle précaire. Comme elle le disait alors à son frère Charles IV, elle « mendiait son pain », sans aide et sans une bonne parole de Gaston. Celui-ci vivait en France dans l'agitation et la dissipation. Elle avait conservé cependant son attachement à cet homme volage qui, s'il se refusa toujours à l'annulation de son mariage, ne fit pas grand effort pour que sa femme pût le rejoindre. Les lettres qu'elle lui écrivit nous révèlent sa grande détresse :

« Je plains plutôt mon malheur que de me plaindre de vous, car vous jugerez facilement, avec le reste des personnes, que je suis la plus malheureuse des femmes... Il y a tant d'années que je suis en état le plus chétif qui ait jamais été, ne sachant à qui me tourner, à qui m'adresser, sinon à Dieu et à mes larmes ; ce qui m'afflige davantage, c'est que cette vie préjudicie à votre honneur..., car enfin je vous ayme et vous honore du fond du coeur ; je sais aussi que vous m'aimez bien ; certes, vous en avez sujet ; faites-le donc paraître..., afin que je sois bientôt auprès de vous pour me faire une vie selon Dieu et qui soit d'édification au monde (19 mars 1638) ».

Elle menait une vie exemplaire ; sa constance eut finalement raison des oppositions, des passivités qu'elle subissait. Elle avait essayé de fléchir Richelieu qui mourut en 1642 ; elle s'adressa ensuite à Mazarin. Le 4 avril 1643, Louis XIII lui permit enfin de venir en France. Le

12

5 mai, il donna le consentement qu'il avait promis, «y étant convié, déclarait-il, par l'estime très particulière que nous avons eue par le mérite et la piété singulière de notre belle-soeur ». Le 26 mai, à proximité de Paris, elle rencontra Gaston. Louis XIII était mort le 14 mai ; elle, parut pour la première fois dans une cérémonie à l'occasion des obsèques du souverain. Le même jour, l'archevêque de Paris, Jean-François de Gondy, avait béni une seconde fois son union avec le duc d'Orléans.

Elle allait résider désormais au palais de Luxembourg, ce somptueux édifice que Catherine avait légué à Gaston. Ainsi commençait pour elle une vie nouvelle. Gaston à la mort de son frère, devint lieutenant général du royaume, il participa aux campagnes de 1644, 45 et 46, non sans succès, mais il eut la faiblesse d'intriguer comme il l'avait fait naguère et se rangea parmi les frondeurs au service desquels se mit le duc Charles IV. Au retour de Louis XIV à Paris, il se retira dans son château de Blois (le comté de Blois constituait son apanage). La duchesse l'y rejoignit en janvier 1653 et y demeura jusqu'à la mort du prince (2 février 1660). Elle se fixa ensuite au Luxembourg. Elle avait donné cinq enfants à son mari : à sa mort, ne survivaient que deux filles, l'aînée était la grande duchesse de Toscane, la cadette la duchesse de Guise.

Marguerite se mêla peu, semble-t-il, à la vie de cour. A son retour en France, elle n'était plus la gracieuse princesse dont le peintre Van Dyck nous a laissé le souvenir dans un tableau qui se trouve aujourd'hui aux Offices, à Florence. Sa belle-fille, l'altière Mlle de Montpensier, qui lui causa tant de tracas, dit que « la manière dont elle était habillée ne contribuait pas à réparer le tort que ses chagrins lui avaient causé ». Mme de Motteville nous la montre timorée et chagrine :

« Elle étoit belle par les traits de son visage... mais elle n'étoit point agréable et toute sa personne manquait d'un je ne sais quoi qui plaît... On a toujours dit de cette princesse qu'elle étoit belle sans l'être ; qu'elle avoit de l'esprit et n'en paraissoit point avoir, parce qu'elle n'en faisoit nul usage... ».

Monsieur qui lui était cependant attaché semble l'avoir plus d'une fois brocardée. Elle le convertit finalement, aidée de sa dame d'honneur, Anne-Marie de Saujon. Il devait prendre comme confesseur Armand-Jean Bouthillier de Rancé.

Elle souffrit beaucoup des intrigues qui infestaient la cour. Elle était restée très lorraine de coeur et soutint le duc Charles, celui qu'elle appelait dans sa jeunesse son « frérot » ; elle essaya de le détourner de passions honteuses. Elle ressentit cruellement les querelles qui opposaient celui-ci à leur frère Nicolas-François qui, pour assurer le destin de la famille avait renoncé à l'Eglise et souffrit de la jalousie sordide que le duc témoignait au fils de celui-ci, le prince Charles qu'elle affectionnait.

Elle eût aimé donner au jeune homme la main de sa fille Marguerite-Louise, à laquelle Louis XIV imposa le mariage avec le grand duc de Toscane. Pendant un temps, elle abrita au palais du Luxembourg Nicolas-François et son fils.

Peu après son arrivée à Paris, en 1644, elle avait recueilli dans ce palais sa tante Catherine qui avait fui pour l'Allemagne, la Lorraine occupée par le roi, avait regagné ensuite Remiremont et avait finalement abandonné le duché. L'abbesse vécut auprès d'elle ses dernières années, se consacrant à la prière. Marguerite avait donc recouvré l'appui et le conseil de celle qui l'avait guidée. Après la mort de sa tante, le 9 mars 1648, recommandant sa fille Elisabeth, âgée d'un an et demi (!) aux chanoinesses de Remiremont pour qu'elles en fissent leur abbesse en remplacement de Catherine, la duchesse rappelait « la passion qu'elle avait toujours eue pour leur maison et la nourriture qu'elle y avoit pris pendant tant d'années ». Elle retrouva une décennie après la mort de Catherine le soutien d'une autre mystique, la Mère Mechtilde.

Nous ne savons pas exactement les circonstances dans lesquelles Marguerite encouragea la fondation de l'Institut du Saint-Sacrement. La Mère Mechtilde qui était restée fidèle à la Lorraine devait tout naturellement rechercher l'appui d'une princesse de la famille ducale réputée pour sa piété. Lorsque fut établi le monastère de la rue Férou en 1654, Marguerite vivait encore à Blois. Mais nous savons qu'une fille d'honneur de la princesse, Mlle d'Urcelle, entra au couvent peu après sa fondation. Lorsque Marguerite revint au palais du LuxembsSurg, en 1660, le couvent était transféré depuis deux ans rue Cassette. C'est alors sans doute que des relations plus étroites se nouèrent entre la duchesse et la prieure. En 1664, Marguerite décida de léguer à l'Institut du Saint-Sacrement 10.000 écus et d'en servir les intérêts, sa vie durant, pour aider à l'établissement d'une abbaye à Nancy.

En 1665, la duchesse scellait la première pierre de l'aile nouvelle du couvent de la rue Cassette que nécessitait l'accroissement du nombre des religieuses. Elle convainquit la Mère Mechtilde d'appliquer la donation qu'elle avait faite à l'abbaye Notre-Dame de Consolation fondée par sa tante. à Nancy, qui périclitait, et d'intégrer ce monastère à l'Institut du Saint-Sacrement.

Ainsi, après avoir établi un monastère à Toul et associé celui de Rambervillers à son oeuvre, la mère Mechtilde réunit à son institut celui de Nancy. Sur les cent douze lettres de la prieure à la princesse que nous conservons, trois seulement sont datées, expédiées de Ramber-villers et Nancy (1667, 1669) où sont évoquées les cérémonies de la première exposition du Saint-Sacrement dans les couvents de ces villes.

Les lettres de la Mère Mechtilde à Marguerite sont des exhortations d'une. « mère maîtresse » qui s'exprime avec liberté et déférence à la fois. Elles ont été écrites entre les fréquentes visites que faisait la

14

duchesse au couvent de la rue Cassette, pour continuer des conversations ou pour remplacer celles qui n'avaient pu avoir lieu, notamment du fait de la santé de la princesse.

Il est, en effet, souvent question de la santé de la duchesse, de ses « incommodités, des « vapeurs qui la tourmentent », de son « mal ». Constamment aussi il est question de ses « chagrins », de ses « afflictions », des « contradictions » qui « l'environnent », de « conjectures d'affaires qui touchent [sa] maison », d'« étranges épreuves que Dieu donne à sa vertu ». La Mère Mech tilde parle de l'« héroïsme » de la princesse, reconnaît qu'elle est une « femme forte », mais parfois déclare qu'elle « ne combat pas assez son chagrin ». « Permettez-moi de vous dire, remontre-t-elle, que vous demeurez trop accablée. Prenez courage ». Elle lui montre que toutes ses difficultés, ses mortifications la conduiront au salut et constituent autant « d'échelles pour monter au ciel ».

La duchesse doit s'abîmer en Dieu. Mechtilde lui conseille de se livrer à la prière. Elle devait trouver le réconfort en venant adorer le Très-Saint-Sacrement le jeudi, à l'église du couvent. Tout cela est dit «dans un style magnifique », où l'on apprécie, pour reprendre les mots de l'abbé Cognet « l'élévation et la cohérence de la pensée ».

A travers les propos de la Mère, de la « Mère maîtresse », on a parfois l'impression que la princesse se montrait quelque peu dolente, ainsi que le constatait non sans désinvolture Mme de Motteville. Mais, quand on mesure toutes les difficultés qu'au cours de sa vie subit Marguerite, on éprouve pour elle non seulement un sentiment de compassion, mais aussi d'admiration. Elle avait conservé toute sa pureté au milieu d'inextricables intrigues et d'insondables turpitudes qu’avaient exacerbées les troubles du temps. Elle aspirait au renoncement complet. Elle le dit « beaucoup de fois » à la Mère Mechtilde et à ses compagnes : « si sa santé qui était très faible, [le lui avait permis], elle [eut] préféré d'être soeur religieuse converse dans la maison du Saint-Sacrement ». Marguerite mourut le 3 avril 1672.

Pierre MAROT

Membre de l'institut

Président de la Société

d'archéologie lorrain

et du Musée

historique lorrain

La description des manuscrits employés pour cette édition : voir fin du volume.

[photo omise]


SUR LES DÉSIRS DE JÉSUS: POUR LE SAINT TEMPS DE L'AVENT

Vous avez trop de bonté et de soin, de ma santé. Elle est si grande que je vous la souhaite aussi entière et parfaite (1), et vous supplie très humblement de ne vous point fâcher pour un si chétif sujet. Je mange des oeufs et j'ai pris des bouillons gras pour vous obéir et contenter notre Mère Sous-Prieure qui se tient forte comme une citadelle, de vous avoir de son parti. J'espérais hier l'honneur de vous voir pour nous bien entretenir et vous réveiller doucement. Voici, Madame, le temps des désirs. L'Eglise en est toute remplie et elle le manifeste par les saints offices. Unissons-nous à elle et crions avec les Justes : RORATE COELI DE SUPER ET NUBES PLUANT JUSTUM(2). Réjouissons-nous de la venue du Verbe éternel revêtu de notre chair ; préparons-nous à le recevoir et à lui donner un pouvoir absolu sur nous. Comme il vient pour y régner, et son Règne ne doit point avoir de fin non plus que de borne, ne lui en donnons point. O quel bonheur d'être sujette d'un Roi qui donne sa vie pour ses sujets et qui les associe à sa gloire ! Mais plus il nous fait ses enfants et nous communique ses saintes dispositions, mérites, perfections et mystères, mais surtout sa vie divine, plus sommes-nous obligées d'y correspondre. O quels dons et quelles faveurs ! Une âme serait bien dégoûtée qui les refuserait ou qui ne voudrait pas s'abandonner toute à lui. Donnons-lui tout pour le tout. Heureuse l'âme qui possède son aimable Jésus et qui ne cherche, qu'à lui complaire ! Aimez, Madame, aimez, c'est le plus doux et le plus facile et même le plus conforme à sa grâce en vous. Nous dirons le reste quand nous aurons l'honneur de vous voir. J'ai une grande joie de la bonne espérance que vous me donnez. J'ai vu l'écclesiastique que vous connaissez. Il ne faudrait rien négliger. Je dois le voir demain, je vous en écrirai (3).

J'embrasse vos pieds avec profond respect.

no 3021

(1) Le Ms N267 s'arrête à : parfaite et ne reprends qu'à : j'espérais hier.

(2) Isaïe X LV - 8.

(3) Le Ms N267 omet depuis : j'ai une grande joie, jusqu'à : je vous en écrirai.

DISPOSITION POUR L'AVENT

Vous me donnez une nouvelle que je chéris de tout mon coeur, de quoi je rends grâce du profond de mon âme à Dieu, de ce qu'il vous conserve la santé. Vous êtes excessive en bonté pour une créature qui ne le peut mériter et voudrait être le reste de sa vie à vos pieds, pour me sacrifier avec vous, Madame, à celui qui s'immole tous les jours sur l'autel à son Père pour nous. Je suis pressée de me rendre à Jésus en la manière la plus parfaite qu'il le veut de moi.

Il me semble que nous n'avons quasi plus de temps et qu'il ne faut plus retarder. L'âge avance et l'éternité approche. Si je suivais mes petits sentiments, je m'enfuirais dans les déserts pour n'être plus dans le monde. Mais je ne prends pas garde que la principale affaire c'est de sortir de moi-même pour donner vie à Jésus.

Donnez-moi Madame un peu de part à vos saintes prières, et faites l'acte de charité que vous savez, pour honorer la naissance du Saint Enfant Jésus, dans votre très cher et très aimable coeur. C'est la très humble prière de celle qui est plus intimement à vous qu'elle ne peut dire, toute en Jésus.

no 3093
SUR LA NATIVITÉ DE NOTRE SEIGNEUR

Je viens de recevoir les ci-jointes que je vous envoie promptement en vous désirant le bon jour et demandant des nouvelles de votre santé, que je souhaite parfaite, afin que votre âme puisse plus facilement s'élever à Dieu. Comme c'est présentement toute votre occupation, je désire qu'elle vous soit continuée et vous supplie de ne plus différer d'être toute à lui. Vous avez un bon père-maître qui vous y conduira, incomparablement, mieux qu'une mère-maîtresse [et vous trouverez tout en lui] (1). C'est beaucoup quand on peut dire : Ego te... La mère-maîtresse ne le peut dire. Mais puisque votre humilité le veut, elle prendra la liberté d'exciter votre âme, de fois à autre, pour aller toujours plus fermement à son centre.

Ce saint temps est admirable pour nous y faire avancer. Les mystères de l'enfance de Notre Seigneur sont si pleins de douceur et d'amour que les âmes s'y appliquant en demeurent tout enivrées. .Goûtez la suavité d'un Dieu anéanti dans le sein virginal de sa bénite Mère. Attachez-vous à ses pieds et ne les quittez pas. Entrez dans les dispositions de son très saint Coeur : d'abaissement très profond devant cette grandeur infinie, abîmée et comme perdue, devant le néant et l'infirmité de la nature humaine ; de reconnaissance de son amour qui le réduit en cet état, pour nous relever de notre misère et nous ouvrir le paradis ; la tendresse et l'amour d'une bonté qui s'oublie de soi-même pour nous combler de grâces. Ne vous éloignez point de sa sainte Présence. Tâchez d'y entrer lorsque vous sortez des occasions, qui, par la nécessité des affaires, vous ont obligée d'en sortir. Entretenez-vous avec cette auguste Mère, et la suppliez qu'elle vous fasse entrer dans les dispositions que vous devez avoir pour participer aux grâces que le renouvellement des divins mystères doit opérer en votre âme. Croyez que tant plus vous serez à Dieu, plus vous aurez de bénédictions dans vos affaires, et plus de joie et contentement dans le coeur.

Commencez, pour ne plus finir, à communier tous les samedis et fêtes. Je n'aurai jamais de consolation, quelque grâce que vous me fassiez de m'honorer de votre amitié, que je ne voie votre âme dans cette sainte pratique. Je vous le demande avec autant d'instance qu'un ambitieux ferait la plus haute fortune, et j'ose dire que je vous le demande de la part de mon Dieu qui veut cela de vous. Il veut venir à vous et cependant vous ne le recevez pas. Vous avez plusieurs petites faiblesses qui ne seront anéanties que par l'usage de ce pain Eucharistique. Pourquoi priver votre âme d'un bien infini ? Ecoutez la voix de cet adorable Sauveur qui crie au fond de votre coeur : « Aperi, aperi, mihi soror, mea sponsa» (2) ouvrez-moi, ouvrez-moi, ma soeur, mon épouse, ma bien-aimée votre coeur pour y faire ma demeure éternelle et y prendre mon repos. Il veut s'unir à vous, pour vous faire une même choe avec lui. Ne refusez point ce que les anges s'estiment infiniment heureux et indignes de recevoir. Certes, si vous n'écoutez cette divine voix, je m'en affligerai mille fois plus que si j'étais condamnée à la mort. Je vois que les moments passent, les semaines et les mois, et que, par je ne sais quelle tentation, vous retardez votre bonheur éternel. Je vous supplie que cela ne soit plus, de crainte que, quand vous le voudrez, vous ne le puissiez plus ; et cependant vous privez votre âme de la vie divine.

Pardon, Madame, et vous dis ma coulpe de ma témérité, mais je ne vous promets pourtant pas de m'en corriger, car j'ai trop de tendresse pour votre âme. Elle m'est trop chère et précieuse, pour ne lui souhaiter pas, avec passion, le plus grand bien qu'elle puisse jamais posséder.

no1580

(1) Variante du manuscrit P110 p. 306.

(2) Cant. V.2.

SUR LE SAINT ENFANT JÉSUS

Aurons-nous l'honneur d'être consolée de votre très honorée présence ? Si je pouvais rompre les liens qui me tiennent dans ma chère prison, je ne tarderais pas de me rendre à vos pieds pour m'assurer de votre santé et vous demander des nouvelles de ce Dieu-enfant, que nous pouvons nommer le roi nouveau-né, dans un Louvre où tout l'ornement qui s'y trouve est une extrême pauvreté, un berceau tapissé de foin, paré de toiles d'araignée, avec un délaissement universel de toutes les créatures. Jésus, Marie et Joseph sont seuls dans l'étable, en un oubli général de tout le monde, après la visite des pasteurs, et dans une solitude admirable. Jésus enfant, dans sa captivité et son silence, s'immole à son Père, comme victime, pour réparer sa gloire et réconcilier les hommes [à son Père] (1) : Marie, sa précieuse Mère, entre dans les dispositions de son cher Fils et se rend une même hostie avec lui, par un amour et transformation incompréhensibles ; Joseph est adorant et contemplant dans un mystérieux silence, ce que l'esprit humain ne peut comprendre.

Trois choses sont communes entre les personnes sacrées de Jésus, Marie et Joseph : le silence, l'oraison et le sacrifice ; or ces trois choses nous sont nécessaires pour nous rendre conformes à leurs dispositions et pour que nous leur soyons agréables ; demandez-les pour moi comme de tout mon coeur je le fais pour vous. Voilà la grande Messe qui m'oblige de finir.

n°47

(I) Variante du manuscrit P 110 p. 317.

SUR LE SAINT ENFANT JÉSUS

Je n'ai point réveillé votre chère personne, parce que je ne l'ai point crue endormie. Le désir d'être à Dieu et de l'aimer m'a paru animer votre coeur, plusieurs fois. Il voudrait bien s'élever au-dessus de soi-même, pour demeurer en Dieu ; mais le poids de la misère humaine ne lui permet pas de jouir sans intermission de ce bonheur en cette vie. Il faut souffrir en patience la durée de notre exil. Il nous sera plus doux à supporter, si nous regardons le Verbe Eternel sous la figure de notre chair, qui se vient aujourd'hui faire compagnon de notre pélerinage.

Il vient au monde, et le monde ne l'a pas reçu. Il vient chez les siens, et ils ne l'ont pas connu. Voilà donc Jésus sur la terre, comme un étranger, il n'a pas où loger ni reposer son chef. C'est l'amour qu'il nous porte qui le réduit à cette indigence. Mais, mon Dieu, que cet amour est grand, de mettre Jésus dans le néant ! Il est parmi ses sujets comme esclave, et toutes ses conduites ne sont que dés inventions merveilleuses de son amour, pour nous attirer à lui : C'est pour gagner nos coeurs, et nous donner la liberté de converser avec lui, de ne plus douter de ses bontés vers nous ; et afin que nous n'adhérions plus à des pensées de défiance et de crainte qui gênent et inquiètent nos esprits. Le Père Eternel a donné son Fils à la Sainte Vierge, et cette bénite Mère nous l'a donné aujourd'hui. Réjouissons-nous d'un tel don, dans lequel toutes choses sont comprises. Trouvons en lui tous nos besoins. Nous en recevrons secours, si nous tâchons d'entrer dans sa nouvelle vie. Mais quelle est cette vie ? C'est le sacrifice, la mort, l'anéantissement. Il n'est pas plutôt sur la paille qu'il est fait la victime de la justice et sainteté divine. Toutes ses grandeurs sont ensevelies dans la bassesse, et ses forces dans l'impuissance.

no 1040
SUR LE SAINT ENFANT JÉSUS

Quoique votre bonté, Madame, m'ait fait la grâce de me faire avertir que votre indisposition n'était pas de conséquence, je n'ai pu m'empêcher d'en être fort en peine et (que je n') j'ai fait redoubler les prières demandant à Dieu, plus ardemment que jamais, votre conservation. Nous allons toutes faire la communion pour ce sujet et pour tous vos besoins spirituels et temporels. Si Notre-Seigneur daigne écouter mes gémissements, il vous comblera de grâce et .de l'esprit du Sacré Mystère que nous révérons aujourd'hui. Si ce Dieu Enfant se manifeste dans l'intime de votre coeur, sa présence vous réjouira et son amour vous fortifiera.

Il n'y a rien de plus doux que d'aimer et connaître (et d'aimer) Jésus, c'est le prophète qui nous l'assure. Aimez, aimez cet aimable Sauveur qui vous aime si tendrement et qui vous applique ses mérites et tout ce qu'il est en lui-même. Possédez-le et trouvez en sa plénitude tout ce qui vous manque. Servez-vous de ses vertus et de son amour pour suppléer à tout et vous reposer en sa bonté par une confiance filiale. Et vous expérimenterez que votre espérance ne sera pas vaine, ni votre confiance confondue. Prenez donc courage, Madame, et tâchez de vivre pour les intérêts de Dieu, et la consolation de votre pauvre et indigne sujette, mais très respectueuse et fidèle servante, qui est en esprit à vos pieds et y souhaiterait être d'effet, pour un peu vous parler du règne de notre Petit Roy Jésus et comme il est venu en ce monde, pour régner dans le coeur de ses élus et singulièrement dans le vôtre Madame. Mais il faut souffrir ma captivité et me contenter d'y être en esprit.

no 2631
JÉSUS NAISSANT

Je prie Notre Seigneur Jésus Christ de vous remplir de la grâce et sainteté de sa divine Enfance, et que votre pauvre coeur soit un peu dilaté de l'amour de cet ineffable mystère, qui nous imprime les tendresses du Coeur de Dieu et l'excès de sa charité divine. Je tâche de l'adorer pour vous, Madame, mais c'est si indignement, que je n'ose paraître en la présence de cette auguste et suprême Majesté abaissée, quoique son état d'enfant, voile sa grandeur infinie, et nous donne la liberté d'approcher de lui. Ce qui me donne plus de confiance, c'est qu'il est venu pour faire miséricorde aux pécheurs, et qu'il est déjà la victime de la justice et sainteté de Dieu, pour les réparer. Il est immolé dans la crêche, comme sur l'autel et sur la croix. Ses. larmes et ses petits cris apaisent la colère de son Père, et sans parler et sans agir, il nous mérite le paradis. Nous n'avons qu'à le contempler dans son mystérieux sacrifice et nous unir à son Coeur, à ses intentions et aux desseins de son amour pour nous ; nous insinuant doucement et suavement dans la grâce de sa sainte Enfance, qui renferme des merveilles infinies qui feront l'admiration éternelle des anges et l'étonnement des hommes. O Dieu Enfant, que vous êtes aimable et incompréhensible à l'esprit humain ! Il faut vous adorer en silence, et nous perdre dans l'abîme de vos sacrés abaissements, en nous anéantissant de tout notre possible en sa divine présence.

C'est ce que vous faites, Madame, d'autant plus efficacement que cette belle disposition est accompagnée de souffrance, et c'est ce qui vous fait entrer en conformité d'état avec ce Dieu Enfant, qui n'est point exempt de douleur dans sa crêche. Je le supplie. néanmoins de diminuer les vôtres, et de couronner votre patience par l'augmentation de votre amour vers sa bonté, avec une pleine confiance qu'il fera tout bien pour sa gloire et votre sanctification, demeurant en paix dans cette ferme croyance que l'esprit de Dieu imprime dans votre coeur. Courage, allons à Dieu par les voies qu'il lui plaira, pourvu que nous arrivions à notre fin bienheureuse, c'est assez, le reste sera tôt ou tard anéanti.

Je prie Notre Seigneur qu'il vous fortifie, et vous donne la grâce de ne rien négliger de ce que vous lui devez : UN DIEU ET RIEN DE PLUS. Si il écoute ma prière, il vous soutiendra et vous fera demeurer en lui, par une grâce singulière. Tout ce que je vous prie, c'est de demeurer dans votre cher et aimable abandon, laissant agir Dieu en vous, et surtout demeurez ferme dans la confiance que tout réussira pour votre bien et salut, portant la marque de ses élus, puisque vous êtes crucifiée avec lui.

no 1314
POUR LA FÊTE DE NOËL

Quoique l'occupation de ce Saint Jour soit grande. je ne puis empêcher d'envoyer apprendre de votre santé, le Père N... m'ayant dit que vous étiez mal. J'en suis en peine et doublement touchée, à cause de la dévotion de cette nuit, où vous ne pourrez assister, ce qui vous mortifiera d'autant plus, que vous avez coutume d'y faire la sainte Communion, par laquelle votre âme participe à la grâce et sainteté du mystère ineffable de la naissance du Fils de Dieu en notre chair

C'est une fête que vous aimez tendrement et qui est bien conforme aux dispositions de votre coeur qui ne veut que le pur amour. Il y a de quoi se ravir en cette naissance adorable et se transporter d'une sainte ardeur, voyant son Dieu s'anéantir sous la figure d'un enfant, qui n'a pour tout apanage que la pauvreté, la douleur et l'impuissance où l'amour qu'il a pour vous le réduit. Faites s'il vous plaît comme sainte Térèse, ne voyez que Jésus et vous dans cet excès d'amour, étant certaine de foi que le mystère est uniquement pour vous, quoiqu'il soit appliqué encore à d'autres. Si vous vous considérez comme l'objet de l'amour et de la miséricorde d'un Dieu, qui l'a fait descendre du ciel en terre pour se donner tout à vous et vous attirer toute à lui, vous sentirez votre coeur si animé d'une humble reconnaissance et d'un sincère désir de vous rendre toute à lui que. sans quasi vous en apercevoir, il se fera un divin incendie qui vous tirera hors de vous-même, vous brûlera sans y penser. Oh, Madame, que votre âme sera heureuse si elle brûle de ce feu sacré ! Gardez-vous bien de le laisser éteindre. Conservez-le par une sainte et profonde humilité, vous assurant que plus vous vous abaisserez, plus Dieu s'approchera de vous, et il n'est pas croyable combien Dieu se communique aux âmes anéanties. Hélas! si nous avions le courage de nous laisser à Jésus comme son domaine, il ferait de grandes choses chez nous, mais nous ne demeurons pas dans un saint abandon, en foi. Nous voulons tout faire, tout savoir et tout sentir ; mais l'âme anéantie demeure en Dieu, devient un même esprit avec lui. Tâchez, Madame, de communier pour recevoir cette grâce. Rendez-vous à Jésus naissant. Vous êtes son domaine, il est votre roi et votre souverain, ne lui refusez pas vos hommages, ni vos soumissions. Promettez-lui une nouvelle fidèlité à dépendre de sa conduite et à ne désister jamais de faire ce que vous croyez qu'il veut de vous. Obéissez à sa lumière en celui qui vous tient sa place.

Mon Dieu que j'aurais de choses à vous dire, mais voilà Vêpres, et je vous quitte pour vous trouver tantôt, dans l'étable, adorant un Dieu Enfant. Je me tiendrai aux pieds de la Sainte Vierge pour apprendre d'elle comme je me dois comporter dans un prodige si surprenant, d'un Dieu devenu enfant sur un peu de foin entre deux bêtes. Tenez-vous y prosternée pour y adorer tout ce qu'il y dit à son Père pour vous, et tâchez de vous faire sa victime comme il s'est fait la vôtre dans la crèche. Adhérez à tous ses desseins. Il faut finir voilà le dernier coup.

no 2629
POUR LA FÊTE DU SAINT COEUR DE LA MÈRE DE DIEU

(8 février)

Je ne saurais passer en repos cette nuit, sans vous désirer le bon soir, espérant que demain nous aurons l'honneur de vous voir, si le temps est raisonnable, pour solenniser la précieuse fête du très Saint Coeur de l'auguste Mère de Dieu.

C'est une fête toute d'amour, puisque ce Coeur très aimable en a été la fournaise dans laquelle le Père éternel a jeté son Verbe, pour y être revêtu de notre nature, et par son incarnation dans ce sacré Coeur, devenir notre victime et nous aimer d'un amour infini. O Coeur admirable ! O Coeur brûlant du pur amour ! Donnez-nous part à vos divines flammes ! Consommez-nous en holocauste avec vous en odeur de suavité. Heureuse l'âme qui pourrait pénétrer dans ce Coeur virginal, et plus heureuse encore si elle recevait de cette Mère de grâce quelque liaison à ses saintes dispositions.

Mon esprit me représente ce très délicieux Coeur comme le sacré cabinet où sont renfermés tous les dons de Dieu. Toutes les vertus s'y rencontrent dans une souveraine perfection. Si nous y cherchons de la douceur, il en est tout rempli ; si de l'humilité, il est tout anéanti ; si de la soumission aux volontés divines, elle prononce un mystérieux «flat» qui la rend esclave du vouloir divin ; si de la patience, nous en avons assez de preuves dans sa sainte conduite. Mais où je m'arrête le plus, c'est à sa charité et bonté pour les pécheurs, dont elle est le refuge, et son très Saint Coeur est toujours plein de miséricorde pour les recevoir et les réconcilier à Jésus Christ. Toute notre fortune est entre ses bénites mains. Nous sommes assurés d'un heureux succès quand elle se mêle de nos affaires. Je la prie de prendre soin des vôtres et que par son moyen vous ayez toutes les bénédictions que je vous souhaite.

Demandez à ce Saint Coeur tous vos besoins. Nous n'oublierons point M... - et nous le prierons qu'il soit votre force, votre lumière et votre protection ; que vous trouviez en lui tout ce qui vous manque pour vos affaires et pour votre sanctification. Je vous suis, en lui, plus que moi-même. Avec profond respect...

no 1202
POUR LE TEMPS DE CARÊME

La Providence m'a voulu priver hier de l'honneur de vous écrire pour vous rendre mille humbles grâces de la peine que vous avez prise de me donner exactement des nouvelles de votre mal ; c'est la seule consolation que je reçois en la longue absence de votre présence. Il faut que je souffre cette peine dans ce saint temps, en esprit de pénitence et de sacrifice, en mortifiant mon ardeur ; la vôtre ne doit pas être si grande, considérant ce que je suis en toute manière. Mais je veux faire comme vous, m'en remettant tout à Dieu, prenant toute ma complaisance dans son bon plaisir, quoique vous ayez l'avantage en tout, et notamment au bonheur d'avoir rapport à Notre Seigneur Jésus Christ souffrant, étant sur la croix avec lui, et dans son sacré désert, où il n'a pas à reposer son divin Chef. Vous honorez effectivement cet aimable Sauveur dans ses états douloureux, et peut-être d'esprit aussi bien que de corps. Courage, courage! Soyez victime de son pur amour, et vivez pour lui seul. C'est votre dessein et mon désir de vous voir toute à lui et pour cet effet il faut demeurer en Lui : «CELUI QUI N'EST PAS AVEC MOI EST CONTRE MOI » (1), ce sont ses divines Paroles. Soyons donc toute en lui. Ne nous mouvons et n'agissons que par son esprit et pour son plaisir et nous possèderons une paix admirable, qui n'est connue que de ceux qui la possèdent.

O bonheur infini, que tu es rare ! D'où vient cela ? C'est que la créature ne se sait pas laisser dans le saint abandon de tout elle-même à Dieu, qu'elle n'a pas assez de confiance en sa bonté, ni de patience à l'attendre. Heureux abandon où l'âme est divinement soutenue ! Dieu

(I) Mt.XII-30.

est sa vie, sa force et son soutien sans qu'elle le sache, mais si le commencement de cet état est ténébreux, la suite en devient toute lumineuse. Dieu se donnant à l'âme et tirant cette âme toute à Soi, elle devient une même chose avec lui ; j'ai donc raison de dire qu'elle possède un bonheur infini.

En voilà assez, je ne sais ce que je dis, c'est pour un peu vous divertir, car vous en expérimentez bien plus que moi. Je suis en impatience de savoir comme vous avez passé cette nuit.

no 1910
IMMOLATION À JÉSUS SOUFFRANT

Je ne puis passer ce jour sans vous témoigner que je suis fort en la douleur de la continuation de votre mal ; et j'en suis d'autant plus touchée que j'ai désir de vous en délivrer sans toutefois vous diminuer du mérite et des avantages que votre âme en reçoit. Il fallait encore ce surcroît pour rendre votre croix accomplie, c'est-à-dire que le dedans et le dehors fût en souffrance présentement, afin d'être immolée avec Jésus, sur le calvaire et sur l'autel, par conformité d'état. Je vois bien que c'est toute sa complaisance de vous appliquer à son amour douloureux et vous en faire porter les marques. Oserais-je dire Madame que je les souffre avec vous et prends part à vos anuoisses de corps et d'esprit vous recardant comme victime sur votre bûcher. Jetez vos amoureux reuards sur le divin soleil qui doit allumer son feu et consommer votre être. Je vous vois Madame dans votre douceur ordinaire. édifier tous ceux qui sont auprès de vous et qui n'ont autre soulagement à vous donner que la compassion. O quelle peine de voir souffrir ce que l'on aime ! Il serait mille fois plus doux de souffrir soi-même. Hélas ! que je m'estimerais heureuse d'attirer vos douleurs en moi ! Si je savais dignement et saintement porter les croix comme vous j'espèrerais que Dieu me ferait la grâce de partager les vôtres, mais je suis trop pécheresse ; c'est pourquoi il n'exauce pas mes désirs. Je le prie du moins qu'il augmente ses grâces avec tant d'abondance que votre coeur soit tout enivré de son amour, et que vos sens soient si charmés par la douceur de ses délices et ineffables communications que vous en soyez submergée. C'est le souhait d'une pauvre impuissante qui est en Jésus toute à vous. Avec les profonds respects...

no 1122
SUR JÉSUS SOUFFRANT

J'appréhende fort Madame que votre incommodité et le mauvais temps ne me privent de l'honneur de vous voir, mais il vaut mieux que je sois mortifiée, que d'augmenter un moment votre mal. Voilà Madame comme Notre Seigneur vous fait entrer dans ce saint temps de pénitence, en l'union de ses états. Priez-le qu'il le sanctifie en vous. Nous avons pris ici trois dispositions ou états de notre divin Sauveur pour l'honorer et nous conformer à lui durant ces quarante jours. Je crois qu'il vous sera bien aise d'y avoir part et d'en faire quelques pratiques. .

La première c'est la solitude de Jésus dans le désert et dans le Saint Sacrement de l'autel ; la seconde est sa pénitence ; et la troisième est sa mort douloureuse.

Il faut honorer ces trois états en Jésus qui sont renfermés dans sa pénitence. Mais comme vous êtes toute pleine de ces bonnes pensées et toujours occupée saintement, c'est assez d'un petit mot pour vous donner matière d'un entretien intérieur sur ce sujet. Si j'ai la grâce de vous voir demain nous dirons le reste.

Je prie Notre Seigneur qu'il vous donne une meilleure santé, et toutes les bénédictions que je vous souhaite.

n° 854
CONFORMITÉ À JÉSUS SOUFFRANT

Votre incommodité me donne bien de l'inquiétude ; cependant ma peine ne vous en peut exempter. Dieu qui vous veut sanctifier, vous fait part de la croix, tantôt d'une sorte et après de l'autre. Il se joue ainsi avec les élus, et un auteur dit que : « les souffrances sont les jeux de l'Amour Divin », et que « Dieu prend ses délices et ses complaisances dans une âme qui souffre, et jamais il ne détourne ses regards de cet aimable objet ». Voyez l'avantage que la croix vous donne. Elle vous purifie, elle vous rend digne des approches de Dieu, et vous ouvre le paradis. Heureuses souffrances qui produisent de si admirables effets! Notre Seigneur vous fait part des siennes, et quoique j'en connaisse un peu l'excellence, je voudrais les pouvoir tirer dans mon coeur pour en délivrer le vôtre, sans néanmoins vous priver du mérite.

Je vois bien qu'il se faut résoudre à être privée de l'honneur de vous voir et qu'il ne m'appartient pas d'aspirer à une faveur si avantageuse. Il faut que je demeure dans mon néant et que je me contente de vous protester avec mille profonds respects, que je suis indigne de toutes vos bontés.

no 2982
CONFORMITÉ ET ABANDON A DIEU DANS LES CROIX

Je suis ravie de voir que vous prenez toujours le bon parti : Servir à Dieu et l'aimer c'est régner. Il est vrai que vous sacrifiez beaucoup, mais aussi vous trouverez une ample récompense. Si votre naissance n'est pas accompagnée de tous les avantages qu'elle mérite sur la terre, le Ciel lui rendra au centuple. Ne vous affligez point, mais liez-vous à Jésus Christ de plus en plus ; entrez de coeur dans tous ses desseins sur vous et sur votre maison. Je ne puis croire qu'il la laisse périr. Il en relèvera la gloire. Il faut en attendre les moments, tout est en Dieu. Vous le voyez, les soins et les empressements des créatures n'y avancent guère.

Ayons toujours notre recours vers l'auguste Mère de Dieu; c'est la souveraine de vos Etats, elle ne souffrira pas qu'ils soient anéantis. Remettez-lui en le soin totalement, et vous, cachez-vous dans son très Saint et Sacré Coeur avec vos chers enfants. C'est un asile qui vous sera toujours très favorable et vous obtiendrez de ce saint lieu tout ce que vous demanderez à Jésus Christ, et cette précieuse solitude vous sera un lieu de repos et de délices. L'amour divin y sera votre force et rien ne pourra ébranler votre courage, tandis que vous serez sous les ailes de cette aimable Mère. Mais souffrez que je vous supplie que nous en renouvelions la dévotion, afin que vous lui protestiez de nouveau votre confiance. Dieu nous donne selon notre foi et, comme il vous a fait la grâce de préférer sa très Sainte Volonté, par tout elle aura soin de tout ce qui vous touche. Mais faites ce que vous pouvez pour ne vous point abattre dans les évènements contraires à vos désirs. Soyez ferme sur votre croix où le bon plaisir de Dieu vous lie; son amour y doit faire votre consommation, comme sa grâce y fera votre soutien. C'est dans ce sacrifice actuel où vous vous sanctifiez et où vous deviendrez une même hostie avec Jésus Christ. Je ne laisse pas de le prier de tout mon coeur d'en adoucir l'amertume et la peine, car je ressens ce qui vous touche jusqu'au centre de mon coeur.

no 1490
SUR LES SOUFFRANCES DE JÉSUS

Je ne doute point, Madame, que vous ne soyez dans une nouvelle ferveur d'amour en ces Saints Jours, et que la vue de Jésus souffrant ne soit le cher objet qui occupe toutes vos pensées. Je le prie qu'il comble de grâces et de bénédictions votre chère solitude. Nous lui offrirons, de notre part, la privation que nous portons de votre chère présence, comme une très rigoureuse pénitence. J'espère que Notre Seigneur l'agréera, étant rude à un coeur qui a reçu du vôtre, Madame, trop de marques et témoignages de vos bontés d'en être si longtemps séparée. Je ne vous perdrai pas de vue et tâcherai de vous voir en esprit au Cénacle et sur le Calvaire où je crois que vous serez plus que nulle autre part.

J'embrasse vos pieds avec un profond respect, en attendant une sainte Résurrection qui me rendra plus digne de posséder votre présence. Voyez comme je ne puis m'empêcher de vous en témoigner mon déplaisir. En celà vous jugerez que je ne suis pas morte et connaitrez mon imperfection et que je tiens si fort à vous, Madame, que je ne m'en puis séparer qu'avec une peine extrême.

no 1077
SOUFFRONS AVEC JÉSUS

Je serai bien consolée Madame si j'ai l'honneur de vous voir, étant en peine de votre indisposition. Je voudrais de tout mon coeur avoir tous vos maux, pour un peu vous soulager dans les croix qui renaissent tous les jours. Certes il faut conclure que Dieu vous veut dans une haute sainteté, puisqu'il tient sur vous une conduite si crucifiante, qu'on peut dire que c'est sans relâche et sans fin. Votre consolation doit être toute en Notre Seigneur qui a été souffrant dès le premier moment de son Incarnation, et vous Madame par ressemblance d'état, êtes du nombre de ceux qui ont porté le joug du Seigneur dès la jeunesse. Prenez donc courage, le paradis consommera tous les maux de cette vie et là vous n'aurez point de plus grande joie que d'avoir souffert en ce monde par amour et conformité à Jésus Christ Notre Seigneur.

n° 1424
SUR LA FETE DE PAQUES

Je ne pus hier au soir vous rendre réponse sur ce que vous me fites l'honneur de m'écrire, et n'en puis faire la lecture que je n'en sois dans une nouvelle admiration, ne pouvant comprendre vos bontés. Hélas ! si vous recevez quelquefois de bons effets de nos entretiens, c'est la récompense de votre humilité qui s'abaisse jusqu'à ce point de souffrir [à vos pieds], une pécheresse (à ses pieds) que la terre devrait abîmer. Ce ne sont point les choses que je dis qui vous fortifient, mais la grâce de celui qui est caché en vous, comme le levain de la parabole de l'Evangile, caché sous les trois mesures de farine. C'est Jésus l'unique tout de votre coeur qui vous soutient et qui vous anime de son esprit, et vous attire toute à lui, par son opération divine, dans le secret de votre intérieur ; qui vous tient lieu de retraite et de solitude, en attendant qu'il vous sépare entièrement des créatures. Il sait que ce sont les plus tendres sentiments de votre coeur, et qu'il a déjà pris son vol dans les trous de la pierre, qui sont les plaies adorables de l'humanité sainte de Jéstfs, et dans ces précieuses cavernes, où vous gémissez incessamment après la jouissance de celui qui a blessé votre coeur par les flèches de son divin amour, et qu'il ne peut se réjouir d'aucune chose sur la terre hors de cette délicieuse union.

« Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux et suave » (1). Je le prie qu'il vous fasse porter l'effet de ses divines paroles que l'Evan-gile nous donne aujourd'hui pour sujet de notre méditation. Cet aimable Sauveur nous dit : « Si je suis une fois élevé de terre, j'attirerai toute chose à moi » (2). 0 bienheureux ravissement qui nous arrachera de la terre de nous-même, pour nous unir et transformer toute en Jésus ! Prions-le, Madame, qu'il s'exalte en nous, afin qu'il nous tire tout à lui. Je lui ai demandé cette grâce ce matin à la communion, pour vous, et crois qu'il vous la donnera abondamment et amoureusement, étant conforme à vos désirs et à l'ardeur qui vous dévore intérieurement.

Je retiens ma plume qui serait importune par l'abondance de ce que je ressens pour vous. Je dois vous laisser adorer ce sacré calvaire où est la croix de mon divin Maître et Sauveur, puisque demain j'aurai l'honneur de vous le voir adorer sur son trône eucharistique, où l'amour l'immolera pour vous et vous tirera dans son sacrifice, pour être faite une même hostie avec lui. C'est dans ce mystère de gloire et d'humiliation que je suis à vous d'un coeur très sincère.

Avec profond respect...

( 1) Ps XXX111 - 9. (2) Jn X11 32.

no 1145
SUR LA FÊTE DE PÂQUES

Je vous rends mille actions de grâces de l'honneur que vous me fîtes hier. Je vous souhaite aujourd'hui une glorieuse résurrection et vous la désire telle, en qualité de membre de Jésus Christ, qui participe aux avantages de ce divin chef et qui ne doit plus être animée que de sa vie. NON QUAE SUPER TERRAM. Il n'est plus sur la terre, c'est pourquoi il ne s'y faut plus arrêter.

Allons le chercher dans lui-même, au Très Saint Sacrement de l'autel, où il renouvelle tous les jours ses sacrés et adorables mystères. Je le prie de tout mon coeur en faire porter les effets à votre âme, comme je les voudrais avoir en moi-même. Que cet aimable Sauveur vous fasse entrer dans sa vie nouvelle qui vous sépare de la vieille créature, pour vivre en lui. Mon Dieu quand sera-ce que Jésus règnera en nous en plénitude, qu'il y trouvera son repos et qu'il sera triomphant de tout notre être ? Il n'y a ni bien, ni joie, ni consolation hors de cette disposition : ÊTRE SOUMIS À JÉSUS, C'EST RÉGNER GLORIEUSEMENT. Nous sommes ses conquêtes, il nous a rachetés de son prix infini, c'est de justice qu'il nous possède absolument. Il ne lui faut désormais, plus rien refuser, tout est à lui. Mais aussi nous pouvons dire qu'il est tout à nous, et qu'en lui, rien ne nous peut manquer. VIVE JÉSUS GLORIEUX ET TRIOMPHANT DANS NOTRE COEUR! AMEN.

no 407
SUR LA RÉSURRECTION

J'ai reçu avec bien de la joie l'honneur que vous m'avez fait, me donnant des nouvelles de votre santé, en étant fort en peine, pour la fatigue de ces Saints Jours. Je vous remercie de la continuation de vos bontés pour nos affaires de Rome (1). Si elle a quelque heureux succès, après Dieu, c'est à vous que j'en dois toute la reconnaissance. Je suis assurée que le Très, Saint Sacrement paiera votre zèle. C'est pour sa gloire que vous travaillez incessamment. Si je suis exaucée en mes pauvres prières, vous serez comblée de bénédictions divines ; sachant bien que celles de la terre n'ont plus de charmes pour votre coeur qui

( 1 ) Ceci est peut être une allusion aux sollicitations faites par la duchesse d'Orléans par l'entremise de son ambassadeur en Cour de Rome, afin d'obtenir l'approbation des Constitutions. (Cf Catherine de Bar, Documents historiques. p. 237 et sv).

ne veut plus vivre que de la vie de Jésus réssuscité et qui ne goûte plus que les choses du ciel.

Je prie cet adorable Sauveur de vous attirer si puissamment que vous entriez en lui, pour y Vivre de son amour et consommer en vous la grâce et la sainteté de ses adorables mystères. Je vous suis avec un respect qui m'anéantit à vos pieds...

no 741
SUR LA RÉSURRECTION

Je suis dans l'impatience d'apprendre ( I ) des nouvelles de votre santé Madame, et si votre rhume continue. J'en serais d'autant plus mortifiée qu'il nous priverait de la consolation d'embrasser vos pieds, et de l'honneur de vous voir dîner dans la petite maison du Saint Sacrement qui réjouirait beaucoup de sa très honorée présence ses petites servantes, qui aspirent après ce bonheur et moi plus que les autres ; désirant savoir si vous êtes entrée dans ce mystère de vie que nous adorons, et qui est rempli de tant de grâces que je ne puis m'empêcher de vous en souhaiter la plénitude. Mon zèle est toujours grand pour votre âme et sa sanctification. Et je puis dire que je voudrais donner ma propre vie pour vous établir dans la plus haute sainteté que Dieu demande de vous, qui n'est autre que l'effet du mystère de la Résurrection, qui nous fait vivre de la vie nouvelle de Jésus Christ.

Oh ! que cette vie est divine ! Plût à Dieu que nous en fussions tout animée ; notre coeur et notre esprit agiraient bien d'une autre manière. Jésus en serait le principe et nous ne pourrions plus rien voir, ni désirer hors de lui ; mais pour recevoir cette faveur il faut être fidèle à l'opération du Saint Esprit. Il faut demeurer cachée en Jésus Christ comme il dit lui-même par ces sacrées paroles : « Celui qui demeure en moi et moi en lui portera beaucoup de fruit » (2). Voilà des paroles de vie. Demeurons donc en Jésus, et que nous y soyons si cachées qu'on ne nous trouve plus, afin que nous puissions dire avec vérité : « Non quae super terram ». Certes il faut penser de la bonne sorte à être toute à Dieu par Jésus Christ.

(1) Le Ms N 267 s'arrête ici et reprends à: savoir si vous êtes entrée... complété par le P110. (I) Lire : Je prendrai la liberté de vous écrire comment vous devrez-vous y comporter.

(2) Jn XIV - 5.

no 1464
SUR L'ÉVANGILE DU BON PASTEUR

Je demande des nouvelles de votre santé et si l'Evangile de ce jour n'a pas dilaté votre coeur, se voyant sous la conduite d'un si bon Pasteur, qui donne sa vie pour ses brebis, dont votre âme est du nombre.

Je vous supplie, donnez liberté à l'amour d'opérer des transports de joie et de reconnaissance, des soins, des tendresses et des bontés infinies de ce bon Pasteur qui vous garde depuis tant d'années, vous préservant de tomber entre les pattes du démon. Jetez les yeux sur le Coeur adorable de ce divin Pasteur: vous le verrez tout regorgeant d'amour pour vous, tout appliqué à vous et tout immolé à son Père pour vous. Ecoutez sa sainte voix dans l'intime de votre coeur; intérieurement il vous dit qu'il est la voie, la vérité et la vie. Nous n'avons besoin que de cela. Suivons cet aimable Pasteur: Ses brebis entendent sa voix et le suivent ; si nous l'écoutons nous l'entendrons et si nous sommes fidèles, nous le suivrons. O le bonheur de suivre Jésus Christ ! Il est la voie et le sentier où nous devons marcher ; la vérité que nous devons croire et la vie qui nous doit animer. Plût à Dieu que ces trois vérités fussent imprimées dans nos coeurs et que nous en portassions les effets! O que nous serions heureuses de marcher en Jésus et de croire Jésus en tous ses sacrés mystères et ses divines paroles, et vivre de Jésus. Goûtez ce bonheur ; vous le pouvez et vous le devez comme une fidèle brebis du troupeau de notre bon Pasteur.

Une âme qui vit de l'esprit de notre saint Evangile n'a que de la joie et du repos en Dieu. Nourrissez-vous de Jésus Christ ; et pour son amour ne me refusez pas un quart d'heure que je vous demande, pour vous exposer en sa sainte Présence, tous les jours, afin de recevoir en vous les impressions de sa grâce et entrer dans une disposition de foi, d'amour et de respect sur cette infaillible et puissante vérité qui renferme tout : Dieu est, et cela suffit à une âme chrétienne. Si vous voulez vous assujettir à cette petite pratique tous les jours, je prendrai la liberté de vous écrire comme vous vous y comporterez (1). Je suis assurée que votre âme en recevra de grandes bénédictions, et que si vous continuez, vous pourrez sans peine faire plusieurs heures d'oraison. Accordez-moi cette grâce et que votre humilité souffre que je lui en demande compte quelquefois, pour voir si Notre Seigneur fait impression sur votre intérieur. Si vous y entrez comme il faut, vous vous jouerez du monde et de tout ce qu'il contient.

Pardonnez à mon zèle ; je dirais volontiers que vous êtes plus dans mon coeur que moi-même, mais c'est pour vous donner incessamment à Jésus et à sa sainte Mère.


no 964
SUR L'ASCENSION

Agréez que je vous dise de vous tenir prête pour partir demain avec notre aimable Sauveur qui s'en retourne à son Père. Il n'y a point d'apparence de le laisser aller seul. Il faut faire notre possible pour l'accompagner en esprit, et renfermer notre coeur dans le sien, pour ne plus vivre que de sa vie.

C'est aujourd'hui que vous pouvez dire avec vérité que « Votre royaume n'est pas de ce monde », que vous le quittez de bon coeur pour suivre Jésus Christ et retourner avec lui dans votre céleste patrie. Vous êtes sortie de Dieu, il y faut retourner. Voilà votre devise, souvenez-vous en toujours, et prenez garde que rien ne vous empêche de rentrer dans ce centre glorieux.

Comme le membre suit le chef, ainsi devons-nous suivre Notre Seigneur dans le ciel. Hélas ! qui pourrait demeurer sur la terre sans lui ? C'est le gémissement des saints en cette vie, et ce leur est un vrai enfer d'être un moment Séparé de ce divin objet. Soupirons avec les bonnes âmes, et désirons être, comme dit Saint Paul, «déliés des liens de notre captivité». Oh ! qu'il ferait bon mourir demain ! Le ciel est ouvert, et Jésus y faisant son entrée triomphante on peut facilement y entrer avec lui. Les miséricordes sont abondantes, et le Père éternel étant si occupé à se complaire en la gloire de son Fils, il ne rebutera point ceux qui entreront avec lui.

Je ne sais si vous viendrez demain adorer notre bon Maître et recevoir sa bénédiction à l'heure qu'il monta au ciel ; je l'espère de votre piété, si le temps est beau pour votre santé. Je le désire du même coeur que je suis avec profond respect...

no 7
POUR L'ASCENSION

Si je ne mortifiais mon inclination vous seriez souvent importunée de votre petite servante, pour savoir des nouvelles de votre santé et si le quart d'heure n'est point oublié. Vous avez promis d'y être fidèle. De temps en temps, je vous en ferai souvenir. Il ne faut pas se rebuter : si la facilité n'est pas si grande au commencement, la suite adoucira la peine.

Je vous supplie que ces trois jours nous servent de préparation pour suivre notre aimable Sauveur dans le ciel. Il ne faut plus demeurer sur la terre. Le membre doit toujours accompagner le chef. Je vous prie faites un peu de lecture sur le mystère de l'Ascension dans le Père Bourgoing ou Hayneuve (1), afin d'en remplir votre esprit et que votre amour se renouvelle. Oh ! quand serons-nous séparées du monde et des créatures ? Quand irons-nous dans notre céleste patrie ? Nous sommes de pauvres bannies sur la terre et en un pays étranger. Mais réjouissons-nous dans l'espérance que nos maux finiront quelque jour, et que nous irons dans la maison de notre Père pour l'aimer et le posséder éternellement. O quelle joie de voir Dieu et d'être transformée en lui à jamais !

Soyons donc fidèles et courageuses. Vivons uniquement pour Jésus. C'est en lui que je vous suis…

no 2685

( 1 ) Bourgoing François, 1585 - 1662. né à Paris d'une célèbre famille de robe. Un des premiers compagnons du Cardinal de Bérulle, il lui succèdera comme 3e général de l'Oratoire : 1641 - 1662. Il fonde 10 maisons en France et en Flandre. Il écrit plusieurs ouvrages, celui que cite Mère Mectilde doit être : Vérités et excellences de Jésus Christ Notre Seigneur disposées en méditations pour tous les jours de l'année. D.T.C. fasc. XII I col. 1099.

Hayneuve Julien, 1588 - 1663. né à Laval, entre au noviciat de la Compagnie de Jésus le 31 mai 1608. Théologien ascétique, il fut un des maîtres de la vie spirituelle au XVI le siècle. L'ouvrage cité doit être : Méditations sur la vie de Jésus Christ pour tous les jours de l'année et les fêtes des saints. 4 Tomes in 4° Paris 1611-1642. D.T.C. fasc. X LV 111 col. 2069.

POUR LA FÊTE DE LA PENTECÔTE

Je n'ose espérer l'honneur de vous voir aujourd'hui; c'est pourquoi je vous envoie la lettre que je viens de recevoir, demandant des nouvelles de votre santé et si le quart d'heure continue. Il ne le faut quitter pour quoi que ce soit. C'est pour Dieu et à Dieu que vous le donnez directement, et c'est ce qui vous doit obliger à y être fidèle. Employez-le, s'il vous plaît, cette octave, pour vous rendre à la puissance et amour du Saint-Esprit ; simplifiant vos pensées pour demeurer en simple attention et abandon à sa grâce et à son opération ; l'adorant en silence. Recevez passivement ce qu'il lui plaira d'opérer, et vous rendez flexible à ses impressions ; il ne manquera pas de vous en donner, et d'éclairer votre esprit sur les vérités évangéliques, et d'échauffer votre volonté pour les pratiquer généreusement.

Mon Dieu que cette vie est dure à supporter lorsque l'on voit les périls dont nous sommes environnés, et combien il est facile de se séparer de Dieu ! Il m'a pris une grande envie de mourir pour ne le plus offenser, et pour avoir la grâce de me nourrir dans l'éternité de ces beautés et excellences des mystères de Jésus Christ. Oh ! qu'il fait bon s'en occuper, et encore bien meilleur d'en porter les effets en nous ! Rien ne nous peut contenter en cette vie parce qu'elle n'a rien en soi digne d'une âme créée pour être éternellement occupée de Jésus, et consommée en son amour ; prenons Madame la résolution, en attendant la délivrance de notre captivité, de ne plus vivre qu'en l'amour, de l'amour, et pour l'amour de Jésus. Puisque nous avons reçu le Dieu de l'amour, qui est le Saint-Esprit, ne vivons plus que de l'amour qui nous unit et nous transforme tout en Jésus, pour le temps et l'éternité.

no 1274
POUR LA FÊTE DE LA PENTECÔTE

Si j'avais reçu le Saint-Esprit, j'aurais le don de vous réjouir en vous embrasant de son feu tout divin. Il n'en faudrait qu'une étincelle pour consommer tout ce qui fait sa douleur et nous ravir dans le Coeur de Dieu ; pour n'avoir plus qu'un même respir et une même volonté avec ce Coeur adorable, dans lequel vous devez trouver force et courage dont vous avez besoin, pour soutenir tant de coups que la divine Providence décharge incessamment sur vous Madame ; et s'il vous blesse, il vous peut guérir, et s'il mortifie, il vivifie. Ayons de la foi et de la confiance. Quand il abîmerait et consommerait tout nous-même, nous ferons comme saint Augustin, car notre foi deviendrait plus vigoureuse. Et quand tout serait perdu sans ressources, c'est lors que l'on doit croire plus constamment, parce que la foi n'est pas pure quand il y a de l'apparence ; mais elle est pure et nue lorsque tout l'humain est anéanti ; et c'est en vertu et respect de cette foi vers Dieu que Notre Seigneur fait des miracles. Nous les devons espérer de sa bonté, au temps qu'il lui plaira les opérer pour sa gloire.

Soyez, Madame, ferme et constante, dans un simple regard amoureux en Dieu. Attendez ces moments. Si vous pouvez modérer l'activité naturelle, vous aurez un peu de repos. Je vous souhaite un comble de repos et de grâces, avec un parfait assujettissement au règne de Jésus Christ.

no 2683
POUR LA SAINTE TRINITÉ

Je prends la liberté de vous avertir que c'est demain la fête de votre intérieur, où les Trois Personnes Divines reposent comme dans leur Temple. Souvenez-vous de renouveler à la sainte Communion vos saints voeux de baptême et de lui rendre grâce de votre vocation à la foi. Je vous supplie que cette auguste fête soit dignement solennisée, renouvelant la dédicace que Jésus en a faite [de vous-même] à la Sainte Trinité. Vous remarquerez donc que vous n'êtes point à vous ni à vos usages, que vous êtes à Dieu par Jésus, et que vous n'avez pas un respir qui ne lui soit consacré. Vivez dans cet esprit de foi et tendez plus que jamais à vous séparer de vous-même. Remettez tout en Dieu. Pensez à l'aimer et il s'appliquera à tous vos besoins, car il veut que vous soyez à lui sans réserve, vous reposant en son amour.

Je vous demande pardon de ma trop grande liberté, mais votre bonté en est la cause. Je suis avec le dernier respect tout à vous.

n° 1296

Béni soit Dieu d'apprendre que votre santé est meilleure ! Il faut la bien conserver pour jeudi célébrer la fête des Epuisements de l'amour de Jésus vers les hommes. Oh ! que ce mystère est grand et profond pour les âmes chrétiennes ! Celui que nous célébrons demain est ineffable ; il faut l'adorer sans le comprendre, se soumettant avec une profonde humilité à la vérité proposée de l'auguste et individue (1) Trinité. Mais comme cette fête est mieux solennisée au ciel que sur la terre, nous appliquerons notre coeur et notre esprit pour la célébrer magnifiquement dans notre intérieur. C'est la fête de la Dédicace du temple mystique.

Nous savons de foi que le coeur du chrétien est le temple du Dieu vivant : l'Apôtre nous en assure, et l'Eglise nous apprend que ce temple intérieur est dévoué et consacré au baptême à la Sainte Trinité par Jésus Christ et que les Trois Divines Personnes : Le Père, le Fils et le Saint-Esprit, sont continuellement résidentes dans ce temple, et jamais n'en sortent, quoiqu'il puisse arriver durant le cours de cette vie. Cette vérité étant de foi, il ne faut donc que se recueillir en soi-même pour adorer en nous l'auguste Trinité, lui présenter nos hommages et nos sacrifices, dont le plus excellent est de nous immoler à sa gloire, incessamment, par Jésus Christ qui nous présentera à son Père.

(1) Qui ne peut être divisée. Ne s'emploie qu'en parlant de la sainte Trinité. M. Bescherelle, Dictionnaire universel, Paris, 1851.

La première réflexion, c'est de voir la dignité de notre âme et comme elle appartient irrévocablement à la Très Sainte Trinité.

La seconde sera que, comme elle est toujours en nous, nous devons toujours être en elle, et effectuer en nous les paroles de Jésus à la Samaritaine, lorsqu'il lui dit que « le temps était venu que le Père aurait des adorateurs qui l'adoreraient en esprit et vérité » (1), non plus en Jérusalem seulement, mais partout et surtout en nous-même ; en esprit par la foi, et en vérité du fond du coeur par amour et profond et sincère anéantissement de nous-même devant cette Suprême Majesté.

La troisième sera de demander à notre âme quels sont ses devoirs devant cette ineffable déité ; si elle la croit en soi ; si elle l'y adore, et s'y réfère elle-même et toutes ses opérations ; si elle se regarde et se voit actuellement dépendante du secours divin, source intarissable de grâce et de sainteté cachée en elle. En suite de ces petites considérations et réflexiôns vous connaîtrez si vous rendez à Dieu les hommages et les devoirs que vous lui devez dans son temple intérieur ; et si vous remarquez y avoir manqué, faites-en amende honorable à la Très Sainte Trinité, et renouvelez les voeux et promesses faites au baptême pour vous obliger à une plus exacte fidélité.

Vous voyez que je tâche de faire ce que je vous ai promis, de vous réveiller de temps en temps et exciter à une nouvelle ferveur. Je crois que vous en savez mille fois plus que moi, qui ne suis qu'une pauvre misérable, qui mérite d'être éternellement anéantie. En parlant, j'obéis à ce que vous m'avez commandé et vous donne occasion d'exercer votre humilité et patience et devenir une grande sainte ; c'est ce que je vous désire et vous souhaite avec ardeur et respect.

no 64

(I) Jn IV-23.

POUR LA FÊTE DU SAINT SACREMENT

Je n'ai pas besoin d'exciter votre coeur à l'amour de notre adorable et très auguste Mystère ; je sais trop bien que c'est votre vie et la félicité de votre âme, laquelle n'a point de plus grande joie que de se consommer en sa sainte Présence, par amour et adoration, faisant ici-bas ce que les anges et les bienheureux font au ciel. O quel don le Père éternel nous a fait ! O quelle bonté en Jésus de vouloir demeurer avec nous jusque la consommation des siècles ! Un Dieu avec nous, sans jamais s'en retirer, quoique l'ingratitude des hommes l'obligerait de les abandonner : O grande et excessive charité ! Il faut être bien transporté d'amour pour demeurer avec des pécheurs qui n'ont que de la malice pour outrager sa bonté. On se perd en la vue de cet abîme de miséricorde, et on n'en peut plus parler. Oh ! que ne pouvons-nous mourir par l'amour de l'amour de cet infiniment aimable, Dieu d'amour !

Cette grande et admirable fête ne se peut dignement solenniser que par l'amour, que je partage en deux actes :

L'amour reconnaissant les grâces infinies que Dieu a mises pour nous dans la divine Eucharistie et singulièrement du don ineffable qu'il nous y fait de tout lui-même.

Et l'amour unissant et transformant l'âme en Jésus Christ, qui s'épuise tout en amour dans ce glorieux Sacrement, qui est la fin de son institution.

Il nous y donne tout sans aucune réserve. Dieu n'a rien en soi qu'il ne nous donne dans la sacrée Communion, aussi ne devons-nous rien avoir en nous, ni hors de nous, que nous ne lui donnions en le recevant. Il entre en nous pour nous faire entrer en lui. 11 consomme son être sacramentel en nous, pour consommer notre propre vie en lui. Il s'abaisse pour nous élever. Il se sacrifie en nous pour nous sacrifier en lui. Il veut vivre en nous afin que nous vivions en lui et par lui. Vous êtes toute remplie des lumières de ce grand Mystère, il ne me reste seulement qu'à prier Notre Seigneur Jésus Christ qu'il vous en fasse porter les effets ; c'est à lui de les opérer et c'est ce qu'il veut faire si nous ne l'empêchons.

Je prends l'humble hardiesse de me recommander à vos saintes prières. Il me semble que je sens une petite émulation intérieure pour commencer à mieux faire ; mais je sais que si l'esprit est prompt la chair est faible, ainsi j'ai besoin d'être soutenue. J'espère que cette sainte octave ne se passera pas que nous n'ayons l'honneur d'embrasser plusieurs fois vos pieds. En attendant je vous souhaite toutes les bénédictions de l'adorable Eucharistie.

No 1027
POUR LA FÊTE DU SAINT SACREMENT

Est-il possible qu'au milieu de vos souffrances, votre bonté puisse penser à sa très indigne servante ? J'en suis dans l'étonnement. C'est un effet d'une charité très grande. Plût à Dieu pouvoir attirer dans mon coeur tous les maux que vous souffrez ; j'en aurais une singulière satisfaction.

Mon Dieu, qu'il y a de plaisir d'aimer le Fils de Dieu dans le Très Saint Sacrement ! Mon âme semble se ravir d'admiration de ses ineffables bontés qui souffrent non seulement qu'on lui dise qu'on l'aime, mais qui veut être notre aliment, qui descend en nous pour nous élever en lui et nous combler de ses plus délicieuses faveurs. Je ne puis que je ne m'écrie : o mon adorable Sauveur que vous êtes bon, d'une bonté infinie ! Vous le savez, Madame, et vous le goûtez plus purement que moi. Je sais que ce sont vos délices et les charmes de votre coeur, qui n'a point de plus grande joie en ce monde que de lui rendre, aux pieds de ses autels, ses adorations. Ce m'est une joie bien sensible quand j'ai l'honneur de vous y voir céans. Il me semble que Notre Seigneur reçoit avec complaisance les hommages que vous lui rendez et je les lui offre souvent en réparation de mes négligences et indé-votions. Continuez-les, Madame, vous en recevrez de grandes bénédictions.

Celui-là ne sera jamais sans gloire dans le Ciel, qui aura honoré et confessé Jésus Christ en terre sous les espèces sacramentelles. Je vous regarde comme une prédestinée et la bien aimée de Notre Seigneur dans le Très Saint Sacrement. Aimez-le de tout votre possible dans ce Mystère puisque c'est celui où il souffre plus d'humiliation. Cachez-vous dans ce sacré ciboire avec lui, et soyez ensevelie sous les accidents par un effet d'amour qui vous y tienne unie, vivant de la vie cachée de Jésus, en lui-même, pour la gloire de son Père. Vivez pour lui uniquement ; c'est son dessein dans la divine Eucharistie, et c'est pour cela qu'il vient à nous. Je le prie qu'il vous tire de plus en plus dans son sacré amour, et qu'aucune créature ne vive plus en vous. Que Jésus seul y soit vivant et y puisse avoir la plénitude. C'est le souhait de celle qui sait que vous n'estimez rien en ce monde que Jésus Christ, dans lequel je vous suis avec profond respect...

no 410
POUR LA FÊTE DU SAINT SACREMENT

Je suis très en peine de votre santé. Si vous eussiez pu venir adorer le Très Saint Sacrement qui était exposé dans notre église, vous auriez reçu une force divine, pour soutenir la douleur et les déplaisirs continuels de la vie. Je désirerais la consolation et l'honneur de vous y voir plus ardemment que de coutume, me semblant que votre âme y devait beaucoup recevoir de grâces et de miséricorde.

Dans l'état où la divine Providence vous tient présentement, qui a besoin d'être soutenu de Dieu - les créatures n'ayant pas en elles-mêmes la vertu pour y subvenir - Dieu seul, et vous l'expérimentez bien, peut réjouir et consoler votre coeur. Vous le trouverez pleinement dans l'adorable sacrement de l'autel, où l'amour le renferme, pour nous donner les moyens de nous approcher de lui et de trouver un paradis en terre en attendant le bonheur d'entrer dans le ciel, pour le posséder avec les bienheureux, par la vision béatifique. Il faut achever votre pénitence dans la captivité où vous êtes, espérant qu'il vous ouvrira la porte du sacré repos, où votre âme aspire avec tant d'ardeur.

Je prie Notre Seigneur Jésus Christ que ce soit bientôt, afin que vous puissiez goûter, avant la mort, les délices d'un coeur qui jouit de Dieu, et qui le possède, et qui en est possédé, et qui, par cette divine union, se voit tout séparé des créatures. Il me semble que c'est l'état où votre désir tend et où vous voudrez être établie solidement. C'est une grande grâce d'en connaître la grandeur, l'excellence et le mérite, et encore plus grande d'y aspirer de toutes ses forces, autant que Dieu le veut ; du moins s'y affectionner et désirer y tendre, par une sainte désoccupation de ce qui n'est point Dieu, se séparant doucement de ce qui embarrasse l'esprit, pour conserver la paix et la tranquillité du coeur, si nécessaires pour jouir suavement de la présence de Dieu. Le souvenir de la précieuse personne que Dieu a mise en son paradis, et les sensibilités présentes ne vous empêcheront point de devenir une grande sainte. C'est de quoi faire des sacrifices à Dieu qui lui seront très agréables. C'est ce que vous faites, avec une sainte humilité. Il faut l'accompagner de persévérance.

Je vous demande mille pardons de la trop grande liberté que je prends de vous écrire de la sorte. Etant avec très profond respect...

no 1514
SUR NOTRE INSTITUT

J'ai toujours cru que Dieu voulait se servir de vous pour faire honorer Jésus Christ, son Fils, dans notre Institut, et qu'il veut vous couronner dans le ciel, pour la gloire que vous lui procurez en terre, stabiliant l'Adoration perpétuelle que nous avons professée, et qui ne peut subsister [del longues années que par le soutien de notre Congrégation.

Si Notre Seigneur accomplit les paroles qu'il vous a données, nous serons trop heureuses ; mais ce sera à votre seule bonté et piété que nous en aurons l'obligation et que nous en devrons des éternelles actions de grâces. Il [y] fallait un zèle aussi grand que le vôtre, et une autorité aussi puissante. Je prie Dieu qu'il nous rende dignes de reconnaître, en sa Présence, mais efficacement, ces signalées grâces. Nous ne cesserons de prier Notre Seigneur Jésus Christ au divin Sacrement de l'autel, qu'il vous donne toutes les bénédictions que je vous souhaite depuis longtemps, et surtout une confiance toute filiale et amoureuse vers Jésus Christ : qu'il vous fasse ressentir les tendresses de son divin Coeur et qu'il attire puissamment le vôtre, par la force de son pur amour, en sorte que vous preniez votre repos dans un doux abandon à son bon plaisir ; que votre âme soit comme un petit enfant de sa sainte Providence, sans soin et sans empressement qu'une simple adhérence à son amour.

Voilà ce que Notre Seigneur veut de vous et où vous trouverez la parfaite paix du coeur et un saint dégagement de tout ce qui le peut troubler. Je ne sais si j'oserais demander des nouvelles du quart d'heure et s'il est encore en usage ?

Si vous souffrez mes importunités, je vous réveillerai quelquefois pour un peu vous divertir, en attendant que Notre Seigneur vous inspire de nous honorer de votre présence. En attendant cette grâce, je me dirai avec profond respect...

no 836
SOLITUDE DE JÉSUS AU SAINT SACREMENT

Il est vrai. Madame, qu'à votre respect Monsieur N… nous a accordé notre demande. C'est une grâce que nous devons à votre bonté. Sans votre autorité jamais nous ne l'aurions osé espérer. N ... ira vous en faire nos humbles remerciements. Nous sommes étroitement obligées de redoubler nos prières pour votre conservation et la prospérité de vos pieux desseins. Si nous étions dignes d'être exaucées les vapeurs qui vous tourmentent seraient bientôt dissipées ; mais elles sont d'une qualité qu'il n'y a que le soleil éternel qui les puissent consommer. J'en suis d'autant plus persuadée que les remèdes humains ne les ont pu guérir jusqu'à présent. C'est donc à Jésus d'opérer ses adorables effets sur l'âme et sur le corps et d'allumer le feu divin qu'il dit lui-m'aie avoir apporté du ciel en terre pour brûler et consommer les coeurs de ses élus.

Vous êtes heureuse Madame si vous brûlez de ses précieuses flammes. Je vous supplie de n'y faire aucune opposition, et puisque l'infirmité vous tient solitaire, que l'amour de Jésus soit votre occupation ; et pour y réussir avantageusement, abaissez-vous devant cette Majesté infinie, jusqu'à l'abîme du néant. Plus votre âme sera petite en sa Présence, plus il prendra de complaisance en vous, et ses grâces seront plus abondantes. Honorez par votre captivité Madame celle de Jésus en l'Eucharistie. Renfermez-vous en esprit dans le sacré ciboire avec lui. Tâchez de ne le quitter jamais en ce monde, puisque vous devez être éternellement avec lui. Il faut apprendre à l'aimer en la terre pour continuer dans le ciel.

Je le prie vous donner une bonne nuit et une nouvelle vie de grâce et sainteté ; j'embrasse vos pieds avec profond respect.

no 486
ABANDON ET CONFIANCE EN DIEU

Oh ! que Dieu est bon, qu'il est adorable et tout amour pour vous ! Voyez par ces conduites qu'il ne vous traite point comme les grands du monde, mais comme la chérie de son coeur et comme une de celles qu'il a choisies sur la terre pour honorer, par état, les dispositions de son Fils. Oh ! que vous dites vrai que Dieu réveille votre foi par ce dernier coup, que sa sainte Providence vous envoie.

Je suis ravie de voir les sentiments que la grâce divine épanche dans votre coeur. Vous voyez le soin que Notre Seigneur a de vous tirer dans sa sainteté. Il vous sépare de l'appui des créatures, pour vous faire trouver en lui seul les secours dont vous avez besoin. O les belles et divines paroles que vous dites de tout votre coeur à Dieu, et que vous exprimez si suavement dans votre chère lettre : « Mon Père qui est aux cieux »; dites-les souvent avec foi et confiance amoureuse, vous en ressentirez d'admirables effets et expérimenterez qu'il est véritablement votre Père, votre Epoux et votre Tout. Ce n'est point mes prières qui ont attiré sur votre âme tant de forces et de bénédictions. C'est que votre foi s'est renouvelée, et que Dieu vous fait la miséricorde de faire un saint usage de votre affliction, en la recevant de sa main adorable et vous soumettant à son bon plaisir. Continuez je vous supplie, ma très chère, de vous abandonnez toute à Jésus Christ! Conservez les grâces qu'il vous présente et jamais ne faites plus de fond ni d'appui sur aucune créature. Trop est avare à qui Dieu ne suffit. Voilà votre devise, adieu tout le reste ; il ne vaut pas un soupir de votre bon coeur, qui doit être consommé dans les flammes du pur amour. comme un parfait holocauste en odeur de suavité.

Quant à la demande que vous faites à Dieu, je ne sais quel esprit vous pousse. Je suis pécheresse et trop opposée à la sainteté où Dieu vous attire. Je craindrais de faire obstacle à votre âme. Mais comme c'est une saillie de votre profonde humilité et votre amour pour la solitude, si votre bonté m'y souffrait à ses pieds, j'avoue que j'aurais la plus sensible joie du monde, dans lequel je ne puis rien trouver d'agréable que d'être toute à Dieu et à votre service.

N° 2422


[page 46 à refaire µ]


SUR L'INCERTITUDE DE LA VIE

Il faut un coeur aussi ferme que le vôtre pour ne se point troubler des événements si subits et si surprenants de la divine Providence. Un coeur bien uni a Dieu est inébranlable, et je serai ravie si le vôtre est dans cette disposition. Cela n'empéche pas qu'on ne fasse un peu de réflexion sur la brièveté de la vie et l'incertitude du temps. Notre Seigneur dit qu'il viendra comme un larron par surprise pour nous obliger d'être sur nos gardes et nous tenir toujours prêtes à partir. C'est la meilleure disposition d'une belle âme qui vit dans un saint dégagement. Rien ne la retient sur la terre. sachant bien qu'elle y est en exil, et que le Ciel est sa maison paternelle et son palais éternel. où elle doit aspirer sans relâche et demandant d'y retourner comme faisait le roi prophète. Ce que nous voyons arriver aux autres, peut de même s'exécuter en nous, et bienheureuse l'âme que le Seigneur trouvera veillante. C'est le plus ardent désir que j'ai pour vous, à qui je suis, avec tous les respects profonds que je dois.

No 552
COMME IL FAUT VIVRE ET AIMER DIEU SUR LA TERRE

Hélas ! que l'honneur de votre souvenir m'est d'une douceur merveilleuse ! J'espère que jeudi, s'il fait beau. vous nous ferez la grâce de venir pour vous y divertir, en parlant de Celui qui fait les délices de votre coeur, et que vous aimez si parfaitement. Oh ! qu'il fait bon parler de cet adorable objet, qui fait la félicité des Saints ! Venez. venez. Madame. vous saintement divertir dans les bontés de Jésus. Ce discours charmera vos ennuis. et augmentera son amour en votre âme. Apprenons comme il faut connaître et aimer celui que nous devons adorer toute une éternité.

En vérité, il n'y a que Jésus capable de consoler un coeur. et de lui donner une véritable joie. Tout le créé n'est rien. Hélas. le monde est un lieu de malédiction ! C'est une terre étrangère aux enfants de Dieu qui gémissent en la vue de leur exil. Mon Dieu quand sortirons-nous de cette horrible captivité ? Soupirons après notre patrie. il est permis à tin enfant de désirer de retourner en la maison de son père. et d'en regretter le retardement. Le prophète demandait à Dieu. très instamment. de demeurer dans sa maison tous les jours de sa vie. Or il y a trois demeures ou maisons de Dieu : le Ciel. l'église et l'intime de l'âme chrétienne. 11 faut espérer d'aller un jour dans le Ciel pour n'en jamais sortir. Dans l'église, on n'y peut pas toujours demeurer : mais dans l'intime de nous-même, il faut tâcher de ne point sortir, puisque Dieu Trine et Un y réside continuellement. C'est là où l'âme doit faire une stable et ferme demeure, et où elle trouvera le paradis en terre. Je prie Notre Seigneur qu'il vous y attire suavement et puissamment de sorte que vous y puissiez prendre le repos, la force et la joie que je vous souhaite.

no 446
COMME IL SE FAUT RETIRER DU MONDE

Je vous laisse à penser si le courrier m'a donné de la crainte. En le voyant venir si promptement, il m'a donné sujet de croire qu'il ne vous fût arrivé quelques nouvelles afflictions, sachant bien que notre Bon Dieu ne laisse pas un petit moment de votre vie, qui ne soit remplie de sa croix. C'est le chemin royal par lequel il vous faut marcher. A mon avis, il ne faut pas que vous en cherchiez d'autre. C'est la conduite de son aimable Providence sur votre âme. Il faut l'adorer et s'y soumettre aveuglément, car Notre Seigneur veut que vous ayez le repos d'esprit par la solitude, en vous séparant [du monde I totalement.

µµJe suis plus persuadée que jamais que vous devez vous retirer avec Jésus Christ, et mettre fin à une vie tracassée que vous menez depuis longtemps. Pour vous y préparer, je vous dirai ingénuement que vous ne devez rien espérer, de-par, de-ça, de l'aîné, ni du cadet. Cherchez et trouvez votre repos de vous-même et ne l'espérez qu'en Dieu. Il ne faut plus se flatter dans l'attente des créatures. Regardez toujours

Dieu, sa gloire, et votre salut, et celui de Mlle N 1 I les faut préférer

à tout le reste, qui n'est que passage et que vanité. L'éternité le doit emporter par-dessus le temps, et Dieu par-dessus les créatures, qui ne sont que des néants. Continuez vos sollicitations à Rome pour l'office du très Saint Coeur ( I). Cependant nous ferons prier Dieu pour vous faire connaître sa très sainte Volonté. Il le faut bien consulter, et puis suivre constamment ce qu'il vous aura fait connaître. Je suis de ma part dans un ardent désir de vous voir en repos sur ce sujet. Tout mon zèle, après la gloire de Dieu, est d'attirer du Ciel sur vous, et sur tout ce qui vous touche, l'abondance des bénédictions que je vous souhaite, et que vous avez besoin pour être une pure victime de son divin amour. Je suis à vous, toute en lui, avec profond respect...

n°1763

(I) l'office du très Saint Cœur de Marie, composé par saint Jean Eudes a été édité en 1648. Saint

Jean Eudes. Oeuvres complètes, i X I.

POUR LA FÊTE DE SAINTE ELISABETH (1)

J'ai prié de tout mon coeur la Sainte Vierge de vous visiter aussi efficacement pour l'achèvement de votre sanctification et consommation, qu'elle fit à sainte Elisabeth. Je ne sais si vous aurez reçu les bénédictions que je vous ai souhaitées. Oh ! qu'il fait bon recevoir de cette sorte la Mère et l'Enfant !

Nous avons bien sujet de dire avec étonnement : « UN DE HOC MIH I » ? (2). Après une telle visite, il ne faut plus nous soucier de rien, d'autant que nous avons en Jésus et Marie tout ce que l'on peut désirer. Un coeur serait bien avare, à qui Jésus et sa bénite Mère ne suffirait pas. Heureuse l'âme qui ne s'en sépare jamais ; qui conserve leur présence, et qui les sait renfermer dans son intérieur pour s'en souvenir à tout moment, et s'enflammer par leur doux entretien, des plus ardentes flammes du saint amour ! C'est leur dessein et le motif de leur précieuse visite. Nous y voyons comme saint Jean dans le sein de sa mère a été embrasé. C'est par ce divin feu que sainte Eli-sabeth a prophétisé, et par la même visite, dans la sainte Communion que nous devons être changées et transformées en Jésus.

Apprenons, apprenons bien, Madame, les usages de ce bel amour qui a tant de puissance qu'on permet à celui qui aime de faire ce qu'il veut. C'est saint Augustin qui nous l'assure. Si mon souhait avait lieu, certes nous brûlerions de cet amour, et nous dirions avec saint Paul : « Nous ne vivons plus nous-mêmes, mais c'est Jésus qui vit en nous ». O quel bonheur si cela était ! Nous serions au-dessus de la Fortune et du temps, au-dessus du créé et de tout ce qui peut être. Nous serions en Dieu, avec Jésus et en Jésus. Nous vivrions de sa vie, et serions animées de son esprit. Qu'aurions-nous plus à craindre et à désirer en ce monde ? Tout nous serait indifférent, nous laisserions les morts ensevelir les morts, et Dieu nous serait tout en toutes choses.

Il y a grand plaisir de penser aux avantages d'une âme qui vit de cette sorte ou pour mieux dire qui est passée en Jésus Christ. C'est cependant où vous devez humblement et ardemment aspirer. Toute votre tendance doit être de rentrer dans votre centre qui est Dieu et ne devez souffrir et agir que pour cet effet, faisant fort peu de cas de tout le reste. Tenez votre esprit libre et dégagé, en telle sorte que rien n'empêche son vol vers l'unique objet de son amour.

C'est assez de cette petite leçon jusqu'à la chère entrevue, qui sera quand il plaira à la divine Providence et que la santé le permettra. Vous protestant que je serai toujours avec profond respect...

no 738

(I) Le Ms N258 dit : Pour la fête de la Visitation de la Sainte Vierge.

(2) Lc 1, 40 et sv.

50 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 51

MANIÈRE DE S'ABANDONNER À DIEU

Je viens de faire la sainte Communion où vous avez été si présente devant Notre Seigneur que je ne puis m'empêcher de vous écrire les mouvements que j'ai reçus pour vous.

Il m'a semblé que l'esprit de Jésus se plaignait que votre foi et votre abandon vers sa bonté n'étaient pas entiers, et qu'il voulait de vous une remise de tout vous-même en lui ; et qu'il voulait prendre un soin paternel de vous et de tout ce qui vous touche ; et que si vous saviez bien vous laisser toute à lui et au soin de son amoureuse Providence, vous verriez, des merveilles de sa bonté. Faites-le donc de tout votre coeur au lieu de vous arrêter à vos pensées et réflexions, pleines d'angoisses et de douleurs. Il y a longtemps que je vous en supplie très instamment. Il .ne faut plus différer. La sainteté de Jésus veut opérer en votre âme ; c'est pourquoi il faut qu'elle se sépare de ses propres pensées, pour adhérer fortement à son amour. Ne vivons plus que de cet amour qui nous transforme toute en Jésus. J'ai un grand désir de me voir à vos pieds pour en parler, et par ce doux entretien, chasser vos ennuis. Courage, continuez le quart d'heure avec plus de soins que jamais.

n° 1576

QU'IL NE FAUT PAS SE RETIRER DE LA COMMUNION

Permettez-moi de vous dire que vous demeurez trop accablée et écoutez trop le mal. Vous n'avez pas assez de retour vers Dieu. Ne savez-vous pas qu'il n'y a que sa bonté qui vous puisse protéger et qu'il ne faut rien espérer que par sa très Sainte Mère, qui peut obtenir tout ce que vous avez besoin. Vous ne prenez pas assez de force où elle est. La communion fréquente vous est absolument nécessaire et vous ne la faites pas assez souvent. Vous vous noyez et abîmez dans la réflexion, et ce n'est pas là où vous trouverez la force et le remède. Il fait bon recourir à Dieu et le recevoir. Il ne faut plus s'en dispenser si vous ne voulez perdre infiniment. Où prendrez-vous des lumières que dans ce divin sacrement ? Et la grâce d'agir comme il veut, dans l'esprit de ce divin Jésus ? Vous ne le pouvez qu'en communiant souvent, et votre coeur ne devrait respirer qu'après ce pain Eucharistique. Vous expérimentez assez votre besoin. Je vous assure que Dieu veut cela de vous, et que si vous y êtes fidèle, vous recevrez des effets de grâce qu'on ne peut exprimer. Je vous les souhaite du même coeur que je suis en tout respect...

no 2464

PETITE MÉDECINE SPIRITUELLE

Je ne puis attendre jusqu'à ce soir d'envoyer savoir de votre santé et si votre sirop vous aura profité. Je le désire avec bien de l'ardeur, mais je ne sais s'il aura la vertu de purger et évacuer l'humeur qui engendre les vapeurs. J'estimerais qu'il y faudrait mettre une certaine drogue qui ne se trouve point dans la boutique d'apothicaire ; il la faut prendre dans le Coeur de Jésus qui est un non-souci de tout ce qui n'est point Dieu et une dragme (1) d'abandon à son amour, avec un scrupule de la sacrée indifférence à toutes les conduites de Dieu qui font un calme et une sérénité merveilleuse.

Souffrez, Madame, que je vous dise ce mot que la tendresse ne peut retenir sans sortir du respect ; qu'il n'y a plus moyen de rompre le cordon qui lie mon coeur avec le vôtre en Jésus. Pardonnez à ma trop grande liberté que l'amour ne peut cacher, quoique je tâche de le renfermer en Jésus Christ pour le purifier en lui, et n'avoir pour vous aucune chose hors de lui, sachant bien que vous ne voudriez pas une affection purement naturelle, parce que vous ne pouvez pas vous contenter de l'amitié qu'un sujet doit à son souverain ; mais qu'elle soit pure, sainte et divine, qu'elle parte du ciel pour y retourner ; et j'ose vous assurer qu'elle est telle et que pour avoir pris racine dans le Coeur de Jésus, elle n'en est pas moins forte et inviolable. L'amitié du monde est une paille qui se consomme au premier feu d'une légère contradiction, mais la dilection sainte qui prend sa source en Dieu, rien d'humain ne la peut rompre. C'est de cette sorte que la liaison de nos coeurs est faite. C'est Notre Seigneur qui les a unis ; la chair ni le sang n'y ont point de part, c'est pourquoi elle sera inébranlable et d'une durée éternelle.

Je l'espère de votre bonté qui le veut bien souffrir et qui me fera justice de croire que je suis d'une manière que Dieu seul connaît, toute à vous.

n° 1096

(1) Mesures de poids au XV 11e siècle :

1 livre = 16 onces. 1 once = 8 dragmes ou gros.

1 dragme = 3 scrupules ou deniers.

I scrupule = 24 grains. 1 grain = 24 carats.

LETTRES INÉDITES

52 CATHERINE DE BAR 53

IL FAUT DEMEURER EN JÉSUS

Je vous prie que je puisse savoir comme vous vous portez, et si votre coeur demeure toujours ferme et uni à Jésus Christ, pour ne faire qu'un même esprit, même amour et un même sacrifice avec Lui. Si votre volonté ne s'en sépare point, vous trouverez toujours une force secrète, et une grâce intime au fond de votre coeur qui soutiendra tout. Je ne doute point de sa protection. Par Dieu, Madame, conservez votre âme dans le calme, et c'est ce que vous ferez facilement si vous demeurez en Jésus que vous avez reçu ce matin, [ce] dont j'ai ressenti une fort grande joie. Tâchez doucement et fortement de vous mettre au-dessus de tous les objets de la terre. Vous êtes citoyenne du Ciel, soyez donc un ange du Paradis, en ne vivant que de Jésus, en Jésus et pour Jésus. Je suis en son amour toute à vous.

n° 1778-

IL NOUS FAUT RÉSIGNER À DIEU DANS L'ADVERSITÉ

J'étais hier si en gronderie contre vous, que je n'osais vous écrire, crainte de sortir du respect, et ma fâcherie était que vous vous faites mourir, et avancez vos jours par votre chagrin que vous ne combattez pas assez, ne regardant pas les choses du côté de Dieu et de sa Providence, sans vous laissez accabler, ce qui ne se peut faire sans imperfection. Vous aurez la bonté de souffrir que je vous en fasse chapitre, et que je vous dise, avec autant de respect que de zèle pour votre sainteté, que vous ne faites pas ce que Dieu veut, vous laissant trop pénétrer des choses qui choquent l'esprit et sont contraire à vos volontés.

Il faut un peu plus d'abandon à Dieu, de soumission à ses conduites, et de foi à ses bontés, autrement vous ne ferez pas ce qu'il veut. Je vous supplie de penser à ceci. C'est une petite leçon que je prends la liberté de vous donner, très cordialement, mais à condition que vous y travaillerez doucement et sans inquiétude. Voulez-vous rendre les grâces de Dieu inutiles en votre âme, et négliger les moyens qu'il vous donne de devenir une grande sainte ? 11 est temps de rendre les desseins de Dieu efficaces en vous. Il vous veut toute à lui, mais en amour et par la voie d'amour, et non par la tristesse et la crainte, qui est la ruine du pur amour et qui le chasse d'un coeur quand on lui donne l'entrée. Certes, si la novice voulait croire la mère maîtresse, elle sortirait bientôt de ses chagrins, et goûterait la joie du Saint Esprit, et la paix des enfants de Dieu qui vivent en foi et en espérance certains des promesses de Notre Seigneur qui sont infaillibles.

Plût à Dieu que l'on pût tenir de près cette chère novice : on ne lui

permettrait pas de s'accabler par tant de réflexions inutiles, et des

• retours qui sont sans fruits. Votre expérience vous doit rendre plus dépendante du bon plaisir de Dieu, et augmenter votre foi, sans troubler un moment votre paix. Mais disons que cette aimable novice fuit la mère maîtresse pour ne point sortir de la douleur et de la peine qui détruit sa santé et qui afflige puissamment ceux qui l'honorent et estiment parfaitement...

no 1549

IL FAUT SE CONFIER ET ABANDONNER TOUTE À DIEU

Mon âme se trouve en la présence de Notre Seigneur Jésus Christ toute remplie de vos intérêts, qui fait que, sans cesse, nous offrons à Dieu nos humbles prières pour vos intentions , mais d'une manière toute particulière pour votre sainteté, ne pouvant penser aux conduites

de la Providence divine sur votre Maison, que je crois que Dieu

.

a dessein de la sanctifier , et que s'il l'a prive sur la terre de la gloire et du repos, la renversant comme celle du saint homme Job, il la relèvera un jour dans le Ciel plus glorieusement. Et ce qui me console dans tous ces événements fâcheux, c'est de voir votre Maison s'élever saintement au-dessus de toutes choses, pour ne rien estimer que la possession de Dieu.

Oh ! que vous êtes heureuse de vous savoir tenir ferme parmi les tempêtes de cette mer orageuse, dans le sacré abandon de tout vous même à Dieu. C'est dans cette confiance et cette foi admirable que vous goûterez la paix et la tranquilité, tandis que les créatures se perdent et se consomment dans les embarras de la vie humaine.

Je vous supplie humblement de vous tenir intérieurement le plus dégagée que vous pourrez, afin de conserver votre âme et la tenir dans une sainte liberté, par laquelle vous jouirez de la douce et amoureuse union avec Dieu d'une manière très facile, et expérimenterez ses bontés infinies et les soins qu'il prendra pour le bon succès de vos affaires. Vous verrez qu'il en fera plus en une heure que tous les hommes avec toutes leurs industries et empressements. C'est une très haute grâce qu'il vous fait de ne faire aucun cas des choses de ce monde. Cette disposition vous tient séparée de la corruption. aussi n'êtes-vous pas du monde. Vous êtes à Dieu, créée pour Dieu, sortie de Dieu, et obligée indispensablement de retourner à Dieu. Tous les moments de votre vie vous y doivent rendre. Je le prie, Madame.

LETTRES INÉDITES 55

54 CATHERINE DE BAR

de vous y attirer si fortement, par les chaînes sacrées de son Divin amour, que vous en soyez toute embrasée, et que dans la durée de l'éternité, vous le glorifiez avec les bienheureux.

C'est le plus ardent désir de mon coeur pour vous, à qui je suis avec profond respect ...

no 2187

IL FAUT DEMEURER DEVANT DIEU DANS L'ABÎME DE SON NÉANT

les contradictions de la vie qui sont ordinairement inévitables. C'est l'impossible de passer la vie en repos dans tant de fâcheuses vicissitudes si l'on a son retour à Dieu et qu'on ne se retire en lui-même.

C'est ce que vous tâchez de faire, Madame, et ce que je prie Notre Seigneur d'accomplir en vous par sa grâce et par son amour. Pardonnez à ma témérité, c'est sans sortir du profond respect avec lequel je suis...

no 1097

DIEU EST SANS CHANGEMENT

Je ne puis attendre l'honneur de vos lettres, étant dans l'inquiétude de votre santé. Je crois que mes plus fréquentes applications, après Jésus Christ et sa très sainte Mère, sont à votre très honorée personne, ne vous oubliant pas même la nuit.

Nous prions et adorons Dieu ensemble pour vos affaires, vos intérêts étant les miens ; et si j'osais vous parler comme aux personnes du commun, je dirais qu'il se fait en Jésus, par Jésus, des liaisons intimes entre nous ; mais je ne vous parle pas de la sorte, je serais trop hardie. C'est assez dire que Notre Seigneur fait ce qu'il lui plaît, et comme il lui plaît. Je sais que je ne suis rien et jamais je ne perds la vue de mon néant et le sentiment de mon indignité ; c'est ce qui me tient devant Dieu qui connaît tout, et cela me suffit ; il sait ce qu'il imprime en moi pour vous. Quand je serai bien à Dieu, vous expérimenterez ce que je vous suis en son amour et en son divin Esprit.

Prenez courage, et remettez-vous en Dieu, en son bon plaisir. Adorez les conduites de son aimable Providence qui retarde les moments heureux de votre chère et précieuse solitude. Tâchons de la faire au milieu et fond de notre coeur, en attendant que nous puissions fuir les créatures pour nous aller ensevelir toutes vivantes, où nous n'aurons plus d'autre occupation que d'aimer et contempler celui qui doit être l'objet éternel de notre amour et de notre félicité. O Madame, un peu de pain et un verre d'eau suffisent pour rendre une âme parfaitement heureuse quand elle a Dieu ! Oh ! quand serons-nous en ce bienheureux séjour où Dieu seul sera notre unique vie ? Hors de là ce n'est que langueurs, soupirs et larmes. Le coeur de l'homme ne peut être satisfait que de Dieu, et quand il est privé de cette délicieuse possession, il ne ressent que de l'amertume, et c'est le paiement que nous recevons dedans le tracas des créatures, si notre âme n'a pris cette sainte habitude de se retirer en Dieu, laissant tout le crée dans le néant, pour se tenir cachée en Jésus-Christ, chez Dieu. Si nous n'apprenons à faire cette douce retraite, nous serons en hasard d'être souvent troublées par

Si j'avais le don d'agilité, je me trouverais souvent à vos pieds pour apprendre de votre santé. Laissez tout chagrin, et mettez tout en oubli, et négligez les créatures ; Oh ! qu'il fait bon être à Dieu qui ne change point et est toujours lui-même ! Vous le savez par l'expérience que vous en faites incessamment.

Tenez-vous ferme et fortement attachée à sa bonté, par une confiance inébranlable - QUI A DIEU A TOUT, et qui ne veut que sa très sainte volonté trouve son repos et sa joie partout. Je ne puis m'empêcher de me désirer à vos pieds pour vous protester comme je vous suis sans aucune réserve, avec respect...

no 2682

DE LA PATIENCE ET CONFORMITÉ À DIEU

Pourvu que je sois assurée de votre santé, il me suffit. Ce mot est pour vous en demander ; ne voulant vous importuner, mais seulement assurer votre chère personne que je pense à ses maux et aux moyens de vous en délivrer. Je l'espère de celui à qui rien n'est impossible, et qui ne peut éconduire l'âme qui se confie_ entièrement en lui, comme vous tâchez de faire. Il y faut persévérer et dire avec le saint homme Job : «Quand il m'aurait tué, j'espérerais en sa bonté». Voilà la foi vive et animée qui transporte les montagnes et qui opère des miracles. C'est de cette foi pure que le juste doit vivre, et qui vous doit agir puisque vous êtes écrite au livre de vie, et que vous êtes du précieux nombre des prédestinés. Réjouissez-vous dans cette amoureuse confiance; vos maux finiront un jour et la joie et le repos éternel succè-deront sans fin, et cela sera bientôt. Courage, souffrons avec amour

56

LETTRES INÉDITES 57

CATHERINE DE BAR

dans cette belle espérance qui a tant donné de force et courage aux martyrs, et qui les faisait chanter- délicieusement au milieu des flammes et de leur plus violent supplice : « DOMINUS ILLUMINATIO MEA ET SALUS MEA QUEM TIMEBO ? DOMINUS PROTECTOR VITAE MEAE, A QUO TREPIDABO ?» (l). Que peut-on craindre quand Dieu est notre protecteur, notre lumière et notre salut ?

no 2510

(I) •I's XXVI,I-3

POUR LA FÊTE DE SAINT DENIS

Oui Madame, le Saint Sacrement est exposé demain en notre église par fondation de N . qui a été faite fille de l'Eglise ce jour-là.

Je rends grâce à Notre Seigneur de votre meilleure santé, et le prie instamment vous l'augmenter jusqu'au point que je le désire, afin que vous la puissiez employer à la gloire de Dieu et à votre sanctification. Je crois que vous y pensez tous les jours, et ne passez aucun moment de la vie que vous n'aspiriez à la sainteté où la grâce de Jésus Christ vous appelle et vous a destinée. Je prie le grand saint Denis vous donner un peu de part à son esprit d'oraison, et au parfait amour qui consomma son coeur, et 'qui l'a rendu capable d'un très rigoureux sacrifice de martyr. C'est la joie et le plaisir des saints de souffrir et de mourir pour Dieu, et se voir une victime unie au sacrifice de Jésus Christ.

Je crois que si j'avais l'honneur de vous voir que je ne vous connaîtrais plus, tant vous avez fait de progrès dans les voies de la grâce, et ne vous trouverais plus parmi les créatures, mais en Dieu, où vous vous êtes retirée, pour converser intérieurement, comme dans un Ciel avec lui où les Trois Personnes de l'auguste Trinité habitent incessamment, et y faites votre Paradis. En terre c'est la vie de pure foi qui vous met dans ce bienheureux séjour, que je nomme l'avant courrier de celui de la gloire.

Si vous y êtes je me réjouis infiniment plus de ce bonheur que de vous voir comblée de toutes les fortunes de la terre, qui ne sont en toutes leurs grandeurs qu'une fumée et affliction d'esprit. Mais en Dieu servir (à lui) c'est régner et être au-dessus de toutes les disgrâces des temps : «GUSTATE ET VIDETE QUONIAM SUAVIS EST DOMINUS>k Ps XXXIII,9.

n°2439

(1) PS. XXX1I1- 9.

Le Ms P110 ajoute en finale : A Dieu, Madame, je vous laisse à Dieu pour jamais.

LA VOLONTÉ DE DIEU TIENT LIEU DE TOUTES CHOSES

Notre Seigneur, par sa conduite Madame, fait connaître à votre âme qu'il prend plus de plaisir aujourd'hui que vous l'adoriez sur la croix que sur l'autel. C'est pourquoi il la met dans l'impuissance de venir dans la pauvre petite maison et solitude du très Saint Sacrement. Il faut aimer sa très sainte volonté et s'immoler à son bon plaisir. En quelque état que son aimable Providence nous mette, servons-lui à sa mode, et non selon nos inclinations. Tous les accidents qui rompent nos desseins, nous donnent moyen de mourir à nos désirs, en sacrifiant incessamment tous nos petits projets. Je crois que vous en faites souvent. De même, les occasions ne manquent point à votre personne; il faut tâcher de bénir Dieu en tout, et s'accoutumer doucement à ses conduites. C'est ainsi qu'il agit pour perfectionner ses élus. J'entre en conformité de disposition avec vous sur ce sujet, souffrant la privation de votre chère personne, qui m'est la plus sensible du monde, puisqu'il le veut. Je le prie de tout mon coeur que votre mal n'augmente pas. Je m'en vais prier Notre Seigneur pour cet effet.

no 2294

L'ÂME UNIE À DIEU EST INCAPABLE DE CHANGEMENT

Je fus- hier au soir bien consolée de la lettre qu'il vous a plu m'honorer. La sainte résolution d'être de plus en plus à Dieu que jamais a réjoui mon pauvre coeur, étant certaine que si vous êtes fidèle, la moitié de vos affaires se consommeront en Dieu par les pures flammes de son amour, sans quasi les ressentir. Mais il faut un peu tenir ferme, si vous voulez vous délivrer de mille petites amertumes que les vicissitudes de la vie causent à tout moment ; il s'en faut défendre, en se tenant fortement attachée à Dieu, par une foi vive, adorant son immutabilité divine qui le rend toujours égal à lui-même, et incapable d'aucun changement. L'âme qui vit de Dieu, en Dieu, participe à ses adorables qualités, elle devient immuable, se tenant étroitement unie à Dieu, disant avec le prophète : « Que veux-je au ciel, ni en la terre ? Sinon, vous, mon Dieu ». Je sais bien que le monde n'a rien d'aimable et qu'il n'a aucun charme pour Nous' y lier; vous n'y voulez pas même avoir aucune part. Mais quoiqu'on ne l'aime pas, il ne laisse pas de vous produire mille sujets d'inquiétude, si nous ne savons bien nous tenir cachées en Jésus Christ, en Dieu ; car il faut tâcher de n'en jamais sortir, afin que les choses humaines ne nous séparent point de notre

58 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 59

amoureuse union avec Dieu, que le démon ne peut souffrir. J'attends de vos nouvelles avec confiance en la bonté de Dieu que nous prions sans cesse.

no 978 Cette lettre est donnée selon le Ms : DR p 669.

LAISSER RÉGNER JÉSUS, DIEU SEUL

de le connaître en simplicité de grâces. Quand on fait ce que l'on peut, il n'en demande pas davantage. Je le prie de vous tirer au-dessus des créatures et de vous lier et attacher et abandonner tout à lui ; et vous verrez que la paix s'établira dans votre coeur et que vous jouirez en terre d'un paradis. Je vous le souhaite du même coeur que je suis avec un profond respect...

no 2958 Ms : P110 Les lettres suivantes sont toutes prises dans ce manuscrit.

J'ai reçu hier au soir une grande joie, lorsque j'appris par celle dont il vous a plu m'honorer que votre santé est meilleure et que nous aurons l'honneur de vous voir demain. J'éconduirai toutes choses et dirai mes Patenôtres dès le matin, afin d'avoir un grand loisir. Oh, qu'il y a longtemps que je n'ai possédé cette grâce ! J'en suis dans l'impatience, et j'apprends que le mauvais temps me joue un tour, vous empêchant de m'écrire. J'ai depuis de longues années expérimenté que tout ce que je désire avec grande ardeur, la Providence ne me le donne pas. Si j'avais moins de tendresse, je serais moins ardente, je n'en perds pas pourtant l'espérance. Si vous avez beaucoup de choses à nous dire, j'en ai aussi de ma part. Si la Providence me mettait dans un coin à vos pieds, nous parlerions de Dieu tout à notre aise, et prendrions les moyens de bien faire ses aimables volontés, et de ne nous occuper que de lui. O heureuse vie qui se passe de Dieu en Dieu et pour Dieu ! Elle n'est point remplie d'amertume comme la vie du monde, elle participe à la paix du paradis et à la joie du Saint Esprit, qui est dans l'intime de l'âme et du coeur, qui opère en amour ce qui ne s'exprime point, mais qui est plus suave que toutes les délices de la terre. Aimons donc vite vitement Celui qui est seul si uniquement aimable. Je vous supplie très humblement de l'aimer et adorer pour moi.

no 763 Cette lettre est donnée selon le Ms : DR p 673

EXHORTATION A LA PATIENCE

Votre chère lettre me navre le coeur. Mon Dieu, que la conduite des hommes est différente de celle de Dieu ! Quand sera-ce que son divin Esprit sera notre guide et que les créatures ne le contrarieront plus ? Madame, prenez courage, je vous promets que Dieu prendra un soin tout particulier de vous et de toutes vos affaires. Prenez une bonne résolution de bien faire ce que Dieu demande de vous, et tâchez

La Providence ne me donna pas hier un petit moment de temps pour achever une lettre que j'avais commencé de vous écrire après Matines. J'en fus fort mortifiée. Mon esprit se trouve souvent à vos pieds, Madame, et je pense souvent à vos affaires, plus qu'aux miennes propres. Votre salut m'est précieux, mais mon souhait serait que vous tendiez généreusement à la sainte perfection, puisque Notre Seigneur nous dit : « Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait » (1). Je vous conjure humblement Madame d'y travailler, et commencez tout de bon ce Carême à vous rendre à Dieu, et de profiter en son amour.

Nous en reparlerons jeudi, si vous venez au Saint Sacrement.

no 1912

(1) Mt V-48.

REMERCIEMENTS D'UNE RELIQUE

QUI LUI AVAIT ÉTÉ DONNÉE

C'était bien mon dessein de rendre aujourd'hui à votre chère personne mes très humbles actions de grâce, du précieux trésor que nous possédons par votre autorité (1). J'espère que vous viendrez visiter cette sainte relique qui a rempli, en entrant dans cette maison, toute la communauté d'une joie toute extraordinaire. C'est une consolation infinement grande de posséder un si rare dépôt. Je ne doute point que votre âme n'en reçoive de grandes grâces. Nous prierons cette Sainte de vous faire part du grand amour qu'elle avait pour Dieu et que vous puissiez marcher sur les vestiges de ses excellentes vertus. Mon Dieu, que les

(I) En 1660, la duchesse d'Orléans fit don à Mère Mectilde du corps entier de sainte Ide. mère de Godefroy de Bouillon, qui se trouvait dans l'église abandonnée de Saint-Waast à quelques kilomètres de Boulogne-sur-Mer. A la révolution, les ossements de sainte Ide purent-être transportés en notre monastère de Bayeux où ils sont toujours en vénération. Cf. Hervin Vie de Mère Mectilde. p. 400, et aussi : Catherine de Bar, Documents historiques, p. 109.

60 CATHERINE DE BAR

saints sont aimables ! Heureuses les âmes qui aspirent à la sainteté, qui oublient les créatures pour se souvenir du Créateur, et qui se séparent de la terre pour converser au Ciel. Dieu me fasse la grâce de vous y voir.

J'embrasse vos pieds et vous souhaite une bonne nuit.

no 225

ELLE TÉMOIGNE LE PLAISIR QU'ELLE AVAIT À LUI ÉCRIRE

Si je suivais mon inclination, vous seriez trop souvent importunée de mes lettres ; mais je fais autant de sacrifices que je me prive de cette consolation, sachant bien que je ne puis rien dire qui soit capable de vous réjouir si ce n'est de lui parler de la félicité des saints, dont vous grossirez un jour le nombre.

Je voulais, quoique très indigne, vous en écrire samedi quelque chose ; mais le souvenir que le bon père N... vous pouvait entretenir sur ce ravissant sujet, plus efficacement que je ne pouvais faire, je lui en laissais la commission, croyant qu'il vous en ferait participante. Je remarque des mystères ineffables dans la conduite que Dieu tient sur votre âme. Si vous y faites un peu de réflexion, vous verrez visiblement que votre coeur doit être tout séparé de la terre, qu'il doit tellement tout remettre en Dieu que vous ne vous y trouviez que par son ordre. Il faut faire place à l'esprit de Jésus qui veut occuper le fond de votre âme. Si vous pouvez le laisser faire, vous verrez comme il vous mènera dans les voies de la sainteté ; c'est votre vocation. Il vous commande d'y aspirer lorsqu'il vous dit : « Soyez saint, parce que je suis saint » (1). Il ne faut pas douter que ce commandement soit sans grâce, et sans moyen d'y parvenir, et comme Notre Seigneur demande nôtre sanctification infiniment, il nous donnera tout ce que nous aurons besoin pour nous sanctifier. Commençons d'être fidèle à correspondre aux desseins de Dieu sur nous ; nous ne pouvons nous en dédire. Je crois que vous le voulez de tout votre coeur. Le petit livre de la contemplation vous mènera droit à Dieu pour vous reposer dans son Sacré Coeur. Or le Coeur de Dieu n'est autre chose que la divine volonté, mais d'une façon toute pleine d'amour et de confiance : « Gustate et videte quoniam suavis est Domine ».

Nous attendions le Gardien (2) pour savoir s'il voudra loger le P.N..., mais au nom de Dieu avant que de l'arrêter, voyez devant Dieu si Notre Seigneur met de l'onction dans ses paroles pour élever votre âme en l'amour de notre Divin Sauveur. J'attendrai votre volonté.

LETTRES INÉDITES 61

Ne vous gênez point, gardez votre paix intérieure et sainte liberté que Notre Seigneur vous a donnée, et „tâchez de l'aimer du pur amour avant que de mourir.

no 2689

(1) Lév. XI, 45.

(2) Le Père Gardien : Supérieur d'un couvent de frères mineurs de l'Ordre de Saint-François.

SUR SES CROIX CONTINUELLES

J'ai lu la lettre du Père N... où je vois quasi toujours la même chose. Je veux dire qu'elles sont toujours assaisonnées du goût de la croix. Vous n'en recevez guère de ce côté qui ne porte ce caractère. Vous en seriez accablée si vous étiez accoutumée à digérer de tels morceaux ! Mais, Dieu merci, vous êtes la femme forte dont l'Ecriture parle. Vous ne vous troublez point de tout ce que les hommes disent, ni de ce qu'ils font. Vous avez fixé l'ancre de votre espérance en Dieu, rien ne vous peut ébranler.

Dieu est ! c'est une grande vérité, ce qui donne une merveilleuse consolation aux âmes de foi qui se reposent en lui et qui attendent tout de sa bonté. Ne perdez point votre repos, n'altérez point votre paix. Dieu est, et c'est tout dire à qui le peut entendre. Il est non seulement ce qu'il est en lui-même, mais il est en vous ; il est avec vous ; il est pour vous. Il est en vous pour soutenir et animer votre être ; il est avec vous pour agir et opérer ; il est pour vous défendre et protéger. Il est votre lumière, il est votre conseil, il est votre force et votre vertu.

Mais il est votre Père. Si vous demeurez en lui, il demeurera en vous. Croyez donc d'une foi certaine et qui n'hésite point, qu'il prend un soin singulier de tout ce qui vous touche ; que non seulement il pense à vous sanctifier, mais qu'il s'applique jusqu'à un cheveu de votre tête, qui ne tombe point sans sa permission. O si notre Père céleste a soin d'une si petite chose, que n'aura-t-il point pour tout le reste ? Et si vous savez bien tout lui remettre entre ses divines mains, que ne fera-t-il pas en faveur d'une âme si elle se confie en lui de la bonne manière, sans tant de retour sur l'indignité de sa créature? Hélas il sait bien que l'homme est pécheur et cependant il ne refuse point son secours. Nul ne connaît expérimentalement les bontés de Dieu qui ne s'abandonne totalement entre ses mains, remettant tous ses intérêts à son aimable Providence. Où est celui qui s'est confié en lui et a été confondu ? Là où les moyens humains manquent, sa puissance ne manquera pas, si sa sagesse infinie juge que les choses soient utiles à sa gloire et au salut de'ses créatures.

62 CATHERINE DE BAR

C'est ici où vous pouvez exciter une foi toute divine, appuyée sur les bontés de Dieu, sur son infallibilité en ses ouvrages, et sur son amour en sa conduite sur vous et sur ce qui vous touche. Dépouillez-vous autant que vous pourrez des vues humaines, vous attachant uniquement au bon plaisir de Dieu, afin que les embarras de la vie ne troublent point la tranquillité de votre coeur, ne regardant jamais les choses que comme Dieu les regarde, ne les voulant que pour lui, ne les faisant que pour lui et n'y prenant de vie qu'en lui. Ne perdez parmi vos tracas les moments de votre sainteté. Allez toujours droit à Dieu sans vous détourner ni à droite, ni à gauche. Dieu, Dieu suffit à l'âme qui sait aimer. Aimez et pensez à Dieu, et Dieu pensera à vous et à vos affaires pour vous.

no 708

LES GRÂCES PARTICULIÈRES D'UNE BONNE ÂME

Je crains, Madame, que la grande chaleur ne vous empêche de venir, ce qui me fait avoir l'honneur de vous écrire ce mot pour vous dire qu'il n'y a nul traité de ce qu'on se doutait. Dieu voit tout, il faut s'en remettre à sa très sainte volonté. Quand vous avez fait tout ce que vous avez pu, il faut attendre d'en haut le succès que vous désirez, et cependant s'en remettre tout à Dieu, voyant toutes choses dans la conduite de sa Providence, dirigée par sa divine sagesse. Rentrez en Dieu et vous fortifiez en son amour, et sans plus attendre, employez les moments de votre vie à vous sanctifier de plus en plus.

La bonne âme, dont je vous ai parlé, se rendra ici un des jours de notre sainte octave, celui qu'il vous plaira, pour avoir l'honneur de vous faire la révérence : elle vous honore d'autant plus parfaitement qu'elle vous regarde comme une prédestinée, et je puis vous assurer que cette personne n'est pas du commun en élévation de grâce ; mais comme elle ne veut pas être connue en son degré d'union à Dieu, elle se tient fort petite et indifférente et sans aucune affectation. Je serais bien aise que vous la connaissiez. Elle vous obtiendra du ciel bien des bénédictions, étant certaine qu'elle y est bien puissante ; elle a des dons sublimes, même de prophétie. Mais au nom de Dieu, qu'elle ne sache pas ce que je vous en dis. 11 la faut laisser en Dieu, jusqu'à ce qu'il la manifeste. J'assure votre piété qu'elle prie Dieu pour vous de la bonne sorte.

LETTRES INÉDITES 63

DE LA SOUMISSION À LA VOLONTÉ DE DIEU

Je ne sais si nous devons avoir de la joie des nouvelles que l'on me vient d'apporter. Je prie Dieu qu'il en tire sa gloire. Il le faut bénir de tout et dire de coeur et de bouche : « Fiat voluntas tuas ».

Les conduites de Dieu sont si admirables que souvent les créatures n'y peuvent rien pénétrer. Il s'y faut soumettre à l'aveugle et tâcher de ne point perdre la paix et la tranquillité de l'âme. Il vaut mieux posséder la grâce et l'amour de Jésus Christ que de gagner tous les empires du monde. Il faut mourir et tout perdre pour avoir le paradis. Les croix, les souffrances, les mépris, etc... servent de monnaie pour l'acheter. Vous avez l'avantage d'en être partagée suffisamment pour l'emporter. Courage Madame, vos maux n'empêcheront que vous ne deveniez une grande sainte, en vous sacrifiant comme une victime d'amour au bon plaisir de Dieu.

C'est dans cette humble disposition que vous trouverez le remède infaillible à vos maux, et que votre âme se perfectionnera d'une excellente manière. Dieu vous aime trop pour vous laisser sans souffrance, puisque c'est le bois et la matière qui tiennent le feu de son divin amour allumé dans votre coeur ; et si vous n'en voyez. les flammes, c'est la cendre des petites répugnances de la nature qui les couvre. Elles ne laissent pas de brûler imperceptiblement et de consommer mille inclinations de l'amour-propre, qui se trouve souvent en captivité et qui gémit sous le poids de la puissante main de Dieu qui le terrasse de la sorte, dans tout ce qui me paraît des miséricordes divines sur vous.

Dieu vous veut faire sainte et je le prie qu'il vous donne la grâce nécessaire pour y correspondre, et qu'en perdant tous les jours les créatures, vous trouviez plus facilement et abondamment le Créateur. Je sais Madame que c'est votre unique désir et la félicité où votre âme aspire, étant trop bien persuadée qu'il n'y a que Dieu seul qui la peut satisfaire et rassasier. En vérité tout le reste ne vaut pas une pensée, ni un moment d'inquiétude, quelque renversement qu'il puisse arriver (1).

Nous fûmes jeudi toutes mortifiées de ne vous point voir dans la petite maison du Très Saint Sacrement. C'est au pied du saint autel Madame où vous recevez une force divine, capable de vous faire tout surmonter et de tenir votre coeur dégagé de toutes choses, pour demeurer en Dieu seul, et y vivre de son pur amour. Je le prie de régner si fortement sur tout votre être qu'il ne soit vivant, ni animé, que de son Esprit. C'est l'ardent désir de...

n° 1192

(I) Le Ms elio termine ici cette lettre. Le dernier paragraphe y figure comme un court billet séparé

Les MsTII et P121 font une seule lettre de ces 2 textes.

no 929

64 (-A I rILKI IN C. LJE. OMR

LETTRES INÉDITES 65

SUR L'ACCABLEMENT OÙ LA RÉDUIT LE CHAGRIN

C'est une impossibilité que vous puissiez résister longtemps à vous laisser ainsi accabler dans vos afflictions. Notre Seigneur veut que votre âme s'élève au-dessus de tout ce qui l'environne, et que vous vous attachiez doucement à Dieu, que vous le possédiez en foi, en vous-même, sans le chercher plus longtemps et que vous vous renru-veliez en son esprit. Il faut faire faire un petit effort à la nature souffrante, que je vois quasi sans plus de vigueur. Il ne faut pas qu'une si belle victime soit consommée d'un autre feu que du pur et divin amour ; ce serait manquer aux desseins de Dieu sur votre âme qui ne peut ignorer que sa conduite ne soit la douceur et l'amour qui la fait reposer en Dieu par une simple remise de tout elle-même à sa sainte Providence, lui abandonnant tout pour ne plus s'inquiéter d'aucune chose.

Je sais bien que cette pratique est fort difficile à un esprit plein de vivacité qui, pénétré, voit dans un moment plus que les plus éclairés ne lui sauraient dire. Je l'avoue, mais il faut un peu plus simplifier, ou du moins négliger les vues de l'esprit, et là où il n'y a point de remède, ou qu'il n'est pas à notre puissance, il faut s'en remettre à la bonté de Dieu avec une humble résignation et confiance. Je suis certaine que si nous avions un peu plus de foi, nous verrions souvent des miracles dans nos affaires, mais le plus grand serait la paix et la tranquillité du fond. intérieur. J'ai un ardent désir que vous possédiez cet état, que vous soyez si intimement unie à Jésus que vous soyez inaltérable au milieu des vicissitudes de cette vie, qui n'est composée que de vanité, inconstance et d'affliction d'esprit. C'est pourquoi il n'y faut tenir que passagèrement usant des choses comme si on n'en usait point, demeurant libre au milieu des embarras, appuyée sur cette vérité infaillible : Dieu est. C'est sur cette vérité que je vous ai humblement suppliée d'employer un quart d'heure chaque jour, pour vous en occuper en foi. Voici comment : à l'heure du jour la plus libre et commode, il faut que vous vous renfermiez dans un cabinet où, à genoux ou assise si vous ne pouvez autrement, et, par un .acte de foi simple, croire Dieu présent dans l'intime de votre âme, le croire sans distinction, dans tous ses attributs et perfections divines. On peut dire : « Mon Dieu, vous êtes, je vous crois ce que vous êtes,' et je me crois un pur néant en votre sainte Présence ». Après ces paroles ou autres que le Saint Esprit inspire, il faut demeurer en silence dans un profond respect de cette grandeur infinie, s'abîmant profondément, laissant toute. opération, raisonnement et considération, pour se laisser abîmer dans ce Tout adorable. Il faut captiver durant cè quart d'heure les actes de l'esprit, pour ne ressentir que les touches délicates du Saint Esprit, dans l'intime du coeur. Ne croyez pas que ce soit perdre le temps ; si vous y êtes fidèle, vous verrez que cette oraison renferme un trésor de grâce inépuisable ; mais comme les commencements sont un peu difficiles, vous ne la ferez qu'un quart d'heure ; mais que ce soit sans y manquer, et si vous nie faites la grâce de venir, nous en parlerons plus particulièrement. Apprenons à vivre ici-bas comme les saints dans le Ciel et à faire en terre l'exercice que nous espèrons de faire durant toute notre éternité. Aimons, adorons et possédons en nous le même Dieu qui fait la gloire et la félicité des bienheureux. Ainsi soit-il.

no215

LE COEUR DE JÉSUS EST LE CENTRE DE NOTRE REPOS

Vous me fîtes hier beaucoup de grâces de m'assurer de votre santé. C'est une nouvelle qui me donne bien de la joie. Je prie Notre Seigneur

qu'il vous la continue. Mais avec toutes les bénédictions que je vous souhaite, vous serez dans un parfait repos, par une sainte union et transformation au sacré Coeur de Jésus, qui est le bienheureux centre de votre âme, où vous aspirez depuis si longtemps. C'est en vérité, le vrai et essentiel repos.

Toute la terre et les créatures ne sont qu'amertume et affliction d'esprit, vous le savez ; et le plus sensible regret de notre âme à la mort, sera de n'avoir pas séparé notre coeur de tout le créé et de l'avoir préféré souvent à l'amour de Jésus, en nous' laissant trop préoccuper l'esprit des choses humaines. Allons à Dieu tous les jours, avec une sainte résolution de ne rien faire que pour lui, de ne rien désirer hors de lui et de ne rien aimer qu'en lui.

Voyons et faisons tout dans cette immensité adorable dans laquelle nous nageons comme une éponge dans la mer. De quelque côté que nous nous tournions, nous sommes en Dieu, nous nous mouvons, nous vivons et respirons en lui, mais c'est souvent sans y penser. Gardons-nous de continuer nos petites négligences et hâtons-nous de nous rendre attentives à cette Présence admirable. Jésus mérite bien nos regards. Il les faut souvent arrêter sur ce divin objet et nous souvenir de cette précieuse leçon que Dieu fit à Abraham : « Marche en ma Présence et tu seras parfait ». Voilà une loi de perfection très aimable, très douce et très suave. En nous y rendant fidèles, nous participerons au souverain bonheur des saints, qui est de posséder Dieu en ce monde par la foi, en attendant que nous le possèdions au Ciel par la gloire. Une âme qui ne prend plus de satisfaction aux objets de la terre n'a pas beaucoup de peine à converser avec Dieu

66 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 67

et d'y prendre toutes ses complaisances. Soyez bien aise de n'avoir plus de joies .parmi les créatures, afin que désormais, vous les preniez toutes en celui qui vous aime d'un amour éternel et infini.

Je le prie qu'il vous consomme de ses plus précieuses flammes et qu'il me rende digne d'être, avec tous les profonds respects que je vous

dois, toute à vous.

no 3097

Voici la lettre de Monsieur l'abbé... que je vous renvoie et vous souhaite le bon jour, rempli d'autant de bénédictions que j'en voudrais pour moi, mais surtout d'un ardent amour de Jésus-Christ. C'est ce que je demande pour vous afin que, par les adorables opérations de ce feu divin, votre âme soit élevée de telle sorte à Dieu, qu'elle soit inaccessible à toutes les choses de la terre, mais singulièrement à celles qui peuvent vous donner du déplaisir. Certes, il n'y a que l'union du coeur à Dieu qui puisse soutenir sans abattement les amertumes de la vie. On ne peut, en ce monde, être sans contradictions. La Providence divine se mêle même d'en fournir des occasions, mais si nous savons bien adorer la main qui nous blesse, nous trouverons le bien dans nos maux, et la vie dans la mort. Il faut pour cela se tenir unie à Jésus et ne vouloir rien que le bon plaisir de son Père, comme il ne voulût que sa très sainte volonté.

Voyez-vous toujours, Madame, comme une petite boule de cire dans la main de Dieu, pour être formée selon son plaisir. Soyez sans choix et sans désir, afin que vous soyez capable de l'opération de son pur amour. Ne mettez rien de vous en vous, mais laissez-vous toute, sans réserve, sans crainte et sans réflexion, à celui qui a plus de bontés pour vous que vous n'en pourrez jamais avoir pour vous-même. Vivez de foi, de confiance et d'amour. C'est la voie de la grâce en vous et le dessein de Dieu sur vous. Votre humilité veut bien souffrir que je vous parle de la sorte.

no 2933

Je viens vous souhaiter le bonjour et vous demander l'état de votre mal. Dieu veuille que tout soit mieux qu'il n'était hier. Toute la communauté va communier pour votre santé, la demandant à Dieu par Jésus Christ et l'intercession de sa très sainte Mère ; et qu'il vous donne toutes les grâces dont vous avez besoin, et singulièrement une confiance amoureuse et une paix inébranlable. C'est le fruit du Saint-Esprit ; quand une âme la possède, elle en goûte les effets qui sont admirables. Je le prie qu'il achève en vous la sainteté qu'il y a si bien commencée, perfectionnant cette grande multitude de grâces qu'il vous a données dès votre enfance, et qu'il vous a conservées heureusement parmi la corruption du monde.

Vous portez la marque des prédestinées, il est très vrai ; mais continuez, parce que vous savez que celui qui n'avance, recule. Or, en fait de perfection chrétienne, il ne faut jamais désister de tendre à Dieu de tout le coeur, de se conformer à son bon plaisir et d'espérer en sa sainte bonté, qu'il fera par sa grâce ce que nous ne pouvons faire, quoique nous ayons bonne volonté. Il faut aimer notre dépendance d'une bonté si ineffable et qui nous aime d'un amour infini. Faute de foi et de confiance nous n'expérimentons jamais les sacrés effets de cet amour ; nous ne connaissons point ses conduites amoureuses, ni les soins paternels de son aimable Providence. Il faudrait que l'âme soit toute remise en Dieu, qu'elle attendît tout de sa bonté, qu'elle ne se mît en peine de rien que de lui plaire. Elle verrait dans la suite ce que ma plume n'est pas capable d'exprimer, mais que les bons et fidèles serviteurs de Dieu savent bien goûter et expérimenter. Je vous désire toutes ses précieuses bénédictions.

no 1618

Si la mère maîtresse osait, elle imposerait pénitence à la chère novice, toutes les fois qu'elle penserait qu'elle lui est à charge et que, sous ce prétexte, elle réserve dans son coeur les déplaisirs et les amertumes de son âme. Elle n'ignore pas que la grande marque d'amitié c'est la confiance; or la mère maîtresse n'en demande point d'autre que celle qui peut soulager son aimable novice. Il y a des choses qui se peuvent dire sans conséquence et qui ne laissent pas d'être en nous des objets de douleurs. Pourquoi les retenir puisque la suite les rend publiques, et que cette novice pourrait un peu, en les disant, diminuer l'angoisse de son coeur ? Quand la plaie est découverte, le mal est à demi guéri, du moins il n'est pas si dangereux. Je sais que ce n'est point un défaut de confiance, quoique la mère maîtresse en soit indigne, mais c'est que la novice se rebute de soi-même et ne prend consolation en rien. Il est vrai aussi que rien d'humain n'est capable de la consoler ; mais les choses de Dieu la peuvent fortifier et encourager à soutenir les croix qui sont dans l'ordre du bon plaisir de Dieu. Il faudrait se faire une petite violence et l'impossible deviendrait facile; avec la grâce on peut tout. Je retiens mon sentiment pour ne point gronder trop fort la précieuse novice. Mais je la supplie très humblement de venir voir la mère maîtresse, si elle ne veut subir une petite correction ; si elle

68 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 69

engagée à Dieu de la pousser doucement jusque dans le Coeur de Jésus

tarde elle oubliera sa leçon, et le quart d'heure que deviendra-t-il ?

N'en rendant point de compte s'il se fait ou non. Cependant je suis il est trop court et trop cher : le sang de Jésus Christ en est le prix.

votre âme ne cesse de le chercher jusqu'à ce que vous le possédiez. Il nous le donne pour l'aimer : ne désirons plus rien que lui et que

Christ où elle doit trouver la vie, le repos et la joie que le monde et Il se faut perdre et abîmer en lui. C'est le bonsoir que je vous souhaite. les créatures ne peuvent donner. Si je m'intéresse si fort et si je la

tiens si près... no 1436

no 2692

Je bénis Dieu que votre santé est meilleure, nous sommes dans de grandes appréhensions de vous perdre ; pour moi je confesse que j'en verse souvent abondance de larmes. Notre Seigneur les voit, et je le prie de tout mon coeur qu'il vous donne toutes les grâces que je lui demande pour vous, et surtout qu'il vous attire à la sainte communion plus souvent que vous ne faites. Souvenez-vous que toute votre force et votre sainteté sont en Jésus Christ et qu'il est la vie de votre âme. Comment pourra-t-elle vivre sans recevoir cette divine vie ? Au nom

•de Dieu, tâchez de communier plus souvent : votre santé en sera plus forte, votre intérieur plus éclairé, votre union à Dieu en sera plus parfaite et la joie et la paix feront le paradis de votre âme ; hors de là ce n'est qu'amertume et douleur. Allons à Dieu à toute heure ; honorons en tout sa divine volonté ; quittons les créatures qui nous retirent du pur amour que nous devons à Dieu ; apprenons à l'aimer parfaitement en ce monde, puisqu'il faut l'aimer dans l'éternité. Oh ! que de regret de n'avoir pas aimé celui qui est uniquement aimable !

Je prie cet adorable Sauveur de vous tenir en son amour, et que toute votre félicité en cette vie soit de consommer votre être dans ses divines flammes.

Je vous souhaite une bonne nuit et un comble de grâce, qui vous fasse vivre uniquement pour Jésus Christ.

no 903 bis

J'espère avoir l'honneur d'embrasser vos pieds avant que j'entre en retraite. Je la diffère encore quelque jour pour vider des petites affaires domestiques, et ne m'y renfermerai pas sans recevoir vos commandements, vous assurant que si Dieu exauce mes voeux, (que) vous ressentirez quelque bénédiction de ma retraite. C'est là où je • prétends parler à Dieu de tous mes intérêts, et singulièrement votre haute perfection que Dieu veut de vous. Il ne faut plus perdre de temps,

sanctification, et des moyens qu'il vous faut tenir pour parvenir à la no 3123

Vous ne pouvez, Madame, me donner plus de joie qu'en m'assurant de la meilleure santé de votre très honorée personne. Je la tiens comme un don de Dieu par un temps si fâcheux. J'en tire une fort bonne conséquence pour l'avenir.

Mais, Madame, vous dites bien qu'il faut être toute à Dieu, sans plus retarder. Convertissons-nous tous les jours de plus en plus toute à lui dans le moment présent. Il n'attend que notre retour intime. Il nous est bien facile, puisque nous l'avons en nous-même et qu'il ne faut pas l'aller chercher dans nos églises pour cela. Nous n'avons qu'à nous recueillir intérieurement, en foi, et l'adorer en nous avec profond respect. Sitôt que l'âme s'est convertie à lui, par un simple et amoureux retour, elle le trouve par l'impression de sa grâce ; comme s'il disait : « Me voici, sois à moi et je serai tout à toi ». O parole qui emporte le coeur et qui, nous ravit quelquefois même les sens ! Trouver un Dieu si près de nous, et d'une manière si ineffable qu'il semble qu'il n'ait plus rien à faire qu'à se donner tout à nous et nous combler de ses grâces !

Oh, que de grandes et admirables choses se passent dans le coeur du juste, je veux dire, d'une âme en grâce qui agit par son Esprit ! Hélas, pour ne le pas croire ou ne le goûter point, nous sommes toujours à chercher Dieu et nous ne le trouvons point. C'est que nous le cherchons hors de nous-même et c'est dans le fond intime où il réside et où il fait ses douces et charmantes opérations de son amour. Ne le cherchons donc plus dans les créatures, ni dans nos sens. Croyons-le en nous, puisque l'Evangile nous assure que le royaume de Dieu est en nous. N'allons point ailleurs. Oh ! qu'il fait bon être dans ce fond de paix où on ne trouve que Dieu seul et où les créatures et le monde ne peuvent troubler le calme qu'on y possède !

C'est dans ce petit paradis, Madame, où je souhaite ardemment votre belle âme pour y trouver son asile et son repos parmi les ennuis et chagrins de cette triste vie. Je prie votre saint ange de vous y introduire et que vous y puissiez toujours demeurer ; vous y expérimenterez ce que je ne vous puis dire. Je suis certaine que votre corps en serait même fortifié. Pardon, Madame, c'est un peu pour vous divertir.

LETTRES INÉDITES

71

70 CATHERINE DE BAR

Pardonnez, Madame, à un coeur qui a trop de tendresse : l'amitié fait

quelquefois sortir du respect, et dire ce qu'il ne faudrait pas penser. Oubliez cette petite saillie. Quand on possède un bien qu'on ne peut

mériter, on craint toujours de le perdre. Vous m'avez fait trop de grâces, votre extrême bonté m'a rendue téméraire, mais je finis aujourd'hui toutes les productions de mon amour-propre.

La lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire sera conservée précieusement, pour guérir les atteintes des tentations aux premières approches ; c'est un remède fort souverain : plût à Dieu qu'on en puisse trouver un pareil pour les vapeurs et le mal de rate, qui ne vous laissent point en repos ! Je sais bien ce qui la pourrait soulager : c'est un remède qui demande un peu de courage, pour sacrifier à Dieu beaucoup de petites choses que vous pouvez surmonter, qui étouffent votre pauvre coeur. Je le vois partir et quasi mourir à toute heure. S'il n'y a point de secours en terre, allons en chercher dans le ciel. Faut-il vous savoir Madame, dans une mort continuelle, sans ressentir votre douleur. C'est l'impossible, il faut crever, si j'ose dire ce terme, de vous voir agoniser tous les jours. Je prie Dieu de toutes mes forces qu'il vous soutienne. J'espère que sa toute-puissance le fera et qu'il inondera votre âme d'une abondance de grâces. Je le lui demandais hier quasi tout le jour, et qu'il dilate votre coeur dans les douceurs de son divin amour, en vous faisant participer à la joie des saints. En attendant qu'il ne vous trans-ferre de ce monde à la gloirç, il faut prendre courage, dans une sainte espérance de vous y voir un jour. C'est votre patrie, la terre est un lieu d'exil et de bannissement ; mais nous en sortirons avec la grâce divine, pour aller chez notre Père qui est ès cieux ; cette vérité réjouit le coeur. Je m'en vais continuer mes pauvres prières pour vous et pour tous ceux qui vous touchent, quoiqu'on peut espérer qu'ils sont à présent dans la gloire et plus en repos que nous.

Courage Madame, allons à Dieu par les voies qu'il lui plaira; pourvu que nous arrivions à notre fin bienheureuse c'est assez, le reste sera tôt ou tard anéanti. Je prie Notre Seigneur de vous fortifier de plus en plus et vous donner la grâce de ne rien négliger de ce qu'elle doit, et de ne se point troubler des mauvais succès qui suivent quelquefois les affaires. Un Dieu et rien plus. Le pur abandon attire du ciel d'admirables effets de la protection divine; si vous y demeurez tout ira pour vous en bénédiction.

no 2449

Je reçois Madame, celle qui vous a plu m'honorer. Pour réponse, je prends la liberté de vous dire avec confiance et respect que vous vous affligez trop de ce qu'on vous écrit, et devez vous façonner aux coups sans s'affliger tant soit peu, et savoir une bonne fois que Dieu se mêle de ses affaires, et puis qu'il faut s'attacher à lui uniquement et inébranlablement. Tous ceux qui font le plus de bruit ne sont pas ceux qui font le mieux leurs affaires. Soyez certaine Madame, que Dieu a soin de vous et de tout ce qui vous touche. Ne diminuez point votre confiance, vous tuez votre corps et votre esprit par tant d'amertume et me faites une pitié et compassion qui transpercent mon coeur. J'ai une confiance non pareille au très Saint Coeur de la Mère de Jésus. Un peu de patience vous en fera voir l'effet. J'ai un désir extrême de me voir à vos pieds, j'espère que ce sera bientôt. Je fais venir N... et une autre ici pour établir une excellente maison de Saint Sacrement et que vous ayez la consolation de vous y venir retirer (1). C'est en ce lieu Madame où il faut venir posséder le repos d'une douce et tranquille solitude, que votre piété désire depuis si longtemps. J'espère toujours que j'aurai l'honneur d'être de la partie ; pourvu que je sois à vos pieds, il me suffit. Je me hâte pour posséder cette chère consolation.

no 1340

(1) Est-il question ici du monastère de Toul ? La lettre serait alors de 1664-1665 ou de l'agrégation de

Notre-Dame de Consolation de Nancy, soit 1.668-1669.

Je demande permission à votre très chère et honorée personne de me consoler avec elle de la croix que Notre Seigneur m'a remise sur les épaules (1). 11 me semble qu'elle ne me serait pas si sensible, si j'avais les qualités requises et les dispositions nécessaires pour en bien user. Il faut dans mon insuffisance bénir Dieu, et demeurer .toute abandonnée à son bon plaisir, le suppliant de tout mon coeur qu'il ait pitié de son oeuvre. J'appréhende avec grande raison qu'elle ne périsse entre mes mains, si vos saintes prières Madame ne m'attirent du ciel quelques bénédictions pour la soutenir.

no 965

(1) D'après P 121 M. Mectilde fait ici allusion à sa réélection de Prieure du monastère de la rue Cassette. On pourrait alors dater ce billet de 1664 ou 1667.

La croix Madame, fut la victoire de votre sainte patronne ; c'est pourquoi je prends la liberté de vous en présenter une petite figure, qui marque que ses pensées et ses soucis sont en la croix de Jésus Christ. Je l'accompagne d'une autre miniature, qui fait l'image de la très Sainte Vierge, de laquelle vous attendez le secours et la protection pour l'heureuse conduite de votre vie. Nous prierons cette auguste

72 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 73

Mère d'amour, de vous combler des grâces et des bénédictions dont son coeur virginal est rempli, et qu'elle découle sur le vôtre autant d'étincelles du pur amour qu'il en faut pour faire un divin incendie. C'est le bouquet le plus précieux que je désire vous présenter, pour honorer le jour de votre fête. Toute la communauté va communier pour vos saintes intentions, et pour demander à Notre Seigneur qu'il vôus embrase, Madame, des aimables flammes qui consomment glorieusement les saints dans le paradis.

IL FAUT ESTIMER LES CROIX PLUS QUE LES RAVISSEMENTS

J'admire votre bonté, Madame, que vous prîtes la peine de m'honorer hier de vos lettres, pour soulager ma crainte et me donner quelque repos d'esprit, pour passer la nuit avec plus de douceur par l'assurance de votre meilleure santé. M. N... a assuré que nous aurons l'honneur d'embrasser vos pieds le jour de notre grande fête ; infailliblement. Nous vous en prions instamment.

En attendant cette grâce, nous continuerons nos petites prières avec tout le zèle possible pour votre parfaite guérison et sanctification, sachant bien que vous n'aimez point la vie, si elle n'est tout à fait sainte. Soyez la Madame, Notre Seigneur le veut ; il vous en donne les moyens dont le plus excellent sont les souffrances ; c'est de quoi vous ne manquez jamais. Il ne reste que d'en faire un saint usage ; c'est ce que vous faites de tout votre coeur, vous estimant heureuse d'être conforme à notre adorable Sauveur crucifié. Saint Paul a fait plus de cas dé cette grâce que de son ravissement au troisième ciel. C'est toute la félicité des belles âmes que d'être attachées à la croix avec Jésus ; vous êtes de ce nombre puisque vous souffrez quasi incessamment ; il couronnera vos souffrances.

Prenez courage, je vous supplie, et vous tenez assurée de son secours et de ses divines bénédictions. Je vous le souhaite abondamment en embrassant vos pieds avec profond respect.

n° 1840

SUR LA FÊTE DE SAINTE MARGUERITE

Le jardin des Filles du Saint Sacrement ne produit point de fleurs dignes d'être présentées aujourd'hui à votre Altesse Royale; j'en aurais un fort grand déplaisir, Madame, si je ne trouvais dans le parterre eucharistique un supplément admirable : c'est la fleur des champs, le lis des vallées, Jésus le Verbe éternel, qui s'est fait lui-même le bouquet des âmes pures. C'est ce fleuron divin, Madame, que je vous présente et que toute la Communauté a reçu pour votre Altesse Royale ce matin, le suppliant opérer dans votre intérieur, toutes les vertus qui doivent rendre votre âme une précieuse marguerite aux yeux de votre céleste époux, par la constance et la générosité dans les souffrances, à l'imitation de votre sainte patronne, qui ne se rebute point pour les difficultés qui se rencontrent dans la vie de la grâce, où vous, Madame, aspirez incessamment. C'est ce que nous avons demandé à Dieu pour votre Altesse Royale et pour N... qui me semble porter votre nom (1). Recevez donc, Madame, ce bouquet du paradis : ceux de la terre sont trop chétifs pour une âme qui ne se peut récréer que des beautés de ce lis adorable que vous aimez si tendrement, et que vous .contemplez si suavement sur nos autels. Je le prie ardemment de vous attirer avec sa force divine, à l'odeur de ses sacrés et précieux parfums ; que votre âme en soit tellement embaumée que tout ce qui est sur la terre lui soit à dégoût et que, n'étant plus animée que de la vie de Jésus, elle soit un jour consommée des pures flammes de son saint amour. C'est le désir continuel de celles qui ont l'honneur d'être, avec très profonds respects, toutes, sans réserve...

no 657

Si vous fûtes mortifiée jeudi de n'avoir pu assister au Salut du Très Saint Sacrement, je puis assurer que je le fus moi-même, d'autant plus sensiblement, que j'envisage votre chère personne comme le plus bel ornement de notre choeur et l'objet auquel Notre Seigneur Jésus Christ prend ses plus délicieuses complaisances ; vous n'y manquez jamais que je n'en ressente de la peine, m'étant avis que l'hommage que nous rendons à Dieu en ce mystère d'amour n'est pas rempli.

C'est pourquoi, Madame, je prie Dieu de tout mon coeur que les majestés de la terre ne vous empêchent plus de venir rendre vos adorations à celui du ciel qui repose sur l'autel comme dans son trône eucharistique, pour votre amour et pour vous attirer toute à lui. J'espère que jeudi prochain, vous réparerez ce manquement, quoiqu'il ne soit pas de votre faute. Vous goûterez plus suavement sa divine Présence et il consolera pleinement celle qui n'a point de plus grande félicité [parmi les] choses de la vie présente que d'être à vos pieds, pour admirer

n° 1983. Cette lettre est prise au Ms : Sor p. 216.

(1) Peut-être Marguerite-Louise, l'aînée de ses filles.

74 CATHERINE DE BAR

LETTRES INÉDITES 75

les bontés de Dieu sur votre âme, et les conduites de son aimable Providence, pour votre sanctification. Je puis dire, Madame, que

Dieu vous tient en ses divines mains et fait ressentir, à celles qui offrent leurs voeux au Seigneur pour vous, qu'il s'applique tellement à votre intérieur qu'il en veut faire le cabinet de ses complaisances, et qu'il vous veut tirer des créatures. Si mon coeur pouvait exprimer ce qu'il conçoit et que Dieu permît que vous y vissiez quelque croyance, vous prendriez une singulière joie de voir comme il avance son ouvrage ; ce qu'il vous prépare pour vous introduire au lieu du repos, auquel nulle créature ne peut interrompre la paix de l'âme et la détourner un moment de celui qui est sa vie et son tout. O quand sera-ce, Madame, que nous sortirons de cet exil pour retourner dans le coeur de Dieu, notre Père, duquel nous sommes sorties ?Je crois que le vôtre, Madame, n'a pas de plus ardent désir, et moi de plus grande passion que de vous y suivre et être sous vos pieds, en ce précieux séjour, comme je m'y prosterne d'esprit et suis avec profond respect...

ELLE L'EXHORTE À QUITTER LE MONDE

Ces précieuses lignes que vous voulûtes hier prendre la peine de m'écrire pour ma consolation me rendent infiniment obligée à votre bonté, et me font prendre la liberté de vous dire que je bénis Dieu de tout mon coeur de la résolution qu'il vous a fait prendre de rompre vos liens. Votre santé est si fluette qu'on ne s'en peut assurer humainement : l'accident survenu montre bien que la nature a souffert un grand assaut. Il faut tâcher autant que l'on pourra, de l'éviter. Je ne vois point de plus efficace moyen que votre retraite du monde.

Cherchez, Madame, votre repos et votre sanctification, cela vous est permis (1). Nous voyons dans les histoires que plusieurs grands monarques ont tout abandonné pour posséder quelques années de solitude avant que de mourir. Nous connaissons même de grands prélats qui, par leur sacré ministère semblaient être inséparablement attachés au gouvernement de l'Eglise, qui se sont de même retirés. C'est à mon avis une grande grâce d'avoir un peu de temps pour penser sérieusement à Dieu et à soi-même ; il ne faut pas partir de ce monde sans L'aimer, et pour bien réussir en cette divine science, il faut quitter, autant qu'on le peut, le tracas des créatures. Ce n'est pas qu'on ne puisse aimer Dieu dans les maisons des grands, mais comme Notre Seigneur est peu connu dans ces lieux-là, il est rare d'y trouver des âmes bien pénétrées de son divin amour. Nous voyons même que celles qui en ont quelques touches n'y demeurent pas, sachant bien qu'elles ne s'y pourront longtemps conserver. Fuyons le monde, fuyons les créatures, si nous voulons jouir pleinement de Dieu seul. On ne le peut posséder pleinement si l'on ne s'éloigne de son contraire et de ce qui nous le dérobe. Croyez-moi, Madame, si vous êtes la nuit dans notre cellule, je suis bien en esprit à vos pieds pour vous accompagner dans vos souffrances et vous encourager à les porter saintement ; mais permettez-moi de vous dire, Madame, que vous les voulez porter trop généreusement dans le secret du coeur, sans prendre un peu de soulagement. Je sais bien que c'est là souffrir héroïquement, , mais aussi cruellement, si j'ose me servir de ce terme, parce que votre bon coeur, qui veut tout dévorer pour Dieu, par des sacrifices continuels, altère si fort la pauvre nature qu'elle y succombe et n'y peut résister. Si votre corps était assez fort pour faire ainsi, il serait bon, mais Dieu ne veut pas qu'on se précipite au tombeau. Je le prie de toute mon affection qu'il vous donne du secours par quelque bonne personne, pour un peu décharger votre coeur et que vous en receviez consolation. J'espère que Notre Seigneur y pourvoira. Je sais combien votre âme lui est chère et comment sa bonté vous protège et vous prépare de grandes bénédictions. Il faut penser sérieusement à rétablir votre santé et après former devant Dieu une sainte résolution. Vous pouvez conférer avec le bon Père J. qui est grand serviteur de Dieu et auquel le Saint Esprit donnera lumière. Vous pourrez joindre à votre conseil M. l'Abbé N. qui sera bientôt ici et d'autres en qui vous aurez confiance. Il faut enfin vous tirer de ce pas d'une façon ou d'une autre, parce qu'un esprit incertain dans une affaire importante ne se peut garantir de peine.

no 171

(I) M. Mectilde fait peut être allusion au projet de la Duchesse de se retirer au monastère de Notre-Dame de Consolation à Nancy, soit en 1660 après la mort de Monsieur, soit en 1668-69 lors de l'agrégation à notre Institut.

Voici un vent qui s'élève avec tant d'impétuosité, qu'il me faut perdre l'espérance de l'honneur de votre présence aujourd'hui. Ce qui me fait vous importuner de ces lignes, pour vous apprendre la rechute du Père J. Il n'en faut quasi plus espérer, il est trop cassé. On nous mandera qu'il est allé au Ciel. Cependant, j'aurais fort désiré qu'il vous eût conseillée sur ce que Dieu veut de vous pour votre entière sanctification. Il faut s'abandonner sans réserve à son aimable Providence : elle y pourvoira. Je suis bien aise que vous ayez résolu de faire demain vos dévotions : vous avez besoin de force, de lumière et de grâce pour avancer toujours dans la perfection, nonobstant les évènements de cette vie. Vous trouverez en Jésus Christ tout ce dont

76 CATHERINE DE BAR

vous avez besoin. Recevez-le, le plus souvent que vous pourrez, et lui dites de tout votre coeur plusieurs fois durant la journée : Mon Dieu, que voulez-vous que je fasse ? Mon coeur est préparé pour vos saintes volontés. Tout de bon, Madame, il faut vous sanctifier dans vos maux et être toujours prête à souffrir. Nous ferons prier pour cela.

no 2943 LETTRES INÉDITES 77

indignes prières.

Recevez, Madame, d'un coeur qui est sous vos pieds, et qui ne vous parle qu'avec profond respect, ce qu'il est contraint intérieurement de vous dire. Si cela vous déplaît, je ne le ferai plus ; mais sachez que votre âme m'est plus précieuse que la mienne, et qu'il me semble qu'elle est à moi, et que je la dois rendre à mon divin Maître. Pardon si en cela je manque de respect.

no 99

Ce mot est pour vous demander des nouvelles de votre santé et vous témoigner que vos intérêts et ceux de Mesdames vos filles sont dans mon cœur. Vous savez, Madame, que je suis toute à vous en Notre Seigneur et (qui est) plus intimement que jamais ; que j'ai une passion très grande de votre sanctification et voudrais mourir pour votre salut.

Je vous supplie, par les entrailles de la divine charité de Jésus Christ, que vous pensiez sérieusement à vous séparer de tout ce qui peut faire obstacle à votre perfection. Allons à Dieu de la bonne sorte, avec confiance et amour. Prenez une ferme résolution de mettre ordre à ce qui peut gêner votre âme. N'attendez point au moment que la puissance vous en sera ôtée. Ne remettons point à la mort le bien que nous avons à faire, et notamment ce qui pourrait inquiéter la paix de notre âme. Je suis pressée intérieurement de vous solliciter à faire ce que Dieu et votre conscience vous demandent, pour vous donner ce repos suave et tranquille, que le Saint Esprit produit' dans un coeur bien épuré.

Voyez ce que Notre Seigneur vous demande, écoutez la voix de son amour qui vous dit d'être toute à lui. Faites une revue sur votre état temporel et sur vos dettes, pour prendre moyen d'y satisfaire ; voir si vos aumônes sont faites selon l'ordre et la charité, avec la pureté d'intention qui les doit rendre dignes de Dieu ; si vous n'agissez point en quelque rencontre trop humainement, et si votre bon coeur ne s'épanche point trop par libéralités, où il ne faudrait pas tant ; si vous écoutez les cris des misérables pour en avoir pitié et les soulager selon votre pouvoir ; si vous prenez garde que le vice soit retranché chez vous, et que la paix règne dans vos domestiques.

Direz-vous pas, Madame, que je suis bien téméraire ? Vous avez sujet de le dire et de le croire, si votre bonté ne se souvient pas qu'elle m'a chargée de son âme. Je vous assure que j'en suis souvent très occupée devant Notre Seigneur et que je cherche, en sa lumière, ce qui pourrait faire le moindre obstacle à votre bonheur éternel. J'ai le coeur tout plein de zèle, de tendresse et d'amour pour tout ce qui vous touche ; mais beaucoup plus pour les choses du Ciel que pour celles de la terre, quoique je ne les oublie point, en mes pauvres et

Vous me donnâtes hier une nouvelle bien consolante, mais je n'en puis prendre la joie entière, que je ne sache si vous avez eu du repos cette nuit. Il faut bien qu'il y ait une vertu secrète qui vous soutienne. Je ne doute point que ce ne soient les mains adorables de Notre Seigneur, ma confiance est en lui, pour la conservation de votre très honorée personne. Si je l'envisageais selon ce qu'elle souffre, de corps et d'esprit, je serais dans une continuelle désolation. Mais vous êtes bien, vous avez une puissante protection. Il ne faut pas qu'un enfant appréhende rien, quand il est entre les bras de son Père ; votre âme et tout votre être sont environnés de Dieu ; vous êtes soutenue de sa main toute puissante ; vous reposez dans son immensité comme dans un lieu

d'assurance, et sa douce et aimable Providence prévient vos besoins, sa grâce vous fortifie et son amour vous attire toute à lui.

C'est une grande joie à l'âme qui se voit de cette sorte en Dieu, qui vit en lui, de lui et pour lui. C'est un paradis commencé ; mais il faut persévérer dans l'amour et la fidélité, et surtout dans les actions de grâces continuelles des infinies bontés de Dieu. Il ne les faut jamais oublier, si nous n'en voulons tarir la source. Je sais que vous avez grand soin, Madame, de le bien remercier. Commençons et finissons toujours nos prières par l'action de grâces et jamais elles ne seront stériles. C'est un secret infaillible qu'une bonne âme a appris de Notre Seigneur, un jour étant en oraison. Pardon, je suis trop importune. Il faut que vous m'imposiez silence si vous voulez que je vous laisse en repos.

J'attends de vos nouvelles avec impatience.

no 3091

Il me semble que vous vous retirez si fort, que vous ne voulez plus soulager votre coeur par quelque petite communication des croix que vous souffrez quasi sans relâche. On ne laisse pas de compatir

78 CATHERINE DE BAR

LETTRES INÉDITES 79

à tant de souffrances, mais c'est avec d'autant plus de douleur qu'on se voit incapable de vous soulager, renfermant votre peine pour la dévorer toute seule en la présence de Dieu.

Je sais bien que cela est héroïque et qu'une grande âme marque son courage en surmontant les afflictions de la vie, mais quelque générosité que la nature donne, le coeur ne se peut garantir d'être blessé en mille rencontres, et Dieu ne défend point qu'on se confie à quelqu'un pour aider à porter son poids. Le Fils de Dieu voulut bien que Simon le Cyrénéen prit le bout de sa croix pour un peu diminuer sa peine. Je sais bien que, quand Dieu veut qu'une âme souffre, il suspend toutes les consolations du ciel et de la terre, mais je ne crois pas, Madame, qu'il vous veuille dans un si grand dénuement. Il vous est bien permis de prendre quelques secours dans les conseils de quelques bons serviteurs de Dieu ; consultez-les, Madame, et voyez devant Dieu s'il y a quelque remède à vos peines, les sujets qui les causent et ce qui se doit faire pour vous en délivrer.

Il y a des croix qui ne sont point bonnes à garder et que la Providence nous envoie, sans borner les moyens de nous en soulager. Il y en a d'autres que la main de Dieu applique si sensiblement et si profondément qu'il met l'âme dans l'impuissance d'en pouvoir sortir. De ces sortes de croix, il faut se résigner et avec la patience de Jésus Christ, souffrir et mourir sur son bois. Celui qui crucifie soutient secrètement ; il sait mortifier et vivifier tout ensemble ; il ne faut que s'abandonner aux desseins inconnus de son amour, qui sait mener en enfer et en retire. Jamais une âme ne peut périr quand elle demeure assujettie à ses divines opérations. La main qui blesse en telles dispositions est rigoureuse et douce ; elle fait la plaie et la guérit ; elle porte le glaive et le remède tout ensemble. On ne doit point se troubler dans cette épreuve que l'amour divin fait dans une âme qui veut être sans réserve toute transformée en Jésus Christ. Il faut qu'elle soit purifiée et les tribulations servent de feu à cet effet. On a besoin dans ce creuset de quelqu'un qui aide à soutenir le courage, par une amoureuse confiance en Dieu et une remise de tout soi-même à son bon plaisir ; du reste on doit laisser agir cet aimable Sauveur qui n'a autre motif que de sanctifier l'âme et la transformer en son amour.

Mais si les croix sont quelquefois causées et produites par des choses temporelles, prenons conseil et cherchons les remèdes ; s'il n'y en a point qui réussissent, laissons tout à la disposition divine, et avec une foi inébranlable, espérons que Dieu tout bon y pourvoira infailliblement, par les conduites de sa divine sagesse qui ne se peut tromper et qui agit toujours pour notre bien, quoique l'esprit humain n'en soit pas toujours bien persuadé. Il ne faut point demeurer accablée sous le poids des choses qui nous peinent. Si elles nous détournent de Dieu et nous ôtent la paix intérieure, il les faut surmonter par un saint mépris en retirant l'esprit en Dieu pour lui laisser la conduite de telles peines, et (les) accepter doucement et amoureusement, les renversements, les abjections et contradictions qui en peuvent survenir ; et jusqu'à temps que l'âme se soit totalement résignée à Dieu, pour tout ce qui lui plaira et de quelle manière il voudra, il est du tout impossible que l'âme puisse avoir un calme solide en son intérieur. Plût à Dieu, Madame, que vous possédassiez celui que je vous souhaite! Les vapeurs n'auraient plus la puissance de vous incommoder.

Remettez toutes choses en Dieu et vous y laissez vous-même ; il fera de tout ce qui vous touche [selon] sa très sainte volonté ; embrassez-là à l'aveugle et vous dégagez doucement de tout pour vous attacher à Dieu seul ; s'il renverse tout, il le faut bénir avec le saint homme Job ; c'est de cette sorte qu'il fait des saints. Dieu est admirable en ses ouvrages, parmi toutes vos croix, il opère divinement en vous ; il y fait un ouvrage digne de lui-même et d'une félicité éternelle, qui couronnera toutes vos souffrances en les convertissant en joie. Qu'importe ce que l'on soit en ce monde, pourvu que nous jouissions de Dieu éternellement.

Courage donc, Madame, la fin viendra ; tout le créé retournera au néant duquel il est sorti, et vous passerez en Jésus pour vous reposer en Dieu sans fin, « Cujus regni non erit finis ». Pardonnez-moi la peine que je vous donne de lire ce brouillon ; pourvu qu'il puisse servir à vous divertir un moment, ce sera assez pour moi qui ne suis pas digne de vous servir, quoique mon zèle et ma tendresse pousseraient au delà. Dieu suppléera, je l'en prie de tout mon coeur, et qu'il vous fasse connaître, Madame, ce que je vous suis en son amour et avec profond respect.

no 569 - Cette lettre est donnée selon le Ms Sor. p. 216 verso.

Je suis consolée dans les disgrâces qui arrivent incessamment à votre Altesse Royale de vous voir tenir ferme sous le bon plaisir de Dieu, et vous accoutumer à la croix. C'est, Madame, où l'âme trouve une grâce toute divine qui l'élève et la tire de soi-même pour la porter à Dieu. J'ai toujours cru que le revers des affaires de votre maison vous servirait d'échelle pour monter au Ciel.

Si les chrétiens pouvaient comprendre la grâce que Dieu renferme dans les souffrances, leur félicité serait de souffrir sans relâche, car il est certain que le Fils de Dieu ne nous donne jamais de croix que par un amour infini. Mais la chair et le sang n'entendent point ce langage, et la foi n'est pas assez vive en nous, pour nous persuader cette vérité. Vous êtes trop chrétienne pour l'ignorer. Il faut seulement prendre courage et vous tenir près de Dieu, pour être fortifiée de sa grâce, qui vous élèvera infailliblement au-dessus de tout le créé. Prenez

11111tINF 1)1.1Al<

votre joie en lui, puisqu'il est tout à vous et que ses conduites sont pleines d'amour et de miséricorde. J'ai une furieuse envie que vous soyez toute à lui. Je suis fort touchée de l'indisposition de S.A. L'âge et le chagrin ne sont pas bien ensemble et les défaillances qu'elle a, ne me ,plaisent point. Je fais prier Dieu pour elle du plus intime de mon coeur. Je ne puis m'empêcher de dire, sans sortir du respect. que j'aime ce Prince au-delà de ce que je peux dire. C'est mon souverain

LETTRES INÉDITES 81

à qui je dois ma vie, après Dieu. Je me sens si pressée intérieurement de prier Notre Seigneur pour ses besoins que j'ai communié aujourd'hui pour cet effet, mais je peux dire, d'une manière toute particulière. J'espère que Dieu lui fera miséricorde. La Très Sainte Vierge est son avocate et l'amour du Très Saint Sacrement le sauvera, je m'en tiens certaine. Reposez-vous en Dieu, Madame, dans cette confiance. Il y a plusieurs jours que je désire l'honneur de parler à votre Altesse Royale.

nu 1461. Cette lettre est donnée selon le Ms : Sor p. 218 v"

Ce que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire me touche sensiblement devant Notre Seigneur : comme il vous a donné une grande naissance selon la nature, il veut vous donner une grande perfection par sa grâce, se servant de la grande sensibilité que vous avez de votre perte, pour vous tenir dans un sacrifice continuel devant sa Majesté. Il vous donne, par cet exercice douloureux. les moyens de vous immoler sans cesse et de vous rendre à Jésus sacrifié. par un réciproque d'amour et de douleur. Vous êtes en croix continuellement. et quoique vous ressentiez sa rigueur, vous ne laissez pas de vous y sanctifier admi-

rablement car vous laissant l'humiliation de ressentir votre peine. elle vous crucifie d'autant plus qu'elle vous ôte la satisfaction de voir le progrès que vous faites dans la pratique des vertus.

Dieu, Madame, vous fait marcher à la suite de Jésus inconnu, abject et méprisé, pour sanctifier votre âme et la préserver de la malignité que le monde contient en soi, et de laquelle les personnes de votre illustre naissance ne se peuvent garantir sans miracle. Dieu. qui vous a choisie pour le Ciel, ne veut point que les choses de la terre vous empêchent d'y parvenir. Il veut, par les déplaisirs continuels., vous faire goûter qu'il n'y a qu'amertume et affliction d'esprit dans la possession des créatures que celui-(1à] seul est heureux, qui en connait le mensonge et la vanité, pour ne s'y point engager : et qui connait la vérité de Dieu pour s'y fortement attacher et confier : tout passe, et il n'y reste qu'un moment pour ménager l'Eternité.

Pardonnez-moi, Madame, si je suis si téméraire. que de vous exposer si librement mes chétives pensées : c'est avec un profond respect et une confusion extrême. Mais comme j'ai une très grande obligation d'aimer et honorer parfaitement votre Altesse Royale, je ne puis lui mieux témoigner qu'en lui protestant que ses intérêts me sont très chers et que, comme Dieu veut vous faire une grande sainte. par les contradictions etc..., il me donne une ardente affection de le prier que vous soyez remplie et soutenue de sa grâce. comme de ce qui est le plus précieux, et par laquelle vous triompherez de tout le monde.

k» • s;- • •

NANCY • 4> 4

Paldin D«41 '

Petite It et Gronde Porterie (tsto)

Cette dernière est surmonta* de la Statue

du Dut Antoine (18st)

82 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 83

et posséderez un repos au fond de votre esprit pour vous rendre inébranlable à tous les événements fâcheux ; et quoique je sois la plus indigne de toutes les créatures, je me présenterai à Dieu tous les jours pour la lui demander et ferai faire des prières et communions journalières pour tous les besoins de votre âme, pour vos intentions particulières, pour N. et pour N.N. Je ne puis penser à la conduite que Dieu a tenue sur toute cette illustre Maison que je n'en sois sensiblement touchée : il veut l'humilité des grands et qu'ils connaissent qu'ils relèvent de sa suprême grandeur. J'espère qu'il aura pitié de tout et qu'il se contentera des gémissements de votre coeur, et des voeux que vous lui présentez ; il accomplira vos saints désirs et couronnera votre personne d'une récompense éternelle qui vous fera heureusement régner dans l'Eternité.

C'est l'espérance de celle qui ne sera jamais digne de l'humble qualité de votre...

no 164. Cette lettre est donnée selon le Ms : Sor p. 219 v"

Communion, rassasiez ses désirs qu'il exprime par ces paroles : « DESI-DERIO DESIDERAVI » (1). 11 ne demande que d'être reçu, ne le privez point de ses complaisances, puisqu'il fait ses délices de converser avec les enfants des hommes ; et comme il entre en vous par cette divine manducation, entrez en lui par une profonde démission de tout vous-même et une entière remise à son amour. C'est l'effet de la Pâque, qui est le passage de Jésus, afin que Jésus soit vivant en vous et que votre âme soit toute abîmée en lui. C'est Madame le souverain bien que je vous souhaite, et ce que le temps me permet d'écrire. Je sais bien que votre Altesse Royale n'a pas besoin d'être excitée, son coeur a trop d'amour pour Jésus, mais c'est pour un peu vous divertir, Madame, et vous assurer que je me souviens de faire prier Dieu pour tout ce qui vous touche, et que je m'oublierais plutôt moi-même que vos intérêts.

On m'a dit que vous nous honorerez de votre présence, c'est pour combler notre fête de bénédictions. Je demande humblement part en vos saintes prières.

no 1123. Cette lettre est donnée selon le Ms : N 258 p. 233.

Je ne puis, Madame, passer ces Saints Jours sans vous souhaiter la plénitude de grâces renfermées dans nos précieux mystères. Celui que nous célébrons aujourd'hui est l'épuisement de l'amour de Jésus ; on ne le peut considérer sans un divin étonnement. Le prophète contemplant les oeuvres de Dieu demeurait tout hors de lui-même, ne pouvant comprendre les abaissements de sa haute et suprême majesté lorsqu'il s'est fait homme.

Je trouve que la divine Eucharistie est un sujet d'un plus grand ravissement, puisque nous y adorons un Dieu si épris de l'amour de sa chétive créature qu'il trouve un moyen de demeurer avec elle jusqu'à la consommation des siècles, et d'opérer tous les jours, en elle, les effets de ses ineffables mystères. On nous prêche souvent des merveilles de ce sacrement d'amour, mais tout ce que la science en peut dire est au-dessous de ce que la foi en fait comprendre. Après qu'un Dieu s'anéantit sous les Espèces, pour entrer dans nos coeurs, il n'y a plus moyen de se jamais défier de sa bonté. Il ne faut plus souffrir en nous d'autres dispositions que l'amour ; étant une certitude de foi que celui qui donne le plus ne refuse pas le moins. Je dis que les dons de Dieu et ses faveurs, et la béatitude même, étant moins que Dieu, il ne nous les refusera pas, puisqu'il se donne soi-même avec tant d'amour et de tendresse que je ne sais comment l'âme le peut contenir sans mourir. Votre Altesse Royale est plus capable d'en recevoir la grâce que moi d'en parler.

Goûtez, Madame, les douceurs du Coeur de Jésus dans la sainte

(I) Luc XXII, 15

DE L'IGNORANCE OÙ NOUS SOMMES DES DESSEINS DE DIEU

[1661]

Je ressens vivement les nouveaux sujets de déplaisirs que vous avez reçus. Je voudrais qu'il plût à Dieu écouter nos gémissements sur cette affaire. Mais comme la créature n'est que ténébre et ignorance, elle ne peut pénétrer les conseils de Dieu, ni les caùses pourquoi il permet des crucifixions si sensibles, sinon pour nous faire adorer la profondeur de ses jugements et l'inscrustabilité de ses pensées, qui néanmoins sont toujours pleines d'amour et de miséricorde pour les âmes qui s'y soumettent et s'y abandonnent entièrement. Vous le savez par une longue expérience. Dieu éprouve votre constance et votre fermeté en son amour. Mais pourquoi ? Si ce n'est pour purifier de plus en plus votre âme. et la rendre digne de son union. Il veut par mille accidents différents vous séparer des créatures, pour vous faire entrer en sa sainteté. C'est là en vérité tout le bonheur de l'âme ; et pour trouver la paix et le repos sur la terre, il ne faut rien estimer que le salut éternel ; tout le reste n'est rien, qu'amertum.e et affliction d'esprit. Recevez de la part de Dieu les déplaisirs de la vie. Baisez la main adorable qui vous attache avec Jésus son Fils, sur la croix,

LETTRES INÉDITES 85

84 CATHERINE DE BAR

et qui n'a eu en ce monde pour partage que les hontes, les affronts, les mépris, contradictions, douleurs, angoisses, délaissements et la mort. C'est aussi le présent qu'il fait à ses élus, d'où vous devez inférer du dessein de Dieu sur votre âme, puisqu'il lui donne si bonne part aux sacrés états de Jésus Christ et d'où elle tirera une force divine pour recevoir sans s'ébranler les événements contraires qu'il est impossible d'éviter, sachant bien que nous sommes dans un siècle où il n'y a rien d'assuré. Il n'y a que l'âme bien unie à la très sainte volonté de Dieu qui demeure ferme et sans changement. Permettez-moi de vous supplier de ne vous point laisser aller dans la douleur extrême, mais d'agir avec un saint abandon et pleine de confiance à la bonté de Dieu. Nous ferons augmenter les prières pour vous obtenir les lumières du Saint-Esprit et les grâces nécessaires pour soutenir cette chère affligée (1), qui me touche sensiblement. C'est ce que peut la plus indigne de vos servantes.

no 1398. Ms : P110.

(1) Est-ce une allusion au mariage de la fille aînée de la duchesse, Marguerite Louise, avec le duc de Toscane, Cosme Il! de Médicis, éxigé par Louis XI V, au grand désespoir de la jeune fille ? Mme de Motteville. dans ses Mémoires, en fait un récit dramatique.

[1661/1662]

Bien que vous me fassiez espérer l'honneur de vous voir demain, je ne puis différer jusqu'à ce cher moment, de vous témoigner la part que je prends à vos déplaisirs ; je ne m'en consolerais jamais, si je ne savais que c'est par la voie des tribulations que Notre Seigneur vous peut détacher de la terre, pour vous unir et transformer toute en lui.

Il y a longtemps que je tâche d'observer ses conduites sur votre âme et que je vois qu'il fait sans cesse de nouveaux renversements dans vos affaires et vos prétentions, quoiqu'elles soient justes. Il est bien malaisé de se voir traiter de la sorte, sans que la nature ne le ressente et qu'elle en souffre des agonies, se voyant abandonnée de ceux qui vous sont les plus obligés, selon le raisonnement humain ; mais ne croyez pas que tous les accidents soient casuels (1) en Dieu : ce sont des épines de sa couronne et donc petite portion des peines et des humiliations qu'il a souffertes en ce monde, auxquelles il faut que vous ayez part, si vous voulez parvenir à la sainteté et conformité d'état avec Jésus Christ. Le peu que vous trouvez dans les hommes

(1) Casuel : qui dépend des cas, des accidents : choses casuelles, emplois casuels, emplois révocables.

Littré, Petit dictionnaire universel.

vous fera retirer vers Dieu, et leur infidélité à votre égard ne vous permettra plus de vous y confier, ni d'en espérer aucun secours. Dieu ne veut point que vous trouviez d'appui dans les créatures. II est jaloux de votre coeur il ne le possèderait pas sans réserve s'il trouvait en elles (2) où se reposer. Je sais qu'il- en coûte furieusement pour vivre séparée, mais courage il ne faut qu'un bon coup, vous avez fait le plus grand pas lorsque vous avez rendu à Dieu ce que vous aviez de plus cher. Il ne vous reste quasi plus que vous-même à immoler ; c'est demain le jour que Jésus s'offre à son Père éternel c'est aussi le même auquel il a reçu de votre fidélité l'hostie que vous lui présentâtes en la personne de feu Monsieur (3). Je vous supplie que ce soit le même auquel vous sacrifierez tout votre être à Dieu ; et s'il diffère de vous mettre dans la chère solitude que vous désirez, ne le privez point du repos que vous lui pouvez donner en vous-même, par la solitude et retraite intérieure, où vous pouvez jouir de sa douce Présence et commencer en ce monde un paradis anticipé. C'est dans ce divin commerce où votre âme prendra une nouvelle vie et recevra des forces, pour soutenir tout ce que la divine Providence lui envoyera d'amer et de pénible. Je pourrais même assurer que votre pauvre corps y trouverait de la santé et que rien au monde n'est meilleur pour le réconforter dans ses douleurs que .la joie de l'esprit et la dilatation du coeur. Je ferai demain faire à toutes nos Soeurs la sainte Communion pour les intentions que vous désirez. Oh ! si j'étais digne d'être exaucée, vous sentiriez d'admirables effets de grâces. Il y a je ne sais quoi en moi qui voudrait vous mettre dans le Coeur de Jésus Christ. Je vois de si grands avantages pour vous faire sainte que je ne puis m'empécher de demander à Dieu qu'il vous tire fortement, qu'il vous arrache de vous-même. Permettez-moi de vous dire que je regarde les contradictions des hommes comme autant de coups de glaive et de verges que sa main toute puissante vous donne pour vous tirer de la Cour. Vous appartenez à Jésus Christ crucifié. Les armes de votre maison étant une double croix, jugez si vous ne devez pas être crucifiée au monde, et que le monde, comme dit Saint Paul vous soit crucifié. Je vous conjure avec respect de n'en jamais plus rien espérer et d'élever votre coeur en foi vers celui qui veut vous être tout en toutes choses. Contentez-vous de Dieu puisqu'il se contente de vous, et ne vous fâchez plus d'aucune chose. Tout est au-dessous d'une âme qui aime son Dieu, rien n'est capable de la troubler. Je sais qu'il est bien rude de se voir sans secours et comme abandonnée, mais celui-là est bien gardé que (de) Dieu garde et protège ; pardonnez ma simplicité aussi bien que ma témérité, vous êtes trop bonne et vous me donnez trop de liberté ; si vous voyez mon coeur vous vous blâmeriez encore davantage, et diriez que j'ai droit

(2) Dans les créatures.

(3) Gaston d'Orléans, Monsieur, frère de Louis XI II. est mort en la fête de la Présentation 2 février 1660.

LETTRES INÉDITES 87

86 CATHERINE DE BAR

sur le vôtre, et que je ne puis souffrir qu'il manque d'être fidèle aux attraits de Jésus Christ qui le veut pleinement posséder.

Je me jette à vos pieds pour vous demander mille humbles pardons et vous supplier de jeter promptement la présente dans le feu, c'est une saillie d'affection trop hardie.

no72. Ms PII0 p. 295.

IL FAUT IMMOLER ET SACRIFIER À DIEU

CE QUI NOUS EST PLUS CHER

PAR UNION À SON SACRIFICE DE L'AUTEL

[29 janvier 1664] (1)

Comme tout le monde se met en peine de vous consoler dans votre affliction par toutes les manières que l'on peut, je n'ai point cru pouvoir mieux réussir que par la prière, qui a été continuée sans relâche, depuis les dernières nouvelles que vous avez reçues demandant instamment à Notre Seigneur Jésus Christ qu'il fasse en vous, par sa grâce, ce que les créatures n'y peuvent faire. Et quoique je sois très pénétrée de votre douleur, je le suis de plus très sensiblement de vous savoir mal.

Votre fidélité me fait honte, et me fait admirer les grandes miséricordes que vous recevez de Dieu et la force généreuse avec laquelle vous achevez de lui sacrifier ce qui vous est si cher. Vous l'avez déjà donnée à Dieu dans les premières nouvelles de sa mort supposée, et vous n'aviez point voulu flatter votre espérance dans l'incertitude de sa vie, aimant mieux vous tenir dans une humble soumission, devant la majesté divine de notre Dieu, que dans la joie qui pourrait adoucir votre peine. Dieu n'a pas voulu que vous manquassiez à un seul petit point du pur sacrifice. Et bien que l'on vous dit de descendre de la croix, par cette vaine espérance, la fermeté de votre coeur a été si grande que vous y êtes demeurée constante, sans y recevoir d'autre soulagement que le sacré abandon à la volonté divine.

Vous devez être bien persuadée que Dieu vous veut toute à lui, et qu'il ne cessera jamais de vous poursuivre par les peines et les croix, jusqu'à ce qu'il soit pleinement victorieux de vous-même. C'est son plaisir de vous posséder, et de vous rendre conforme à son Fils sur le Calvaire et dans la divine Eucharistie, où l'amour et la douleur l'immolent à tout moment. Soyez immolée de la sorte, et que l'amour douloureux fasse votre consommation. Vous ne serez jamais heureuse que dans cette sainte disposition où la grâce vous fera entrer, et par laquelle votre âme s'élèvera au-dessus des objets des sens.

Souvenez-vous que vous devez rendre à Dieu ce qui est à Dieu.

Rien n'est à vous, que le néant et le péché. Vous n'êtes point à vous-même, mais toute à Jésus Christ. 11 est donc très juste qu'il fasse ce qui lui plaira de vous, et qu'il vous conduise par toutes les tribulations à l'éternité bienheureuse, où bientôt vous recevrez la récompense de tant d'amertume dont votre vie est remplie. Mais il faut prendre courage, tout passera et se réduira au néant. Ce n'est pas la peine de s'affliger des accidents de cette vie, la mort emporte tout et nous réduit et ensevelit nous-mêmes. Ne pensons qu'à notre heureux retour vers Dieu, qui est notre centre, et dans lequel il n'y a nulle vicissitude, mais une durée de paix inaltérable. Achevez donc de couronner Jésus [en vous] par votre patience et humble résignation, et il vous comblera un jour de sa gloire, par son amour. Ce doit être votre unique désir comme votre souverain bonheur. Je l'en prie de tout mon coeur vous étant en lui avec respect...

n° 276. Ms N267 p. 35.

(I) Cette lettre paraît avoir été écrite à l'occasion de la mort de la seconde fille de la duchesse d'Or-

léans, qui avait épousé, sur l'ordre de Louis XIV, le prince Emmanuel de Savoie. Mariage heureux. mais de très courte durée.

de Rambervillers, le 18 avril 1666

La part que votre Altesse Royale prend aux intérêts de la gloire du Très Saint Sacrement me fait donner l'honneur de lui en dire des nouvelles, en lui rendant compte de ce qui s'est passé ici, touchant là mission qui m'a été donnée pour venir établir, en notre monastère, notre Saint Institut.

J'ai trouvé toutes nos Mères et Soeurs si bien disposées et si soumises à tous les règlements et constitutions que nous professons, que nous ne trouvons aucune difficulté à résoudre et si les Saints Jours n'interrompaient le cours de nos conférences et ne nous ôtaient la liberté d'agir, pour achever ce que nous avons commencé, nous aurions conclu dans huit ou dix jours. Mais, étant obligées de différer jusqu'après les fêtes de Pâques, nous avons choisi le jeudi, 29ème d'avril - dans l'octave de Pâques -, pour faire la première cérémonie de l'Exposition du Très Saint Sacrement et prendre possession du monastère.

Chacune se prépare tout de son mieux; il n'y a que moi qui suis misérable et la plus opposée à la sainteté de Jésus, et c'est une grande humiliation pour moi. Je n'oublie point de faire prier Dieu pour Votre Altesse Royale. C'est pour elle que nous offrirons à Dieu la première Exposition qui se fera dans cette maison, avec toutes les communions de la Communauté, qui a pour vous, Madame, tous les respects qu'elle doit et toute la reconnaissance de vos excessives bontés.

titi CATHERINE DE BAR

Je suis ici dans un pays éloigné, où je ne puis avoir de lettres de k. si je ne les envoie quérir à Toul. C'est ce que je ferai demain, ne pouvant plus souffrir la privation des nouvelles que j'attends de Votre Altesse Royale, que je vois toujours environnée de contradictions. Mais, courage, Madame, vos maux finiront quelque jour et vous jouirez d'une paix et d'un repos éternels. Ne désistez point de votre sainte résolution et soyez plus que jamais toute à Jésus et à sa très sainte Mère et je continuerai d'être, avec un très profond respect, Madame, de votre Altesse Royale.

LETTRES INÉDITES 89

liens, afin que vous puissiez prendre votre vol dans la douce et aimable solitude où vous aspirez si souvent, et vous reposer dans le trou de la pierre, qui n'est autre que le Sacré Coeur de Jésus. C'est là, Madame, et non ailleurs que vous jouirez d'un parfait repos, et que les flammes de son Coeur adorable consommeront le vôtre. J'en souhaite avec ardeur le précieux moment et de me voir à vos pieds pour être témoin de votre bonheur et avoir un peu de part aux miettes qui tomberont de la table où vous ferez, Madame, ce festin délicieux.

En attendant ce grand bien, souffrez que je sois toujours ce que votre bonté m'a permis d'être, avec très profonds respects...

Ir 1895. 'eue lettre est donnée selon le Ms : P101 p. 804.

nt, 123 Ms P110 p. 282

(1) Jeudi de Pâques 29 avril 1666. L'histoire de ce monastère et de son agrégation à l'Institut est rapportée dans : Catherine de Bar, p. 220 à 231 et p. 304 à 309.

de Rambervillers, avril 1666

Ce ne sera point par ces mots que je vous rendrai grâces très humbles de la continuation de vos bontés vers la plus indigne de toutes vos servantes. J'ai trop peu de loisir pour épancher les • sentiments de reconnaissance dont mon coeur se trouve rempli : j'en réserve les productions pour mon retour à vos pieds.

Nous faisons jeudi la première Exposition du Très Saint Sacrement dans cc monastère pour introduire et établir l'Adoration perpétuelle (1) ; après cette cérémonie nous n'aurons plus à faire ici ; nous irons à 1 oul pour faire faire profession à deux filles novices (2). Je voudrais avoir déjà fait tout ce que ma commission porte, pour accomplir avec plus de diligence vos volontés et aller• prendre part aux croix que la divine Providence vous envoie journellement, que je souhaite ardemment être toutes transférées dans mon coeur, pour en soulager le vôtre. La croix est le partage des élus, c'est par elle que Jésus les sanctifie. Doutez-vous, Madame, qu'il n'ait pas un dessein sur votre âme. Oui, certainement. Plus je fais prier Dieu pour vous, plus je suis confirmée et certifiée intérieurement qu'il vous veut toute à lui, et qu'il ne cessera point de vous crucifier qu'il ne vous ait purifiée et rendue digne de son union éternelle et des pures opérations de son amour, qui est l'unique bonheur où vous aspirez. Il faut toujours relever le courage dans les différents effets que la grâce opère, d'autant que la nature pâtit et qu'il est dur de mener une vie toujours souffrante. Il faut une haute estime de Dieu, pour être toujours soumise à ses conduites et porter dans le coeur l'amour de ses volontés, notamment lorsqu'elles sont si crucifiantes. C'est tout ce que les saints ont pu faire sur la terre et que vous tâchez de faire, Madame, pour vous conformer à Notre Seigneur Jésus. Je le prie qu'il vous fortifie afin que vous puissiez soutenir tout ce que Dieu veut faire en vous de grand et de saint.

Je continue de faire prier Dieu pour vous et pour la rupture de vos

(2) Françoise Charbonnier (Sr St François de Paule) fait profession le 15 mai. Anne Parisot (Sr Marie du St Sacrement) le 19 mai.

août 1666

La Providence nous a donné bien de l'exercice. Nous avons quasi perdu notre bonne Mère de St J... (1) par les maux de tête et vomissements violents. Nous ne savons encore quelle sera l'issue de son mal. Notre Seigneur semble prendre plaisir de la purifier par les douleurs, pour la rendre une digne victime de son amour. Elle souffre de si bonne grâce, et avec tant de soumission au bon plaisir de Dieu. qu'il y a consolation de l'envisager sur son lit, comme une victime sur son bûcher, que l'amour et la douleur consomment.

C'est la joie d'une fille du Saint Sacrement, qui sert tous les jours de sa vie immolée avec son adorable Jésus, et qui ne vit que pour mourir à tous moments, en réparation de sa très auguste Majesté offensée. Heureuse une âme qui se voit ainsi sacrifiée avec son divin Sauveur, et qui n'a point de plus grande passion que de se voir consommer pour l'amour de son Dieu, par le feu des souffrances! Vous le savez mieux que personne, ayant si bonne part à la croix de Jésus, et la portant avec une si généreuse patience qu'elle édifie tout le monde. C'est ainsi, Madame, que votre âme se sanctifie et qu'elle avance sa bienheureuse éternité.

Je prie Dieu qu'il vous augmente incessamment ses grâces, et me rende digne d'être. avec autant d'effet que de zèle, et de profond respect...

no 1913. Ms : P110 p. 278.

(I) Probablement Mère de Saint Joseph. Cf. lettre du 11 aoùt 1666 p. 276.

LETTRES INÉDITES

90 CATHERINE DE BAR

91

Je ne sais, Madame, ce que vous avez, mais je sens bien que depuis quelques jours vous pâtissez beaucoup plus que l'ordinaire, et quoique vous le vouliez cacher aux créatures, mon esprit ne laisse pas de le pénétrer, et mon coeur souffre avec vous. Cherchons au nom de Dieu les moyens efficaces d'en sortir.

Je n'ai rien fait sur les mémoires de l'autre jour. Nous les enverrons aux R.P.... Je prie Dieu qu'il les inspire sur votre Maison de Nancy. Je n'ose rien vouloir, crainte que je ne fasse ce que saint François de Sales ne veut pas, qui est d'avoir trop de désirs. J'anéantis de tout mon coeur tout ce que mon esprit pourrait produire là-dessus, pour me laisser en proie au bon plaisir de Notre Seigneur. Je le prie de faire en tout cela sa très sainte volonté, et qu'il vous comble des grâces que je vous souhaite, pour être une aussi grande sainte que je le désire et que Dieu veut. Le reste à demain puisque j'aurai l'honneur de vous voir après-midi. Je vous souhaite cependant une bonne portion de la félicité des Saints et que vous soyez remplie de l'abondance des grâces divines.

no 1154. Ms : P 1 IO p. 315.

Vers 1667 (1)

L'occupation d'hier et d'aujourd'hui m'a dérobé l'honneur et la douce consolation de vous rendre mes respects, et aussi mille humbles actions de grâces, de tout ce que vous faites pour votre maison et pour notre Institut ; mais singulièrement de votre zèle pour la gloire du Très Saint Sacrement et l'adoration perpétuelle. Vous trouverez Madame, une admirable récompense dans le paradis, pour toutes ces belles et excellentes choses. Vous faites exalter le Fils de Dieu, humilié dans l'Eucharistie, et il vous glorifiera dans son éternité bienheureuse. On ne rend en ce monde aucun service à Notre Seigneur qu'il ne le récompense au centuple dès cette vie. Je congratule celles qui ont le pouvoir de le faire. Je les estime infiniment heureuses. Oh, Madame, réjouissez-vous en Jésus de ce qu'il veut couronner vos désirs et recevoir la gloire et les hommages que vous lui voulez procurer. Je suis dans l'impatience de voir tout réussir à votre contentement. Je vous supplie de me tenir toujours dans un petit coin de votre cher souvenir, pour m'honorer des nouvelles de votre santé et de celles du quart-d'heure, s'il se fait...

no2137. Ms: P110 p 314

(I) Le monastère de Notre-Dame de Consolation de Nancy a été agrégé à notre Institut en février 1669 après 2 ans de tractations.

DE L'INDIFFÉRENCE POUR TOUT LE CRÉE

Paris, 1667

Puisque vous nous privez de l'honneur de votre présence, je vous demande permission de vous importuner de ces lignes, pour savoir l'état de votre santé et si les impressions qu'on a jetées dans votre esprit, contre ma sincérité, ont encore quelque place dans votre pensée.

J'avoue que j'ai eu quelque retenue sur votre maison de Nancy, mais rien ne me l'a causé que la croyance que Notre Seigneur ne vous donnait point d'instinct particulier pour cela, et je m'en étais dépouillée devant Dieu avec résolution de n'en faire aucune avance, afin d'y mieux connaître les ordres et les volontés de Dieu, et que je devais attendre de vous les réponses. J'espère que demain vous apprendrez quelque chose. Je serai toujours prête de partir quand il vous plaira. C'est le plus grand bonheur qui me puisse arriver sur la terre, de finir ma vie à vos pieds. Mais avant que de jouir de ce doux et paisible repos, il faut rompre vos liens. Je crois que vous y penserez plus fortement que jamais. Je fais prier Notre Seigneur qu'il vous donne une forte délibération de ce que vous devez faire, et après la conclusion, nous prendrons l'essor pour voler dans notre chère solitude. Hâtez-vous Madame, Notre Seigneur vous y attend pour vous y combler des grâces et des douceurs de son Divin Amour. C'est ce qui vous tient le plus à coeur, et ce que vous désirez avec une sainte impatience.

Je le souhaite de ma part avec ardeur, mais je vous supplie, avant que de nous embarquer, ôtez de votre croyance le défaut dont vous me voulûtes accuser hier ; il ferait un obstacle à votre repos et à l'union des coeurs que Notre Seigneur lie par son amour et qui ne se doivent plus séparer, ni en ce monde, ni en l'autre, puisque c'est en son Esprit qu'ils sont unis et pour cela qu'ils seront inséparables.

no 2553. Ms : N267 p. 45.

[1668/16691

J'ai reçu, Madame, celle dont il vous a plu m'honorer, par laquelle je comprends l'angoisse de votre coeur ; mais je vous supplie très humblement de prendre courage et de vous assurer que Notre Seigneur, par les intercessions de sa bénite Mère, vous délivrera de l'oppression ; et j'ai confiance que, comme vous voulez faire exalter le Fils et la Mère dans votre maison de la Consolation, Jésus et Marie prendront un tel soin des affaires de votre Maison Sérénissime, que vous aurez sujet de vous en réjouir et de chanter de tout votre coeur « Quo-

92 CATHERINE DE BAR

niam bonus, quoniam in aeternum misericordia ejus».

Je vous conjure humblement de relever votre courage. Nous ne serons pas encore longtemps sans ressentir la puissance de son bras ; attendons avec confiance - et je dis en secret - avec assurance. Plût à Dieu que je puisse être une heure auprès de vous ! Je vous dirais bien des choses qui ne vous affligeraient pas. En attendant que je possède cette grâce, je vous dirai avec respect que son Altesse Sérénissime, à votre considération, Madame, nous a accordé ce que nous lui avons demandé pour la suppression du titre d'Abbesse. Il en est d'accord et a pris la peine de me donner à cet effet, des lettres pour Rome (1). Reste donc à signer le traité avec ces bonnes Mères et ensuite nous prendrons possession de la maison, au nom de l'Auguste Mère de Dieu. qui en sera la très digne et unique abbesse perpétuelle. Nous aurons l'honneur de vous dire davantagé au premier ordinaire.

no 749. Ms : Sor. p. 219.

(I) Le 10 décembre 1668. Dom Espinasse. grand vicaire de l'abbaye de Saint Germain des Prés donne «obédience à Mère Mectilde pour se rendre en Lorraine pour l'union de la maison de Notre Dame de Consolation de Nancy. à notre Institut». Le 26 janvier 1669. Monseigneur du Saussay, évêque de Toul donne «obédience pour l'union de ce monastère à notre Institut». Le 6 des Calendes d'août - 12 août 1670, 2ème année du pontificat de Clément X, un Bref de la Pénitencerie de Rome est envoyé à Monseigneur de Toul pour faire passer les religieuses de Notre Dame de Consolation de Nancy à notre Institut. cf. A rch. de notre monastère de Tourcoing.

Voir le récit de l'agrégation du monastère N.-D. de Consolation de Nancy à notre Institut : C. de Bar- Documents, 1973, p. 259 et sv.

DISPOSITION POUR PROFITER DU JUBILÉ

[décembre 1668]

J'espérais bien l'honneur de vous écrire, devant que vous me l'eussiez ordonné, pour vous dire un mot sur le Jubilé. (1)

Je crois que vous savez bien avec quelle pureté d'intention on doit travailler à le gagner, et combien il est important de s'y bien préparer. Notre âme en reçoit de merveilleux effets lorsqu'elle est revêtue des dispositions qu'elle doit avoir. Le bon Père de Gondran (2) a laissé

tin petit livre qui en parle dignement si vous le désirez, je vous

l'enverrai.

Le principal effet du Jubilé, c'est le changement de vie. C'est ce que je voudrais avoir et que je demanderai de tout mon coeur. Il faut aller de bien en mieux, autrement le Jubilé ne servira de rien. Je sais que vous en avez le désir et que vous voulez être, sans réserve, toute à Dieu. Voyons en sa Présence et en sa lumière ce qui nous arrête et nous empêche :

Les petits péchés d'habitude nous font un tort notable. C'est un pas fort glissant et qui nous engage quelquefois à de plus grandes

LETTRES INÉDITES 93

fautes, si nous n'y prenons garde. Il faut que la grâce du Jubilé retranche tout cela et nous prépare à une sainte mort, étant peut-être le dernier que nous recevrons.

Je voudrais bien que vous ayez un second Père N... Il vous serait bien utile dans cette occasion. Il faudrait un confesseur qui avec la douceur de la grâce poussât votre âme suavement, parce que, dans le chemin de la perfection ne point avancer, c'est reculer, et cela arrivera imperceptiblement à moins d'avoir une grande vigilance intérieure. La raison est que nous sommes environnés de nos ennemis, dont le plus violent c'est nous-même, et duquel nous avons souvent moins de défiance. Je voudrais bien vous porter dans le Coeur de Jésus, mais vous êtes plus digne d'y entrer que moi-même qui ne suis qu'abomination devant Dieu.

Cependant j'ai du zèle pour votre âme et sa sanctification. C'est pourquoi je vous supplie avec profond respect, que vous examiniez simplement devant Dieu, en sa lumière, sans gêner votre esprit, si vous faites ce qu'il demande de vous, et si vous correspondez pleinement à la grâce et aux touches du Saint Esprit.

Tout ce que je désire, c'est que vous sortiez de vous-même pour entrer en Jésus Christ, car il faut que les paroles de l'Apôtre portent leur effet en vous : « Vous êtes morts dit-il et votre vie est cachée en Jésus Christ ». Une âme qui ne vit point de cette vie, n'est ni heureuse, ni agréable à Dieu. Il n'est point si difficile d'y vivre que l'on s'imagine. Un bon fond comme le vôtre est une terre bien disposée pour recevoir les divines impressions. Il me semble que le plus fort est de vous défendre d'être trop humaine, et que Dieu ne soit pas assez l'unique objet qui vous anime, ni le pur motif qui vous fait agir. Vous savez les paroles de Notre Seigneur : « Si votre oeil est simple, tout votre corps sera lumineux ». Si vous regardez purement Dieu en toutes vos paroles et en toutes vos actions, toute l'économie de votre intérieur ira bien, vous ne serez ni en inquiétudes, ni en ténèbres. C'est ce qui vous peut rendre heureuse.

Je vous conjure de vous tirer de mille embarras d'esprit, qui ne laissent pas de vous gêner et qui retardent votre consommation en Dieu. Je le prie de vous donner la force de vous surmonter, et de vous faire entrer dans sa paix, pour bien et saintement gagner le Jubilé, et faire naître en vous le Saint Enfant Jésus, en qui je vous suis sans réserve, avec profond respect...

n,, 1432

(I) Le Pape Clément IX accorda un Jubilé à la France en 1669 pour demander l'aide de Dieu contre

les Turcs.

(2) Certains manuscrits de cette lettre portent -le bon Père de Condren». mais la liste des œuvres du second Général de l'Oratoire, qui a fort peu écrit, ne fait pas mention de cet opuscule. c'est pourquoi nous conservons le nom de Gondran.

94 CATHERINE DE BAR

[1669J

Vous ne doutez point que je ne sois touchée du dernier sensible, bien que je ne croie point votre maison anéantie. Mais quoi qu'il en soit : « Levate capita vestra », levez votre esprit de la terre et des créatures et voyez des yeux de la foi la conduite de l'adorable Providence de Dieu.

Laissons les causes secondes pour nous lier à ces premières, et dites en vérité et de tout le coeur unie à Dieu : « Mon règne n'est point de ce monde», et il sera désormais dans le coeur de Jésus Christ. C'est là où vous devez établir votre royaume en mettant votre couronne à ses pieds. Puisque vous avez remis vos Etats entre les mains de sa très sainte Mère, vous lui en abandonnez totalement la conduite, pour n'y prendre plus de part qu'en l'esprit de son Fils ; et puisqu'il n'attend point le temps de la mort corporelle qui dépouille de tout nécessairement, pour vous séparer de ce que la naissance avait mis à votre possession, entrez dans ses desseins par une intime union de votre volonté à la sienne. Dites lui d'un coeur plein d'amour et de confiance que son bon plaisir vous suffit, que vous renoncez à tous les royaumes de la terre, pour vous renfermer en esprit dans le coeur de Jésus, où vous vous ferez gloire de régner paisiblement, par une soumission amoureuse à ses conduites, qui veut que sa grâce fasse en vous un usage tout divin de votre croix.

Et si vous ne pouvez remédier aux maux présents, tâchez de gagner pour le Ciel des biens immenses que vous pouvez acquérir à tout moment. Plus vous êtes accablée, pour ne point dire terrassée, plus votre bon coeur se doit soutenir en foi, disant avec saint Augustin : «J'espèrerais en Dieu, quand même il m'abîmerait». Oh si, par les indignités que vous recevez de vos ennemis, vous en tirez votre sainteté, n'est-ce pas un bien infini ? N'en perdez point l'occasion. Faites devant Dieu comme si tout était perdu, pour vous, afin que vous lui puissiez désormais dire : « Je me contente de vous seul. Mon règne est dans votre Coeur et le vôtre est dans le mien ». Oui, si Jésus règne en vous, vous régnez en lui, doux règne qui n'aura point de fin. C'est où il faut s'établir solidement et où les atteintes des hommes ne pourront plus ébranler votre constance. Mais quelle joie de régner, de ce beau règne qui rend une âme immuable aux renversements ! Rien ne peut plus altérer sa paix. Les ordres du bon plaisir de Dieu font sa gloire et son amour, sa félicité éternelle.

Tout ceci n'empêche pas que vous n'agissiez en ce qui vous sera possible. Mais faites toutes choses avec cette union du coeur et d'esprit à Dieu, ne vous laissez point submerger par la tristesse. C'est dans cette rencontre où vous pouvez faire des merveilles pour votre éternité : « Dominus dedit, Dominus abstulit, sit nomen Domini bene-dictum » (1). Pour moi, je ne perds pas la foi, quoi qu'il semble que

LETTRES INÉDITES 95

tout s'abîme et que tout périt. Cependant que je suis pénétrée de douleur, sachant que vous l'êtes humainement parlant, très justement. Il faut redoubler les prières, nous le ferons de tout le coeur.

n°3119

(I) Job. 1.21.

Plût à Dieu, Madame, avoir des paroles de grâces, pour vous consoler et fortifier dans les angoisses que je sais que vous souffrez, dans ces conjectures d'affaires qui touchent votre Maison!

Voici d'étranges épreuves que Dieu donne à votre vertu ; mais comme vous êtes accoutumée à faire des actes héroïques d'aniour et de sou-

mission aux volontés de Dieu, il faut envisager les maux présents dans les ordres de la divine sagesse, pour en faire l'usage qu'il veut,

et par toutes ces sortes d'afflictions, élever votre âme à une haute sainteté. C'est un dernier trait qu'il donne à votre vertu pour la rendre parfaite. Ce n'est pas que je dise que tout soit perdu ; celui qui nous blesse nous peut guérir. Mais ce sont des crises difficiles à soutenir, et où la nature succombe si la main de Dieu ne la tient.

Je vous regarde Madame, dans cette main adorable toute abandonnée à son plaisir. Je vous supplie de n'en jamais sortir et ne point perdre la paix de l'âme pour quoiqu'on vous puisse dire. Vous savez que tout ce qui vous touche n'est plus à vous. Vous les avez données à la très Sainte Vierge. C'est à elle de les défendre et à vous, Madame. de demeurer inébranlablement dans une pleine et entière confiance en sa bonté. C'est ainsi que vous triompherez de tout ce qui s'opposerait à votre tranquillité, et tandis que cela durera, vous éleverez vers le ciel, où cette puissante avocate recevra vos voeux par son très Saint Coeur pour les rendre agréables à son Fils. Je ne vous puis dire les tendresses respectueuses que mon coeur ressent pour le vôtre, dans les diverses agitations où je le vois. Je n'ai pas besoin d'être à vos pieds pour les connaître, je les pénètre assez en les portant, par je ne sais quelle liaison que le respect m'empêche de nommer , mais qui se sent vivement, et que j'ai vue très particulièrement ce matin à la Sainte Communion que j'offrais à Dieu pour vous et ce qui vous touche. J'ai connu, ce me semble, l'angoisse de votre pauvre coeur, qui m'a fait verser des larmes en la Présence de mon Dieu. le priant de toute l'ardeur de mon âme de consoler la vôtre, et vous animer de sa grâce et de son Esprit. J'ai impatience de me voir à vos pieds pour partager vos douleurs et les attirer toutes dans mon coeur. qui est, Madame, en Jésus, plus à vous qu'à moi-même.

n° 2475

( RINI DI PAR LETTRES INÉDITES

1 - ( hal les, par la glace de Dieu. duc de 1.ot-raille. M;u duc de ( glabre, Bar, Gueldre, marquis

de Polit a NIoii,,›,od et de Nomeny, comte de Provence. Vaudemont, Marmont, lulphen, Saverden,

salin et, r tous crus qui ces présentes verront, salut. Depuis la donation et le transport irrévocable

que nous avons lait de nos nias a la 'Ires Sainte Vierge, mère de Dieu. en l'honneur de son Immaculée onception. et que nous ne nous sommes réservés que le pouvoir de maintenir son autorité, et le soin de l'exécution de ses droits. l'égard de nos peuples ses sujets : nous avons estimé que pour mériter les effets sensibles de sa protection particulière, nous étions obligés de rendre tous nos Etats et nos peuples ses tributaires et que, comme l'oblation des prémices dont Dieu a voulu être honoré, marque est le principe de nos biens, aussi le tribut que nous en donnerons à la Sainte Vierge fasse voir que nous la consideions comme la cause (après Dieu) de leur conservation, que chacun sache à qui nous

sommes piotecnice qui nous défend. et la souveraine sous laquelle nous vivons. A ces causes,

don, on. or doline et ordonnons que tous les peuples de nos Etats, commenceront ci-après, à lui

donne, haque mince le tribut de leurs biens ir leur dévotion, et qu'à cet effet dans chaque lieux de dos dits I tais. On lira incessamment chois d'une personne de probité, qui lève et reçoive de chaque L'indic, par tete, le tribut dut a 1;1 Sainte Vierge, pour être employé à son honneur, à la décoration de ses autels et images. dans chacune des villes, bourgs, villages et communauté de nos dits Etats, ou a telle autre chose qui concerneront son honneur. aux choix et dévotion de nos peuples. Voulons et nous plaît qu'il soit incessamment satisfait a notre intention, mandant à tous ceux qui sont sous notre obeissance, de contribuer à l'e‘ecution des présentes, tel étant notre bon plaisir. Donné à Nancy, le ‘111 t-deuxieme de janvier de l'an mil sis cents soixante et neuf. Signé : Charles. «Monseigneur l'évêque de Toul a octroyé quarante jouis d'indulgences à toutes les personnes qui s'acquitteront de ce

ibut envers Notre-Dames.

de Nancy, le 13 avril 1669

nfin, Madame, Notre Seigneur a exaucé les désirs de votre coeur

royal sur sa maison de la Consolation : il a augmenté le nombre des

Victimes de son divin Sacrement, sans les priver de la grâce qu'elles

ont d'être les Filles de votre Altesse Royale.

Jeudi, le Fils de Dieu, en cet auguste Mystère, en prit possession par une Exposition solennelle, mais pas encore dans la magnificence que j'aurais souhaitée. La musique de son Altesse suppléa aux défauts de nos voix. Le Sérénissime Prince eut la bonté d'y assister (1), et ce fut avec tant de satisfaction qu'il dit hautement n'en avoir point

ressenti de plus tendre, ni de plus cordiale, depuis qu'il est rentré dans

ses Etats. Ce qui marque bien la piété de son coeur et l'amour qu'il porte à Jésus Christ.

Notre fête eût été accomplie si votre Altesse Royale y eût été pré-

sente : elle ne doute pas qu'elle ne fut ardemment souhaitée de toute

la Communauté et très particulièrement de sa très indigne servante.

Notre Seigneur n'a pas voulu que notre joie fût entière : il laisse tou-

jours quelques petites douleurs dans les consolations de cette vie,

quoiqu'elles soient saintes dans leur sujet, pour montrer qu'il n'y a de

félicité parfaite que dans le Ciel. Quoiqu'il en soit, Madame, votre

zèle a produit des Victimes à Jésus Christ et des réparations conti-

nuelles pour les outrages que mes péchés lui ont faits. Vous verrez par

la suite le grand bien que vous avez fait. Madame, et la récompense

en sera éternelle.

Il était temps que votre Altesse Royale apportât quelque remède

alix souffrances de ces bonnes Mères, qui languissaient et soupiraient

après le repos qu'elles témoignent posséder avec beaucoup de recon-

naissance. Elles le doivent, Madame, à votre Altesse Royale. Elles

ne manqueront pas de lui en faire leurs très humbles remerciements. Madame la Duchesse de Lorraine (2), étant au Salut, nous fit l'honneur de nous témoigner à la grille qu'elle avait une grande joie de

notre établissement en cette ville et de la satisfaction que votre .Altesse

Royale en recevrait.

Voilà en raccourci le détail de notre petite cérémonie, qui sera bien plus éclatante lorsque la grande église sera en état d'habiter.

n0 388

(1) Charles IV. duc de Lorraine. Prince régnant.

(2) Probablement Louise d'Apremont.

Rue Saint-Dizier, vue de la porte Saint-Nicolas.

Le monastère Notre-Dame de Consolation se trouvait sur la droite. L'église a été démolie pour k perce-

ment de la rue Général-Drouot en 1843.

CATHERINE DE BAR

[photo omise]

COMMENT IL FAUT FINIR ET COMMENCER L'ANNÉE

décembre 1669

e ne puis finir l'année sans vous souhaiter une heureuse conclusion V et un saint renouvellement en son amour. Je vous supplie d'entrer dans la pratique que nous nous sommes proposée cette nouvelle année : C'est l'amour et la confiance filiale en Dieu. Il veut cela de ses enfants, et comme il vous a purifiée dans le sang de son Fils au Saint Jubilé, il veut que vous oubliez votre vie passée pour ne plus vous souvenir que de ses bontés et de son amour. C'est la plus digne réparation que vous pouvez faire des infidélités commises, aimant ce Dieu uniquement aimable, et vous confier en ses soins, vous attacher à son Coeur et vous complaire en ses saintes volontés. C'est de ne vous plus affliger dans les accidents de la vie, mais d'avoir une foi vive, croyant que Dieu vous aime du même amour qu'il s'aime soi-même, et veut que vous vous reposiez en lui.

Je vous prie de ne plus sortir de cette douce et amoureuse confiance et soyez bien persuadée que Dieu veut cela de vous, et que hors de cette conduite, vous vous serez éloignée de votre centre et de la peix intérieure que vous aimez tant. L'amour et la confiance sont votre partage pour cette nouvelle année. La Providence me l'a donné pour vous comme votre loi sûre et facile qui vous mènera sûrement où vous aspirez de tout votre coeur. Goûtez un peu les tendresses de l'infinie miséricorde de Dieu, il ne la peut faire paraître plus grande qu'en nous donnant son Fils. C'est le don qu'il vous fait pour gage de votre bonheur éternel, vous donnant en lui les clefs du paradis. Remplissez donc votre coeur d'une sainte joie et ne pensez plus qu'aimer : c'est votre portion, n'en demandez point d'autre.

Je prie l'Enfant Jésus qu'il allume en vous le feu divin qu'il est venu apporter en terre, et qu'il vous donne un comble de bénédictions en cette nouvelle année : la sainteté et consommation de tout vous-même en son amour. Je suis en lui tout à vous, pour le temps et l'éternité. Avec profonds respects...

no1110- Ms: N267



LETTRES INÉDITES 121

A LA MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME] À SAINT-MIHIEL (1) Sous-Prieure du monastère des bénédictines de Rambervillers [Vosges]

De l'Abbaye de Montmartre, octobre 1641 Ma très Révérende et très chère Mère (2),

Que la divine lance qui a percé le cœur adorable de Jésus transperce le vôtre et le consomme de ses divines et amoureuses ardeurs, pour très affectionné salut !

e ne vous saurais exprimer la grande consolation que j'ai reçue

en la lecture des vôtres et combien j'ai ressenti de tendresse et de désir d'effectuer les promesses que je vous ai faites. Je vous aurais déjà consolée en ce point, n'était la charge que vous possédez qui m'en ôte le pouvoir ; si vous pouvez obtenir votre obédience, c'en sera bientôt fait, et ce en un lieu pour lequel vous avez tant d'inclination ; souvenez-vous du lieu dont nous avons si souvent parlé ensemble, étant à Saint-Mihiel [Meuse], et où il y a une religieuse qui s'appelle la soeur Saint-Joseph, favorisée et ornée de toutes les vertus ; je ne vous nomme pas le lieu ; vous vous en souviendrez s'il vous plaît. Je vous dirai seulement que j'ai eu l'honneur d'y entrer et d'embrasser cette âme favorisée de Dieu, mais avec tant de consolation que volontiers j'aurais

(1) Chassées de leur monastère par les guerres, les Bénédictines de Rambervillers ont trouvé un refuge provisoire à Saint-Mihiel. M. Guérin, envoyé par M. Vincent de Paul pour porter secours aux provinces dévastées de l'Est, parvient à faire accepter, par Mahe de Beauvillier, abbesse de Montmartre, de recevoir au moins deux moniales Lorraines._ C'est ainsi que Mère Mectilde et sa compagne, Mère Louise de l'Ascension, arrivent à Paris le 28 aout 1641 ; cf. Catherine de Bar, Documents historiques, 1973, p. 49 et suiv.

(2) Elisabeth de Brême est née à Sarrebourg en 1609 de Dominique de Brême, maître échevin de la ville. Nous ne connaissons pas le nom de sa mère. Mais «nous savons qu'un de ses oncles, Roger de Dainville, était chanoine de Saint-Etienne de Sarrebourg et avait une réputation de très grande vertu. Elevée très •chrétiennement, elle désirait embrasser la vie religieuse, et, envoyée par ses parents à Nancy pour y apprendre le français, elle essaya plusieurs fois d'être reçue chez les Annonciades. Son père s'opposa formellement à sa vocation et lui fit épouser à 17 ans un officier lorrain, M. Chopinel. Elle eut une fille et devint veuve après trois ans de mariage. A 23 ans, malgré les oppositions de ses parents, elle se retire chez les Bénédictines de Rambervillers où sa haute et solide vertu ne tarde pas à attirer l'attention. En 1634, elle est maîtresse des novices, puis sous-prieure. En 1653, elle est élue prieure, et le restera jusqu'à sa mort, le 24 octobre 1668. L'échange de correspondance avec Mère Mec-tilde que nous publions montre la qualité de ces deux grandes âmes. cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 226.

ael MO IIIIIII 1111111 1111111 811111

122 CATHERINE DE BAR LFTTRFS INÉDITES 123

dit comme saint Pierre. Or, en cette maison, la Règle s'observe dans une grande pureté. Je n'ai jamais remarqué une soumission plus grande, ni

une charité et humilité plus parfaites ; tout s'y observe avec un ordre

admirable, accompagné d'un grand silence. Ce n'est pas tout. Il faut que je vous dise que cette âme de question n'est pas seule en sa vertu ;

la plupart la suivent de près, signamment une bonne maîtresse des no-

vices et quelques autres que je ne nomme point. Elles sont vingt-quatre religieuses en tout qui néanmoins se ressentent de la pauvreté, mais

non pas comme nous. Que direz-vous de la charité que ce Dieu d'amour versa dans leur coeur pour moi ? Jusqu'à ce point que de me vouloir retenir ; et sur ce sujet me firent promettre que je les reverrais plus particulièrement. De vrai, je reçus un grand combat, savoir si je devais m'arrêter ou suivre l'obéissance qui m'engageait. Je me résolus d'obéir et leur fis promesse de faire mon possible de les revoir ; elles m'en donnèrent les moyens. Or, ma très chère Mère, pour vous témoigner combien je vous suis fidèle en mes promesses, je leur parlai de votre désir et de la sincère affection que vous avez pour cette maison ; je vous puis assurer que toutes me promirent d'avoir la même volonté pour vous qu'elles me daignaient témoigner, moyennant un point que je ne vous puis mander, qui n'est pas très important, car je ferais bien facilement cela si l'occasion était à moi. Voyez donc, s'il vous plaît, si je vous oublie. Non, il m'est impossible de vous ôter de mon souvenir, quand bien même je m'efforcerais de le faire. Vous m'êtes en Dieu actuellement présente, mais d'une manière très singulière, sur la sainte Croix où je vous donne et abandonne à ce doux Seigneur mourant. Si vous saviez combien j'ai de désir de vous tirer de la misère où vous êtes, peut-être que vous seconderiez mes volontés en les présentant à Dieu pour recevoir de sa miséricorde leur effet. Courage, ma très chère Mère, je vous promets de me priver de ce lieu de question pour vous en faire jouissante, et si le bon Dieu me donne les moyens d'agir, je vous promets qu'en ce point vous aurez contentement.

.le vous ai déjà souhaitée plus de mille fois en ce saint lieu où je suis. 0 Dieu, que vous auriez de consolation ! ou plutôt de sainte appréhension de marcher sur une terre arrosée et trempée du sang du sacré martyr saint Denis (3), ce urand maître de la théologie mystique ! Il faudrait un grand volume pour vous dépeindre la dignité du lieu et la sainteté qui s'y trouve. Il y a grande quantité de saintes reliques et des corps saints tout entiers, et s'il y a un paradis en terre, je puis dire que c'est Montmartre, qui est un vrai paradis terrestre où les vertus se pratiquent en perfection et où notre sainte Règle est gardée dans une

(3) 11 y eut trois saint Denys : 1) l'Aréopagite dont parlent les Actes des Apôtres 17.34 - 2) saint Denys, le premier évêque de Paris au Ille siècle - 3) le «grand maître de la théologie mystique» à qui est attribué le Corpus dionysiacum et qui vécut probablement vers le I Ve siècle. A l'époque de Mère Mectilde la confusion entre ces trois personnages était encore fréquente. Jean Rupp, L'église de Paris, R. Laffont. Paris, 1948, p. 15 - 23 - D.T.C., art. Ménard, fasc. LXXX I - LXX XII, col. 548 - D.T.C., le Pseudo-Denys, fasc. XXVI I, col. 429 436.

observance très exacte. Je sais que vous avez été autrefois dans la pensée que la réforme n'y était pas. Je vous puis assurer et protester qu'elle y est si particulièrement pratiquée par les saintes religieuses de ce lieu que cela ravit d'admiration et je vous supplie d'en louer et remercier notre bon Dieu et qu'il continue ses saintes bénédictions. Souvenez-vous, s'il vous plaît, d'une lettre que je vous écrivis il y a quelque temps, où je vous racontais quelques merveilles de ce sacré lieu. Tout ce que je vous dis en cette lettre n'est rien à l'égal de ce que j'y trouve; 'en glorifierai Dieu éternellement.

.l'ai toujours grandement à l'esprit ma pauvre Marguerite (4). Je vous promets de faire mon possible pour elle. Si l'obéissance me laisse agir, je tâcherai de lui trouver quelque lieu vertueux et saint. Courage, ma très chère Mère, je prierai toutes les saintes âmes de ce lieu sacré de prier Dieu pour vous : elles me l'ont déjà promis, mais à condition que vous ferez le même pour elles, mais surtout pour Madame l'Abbesse, qui est la première et la plus favorisée du Ciel. Je vous assure que tou-

tes les vertus sont amassées en elle priez la divine bonté de les lui

continuer puisqu'elle l'a choisie pour une oeuvre si sainte.

Si vous saviez combien vos lettres me consolent. vous prendriez la peine de m'écrire plus souvent : vous connaissez mon esprit et mon néant. J'aurais infiniment désiré de vous parler encore une fois, mais il plaît à ce Dieu d'amour me tenir dans la privation : j'embrasse la sainte Croix avec vous, et désire de tout mon coeur mourir sur icelle. Je ne sais comment remercier cette adorable bonté de m'avoir retirée en un lieu où, par le secours divin et l'exemple que j'ai journellement devant les yeux, je peux devenir parfaite. Il faut que je vous dise que je crains bien qu'il ne durera guère et j'en suis déjà dans les appréhensions. Je vous supplie, donnez-moi fortement et instamment à Dieu et le priez qu'il captive toutes les puissances de mon âme, en sorte que je meure mille fois plutôt que de l'offenser. Cette crainte de tomber dans le vice me donne mille frayeurs et m'empêche d'être si parfaitement résignée de sortir d'ici, encore que je m'abandonne à Dieu autant que je puis. Je voudrais de très bon coeur descendre dans les enfers plutôt que de déplaire à Dieu, secourez-moi de vos prières à ce sujet. Or, la plus ordinaire pensée que j'ai de présent, c'est le désir d'être parfaitement anéantie et d'être attachée sur la très précieuse Croix. Quant à l'anéantissement, je le comprends intérieur et extérieur, m'étant avis que sans icelui je n'avancerai pas vers Dieu ; et, pour l'extérieur, il est facile avec la grâce ; mais l'intérieur, je le

(4) Marguerite Chopinel, tille de M. Chopinel et d'Elisabeth de Brême. née le 25 octobre 1628, fut élevée au monastère de Rambervillers. Quand sa fille eut 10 ans, sa mère la confia à sa famille à Sarrebourg, mais elle fut obligée de chercher refuge à Saint-Mihiel à cause de la guerre. Là. Mère Mectilde s'occupa d'elle comme de sa propre fille. Elle put la faire venir à Paris, à Saint-Maur-des-Fossés, où elle avait ouvert un petit pensionnat en 1643. En 1646, elle prend l'habit de saint-Benoit au monastère de Rambervillers et. le 21 août 1647, elle y fait profession sous le nom de Soeur Marie de Jésus. En mars 1651, elle revient à Paris avec Mère Mectilde, qu'elle ne quittera plus. Elle sera maîtresse des novices du premier monastère où elle meurt en singulière vénération en 1687.

124 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 125

trouve difficile parcequ'il me semble que toute la diligence est peu si A UNE RELIGIEUSE DE RAMBERVILLERS RESTÉE À BARBER! (1)

Dieu même n'anéantit les puissances. La vii :tcité de mon esprit me tra- Saint-Maur, 25 février (1643 ou 44]

vaille beaucoup, et le peu de constance qui est en moi me prive de beau- celui qui nous est toutes choses unisse nos coeurs en lui pour toute Eiernité

coup de grâces. Je vous remercie de toutes les prières que vous faites e suis bien consolée d'avoir de vos nouvelles et de savoir comme va

faire pour la confirmation de notre sainte promesse ; pour moi, je dirai votre santé. Prenez bon courage en la voie de la sainte Croix ; il faut encore un peu de temps souffrir. Votre voie est sainte et très assurée : j'en ai des sentiments tout particuliers lorsque j'y fais quelque réflexion.

à cet effet : le Te decet lares, Te decet hymnus et le Stabat Mater Vous dites que mon absence vous est une bonne mortification ; je vous assure que je ne vous vois point éloignée mais très présente en mon Dieu, à qui je vous donne de tout mon coeur sans réserve, souhaitant de lvous] voir toute à lui selon ses desseins éternels. Courage ! Très assurément vous y serez un jour : la patience en persévérance fait merveille. Je suis bien aise que notre bon Seigneur vous fait profiter de mon éloignement ; il est admirable pour trouver des inventions qui nous obligent de nous quitter nous-mêmes. Néanmoins, selon ce que je puis juter pour le présent, je retournerai avec notre Mère (2), si la divine Providence ne fait naître quelqu'autre occasion que je ne prévois point. Nous sommes à sa toute puissance sans réserve. J'ai quelque consolation de voir que vos peines continuent ; j'en tire des conséquences très avantageuses pour votre âme, encore que cela vous soit bien sensible. Il faut passer par le creuset des peines pour être digne de la sacrée union. Laissez-vous à Dieu et vous abandonnez à sa sainte conduite. Consentez à tous les desseins qu'il a de vous anéantir par ces peines et souffrances ; il faut être plus passive qu'avilissante, en votre état. Encore que la violence d'icelles vous emporte quelquefois, la puissante main de Dieu fera un jour calmer cet orage. Attendez tout de lui et vous perdez dans son infinie bonté qui vous souffre dans les désordres de la nature. Laissez-vous à lui pour être entièrement détruite ; je vous convie encore de vous aider à détruire en vous abandonnant de bon coeur à toute sorte de désolation, vous abaissant devant sa Majesté pour recevoir les effets de sa miséricordieuse justice qui vous purifie par son éternel amour.

dolorosa, à ce que cette Mère de douleur et de compassion nous rende Je ne doute pas que votre peine ne soit grande vers le sujet que vous savez, c'est bien fait de vous faire violence, il faut dompter la nature, notamment en ces occasions où nous voyons clairement la vertu.

conformes au Coeur de son Fils crucifié. Il est vrai que, dans nos exer- Tenez-vous bien joyeuse et tâchez de vous fortifier ; ne négligez

cices derniers, j'ai changé les roses en épines très poignantes dont j'ai ressenti de très vives piqûres. Je ne me soucie pas de quoi je souffre, pourvu que je sois fidèle à Dieu et qu'avant mourir je sois parfaitement délaissée à son Coeur divin. (1) Mère Louise de l'Ascension ou Angélique de la Nativité de Mangeon, toutes les deux professes, du monastère de Rambervillers, cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 64.

Je finis, ma très chère Mère ; voilà une longue importunité que vous recevez de moi, je vous en demande mille pardons. Je vous supplie ( (2) Mère Bernardine de la Conception Gromaire. Celle-ci entrée au monastère de Rambervillers en avril 1629, y fait profession à 23 ans. Prieure en 1637, elle cherche refuge à Saint Mihiel avec les plus jeunes membres de sa communauté en 1640, puis à Paris, où elle rejoint Mère Mectilde à Noël 1642. En 1647, elle retourne en son monastère puis rejoint définitivement Mère Mectilde à Paris en 1653. Sous-prieure de la rue Cassette, prieure de Toul, puis du second monastère de Paris, elle a toujours été l'appui le plus ferme de Mère Mectilde. A partir de 1692, elle n'est plus mentionnée dans aucune correspondance. cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 222.

humblement de prendre la peine de saluer mes très chères Mères et

Soeurs, je les prie de ne point oublier leur indigne servante. Croyez-

moi. ma très chère Mère, que c'est à mon grand regret que notre Révé-

rende Mère Prieure vous a quittée. Il faut croire qu'il n'est plus possible de vivre à Saint-Mihiel, puisqu'elle en sort. En outre le désir qu'elle a du bien de la pauvre maison de Rambervillers lui fait prendre beaucoup de peine. Sa personne étant ici, elle pourrait faire auprès de Madame l'Abbesse et avec Monsieur Guérin que plusieurs de mes soeurs seront placées en de bonnes abbayes (5). Quant à vous, ma très chère Mère, je vous souhaite au lieu que j'ai ci-devant dit. Je vous en écrirai quelque jour plus particulièrement. Je vous conjure de m'envoyer tous les jours en esprit votre bénédiction et de me tenir à vos pieds lorsque vous serez devant Dieu pour me sacrifier à lui en qua-

lité de votre

Monsieur Guérin vous salue ; il ne vous oublie point en ses prières, • il vous prie de faire le même pour lui. Je lui ferai vos saluts.

n.' 1269 N248

(5) Cf. C. de Bar. Documents, 1973, p. 57.

Sceau de

126 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 127

point votre santé. Je suis bien aise que nos bonnes âmes de Caen (3) ne sont encore venues ; je pense que nous les verrons, s'il plaît à notre bon Dieu, car notre Mère veut partir la première semaine de Carême. Donnez quelque relâche à votre esprit en le divertissant quelquefois afin de soulager votre faible nature.

Je vous dis adieu, je vous laisse à Dieu et vous assure qu'en son saint amour je vous serai sans finir, votre etc...

Il " 1447 D13

(3) Peut-être Jean de Bernières-Louvigny ou le Père Jean Eudes

PROMESSE ÉCRITE DE MÈRE MECTI LDE

AUX RELIGIEUSES DE RAMBERVILLERS QUAND ELLE FUT ENVOYÉE A CAEN (1)

Saint-Maur-des-Fossés-lez-Paris, le 23 mai 1647

X")ous, Soeur du Saint Sacrement, très indigne religieuse du monastère . de Rambervillers en Lorraine, prosternée aux pieds sacrés de Jésus Christ, aux desseins adorables duquel je m'abandonne sans réserve, faisons la promesse et protestation suivante à notre très Révérende Mère Prieure et à toutes les Mères et Soeurs de notre sainte communauté, conformément au bon plaisir de Notre Seigneur, savoir : ne les quitter, ni abandonner jamais pour me tirer hors de leur sainte compagnie par mon choix, par mon mouvement, par mon élection, ou persuasion quelconque, leur promettant leur être fidèle jusqu'à la mort et de les servir toutes, selon la puissance qu'il plaira à Dieu me donner, en reconnaissance de la grande grâce qu'elles nous ont faite de nous recevoir dans leur sainte communauté.

Me prosternant derechef aux pieds de toutes, en général et en particulier, leur demandant pardon très humblement de toutes les peines et mauvaise édification que je leur ai données, je les supplie pour l'amour de Jésus Christ et de sa très sainte Mère, de me continuer leur sainte amitié et me tenir toujours pour membre de leur corps, quoique très indigne d'une telle grâce, leur protestant derechef que je n'ai point d'autre volonté que de mourir avec elles, si tel est l'ordre et le dessein de Dieu, en la présence duquel et par son amour j'ai fait et signé la présente promesse à Saint-Maur-des-Fossés-lez-Paris, le vingt troisième Mai l'an mil six cent quarante-sept.

no 2369 P101 ajoute : l'original est conservé au monastère de Rambervillers.

(I) Envoyée à Caen pour établir la réforme dans le monastère des Bénédictines de N. - D. de Bon-Secours. Mère Mectilde doit s'engager à n'y résider que temporairement, son monastère de profession ne voulant à aucun prix se séparer d'elle. cf. C. de Bar. Documents. 1973. p. 67 - 68.

ACTE PAR LES VICAIRES GÉNÉRAUX DE BAYEUX

8 juin 1647

Nous Vicaires Généraux de l'Evêché de Bayeux, le siège vacant, à la Mère Mectilde du Saint Sacrement, Professe du Monastère de Rambervillers en Lorraine, Ordre de Saint Benoît, et de présent demeurant au Monastère de Saint Maur des Fossés lès-Paris. Nos chères filles les Religieuses de Notre Dame de Bon Secours de la ville de Caen, du même Ordre de Saint Benoît, vous ayant canoniquement élue et choisie par leurs suffrages, en la confiance qu'elles ont en votre prudence et charité, pour leur Prieure, l'espace de trois ans, nous vous donnons permission, après avoir reçu les obédiences nécessaires de vos Supérieurs, de venir dans le dit Monastère de Notre Dame de Bon Secours de la dite Ville de Caen, et, louant et approuvant la dite élection ou postulation faite de votre personne par les dites Religieuses, nous vous autorisons pour y exercer la dite

charge de Prieure pendant le dit temps, priant Dieu qu'il vous donne sa sainte grace pour vous en

acquitter dignement.

Donné à Bayeux, sous le sceau du Chapitre de l'Eglise Cathédrale de Notre Dame du dit Bayeux le huitième jour de Juin mil six cent quarante sept.

Les Vicaires Généraux

et plus bas par le commandement de Messieurs les Vicaires Généraux.

A. Hüe, Notaire Apostolique

CONVENTION FAITE AVEC MONSIEUR LE GRAND VICAIRE DE BAYEUX

12 août 1649

Je, Soeur Bernardine de la Conception, Prieure du Monastère de la Conception de Notre Dame de Rambervillers, Ordre de Saint Benoît, consens que la Mère Mectilde du Saint Sacrement, Religieuse professe du même monastère, demeure encore Prieure des Religieuses Bénédictines de Caen, fondées par Madame de Moüy, jusqu'à la Saint Jean Baptiste de l'année 1650, à condition toutefois, et non autrement, que la Communauté ne pourra après le dit terme expiré, ni par soi, ni par l'entremise de qui que ce soit, s'opposer à son retour en notre maison de Rambervillers aux premières obédiences qui lui seront envoyées. A quoi, pour obvier aux difficultés qui pourraient naître et aux instances que l'on pourrait faire, je supplie très humblement Monsieur le Grand Vicaire de Bayeux, Monsieur l'Abbé de Barbery, Madame de Moüy et les Religieuses de cette communauté, de se vouloir obliger, en signant le présent écrit, que je garderai vers moi pour m'en servir en temps et lieu et en cas de besoin.

Fait au dit monastère de Notre Dame de Bon Secours de Caen ce 12 Août 1649.

Nous, Vicaire Général de Monseigneur l'Illustrissime et Révérendissime Evêque de Bayeux, acceptons la condition et les autres contenues en ce présent écrit. Le 12 Août 1649.

« M. Rocher (1) de Barbery.

Madeleine de Moüy, Sr Marie de Saint Benoît, Sr Scholastique de Saint Jean, Sr du Saint Sacrement, Sr Catherine de Jésus, Sr Anne de Saint Maur, Sr Marie Madeleine de Saint Placide, Sr Marguerite de Saint Joseph, Sr Marie de l'Incarnation, Sr Marie des Anges ,.

( 1) Dom Louis Quinet (1595-1665) fut abbé de Barbery de 1639 à 1659. Monsieur Rocher était peut-être l'un de ses religieux, Abbé G.-I-1. Simon, Dom Louis Quinet, abbé de Barbery, L. Jouan et R. Bigot, Caen, 1927, et C. de Bar, Documents, 1973, p. 63 et suiv.

Pour ces deux pièces : Acte et Convention avec l'évéché de Bayeux, cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 67-69.

128 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 129

FRAGMENT DE LETTRE À UNE RELIGIEUSE DE RAMBERVILLERS

en résidence à Saint-Maur-des-Fossés

[de Rambervillers, fin 1650]

... Courage donc, ma très chère Mère, rendez-vous toute à Jésus Christ, la grâce duquel vous tirera de vous-même. Je vous conseille de vous exposer tous les jours à la puissance de Jésus au Très Saint Sacrement et à ses anéantissements suprêmes. Suppliez cette divine toute-puissance de vous attirer fortement, de rompre vos chaînes et de détruire en vous tout ce qui est contraire au règne de Jésus Christ. N'écoutez plus les plaintes et les tendresses de votre amour-propre, qui, par une compassion trompeuse vous détourne de votre salut et vous rend chiche au regard d'un Dieu qui, après vous avoir tout donné, se donne si libéralement et amoureusement soi-même.

Goûtez un peu, ma très chère Mère, la suavité de Dieu et vous n'aurez plus de répugnance de vous séparer de tout ce qui peut déplaire à Dieu. « Trop est avare à qui Dieu ne suffit ». Gardez-vous des reproches qu'il fait par ces paroles d'un prophète : « Ils se sont creusés des citernes d'eau bourbeuse et m'ont laissé, moi qui suis la fontaine des eaux vives (1) ». Hélas ! combien de fois nous nous sommes creusés des citernes bourbeuses et fangeuses par notre amour-propre et l'amusement des créatures qui nous retirent de Dieu ! Allons à la source, ma très chère Mère, allons à Dieu, ne nous arrêtons plus à la créature. Voyez depuis combien d'années il nous attend avec une patience admirable, nous donnant tous les jours de notre vie pour nous convertir et nous purifier de nos fautes. Les sacrées plaies de Jésus Christ nous sont ouvertes pour y puiser la pureté de son divin Esprit que je vous désire, et que vous vous rendiez toute à lui, ma très chère Mère.

Résolvez-vous d'être totalement morte à tout le créé, car les créatures ne méritent pas notre coeur, ne pouvant nous donner ce qu'elles n'ont pas. Je vous supplie de demander à Dieu une grâce pure et efficace pour vous soumettre à tout ce que sa puissance et sa sainteté veulent faire en vous. Qu'elles y opèrent un parfait anéantissement et que votre fond intérieur étant bien purifié, le règne de Jésus Christ y soit glorieusement établi comme Souverain ; qu'il triomphe de vous et de votre être ! C'est ce que je le prie de faire en vous et vous combler de ses grâces et de ses miséricordes. Je vous supplie me donner toujours part en vos saintes prières et de m'obtenir du Ciel quelque part aux grâces et aux bénédictions que je vous souhaite avec abondance.

Je ne vous mande rien de St N. La visite n'y est pas encore faite. Ce que vous savez commence de s'anéantir, je crois qu'il ne passera pas plus avant. Je vous promets de vous mander fidèlement ce que j'en apprendrai. Nos Pères de M... sont très affligés ; notre Mère Sous-Prieure vous racontera l'histoire.

Toute la pauvre Lorraine périt si Dieu par un miracle ne la soutient ; vous apprendrez bien des misères.

Sans doute vous serez étonnée de voir cette bonne Mère, mais vous saurez aussi le sujet de son voyage. Certes, nous avons bien des maux en ce désolé pays ; priez Notre Seigneur qu'il en tire sa gloire. Toute la Communauté vous salue d'affection, et moi je vous embrasse en l'amour de Notre Seigneur, par lequel je suis toute votre fidèle et très affectionnée.

no 292

(1) Jer. 2,13.

A LA REVERENDE MÈRE BENOÎTE DE LA PASSION I DE BRÊME 1

en réponse d'une de ses lettres du 7ème novembre 1650

alors réfugiée à Sélestat en Alsace

de Rambervillers, 9 novembre 1650 (1)

Ma toute chère Mère,

e vous fais ces mots en hâte, parce que la divine Providence nous

fournit une occasion pressée, et j'ai désiré vous assurer que j'ai reçu fidèlement celle que votre charité m'a fait la grâce de m'écrire en date du 7è du courant, la lecture de laquelle me donne un très grand sujet de louer Notre. Seigneur des grandes miséricordes qu'il fait à votre âme de vous instruire par lui-même des sacrés sentiers de l'oraison. Je vous conjure de lui être fidèle. li est vrai que, lorsque la passivité est entière, l'âme n'a. point de peine d'être longtemps à l'oraison ; je voyais bien que votre âme y était encore opérante, quoique délicatement. Ne vous étonnez pas de voir cet abîme de malice en vous ; c'est une grâce et une lumière annexées à l'état de question et qui opèrent un anéantissement profond. Gardez-vous d'aucune activité sur cette vue de péché, non plus que sur l'autre qui, en vous manifestant les fautes que l'on commet en cet état, vous fait voir que vous avez un pied dans l'enfer.

Recevez ces lumières passivement, et vous rendez à la fidélité de la pure grâce qui vous mène à la parfaite mort de vous-même, et dont vous êtes, en quelque manière, encore très loin. Dieu fera son ouvrage ; laissons-le opérer selon ses desseins. Cet état, dans sa réalité, ne peut jamais produire de vanité, mais il n'empêche pas la connaissance véritable de nos misères, voire il la découvre. Si l'humilité n'est pas

(1) Mère Mectilde avait été élue prieure de son monastère de Rambervillers à la fin de son triennat à Caen. Elle rejoignait la Lorraine en septembre 1650. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 68.

130 CATHERINE DE BAR

assez dans votre âme, la main toute-puissante de Dieu l'y établira. Ayez patience et, sous prétexte de ce défaut que vous remarquez en vous, gardez-vous des opérations propres, secrètes, de votre esprit. Souffrez passivement la vue de votre fond de malice quand elle vous est donnée ; mais je vous prie ne vous y point appliquer par vous-même, ni par votre propre esprit.

Quand le trait de la grâce est puissant et qu'il fait cessation de toutes opérations en l'âme, il n'y a point d'instruction pour lors à prendre, sinon de se laisser abîmer.

Cette« parole qui vous a été dite par rapport à la grande pénitente Thaïs (2) est réelle et procède d'un bon principe, lequel aura son effet; vous l'avez compris dans la vérité. Je vous conjure d'y être fidèle.

Cet état demande une grande pureté de vie, qui n'est autre que de se laisser mourir à toute heure et en toutes choses. Ce degré de grâce que vous vîtes une nuit, être donné à certaines âmes, etc..., vous doit encore marquer plus particulièrement l'obligation que vous avez d'être fidèle à votre voie. C'est par là que Dieu veut absolument que vous marchiez. Je vous en donne assurance de sa part et vous ordonne autant que sa Providence et sa toute puissance me donnent d'autorité sur vous, de vous y rendre fidèle, selon l'attrait et la grâce que la divine miséricorde verse dans votre âme si abondamment. Voilà ce qu'il m'est permis de vous dire sur ce sujet, vous priant de nous mander de temps en temps, si toutefois vous le pouvez, ce que Notre Seigneur fait en vous ; *non que je veuille que vous remarquiez les opérations que sa grâce fait en votre âme, mais vous entendez bien ce que je veux dire en ce point.

Quant à l'attrait que vous avez toujours de n'être point ici avec moi, hélas ! ma très chère Mère, c'est la grande impureté de mon âme qui vous en fait retirer, car si ma présence vous fait commettre des infidélités, je ne vous la veux jamais procurer et j'aime mieux que les paroles que la bonne âme m'a dites soient sans effet et anéanties, que de contribuer en aucune sorte à la moindre imperfection que vous pourriez commettre. Dieu seul sait à quel point votre âme m'est chère et combien il m'a donné d'affection pour vous, mais s'il veut me réduire dans une privation entière, je consens à tout, lui seul me doit suffire pour le temps et pour l'éternité. C'est assez que vous m'obteniez de sa miséricorde de lui être fidèle et de me laisser comme vous totalement ané-

antir.

'r) 1751

(2) Egyptienne, vivait vers le milieu du IVe siècle. Courtisane, elle est convertie par saint Paphnuce, celèbre anachorète de la Thébaïde. Elle demeura enfermée dans une cellule pendant 3 ans, ne se nourrissant que de pain et d'eau et répétant sans cesse pour toute prière : «Vous qui m'avez formée, ayez pitié de moi». Le temps de sa pénitence terminé, Paphnuce la fit sortir de sa cellule. Elle mourut quinze jours après. On célèbre sa fête le 8 octobre, cf. J.B. Claire, Dia. universel des sciences écclésiastiques. Poussielgue, 1868, p. 2255.

LETTRES INÉDITES 131

A LA MÊME en Alsace

[Février 1650]

Ma très chère Mère,

`T e suis en peine si vous avez reçu mes dernières, lesquelles contenaient beaucoup de choses, tant pour les réponses de deux de vos chères lettres que pour mon particulier. Je vous y faisais aussi mes adieux, doutant si je pourrais encore vous écrire avant mon départ ; mais la Providence veut que je possède encore cette satisfaction, m'en donnant le loisir parmi la presse de beaucoup d'affaires qu'on a coutume d'avoir lorsqu'on est sur le point de voyager.

Disons donc sur le premier article de votre dernière lettre, que touchant le respect avec lequel je vous traite, je vous assure n'en avoir aucun scrupule, et ne crois pas contrevenir à l'attrait de la grâce en agissant de la sorte avec vous ; et si cela vous peine d'une sorte, il vous humiliera d'une autre. Je ne puis traiter autrement avec vous, ni même avec d'autres, car les âmes qui tendent à Dieu ont un je ne sais quel rapport à Notre Seigneur Jésus Christ qui m'oblige à respecter, non les âmes simplement, mais la grâce de Jésus Christ opérant en elles. Ce n'est donc pas vous que je respecte en tant que créature, mais Dieu essentiellement régnant en vous. Voilà pour le premier point,

et vous devez ne faire point de retour là-dessus.

Secondement, vous dites que vous avez ressenti les effets de notre assistance, jointe à la miséricorde que Notre Seigneur vous fait de vous enseigner, et que jamais vous n'auriez entré dans la voie etc... J'avoue que la Providence s'est voulue servir de moi pour vous, comme elle fit autrefois d'une ânesse pour enseigner un prophète (1). Elle se sert de qui il lui plaît, des bêtes et des créatures. Il faut toujours demeurer dans le néant et croire que, si Dieu ne m'avait envoyée vers vous, il vous aurait instruit plus efficacement lui-même, ou aurait suscité d'autres âmes à vous aider à développer votre sentier. J'ai une grande consolation de vous y voir entrer et persévérer. Il est vrai qu'il se faut toujours défier de soi-même, mais il faut aussi beaucoup s'abandonner et ne se point tant réfléchir.

Soyez très simple dans les diverses dispositions, et très passive aux différents attraits de la grâce et mouvements du Saint Esprit. Tous les différents attraits que vous expérimentez sont bons, mais gardez-vous seulement - sans pourtant vous distraire ni gêner - de l'activité de votre esprit, par l'habitude qu'il a prise d'aspirer aux biens et perfections intérieurs. Donnez votre temps d'oraison au sacré silence d'esprit selon l'attrait, mais discrètement pourtant ; n'atténuez point votre corps et

ne soyez trop à charge à votre prochain en vous rendant

(I) Nm. 22, 22 - 35

132 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 133

Je comprends très bien tout ce que vous me dites, mais tenez-vous paisible ; vous êtes bien, tâchez de persévérer et de vous laisser dans la main de Dieu.

Oui, ma très chère Mère, Notre Seigneur veut détruire votre être ; c'est son dessein, et la fin de son oeuvre. Soyez très passive à son opération, vous n'avez qu'à le laisser faire. En vous écrivant, ma toute chère Mère, j'ai été interrompue plus de cinquante fois ; je vous prie, excusez les fautes que j'ai pu faire, il ne fait pas bon écrire les matières de pur esprit dans les tintamarres des affaires temporelles.

Je vous renvoie votre billet qui exprime votre vocation à l'état que vous savez, vous y devez être très fidèle et ne jamais plus hésiter là-dessus ; toutes les tentations de doutes, etc... n'en tenez aucun compte, et tout ce qui vous retirera ou détournera de ce bénit état, tenez-le pour tentation et n'y faites aucune adhérence. S'il est possible, mandez-moi promptement si vous avez reçu ma dernière lettre du R.P. Dom Arnould (2), elle contenait quatre grandes pages de mon écriture ; ce serait pour moi une très bonne mortification si elle était égarée ou perdue ; elle est cachetée de fil blanc et de papier entortillé ; prenez garde si elle aura point été décachetée.

Je vous supplie, ma très chère Mère, de vous rendre à Notre Seigneur pour le prier qu'il nous conduise dans notre voyage. Je vous supplie me recommander à toutes les bonnes âmes que vous connaissez, surtout aux bonnes religieuses (3) que je salue d'une très grande affection et leur rends derechef un million d'humbles remerciements de toutes les bontés qu'elles nous ont fait l'honneur et la grâce de nous communiquer. Je ne les oublierai point devant Notre Seigneur ni Madame Hermand, ni vos autres bienfaitrices.

Etant à Toul, je ferai dresser votre obédience, et étant à Paris, je vous

manderai de mes nouvelles et ce que la Providence nous y fera rencontrer. L'on parle d'une paix générale. Si Notre Seigneur nous la donne,

nous nous reverrons bientôt, si toutefois il lui plaît de vous conserver. Nous partirons pour certain vendredi 'prochain au plus tard, etc...

nu 1480

(2) Dom Romain Arnould était né à Verdun. 11 fut profès cje.Saint-Mihiel le 6 août 1632, deux fois

prieur de Saint-Vanne et Abbe de Saint-Airy, trois fois président de la congrégation réformée des Saints-Vanne-et-Hydulphe. 11 meurt à Saint-Vanne le 11 août 168. - II a été longtemps le visiteur du monastère de Rambervillers. Cf. J. Godefroy, Bibliothèque des bénédictins de la congrégation de Saint-Vanne et Saint-Hydulphe, archives de la France monastique, Ligugé, 1925, p. 4.

(3) De 1245 à 1790 a existé à Sélestat un couvent de Dominicaines, dit de Sylo, dont les bâtiments servent maintenant d'hospice. Il était en général prospère. On y pratiquait bien l'hospitalité : chaque fois que Turenne séjournait dans la forteresse de Sélestat, il tenait à loger chez les Dominicaines. C'est sans doute là aussi que Mère Benoite a été reçue. Renseignements fournis par M. l'abbé P. Adam, conservateur de la Bibliothèque humaniste de Sélestat.

A LA MÊME

[de Rambervillers] 27ième février 1651

Ma toute chère Mère,

dy- orsque la Providence me fournit un moment de loisir, je l'emploie

à me consoler avec vous. Le R.P. Dom Arnould m'a apporté les vôtres, par lesquelles j'apprends le très grand accident survenu à ma Soeur Jeanne [de la Croix Parmontel . J'en suis très marrie, et c'est un miracle qu'elle n'a pas été tuée. Notre Seigneur l'a conservée dans cet accident pour lui donner moyen de se sanctifier. C'est avec déplaisir que je ne l'emmène point avec nous à Paris. J'en avais bien le désir, mais notre Sous-Prieure dit qu'il faut attendre que vous alliez aux Hermittes (1), pour la faire revenir ici avec la mère Joseph [Som-mien et, après Pâques, elle nous viendra joindre à Châlons où une partie de nous demeurerons un mois ou six semaines, pour y procurer ou un refuge ou une bonne quête. Notre Mère Sous-Prieure m'a promis qu'elle nous l'enverra, si elle n'y a point de répugnance, avec ma Soeuç Dorothée [Heurelle] (2) qui veut aussi venir après nous. Je vous supplie de lui dire ces choses et la saluer de notre part ; je ne l'oublierai point. Je lui enverrai son obédience que je ferai faire. à Toul avec la vôtre.

J'ai reçu le paquet que vous açlre.ssez au R.P. de Lescale (3) ; je lui donnerai fidèlement.

(1) II y avait au XV I le siècle, un pélerinage à Notre-Dame des Ermites, à Einsiedeln, très fréquenté ptr les Alsaciens. Plusieurs moines de la célèbre abbaye étaient Alsaciens. On a retrouvé des traces du passage des pélerins sur les routes des cols des Vosges. (Renseignement communiqué par le R.P. Joachim Salzgeber, archiviste de l'abbaye bénédictine d'Einsiedeln). Saint Meinrad, 797 - 861, est à l'origine de ce pélerinage. Ce saint ermite de la famille des Hohenzollern, retiré dès l'âge de 30 ans dans les montagnes au-delà du lac de Zurah, puis derrière l'Etzel, avait un pouvoir extraordinaire sur la nature. Les fidèles affluèrent vers le saint ermite. Hildegarde, fille de Louis le Germanique lui fit bâtir une chapelle et lui offrit une vierge noire à laquelle on attribua de très nombreux miracles : le pélerinage de Notre-Dame des Ermites était né ; cf, Mgr Paul Guérin, Vie des Saints, Paris, 1896, t. 1, p. 344.

( (2) Mère Catherine de Sainte Dorothée Heurelle, professe du monastère de Rambervillers. Elle fait partie du petit groupe des réfugiées à Saint-Mihiel, en 1642. Mère Mectilde la fait recevoir à l'abbaye de Saint-Cyr, près de Versailles, puis à Vignas. Elle est à Saint-Maur des Fossés de 1643 à 1646 et accompagne Mère Mectilde à Caen à titre de maîtresse des novices, de 1647 à 1650, puis rentre avec elle à Rambervillers. Elle signe plusieurs actes en qualité de sous-prieure jusqu'en 1666. Nous la retrouverons souvent dans la correspondance de Mère Mectilde, cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 51 et suiv.

(3) Dom Antoine de Lescale ou de l'Escale, né à Bar-le-Duc, fait profession chez les bénédictins de la réforme des St Vanne-et-Hydulphe à Moyenmoutier le 7 novembre 1617. Prieur de Senones en 1624 - 1625, il va à Rome en 1625. Il est successivement prieur de Moyenmoutier, du Saint-Mont, de Saint-Mansuy et de Saint Eyre de Toul et de Senones. Visiteur de Champagne en 1639, de Lorraine en 1641, 1645, 1652. Il est nommé le premier, prieur de la réforme à Munster (14 mars 1659 à 1663). Il fait un long voyage en Allemagne, d'avril 1665 à juin 1666, recherchant les manuscrits de l'imitation de Jésus-Christ. Il est de nouveau prieur de Senones de 1665 à 1666, où il meurt le 8 avril 1667 ; cf. J. Godefroy, Bibliothèque des bénédictins de la congrégation de Saint-Vanne-et-Saint-Hydulphe, Ligugé-Paris, 1925, p. 128 et C. de Bar, Documents, 1973, p. 16 note (15).

134 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 135

Pour ce qui est de Saint-Jean-des-Choux (4), je l'abandonne à la Providence. Je crois pourtant que l'archiduc peut tout et mon frère a grande affection pour la lui demander. Pour moi, Notre Seigneur me dépouille de tous desseins ; nous verrons ce que la bonne âme nous dira. Je sais bien qu'elle s'étonnera de notre séparation et qu'elle sera touchée, autant qu'elle le peut être, du sujet qui m'y oblige, mais si elle nous dit qu'il faut vivre et mourir ensemble, c'est-à-dire vous avec nous, le voulez-vous, n'y serez-vous point opposée ?

Je ferai avant que de sortir, ce que vous désirez devant la sainte image de l'Ecce Homo.

Ma soeur (5) m'avait promis de vous aller voir, mais son mari l'a mandée en diligence ; c'est ce qui l'a privée du bonheur de vous voir.

J'ai, ma très chère Mère, répondu à toutes vos chères lettres, mais je ne sais si vous lisez bien ce que je vous écris; ma soeur de Sainte-Madeleine de Saint Joseph MAIRE vous peut aider.

Ecrivez donc à la borine âme candidement et très cordialement, selon le mouvement que Notre Seigneur vous en donnera ; écrivez aussi à Mr de Barbery (6), et adressez le tout à la Mère Gertrude pour me les envoyer promptement, car nous partirons mercredi pour l'assurée et voici la dernière fois que je vous écrirai ici. Je ne vous ferai point d'autre adieu que de vous laisser dans Dieu, avec Dieu, puisque son saint amour nous rend pour jamais inséparables. Je vous conjure en lui et pour lui, de m'être fidèle.

Il est vrai, ma très chère Mère, que la vraie récollection, ou plutôt le recueillement de l'âme en Dieu, est bien rare et de peu de durée en cette vie. 11 sera sans interruption dans la bienheureuse éternité. Dans cet état de paix et d'anéantissement, l'âme prie en criant bien haut, quoiqu'en silence et sans dire mot. Demeurez dans cette paix puisque Dieu vous y met, et laissez tout le reste à son amoureuse Providence. Portez cette crainte que Dieu permet que vous ressentiez, l'âme qui se laisse et abandonne toute à Dieu ne peut jamais périr ; mais puisque Notre Seigneur vous tient dans cette peine sans inquiétude, portez-la sans y faire beaucoup de retour.

Vous êtes bien, et devant Dieu et ses anges, j'en réponds. Bien que je sois une très abominable pécheresse, je prends la hardiesse en sa divine Présence de vous parler ainsi, d'autant que çà a été par son

(4) Abbaye bénédictine au nord de Saverne (1126-1791). Le fondateur et propriétaire en était le comte de Lutzelbourg. A 'l'époque de Mère Mectilde, l'évêque de Strasbourg, ou plutôt l'administrateur du diocèse (il n'était même pas prêtre) était l'Archiduc Léopold II d'Autriche (1625-1662). Renseignement fourni par A.P. Adam.

(5) Marguerite de Bar, soeur ainée de Mère Mectilde, qui avait épousé le colonel Dominique Lhuillier. Ce dernier se trouve sur la liste des lieutenants du duc chargés de la ville de Saint-Dié, gouverneurs des portes et du château. Or le lieutenant de Saint-Dié prenait le titre de « Prévôt en chef et capitaine » des châteaux ducaux de la cour (à Saint Dié) puis de Spitzemberg. Le frère dont parle Mère Mectilde est ce colonel Lhuillier. (Renseignement fourni par Mr A. Ronsin, Conservateur de la Bibl. mun. de Saint Dié), cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 13 note (5).

(6) Dom Louis Quinet, abbé de Barbery, près de Caen, jusqu'en 1659, décédé le 2 janvier 1665, âgé de 68 ans. Il fut un grand artisan de la réforme monastique au XVII" siècle. cf. Abbé G.-A. Simon,

Dom Louis Quinet, op. cit.

ordre de tout ce que je vous ai dit, et que vous tâchez de suivre. Vous en verrez un jour la bienheureuse fin dans votre consommation.

A Dieu, en Dieu, puisque c'est lui seul qui doit être ; que tout le reste soit anéanti et que nous soyons en lui une, éternellement !

Sr du Saint Sacrement

Je salue de tout mon coeur toute votre chère compagnie et me recommande à leurs saintes prières. Ma Sr de Jésus [Chopinell se porte assez bien Dieu merci. Elle est bien joyeuse de venir avec nous. Je suis très mal satisfaite de ma Sr M. Je n'y ai reconnu qu'un grand aheurtement et...

Je salue en particulier, ma ,chère Mère de Sainte Madelaine, et vous la recommande ; tâchez de vous conserver et m'écrivez souvent et à notre Mère Sous-Prieure. Sr Marguerite [de la Conception de Les-cale] (7) demande réponse des lettres qu'elle vous a écrites.

Sr Barbe promet de faire merveille pour m'obliger de revenir.

no 2154

(7) Nièce de Dom de Lescale. Elle est envoyée à Saint-Maur des Fossés avec Marguerite Chopinel pour y parfaire son éducation et la préserver de la guerre en Lorraine. Elle fait profession à Rambervillers vers 1647 - 1648 et accompagne Mère Mectilde à Paris lors de son retour définitif en mars 1651.

Elle devra retourner à son monastère de profession en novembre 1659, comme on le voit d'après la

correspondance de son oncle : cf. Journalier de Dom de Lescale, Arch. dép. du Haut-Rhin, Colmar H Munster 34/3 n»2, p. 9 et suiv.

A UNE DEMOISELLE POSTULANTE qui était sur le point de prendre le Saint Habit au monastère de Rambervillers

Paris, 27 septembre 1651

Mademoiselle,

Ou plutôt ma très chère Soeur (1), puisque la grâce de Jésus Christ nous lie en son saint amour par une espérance de vous voir un jour engagée dans une même profession que nous. Les nouvelles que j'en ai reçues me donnent une joie très grande et votre persévérance dans les combats me fait espérer qu'un jour Dieu tout bon vous comblera de ses miséricordes et établira dans la sainteté qu'il désire de vous, si vous lui êtes fidèle.

( I) Catherine Thérèse Bagnerelle. Lorsque Mère Mectilde quitta Rambervillers en mars 1651, une jeune fille, que ses parents avaient confiée aux religieuses en attendant son Mariage, vint se jeter aux pieds de la supérieure. Mère Mectilde la bénit et lui prédit qu'elle serait un jour une de ses filles. Le comportement de la jeune fille ne paraissait pas alors la prédisposer tant soit peu à la vie religieuse. La vénérée Mère était cependant éclairée de Dieu, car la jeune fiancée quittait tout peu après et faisait profession au monastère de Rambervillers, le ler janvier 1653. Elle sera sous-prieure vers 1666 et prieure en 1670. (Archives au Monastère de Rouen, manuscrit coté Paris 101).

136 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 137

Ce n'est pas assez d'avoir triomphé du monde, il faut encore vous armer contre vos autres ennemis. Vous avez le démon et vous-même

qui seront toujours animés de furie. Mais si vous voulez suivre le Saint Esprit et les conseils que l'on vous donnera pour votre perfection, vous vous rendrez victorieuse et Dieu se glorifiera en vous.

Considérez bien que Notre Seigneur ne vous a donné la urâce de persévérance dans vos bons desseins que pour vous rendre fidèle à ses divins attraits et aux sacrés mouvements de son Saint Esprit. Vous avez besoin

lè. d'un grand couraue ou plutôt d'une forte résolution de vous rendre à Dieu à quelque prix que ce soit, sans en jamais démordre, ni vous en relâcher sous quelque prétexte que ce soit. La détermination forte et généreuse dans le commencement fait des merveilles, et le démon craint une âme animée de courage et de résolution.

2è. Quelque tentation qui vous arrive, ne vous découragez jamais ; ouvrez votre coeur à votre Mère Maîtresse ou Supérieure comme à Jésus Christ, et vous accoutumez de faire une haute estime des avis qu'on vous donnera ; et surtout aimez l'obéissance et établissez votre bonheur à être la victime du bon plaisir de Dieu.

3è. Ayez un grand respect pour votre sainte Règle et honorez tous les exercices d'icelle, et faites grand cas de tous les plus petits points de perfection qui vous seront enseignés.

4è. Je vous conseille de prendre à tâche de devenir comme un petit enfant entre les mains de la sainte Providence, vous exerçant à faire souvent des actes d'abandon de vous-même aux dessein.s de Dieu qui

• vous sont inconnus, afin que, dans le temps que Notre Seigneur les consommera en vous, il y trouve le consentement qu'il désire de votre part.

5è. Je vous supplie d'avoir une entière et parfaite confiance en Dieu. Vous avez bien sujet de vous y confier, après tant de grâces qu'il vous a faites : mais que votre confiance ne soit pas dans les sens, mais dans la pure foi. J'espère beaucoup de sa bonté pour vous, mais vous avez besoin d'un grand courage et d'une sincère fidélité.

6è. Défiez-vous de votre propre esprit et ne croyez jamais avoir plus grand ennemi que vous-même. Craignez votre propre volonté comme l'enfer. Aimez l'humilité et la douceur d'esprit. Soyez condescendante par esprit de charité et jamais ne sortez intérieurement ni extérieurement, du respect que vous devez avoir pour la religion et pour les choses saintes.

Je ne sais pourquoi je prends la liberté de vous dire ces choses, mais c'est l'expérience que j'ai - à mon grand regret qu'une âme qui commence lâchement ne fait jamais rien qui vaille ; d'autant que la nature la tire toujours en bas et la retire facilement des choses saintes. Oh ! qu'il est important de bien commencer, de vous jeter à corps perdu entre les bras de Dieu, et vous faire de bon coeur sa victime ! Mais souvenez- vous que la victime est liée, menée au lieu du sacrifice, puis elle est égorgée et consommée par le feu.

Vous serez liée, ma très chère Soeur, par les saints voeux que vous espérez de faire et, par celui de stabilité, vous serez menée au lieu du sacrifice : c'est dans le cloître où Dieu vous appelle. Vous y serez égorgée par la pure mortification et abnégation parfaite de vous-même, et vous y serez consommée par le feu sacré que Notre Seigneur Jésus Christ est venu apporter en terre. Soyez donc à la bonne heure liée, égorgée et consommée, et qu'un jour nous ayons la grâce de nous voir toutes ensemble donner gloire à Dieu dans le Ciel.

Mais pour avoir ce bonheur il faut souffrir des tentations. Saint Jacques nous l'assure (2) et Notre Seigneur nous dit qu'il n'y a que ceux qui se font violence qui ravissent le Ciel. Faisons, ma très chère Soeur, violence à nos passions et demandons à Dieu la grâce de persévérance. C'est ce que je vous souhaite et que je tâcherai de lui demander pour vous, selon ma petite capacité. Je vous embrasse en son saint amour et le prie qu'il vous décore de ses divines grâces én abondance et qu'il vous fasse la miséricorde d'arriver à une haute sainteté.

Si j'avais l'honneur d'être auprès de vous, je vous dirais beaucoup d'autres choses assez importantes, mais nos chères Mères ne manqueront pas de vous dire plus que tout ceci et avec plus de grâce. Ecoutez-les avec respect et leur obéissez ponctuellement ; simplifiez beaucoup votre esprit. Enfin, soyez sainte de la sainteté de Jésus Christ, et je serai en lui toute vôtre et assisterai en esprit à votre cérémonie, pour y prier selon la grâce qu'il aura agréable me donner. Qu'il vous comble de ses plus saintes bénédictions, et qu'il vous donne tout ce qui vous est nécessaire pour être ce qu'il veut que vous soyez.

Je vous donne à la puissance du Père, je vous donne à la sagesse du Fils et je vous donne à l'amour du Saint Esprit, suppliant les trois divines Personnes de la très adorable Trinité de vivre et de régner en vous, et de vous abîmer en elles par Jésus Christ, en l'amour duquel je suis toute votre très affectionnée servante.

no 2538

(2) Jac. LI2.

A LA MÈRE BEN01.1E I.A PASSION Di: BRÊME]

Paris, ler mars 1652

J'ai lu et relu votre lettre contenant vos dispositions, et plus je les considère plus j'y remarque les effets d'une miséricorde toute particulière de Dieu sur votre âme, et je suis par icelle très confirmée d'une pensée que j'ai très souvent : qu'il fait bon s'abandonner à Dieu

(38 CATHERINE. DE BAR LETTRES INÉDITES 139

et que le défaut du secours des créatures nous est très avantageux, puisqu'il nous met en état de recevoir immédiatement de Dieu les instructions qui nous sont nécessaires sur notre conduite. Ma très chère Mère, Dieu ne vous manque point ; soyez lui très fidèle par une parfaite mort d'esprit. Le premier article vous y oblige puissamment, puisqu'il vous commande d'observer un silence si exact qu'il ne vous est pas permis de dire un seul petit mot, en quelque état que l'on vous mette, soit au Ciel, soit en la terre, soit aux enfers. Dieu se glorifie et prend ses délices dans une âme tout anéantie, il opère en elle et il y fait son ouvrage selon son bon plaisir. Toutes les différentes dispositions de votre état présent ne demandent de vous qu'une totale mort ; c'est l'unique chose que vous avez à faire : de vous laisser mourir. Vous avez la vraie intelligence du silence qu'on vous impose, c'est pourquoi je ne vous en dirai rien. Seulement je vous exhorte à faire peu de retours sur vos dispositions ; laissez-vous perdre et consommer.

Il est très bon pour votre âme que vous soyez sans lumières et sans connaissances, mais vous n'y êtes point encore tout à fait ; il faut y être encore davantage. Laissez-vous conduire à l'esprit de Dieu. Je suis très aise de vous voir éloignée des désirs de savoir et connaître ce qu'il opère en vous.

Sur la disposition, ou effet particulier, qui se passa durant la sainte Messe et qui fut interrompu pour alle'r au travail de la communauté, il est bon. ma très chère Mère, de préférer l'observance à notre satisfaction il se faut surpasser soi-même en telles occasions.

J'en dis de même des jours de la sainte Communion. Chantez l'office divin quand vos forces vous le pourront permettre et laissez opérer Dieu dans le secret ; l'office divin n'interrompt pas son oeuvre. Il y a un peu de privation pour nous, mais il faut la vouloir pour nous acquitter, pour l'unique respect de Dieu, de notre obligation. Soyez dans la récollection autant qu'il vous sera possible, mais ne vous rendez point insupportable à votre prochain. Je vous trouve secrètement attachée à l'intérêt de votre propre perfection. Soyez très libre, sans vous divertir de Dieu ; cette sainte liberté n'est pas encore bien établie en vous.

Communiez plus souvent que vous ne faites, si vous en avez l'attrait : l'obéissance vous le permet. Voilà, ma très chère Mère, ce que je puis dire sur vos dispositions. Je vous enverrai sur icelles les sentiments de plusieurs bonnes âmes, très éclairées dans ces voies. Vous savez mon incapacité, et si ce n'était en vertu de la charge que j'occupe, je ne mé serais pas mise en devoir de vous en écrire ; mais c'est par la vertu et puissance de Notre Seigneur Jésus Christ, lequel je supplie consommer son oeuvre en vous et vous donner la pensée de prier quelquefois pour celle qui est en son saint Amour toute à vous, ma très chère, et plus que très chère Mère.

Sr Mectilde du Saint Sacrement

Je vous supplie d'aider ma chère Mère de Sainte Madeleine dans ses besoins. Donnez-nous souvent de vos nouvelles, je vous en prie. Ma Sr de Jésus L Chopinell fait très bien.

n u 707

A LA MÈRE DOROTHÉE [HEURELLE]

religieuse à Rambervillers

Paris, [probablement après la fin mai 16521

Ma très chère Mère,

faut que vous m'excusiez si je vous fait de si courtes lettres ;

.1, mon temps est si bref que je ne puis vous écrire tout ce que la nécessité et mon affection demanderaient, niais je vous prie d'agréer ce que la Providence nie donne pour vous, qui est un grand désir de vous voir bien établie dans la sainte perfection, bien abandonnée à sa conduite, et entièrement assujettie à ses desseins. Je vous exhorte, ma très chère Mère, d'aimer ce qui détruit votre amour-propre, vos intérêts et vos satisfactions. Perdez-vous autant qu'il vous sera possible, et soupirez de tout votre coeur après l'établissement du règne de Jésus Christ. N'épargnez rien de ce qui est en votre puissance pour le procurer en vous, et pour vous conserver en son amour. Toute autre chose que Jésus Christ n'est rien que misère et pauvreté et affliction d'esprit. Celui qui possède Jésus a une plénitude de toute chose et son repos sera une participation de l'état des bienheureux.

Courage, ma très chère Mère, allez à Dieu sans réserve, fidélité en tout.Qui dit tout n'excepte rien. C'est un Dieu que vousservez et que vous adorez. Jésus Christ mérite bien votre amour ; donnez-lui donc tout entier sans faire de partage, n'ayez point d'égard à votre amour-propre qui crie toujours dans la vue de ses intérêts. Dieu, DIEU, ma chère Mère, ET IL SUFFIT, DIEU SEUL PEUT CONTENTER UNE ÂME, MALHEUREUSE, ET MILLE FOIS MALHEUREUSE, CELLE QUI N'EST PAS SATISFAITE DE LUI. Allez à corps perdu dans la sainte obéissance. Exposez-vous discrètement lorsqu'on vous ordonne quelque chose que vous sentez répugner à vôs inclinations, et même à votre perfection. Après que vous aurez humblement représenté la crainte que vous avez d'y être infidèle, si elle persiste, abandonnez-vous, sans retour sur vous-même, vous confiant en la bonté de celui qui est votre force .et sans lequel nous ne pouvons rien faire. Agissez selon l'ordre de l'obéissance, mais toujours avec humilité, en la vue de Dieu, et dans une grande soumission à sa conduite. Si vous

140 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 141

demeurez appliquée à sa divine Présence, vous ne recevrez point de détriments de ce qui vous sera commandé. Gardez le plus qu'il vous sera possible la paix intérieure et la récollection d'esprit. Parlez néanmoins sans scrupule lorsque la charité le requerra, ou que l'obéissance vous l'ordonnera ou vous appliquera dans ces petites affaires de votre communauté et de vos offices. Soyez libre dans votre opération, et prompte à retourner dans votre application lorsque vous en aurez le loisir. Prenez garde à ne point vous diriger vainement ; tendez toujours à honorer Dieu dans tous les moments de votre vie, puisqu'ils ne vous sont donnés que pour ce sujet.

En votre oraison soyez adorante et humiliée aux pieds de Jésus Christ. S'il a agréable de vous donner de quoi vous occuper en ses divins mystères, faites-le en bénédiction. Si vous demeureï pauvre, aimez votre abjection et souffrez de bon coeur les états où la sainte Providence vous met. Votre oraison ne doit point tendre à votre satisfaction, mais à rendre à Dieu l'obéissance, le respect et les sacrifices que vous lui devez, ou le moyen de les lui rendre comme il faut. L'entier abandon à sa conduite en est le principal effet; et la suprême indiffé: rence le couronne, d'autant qu'il fait agréer à l'âme tout ce qui plaît à Dieu lui envoyer ; car ne faisant oraison que pour le seul plaisir de Dieu, elle [l'âme I sera toujours contente parce qu'elle ne veut que ce que Dieu veut. Je suis en son amour toute vôtre.

no 538 B505

A LA MÊME

Paris, 1652

Jésus anéanti soit votre force et la grâce de votre âme, pour vous souffrir vous-même et adhérer aux desseins de la sagesse éternelle sur vous !

'ai reçu les vôtres et, pour y répondre, je vous dirai que le peu de

loisir m'a empêchée de vous entretenir sur votre peine ; mais je vous en dirai à présent mes pensées. Je n'ai fait aucune estime de cela, et ce d'autant que le démon en peut faire bien davantage pour vous amuser, et qu'il fait trophée de vous distraire de Dieu sous prétexte de Dieu même. Laissez toutes ces choses pour vous humilier et agréez votre abjection ; mais l'agréer dans la paix profonde du coeur, c'est-à-dire vous donner à Notre Seigneur pour être toute votre vie abjecte en vous-même. Il remarque que le désir des vertus que vous avez vient en partie de vous-même. Votre sacrifice ne sera pas entier si vous ne vous délaissez toute à Dieu dans vos misères par une générale et totale démission de vous-même à son bon plaisir. Ne recherchez pas vos intérêts. Si Dieu vous veut laisser ressentir vos imperfections, c'est assez que nous soyons ce qu'il veut et rien plus. Votre orgueil est grand, vous y faites trop d'application par amour-propre. Il faut devenir plus simple et plus abandonnée à la sainte abjection. Vous n'aimez pas assez cette sainte vertu et vous n'imitez pas saint Paul qui se glorifie en ses propres infirmités. N'allez pas si vite, étudiez-vous d'être comme un petit enfant sans tant de réflexions ni de retours. Notre Seigneur n'est pas un Dieu de rigueur, mais un Dieu d'amour et de bénédiction. Laissez-vous doucement à sa conduite. Pour ce qui regarde N. rendez-lui toujours vos devoirs humblement et cordialement ; si Dieu ne vous donne rien par ses paroles, ayez patience et ne vous découragez pas, lui-même vous soutiendra si vous êtes humble et patiente. Ne laissez pas de vous adresser à elle pour vos besoins et souffrez doucement la peine que vous y ressentez. Dieu tout bon veut que vous y goûtiez un peu d'absinthe, elle purge le coeur et guérit des vers. Courage, les petites inquiétudes que vous ressentez sont des vers d'amour-propre et de vous-même qui vous piquent et vous rongent ; il les faut faire mourir. Or vous le ferez, ma chère Mère, en n'écoutant pas tant les plaintes et les gémissements de votre nature, je ne dis pas pour les travaux extérieurs, cela se dira à part, mais pour le reste, qui regarde votre intérieur et vos dispositions. J'ai un grand mouvement de vous dire que vous devez être plus simple. Je serais d'avis que votre oraison fût plus libre et sans une application si forte, comme vous faites, et je voudrais que vous apprissiez quelque vérité ou vertu de Notre Seigneur, pour vous en occuper et voir comme il l'a pratiquée. Rabaissez la pointe de votre esprit qui veut une oraison dont il n'est point capable, et ne le sera jamais qu'après s'être parfaitement anéanti dans toutes sortes d'abjections. Donc retirez votre pensée et demeurez constante dedans votre petitesse, puisque Notre Seigneur le veut ainsi. Si la Providence me donne du temps, je vous dirai le reste de mes pensées au plus tôt sur votre dernière qui contient beaucoup de peines de corps et d'esprit. Je pense néanmoins que vous trouverez dans la présente suffisamment pour vos besoins,.si vous le savez bien trouver. Je vous prie, ma chère Mère, de prier pour la conversion de celle qui est en Jésus Christ toute vôtre.

nu 783 B505

or

9

142 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 143

Ce 2 août 1652

Jésus Maria Joseph

Notre très Révérende et plus chère Mère,

Nous n'avons pas sitôt connu vos volontés que les nôtres se sont portées avec toute soumission à consentir à ce que vous désirez de nous, sans considérer nos intérêts que 17011S quittons volontiers pour votre satisfaction, puisque c'est vous qui demandez de n'être en aucune élection. Nous croyons que vous ne faites rien que par la conduite de l'Esprit de Dieu. En préférant donc votre sentiment à tous les nôtres, nous consentons à ce que vous désirez. Si vous en voulez un acte plus exprès que cette lettre, vous prendrez s'il vous plaît la peine de le faire et nous l'envoyer, nous le signerons toutes. Il n'y a rien que nous ne fassions pour votre repos et contentement. Pourvu que votre bonté nous promette de ne pas quitter notre pauvre Maison, nous nous estimerons trop heureuses de vous y posséder, en quelle manière qu'il vous plaira. Si la divine Providence permet que les bons desseins que vous avez d'honorer le Très Saint-Sacrement réussissent et que votre charité daigne les accomplir en notre Maison, nous nous • offrons toutes pour être autant de victimes qui voulons consommer nos vies avec vous, pour lui rendre, par nos hommages, l'adoration que nous sommes obligées, et que tant de créatures lui dénient par leurs méchantes actions. Nous aurons beaucoup d'obligations aux personnes qui contribuent à nous associer à une œuvre si sainte. Si cela ne réussit pas, notre chère Mère, que cela n'empêche votre retour à notre pauvre Maison quand vous jugerez qu'il en sera temps. Nous vous protestons toutes que nous vous recevrons avec plus d'affection que jamais et que vous nous trouverez très disposées à vous rendre toutes sortes de devoirs, avec la soumission la plus parfaite que vous doivent,

Notre très Révérende et plus chère Mère,

Vos très obéissantes et plus obligées et toutes affectionnées filles et humbles servantes.

Notre très chère Mère, nous vous rendons toutes les actions de grâce qu'il nous est possible de la grande charité que vous nous avez faite, mais nous appréhendons que votre bonté n'en soit incommodée.

Sœur Bernardine de la Conception [G romaine]

Sœur Benoîte de la Passion [de Brême)

Sœur Placide de Saint-Benoit [Gérard]

Sœur Gertrude de la Trinité [de Vomécourt]

Saur Anne de Sainte-Magdeleine

Sœur Marie Joseph [Sommier]

Sœur Dorothée de Sainte-Gertrude [Heurelle

Sœur Marie de la Conception [de Lescale]

Sœur Jeanne de la Croix [Parmnontel]

A LA RÉVÉRENDE MÈRE

Révérende Mère du Saint-Sacrement

Prieure des Bénédictines de Rambervillers

Réfugiée à Paris

A Paris

no2354a Al n'2 A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION (DE BRÊME'

[Paris] 1652, le jour de saint-Augustin - 28 août

Ma très chère Mère,

Jésus soit l'unique de nos coeurs dans le Très Saint Sacrement de l'autel !

e vous fais ce mot pour réponse aux vôtres et vous assurer que je

les ai reçues très fidèlement et avec grande joie, car intérieurement j'avais quelque chose qui semblait contenir ce désir et j'aurais bien souhaité que vous soyez vous-même témoin et juge tout ensemble, de l'oeuvre dont j'ai écrit à notre bonne mère Sous-Prieure [Mère Bernardine) - et que je crois que vous aurez vue - parce qu'étant partie lorsque mes lettres sont arrivées à Nancy vous les aurez possible reçues, et je le souhaite pour vous donner intelligence de ce que c'est afin que vous la présentiez à Notre Seigneur et que vous le priiez autant qu'il vous sera possible qu'il en fasse selon son très bon plaisir.

Voyez, ma très chère Mère, ce que je mande sur ce sujet à nos chères Soeurs de Sainte-Madeleine et Dorothée [Heurelle], pour ne point faire une répétition dans votre lettre. Je ne sais comme Notre Seigneur me tient, ni ce qu'il veut 'faire de moi ; je me laisse tellement à sa disposition que je ne dis pas une parole pour avancer ou reculer cette oeuvre. Elle n'est point à moi et l'on m'y fait porter un état d'anéantissement si grand que je n'ai reçu intérieurement aucune connaissance qui m'y lie. J'ai bien un lien secret mais je vous avoue que je ne le comprends pas : Tout ce qui m'a été donné, çà a été un jour à la Sainte Communion ; je compris la dignité et sainteté de cette adoration perpétuelle , j'en connus l'importance, et avec quelle pureté il y fallait agir. Mon esprit fut fait comme un mort, sans complaisance, sans désirs, sans ardeur et même sans avoir aucun être en cette affaire je crois que vous me concevez - et dès lors je demeurais passive à cette oeuvre, sans pouvoir résister ni l'avancer, car j'étais, ce me semble, morte à tout cela, et suis demeurée de la sorte, de manière que je n'y suis rien et n'y dispose de rien ; Dieu seul s'en est réservé la maîtrise. Il est vrai que les personnes qui fondent cette adoration, quelques-unes sont si soumises aux sentiments que la Providence me donne pour leur perfection, qu'elles se soumettent à ce que Notre Seigneur aura agréable de m'en faire connaître ; d'autres ne veulent point que cela soit porté hors de Paris. Enfin, le tout est entre les mains adorables de Notre Seigneur ; qu'il en fasse ce qu'il lui plaira. Je suis si indifférente que, [du moment que je parle], je suis disposée d'aller où il lui plaira, et pour ce qui est de notre chère Maison, si j'étais libre intérieurement, j'aurais un extrême désir d'y retourner, et la grâce que vous m'avez faite de me recevoir sans voix active et passive me donne de puissants attraits de retourner, et tout ce que Dieu me permettra de faire pour cela, je n'y négligerai rien, je vous le promets.

144 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 145

Non, ma très chère et plus chère Mère, mon silence n'est point une marque que je sois morte pour vous. Je suis toute vivante en Jésus Christ pour votre âme, si Notre Seigneur me donnait la grâce de la servir. Et il y a plus de six mois que vous seriez ici avec moi, si l'on ne m'avait mandé que vous n'y voulez point venir, et que vous portiez aversion très grande de demeurer ici. Je n'osais vous violenter, mais si Notre Seigneur nous y attache, je voudrais bien qu'il vous donnât la pensée et la disposition d'y venir. Nous en trouverions bien les moyens. Je vois par vos lettres et celles de nos chères Mères que vous priez beaucoup. Priez tant, ma très chère Mère, que vous attiriez cette adoration perpétuelle chez nous. O que j'y consens de bon coeur et là nous serons toutes les victimes du Très Saint et adorable Sacrement !

Ecrivez-nous, ma très chère Mère, tout ce que Notre-Seigneur vous permettra de m'écrire pour votre intérieur. Je suis indigne de grâces et de lumières, mais je suis à Notre Seigneur pour vous, telle qu'il lui plaira me faire être. Je sais qu'il vous fait de très grandes miséricordes, mais il veut toujours la soumission. Continuez votre charité pour mon âme, je vous en supplie, puisque Notre Seigneur vous en donne

le mouvement : et par obéissance priez pour ma Soeur de Jésus [Chopinel], afin que Notre Seigneur la guérisse pour sa gloire. Elle fait très bien, et Dieu lui fait de grandes grâces sans qu'elle les connaisse, cela est très bon. Je n'ai jamais cru qu'elle soit pour mourir de sa dernière maladie mais je voulais m'assujettir au sentiment des médecins. Il me semble que Notre Seigneur la veut bien plus épurée qu'elle n'est encore. Priez donc pour sa guérison par obéissance.

J'ai reçu depuis peu des nouvelles de la bonne âme. Elle a reçu votre lettre avec grande joie. Ecrivez-lui quand Notre Seigneur vous en donnera la pensée. Le bon frère qui m'écrivait pour elle est malade depuis quatre ou cinq mois; priez Dieu pour lui.

J'ai bien des choses à vous écrire, mais la poste va partir. Vous trouverez dans les lettres de nos chères Soeurs ce que je ne puis vous dire pour cette fois.

Communiez souvent, je vous l'ordonne. J'écris à ma Soeur Dorothée, mais si elle n'est point chez vous, ne lui envoyez point, parce je n'ai pu encore écrire à ma chère Soeur Scholastique, cela lui ferait peine ; elle croirait que c'est par rebut, non je vous assure...

no 1743 A LA MÊME

du 7ème septembre 1652

Ma très chère Mère,

Jésus dans le Très Saint Sacrement soit notre tout pour jamais !

e crois que vous avez reçu celles que je vous écrivis il y a près

de quinze jours, par lesquelles vous aurez connu l'état des choses. Aujourd'hui je réitère pour vous supplier que si Notre Seigneur vous donne mouvement de prier, ou plutôt de continuer à le prier, pour obtenir que l'oeuvre de sa continuelle adoration soit transférée à notre Maison de Rambervillers. Il y a grande apparence que la chose pourra être ; et quelqu'une des personnes intéressées m'en a parlé de son propre mouvement, avec quelque sorte de désir que cela soit. Priez toujours. Pour moi je vous assure que je n'y résisterai pas, car où Notre Seigneur m'enverra, je suis prête d'aller sans réplique. Je vois bien que ce ne peut être cette année, mais vous m'avez mandé que c'était peu de chose de deux ou trois ans, peut-être n'en faudra-t-il pas la moitié ; je vous promets que je n'en négligerai pas les ouvertures.

J'ai aussi à vous supplier de ne point retarder ma Soeur de Sainte-Thérèse [Bagnerelle] de sa sainte profession, d'autant que notre bonne Mère ne peut retourner présentement ; les dangers sont trop notables.

Il ne faut point l'exposer présentement, outre qu'elle ne le pourrait, étant encore bien malade. Elle vous prie, et moi aussi, de faire faire la dite profession au temps qu'elle doit être faite, sans retarder cette bonne fille qui a tant de désir d'être à Dieu. J'ai une grande joie de la savoir dans de si bons sentiments. Je prie Notre Seigneur qu'il lui continue ses miséricordes. Je ferai bien prier pour elle, car j'ai un grand désir qu'elle soit bien sainte. Les maux continuent en ce pays, nous ne savons ce que nous deviendrons, l'on est entre l'espoir et la crainte. La très sainte volonté de Dieu soit accomplie en tout. Il se faut résoudre à tout, la vie et la mort nous doivent être une même chose.

Ma chère Mère, je suis bien en peine de votre santé; je vous prie de la conserver autant qu'il. vous sera possible. Rendez obéissance à la Mère de Sainte-Madelaine pour votre corps ; faites cela par soumission et Notre Seigneur l'aura très agréable. Si vous m'objectez qu'elle vous aime trop, je vous assure qu'elle n'agira pas selon la nature. Elle ne voudrait pas faire, à ce que je crois, une imperfection pour l'amour d'une créature. Abandonnez-vous pour ce point, aussi bien que pour d'autres, car il faut tout perdre, il faut mourir en tout. Il y en a peu qui se laissent anéantir en toutes choses, car bien souvent sous [de] bons prétextes notre volonté respire, quoiqu'il ne nous le semble point. O ma chère Mère, si je pouvais parler, je dirais bien des choses ; mais je suis devenue muette et je n'ai plus rien à dire, car je ne sais et ne connais

146 CATHERINE DE BAR

plus rien dans la vie intérieure. Je n'y vois plus goutte. Je prie Notre Seigneur qu'il vous fasse connaître comme je suis ; il m'est impossible de le pouvoir ex primer. Je ne tiens plus de place. Je n'ai plus de voie, je ne sais plus ce que c'est [que la vie] intérieure ; je ne sais plus ce que je suis, ni où je suis ; je vis et il semble que je sois morte. Le néant est ma portion. Donnez-nous de vos nouvelles et priez Dieu pour nous, mais surtout pour la conservation de notre bonne Mère Sous-Prieure. Elle est

i ndisposée et je crains fort qu'elle ne tombe tout à fait malade.

Je salue toutes nos chères Mères et Soeurs, je les prie de prier Dieu pour nous. A Dieu. ma très chère Mère. Je suis votre pauvre servante en Jésus Christ.

Toutes nos Soeurs vous présentent leurs affectionnés saluts.

n " 946

LETTRE QUE LA REYNE REMIT

A MONSIEUR PICOTTÉ POUR LA REMETTRE

A MONSIEUR L'ABBÉ DE SAINT-GERMAIN, MONSIEUR DE METZ

Mon Frère,

Il y a quelque temps que je fis voeu d'employer tous les moyens qui seraient jugés les plus propres pour rendre honneur au Très Saint Sacrement de l'autel, en réparation des sacrilèges qui ont été commis durant ces malheureuses guerres. Et comme on a trouvé que cela ne se pouvait mieux faire qu'en établissant une maison de religieuses, dont le principal soin consisterait à le louer et adorer incessamment, et à prier jour et nuit pour la paix du Royaume, et pour la conservation du Roy : J'ai jetté les yeux sur la Mère Mectilde du Saint-Sacrement, Prieure de Rambervillers, qui est une personne d'un grand mérite et d'une insigne piété, pour être Supérieure d'un couvent de Religieuses bénédictines, que j'ai dessein d'établir dans le faubourg Saint-Germain pour l'accomplissement de mon voeu.

Je désire de vous que vous donniez les permissions nécessaires pour cet établissement ; et que vous apportiez ce qui dépendra de vous pour le faire réussir, à la décharge de ma conscience et à l'édification publique. Il y a déjà un fond suffisant et assuré pour la fondation, qui augmentera encore sitôt que vous aurez accordé la permission que je vous demande, et que vous ne me refuserez pas, je m'assure, puisqu'il y va de la gloire de Dieu, et que je vous en prie.

Cependant je demeure votre bonne Soeur. ANNE (1)

A PARIS LE 12 DECEMBRE 1652

et à l'inscription est écrit

A MON FRERE L'EVESQUE ET PRINCE DE METZ (2)

et scellé de cite noire du petit cachet de la dite Dame Reine. Cette lettre a été collationnée à l'original le dix huitième décembre 1652 par

MEURES ; Gabillon ; notaires.

P101

(1) C'est ici la première intervention de la reine Anne d'Autriche permettant à Mère Mectilde d'obtenir les autorisations nécessaires à la fondation de notre Institut. La reine montrera toujours beaucoup de bienveillance à Mère Mectilde, comme nous aurons l'occasion' de le voir plus loin. (Pour le récit de notre fondation ; cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 87 et suiv.).

(2) Henri de Bourbon (1601-1682), évêque de Metz, prince du Saint-Empire, marquis de Verneuil, fils légitimé de Henri IV et de Catherine Henriette de Balzac d'Entraigues, abbé de Saint-Germaindes-Près (1623-1669) Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 87.

148 CATHERINE DE BAR

A UNE DEMOISELLE [ANNE LOYSEAUJ (1)

12 décembre .1652

Ma très chère soeur,

la lus je vais en avant, plus je suis étonnée de l'occupation que votre

âme me donne devant Notre Seigneur. Depuis le jour de la Conception de Notre-Darne, à la sainte communion, vous n'êtes quasi point sortie de ma pensée, et je ne sais pourquoi la Providence m'assujettit à vous y souffrir, cela ne m'étant point ordinaire, et ma tendance intérieure serait de m'en séparer entièrement pour n'être occupée d'aucune créature. Je ne puis cependant me défaire de vous, et je ressens même dans le fond de mon âme une liaison qui se fait avec la vôtre, par Jésus Christ 'qui me presse de souhaiter votre sanctification et de demander à Dieu, de tout mon coeur, qu'il rompe vos liens et vos attaches, afin que vous lui puissiez rendre un sacrifice d'amour et de louange, selon ses adorables desseins.

Je me sens obligée, voire pressée intérieurement, d'avoir un soin très particulier de votre âme, et il me semble que ce qui m'engage à cela, c'est la connaissance que l'on me donne de l'état de perfection où la grâce de Notre Seigneur Jésus Christ vous destine, pour laquelle j'ai tant de respect que je me voudrais consommer pour vous y servir. Et c'est aussi ce qui me donne la liberté de vous prier très instamment d'être fidèle et de suivre l'appel de Jésus Christ, qui vous veut toute à lui sans réserve. Seriez-vous si misérable que de le négliger ? Le châtiment que vous mériteriez serait très grand et je ne saurais souffrir que vous soyiez si résistante. Ne perdons point le temps et oc notre connaissance ne soit pas vaine, ni inutile à notre perfection. Puisque vous me donnez la liberté de vous parler, ce sera désormais sans retour ; mais je vous conjure de garder à notre égard cette même

(I) La famille Loyseau était originaire de Nogent-le-Roi. Le grand-père d'Anne, Regnault Loyseau s'installa à Paris comme avocat au Parlement et avocat ordinaire de Diane de Poitiers. Il eut trois fils et deux filles. Le père, Charles Loyseau, naquit à Paris en 1564. Il fit une brillante carrière dans le barreau. Lieutenant particulier au bailliage de Sens en 1593, puis bailli de Dunois en 1600. 11 épouse, à Châteaudun, Louise Tourtier, puis s'installe définitivement à Paris. Il est élu bâtonnier en 1620, meurt en 1627 et est enterré dans l'église des Saints-Côme et Damien. Il laisse .six gros traités de droit de grande notoriété, et six enfants : quatre garçons et deux filles. L'une Jeanne, épouse Guy Joly et, après son veuvage entre au Carmel où elle meurt comme supérieure de la maison de Poitiers. L'autre, Anne, née en 1623, prend l'habit au monastère de la rue Cassette en octobre 1660 et fait profession le 31 janvier 1662 et reçoit le nom de Mère Anne du Saint-Sacrement. Elle apporte une dot importante et obtient l'autorisation pour sa belle-soeur et sa nièce (avant le mariage de celle-ci) d'entrer en clôture six fois par an pour quelques jours de retraite. Connue de Mère Mectilde plusieurs années avant son entrée au monastère, elle sera un de ses meilleurs appuis tant pour la bonne organisation de la rue Cassette, dont elle est cellerière en 1684 et sous-prieure en 1689, qtie pour la fondation du

monastère de Rouen en 1677. Elle sera élue prieure à la mort de Mère Mectilde, mais elle ne pourra en porter la charge qu'une année. Elle meurt le Vendredi-Saint 1699. Sa tante Catherine avait épousé

Nicolas Absolu, receveur général du Taillon à Rouen, dont la soeur Jeanne Absolu, entra en religion après son veuvage et l'établissement de ses enfants. Elle mourra en 1637 en odeur de sainteté au monastère fontevriste de Haute-Bruyères (près de Montfort-l'Amaury).

(cf. Abbé Joseph Augereau, Jeanne Absolu une mystique du grand siècle, Ed. du Cerf, Paris, 1960, et renseignements aimablement communiqués par M. Jean Lelièvre, conservateur du Musée d'art et d'histoire de Dreux).

LETTRES INÉDITES 149

liberté, sans vous gêner ni contraindre, et lorsque je vous serai à charge vous m'en devez avertir. Gardez-moi, ma très chère soeur, cette fidélité que je vous demande comme un témoignage de votre affection. afin que l'Esprit de Dieu ne soit point contraint. Je vous supplie aussi de me dire si vous avez quelque chose qui vous soit plus pressant qu'à l'ordinaire, et si vous ne vous laissez pas un peu trop occuper et pénétrer de la peine et tristesse dont la personne que vous savez est pénétrée Gardez-vous d'y excéder. La plus grande charité que vous devez faire, c'est de conserver votre âme dans le dégagement où Dieu l'attire, c'est de vous défendre de la tendresse naturelle qui vous nuira beaucoup, si vous n'y prenez garde. On ne s'aperçoit quasi pas de son désordre, ni des maux qu'elle cause en nous, jusqu'à ce qu'elle nous fasse ressentir le trouble, et bien d'autres misères auxquelles elle vous assujettira si vous n'êtes pas plus fidèle que du passé. Cette occasion vous servira d'une tentation bien rude si vous ne savez bien prendre les armes pour vous défendre. Je vous en avertis pour vous tenir sur vos gardes, et vous dire que vous devez aimer vos amis comme Dieu les aime. Il faut trouver bon que Dieu les purifie en les crucifiant et qu'il les sanctifie par sa Croix.

Si la très sainte Vierge eût aimé Jésus Christ d'un amour purement naturel, elle n'aurait jamais souffert qu'il fût mort en Croix ; mais elle, qui savait la dignité et la sainteté de la souffrance, et la gloire que le Père éternel en retirait, consentit à sa mort par une profonde soumission aux volontés de Dieu. Voilà comment il faut que vous en usiez. Vous devez plus aimer la perfection et la sainteté des âmes que la douceur et le repos du corps et de la nature. Consentons humblement aux desseins adorables de Notre Seigneur Jésus Christ qui veut se glorifier en ses élus et l'es rendre conformes à son humanité crucifiée. Soumettez votre esprit à ses ordres, et tâchez d'encourager cette personne à la Croix que la divine Providence lui a imposée. Il faut qu'il en fasse un usage digne de Jésus Christ, qu'il porte sa peine avec respect et soumission à sa conduite. Il veut le sanctifier par cette voie et lui donner les moyens de taire des actes héroïques de sacrifice, de mort et d'abandon, de patience, d'humilité, etc... et par ces saintes pratiques il se sauvera et se fera saint. Consolez-le pourtant autant qu'il vous sera possible, sans vous engager ni trop attendrir par les sentiments de nature.

Soyez généreuse, ma très chère soeur, ne vous laissez point gagner à tant de considérations humaines. Soyons toute à Jésus, Christ. Priez pour moi, très chère, vous ferez une charité très grande, car mes besoins sont extrêmes et dignes de votre compassion et je vous en serai éternellement obligée. Je vous supplie d'offrir à Notre Seigneur l'affaire que vous savez ; on espère en faire parler à la Reine ; priez àrdemment que la divine volonté se fasse en nous et qu'il m'anéantisse totalement.

A Dieu, priez pour moi.

no 2472 N254

150 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 151

A UNE NOVICE

au sujet de sa profession qu'elle était sur le point de faire à notre monastère

de Rambérvillers (1)

le Sème de l'an 1653

Ma très chère Soeur•,

e prie Notre Seigneur Jésus Christ• qu'il vous donne une année

toute sainte et vous fasse la grâce de faire une profession digne de lui. Je vous assure que vous avez grande obligation à notre bonne Mère de vous avoir préférée à son repos, ayant entrepris un voyage si fâcheux et si dangereux et en une saison extrêmement rigoureuse. Elle et moi nous nous sommes sacrifiées pour vous, au moins mes intérêts et ma consolation ; mais c'est dans l'espérance que vous glorifierez Dieu par la profession que vous désirez de faire, pour vous lier plus étroitement à Jésus Çhrist. Ce point vous oblige à y être fidèle, mais les grandes miséricordes de Dieu en votre endroit vous pressent doublement de vous rendre à lui sans réserve. Je vous témoigne par ces mots la part que je prends à votre bonheur et la grande satisfaction que j'ai d'apprendre votre persévérance. Je me réjouis que vous soyez toute à Dieu par une profession si sainte ; mais, je vous supplie avant que de vous. y engager, concevez-en bien l'importance. Vous entrez par icelle dans une captivité si grande que vous n'aurez plus aucun droit sur vous. La religion en sera désormais la maîtresse sans qu'il vous soit permis de trouver à redire à ses lois. L'âme religieuse est une victime, continuellement immolée à Jésus Christ. Il y a de quoi sacrifier tous les jours à la grandeur divine. C'est un état sacré, mais il n'est pas connu de la plupart de ceux qui l'ont professé. Vous n'en pourrez jamais trop connaître les excellences et l'obligation que vous avez de vous y établir saintement et si solidement qu'il ne vous sera plus permis de retourner en arrière. Je voudrais bien que toutes les âmes qui ont à se vouer à Dieu aient bien approfondi l'importance de leur engagement ; il ne faut point se jouer au regard de Dieu. Ce sont des promesses éternelles sur lesquelles est compris notre salut ; il n'y va pas moins que de la perte irréparable d'une âme qui est si téméraire que de les enfreindre volontairement.

Donc, vous vous captivez et vous engagez sans réserve, car personne ne peut vous en relever. Il faut mourir en portant le joug et la croix que vous avez choisis et ,embrassés ; vous ne les pouvez plus quitter. Vous avez donc besoin d'un grand courage et d'une résolution si forte

(1) Probablement Soeur Catherine de Sainte-Thérèse Bagnerelle. Cf. note 1, lettre du 27 septembre 1651.

et si sainte que rien ne la puisse ébranler : d'être sacrifiée, égorgée, immolée, crucifiée et consommée tous les moments de votre vie en la manière qu'il plaira à Notre Seigneur. Vous serez désormais sans choix, sans élection, sans désirs, sans affection, sans volonté et sans aucune possession. Vous serez pauvre de la pauvreté de Jésus Christ qui n'a pas où reposer son sacré chef. Vous serez en proie aux mépris, aux souffrances, aux privations, aux rebuts, aux dépouillements, aux contradictions, aux renversements, aux agonies et aux tourments, bref à la mort, sans que vous ayez droit de vous plaindre, ni de rechercher dans les créatures les soulagements que votre amour-propre désirerai. Il sera condamné à la mort et tous les jours il éprouvera de nouveaux supplices, sans pitié et sans miséricorde, et lorsqu'il voudra se reposer on redoublera les coups: En un mot, vous serez sans relâche dans les souffrances et dans les croix, jusqu'à tant que vous soyez parfaitement anéantie. Et lorsque vous aurez atteint ce bienheureux état, vous expérimenterez ce que je ne suis pas digne de vous dire, mais je ne puis assez vous exhorter à vous sacrifier généreusement et persévérer dans le sacrifice constamment.

Il y en a beaucoup qui commencent avec coeur et ferveur, mais nous n'en voyons quasi point qui persévèrent ni qui arrivent au comble du vrai bonheur. Ils sont bien amoureux de la vie religieuse tant qu'ils ne ressentent point sa rigueur, ni sa crucifixion, mais quand il faut entrer dans les morts et les agonies, ils y renoncent et ne savent plus ce que c'est que suivre Jésus Christ : ils ne le connaissent plus et commencent dès lors à se retirer de leur grâce et de la sainteté de leur profession. O ma très chère Soeur, que je m'estimerais heureuse si je vous pouvais bien persuader cette vérité et que vous en fissiez bon usage. Commencez donc d'un grand coeur, ne vous effrayez de rien, ne vous rebutez point des difficultés, ne prenez point l'épouvante de l'ombre que le démon et' votre amour-propre vous représenteront pour vous effrayer. Passez par dessus toutes les répugnances de la nature ; n'ayez point de pitié, soyez sans tendresse pour votre âme, puisque Notre-Seigneur vous dit qu'il la faut perdre pour la sauver. Aimez-là de l'amour que le Père éternel aime Jésus Christ, son Fils, pour-vous sacrifier actuellement à la croix et à la mort.

Le premier pas que vous devez faire, c'est de vous humilier très profondément et d'apprendre, non seulement par lumière mais par expérience, ce que vous êtes et ce que vous méritez. Le second sera de vivre dans l'esprit de vérité, qui vous oblige à une estime de Dieu la plus haute qu'il vous sera possible, et un mépris actuel de votre personne. Le troisième sera de quitter les créatures de n'en rien espérer, de n'en rien désirer, de n'en rien prétendre, bref dé vous en séparer si entièrement que vous n'y ayez jamais aucune alliance. Vous les devez regarder comme les plus pernicieux obstacles à votre perfection etc. Le quatrième sera de tendre à Dieu et de ne rien préférer à son amour,

I5? CATHERINE DE BAR' LETTRES INÉDITES 153

mais d'être prête à donner votre vie à tous moments pour la pure gloire de sa Majesté, sans retour, sans recherche et sans récompense. Le cinquième sera la perte totale de vous-même sans vous plus retrouver, ni pour le temps, ni pour l'éternité.

Je ne vous parle point de vos saints voeux : vous avez des maîtresses plus savantes que moi en toutes manières, elles vous apprendront ce que vous êtes obligée d'en savoir pour les bien pratiquer. Ainsi il ne reste autre chose à vous dire sinon de vous prier de vous souvenir de mes misères en vos bonnes prières. et de prier Notre Seigneur que je ne sois point contraire à ses desseins. Qu'il me fasse la grâce d'avoir un peu d'humilité et d'amour avant ma mort, et je le prierai qu'il vous fasse sainte, de la sainteté dont il est saint. Adieu, je suis en lui votre toute affectionnée.

no 1317

A LA MÈRE DOROTHÉE IHEURELLEI

Religieuse du monastère de Rambervillers

Le jour de Saint Vincent 1653 [22 janvier'

Ma très chère Soeur.

je reçois votre chère lettre avec beaucoup de consolation et. si je

ne vous écris point si souvent que je devrais, ce n'est pas que je n'aie quelque loisir suffisant pour cela. Mais un autre motif me jette dans un si profond silence que je voudrais être éternellement dans le néant et n'occuper jamais l'idée des créatures. puisqu:étant ce que je suis, je ne dois plus avoir d'être. O ma très chère Soeur, que d'abîmes je conçois, mais dans un silence si grand que je n'en puis rien dire ! Je ne m'étonne point que vous commenciez à ne me trouver plus en vous comme vous faisiez du passé. Il est juste, et plus que très juste, que je ne sois plus rien dans les saints et dans les amis de Dieu. 1 I faut que j'y sois toute anéantie, pour le temps et pour l'éternité, sans ressource. Je me laisse à la vertu divine pour cet effet ; il n'y a que. Dieu qui soit capable de faire son oeuvre; nous n'avons qu'à nous laisser mourir et il saura bien nous donner la vie... Je ne veux plus avoir de pensée que pour la mort. Voilà à quoi nous sommes appliquée, mais mort sans relâche en la manière que Dieu l'entend. Au reste, je ne converse plus avec les saints ; je ne vois plus personne. Je suis plus dans le silence et la retraite que du passé et je goûte bien le bonheur que je possède, mais il nie passe de petites appréhensions de n'y être pas longtemps ; si l'établissement que l'on poursuit vient à avoir son effet, il m'en fera bien sortir. Je vous avoue que c'est un sacrifice le plus grand que je puis faire que d'y consentir. Je n'y adhère que dans l'espérance que Notre Seigneur aura pitié de moi et qu'il me fera la grâce d'y trouver bientôt la mort. Cette espérance me console et me donne quelque courage, si je puis m'y appuyer. Quelquefois je ne le puis, et aussi d'autres fois il m'est permis d'en avoir la vue.

Je serai bien aise d'apprendre, si Notre Seigneur vous le permet, le changement qu'il fait en vous. J'ai une joie de m'y voir anéantie. 0 ma très chère, Dieu veut occuper en vous la place que j'y tenais, n'est-il pas juste ? Ne regrettez point la perte que vous faites ou pouvez faire de moi en toute manière. Réjouissez-vous de ce qu'une pécheresse n'aura désormais plus de vie en vous et que le seul Jésus Christ y règnera plus parfaitement. Mon Dieu, que ne sommes-nous dans un oubli éternel dans tout le monde, et qu'on ne se souvienne plus que de Dieu ? Lui seul doit être et tout le reste anéanti. Qu'est-ce que toutes les créatures ? Ce sont des êtres qui doivent être réduits au néant, par hommage à l'être infini de Dieu. Ne soyons donc désormais plus rien, ni pour les créatures, ni pour nous-mêmes.

Oui, ma santé est bonne, et mon humeur je ne sais ce qu'elle est sinon que, n'ayant plus rien à perdre ou à gagner, tout me doit être indifférent, et je vis sans beaucoup de souci: Notre Seigneur étant celui qui seul doit être, tout le reste ne nous doit point occuper que dans l'ordre de sa conduite, pour sa gloire et non pour notre repos ou nos intérêts. Voilà deux petits mots qui vous feront connaître quelque chose de ma misère. Priez Dieu pour môi et nie croyez toute à vous de même coeur que du passé, car je ne change point. Ayez bien soin de notre bonne Mère, conservez-la ; elle m'est bien chère et à toute la Maison. C'est notre trésor et sans elle que ferions-nous '? Donc je vous la recommande très instamment, divertissez-la et la soulagez et me donnez de ses nouvelles et des vôtres et croyez que si nous nous pouvons revoir une fois... A Dieu, je suis votre pauvre...

no 1359

A UNE DEMOISELLE [ANNE LOYSEAUJ

15 février 1653

Ma très chère et honorée soeur,

ous avons reçu les effets de votre très grande charité, dont nous vous

rendons mille grâces très humbles et prions Notre Seigneur qu'il vous en soit la très digne récompense. L'on dit tous les jours dans notre petite chapelle les messes que votre dévotion vous a donné le sentiment

154 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 155

de faire dire, et nous y communions à votre intention.

La bonne personne que vous savez, qui a fait parler touchant la vocation de Melle N., a encore fait un peu de bruit, et a fait parler à la dite demoiselle. Pour moi, je ne fais qu'admirer et adorer les ressorts de la. Providence et trouver bon qu'il me détruise totalement. C'est ma passion présente d'être réduite au néant en toutes manières. J'en espère quelques effets de la divine miséricorde, et je vous supplie employer vos saintes prières pour obtenir ce saint état ; et quand je serai anéantie, je ferai des merveilles devant Dieu pour vous, et d'une manière efficace, car ce ne sera plus moi mais Jésus en moi. Le désir que j'ai de votre sanctification demeure toujours dans mon âme et nonobstant que je ne vous écrive point, vous m'êtes toujours très présente. J'aurais quelquefois assez de mouvement de vous dire deux mots, mais je ne crois pas cela utile ; ma pensée est de vous laisser toute à Dieu, sous la conduite où sa sainte Providence vous a mise. Et je craindrais faire plus d'obstacle à votre perfection en continuant de vous écrire qu'en observant un profond silence, que j'aurai pourtant peine de garder avec vous, après une si grande liberté que vous avez eu la bonté de me donner. Je ne puis m'empêcher de m'intéresser devant Dieu pour vous. Il faut que votre charité me souffre, car vous m'êtes, en son saint amour, plus ch ère que je ne suis à moi-même.

Soyez, ma très honorée soeur, à Jésus Christ; je vous y sacrifie de tout mon coeur avec Monsieur votre frère. Depuis que j'ai eu l'honneur de le voir il occupe très souvent mon esprit et je crois que Notre Seigneur le veut plus dans sa grâce et dans son amour qu'il n'en n'a, possible, la pensée. Je vous supplie qu'il trouve ici mes respects, et vous, les assurances de ma fidélité, qui sera pour vous inviolable en l'amour de Jésus Christ et par Jésus Christ, puisque je suis en lui toute votre plus petite et très obligée servante.

ni, 2324 N254

A LA MÈRE BENOITE [DE LA PASSION DE BRÊME] Sous-Prieure de Rambervillers

22 février 1653

Ma très chère Mère, (1)

jyant appris par les lettres de notre bonne Mère l'état d'infirmité où vous êtes continuellement réduite, je me suis trouvée dans la disposition d'être fort touchée de la perte que je ferai de votre chère personne lorsque Notre Seigneur vous retirera de cette vie. C'est un sacrifice très grand et des plus grands que je puis faire ; mais il faut se résoudre à être dépouillée de tout sans aucune réserve. O que de morts il faut faire avant que de l'être ! En effet, ma toute chère Mère, selon les apparences et la continuation de vos maladies, il se faut résoudre de vous voir partir. J'ai été obligée ce matin à la sainte Communion de vous rendre à Dieu et à me désapproprier de tous les usages et de tous les appuis que j'avais en vous. C'était une vie secrète que je conservais, dans la consolation que je ressentais de notre sainte union. Je sais bien que Dieu vous a donné charité pour moi autant que pour vous-même, et lorsque je voyais la part que votre bonté me donnait en votre sainte affection, mon âme s'en réjouissait et il me semblait que je ne pouvais manquer ayant votre charité pour appui. Mais, hélas ! j'apprends une leçon bien rigoureuse, qui me va dépouillant de toute la vie que je prenais dans les âmes saintes ; je m'y suis trop souillée et j'y ai pris trop de satisfaction, c'est pourquoi Notre Seigneur m'en prive tous les jours, et me va tellement dénuant qu'il me semble me vouloir faire vivre comme un mort sur la terre, sans prendre plus aucune vie en quoi que ce soit ; et je reçois tous les jours assez de lois intérieures dans le fond de mon esprit pour être certaine que ma petite voie n'est que silence et anéantissement. Demeurons dans l'abîme où la conduite de Dieu nous tient, et que chaque âme soit victime selon son degré d'amour n'étant plus rien qu'une pure capacité de son bon plaisir. Laissons-nous consommer comme il lui plaira.

Votre âme, ma très chère Mère, approche de sa fin et du moment de sa totale consommation. Je la vois, ce me semble, se laisser en proie à l'amour divin qui fait ses opérations en différentes manières; je les révère de tout mon coeur. Je le supplie, puisqu'il me jette dans l'obligation d'un dépouillement éternel, qu'il vous permette de me donner encore une fois de vos nouvelles, et que je demeure unie à vous, comme lui-même nous a unies. J'espère qu'il ne me déniera pas cette consolation qui m'est si chère et que, s'il vous permet de me faire savoir l'état de votre âme en l'autre vie, vous m'accorderez cette grâce, par laquelle j'espère être instruite des volontés de Dieu sur mon âme. Vous avez été ma bonne et chère maîtresse sur la terre, soyez-là encore au ciel, ma très chère Mère.

S'il m'était permis d'avoir encore quelque désir, ce serait de vous revoir avant la mort. Et même la pensée de ce cher bien me voudrait faire trouver quelque invention pour obliger les personnes d'ici à consentir qué je fasse un petit voyage, qui ne durerait qu'un mois ou six semaines. Je ne sais si je l'obtiendrai, mais si j'étais libre j'en aurais le désir, que je sacrifie pourtant pour être anéantie dans les ordres du bon plaisir de Dieu, qui nous doivent être plus précieux que toutes les joies du paradis. Je fais un très grand sacrifice en votre personne et Dieu veut que je le fasse sans réserve. Je m'y abandonne, et consens que Notre Seigneur fasse en vous sa très sainte volonté pour la vie

L

156 CATHERINE DE BAR

LETTRES INÉDITES 157

et pour la mort. Je vous remets à sa disposition divine, et toute la part que j'avais en vous, je la remets en lui-même, ne voulant plus rien

en vous que lui-même. Je vous rends à lui en me désappropriant de votre sainte

affection, et de tous les biens que je possédais par icelle. Je ne veux plus rien être en vous, Dieu seul y doit avoir vie, et je suis indigne de

celle que sa grâce m'y a donnée. Je ne veux plus vous aimer pour mes intérêts mais pour ce que vous êtes à Dieu et qu'il prend sa complaisance en votre âme. Je veux aimer Dieu en vous et vous aimer anéantie en son amour. En cette vue je vous aimerai au ciel comme je vous ai aimée sur la terre et notre liaison sera sans interruption.

Adieu donc, ma très chère Mère, allez à Dieu s'il vous retire de ce monde ! Oh, que de bonheurs dans la mort ! Mais je ne les veux pas envisager de crainte que le respect et l'amour de la mort ne me retirent de la mort même. Si Notre Seigneur vous emporte, vous serez bienheureuse de le suivre ; et s'il vous retire durant les quatre mois de ma supériorité, je vous envoie toutes les bénédictions qu'il me donne pouvoir, en vertu de cette charge, de vous donner et appliquer. Je vous les souhaite avec toute la sainteté que je vous les puis désirer, en la grâce et vertu de celui qui, par lui-même, donne la puissance. Et si ces quatre mois sont écoulés, je vous demande humblement la vôtre en qualité de votre très indigne novice. Et dans cet esprit je vous remercie de toutes les bontés que vous avez eues pour mon âme et que vous aurez éternellement, si mes péchés ne m'en rendent indigne. Je vous la recommande pour, de votre main, être rendue à son Dieu. Je vous supplie de lui rendre encore ce bon office, et je le ferai prier pour sa gloire en vous, et qu'il vous consomme en lui, par l'amour et vision béatifique qui vous abîmera à jamais en lui. Au reste, ma très chère Mère, ne pensez pas que ce que je vous écris soit par quelque connaissance que j'aurais de votre mort, je vous assure que non. Vous savez ma conduite, je n'ai point de lumière ; mais je préviens le temps auquel je n'aurai pas, peut-être, les moyens de vous écrire : la Providence m'ayant donné ce mouvement, je m'en dois servir, et vous assurer que le temps ni l'éternité ne désunira point nos coeurs que Notre Seigneur a unis en lui, et c'est par lui que je vous serai éternellement fidèle.

Adieu, ma très chère et plus que très chère Mère, je ne vous fais point d'adieu dans les sentiments de tendresse que tant de fois je vous ai témoignés. Je ne sais comme je suis, je ne me dois plus regarder. Soyez à Dieu, allez à Dieu, pourvu que vous soyez consommée dans l'amour de son bon plaisir, il me suffit, je ne dois plus rien désirer, puisque je ne dois plus rien être, ni en. moi, ni ès créatures ni en Dieu comme du passé, mais que lui seul soit. Amen

C'est votre pauvre et fidèle...

nu 55

(1) Mère Mectilde, élue en 1650 prieure du monastère de Rambervillers, le restait de droit jusqu'en juillet 1653, bien qu'elle résidât à Paris depuis le 25 mars 1651. Ce n'est donc qu'en juillet 1653 que Mère Benoite de la Passion fut élue prieure, bien qu'elle en eût rempli déjà la charge en fait.

A UNE DEMOISELLE [ANNE LOYSEAU

3 avril 1653

Ma très chère soeur,

puisque vous m'avez donné la liberté de vous écrire lorsque j'en aurais le sentiment, je vous prie de me donner de vos nouvelles. Je ne sais si je dois être en peine de vous, mais je puis vous assurer

qu'il y a plus de douze jours que vous m'êtes pressamment dans l'esprit. Etes-vous malade, ou plus triste ? C'est possible un simple effet de mon affection qui est très grande pour vous et qui voudrait être en état de vous le témoigner. Je ne le puis que par désir, car l'impuissance où Dieu me tient depuis longtemps borne le reste. Mais quant à la volonté, elle ne le peut être, car Notre Seigneur me donne une liaison trop étroite avec vous, et semble augmenter en mon âme les soins et les désirs de votre perfection. Je souffre avec peine le retardement d'icelle, parce que les moments de notre vie sont chers à Jésus Christ. Mais l'heure n'est pas encore venue, il faut l'attendre, et cependant vous rendre attentive à sa divine voix, vous souvenant des paroles du prophète qui dit : « Si aujourd'hui vous entendez la voix du Seigneur, gardez-vous bien d'endurcir votre coeur (1) ». Rendez-vous flexible aux touches de son divin Esprit et vous laissez pénétrer de son amour. Vous, ma très chère soeur, à qui Dieu a donné un coeur tout d'amour, pouvez-vous bien le divertir en d'autres objets que lui ? N'a-t-il pas assez de charme pour vous contenter ?

La Magdeleine ne voulut point s'arrêter avec les anges ; son amour

la transportait vers celui qui était le Seigneur des anges. Plût à Dieu que vous en puissiez faire autant et que les créatures ne vous, puissent plus arrêter, ni occuper ! C'est assez, convertissez-vous toute à Jésus Christ ; donnez-lui ce qui vous reste. Je vous supplie que ce saint Jubilé fasse quelque changement en vous ; quittez ce qui vous retarde d'être à Dieu. O ma très chère, que vos oppositions sont grandes ! vous êtes bien enchaînée et, nonobstant que vos liens soient petits en apparence, ils vous lient bien serré ! Votre vie me paraît si humaine, vos opérations si peu animées de l'onction de Jésus Christ ; votre âme ne sent point l'odeur de Dieu, la créature y vit encore ! Cependant vous êtes chrétienne et obligée de vous revêtir de Jésus Christ. Je vous supplie d'en avoir au moins le désir et de vous donner à lui pour cet effet. Il y a quelque chose en votre âme qui la tient en terre et qui l'empêche de prendre son vol à Dieu. Je le prie vous le faire connaître et vous donner la grâce de l'arracher et vous en séparer.

Je serai bien aise de vous voir quand la Providence vous en donnera le loisir. Je vous veux faire part de la joie que nous avons de posséder le Très Saint Sacrement. On nous l'a donné sans que nous soyions établies ;

158 CATHERINE DI BAR LETTRES INÉDITES 159

je vous supplie le venir adorer et lui demander ma totale conversion. Je suis en son saint amour, de tout mon cœur, toute votre fidèle amie et très acquise servante.

nt> 2551 N254« (1) Ps. 94,7-8.

A UNE RELIGIEUSE JEUNE PROFESSE

du monastère de Rambervillers

le 16 août 1653

Ma très chère Soeur,

Je prie la très sainte Mère de Dieu qu'elle vous donne part à son esprit d'anéantissement, afin que vous soyez rendue digne de la suivre dans sa gloire.

U'ai reçu les vôtres du 4è du courant, lesquelles ne contiennent que

des reconnaissances et des remerciements sans sujet, car je ne suis pas en état d'obliger personne. Nonobstant que j'aie la volonté de vous servir, vous m'en ferez croître le désir quand j'apprendrai que vous êtes fidèle à Notre Seigneur et que vous tâchez d'être une vraie religieuse de saint Benoît. Je vous prie, ne vous relâchez point dans la voie étroite qui conduit à là vie. Le temps est bref, ne le consommez point inutilement et, puisque vous connaissez les grandes miséricordes que Notre Seigneur vous fait, correspondez de votre part et soyez toute à lui sans réserve. Ne vous flattez jamais intérieurement, et ne souffrez jamais que votre esprit humain raisonne sur les conduites de Dieu sur votre âme, soit au dedans, soit au dehors . Abandonnez-vous si parfaitement à Dieu et si continuellement que jamais vous ne rentriez en la possession de vous-même. Nous commençons quelquefois très bien, mais nous n'allons pas loin, et cela vient de ce que l'on ne veut pas mourir à soi-même, ni donner vie à Jésus en nous. Perdez-vous, ma chère Soeur, et vous assurez que la meilleure et la plus haute fortune que vous 'puissiez faire, c'est de vous perdre vous-même et toutes les créatures, car jamais Dieu ne se communiquera pleinement à votre âme que vous n'ayez tout perdu. Prenez donc bien garde que rien ne prenne vie en vous, et que vous ne preniez vie en aucune chose. Accoutumez-vous à vous contenter de Dieu seul, et vous expérimenterez qu'il est infiniment suffisant pour vous satisfaire. « Trop est avare à qui Dieu ne suffit ».

Je ne sais pourquoi la Providence me donne un si grand zèle de votre sanctification. Je voudrais vous pouvoir dire trois mots à l'oreille de votre coeur. Je suis assurée que, si vous voulez, Dieu se glorifiera en vous et vous comblera de très grandes miséricordes. Mais si une fois vous les négligez, en vous jetant dans vos sens et dans les créatures, vous perdrez ce que peut-être vous ne recouvrerez jamais. Prenez-y bien garde et ne vous mettez point dans une si malheureuse expérience. Il faut être tout à Dieu ou ne s'en point mêler. Je ne puis souffrir une âme partagée qui accommode Dieu avec le monde et avec soi-même. Soyons à Dieu tout seul et laissez-là tout le reste. Vous connaîtrez un jour que je vous dis de grandes vérités en peu de paroles et d'un style très simple et chétif. J'ai une extrême affection que vous soyez tout ce que Dieu veut que vous soyez selon ses desseins adorables, et que vous n'y fassiez point d'opposition. A Dieu, ne vous fâchez point si je vous parle de la sorte, je n'ai point d'autres motifs que l'amour de votre sanctification.

Je prie Notre Seigneur qu'il me rende digne de prier pour Mademoiselle votre bonne Mère. Je vous prie de la saluer de ma pàrt et de vous assurer, ma très chère Soeur, qu'en tout ce que je pourrai contribuer à votre perfection, que je m'y emploierai de même coeur que je suis en Jésus et sa très sainte Mère„ votre très acquise seryante.

Sr du Saint-Sacrement

Je vous conjure de prier Dieu pour moi: mes besoins sont extrêmes. Dieu vous en récompensera. Je vous prie qu'il n'y ait que notre Révérende Mère et votre bonne Mère Maîtresse qui sachent que je vous écris.

ni. 1308

A LA RÉVÉRENDE M ÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME I

Prieure du monastère de Rambervillers

le 10 octobre 1653

Ma très Révérende et ma très chère Mère,

Jésus soit éternellement glorieux en nous par l'accomplissement de ses divines volontés et la consommation de ses adorables desseins!

ey3:ussitôt que j'appris l'ordre de la sainte et aimable Providence qui vous a établie Supérieure de notre' Maison, je me suis trouvée en désir de vous en témoigner mes sentiments, aussi bien que mes devoirs d'obéissance et de respect. Je bénis Dieu de son élection et selon lui j'en ai joie, croyant qu'il en tirera sa gloire. Mais selon l'affection intime que j'ai pour vous, ma très chère Mère, je ressens de la peine de vous savoir en croix, et je vous y porte d'autant plus de compassion que je sais d'expérience qu'elle vous sera rude et pesante, bien que je

160 CATHERINE DE BAR

sois certaine que le bras de Dieu la soutiendra, et que celui qui vous a établie chef de sa petite famille vous donnera les grâces et les lumières nécessaires pour y établir sa gloire et y trouver votre sanctification. Il faut être, par état, dans un profond anéantissement, pour ne se point troubler en semblables événements qui semblent causer des renversements étranges, et il faut une merveilleuse fidélité pour demeurer morte en telles occasions et se laisser appliquer par la main de Dieu sur la croix et être dévorée selon ses plaisirs et desseins éternels. Je vous crois trop prévenue de ses grâces pour être en d'autre disposition que celle où votre état vous oblige d'être ; à moins que d'une infidélité très grande, cela n'empêche pas les vues de l'esprit et la peine des sens, mais tout demeure sous le pressoir de la Croix pour être consommé et détruit. J'adore donc la conduite adorable de Notre Seigneur sur vous, ma très chère Mère, et quoique cette élection me tire de l'espérance que j'avais de vous posséder, il faut que mes intérêts soient anéantis et que je n'aie plus aucune vie, ni appui dans les créatures.

Mon Dieu, que j'aurais de choses à vous dire, ma très chère Mère, et que deux ou trois heures d'entretien me donneraient de satisfaction ! Il me semble que c'est le seul désir qui demeure en moi. Tout le reste se passe et se consomme ; je l'abandonne àY Dieu pour en être ce qu'il lui plaira. Cependant je vous supplie très humblement recevoir les assurances de mes respects et de la soumission que je désire vous rendre de tout mon coeur, comme à notre très honorée et très digne Supérieure. Il y a longtemps que Dieu a voulu que vous soyez ma Mère ; présentement il vous confirme encore plus particulièrement dans cette qualité, et me donne des désirs très grands de vous rendre mes très humbles obéissances. Je supplie votre charité, en l'amour et pour l'amour de Jésus et de sa très sainte Mère, de me conserver toujours la qualité de fille et l'affection d'une vraie Mère. Usez de votre autorité et m'honorez de vos commandements, car je veux vous obéir en tout ce qui sera de mon possible, et au-delà si je puis. Je vais mander à la bonne âme votre élection afin qu'elle prie Dieu pour vous. Je puis vous assurer qu'elle vous aime de tout son coeur, elle me demande souvent de vos nouvelles. Vous lui écrirez, s'il vous plait; elle recevra vos lettres avec joie ; ce qui est tout à fait extraordinaire en elle, car elle ne peut souffrir qu'on lui écrive. Je ferai aussi prier Dieu pour vous par beaucoup d'autres saintes personnes que je connais.

Je ne vous fais pas compliment sur votre élection; vous me connaissez, ma très chère Mère, et savez ce que je suis, je vous supplie n'en jamais douter. A Dieu, ma très chère Mère. Je suis en Jésus toute votre très obéissante fille et très fidèle servante.

no 48 LETTRES INÉDITES 161

A LA MÊME

[1653 au plus tôt]

Jésus soit l'unique de nos coeurs !

Dee reçois les vôtres du 7ème du courant, je vous y fais une prompte réponse pour votre consolation. Ecrivez à la bonne âme avec autant de franchise et de liberté comme si c'était à moi et plus encore, parce qu'elle est infiniment plus sainte et plus éclairée que moi. Car pour vous parler en fond de vérité, je ne suis que ténèbres et misères extrêmes ; mais il ne se faut pas toujours regarder.: si je m'arrêtais à ce que je suis, jamais je n'ouvrirais la bouche. O mon Dieu, je ne vois en moi qu' abomination et péché. Croyez que je suis bien réduite, et pas encore assez, j'espère descendre dans un plus profond abîme. Priez Dieu qu'il soutienne l'âme pendant qu'il la détruit jusqu'à la moëlle des os. Nonobstant mes misères, je suis toute dans l'affection de rendre a votre âme tous les services que votre humilité désire. Je prendrai la liberté de vous dire mes petits sentiments comme du passé ; seulement il y aura cela dé différence que je le faisais par obligation, et à présent ce sera par soumission à l'ordre que j'en reçois de votre bonté, qui veut être soumise à la plus pécheresse du monde. Cette impression que vous avez eue pour la bonne âme vient sans doute de Dieu, car elle est dans un excès de souffrance plus qu'à l'ordinaire depuis quelque temps, et avait désiré que vous ayez mémoire d'elle en vos prières. Elle a de grandes affections pour vous. Cela est bien particulier car c'est une personne morte à tout; elle sera consolée d'entendre de vos nouvelles. Il ne faut point de cérémonies avec elle : c'est une âme qui n'est plus de ce monde.

Je loue et benis Notre Seigneur pour tant de miséricordes qu'il vous fait. Je crois qu'il veut bien que vous en remarquiez quelqu'une pour nous en faire part, en attendant qu'il vous ait introduite dans la perte totale de tout vous même en lui. Néanmoins le tout sans contrainte et comme Dieu le voudra, car, pour moi, je n'ai plus de vie pour Ces choses, que pour la pure gloire du règne de Jésus. Il ne m'est plus permis d'avoir aucun désir, ni l'ombre d'aucune curiosité. Il nous faut tout perdre et laisser abîmer, chacun dans sa voie, et dans la sainte et adorable conduite de Dieu. Demeurons chacune dans nos degrés ; quoique le mien soit extrême, je n'en veux jamais sortir, car il faut perdre son être propre afin que Dieu seul soit. J'aurais besoin de vos saintes prières, ma très chère Mère, et si je ne craignais-de vous être à charge, je vous supplierais très instamment de faire une neuvaine pour demander le règne de Dieu en moi selon son divin plaisir, et que je sois réduite au suprême ; mais qu'il soit le soutien de l'âme, afin que dans ces extrémités elle ne succombe point. O Dieu, que son bras est

puissant ! Quand lui plait, il fait d'étranges choses. J'adore tout,

162 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 163

m'abîmant dans le silence et le néant où je vous suis par lui et en tout ce qu'il veut que je vous sois.

Continuez d'aller le vendredi devant le Très Saint-Sacrement s'il vous plait, cela ne nuira point à votre charge, une matinée se passe bientôt. Pour les jeûnes de la Règle, je ne crois point que vous en devez faire. Il y aura moins de vous même en ne jeûnant point et plus d'abjection. Je vous prie soumettez-vous à celles qui vous en prient.

A Dieu, ma très chère Mère, c'est votre très indigne Fille.

nu 1354 N267

A RÉVÉRENDE MÈRE DOROTHÉE IHEURELLE1

Sous-Prieure du monastère de Rambervillers

28 may 1654, mercredi de la Pentecôte

Ma très chère Mère,

:1> e reçus avant-hier les vôtres au plus fort d=une cérémonie que nous

faisions, qui était la vêture de Mademoiselle d'Uxelles (1). Priez Notre Seigneur qu'il la revête de son divin Esprit et de la grâce de sa sainte vocation. Quelqu'une de nos Mères vous en dira le détail. Je me contenterai seulement de vous dire qu'il me semble que toutes ces choses se font si hors et si loin de moi que je ne les sens point. Je ne trouve plus en moi la capacité de me réjouir de quoi que ce soit. 11 faut pourtant excepter une chose, qui m'a donné grande satisfaction : c'est qu'ayant fait faire une Notre-Dame plus haute sans comparaison que moi, tenant son enfant sur son bras droit, et de la main gauche tenant une crosse, comme étant la généralissime de l'Ordre de SaintBenoit, et très digne Abbesse, Mère et Supérieure de cette petite maison du Saint Sacrement, on nous l'apporta samedi veille de la Pentecôte. Je vous avoue que son abord me fit frémir de joie et de consolation, voyant ma sainte Maîtresse prendre possession de son domaine et de tout ce petit couvent. Elle n'est pas encore parfaite, car on la doit dorer et la rendre parfaitement belle, et après qu'elle sera achevée en sa perfection, on la fera bénir (2), et puis élever sur un trône préparé à cet effet au milieu de notre choeur, entre la chaise de notre Mère Sous-Prieure et la nôtre. On l'admire, et certainement elle est belle et• me console extrêmement.

Il me semble que je n'ai plus rien à faire quand je vois cette aimable princesse tenir son rang d'autorité et de bonté én nos endroits. Je vous

(11 Cette jeune fille ne put persévérer pour raison de santé.

(2) Cette vierge est la «Notre Dame Abbesse» du monastère de la rue Cassette, bénie le 15 août 1654. Cette statue a disparu pendant la révolution. cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 99 et 296 - 297.

prie de l'honorer pour nous et la supplier de prendre une souveraineté absolue sur nous toutes, et qu'elle nous rende dignes d'être ses vraies filles. NoÉis vous manderons toute la cérémonie quand elle sera faite ; ce ne sera encore de plus de deux mois. Nous vous prions de nous aider de vos saintes prières à nous disposer à ce saint jour, qui m'est un des plus précieux de ma vie. J'espère tout de ma sainte Mère et très aimable Maîtresse. C'est bien ma bonne Mère en vérité, et il me semble que ma confiance passée s'est renouvelée en moi plus fortement que jamais. J'attends d'elle un grand secours pour la bonne conduite de ce petit monastère qui n'est pas encore parfaitement établi. Il ne fait que naître. Priez cette sainte Mère d'y verser ses saintes et abondantes bénédictions. Dieu y veut beaucoup de sainteté, mais je suis bien opposée à ses desseins. A moins que d'être très anéantie, il n'y a pas moyen de correspondre à un ouvrage si saint et qui fait bien enrager le démon. Il en fait bien des tempêtes.

Ma très chère Mère, je suis en bonne santé, quoique nos Mères ne le croient point. J'ai été plus languissante que je ne suis maintenant. Pour ma vie, je l'abandonne et n'en sais pas la fin. Seulement, il serait à désirer que je la termine en agissant dans mes obligations, parce que nous avons trop d'occupation pour appliquer mes Soeurs à m'assister à ce dernier passage. Je ne crois pas que ce soit sitôt, car j'ai bien de la vie dans le coeur. Je vous assure qu'on n'a pas seulement le loisir d'y penser, car il ne se faut réfléchir que le moins que l'on peut et se laisser perdre sans ressource. Hélas ! Je ne me consomme pas devant le Très Saint Sacrement, mais je me consomme dans le tracas et dans les créatures. Voyez quelle effroyable consommation ! A Dieu, priez-le qu'il se glorifie en tout. Je suis en lui, et à toute la chère communauté, votre toute acquise et plus fidèle ...

no 1361

A LA MÊME

le jour St Mathieu 1654 [21 septembre]

Ma Révérende et très chère Mère,

Jésus dans son divin Sacrement soit notre consommation !

D'e viens tout présentement, Je recevoir les vôtres, très chère, en date du- 10ème du courant. Elles nous ont apporté bien de la joie, car je

ne pouvais plus supporter votre silence, ni un si long retardement de vos lettres. Je vous prie, ma chère Mère, une fois pour toujours, de ne nous en priver si longtemps ; cela me met trop en peine, et je demande à' votre charité cette satisfaction d'avoir, de temps en temps, des nou-

164 CATHERINE DE BAR LETTRF,S INÉDITES 165

velles de vos santés et de la maison, à laquelle je prends le même intérêt que si j'étais encore Supérieure. Je l'ai trop aimée et l'aime encore trop pour l'oublier. C'est une chose impossible, et souvent notre Mère Sous-Prieure (1) et moi cherchons un moyen d'y faire un petit voyage, pour avoir la consolation de vous entretenir encore une bonne fois avant que de mourir. Je n'en vois point de plus prompte et meilleure occasion que d'aller à Plombières au lieu de Bourbon, pour un bras que j'espère être un jour perclus. J'en ressens des atteintes très grandes et je n'y veux point faire de remèdes, afin que les médecins m'ordonnent sans autres ressources les eaux chaudes, et Dieu sait comme je drillerai [j'irai droit] à Rambervillers. C'est là où je ferai mes remèdes et, si Dieu voulait, mon cercueil sans avoir la peine de revenir.

Voilà une de nos petites saillies, mais hélas ! cela dure peu, car nous avons si peu de temps à respirer qu'à peine en trouvons-nous pour un peu nous divertir. Mais tout de bon, si ce mal de bras ne me contraint à faire un voyage, je ne vois pas lieu, de longtemps, de l'espérer ; partant il faut prier pour l'augmentation de mon mal, qui n'est pas si grand que je le désire. J'ai été languissante deux mois et plus, avec une fièvre et faiblesse de poitrine assez grande. Ce qui était plus mauvais, c'est ,que j'avais les jambes et les pieds fort enflés et les marques y demeuraient et, de là, je pouvais douter d'être bien plus mal. Mais de tout cela, la nature en moi s'en joue ou Notre-Seigneur s'en rit, car je passe toujours par dessus tout et n'alite pas. J'ai traîné ainsi ma pauvre vie. Présentement je suis bien mieux selon le corps, mais toujours très mal selon l'esprit, car je suis toujours tant opposée à Dieu que cela est pitoyable.

Ma Soeur Marie de Jésus [Chopinel] souffre beaucoup de corps aussi bien que d'esprit depuis quatre ou cinq jours. Continuez de prier. Je vous avais écrit une lettre à son sujet, de trois ou quatre pages, mais je la crois perdue, car vous n'en avez jamais dit mot. Hélas ! ma très chère Mère, je suis indigne de servir cette âme et toutes celles qui sont ici. Je me vois bien l'esclave de toutes, mais je suis si ténèbres que je ne vois goutte à leur conduite. Ce qui me console, c'est que la Mère de Dieu a dit à la bonne âme qu'elle aura soin de cette communauté. Cela me donne un peu de repos, et lui abandonne plus confidemment, puisqu' elle assure d'en prendre le soin. Elle prie bien pour ma Soeur de Jésus, mais il faut qu'elle se résigne à Dieu ; je ne sais quand il lui plaira la soulager. J'ai bien de la dévotion a Notre-Dame de Repos et, pour son amour, je vous y demande une neuvaine, afin qu'il lui plaise me donner-le vrai repos, que l'on peut avoir en cette vie, qui est d'être toute anéantie. Je ne sais point de repos pour moi que le centre de mon néant, dans lequel j'aspire d'être toute abîmée.

(1) Mère Bernardine de la Conception Gromaire a quitté son monastère de Rambervillers avec Mère Anne de Sainte-Madeleine fin 1653. Elles rejoignent Mère Mectilde à Paris pour la seconder dans la fondation de l'Institut.

Faites part à notre très chère Mère Prieure de nos nouvelles, et lui dites que la plus grande satisfaction que je reçois des choses de la vie ce sont ses lettres ; quand il lui plaira, elle nous écrira. J'ai différé de dire vos sentiments pour notre Marie pour quelques raisons. Si elle n'avait l'affection pour R., elle serait déjà reçue céans. Elle se change bien, mais elle a peine à se résoudre de penser à nos retours et qu'elle demeure ici. Si la Providence nous manifeste ma mort en France, je lui donnerai l'habit pour cette maison ; car si nous y mourons, il faut qu'elle se résolve - d'y demeurer, ou de n'être point religieuse puisque vous ne la voulez point. Nous en ferons le mieux qu'il nous sera possible. Faisant bien, elle n'aura pas de peine ici, car partout il faut se rendre à Dieu ; elle en témoigne bien du désir. Je la servirai de tout mon possible pour céans, elle s'en peut assurer. Mais pour ailleurs, je n'y ai point de pouvoir, et ne voudrais pas en avoir, car j'aime que tout se fasse dans une sainte liberté, ne prétendant jamais violenter les inclinations ou les sentiments d'une Communauté.

Ma chère Mère, faites bien mes recommandations à toutes, je vous en supplie, et particulièrement à notre très chère Mère Prieure. Notre Mère Sous-Prieure vous écrira plus amplement de tout et de notre Sainte Mère Abbesse. Je ne vous oublie pas, je la prie récompenser toute la charité que son Fils vous a donnée pour moi et qu'il vous consomme en son amour. A Dieu, ma très chère Mère, Messieurs de Bernières et Roquelay (2) vous saluent. Ils font des merveilles dans leur ermitage ; ils sont quelquefois plus de quinze ermites. Ils demandent souvent de vos nouvelles. Si notre bonne Mère Prieure voulait écrire de ses dispositions à M. de Bernières, elle en aurait consolation, car Dieu lui donne des lumières prodigieuses sur l'état du saint et parfait anéantissement. Nous avons ici pour notre sacristain le bon vigneron de Montmorency (3). Je ne sais si vous l'avez connu, c'est un ange en terre. A Dieu, je ne puis finir. Je suis en Jésus toute vôtre...

no 1594

(2) Jean de Bernières-Louvigny. M. de Roquelay, prêtre, lui servait de secrétaire. Cf. M. Souriau, Le mysticisme en Normandie au XVIle siècle, Perrin, 1923 et C. de Bar. Documents, 1973, p. 64.

(3) Jean Aumont, dit de la Croix. né à Montmorency en décembre 1608 et mort le 19 avril 1689. Il a été inhumé aux Filles Pénitentes de Saint-Magloire, rue Saint-Denis à Paris..Aumont semble avoir été l'un des chefs de cette école mystique pré-quiétisté, qui cherchait à répandre «l'oraison du coeur, cf. Henri Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, Bloud et Gay, 1916. t. VII, chap. V, p. 326 et suiv. P.J. van Schaick dans Revue d'histoire de la spiritualité, t. 50 (1974), n''199200, p. 457 et suiv.

166 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 167

EXTRAIT D'UNE LETTRE À UNE RELIGIEUSE

du monastère de Rambervillers

Paris, 1654

Ma très chère Mère,

Pour ce qui est de mes croix, je ne vaux pas la simple application de votre esprit à mes humiliations. J'espère que la Providence me rendra digne d'en avoir de plus grandes. Priez Dieu que je ne l'offense

point. .

Depuis quelque temps, je vois une espèce de béatitude à être rejetée, méprisée, crucifiée et maudite des créatures et me semble que je ne serai jamais parfaitement à Dieu si je ne passe par là. Il plaît à Dieu m'y mettre au regard de plusieurs, mais non pas de tous. Ainsi le bonheur n'est pas accompli. J'avoue qu'il faut une très haute grâce pour le soutenir, mais ma confiance est en la vertu et miséricorde de Notre Seigneur Jésus Christ. Il sait détruire et soutenir, et si vous entendez dire beaucoup de choses de moi, ne vous en étonnez pas. Pour moi je ne sais comme je suis faite au regard de ces choses ; je suis devenue toute insensible ; il me semble que ma complaisance est au bon plaisir de Dieu. Je trouve ses voies si saintes et si adorables que je ne me puis lasser de les admirer. Mon Dieu, qu'il fait bon nous laisser dans sa sainte main ! O qu'il nous conduira bien et à bon port ! Il me semble que si Dieu nous voulait damner, il y aurait plaisir de l'être de sa main, et par son divin vouloir. Laissons-le faire, tout ira bien et il ménagera notre sanctification au milieu des obstacles que la nature, les créatures et le démon nous dressent. Il me semble que l'âme ne peut plus prendre aucun plaisir sur la terre que dans ce bon plaisir de Dieu ; dès aussitôt qu'on l'envisage, il calme tout, jusqu'au premier mouvement qu'il a la puissance de retenir. Apprenons à nous perdre. Soyons victime en vérité et non en figure. Immolons nos vies, nos intérêts et nos sentiments au bon plaisir de Dieu. Préférons-le à tout et prenons notre complaisance dans le renversement de nos desseins. Je vois que c'est une infidélité à l'âme de désirer quelque chose ; c'est à Jésus Christ de désirer pour elle et de former des desseins sur elle. Je n'oserais plus rien Souhaiter. Il me semble que Notre Seigneur veut que nous demeurions plus en lui qu'en nous et que nous soyons plus agies de son Esprit que du nôtre. Commençons à vivre pour lui dans la pureté de son amour. Donnons-lui cette gloire, que le reste de nos années, qui sont bien courtes, soient purement pour lui sans plus de retour sur nous, non pas même sur notre propre perfection.

Il faut que je vous dise ma juste douleur et dont je suis un peu touchée, ce me semble, c'est de voir qu'en quarante années qu'il y a que je suis

sur la terre, je n'ai jamais vécu un moment pour Jésus Christ, je n'ai vécu que pour moi et pour les créatures. En vérité cela est tout à fait affligeant. O ma chère Mère, j'ai une grande espérance que Notre Seigneur m'en retirera. Je vous conjure de l'en prier pour moi, et qu'après avoir donné à cette oeuvre ce que Dieu veut de moi, je puisse m'en retourner dans notre chère Maison, y commencer et finir ma pénitence. Nous sommes plus à Dieu et pour Dieu qu'à nous, pour nous-mêmes. J'ai la pensée que nos vies sont si brèves qu'il ne faut plus retarder. Il faut marcher bien vite sans plus s'arrêter et je le dis souvent à nos Soeurs, je voudrais que nous tendions toutes au parfait dégagement de toutes les choses créées et à la pure adhérence à Jésus Christ. Hélas ! qu'est-ce de tout le reste ? je ne vois rien dans les créatures qu'amertume, vanité et afflictions d'esprit. Priez Notre Seigneur qu'il m'en fasse sortir, et dites, je vous supplie, à nos chères Mères, que je leur demande encore derechef très humblement pardon et que je les prie d'aller bien vite à Jésus Christ. Je les conjure de ne point retarder, et ce n'est pas sans raison que je leur fais cette instante prière, il y va de leurs intérêts etc...

no 2483

DE LA MÈRE DOROTHÉE [HEURELLE]

du monastère de Rambervillers

[en date du 31 mars 1655]

Ma Révérende, toute chère et plus intime Mère,

J'ai fait la lecture de celle que votre charité a pris la peine de m'écrire, avec une joie toute particulière, en y considérant les belles lumières et les belles vérités que Notre Seigneur verse en votre âme. Je crois bien que les vues et les sentiments d'humiliation que Dieu donne font tous les biens du inonde à l'âme ; mais si en suite de cela vous veniez à mettre votre talent dans un mouchoir et l'enterriez, je voudrais bien savoir s'il l'aurait pour agréable. Vous avouez vous-mê-ne que vous concevez des secrets et des merveilles dans les voies et conduites particulières de Dieu sur les âmes, et que le secret des secrets c'est de savoir bien demeurer dans sa voie. Voilà beaucoup dire en peu de mots, et je crois que c'est là tout le noeud de l'affaire, en la voie spirituelle.

Que j'aurais de choses à vous dire là-dessus, car je trouve qu'il n'est pas bien facile à de certaines âmes de connaître leur voie et qu'il faut .bien souvent qu'elles marchent sans savoir si elles avancent ou reculent, si elles gagnent ou si elles perdent, si elles sont en grâce ou en disgrâce, et ce leur serait une grande consolation si, dans leurs plus grandes peines d'esprit elles savaient que c'est là leur voie pour aller à Dieu et que ces mêmes peines nous y condui-

168 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 169

sent. Vous me répondrez qu'elles ne seraient plus peines. Je vous l'avoue : au contraire, ce serait une merveilleuse joie de les souffrir. Je ne sais si j'oserais dire que Notre Seigneur m'a mise dans un exercice, depuis la mi-Carême, qui m'est bien pénible. Je crois qu'il vaut mieux avouer devant lui et les créatures que ce sont mes péchés et mes infidélités. Que je serais en disposition de causer ! Mais il faut finir et vous dire que j'ai bien pensé à ce que vous dites : que le poids d'une nouvelle maison naissante est effroyable ; je le crois certainement. A une âme à qui Dieu en donne la lumière et connaissance, et qu'il lui fait concevoir la grandeur d'une chose qui est dédiée au culte e au service et à l'adoration d'un Dieu, il faudrait des anges, et encore serait-ce peu. Néanmoins il se sert de faibles créatures pour lui rendre des hommages que les plus hauts Séraphins s'en estimeraient indignes ; cela est étonnant. Il faut que je vous avoue qu'en lisant vos sentiments là-dessus, vous me les avez imprimés à mon esprit, et vous m'en avez fait concevoir des choses que peut-être je n'y aurais jamais pensé. Car quand on vient à considérer le haut état où Dieu nous a appelées, nous avons bien sujet de nous humilier, et ces belles vérités viennent de lui, quand nous les avons, et il s'en sert pour disposition et fondement, pour rendre une âme capable d'être en état qu'il s'en puisse servir selon ses desseins. C'est un Dieu qui donne grâce aux sujets qu'il se veut servir; pourvu qu'on n'y muette point d'opposition, encore sait-il bien compâtir à nos infirmités et faiblesses de sa créature. Il connaît bien ce que nous sommes.

Je fus touchée de compassion, en lisant votre lettre, de voir que vous dérobiez à vos yeux le temps que vous preniez pour m'écrire. Je vous prie, ma toute chère Mère, de ne le plus faire, car, comme je vous ai déjà mandé, un mot me suffit. Je sais bien que le temps vous est cher et que vous n'avez que trop d'autres occupations. Quand je vous dis ceci, ce n'est point que je ne désire bien que vous m'écriviez quelquefois, mais sans vous incommoder. Je pense bien écrire à la Révérende Mère Sous-Prieure, mais je ne saurais cette fois ici, j'en suis bien mortifiée ; ce sera pour la première poste, je la salue de coeur et d'affection. Notre Mère ne manque point de faire prier Dieu pour vous, et qu'il vous donne son Saint Esprit pour la réception de vos filles (1). Nous avons aussi bien affaire de prières, car nous allons avoir la visite devant l'Ascension? Monsieur Caillier nous l'a mandé. Demandez à Notre Seigneur que toutes choses se fassent à sa gloire et pour le salut des âmes.

Toutes nos Mères et Soeurs vous présentent leurs très humbles obéissances. Je salue tout votre noviciat et leur suis à toutes, très humble Soeur, et à vous, ma Révérende Mère, votre très humble obéissante et obligée fille.

ri() 695

je_'S/teer,tize 9irtoerPr

(1) Nous ne trouvons dans le registre des vêtures et professions, à cette date, que la réception de Louise Guisselain. Celle-ci connaissait Mère Mectilde depuis son séjour à Saint-Maur-des-Fossés (1643 - 1646). C'est elle qui avait conduit M. Boudon, qui n'était pas prêtre alors, près de Mère Mectilde C'est pourquoi nous le retrouvons, comme prêtre, à la vêture et à la profession de Soeur Marie du Saint Sacrement Guisselain. Elle avait pris l'habit le 27 mai 1654 et fera profession le 8 mai 1655. Il s'agit ici de sa réception à la7 profession par la Communauté. Elle meurt le ler juin 1660, âgée de 40 ans. (cf. lettre de la Mère Benoîte de la Passion de juin 1660).

A UNE RELIGIEUSE MALADE À L'EXTRÉMITÉ [À RAMBERVILLERSI

[avant mars] 1657

ésus ressuscité soit la force, la grâce et la sanctification de votre

âme, dans l'état de maladie où sa Providence vous tient, laquelle nous rend inconsolable ! Nous n'avons point les yeux essuyés depuis la réception de ces tristes nouvelles.

O ma pauvre Mère, faut-il se résoudre de vous savoir mourante sans vous voir et vous embrasser encore une fois ? Jamais je n'aurais cru que votre mort me fût autant douloureuse et sensible. Mon coeur vous sacrifie sans cesse et mon âme vous donne à Jésus Christ dans un intime désir qu'il vous possède et vous consomme toute en lui. O Dieu ! quelle nouvelle, ma bonne Mère qui se meurt ! C'est me faire mourir que d'entendre que nous faisons une telle perte, et j'en suis si pénétrée et dans une telle crainte que ma lettre ne vous trouve plus en ce monde que je ne sais si je la dois continuer. Je l'écris à tout ha,ard, dans l'espérance et la crainte. Je meurs et je vis tout ensemble, pour porter la douleur de mon grand sacrifice. 11 fallait entendre ces nouvelles, autant inopinément que moins je les attendais, pour faire épreuve de ma véritable affection. En vérité, je la connais à présent, mon coeur est touché, mais sensiblement, et je ne vous saurais rien témoigner que ma douleur et ma peine. N'y a-t-il pas moyen de prendre encore un peu de courage pour achever votre perfection ? Je prie Notre Seigneur vouloir regarder ma tristesse et la perte que je fais en votre chère personne. 0 mon Dieu, je veux et j'adore vos desseins et vos secrets. Je me sacrifie à toute privation et, ce qui m'afflige davantage, c'est que Notre Seigneur me laisse dans une incertitude de votre guérison, et je n'en ai quasi point ou bien peu d'espérance. Cela me fait croire que Dieu me veut faire entrer dans la privation, dans le sacrifice et dans la perte que la Providence me prépare ; car dès que cette chère Mère sera au Ciel, je dois commencer ma carrière dans les croix. Hélas ! qui me retirera de ma captivité, si cela arrive ? ll y faudra mourir. Laissons cela à part, il n'en est pas le temps, je m'abandonne à tout sans réserve.

Ma chère et unique iv1ère, il faut que je vous dise deux mots avec une peine extrême : je ne vous dirai pas que vous vous donniez à Jésus Christ, je sais que votre âme est dans une soumission totale ; seulement je vous dirai : allez à mon Seigneur et mon Maître ; allez donc à Jésus Christ ; allez dans la consommation de son pur et saint amour ; allez posséder votre repos en Dieu ; entrez dans sa divine béatitude ; sortez de la misère à laquelle notre vie nous assujettit ; sortez des créatures pour rentrer dedans Dieu ; n'ayez point de retour sur vous-même ; appliquez tellement à la bonté de Dieu votre âme et .votre esprit que vous reposiez en lui par une amoureuse confiance ; goûtez sa

170 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 171

bonté et sa miséricorde. Je le supplie de vous fortifier de sa grâce et de son amour, de vous prévenir de ses saintes bénédictions, enfin de vous donner une mort toute sainte. Allez, ma bonne Mère, n'ayez point de regret de quitter la terre. Le Ciel est infiniment plus digne. Vous êtes créée pour Dieu et vous devez retourner à Dieu. Rentrez donc dedans votre centre et dans votre bonheur ; ne nous oubliez pas. Priez pour nous lorsque Jésus vous fera la grâce de vous conduire en son Royaume. Priez-le, je vous supplie, qu'il me rende digne de vous y suivre un jour et de prier pour vous efficacement. Soyez certaine que nuit et jour je vous offrirai à Notre Seigneur et ferai sans cesse prier Dieu pour vous. Si je suivais mes sentiments, je ne finirais pas la présente que je ne l'aie remplie de toutes mes pensées ; mais je vois qu'il n'est pas le temps de les continuer. Je finis en vous protestant qu'en la vie et en la mort, je vous serai parfaitement fidèle.

no 1540 N267

A LA MÈRE DOROTHEE [HEURELLE à Rambervillers

[avril/mai 1657]

Ma toute chère Mère,

'ai reçu celle que vous m'avez fait la grâce de m'écrire, qui m'a

donné une sensible consolation, me voyant dans votre cher souvenir. Je vous assure, ma très chère Mère, que j'en ai un très grand besoin. Si je considérais le poids que je porte, je serais abîmée de douleur ; mais autant que je puis, je le laisse sur les épaules de Notre Seigneur et tâche de m'anéantir sous ses pieds. Mais c'est avec tant d'infidélité que j'en ai horreur, et je vous supplie d'en demander pardon pour moi, et de réparer les outrages que je fais à sa divine Majesté. Je voudrais bien qu'il lui plût me faire la grâce d'accomplir ses volontés en la manière qu'il veut. Aidez-moi ma très chère Mère, par vos saintes prières, et ne me séparez jamais de la charité que Notre Seigneur a mise en vous pour moi. Je vois et conçois la tendresse de votre bon coeur, mais je prie Jésus Christ mon Sauveur qu'il ne souffre pas que mes péchés me retranchent de cette union que je considère comme un effet de sa miséricorde. sur moi, que je chéris plus que je ne vous puis dire.

Hélas, ma très chère Mère, c'est bien moi qui dois vous demander pardon des peines que je vous ai données, et surtout des mauvaises édifications. Mon Dieu, que votre bonté a été grande de me souffrir, mais ne me la retranchez pas, je vous supplie ! Ayez toujours un peu de soin de mon âme, et plus encore des intérêts de Dieu en moi. Priez-le qu'il vive lui seul, et qu'il détruise tout ce qui lui est contraire, afin qu'il règne, et que celui qui fait votre vie fasse la mienne, et qu'il soit uniquement tout en tout, et vous et moi cachées et abîmées en lui, pour ne nous jamais retrouver en nous-mêmes.

Adieu, ma toute chère Mère, je ne partirai qu'après l'octave (1) s'il ne me vient des nouvelles qui m'obligent de changer de sentiments. Le chaud est si ardent que nous craignons bien de demeurer en chemin. Je sens bien que je deviens vieille, la vigueur se passe. Hélas, si je la consommais pour Dieu, quel bonheur ! Mais la nature ravage tout. J'ai bien de la peine de laisser notre très chère Mère assez mal ici. Elle est plus à son centre avec nous. Je crois qu'elle ne sera pas longtemps sans y retourner. ll faut 'bien prier Notre Seigneur qu'il nous la conserve pour sa gloire. Selon l'humain elle ne le peut faire longtemps, mais Dieu peut tout, il faut nous confier en sa bonté et espérer qu'il aura pitié de son oeuvre. Si je savais me tenir au néant, tout irait bien. Priez Notre Seigneur qu'il me tienne sous ses pieds adorables et que je ne m'en retire jamais.

Je vous prie de saluer très cordialement toutes nos très honorées Mères et chères Soeurs. Je ne vous puis exprimer la tendresse que j'ai pour toutes. J'espère de n'être pas longtemps sans les revoir. Mais comme toutes les choses de la vie sont incertaines, il faut vivre et mourir dans un total abandon, sans cesser d'être en Jésus tout à vous.

no 746 B505

(1) Le manuscrit Paris 101 p. 712, dit : Au début de 1657, elle se trouva attaquée d'une fluxion de poitrine et d'un mal de côté avec une oppression considérable joints à un engourdissement du bras gauche qui lui ôtait tout mouvement... Les médecins lui ordonnèrent d'aller aux eaux... elle choisit Plombières située en Lorraine... Elle donna à Mère Bernardine, sous-prieure, un pouvoir pour acheter le terrain rue Cassette destiné au futur monastère... et partit en avril... Elle s'arrêta à Nancy... où elle descendit chez les religieuses de la Congrégation. « Elle y avait deux nièces », c'est-à-dire deux cousines de son neveu Claude Gaulthier. La famille Gaulthier a donné un grand nombre de religieuses à la Congrégation Notre-Dame. Celle-ci a été fondée par Alix le Clerc, née le 2 février 1576 à Remiremont (Vosges) et décédée le 9 janvier 1622 à Nancy. La congrégation est née de la prière du Père Fourier dans la nuit du 20 janvier 1598. Le Père Pierre Fourier né à Mirecourt le 30 novembre 1565, réformateur des Chanoines réguliers de Saint-Augustin et curé de Mattaincourt (Vosges), de 1597 à 1640 est enterré dans sa paroisse et son coeur est conservé à Gray où il mourut le 9 décembre 1640 en soignant les pestiférés. cf. Père Rogie Histoire du bienheureux Pierre Fourier Verdun 1887.

A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME ]

[de Plombières, après son passage à Rambervillers]

le 24 juin 1657

Ma Révérende et ma plus chère Mère,

e viens tout présentement de recevoir votre chère lettre qui m'a

toute redoublé ma douleur. Je vous puis dire et protester, ma plus

172 CATHERINE DE BAR

LETTRES INÉDITES 173

intime et chère Mère, que j'ai le coeur plus touché que jamais de votre séparation ; et me semble que je suis si liée à vous que vous faites partie de moi-même, mais d'une façon que je ne puis exprimer. Plût. à Dieu que je sois libre et que je puisse retourner sans aller plus outre ! Vous êtes à mon âme ce que Dieu sait et que je ne puis dire ; prenez courage, ma très chère Mère et priez un peu pour nous. Il est vrai que vous êtes bien crucifiée, et j'espère que je le serai un peu avec vous, et toutes deux dans le silence, sans se plaindre à personne qu'à Dieu seul. Je ne doute point qu'il ne soit votre force, priez-le qu'il soit la mienne. Plus je considère les affaires, plus je vois d'embarras pour moi, et dans l'embarras ma ruine, si Dieu n'a pitié de moi. Car encore que le fond soit adhérent, la trop forte occupation du dehors le distrait, ou du moins l'affaiblit beaucoup. Heureuse l'âme qui possède la solitude !

Je vous supplie, ma très chère Mère, de vous souvenir de la lettre que vous pourrez écrire dans un mois au Père Prieur de Saint-Germain (1), si toutefois Notre Seigneur vous l'inspire. Ne l'écrivez point pour moi, car je serais en scrupule si vous me considériez. Si Dieu veut me remettre avec vous, j'espère qu'il vous donnera le mouvement d'écrire ; n'attendez pas que je sois élue à Paris pour la deuxième fois.

Je vous écrivis hier, pensant vous envoyer un exprès. Mais ma soeur voulant retourner demain, j'ai cru qu'il suffirait qu'elle vous porte mes lettres et qu'elle se console un peu avec vous. Je n'ai rien qui me retienne en France, et cependant je n'ose dire absolument que je reviendrai. Il faut tellement mourir à tous désirs qu'il faut travailler à mon retour sans que je m'y applique. Il me semble que je suis à vous par surcroît, à cause du renouvellement de mes voeux entre vos mains. Je suis plus liée à votre pouvoir et me trouve plus assujettie à ce qu'il vous plaira me commander.

Je vous supplie faire réponse à la ci-jointe et donnez votre lettre à M. Mercier si vous n'avez point d'autre voie, car toutes les semaines il vient à Nancy. Il sera bien aise d'apporter de vos nouvelles et paquets quand vous en aurez. Adressez vos lettres et paquets à Mademoiselle de Vienville (2). A Dieu, ma plus chère Mère, je suis votre pauvre et très indigne fille.

ni' 1595 R17

(I) Dom Bernard Audebert. né à Belloc, (Haute-Vienne), fit profession à Nouaillé le 11 novembre 1620 après avoir été prieur et abbé de plusieurs maisons, il est assistant du père général en 1648, prieur de Saint-Germain-des-Près en 1654 et supérieur général de 1660 à 1672. Il meurt le 29 août 1675. Dom Martène. Histoire de la congrégation de Saint Maur, Ligugé, 1928, t. 1. p. 35 (Arc•hives de la France monastique, vol. 311.

(2) Françoise Lhuillier, nièce de Mère Mectilde avait épousé en 1652, à Cléfcy, canton de Fraize, Claude Gaulthier maître es arts, licencié ès droits, seigneur de Frémifontaine et sieur de Vienville, gentilhomme ordinaire de la maison de Gaston d'Orléans.

A LA MÈRE DOROTHÉE (HEURELLEI À RAMBERVILLERS

Paris, Saint Alexis, 21 juillet 1657

Ma très chère Mère,

uriez-vous jamais cru que je sois encore sensible pour vous et pour

votre Communauté, si vous ne l'aviez vu de vos propres yeux ? Mon -coeur était touché, et Notre Seigneur, ma chère Mère, voulut que vous soyez convaincue de ma sincère affection, puisque c'est lui-même qui me l'a donnée pour vous et pour nos chères Mères et Sdeurs. J'ai bien de la consolation de vous avoir vue et je l'aurai encore plus grande quand il plaira à Notre Seigneur me retirer avec vous, je crois qu'il m'en fera la grâce si vous lui demandez. La solitude est non seulement précieuse, mais absolument nécessaire pour se rendre à Dieu. J'éprouve ici des conduites de Providence bien obscures, mais en tout et surtout outre la souche, il faut tout passer et se laisser crucifier : nous verrons si la croix nous mènera à la mort.

J'espérais de vos chères lettres par lesquelles vous nous diriez des nouvelles de la joie de vos coeurs, et de la magnificence du Jeudi où le très Saint et très auguste Sacrement vous honora de sa présence. Combien de grâces avez-vous reçues ? Sans doute une infinité. Pour moi, j'estime que vous" recevreztoutes celles que je perds et profane ici, et bien d'autres. Courage, ma très chère Mère, faites hommage et réparation pour nous, rendez à Jésus anéanti ce que mon infidélité. lui ôte. Je prie la sainte Communauté, par vous, de faire le même. Je ne puis assez remercier Notre Seigneur de la consolation qu'il m'a donnée en ce monde de m'avoir donné les moyens de vous procurer cette sainte bénédiction ; elle est grande et pleine de miséricorde, je crois que chacune en reçoit abondamment. Mandez-nous un peu de vos nouvelles sur ce sujet, mon esprit vous y fait compagnie, quoique très indignement. Adieu en Dieu, je suis en lui toute à vous.

Monsieur de Bernières vous salue. Ecrivez-lui si vous y avez inclination : je lui enverrai vos lettres, au cas qu'il soit de retour. Frère Luc (1), qui est à Rome, vous salue et vous prie de vous souvenir de lui. Si Notre Seigneur le préserve de la peste, qui y est encore bien forte, il m'enverra un corps saint, que le Cardinal Protecteur lui a promis pour nous ; c'est un fidèle ami et qui peut bien servir en ce lieu-là. Dites à notre chère Mère Prieure que si elle veut des indulgences pour les Jeudis de votre Exposition, elle en fasse faire un écrit signé et attesté de l'Ordinaire, c'est-à-dire de Mgr I'Evêque, ou, en son absence, de son Grand Vicaire, et nous écrirons à Rome pour cela. Tout ce que je pourrai faire pour la Maison, je le ferai d'un plus grand coeur que je ne le saurais dire. Notre Seigneur m'a fait faire le voyage que j'ai fait [à Plombières] pour nous rallier toutes et nous unir plus fortement que jamais en lui : qu'il soit béni à jamais !

174 CATHERINE DE BAR

LETTRES INÉDITES 175

Adieu, c'est bien en hâte, comme vous pouvez voir par ce griffon. Un million d'humbles et très affectionnés saluts à toutes nos chères Mères et Soeurs, mais sans en oublier aucune, pas même ma soeur Marguerite [Lhuillier] (2) ; je vous prie de lui dire que je prétends toujours lui donner satisfaction. Adieu, en Dieu, je suis en lui toute à vous.

Je prie notre chère compagne de Plombières de nous mander si sa santé continue ; la mienne est assez bonne, mais sitôt que je clocherai, je ferai tant de bruit qu'on me renverra, et pour lors sera bien habile qui me retiendra à Paris.

Ma plus chère Mère. je reçus hier votre chère lettre avec des consolations que je ne vous puis exprimer. Courage, ma chère Mère, vous glorifiez plus le Très Saint Sacrement dans un jour que nous ne ferons toute notre vie : je vous en écrirai mes sentiments avec plus de loisir.

no 46

(1) Frère Luc de Bray - religieux Cordelier - de l'ordre de Saint François d'Assise, parait avoir été de l'entourage de Jean de Bernières

(2) Cf. Annexe : lettre de Mademoiselle de Vienville.

A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME

Prieure des religieuses de Rambervillers

le 9ème aoust 1657

Ma Révérende et très chère Mère,

:1> e suis très obligée à votre charité de nous avoir donné de vos chères

nouvelles ; elles me sont si chères que c'est la seule consolation que je reçois en terre. Je vous en remercie et de la peine que vous avez prise d'écrire au R. Père Prieur. Nous tarderons encore un peu de lui donner votre lettre, espérant que la divine Providence ménagera encore un voyage pour moi, et par ce moyen nous ferons notre affaire. J'espère quelques bons effets pour vous faire bâtir, si Notre Seigneur agrée d'y donner bénédiction. Pendant que je suis en ce pays, il faut faire ce que je pourrai pour le service de la maison de Rambervillers. J'en ai un très grand désir et vous puis assurer que je ferai tout mon possible pour cela. Je vous prie, quand vous aurez vu le R.Père Dom Antonin, je vous prie que je sache son sentiment, sans me flatter ni craindre de m'humilier tant soit peu ; autrement je croirais que vous ne m'êtes paS fidèle. La première preuve de la vraie amitié c'est de procurer la perfection de l'âme ; vous m'y pouvez plus aider que vous ne pensez. Ne refusez point à mon âme ce que votre bonté donne aux autres. Vous êtes plus que jamais ma Mère et ma Supérieure, puisque Notre Seigneur m'a fait la grâce de renouveler ma profession entre vos mains. Usez donc sur moi du pouvoir que Dieu et sa sainte Mère vous donnent ; je tâcherai de vous témoigner que je suis votre fille en vérité, quoique j'en sois très indigne.

Parlons maintenant un peu d'affaires. Si vous pouviez trouver voie assurée pour m'envoyer votre calice rompu, je le ferais changer contre un plus beau. J'ai grand regret que je ne le pris pour l'apporter. J'espère vous en envoyer un petit d'argent pour tous les jours, afin que vous rendiez celui de l'hôpital et que vous n'ayez plus rien d'emprunt. J'ai aussi dessein de vous acheter un ornement complet. Mandez-nous s'il vous plait, si ma Mère Gertrude [de Sainte-Anne de Vomécourt] fera bien les dalmatiques ; je tâcherai qu'il soit beau pour les solennités du Très Saint Sacrement ; je crois que votre encensoir est bien vilain.

Je vous prie, ma très chère Mère, d'écrire à Madame la Comtesse de Châteauvieux (1) pour la remercier de la fondation qu'elle a faite chez vous. Elle y a donné 4 mille, et le cinquième vient de nous. Vous ne spécifierez que deux mille livres, que vous avez reçues de sa part, qui font la somme de quatre mille francs. Faites une lettre la plus affectueuse et la plus reconnaissante que vous pourrez, et surtout comme incessamment on prie Dieu pour elle et pour son illustre famille, surtout pour Madame la Duchesse [de la Vieuville] sa fille. Mandez-lui qu'elle ne pouvait faire cette oeuvre en aucun lieu qui fût mieux reçue et secondée de tout le peuple, que si elle pouvait voir les louanges que l'on donne au Très Saint Sacrement, les adorations qu'on lui rend, et les bénédictions qu'on lui souhaite en récompense, qu'elle en aurait une singulière consolation. Mandez-lui que vous remerciez Dieu de la grâce qu'il lui fait de l'avoir choisie pour le faire honorer, que c'est une des plus hautes miséricordes qu'elle peut recevoir en ce monde. Bref vous lui direz tout le plus que vous pourrez. N'oubliez pas de lui dire que vous voulûtes me charger d'un écrit pour lui donner assurance de la reconnaissance que vous lui aurez à jamais, mais que notre Sr du St Sacrement [Mère Mectilde, elle-même] ne voulut pas, qu'elle n'ait su de vous, à son retour, si vous l'auriez agréable, pour des raisons qu'elle ne nous dit pas. Cependant, vous trouvant toutes si parfaitement obligées à sa bonté, que vous croyez qu'elle souffrira du moins par une simple lettre les témoignages de vos coeurs et les humbles reconnaissances dont ils sont tous remplis pour elle devant Notre Seigneur ; que sa modestie et son silence ne voulant pas être connus, ni nommés publi-

(1) Marie de la Guesle, dame de la Chaux fille de Jean de la Guesle, fut mariée à René de Vienne, comte de Châteauvieux. Ils eurent un fils qui mourut jeune et une fille. Françoise Marie de Vienne, qui épouse en 1649 Charles 11 de la Vieuville.

Le comte et la comtesse de Châteauvieux sont considérés à juste titre comme les «fondateurs» de notre institut pour leur générosité et leur dévouement. Après son veuvage, la comtesse se retira au monastère de la rue Cassette où elle meurt le 8 mars 1674, cf. C. de Bar, Documents, 1973.

176 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 177

quement en ce saint oeuvre feront que son nom et sa mémoire seront éternellement dans Dieu etc.

Ma très chère Mère, voilà la substance ; vous l'arrangerez s'il vous plait. Je n'ai pas encore envoyé les étoffes et l'argenterie

des Mères d'Epinal, c'est pourquoi elles ne

no 1516

A LA MÊME

18 aoûst 1657

Ma très chère Mère,

cce mot en hâte est pour vous assurer que j'ai fait tout mon possible pour avoir quelque bonne conclusion touchant l'affaire de ma très chère Soeur d'Arconas (1). Voici un petit mémoire que j'ai fait dresser, qui vous fera connaître les sentiments du Parlement et du Grand Conseil. Ces Messieurs m'ont fait dire de vous avertir que votre utilité serait d'accorder avec Monsieur son frère pour une dot comptant, de moindre prix que vous n'espériez, pour vous tirer d'affaire en sûreté et éviter des procès dont vous ne verrez pas la fin et qui coûteront plus que le bien ne vaut. Voilà ce que je vous puis dire sur ce suiet,; le mémoire vous instruit du reste.

J'ai douleur de voir tant de difficultés, et que cette chère Soeur pourra . être retardée si elle n'agit promptement et que votre charité ne l'assiste. Peut être que Notre Seigneur la veut réduire dans une condition comm.- ne dans la Sainte Religion, lui ôtant les moyens de posséder des titres d'honneur et des privilèges autres que' ceux de la charité, qui exerce toujours ses effets dans une maison bien ordonnée. Notre Seigneur l'ayant mise où elle est, si elle est fidèle rien ne lui manquera. Il vaut bien mieux être une sainte religieuse dans la profonde humilité et dépendance de Jésus Christ, que d'avoir quelque petite liberté en son particulier. Une âme qui se donne à Dieu sans réserve croit que sa sainte et adorable Providence ne lui manquera pas. Nous voyons souvent des miracles en faveur de telles âmes qui abîment leurs intérêts dans l'amour de Dieu.

Je vous assure aussi, ma très chère Mère, que je vous rendrai ce que vous avez déboursé pour nous, tant au R.P. Dom Arnould deux pistoles et demie, celle de Mad. de Bilistain et de M. de Vomecour ; je vous supplie de voir s'il y en a davantage. Je vous écrivis ces jours passés

(1) Reçue en février 1658 au monastère de Rambervillers. Des difficultés se sont élevées au sujet de sa dot au moment de sa profession et le monastère s'est trouvé engagé dans des tractations et des procès pénibles. Elle demeure près de Mère Mectilde à Paris quelque temps. Rentrée à son monastère de profession en 1664, nous la retrouvons comme signataire de plusieurs actes de ce monastère.

assez amplement. Ma prétention ne se borne pas à vous rendre ces quatre pistoles et demie, mais à quelque chose par delà. Si la divine Providence m'assiste, je ferai encore peut-être un voyage pareil à celui que j'ai fait ; c'est assez dire, mais je ne tiens encore rien, qu'en espérance : il faut du temps.

Pour ma retraite, je l'ai toujours fort à coeur, et espère que le temps viendra ou que la mort me retirera. Ma santé est bien ébranlée depuis quatre ou cinq jours ; je reviens comme j'étais et ne puis quasi manger, mais cela n'est encore rien, il n'en faut pas parler. Nous verrons ce que Notre Seigneur fera.

Je vous prie d'assurer derechef Monsieur de Vomecour que je ne manquerai pas à la somme de vingt pistoles, que je lui ai promise pour la confrérie du Saint Sacrement, et quelque chose de plus. Je vous prie de lui dire que s'il m'en veut envoyer un extrait pour Rome, bien dressé en latin, que je le ferai confirmer et y appliquer des indulgences. Faisons tout notre possible pour la gloire de celui que mes infidélités anéantissent encore tous les jours dans mon coeur ; aidez-moi à réparer, je vous en conjure.

Permettez-moi de saluer chèrement toute la communauté et de l' assurer que mon affection est entière. C'est si en hâte que j'écris que je ne fais que brouiller. Je suis, ma plus chère Mère, en Jésus toute à vous.

La bonne Mère Marie (2) se prépare par une petite retraite de quatre ou cinq jours avant que de partir. Que ma chère Mère Dorothée [Heu-relie] ait un peu de part à mon souvenir, s'il vous plaît, puisque je ne puis lui écrire.

no 95

(2) Pour la tentative de fondation à Saint-Dié, cf. C. de Bar, Documents, 1973 p.206. Après avoir été demandées par les notables et la population, les religieuses durent se retirer devant l'opposition acharnée du Chapitre de Sainte-Croix ( Arch. des Vosges, Epinal, liasse 40 H.) voir aussi le Journalier de Dom Antoine de Lescale, pour un fréquent échange de correspondance à ce sujet avec la mère Bernardine de la Conception et la mère prieure de Rambervillers.

A LA MÈRE DOROTHÉE I HEURELLE1

Religieuse bénédictine à Rambervillers

[Couvent] du Saint Sacrement 17ème octobre 1657

Qu'elle apparence, ma très chère Mère, de me priver de ce petit mot de satisfaction que je prends en vous écrivant, quoique je sois extrêmement pressée. Je vous suis tant obligée de la bonne réception que vous avez faite à la Mère Marie, que je ne vous en puis assez remercier ; je la reçois comme faite à moi-même, et je n'oublierai jamais votre bonté.

178 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 179

Il est vrai, ma très chère Mère, que nous avons fait consultation pour quitter cette maison, mais l'on ne nous a pas accordé notre demande. L'on me condamne d'y rester tant que les Supérieurs en disposeront ; vous êtes mes Supérieures, je suivrai toujours vos ordres le plus expressément que je pourrai ; je vous assure du moins que c'est ma volonté. Si vous saviez comme je deviens, vous auriez pitié de moi. Je n'entends quasi plus, et comme je suis sourde, je deviens aussi stupide ; vous diriez qu'on parle à une bête ; on voit cela et on ne me laisse pas quitter. Il faudra bien en venir là, si la Providence continue à me laisser devenir bête tout à fait, comme j'en prends le chemin. J'aspire à un petit trou, n'étant plus capable de rien, et ne crois pas pouvoir être totalement à Dieu que lorsqu'il me séparera de tout. Je suis trop faible pour être parmi les créatures, je m'y souille sans cesse etc... Je crois bien, parlant humainement, que l'on aura de la peine à me tirer ; mais si ma surdité augmente, malgré le monde il faudra me laisser aller. J'abandonne le tout à Notre Seigneur : il sait ce qu'il veut faire de nous ; il faut demeurer dans son bon plaisir et attendre ses ordres. Il me semble que par sa grâce je suis toujours prête. J'aspire sans volonté déterminée ; je désire et je meurs à tous désirs. Ma toute chère Mère, c'est une belle et bonne chose de n'avoir plus de choix.

Voici six points que je trouve excellents, voyez s'ils vous agréent : 10 ne tenir à rien ; 2° aimer l'abandon ; 3° souffrir en silence ; 4° vivre sans choix ; 5° épouser la croix ; 6° se conformer en tout au bon plaisir de Dieu. En voilà assez. A Dieu jusqu'à une autre fois. Ecrivez-nous de vos nouvelles et si vous mourez toujours. Priez Dieu que je meure incessamment, afin que lui seul soit notre unique vie. Je suis en lui toute à vous.

Vous avez acheté la grange et vous avez bien fait. Notre Seigneur y pourvoira. Il m'ouvre un moyen de vous aider encore de quelque peu de chose ; je suis ravie quand j'ai jour pour avoir de quoi vous envoyer. Votre Maison et toute la communauté est bien dans mon coeur, je vous l'assure et je ne néglige rien, ce me semble, de mon petit pouvoir.

Un million d'humbles saluts à toutes nos chères Mères et surtout la Mère Placide [Gérard] et la Mère Gertrude de Vomécourt ; je vous plains bien de la guerre (1) ; je vous prie qu'on la tienne renfermée crainte de plus grand mal.

no 2593

(I) Après le traité de Wesphalie, le duc de Lorraine, Charles IV, s'engage dans. les troubles de la Fronde, louvoyant entre les partis, par goût de l'intrigue et dans l'espoir de retrouver une plus grande indépendance pour ses Etats. Jusqu'à sa mort - 18 septembre 1675 - sa politique maladroite et souvent tortueuse engagera ses duchés dans une guerre désastreuse ; cf. Edouard Gérardin, Histoire de Lorraine, Berger-Levrault, Pari . 1925, p. 275 - 280. •

A LA MÊME

Paris, 5 ème février 1658

Ma très chère Mère,

ae petit mot n'est que pour vous assurer de mon souvenir et de mon affection, quoique votre bonté n'en demande point de témoignage par mes lettres, sachant bien le peu de loisir que j'ai et l'impuissance où je suis de posséder cette consolation aussi souvent que je la désirerais. Néanmoins, je prends cette heure après Matines aujourd'hui pour demander de vos nouvelles et si vous avez bien « sauté la souche » [expression locale]. Je. vous assure que partout il y a à sacrifier. Ah, que j'estime heureuse une âme qui n'en néglige aucune occasion ! Nous n'avons rien à faire en ce monde qu'à nous ruiner nous-mêmes. Il faut tout abattre : pour peu qu'il reste en nous de nous-même, il est capable de faire tout périr. Mourons donc incessamment, chacun dedans sa voie et selon la conduite de Dieu sur nous, qui ne tend qu'à nous anéantir. Plus nous tardons de mourir, plus nous retardons la vie, le règne et la consommation de Jésus Christ en nous. Priez-le, très chère Mère, qu'il me fasse la grâce de mourir, au moins un peu, avant que de mourir. La mort est horrible à une âme qui n'a point appris à mourir dans tous les moments de sa vie.

Je ne vous parle que de mort, je crois que c'est qu'on en parle céans. Notre bonne Mère Sous-Prieure étant en alarme à cause que mon cierge s'éteignit en le prenant, le jour de la Purification, elle dit qu'il en arriva autant à feu le R. Père Chrysostôme (1) et que je mourrai cette année. Elle en pleure tout de bon, mais je ne fais point cas de ce pronostic : nos jours sont dans la main du Seigneur. Quand il lui plaira, il faudra partir. Si c'est cette année, à la bonne heure, pourvu que Notre Seigneur nous trouve comme il veut que nous soyons. Je ne regrette point la vie, elle est pour moi trop misérable et trop remplie de péchés. Si la divine Providence voulait que j'allasse mourir avec vous, je crois que j'en aurais beaucoup de satisfaction. Néanmoins Notre Seigneur est le Maître, il fera tout ce qu'il lui plaira ; on peut parvenir au Ciel de tous les endroits de la terre. Mais si je ne meurs avant que de mourir, tout ira mal à ma mort.

Je continue dans le dessein de vous envoyer notre bonne Mère Sous-Prieure pour achever de la guérir à Plombières. Elle répugne à cela, mais il faut faire tout ce que l'on pourra pour la conserver.

Nous allons entrer dans les grands embarras des bâtiments. Nous

(1) Jean Chrysostôme de Saint-Lô, pénitent du Tiers Ordre de saint François, né à Saint-Frémont, diocèse de Bayeux. Durant son séjour au couvent de Saint-Lô, il connait sai d Jean Eudes, Jean de Bernières et leurs amis. Il meurt le 26 mars 1646 au couvent de Nazareth, à Paris, alors qu'il était provincial de la province de France. cf. C. de Bar, Documents, 1973 p.68.

180 CATHERINE 1)I BAR 1.I-TIRES INÉDITES 181

commencerons dans trois semaines ou un mois. Redouble/ pour nous VOS saintes prières : c'est la ruine ordinaire des âmes mal fondées en vertu. J'ai bien envie de ne m'y point trop fourrer, mais je crains de me trahir moi-même. La charge donne bien des occupations. J'ai écrit à notre Révérende Mère Prieure, je crois qu'elle vous en dira le sujet. Ne faites rien à ma considération, laissez crier mon âme, faites ce que Dieu veut. Je ne vous en dis point davantage.

Je suis très aise de la réception de notre chère Soeur de Saint-Prosper

d'Arconas], je vous en remercie. J'espère que cette bonne fille se perfectionnera. Je vous recommande la pauvre Soeur de Saint-Alexis ; je voudrais qu'elle fût professe avant que de mourir. Je ne crois pas qu'elle vive longtemps de la manière qu'elle est faite.

Je vous supplie de saluer pour moi toute la Communauté. Je voudrais bien pouvoir écrire à toutes mais le temps me manque, je tâcherai petit à petit. Je suis bien en peine de la chère Mère Placide (2) qui s'est blessée : mandez-nous, je vous prie, de sa santé.

Nous avons eu tant de malades depuis Noël que je me suis quasi vile seule à Matines. La bonne Mère Madeleine est toute indisposée et doute fort si elle ira loin sans tomber tout à fait. Je voudrais bien qu'elle fût à Rambervillers pour sa consolation. Nous aspirons toutes à retourner, du moins notre Mère Sous-Prieure, la Mère de Sainte Madeleine, ma Soeur de Jésus [Chopinel] et moi, nous sommes toujours prêtes à partir et l'on s'en étonne. Les Pères (3) qui nous gouvernent ne peuvent assez admirer notre dégagement et que nous ne nous appropriions point cette maison. Cela les surprend, et ils disent que nous ne sommes pas comme les autres. Certainement il me semble que je n'y tiens à rien et que je n'ai plus rien à espérer en ce monde. Je suis vieille, je commence à regarder la terre comme pour le partage de mon corps. Je voudrais bien rendre mon âme à Jésus Christ ; priez-le qu'il la possède sans réserve.

Je suis en lui toute à vous très cordialement, ma très chère Mère, votre pauvre Soeur et servante

Sr Mectilde du St St.

J'oubliais de vous dire que nous faisons vendredi prochain, 8e de février, la fête du très saint Coeur de la Mère de Dieu (4). Nous avons grande joie de solenniser cette fête ; j'en espère, quoiqu'indigne, quelque bénédiction. Samedi, ma Soeur Marthe (5) fera profession avec ma Soeur de l'Enfant Jésus.

no 156

(2) Mère Placide Gérard. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 51.

(3) de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés dont dépendait notre monastère de la rue Cassette.

(4) Fête instituée par saint Jean Eudes. Notre Institut fut parmi les premières maisons religieuses a inscrire cet office dans son ordo. cf. R.P. Emile Georges, Saint Jean Eudes,Lethielleux, Paris, 1936, p. 252 - 259.

(5) Marguerite Foin dont il est parlé au Journal de Toul note 7.

Soeur de l'Enfant-Jésus (Marie Zocoly) reçut l'habit en janvier 1657, lors d'une cérémonie présidée par son oncle le P. Zocoly. Elle fit profession le 9 février 1658 et, en 1684, elle est sous-prieure. Elle fait encore partie des listes de moniales en 1705, mais y figure en tête comme la plus ancienne. Ses parents généreux bienfaiteurs du monastère, ont été inhumés dans l'église. Sa dot a servi à payer une part importante des travaux de l'architecte Jittard pour la construction du monastère de la rue Cassette.

A UNE NOVICE

du monastère de Rambervillers

Sème février 1658

Ma très chère Soeur (1),

U'e prie Notre Seigneur Jésus Christ vous cacher toute en lui dans son divin Sacrement. 11 n'y a pas d'apparence de vous savoir si étroitement liée à la Croix de Notre Seigneur sans vous témoigner la part que j'y veux prendre avec vous, puisqu'il a voulu se servir de nous pour vous donner quelques moyens extérieurs d'être immolée à sa grandeur dans la sainte Religion. J'ai intérêt que Notre Seigneur soit satisfait de l'hostie que je lui ai présentée. Donc, ma très chère Soeur, j'ai quelque droit de vous prier de lui être fidèle, en l'état où son amoureuse Providence vous tient, vous assurant qu'il n'y a rien de meilleur en ce monde que les souffrances, et qu'une âme qui marche par cette voie fait plus de chemin dans un jour, étant fidèle, que l'on ne ferait en plusieurs années dans une autre conduite.

Dieu, qui est notre diN;in Père, ne nous donne que ce qui nous est non seulement utile mais absolument nécessaire. Par la croix, notre amour-propre et les inclinations naturelles sont crucifiées. L'infirmité nous rend abjecte et petite aux yeux du monde. Nous devenons souvent des néants et des objets de rebuts, et c'est ce que nous devons aimer pour nous vider des créatures, nous retirer d'elles, se retirant elles-,mêmes de nous. Nécessairement il faut souffrir, soit au dedans, soit au dehors, et pour moi je tremble quand je vois une âme qui ne souffre point Il me semble qu'elle est ensevelie dans la nature et l'amour-propre, et qu'elle est bien loin de la pure mortification, qui nous sépare jusqu'au plus petit point de ce qui déplaît à Dieu, dans l'intime de notre âme.

Ma chère Soeur, aimez votre croix, baisez-la avec amour et respect. Unissez-vous à votre adorable Seigneur que vous trouvez attaché en icelle. Jamais Jésus Christ n'a été sans sa croix. Il l'a toujours contemplée, il l'a toujours aimée, et dès le moment de son adorable incarnation, il a été crucifié. Ne serez-vous pas bien heureuse si vous...

...pouvez, avant que de mourir, avoir un peu de rapport avec lui. Vous

n'avez que lui seul à complaire ; le monde et les créatures ne vous doivent plus rien être. Jésus tout seul vous doit suffire. Je le prie de vous' animer de sa force divine pour souffrir saintement. Qu'il soit triomphant de tout vous-même et que son amour fasse votre consommation ! Je suis en lui, ma très chère Soeur, votre très affectionnée.

n° 1319 L14 et B505. L14 s'arrête à : heureuse si vous ... La suite est copiée sur le B505.

(1) La date et le texte de cette lettre font penser que la novice est soeur Benoite de Saint-Prosper d'Arconas dont il est parlé à la lettre du 18 août 1657.

182 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 183

DE MÈRE BENOITE DE LA PASSION IDE BRÊME]

Toussaint 1658

J'ai une ,joie particulière d'apprendre la charité que vous exercez envers les âmes du Purgatoire. Et je ne puis m'empêcher de vous dire que, quelques jours avant la Toussaint, je fis un songe qui me toucha beaucoup à mon réveil. Je vis donc un grand nombre d'âmes de nia connaissance qui étaient dans les flamines purifiantes depuis longtemps, qui étaient douloureusement affligées et pleuraient amèrement. Comme je les compatissais, elles me témoignèrent avoir reçu bien du soulagement de votre maison de Paris, et qu'elles y allaient en diligence pour vous rendre un service considérable, parce que votre nouveau bâtiment menaçait une ruine prochaine, et qu'elles y interviendraient avec bien de l'ardeur ; en vérité, ces âmes sont remplies de charité ! Elles me firent aussi connaître qu'elles avaient une obligation particulière à la Mère Bernardine de la Conception, votre sous-prieure : mais cependant qu'elles étaient dans une pauvreté très grande, etc...

extraits du Ms P101 cf. Catherine de Bar », Documents, 1973, p. 171 qui rapporte exactement les faits.

dit l'Ecriture : Beati mortui qui in Domino moriuntur (2). 0 ma très chère Mère, en puissions-nous dire autant les unes des autres ! Mourons incessamment, mourons toujours, car, dès que nous cessons de mourir, nous cessons de vivre. Je voudrais vous dire en secret qu'on me veut persuader que je n'ai que cette année à vivre. Gardez-vous de dire ceci à notre Révérende Mère Prieure. La très sainte volonté de mon Dieu soit faite ! Je ne tiens plus à rien qu'à la corruption de moi-même qui est effroyable. Priez Dieu qu'il la consomme et que je meure avant que de mourir, c'est mon désir plus que jamais. Je suis fort excitée à cela et, à tout perdre, il me semble que tout s'abîme à tout moment et que je ne dois plus rien avoir que la mort intérieure à laquelle je dois une grande fidélité.

no 146 B505

(2) Apoc. 14, 13.

A LA MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME]

Prieure de Rambervillers

A LA MÈRE DOROTHÉE [HEU RELLE]

de Rambervillers

Paris, mai 1659

Ma très chère Mère,

e petit mot est en hâte pour vous dire une nouvelle qui vous sur-

prendra sans doute, puisque c'est pour vous dire que Notre Seigneur a tiré M. de Bernières, notre cher frère, dans son sein divin, pour le faire jouir d'un repos éternel, samedi dernier, 3 mai. Après avoir soupé, sans être aucunement malade, il s'entretint à son accoutumée avec ces Messieurs, et après, s'étant retiré et fait ses prières pour aller coucher, il s'en est allé dormir au Seigneur (1), de sorte que sa maladie et sa mort n'ont pas duré le temps d'un demi quart d'heure. Voilà comme Notre Seigneur l'a anéanti. J'en suis touchée en joie et en douleur, mais la joie l'emporte de beaucoup, d'autant que je le vois réabîmé dans son centre divin où il a tant respiré durant sa vie.

Que faisons-nous sur la terre, sinon de soupirer après Jésus Christ pour être réunies à lui ? Nous sommes sorties de Dieu et nous y devons retourner ; hors de là l'âme n'a point de repos et n'en pourra jamais trouver. Ce grand saint est mort avant que de mourir, par un anéantissement continuel en tout et par tout, et nous pouvons dire de lui ce que 31 août 1659

Ma très Révérende Mère,

1 me semble qu'il y a si longtemps que je ne vous ai écrit, que j'en

souffre un peu de peine, car mon plus grand bonheur en ce monde est de me trouver dans votre sainte union au Coeur de Jésus douloureux en croix, et anéanti dàns le Très Saint Sacrement. Monsieur [Bertot] (1) a dessein de vous aller voir l'année prochaine, il m'a promis que si Dieu lui donne la vie il ira. Il voudrait qu'en ce temps là, la divine Providence m'y fit faire un voyage afin d'y venir avec vous

Hélas, je ne serais assez heureuse ; ma croix n'est pas encore finie; il faut que je l'embrasse, et peut être faudra-t-il que j'y meure. Je dois être hostie de Jésus Christ, qu'il me consomme selon la complaisance de son amour. Ce me serait trop de grâces de posséder la solitude, que je désire et que j'ai toujours fort à coeur, ne voyant point de véritable moyen de posséder plus intimement Dieu que dans cette retraite, mais mes péchés s'y opposent et Notre Seigneur fait justice de me la dénier. Néanmoins ma fin approche, et je meurs de n'être pas à lui comme je dois. C'est un enfer au dire du bon Monsieur de Bernières, d'être un moment privée de la vie de Jésus Christ : je veux dire, qu'il

(1) lire : il s'est endormi dans le Seigneur.

(1) Monsieur Bertot, ainsi que le dit la lettre de mère Benoite de la Passion, du 22 janvier 1660. Né à Caen, le 29 juillet 1622. il mourut à Paris (abbaye de Montmartre) le 28 avril 1681. (Renseignement fourni par le Rd P. Charles Berthelot du Chesnay).

184 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 185

soit privé de sa vie en nous ; c'est ce que je fais tous les jours, en mille

manières. J'en suis en une profonde douleur et c'est pour cela que je gémis, et que je vous prie et conjure de redoubler vos saintes prières. Au nom de Jésus en croix et sacrifié sur l'autel, faites pour moi quelques prières extraordinaires, par des communions et applications à bieu dans votre intérieur. J'en ai un besoin si grand que je me sens périr, ma très chère Mère; soutenez-moi, me voici dans une extrémité si grande que, si Dieu ne me regarde en miséricorde, il faut mourir. Monsieur Bertot sait mon mal, il m'a dit de vous presser de prier Dieu pour moi ardemment et s'il vous donne quelques pensées, écrivez-le moi con-

fidemment. Voici un coup important pour moi, et qui fait dire à ce

bon Monsieur que je suis dans mon dernier temps. Donnez-moi votre secours, par la charité que vous avez puisée dans le Coeur de Jésus Christ, comme à une âme qui a perdu la vie et qui ne peut ressusciter que par Jésus Christ. Oh ! que je vous dirais de choses si je pouvais ! Je prie Dieu qu'il vous les fasse connaître...

...Je vous avoue que j'admire quelquefois comment je le puis soutenir, mais je vois que c'est la force divine de Jésus Christ qui fait et souffre

tout. 11 faut une patience étrange dans ces conduites. Je vous conjure de brûler la présente après que vous l'aurez lue ; vous en savez l'importance. Quand il plaît à Notre Seigneur me laisser seulement approcher de l'ombre de la croix, hélas ! je suis à demi-morte, mais il la suspend au-dessus de moi et la soutient par sa vertu divine. Cependant je ne me saurais plaindre ; aussi n'ai-je pas le mot à dire. Je demeure comme abîmée aux pieds de Notre Seigneur, le laissant faire ma ruine, ma destruction et ma consommation comme il lui plaît. Quelques servantes

de Dieu ont eu des pensées de l'état où Dieu me tient, entre autres la bonne Mère Marguerite du Saint Sacrement (2), qui me manda, lorsque j'étais fort malade, que je n'en mourrais point et que celui qui faisait le mal ferait lui-même la guérison. Cela arriva de la sorte, car ayant tous les jours la fièvre, avec des redoublements de frisson, un samedi, avant l'Immaculée Conception de Notre-Dame, l'on m'enleva mon mal tout d'un coup et je ne sais où on l'a mis ; il est à quartier [en rémission] pour revenir quand il plaira au Souverain Maître lui commander de revenir. Nous demeurons ainsi mourante sans mourir souffrante sans souffrir, car en vérité je ne puis dire que je souffre. • Tout ce qui était plus fort à soutenir, c'est une effroyable destruction qui se fait au fond de l'âme ; tout y meurt et tout y est perdu ; je ne

(2) Fille de Mademoiselle Acarie, née à Paris le 6 mars 1590. Elle est reçue au Carmel en 1605 et fait profession entre les mains de la Vénérable Anne de Saint-Barthélemy le 18 mars 1607. Sous-prieure à Tours en 1615, puis prieure. On l'envoie à Bordeaux en 1620, à Saintes en 1622. Elle est élue prieure du couvent de la rue Chapon à Paris en juillet 1624, en 1628, de nouveau en 1650 et en 1654. Elle est déchargée de toutes charges le 15 avril 1657 et meurt le 24 mai 1660, ayant fait l'édification de ses soeurs et d'un nombre considérable de personnes. (Archives de nos monastères. Le manuscrit P. 108 rapporte une partie de la lettre écrite par la mère Marguerite du Saint-Sacrement à l'occasion de cette maladie).

sais où je suis, ce que je suis, ce que je veux, ce que je ne veux pas, si je suis morte ou vivante, cela ne se peut dire . Priez Dieu qu'il me fasse sortir du péché ; je suis horrible devant ses yeux divins.

A Dieu, ma bonne et toute chère Mère, en voilà bien plus que je n'espérais pouvoir vous dire, car je suis si fermée et si obscure et ense-

velie que je n'ai pas le mot à dire. Priez bien Dieu pour cette Maison ;

demandez bien à Notre Seigneur qu'il y règne lui seul et que tout y soit anéanti. Si vous jugez à propos de dire quelque petite chose à la bonne Mère Dorothée, de ce que je vous mande qui me regarde, pour sa satisfaction et lui témoigner toujours un peu de souvenir et de confiance, parce que je ne lui peux écrire comme je voudrais ; je n'ai quasi pas le temps de respirer ; je lui écrirai quand je .pourrai et à ma chère Soeur d'Arconas. Je suis ravie qu'elle soit bonne religieuse. Je me recommande à toute la Communauté. A Dieu, ma très chère Mère, je suis en Jésus votre pauvre et indigne fille.

ri. 570 et n° 1685. Le Ms L 14 rattache cette lettre à la précédente. D'autres manuscrits en font une autre lettre dont le début manque (brûlé peut-être) et qui est datée du 15 septembre 1659.

A LA MÈRE DOROTHÉE [IEURELLE] Sous Prieure de Rambervillers

Paris 3ème septembre 1659

Ma très chère Mère,

yous avez bien juste raison de ne m'écrire plus, étant si paresseuse à vous faire réponse, et Dieu fera justice quand il vous mettra dans l'impuissance de me pouvoir écrire. Je tâcherai de l'adorer toujours dans ses conduites, même les plus rigoureuses. Il est Dieu, c'est tout dire, et moi ie suis une ingrate et une infidèle à sa grâce. Priez-le qu'il me retire de cette vie, car je lui suis si contraire que, si je vis encore quelque temps, je crains bien de lui déplaire et l'offenser.

Il ne faut point vous étonner de votre silence ; je vois des âmes, au milieu des serviteurs de Dieu, sans qu'elles se puissent ouvrir ni prendre aucune consolation. Il faut quelquefois porter ces états de silence et même d'impuissance à parler. Cette vue de Dieu est un effet assuré de sa sainte présence. Vous n'avez qu'à remarquer quelle est votre fidélité, comme vous vous trouvez et quelle est votre mort au dedans et au dehors. Voilà la pierre de touche. Faites, si vous pouvez, cette petite remarque sans gêner votre esprit. Il ne faut que s'observer fort doucement et quasi sans y faire d'application. Voyez si la contradiction ne vous émeut point, si le calme demeure en vous au milieu des bourras-

186 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 187

ques. Cette présence de Dieu est ainsi que vous la dites, je la comprends fort bien. Ne vous étonnez pas qu'elle soit si peu sensible, mais soyez plus fidèle que vous pouvez à vous tourner vers lui. Je vous enverrai pour votre divertissement un petit brouillon de la messe mystique qui se célèbre dans l'intime de l'âme (1). Si Notre Seigneur me donnait'grâce et lumière je l'étendrais .un peu plus et la rendrais fort intelligible et très suave, car tous les jours et à tous moments nous la pouvons célébrer. Mais je voudrais dire quelque chose de plus, si Dieu le voulait, qui serait comme Jésus Christ est. immolé incessamment en nous, et comme il y continue son sacrifice et nous sacrifie avec lui, vous le savez mieux que moi. Mais il se faut un peu divertir quand Dieu en donne la liberté et ça a été mon divertissement de l'écrire. Mais je n'ai point de temps, et n'ai pas capacité de rien faire.

Il y a près de six mois qu'on me tient dans les remèdes pour cette grande toux qui m'est revenue avec la fièvre. Je suis bien mieux maintenant ; il y a trois jours que je ne l'ai point eue. Je suis au lait d'ânesse, j'ai pris les bains, j'ai bû les eaux, j'ai fait tout ce qu'on a voulu sans aucune résistance. Jamais je n'ai été si soumise que je suis, et c'est ce qui a mis l'alarme parmi nos Mères disant que c'était une marque de mort puisque j'étais si amortie dans mes sens et mon raisonnement. Je n'avais pas le mot à dire ; j'étais tuée de corps et d'esprit ; on ne m'entendait plus parler tant j'étais affaiblie (2). Enfin je suis dans l'incertain et plus encore pour l'année prochaine. Croyez, ma très chère Mère, que la mort ne m'est douloureuse qu'à cause que Jésus Christ n'a point vécu en moi, et que c'est une chose effroyable d'avoir empêché sa vie divine de s'établir en .moi. Oh ! quel enfer dans une âme quand Jésus Christ n'y vit point !

11 faut finir. Adieu, je vous conjure de saluer et embrasser pour moi toutes nos chères Mères et Soeurs, et leur faites mes excuses que je ne leur écris point. Notre Révérende Mère Prieure (3) vous dira comme il faut que je souffre encore un trienne (4) ici, croyez qu'il se faut bien sacrifier.

Ma Soeur de Jésus [Chopinel] est malade de son mal ordinaire, mais bien plus fort et plus fréquemment, n'ayant point de relâche. Elle me

(I) Allusion aux thèmes familiers de Mère Mectilde et qu'elle développera au cours de sa retraite de 1662. cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 128 - 154 et le Véritable Esprit des Filles du Saint Sacrement.

(2) Le 23 septembre suivant 'Mère Mectilde écrit à Mademoiselle Loyseau «Je ne puis douter que les saintes messes que vous m'avez fait la grâce de faire dire à Notre-Dame de Chartres ne m'aient entièrement guérie, car je puis vous assurer que tout d'un coup je me suis bien portée et que la fièvre n'est point revenue... ce n'est pas dès aujourd'hui que je vous suis obligée, tant pour mon particulier que pour toute la maison... Nous sommes dans un siècle où la sincère affection est très rare». (Lettre n' 1105).

(3) Mère Bernardine de la Conception Gromaire était sous-prieure du monastère de Paris, mais comme elle avait été prieure de Rambervillers, Mère Mectilde lui garde souvent ce titre par une amicale déférence, surtout avec ses correspondantes de Rambervillers.

(4) Mère Mectilde doit avoir été élue pour un second mandat de trois ans en juillet 1659. Elle espérait pouvoir retourner ensuite en son monastère de profession, comme simple religieuse.

fait si grande pitié que je .ne puis m'empêcher de fondre en larmes très souvent. II faut bénir Dieu de tout. Cette maison est une maison de croix, et je ne m'en étonne pas, étant dévouée, par hommage et réparation, au Très Saint Sacrement; il faut se résoudre d'y être foudroyée. Quelques serviteurs de Dieu nous prédisent de furieuses souffrances : il les faut adorer dans la volonté et complaisance de Jésus Christ. Je suis en lui toute à vous.

Sr du St Sacrement

Je vous prie de faire part de ma santé à la Mère de la Nativité, qui a la bonté d'en être en peine. Dites je vous prie à ma Sr d'Arconas que je ne l'oublie point. Je lui écrirai quand je pourrai et surtout recommandez-moi bien à nos chères Soeurs converses.

no 3007

A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME]

ce 15ème septembre 1659

Loué soit le Très Saint Sacrement de l'autel ! Ma Révérende et ma très chère Mère,

Pse devrais commencer ma lettre par vous faire des excuses de mon long silence et d'avoir tant différé à vous rendre ce que je vous dois. Mais vous ne voulez point que je consomme les moments que la Providence de Dieu me donne à vous dire ce que votre bonté sait déjà et à vous demander ce que votre charité me donne. Je vous écris, ma toute chère Mère, sans autre liberté intérieure que celle que le néant me donne, et je me sens si indigne de vous occuper un moment, nonobstant les besoins où je me trouve, que si je suivais mon sentiment, je serais dans un silence perpétuel, même avec les serviteurs de Dieu, ne trouvant rien à dire dans l'abîme où je suis descendue et dans lequel je trouve la paix, la tranquillité et la joie au-dessus de moi-même. Je suis devenue bien plus petite que je n'étais, mais pourtant encore très éloignée de ce que je dois être et que Notre Seigneur veut de moi. Je n'ai plus rien à désirer. Je n'ai, ce me semble, plus de capacité de parler et cependant je ne sais où je suis, mais DIEU EST, et Jésus Christ, [lui] qui est ma vie, ou qui la doit être en vérité, et hors duquel il n'y a point de vie, mais mort éternelle. Vous l'expérimentez mieux que moi qui suis toujours plongée dans les embarras des créatures, qui ne sont guère convenables à la disposition que je porte qui en demanderait l'éloignement entier. Je trouve néanmoins que Notre Seigneur me soutient dans ce tracas continuel ; mais ce n'est pas sans sacri-

188 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 189

fice et je vois tous les jours que la solitude est un moyen excellent pour jouir de Dieu et pour recevoir ses opérations miséricordieuses. Et cependant il en faut souffrir la privation et me tenir abandonnée jusqu'au moment qu'il lui plaira de me donner la liberté de me retirer.

Il faut un peu vous demander de vos chères nouvelles. Ma Soeur de Jésus [Chopinel] me fait la charité de m'en dire quelquefois ; elle sait que je n'ai point de plus grande consolation en ce monde. Je l'ai souvent priée de vous dire quelques petits mots pour moi, me confiant en la bonté de Notre Seigneur que ce qu'il vous a mis dans le coeur pour moi continue d'y être toujours, nonobstant mes indignités. Je vous supplie, ne m'abandonnez pas. Je vous demande par grâce une neuvaine à l'âme sainte de Jésus et à son très adorable Coeur, pour honorer toutes les douleurs intérieures et secrètes, et qui sont encore inconnues. dont il a été navré et cruellement blessé en sa douloureuse passion et qu'il continue d'être dans le Très Saint Sacrement de l'autel, quoiqu'il ne soit plus passible ni mortel. Je vous supplie de me faire cette aumône pour les adorer pour moi et y avoir la part que son amour et sa miséricorde m'y veut donner, quoiqu'infiniment indigne. Je ne vous mande point de nouvelles : notre chère Mère Sous-Prieure s'en acquitte pour moi. Priez Dieu qu'il nous la conserve, elle n'est point bien, et ne veut pas souffrir qu'on la soulage. Je ne crois pas qu'elle vive encore longtemps ; je ferais une perte irréparable, mais tout est à Dieu ; il faut être privée et séparée de tout. Trois choses font goûter Dieu divinement à l'âme, savoir : l'abjection, la mort des créatures et la croix cuisante, c'est-à-dire pénétrante ; avec ces trois choses on entre parfaitement et pleinement en Jésus Christ.

Je connais à fond Mr Desmarets ; nous le voyons souvent ; il est en croix de la bonne manière. Les intérêts de Dieu et de l'Eglise le touchent puissamment ; il vous écrivit il y a quelques jours, et comme je prétendais vous écrire aussi, je retins sa lettre potir la joindre à celle-ci.

Je ne sais si vous savez que, la bonne Soeur Anne Marie est à Paris depuis plus d'un mois. Notre bonne Mère Sous-Prieure n'en sait encore rien. Cette pauvre fille fera des discours qui nous causeront un peu de peine, mais il faut tout recevoir dans l'ordre de Dieu ; s'il l'a choisie pour cela, il le faut souffrir comme il veut. Priez pour elle, je vous en suppl ie, et me recommandez aux saintes prières de toute la Communauté, vous suppliant me permettre de la saluer et d'embrasser toutes nos chères Mères et Soeurs en esprit. Je voudrais bien leur pouvoir rendre mes devoirs à chacune en particulier, mais...

ni' 969

DE LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME]

Rambervillers, 22 janvier 1660

Ma Révérende et très chère Mère,

Ces mots sont pour vous congratuler de la joie que vous aurez de voir bientôt notre chère Mère Bernardine de la Conception [Gromaire] laquelle nous avons quittée avec une extrême douleur. S'il me restait encore des désirs en ce monde, j'aurais bien souhaité qu'elle demeurât en notre pauvre maison ; il faut soumettre nos volontés à celle de notre Bon Dieu, qui, vous a donné cette bonne Mère pour vous aider à soutenir le fardeau dont la divine Providence vous a chargée. Lorsqu'elle était ici, sa présence me consolait beaucoup et il me semblait que j'étais déchargée de mon fardeau. L'amour et le respect que Dieu m'a donnés pour elle, dès mon entrée en religion s'augmentant toujours, et nonobstant que je sois séparée de sa chère personne, si est ce qu'il me semble que je suis toujours avec elle en Notre Seigneur. Je n'ai que faire de vous raconter la cordiale amitié que cette chère Mère a pour votre personne, vous le savez mieux que moi : je fais d'autant plus d'estime de l'amitié qu'elle a pour vous que je sais qu'elle vient de Dieu. Je trouve une grâce en elle qui est excellente pour son salut, qui est qu'elle est honorée et chérie de tout le monde ; si est qu'elle n'y fait point de fonds. Je prie Notre Seigneur qu'il lui augmente ses grâces et qu'il nous la conserve.

Enfin, ma très chère Mère, ma Soeur de Jésus [Chopinel] s'en retourne avec notre chère Mère. Après que nous avons bien sérieusement considéré toutes choses, nous avons conclu de suivre les sentiments de Mère de Sainte-Marie. Je l'abandonne de nouveau sous la protection de la très Sainte Mère de Dieu comme l'objet de ses miséricordes. Elle ne m'a su exprimer les bontés très grandes que vous avez pour elle ; les sentiments de l'intime reconnaissance que j'en ai me causent plutôt le silence que de pouvoir vous en remercier, d'autant que tous les remerciements ne sont rien. C'est pourquoi je suis infiniment obligée de prier Notre Seigneur et sa très pure Mère qu'ils soient votre éternelle récompense ! Il faut que je vous dise, ma très chère Mère, que la liaison que mon âine a avec la vôtre va toujours croissant devant Dieu d'une manière que je ne peux vous dire et que Dieu seul connaît. Dimanche dernier après [a sainte Communion, une personne a eu connaissance, ou plutôt impression, de ce qui s'est passé en vous pendant votre incommodité dernière, avec plusieurs circonstances ; et comme cette personne était obligée d'anéantir toutes les connaissances pour écouter son âme en Dieu, nonobstant, elle eut impression que tout ce qui s'était passé en vous était une singulière grâce de notre Bon Dieu, et que vous en ressentiriez les effets partkuliers en votre âme. Le jour de Saint Antoine, après la sainte Communion, recommandant une personne à la divine Majesté, je vis, par impression dans un moment que cette personne était écrite dans le livre de vie, qui n'est autre que le cœur de Marie, et que le doigt délicat de Dieu l'y avait écrit tout au long, en feu et en sang : le feu signifie le pur amour dont il a touché le fond de cette âme, lequel lui est imperceptible ; le sang est son état crucifiant ; je laisse à part une multitude de secrets qui sont en ce. mystère, que j'ai voulu anéantir à mon propre esprit, abîmant toutes ces impressions et connaissances en Jésus Christ, source de toutes lumières. Je ne croyais pas vous en tant dire.

190 CATHERINE DE BAR

LETTRES INÉDITES 191

Je suis en peine d'une lettre que j'ai donnée à notre chère Mère, lorsqu'elle était ici, pour vous envoyer ; c'était pour Monsieur Bertot. Je la lui donnai ouverte, ce me serait une satisfaction de savoir si vous l'avez reçue. Notre chère Mère nous a dit que ledit Monsieur voulait avoir la bonté de nous venir voir a Pâques. Vous feriez une singulière charité à mon âme de m'obtenir ce bien là, car il me semble que j'ai grande nécessité de personnes pour mon âMe. Je voudrais bien que Dieu vous donnât la pensée d'en avoir soin en sa présence, soyez assurée, ma très chère Mère, que je chéris infiniment la vôtre, en Jésus Christ et sa très pure Mère. Je vous suis sans réserve très humble, très obéissante et très obligée servante.

Toutes nos religieuses vous présentent leurs très humbles saluts, particulièrement nia Soeur Marie ; j'en aurai tout le soin qu'il me sera possible. Je salue très humblement .votre sainte communauté, particulièrement la Mère Made-laine : j'avais grande envie de lui écrire, mais je n'ai pas eu le temps. Ce sera pour une autre fois.

Ms : T9

DE LA MÊME

qui se font en la terre. Pour conclusion, cette âme devait être encore quelque temps dans cet état béatifique, adorant le Très Saint Sacrement avant que de voir Dieu, et Dieu prend ses complaisances dans les regards des adoratrices qui se sont rendues à sa Majesté divine au Très Saint Sacrement dans ce monastère.

• Je vis ensuite cette âme montant les degrés pour aller voir son Dieu dans sa béatitude. Elle fut arrêtée dans le degré que je viens de dire pour quelque temps, qui était un lieu de splendeur et de beauté béatifique, lequel peut être hors de la vision immédiate de Dieu. Sur le sujet de cette chère Soeur dry Saint Sacrement, deux autres personnes rapportantes à celle-ci, et un autre serviteur de Dieu (2), considérable et bien connu pour véritable, m'assura de sa propre bouche qu'il avait vu cette chère Sœur dans l'état de repos et de contentement susdits, et ensuite qu'il lui avait été montré la complaisance que Dieu prenait aux hommages què l'on rendait à sa divine Majesté dans le Très Saint Sacrement en cette maison. Il me dit plus, mais je ne sais si je les dois .dire, qu'il avait des assurances du bonheur éternel pour toutes les religieuses qui y étaient présentement, et ensuite me dit avec admiration :

«Oh ! que c'est grâce d'être victime en ce lieu du Très Saint Sac'r'ement !» et il suffit, le reste se doit garder en silence. Notre joie unique est d'être membres de Jésus, il faut laisser le reste dans ses jugements divins.

juin 1660

Pour satisfaire à votre désir, je vous dirai simplement mes pensées touchant ma Soeur du Saint Sacrement (1), dans l'assurance que votre bonté me tiendra le secret.

Je vous dirai donc, ma chère Mère, que, après la dernière messe de Requiem que l'on a chantée pour le repos de son âme, pendant l'action de grâce de la sainte Communion, je nie trouvai tout d'un coup pénétrée d'une douce et cordiale affection vers cette âme, et cette pénétration fut accompagnée de douces et violentes larmes. Je sentais dans mon âme une admirable liquéfaction, comme si elle eût été présentée à mon intérieur, ce qui me causa' une joie et liesse très grandes vers elle. Je fus si bien pénétrée des paroles suivantes dans mon intérieur que je les prononçai de bouche :

«Je suis au milieu du repos, des plaisirs et des contentements, je suis heureuse sans être bienheureuse, je suis l'une des plus heureuses de celles qui ne sont pas heureuses».

Je compris que cette âme était dans un état autant heureux qu'elle pouvait être, à la réserve de la vision de Dieu. Elle disait qu'elle n'était pas parfaitement heureuse à raison de cette privation. Mon entendement entra dans une grande occul ation, comme dans une nuit obscure qui occupa toutes mes puissances, et je fus certifiée que cette âme avait été privilégiée et avait reçu des miséricordes ineffables de la divine Majesté, tant à cause du nom qu'elle portait «du Saint Sacrement», que du très grand bonheur qu'elle avait d'être la première professe de l'établissement des adoratrices et des victimes consacrées à la gloire du Très Saint Sacrement ; et comme elle en avait été une adoratrice en terre, elle serait pour un temps dans cet état béatifique avant que de voir Dieu, pour rendre durant ce temps ses adorations au Très Saint Sacrement de l'autel, mais bien d'une autre manière que vous ne faites en terre. Je vis qu'un seul moment de ces adorations, en l'état où elle est, surpassait toutes celles

n. 2503 a) Ms : N267

(1) Louise Guisselain première professe du monastère de la rue Cassette, décédée le ler juin 1660, âgée de 40 ans.

(2) Il est peut être question ici de Henri-Marie Boudon (1624 - 1702) archidiacre d'Evreux que Louise Guisselain connaissait depuis de longues années. Cf. lettre du 31 mars 1655, note 1. Pour M. Boudon cf. H. Bremond op. cit. t VI p. 240 et suivis.

DE LA MÊME

A Rambervillers, ce 8 août 1660

Loué soit le Très Saint Sacrement de l'autel à jamais ! Nos Révérendes et très Chères Mères,

Vous ne nous pouviez pas faire une proposition qui nous touche plus sensiblement que celle que vous faites par la requête que vous avez pris la peine de nous présenter : à raison que c'est nous toucher à la prunelle de l'oeil que de nous demander tout ce que nôus avons de plus cher et de plus considérable en ce inonde. Mais comme nous ne condamnons pas vos désirs ni vos sentiments, nous croyons que vous n'improuverez pas les nôtres, et que, même si vous possédiez du corps de votre communauté nos Révérendes Mères - dont d'est question vous n'auriez très assurément pas moins de peine à les en séparer que nous, que si vous souhaitiez de nous tout autre service,. la résolution en serait bientôt arrêtée et l'exécution accomplie, car nous aurions grande joie de vous pouvoir témoigner la véritable affection de nos coeurs ; mais de désunir de notre Communauté la principale partie d'icelle, la chose est trop de conséquence pour la

192 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 193

conclure si promptement. Elle mérite bien que nous prenions un peu de temps pour la présenter à Dieu et nous dégager en sa Présence de tous nos intérêts, (d'in d'être plus capables de sa lumière et des impressions de son divin Esprit pour entrer dans le zèle de sa gloire. C'est pourquoi nous supplions très humblement vos Révérences d'agréer un peu de retardement, et de nous obtenir la grâce de connaître la volonté de Notre Seigneur et de la suivre avec fidélité, qui est tout ce que nous souhaitons de tous nos cœurs, et afin de ne nous pas tromper dans nos propres lumières, nous suivrons celles de notre Révérend Père Visiteur (1) que nous attendons tous les jours, qui est une personne d'une vertu éminente et d'une rare expérience, qui très assurément ne nous conseillera rien que la gloire de Dieu ; et comme vous ne demandez que cela, vous avez sujet. de bien espérer, et nous d'abandonner tous nos intérêts aux ordres de la divine Providence, dans laquelle nous les abîmons pour ne jamais les regarder. C'est une miséricorde que nous attendons de vos saintes prières et de vos bontés, la faveur de la continuation de votre sainte amitié, et l'honneur d'être à jamais en Notre Seigneur.

Nos Révérendes et très chères Mères.

Vos très humbles, très obéissantes et très affectionnées servantes.

Soeur B. de la Passion [de Brême] prieure

Soeur C. de Ste Dorothée [Heurelle]

Soeur P. dè St Benoit [Gérard]

Sœur G. de Ste Anne [de Vomécourt]

Soeur M. de St Joseph [Sommier]

Soeur A. de la Nativité

Sœur A. de St Paul [Pierre]

Sœur.M. de la Conception [de Lescale]

Sœur J. de la Croix [Parmontel]

Sœur M. de St Joseph [Maire

Soeur Catherine de Ste Térèse [Bagnerelle]

Soeur M.M. de St Michel [Bellet

Sœur B. de St Prospère [d'Arconasi

Sœur A. Marie de Jésus [Lambert]

no 3122a Al no9

(1) Nous savons par le Journalier de Dom Antoine de Lescale que Dom Arnould devait se rendre à Rambervillers pour la vêture de Mademoiselle Noirel, le 15 août suivant. Il est fait mention, plusieurs fois de ce bénédictin dans la correspondance de Mère Mectilde. On peut penser que c'était lui le «Visiteur».

A LA MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME

octobre 1660

Louré soit le Très Saint Sacrement de l'autel !

oute autre que votre bonté, ma très Révérende et plus chère Mère, ,

s offenserait de mon silence et croirait que ce serait une marque

de mon ingratitude ; mais je puis vous assurer, ma très chère Mère, qu'il ne part point de ce mauvais principe, mais de l'occupation si continuelle où la divine Providence me tient et que je souffre comme un châtiment que mes infidélités méritent ; il faut que je tâche d'avoir patience et de me perdre dans le bon plaisir de Dieu.

Il faut encore que je confesse qu'il me fait trop de miséricorde. Je suis au dernier jour d'une petite retraite que j'ai faite pour reprendre un peu de respir pour continuer ma course et me rendre aux desseins- de Notre Seigneur qui veut que je marche dans la mort continuelle, que je demeure en lui et que j'attende tout de lui ; et cela me paraît si vrai qu'il me semble que je n'ai pas un bon mouvement que je ne le voie sortir de son Coeur divin. Je vois sa force et sa patience qui m'environnent et je suis toute surprise que, dans les occasions assez fâcheuses à l'esprit humain, il retient tous les sens et fait un si grand calme dans le fond que l'âme en demeure toute étonnée ; elle voit bien que ce n'est point son ouvrage ; enfin c'est son plaisir d'agir ainsi à l'endroit de la plus infidèle de ses créatures. Je vous dirais encore bien des choses si j'en pouvais prendre le temps. Mais j'espère que Notre Seigneur vous donnera quelques pressentiments de ce que je suis ; je n'en sais rien moi-meme, j'aime mieux me perdre et m'abandonner que de le connaître.

Au reste, ma très chère Mère, ce que vous m'avez fait la grâce de me mander touchant ma Soeur du Saint Sacrement [G uisselain] est conforme en substance à ce que deux autres personnes en ont connu, dès le jour meme de son décès et la nuit suivante. Je vous suis infiniment obligée de m'avoir confirmée. Une de ces deux personnes est un grand serviteur de Dieu auquel elle s'apparut dans ce grand repos et contentement et *le remercia d'avoir prié Dieu pour elle. Elle lui fit connaître son état et il eut aussi une vue sur l'agrément que Notre Seigneur prenàit aux hommaues qu'on rend à son divin Sacrement dans cette pauvre petite maison, que les démons tâchent de troubler et renverser tant qu'ils peuvent ; et quand il semble que tout va périr, c'est pour lors qu'on voit que Dieu soutient tout. Mais croyez qu'il faut être bien abandonnée et ne tenir à rien du tout. Il faut toujours être prête de voir tout perdu sans se troubler. Votre . .

n " 2814

194 CATHERINE DE BAR 9 novembre 1660 LETTRES INÉDITES 195

DE LA COMMUNAUTÉ DE RAMBERVILLERS rations. Après la gloire (le Dieu, le zèle que vous avez pour votre perfection est très louable, mais il fiait qu'il soit accompagné de justice et de charité pour celle de votre prochain. Et comme nous faisons le plus, il faut que pour Dieu vous souffriez le moins ; cela est très raisonnable pour maintenir la parfaite union des deux Communautés ; nous espérons que vous y contribuerez, et qu'étant assurées de nos prières, vous nous continuerez le secours des vôtres, et la qualité,

Nos Révérendes Mères,

Après avoir beaucoup prié Notre Seigneur, et nous être dégagées en sa divine 1- résence de tous nos intérêts pour être plus capables et susceptibles de sa lumière - sur l'affaire dont il est question au sujet de nos Révérendes et chères Mères -, et en avoir exposé les impressions que nous en avons reçues à notre très Révérend Père Visiteur pour nous en soumettre à son jugement, lequel ayant mûrement examiné le tout devant Dieu, et animé du zèle de sa gloire, a résolu et arrêté que nous céderions nos susdites Révérendes Mères pour autant de temps qu'elles-mêmes se trouveront être nécessaires dans votre maison pour son parfait établissement (1) ; mais que nous nous conserverons le droit de les rappeler après qu'elles y auront fait ce que Notre Seigneur y demande d'elles.

Vous ne trouverez donc pas mauvais, s'il vous plaît, nos Révérendes Mères, que nous en demeurions arrêtées au sentiment d'une personne si sainte que notre susdit Révérend Père, qui n'ayant autre vue que Dieu et la justice pour les deux communautés, il donne à la vôtre tout ce qu'elle peut - légitimement prétendre, en lui laissant les personnes qu'elle souhaite pour son soutien et perfection, autant de temps que dessus, et à la nôtre, il la partage de l'espérance de posséder à notre tour ce que nous estimons et avons de plus cher en ce inonde ; vous avez grand sujet, nos très Révérendes Mères, d'être satisfaites de votre heureux sort, car il est bien avantageux par dessus le nôtre. Vous êtes dans la possession d'un bonheur dont nous n'avons qu'une attente bien incertaine, l'effet de laquelle n'arrivera peut-être jamais, la mort nous en pouvant ravir l'espoir dans la longueur du temps qui vous est nécessaire. C'est pourquoi nous faisons, en vous le cédant pour un temps, le plus grand sacrifice à Dieu qu'il est à notre pouvoir, et ne pouvons pas vous donner une plus signalée marque de notre très sincère affection. Nous vous supplions d'en bien considérer toutes les circonstances, et très assurément vous connaîtrez que notre dépouillement est grand et pénible ; jugez-en, s'il vous plaît, par vous-mêmes, et voyez devant Dieu si vous feriez le surplus que vous exigez de nous, et que nous ne ferons jamais ; ce serait une injustice que .nous nous ferions à nous-mêmes que de consentir à la désunion de nos Révérendes et chères Mères de notre maison pour les stabilier à une autre ; c'est ce qu'il ne faut jamais espérer de nous par quelque voie que ce puisse être, et quand toute la terre nous serait opposée. Voilà nos dernières invariables résolutions.

Nous croyons, nos Révérendes Mères, que vous êtes trop judicieuses pour ne le pas apprOuver et pour n'être satisfaites de ce que nous faisons à vos considé-

(1) Dans une lettre au Frère Luc de Bray du 27 juin 1659, Mère Mectilde écrit déjà : «On me presse étrangement de renoncer à notre maison de Rambervillers et de ma stabilier dans ce monastère [à Paris] pour jamais. Je n'y sens point de pente, ni de rebus formel, mais j'ai promis fidélité à mes Mères et que je ne les quitterais qu'à la mort». Au cours de ces deux années 1659 - 60, le Journalier de Dom de Lescale, fait état d'un échange de correspondance sur ce sujet. Il semble que les Bénédictins de Saint-Germain-des-Prés, supérieurs du monastère de Paris, tenaient à obtenir la stabiliation de Mère Mectilde, de mère Bernardine et d'au moins deux autres religieuses de Rambervillers pour assurer l'avenir de l'oeuvre. La décision finale a été prise en ce sens par le Chapitre de Rambervillers par un acte du 9 août 1661 ; cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 304.

Nos Révérendes Mères,

De vos très humbles, très affectionnées et très obligées servantes.

Sr Benoiie de la Passion [de Brême Prieure ;

Sr Catherine Dorothée [Heurelle] Sous-Prieure ;

Sr Placide de St Benoist [Gérard] ;

Sr Gertrude de Ste Anne [de VomécourtI ;

Sr Marie Joseph [Sommier] ;

Sr Angélique de la Nativité ;

Sr Anne de St Paul [Pierre] ;

Sr Marguerite de la ConceptionIde Lescale] ;

Sr Jeanne de la Croix [Pannonie! ;

Sr Magdelaine de St Joseph [Maire ;

Sr Catherine Térèse [Bagnerelle] ;

Sr Marie Magdelaine de St Miche! [Bellet1 ;

Sr Benoiste de St Prospère [d'Arconas ;

Sr A .Marie de l'Enfant Jésus[Lambert].

AUX RÉVÉRENDES MÈRES

les Révérendes Mères Révérendes professes

du monastère des Bénédictines

du Très Saint Sacrement

au fauxbourg de

Saint-Germain A PARIS

no 29 a) AI no 10

A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME Prieure au monastère de Rambe rvillers

18 février 1661

(a st-il possible, ma très chère et plus intime Mère, que je vous sache dans une maladie extrême, et que je sois privée de la chère et douce consolation de vous écrire un pauvre petit mot ? Si je réfléchissais sur la conduite de l'adorable Providence, sans doute je la trouverais un peu sévère de me tenir dans la privation de ce qui me pourrait donner de la satisfaction. Mais il faut tout recevoir et tout adorer de cette part c'est un Dieu qui le veut et qui l'ordonne, c'est tout dire. Après cela l'âme ne peut plus rien vouloir ni désirer.

L'union très sincère qu'il m'a fait la grâce d'avoir avec vous, ma

A Rambervillers

ce 9 novembre 1660

196 CATHERINE DE BAR

très chère Mère, quoique j'en sois infiniment indigne, m'a fait ressentir la perte que j'aurais faite en ce monde si Notre Seigneur vous en avait retirée. Je vous donnais à son plaisir et cependant je vous retenais encore. Je ne me trouvais pas à votre égard dans le total dégagement. Toute la communauté m'était présente et il me semblait qu'elle avait un extrême besoin de vous, quoique peut-être vous êtes dans un sentiment bien contraire. Mais Dieu connaît tout et j'espère de sa bonté que, toute languissante que vous êtes et toute anéantie, il vous fera encore vivre. Hélas, ma très chère Mère, je sais que ce souhait vous est à charge, et que la vie vous est une espèce de martyre, puisqu'elle vous retarde de votre totale consommation ; et c'est être cruelle que de vous retenir. Pardonnez-le, ma très chère Mère, à vos enfants. Et si je demande à Dieu votre vie, étant loin, que doivent faire celles qui—ont la grâce de vous posséder '!

Je voudrais bien, ma très chère Mère, vous écrire un peu amplement, tant pour ce qui me regarde que pour beaucoup d'autres choses, mais je n'ose rien avancer que je ne vous sache en état de pouvoir lire nies lettres. M. Bertot est ici, qui vous salue de grande affection. Voyez si vous avez quelque chose à lui faire dire. Pour moi, il faut qu'en passant je vous dise que, quoiqu'accablée dans de continuels tracas je ressens d'une singulière manière la présence efficace de Jésus Christ Notre Seigneur. Certainemeint, quand il lui plaît, tous temps et toutes occasions lui sont propres. Il opère ce qu'il veut et fait connaître à l'âme que son oeuvre est indépendante - même au-dedans et qu'il n'a besoin que de son amour et de sa toute puissance quand il veut opérer souverainement.

Avec tout cela je suis plus que jamais plongée dans l'abîme de mon abjection, car son ouvrage ne m'ôte pas cette connaissance et ce sentiment. N'en disons pas davantage ; mais pour l'amour de ce même pur et divin amour, priez-le qu'il fasse sa très sainte volonté en moi, et qu'il se contente lui seul en toutes les différentes dispositions que sa divine Providence me fait porter.

Je ne sais qu'un secret dans la vie intérieure : c'est le cher et précieux abandon de tout nous-même au plaisir de Dieu. Qu'il vive et règne lui seul, et il suffit, sans nous réfléchir, ni sur le progrès ni sur les dons de Dieu, ni même sur notre éternité. Que le pur et divin amour nous consomme comme il lui plaira, puisque nous ne sommes créés que pour lui seul.

Je vous supplie, ma très chère et plus chère Mère, de me faire donner de vos nouvelles lorsque vous serez en état. Et si Dieu veut disposer de vous, je vous somme de votre promesse faite et renouvelée devant le Très Saint Sacrement ; je vous conjure par le sacré Coeur de Jésus et celui de sa très sainte Mère de m'être fidèle, et si vous pouvez nous dire ce qu'il vous inspire pour nous, vous nous ferez une charité très grande. Si vous voyiez comme je 'suis dévorée, vous auriez pitié de

LETTRES INÉDITES 197

moi. Le corps même n'y peut quelquefois subvenir. Mon Dieu, ma très chère Mère, il me semble que Notre Seigneur veut que je me perde

entièrement ; mais je suis encore toute pleine de moi-même et des créatures.

Je ne vous dis rien des cérémonies que M. de Toul (1) a faites céans: notre bonne Mère Sous-Prieure vous aura tout écrit. Si vous aviez

quelque chose à lui faire demander, il est en très bonne disposition. il nous témoigne une affection merveilleuse.

Nous avons appris, ma très chère Mère, que vous avez reçu à profession ma Soeur Mectilde du Saint Sacrement [Philippe]; j'en remercie

Notre Seigneur et le prie qu'il lui donne la grâce de faire un saint usage d'une telle faveur. Je n'ay...

n " 412

(I) Monseigneur du Saussay. 11 y a trois examens de vêture en janvier 1661 : Marguerite Marie des Champs (soeur Marie de Sainte Madeleine). Marie de Brumen (soeur Marie-Thérèse de Jésus). Catherine du Vay (soeur Marie des Anues). qui fera partie des fondatrices de Toul. Peut être Monseigneur du Saussay est-il venu leur donner l'habit le 10 février. cf. fourna/ (le Toul note 2.

A LA MÊME

20 juillet 1661

ry roiriez-vous, ma plus que très chère Mère, que le silence que

j'observe à votre égard ne me soit pas crucifiant ? Oui, certainement, puisque vous êtes la seule au monde à qui je puis confier mes pauvres et chétives dispositions et tous les plis et replis de mon coeur. Il y a plusieurs mois que je suis tombée dans un état que je ne sais ce que ce pourra être, s'il sera bon ou méchant. Ce n'est pas toujours les occupations qui me privent de la chère consolation de vous écrire. Depuis le voyage de notre bonne Mère (1), j'ai pris plus de repos et de temps, remettant à son retour les affaires qui se pouvaient différer. Mais il m'est survenu une étrange suspension des organes et puissances de mon âme, en telle sorte que mon corps en restait affaibli, et me trouvais sans vigueur et quasi à la mort, me semblant qu'un souffle me pourrait ôter la vie. J'ai été fréquemment de cette sorte durant ces

temps.

Quoique l'interdiction soit grande et que je n'aie d'usage que pour

. le nécessaire de mes obligations qui survenaient dans ces rencontres, mon âme avait en fond une occupation profonde non distincte, mais qui semblait dévorer et consommer quelque chose, quelquefois dans une paix et cessation si profonde qu'il n'y paraissait pas seulement,

(I) Mère Bernardinè de la Conception Gromaire. Le 20 juin. elle écrit de Rambervillers à Dom de

[escale que : «les eaux de Plombières ne lui ont pas beaucoup servi». Journalier de Dom de Lescale.

198 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 199

même dans le fond, un petit respir de vie. Il y aurait encore d'autres petites circonstances à dire, mais je serais trop longue. C'est assez de vous pouvoir dire ce peu que j'écris, pour exciter votre très grande bonté à mon endroit de redoubler vos saintes prières et de vous appliquer à Notre Seigneur pour moi, autant qu'il vous en donnera la grâce et le mouvement, car il faut que je meure aux secours, aux lumières et à tout ce qui peut donner le moindre appui. Cependant vous voyez que j'en cherche auprès de vous, ma très chère Mère. Il est vrai, et tout en le cherchant et le demandant, je le remets dans le Coèur adorable de Jésus Christ, voulant me tenir dans l'abîme où je suis suspendue,

\ sans assurance de rien. Je puis dire dans l'apparence - selon le raisonne-

1 ment - de tout perdre et de faire naufrage.

Si vous pouvez, ma très chère et intime Mère, prier Dieu pour moi, ne m'en dites que ce qu'il lui plaira. Il faut tout perdre, je le vois bien mais la nature intérieure cherche à mettre le bout du pied pour avoir quelques respirs. Oh ! que la mort totale est rare ! Ce qui fait le comble de la croix c'est que je ne vois point que ce qui se passe soit opération de

1 Dieu. D'une part, je crains la certitude, à cause de l'appui que j'y 1 prendrais, et, de l'autre part, je vois tout perdu. Enfin je ne puis juger de mes dispositions ou états présents, sinon qu'ils seront ma ruine ou

la résurrection de mon âme éternellement, ou grande miséricorde, ou grande justice.

J'adore dans le silence de mon coeur tout ce que Dieu en ordonnera. Je suis et ne suis plus. Vous seriez étonnée de me voir : à ce qu'on dit, je parais bien plus morte que je ne suis. Bref, ma très chère Mère,

t je ne sais plus que dire,je demeure quasi sans parole, je n'ai rien à

1 dire, je suis abandonnée ; il faut demeurer là, ne pouvant aller ni haut ni bas, ni de côté ni d'autre. Si l'âme savait qu'elle expire en Dieu, vraiment elle serait plus que très contente ; mais elle ne sait où elle est, ni ce que l'on fait, ni ce qu'elle deviendra. Le seul abandon au-dessus de l'abandon est le soutien secret de l'âme. Je ne sais si la divine Providence prend ce moyen pour me retirer de la charge où je suis, car à moins d'une grâce particulière je n'y puis subsister sans y faire confusion, car je ne vois ni n'entends pas pour l'ordinaire, du moins très souvent. Voici un échantillon de ma pauvreté, ma très chère Mère ; votre charité la présentera à Notre Seigneur. Je crains fort que je ne lui sois tout à fait contraire et peut-être pleine de péchés. Je le profane sans cesse, j'abuse de ses grâces. Soyez mon supplément, ma très chère Mère, et me donnez de vos nouvelles, si Notre Seigneur nous le permet, mais surtout efforcez-vous de réparer les excès que je commets sans cesse contre l'amour infini de Jésus dans la divine Eucharistie. Je vous

y laisse toute abîmée et vous y désire consommée. Je suis en lui, quoiqu'indigne, votre vraie fille.

ni.293 DE LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME]

Rambervillers, 21 novembre 1661

Ma Révérende et toute chère Mère,

J'ai reçu votre chère lettre avec grande joie ; néanmoins la lecture d'icelle a pénétré mes sens de douleur ; par ce peu de mots que vous me mandez, j'ai reçu impression de votre disposition ; j'adore en Jésus Christ et par Jésus Christ la hauteur et la profondeur des desseins que Dieu son Père a sur les âmes : il faut que son règne soit accompli et le vouloir de ses divines complaisances ; il me semble que votre état de mort est effroyable et capable d'ôter la vie au corps, à moins que d'un miracle ; ce qui m'étonne est que votre état a peu d'intervalle, car l'expérience nous apprend qu'après cet état de mort, le corps est quasi épuisé de ses forces. J'avoue que celui qui fait mourir fait revivre notre faiblesse, par la puissance de sa très sainte main ; laissons-nous perdre dans les abîmes de sa conduite adorable et de ses miséricordes infinies. L'abandon parfait d'une âme n'empêche pas que l'on ne cherche un peu à se soulager ; il est vrai, que quand il plaît à Dieu, l'on ne trouve point de soulagement au ciel ni en la terre. Il faut donc mourir et être ensevelie en celui qui prend son triomphe de gloire dans la mort de ses créatures. Bienheureux mille fois les morts qui sont passés et trépassés en Jésus Christ qui est notre pure vie

Nous prions incessamment la majesté de notre Bon Dieu selon vos intentions, et une des plus grandes joies que je puisse avoir en ce inonde est de vous pouvoir assister en vos besoins ; et ne pouvant le faire, c'est ce qui m'est croix. Je n'ai pas encore parlé à nos anciennes de la Mère Benoîte[d'Arconas](1),j'attendais que vous ayez fait choix d'une seconde ; je dis tout le reste à la lettre de la Révérende Mère Sous-Prieure. Nous vîmes ces jours passés le Révérend Père Rembault (2), lequel me dit, si vous étiez dans le dessein de faire un établissement, que c'était la plus belle chose du inonde de le faire à Gondreville (3), qu'il n'y avait point d'embarras. Il est vrai que c'est un passage aussi bien que Saint-Dié. Je trouve deux raisons assez notables pour m'ôter la volonté de m'y établir, si j'étais à votre place, à moins d'un ordre exprès de la volonté de Dieu ;

(I) La convention passée entre le monastère de la rue Cassette et celui de Rambervillers stipulait que, hormis Mère Mectilde et Mère Bernardine, deux religieuses seraient toujours en résidence rue Cassette, pour aider à la fondation de l'Institut et soulager le monastère de Rambervillers toujours

excessivement pauvre.

(2) Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 306 à 309.

(3) Bourg ancien datant des premiers siècles et dont l'histoire fut particulièrement illustre du Vile au IXe siècle. Il abrita plusieurs rois de la première race et même de la deuxième. Les rois de France, Thierry IV, Louis le. Débonnaire, Charles le Chauve, Charles le Simple y séjournèrent ainsi que Charlemagne. Charles le Gros, empereur d'Allemagne, y reçut la couronne de France lors des invasions normandes, en 887. Le Palais des Rois mérovingiens a subsisté pendant plus de huit siècles. Il ne reste rien de ce glorieux passé. Gondreville, qui se trouve à 6 km de Toul ne compte plus que 1600 habitants. H. Lepage, historien qui fait autorité, ne cite au XV1Ie siècle qu'une chapelle de Notre-Dame de Pitié et de Saint Urbain, érigée dans l'ancien cimetière et transférée à l'abbaye Saint-Léon de Toul et enfin un ermitage dans le bois. Au XVIlle siècle, on signale qu'une dîme de la 17e gerbe est réservée au profit des religieux de l'hôpital, qui sont des Bénédictins. Le siège de cet établissement est simplement désigné sous le nom de Maison-Dieu. (Renseignement fourni par M. le Directeur du groupe scolaire

de Gondreville, Meurthe-et-Moselle).

200 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 201

la première raison qui m'y J'ait répugner, c'est les Chanoines, dont il y a plusieurs choses considérer : la seconde est le passage des soldats. Si Dieu le veut, je souhaite bientôt de vous voir il faudrait que vous eussiez un peu (le repos ; Je veux éternellement avec vous ce que Dieu veut; en lui, je vous suris de tout Mon c(rur, ma Révérende Mère, votre, etc...

nu 805 a) Ms : T9

A LA COMTESSE DE CHÂTEAUVIEUX

sur la mort d'une personne de qualité

16 juin 1663

rf e mot est en hâte, la poste allant partir... C'est seulement pour

vous assurer, ma très chère, que nous avons reçu les vôtres avec une grande affection, portant impatience d'apprendre de vos chères nouvelles. Nous y avons appris la mort de la bonne Madame la Duchesse de la Vieuville qui nous a fort touchée, en considération de Madame l'Abbesse, que j'aime et que j'honore chèrement, et de toute l'illustre famille, que je sais être dans une profonde douleur d'une perte si considérable et qui causera tant de déplaisir dans la continuation des temps, si la main toute-puissante de Dieu ne renverse les desseins des hommes. Il le faut prier pour cela ; c'est ce que je ferai de tout mon coeur, prenant intérêt à tout ce qui touchera cette famille que je chéris en Notre Seigneur. J'emploierai les prières des bonnes âmes que je connais et que je pourrai rencontrer dans mon voyage ; mais, puisque Dieu a voulu vous donner cette affliction, recevez-la de sa part et vous soumettez amoureusement à sa très sainte volonté. Tout est à lui. Il en est le maître et le souverain, mais apprenez dans ces événements que nous sommes sujettes à la mort et que c'est un pas qu'on ne peut éviter ni reculer, quand le moment est arrivé, selon le décret de la Sagesse divine. Nous ne vivons que pour mourir et, quand je pense à la mort, je n'ai aucun désir ni aucune inclination pour les choses de la vie. Mourons tous les jours pour nous apprendre à bien mourir ; le meilleur moyen, c'est d'être fidèle à conserver en son intérieur la présence de Jésus Christ et de suivre les sacrés mouvements qu'il nous donne.

11 faut cependant vous dire un mot de notre voyage qui est autant heureux qu'il le peut être. Nos Mères de Rambervillers font un peu les renchéries. Je prétends qu'elles nous prieront plutôt que je les prie. Je ne suis en peine de rien pourvu que vous soyez en santé et que la Communauté de Paris soit en paix.

Son Altesse Royale de Lorraine m'a fait prier de faire diligemment l'établissement de Saint-Dié, qu'il désirait ardemment, et que je prisse la peine d'y aller et d'y mener des Reliuieuses (1) ; nous verrons ce qu'il faudra faire pour la plus grande gloire de Dieu. Pour ma santé, elle est entière ; notre Mère Sous-Prieure de même, à ses jambes près : ne soyez en peine de nous. Je vous assure que j'ai plus d'envie d'être auprès de vous que vous n'avez de nous y tenir. Conservez-vous, je vous en prie, c'est la plus grande satisfaction que vous me pouvez donner ; ma Soeur Hostie Hardy I (2) est ravie des bontés que vous lui témoignez ; elle m'a écrit pour me le mander et moi je vous en remercie. Voilà ce que je vous puis dire aujourd'hui ; nous allons voir des médecins pour les eaux que vous désirez que je prenne. Je

crois que je serai obligée d'aller à Saint-Dié après avoir bu ; nous vous manderons toutes choses. Nous avons déjà fait dire deux cents messes ; je vous en porterai les certificats. A Dieu, très chère enfant, je suis de coeur toute à vous, n'en doutez jamais. J'approuve ce que vous faites pour l'hôtel de la Vieuville, etc.. Ecrivez-moi de votre santé ; un million d'humbles respects à Madame l'Abbesse ; témoignez-lui la part que je prends à sa douleur ; je n'oserais lui écrire, étant trop dans l'affliction. Je vous prie de dire à ma Soeur Hostie que j'ai reçu ses chères lettres fidèlement.

no 97 Ms: D12

(1) On sait que les échevins et les bourgeois de Saint-Dié désiraient la présence des religieuses pour ouvrir une maison d'éducation pour leurs tilles. Le duc de Lorraine et la duchesse d'Orléans étaient favorables à cet établissement. les habitants de Saint-Dié ayant toujours été fidèles au duc. Quelques filles de Mère Mectilde étaient installées depuis 4 à 5 ans dans la maison de M. de Bar. Gondreville, au contraire. était «en France» et présentait l'avantage d'être proche de "Foui. (Cf. Dom Rabory, Vie manuscrit ch' Mère Mectilde, arch. de l'abbaye de Limon).

(2) Marie Hardy reçoit l'habit à 33 ans. le 25 mars 1659. des mains de Mgr de Maupas du Tour (C. de Bar Documents, 1973. p. 109) et fait profession le 2 avril 1660. Elle est mentionnée comme dépositaire et « discrète » sur la liste des moniales de 1689. Nous ne la trouvons plus sur les listes à partir de 1692. Elle a dû mourir vers cette date.

Sa soeur, Anne Hardy (mère Anne victime de Jésus) prend l'habit le 15 avril 1659. fait profession le 16 juillet 1660. Elle n'est plus sur les listes dès 1684.

A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME

A Toul, ce 13 juillet 1663

Ma très Révérende et ma très digne et chère Mère,

Jésus dans le divin sacrement soit notre unique vie et notre consommation !

y 1 faut vous dire, ma très chère Mère, que j'ai porté avec une extrême mortification l'impuissance où je nie suis trouvée de vous écrire un peu amplement et vous exprimer les sentiments de mon cœur que Notre Seigneur a rempli de joie et de consolation sur le saint traité (I) que

(1) Le monastère n'a été agrégé à l'Institut qu'en avril 1666, cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 220 et suiv.

202 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 203

l'amour du Très Saint Sacrement vous a fait contracter de coeur et d'affection avec nous. J'admire la conduite de l'adorable Providence et ne puis contenir les mouvements de mon esprit, qui adore et remercie cette aimable bonté qui sait si bien ménager toutes choses en la manière qu'il connaît être plus à sa gloire et à notre bien. Enfin, je puis dire en vérité que je suis sortie de votre sainte maison avec la dernière satisfaction. Je n'aurais jamais cru que Notre Seigneur y eût donné tant de bénédiction. Je suis comblée de vos bontés et de la sainte affection de la chère communauté qui se rend avec tant de grâce et de générosité les victimes de l'adorable Eucharistie. Et sans parler des intérêts de la gloire de cet auguste mystère, pour laquelle nous nous devons immoler-et consommer entièrement, je chéris singulièrement l'étroite union que nous avons faite en son amour ; et quand il n'y aurait point d'autre utilité que cette sainte liaison, qui s'est rendue par cette occasion indissoluble, c'est un bien qui ne se peut assez estimer et qui portera son fruit dans son temps. La patience conduira toutes choses heureusement. Il me semble que je suis avec vous continuellement et que nous sommes inséparables. Néanmoins j'étais combattue en vous quittant : une partie de moi restait avec vous et l'autre partie était à Paris, dans la maison du Saint Sacrement, mais d'une manière si particulière que toutes ne faisaient qu'une en ce mystère d'amour. Je trouvais qu'il était la vie et le mouvement de tout. C'est donc en vérité que nous dirons désormais toutes ensemble d'un même coeur et d'une même voix : «Jésus dans l'adorable hostie est l'unique Roi et le seul tout de nos âmes : nous n'avons plus qu'un même amour, un même respir et une même vie ». Le divin Sacrement fera la consommation de toutes. Croiriez-vous que je me trouve à l'égard de toute votre sainte maison et pour toutes mes chères Mères comme je suis pour notre maison de Paris, et je ferai pour vous ce que je tâche de faire pour elle. Madame la Comtesse [de Châteauvieux m'a mandé qu'elle avait une parfaite joie de notre étroite union ; elle a passion de vous venir voir et veut qu'on fasse l'affaire de Gondreville pour y faire une solitude du Saint Sacrement. J'ai peine de l'empêcher d'y venir et selon son zèle ce sera peut-être avant la fin de l'année ; il ne faut pas douter qu'elle n'aille chez vous.

Au reste, la pauvre mère Saint-Joseph sera une vraie victime de douleur aussi bien que d'amour pour Jésus au Très Saint Sacrement ; elle ne peut vivre sans miracle. Ma Soeur de Jésus [Chopinel I me mande que c'est une chose pitoyable de la voir. On lui coupa samedi dernier quatre doigts de la main et, le lendemain, on lui devait couper le poing ou le bras. Voilà d'étranges douleurs que cette pauvre fille souffre avec une patience du Ciel qu'on peut dire toute divine ; nous avons sujet de douter si elle est présentement en vie. Je suis fort touchée de n'être point auprès d'elle dans son extrémité ; elle ne demande rien plus ardemment que de nous voir avant qu'elle meure. Je ferai mon possible pour m'y rendre, quoique peut-être trop tard pour elle et, pour cet effet, nous partirons par le coche qui viendra demain de Nancy. Je prie Dieu que j'y trouve nos chères Soeurs d'Arconas et de Ste Gertrude [Noirel] (2) pour les emmener avec nous. Je priai M. Chasselle de vous le mander en partant de chez lui pour aller à Metz où nous avons été sans aucun accident, grâce à Notre Seigneur. Il y a lieu d'y faire une bonne maison du Saint Sacrement, mais je ne me hâterai pas de l'entreprendre : il suffit que nous ayons remarqué le lieu et donné ma parole pour une bonne affaire en cas qu'il plaise à Notre Seigneur la faire réussir ; je vous en écrirai plus particulièrement. Nous avons été à Vézelise, et .sommes ici à Toul pour aller voir la maison et les terres de Gondreville demain du matin avant l'arrivée du coche. J'espère, moyennant la grâce de Notre Seigneur, arriver dans huit jours à Paris.

Priez Dieu pour cette pauvre Mère souffrante qui rend hommage à Jésus dans sa passion ; recommandez-la à toute la Communauté, je vous en supplie. Voilà ce que je puis écrire présentement ; le reste sera à Paris où je tâcherai de vous écrire amplement toutes choses. Vous aurez la bonté d'écrire à Madame la Comtesse pour lui mander notre union et m'envoyerez s'il vous plaît les billets pour les présenter au Très

Saint Sacrement...

no558

(2) Soeur Gertrude de l'Assomption Noirel. de Flavigny, a reçu l'habit des mains de Dom Arnould le 15 aout 1660. cf. Journalier de Dom de Lescale.

A LA MÊME

23 février 1664

Ma Révérende et très chère Mère,

Jésus captif d'amour dans la divine Eucharistie soit notre unique vie !

I1 faut du moins que je vous fasse ce petit mot, ma très chère Mère, puisque je ne puis posséder un plus grand loisir pour vous écrire et vous dire beaucoup de choses. Je viens tout présentement de voir M. l'Abbé d'Etival [Dom Epiphane Louys] (1) qui m'a assurée de votre santé ; nous le voyons souvent avec consolation ; il a pour vous, ma très chère Mère, une fort grande charité et témoigne être fort édifié de votre soumission. C'est un bon serviteur de Dieu.

(1) Né à Nancy en 1615, il fait profession en 1632 dans la congrégation réformée des Prémontés. Docteur en théologie. il est nommé prieur de saint Paul de Verdun, puis on l'oblige à accepter l'abbaye d'Etival (Vosges) en avril 1663. En juin il prêchait le panégyrique de Saint Jean-Baptiste au monastère de Rambervillers. C'est là qu'il rencontre mère Mectilde. Ces deux âmes se comprennent si bien 'que l'abbé d'Etival va devenir le soutien le plus ferme de mère Mectilde. Grand mystique et homme d'action, il a aussi beaucoup écrit. Quelques unes de ses oeuvres ont été spécialement rédigées pour les bénédictines du Saint Sacrement. Cf. Dom Rabory, Vie manuscrite de Mère Mectilcle. (arch. de l'abbaye de Limon), C. de Bar, Documents, 1973, p. 20 et DS, fasc. LI X - LX.

204 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 205

J'appris par celle que vous avez écrite à notre chère Mère Sous-Prieure les bénédictions que vous recevez de l'adoration du Très Saint Sacrement. Je suis très aise que la communauté goûte par expérience la suavité de Jésus dans ce mystère d'amour ; elle connaîtra dans la suite des temps que ce n'est point une dévotion, ni une obligation onéreuses. Hélas ! où peut-on mieux être qu'aux pieds de son Seigneur, de son Dieu, de son Epoux et de son Tout ? Vous le savez mieux que moi, qui suis une pauvre créature abîmée dans les affaires et toute environnée d'occupations ! Heureuse l'âme qui possède cette précieuse solitude qui est un véritable paradis ! Qu'est-ce que la vie si Jésus ne s'y rencontre ? Oh ! c'est un enfer commencé. J'avoue que je ne puis comprendre comme toutes les maisons religieuses ne sont liées et attachées à ce divin sacrement qui nous est toutes choses. Est-ce pas le même qui fait la béatitude des saints dans le Ciel ? Il n'y a de différence que d'un voile qui le couvre à nos yeux ici-bas, mais qui n'empêche pas de le voir en esprit par la foi et d'en avoir la jouissance. Oh ! que nous sommes obligées à cet amour ineffable qui a trouvé une invention si divine de faire habiter le paradis sur la terre et de le renfermer dans un tabernacle ! N'est-ce pas devenir un petit prisonnier, que cet amour tient dans un morceau de bois comme dans un cachot, où son amour l'a rendu captif pour nous ! Il me semble que nous n'avons plus besoin de livres ni de science ; tout est renfermé dans le pain eucharistique. Jésus crucifié et sacrifié est science des saints. Je vous demande pardon, ma très chère Mère, c'est une petite saillie de mon coeur qui vous en dirait bien plus s'il en avait le loisir.

Je rends grâce à Notre Seigneur de votre meilleure santé et de tout ce qui s'est passé dans votre maladie. C'est la main de Dieu qui purifie. J'aurais trop de joie si je pouvais un peu me dilater le coeur avec vous, mais je suis si souvent interrompue en vous écrivant la présente qu'il faut que je la finisse, remettant le reste à une autre fois. Nous allons chanter le service du bout de l'an de notre pauvre Soeur de la Présentation [Carrel] (2), que je crois être en état de sûreté. Je vous supplie de vous en souvenir devant Notre Seigneur et de le prier qu'il me donne son esprit, afin que j'agisse en lui et par lui et pour lui, ou plutôt qu'il fasse lui-même tout pour lui. Croyez, ma chère Mère, que personne n'a plus grand besoin que moi du véritable anéantissement. Hé ! que Jésus fasse en moi son oeuvre puisqu'il le veut ainsi, demandez-lui cet anéantissement de tout votre coeur - c'est pour sa gloire - et que je ne me puisse jamais trouver en rien qui soit, afin qu'il y soit uniquement tout. Je salue chèrement toute la sainte Communauté et particulièrement ma chère Mère Dorothée [Heurelle I. Je suis en Jésus toute à vous, Votre ...

no 520

(2) Anne Carrel (Mère Marie Anne de la Présentation) connitissait Mère Mectilde dès son séjour à Saint-Maur. C'est elle qui, avec Mademoiselle Louise Guisselain, a conduit M. Boudon près de Mère Mectilde. Elle reçoit l'habit des mains de M. Boudon le 20 novembre 1654 et fait profession le 22 janvier 1656 ; elle avait alors 43 ans. Elle est la seconde moniale professe de l'Institut.

A LA MÊME

7 juin 1664

Ma toute chère Mère,

ae mot est seulement pour vous très humblement supplier de faire porter la ci-jointe par un messager exprès à Epinal, où je crois à présent notre chère Mère Sous-Prieure, ou à Plombières, bref, où elle pourra être. Il est très important qu'elle reçoive la dite lettre pour plusieurs affaires qu'elle contient.

Je pensais bien, ma très chère Mère, avoir la chère consolation de vous écrire, mais c'est l'impossible aujourd'hui, ce sera au plus tôt. Cependant je vous supplie de me mander ce que vous savez de la mort de M. Lhuillier ; dites m'en vos sentiments devant Dieu sans rien appréhender. Je crois que sa pauvre famille en est bien affligée. Ma Soeur d'Arconas est prête de partir aussitôt qu'elle aura une forme d'obéissance de votre part. J'espérais être de la partie, mais nos affaires ne sont pas prêtes. Je voudrais bien être auprès de vous pour bien des choses. Je crois que vous aurez reçu des lettres de notre chère Mère Sous-Prieure qui de présent est en Lorraine. Je vous supplie, ma très chère Mère, de lui envoyer une religieuse (1) pour l'aider dans ses besoins car elle s'est tuée de fatigue, soulageant les autres, malade qu'elle est elle-même, et pour l'accompagner dans ses voyages. J'avais prié de renvoyer ses compagnes qui la peineront partout, et qu'elle ne peut conduire sans extrêmes fatigues. C'est pourquoi ma très Chère Mère, je vous supplie de lui donner du secours. C'est ce que je vous puis dire, espérant que notre chère Mère vous dira toutes choses en vous voyant. A Dieu, ma très chère Mère ; un mot si Dieu vous le permet et sur la mort de mon frère : je n'en sais point le détail, et s'il est bien mort.

Je recommande à vos prières Monsieur le Duc de Guise qui mourut lundi dernier. Madame de Montmartre (2) en est furieusement affligée. Il se faut contenter de ce mot, la poste va partir. Je suis de coeur en Jésus votre très indigne fille,

Sr M. du St Sacrement

Ju vous demande mille humbles pardons de vous écrire si en hâte et tant brouillé. C'est la presse où je suis aujourd'hui.

Je vous recommande très instamment la lettre de notre chère Mère Sous-Prieure, qu'elle lui soit envoyée exprès là par où elle sera, je vous en supplie, étant choses pressées.

n. 1 1 1

( 1 ) Ici, des corrections du X IXème siècle rendent illisible ce qui a été écrit dessous.

(2) Françoise-Renée de Lorraine, coadjutrice en 1644. abbesse en 1657, meurt le 4 décembre 1682.

20() CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 207

A UNE RELIGIEUSE DE MONTMARTRE

Juin 1664

e n'oserais écrire à notre affligée Princesse pour lui témoigner

la part que je prends à sa douleur, que je pourrais dire être si sensible que la nouvelle que je viens de recevoir de la mort de mon frère ne me touche pas, comparée à celle de M. le Duc (1), qui surprend tant de monde, et qui le regrette véritablement. Voilà un prodigieux sacrifice que Dieu a exigé de cette chère âme. C'est le plus rude coup qu'elle avait à soutenir en terre. Mais, comme la main de Dieu l'a blessée, cette même divine main l'a soutenue par une grâce abondante, qui pourtant n'ôtera pas la douleur des sens. La perte est trop grande et l'affection trop tendre pour rendre moins sensible cette rude privation..1e vous puis dire, ma très chère Mère, que je la ressens jusqu'au fond du coeur, et que nous avons gémi devant Dieu pour les besoins de cette âme, qui est retournée à son centre, et pour celle qui en ressent la très vive douleur, demandant miséricorde pour l'un et force et grâce divines pour l'autre ; car, en vérité, on ne saurait porter une telle affliction sans le secours d'une grâce divine. Je n'ai point trouvé en moi de parole pour exprimer mes sentiments. Je me sens pénétrée de douleur en la présence de Jésus Christ que je prie la vouloir- consoler par lui-même. Je serais mille fois plus peinée si je ne savais que notre bon M. Bertot lui tiendra lieu de père et de frère et l'aidera à porter la croix que le Saint-Esprit a mise dans son coeur. Je sais que vous en êtes vous-même tout à fait affligée. Vous aviez trop de respect pour lui et trop de liaison aux sentiments de Madame pour- n'en être touchée comme vous êtes. Mais je sais d'ailleurs la vertu que Dieu a mise en vous, et de quelle manière vous recevez les événements crucifiants de sa divine Providence qui nous fait d'admirables leçons. Enfin c'est un Dieu qui se rend le maître de ses ouvrages et qui en dispose comme il lui plait,Sans que nous ayons droit de nous en plaindre. Je vous supplie, ma très chère Mère, de lui témoigner les vifs sentiments de mon coeur sur sa douleur, lorsque vous le jugerez à propos. Je n'oserais lui écrire en l'état où je la crois, n'ayant nulle capacité de la consoler mais des larmes à verser à ses pieds. Je vous proteste, ma très chère Mère, que je n'en puis revenir et que je vois bien dans cette occasion que je suis tout à fait sensible aux intérêts et à tout ce qui touche cette digne Princesse. C'est tout ce que je puis dire dans ce moment où vous n'êtes pas sans douleur, ma très chère Mère. Je vous supplie, quand vous verrez Mlle N, de lui témoigner ma douleur sur sa perte.

no 1275 Ms : N254

(1) Henry II (4 avril 1614 - 2 juin 1664), duc de Guise, était le frère de l'abbesse ; fils de Charles de Lorraine et de Henriette Catherine , duchesse de Joyeuse. Cf. P. Anselme, Histoire généalogique et , chronologique de la maison de France, Paris, 1728, t. I I1. p. 488.

A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÈME

28 juin 1664

Ma très Révérende et très chère Mère,

Jésus soit l'unique vie de nos coeurs !

CC'est l'unique souhait que nous devons faire, et qu'il se glorifie

par sa toute-puissance, en détruisant et anéantissant toutes les créatures. Cela est juste et j'adore sa souveraineté sur toute la terre ; quoique le péché s'y oppose il le consommera et détruira absolument, et c'est la joie des coeurs qui n'aiment que sa pure gloire, de le voir agir en Souverain. Mon Dieu, ma très chère Mère, que ne règne-t-il partout dès à présent, sans résistance de la part des créatures ? Ce serait le paradis en terre ! Mais Jésus continue sa.vie cachée et captive dans la plupart des âmes, dans lesquelles il n'a pas la liberté d'opérer selon son amour, et cela est affligeant. Priez-le, ma très chère Mère, que je ne sois pas de ce nombre, qu'il vive et règne en nous par l'adorable Eucharistie. Oh ! que ce mystère est grand et peu connu des hommes ! Je m'étonne que tout le monde ne s'occupe à le considérer et à en expérimenter les effets. Quelle union ineffable ! Pour moi, je ne &mande point d'autre grâce que de porter en moi les effets de ce divin mystère : tout s'y renferme et Dieu même ne peut rien faire de plus à notre faveur. Si j'étais remplie de cette grâce eucharistique, ma très chère Mère, je ne pourrais m'affliger des événements de Providence et je crois qu'une fille du Saint Sacrement doit avoir tout sacrifié à Jésus dans ce mystère, parce que Jésus, par ce divin Sacrement, lui devient tout en toutes choses.

J'ai tâché de lui présenter le mieux que j'ai pu la perte que j'ai faite de mon frère et de ma soeur (1). Je les estime trop heureux s'ils sont sortis de ce monde en sa grâce. En vérité, rien n'est à regretter que la perte de Dieu, et, s'il leur a fait miséricorde, c'est trop de faveur ; nous l'en devons infiniment remercier. La vie du monde est trop opposée à Dieu pour avoir le moindre regret de la quitter : heureuse l'âme qui retourne à son Dieu et qui se trouve délivrée de cette malheureuse servitude ! Je sais que l'un et l'autre de ces deux pauvres défunts ont beaucoup souffert durant le cours de leur vie, et que même leur mort a été accompagnée de douleur. Je prie Notre Seigneur qu'il les sanctifie par la dignité des siennes et qu'elles leur soient utiles pour la vie éternelle. Vous m'avez bien consolée sur ce sujet, ma très chère Mère, d'avoir pris la peine de me dire vos pensées. O que les jugements de Dieu sont profonds et éloignés des lumières des hommes et de leurs sentiments ! Continuez vos saintes prières pour leur secours, je vous

(1) Son beau-frère le colonel Lhuillier et sa soeur ainée Marguerite décédés tous les deux en juin 1664.

2O CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 209

en supplie, et m'obtenez de Dieu la miséricorde de bien mourir. J'ai cette pensée de mort si continuelle depuis quelques années que je doute si ce n'est point un avertissement : elle m'est augmentée de beaucoup cette année et je vois que cela fait de bons effets parmi tant d'affaires dont je suis environnée. Certainement, ma très chère Mère, il

me semble que je ne les fais qu'en passant et que je n'y ai ni le coeur ni l'esprit, mais je tâche d'y agir parce que l'on m'assure que Dieu le

veut ainsi ; du reste, qu'il en arrive ce que Dieu voudra, le succès m'en est indifférent, pourvu que je ne néglige rien de mon petit devoir ; assez souvent Dieu semble vouloir des choses qu'il n'achève pas, se contentant de notre bonne volonté, comme il fit .en David pour son temple, se contentant qu'il en préparât seulement les matériaux. Dieu n'a besoin de personne pour ses ouvrages...

no 193

A UNE RELIGIEUSE DE MONTMARTRE [EN RÉSIDENCE À RAMBERVILLERSI

16 juillet 1664

e vous suis bien obligée,.ma très chère Mère, de la part que vous

avez prise à la perte que j'ai faite de mon frère et ma soeur. Je les recommande instamment à vos saintes prières ; c'est le seul bien que je leur puisse faire à présent et votre charité sera récompensée.

J'ai bien cru que vous seriez puissamment touchée de la mort du bon M. de (luise. C'est un coup qui a surpris et étonné tout le monde, mais c'est où il faut que nous arrivions tous, et bientôt heureuse l'âme qui se tient en un continuel état de mort, car elle ne sera point surprise dans ce dernier moment. Madame de guise m'a écrit avec beaucoup de bonté ; elle commence un peu à se mieux porter. J'espère que Notre Seigneur se la conservera à lui-même pour sa uloire et la perfection des âmes qu'il a mises sous sa conduite. C'est un grand coup de tonnerre pour cette chère Dame, qui fera de très bons effets et qui la déuauera un peu des créatures. Puisqu'il a commencé, il achèvera et fera le reste dans peu de temps, je l'espère, de la main toute-puisssante de celui qui a fait ce coup, car elle doit être sans partaue, toute à Jésus Christ.

Au reste je suis bien aise que vous soyiez à Rambervillers dans notre petite maison, et que vous voyiez la Révérende Mère Prieure qui est plus que je ne vous puis dire. J'appréhendais que vous ne souffriez beaucoup d'incommodités dans notre pauvre maison, mais votre charité souffrira tout pour l'amour de Notre Seigneur et excusera la grossièreté du pays. Je disais à notre chère Mère Sous-Prieure de vous laisser toutes chéz les bonnes Mères d'Epinal (1), d'autant que vous seriez beaucoup mieux que chez nous ; mais, puisque vous l'avez désiré et que Notre Seigneur vous y a conduites, j'en suis bien aise. Mandez-moi en simplicité comme vous vous y trouvez, et vous unissez bien avec notre très digne Mère Prieure la Révérende Mère Benoîte [de Brème s : elle peut vous attirer du ciel de grandes bénédictions. Je pense à vous très souvent avec tendresse, car c'est de coeur que je vous aime et que vous m'êtes chère en lui. Les lieux ne nous séparent point. Je vous trouve aux pieds de mon adorable Maître dans son divin Sacrement où je sais que votre esprit fait sa demeure, autant qu'il peut, pour lui rendre ses hommages et les devoirs d'amour et de sacrifice qu'il lui doit.

A Dieu, ma très chère Mère, profitez de l'exemple de la digne Supérieure. C'est une âme qui est toute à Dieu je vous en assure. Croye.z que je suis, en Notre Seigneur, toute à vous.

no 1797 Ms : N254

(1) La congrégation Notre-Dame, fondée par Alix Le Clerc et le Père Pierre Fourier en 1598. La maison d'Epinal date de 1620 ; sa fondation est due à Madame de Bagrone, chanoinesse de Remiremont, et à François Palissier, abbé de Chamousey (aujourd'hui Chaumoussey, Vosges). En 1638, lors de son départ de Commercy, Mère Mectilde fut reçue avec beaucoup de bienveillance pendant trois semaines dans cette maison. Elle songea même quelque temps à entrer dans la congrégation mais elle comprit que Dieu l'appelait ailleurs cf. Edmond Renard, La Mère Alix Le Clerc 1576 - 1622, Paris, 1935 Dom Rabory, Vie manuscrite de Mère Mectilde (Arch. de l'Abbaye de Limon).

A MADEMOISELLE SA NIÈCE

[FRANCOISE LHUILLIER -GAULTHIER DE VIENVILLE1

30 juillet 1664

Ma très chère nièce et mon cher enfant,

Jésus soit votre force et votre consolation !

'ai reçu votre chère lettre du 20 courant par laquelle vous me Ci témoignez votre douleur sur la perte que vous avez faite. Certainement, ma chère nièce, vous avez beaucoup perdu ; cela se peut dire et que votre bon coeur continue de souffrir tous les jours par le souvenir de cette sensible affliction et par mille autres déplaisirs qui se rencontrent dans la vie et desquels l'on ne se peut garantir.

Je vous plains et voudrais de tout mon coeur être en état de vous pouvoir consoler. Je sais que vous avez recours à Dieu et à sa très Sainte Mère et c'est ce qui me console dans votre douleur.

Croyez, mon cher enfant, que si vous avez perdu en terre un bon père et une bonne mère, vous en aurez de meilleurs dans le Ciel. C'est Jésus et sa très Sainte Mère qui ne vous abandonneront jamais. Je vous conjure d'y avoir une entiere confiance et de tâcher de faire un saint usage de tant de maux que vous souffréz incessamment. Elevez

210 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 211

souvent votre coeur au Ciel disant en vous-même : « Courage mon âme, nous n'avons qu'un peu de temps à vivre pour souffrir et témoigner à Dieu notre amour et nous aurons une éternité de repos et de délices ».

Pensez quelquefois à la mort et tâchez de vous tenir dégagée des choses de la vie et, surtout, n'aimez point les biens ni la vanité. Tout périt et une âme est malheureuse qui met son coeur aux choses de la terre.

Aimez Dieu, mon cher enfant, et tâchez de ménager votre salut éternel. C'est là, la grande et principale affaire.

On ferait une chose bien agréable à. Notre Seigneur de se défaire de tant d'embarras qui détournent de Dieu pour penser sérieusement à la mort. La vie est plus courte que l'on ne pense. Je prie Dieu qu'il lui donne une forte inspiration de mettre ordre à ses affaires intérieures et extérieures, qu'il pense à son salut de la bonne sorte (1). On ne meurt qu'une fois pour une éternité. Apprenons, ma chère nièce, à bien mourir puisqu'il y va de notre perte ou de notre gain éternel.

Pour un peu modérer votre douleur, le bon Dieu fait réussir l'établissement dans Saint-Dié (2). Vous aurez la consolation d'y voir les religieuses et d'y mettre vos trois filles. Je vous conseille, ma chère nièce, pour les bien élever à la crainte de Dieu et les apprendre au travail et, si Dieu les touche, faitesen de bonnes religieuses. Voyez par votre expérience que ce serait leur plus grand bonheur et que, dans le monde, il n'y a que des maux et des misères en toutes manières. Prenez le plus certain et laissez celui qui est rempli de périls.

Je vous recommande toujours la bonne Mère de Sainte-Marie ; je vous prie -de l'assurer que je n'oublierai jamais les services qu'elle a rendus à ma soeur. Je ne veux point vous en parler, ni de la tendresse de mon coeur sur sa mort ; laissons-la à Dieu puisqu'il lui a fait la tendresse de l'attirer dans le Ciel. Nous ne devons plus la pleurer, mais prier Dieu qu'il nous fasse la grâce de la suivre, car nous mourrons toutes plus tôt que nous ne croyons.

J'envie son bonheur d'être hors des occasions de déplaire à Dieu.

Courage, ma très chère nièce, écrivez-moi souvent et ne me faites point d'excuses de votre liberté. Vous n'en avez point trop avec moi. Prenez-la toute entière et croyez qu'en tout ce qui sera de mon pouvoir, je vous témoignerai que je vous aime très sincèrement.

Je prie Notre Seigneur qu'il vous comble de bénédictions et votre chère famille que je salue et embrasse tendrement.

Je suis en Jésus, ma très chère nièce, votre toute affectionnée.

( I) Mère Mectilde fait peut-être allusion ici à son neveu, le mari de Françoise Lhuillier, Claude Gaulthier, seigneur de Vienville.

(2) D'après le Journalier de Dom. A. de Lescale, il semble bien que le projet d'établissement à Saint-Dié était sur le point de réussir à cette date. Les religieuses avaient obtenu le consentement de Claude Gaulthier de Vienville, prévost de Saint-Dié, et des bourgeois, le 22 avril 1659. Le Substitut du procureur général de Lorraine en l'officialité de Saint-Dié a enregistré cet acte le 17 ème may 1660. Signé C. Cherrier. L'opposition violente du chapitre de Sainte-Croix a obligé Mère Mectilde à y renoncer. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 206 (Archives des Vosges, 40 H)

Vous pouvez vous consoler avec notre chère Mère Sous-Prieure qui vous aime chèrement. Je vous recommande votre pauvre frère (3) qui a beaucoup perdu. Tâchez de le consoler et de vous aimer tous sans aucune diminution. Vous aurez une bonne Mère à Saint-Dié qui vous aimera beaucoup. Donnez-lui vos enfants, si vous m'en croyez,

ils seront bien entre ses mains. Je vous recommande tout le petit couvent.

A Dieu, j'ai écrit depuis peu à Monsieur votre mari. S'il est avec vous, présentez-lui mes respects et mon affection.

Ms : T8

(3) Nicolas Lhuillier, seigneur de Spitzemberg, Vauzel, Saint-Marcel, etc.. écuyer ordinaire de Son Altesse Royale madame la duchesse d'Orléans, épousa Charlotte-Thérèse de Castres, par contrat pàssé devant Le Vaseur et Le Lorge, notaires au Châtelet de Paris. le 14 janvier 1670. Son fils aîné,

Charles Léopold, héritier des titres de son père, épousa Anne Florentin. Il mourut à Bertrimoutier (Vosges) le 13 avril 1712. Une de ses filles, Catherine, est religieuse à Malnoue (voir lettre no 2697 et 1095. juillet 1695). Une autre. Elisabeth-Françoise, épousa Paul Benoit, chevalier, comte de Braque ; elle décéda à 51 ans et fut inhumée à la paroisse Saint-Roch à Paris. en 1730. ( cf. Arch. mit. 98 A.P. En appendice, lettre du 19 décembre 1679). Dom Ambroise Pelletier. Nobiliaire de Lorraine, Nancy, 1758. p. 492 - 493.

A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION IDE BRÊME]

30 juillet 1664

Ma très Révérende et ma très chère Mère,

Jésus soit notre unique tout dans la divine Eucharistie !

1 est bien juste que je fasse un effort dans nos continuelles occupa-

tions pour vous rendre par ces mots les très humbles remerciements que je dois à votre bonté, pour la bonne et charitable réception que vous avez faite à notre chère et digne Mère Sous-Prieure et à toute sa compagnie. Je m'en tiens tout à fait redevable à la charité de toute la Communauté et particulièrement de la vôtre, ma très chère Mère. La pauvre Mère de Saint-Joseph [de Laval Montignyl est ravie d'être entre vos mains ; elle ne me peut assez écrire vos bontés et les soins que vous avez de la consoler en toutes manières dans ses douleurs, qu'elle dit se diminuer par la force de vos saintes prières. Elle est tout à fait édifiée de la Maison. La bonne Mère de Sainte-Catherine fait le même et la pauvre Soeur de Sainte-Madelaine qui est heureuse d'être auprès de vous ; je crois que vous connaissez que ce sont toutes trois de bonnes filles. Je crois, ma très chère Mère, que notre bonne Mère Sous-Prieure reconnaîtra votre charité. Il ne faut point vous ruiner par tant de visites de notre part ; nous y subviendrons moyennant la grâce de Notre Seigneur. Vous aurez appris de cette chère Mère comme la divine Providence remet en état l'affaire de Toul, et que nous espérons de partir

212 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 213

au mois de septembre prochain (1) avec M. L'Evêque de Toul qui est arrivé à Paris et qui en doit partir pour retourner à Toul à la fin de septembre. Je vous supplie de bien prier Notre Seigneur qu'il tire sa gloire de tout et qu'il nous fasse la grâce d'agir en son esprit. Je ne demande rien plus en ce monde que de le contenter. Demandez-lui pour moi cette miséricorde, ma très chère Mère, et que tout mon moi-même soit fondu en Jésus Christ. Je ne vous dis rien de l'affaire de Saint-Dié ; notre bonne Mère Sous-Prieure vous dira toutes choses. Je crois que vous avez bien de la consolation de voir cette chère Mère et elle d'être auprès de vous pour prendre un peu vos avis dans nos affaires.

Notre chère Soeur d'Arconas s'en retourne entre vos mains, bien heureuse de posséder cette douce consolation. J'en suis toute édifiée et nos Soeurs aussi. Elle commençait un peu à sortir de ses scrupules lorsqu'elle est partie ; elle se trouvait fort bien de communier souvent. Je crois, ma très chère Mère, que vous lui continuerez cette grâce si vous le jugez à propos. Je ne sais si vous serez satisfaite de sa négociation auprès de Son Altesse ; je n'y ai jamais rien espéré, mais il fallait faire une tentative pour ne rien négliger de ce que l'on peut. Je crois que l'on vous donnera du temps et que l'on réduira les sommes. C'est le moins qu'il devrait faire pour Dieu.

Si la divine Providence nous permet de faire le voyage de Toul, Mad. la Comtesse Ide Châteauvieux] sera de la partie ; elle se réjouit fort de vous voir, vous en serez édifiée. Elle est bonne servante de Dieu et bien zélée pour le Très Saint Sacrement. J'aurais beaucoup de choses à vous proposer touchant nos établissements, mais l'espérance que j'ai sur le voyage que nous devons faire d'avoir l'honneur et la grâce de vous entretenir me fait réserver mes pensées pour ce temps. Je vous supplie, ma très chère Mère, de faire quelques communions à votre particulier pour toutes nos affaires et que rien ne vive en nous que Jésus, afin que tout soit pour lui seul et sa très glorieuse Mère. Je suis en lui, ma très Révérende et très chère Mère, votre très indigne fille et très obéissante servante.

Je vous assure que la chère Mère de Jésus [Chopinel] se porte bien, mais elle dit que vous l'avez oubliée. Cela la mortifie un peu.

n°468

( I) Pour le détail de cette fondation. cf. Journal de Toul.

A I.A MÈRE BERNARDINE DE LA CONCEPTION [GROMAIRE] À TOUL

août 1664

1 faut bénir Dieu de tous les événements contraires, comme de tout ce qui réussit à nos souhaits. Je vous assure, ma très chère Mère,

qu'il faut toujours être prête à voir tout périr et renverser, et l'on ne peut avoir de vrai repos que dans le renversement et dans les contradictions. Abandonnons tout à la divine Providence ; Dieu sait bien ce qu'il veut faire : s'il ne veut rien, j'en suis contente. Sa divine volonté soit triomphante en tout et partout ! Ne vous fâchez de, rien, nous ne faisons rien pour nous. Il faut se laisser dévorer et anéantir par les événements de Providence. Si les affaires que nous manions pour Dieu et qu'il nous a confiées ménagent notre destruction, nous ne perdons pas nos peines. Il ne faut pas douter que nous ne trouvions partout des oppositions. Notre Institut n'est pas agréable à tout le monde, outre que mes péchés peuvent être la seule cause de tant d'oppositions. Ayons patience, ma très chère Mère, et nous tenons ferme à l'ordre de Dieu pour le vouloir en sa manière, et non selon notre esprit.

no 509 Ms : Cr. C

A LA MÊME, À TOUL

12 août 1664

our répondre à votre chère lettre, ma très chère Mère, par laquelle

vous me témoignez le déplaisir que vous avez du renversement du prétendu établissement de Toul, je vous conjure de ne vous fâcher de cela, ni d'autre chose qui me doive affliger. Je ne sais si c'est la grâce ou la stupidité qui opèrent, mais rien ne m'a surprise ni affligée. Que peut-on attendre de tout ce qui est sur la terre, sinon un perpétuel changement ? C'est une divine et tout adorable Providence qui permet toutes ces vicissitudes pour ne se point lier à la créature et ne s'appuyer que sur la bonté de Dieu. Croyez-moi, je ne fais jamais une affaire que je ne sois toute prête, avec la grâce de Notre Seigneur, d'en voir le renversement. C'est ainsi que l'on me fait marcher, et c'est ce qui me tient en repos quand les coups arrivent.

Je prie Notre Seigneur qu'il vous donne autant de tranquillité qu'il m'en donne sur ces deux sujets qui, selon la raison humaine, seraient insupportables, mais qui, dans l'ordre de Dieu, sont pleines de mystères qu'il nous fera connaître un jour. Que si nous regardons l'affront qui \nous en revient, hélas, ma très chère Mère, nous n'avons encore rien souffert en comparaison de Jésus Christ, lorsqu'il était sur la terre et qu'il travaillait jour et nuit pour établir la gloire de Dieu son Père. Il ne faut pas penser que l'on puisse faire des maisons du Saint Sacrement sans que le démon les contrarie. Il fera même ses efforts pour renverser l'Institut, mais tout est dans la main du Seigneur. S'il est pour nous,_ qui sera contre nous ? Il ne faut point se rebuter. Si nous avons le coeur droit, ne nous affligeons de rien, laissons _faire Dieu.

ng' 2501 Ms: Cr C

214 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 215

A LA MÈRE ANNE DU SAINT SACREMENT 1LOYSEAU1

Toul, 24 septembre 1664

... Nous apprenons par notre propre expérience que le démon est bien animé contre notre Institut : nous en avons trouvé un, à notre arrivée, «qui fait tout ce qu'il peut pour tout renverser ; je ne sais quelle gloire Notre Seigneur veut tirer de cette entreprise. Apparemment, les efforts du démon seront vains et Jésus dans le« Divin Sacrement en triomphera et fera, dans le temps, réussir toutes choses à sa gloire.

Toul, octobre 1664

... Nous attendons nos conclusions de Messieurs du Chapitre : après nous cherchons une maison pour y mettre la Croix et y dresser un autel au Seigneur, si néanmoins il tient le démon enchaîné, car s'il le laisse faire, il susçitera encore de nouveaux orages ; je ne crains point : « Si Deus pro nobis, quis contra nos ? » [Rm VI II 31]

..Je ne sais d'où vient que notre bonne Comtesse [de Châteauvieux] est si mal satisfaite de cet établissement, sinon que Dieu lui fait faire pénitence de l'avoir voulu faire pour détruire celui de Rouen. Il faut bénir Dieu de tout !

... Nous ne chômons ni de persécutions, ni de contradictions, ni même d'abjections et cela en plusieurs manières, de sorte que nous n'avons pas toujours mangé du pain depuis notre départ de Paris, ayant fait très souvent et quasi toujours nos repas de fiel et d'amertume (1). Je commence à voir que [dans] la souffrance et la douleur on enfante les Monastères de l'Institut et non autrement. Mais la joie d'y voir adorer le Très Saint Sacrement nous paiera bien nos peines et j'ose avancer qu'une seule Exposition essuiera tous nos déplaisirs, et ne crois pas être trompée. Prenons donc courage et bénissons Dieu en tout et partout ; n'ayons rien au coeur que son amour et en la bouche mille louanges : « quoniam bonus »...

Je m'attends de passer ma vie dans la contradiction, soit que je fasse des établissements ou non. C'est ma portion pour le reste de mes jours. Le pain d'abjection ne me manquera pas, d'autant qu'il me faudrait une suffisance angélique pour remplir dignement la place que j'occupe et je suis la plus misérable de toutes les créatures. Tout ce que je vois et expérimente me confirme de plus en plus qu'il faut tout attendre de Dieu seul. Si cette affaire avait été à mon entière disposition, j'aurais attendu - sans importuner personne - que la main puissante de Dieu fît son oeuvre, m'étant toujours bien trouvée quand j'avais peu recours aux créatures auxquelles Dieu ne veut point que je mette mon appui, mais en lui seul. Oh ! qu'il y a longtemps que je suis dans ces sentiments. ; mais quand j'y demeure abandonnée, ceux qui ne connaissent pas le trait de cette conduite ne la peuvent supporter en autrui, non plus qu'en eux-mêmes. C'est pourquoi il leur faut adhérer, puisque Dieu m'y assujettit : Notre Seigneur le veut ainsi, il faut avoir patience.

Au milieu de tous ces tracas et persécutions, Notre Seigneur m'a toujours tenue en sa sainte main, sans permettre que ma paix soit altérée un moment. Je vis comme une personne en l'air, flottée de toutes parts, sans néanmoins être accablée, et qui n'ose chercher le moyen de se délivrer. Il faut que je demeure dans ma captivité autant qu'il plaira à Notre Seigneur, me laissant crucifier en patience. En vérité, je le mérite bien. Je vous assure que si tous les établissements que Notre Seigneur voudra faire donnent autant de contradictions et de peines que celui-ci, il faut faire une bonne provision de patience : les personnes bien actives y auront à souffrir. Pour moi, je suis ici dans mon repos ordinaire, comme une stupide, qui ne sait quasi ce que l'on dit, ni ce que l'on fait, et qui espère toujours que Notre Seigneur fera son ouvrage comme il lui plaira. Soyez en repos sur ma santé ; elle est très bonne en ce pays.

no 2355 P101

( I) Mère Mectilde rencontra aussi des sympathies en particulier auprès des prêtres de la Mission de

la maison de Toul :

lu supérieurs :

1664-1667. Emerand Bajoue

1667-1669. Pierre Deheaume

1669-1674. Nicolas Demonchy

1674-1678. Claude Luchet

1678 - 1683. Joseph Ignace Marthe

1683 - 1687. Jean Le Hall

1687 - 1689. Charles Charbon

• 1689 - 1698. Guillaume Doucet

2" confrères :

1670 et 1671 présent Barthélemy Gérard

1693 et 1695 présent René Clerc

1693 et 1695 présent Nicolas Hannequin

1694 et 1695 présent Jean-Pierre Manderscheidt

liste aimablement communiquée par le R.P. Raymond Chalumeau, archiviste de la congrégation de la Mission.

FRAGMENT DE LETTRE À UNE RELIGIEUSE

de Toul 1664

... Je vois votre coeur préparé pour recevoir la Croix qui vous menace et qui ne peut tomber sur vous qu'elle ne tombe sur moi plus violemment. S'il plait à Dieu nous l'envoyer, il en faut bénir son Saint Nom, et ce sera le châtiment que mes péchés méritent.

Le vingt-cinquième de septembre, fête de la diyine 'Volonté, c'est le jour que N6tre Seigneur nous mit en Croix dans la ville de. Toul, et le jour que nous y arrivâmes. Que toute la Communauté remercie Notre

216 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 217

Seigneur et lui demande pardon des fautes que j'ai commises dans l'établissement de ce saint oeuvre. Je prie Notre Seigneur qu'il exalte lui même sa sainte Croix dans nos coeurs, et qu'il nous. tire tout en lui par l'efficace de ses divines paroles. La confiance en Dieu et en sa très Sainte Mère, avec la patience, mettra fin à tout. Cependant vivez en paix au milieu de la guerre. Que votre foi et votre confiance soient en Dieu, par dessus tous les appuis que nous pouvons avoir aux créatures ! Oh ! que je porte envie au bonheur de la pauvre défunte N. ! Enfin elle a fait sa course qui n'a été qu'une continuelle souffrance etc...

no 1641 Ms : N267

A LA MÈRE ANNE DU SAINT SACREMENT [LOYSEAU]

Toul, 21 novembre 1664

.... Nous sommes dans la maison de Monsieur du BAREI L (1), en calme, Dieu merci. Selon les apparences on ne nous fera plus de tempêtes. Le démon, qui a fait sa furie ici, n'y ayant plus rien à faire, s'en est retourné à Paris pour me tailler de l'ouvrage. Soyez sur vos gardes toutes, de crainte qu'il ne nous arrive pis.

no 2375 Ms : P101

(1) La maison de Monsieur du Bareil était située à Toul, dans la rue Michâtel qui partageait la zone d'influence entre les deux chapitres rivaux de la cité : le chapitre de la cathédrale Saint-Etienne et celui de la collégiale Saint-Gengoult. Cette situation «frontière» créera pour le monastère bien des difficultés avec Fun ou l'autre chapitre. Cependant, d'après le livre des élections priorales et celui des actes de vêture et profession, on peut voir que l'influence du chapitre de la cathédrale fut prépondérante (Renseignements concernant la topographie du monastère de Toul, aimablement communiqués par Mois ieurJ. 011ier). cf. Journal de Toul.

A LA MÊME

Toul, 8 décembre 1664

e n'ai pu vous écrire ces jours passés parce que nous étions toutes occupées à travailler pour dresser un autel au Seigneur, où il lui a plu venir prendre séance parmi nous. O Dieu, que cela est étonnant ! un Dieu parmi nous, un Dieu avec nous ! « Il est venu chez les siens, dit Saint Jean, et les siens ne l'ont point connu». «Il est venu au milieu des ténèbres et les ténèbres ne l'ont point compris» (Jn 1, 11). 0 chère enfant, que je crains d'être du nombre de ces malheureux qui ont Dieu avec eux et au milieu d'eux et ne le connaissent point. Quel malheur de ne point connaitre Dieu, de ne le point aimer et de ne lui point adhérer !

0 mon Dieu, il n'y a que vous d'aimable, de véritable et de permanent! Malheureuse que je suis, je ne vous aime point, je ne vous reçois point et ne vous adhère point comme je devrais ! En vérité cela abîme jusqu'au fond des enfers. Que je ne puis-je mourir de douleur et de regret des affronts que je fais à mon Dieu! O Jésus comment me souffrez-vous ? Chère enfant, je vous appelle à mon secours, gémissez et réparez pour moi. Je sors de notre cérémonie où j'ai fait la première amende honorable au Très Saint Sacrement avec une humiliation si profonde et si grande que je ne la puis exprimer. O mon Dieu, que j'en ai de sujet ! Je n'en dis pas davantage, mais je loue Dieu et le bénis de ce qu'il fait son oeuvre sans nous et qu'il n'a besoin de personne «QUON I AM BONUS». Demandez miséricorde pour moi afin que mes péchés n'attirent point l'ire de Dieu sur la terre. Voyez, chère enfant, l'état où je suis. Mon Dieu, mon Dieu, sauvez les pécheurs et faites régner votre divin Fils.

A Dieu, très chère, tendez à être une victime d'amour au Saint Enfant Jésus et honorez sa solitude dans le sein virginal de sa très Sainte Mère.

no 1047 Ms : P101

A LA MÈRE BENOITE DE I.A PASSION [DF BRÈME

Toul, ce 12è décembre 1664

Ma Révérende et ma toute chère Mère,

Jésus (1,1115 le Très Suint Sacrement de l'autel soit mn', unique vie

uisque son amour l'immole pour nous, il est juste que nous ne vivions qu'en lui, de lui et pour lui. Ayez la bonté, ma toute chère Mère, de m'en obtenir la grâce.

J'espérais toujours, pendant mon séjour ici, que la divine Providence me ferait approcher de vous et que j'aurais la chère consolation de vous voir et, si le temps eût été favorable, j'aurais fait une petite course, allant à Nancy parler à Son Altesse. Je suis si captive de Madame notre bonne Comtesse [de Châteauvieux] qu'elle ne peut souffrir que je fasse ce petit voyage que j'ai néanmoins espéré par celui de Nancy. Mais me voyant quasi à la veille de mon retour à Paris, je crois que je dois sacrifier à Notre Seigneur cette douce satisfaction, pour aller reprendre ma croix dans la maison du Très Saint Sacrement. S'il avait plu à Dieu me laisser ici, j'aurais trouvé bien plus de repos en toute manière ; mais ce n'est pas à moi de faire aucun choix, ainside me laisser à la divine Providence qui semble avoir été ma mère Maîtresse jusqu'à présent. Je crois que M. l'Abbé Ld'Etivall vous aura dit de nos

218 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 219

nouvelles comme je l'en suppliai très humblement. Les pensées que vous m'avez fait la grâce de m'écrire ont été véritables touchant les établissements. L'humiliation me vient toujours en partage, aussi bien après que l'oeuvre est faite comme auparavant. J'en remercie Notre Seigneur et vous supplie d'en faire autant pour moi. La honte, l'opprobre et la contradiction sont mon partage et je me sens si confondue devant Notre Seigneur que je ne sais où me mettre. Son très Saint Nom soit éternellement béni! Je suis indigne de le faire honorer, étant moi-même la plus grande profanatrice de sa Majesté adorable dans le Très Saint Sacrement. Cette vérité m'oblige de lui procurer des réparatrices par l'Institut qu'il lui a plu établir dans son Eglise et qui est présentement confirmé en Cour de Rome (1), ce qui donne plus de force et de valeur à l'adoration perpétuelle de ce mystère d'amour.

Je vous supplie et conjure, ma très chère et plus chère Mère, de m'aider de vos saintes prières et de ne me point abandonner dans mes plus grands besoins, car au milieu de tant de tracas il faut être à Dieu et se tenir en état de mort. J'en ai souvent la pensée, mais qui n'a pas l'efficace que je désirerais pour me porter à la pénitence. Je n'ambitionne qu'une chose, c'est de mourir de douleur pour les outrages que mes péchés ont fait à Jésus mon Sauveur et ceux de mes frères les pécheurs. Plût-il à sa bonté me donner cette grâce, puisque je ne lui puis rien rendre pour tant de crimes ! Du moins que ma vie se consomme en douleur d'amour vers sa bonté infinie ! Et après cette saillie, je demeure comme abîmée dans le néant, m'en trouvant infiniment indigne. Je vous supplie, ma toute chère Mère, de témoigner à toute la chère Communauté la dure privation que je souffre de n'avoir pas l'honneur de la voir. Je l'aime toujours très chèrement et tendrement, ne pouvant jamais oublier les grâces que j'ai reçues de leur bonté. Et quoique la société ne se puisse faire de votre chère Maison et des nôtres, cela ne diminue en rien ce que je vous dois être et que je serai tant que Notre Seigneur me laissera sur la terre.

Je crois que notre chère Mère Sous-Prieure demeurera ici pour Supérieure (2). C'est une rude croix pour elle, qu'elle souffre pour l'amour du Très Saint Sacrement. Je vous la recommande, ma très chère Mère, et vous supplie de lui donner les secours qu'elle vous demandera si elle en a besoin. Je ne parle point des biens temporels de votre sainte Maison, mais du reste. Ecrivez-lui souvent, et si vous croyez que je puisse vous rendre quelque service, je suis, ma toute chère Mère, toute à vous, mais très sincèrement.

Au reste, je vous ai la dernière obligation des bontés que vous

(1) Malgré les interventions faites en cour de Rome par la duchesse d'Orléans, qui fit intervenir plusieurs membres de sa famille, la confirmation ne put être obtenue à cette date faute de constitutions approuvées, cf. Dom Rabory, op. cit.

(2) Mère Bernardine de la Conception Gromaire, sous-prieure du monastère de Paris, a été prieure de Toul depuis la fondation 1664 jusqu'à la nomination de Mère Anne de Sainte-Madelaine par Mère Mectilde. le 20 février 1666.

avez pour Mademoiselle Gérard. Cette pauvre enfant n'a fait ici que pleurer. Elle a bien besoin d'être consolée et protégée de votre bonté. Elle n'a que vous à qui recourir dans ses afflictions qui ne sont pas petites. C'est une pauvre victime sur son bûcher, qui est la croix de sa condition. Elle doit tâcher d'y adorer la volonté divine et de s'y sacrifier doucement et confidemment. Il faut qu'elle se tire de la tendresse naturelle qu'elle a pour elle-même en la vue de ses peines, pour envisager l'ordre de Dieu et s'y conformer, élevant son coeur à Jésus Christ, se souvenant qu'elle est chrétienne et que la profession qu'elle a faite au baptême l'oblige de suivre Jésus Christ en portant sa croix et d'y être crucifiée avec lui. Je vous supplie, ma très chère Mère, de l'encourager dans ses douleurs, le mal étant sans remède. Elle sera doublement misérable si elle n'y prend les moyens de s'y sanctifier. Je vous supplie d'en faire une bonne et fidèle servante de Dieu, et je vous en aurai une infinie obligation. En vérité, tout le reste n'est rien l'expérience nous l'apprend tous les jours. Cette enfant vous dira comme il a plu à Notre Seigneur avancer son oeuvre et comme sa charité divine s'est donnée à nous dans le Très Saint Sacrement, ayant posé son trône eucharistique dans notre pauvre petite chapelle le jour de l'Immaculée Conception de la très Sainte Vierge, de sorte. que nous sommes maintenant en clôture. Et je puis dire que nous en avons l'obligation à M. l'Abbé d'Etival que Dieu a choisi pour avancer son ouvrage. Je le prie que le tout soit à sa pure gloire, et uniquement pour lui et pour le salut des âmes qui se damnent incessamment sans vouloir faire usage du sang adorable de Jésus Christ. Je vous conjure humblement, ma très chère Mère, de lui offrir cette petite maison, le priant de tout votre coeur qu'il y vive et règne lui seul et sa glorieuse Mère, qu'il en retranche tout l'humain, que son divin Esprit en soit le premier et principal directeur. C'est une grande joie quand quelque chose se fait pour Dieu seul, mais l'impureté de mon fond m'empêche d'avoir cette consolation. Suppléez pour moi, ma très chère Mère, et soyez ma réparatrice devant ce Dieu d'amour. Je suis en lui tout ce que je vous puis dire et au-delà. Donnez-moi si vous pouvez un peu de vos nouvelles pour ma consolation. A Dieu, ma toute chère Mère. « Dieu est, Jésus est en Dieu », et je désire ardemment que nous soyons en Jésus pour le temps et l'éternité. Amen, cela suffit. C'est votre indigne fille et très obligée servante.

Sr M du St Sacrement Ind. Rse

Je suis bien mortifiée de ne pouvoir écrire à ma chère Mère Dorothée [Heurelle] on ne m'en donne pas le loisir. Ce sera pour le retour de M. l'Abbé d'Etival. J'écrirai aussi à ma pauvre Soeur Mectilde [du St Sacrement Philippe], à la Mère Paul [Pierre] et à celles qui m'ont fait la grâce de m'écrire. Je les embrasse toutes en Jésus très cordialement.

no 2547

220 CATHERINE DE BAR

A LA MÈRE ANNI DU SAINT SACREMENT ILOYSEAU1

Toul, le 12 décembre 1664

Vous auriez plaisir d'entendre parler ces bonnes gens, ce ne sont plus que des louanges et bénédictions.

Véritablement si cela continue. nous aurons plus de témoignages de bonté de tous ces peuples dans une heure, que nous n'avons reçu de calomnies et de mépris depuis que nous sommes dans cette ville.

Dieu en soit éternellement béni!

no 3002 M.: P101

A MONSEIGNEt R L'ILLUSTRISSIME ET RÉVÉRENDISSIME ÉVÊQUE

El COMTE DE TOUL, PRINCE DU SAINT EMPIRE, CONSEILLER DU ROI. ETC.

le 12 décembre 1664

upplie avec profonde humilité sa très obéissante fille et très indigne

servante la. Supérieure du monastère du Très Saint Sacrement de votre ville de Toul, lui permettre d'introduire dans la clôture du dit monastère, toutes fois et quantes que besoin sera : les confesseurs pour administrer les sacrements et consoler les malades, les médecins, chirurgiens et apothicaires pour les traiter et visiter ; et les artisans pour les ouvrages de leur métier, soit menuisiers, charpentiers, serruriers, maçons et autres pour travailler au dit monastère. Demande aussi avec humble respect la dite Mère Supérieure qu'il lui soit permis, pour le temps de sept ou huit mois seulement, d'entrer dans leur église avec le nombre de religieuses nécessaires pour l'accommoder et ajuster quand elle jugera à propos, y ayant encore plusieurs choses à orner que leurs tourières ne peuvent faire, et ce en attendant qu'elles aient stylé leurs dites tourières ou un sacristain, comme elles ont fait en leur monastère de Paris, les portes de la dite église demeurant closes et fermées tout le temps que les dites religieuses y travailleront, n'y laissant entrer-que les ouvriers ou personnes nécessaires à leurs dits ouvrages. Grâce qu'elles espèrent de votre bonté, Monseigneur, qui les obligera d'augmenter leurs prières pour la santé et prospérité de votre Grandeur.

Sr M. du Saint Sacrement, Prieure.

Sr Bernardine de la Conception, Sous Prieure.

Nous octroyons l'effet de la présente requête aux charges et conditions qui y sont exposés. Fait à Toul, en notre Palais Episcopal, le 12 décembre mil six cent soixante-quatre.

André, Evêque et Comte de Toul

Par commandement de Monseigneur : Bichebois

n " 2757 Ms : PI60 LETTRES INÉDITES 221

A LA MÈRE ANNE DU SAINT-SACREMENT [LOYSEAU

Toul, le 15 ou 16 décembre 1664

ous avons reçu les vôtres par lesquelles nous apprenons la part

que la communauté de Paris prend à notre joie et qu'elle en a solennisé la fête ; je vous en remercie du plus intime de mon coeur. En vérité l'union que nous avons toutes en Jésus Christ nous oblige de nous réjouir quand il se présente quelque occasion de le glorifier. Je crois, en tout ce qui me parait ici, qu'il sera bien honoré. Nous travaillons à établir l'adoration perpétuelle au dehors ; presque toute la ville en veut être. Nous faisons des règlements pour cela. et ensuite je m'appliquerai à en faire pour les religieuses de ce monastère.

Depuis quelques jours Notre Seigneur m'a fait la miséricorde de me tenir plus près de lui et de me rendre certaines petites vues de lui et de sa conduite qui me soutenaient du passé et qu'il m'avait suspendues dans nos grandes contradictions. Il lui a plu éprouver notre constance ou, pour mieux dire, épurer nos intentions et nous séparer de son oeuvre, comme indigne d'y mettre la main. Il n'appartient qu'à lui de nous confondre et anéantir, qu'il soit à jamais béni ! Je vous en dirais davantage si j'en avais le loisir ; conjecturez le reste et remerciez Notre Seigneur pour nous.

0 très chère, les conduites de Dieu ne sont pas comme celles des hommes. Mais, de quelque manière qu'il agisse, il est toujours Dieu, toujours bon, saint et juste ; son saint Nom soit béni ! Je ne puis assez l'adorer, bénir et remercier ; aidez-nous, je vous en conjure.

no 2327 Ms : P101

222 CATHERINE DE BAR • LETTRES INÉDITES 223

A MONSEIGNEUR L'ILLUSTRISSIME ET RÉVÉRENDISSIME ÉVÊQUE ET COMTE DE TOUL, PRINCE DU SAINT EMPIRE, ETC.

Le 19 janvier 1665

upplient en toute humilité ses très obéissantes filles et très indi-

gnes servantes, la Mère Prieure et religieuses du monastère du Très Saint Sacrement de votre ville de Toul, disant que, comme leur profession les oblige de procurer de tout leur possible la gloire du Très Saint Sacrement de l'autel et d'exciter les âmes à lui rendre leurs hommages et vénérations, ce qu'ayant tâché de faire avant qu'elles soient renfermées, en' sorte que plusieurs demoiselles et autres personnes de piété ont demandé avec beaucoup d'instances d'être associées à leur saint Institut, désirant participer à l'adoration perpétuelle et se rendre présentes, quelque heure de la journée, devant l'infinie Majesté de Dieu en ce précieux Mystère , ce que les dites suppliantes n'ont voulu accorder sans en avoir premièrement obtenu permission de votre Illustrissime Grandeur .et l'approbation des petits règlements dressés à cet effet, il plaise à votre bonté, Monseigneur, les confirmer s'ils voH sont agréables, afin de donner commencement à ce saint oeuvre qu' lie peut avoir d'heureux succès s'il n'est gratifié de votre h4nédiction épiscopale et de quelques faveurs, dons et privilège que l'Eglise a mis en votre puissance, pour animer par le gain de quelque indulgence les associés à rendre leur adoration plus fervente et plus continuelle, étant certains que le ciel ne laissera jamais sans couronner d'une glorieuse récompense les devoirs que l'on rendra à Jésus Christ en ce divin Sacrement. Cette dévotion, que l'on peut dire l'exercice des anges, attirera de grandes grâces sur les âmes qui s'y rendront fidèles. C'est le souhait des humbles suppliantes, et que toute la ville soit remplie de vrais adorateurs de ce sacré Mystère. Votre Grandeur Illustrissime en aurait de la joie et de la gloire tout ensemble, ne désirant rien plus en ce monde que de le voir connu, aimé et adoré dans ce Mystère d'amour par toute la terre. C'est la prière actuelle des religieuses du Saint Sacrement, et qu'il conserve en santé et prospérité votre Illustrissime Grandeur, puisque vous soutenez si dignement les intérêts du Fils de Dieu dans le mystère eucharistique contre les ennemis de sa gloire.

Sr. Mectilde du Saint Sacrement

Nous octroyons entièrement les fins de la présente requête et concédons, à tous cèux et celles qui entreront à la susdite association, à perpétuité quarante jours d'indulgence avec notre bénédiction épiscopale. Fait à Toul, le 19 janvier de l'année 1665.

André, Evêque et Comte de Toul

A la 4e page de cette lettre autographe restée blanche, on a écrit : « Permission de M. Dussaussay, Evesque de Toul, d'associer au culte du Saint Sacrement

A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME]

à Toul, ce janvier 1665

Loué et adoré soit àjamais le Très Saint Sacrement de l'autel ! Ma très Révérende et ma toute chère Mère,

7."1> e ne puis partir sans vous témoigner la douleur que je ressens

de m'éloigner de vous sans avoir pu posséder la chère consolation de vous parler. C'est un sacrifice que je fais à mon Dieu, puisqu'il le veut ainsi. Il faut mourir à tous désirs et n'en avoir point d'autres que ceux du Sacré Coeur de Jésus. C'est où je vous remets, ma très chère Mère, et où je tâche de me laisser avec vous, me semblant que la divine volonté doit faire notre vie.

Je m'en retourne à Paris et, si je suivais mon sens, je dirais avec saint Paul : « Je m'en vais en Jérusalem pour y être liée et garrottée » (1). Jésus, mon Divin Sauveur, l'a dit de lui-même : « Nous montons, dit-il en Jérusalem pour être moqué, bafoué et crucifié ». Je ne sais ce qu'il me prépare où je vais, mais je sens bien que j'ai besoin du grand secours de sa grâce et de vos saintes prières pour l'obtenir. Je trouve bien la vérité de ce que vous m'avez dit par vos avant-dernières. Soyez certaine, ma très chère Mère, que l'abjection et la douleur seront mon partage dans les ouvrages du Seigneur. Sa sainte Providence est si bonne ménagère que, parmi les applaudissements apparents de plusieurs créatures, je ne manque jamais d'avoir une bonne portion d'humiliation que je chéris plus que toutes choses, sachant bien que c'est le don précieux par lequel je peux demeurer aux pieds du Seigneur et me défendre de la vanité qui m'est naturelle.

Je ne vous puis dire, ma très chère et intime Mère, combien je suis obligée à l'infinie bonté de Dieu. Si j'avais pu vous entretenir, je vous en aurais dit quelque chose, mais il ne l'a pas voulu ; son saint Nom soit béni ! Je laisse ici notre très chère Mère Sous-Prieure pour gouverner le petit troupeau des victimes de Jésus Christ. Je vous la recommande de tout mon coeur ; consolez-là de vos chères lettres dans le sacrifice rigoureux, à son sens, qu'elle fait en nous laissant aller. J'espère que la grâce la soutiendra par vos saintes prières. Elle vous apprendra comme Notre Seigneur bénit son oeuvre et comme l'adoration perpétuelle s'établit parmi les séculiers, venant à notre chapelle faire leurs heures de réparation, la corde au col et le cierge à la main, avec des sentiments pleins de Dieu. Le démon, ou plutôt mes impuretés, empêchaient cette gloire, mais Jésus, mon Divin Seigneur, en a triomphé et, sans considérer ce que je suis dans mes indignités effroyables, il a fait sa sainte volonté, dont je vous prie le remercier.

(1) Peut-être allusion à : Ac. 20, 22 - 23 et Mt. 18,19 et parallèles.

nu 2758 Ms : 1'160

224 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 225

Je voudrais bien vous dire quelques petites choses de cette fondation, mais je n'ai pas assez de loisir. C'est assez de vous dire que c'est la sacrée Vierge qui l'a faite pour son Fils, et qu'elle est consacrée à l'honneur de son âme sainte et de toutes les opérations du Verbe divin en elle, et de ses adorables retours vers lui. Priez cette âme sainte, ma très chère Mère, qu'elle soit l'âme de notre âme et qu'elle nous tire dans ses sacrés anéantissements ; c'est l'état qu'elle a toujours porté sous les opérations du Verbe éternel. Nos chères Mères que je laisse ici vous en manderont quelques choses.

Cependant je pars et vous dis à Dieu dans Dieu, vous laissant dans le Très Saint Sacrement de l'autel avec Jésus Christ qui fait l'amour et le lien de nos coeurs. Qu'il soit à jamais aimé et adoré de toutes les créatures ! A Dieu, j'espère de vous écrire à Paris et de vous dire ce que je ne puis présentement.

Je suis en Jésus votre très' indigne fille et servante

Sr M. du St Sacrement

C'était bien mon dessein d'écrire à notre chère Mère Dorothée [Heurelle] et à notre chère Soeur du Saint Sacrement [Philippe]. Si je puis trouver un petit de temps, je le ferai, sinon ce sera pour Paris. Je les salue et vous embrasse cordialement aux sacrés pieds de Jésus et toute la chère Communauté.

Je vous estime heureuse d'avoir M. d'Etival. S'il était à Paris, je lui demanderais la même grâce qu'il vous fait. J'aurais bien désiré de lui parler encore avant mon départ. Je vous supplie de lui faire mes très humbles respects et actions de grâces. Je lui suis obligée, infiniment plus que je ne puis dire. purger deux ou trois fois avant le Carême ; tâchez de la divertir autant que vous pourrez. Soyez bien soumises et soyez fidèles à Dieu, cela la réjouira.

Nous nous portons bien. Dieu nous conduit par les saintes prières que notre chère Mère et vous toutes, faites pour nous, mais néanmoins mon esprit est demeuré à Toul. Priez Notre Seigneur qu'il me donne le sien pour conduire son oeuvre à Paris comme à Toul et que je lui sois fidèle. J'ai le coeur aussi gros qu'une montagne ; il est plein de douleur d'être hors de la petite maison de Toul ; mais il faut marcher et aller où Dieu m'envoie : «Misit me vivens Pater, et ego» etc... (1) il faut que chacune fasse ce que Dieu lui commande.

A Dieu, mes chères enfants, Jésus dilate vos coeurs et les remplisse de sa sainte paix et joie ! Je suis à vous en lui.

Sr du St Sacrement

Vous m'obligerez de me donner des nouvelles de la santé de notre chère Mère, de nia soeur Marthe [Marguerite Foin] et de toutes en général et en particulier ; prenez bien garde que notre chère Mère ne couche au cabinet sans feu et qu'il ne soit point de charbon à cause du catarrhe. Elle y pourrait être étouffée ; elle serait bien plus en sûreté dans la chambre pour la nuit et, de jour, elle serait au cabinet. Consolez-la, conservez-la, réjouissez-la, autrement je m'en prendrai à vous.

no 248 Ms : T5 copié sur autographe (1) Jn. 17, 18.

IA MADEMOISELLE CHARBONNIERI

no 1121 Sur la vocation religieuse

Mars 1665

A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL

Pour toute la çhère petite troupe des Victimes du Saint Sacrement

Début de février 1665, jeudy au soir

Loué soit le Très Saint Sacrement de l'autel !

fnes chères enfants, comme bien obéissantes je vous ordonne de prendre courage pour l'amour de Jésus et de sa Sainte Mère, et de faire effort d'un peu vous divertir ; soulagez-vous les unes les autres et n'ayez qu'un coeur en Jésus Christ ; ayez soin de la santé de notre pauvre et toute chère Mère [Prieure]. Nous lui ordonnons de se laisser conduire ; pour son coeur, pensez à la purger lundi ou mardi ; il l'a faut

I est juste que j'entre avec vous dans le sacrifice, puisque la

Provi-

dence m'a donné pour vous des entrailles de mère et un coeur rempli d'une intime affection. C'est donc en quelque .façon de mon devoir de vous immoler et de faire en esprit ce que la mère de Melithon (1) fit, portant son cher enfant sur l'amphithéatre pour y être brisé et coupé par morceaux pour l'amour de Jésus. J'entre de tout mon coeur dans les tendresses de mère que Notre Seigneur veut que je vous sois. Je vous reçois non seulement dans la maison du Très Saint Sacrement

(1) Ou Méliton, le plus jeune des quarante martyrs de Sébaste (Arménie) qui souffrirent la mort sous l'empereur Licinius. Comme il vivait encore lorsque les païens emmenèrent les corps de ses généreux compagnons, sa mère suivit le convoi en portant son fils mourant, reçut ses derniers soupirs, et le déposa sur le bûcher qui consomma toutes ces victimes. Dict. Univ. des sciences écciésiostiques, p. 1456.

226 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 227

mais dans moi-même : et, par le courage, je vous immole et vous sacrifie à mon adorable sauveur Jésus Christ, qui est l'unique motif qui vous a fait quitter ce que vous aimez le plus en ce monde, pour vous rendre sa victime et consommer votre vie pour son amour. C'est ici donc que vous avez besoin de toutes les forces de la générosité de votre coeur, pour vous rendre à celui qui s'est donné et se donne incessamment sans réserve tout à vous. Vous l'expérimentez en recevant l'auguste Eucharistie. Il est bien juste que vous lui donniez amour pour amour, vie pour vie et mort pour mort. Y a-t-il rien de plus glorieux dans le christianisme que d'être tout à Jésus et se consommer pour lui. C'est ce que vous avez entrepris de faire et qu'il faut continuer jusqu'à la mort. C'est pour cela que vous êtes entrée dans la sainte Religion. Oui certainement, je réponds pour vous que vous n'avez point d'autre motif que de plaire à Dieu, que de suivre Jésus Christ et de mourir pour son amour et de son amour, même en vous immolant avec lui. Vous avez commencé le jour de son entrée dans le sein de sa très glorieuse Mère, où il fait sa première démarche sortant du sein de son Père pour venir au monde. Il entre dans un abîme infini d'anéantissement devant la Majesté de son Père ; il s'offre à lui pour être la caution des pécheurs et pour satisfaire à la justice divine. Il entre dans un état d'humiliation et de souffrance perpétuelle ; il est victime au moment qu'il est incarné ; il est immolé dès l'origine du monde et il se sacrifie et meurt sur la Croix. Voilà, ma chère M. N., où vous le devez suivre.

1. Entrant dans le monastère, vous honorez la captivité de Jésus dans le sein de sa bienheureuse Mère, captivité si grande qu'elle est incompréhensible. Vous devez la considérer, adorer et imiter.

2. L'assujettissement, que les lois de la Religion vous imposent, vous doit lier à la servitude de Jésus sur la terre, et singulièrement son obéissance à sa sainte Mère, à saint Joseph et même aux bourreaux qui l'ont attaché à la croix, envisageant sans cesse et en toutes rencontres l'obéissance de Jésus jusqu'à la mort de la croix.

3. Son état de victime vous doit animer à souffrir et à mourir pour lui. En un mot, il faut que la Religion vous tire de vos propres usages et qu'elle vous rende à Jésus. Prenez bien garde de devenir humaine dans le lieu où vous devez trouver votre sanctification. Elevez toujours votre esprit au-dessus de tout le créé, ne vous mettant en peine de quoi que ce soit que d'obéir à Dieu en la personne de vos Supérieures et de vous rendre actuellement à lui. Mettez dans votre esprit le plus fortement qu'il vous sera possible : DIEU TOUT, et le reste rien du tout. Gravez donc cette vérité dans votre coeur : MON DIEU VOUS -ETES, ET LE RESTE N'EST POINT. Tout ce que vous voyez n'est qu'une ombre, toute la terre et les créatures ne sont rien ; tenez-vous ferme dans cette vue de foi.

Rendez-vous ponctuelle et exacte aux plus petites choses. C'est en cela que vous ferez progrès dans la sainte perfection. Vous savez que

rien n'est petit de ce qui est ordonné de Dieu et qui est fait pour lui. Il dit lui-même : « Serviteur fidèle en petites choses, je le constituerai sur des grandes choses » (2). Conservez aussi un saint mépris de vous-même et une haute estime de la sainte Religion, estimant à grande miséricorde la grâce que Notre Seigneur vous a faite d'y entrer. Ne vous surprenez point des tentations qui vous viendront attaquer. Soyez sincère à les déclarer à vos Supérieures et fidèle à y résister. Ne raisonnez jamais en votre propre esprit et ne croyez jamais à votre sens propre ; renoncez à vous-même pour devenir comme un petit enfant. C'est le dessein de Notre Seigneur qui dit à l'âme religieuse : « SI VOUS NE DEVENEZ COMME UN PETIT ENFANT VOUS N'ENTREREZ POINT AU ROYAUME DES CIEUX » (3). Oh ! que de rares merveilles sont comprises dans ces divines paroles ! Ne vous rebutez de rien. Le démon vous aveuglera et vous fera voir plus de sainteté au monde et votre vie passée meilleure que celle qu'on mène en Religion ; ne le croyez point. Dites, pour répondre aux raisonnements de votre esprit propre et aux objections de la tentation : je ne suis point venue en Religion pour ma propre perfection, mais purement pour obéir à Dieu qui l'a voulu et pour me sacrifier pour lui avec Jésus, souffrant toutes sortes de. peines et d'humiliations pour son amour. Enfin, chère N., vous devenez victime, c'est-à-dire que vous êtes destinée à la mort, et que la Religion du Saint Sacrement sera le lieu de votre supplice, où vous devez être égorgée et rendre votre âme à Jésus Christ. «CELUI QUI PERD SON AME POUR L'AMOUR DE LUI LA GARDERA POUR LA VIE ETERNELLE (4). Ne retournez point en arrière. Je me rends à Notre Seigneur pour être votre caution et pour être toujours votre pauvre et très indigne Mère qui a pour vous tout ce que vous pourrez désirer dans cette qualité. Le désir, la crainte, l'amour et la timidité font un combat dans votre coeur ; jetez-vous à corps perdu entre les bras de Notre Seigneur ; vous ne voulez rien que pour lui. Il aura soin de votre conduite et de tout le reste. Je le prie d'être votre force.

Si vous persévérez, j'aurai grande joie de vous présenter au Père Eternel avec Jésus Christ son Fils (5), le jour que l'amour le sacrifie

dans le mystère eucharistique et qu'il l'y fait la victime du monde,

épanchant son Sang mystiquement sur l'autel pour nous obtenir miséricorde, et sur nos coeurs pour nous consommer en son amour. Je serais

bien aise qu'à ce grand et admirable jour, auquel l'amour divin épuise tout ce qu'il a de puissance en faveur des hommes et de votre âme en particulier, que vous lui rendiez le réciproque, selon votre possible, amour pour amour, vie pour vie et mort pour mort. Courage donc, M. N. ; faites courageusement votre sacrifice.

n.. 478 Ms : N267

(2) Mt 25,21 - 24. (3) Mt 18.3. (4) Luc 9,24.

(5) Françoise Charbonnier (Soeur François de Paule), née à Saint-Mihiel, évéché de Verdun. Fille de noble Charles Charbonnier, l'aîné, et de Marguerite La Vesle. Elle entra au monastère de Toul le 24 mars 1665 et prit l'habit à 23 ans, le lundi de Pâques, 6 avril 1665. Elle fit profession le 15 mai 1666. Elle sera prieure en mars 1685 du second monastère de Paris, rue Saint Louis, où elle mourra en 1709, après 24 ans de priorat.

228 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 229.

[A LA MÊME]

mars 1665

771'

écus immolé sur nos autels soit la force et l'amour de cette chère enfant qui brûle de désir de s'immoler soi-meure à sa pure gloire, mais qui souffre de cruels combats de toutes parts ! Il faut se résoudre

d'avoir des assauts violents que le démon et l'amour propre ne manque-

ront pas de susciter; j'ajoute à ces deux ennemis un troisième qui est le raisonnement humain de l'esprit, qui fait pour le moins autant de rava-

ges que les deux autres, et ce d'autant plus fort adroitement qu'il paraît

juste et raisonnable. Je vois en esprit ce coeur au milieu de ces combats, ne sachant quelquefois à quoi se déterminer. D'un côté, elle se sent

attirée à la solitude et à la séparation du monde pour conserver une vie

innocente et agréable à Dieu, ne voyant pas les moyens de faire saintement dans le monde ce que l'on fait dans la vie religieuse ; de l'autre,

elle craint l'avenir, les scrupules, les timidités d'une conscience qui

lui reproche qu'elle a suivi son propre mouvement, qu'elle n'a ni ordre ni permission de son directeur et qu'elle s'expose à de grands incon-

vénients de peines et inquiétudes. Et à tout cela, très chère en Jésus,

je vous répondrai : Sondez votre coeur, pourquoi voulez-vous vous sacrifier dans la sainte religion si ce n'est pour vous rendre plus confor-

me à Jésus Christ, pour vous séparer plus entièrement de vous-même et pour aimer Dieu uniquement ? Sur cela, j'ai à vous dire une chose, c'est que vous devez former solidement le dessein que vous avez pour la Religion.

Premièrement, pour suivre l'attrait de la grâce de Notre Seigneur-en vous qui vous y appelle.

Secondement, pour y vivre dans l'obéissance perpétuelle où jamais votre volonté ne doit trouver de place et où le sacrifice perpétuel sera votre pain quotidien ; que même il ne vous sera pas permis de

faire les bonnes choses à votre mode, mais à la manière qu'elles se pratiquent par les Règles et Constitutions ; que vous serez bornée en tous vos désirs ; que vous ne ferez rien moins que ce que vous aurez

inclination de faire ; et comme Notre Seigneur n'a jamais fait sa volonté sur terre, de même vous ne ferez pas la vôtre en Religion.

Que ce divin Sauveur ayant pratiqué une obéissance éternelle, je veux dire jusqu'à la mort de la Croix et sur l'autel où il continue son obéissance, de même, dans notre Institut, il faut vivre et mourir dans l'obéissance sans jamais discontinuer d'obéir.

Ayant donc examiné ce que votre âme cherche dans le monastère, et trouvant qu'elle ne prétend autre chose que de suivre Jésus son divin Maître et son aimable époux sur le calvaire, elle n'a rien à craindre pour le reste. Courage donc, allez où Notre Seigneur vous appelle, soyez contente et généreuse pour lui. Priez-le qu'il conduise vos pas.

Entrez pour vivre et mourir avec lui. Je consens que l'on vous donne le saint habit le jour de Pâques, si vous persévérez, afin que vous entriez avec Jésus Christ en sa vie nouvelle et que, comme dit saint Paul, vous ne cherchiez plus rien sur la terre. Que le monde et les créatures soient demeurés dans le tombeau et vous que vous entriez dans la vie ressuscitée du Fils de Dieu, où l'âme ne goûte plus rien de la terre, devenant impassible à tout ce qui est de la nature et des sens, passant ensuite dans les autres dots de gloire, mystérieusement, dès cette vie, pour entrer dans une jouissance éternelle de Dieu présent.

A Dieu, c'est le bonheur que je vous désire. Je suis en lui toute à vous.

[T5 ajoute : Faites-moi savoir si vous êtes dans la pensée de faire

votre sacrifice le Jeudi Saint, afin que je vous serve. n- 1536 Ms:C405

A LA SOEUR M. DE SAINT-FRANCOIS DE PAULE 'CHARBONNIER'

Avril 1665

no 'est donc tout de bon que vous êtes revêtue de l'habit des victimes de Jésus au divin Sacrement de l'autel. C'est donc maintenant que vous devez marcher en « nouveauté de vie » et que rien de la terre ne doit plus avoir d'empire sur vous. C'est à présent que vous pouvez dire : « Je ne suis plus du monde », je n'ai plus rien du monde, et n'attends plus rien au monde ; le monde m'est excommunié, je n'ai plus de part avec lui ; désormais ma conversation sera avec les anges et avec les victimes de Jésus. Oh ! que vous serez heureuse si vous vous séparez effectivement des créatures ! Que vous serez heureuse si vous v ivez de la vie de Jésus !

Est-il pas juste que, comme il a quitté en une manière le sein de son Père pour venir dans le mystère eucharistique pour l'amour de vous et. pour demeurer par son amour infini «USQUE AD CONSOMMATIONEM SAECU LI », que vous quittiez le sein de votre mère, les tendresse de messieurs vos parents, pour vous retirer aux pieds des saints autels, où Jésus fait sa résidence, et y demeurer avec lui ? Oh ! que nos coeurs sont durs au regard de l'amour si tendre et si ardent de ce divin Sauveur pour nous ! Considérez souvent, ma très chère fille, les bontés ineffables de cet aimable époux qui se captive sous les espèces et se tient renfermé dans les tabernacles pour l'amour de vous. On s'estime heureux de demeurer chez les monarques de la terre. Hélas ! qu'est-ce de leur grandeur sinon vanité et affliction d'esprit, comme nous l'apprenons du plus grand roi qui ait été jamais sur la terre : Salomon. Mais quel bonheur de demeurer chez Dieu, d'être logé sous un même toit, de

230 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 231

n'avoir qu'une même maison ! Pouvant dire que vous demeurez avec Dieu, n'est-ce pas un bonheur extrême ? Je vous conjure de le bien estimer. David ne demandait point à Dieu de plus grande fortune, et il aimait mieux être le plus abject de tous les hommes du monde dans la maison de Dieu que d'être le plus grand de tous dans la demeure des pécheurs, qui est le monde.

Aimez l'honneur que Dieu vous fait. Conservez-vous en sa grâce par une fidélité inviolable, sans gêne ni contrainte d'esprit, mais avec une sainte liberté de coeur. Ne cherchez et ne désirez que Dieu, ne demandez que Dieu. ne préférez rien à Dieu. Que votre coeur n'aime que lui, en lui, et pour lui, et vous aurez une paix continuelle. Mais sachez que les sens ne nous font point trouver Dieu ni le posséder véritablement, mais bien la foi et la pureté du coeur. C'est pourquoi ne vous mettez nullement en peine quand les douceurs et les lumières intérieures viennent à manquer ; il faut aimer d'un amour plus fort. Une victime doit aimer Dieu du pur amour, puisqu'elle ne vit que pour être égorgée et immolée à son Dieu. Soyez indifférente à tous états, mais ne sortez jamais de la confiance et abandon de tout vous-même à Jésus. Adieu ; j'ai une grande joie des miséricordes que vous recevez de Notre Seigneur, priez-le pour moi et me croyez en lui toute à vous.

nii 187 Ms : C405

A LA MÈRE BERNARDINE DE LA CONCEPTION I GROMAIRE I Prieure à Toul

1 1 avril 1665

e ne vous fait qu'un petit mot aujourd'hui, ma chère Mère, ayant ç-e été la matinée obligée à une action de réparation que nous avons faite pour un accident funeste, arrivé hier la nuit dans l'église des Religieuses de la Congrégation de Notre-Dame (1) du Chasse-Midy, où on déroba, entre une et deux heures après minuit, le saint ciboire et, par providence, les saintes hosties jetées sur l'autel, ce qui a causé une sensible affliction à ces pauvres religieuses et à nous aussi. Or, comme la muraille d'entre elles et nous est tombée depuis quelques jours, nous avons cru que nous devions aller rendre hommage au Très Saint Sacrement

(I) Anne Marguerite de Rohan, abbesse de la Trinité de Caen, à la mort de Madame de Budos, échangea sa charge en 1664 pour l'abbatiat de Malnoue. Son oeuvre principale fut le rachat de la maison des Augustines de Laon. rue du Cherche-Midi (anciennement Chasse-Midy), à l'intersection de la rue d'Assas. Elle leur donna la règle de Saint Benoit. Leurs Constitutions furent approuvées par Dom Claude Bretagne, au titre de Prieur de Saint-Germain-des-Prés et de Grand Vicaire de Monseigneur François de Harlay de Champvallon. En 1687, elles furent éditées chez Jean-Baptiste Coignard, rue Saint-Jacques.

dans leur maison ; c'est pourquoi nous y sommes allées toutes en procession, ce matin, après la basse messe.

L'ordre y a été fort bien observé et voici comment : celle qui portait la croix marchait la première avec les deux acolytes; toute la communauté suivait, deux à deux, et chacune la corde au col et la torche en main. Nous étions la dernière, portant sous une grande écharpe un saint ciboire sans hosties, et à côté de. nous Madame la Comtesse [de Châteauvieux] et la N., la corde au col comme les autres et nous de même, tenant ce sacré vase où le Très Saint Sacrement devait être logé. Les bonnes Mères du Chasse-Midy apercevant la sortie de notre procession, elles ont commencé à sonner leur cloche et, en même temps, se sont mises aussi en ordre de procession et sont venues à la rencontre pour nous recevoir. • Ayant approché, elles se sont retirées de part et d'autre se rangeant en haie pour nous laisser passer, et puis elles se sont jointes à notre procession. Entrant dans leur choeur, nous avons fini le « miserere » que nous chantions par le chemin et, nous jetant toutes à genoux, nous avons chanté : « Domine non secundum peccata nostra... » Ensuite nous avons chanté une antienne au Très Saint Sacrement et une à la très sainte Vierge, et moi, entrant au choeur, la supérieure m'ayant prise par la main pour me conduire à un siège d'honneur qui était préparé, je lui ai mis entre les mains le sacré ciboire que je lui portais, et l'ayant pris avec la grande écharpe, l'a porté sur la grille. Et le confesseur, revêtu du surplis, est venu le prendre dévotement et y a mis les saintes hosties, et toute notre compagnie ayant fini l'antienne de la sacrée Mère de Dieu, nous nous sommes prosternées contre terre avec nos flambeaux allumés entre les mains et la corde au col. Le rideau de la grille étant levé, tout le peuple qui s'est trouvé dans l'église et les bonnes religieuses du Chasse-Midy se sont mis à pleurer, à sangloter fondament. Entre autres, un monsieur de qualité qui s'y est trouvé a tant pleuré qu'il n'en pouvait revenir. Il ne s'est pas contenté d'éclater en gémissements, il est venu à notre « tour » achever de verser ses larmes et nous dire qu'il aurait mieux aime perdre un royaume que de ne s'être pas trouvé à cette action, et qu'elle serait la cause de sa conversion, qu'il allait se donner à Dieu de toutes ses forces, et plusieurs autres choses fort touchantes qu'il a dites à nos soeurs, se noyant dans ses larmes et entrecoupant ses paroles de sanglots.

Revenant à notre procession, j'achèverai en disant qu'après avoir demeuré toutes prosternées l'espace d'un demi-quart d'heure, nous nous sommes relevées et avons chanté : «Pange lingua». Et à la fin, le prêtre, ayant dit l'oraison du Très Saint Sacrement, nous a donné la bénédiction du Très Saint Sacrement. Après un petit de temps, nous avons commencé le «miserére» et, après en avoir chanté trois versets, la croix ayant marché, nous sommes toutes revenues processionnellement en chantant et les bonnes mères nous ont reconduites de même jusqu'à la brèche.

232 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 233

Voilà, ma chère Mère, remploi de notre matinée qui nous a ravi le temps de pouvoir écrire comme je le souhaitais à nos chères soeurs. Il semble que Notre Seigneur ait, par une providence particulière, permis la rupture de nos murailles pour nous donner moyen de lui aller rendre nos adorations au lieu où il a été profané. Nous en avons été si touchées que nous n'en pouvions revenir, mais, à présent, en suis consolée car je vois que Notre Seigneur tire sa gloire du péché même. Il en soit à jamais béni !

no 1265 Ms : CrC

A LA MÉME

15 avril 1665

e ne puis mieux commencer ma lettre que par les sacrées paroles e—P de Jésus « Pax vobis », la paix de Jésus soit en vous, règne en vous et demeure éternellement avec vous !

C'est cette paix que Jésus donne à ses disciples et qui est la marque ou un effet de sa glorieuse résurrection. Quand Jésus donne sa paix à une âme, il lui donne son Esprit, il lui donne son amour ; c'est une grâce merveilleuse d'avoir cette paix qui calme le trouble de nos intérieurs, qui chasse les craintes, qui tient l'âme dans un simple et amoureux abandon à l'opération divine. Oh ! que cette paix est précieuse, ma toute chère ! Je vous la désire du plus intime de mon coeur et prie Notre Seigneur de la mettre pour toujours au milieu de votre coeur. Que cette paix soit dominante sur tout vous-même, en sorte que votre âme soit environnée et soutenue de cette paix divine, que rien de la terre ni de l'enfer même ne vous la puisse ôter. Et qu'en tout et partout, vous portiez la paix de Jésus, c'est ce que je vous souhaite, ma toute chère Mère. C'est la bonne portion que Notre Seigneur nous donne dans le mystère de sa vie ressuscitée. Il faut la recevoir avec respect et le supplier qu'il la rende immuable par sa vertu divine.

Et qu'est-ce que cette paix, sinon la présence de Jésus et sa demeure dans nos coeurs ? C'est pourquoi le Saint Esprit réside au milieu de la paix, le prophète nous l'assure : « In pace locus ejus ». Et si nous l'avons, le Saint Esprit nous enverra le divin amour. O la grande et adorable possession ! Priez Notre Seigneur, ma toute chère, qu'il nous donne sa paix ; mais que dis-je, nous la donne, mais qu'il nous fasse la grâce de recevoir la sainte paix avec toutes ses suites et ses sacrés effets, afin que nous soyons en vérité les enfants de Dieu qui sont mus et animés de son même Esprit.

no 1120 : Cr C A UNE RELIGIEUSE DE MONTMARTRE

avril 1665

e suis, ma toute chère Mère, dans une très grande impatience

d'apprendre de vos nouvelles. Je vous les demande instamment dans l'appréhension où je suis que l'affliction que Dieu vous a donnée en la mort de Madame votre chère soeur n'ait intéressé notablement votre santé. Tirez-moi de peine, je vous en supplie, et croyez que vous m'êtes tous les jours plus intime devant Notre Seigneur. Je ne sais ce qu'il veut de moi pour vous, mais votre âme est bien mêlée avec la mienne. J'ai honte à vous dire cela, étant ce que je suis, mais vous le voulez bien souffrir par une humilité très profonde. Je ne vous en dis pas davantage. Je voudrais que vous vissiez mon pauvre coeur, qui est plus à vous qu'à moi-même. A Dieu, Caton vous dira de nos nouvelles, et comme nous sommes dans la douleur d'un accident arrivé cette nuit aux religieuses du Chasse-Midi, nos voisines. On a volé le saint ciboire et, par miséricorde, ils ont renversé sur l'autel les saintes hosties. J'en suis demeurée si transie que je n'en suis pas encore bien revenue.

Toute notre communauté vous aime furieusement et me sollicite de vous prier de venir avec nous. Soyez assurée que la pauvre petite Maison du Saint Sacrement est toute à vous, mais si certainement que Montmartre n'est pas plus à vous que cette pauvre petite retraite. Priez Notre Seigneur qu'il s'y glorifie ; ses bénédictions augmentent dans la petite communauté de jour en jour. J'avoue que j'en suis admirée, [dans l'admiration ]. Si je n'y fais obstacle, tout ira en bénédiction.

Ils font merveille à Toul. Les réparations publiques se sont faites

cette Semaine Sainte par les personnes de qualité. Les dames et demoiselles s'y sont rendues exactement au nombre de cinq à chaque heure du jour, à la vue de tout le monde, la corde au col et la torche à la main. On n'a jamais rien vu de si touchant. Tout le monde fondait en larmes. Mademoiselle Charbonnier y a pris le saint Habit lundi dernier on la nomme : Marie-Françoise-Angélique (1). Priez Dieu pour sa persévérance ; c'est un excellent sujet selon que notre chère Mère me mande (2), elle vous fait mille embrassements.

A Dieu encore une fois ; je vous conjure de me faire savoir si vous avez besoin de quelque chose. Nous vous tenons comme Fille du Saint Sacrement et, par conséquent, notre très chère et intime.

Ce Vendredi, octave de Pâques 1665.

no 1470 Ms : N254

( 1) Elle figure sur les registres de vêture et profession du monastère de Toul (actuellement aux archives du monastère de Bayeux) sous le nom de Soeur Marie dé Saint-François de Paule.

(2) Mère Bernardine de la Conception, bien connue des religieuses de Montmartre où elle a séjourné de décembre 1641 à décembre 1642, cf. C. de Bar. Documents, 1973, p. 38 et 64.

234 CATHERINE DE BAR

LETTRES INÉDITES 235

A UNE RELIGIEUSE DE TOUL (I)

[1665 date probable I

IL. 'on voit manifestement la main de Dieu qui soutient son oeuvre. Li Nous n'attendions point de si favorables nouvelles que celles que vous avez eu la bonté de nous mander ; il en faut bien louer et remercier Notre Seigneur. Hélas ! n'étaient mes infidélités, sa bonté ferait bien d'autres choses encore plus importantes à sa gloire dans notre Saint Institut. Mais je lui suis si opposée, que je l'obligerai à le priver de très grandes grâces. C'est pourquoi je recevrai la mort de bon coeur pour n'être plus opposée à la sanctification d'une si bonne oeuvre. Priez Dieu qu'il ne me considère pas, et qu'il ne retire pas sa bénite main de dessus cette maison qui me serait un sujet de tentation, si je voulais y approfondir mes pensées.

Elevez les âmes dans l'abnégation d'elles-mêmes, et de bonne heure qu'elles renoncent à leur propre jugement etc... Recommandez le tout à la très sainte Vierge, et la priez qu'elle remercie son Fils du bon secours qu'elle vous a donné dans le temps le plus contraire, et où les hommes étaient plus secrètement opposés à nos prétentions. Mon Dieu, que tous ces événements favorables de la divine Providence nous doivent bien attacher à Dieu êt -tout espérer de sa pure miséricorde ! Vous voyez comme il fait tout, et que nous n'avons qu'à nous confier et abandonner à son aimable protection. JESUS EST LE ROY ET LE SOUVERAIN DES FILLES DU SAINT SACREMENT. 11 sait bien que je n'ai aucun pouvoir au Ciel ni en la terre et que toute mon attente est en Lui et à sa très sainte Mère. Nonobstant nos infidélités, ayons toujours recours à lui par dessus tout ; « NISI DOMINUS EDIFICAVERIT DOMIN U M (2) » etc... S'il ne le fait, rien ne se peut faire.

no 2148 Ms : N267

(1) Mère Anne de Sainte Madeleine. maîtresse des novices.

(2) Ps 126,1.

A LA M ÈRE BERNARDINE DE LA CONCEPTION IGROMAIRE 1

Prieure à Toul

16 mai 1665

Ma très chère Mère,

e vous fais ces mots dans ma solitude où j'entrai hier. Il me semble que je suis dans un autre monde d'être un peu en solitude ; j'en avais un extrême besoin. Je prie Notre Seigneur qu'il vous fasse la

grâce de son Ascension et nous donne son Saint Esprit : c'est ce que je veux demander tous les jours. J'ai commencé ma solitude par l'action de grâces, me sentant reprocher de l'ingratitude avec laquelle j'ai vécu toute ma vie sans reconnaître les bontés de mon Dieu, mais singulièrement sa patience divine qui m'a soutenue et soufferte depuis tant d'années que j'ai consommées dans le péché. Et son aimable bonté a fait la sourde oreille, ne voulant pas entendre les cris de sa justice qui demandait qu'il m'abîmât dans les enfers. Je m'en sens si obligée à la patience et à la charité de Jésus mon Sauveur, que je suis résolue de passer cette retraite en action de grâces de tous les bienfaits de Dieu, tant de ceux que je sais que- de ceux que je ne connais pas et dont il me gratifie tous les jours. Oh ! combien de fois les démons nous feraient-ils tomber en mille désordres, si cette ineffable bonté n'arrêtait le cours de leurs malices sur nous ! Je vous prie, ma très chère Mère, que l'action de grâces soit aussi l'occupation de votre esprit. Combien en est-il de malheureux qui n'ont pas tant offensé Dieu que moi ! Cependant il les laisse misérables dans l'erreur et dans d'effroyables calamités. O mon Dieu, que de miséricorde en Jésus pour nous ! Pourquoi être conservé pendant que les autres périssent. Je vous prie encore une fois de vous occuper des bontés de Dieu sur votre âme, afin que nous y fassions en ce même temps une même action de grâces, et que votre âme reçoive de nouvelles forces en la vue de tant de bienfaits que nous avons reçus toute notre vie, et que nous ne mourions pas dans 1 'ingratitude.

Voilà déjà une petite saillie de ma retraite mais, si vous le voulez bien, je continuerai, quand je vous écrirai, à me divertir un peu avec vous.

no 1750 Ms : Cr C

A LA MÊME

20 mai 1665

Jésus soit votre force, votre vie et votre consommation ! Ma chère Mère,

"'Te le prie qu'il vous unifie par les dons de ce Saint Esprit que je Le désire au fond de votre coeur comme je le voudrais pour moi. Si nous avions cet esprit d'amour, cet esprit de paix, cet esprit de force et de sapience, nous serions avantageusement partagées. Je le demande pour vous, mon unique Mère, de toute la capacité de mon coeur qui est tout compatissant au vôtre. La visite s'est passée fort doucement et tout est en calme le plus grand du monde. Pour moi, je suis dans la soli-

236 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 237

tude que je goûte plus intimement que je n'ai fait depuis longtemps. Il me semble que j'en suis déjà quasi sortie. Je n'ai plus que, trois ou quatre jours qui s'écouleront comme le vent et, après cela, il faudra retourner au tracas. Dieu soit béni ! Il me semble qu'il me fait beaucoup de miséricordes quand il conserve le fond dans la paix. Pourvu qu'il ne permette point que je l'offense ! Il n'a du reste qu'à faire comme il lui plaira. C'est de bon coeur que je le veux dire. Nous devons croire par la foi qu'il nous aime comme ses enfants et c'est une vérité infaillible ; donc, nous devons nous reposer en ses soins et en sa maternelle bonté. Oh ! qu'une demi-once de foi nous ferait grand bien et nous délivrerait de plusieurs peines, ayant une entière confiance en lui! Il veut cela de nous, et cela d'autant plus que c'est par sa pure bonté qu'il nous fait grâce et miséricorde et non par nos mérites. J'aime mieux qu'il me sauve par sa charité et bonté divine que par mes oeuvres. C'est un souverain bonheur de relever de cette essentielle bonté et de se voir lui être redevable de toutes choses. Mon Dieu, ma toute chère Mère, tenons nous-y fortement attachées; jamais la justice divine ne nous en arrachera, c'est un vrai et assuré moyen de nous en délivrer.

no 982 Ms : N267

A LA MÊME

23 mai 1665

err e prie l'Esprit de vérité éternelle, le divin Paraclet que Jésus nous

a promis et qui viendra demain renouveler dans l'Eglise la descente qu'il fit autrefois sur les apôtres, qu'il nous éclaire de ses lumières et nous brûle de son feu. Et je le prie encore qu'il orne votre âme de ses dons divins pour faire et soutenir toutes choses dans l'ordre de la volonté de Dieu. Je ne vous écris que très peu aujourd'hui étant la veille de la Pentecôte et le dernier jour de ma chère solitude que je quitte avec quelque sorte de regret, d'autant que le tracas des affaires est un poids à mon esprit, qui s'y plonge de telle sorte qu'il en devient stupide pour Dieu. J'ai bien besoin de vos saintes prières pour vivre de son Esprit et avec les soumissions que je dois à ses saintes volontés.

1.1 faut marcher par les ténèbres et les obscurités quand il faut faire ce que Dieu veut. C'est en vérité être victime, car il y a bien à soutenir, et le plus fort est le poids de l'intérieur qui est souvent crucifié et dans des dispositions qui donneraient beaucoup d'inquiétudes si l'on ne s'abandonnait. Je trouve que c'est ce que nous devons faire au-dessus de toutes choses, c'est-à-dire de nos vues, de nos sentiments et même de notre éternité qui est la chose la plus rude à sacrifier. Or que Dieu fasse donc en nous et de nous selon son bon plaisir ; il n'y a plus rien à dire puisque nous sommes les ouvrages de ses mains, et qu'il a droit de faire de nous tout ce qu'il voudra sans que nous puissions y trouver à redire. Tâchons de vouloir ce qu'il veut, même d'adorer et d'accepter ses conduites secrètes et ses desseins sur nous. Ne sortons jamais de cette disposition quelques vues que nous puissions avoir de nos misères et de notre perte. Laissons le soin de notre éternité à Jésus Christ, et tâchons de le faire honorer sur la terre et de lui rendre nos hommages et nos adorations pour chétives qu'elles soient, sans retour sur nous non plus que sur l'enfer, d'autant que nos retours ne sont que pour nous affliger et nous tirer de notre saint abandon, qui donne plus de gloire à Dieu, dans notre pauvreté, que dans toutes nos réflexions, douleurs et tristesses, qui, sous de beaux prétextes, nous tirent de la confiance aux mérites de Jésus Christ, de sa charité divine. Je vous prie, ma toute chère Mère, observons ceci et nous trouverons le repos et la paix du Saint Esprit.

no 1313 Ms : N267

A LA MÊME

2 juin 1665

`.""re devance le temps, prévoyant bien que je n'aurai pas le loisir de Le vous dire deux mots sur les vôtres du 27ème du mois passé, par laquelle je vois le peu de confiance que vous avez à ce que je vous promets de la part de Notre Seigneur. Je ne puis que je ne vous le réitère, et vous proteste que ce n'est point pour vous consoler ce que je vous en écris, mais pour aider à vous délivrer d'une tentation que je sens que vous portez en fond, jusque dans la moelle de vos os, et qui vous serre le coeur et empêche la dilatation vers Dieu, et que vous goûtiez ses infinies bontés.

Je puis vous dire, ma très chère Mère, que vous offensez plus Notre Seigneur par le peu de confiance que vous avez en sa charité divine sur votre âme que par tous les plus grands crimes que vous puissiez commettre. Il ne peut souffrir que vous blessiez son amour. Je vous conjure de porter croyance à ce que je vous dis. Cette crainte que vous avez, et ce fond imprimé de la justice de Dieu sur vous, ne portent point de bons effets dans votre âme. Notre Seigneur veut que vous le regardiez dans ses bontés infinies sur vous, non selon ce que vous sentez en vous-même ; vous diminueriez cette adorable bonté qui est un attribut divin. Mais élevant votre foi, confiez-vous en elle, par elle-même, sans envisager ce que vous êtes et ce que vous méritez d'être. Voilà le moyen de vivre comme Jésus veut et de recevoir les effets de sa miséricorde dans la pureté de son Esprit. Autrement vous donneriez des bornes à sa bonté et la mesureriez selon le bien ou le mal que vous

238 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 239

sentez en vous-même. Or Dieu n'est pas bon parce que nous sommes bonnes ou que nous avons de bonnes dispositions, mais il est bon par essence, il est bon par lui-même. Sa gloire et sa félicité sont d'être bon, notamment envers les pécheurs. C'est pour eux que Jésus est venu sur la terre et point pour les justes. Voilà des effets infaillibles de cette divine bonté, à laquelle nous devons avoir d'autant plus de confiance qu'il n'a rien considéré, après la gloire de son Père, que le salut des pécheurs. Je vous conjure de vous jeter à corps perdu dans cet abîme de bonté, et vous y perdez sans jamais vous réfléchir volontairement sur vous-même, ni sur les misères de la vie passée. Dieu nous donne selon notre foi, qu'est-que cela veut dire, sinon qu'il nous exauce selon la confiance que nous avons à sa bonté ? Il ne demande que cela des pécheurs. Pour le reste il y a fourni par son sang et par ses mérites.

Nous voyons dans le saint Evangile que le Fils de Dieu, voulant guérir un lépreux, un hydropique, un aveugle, il ne leur disait autre chose : « QU'IL TE SOIT FAIT SELON TA FOI », c'est à dire selon ta confiance. Ayez, ma très chère Mère, cette amoureuse confiance, c'est la seule chose qui manque à votre intérieur, et qui vous donnera une sainte vigueur d'esprit et chassera la crainte excessive et mercenaire et la timidité et défiance de vous-même, qui est bonne quand elle n'est pas dans l'extrémité où est la vôtre. Voilà vous dire ce que vous n'ignorez pas. Je suis pressée intérieurement de vous le redire encore, et ne sens point en vous rien qui contrarie le Saint-Esprit que cela ; et si vous tâchez de vous en retirer, vous verrez la plénitude de bénédiction qui vous sera donnée. Tout ce que vous voyez en vous qui vous touche et qui vous rend criminelle dans votre pensée n'est rien. Il n'y a que ce seul point qui s'oppose à l'amour de Dieu. Je vous conjure par son Sang adorable de vous persuader de cette vérité que je reçus hier à la sainte Communion pour vous. La seule confiance en Dieu est votre nécessaire et la pièce principale de votre intérieur. Négligez tout le reste pour avoir de celle-ci, avec laquelle je vous promets plus de bien et de grâce que vous n'oseriez penser, et croyez que je ne vous trompe point, ni ne vous flatte point. Je vous le dis avec la même force et sincérité que je voudrais vous le dire si j'étais au moment de la mort. Encore une fois mettez la confiance à la place de la crainte et Dieu sera content de vous. Mais vous n'aurez point de vrai repos en ce monde avec lui si vous ne faites cela. Il le veut absolument de vous et que vous vous confessiez quand vous aurez, par réflexion sur vos misères, manqué à cette amoureuse confiance.

n0968 Ms : N 267

A LA RÉ VÉ RENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION DE BRÊME I Prieure de Rambervillers

2ème de juin 1665

Loué soit à jamais la Très Saint Sacrement de l'autel ! Ma Révérende et ma plus chère Mère,

e m'est une rude mortification d'être toujours dans la captivité

de nos affaires, d'autant qu'elles me privent de la douce consolation de vous pouvoir entretenir comme mon affection le désirerait. J'espère que Notre Seigneur me fera la grâce d'en sortir cette année et que j'aurai ensuite un peu plus de loisir. En attendant je vous fais ce mot, ma très honorée et plus chère Mère, sur celle que vous m'avez fait la grâce de m'écrire, pour seulement vous assurer que je l'ai reçue comme une manne du Ciel, tant elle m'a semblé remplie d'onction, et je l'ai reçue d'autant plus cordialement qu'il y avait très longtemps que je n'en avais reçu.

Je remercie Notre Seigneur Jésus Christ dans la divine Eucharistie de toutes les bénédictions que votre chère Communauté reçoit de ce mystère d'amour : -ce sont de petites étincelles du feu qui brûle votre coeur. J'ai bien de la joie d'apprendre les faveurs extraordinaires que la chère Mère Scholastique en a reçues. Je prie Dieu qu'elles soient si avant imprimées dans le centre de son âme qu'elle ne s'en puisse jamais dédire. O le grand bonheur pour les âmes de connaître un peu Jésus Christ humilié sous l'hostie ! C'est là où il communique non seulement le trésor de ses divines grâces, mais où il se donne et se perd quasi soi-même par l'excès de son amour.

Voici un mot pour la bonne Mère Scholastique ; je vous supplie de lui donner si vous le jugez à propos, étant bien aise de lui témoigner-la part que je prends aux faveurs que Dieu lui a présentées ; je la prie de les bien recevoir. Je vous supplie que je sache si la grâce est entière ; je veux dire si elle persévère et si les actions suivent la lumière divine qu'elle témoigne avoir reçue.

Il me reste bien des choses à vous écrire, tant de nos affaires que des vôtres, vous aurez peut-être reçu une lettre du R.P. Dom de Lescale (1).

Je voudrais, si Notre Seigneur l'avait agréable, être quelques jours auprès de vous pour plusieurs raisons importantes. Je vous estime

heureuse d'avoir un si bon appui que M. l'Abbé d'Etival. Pour moi, je lui ai des obligations infinies et prétends bien les augmenter encore en plusieurs occasions qui regardent la gloire de Notre Seigneur. Je

(1) A la date du 27 août. Dom de Lescale note dans son Journalier qu'il a reçu des lettres de Mère Mectilde, Mère Bernardine, Mère Benoîte de la Passion «touchant le projet de Mons. notre Rme Abbé pour l'établissement d'une maison de leur congrégation par les deux prieures».

240 CATHERINE DE BAR

LETTRES INÉDITES 241

vous supplie de lui présenter mes respects et mes très humbles remerciements en attendant que je lui puisse rendre mes devoirs. Je finis malgré moi. Je suis en Jésus, ma très intime Mère, toute à vous par Jésus, et pour Jésus

Sr M du Saint Sacrement

Je vous assure de la bonne disposition de la Mère de Jésus [Chopineli, quoique son corps soit un peu languissant par la chaleur qu'il fait ici ; je crois qu'elle vous écrit. Je salue avec votre permission toute la sainte Communauté et me recommande à ses saintes prières ; vous voyez bien, ma toute chère Mère, que je vous écris avec précipitation; je tâcherai de réparer au premier jour.

nu 92

A LA MÈRE BERNARDINE DE LA CONCEPTION (GROMAIRE]

Prieure à Toul

7 ou 17 juin 1665

e prie Dieu qu'il vous conserve et tout votre petit troupeau que

je salue, et souhaite mille bénédictions et la consommation de la perfection à laquelle elles sont appelées. Je les prie toutes de correspondre à leur sainte vocation, se rendant dignes par leur fidélité de l'accomplissement des desseins de Dieu sur elles.

Je vous prie, ma chère Mère, que dans les lectures communès de table et autres l'on lise : «l'Homme religieux» du P. de Saint Jure (1), et «le Religieux intérieur». Je vous prie que les règles soient observées ; tenez ferme pour l'exactitude des règlements : que personne n'aille seule au parloir, que le silence soit observé, et surtout n'oubliez pas la sainte coutume de faire la visite des cellules, et qu'aucune n'ait plus de coffre, ni cassette fermant à clef -cela a été retranché à la visite-si ce n'est que la supérieure ait une clef pour les ouvrir, et que rien du tout ne lui puisse être caché. Il y aurait du péché mortel de faire autrement, étant contre le voeu de pauvreté qui défend d'avoir rien en propre ni en retenue, cela étant d'une dernière conséquence. C'est pourquoi, ma chère Mère, je vous supplie d'y tenir la main et crainte qu'il ne se glisse quelque abus, nous retractons toutes les permissions secrètes et particulières de posséder quoi que ce soit sans votre connais-

(1) Né à Metz en 1588, il entra chez les Jésuites en 1604. Il vécut sucessivement à Amiens, à Alençon, à Orléans et à Paris où il mourut en 1657. « L'homme religieux », ouvrage en 2 tomes fut édité à Paris en 1657 et 1658. Ecrivain spirituel très goûté au XVI lème siècle, l'oeuvre du Père de Saint Jure a été souvent rééditée et traduite en plusieurs langues, cf. DTC, fasc. CXXV-CXXV I I, col. 763 - 765.

sance, sachant bien que votre prudence agira en cela, comme en toute autre occasion, dans l'ordre de la charité. Et si quelqu'une était si malheureuse que de vous rien cacher, elle encourrait un péril notable de péché.

Et pour remédier à tout ce qui se pourrait glisser dans la communauté, je vous prie, ma chère Mère, que tout ce que dessus soit lu à toutes nos chères Mères et Soeurs professes, se souvenant toutes qu'elles ont fait voeu solennel à Jésus Christ d'obéissance et de pauvreté, je veux dire de n'avoir aucune propriété, pour petite qu'elle soit. L'exemple des histoires effroyables qui sont arrivées pour de pareilles choses, et peut-être moindres que ce que l'on pourrait posséder, nous doit tenir en crainte, étant de plus une chose certaine que tout ce qui est possédé à l'insu de la supérieure, ou qui l'est même avec attache et propriété, le démon en fait son siège et y repose : c'est une chose qui est à sa possession. Je prie et conjure ardemment toutes en général et chacune en particulier d'être ponctuelle à la pratique de ces choses, pour la plus grande gloire de Notre Seigneur, et pour avancer leur propre perfection et sanctification. Etant Filles de Jésus dans le Très Saint Sacrement de l'autel la pauvreté et le dégagement de ce béni Sauveur doit être la règle de la leur, la considérant en toute occasion pour s'y conformer fidèlement et généreusement comme les vraies victimes de ce sacré mystère qui renferme en soi la personne, les vertus et les états de la vie, les grandeurs aussi bien que les anéantissements du Fils unique de Dieu. Je les prie toutes de prendre en bonne part les avis que je leur donne par vous, ma chère Mère, et qu'elles soient persuadées que je les aime tendrement et que je veux leur perfection et leur sainteté comme la mienne propre, comme une bonne mère qui ne

respire qu'après la bonne et riche fortune de ses enfants.

Qu'elles s'encouragent l'une' l'autre à la pratique des règles et constitutions, et surtout à la charité et l'union. Que jamais une soeur ne dise un mot qu'elle pensera pouvoir *donner peine à une autre. Qu'elles se regardent toutes comme membres de Jésus, s'honorant et chérissant les unes les autres. Et se rendant de même les devoirs de charité et les témoignages d'une société toute sainte, qu'elles se considèrent comme les plantes d'un institut naissant, qui doit donner au Fils de Dieu plus de gloire et de complaisance que tous les autres, puisqu'elles sont vouées et consacrées immédiatement à ses intérêts et à la mort pour leur divin Maître.

Je vous supplie encore que la modestie se garde au parloir, qu'on ne s'y entretienne avec les séculiers que de choses bonnes et d'édification, que l'on soit toujours deux et jamais seule, si ce n'est aux pères et mères ou pour traiter de la conscience. Je finis ce petit entretien cordial après m'être recommandée à vos saintes prières et vous assurer que je suis toute vôtre.

no 1305 Ms : Cr C

242 CATHERINE DE BAR

A SOEUR MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE ICHARBONNIERI

17 juin 1665

QIa pauvre enfant, ne croyez-vous point que je vous oublie intérieu-

rement puisque je suis si longtemps sans vous écrire. Soyez assurée que non et que vous êtes au milieu de mon coeur, où je vous rends à celui duquel vous êtes la chère victime. Je vous vois dans la douleur et dans l'angoisse ; votre pauvre coeur est souvent bien oppressé et l'esprit à demi accablé. Mais qu'il tâche de 'se relever et de prendre courage, se soumettant aux conduites secrètes de Dieu. Adorez-les, très chère enfant, et vous y abandonnez ; le démon fait ce qu'il peut pour vous troubler, et Dieu se sert de votre peine pour vous purifier. Ne vous étonnez pas de vos dispositions ; ayez courage, vous n'êtes plus à vous ; laissez-vous toute, sans réserve, à Jésus qui vous unit à sa croix et à sa mort et vous fait entrer dans son sacrifice. C'est lui, chère enfant, qui vous crucifie, c'est son amour, c'est sa sainteté. O ma très chère, aimez Jésus en tous les états qu'il lui plait de vous mettre ; suivez-le partout ; adhérez à ses desseins ; laissez-le faire ; mourez doucement afin d'entrer dans sa vie. Tout ira bien si vous vous laissez à lui. Relevez souvent votre coeur et dites à ce bon Seigneur que votre complaisance est de lui complaire à sa mode et aux dépens de votre propre perfection. Voilà ce que je vous puis dire én passant. Soyez généreusement fidèle en tous vos exercices ; vivez pour Jésus et non pour vous ; que rien n'ébranle votre constance, mais que dans toutes vos dispositions vous puissiez dire « Quid enim mihi est in coelo et a te quid volui super terram » (1) ; rien que Dieu seul.

Je vous laisse donc toute à lui et le prie de m'y renfermer avec vous. Ecrivez-moi cordialement, et me dites tout ce que vous voudrez sans réflexion. Je suis plus à vous que vous-même. A Dieu je salue cordialement votre chère Mère Maîtresse et toute la petite compagnie qui m'est chère en Jésus.

no 2222 Ms: D43

(I) Ps73,25. , ..,n et, 1.3'-"W

J

LETTRES INÉDITES 243

A LA RÉVÉRENDE MÈRE FfENOITE DE LA PASSION IDE BRÊME) Prieure de Rambervillers

7 juillet 1665

Loué soit à jamais le Très Saint Sacrement de l'autel ! Ma très Révérende et toute chère Mère,

e prends ce petit moment comme à la dérobée pour vous rendre

les humbles devoirs que je vous dois de soumission et de respect, puisque la divine et toute aimable Providence vous a continuée dans la charge de très digne Prieure de la chère Maison de Rambervillers. J'entre dans la joie de la Communauté qui ne poùvait faire un choix plus à la gloire de Notre Seigneur, mais cependant je vous compatis, sachant bien que ce joug est toujours fort pénible et difficile à supporter. Je prie Dieu vous y combler de nouvelles grâces et de nouvelles forces. Il me semble que ces sortes d'événements sont toujours surprenants et crucifient profondément, quoique le fond de l'âme soit totalement soumis aux ordres de la volonté divine. On soupirerait après la solitude et l'éloignement des créatures pour posséder les miséricordes que Dieu présente à l'âme ; mais il faut mourir à tout et demeurer, comme saint Jean Baptiste, dans le ministère où la main de Dieu nous a mis. Priez-le, ma très chère Mère, qu'il me fasse faire sa très sainte volonté.

Enfin la bonne Mère de Sainte Madelaine est présentement à Toul avec notre très chère Mère Sous-Prieure [Bernardine de la Conception qui a été malade périlleusement. Sa santé ne revient point comme il serait à désirer pour le bien de cette nouvelle Maison et pour le soutien de celle-ci ; nous avons besoin que Dieu nous la conserve pour sa gloire. Je me résous de la faire retourner avec nous avant l'hiver ; si vous avez besoin de sa présence avant son départ, vous pouvez, ma très chère Mère, la prier de vous aller voir si santé lui permet. Je sais qu'elle a pour vous une affection très sincère et qu'elle aime la Maison ; je serais bien aise qu'elle vous vît avant son retour, si cela vous est utile.

Au reste, j'ai une joie sensible d'apprendre les grâces et bénédictions que Notre Seigneur départ à toute votre sainte Communauté par l'entremise de Monsieur d'Etival. J'en remercie Dieu de tout mon coeur, et ce digne Prélat qui a une charité si ardente qu'il gagne tous les coeurs à Jésus Christ. Ce vous est, ma toute chère Mère, une singulière consolation d'avoir Un tel directeur, qui est si saintement animé de l'esprit de Jésus Christ et qui fait tant de bien à toutes nos' très chères Mères et Soeurs. Voilà un secours suffisant pour devenir de grandes saintes. C'est un trésor que la divine Providence nous a donné. Je prie Dieu qu'il le conserve pour vous et pour nous. Je vous supplie me

244 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 245

recommander à ses saintes prières, en lui présentant mes très humbles respects. Nos Mères de Toul m'ont mandé que nous aurions l'honneur de le voir bientôt à Paris ; si cela arrive, ce sera pour nous un surcroît de bonheur. Je me réjouis dans cette chère espérance. Je ne puis assez admirer les merveilleux effets que Dieu fait dans votre sainte Communauté par son ministère ; nous en apprendrons des nouvelles par lui-même si nous avons l'honneur de le voir.

Il faut encore vous dire un mot de la Mère Marie de Jésus [Chopinel I qui se porte autant bien intérieurement qu'on le peut souhaiter. Son corps se consomme dans les souffrances qui ne la quittent pas entièrement, mais elle les souffre angéliquement. Nous sommes seules ici de notre bande ; nous parlons souvent de votre chère personne et de la chère Maison de Rambervillers, que nous aimons toujours. Nous espérons elle et moi d'y aller encore avant que de mourir ; ce sera avec grande joie quand il plaira à Notre Seigneur. Je suis en lui, ma plus chère Mère, votre très indigne fille

Sr M du St Sacrement

Je vous supplie que je sache si la Mère Scholastique persévère dans sa ferveur et si les effets suivent les lumières ; je ne doute point de son progrès ni de celui de toute la communauté, puisque toutes sont sous la direction de ce digne prélat pour qui j'ai très grande vénération.

no 1293

A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL

7 juillet 1665

Mes très chères filles en Jésus,

a'est avec un extrême déplaisir que je ne puis rendre à chacune en particulier les témoignages de ma sincère affection, comme je le désirerais. Je vous fais ces mots pour vous en demander excuse et vous assurer que ce n'est pas que vous me soyez indifférentes.

Non, mes chères enfants, mon pauvre coeur est souvent au milieu de vous toutes et, quelquefois, je vous vois en langueur, les, unes malades, et d'autres un peu tristes ; enfin la souffrance de corps ou d'esprit accompagne toujours l'âme chrétienne en cette vie. Une fille du Saint Sacrement n'en sera pas exempte puisque son partage est la croix, savoir : les opprobres, les humiliations, les rebuts, les contradictions, les pertes, les soustractions, les souffrances, les tribulations, les peines, les tentations, en un mot tout ce qui crucifie, ou. tout ce que Jésus souffre tous les jours dans le Très Saint Sacrement. .

Voilà, mes très chères filles, notre héritage et nous sommes trom pée.s si nous espérons d'autres traitements. Nous ne pouvons être victime sans glaive, sans corde, sans tourments, sans douleurs et sans morts ; il faut que la consommation suive l'égorgement. Prenez donc courage, et ne dégénérez point de la précieuse qualité de fille et de victime de Jésus au Très Saint Sacrement. Remplissez votre mesure, achevez ce qui manque à la Passion de notre bon Seigneur, comme dit saint Paul. Relevez votre courage et votre confiance. Jésus souffre et meurt pour nous ; tirons notre force de ses faiblesses, et notre vie de sa mort.

Allons, mes enfants, allons à Dieu, hâtons-nous, le temps est bref, nous sommes pressées d'avancer le pas. 11 faut achever notre course et rentrer dans le Coeur de Jésus. Priez-le qu'il me fasse la grâce de me tourner toute vers lui et que de vous et de nous il ne soit fait qu'une même chose en Lui. Adieu.

no 150 Cr C

A SOEUR MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE [CHARBONNIER

1665

uand Dieu veut posséder un coeur entièrement, il sait bien trouver

les moyens de le vider et purifier de l'attache des créatures et de la propriété de nous-même. Je reconnais, mon enfant, que sa main toute-puissante opère dans le vôtre une croix perpétuelle qui se fait ressentir en diverses manières de souffrances : tantôt de ténèbres, tantôt de craintes, tantôt de frayeurs et de saisissements : d'autres fois par des assauts impétueux, quelquefois par des peines violentes, quelquefois par une mélancolie horrible et insupportable qui porte le dégoût de toutes choses jusqu'au fond de l'âme, quelquefois jusqu'au point que le corps s'en trouve malade. Cet état d'épreuve va bien plus loin. Dans les tentations Dieu permet quelquefois au démon d'attaquer fortement par des atteintes infernales, et jusqu'au point que la pauvre âme ne trouve en elle que sa perte et reprobation. De qûelque côté qu'elle se tourne, elle voit sa misère et le désespoir de son état. L'impureté la tourmente par ses impressions, par ses images détestables et par ses agitations. Le saint homme Job fut abandonné, par une conduite adorable de Dieu, au pouvoir de Satan. Il ressentit en son corps et en son âme tout ce que la créature peut soutenir de crucifiant. Mais pourquoi fut-il réduit de la sorte ? Pour deux raisons : la première, c'est qu'il représentait la personne adorable de Jésus Christ dans l'excès de ses souffrances ; et la seconde c'est pour servir d'exemple et de modèle aux âmes que le pur amour veut dévorer et consommer. Il est vrai de dire que s'il n'y avait des exemples de telles et si rigoureuses conduites dans l'Église de Dieu,

246 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 247

celles qui les souffriraient ne pourraient être convaincues que [de] telles conduites renfermassent en elles une si haute pureté et sainteté. Puisque vous m'ouvrez votre coeur, mon enfant, je vous ouvrirai aussi le mien et vous dirai, que j'ai porté, en ma vie passée, ce que vous

ressentez présentement. Mais il faut confesser à ma honte éternelle que j'y ai été très infidèle. Mais je puis vous assurer que par telle sorte de souffrance Notre Seigneur fait son oeuvre au secret de votre âme. Tâchez de demeurer immobile dans le fond de votre volonté. Je vois que sa grâce vous prévient et vous soutient fortement, quoique ce soit secrètement. Je vois manifestement la conduite de Dieu sur vous et le remercie de tout mon coeur de toutes les miséricordes dont il prévient votre âme, et de ce qu'il avance son oeuvre, en vous mettant dans le creuset de la bonne sorte, pour purifier l'amour propre qui régnait en toutes vos opérations.

J'espérais bien qu'il vous ferait un jour cette grâce, mais je ne croyais lias que ce fût si promptement, à raison de la faiblesse des sens. Vous f voyant pénétrée d'une sensibilité fort tendre pour les choses de Dieu et d'une douceur intérieure, que Dieu donne ordinairement pour attirer les âmes a son service, je croyais qu'il ne vous lierait pas si tôt à sa Croix, ne vous croyant pas assez forte. Mais je vois qu'il a pris ses mesures en lui-même, et que tout d'abord il vous traite comme son Fils, qu'il fait victime dès le moment de son Incarnation, et qu'il traite dans tous les états de sa Sainte Vie comme un étranger et banni, qui n'a ni secours, ni appuis des créatures. En un mot il le traite comme un réprouvé, comme un pécheur qui mérite les rebuts de Dieu, et de porter sur lui toute la rigueur de la divine justice. C'est en cet esprit de Jésus humilié, rejetté, et immolé à la Justice et Sainteté Divine, que notre Institut a été établi dans son Eglise, et vous porterez la grâce et la sainteté que- Dieu y a renfermé, si vous souffrez toutes vos peines quelles qu'elles soient, si vous demeurez comme Jésus et avec Jésus abandonné aux volontés de son Père.

Ne vous étonnez de rien de tout ce que vous ressentez de misérable et de malin en vous. Souffrez, mon enfant, souffrez avec Jésus, et souffrez avec saint Paul pour achever ce qui manque à la Passion de son bon Maître et le vôtre. Ne vous surprenez de rien. Laissez-vous en proie à. son plaisir, en vous défendant le plus que vous pouvez des retours sur vous-même et des tendresses que l'amour propre excite sous des prétextes excellents de salut, d'éternité, ou des craintes excessives de péché, d'être hors de la grâce, et d'être dans un état qui n'est pas de l'ordre de Dieu. Il faut être ferme et un peu dure à soi-même en ces sortes de dispositions, autrement on pleurerait toujours, et on s'accablerait par l'esprit de nature. Au nom de Jésus l'unique tout de nos coeurs, soyez fidèle au sacré abandon à la volonté de Dieu. Voilà ce que vous avez à faire, et d'être fidèle à toutes vos obligations, surtout à l'obéissance, vous laissant conduire comme un petit enfant sans aucune

défiance de la bonté de Notre Seigneur. Continuez de découvrir vos sentiments et tout ce qui se passe en vous par simplicité chrétienne, pour éviter les illusions. Dieu soit à jamais béni de vous avoir jetée en cet état ! O quelle grâce, si vous demeurez fidèle ! Vous le serez, si vous faites ce que je vous dis, qui est abandonner tous vos intérêts spirituels, éternels, temporels et corporels à Jésus Christ, le laissant conduire votre âme en la manière qu'il lui plaira, conservant une pleine et entière confiance en sa bonté.

Voilà ce que je vous puis dire, vous conjurant de croire que je suis du plus sincère de mon pauvre coeur toute à vous, puisque Dieu vous a donnée à moi. Soyez assurée qu'il m'a aussi donnée toute à vous et que vos intérêts sont les miens, et les seront à jamais.

n " 2558 N 267

1665

A LA MÊME

Jésus soit votre soutien, votre force et votre unique vie !

Soyez assurée que l'état où sa main toute-puissante vous tient est un état plein de miséricordes. Il fait dans vos peines et dans vos ténèbres une oeuvre digne de sa bonté. J'ai bien cru que Dieu ferait en vous un renversement total. Oh ! quelle grâce ! Si vous la pouviez connaître, votre âme en aurait une joie sensible ; mais cela vous est bien caché, et le sera encore quelque temps. Méprisez généreusement tous les retours de l'esprit humain, et adorez en foi ce qu'il ne peut comprendre dans la conduite de Dieu. Hélas, mon enfant, vous êtes choisie pour être victime avec Jésus et par Jésus ; votre état est pour vous seule par élection divine. Ne pensez pas que votre bonne N., si elle était religieuse, souffrirait les peines que vous souffrez. Non assurément, les grâces et les vocations intérieures sont différentes. Si vous saviez ce que Dieu fait en vous, vous chéririez vos souffrances plus qu'un empire. Vous êtes appelée à la sainteté du sacrifice et vous devez être immolée avec Jésus. Ne craignez point, il sera votre soutien ; ne vous effrayez point ; vous êtes dans sa bénite main, et rien ne vous peut nuire. Toutes ces sortes de tentations nouvelles et qui n'ont point continué aident à purifier le fond de votre âme. Vous ne saviez ce que c'était des états de Jésus Christ ni de ses souffrances intérieures : prenez courage, ne vous rebutez point, allez sur le Sacré Calvaire, ne quittez point Jésus Christ souffrant et mourant, et vous souvenez que c'est dans la souffrance que la vertu triomphe. Nous n'avons de vraie vertu qu'alitant qu'elle est exercée. Tel pense être humble qui n'a que de la superbe s'il n'est humilié ; ainsi des autres vertus. Il faut

248 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 249

toujours de la pratique et de la fidélité ; autrement c'est se nourrir de chimère et de pure imagination. Ne vous rebutez pas, vous ne faites que de commencer, vous n'avez pas encore sué le sang. O très chère, jusqu'au point faut-il mourir pour être unie à Jésus Christ. Prenez votre croix et allez généreusement sur le Calvaire, il n'y a point de saint s'il n'embrasse la Croix. C'est sur la croix que Jésus a sanctifié ses Saints, lorsqu'il souffrait en quelque manière la séparation de Dieu son Père et qu'il s'écriait DEUS, DEUS (1) etc... C'était pour lors que la sainteté divine faisait son opération sur tous les élus, en Jésus, qui en est le Chef.

n " 2741 N267

(I) Deus, Deus... quid me dereliquisti - Ps. XXI..

A LA MÈRE BENOITE DE LA PASSION I DE BRÊME 1 Prieure de Rambervillers

Paris, 17 octobre 1665

Loué soit le Très Saint Sacrement ! Ma très chère Mère,

:1>e commence ma lettre par la douleur de l'accident qui arriva le

jour de sainte Térèse à deux heures du matin à Saint-Sulpice, qui fut le vol de trois ciboires, de trois boîtes de saintes huiles et de vingt étoles. Ce qui est le plus affligeant, c'est qu'ils ont emporté les saintes hosties ou ils les ont brûlées. On les a cherchées partout, sans qu'on en ait pu trouver aucune. Les pauvres Messieurs de Saint-Sulpice sont fort affligés. Le frère de N..., l'écclésiastique, en fut pâmé trois heures entières ; il le fallut saigner sur le champ pour le faire revenir. Ce funeste accident a renouvelé la frayeur dans toutes les églises, et notamment chez nous. Je sortis hier pour visiter la cour de l'église du coté de notre sacristain pour prendre nos précautions. Mais nous ne pouvons nous renforcer de ce coté-là. Il faut veiller et se tenir sur nos gardes. Nous espérons et nous confions en la bonté de Notre Seigneur et au secours des anges, et singulièrement aux âmes du purgatoire qui sont de bonnes amies et fidèles dans les services que l'on exige d'elles. Nous vous supplions de les prier pour nous. Ces malheureux sacrilèges ont résolu, à ce que l'on dit, de n'épargner aucune église. Je prie Dieu qu'il confonde leur malheureux et détestable dessein.

On dit que, ce même jour, on a encore volé en deux autres églises, mais je n'en suis pas certaine. Nous pensions que ces horribles profanateurs avaient fini leurs malices parce que depuis quelques mois l'on

n'avait plus rien appris. Il faut craindre que cet hiver ne soit funeste et que ces effroyables accidents n'arrivent souvent à cause de la longueur des nuits. Dieu tout bon veuille avoir soin de soi-même. Hé, mon Dieu, que cette perte est épouvantable ! Un Dieu perdu entre les mains des pécheurs, brûlé et peut-être encore plus indignement outragé ! Nous avons été toutes bien touchées de ce malheur.

Ma Soeur Marie-Hostie [Hardy] se pensa noyer dans les larmes ; la douleur était dépeinte sur son visage, mais, hélas, quel remède ? Dieu seul l'y peut mettre. Les puissances de la terre ne l'y mettent point, personne ne s'en remue. Cet abandon que Dieu fait de lui-même dans ce divin Sacrement doit sensiblement toucher les âmes chrétiennes, et notamment les Filles du Saint Sacrement. Plût-il à sa bonté me donner la grâce d'adorer par état cet incompréhensible abandon et que je me puisse laisser aussi parfaitement et entièrement à sa bonté, comme il se laisse au pouvoir de ces impies, qui ne l'approchent que pour l'outrager et le profaner.

Il me semble que cet abandon nous fait une leçon admirable : je prie Jésus Christ la rendre efficace et que nous puissions toutes entrer dans cet adorable délaissement de nous-même à son divin plaisir. Hélas ! quel honneur pour nous d'être abandonnées à la puissance d'un Dieu infiniment bon, infiniment sage, et infiniment bienfaisant ; et Jésus au mystère de son amour par une humiliation infinie est abandonné aux infâmes pécheurs, abominables et pleins de rage infernale contre sa sainteté. Il est abandonné, pour . être maltraité et jeté dans la boue et dans les abîmes d'indignités qui ne se nomment point. Tandis que son amour ménage notre réconciliation avec son Père nous le foulons aux pieds ; voilà l'ingratitude et l'aveuglement des hommes.

Mais pour nous, ma très chère Mère, notre partage est l'amour douloureux qui s'exerce en deux façons ; la première est de voir un Dieu traité de la sorte, et la seconde de voir tant de pécheurs qui périssent sans faire aucun usage du corps de Jésus Christ, ni de sa présence dans le Très Saint Sacrement. Plût-il à sa bonté briser nos coeurs par la force de cet amour douloureux, et que nous puissions mourir de contrition pour nos péchés et ceux de nos frères qui sont les hommes pécheurs. Ce qui me console en ceci, c'est que les humiliations de Jésus Christ dans ce mystère honorent infiniment son Père, et qu'il a bien su, en l'instituant, qu'il souffrirait toutes ces choses et beaucoup d'autres que nous ne concevrons jamais, et qu'il a mieux aimé s'y abandonner que de manquer à y rendre ses hommages à son Père, et y continuer son sacrifice et son état de victime de la justice et sainteté divines pour les pécheurs. Oh ! que je dirais volontiers qu'il prend tant de plaisir d'être avec les enfants des hommes, qu'il paraît comme insensible aux injures et aux affronts qu'il reçoit d'eux ! (C'est qu'il est esprit d'amour pour les âmes, c'est qu'il ne vit que d'amour) (1) dans le Très Saint Sacrement, c'est que l'amour-l'y a rendu esclave et prisonnier et lui a ravi le pouvoir

250 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 251

f

de s'en retirer. Lamour lui a donné des lois qui l'obligent d'y demeurer jusqu'à la consommation des siècles ; il s'y est soumis : «DEUS MEUS VOLU I ». Et que peut-on dire après cela, sinon qu'il veut bien souffrir les outrages des impies au respect d'une seule âme qui se donne totalement à lui ? Pourvu qu'il soit aimé de quelqu'une, si pauvre et abjecte qu'elle soit, le voilà content, et oubliés les mauvais traitements qu'on lui fait. Qui doute qu'il ne prenne sa complaisance dans la petite troupe de ses victimes, et notamment dans votre Maison où vous tâchez de l'aimer, honorer et faire adorer ? Continuez à la bonne heure. Rendez à ce divin amant l'amour qu'il vient mendier sur la terre et soyons plus que jamais toute à lui. Il me semble qu'il est à présent comme il était autrefois entre les mains de sa sainte Mère et de saint Joseph, qui le portaient en Egypte pour le sauver de la persécution d'Hérode. Nous ne pensons qu'à le sauver dans le Très Saint Sacrement, à le cacher, qu'il soit inconnu et invisible à ceux qui le viennent dérober. Hélas ! quelle humiliation à Jésus Christ de se réduire à l'impuissance de se délivrer lui-même de ses ennemis !

Messieurs de Saint-Sulpice ont ordonné à tous les peuples de jeûner vendredi et samedi prochain, et ceux qui ne le pourront, de faire quelque aumône pour obtenir de Dieu la grâce de connaître ce que ces malheureux ont fait des saintes hosties qu'ils ont prises (2). On espère d'en découvrir quelque chose, on prie Dieu sans cesse pour cela. Joignez-y, ma toute chère Mère, vos saintes prières et celles de toutes nos SCeurs : le sujet le mérite bien.

Aimons plus que jamais la captivité de l'obéissance pour honorer l'abandon et soumission de Jésus Christ dans la divine eucharistie. Il y est traité si indignement qu'on croirait qu'il n'y est que pour être outragé cruellement. Cependant il souffrirait plutôt qu'on le déchirât à belles dents, qu'on le portât au sabbat, et qu'on le donnât aux bêtes, en un mot, que l'on en fit tout ce que la rage infernale peut inventer, plutôt que de manquer à son adorable obéissance, qu'il rend si admirable qu'au même moment que le prêtre a prononcé les dernières syllabes des paroles sacrées, il est en l'hostie pour n'en jamais sortir que par l'altération des accidents. O abîmes de bonté, pourquoi faut-il que vous ayez tant d'amour pour les hommes qui ont si peu de reconnaissance de vos bienfaits et des prodiges que vous opérez incessamment en leur faveur ? Je suis en Jésus toute à vous.

no 913 N267

(1) Cette phrase manque au ms. N267 que nous suivons ; elle est prise au ms. L14.

(2) Dans une lettre à la Mère Bernardine de la Conception, à la même date, Mère Mectilde ajoute les quelques détails suivants : « Les voleurs ont encore retourné à Saint-Sulpice cette nuit et ont rompu une porte. Mais les voisins les ayant entendus, ils ont pris la fuite. Ce sont des gens à pieds et à cheval qui se cantonnent, et pendant que les uns tont la sentinelle, les autres font les vols et scient les barreaux. Je vous assure que l'on ne peut s'empêcher d'avoir peur. Nous avons redoublé le nombre des religieuses la nuit ; nous cherchons un moyen d'ôter le Très Sait Sacrement du tabernacle. Je crois que ce sont des démons sortis de l'enfer, ou bien qu'ils ont des charmes pour endormir les gens pendant qu'ils font leurs larcins ». P. 101, p. 793.

A LA SOEUR M. DE SAINT FRANCOIS DE PAULE [CHARBONNIER

24 novembre 1665

e petit mot, ma très chère fille, est seulement pour vous assurer

que j'ai reçu vos chères lettres avec beaucoup de consolation.

Plus vous êtes pauvre et abjecte en vous-même, plus je ressens intérieurement de confiance en la bonté de Notre Seigneur. Il fallait, ma chère enfant, de nécessité absolue, que Dieu tout bon vous conduisît de la sorte, autrement vous ne vous seriez jamais connue vous-même, ni sortie de votre propre corruption. Vos belles pensées, vos beaux sentiments et le reste que vous receviez avec tant d'abondance, nourrissaient votre amour propre, et tandis qu'il vous semblait tendre à Dieu avec ardeur et l'aimer de tout votre coeur, la nature intérieure s'engraissait aux dépens de Notre Seigneur. Qu'il soit à jamais béni d'avoir fait ce coup de renversement ! Vous pourrez dire avec vérité que votre perte c'est votre gain, et que vous êtes infiniment heureuse dans votre misère et dans ce que l'amour propre appelle malheur à raison de sa ruine et de la perte qu'il fait de sa propre complaisance et satisfaction. Soyez certaine que l'état que vous portez est de Dieu et de sa conduite toute miséricordieuse, et si j'étais une heure auprès de vous, ma très chère fille, j'espérerais, qu'avec sa grâce, je vous ferais toucher au doigt et convaincrais votre raisonnement des avantages de votre état présent, et qu'il fallait que la main toute puissante de Dieu fit ce coup de renversement pour vous ouvrir les yeux et vous faire sortir de vous-même. Mais ce que je puis dire, c'est de le remercier pour vous èt de le supplier très humblement de continuer et de vous faire entrer malgré la tendresse naturelle qui vous fait réfléchir incessamment sur vous-même, dans la sainteté de ses desseins sur votre âme, et qu'il vous donne la force et la grâce d'y adhérer et de soumettre votre sens naturel à ses divines volontés, par un simple abandon de tout vous-même, sans envisager la perfection et l'impossibilité d'y parvenir, mais de vous laisser toute au pouvoir de Jésus Christ, attachant votre fortune et votre perfection à une sincère démission de vous-même à son bon plaisir.

Soyez fidèle en tout, sans vous gêner ni vous troubler de vos chutes et imperfections. Vous pouvez bien dire qu'il vous reste bien des choses à faire selon vos lumières, et moi, chère enfant, je vous dis que vous avez beaucoup à mourir. Prenez courage, Dieu ne vous commande pas d'avoir toutes les vertus tout d'un coup, mais 'il veut que vous expérimentiez votre propre indigence, faiblesse et indignité, et que, vous défiarit de vous-même, vous espériez tout de sa bonté. Ecrivez-nous durant l'Avent et en tout temps, quand vous voudrez. Vous savez que je suis'en Jésus toute 'à vous.

no 154 P104 Bis

252 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 253

DE LA MÈRE AGNÈS IROLINI SUPÉRIEURE DE LA MAISON DE NANCY (1)

2 décembre 1665

Vous connaissez mieux que nul autre les ressorts de la divine Providence dans la conduite des âmes, et comme elle accomplit ses desseins éternels sans que personne y puisse apporter d'obstacles. Il y a longtemps que je les admire sans les connaître, par les orages dont notre pauvre Maison est attaquée de toutes manières. Ce n'est pas mon dessein de lasser votre patience par le détail de ces aventures, puisque vous en connaissez une partie, mais de vous déclarer que, depuis quelques années, j'ai des pensées très fortes que notre Monastère doit recevoir votre Institut. Il me semble que le temps est venu, qu'il faut y travailler.

Si vous agréez cette première proposition, je vous supplie qu'elle demeure secrète, entre vous et moi. Que si vous prenez la peine de me répondre, personne n'en soit informé. Je voudrais savoir si vous ne pourriez pas souffrir qu'on demande à Rome un bref de dispense sur le point qu'on dit être dans vos Constitutions de ne pouvoir souffrir le titre d'abbaye où les abbesses soient perpétuelles, c'est-à-dire à vie ; seulement pour Madame l'Abbesse d'à présent, notre insigne bienfaitrice, après laquelle il serait, par le même bref, que nous serions obligées à la triennalité. Si cela se pouvait,. j'en espèrerais une bonne issue, et ne doute point que, dans la suite, Madame notre Abbesse ne consente d'elle-même à faire ce qui sera nécessaire, et que Madame la Marquise d' H araucourt, sa soeur, ne continue à nous faire du bien.

P101

(1) Pour l'historique de ce monastère et de son agrégation à notre Institut, cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 248 et suiv.

A LA MÉRE BERNARDINE DE LA CONCEPTION I GROMAIRE I

Prieure à Toul

9 décembre 1665

e prie la très sainte Mère de Dieu qu'elle vous tire dans la grâce

de son Immaculée Conception. J'ai pour ce saint mystère plus de respect et d'affection que jamais, et je vous sais bon gré d'aimer cette fête. Je puis vous assurer que toutes celles qui aimeront et honoreront ce précieux mystère de l'Immaculée Conception de la très sainte Vierge, qu'elle les récompensera de grâces en ce monde -et de gloire en l'autre ; et, après le Très Saint Sacrement et les mystères de Jésus, nous ne devons avoir rien de plus tendre dans notre coeur.

Et j'ose dire que cette bénite Mère prend un singulier plaisir qu'on honore son Immaculée Conception et que c'est un des plus grands délices qu'on lui puisse donner que de la congratuler de cette prérogative d'honneur et de bénédiction. Elle s'en tient si heureuse qu'elle a un redoublement de joie quand on lui fait souvenir de ce bonheur qui est sans pareil, et qui n'en aura jamais. C'est pour cela qu'elle a un surcroît de douceur et de compassion des pécheurs et qu'elle est toujours prête à les secourir. Elle les compatit miséricordieusement et les excuse dans leur faiblesse, et cache même leurs crimes pour attirer les regards bénins et gracieux de son Fils. Si on savait combien elle a d'industries pour s'opposer à la justice de Dieu sur les pécheurs, notre confiance serait si fort augmentée vers sa bonté que nous serions dans une tour d'assurance. C'est assez qu'on lui ait remis et confié son salut pour qu'elle le ménage admirablement. Je vous supplie de lui abandonner le vôtre avec une entière confiance. Oh ! si vous saviez ce qu'elle fait tous les jours pour les plus abandonnés au péché, votre coeur serait tout hors de lui-même d'étonnement. Enfin je conclus qu'il faut aimer son Immaculée Conception pour un uaue de son salut éternel. Je ne vous dis pas ceci en l'air ni pour vous divertir seulement, mais comme une chose dont je suis certaine. Et je suis très aise que la petite maison de Toul rende quelques hommages particuliers à ce urand mystère par le moyen des réparations journalières qui se font en l'honneur de son Immaculée Conception, de sa pureté viruinale et de sa maternité divine. Je vous prie de faire écrire ces trois mots en gros caractères pour être attachés à la porte du choeur ou en quelqu'autre etidroit pour être vus et que chacune prenne cette intention dans son amende honorable à la très sainte Vierge, mère de Jésus Christ.

Je ne vous dis point comme j'ai fait prier Dieu pour vous. Plût à Dieu vous pouvoir mettre dans le Coeur Sacré de cette divine Princesse et que vous soyez dans une amoureuse confiance en sa bonté comme je le souhaiterais ! Je lui demande et continuerai, car c'est d'elle que nous devons tout espérer. C'est elle qui prendra soin de nous défendre contre les sortilèges et les malheurs que l'on nous menace. Elle nous protégera et prendra un soin tout particulier de ceux et celles qui auront n-iis leur confiance en sa bonté. Je vous conjure de toutes mes forces de vous y confier et toute la petite maison de Toul.

no 1309 Cr C

A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL

1665

D'e ne puis dire, mes très chères enfants, combien je suis touchée

d'apprendre vos indispositions, et comme il a plu à la divine volonté vous lier sur la croix des souffrances. Je ne sais comme je m'en pourrais consoler si je ne vous considérais comme des victimes immolées à Jésus Christ par la douleur qui va vous consommant pour son amour-et qui vous fait devenir des objets de sa divine complaisance. En cette

254 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 255

vue je me sacrifie avec vous et veux que Notre Seigneur- dispose de tout à sa pure gloire, car il ne faut rien vouloir que lui, mais sans sortir de votre cher abandon. Il veut que vous preniez tout le soulagement que le médecin vous ordonne et que l'obéissance vous permet, faisant votre possible pour reprendre vos forces pour servir Dieu mieux que jamais. Je vous prie donc, mes très chères enfants, de prendre courage. Je sais bien qu'une des causes de vos plus grandes douleurs, c'est la maladie de votre très digne Mère Prieure. Je vous compatis et puis vous dire que j'en suis sensiblement touchée. Ma crainte est qu'elle manque à ce qu'elle doit pour recouvrer sa santé ; tenez la main qu'elle n'omette rien, et que rien ne soit épargné pour elle, ni pour vous toutes. C'est mon intention et n'y manquez pas. Je vous supplie que la moins incommodée d'entre vous me mande comme elle se trouve et toute la communauté, et surtout qu'on ne passe point d'ordinaire sans nous donner de vos nouvelles, quand ce ne serait qu'un mot si le mal s'augmente. Je me souhaite de tout mon coeur auprès de vous pour rendre à toutes mes petits mais très affectionnés services. Je fais prier Dieu pour la mère et les enfants. J'espère que le bon Dieu aura pitié de nous et qu'il vous guérira. De tout mon coeur, je voudrais être malade pour vous toutes, et vous conjure d'offrir vos douleurs à Notre Seigneur selon mon intention, pour quelque besoin particulier et pour la sanctification de la congrégation. Dites quelquefois avec la très sainte Mère de Dieu répondant à l'ange : « ECCE ANC1LLA DOMINI FLAT MIHI SECUNDUM VERBUM TUUM » (1). Soyons les esclaves du Seigneur afin qu'il fasse en nous sa très sainte volonté, et soyons attentives et soumises aux mouvements de son Saint-Esprit. Je le supplie opérer en vous la destruction de tout ce qui lui est contraire. Derechef donnez-moi la consolation de faire votre possible pour vous bien porter, et pour croire en Jésus, mes très chères enfants, que je suis en son amour...

no 1103 N267

( I) Luc 1,38.

A UNE RELIGIEUSE D E MONTMARTRE

Janvier 1666

Loué et adoré soit le Très Saint Sacrement de l'autel !

et qu'il soit plus que jamais l'unique objet de votre amour, ma toute chère et aimable Mère, que vous trouviez en Jésus seul votre force et votre consolation dans les privations que la divine Providence vous fait porter du secours des créatures. Il n'y a que lui seul fidèle et sans changement, le reste n'est pas digne d'être aimé - je veux dire : ce qui est sur la terre - ce n'est que pauvreté et, si je l'ose dire, faiblesse et

inconstance. Vous ne serez heureuse, ma toute chère Mère, que lorsque vous tâcherez de vous contentez de Dieu seul, sans vous plus mettre en peine des rebuts et froideurs des créatures. Ne vous étonnez point de

cette conduite, elle n'est pas sans mystère de la part de Dieu, pour

votre âme qui a bien de la peine à sacrifier cet appui et cette douceur-que vous avez goûtés autrefois si abondamment dans les créatures.

En vérité, en vérité, c'est un effet de la miséricorde de Dieu pour votre

âme ; ne vous en fâchez point, c'est votre salut. Entrez donc par une simple adhérence dans les desseins de Dieu sur vous et agréez, le mieux

qu'il vous sera possible, ses conduites, et vous verrez un jour que ce qui peine votre esprit à présent sera un moyen de vous rendre heureuse, en vous faisant entrer dans une sainte indifférence pour tous les événements et vicissitudes des créatures. Aussi n'est-il plus temps de vous y arrêter.

Il faut que je vous avoue dans l'ingénuité de mon coeur et que je vous dise, ma plus chère Mère, qu'il me semble quelquefois que je crie à l'oreille de votre coeur : hâtez-vous de vous dégager des créatures, .

hâtez-vous de vous rendre à Dieu, séparez-vous généreusement de toutes les choses de la terre, le moment approche qu'il faut retourner

à Dieu. C'est, ma toute chère et intime Mère, sans vous faire frayeur,

où il faut que vous aspiriez. Mais si vous voyiez les bontés de Dieu pour vous et comme il attend, de l'entier retour de vous-même à lui,

vous en seriez pénétrée jusqu'au centre de votre être. Vous manquez

à un point très important : c'est à la confiance. Vous craignez Dieu d'une crainte trop mercenaire et trop intéressée ; votre paix intérieure

est souvent troublée par cette crainte. Vous ne vous ab'andonnez pas

assez aux soins de l'amoureuse Providence pour le présent et pour l'avenir. Je sais bien qu'il est dur de vivre sans pouvoir un peu dilater

son coeur avec une sainte franchise. Offrez cette privation à Notre

Seigneur en esprit de pénitence pour toutes les recherches et les complaisances que vous avez prises avec les créatures. Il faut, ma toute chère

Mère, que tout soit purifié et que ce qui a souvent partagé notre coeur

d'avec Dieu fasse un sujet de croix à notre intérieur. C'est pour cela que Dieu permet que vous trouviez si peu dans celles à qui vous avez

tant donné. Envisagez tous ces changements dans l'ordre de la Sagesse divine, et trouvez bon qu'il vous purifie de cette sorte. Pourvu qu'il trouve son compte il ne faut point nous soucier de nous-mêmes.

Je crois que, puisque vous avez divers confesseurs, vous ne devez pas gêner votre âme ; allez où vous trouverez plus Dieu.

Si je suivais ma pensée serait de vous souhaiter céans avec nous (I). Mais il faut s'en remettre à Notre Seigneur qui ne donne pas ce mouve-

(I) Phrase obscure - on devrait peut-être lire : Si je suivais ma pensée, je vous souhaiterais céans avec nous.

256 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 257

ment à celle qu'il a établie sur vous. 11 faut adorer la sainte Providence et conserver la paix du coeur. La vie est si brève qu'elle ne nous donne pas le loisir de nous occuper de tant de petites choses. Ma toute chère Mère, devenez généreuse et quittez les créatures. Aussi bien voyez-vous pas que, par une dispensation divine, elles vous quittent. Ne regrettez point la perte que vous faites quand une créature se sépare de vous, mais bien plutôt réjouissez-vous de voir que Dieu se mêle de rompre les liens qui attachent votre coeur à la terre. Nous n'avons plus qu'une petite poignée de jours; ne les perdons pas et ne les profanons point à nous amuser aux créatures, et à regretter les marmites d'Egypte (2). Ce peu de jours est pour mériter notre éternité et achever heureusement notre course vers Dieu. Je vous conjure donc, ma très chère Mère, de prendre une sainte résolution de tout abandonner le créé pour vous abandonner vous-même toute à Dieu et devenir la victime de son bon plaisir.

Pour nouvelles, je vous dirai que Dieu a fait des coups de miracles chez nos Mères de Rambervillers pour faire connaître ses bontés sur notre Institut et l'amour qu'il témoigne pour le peu que nous tâchons de lui rendre. Cela est admirable et tout à fait touchant : enfin, c'est des conversions miraculeuses, et je puis vous confier qu'il a fallu que Dieu fît en quelques-unes ce qu'il a fait autrefois en saint Paul. à proportion et selon les grâces des unes et des autres. Vous seriez bien consolée si vous saviez ce que Dieu a opéré en faveur de notre Institut, mais je ne saurais tant écrire qu'il faudrait pour vous le raconter. Quand Notre Seigneur me donnera le cher bien de vous voir, je vous le dirai. Pour conclusion elles embrassent toutes, avec des transports de joie, notre Institut et s'engagent par voeu comme nous à l'adoration perpétuelle ; mais d'une manière que l'on voit manifestement que c'est une opération de pure grâce. Je vous prie d'en bien remercier Notre Seigneur, ce sont des coups de sa main toute puissante. Si j'avais liberté de vous écrire sûrement et fidèlement, je vous enverrais quelques-unes de leurs lettres, mais je crains, parce que je ne veux point faire d'éclat. Il suffit que Dieu fasse son ouvrage et qu'il se glorifie. Il en soit éternellement béni !

11 est bien à propos que le nombre des adorateurs s'accroisse, puisque le nombre des profanateurs augmente tous les jours par des excès si infernaux qu'on ne saurait les raconter. Les serviteurs de Dieu sont tous dans les sentiments qu'il arrivera quelque chose d'extraordinaire de la justice de Dieu, parce que les outrages que l'on fait à Nôtre Seigneur dans le Très Saint Sacrement sont trop exécrables. Oh ! que je vous dirais de choses touchantes si j'avais la chère consolation de vous parler ! J'apprends souvent d'étranges choses et les bons prélats m'en viennent raconter de surprenantes. Oh ! que de malheur partout ! Jusque

(2) Ex 16.3.

dans le lieu saint les impiétés sont épouvantables, et le sortilège vient au comble. Ne parlez point de ceci, mais gémissez devant Dieu et tâchez d'apaiser sa juste colère. Oh ! si j'étais sensible pour Dieu, je mourrais mille fois le jour, si j'avais autant de vies. Je ne sais si c'est ce que j'entends qui fait sans y penser quelque effet dans mon coeur, mais je sens une négligence pour toutes choses, fort grande. Il me semble toujours que nous serons surprises et qu'il nous arrivera comme aux Hébreux. Tandis qu'ils se réjouissaient et faisaient bonne chère, la main vengeresse de Dieu les massacra.

Heureuses les âmes qui se tiennent prêtes par une sainte solitude intérieure, un dégagement des créatures, un abandon de soi-même à Dieu et une confiance amoureuse à la très sainte Vierge ! Voilà ce qu'il faut, ce me semble ; demandez-le pour moi. Je vous dis à Dieu en vous réitérant les protestations de ma sincérité, et que je suis en Jésus et sa très sainte Mère, pour le temps et l'éternité, toute vôtre.

Il faut encore vous dire que Dieu bénit la petite Maison de Toul, qui édifie et embaume tout le pays. Tout le monde en est ravi et les aime chèrement.

no 2157 N254

A SOEUR MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE [ CHARBONNIER 1

Janvier 1666

Ma très chère fille,

Jésus soit votre vie et la consommation de vos années !

e petit mot, en attendant un plus ample, est pour vous assurer

que je suis à vous en son amour, et que je vous porte dans mon coeur très intimement et cordialement, et sens bien que notre union est inviolable. Je le bénis et remercie de toutes les grâces que vous recevez de sa bonté et que vous reçûtes le jour de l'Immaculée Conception de sa très Sainte Mère.

Il me semble que j'ai beaucoup de choses à vous dire, mais en attendant, prenez courage et mourez toujours doucement et fidèlement à vous- même. La plus grande consolation que je puisse avoir en ce monde est de vous savoir bien à Dieu, et que vous êtes entre ses mains comme une cire molle, pour être formée selon ses très aimables volontés. Conservez votre paix intérieure par dessus toutes choses ; ne vous attachez à rien, ne désirez rien et ne craignez rien, voilà le moyen de posséder un paradis en terre. Soyez cependant ponctuelle à vos obligations, et fort indifférente à tous les emplois et commandements de l'obéissance. Si vous observez ce que je vous dis, rien ne vous pourra

258 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 259

nuire. Soyez égale en tout, portez votre trésor en vous même, que rien de créé ne vous pourra ôter, si vous êtes fidèle. Il importe peu à quoi

l'on nous emploie si nous conservons l'attention amoureuse à notre divin objet qui est toujours au centre de notre coeur. Prenez tout ce qui vous est ordonné de sa part, et ne regardez jamais les créatures en vos Supérieures et en vos Soeurs. Accoutumez-vous à faire toutes vos actions en esprit de foi , et, vous élevant au dessus de l'humain, en regardant la volonté de Dieu en toutes choses, ne prenez. rien de la

part des créatures, soit bien, soit mal. Accoutumez-vous à voir en toutes rencontres Dieu et son bon plaisir. J'ai un si grand désir de vous voir

bien sainte que je voudrais être toujours auprès de vous, pour vous

redresser et vous animer à être toute à Jésus Christ, comme une pure victime de son amour. Je vous donne encore avis de ne vous point

soucier des goûts et consolations intérieures ; ne vous attachez à rien,

mais soyez comme une statue entre les mains du sculpteur, qui souffre d'être taillée à son gré. Dieu est le divin ouvrier qui travaille en vous

et qui vous doit rendre conforme à son Fils. C'est pourquoi laissez-vous dépouiller au dedans et au dehors, ne retenant rien qu'un simple et amoureux abandon au bon plaisir de Dieu, et quand vous ne l'aurez point sensible ni amoureux, vous l'aurez crucifiant et douloureux. Il est bon et plus sanctifiant que l'autre.

Il faut vous dire, chère enfant, que, selon l'apparence des affaires que la Providence me donne, j'aurai la consolation de vous voir vers

Pâques (I). Les choses se disposent pour m'obliger à faire un voyage ; priez Notre Seigneur qu'il le bénisse et que ce soit uniquement pour sa gloire. Si cela est, nous nous entendrions à coeur ouvert, et vous verrez que je suis en J ésus et sa très sainte Mère toute vôtre.

Je vous recommande l'amour et la tendresse vers la très Sainte Vierge, notre divine Mère et princesse et la souveraine de notre Institut. J'écrirai à nos chères Soeurs N.N.N. petit à petit, selon le temps que je pourrai dérober aux affaires. En attendant, saluez-les, je vous supplie, de ma part, et tout le cher Noviciat que j'aime avec tendresse. Je me souhaite souvent au milieu de vous toutes, pour un peu nous divertir en parlant de celui qui nous doit être uniquement toutes choses. Oh ! qu'il fait bon être toute à Lui et ne vivre que pour Lui ! Je porte envie à la paix et au repos que vous possédez toutes, tandis que je suis abîmée dans le tracas de mille affaires. Ne m'oubliez pas toutes dans vos saintes prières, et notre Congrégation.

no 145 P I 04bis

(I) Mère Mectilde projetait de se rendre à Rambervillers pour y recevoir l'agrégation du monastère (son «cher monastère de profession») à l'Institut, cf. C. de Bar, Documents, p. 227 et suiv, - 305 - 309.

A LA MÉRE BERNARDINE DE LA CONCEPTION I GROMAIRE I

Prieure à Toul

5 janvier 1666

Ma très chère Mère,

e vous dirai en passant que votre défiance est un peu trop extrê-

me et que vous ne donnez pas assez aux bontés de Notre Seigneur Jésus Christ. Vous savez qu'il n'est point venu pour les justes mais pour les pécheurs, et que le plus grand affront qu'on lui peut faire c'est de ne point se confier à sa bonté, qui est intime pour les pécheurs, et les plus misérables. Je vous conjure de ne point envisager vos misères et faiblesses passées que dans les plaies de Notre Seigneur Jésus Christ, c'est l'asile de tous les pécheurs ; et c'est offenser Dieu de ne le pas croire miséricordieux pour vous.

Vous regardez trop en vous-même, et ce fond de tristesse procède d'un fond de douleur secrète qui vous fait presque toujours voir et sentir votre misère et y être réfléchie. Et comme vous ne la perdez quasi jamais de vue, votre coeur en est comme submergé et confirmé dans un état douloureux qui vous résigne à Dieu, niais d'une résignation qui regarde une perte plutôt que votre salut ; et ces sortes de dispositions ôtent la joie du coeur et ne lui permettent pas de s'élever vers Dieu avec dilatation. Je sais bien ce que c'est d'un état pareil, mais il ne faut pas s'y enfoncer, d'autant que la tentation en est proche, et le démon, sous prétexte de nous humilier, nous jette dans l'abattement, la défiance, et nous approche du désespoir ; c'est ce qu'il prétend. Cet état est rigoureux à soutenir et, pour l'ordinaire, l'âme n'en veut sortir, ne croyant pas qu'il y ait de grâces ni miséricordes à espérer pour elle, donnant tout à la justice, disant qu'elle l'a mérité ; certainement cette disposition est rude. Je prie Notre Seigneur qu'il en délivre votre coeur, qu'il vous donne la grâce de l'aimer au-dessus de vousméme, sans envisager vos indignités ni ce que vous méritez pour vos péchés. Ayez un abandon plein de confiance, priez la sacrée Mère de Dieu qu'elle vous l'obtienne. Ce n'est pas le dessein de Notre Seigneur que vous demeuriez là, et si vous ne trouvez en vous de quoi appuyer votre confiance, vous trouverez en son sang, en ses plaies et en sa mort tout ce qu'il faut pour sauver les plus criminels. Il se plaint souvent du peu de confiance que les pécheurs ont en ses mérites ; c'est pour eux qu'il a souffert la mort ; il le dit lui-même qu'il n'est pas venu pour les justes mais pour les pécheurs.

Vous ne pouvez croire que Dieu ait des bontés et des miséricordes pour vous. Certes, ma très chère Mère, cela est trop fort et ne lui peut être agréable, parce que ce n'est pas son esprit qui produit cela. Je le prie qu'il vous ôte cette peine qui seule fait tout le poids de votre

260 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 261.

intérieur et qui vous empêche de goûter Dieu. Vous croyez que ce n'est pas à des âmes faites comme la vôtre qu'il fait ces miséricordes. Hélas !

à qui les fait-il tous les jours sinon aux pécheurs et aux plus impies, quand ils se tournent vers sa bonté ? Cette confiance ravit le coeur de Dieu et lui ôte les armes des mains. Et nous voyons en l'Evangile qu'il exauçait ceux qui le priaient de quelque chose selon leur confiance, leur disant : « Qu'il soit fait ainsi que tu croies » pour nous apprendre qu'il nous donne selon la confiance que nous avons en sa bonté, et c'est rétrécir sa sainte main que de s'en défier pour peu que ce soit. Il a châtié cette défiance en plusieurs rencontres dans l'Ancien Testament. Il ne la peut souffrir parce qu'elle empêche qu'il ne liquéfie nos coeurs en l'amour divin, et, nous le disons tous les jours, la confiance est une des plus fortes marques de l'amour. Quelle apparence de se défier de celui que l'on aime ?

Tâchez, ma très chère Mère, de relever votre coeur qui est capable de si bien et généreusement aimer. Fiez-vous à ma parole, vous ne serez point trompée. Je vois bien la conduite que Notre Seigneur tient sur vous; elle n'est pas à la perte de votre âme comme vous pensez, mais à la tirer de ses sens et de tout elle-même pour la perdre dans l'amour du bon plaisir de Dieu qui veut, ma très chère Mère, que votre âme soit sa victime, non en crainte éternelle mais en amour. Qui dit en amour, dit en confiance filiale. Vous ferez plaisir à Notre Seigneur d'agir de cette sorte ; il veut cela de vous, doucement et sans contrainte.

no 1704 N258

A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION I DE BRÊME J

Prieure de Rambervillers

Le 6ème de l'an 1666

Loué soit à jamais le Très Saint Sacrement de l'autel ! Ma très Révérende et très chère Mère,

e pourrais bien dire aujourd'hui au sujet du contenu de_ votre chère

lettre que Jésus notre divin Sauveur s'est manifesté à vous dans le Sacré mystère de son amour au divin Sacrement de l'autel, comme il a fait autrefois aux saints Mages dans l'étable. Je pourrais bien aussi dire que c'est le jour que le Seigneur a choisi pour me donner une joie, la plus sensible que j'ai ressentie depuis l'établissement de notre saint Institut. Ce qui me la cause, ma très honorée et très chère Mère, c'est de voir la bonté d'un Dieu qui fait choix de votre personne et de votre sainte Communauté pour en faire des victimes d'amour à son Fils bien aimé Jésus Christ Notre Seigneur, immolé sur nos autels. Il me semble que c'est une haute grâce qu'il faut aux âmes qu'il approprie à ce précieux mystère, et j'ai d'autant plus de consolation des dispositions que vous me témoignez porter dans votre coeur pour embrasser l'adoration perpétuelle de cette auguste majesté humiliée, que c'est un pur effet de sa grâce. Dieu en soit à jamais béni ! Quand il lui plaît, nul ne peut lui résister. J'espère de sa grande miséricorde qu'il achèvera son oeuvre et qu'il se fera glorifier dans ce temps misérable où le crime est dans le dernier excès, notamment le sortilège et l'impureté, et ces deux monstres infernaux attaquent le Très Saint Sacrement d'une façon la plus exécra-

ble qui se puisse jamais imaginer. •

La rage des démons contre ce divin mystère est à tel point qu'on ne peut en inventer de plus horrible. C'est la félicité de ces impies de faire dérober les saintes hosties et d'en faire ce qui ne se peut dire sans mourir d'horreur. Et, bien que sa gloire essentielle soit en lui-même sans aucune diminution, nonobstant la grandeur de nos crimes, il ne faut pas laisser de gémir et de s'efforcer de lui rendre ce que ces malheureux lui ôtent. Toutes les créatures se doivent anéantir en sa présence, et consommer leur être, par hommage à son être infini et à toutes ses perfections divines. Si nous devons cette mort et anéantissement de nous-même à sa grandeur parce qu'il nous a créés, que ne lui devons-nous pas en la vue de ses adorables mystères, où l'amour le sacrifie et l'abandonne en quelque manière au pouvoir des pécheurs, pour en faire ce que la malice peut inventer ? Une âme .qui aime un peu Jésus Christ Notre Seigneur le verra-t-elle dans ces impitoyables et effroyables traitements sans en être touchée ? Oh ! certainement ! Il ne se peut qu'elle n'en soit navrée de douleur, plus ou moins selon le degré de son amour. Et c'est cet amour et tendresse pour les intérêts de Jésus Christ et pour le salut des pécheurs qui a pénétré vivement votre coeur. Ce divin amour y a fait une brèche mortelle qui ne guérira que par l'augmentation de ses traits. C'est le bonheur d'une âme chrétienne de s'immoler à son Dieu et d'entrer en conformité d'état avec Jésus Christ. S'il est caché et anéanti dans l'hostie, elle s'y renferme avec lui, mais s'il est déshonoré dans ce mystère d'amour, elle s'efforce de lui rendre hommage en réparant pour les pécheurs, et d'obtenir par ses larmes et sa pénitence leur conversion, sachant bien qu'elle ne peut donner plus de plaisir à son Seigneur, que de procurer le salut de ceux pour qui il a voulu mourir.

De sorte que notre petit Institut renferme ces deux obligations : la première, de rendre à Notre Seigneur toute la gloire et hommage qui nous est possible selon la faiblesse humaine ; et la seconde, de sauver les pécheurs, en priant et souffrant pour eux.

Je vous demande mille humbles pardons, ma toute chère Mère, des saillies de mon coeur en vous écrivant la présente que je devais réduire en deux mots. Si j'avais l'honneur et la douce consolation de vous pou-

262 CATHERINE DE BA-R O LETTRES INÉDITES 263

voir entretenir, je vous dirais ce que je ne puis exprimer. 11 en faut attendre le moment de la toute aimable Providence, espérant qu'elle achèvera ce qu'elle a commencé. C'est un miracle en vous ; enfin c'est un coup de la puissance d'un Dieu, c'est son ouvrage ; il le perfectionnera comme il lui plaira. L'expérience m'apprend que je n'ai qu'à mourir à moi-mime et à tous désirs et activités ; et Dieu fait ce qu'il veut faire lorsque je ne fais rien que de me tenir au néant. Priez-le, ma très chère Mère, qu'il détruise en moi tout ce qui s'oppose à ses desseins. C'est encore un des sujets de ma joie de vous envisager comme mes très dignes réparatrices. J'en rends grâce à Notre Seigneur ; il sait et connaît l'excès de mes crimes et qu'il m'est impossible de réparer sa gloire que j'ai outragée et profanée une infinité de fois. Je vous supplie et conjure, ma toute chère Mère, de gémir pour moi et de demander à Dieu qu'il ait soin de ses intérêts par toute la terre où il est offensé, mais particulièrement en moi.

Je ne vous dis rien de plus pour cette fois, ne pouvant aujourd'hui écrire davantage, à cause de la solennité. Nous ferons notre possible pour donner à toute la Communauté les satisfactions qu'elle désire, et ferai ma diligence pour vous aller rendre mes devoirs (1), et renouveler la joie de nos coeurs par une union parfaite en la charité de Jésus Christ, qui nous fait en lui une même chose avec lui dans la qualité de ses victimes. Je le prie qu'il nous consomme toutes en son amour. Je suis en lui avec tous les respects et cordialité possibles, ma très Révérende et ma toute chère Mère, votre très humble et très obéissante fille et très obligée servante.

no 1290

(1) Dans une lettre à la Communauté de Rambervillers, écrite à la même date et exprimant des pensées similaires, Mère Mectilde ajoute : «Je suis dans la volonté de vous aller rendre les témoignages de ma sincérité et je ferai toutes mes diligences pour vous porter nos Constitutions et nos Bulles que j'attends

de jour en jour. J'espère que Notre Seigneur me fera la grâce de vous donner des marques de mon affection et que tout sera plus facile que vous ne croyez pour l'exécution». Lettre no 613.

A LA SOEUR MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE I CHARBONNIER ,

27 février 1666

Très chère enfant,

amais je n'ai. douté de votre vocation et en doute moins que jamais ;

la suite vous en fera connaître et goûter la sainteté. Ne vous étonnez pas de vos indispositions ; je ne crois pas qu'elles aillent jusqu'à vous exclure de la sainte profession. Prenez courage, je vous assure que je suis plus à vous que jamais. Je serais bien fâchée que votre sacrifice ne fût point consommé en hommage au Très Saint Sacrement comme sa victime. Si la main de Dieu a voulu crucifier et purifier votre esprit par les peines, il faut encore que vos sens et votre pauvre corps le soient aussi par les douleurs, que vous soyez toute renouvelée en Jésus Christ, enfin que vous entriez en nouveauté de vie avec lui. Tenez ferme, ne désistez point, c'est pour un Dieu d'un mérite infini, et c'est à lui à qui vous vous immolez par hommage et par rapport à ce qu'il s'est immolé et sacrifié sur la croix et sur l'autel pour vous. Il faut que son amour triomphe de vous, que vous soyez la proie et qu'il vous dévore et consomme en lui, par lui et pour lui. A Dieu jusqu'à l'entrevue où nous dirons à coeur ouvert ce que le temps ne nous donne pas la commodité de vous écrire. Soyez certaine que vous êtes toujours dans mon cœur en la présence de Jésus Christ, et que je suis en lui pour toujours toute à vous.

.J'ai bien à VOLIS dire sur toutes les dispositions crucifiantes et pénibles que vous avez portées. C'est une marque infaillible de la pureté et sainteté où il vous veut faire entrer. Il y a des âmes où il faut bien plus soutenir de morts et d'agonies que d'autres, parce qu'il y a plus de nature et plus de tendresse, et, en un mot, plus d'amour propre, et le vrai lieu où cette malignité se détruit sont les souffrances. les tentations, les pauvretés, les délaissements, les rebuts de Dieu et des créatures. Mais quand Dieu a fait son ouvrage par cette voie d'humiliation et que l'âme demeure fidèlement immobile entre les divines mains, par un saint abandon de tout soi-meme à la divine volonté, sans retour sur ses propres intérêts, niais se perdant pour elle-même en toutes manières pour n'être plus rien qu'une simple disposition d'agrément ou d'adhérence à tout ce que Dieu veut, sans aucun choix, pour lors, Dieu ayant ainsi purifié, vidé et consommé tout ce qui lui est contraire, il se produit lui-méme au fond de l'intérieur, et cette âme dit avec l'épouse au Cantique : « Jam hiems transiit » (I). Mais très chère enfant, il y a beaucoup à soutenir en cet état. C'est pourquoi relevez votre courage et vous estimez heureuse qu'un Dieu s'applique à vous et vous met dans le creuset des tentations. Il ne veut point que vous demeuriez en vousméme et à vous-méme par le tendre et délicat du sens, mais il veut que vous marchiez à urands pas dans l'abnégation de vous-même et dans la pure foi. Priez Dieu pour moi.

(2) Votre cœur est-il moins ardent et moins affectionné à sa vocation que du passé ? Je vous conjure de ne point désister, et de croire que c'est votre bonheur ; vous le connaîtrez dans quelque temps ; ayez patience ; vous verrez un jour que la Religion est sainte et qu'elle fait des saintes quand on veut vivre selon les Règles et les Constitutions. C'est où on donne tout sans réserve et où on sacrifie incessamment. C'est où on donne à Dieu tout ce qu'on lui peut donner, vie pour vie et mort pour mort. Enfin c'est l'école de Jésus Christ où on apprend

(1) Cant. 2.11.

(2) Le ms N256 s'arrête ici. Ce dernier paragraphe ne se trouve qu'au N267.

264 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 265

à vivre de sa vie. Je vous prie de prendre courage et de n'avoir aucun regret de vous être faite une victime de Jésus Christ ; vous ne faites en cela que vous conformer en ses états, et faire pour lui ce qu'il a fait pour vous. Soyez saintement généreuse, vous assurant que Dieu comble de grâce votre âme, car il faut étre uniquement toute à Dieu. C'est ce que je vous souhaite comme pour moi même puisque vous êtes toujours dans mon coeur où je vous immole à Jésus, ne faisant de vous et de moi qu'une victime, que je prie Dieu vouloir consommer du feu divin de son saint amour.

no 1023 N256 et N267

cachées en Dieu. Je suis en lui pour le temps et pour l'éternité toute à vous sans jamais changer. A Dieu.

Je salue très cordialement toute la chère Communauté. Je me réjouis de la revoir et me recommande aux saintes prières de toutes.

no 2320 N256

À LA MÈRE ANNE DU SAINT SACREMENT 1LOYSEAUI

Rambervillers, 21 avril 1666

Chère enfant

A LA MÊME

3 avril 1666

ous avons reçu, très chère enfant, celle que vous avez pris la peine

de nous écrire. Tout ce qui me vient de votre part n'est très cher, et vous ne devez nullement douter qu'il y ait en moi pour vous le moindre changement. Celui qui vous a donnée pour lui à nous, et qui de meure nous donne à vous, étant sans aucun changement, notre union doit être de même, puisqu'il en est le principe. Je le loue et le bénis incessamment de toutes les grâces que vous recevez de sa miséricorde. Je lui en demande la continuation, et qu'il vous donne la pensée de le prier-de tout votre cœur pour l'accomplissement de ses divines volontés en l'oeuvre que son aimable providence nous met entre les mains. Selon ce qui me paraît, il veut établir sa gloire. Toutes choses s'y disposent doucement. Nous ne voyons que soumission et respect. Pour moi, je n'y veux chercher que la gloire de mon divin Maître ; tout lé reste je l'anéantis de tout mon coeur. Il faut tâcher, chère enfant, que rien ne demeure en nous que le désir de lui plaire ; le reste n'est qu'un pur néant. Et pourvu que Dieu soit, il suffit. Priez-le donc qu'il règne en moi et en toutes les créatures. Je vous puis dire, chère enfant, avec la même confiance, que je ne sais plus rien, ni ne peux plus rien vouloir tant je suis abjecte. A peine sais-je où je suis ni ce que je suis ; je suis ici sans y être; priez Dieu qu'il y soit uniquement et que tout cesse d'être, afin qu'il soit lui seul.

Pour ce qui regarde votre état, mourez sans cesse, et avec le moins de réflexion que vous pourrez. Voyez-vous toujours dans le néant, laissez passer toutes choses comme si elles n'étaient pas, DIEU EST ! il suffit. Laissez-le donc être ce qu'il est, et soyez ce qui n'est point. Si vous savez comprendre ce que je vous dis, vous vivrez contente ; si vous le mettez en pratique, rien ne pourra troubler votre paix. Vous vivrez en terre sans toucher à la terre, votre vie et votre opération seront

Nous travaillons ici efficacement à la gloire de notre auguste Mystère, et je vous puis dire que si j'étais sensible aux intérêts de Dieu, j'aurais de la joie de voir toutes les saintes dispositions où j'ai trouvé toutes nos Mères et Soeurs qui embrassent notre saint Institut avec zèle et amour. Je sais que vous y prenez part et que toute la communauté se réjouira quand elle apprendra que Notre Seigneur est honoré au Très Saint Sacrement de l'autel par des âmes très saintes.

no 2380 Ms : P101

A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION IDE BRÊMEI

à Toul, le 18ème mai 1666

Ma Révérende et ma très chère Mère,

Jésus anéanti dans le mystère de son divin amour soit votre consommation

Nous avons reçu avec joie celle qu'il vous a plu nous écrire par laquelle nous apprenons que votre santé est un peu meilleure. Nous en remerçions Dieu de bon coeur, le priant vous continuer ses grâces et vous conserver pour sa gloire.

Voici nos deux très chères Soeurs, les Mères de Saint Michel [Bellet] et d'Arconas (1), que nous renvoyons à Nancy pour expédier leurs affaires. Elles nous ont demandé obéissance, crainte d'en avoir besoin dans quelque rencontre; nous la leur avons donnée pour leur satisfaction, puisqu'elles n'en avaient point de votre part, ni de M. d'Etival. Nous avons cru, ma très chère Mère, que votre bonté aurait agréable que nous les ayons amenées avec nous dans notre monastère de Toul, pour leur

(1) Le 17 mai, Mère Mectilde avait écrit à ces deux religieuses. Seul Mgr Hervin a eu connaissance de cette lettre etla signale au registre t 3, p. 727. (A rch. du monastère de Tourcoing).

266 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 267

donner un peu de connaissance de cette communauté et faire une plus étroite liaison entre les esprits, désirant ardemment que toutes ne soient qu'un coeur en Jésus Christ.

La Mère de Saint Michel vous dira comme elle trouve cette petite maison et la manière de conduite qui y est observée; elle en a tiré des mémoires pour s'en servir dans le besoin. Nous croyons qu'elle et sa

bonne compagne n'auront rien perdu en ce petit voyage. Toutes nos mères et soeurs d'ici les aiment beaucoup et toute la communauté de Rambervillers, ayant une singulière joie de leur sainte union. Pour mon particulier, je loue Dieu de tout ce qu'il fait pour sa gloire, et de ce qu'en tout et partout je ne suis qu'un pauvre néant qui n'est capable d'aucune chose. C'est JESUS CHRIST MON SAUVEUR qui fait tout sans que j'aie aucune part.

Plus je vais en avant et plus je ressens cette vérité qui m'est précieuse, et qui fait que je suis comme si je n'avais point fait ce qui s'est passé en votre monastère. J'ai tâché de m'y tenir comme il me semblait que je devais être, pour n'y être rien et que Dieu et sa très Sainte Mère y fussent tout. Et jamais, ce me semble, je n'y ai été de la sorte, car je ne pourrais quasi dire que j'ai fait ce voyage. Notre Seigneur en soit béni éternellement, espérant qu'il y sera d'autant plus que j'y suis moins, et que j'ai tâché de ne point trouver de place, ou du moins de n'en point prendre, dans la chère' communauté que j'honore et chéris très précieusement, et à laquelle je souhaite la plénitude que Jésus Christ immolé a destinée pour notre saint Institut. Je le prie faire en chacune de ses nouvelles victimes une blessure de son pur amour. Qu'il leur donne une sainte impression de ses sacrés états de sacrifice, de mort et d'anéantissement, et qu'il les rende dignes de mourir pour sa gloire, intérieurement et extérieurement, par une parfaite mortification et séparation de tout ce qui est contraire à la sainteté de son esprit ! En un mot, qu'elles soient toutes ses véritables victimes, expirant avec lui et pour lui sur la croix. C'est, ma très chère Mère, le plus ardent désir de votre coeur, pour vous et pour les âmes qu'il a confiées à votre conduite. Et je peux dire que les humiliations, les souffrances et les agonies de Jésus doivent être la nourriture des Filles du Saint Sacrement. C'est leur joie et leur félicité d'y avoir rapport, et comme vous êtes, ma très chère Mère, par la grâce de Notre Seigneur, toute remplie de ces saintes dispositions, nous vous supplions de nous les inspirer et à toutes vos chères filles, priant pour nous qui en avons un extrême besoin et pour notre maison de Paris.

Pour ce que vous nous mandez, ma toute chère Mère, au sujet de la

bonne Mère de Saint Joseph [ de Laval-Montigny], je serais bien aise qu'elle vous rendît ses services, en reconnaissance des bontés que

Notre Seigneur vous a données pour elle. Mais la crainte qu'elle ne retombe malade, l'étant assez souvent, et qu'elle ne vous soit plus à charge qu'elle même ne voudrait, de plus la commodité étant avanta-

geuse pour la ramener à Paris, nous croyons, ma très chère Mère, que vous ferez bien de la laisser revenir avec Mad...

nn 2318

A LA MERE MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE I CHARBONNIER

après le 15 mai 1666(1)

Jésus soit la vie et l'amour de sa bien-aimée victime que je puis nommer à présent l'enfant de douleur !

ne vous étonnez, N..., de voir à présent les remerciements de vos dispositions passées, de ressentir des assauts et d'être saisie de crainte et de frayeurs. Sainte Térèse souffrit quelque chose de pareil lorsqu'elle se consacra à Dieu dans la sainte Religion. Quand Dieu veut faire un ouvrage digne de sa grandeur•, il fait des préparations qui sont inconnues à l'esprit humain. Le dessein qu'il a sur vous est de vous faire entrer en conformité d'état avec son Fils, c'est de vous tirer hors de vous-même et de vos propres usages pour vous faire entrer en Jésus Christ. En un mot, le dessein de Dieu sur vous est digne de lui-meme et, sans le connaître ni l'examiner plus particulièrement, e vous conseille de vous abandonner, vous jetant à l'aveugle entre les bras de son aimable bonté, qui vous reçoit et vous renferme dans le Coeur de Jésus, votre unique époux et le tout de votre âme. C'est en ce rencontre que le démon et la nature s'arment contre vous et s'efforcent de vous troubler. Le monde, la chair et le sang n'ont pu empêcher votre sacrifice ; l'enfer remue ses puissances pour jeter l'épouvante dans votre esprit et vous faire entrer dans une perplexité et appréhension très grandes de ne pouvoir réussir dans votre sainte entreprise. Quelquefois vous vous accuserez volontiers de témérité d'avoir osé entreprendre une profession si sublime à laquelle il vous est comme impossible de parvenir. Mille pensées de découragement ou de défiance voudraient se jeter sur vous- pour vous terrasser, mais Dieu tout bon et tout amour pour vous ne permet pas que vous soyez submergée de tant d'orages et de tempêtes qui s'élèvent contre votre sainte résolution. Relevez votre courage et soyez certaine que la main de Dieu vous soutient et qu'il est avec vous. C'est lui qui affermit le fond de votre coeur et qui le rassure dans ses craintes ; c'est lui qui vous défend secrètement des impressions malignes des dénions qui ne peuvent souffrir une retraite si sainte. Ne vous surprenez point des combats que ces malheureux

( I) Mère Marie de Saint François de Paule a fait profession le 15 mai 1666 entre les mains de Mère Mectilde. qui s'était arrêtée à Toul après avoir agrégé le monastère de Rambervillers. avant de rentrer à Paris.

268 CATHERINE DIHAR

esprits vous livrent ; il faut combattre pour vaincre, pour être couronnée. Souvenez-vous que vous êtes entrée en Religion pour Dieu seul, pour vous donner en proie à son amour et pour devenir une victime de sa douce complaisance, sans chercher d'autres intérêts dans votre sacrifice que la seule et unique consolation de lui plaire et de faire en cela sa divine volonté. Soyez certaine que vous avez eu cette intention, et je puis vous en assurer. Pourquoi donc à présent vous réfléchir sur l'état que vous portez ? Il ne faut qu'un sincère abandon de vous-même, disant à Jésus de tout votre coeur : «Mon bon. Seigneur Jésus, je suis venue pour vous seul, et je veux demeurer pour vous seul, en souffrant et en mourant comme il vous plaira ; je suis votre hostie et la victime de votre amour, immolée à votre gloire : il ne m'importe de quelle manière vous consumiez mon sacrifice ; pourvu qu'il vous plaise, il me suffit ».

Tenez-vous ferme en disant ceci et vous laissez comme un petit enfant entre les bras de son père. Vous êtes bien mieux que vous ne pensez. Suivez Jésus dans ses captivités, suivez-le dans ses privations, suivez-le dans le délaissement au milieu des déserts, environné de dénions qui s'efforcent de le tenter. Vous n'êtes plus mademoiselle N..., vous êtes devenue une pauvre. petite amante qui court après son bien-aimé Jésus et son divin Sauveur ; mais sachez qu'il le faut suivre non en un lieu de douceur et de délice comme le Thabor mais sur le calvaire. C'est pour cela que vous vous renfermez dans le cloître et que vous ne voulez plus converser parmi les créatures. C'est pour cela que vous entrez dans la maison du Seigneur et que vous embrassez la pénitence, et pour cela que Dieu permet tant de peines et de souffrances. Il est aisé de dire je veux être victime du Très Saint Sacrement, mais très rigoureux de soutenir les destructions que la grâce opère en nous pour nous faire porter dignement cette précieuse qualité. Jésus est la victime pure, et vous, vous devez être la victime de Jésus. Je le prie qu'il vous revête de son esprit ; c'est ce que je 'vous puis dire présentement*. Dites tous les jours devant l'image de la très sainte Vierge le verset « Monstra te esse Matrem », etc... Soyez assurée qu'elle aura soin de votre conduite et que tout ira en bénédiction et à la gloire de son Fils.

no 1541 0405

* I N267 4joutel : Soyez sincère. découvrez votre peine. ne cachez rien sous prétexte de vouloir souffrir sans vous plaindre et sans consolations : soyez petite comme un enfant. sans retour et toute pleine d'une sainte confiance en la bonté de Notre Seigneur.

LETTRES INÉDITES 269

A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL

2 juin, veille de l'Ascension sur la minuit, 1666 Mes chères enfants en Jésus,

ri ans la pensée que Monsieur de Saint Jean (I) s'en retourne demain,

je vous fais ce petit mot pour vous réitérer les sincères cordialités de mon coeur, vous protestant qu'il est demeuré au milieu de vous toutes, ou pour mieux dire dans les sacrées plaies de mon adorable Jésus, avec vous. C'est dans ce centre uniquement aimable où il faut faire notre chère solitude, et n'en jamais sortir que par l'ordre de la sagesse divine, quand il lui plaît de nous en faire sortir par les oeuvres qu'elle nous commande d'accomplir. Mon Dieu, mes toutes chères et les plus chères de mon coeur, que j'ai de tendresse pour vous toutes, et que j'ai d'ardeur pour votre sanctification ! Depuis dimanche à la récréation, j'ai une abondance de pensées à vous dire et de précieuses vérités à vous exprimer, mais je les renvoie d'où elles sortent, afin que Jésus vous les imprime lui:méme dans l'intime de vos coeurs, puisque je ne puis plus vous rien dire, et que la distance des lieux nous prive de la douce consolation de vous entretenir sur ce mystère d'amour de Jésus élevé au trône de sa gloire. Priez-le, mes enfants, qu'il s'élève lui-même en nous et qu'il nous élève à lui, que nous puissions une bonne fois quitter les choses de la terre, je veux dire nous-mêmes et les créatures, pour adhérer tout à lui. Souvenez-vous qu'il a emmené la captivité captive (2). Cela vous regarde, mes toutes chères, vous êtes ses victimes, et par conséquent ses esclaves et les captives de son divin amour. 11 faut qu'il vous emmène avec lui, et que désormais on ne vous trouve plus sur la terre, « NON QUAE SUPER TERRAM », mais toutes cachées en Jésus dans le sein de son Père dans l'auguste Sacrement. C'est là où je vous chercherai toujours et ne veux jamais vous trouver ailleurs, et je vous conjure d'y demeurer et d'y vivre séparées quant à l'affection et sensibilité de tout le reste, afin que vous n'ayiez et ne possédiez rien hors de lui.

Pour ma santé qui vous tient en peine, je vous assure qu'elle est bonne contre toute espérance. La première journée [de notre retour] je me trouvais fort ébranlée dans la tête, mais cela se dissipa, et me porte fort bien selon moi. Mais notre pauvre Mère est toute tuée, et ne sais comment elle pourra gagner Paris. Elle a besoin de vos saintes prières pour sa conservation.

(1) Au XIe siècle, des trois basiliques primitives de Toul, consacrées l'une à la Vierge, l'autre .à Saint-Etienne, deux furent réunies en un seul édifice qui prit le nom de Saint-Etienne. La troisième devint une église paroissiale sous le nom de Saint-Jean-des-fonds et servait d'église baptismale aux basiliques. Elle conserva son existence particulière jusqu'à la Révolution qui la détruira. Cf. Dictionnaire des églises de France, t. Va, p. 186.

«(2) Captivam duxit captivitatem : antienne de la fête de l'Ascension.

270 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 271

Je vous dis encore une fois bonsoir, mes très chères enfants, en attendant que la. divine Providence me renvoie pour vous dire un petit bonjour, jusqu'à celui de l'éternité où il n'y aura plus de nuit, plus d'éclipse, ni plus de séparation. Le jour et la nuit jouissante étant sans fin, nous serons au comble de tout bonheur, et serons pour lors efficacement UNE EN JESUS COMME JESUS EST UN AVEC SON PERE, C'EST DANS CETTE AIMABLE UNION OU NOUS ASPIRONS TOUTES, ET OU JE PRIE JESUS OPERER NOTRE CONSOMMATION. AMEN.

no 303 Cr C

A LA COMMUNAUTÉ DE TOUT_

Veille de la Pentecôte, 12 juin 1666

Mes chères enfants,

%vous m'êtes si présentes devant Notre Seigneur, que je ne puis penser à lui sans vous trouver si proches de moi qu'il faut que je lui parle de vous, et que je le prie très souvent de se pencher vers vous et qu'il vous tire toutes à lui. Qu'il vous tire de tout vous-même, pour ne vivre qu'en lui et pour lui. Mon Dieu, mes enfants, que puis-je vous dire autre chose à cette grande fête du Dieu de l'amour ?

Que veut dire la fête du Saint Esprit, sinon la fête de son triomphe dans son Eglise et dans tous les coeurs des fidèles ? Il faut qu'il célèbre sa fête en vous. Cela veut dire qu'il faut qu'il triomphe de vous, qu'il y établisse son empire et sa souveraineté qu'il soit le Maître absolu de vos intérieurs, qu'il y opère selon son bon plaisir et que vous ayez une entière soumission à ses mouvements, à ses touches et inspirations. Je vous conjure toutes de lui faire amende honorable de tant de profanations et de tant d'outrages que je lui ai faits et surtout de le réduire si souvent en esclavage en moi, l'empêchant d'opérer ses dons et de jouir de ses droits. Priez-le qu'il nous renouvelle en sa grâce et que nous puissions commencer une nouvelle vie avec vous. Priez ce Dieu d'amour qu'il nous prépare à recevoir en nous le sacré mystère de l'amour et qu'il consomme en nous tout ce qui lui est contraire.

Le Saint Esprit a deux effets en lui-même : le premier, de lumière ; le second, de feu. Il éclaire l'âme et lui apprend, comme dit Notre Seigneur, toute vérité ; et il l'échauffe et lui donne de l'ardeur pour l'embraser et s'y conformer. Le propre du Saint Esprit, c'est de manifester Jésus, de nous faire aimer ses divines paroles et de les réduire en pratique. Mais qui sera celle d'entre vous toutes qui recevra le Saint Esprit ? Le prophète Isaïe dit que ce sera l'humble. Hélas ! mes chères enfants, si le Saint Esprit n'est donné qu'aux humbles, très peu le recevront. Il ne faut pourtant point se décourager ; les opérations du Saint Esprit se font sur toutes les âmes et même sur celles des pécheurs, sans lequel ils ne pourraient se convertir. Mais si vous me demandez chez qui le Saint Esprit fait sa demeure tranquille et paisible, et qui possède l'objet pleinement, je réponds avec le Prophète.que c'est dans le coeur humble et tout anéanti, d'autant que Dieu résiste au superbe et qu'il ne peut avoir de repos en lui. Il est de vérité qu'il jouit de sa paix étèrnelle en l'humble. La raison est que rien ne résiste à ce divin et adorable Esprit, parce qu'en l'humble tout est anéanti, cela veut dire : parfaitement assujeti. Soyons humbles, mes chères filles, puisque sans l'humilité nous ne pouvons conserver le Saint Esprit ; et à quoi sert-il de le recevoir si on ne le garde en soi ? Parce que, sans lui, nous sommes sans vie de grâce. A Dieu, voilà ce que je puis écrire dans le tracas où je suis ; soyez certaines que, quelque grand et continuel qu'il soit, il ne m'empêchera jamais le zèle que je dois avoir de vos perfections, ni la tendresse d'une vraie Mère, puisque Notre Seigneur le veut ainsi et qu'en lui je suis toute vôtre.

n° 3105 CrC

A LA MÈRE MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE ICHARBONNIERI

23 juin 1666

*vous m'avez, très chère enfant, bien consolée de me donner de vos chères nouvelles. Je les attendais avec un grand désir d'apprendre l'état présent de votre âme. Je rends grâce à mon Dieu de toutes ses miséricordes sur elle et le prie de les continuer. Vous faites bien de l'en remercier sans cesse et de vous tenir dans le pur abandon de tout vous-même à sa très aimable volonté. Si la divine Providence vous a consolée et réjouie de notre voyage, elle m'a donné sujet de le bénir et adorer de ses bontés infinies sur vous et de ses grâces sur vous et sur toute la petite Communauté , au milieu de laquelle Notre Seigneur se complaît et fait son ouvrage par les contradictions qu'il permet arriver. Mais cela ne doit faire nulle impression. Cette petite maison est dans la main de Dieu et soutenue de sa toute puissance. L'enfer ne la pourra renverser, si toutes les âmes se rendent comme il faut à Jésus Christ et qu'elles vivent dans la sainteté et l'esprit de l'Institut.

Pour vous, chère enfant, marchez sans retourner en arrière ; ne vous laissez surprendre d'étonnement sur les choses humaines ; il les faut toutes laisser à la disposition de l'adorable Providence de Dieu, pour vous tenir cachée en lui, ne prenant part à rien, pour vous troubler et inquiéter. C'est dans la souffrance que la vertu triomphe ; la vertu

272 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 273

n'est vertu que lorsqu'elle est dans la peine. Estimez-vous avoir de la douceur et de la patience si vous n'êtes point contrariée, ou de l'humilité si vous n'êtes point humiliée, ou de la soumission si on ne vous commande des choses contraires à la nature ? Je me réjouis de vous voir si bien déterminée d'être à Dieu quoi qu'il vous en coûte. Allez, allez, chère enfant, quand vous vous perdrez vous-même en cette sainte entreprise, vous trouverez Dieu parfaitement.

Je voudrais bien vous dire quelque chose sur ce précieux et divin mystère qui fait l'objet de notre amour et de nos actuelles adorations. J'aurais grande joie de vous en parler selon ma pauvreté, mais le temps est trop bref et je tâche de répondre succintement à la vôtre pour vous soulager au besoin. Ce Sacrement d'amour étant prêché assez souvent vous donne des lumières et intelligences pour vous y appliquer. Mais la plus importante disposition est un fond d'abaissement en la présence de Jésus humilié en ce divin mystère, et une entière démission de vous-même pour être capable de son opération. Apprenez, ma chère fille, par ce pain eucharistique, que vous devez vivre de Jésus et pour Jésus, c'est ,son dessein. Vous le voyez par ces divines paroles : « M ISIT ME V1VENS PATER » ; « Comme mon père m'a envoyé et que je vis pour mon Père, de même celui qui me mangera vivra pour moi, à cause de moi » (1). Voilà les paroles du saint Evangile qui nous marquent cette belle et auguste vérité de la vie que, par la Communion l'âme est vivante de la vie de Jésus et ne vit que pour Jésus. Il est fait en nous un principe de vie divine, c'est-à-dire qu'il est en nous une cause de vie et que nous ne devons plus vivre en nous, ni pour nous. Je prie ce divin Sauveur qu'il rende ses sacrées paroles efficaces en vous et en nous, et que nous ne vivions plus désormais que par Jésus et pour Jésus. O la belle vie qui ne serait animée que de cet adorable principe ! Mourons à nous afin que Jésus vive !

J'achève de répondre à quelques articles de votre chère lettre. Premièrement, pour ce qui regarde les pénitences : ne vous y attachez point trop, et après qu'on vous les a refusées, soyez aussi tranquille comme si l'on vous accordait votre demande. Concevez bien, ma très chère fille, que votre grande et principale affaire, c'est de mourir à tous désirs, tous choix et affections de quoi que ce soit, pour être libre intérieurement de prendre votre vol vers Dieu. N'ayez d'attache à rien. Soyez toujours dans la volonté de faire tout le bien qui serait à votre possible et par delà, mais soyez sans inquiétude, indifférente à toutes les conduites de l'obéissance, vous souvenant que tout ce que vous pouvez désirer de bon peut être infecté de votre amour propre et de quelque impétuosité de la nature intérieure, mais dans la mort, tout se purifie. Ne craignez point d'être sans souffrances ; vous n'y serez jamais, Dieu en fera naître des occasions au dedans et au dehors de vous-même. Fixez votre paix, votre repos et votre amour en Dieu seul, et non en quoi que ce soit de créé pour bon qu'il soit. La foi nue sera une vie et le chemin par lequel vous passerez en Dieu, mais, chère enfant, ce chemin est d'autant plus rigoureux qu'il est la mort de l'amour-propre. Les retours, les raisonnements, les • goûts, les satisfactions y agonisent. Il faut outrepasser tout cela et entendre les plaintes et les gémissements de notre intérieur, qui crie qu'il meurt de faim, qu'il ne peut soutenir une destruction si cruelle, sans se soucier de nous-même. Il faut se résoudre à tout perdre, si nous voulons tout gagner. Secondement pour ce qui regarde les demandes que l'on vous fait sur votre intérieur, répondez, chère enfant, selon la simplicité du coeur et fort ingénument, sans vous mettre en peine du succès, ni de ce que l'on pourra dire. Je veux que vous ne regardiez que Dieu et que, sans réflexion, vous conserviez en tout et partout une sainte liberté. Je trouve que la simplicité fait cela, je veux dire, que votre âme regarde sans se détourner de cette vue ; c'est une disposition qui produit d'excellents effets. Si j'avais autant de temps que d'affection et de zèle pour votre sanctification, je vous dirais beaucoup d'autres choses, mais il faut nous contenter du peu puisque la Providence me donne tant d'occupations.

J'écrirai à la Mère N. pour la prier de vous prêter quelques petites choses qu'elle a recueillies sur quelques Evangiles de l'année. Peut-être que cela vous pourra servir et aider à donner un peu d'intelligence pour les autres. J'aurais un singulier plaisir d'instruire votre âme ; ce sera toujours le plus souvent que je pourrai soyez-en très certaine. Vous savez ce que vous m'êtes, je ne vous le réitère point. C'est pour le temps et l'éternité ce que je vous ai dit devant le Très Saint Sacrement avant mon départ. Si je puis durant le saint octave, je vous écrirai. Embrassez ma chère Soeur des [ Anges du Vay] (2) pour moi et l'assurez de ma fidélité. Vous pouvez m'écrire quand vous voudrez.

A Dieu en Dieu, il soit à jamais béni ! Nous vous exhortons d'être bien gaie, libre et dégagée, n'étant point trop sérieuse avec vos Soeurs, de sorte que votre humeur trop retirée leur soit à charge. Faites paraître de la joie dans votre sainte captivité à Dieu, afin d'encourager les petits à l'amour de Notre Seigneur, imitant saint Paul qui se fait tout à tous pour les gagner tous. Agréez, chère enfant, ce petit mot d'avis de votre pauvre et indigne Mère.

no 3074 D43

(I) Jn. V1,57.

(2) Catherine du Vay (Mère Marie des Anges) prit l'habit en janvier 1661 et fit profession en septembre 1662 au monastère de la rue Cassette. Elle fait partie du groupe des fondatrices du monastère de Toul (cf. Journal de Toul). Mère Mectilde l'enverra aussi aider à la fondation du monastère de Rouen.

A LA M ÊME

Je fais ce que je puis pour vouloir ce que Dieu veut et pour agréer son amour qui, dans l'état où la Providence vous tient, fait des coups de sa puissance. Je crois qu'en vous renversant le corps par l'infirmité,

LETTRES INÉDITES 275

274 CATHERINE DE BAR

il anéantira l'esprit par sa grâce et fera de vous une nouvelle créature en Jésus Christ. Je vous prie de lui donner un pouvoir absolu de vous dominer, mais par un simple acquiescement d'amour vous soumettant et abandonnant à son plaisir. C'est à présent qu'il faut être victime par état et expirer en Jésus. Rendez-lui à tout moment votre être intérieur, désirez de n'eh plus avoir l'usage. Commencez demain à la sainte communion à vous séparer doucement de vos propres pensées, sentiments, raisonnements, etc., et allons avec ces pauvres peuples de l'Evangile de dimanche dernier à la suite du Seigneur en nous oubliant nous-mêmes comme ces pauvres gens. Et cela obligera miséricordieusement et amoureusement sa bonté à pourvoir à nos besoins et il dira pour nous : «Misereor super turbam» (1), j'ai pitié de cette troupe qui me suit. Par un sacré oubli de ses intérêts, il nous rassasiera de lui-même, se faisant notre nourriture. Eprouvez les soins de son amour et croyez qu'il est infiniment bon et qu'il vous aime plus que sa propre vie.

no 974 C405

(1) Mc VIII, 2. Cet évangile de la multiplication des pains était lu le 6e dimanche après la Pentecôte. Pâques étant cette année là le 25 avril, la lettre a dû être écrite vers le 20 juillet.

À LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME]

7 juillet 1666

Ma très Révérende et toute chère Mère,

Loué soit àjamais le Très Saint Sacrement de l'autel

lya longtemps que je désire vous rendre mes respects et répondre

à celle que vous me fîtes la grâce de m'écrire à ma sortie de Toul. Mais j'ai toujours tant d'occupations que les unes abîment les autres. Ce petit mot sera par avance pour vous rendre grâce de ce que vous avez fait pour la bonne Mère de Saint Joseph [de Laval-Montigny qui en a toutes les reconnaissances qu'elle doit et qui travaille de la bonne sorte à la perfection. Nous en sommes ici fort édifiées et j'eusse été bien aise que vous l'ayez retenue pour former le choeur et régler le chant, mais la chose se pourra faire une autre fois, ou dans le premier voyage que la divine Providence nous fera faire, si vous en avez besoin.

Je bénis Dieu de tout mon coeur, ma très chère Mère, de toutes les grâces qu'il donne à votre sainte Communauté. Je ne les puis assez admirer. Je crois que toutes sont persuadées, présentement, que notre saint Institut n'est pas si rigoureux, ni si opposé à notre sainte Règle, comme plusieurs le croyaient. Monsieur d'Etival me fait l'honneur de m'écrire comme toutes choses se pratiquent parfaitement, dont j'en ai conçu une joie singulière. Soyez, certaine, ma toute chère Mère, que l'Institut est saint et que, nonobstant que Notre Seigneur se soit servi d'une très grande pécheresse pour l'établir, il ne laisse pas de contenir-les grâces et bénédictions qu'il y a mises et que vous y trouverez pour toutes vos chères filles autant de sainteté qu'elles en voudront puiser dans la source qu'il renferme en soi. Avouez, ma toute chère Mère, que vous y trouvez plus de grâces que vous ne pensiez et plus de facilité qu'il ne vous en paraissait. Béni soit infiniment le bras de la divine toute puissance qui a fait ce coup de miracle en vous, et de vous avoir choisies pour être les dignes adoratrices et réparatrices de Jésus, mon bon Sauveur, humilié sous les espèces ! J'ai mandé à Monsieur d'Etival une histoire fort touchante qui excitera votre amour en esprit de réparation. voyant comme Notre Seigneur se laisse à la puissance des impies. Quand nous serions éternellement abîmées dans notre néant en sa sainte Présence, ce ne serait pas assez pour reconnaître ses bontés ineffables dans le Très Saint Sacrement et les excès où son amour infini l'expose. Si vous saviez tout ce que je sais, votre coeur, ma très chère Mère, en serait navré. Rien n'est si sensible que de voir l'ingratitude des créatures vers la bonté infinie de Jésus qui, pour tous ses bienfaits et le don qu'il nous fait de lui-même, est outragé si cruellement. Je ne m'étends pas, ne le pouvant pour cette fois. Soyez assurée, ma très honorée et plus chère Mère, que je suis à vous et à votre sainte Communauté toute de coeur en Jésus et pour Jésus, votre très indigne fille et servante.

no 635

A LA MÊME

11 août 1666

Ma très Révérende et très chère Mère,

Jésus humilié sous les espèces soit l'objet de notre amour et de nos éternelles adorations !

n e n'est pas pour moi un petit sacrifice de me voir si environnée 'I' d'affaires que même elles me privent de la plus douce consolation que je puisse avoir en ce monde, qui est de vous donner de nos nouvelles et d'en recevoir des vôtres. Ma vie se passe dans les embarras, tandis que la vôtre se consomme dans la chère solitude. Mon sort est bien différent du vôtre, ma toute chère Mère, quoique tous les deux soient dans la main de Dieu et que c'est lui qui les opère. Il se faut contenter de sa divine volonté puisqu'il n'y a rien de meilleur au Ciel ni en la terre, et qu'elle fait la joie et le bonheur des bienheureux. Il faut qu'elle fasse ici-bas le nôtre et que nous trouvions en elle notre paix, notre repos et notre sanctification. C'est cette aimable volonté que nous devons

276 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 277

de lumière de cet ineffable amour. Vous, ma toute chère Mère, qui avez reçu la grâce d'en être pénétrée, vous entrerez sans peine dans la douleur de voir cet aimable Sauveur si indignement traité. Je ne sais si je vous ai mandé comme les profanations continuent en différentes manières et que dans l'octave du Très Saint Sacrement on avait dérobé le saint ciboire aux filles de l'Ave Maria à Paris (2). Je crôis vous avoir dit que j'avais fait confesser une ...

no 134

(2) Le monastère des Clarisses de Paris, placé sous le vocable de l'Ave Maria, fut fondé en 1484. Il était situé entre l'Hôtel de Ville et l'église Saint-Paul-Saint-Louis, rue de l'Ave Maria. (renseignement fourni par le monastère des Clarisses de Paris).

toujours envisager dans tous les événements de la vie, soit agréables ou fâcheux, et c'est dans la soumission qu'on lui doit où l'on trouve le calme dans les accidents les plus douloureux.

La pauvre Mère de Saint Joseph [de Laval-Montigny] (1) a porté cette suave disposition de paix et d'amour dans le fort du mal que Notre Seigneur lui a envoyé depuis sept ou huit jours, qui lui fit recevoir dimanche dernier l'extrême-onction avec une sérénité admirable, qui attendait la mort par un mal de coeur et de tête très violent. Elle nous paraît beaucoup mieux aujourd'hui, quoique les médecins ne la croient pas encore hors de hasard. Je ne pense pas que ce soit si tôt ; elle-même ne désire pas la mort corporelle, mais elle a un extreme désir de mourir. de la bonne sorte. toute à elle-méme. Son seul reuret, dans les agonies qu'elle a souffertes, était de paraître devant la majesté de Dieu toute vivante, disant qu'elle croyait que c'était la plus cruelle peine qu'une âme pouvait avoir à la mort de voir que Notre Seigneur n'était point vivant en elle. C'est bien son dessein de bien travailler à la ruine d'elle-même ; pour moi j'estime que c'est une urande urâce d'en avoir un véritable désir. Elle m'a priée de la recommander à vos saintes prières et de vous assurer qu'elle a toutes les reconnaissances possibles de la grâce que vous lui avez faite. Elle m'avait fort priée dans son extrêmité de vous remercier pour elle, et de vous demander pardon comme à sa chère et précieuse Supérieure et votre bénédiction. vous assurant qu'elle avait une singulière joie d'avoir l'honneur d'être votre fille et associée à la sainte Communauté de Rambervillers qu'elle estime comme des anges du Ciel. Je crois que notre chère Mère Sous-Prieure vous en écrit.

Je ne m'étendrai pas davantage sur ce sujet, mais je vous dirai, ma toute chère Mère. que j'ai rendu grâce à mon Dieu de vous avoir liée et engagée par voeux, vous et vos saintes filles, à l'Institut du Saint Sacrement ; vous en êtes à présent. par une promesse irrévocable, les victimes. Je ne doute point qu'en prononçant vos voeux vous n'en ayez reçu les grâces. dont la première est la tendresse, amour et respect pour la personne adorable du Fils de Dieu dans cet auguste mystère. La seconde est une sainte ardeur pour sa gloire et pour ses intérêts, ne pouvant souffrir qu'il y soit déshonoré et profané par les pécheurs. d'autant qu'il se donne par amour et que son amour est payé d'ingratitude. d'outrage et d'impiété, ce qui navre un coeur qui aime et qui a un peu

(1) Soeur de Monseigneur de Laval. Elle fait partie du premier groupe de religieuses qui entourent Mère Mectilde, rue Férou. en 1653. Souvent et très gravement malade, elle fera un long séjour au monastère de Rambervillers. C'est à elle que sera confiée la tâche délicate de former. le monastère de Nancy à l'esprit de notre Institut. Elle en sera prieure jusqu'à sa mort, en 1685.

Monseigneur de Laval (1622 - 1708). Il fréquenta l'Ermitage de Jean de Bernières plusieurs années. 11 s'embarqua pour le Canada dont il fut le premier évêque. en avril 1659. Il se démit de sa charge en 1685. C'est une très grande figure du XVIle siècle missionnaire, cf. Souri-au. op. cit.. p. 306 et suiv.

/ Daniel-Rops, L'église des temps classiques, Fayard, 1958, t. 11, p. 106, 150. Pour l'oeuvre si remar-

quable des séminaires. Cf. Noël Baillargeon. Le séminaire de ,Ouébec sous l'épiscopat de Mgr de Laval, Québeç. les Presses de l'Université Laval. 1973.

A LA MÈRE SAINT FRANCOIS DE PAULE [CHARBONNIER'

16 octobre 1666

Chère enfant,

ILa divine Providence vous mortifie en me mortifiant et m'ôtant la commodité d'achever une lettre, pour répondre aux vôtres, qui est commencée il y a plus de deux mois. Il faut bénir Dieu dans les accablements où je suis, et vous, chère enfant, entrez avec moi dans ses conduites, et tant s'en faut que mon silence vous doive rebuter et faire douter de mon affection. Il doit vous lier à nous plus étroitement par des dispositions conformes d'abandon, de sacrifice et d'union au bon plaisir de notre bon Maître, qui nous privé des innocentes satisfactions que nous aurions si nous pouvions nous entretenir par lettres aussi souvent que je le voudrais ; mais, une fois pour toujours, croyez que je suis toute à vous, mais invariablement et inviolablement et d'un coeur inaltérable ; et vous savez ce que je vous dis à ma dernière sortie de votre sainte Maison. Soyez certaine que ce sera pour le temps et pour l'éternité et que, dans les sacrées plaies des pieds adorables de mon Sauveur au Très Saint Sacrement, nous y ferons vous et moi notre demeure. Ne laissez pas cependant de m'écrire quand vous pourrez. J'ai une joie sensible d'avoir de vos nouvelles et, au pis aller, je vous ferai une ample réponse un de ces jours que j'espère être en retraite. Soyons à Dieu, chère enfant, plus ardemment et fidèlement que jamais. Laissons le reste s'abîmer dans le néant. Prêtons-nous à tout ce que l'obéissance nous impose et dans nos obligations de religion. Mais que le coeur, je veux dire la volonté, surnage toujours au-dessus de toutes choses. pour ne s'attacher au créé ni ne s'engager à rien, afin qu'il soit libre de prendre son vol à tous moments vers son tout, dans l'intime de son être. Courage, chère enfant, aimons Jésus et sa très sainte Mère et que tout notre plaisir soit de nous immoler pour leur gloire et de nous consommer au pur amour.

278 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 279

Je suis en lui toute vôtre et à ma chère soeur N. qui a part si intimement à notre liaison. J'ai peine de n'avoir encore répondu à sa lettre ; je la prie que cela ne la rebute point ; je le ferai amplement dans notre retraite avec la grâce de Notre Seigneur ; je l'embrasse avec vous très cordialement.

il" 1916 N256

AUX RELIGIEUSES DU MONASTÈRE DE RAMBERVILLERS

15ème décembre 1666

Loué et adoré soit à jamais le Très Saint Sacrement de l'autel ! Mes Révérendes et mes très honorées et chères Mères,

ous avons reçu celle qu'il vous a plus nous écrire par laquelle vous

nous faites entendre la disposition merveilleuse que le Saint Esprit opère dans vos coeurs. Je l'en bénis et l'en remercie comme d'une grâce très singulière qu'il vous fait, mes très chères Mères de vous tenir dans une sainte adhérence et humble soumission aux règles que ce divin Esprit a inspirées pour la bonne conduite de notre Congrégation. J'espère avec l'aide de sa grâce que vous n'y trouverez rien de choquant, et que toutes seront satisfaites des précautions que nous avons prises pour éviter les inconvénients autant qu'il nous est possible. Monsieur d'Etival en sera juge et témoin et vous assurera de la sincérité de nos intentions, quoique vous en soyez déjà persuadées et que vous ayez assez de bonté pour croire que je ne veux et ne cherche que le bien général et particulier de tout l'Institut. Je ne fais rien qu'avec les conseils des personnes éclairées et expérimentées en telles affaires. Il se doit encore faire une assemblée le 16 ou le 17 du mois prochain de douze ou quinze docteurs savants et gens de haute piété pour prendre leurs avis et leurs approbations. Les Révérends Pères Général. Définiteurs, Visiteurs de la congrégation de Saint-Maur et les Révérends Pères Prieurs de Saint-Germain et de Saint-Denis seront de l'Assemblée (1) et ont agrée qu'elle se fasse dans leur abbaye, témoignant un grand zèle pour cet ouvrage et affection de nous y servir. Je ne crois pas qu'avec l'examen

(1) Le chapitre général de la congrégation de Saint-Maur avait nommé en juin 1666 : supérieur général de 1660 à 1672, Dom Bernard Audebert ; visiteur de France , Dom Claude Boistard (1620 - 1709). (il sera supérieur général de 1687 à 1708) ; prieur de Saint-Germain-des-Prés, Dom Antoine l'Espinasse (1600 - 1676) ; prieur de Saint-Denys, Dom Vincent Marsolles (1616 - 1681) (il sera supérieur général de 1672 à 1681). Cf. Dom Martène Histoire de la Congrégation de Saint-Maur, t. IV, Ligugé, 1930, p. 221 (Archives de la France Monastique, vol. 34).

La rédaction des Constitutions et des Statuts de Congrégation de l'Institut a'été commencée dès 1663. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 214.

de tous ces grands hommes, on puisse manquer. Ceux d'entre eux qui les ont vus (2) les admirent. J'espère que Notre Seigneur en tirera sa gloire et qu'il y donnera sa sainte bénédiction. Si, après que vous les aurez vus et considérés devant Dieu, vous y trouvez quelques difficultés, nous tâcherons avec sa grâce de les résoudre et de vous consoler, vous assurant, mes très chères Mères, que vous aurez le centuple en ce monde et une glorieuse récompense en l'autre d'avoir bien voulu vous sacrifier à l'amour, à la gloire et aux intérêts de l'auguste Sacrement de nos autels. Vous donnez vos veilles et vos assiduités à un Dieu qui ne se laisse pas vaincre ni surmonter en bienfaits. Pour un peu d'honneur que vous lui rendez en terre, vous en aurez une gloire éternelle et toute particulière dans le Ciel et des bénédictions infinies en ce monde.

On ne perd rien de s'efforcer de réparer la gloire d'un si bon Seigneur et, quoi qu'on soit indigne de la moindre réparation, il ne laisse pas de prendre un singulier plaisir de voir ses épouses animées d'ardeur et de zèle pour rétablir sa gloire. Vous êtes, mes très chères Mères, des réparatrices d'amour et vos réparations doivent être faites en amour, puisque vous êtes les suppléments des pécheurs et des impies qui sont sans amour. Oh ! que nous serions heureuses si nous pouvions nous fondre en la présence de ce divin Sauveur et que nos coeurs soient brisés et consommés de ces précieuses flammes ! Plût-il à Dieu nous rendre dignes de l'aimer, de ce pur et violent amour qui transforme les bienheureux en Jésus dans le Ciel ! Amour violent et amour tranquille et paisible tout ensemble, amour qui brûle sans consommer, amour qui triomphe de tout et qui rend Dieu maître absolu de nous-même. Ayez de la joie, mes très chères Mères, d'appartenir à un si bon Seigneur, à un Dieu que l'amour transporte du sein de son Père dans le tabernacle pour être l'objet de nos hommages, de nos adorations et de notre amour, et pour nous faire vivre de sa vie. Mon Dieu, mes très chères Mères, que ce divin Sauveur a peu d'adorateurs ! Presque tout le monde l'ignore, ou, s'il est connu, il n'est point aimé. Si vous saviez ce que nous apprenons tous les jours, vos coeurs s'abîmeraient, vos yeux seraient toujours remplis de larmes, vous gémiriez incessamment, mais un coeur dur comme le mien s'accoutume à entendre dire tant d'horribles choses. Ne soyez pas de la sorte, mes très chères Mères, laissez-vous pénétrer de douleur de voir l'amour infini de Jésus au sacré mystère eucharistique récompensé d'une effroyable ingratitude. Je ne dis point le reste, je serais trop longue à vous l'exprimer. Aimez, mes très chères Mères, aimez l'amour qui, par amour, demande votre amour, et ne peut être satisfait que de l'amour. Soyez les victimes de l'amour renfermé au Très Saint Sacrement de l'autel. Ne souffrez point que cet adorable prisonnier d'amour soit frustré de votre amour. Ne voulez que lui, ne

(2) Lire : ceux d'entre eux qui ont vu ces projets de Statuts les admirent.

280 CATHERINE DE BAR

LETTRES INÉDITES 281

cherchez que lui, ne vous contentez que de lui, que tout ce qui n'est point lui soit banni éternellement de nos coeurs, et qu'il nous envoie la mort plutôt que de permettre que nous vivions un moment pour nous-mêmes et pour les créatures. Priez pour moi, mes très chères Mères, afin que je puisse moi-même faire ce que je vous dis, et que Notre Seigneur et sa très Sainte Mère soient à jamais les souverains de nos coeurs. Je suis en leur sacrée dilection toute votre pauvre fidèle et affectionnée servante

Sr M. du St Sacrement

Pardonnez aux petites saillies de mon esprit qui se confie en vos bontés, mes très chères Mères..

232

À LA MÈRE DOROTHÉE [HEURELLE] SOUS-PRIEURE À RAMBERVILLERS

décembre 1666

a'.'aimerais bien mieux être auprès de vous que de vous écrire, ma très chère Mère, mais, comme la Providence me prive de cette consolation, je viens du moins vous assurer que je suis toute à vous et à toute la chère Communauté, que je salue de tout mon coeur en lui souhaitant une bonne et sainte année, comblée de toutes sortes de bénédictions, et au bout que je puisse bientôt, avec notre bonne Mère, vous allez rendre les marques de nos sincères affections.

Certes, ma très chère Mère, de toutes les maisons de l'Institut il n'y en a point où mon coeur respire de consommer son sacrifice [plus] qu'à la chère maison de Rambervillers. Elle m'est plus aimable que jamais, et toute ma passion serait de la bien établir avant que de mourir. Mais mes péchés me rendent indigne de l'effet de mes désirs. Si vous ne priez Notre Seigneur qu'il les consomme dans son sang, je ne pourrai jamais rien faire qui lui soit agréable, ni qui soit utile à cette chère maison.

J'ai un grand désir de vous voir encore une fois, et de parler un peu de ce qui doit faire notre félicité éternelle. Je sais que vous y aspirez avec tant de zèle et d'ardeur que vous ne vous souciez pas de m'attendre. Je vous prie de modérer cette ferveur, en sorte que je vous puisse encore trouver sur la terre pour y renouveler notre sainte union, qui sera inviolable en Jésus Christ. Je vous en assure plus que jamais.

A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL

ler janvier 1667

uelle apparence de laisser ce commencement d'année abîmer

comme les autres dans une foule d'occupations sans dérober ce petit moment pour saluer les chères victimes de Jésus, en leur souhaitant une bonne et sainte année, comblée de grâces et de bénédictions du ciel et de la terre, telles qu'autrefois Jacob les reçut de son père (1). Je prie Jésus et sa sainte Mère de nous renouveler dans l'esprit et la grâce de notre Institut, et que vous en soyiez les piliers et les colonnes, pour le soutenir en sa vigueur et en sa sainteté. Je prie ce divin Enfant qu'il vous revête de la grâce de sa divine enfance, qu'elle porte en vos coeurs les effets de pureté, d'innocence, de simplicité et d'humilité. Je le prie derechef qu'il vous rende digne d'être les victimes de son amour et de sa sainteté, que, comme il ne vit que pour son Père, de même vous ne viviez que pour lui et en lui. Je vous puis persuader que je vous aime très cordialement, et que je suis en esprit au milieu de vous, comme, selon l'apparence; nous espérons y être bientôt personnellement. Je me réjouis de vous voir, mes très chères filles en Notre Seigneur; vous êtes, ce me semble, la jôie de mon coeur et ma consolation. Quand je suis dans l'angoisse je me souviens de vous, et, voyant que vous servez Dieu, ou du moins que vous le voulez aimer et servir de tout votre coeur, le mien s'en réjouit. Bénites soyez-vous toutes du Fils et de la Mère, et que Jésus et Marie trouvent leur complaisance en vous et dans votre petit monastère ! Hélas ! mes chères enfants, toute la bonne fortune d'une âme c'est d'être à Jésus, de mourir pour Jésus, c'est de vivre de Jésus et de suivre Jésus ; hors de cet état, ce n'est que misère et péché. Toute la terre est pleine de corruption, jamais le péché ne fut si élevé ni si soutenu qu'à présent. Le mensonge et la vanité font la vie et l'entretien de tous les hommes ; très peu s'en séparent pour marcher dans les sentiers de la vérité ; les bons géinissent incessamment après le règne de Dieu. Les âmes qui aiment sa gloire le prient d'abréger les jours de l'homme, puisque tout se convertit en iniquité. Oh ! que vous êtes heureuses d'être choisies et élues de Dieu pour être associées à son Fils ! Oh ! que votre bonheur est grand de n'avoir qu'à complaire à Jésus ! Oh ! que vous êtes riches d'être pauvres de sa pauvreté ! Oh ! que votre liberté est glorieuse d'être ses esclaves ! Tous ses serviteurs sont rois, et saint Paul nous dit que «servir Jésus c'est régner». Oh ! le beau paradis que nous commençons en terre pour le consommer un jour dans la gloire que ce divin Jésus nous prépare comme à ses bien-aimées qui ont partagé ses croix et ses humiliations par la conformité à ses sacrés états, et par l'union à son bon plaisir !

n. 729 13505

(I) Cin. 27.

282 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 283

Entrez, mes chères enfants, dans la joie du Seigneur, et vous enivrez du torrent de ses délices et voluptés divines, dont les saints seront éternellement rassasiés, et n'oubliez point en vos saintes prières une pauvre pécheresse, qui n'est pas digne de porter la qualité de votre très affectionnée Mère et servante.

no 2592 CrC

A LA MÈRE ANNE DE SAINTE-MADELEINE

Prieure de Toul

Janvier 1667

an quelque occupation que je puisse être ce faut-il que je vous

souhaite une année de bénédiction pleine de urâce et de sainteté pour vous ma toute chère Mère et pour toutes vos filles, et prie le divin Enfant Jésus qu'il soit votre vie et qu'il commence en vous et en nous cette année et qu'il la consomme en son amour. Voilà les souhaits d'un coeur plein de tendresse et d'affeCtion pour votre âme et pour le petit troupeau que la divine Providence vous a confié. Je ne doute point qu'il ne vous donne tout ce que vous avez besoin pour le conduire au gré de celui à qui il appartient.

Prenez courage, très chère Mère, dans votre travail. Ne vous rebutez point, ni de la charue, ni de vos propres misères. Il faut nécessairement s'abandonner et se perdre dans le bon plaisir de Dieu. Il s'y faut, dis-je, abîmer, sans cela on ne saurait vivre contente dans les misères de cette vie. Mais si nous nous délaissons à Dieu il fera sa volonté tandis que nous mourons incessamment à la nôtre.

Il y a des âmes, nia toute chère Mère, que Dieu conduit par des sentiers de perte et d'actuelle abnégation d'elles-mêmes. Il semble que tout conspire à la ruine des moindres choses qui les pourraient un peu consoler. Leurs voies ne sont que mort et que lanuueur, que des abjections qui semblent presque infinies, et ce n'est pas un petit sacrifice de vivre de cette sorte, notamment quand la Reliuion nous charue de ses emplois les plus forts.

Pour moi, je puis dire que Dieu a trouvé un moyen de me rendre abjecte effroyablement en faisant notre Institut. Je n'en puis revenir ; vous diriez que tout aboutit à m'y plonger- toujours plus avant. 11 faut bénir Notre Seigneur et le laisser faire comme il lui plaira, quoique l'esprit humain et la superbe crèvent de voir sa conduite si renversante ide, nos desseins. Cependant il faut marcher, agir et faire bonne mine, comme si tout succédait selon nos désirs. 11 ne faut pas seulement qu'on voie la moindre amertume dans nos paroles, ni dans nos actions. Personne n'est capable de nos peines, comme aussi personne ne nous

peut consoler quand Dieu se mele de nous crucifier. Je vous prie, ma toute chère Mère, de commencer une neuvaine à la très sainte Mère de Dieu pour lui mander nos besoins spirituels et temporels, et singulièrement trois choses

1. L'esprit et la grâce de notre Institut :

2. Des sujets pour le remplir, le soutenir et perfectionner ;

3. De quoi le faire heureusement subsister. J'ai besoin de son secours extraordinaire. Il faut bien de la foi, de la confiance et de la patience. Dieu soit béni ! 11 en usera comme il lui plaira. Si j'écoutais le raisonnement humain, je ne croirais pas pouvoir jamais réussir. Recommandez le tout à la très sainte Vierge ; j'espère qu'elle aura pitié de nous.

Durant la neuvaine que je vous demande, une religieuse chaque jour fera 63 coups de discipline pour honorer les années de cette bénite

Mère de Dieu ; 2. fera la Sainte Communion à son honneur. 3. dira

« AVE MARIA Fl LI A DEI PATRIS » (1) etc... 4. jeûnera comme un jeûne de la Règle, et ajoutera quelque acte de vertu, d'humilité ou de charité, etc., priant humblement et ardemment qu'il lui plaise nous

reuarder en miséricorde, et nous envoyer des sujets capables de soutenir

et le reste que nous avons besoin. Vous changerez chaque jour de religieuse durant cette neuvaine, afin que chacune y contribue et qu'elle

ne soit point trop surchargeante. Vous voyez, ma toute chère Mère, ma confiance en votre charité et que c'est de coeur que je suis toute à vous.

no 391 N267

(1) Saint Jean Eudes a emprunté la première partie de cette pièce à sainte Gertrude , au livre Ill chapitre XX, du «Héraut de l'amour divin», y ajoutant les invocations et bénédictions finales. Le Père Eudes recommandait de la réciter pour la conversion des pêcheurs et au chevet des malades. (Renseignement fourni par les religieuses de Notre-Dame de Charité fondées par Saint Jean Eudes).

POUR LA CHÈRE COMMUNAUTÉ [À PARIS'

1_ de Plombières .1, ce 20 juin 1667

Loué soit à jamais le Très Saint Sacrement de l'autel !

'apprends, mes très chères Enfants, avec une extrême consolation les grâces que l'infinie bonté de Dieu verse dans vos coeurs et comme le Saint Esprit fait en vous toutes une entière union. Je suis ravie d'apprendre la plus douce et précieuse nouvelle que je pourrais jamais désirer. Voilà les effets de la divine Eucharistie par l'entremise de votre très sainte et glorieuse Abbesse, l'auguste Mère de Dieu. Oh ! qu'il fait bon l'avoir pour Mère et s'abandonner entre ses bénites mains ! Continuez votre confiance et d'y avoir un continuel recours. Vous verrez combien elle augmentera en vous ses faveurs, ses soins

284 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 285

et sa protection. Ne doutez pas que l'absence d'une pécheresse ne vous soit utile. Je vois manifestement que vous recevez plus de grâce que lorsque j'étais avec vous ; c'est un bonheur que je demeure longtemps dans mon voyage. Mais je vous aime trop pour me pouvoir priver si longtemps de vos chères présences. Vous ne croiriez jamais combien vous m'êtes chères ; mes paroles ne sont pas capables de vous le persuader, mais, croyez-le, je vous supplie et priez Notre Seigneur que mes péchés n'attirent point sa malédiction en ce pays.

Nous nous portons très bien, notre chère Mère Sous-Prieure et moi. Si elle avait de meilleures jambes, ce serait merveille. Mais elle ne peut marcher et [elle est] contrainte de demeurer longtemps au lit, voire quasi des journées entières. Ce pays est froid ; il y pleut toujours, ce qui fait craindre que les biens de la terre ne soient pourris.

Je vous sais bon gré du soin que la charité vous fait prendre de la pauvre Mère de Saint Joseph [de Laval-Montigny] dans son extrémité. Consolez-la ; je suis bien mortifiée de la savoir si mal et de n'être pas auprès d'elle. Assurez-la que j'y suis en esprit et que je fais bien prier Dieu pour elle. Je hâterai mon retour le plus que je pourrai. Nous faisons dire la sainte messe pour elle et continuerons tous les jours jusqu'à une meilleure nouvelle de sa santé.

Je ne puis assez remercier Notre Seigneur de l'union qu'il fait dans vos coeurs. Soyez un comme il est un avec son Père. Voilà le désir de son Coeur. Mon Dieu, que vous me donnez de joie ! Là où est la charité, Dieu y est ; je suis certaine par ce moyen que Dieu est avec vous, qu'il y prend sa sainte complaisance et que vous êtes son jardin de délices. Si vous continuez à vivre d'amour et de charité en lui et pour lui, vous me donnez une nouvelle vie. J'espère que Notre Seigneur me fera la grâce d'être plus à lui par vos exemples et par vos saintes prières. Faites tant d'instances vers sa Bonté, que nous ne soyons toutes qu'un coeur en son amour, ou plutôt que nous n'ayons plus de coeur que le Sacré Coeur de Jésus et de Marie, que le divin amour a réduit en un.

Voilà ma passion et l'effet du très adorable Sacrement que nous aimons si chèrement. II me semble qu'il rallume en moi un nouveau désir d'être consommée en lui. Faisons tout notre possible pour y parvenir, et, pour cet effet, mourons le plus que nous pourrons, car c'est la mort de nous-même qui donne vie à Jésus en nous, et cette vie divine fait imperceptiblement la consommation de tout nous en Jésus pour être lui seul notre unique vie.

J'avance tant que je peux pour aller retrouver les chères enfants de l'adorable Eucharistie ; je n'oserais dire les miens, n'étant pas digne d'être votre Mère, mais par relation à la divine Mère de Jésus. Je vous nomme du plus intime de mon coeur. mes très chères et plus que très chères Enfants en Jésus et Marie.

A Dieu, c'est en lui que je suis toute vôtre.

Je prends des eaux bien vilaines et bien puantes à mon goût. Hier j'étais un peu dégoûtée le matin ; l'après dîner et cette nuit j'ai été très bien et ce matin encore mieux. Il me semble que je suis plus légère. Voilà pour contenter votre affection.

Priez Dieu qu'il me rende digne de rentrer dans sa sainte Maison du Saint Sacrement.

no 860

A LA MÈRE MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE l CHARBONNIER I

[ 1667

gant appris que vous continuez d'être dans la douleur, j'ai cru que je devais vous dire ce que Notre Seigneur me donne sur vos dispositions.

Premièrement, je trouve que vous êtes tombée imperceptiblement dans une très grande réflexion et application à vous-même, à votre état et à votre éternité, que vous en êtes si remplie que vous ne le voyez pas, parce que le motif vous en parait juste, étant le respect d'un Dieu que vous outragez et que vous profanez par des sacrilèges et communions indignes, que vous êtes pleine de péché, que tout le passé n'a été que fantaisie, etc...

Je vous accorderai pour votre satisfaction tout ce que vous voudrez, quoique je sache ce qu'en est dans la vérité ; niais je vous dis de la part de Dieu que vous êtes trop occupée de vos misères de vos péchés, de vos malices, de vos sacrilèges, de votre damnation, de votre enfer-et de la perte que vous faites de Dieu. Je vois qu'au lieu d'aller à la mort de tout, vous avez réfléchi sur votre vide, et vous vous en êtes éffrayée. Vous avez voulu y apporter remède par vos industries intérieures et, au lieu de trouver du secours, vous avez trouvé le trouble dans l'impuissance et l'enfer dans la pauvreté. Vous avez été abîmée dans la douleur, vous n'avez plus observé de règle, ni de mesure. Vous avez pris des assurances de votre perte éternelle, bref tout est perdu, sans miséricorde, et il n'y a pas lieu d'espérer aucun retour. Ajoutez, si vous voul&, à tout ceci tout ce que votre esprit vous peut suggérer de vice et de péché. J'accorde tout. Soyez, si vous voulez, pis que tous les diables. Cela ne m'effraye et ne m'étonne pas. Vous n'avez de tout cela qu'un péché, c'est d'avoir quitté le néant pour quelque chose, d'avoir quitté l'état de mort pour prendre vie, d'avoir voulu être quelque chose en Dieu et dans la grâce, et vous n'êtes qu'un malheureux néant, qui doit être non seulement oublié de tout le monde mais de Dieu même, vous croyant indigne de son souvenir. Si j'étais auprès de vous, je vous convaincrais des vérités que je vous dis, mais, ne le pouvant, je vous prie de prêter croyance à ce que ma plume vous dit. Et commencez

286 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 287

au moment que vous aurez vu ce que dessus à vous mettre à genoux, disant de coeur et de bouche : MON DIEU ET MON SAUVEUR JESUS CHRIST, je vous demande pardon d'avoir voulu être, et d'avoir empêché votre grâce de m'anéantir ; je reçois toutes mes misères en pénitence, et renouvelle en votre Esprit mon voeu de victime qui me destine à la mort et qui me prive de tous les droits que mon amour propre a prétendu avoir sur moi et de tous mes intérêts de grâce, de temps et d'éternité. Je vous rends tout sans réserve, et ne retiens pour moi qu'un néant en tout et partout pour jamais, pour vous laisser être et opérer en moi tout ce qu'il vous plaira. Après cet acte, cessez vos examens, vos retours, vos réflexions, vos craintes, vos résistances à l'obéissance et à la communion. Nous vous ordonnons de la part de Dieu de vous tenir comme une bête dans la perte de tout et même de votre salut et perfection. Il n'est plus question de tout cela, mais seulement de vous tenir dans ce simple abandon avec tant de fermeté que, si vous voyiez l'enfer ouvert pour vous engloutir, vous ne feriez pas un détour de votre pur abandon pour vous en préserver.

Voilà jusqu'où il faut mourir, et où vous ne voulez pas passer. Volontiers je vous gronderais de résister comme vous faites à la conduite miséricordieuse de Dieu ; ne permettez pas à votre esprit humain, ni à votre raison de répliquer ni raisonner sur ce que nous vous ordonnons de faire. Marchez tête baissée sous la loi du Seigneur, il vous fait trop de grâce ; ne soyez pas si misérable que de le rejeter sous prétexte que vous l'offensez. Je vous défends de vous amuser à penser à vos péchés, ni de regarder vos communions comme des sacrilèges. Perdez et abîmez tous ces retours et réflexions dans l'abandon simple comme je vous le propose. Ne prenez aucune part en rien de ce qui se passe en vous ; soit bien, soit mal, laissez tout cela sans le discuter. Dieu en jugera et en fera ce qu'il lui plaira. Et vous, tenez vous dans un néant éternel, qui ne voit plus, qui n'entend plus et qui ne parle plus pour soi-même, ni pour autre. Mais je vous répète encore une fois, demeurez comme un mort à votre égard et même à l'égard de Dieu, comme ce qui n'est plus et qui ne doit plus être. Et si vous êtes fidèle à suivre la règle que je vous donne de la part de Dieu, vous trouverez ce que vous ne pouvez vous imaginer et que je ne dois point présentement vous expliquer. Allez aveuglément où je vous mène, et croyez que par la grâce de Dieu je sais ce que je vous dis. Mai'chez sûrement dans l'obéissance, et ne laissez pas de prier Dieu pour celle qui est en Jésus toute à vous. Souvenez-vous donc de demeurer comme une bête en la présence du Seigneur, sans pensée, sans acte et sans force ; le néant n'a rien de tout cela.

Lorsque vous serez dans la croyance que vous êtes damnée, laissez tout ce jugement à Dieu, croyant qu'il fera justice s'il vous met en enfer. N'en soyez pas plus inquiétée, laissez tout pour vous tenir encore au dessous de tout l'enfer et des démons. Le rien n'est rien de tout cela.

rr 56 N267 A UNE RELIGIEUSE E DE TOUL 1

5 juillet 1667

Ma chère enfant,

X1 faut que je vous dise un petit mot sur celle que vous m'avez écrite touchant vos dispositions, pour seulement vous affermir et ne vous laisser en peine.

Premièrement, sur cet attrait qui vous tire en vous-même : il est bon mais comme il y aurait de l'excès, tâchez de vous exercer à quelque travail qui ne vous donne pas le loisir d'écouter, comme autrefois, vos sentiments et la douceur de la présence de Dieu en vous.

Secondement, demeurez toujours dans un saint abandon dans tous les discours de nouvelles, soit de guerre ou autrement. Vous feriez tort à Dieu en vous, qui a tant de bontés pour vous, si vous vous occupiez de quelque chose. Quant aux effets de la présence de Dieu en vous qui vous fait posséder Dieu d'une manière si intime, cela doit être ainsi de temps en temps, mais apprivoisez-vous avec toutes les miséricordes de Dieu à souffrir votre propre misère et corruption, sans penser vous en totalement délivrer. Il faut avoir patience du fond vicié en nous et en faire le sujet de notre humiliation, mais il ne faut point suivre les mouvements déréglés qu'il produit. C'est cela qui serait péché, et nou la vue du fond malin qui est en nous. Il le faut souffrir sans inquiétude puisqu'il sert de trône à Jésus Christ et qu'il prend ses délices dans une âme qui aime et sent sa propre corruption de cette sorte. Ne gênez point votre esprit par contrainte, mais suivez doucement ce trait intérieur qui porte en vous la paix du Saint Esprit. Ce qui est pénible en vous, n'en faites nul cas ; c'est un désir de Dieu qui voudrait adroitement rendre les choses divines sensibles. Je vois ce que Notre Seigneur fait pour sa gloire en vous. Prenez courage. Vous ferez bien de nous écrire de cette manière de temps en temps. Soyez fidèle, et ne vous brouillez avec qui que ce soit. Soyez fidèle à vos supérieures et tenez vous intérieurement séparée de tout le tracas de la vie et le bruit des discours des créatures ; ne laissez cependant d'agir en toutes vos obligations. Ne vous mettez point en peine de votre état ; tout va bien si vous faites ce que je vous dis. Je vous recommande ma soeur N. Je crains qu'elle ne s'accable un peu. Son état est pénible, Dieu la crucifie fortement, mais aussi il la veut faire sainte et on ne le peut être sans souffrir. Encouragez-la, et priez toutes deux pour moi. Je vous aime et chéris en Jésus du plus intime de mon coeur. Adieu.

Il faut encore vous dire que tout ce qui se passe en votre intérieur qui trouble la paix de votre âme, vous le devez négliger sans vous mettre en peine.

Ir 535 PI04 Bis

2 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 289

A 1,A MÈRE DOROTHÉE I HEURELLEI

Le 24 septembre 1667

Loue soit le Très Saint Sacrement de l'autel !

e jugez point, ma très chère Mère selon l'apparence, mais que votre

charité excuse mes embarras. Elle le fera facilement si elle pénètre les sentiments de mon cœur qui sont toujours pleins de tendresse pour vous. Croyez-le, ma très chère Mère, et que l'union que Jésus Christ a faite en nous est inviolable. J'ai cette confiance en votre bonté qu'elle ne m'oublie point. .le suis au milieu de Paris sans voir les personnes spirituelles. Je suis si rebattue de tout que je ne vois que Dieu seul fidèle. O ma très chère Mère ! que vous seriez .affligée si vous saviez ce que je sais. Oh ! que la persévérance dans la grâce et dans l'union à Dieu est précieuse et qu'on peut bien dire que c'est le don de Dieu qu'on ne peut mériter ! Les cèdres du Liban, ma très chère Mère, sont ébranlés, et Dieu veuille qu'un très élevé ne tombe point tout à fait : ce serait un fracas et un scandale terrible. Priez Dieu pour lui : je ne vous le nomme point, vous l'avez connu. Priez Notre Seigneur qu'il le retienne ; et priez Dieu pour moi qu'il me confonde dans mon néant. O très chère Mère, il n'y a point de sûreté que dans la profonde petitesse ; une vie cachée et inconnue est bonne, et heureuse l'âme qui la possède. Je vous estime de ce nombre, très chère Mère ; achevez votre course dans le silence et priez Notre Seigneur qu'il me cache dans mon néant, que je sois dans les sacrées plaies de ,ses pieds tdute ensevelie. Chère Mère, allons à Dieu par Jésus Christ ou, pour mieux dire, laissons-nous perdre en lui. Si je pouvais me retirer du tracas où je suis, je m'enfuirais comme vous dans la solitude. Mon âme y aspire, je vois que tout est en péril hors de là, à moins d'une fidélité extrême.

Je vous écris si en hâte que je doute si vous pourrez lire ce brouillon. .1e ne sais quand j'aurai la consolation de vous voir ; mon voyage est rompu pour cette année. Priez Notre Seigneur qu'il me fasse faire sa très sainte volonté en tout et lui recommandez notre Institut. C'est ce que je vous puis dire. Oh ! que la pauvre Mère de la Nativité (1) est heureuse ! Priez-la qu'elle prie Dieu pour moi..le suis en son amour toute à vous.

Je pensais encore écrire à la Révérende Mère Sous-Prieure et à ma chère Mère de Saint Michel I Bellet j, mais il est trop tard aujourd'hui ; à Dieu en Dieu ; mille humbles saluts à toutes mes chères Mères et Soeurs...

no 2229

( I ) Mère Angelique de la Nativité de Mangeon, professe du monastère de Rambervillers, fait partie du groupe des onze religieuses qui durent s'exiler au début de 1641 en raison de la guerre et de la famine. Elle rejoint Mère Mectilde à l'abbaye de Montmartre à Noël 1641 en attendant d'être reçue à l'abbaye de la Trinité de Caen en janvier 1642. Nous la retrouvons à Barbery, puis à Saint-Maur-

des-Fossés en 1643, dont elle fut supérieure jusqu'en 1650. 11 semble bien qu'elle se trouvait à Paris lors du retour de Mère Mectilde, le 25 mars 1651. Nous ne savons pas à quelle date elle est repartie à Rambervillers. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 51 à 71. Cette Mère est peut-être parente de Monsieur Marchal-Verdenal, qui a bien voulu nous communiquer la photo du portrait de Mère Mectilde appartenant à la famille Demangeon, publiée dans C. de Bar, Documents, 1973, p. 257.

A LA MÈRE MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE I CHARBONNIER

à Toul

10 novembre 1667

Que direz-vous, ma très chère fille, du retardement de la présente, que je suis tous les jours en volonté de vous écrire mais que la divine Providence n'a point voulu, puisqu'elle m'a donné et continue de me donner tant d'occupations qu'à peine trouvai-je le temps nécessaire pour la prière. Je suis esclave en plusieurs manières. Je prie Jésus qu'il sanctifie ma captivité et qu'elle honore celle qu'il porte dans la divine Eucharistie. Soyez certaine, ma très chère fille, que, nonobstant

290 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 291

tous mes embarras, je vous porte dans mon coeur et que je me souviens de vous plus d'une fois par jour, quoique cela vous soit inutile. Je suis très aise lorsque je reçois de vos chères lettres, ne soyez jamais plus d'un mois sans m'en donner ; mais c'est sans prétendre de vous gêner ni tant soit peu incommoder que je vous donne cette loi. Je tâcherai de réciproquer dans l'espérance que Notre Seigneur me donnera_un peu plus de temps, et que je ne serai pas toujours si accablée. Priez-le pour cela, surtout que je puisse faire ce qu'il veut et comme il veut, en tout et partout.

Les vôtres dernières, sur lesquelles je m'arrêterai pour vous répondre, croyant qu'elles expriment votre disposition présente, et par conséquent celle qui serait plus de besoin, m'obligent de rendre grâce à Notre Seigneur de vous avoir éclairée de ses diyines lumières et animé votre courage pour surmonter les sentiments et tendresses et retours de la nature.

C'est ainsi, chère enfant qu'il faut mourir de bon coeur à vous-même et trouver en Dieu ce que vous ne pouvez trouver dans les créatures, pour bonnes qu'elles soient. Jésus Christ vous veut toute à lui sans réserve ; il faut tout quitter pour le suivre. Il vous fait une faveur infiniment grande de vous appeler et presser de si près que vous ne pouvez vous en dédire.

Voici une lettre pour ma chère Sr. N. commencée il y a plus de six semaines. Je prétendais l'achever, mais on ne m'en donne pas le loisir ; je [la] lui envoie telle qu'elle est, lui demandant excuse. Elle verra par ce petit mot que je me souviens d'elle. Je l'embrasse au sacré Coeur de Jésus. J'espère après le «Cérémonial» (1), où je travaille incessamment, que nous aurons un peu de temps pour lui écrire et à toute la communauté en particulier.

n02584 P104 Bis

(1) Le premier Cérémonial à l'usage de notre Institut a été imprimé chez Robert Ballard à Paris en 1668. Les monastères fondés par Mère Mectilde ou agrégés par. elle, possédaient plusieurs Cérémoniaux manuscrits adaptant en quelques détails particuliers ce texte commun cf. arch. de nos monastères.

A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL

Paris, début de l'année 1668

Jésus soit le commencement et la consommation de nos âmes, nies très chères filles !

:--T e ne vous puis dire combien j'ai de confusion de tarder si longtemps à vous rendre les témoignages de la tendresse et de l'affection que je vous dois et que Notre Seigneur me donne pour vous avec abondance.

Quoique mes lettres ne vous le témoignent pas, soyez néanmoins persuadées de la vérité que je vous dis du plus sincère de mon coeur ; vous me ferez justice de le croire et que je pense à vous très souvent avec joie, apprenant que vous servez Dieu de si bon courage et que vous travaillez généreusement à vous rendre les fidèles victimes de Jésus. C'est la meilleure nouvelle qu'on me puisse donner, vous protestant que ma plus ardente passion est de vous voir toutes de grandes saintes.

J'ai sujet de bénir Notre Seigneur de toutes les grâces qu'il vous fait et singulièrement de vous avoir donné une bonne supérieure (1) sur laquelle je me repose avec assurance pour vos perfections. Je sais qu'elle ne manque point de vous donner tous les secours dont vous avez besoin. Soyez fidèles à ses conseils et ayez pour elle toute la soumission que vous devriez avoir si vous voyiez Dieu même ; elle tient sa place, ne lui manquez jamais de respect ; ayez aussi un grand soin de sa santé ; vous ne le ferez jamais plus efficacement que lorsque vous serez ponctuelles à l'obéissance et que vous ferez cas de ses bons avis. Vous ne doutez pas de son affection et du zèle qu'elle a de votre bonheur éternel.

Je suis toujours dans l'attente d'un voyage, mais je ne sais quand Dieu le voudra ; si les troupes se retirent, nous pourrions bien prendre la fin du Carême ; priez Dieu qu'il nous donne la paix et que le péché cesse de régner.

Je vous assure de l'amitié de toute la Communauté de Paris et que plusieurs ont un extrême désir de vous aller voir. Priez Notre Seigneur qu'il nous fasse la grâce de ne le point offenser cette année. J'ai besoin de vos saintes prières, mes chères enfants, étant toujours fort accablée et, l'âge avançant, je deviens fort paresseuse ; mon esprit ne voudrait plus de tracas, il demanderait un peu de relâche et de solitude pour se rendre à Dieu et faire pénitence. Mais j'apprends que le meilleur est de s'abandonner au bon plaisir de Dieu, d'être sans choix et sans volontés. Quand nous faisons ce qu'il veut, nous faisons notre sanctification sans vanité. Rien n'est meilleur que cette vie cachée en Jésus Christ ; il n'y a ni complaisance ni élévation ; il semble qu'on ne fait rien et cependant • elle fait tout sans le connaitre. Je vous prie, mes chères Filles, ayons un grand amour pour cette vie commune, aimons la Communauté et nous y conformons autant qu'il nous sera possible ; il est facile à l'âme qui a pris un peu l'habitude d'agir en foi. Tout ce que la Règle et les Constitutions et les Supérieurs vous ordonnent, c'est Dieu qui vous le demande et veut que vous lui obéissiez sans raisonnement. Dites donc

(1) Mère Anne de Sainte Madeleine, professe du monastère de Rambervillers, n'a pas quitté Mère Mectilde depuis leur sortie de ce monastère au début de 1641, pour trouver refuge en France. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 51 à 71. Nommée prieure de Toul par Mère Mectilde, le 21 février 1666, reconduite en sa charge le 8 juillet 1669, elle fut élue par la Communauté le 21 mars 1672, en présence de Dom François Castellan, prieur de l'abbaye de Saint-Mansuy et visiteur de la congrégation de Saint-Vanne, et de Monsieur Adrian Marcellis, curé de Saint-Jean. Elle exercera sa charge sans interruption jusqu'au 15 mai 1694. (Livre des élections priorales du monastère de Toul. Arch. de notre monastère de Bayeux).

292 • I 1-11CM11,4c LETTRES INÉDITES 293

quand la cloche sonne : mon Dieu, vous m'appelez et je vais vous obéir. Si vous faites une observance ou quelque fonction de communauté, dites quand la cloche sonne : mon Dieu, vous m'appelez et je vais vous obéir hardiment ; mon Dieu, je fais votre sainte volonté, mais donnez-moi la grâce de la faire comme vous voulez, avec les dispositions que vous désirez. Si vous êtes à la récréation, c'est l'ordre de Dieu, récréez-vous innocemment parce qu'il le veut. Si vous êtes au tour ou à la porte, Dieu le veut, vous lui obéissez en toutes les règles de Religion. Si vous êtes à la cuisine, vous faites le bon plaisir de Dieu, il le veut ; soyez-y avec joie et dans l'agrément de sa très sainte volonté. Ne portez point vos désirs dans la solitude quand Dieu vous appelle dans le travail ; soyez indifférentes aux ouvrages qu'on vous emploie, mais que votre intérieur conserve la paix et soit toujours soumis : c'est le moyen de faire un progrès admirable et de n'être empêché de quoi que ce soit. C'est le grand secret de la vie intérieure. Nous appelons cela trouver Dieu partout, et comment le trouver mieux que dans cet amoureux acquiescement à son bon plaisir qui fait la paix de l'âme et qui la dégage de tout ? Les saints agissaient de la sorte sans contrainte ni violenter l'esprit. C'est le coeur qui fait cette disposition parce qu'il est le siège de l'amour. Aime, dit Saint Augustin, et puis fais tout ce que tu voudras. C'est aimer véritablement de vouloir simplement et cordialement ce que Dieu veut ; et vivre dans sa volonté de cette sorte, c'est être cachée en lui. Adieu, mes chères enfants, on me presse de finir. Je suis à vous en Jésus d'une sincérité entière.

no 1261 N267

A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÈME]

le 14 février 1668

Loué soit à jamais le Très Saint Sacrement de l'autel ! Ma Révérende et très chère Mère,

Jésus anéanti dans l'auguste mystère de nos autels soit notre vie, notre amour et notre consommation !

e commence ma lettre à vous annoncer une profanation qui s'est

faite à Conflans (1), proche le faubourg Saint-Antoine à Paris ; ma Soeur Mectilde [Philippe] sait le lieu. Le Très Saint Sacrement fut volé dans l'église de la paroisse et les saintes hosties jetées au vent, dont une partie se trouvèrent dans la boue des rues, à demi usées et rompues ;

(I) Conflans-l'Archevêque, sur la Seine, près de Charenton.

d'autres étaient poussées par le vent dans les porches des maisons, et les servantes les trouvèrent dans les immondices en balayant devant leurs portes ; d'autres étaient recueillies par des petits enfants. qui s'en jouaient et les mangeaient. Voilà ce qui est arrivé ce mois de janvier dernier, et ce même jour, par un secret jugement de Dieu, trois églises en France ont été foudroyées du feu du Ciel. Sans doute vous en aurez entendu parler.

La semaine passée, le peuple de Paris, les plus zélés pour la gloire de Notre Seigneur au Très Saint Sacrement, furent faire des dévotions extraordinaires en ce lieu nommé Conflans, en réparation des mépris et outrages faits à la personne adorable de Jésus Christ immolé pour nous en ce divin mystère. On y fit des processions générales des prédications et expositions du Très Saint Sacrement. Il y eut plus de deux cents prêtres qui portaient chacun un flambeau en leurs mains et des enfants revêtus en anges.

Je sais bien que voici une triste salutation à ce commencement d'année et une flèche bien terrible par laquelle je navre votre cœur de douleur, de voir celui que vous aimez d'un amour si sensible traité si cruellement par les hommes, pour lesquels il donne tous les jours sa vie en sacrifice sur nos autels. O quelle ingratitude du coeur humain ! Tous ces vols si souvent réitérés en ce pays font craindre les châtiments de Dieu dont le plus effroyable serait de perdre la foi. Un saint prélat avant-hier m'en dit ses sentiments avec une extrême douleur ; les serviteurs de Dieu sont dans la même crainte, voyant de plus que lé péché d'abomination est sur le trône et qu'il triomphe avec une insolence épouvantable. Croyez, ma très chère Mère, qu'il y a bien de quoi nourrir les victimes du Saint Sacrement, puisque leurs viandes sont les outrages qu'on fait à leur divin Sauveur et les amertumes des péchés qui se commettent à toute heure. Voilà de quoi occuper le zèle d'une Fille du Saint Sacrement, qui fait pénitence pour les impies et qui doit rendre à Jésus la gloire qu'ils lui dérobent à tous moments. Je n'oserais dire ce que je sais de détestable qui se pratique en quelques endroits ; vous ne le pourriez entendre sans mourir. Moi qui n'ai qu'un coeur de pierre plus dur que le roc, je me trouve touchée. Redoublons nos gémissements et nos sacrifices pour les pécheurs ; mettons-nous entre Jésus et le péché afin qu'il nous foudroie plutôt de ses coups que de voir derechef percer le coeur adorable de notre victime d'amour. Hélas, quelle récompense pour ses bienfaits ! Et cependant très peu de personnes y pensent et le remercient de vouloir demeurer avec nous pour être traité si indignement de la plupart de ses créatures. Je vous prie, ma très chère Mère, de lui rendre action de grâce pour moi en lui demandant pardon de mes ingratitudes. Si j'avais de la foi, je serais en esprit dans ce village, adorant avec les anges la majesté de Dieu cachée dans la boue par mille petits fragments et particules des saintes hosties qui sont perdues dans les champs, dans les rues et sous les souliers

294 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 295

des passants. O abîme effroyable ! Il se faut taire et mourir d'étonnement voilà où l'amour a réduit mon Maître et mon Sauveur. Il y a de quoi confondre la superbe de l'esprit humain ; et, après avoir vu son Dieu anéanti de cette sorte, peut-on se plaindre qu'on ne fait pas assez d'estime de nous, que nous ne sommes pas dans des états d'élévation ? Une Fille du Saint Sacrement recherchera-t-elle d'être estimée des créatures ? S'offensera-t-elle de n'avoir pas ce qu'elle désire et qu'on ne la considère point comme elle voudrait ? Après avoir vu la hauteur infinie abaissée au-dessous de la poussière, il ne faut plus chercher d'autres dispositions que le néant. C'est bien dans cette profanation qu'on peut dire que le Fils de Dieu n'a pas où reposer son chef et qu'il n'a point de retraite. Hélas, il peut être mangé des bêtes, ou du moins demeurer inconnu et comme perdu. O parole surprenante, un Dieu perdu ! Ce sont des abîmes infinis dans lesquels nous nous devons perdre nous-mêmes, par amour humiliant et consommant. Vous ferez part de cette triste nouvelle à nos chères Mères et Soeurs, si vous le jugez à propos.

no912

A UNE RELIGIEUSE

14 février 1668

C>e vous aime trop chèrement ma très chère fille, pour différer plus

longtemps à vous ouvrir mon coeur sur les différentes dispositions que vous portez depuis longtemps. La crainte que vous ne preniez direction de personnes capables de vous donner de vraies lumières et de faire un saint discernement des opérations qui se font en vous, me donne une très grande peine. J'apprends tous les jours de nouvelles histoires, comme les âmes sont arrêtées en leur sens, qu'elles se croient elles-mêmes et qu'elles ne sont point soumises à la direction. Je vous conjure, ma très chère fille, de recevoir ce que je vous dis de la part de Notre Seigneur. Je regarde ses intérêts en vous et votre sanctification en lui. Souffrez en son amour que je vous dise que ce n'est pas son esprit qui vous conduit, ni qui vous donne quantité de lumières que vous recevez sur différents sujets. Vous vous mettez en hasard, par trop de croyance que vous y avez et d'adhérence secrète que vous y portez, de tomber dans un état duquel on ne peut quasi jamais sortir et qui a des suites du dernier affligeant. Je vous aime trop pour vous voir tomber petit à petit dans cet abîme sans vous en avertir et vous conjurer, par l'amour qui vous a portée si ardemment à embrasser l'Institut de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement, de mettre un prompt remède au mal que vous n'éviterez pas infailliblement, si vous ne suivez le conseil des personnes qui ont la lumière de Dieu et qui la reçoivent pour

vous, puisqu'ils ont l'autorité du supérieur et qu'ils ont droit de vous diriger. Je vous en avais suppliée il y a quelque temps ; vous commençâtes ; je crois que vous avez désisté depuis quelques mois, ce qui me touche sensiblement, sachant bien que vous ne pourriez éviter le mal dont vous êtes menacée que par cette voie. Je voudrais pouvoir faire un voyage pour vous aller persuader plus fortement par mes paroles de la vérité très importante que je vous écris, mais, comme je ne le puis faire présentement pour un grand nombre de raisons, je vous prie, ma chère fille, ne différez pas davantage, donnez-moi cette consolation que je vous voie soumise comme un petit enfant à N.Vous ne doutez point de sa capacité. Il dirige dans ce pays des âmes très élevées ; ne le négligez point, ma très chère fille, vous ne l'aurez pas toujours et vous le regretterez quand vous l'aurez perdu. Connaissez le secours que la Providence vous donne en sa personne. Vous n'ignorez pas la marque de l'esprit de Dieu dans une âme : c'est la sincérité en l'ouverture de son intérieur et la soumission. Hors ces deux points, ce ne sont que vanité, superbe et effets du démon. On dit que vous avez pris la peine de nous écrire ; outre celle à laquelle je vous ai répondu, je n'en ai point reçu. Je souhaite avoir la consolation de vous voir et vous protester que je suis de coeur en Jésus.

no 1668 C405

296 CATHERINE DE BAR

À SON ALTESSE SÉRÉNISSIME LE DUC DE LORRAINE

30 mai 1668

Monseigneur,

e zèle incomparable que Votre Altesse Sérénissime fait paraître

si hautement partout pour l'honneur du Fils de Dieu au Très Saint Sacrement de l'autel l'a portée à aimer une congrégation qui, par son Institut, s'est obligée de l'adorer perpétuellement de jour et de nuit et même à solliciter votre très humble sujette de vouloir l'établir en quelque ville de ses Etats (1), ce qui n'a pu réussir jusqu'à présent pour les causes qui lui sont connues ; et depuis, Madame Royale, duchesse douairière d'Orléans, a cru qu'elle ne pouvait mieux faire soutenir le monastère de Notre-Dame de la Consolation, situé en votre bonne ville de Nancy, dont elle prend le soin comme fondatrice (2) avec votre Altesse Sérénissime, qu'en l'unissant à notre congrégation de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement, du consentement et à l'instance des religieuses du dit monastère de la Consolation ; pour à quoi parvenir elle aurait demandé l'agrément de votre Altesse, qui lui aurait été accordé avec pouvoir d'en disposer comme elle jugerait plus à propos pour cette union ; à quoi elle n'a rien oublié pour l'exécution de son dessein, en sorte que, les choses se voyant en état, l'on va travailler incessamment à dégager le dit monastère de ses dettes et à pourvoir à la subsistance des religieuses.

C'est pourquoi, Monseigneur, nous assurant sur les bontés que votre Altesse Sérénissime témoigne en toute occasion pour Madame Royale, sur ce que cette union ne tend qu'à faire honorer en sa bonne ville le Fils de Dieu au Très Saint Sacrement d'un culte très particulier et édifiant, et à remplir un monastère tout bâti d'une plus grande communauté qui porte quoi y subsister, nous supplions avec de très profonds respects votre Altesse Sérénissime, qu'il lui plaise ratifier tout ce qu'elle a agréé et promis ci-devant pour cette union, prendre sous sa protection la suppliante sa sujette et toutes les religieuses, et autoriser de son pouvoir tout ce qui se fera pour l'établissement et le bien de cette maison de la Consolation. Ce sont les grâces qu'elles espèrent de votre bonté, Monseigneur, et elles continueront leurs vœux et prières pour la santé et prospérité de votre Altesse.

Soeur Mectilde du Saint Sacrement Prieure

n02131 P160

(I) Le duc avait autorisé Mère Mectilde a fonder une maison de son Institut à Saint-Dié, sa ville natale. Seule l'opposition irréductible des chanoines du chapitre de Sainte-Croix l'en empécha.

Il semble certain que le duc de Lorraine était très désireux de voir s'étendre dans ses Etats les monastères du Saint-Sacrement.

LETTRES INÉDITES 297

A SON ALTESSE LE DUC DE LORRAINE

[ 1668 1

Monseigneur,

IC es soins extraordinaires que- l'amour que votre Altesse a pour le très

adorable Sacrement de l'Autel lui inspirent pour l'établissement de son adoration perpétuelle dans le monastère des religieuses Bénédictines de la Consolation de la bonne ville de Nancy, la porteront sans doute à contribuer pour la solidité et la fermeté de cet ouvrage qu'il n'y ait plus ci-après en ce monastère de la Consolation d'autre Abbesse que la très sainte Mère de Dieu, puisque l'Institut de l'Adoration perpétuelle, ne voulant pas séparer le Fils d'avec la Mère, et honorant le Fils de Dieu en la divine Eucharistie par un culte perpétuel, et rendant à la très sainte Vierge tous les honneurs possibles, a réglé comme un point essentiel de ses constitutions qu'il n'y aura jamais d'autre Abbesse en tous les monastères du Saint Sacrement que la très digne et très imcomparable Mère de Dieu.

C'est pourquoi ces deux divins objets qui font le plus tendre de la dévotion de son coeur et qui attireront des grâces extraordinaires sur votre Altesse et l'assurance de son salut, donnent l'humble hardiesse à soeur Mectilde du Saint Sacrement, Prieure des religieuses de l'Adoration perpétuelle de Paris, de supplier votre Altesse comme elle fait, avec tous les respects et toutes les instances possibles, qu'elle daigne interposer son autorité pour en supprimer le titre, par son résident auprès de Sa Sainteté, vers laquelle Madame Royale agira aussi de son côté pour avoir toutes les expéditions nécessaires pour cet effet qui ne tend qu'à honorer le Fils de Dieu et sa très sainte Mère. Et, outre qu'une action de si grande piété ne peut que l'assurer toujours davantage des faveurs du Ciel, elle obligera la suppliante à continuer ses voeux pour l'heureuse prospérité de votre Altesse.

Soeur Mectilde du Saint Sacrement Prieure

no 2086 P160

(2) Catherine de Lorraine (1580 - 1648), fille de Charles III, duc de Lorraine, et de Madame Claude de France, d'abord abbesse de Remiremont, fonda en 1624 un monastère à Nancy pour y pratiquer la règle de saint Benoit dans toute sa rigueur primitive. Mais, en 1633, Louis XIII ayant envahi la Lorraine, pour empêcher le duc de s'allier aux Impériaux. Madame Catherine dut fuir Nancy assiégée et se réfugier chez sa soeur, la duchesse de Bavière, puis chez sa nièce l'archiduchesse d'Innsbrück, Ce n'est qu'en 1644 qu'elle put rentrer en Lorraine. Sa nièce, la duchesse d'Orléans la fit alors venir près d'elle à Paris où elle devait mourir quatre ans après. Par testament, elle confiait son monastère de Nancy à Marguerite, duchesse d'Orléans, sa nièce : «Tout ce qui s'y retrouvera à mon dit monastère de Notre-Dame de Consolation et duquel je suis première abbesse et fondatrice, à l'heure de ma mort, je le donne à mes dites religieuses et à l'abbesse... Je supplie son altesse royale Madame la Duchesse Dorléans de vouloir accepter la (susdite) que je luy supplye - au nom de Dieu destre l'exécutryse de ce mien testament et dernyer volonté... Ce dimanche pénultième de décembre mil six cent quarante six». (Arch. dép. de Meurthe et Moselle, H. 2399. - Edouard Gérardin, Histoire de Lorraine, BergerLevrault, Paris, 1925. Cf. C. de Bar, Documents, 1973. p. 248 et suiv.).

LETTRES INÉDITES 299

A UNE RELIGIEUSE DE MONTMARTRE

du jour les Trépassés, 2 de novembre 1668

Ma très chère Mère,

'est pour vous dire que notre bonne Mère Benoite de la Passion,

[de Bremèl, Prieure de notre maison de Rambervillers n'est plus de ce monde : elle a pris son vol au Ciel, comme sa sainte vie nous le fait espérer.

J'envoie à Madame une lettre qui vous en fera connaître davantage : tout ce que je puis vous dire, c'est que j'en suis fort touchée et que notre Institut fait une perte très considérable de sa personne.

Vous savez comme elle était estimée dans le pays ; tout le monde la pleure et la regrette. On a pensé forcer notre maison pour avoir la consolation de la voir et pour faire toucher à son corps quelques chapelets, linges et images.

C'est une chose surprenante des sentiments des peuples et de la peine qu'on a eue de faire son enterrement. On n'a voulu ni chanter, ni sonner pour qu'il fût fait plus secrètement ; mais au lieu d'être bien caché une foule de monde est venue tout d'un coup criant : La Sainte Mère, la Sainte Mère ! nous la voulons voir, on l'enterre.

On a pensé que plusieurs seraient morts dans la presse. De plusieurs années il ne's'est vu une chose si touchante ; trois jours n'ont pas suffi à quelques religieuses pour faire toucher incessamment quelques images, chapelets, taffetas à son corps. Vous verrez qu'on ne l'a pu enterrer que trois jours après sa mort, à cause d'une chaleur qui lui était restée au coeur et qui a donné de l'étonnement aux médecins et chirurgiens qu'on envoya quérir exprès pour avoir leurs sentiments ; doutant qu'elle fût morte ; tous ont attesté que cela n'était pas naturel.

Je ne puis vous mander les autres particularités ; je suis si pressée que je ne sais si vous pourrez lire ce brouillon.

Voilà une bonne amie que vous aurez au Ciel. Souvenez-vous de moi devant Notre-Seigneur et soyez assurée de la promesse que je vous ai faite qui sera inviolable en son amour.

no 199 18 Adieu

Monastère de Rambervillers

LETTRES INÉDITES 303

A UNE RELIGIEUSE DE MONTMARTRE

29 novembre 1668

ous pouvez croire, ma très chère Mère, que c'est par impossible que

je n'ai point fait ce que vous m'avez demandé. Notre bon Père est toujours malade et dans un péril très grand d'hydropisie ; il ne sort point du lit, on ne croit pas qu'il en puisse relever. Nous en avons toutes un fort grand regret ; c'est un rare homme pour la direction et il a l'humilité et la simplicité d'innocence d'un enfant, et cependant savantissime et homme de grande pénitence et d'oraison. Je le recommande à vos saintes prières. Vous me manderez si vous voulez le Père qui nous confesse. C'est celui que vous vîtes au mois d'octobre vers la Sainte Ursule. Si vous l'agréez, je le prierai d'aller entre ci et l'Immaculée Conception. Je suis ravie de vous voir dans des résolutions si saintes et que vous ayez eu le courage de dire ce qui a retardé votre perfection. Puisque vous avez maintenant la liberté de choisir un directeur, priez Notre Seigneur de vous en donner un qui vous mène dans le véritable sentier de votre sanctification. Ce bon Père Prieur en était capable, mais il faut le rendre à Dieu puisqu'il ne le met pas en état de vous y servir. Je ne sais présentement qui vous donner, car, à vous dire vrai, je suis fort difficile à planter mon bourdon ; j'ai tant vu et tant connu de choses et en apprends tant tous les jours que je suis, sinon défiante, du moins fort retenue. Faisons ensemble une prière à la très sainte Vierge pour trouver un homme selon le coeur de Dieu. Mandez-moi votre inclination intérieure, si un Jésuite, un Carme, un Augustin, etc...,

afin que je cherche ce qui sera de meilleur. Mais, en attendant, ne

laissons pas de nous rendre fidèles et d'aller à Dieu de tout le coeur. Laissons les morts ensevelir les morts [Mt 8,22] ne nous arrêtons plus. Je vous prie de lire les livres du Père Guilloré (1), ce sont «Les Maximes du christianisme». 11 vous servira - ; vous y apprendrez qu'une âme abjecte fait les délices du coeur de Jésus. Chérissez cet avantage mille fois plus que d'être honorée des monarques de la terre. Il est temps de lui complaire et de ne plus s'amuser aux créatures. Allons, ma très chère Mère, boire à longs traits de cette eau vive qui rejaillit à la vie éternelle, et ne courons plus aux citernes de ces eaux bourbeuses et qui nous souillent au lieu de nous purifier. Si, avant que de mourir, nous pouvions perdre ce que nous avons dans les créatures. nous ferions

(1) François Guilloré (25 décembre 1615 - 1684), jésuite français, né au Croisic, diocèse de Nantes, est admis au noviciat le 22 octobre 1638. Il enseigne avec succès pendant onze ans puis se consacre à la direction des âmes. Ses ouvrages sont encore d'un grand intérêt et justifient l'idée qu'avaient de lui ses contemporains qui le regardent comme un mystique profond. Le volume dont parle Mère Mectilde doit être «Maximes spirituelles pour la conduite des âmes» paru à Nantes en 1668. Après avoir saintement gouverné les maisons de Nantes et de Dieppe, le Père est mort à Paris, le 29 juin 1684. Bulletin des Ecrivains de la Compagnie de Jésus, par les R.P.P. Augustin et Alois de Bacher, le série ; D.T.C., fasc. X LV I I I, col. 1989.

304 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 305

une merveilleuse conquête. Soyons fidèles à la grâce et nous verrons qu'elle nous conduira dans ce bonheur. Je prie Notre Seigneur qu'il me fasse la miséricorde d'y entrer avec vous. Hâtons-nous, ma très chère Mère ; le temps nous presse, nous n'avons plus qu'une petite poignée de jours.

Je vous prie d'avoir la bonté de faire mes profonds respects à Madame et mes très humbles saluts à ma très chère Mère de Saint André. Je vous dirai avant que de finir que Notre Seigneur verse de grandes grâces sur la maison de Nancy yces bonnes Mères âgées de soixante ans d'années demandent humblement d'entrer au noviciat pour se renouveler et se préparer à faire le voeu de l'adoration perpétuelle. C'est une consolation très grande de voir que Notre Seigneur fait de ce lieu un objet de ses complaisances ; il le paraît par les grandes grâces qu'il y communique ; cela est surprenant ! Je vous prie de l'en remercier ; je sais la part que votre amitié pour nous y prend. Je vous dirais beaucoup de choses très particulières, mais je n'ai de temps que pour vous assurer que je suis en Jésus toute à vous.

no 3134 N254

A LA COMMUNAUTÉ DE NANCY

4 décembre 1668

C'e suis ravie, mes très Révérendes et très chères Mères, que l'amour du Fils de Dieu dans l'adorable Eucharistie s'allume si ardemment dans vos coeurs qu'il vous presse de vous y consacrer en qualité de ses victimes, pour lui rendre vos hommages jours et nuits et vivre de son esprit d'hostie et de sacrifice. J'ai une sensible joie que sa gloire soit augmentée par votre zèle et que, vous tâchiez de nous en donner des marques.

Permettez-moi de vous supplier, mes très honorées Mères et très chères Soeurs, de bien peser le voeu que vous prétendez faire. Ce n'est pas assez qu'il vous engage à l'adoration perpétuelle et qu'il vous incorpore à une congrégation qui lui est consacrée, mais il faut prendre l'esprit de notre saint Institut. 11 faut travailler à la mort de nous-mêmes pour n'être plus animées que de la vie de Jésus ; il faut lui demander la grâce incessamment de vivre désormais uniquement de lui et pour lui, comme il vit de son Père et pour son Père. Nous lui devons sacrifier tous nos désirs et nos affections. Nous devons même prendre à tâche de mourir aux inclinations de la nature et des sens et de n'agir plus par humeur naturelle. Le voeu de l'adoration perpétuelle doit être un renouvellement universel de toute votre vie et de toutes vos actions ; il doit opérer une nouvelle ferveur, un nouveau désir de perfection et surtout une fidélité inviolable. 11 renferme en soi celui de victime, qui vous oblige à soutenir jusques à l'épanchement de votre sang et la perte de votre vie pour la gloire et les intérêts de Jésus en ce mystère d'amour. Mais ce n'est pas comme le commun des hommes et des chrétiens qui se contentent de faire un peu honorer Notre Seigneur en faisant quelques oeuvres extérieures à sa gloire.

Il faut, mes très chères Mères, que nous ayons un zèle ardent d'arracher de nos coeurs tout ce qui l'empêche de régner souverainement en nous et d'y avoir ses complaisances. Ce n'est pas assez, il faut porter son amour dans les coeurs de ceux qui le profanent et contribuer à leur salut en réparant pour eux. Il faut même, pour abréger vos devoirs à cette auguste eucharistie, que vous tendiez à une si haute pureté de coeur et d'opération que le Fils de Dieu trouve en vous supplément de gloire et de plaisir, pour ce que les profanateurs de son divin sacrement lui dénient par leurs crimes. Il faut de plus qu'il n'y ait pas un respir en nous qui ne soit consacré à son honneur, nous persuadant bien sérieusement que nous n'avons plus aucun droit sur nous, ni de disposer de quoi que ce soit en nous. Jésus, par le voeu de victime, rentre dans tous ses droits en nous. Et nous devons de moment en moment mourir pour lui dans les occasions de sacrifice, afin d'être en état de mourir uniquement pour sa gloire, quand il lui plaira nous appeler au combat pour soutenir ses intérêts. Mais soyons assurées et certaines que nous ne les soutiendrons jamais par l'épanchement de notre sang que nous ne les ayons soutenus intérieurement en mourant à nous-même. C'est en nous qu'il faut commencer de réparer la gloire de cet aimable Sauveur ; c'est en nous qu'il faut premièrement établir son empire ; bref, c'est en nous qu'il faut que la justice et la sainteté opèrent pour nous rendre de véritables victimes.

Travaillons donc généreusement à nous défaire de ce qui lui est contraire ; ne tardons pas un moment de nous mettre en état de recevoir les effets de sa grande miséricorde. Il faut commencer par une vraie contrition de nos infidélités passées et nous plonger dans un profond abaissement devant la majesté divine, reconnaissant ses bontés infinies, [elle] qui nous fait la grâce de nous choisir pour nous confier ce qu'il a de plus cher, qui sont ses intérêts et Jésus dans l'eucharistie, Dieu n'ayant rien de plus précieux pour lui que sa propre gloire. Il proteste chez un prophète qu'il ne la donnera jamais à qui que ce soit. Et comme l'Ecriture dit qu'il en est jaloux, jugez mes très chères Mères, l'honneur qu'il vous fait de vous la confier et de la remettre à vos soins et à votre zèle. De plus, le Père aime-t-il quelque chose plus que son propre Fils ? Vous savez ce que la foi nous oblige d'en croire et ce qu'il en dit lui-même dans notre évangile. Il est donc certain que le Père aime le Fils du même amour qu'il s'aime. Et proprement son Verbe n'est autre que sa propre vie, son amour ét sa substance ; il n'y a donc rien de plus divin, ni de plus cher à Dieu que Jésus Christ. Voyez comme dans le Très

306 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 307

Saint Sacrement il nous le confie ; il nous en fait présent et le laisse à nos usages avec un si admirable abandon qu'il étonne les hommes et les anges. Le Père nous donnant de cette 'sorte son Fils, il nous donne avec lui toutes ses perfections infinies, toutes ses grandeurs et ineffabilités, et ce qui ne se peut exprimer. N'avons-nous pas donc juste sujet de dire que le Père éternel nous donne dans notre saint Institut tout ce qu'il a de plus auguste, qu'il nous en fait les dépositaires et les gardiennes de ses plus précieux trésors, qu'ayant mis toutes choses en Jésus, son Verbe humanisé, il nous donne tout en lui, sans aucune réserve. Et comme ce don du Père est négligé et presque inconnu de tout le monde, ne sommes-nous pas bien glorieuses de l'honneur que Dieu nous fait de nous choisir pour lui appartenir d'une manière si intime, de le garder tous les jours et de lui tenir compagnie dans le mystère de son anéantissement, où vous le voyez perpétuellement immolé pour les hommes ? Oui, je le redis encore, mes très chères Mères, que nous sommes heureuses d'être appropriées à Jésus de l'avoir à nos gardes et de ce qu'il nous confie ses intérêts et s'en remet à nous ! Et nous pouvons dire avec action de grâce et profond respect que nous sommes les premières de l'Eglise qui ont reçu cet avantage. Estimons notre bonheur et tâchons de nous y rendre fidèles.

Pardon, mes très chères Mères, je me suis oubliée : c'est de vous que je dois apprendre à aimer ce Dieu tout amour. Il y a si longtemps que vous êtes appliquées à son service. Réparez pour moi, je vous supplie, gémissez pour tant d'outrages que j'ai faits à mon divin Sauveur, et m'obtenez de son Coeur adorable une petite parcelle de ses miséricordes, tandis que je le supplierai me rendre digne de le prier qu'il vous consomme en son amour. Je suis en lui toute à vous du plus sincère de mon coeur.

no1491 CrC

A LA MÈRE MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE [CHARBONNIER]

30 octobre 1669

j'e ne doute point, ma très chère fille, que vous ne trouviez toute paix et tout bonheur, et pour comble la possession de Dieu dans votre néant ; l'on peut dire que dans ce rien véritable, les trésors de la grâce et de la sainteté y sont renfermés. Courage donc, ne vous retirez point de ce bienheureux néant. Et pour voir si vous y êtes par l'esprit de Dieu, voyez s'il vous porte à la mort de toutes choses par une sainte indifférence, constante également partout, et s'il vous tient indifféremment prête à tout. J'espère que, si vous y êtes fidèle, vous viendrez à posséder ce néant en tout, de sorte que rien de la vie ne vous en

fera sortir. Mais comprenez que je n'entends pas que vous pensiez toujours à ce néant et que vous n'ayiez jamais d'autre entretien. Le néant ne s'attache pas même au néant ; il faut qu'il vous mette dans une simple capacité de tout ce qu'il plaira à Dieu de faire de vous, étant prête à tout sans choix et sans élection d'aucune chose. Si je pouvais vous parler, je vous l'expliquerais mieux, mais c'est tout ce que je puis de vous en écrire ce petit mot. L'esprit de Jésus fera le reste en vous, laissez-vous toute à lui. Il a commencé par son infinie bonté et miséricorde, il achèvera par son amour. Priez-le pour moi, et l'adorez pour mon supplément. Hélas ! je suis toute dévorée, mais Jésus est la gloire et le soutien de tout ; je suis en lui pour jamais, sans changer, ce que vous savez que je vous suis en lui et par lui. J'embrasse tendrement ma pauvre Sr. N. et la prie, avec nous, de me donner quelques communions pour obtenir de Notre Seigneur la grâce de n'être point opposée à la sainteté de notre Institut. Je salue aussi toutes nos chères Soeurs, mais ne montrez la présente à personne qu'à la Mère Prieure, si elle la veut voir, et à ma chère soeur des [Anges]. Gardez-vous d'être indiscrète dans l'opération intérieure ; vous gâteriez l'oeuvre de Dieu en vous au lieu de la soutenir. Ne soyez point trop abstraite, prenez de la nourriture et du repos raisonnablement et, durant le repos, ôtez vos instruments de pénitence, et n'allez point si tôt faire oraison après le manger ; divertissez-vous innocemment.

no 1079 P104 Bis

A DEUX NOVICES DE TOUL

30 Octobre 1669

Mes très chères filles,

1£ a grâce de Jésus soit triomphante dans vos coeurs et vous mène

jusqu'à la consommation de l'état de victimes que vous prétendez .professer au premier jour ! J'ai de la joie quand le nombre de celles que Dieu a destinées à cette vocation se remplit. Vous êtes heureuses d'y être comprises et que Notre Seigneur Jésus Christ vous unisse à son état d'hostie et vous fasse entrer dans son immolation. Concevez bien votre bonheur, afin que vous l'estimiez et que vous le puissiez conserver par une inviolable fidélité : cet état renferme toute la perfection du christianisme. Il faut un grand courage pour s'y engager ; mais si vous considérez les avantages qu'il vous procure, vous abandonnerez tout pour les posséder. Allez donc, chères victimes, allez avec Jésus sur la Croix et sur l'autel ; c'est là où, avec lui, vous faites une même hostie. Il faut que vous expiriez et que, perdant votre propre vie, vous

308 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 309

entriez en lui, pour ne plus vivre que de sa vie. Demandez-lui bien cette grâce avant le jour de votre profession (1), tâchez de concevoir ce que vous allez faire, et le dégagement où vous devez entrer. Il ne faut rien promette à Dieu qu'on ne le tienne : il est juste qu'un si grand bonheur nous coûte quelque chose. Mais, hélas ! que donnons-nous à Dieu pour recevoir de si grands avantages ? Rien que le péché. Et cependant Dieu récompense si abondamment notre sacrifice qu'il se donne tout .à nous sans réserve. Il veut que nous entrions en participation de tout lui-même et de ses infinies perfections : votre très Révérende Mère Prieure vous expliquera ce que je veux dire. Je vous conjure de prier Dieu pour une misérable pécheresse qui, en Jésus, est à vous.

no 1859 T5

. (1) Soeur Anne de la Présentation (Anne Michel) a fait profession le ler novembre 1669. Sccur Marie de Saint I lacide (MarLuerite Philbert) a fait profession le 21 novembre. Il est probable qu'elles sont les deux destinataires de cette lettre. Soeur Marie de Saint Placide fera partie du groupe des fondatrices du second monastère de Paris. Nous avons conservé quarante lettres autographes que lui a adressées Mère Mectilde.

A UNE DES DEMOISELLES SES N I ÈCES [ Françoise Lhuillier Gaulthier de Vienville

4 mars 1670

Mademoiselle ma très chère nièce,

notre très chère Mère Prieure de Rambervillers (1) a pris la peine de me mander amplement de vos nouvelles et m'a témoigné la part qu'elle prend à vos souffrances. Je lui en ai des obligations infinies de toutes les bontés qu'elle a pour vous.

Ce m'est un sensible déplaisir de ne pouvoir soulager votre peine, il faut ma très chère nièce prendre courage, et faire violence à votre esprit pour vous soumettre au conseil que Monsieur d'Etival vous donnera, puisqu'il veut bien prendre soin de votre conduite intérieure. Tâchez de vous soumettre ; il n'y a que cela à faire de votre part, et jamais vous n'aurez de soulagement que par cette voie de soumission, de jugement, nonobstant que vous ayez des sentiments tout contraires à ce qu'on vous dit.

Résolvez-vous donc à cela, parce que Dieu le veut de vous ; c'est de cette mort de votre propre sens qu'il faut mourir. Quant à la mort corporelle, vous ne la devez point appréhender, jamais vos peines ne vous feront mourir. On ne meurt point de ces sortes d'états ; j'ose vous assurer que vous ne devez rien craindre. Mais, ma très chère nièce, aidez-vous un peu par la soumission.

(1) Mère Catherine de Sainte Thérèse Bagnerelle, qui a succédé à.Mère Benoite de la Passion de Brême, après la mort de celle-ci, le 24 octobre 1668.

J'espère que nous aurons la consolation de vous voir dans quelques mois. Tout mon désir et mon espérance est le pélérinage de Sainte Hélène (2) pour vos maux. Tous les jours il s'y fait des miracles prodigieux pour les incommodités comme les vôtres ; je vous prie d'y avoir

confiance.

Votre chère Gertrude fait une neuvaine pour vous à la bonne âme ; elle se réjouit infiniment de vous voir. Sa santé est très bonne, Dieu merci ; elle vous rendra ses respects.

J'ai appris que Monsieur votre mari (3) voulait bien que vous fissiez ce voyage ; je lui en suis très obligée et l'en remercie. Votre cher frère sera ravi de vous voir. On me mande que Monsieur votre oncle de Bouillon est à l'extrémité. Je prie Notre Seigneur de lui faire miséricorde ; je plains ses pauvres enfants. Je ne doute pas que vous n'en soyez touchée, mais il faut vouloir ce que Dieu veut ; il faut bien nous résoudre à partir de ce monde, ce n'est pas notre patrie. Nous irons en paradis, c'est le lieu où la miséricorde nous destine.

Tâchons seulement de nous abandonner à la très sainte Volonté de Dieu. Il est bon par essence, il veut vous sauver et se glorifier dans vos souffrances. Dites le plus souvent que vous pourrez durant le jour : « Mon Dieu, que votre très sainte Volonté soit accomplie en moi, je veux tout ce que vous voulez pour l'amour de vous-même». Confiez-vous en sa bonté ; j'ose vous assurer de sa miséricorde et de la protection de la Très Sainte Vierge ; je la prie qu'elle vous comble de grâces et de bénédictions.

Mille témoignages d'affection à Monsieur votre cher mari de ma part. Votre chère Gertrude vous écrit. A Dieu, ma très chère nièce, je suis tout à vous de tout le coeur.

T8

(2) Vers le milieu du I Ve siècle, un prêtre de Reims. Teutgise, fit un pèlerinage au tombeau de sainte Hélène à Rome, et emporta une grande partie du corps. Après enquête ordonnée par le chapitre de la cathédrale pour en vérifier l'authenticité, les reliques furent confiées à l'abbaye de Hautvillers. Ce pélerinage, très fréquenté jusqu'à la Révolution, était desservi depuis 1635 par les bénédictins de Saint-Vanne. Depuis 1820, les reliques ont été confiées aux chevaliers de l'Ordre du Saint-Sépulcre et déposées en l'église Saint-Leu de Paris. Cf. Dictionnaire des Eglises de France, Vb, p. 64).

(3) Claude Gaulthier de Vienville, gentilhomme ordinaire de la maison de Gaston d'Orléans, avait épousé le 13 février 1652 à Clefcy (Vosges), Françoise, fille de Dominique Lhuillier et de Marguerite de Bar. Cf. Lettre du 19 décembre 1679 en annexe.

A UNE RELIGIEUSE [ DE TOUL I

Ce 3e mai 1671

ji est temps, ma chère fille, de commencer à vous dépouiller de vous-même. Jusqu'ici vous êtes allée à Dieu trop doucement. Il faut à présent travaillèr plus fortement et mourir incessamment. A mesure que nous mourons, nous donnons vie à Dieu en nous, et nous ne pouvons

310 CATHERINE DE BAR

LETTRES INÉDITES 311

la lui donner qu'en nous .anéantissant. Nous sommes sorties du néant et devons retourner au néant par une mort continuelle. Mourez à une chose ; en même temps, Dieu prend vie de cette chose : c'est le secret de la vie intérieure. Prenez à tâche la haine de vous-même en toute chose. Ne vous souciez non plus de vous que d'un néant ; que l'on vous emploie en ceci ou en cela, en chose grande ou petite, que l'on vous rebute, que l'on vous mortifie, qu'il vous arrive par Providence quelque bonne humiliation, recevez tout cela avec un esprit tranquille, sans aucun trouble, et demeurez toujours avec Jésus-Christ au fond de votre coeur. Soyez prête à faire tout ce que l'on vous dira, sans témoigner que vous aimez une chose plus qu'une autre ; tout est égal en . Dieu. Il ne faut point de discernement, si vous travaillez à ceci ou à cela, si vous gardez une porte ou si vous êtes dans votre cellule, mais si vous le faites pour lui et en lui ; et comme nous le portons en nous, nous le trouvons partout. Regardez toute chose en lui, faites tout pour lui et vous jouirez d'un parfait repos. Mourez donc à vous-même, à votre propre esprit, à vos sens extérieurs et intérieurs. Mourez aux lumières aux goûts, aux douceurs, à vos puissances ; que vous soyez toute dépouillée de vous-même. Il semble souvent qu'en voulant de bonnes choses, nous voulons Dieu et sa gloire, et nous ne recherchons que nous-même. Voyez, vous êtes bien occupée de Dieu, rien ne coûte en ce temps là, on ne veut que lui, mais sitôt qu'il se retire, que la tentation survient, on change comme la disposition.

Négligez donc toutes choses et demeurez ferme dans tout événement. Ni votre éternité, ni votre perfection, ni la vertu ne vous doit retenir. Mourez à tout, vous laissant dans l'abandon. Vous direz que je vais bien avant et que [je] suis bien rude de vous faire marcher par un chemin si difficile. Dieu le demande de vous, ma fille, et je veux votre sainteté. Vous n'aurez pas pratiqué ces choses cinq ou six semaines que, sans y penser, vous ferez un progrès merveilleux et que Dieu vous fera voir et connaître ce que toute l'industrie humaine ne pourrait pas atteindre. Travaillez donc de la bonne manière ; prenez-vous à tâche et fuyez tout ce qui vous regarde : vous connaîtrez quelque chose de cette importance. Demeurez paisible au fond de votre coeur, que les passions s'élèvent, que l'esprit soit agité de mille fantômes, que la vanité se fasse ressentir, qu'e les tentations viennent, de quelque nature qu'elles soient, laissez tout passer sans y réfléchir, ni vous en occuper. Il est plus aisé de souffrir que d'agir.

no 482 N267 A UNE RELIGIEUSE MALADE

[ Mère Marie Mectilde du Très Saint-Sacrement Philippe ]

21 novembre 1671

C-'apprends ma très chère fille, avec une très sensible douleur, que

votre mal augmente si fort que, sans un miracle, on ne doit point espérer votre guérison (1). Je ne puis exprimer la douleur que je ressens, et avec quel désir je demande à Notre Seigneur qu'il vous donne la grâce que je voudrais pour moi-même. Je ne doute pas que toute la maison ne soit touchée de vous voir attachée à la croix et y consommer si douloureusement votre sacrifice. Je vous assure, ma très chère fille, que nous en faisons toutes un très grand en nous soumettant aux desseins de Dieu sur votre chère personne, qui, selon toutes les apparences, vont vous tirer dans son Coeur en vous consommant en son amour crucifiant. C'est de cette sorte qu'il sanctifie ses élus, et qu'il les rend des objets dignes de sa complaisance.

Je sais que, de votre part, vous ne voulez que son bon plaisir, et qu'étant sa victime, vous demeurez immolée sur votre croix, dans un pur abandon de tout vous-même, tâchant de vous désoccuper de tout vous-même et de vos intérêts, pour demeurer toute appliquée à Jésus par un esprit d'amour. Gardez-vous bien, ma très chère fille, d'inquiéter votre âme par des réflexions inutiles. Tenez-la toujours unie à son souverain bien. Plus vous avancez vers le ciel, plus vous devez [ vous ] réjouir de retourner à Dieu comme à un Père. Cette vie est un pays étranger ; nous y vivons dans un exil très grave, mais la mort nous fait la grâce de terminer notre course et de nous introduire dans la maison de notre Père céleste, où sa miséricorde vous attend pour vous combler de bénédictions éternelles, que son Fils vous a méritées par son sang. Courage, ma très chère fille, allez avec une amoureuse confiance vous rendre entre les bras de votre divin Sauveur, et souvenez-vous d'une misérable pécheresse quand vous serez dans ce repos bienheureux. Je vous congratule ; quoique je suis sensiblement touchée, j'anéantis les gémissements de mon coeur pour me soumettre aux volontés divines. Je sais que ma douleur serait trop humaine si elle vous retardait un moment la possession de Dieu. Je veux qu'il règne de sa puissance et de son amour ; nous sommes l'ouvrage de ses mains ; c'est à lui, comme maître absolu, d'en disposer. Mourons, ma très chère fille, dans cette disposition d'humble attente et dans une parfaite remise de tout nous-même en lui, afin que lui seul vivant en nous dans ce précieux moment, il nous tire tout en lui. C'est de cette sorte qu'il fait bon mourir et que ce passage est agréa-

(1) Mère Marie Mectilde du Saint-Sacrement Philippe a fait profession au monastère de Rambervillers en février 1661 (cf. lettre no 412 du 18 février 1661). Elle est décédée le 25 janvier 1672 (cf. Lettres suivantes : n° 1504 sans date et 990 du 5 février 1672).

312 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 313

ble. Je prie mon adorable Seigneur nous faire cette grâce, ma très chère fille, et qu'un jour nous puissions nous revoir toutes dans le ciel. J'aurais bien désiré qu'il lui plût prolonger votre vie, ma très chère fille, ou que du moins il eût agréé de différer votre retour en lui que notre bonne Mère [Bernardine Gromaire] et nous fussions au pays pour avoir la consolation de vous rendre nos services et quelques marques de notre sincère affection: Je le désirais encore ardemment pour me donner moyen de vous fàire mille humbles remerciements de toutes les bontés que vous avez eues pour moi, et des effets si charitables que j'en ai reçus. Je ne les oublierai jamais je tâcherai de les reconnaitre par mes chétives prières. Je vous promets celles de notre communauté, en attendant que Notre Seigneur vous en donne la récompense. Je vous embrasse en son amour par lequel je vous suis dans le temps et l'éternité toute vôtre dans une entière cordialité.

A Dieu, en Dieu, ma très chère fille, je vous donne toute à lui, je vous abandonne à son amour. Ne m'oubliez point en sa sainte Présence, et dans les mérites de vos douleurs. Croyez que je vous aime et chéris en lui du plus tendre de mon coeur, qui ne manquera pas de faire prier Dieu pour vous.

no 862 Cr C

A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL

Le 9 de l'an 1672

a'e prie Notre Seigneur Jésus Christ et sa très sainte Mère vous

combler en ce commencement d'année, mes très chères filles, de toutes les bénédictions que je vous souhaite, et qu'il remplisse vos coeurs d'un très ardent désir d'être tout à Dieu sans réserve. Vous demanderez, s'il vous plait, cette même grâce pour nous, afin qu'animées d'un même Esprit nous soyons de véritables victimes. C'est, mes très chères, toute l'ambition que nous devons avoir en cette vie. Il faut tâcher de contenter Notre Seigneur en mourant tous les jours pour lui. La Providence ne manquera pas de nous envoyer des occasions de lui sacrifier ; soyons fidèles, rien ne peut contenter un bon coeur que de s'acquitter comme il doit de ses devoirs. Or, en quoi consiste le nôtre ? A rendre à Dieu à tous moments l'être qu'il nous a donné, ne retenant rien pour nous ni pour les créatures.

Trois choses sont nécessaires pour bien satisfaire à cette obligation : ler, la pureté de conscience ; 2, la récollection ou recueillement intérieur ; 3, un profond abaissement. Je suppose la première établie dans vos coeurs, car vous aimeriez mieux la mort que le péché. La seconde, vous la pratiquez avec facilité ; mais la troisième est rare dans sa fidé lité. 1l n'y a rien qui soit plus opposé à notre fond malin que l'humilité. Elle est si peu solide même dans les belles âmes qu'il semble qu'elle ne soit dans la plupart qu'en idée. C'était le gémissement d'un grand serviteur de Dieu que je vis dernièrement. Il ne se consolait point de voir si peu de vraie humilité parmi les plus spirituels, qu'entre vingt mille il n'en connaissait pas deux ou trois qui fussent humbles. Je suis bien éloignée des lumières et des expériences de ce grand homme, mais je dis avec lui qu'entre toutes les vertus la plus rare est l'humilité. Personne ne veut être ce qu'il est, et je peux dire que la vie n'est que men songe et vanité, si nous ne sommes dans l'abîme de notre néant abominable, non seulement de pensées ou d'imagination, ni même de parole, mais d'oeuvre et d'opération. «TOST, TOST, disait la grande Catherine de Gênes (1), TIREZ-MOI DE MON ETRE ET ME METTEZ DANS L'OPÉRATION DE MA FIN ». Faisons la même prière, demandons ardemment à Notre Seigneur qu'il nous tire de notre être de péché pour nous anéantir et abîmer en lui. Mais souvenez-vous, mes très chères enfants, qu'il ne nous en tirera jamais que par la voie solide et pratique de la très profonde abjection, qui dans nous-même nous tient dans un abaissement inexplicable, et dans les usages, en nous traitant comme un néant d'horreur, et que .nous nous croyons dignes de tout mépris et abjection. Je ne sais pourquoi ma plume s'est échappée à vous dire toutes ces choses ; je désirais seulement me recommander à vos saintes prières, et vous assurer comme je fais de tout mon coeur que je suis à vous d'une très cordiale affection.

no1316CrC

(1) Catherine de Gênes (1447-1510), fille de Jacques Fieschi, vice-roi de Naples. Mariée contre son gré, elle convertit son mari. Devenue veuve en 1497, elle se consacre aux soins des pauvres et des malades, dirige un grand hôpital à Gênes, tout en menant une vie mystique extraordinaire qu'elle décrit dans son « Traité du Purgatoire » et le « Dialogue entre l'âme et le corps ». Elle meurt à Gênes le 16 septembre 15 10. Cf. Dictionnaire de spiritualité, fasc. VIII, col. 290-324.

A LA COMMUNAUTÉ DE RAMBERVILLERS

sur la mort de la Mère Marie Mectilde du Très Saint-Sacrement [Philippe]

e suis touchée, mes très chères Mères, de la perte que vous avez

faite en la personne de votre très chère Soeur Mectilde du Saint Sacrement. Sa mort nous a surprise, ne la croyant pas si malade. Elle nous laisse dans la douleur, tandis qu'elle jouit d'une paix inaltérable. Voilà sa cdurse achevée et sa perfection consommée. Dieu l'a trouvée digne de sa présence. Il s'est contenté de ses humiliations ; il lui a plu relever son néant et se couronner dans son sacrifice. Il faut l'adorer et respecter plus que jamais sa mystérieuse conduite dans ses élus.

Le Révérend Père qui l'a assistée m'en écrit des merveilles : c'est

314 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 315

la seule chose qui calme notre douleur. Je n'aurais jamais cru ressentir si vivement cette séparation, quoique je la trouve plus près de moi à présent qu'elle est en Dieu. Mais, réfléchissant sur la maison, je crois que vous aviez encore besoin de ses services et je trouve bien à redire. Quoique je sois éloignée, je la croyais utile en plusieurs manières. Mais. mes très chères Mères, il faut anéantir nos intérêts quand Dieu agit en maître. Il faut nous abîmer et trouver bon qu'il fasse ses divines volontés à nos dépens.

Cette pauvre fille a toute sa vie été en croix ; il est juste qu'elle en reçoive la récompense. Elle a infiniment plus souffert qu'on ne croit. Les petites faiblesses qui paraissaient en elle l'obscurcissaient parmi les créatures. Dieu l'a préservée d'élévation et de propre excellence en la tenant toujours dans un état de profonde abjection.

Nous devons, en cette mort. nous persuader de deux choses : la première. que l'humiliation fait le fondement de notre salut, et la deuxième, que Dieu n'abandonne jamais dans le besoin, et partant il ne se faut jamais défier de ses bontés. Cette chère soeur portait en ce monde un état de réprobation, et Dieu se cachait dans le fond de son âme pour y opérer divinement. Les vues de sa perte faisaient sa sûreté, et nous voyons par expérience que la grâce a perfectionné son état dans les derniers moments de sa vie.

La conclusion, c'est qu'elle est au ciel où elle jouit du fruit de ses travaux. surtout de ses abjections. Oh ! qu'ils sont précieux aux yeux de Dieu. de la majesté divine ! Elle prend sa complaisance dans les petits, elle descend même dans le néant pour y aller caresser une âme qui y est plongée. Il semble que Dieu s'oublie de sa grandeur pour se communiquer au plus caché et enseveli dans la boue de la misère humaine.

Mon Dieu. que vos voies sont admirables et vos secrets dignes d'admiration ! Ne les pénétrons point, mes très chères Soeurs, mais perdons-nous dans cet océan infini sans éplucher les conduites et en porter jugements. Allons à lui pleines de confiance. Si nous sommes dans le néant. nous sommes en assurance. Relevons nos coeurs par un nouveau désir d'être plus à Dieu que jamais. Voyons que nous n'avons point de moment certain. Heureuse l'âme qui se trouve toujours prête pour répondre à la voix de l'Epoux lorsqu'il l'invitera aux noces. Ne tenons à rien : séparons-nous en esprit de tout et vivons à Dieu.

Je suis. en lui. mes très chères Mères, très sincèrement toute à vous.

no 1504 B 505 A UNE RELIGIEUSE DE MONTMARTRE

5 février 1672

a'e m'adresse à votre charité, ma très chère Mère, pour lui recommander notre chère Soeur Marie Mectilde du Saint Sacrement [ Philippe 1, de notre monastère de Rambervillers, que Notre Seigneur retira de ce monde le 25 du mois passé. Vous la connaissiez et vous aviez même quelques bontés pour elle. Je vous prie instamment, ma très chère Mère, de supplier Madame de faire prier Dieu pour le besoin qu'elle en peut avoir. Je ne vous dis rien de particulier de sa mort présentement ; il me suffit de vous envoyer la lettre d'un Père bénédictin que tout le monde connaît pour un religieux de très sainte vie, et je puis dire des plus élevés dans les voies d'oraison, qui, par un miracle de providence, s'est trouvé à sa mort pour l'assister, comme durant sa vie elle l'avait désiré ardemment. On peut dire que Notre Seigneur fait la volonté de ceux qui l'aiment et qu'il prend un soin singulier de ses élus. Le souverain bonheur, qu'elle possède selon les sentiments de ce bon Père, ne doit pas retarder les secours que la charité lui doit. C'est pourquoi nous les demandons humblement à Madame et à toutes ses saintes filles par votre moyen. Nous ferons demain son service. Vous ne sauriez croire combien elle est regrettée à Rambervillers et le ressentiment que nous avons de cette perte. Sa pénitence était effroyable et sans relâche, infatigable à servir toute la Communauté, singulièrement les malades. Ses souffrances étaient continuelles et les conduites de Dieu sur cette âme, admirables. Nous pourrons vous en dire davantage une autre fois ; il suffit que la lettre vous fasse voir sa disposition à la mort et les sentiments que ce bon Père a conçus de son état. Plût à Dieu avoir part à la grâce qui a couronné sa fin si heureusement ! C'est tout ce que nous devons désirer en ce monde, où nous ne sommes qu'en passant et il nous reste si peu à y demeurer qu'à peine aurons-nous plié bagages qu'il faudra partir. Pour moi, je ne compte plus de jours. Heureuse une âme qui vit dans un saint dégagement de toutes choses, et qui sait demeurer en Jésus Christ ! La perte des créatures, ma très chère Mère, fait en nous ce merveilleux ouvrage. Donnons les mains quand l'adorable Providence nous met dans les dépouillements et qu'elle nous anéantit par des revers qui nous détruisent dans l'estime et l'affection du monde. Allons à Dieu, laissons le reste ; tout n'est que vanité et affliction d'esprit ; cachons-nous en Jésus Christ et nous désoccupons de tout le reste. Notre fortune n'est point en la terre ; nous sommes destinées pour le Ciel. Aidez-moi de vos saintes prières et que je puisse marcher dans le néant. C'est où je voudrais que nous fussions abîmées ; nous y attendrions la mort sans la craindre ; c'est un lieu d'assurance, les démons ne l'osent approcher. On s'y perd pour se retrouver heureusement en Dieu. Je vous laisse

316 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 317

à son amour, n'espérant plus la satisfaction de vous voir en ce monde ; préparons-nous pour l'éternité ; c'est dans ce lieu de bénédictions où nous serons inséparables. Adieu, en Dieu, en attendant ce bienheureux retour. Je suis en Jésus toute à vous, ma très chère Mère.

no 990 N254

A UNE RELIGIEUSE DE MONTMARTRE [PROBABLEMENT LA MÊME]

Paris, 10 novembre 1673

pour ne pas me rendre importune à Madame, je m'adresse à vous,

ma très chère Mère pour supplier sa bonté de vouloir bien faire appliquer les prières et suffrages de notre sainte association (1) à une de nos bonnes Mères, défunte de notre maison de Rambervillers, nommée de Saint-Placide [ Gérard ] que vous avez connue autrefois.

Elle a souffert quasi toute sa vie, mais si en secret qu'il n'y avait que Dieu qui connût l'extrémité de ses maux : on nous mande qu'elle peut être tenue comme martyre. Sa dernière maladie, qui a duré trois ou quatre ans, était une hydropisie de la moitié du corps et l'autre . partie étique.

Le jour de tous les Saints, elle communia encore au choeur ; le jour des Trépassés, elle se trouva sans force et reçut la sainte communion dans l'infirmerie ; le lendemain matin, troisième du courant, elle reçut le saint Viatique, ensuite l'Extrême-Onction. Après, elle demeura fixe sur la croix des douleurs, sans autre agonie, ni convulsion, mais se reposant en Dieu dans ses maux ; elle rendit l'esprit à une heure après-midi.

Sa dévotion était aux souffrances et à l'agonie de Notre Seigneur. Sa vie a été une pratique continuelle de toutes les vertus, mais singulièrement d'une humilité profonde, d'une sainte horreur d'elle-même et d'un éloignement de tout ce qui la pouvait rendre tant soit peu considérable ou qui la pouvait produire dans les créatures. Jamais elle ne se plaignait, ni de ses travaux de Religion, ni de ses souffrances. Sa vie était toute dans le silence et l'anéantissement, cherchant partout le plus vil et le plus abject, tant dans le travail qu'en toute autre chose. Elle ne voulait pas qu'on pensât à la soulager ; ses maux n'étaient ja-

(1) II s'agit ici probablement de l'usage très ancien dans les monastères d'une union de prières, de sacrifices et de messes offertes pour les défuntes des monastères associés (cf. Le très antique usage du « rouleau des morts »). Cette association est différente de celle qui unira notre Institut à un certain nombre d'abbayes et de couvents dans l'esprit de l'adoration perpétuelle. Ainsi « l'abbaye de Notre-Dame de Protection de Vallogne [ Manche ] le 26ème d'avril 1673 » ; Sr Françoise Clausse, humble abbesse du pauvre Monastère de Sainte Claire du Pont-à-Mousson, le 8 may 1673, (Journal de Toul) ;. la visitation Sainte-Marie de Nancy, en octobre 1702.

mais assez grands pour l'amour qui la faisait souffrir ; sa patience a été prodigieuse. Je serais trop longue à vous dire ce qui a fait la perfection et consommation de cette âme dont la mort nous est fort sensible. Son âge était • de 68 ans et de profession 40 ; elle était la seconde professe de la maison. Elle ne s'est point épargnée pour Dieu, ni pour la sainte Religion.

Souvenez-vous, ma très chère Mère, de prier Dieu pour les besoins qu'elle peut en avoir. Dieu est si saint que rien qui ne soit saint ne peut subsister en sa présence en l'autre monde. Aidez-la à satisfaire ce qu'elle peut devoir à la justice et sainteté de Dieu, afin qu'elle puisse sans retardement s'abîmer en lui pour l'éternité. Ne m'oubliez pas en vos saintes prières, mon besoin est plus grand que celui de cette chère et bonne Mère, parce que je suis plus opposée à la sainteté de Dieu. Et cependant l'âge avance et fait penser à partir. Nos jours sont raccourcis ; pensons, ma très chère Mère, à retourner à Dieu duquel nous sommes sorties. Je le prie de nous faire la miséricorde de nous y trouver heureusement pour l'éternité.

Adieu, ma très chère Mère, je suis en son saint amour toute à vous ; faites moi la grâce de présenter mes très profonds respects à Madame, en l'assurant que je ne l'oublie point ; quoique je sois indigne de la servir devant Dieu, elle m'est très présente. et souvent d'une manière fort intime. J'espère que la divine Providence me donnera la consolation de la voir encore une fois avant que de mourir. Je salue aussi très humblement ma très chère Mère de Saint André ; je me recommande à ses saintes prières et à celles de nos bonnes anciennes amies que je n'oublie point. J'ai toujours la reconnaissance que je dois de leurs bontés, et de celles de toute la sainte montagne que j'aime et honore sincèrement. La chère Mère de Sainte Scholastique se souviendra de moi par charité en ses dévotions et communions pour quelques besoins particuliers ; je la salue très cordialement.

Adieu, bonjour, ma très chère Mère, je suis en Lui votre pauvre servante.

no 2493 T8

AUX RELIGIEUSES DU MONASTÈRE DE RAMBERVILLERS

fête de Saint Martin 11 novembre 1673

Loué soit le Très Saint Sacrement de l'autel !

ien que je sache que le souverain bonheur de l'âme est de pos-

séder Dieu hors des misères de cette vie, je ne laisse pas, mes très chères Mères, d'être sensiblement touchée quand sa main toute-puissante en ravit quelqu'une de notre chère Maison. Quoique j'en

318 CATHERINE DE I3AR LETTRES INÉDITES 319

sois bien éloignée de corps, mon coeur y est demeuré par affection ; c'est ce qui me fait ressentir le bien ou le mal qui y arrive. Cette chère Mère que Notre Seigneur a portée dans le Ciel ou mise en chemin d'y être bientôt me touche. J'ai bien connu que les temps ni l'absence n'avaient rien ôté de la tendresse et de la reconnaissance que je lui devais. Je partage avec vous, mes très chères Mères, votre douleur, en priant Notre Seigneur qu'il vous console et vous conserve des misères dont nous sommes tous menacés.

Que notre chère défunte est heureuse en toute manière d'avoir consommé sa course avec tant de patience et de mérites ! Les maux qu'elle a soufferts sont assez grands pour lui donner une récompense de martyre. Je ne sais ce que c'est, mais je m'en doute un peu, et si c'est ce que je pense, elle a souffert effroyablement, cela n'est pas concevable. Et qu'avec ce tourment elle ait pu paraître sans chagrin et ne se rendre insupportable, c'est la force de Jésus Christ qui l'a soutenue. On l'aurait soulagée si, dans les commencements de son mal, elle l'avait confié à quelqu'une ; elle a voulu souffrir pour Dieu en secret et se rendre martyre. J'ai grande vénération pour elle et la prie d'être devant Dieu mon avocate. Cependant le troupeau du Seigneur devient petit et augmente par ce moyen vos peines et votre travail sans qu'on puisse par un temps si incertain vous pouvoir soulager, quoique je le désire ardemment. Je vous écrivis ces jours passés pour vous offrir, mes très chères Mères, tout ce qui est de mon possible pour votre conservation. Ne vous laissez point dans l'embarras enfermer dans la ville. On dit, par deçà, que nous aurons bientôt la paix, et chacun la désire et demeure d'accord que, si Notre Seigneur ne nous la donne bientôt, que tout est perdu. Il faut tout attendre de la bonté de Dieu, en nous assurant qu'il ne nous abandonnera jamais.

Je suis en peine de la pauvre Sr Jeanne Tomassin. Je voudrais la tenir ici pour la faire traiter de son mal, si la sacrée Mère de Dieu ne l'a pas entièrement guérie. Elle vous sert et les autres maisons avec fidélité ; c'est pourquoi il faut avoir un grand soin d'elle. Si elle ne vient pas, je lui enverrai quelque chose pour ses besoins. Je la salue et me recommande à ses prières et aux vôtres, mes très chères Mères, singulièrement à ma pauvre Mère Dorothée [Heurelle] que je salue de tout mon coeur et toute la chère communauté. Je suis à toutes en Jésus très humble et très obligée servante.

no 71 A LA MÈRE PRIEURE DE TOUL

[novembre 16731

ne puis apprendre la mort de notre chère Mère [M. de St Placide

Gérard] que je ne vous témoigne que je suis sensiblement touchée de la perte que nous faisons de cette vertueuse Mère. Vous aurez appris de la manière édifiante dont elle a consommé son sacrifice. C'était une âme cachée et qui n'aimait pas d'être dans le bruit des créatures. Il y a plusieurs années qu'elle s'en était séparée. Vous connaissez les vertus qui étaient en elle et la bonne et sainte vie qu'elle a menée ; je la crois bienheureuse et vous congratule d'avoir devant Dieu une soeur et une si bonne avocate. Mon Dieu ! que cette très chère Mère est heureuse d'être hors de cette vie remplie de misère et de péché ! On n'entend plus que calamités et afflictions. Si le temps continue, partout on verra de grandes désolations ; Dieu nous fasse la grâce de faire ses volontés. Ma nature se lasse et mon esprit est bien encore plus rebuté de tout ce qu'il voit et qu'il entend ; il voudrait bien sortir de sa captivité. Oui, ma toute ma chère Mère, la vie me devient ennuyeuse, ne voyant rien en moi qu'ingratitude vers Dieu et tout le monde nager dans le péché. Oh ! que je dis de bon coeur les paroles du saint apôtre : « Quis me liberabit de corpore mortis, o infelix ! ».

Rm. VII, 24. no 1092 N267

A MÈRE MARIE DE SAINT FRANÇOIS DE PAULE CHARBONNIER

Quand elle fut Maîtresse des Novices

le jour de Saint Martin 1673

e ne doute point, ma très chère fille, que vous ne soyez mortifiée

du changement que la divine Providence a fait. L'exemple du grand saint dont nous faisons la fête nous doit animer à ne rien demander et à ne rien refuser, mais à nous laisser dans une sainte indifférence, laissant à Dieu et à l'obéissance de disposer de nous comme il lui plaira. Tenez-vous comme un mort dans tous les événements ; soyez sans réflexion ; ne vous regardez point dans votre emploi : celui qui vous y a mis l'exercera en vous et pour vous, si vous vous laissez anéantir toute en lui. C'est ce que je vous conseille, ma très chère fille, et de ne plus faire de résistance à rien de ce que votre bonne Mère Prieure voudra. Vous n'êtes plus et le non-être ne se produit en rien. Demeurez donc dans le néant, et vous confiez à celui qui vous met par l'obéissance où vous êtes : voilà ce que je vous puis dire aujourd'hui. J'écris à votre

320 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 321

chère Mère Prieure mes petits sentiments. Je travaille à perfectionner les Constitutions ; je demande pour cela vos prières. ; après, on suivra les règlements, tant pour les rangs que pour le reste.

Je salue la chère Mère N et l'assure de l'affection que Notre Seigneur m'a donnée pour elle ; je salue aussi chèrement toute la communauté. Croyez-moi en Notre Seigneur toute à vous.

n'1078 P104 Bis

A UNE RELIGIEUSE DE TOU L

Paris, 9 janvier 1674

:--r e vous assure, ma très chère fille, que vous jugez de votre inté-

rieur comme un aveugle fait des couleurs : vous avez des yeux, mais ils ne voient goutte. A la vérité, vous sentez la malice du fond, mais vous n'êtes pas en état d'y trouver la foi, l'espérance et la charité. Elles se sont retirées en une autre région, au-dessus de vous-même, où elles seront inaccessibles, tout le temps que Dieu jugera à propos de vous priver de leur soutien sensible. Si vous avez encore une demi-once de confiance en nous, croyez ce que je vous dis de la part de Dieu, qui me fait vous assurer que vous n'êtes point en péché mortel et qu'il n'a point abandonné votre âme pour la perdre éternellement, mais pour en faire une victime de sa justice et de sa sainteté, si vous savez vous tenir dans sa sainte main pour vous égorger comme il voudra. La vue distincte de votre fond ne vous doit pa's troubler. 11 faut en voir les malices et en voir les saillies, sans vous en étonner, et vous devez devenir comme un rocher qui est battu des vents et des orages : il ne s'en émeut point. Soyez dans la tempête par-dessus la tête ; soyez sans soutien, et même voyez-vous abîmer au fond des enfers, sans vous en tourmenter. Ce n'est que la tendresse intérieure qui vous accable, la crainte de vous perdre, votre salut vous tient au coeur. En cela, je remarque que vos intérêts sont encore vivants, et qu'ils ont encore la puissance de vous inquiéter.

Il faut, ma chère fille, pour être comme Dieu vous veut, que vous abandonniez tout à l'aveugle, sans vous mettre en peine de ce que vous deviendrez. Soyez la proie de la volonté divine pour vous anéantir comme elle voudra. Votre voie présente est de vous laisser abandonner de Dieu, de ses grâces et du reste, sans vous compassionner. Je vous trouve trop faible et trop sensible sur vous-même, quoiqu'il vous paraît que ce sont les intérêts de Dieu ou la certitude que vous l'offensez qui vous touche. Laissez votre mauvaise volonté sous la justice divine ; laissez-la foudroyer votre fond de malice ; soyez dans toutes ses conduites les plus détruisantes, comme une souche qui ne remue point. Tenez-vous comme un rien et le laissez faire, car, s'il vous jette dans l'enfer, il est assez puissant pour vous en retirer. Il y faut descendre en ce monde, pour n'y pas aller en l'autre.

Je conçois bien que vous souffrez par la sainte communion, à cause de l'approche d'un Dieu saint dans un fond d'abomination. Si j'étais auprès de vous, je ferais bien pis que votre bonne Mère car je vous ferais communier sans confesser et, si vous désobéissiez, je verrais en cela que vous êtes vivante pour vous-même. Soyez donc jusqu'au col dans lres sentiments de toutes sortes de péchés, marchez sans retour et sans réflexion, et surtout obéissez comme un enfant, car je vous dis, devant Dieu et de sa part, que vous ne connaissez point le sentier par où il vous fait marcher. Obéissez sans raisonnement, et la suite vous remettra dans la voie de mort, d'où vous ne devez jamais sortir. Prenez garde à ce que je vous dis, très chère, ce n'est pas de moi. Priez Notre Seigneur qu'il me sépare de moi-même. Je suis en lui...

no 1681 P104 bis

A LA MÊME

9 janvier 1674

e ne vous ferai pas, ma très chère fille, un long discours, la Provi-

dence ne m'en donnant pas le temps ; mais, sur ce que vous me dites de vos dispositions, je remercie Notre Seigneur qu'il vous tient si fort dans le néant. Oh ! qu'il est riche et précieux ce néant que tout le monde abhorre, faute de le connaître ! Et où trouverez-vous la vérité'? Dans le néant. Allez au fond de votre rien, vous trouverez tout, et vous serez d'autant plus que vous voudrez être moins en toutes choses. Un des grands obstacles de la vie intérieure, c'est que l'on veut trop être et trop faire. Au commencement, cela est supportable, mais dans le progrès il faut tout abandonner et laisser faire notre divin Maître. Suivez-le et vous ne manquerez pas d'occasions de bien mourir. Allez à la pureté, allez dans toutes les saintes vertus, mais allez à la mort par l'anéantissement, et vous trouverez tout en vous dénuant.

C'est un divin mystère que l'anéantissement. Hélas ! qui est-ce qui l'entend ? Vous avez raison de dire qu'il y a des choses que vous n'aviez point comprises ; il y en a bien encore que vous ne comprendrez qu'à mesure que l'Esprit de Dieu vous en donnera l'intelligence. Tenez-vous en paix dans le néant, et toutes grâces et lumières y abonderont un jour. Dénuez-vous ou, pour mieux dire, laissez-vous dénuer, laissez faire votre souverain, suivez sans devancer et on vous mènera sûrement.

Je finis, on me presse sans me donner le loisir d'achever ; soyez du moins persuadée que je suis et pour toutes celles qui la suivront, et pour l'éternité, toute vôtre en Jésus.

no 1256 P104 bis

311

CATHERINE DE BAR

LETTRES INÉDITES 323

A LA MÈRE DOROTHÉE [HEURELLE]

6 février 1674

Loué soit le Très Saint Sacrement de l'autel à jamais !

j'apprends avec douleur, ma très chère Mère, l'incommodité qui vous est survenue. Je me souhaite auprès de vous pour vous donner toute la consolation dont Dieu me rendrait capable et vous rendre mes services. Vous savez de quelle manière Notre Seigneur a uni nos coeurs en lui et les promesses que vous m'avez faites dans sa sainte volonté. Je vous prie, ma très chère Mère, de vous en souvenir, s'il vous appelle dans le ciel. Je votis assure que je vous ferai dire plusieurs messes et nous offrirons toutes les prières et mérites de l'Institut pour vous . faire jouir promptement de la bienheureuse éternité. S'il lui plaît vous retirer de cette vie avant que je meure, je vous serai toujours fidèle amie.

Cependant, je voudrais bien qu'il plût à Dieu vous rendre votre santé et que je puisse avoir la consolation de vous revoir, comme c'était mon dessein, aussitôt que nous aurions la paix. Contribuez donc, ma très chère Mère, de tout votre possible à votre santé ; et pour cet effet, désistez par obéissance de dire votre Bréviaire, vous n'en êtes pas en état. Dieu ne demande de vous présentement que le sacrifice d'une pure et simple obéissance. C'est dans cet esprit qu'une vraie Fille du Saint Sacrement et une bonne Bénédictine doit vivre et mourir. Jésus Christ est mort dans cette sainte disposition. C'est ainsi, ma très chère Mère, que vous devez consommer votre vie et que la dernière de vos actions soit un acte d'obéissance. Vous en seriez bien consolée, puisqu'il est certain que l'âme obéissante ne peut jamais périr. Prenez dans cet esprit tous les soulagements que la Révérende Mère Sous Prieure vous fera donner, sans aucun scrupule ; nous vous le commandons, ma très chère Mère, par le pouvoir que Dieu et l'autorité de Monseigneur l'Evêque de Toul m'a donnée sur vous et sur la maison. Vivez et mourez dans la soumission et croyez que je vous aime bien tendrement.

Ne m'oubliez pas devant Notre Seigneur : vous me l'avez promis, j'attends ,.cite marque de votre fidélité et de votre sainte affection. Je vous parle avec douleur, étant touchée de votre mal et de voir que la pauvre maison se détruit par la mort de toutes celles qui avaient plus de zèle pour la maintenir dans la sainteté que Dieu veut d'elle. Si je pouvais partir, je ne tarderais pas de vous aller embrasser, et vôus donner, et à toute la chère Communauté, des marques sensibles de mon affection et que je suis en Jésus plus qu'il ne le peut dire 'toute vôtre en son saint amour.

Je ne vous dis rien de particulier, parce que je crois que la divine Providence aura conduit Monsieur l'abbé d'Etival auprès de vous pour vous donner tous les secours dont votre âme peut avoir besoin, A Dieu, ma très chère Mère. A Dieu en Dieu, c'est là où il se faut perdre et dire avec une belle âme : « Je me sépare de moi-même pour me perdre dans l'être infini de Dieu », et, avec la bienheureuse . Catherine de Gènes : « TÔST, TÔST, TIREZ-MOI DE MON ÊTRE ET ME METTEZ DANS L'OPÉRATION DE MA FIN ». O ma très chère Mère, que vous êtes heureuse d'aller à Dieu ! Je vous congratule, souvenez-vous de mes misères quand vous y serez et des besoins de notre Institut.

On dit la sainte Messe pour vous, ma chère Mère ; c'est votre fête aujourd'hui et on communie à votre intention.

no 856

324 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 325

DE LA MÈRE SAINT JOSEPH [DE MONTIGNY-LAVALJ,

Nancy, le 14juin 1675

Enfin, ma Révérende et très chère Mère, vous avez donné à Dieu un temple où je crois qu'il sera bien honoré ; il y fut porté processionnellement par Monsieur notre Supérieur mercredi, veille de la grand fête du Saint Sacrement, à neuf heures du matin, avec bien de la solennité.

Messieurs les gouverneurs et intendants et tous les principaux officiers y assistèrent, tous les Messieurs de Ville en corps, et tout ce qu'il Y a de plus considérable dans Nancy, il y avait plus de vingt enfants habillés en anges avec des encensoirs, quantité d'écclésiastiques revêtus de chapes et de dalmatiques. Toutes les personnes du quartier de notre grande église avaient paré les rues de tapisseries, de peintures, de feux de joie. Des deux côtés des rues, le pavé était tout parsemé de fleurs. Tous les ouvriers qui avaient travaillé à l'église, s'étant munis d'armes, se rangèrent en haie pour laisser passer la procession, et dans le moment que le Saint Sacrement entra dans l'église, ils firent une grande décharge. Notre organiste eut soin de la symphonie qui était autant belle qu'on la peut avoir en ce lieu. L'on chanta ensuite la grande messe. L'église et les huit chapelles qui sont autour étaient toutes remplies, aussi bien que la cour. Il en fut de même à Vêpres et au Salut.

Le jour de la Fête de Dieu, Messieurs de la Primatiale entrèrent à notre église avec toute la procession générale; ce qu'ils n'ont jamais fait dans aucune église de Nancy. On joua de l'orgue jusqu'à ce que le Saint Sacrement fut posé sur l'autel ; ensuite nos plus belles voix entonnèrent ECCE PAN IS qui fut trouvé admirable. Après, on donna la bénédiction. Notre église, toute la journée, ne désemplit point, depuis cinq heures du matin jusqu'à sept du soir. Tout le monde avoue que ce lieu inspire de la dévotion. On est si charmé de la beauté de cette église que l'on vous loue et bénit tous hautement d'avoir mis la dernière perfection à une si belle oeuvre. Je sais que vous n'avez en vue que la gloire de Dieu dans cette entreprise, qui vous coûte beaucoup de plusieurs manières. Vous auriez eu de la joie de voir dans cette grande solennité vos désirs accomplis. Vous manquiez seule à notre consolation, qui aurait été parfaite si nous avions pu vous posséder (1). Nous nous sommes unies à toutes vos intentions, demandant à Notre Seigneur tout ce que nous avons cru être le plus à sa gloire dans cet adorable mystère, et la perfection de' notre Institut. Nous continuerons et lui demanderons avec tant d'instance votre conservation que j'espère qu'il nous l'accordera.

P101

(1) La première Exposition du Saint-Sacrement eut lieu dans l'église du monastère Notre-Dame de Consolation le 13 avril 1669, en présence de Mère Mectilde. La cérémonie ici rapportée a eu lieu après la restauration de cette église. (Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 270 ; A. Benoit, Les dames du Saint-Sacrement à Nancy, 1669 - 1793 dans Mémoires de l'Académie Stanislas, 1895, p. 215 - 245).

A UNE RELIGIEUSE NOUVELLEMENT ELUE PRIEURE

AU MONASTÈRE DE RAMBERVILLERS

17 juillet 1675

Loué soit à jamais le Très Saint Sacrement de l'autel !

otre-Seigneur vous dit, ma très chère Mère, les paroles du Saint

Evangile : «Venez à moi vous qui êtes chargés et je vous soulagerai» (1). Certes, il n'y a que lui seul qui puisse soulever le poids de votre accablement, je le trouve si grand qu'il me fait entrer en compassion de votre douleur selon les sentiments humains, mais je regarde les desseins de Dieu, j'adore sa conduite que je trouve sainte et à laquelle vous devez, ma toute chère Mère, une entière soumission. Je comprerids bien les raisons que vous avez de vous plaindre, mais je vous dirai que vous n'avez pas moins que la force et la vertu de Jésus Christ pour vous soutenir. Recevez votre élection de sa part ; n'y envisagez rien d'humain, afin que vous demeuriez en celui qui vous fait agir en son nom et qui veut vous animer de son esprit. Je sais bien que vous avez fait ce qu'il faut en ce rencontre, qui est de vous avoir anéantie dans votre sens, votre raison et les vues mêmes de tous vos intérêts ou de vos indignités. Remettez tout cela en Dieu, si déjà vous ne l'avez fait, pour vous tenir cachée et abîmée en lui, sachant de foi certaine que Jésus Christ veut faire en vous la fonction de Prieure, et sa très sainte Mère, votre précieuse Abbesse, vous veut conduire dans cette charge. Vous n'avez qu'à vous abandonner avec une entière confiance au Fils et à la Mère. Tous les deux feront merveille en vous ; ne vous amusez pas à vous réfléchir inutilement. Marchez, Dieu le veut, chargez votre croix ; suivez votre Epoux. Mais voulez-vous suivre mon conseil ? Ne vous regardez plus vous-même, ne cherchez jamais en vous ce que vous ne devez trouver qu'en Jésus Christ ; séparez-vous incessamment de vous pour vous laiser toute en lui. Je ne sais que ce secret pour porter en patience, et comme nous devons, la charge la plus crucifiante du monde et, je puis ajouter, la plus répugnante aux âmes qui en connaissent le poids. Si vous voulez expérimenter cette humble pratique, vous verrez que vous en recevrez de singulières grâces et que vous serez fortifiée intérieurement. Je me souhaite près de vous, ma très chère Mère, pour vous exprimer plus cordialement mes petites pensées et vous assurer que je suis toute à vous et à votre maison, que vous pouvez et devez vous adresser à notre très honorée et bonne Mère de l'hospice (2) et à moi avec la dernière liberté et confiance, ayant toutes deux un très grand désir de vous servir en tout ce qui sera de notre possible. Ecriveznous tout librement, et nous mandez en quoi nous vous pouvons servir ;

326 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 327

nous serons toujours prêtes. J'écris un mot à la chère Mère Scholastique (3), la priant vous aider à porter votre fardeau ; vous aurez la bonté de lui donner ma lettre et de me mander si vous avez fait vos officières. J'ai grande confiance que Notre Seigneur vous bénira. Prenez courage et ne vous laissez point accabler ; voyez bien que c'est Notre Seigneur qui doit faire en vous cet office. Et vous, à demeurer comme je viens de dire toute anéantie en lui, vous verrez que je ne vous trompe point. Continuez, ma très chère Mère, à nous écrire, mais le plus souvent que vous pourrez ; et quand vous en serez empêchée, la chère Mère Scholastique suppléera. Et croyez que je prends toute la part que je dois à ce qui vous touche en particulier, et à toute la chère Maison que j'aimerai tendrement toute ma vie, et que je veux servir comme ma mère puisqu'elle m'a donné naissance dans l'Ordre, et que je lui suis redevable des miséricordes que Notre Seigneur m'a faites.

Croyez-moi sans réserve toute à vous, ma plus chère Mère...

Mandez-nous des nouvelles quand vous en aurez, et ne vous laissez point environner. Si vos alarmes (4) recommencent, nous avons ici de quoi vous loger toutes.

no 2299

(1) Mt X1,28-29.

(2) Les religieuses qui ne possédaient pas la maison où elles étaient installées étaient dites être «en hospice». Elles ne pouvaient recevoir leurs lettres patentes que si elles étaient propriétaires de leurs bâtiments conventuels. Tel était le cas du petit groupe de religieuses envoyé à la demande de Mère Mectilde par le monastère de Toul pour une fondation à Dreux. Celle-ci n'ayant pu se faire alors, l'archevêque de Paris, François de Harlay, leur conseilla de rester dans son diocèse. La supérieure de cet hospice, qui sera plus tard le second monastère de Paris, était à ce moment Mère Bernardine de la Conception G romaire.

(3) Mère Scholastique Gérard était un esprit si ferme et si distingué, elle avait étudié avec tant de soin les sciences et la théologie qu'elle pouvait faire des conférences chaque dimanche et jour de fête au parloir du couvent pour enseigner le peuple de la ville. Ses solides vertus donnaient tant d'efficacité à ses paroles que l'évêque de Toul lui avait accordé le privilège spécial d'évangéliser par des missions données aù monastère. les habitants des bourgs voisins. Bientôt, elle conçut une répulsion violente contre l'Institut et contre Mère Mectilde, et on comprend que Dieu ait dû intervenir assez «violemment» pour éclairer un esprit aussi ferme. Cf. Dom Rabory, Vie manuscrite de Mère Mectilde ; C. de Bar, Documents, 1973, p. 228.

(4) Allié de la coalition contre la France, Charles IV de Lorraine reprend la guerre dès 1670. En 1674, il est battu par Turenne en Alsace, mais remporte une brillante victoire sur le maréchal de Créqui à Consarbruck en 1675. Le duc mourait peu après, le 18 septembre 1675. Mère Mectilde craint les conséquences de la guerre pour «sa chère Maison», elle qui en a connu toutes les horreurs quelques trente ans auparavant.

à Paris, le 11 septembre 1675

Ma très chère Soeur,

J'ai reçu deux de vos lettres par lesquelles vous me priez de vous assurer pour toute votre vie. Je l'ai fait, ma très chère Soeur, avec affection quand je vous ai reçue à notre maison de Toul et ne sais ce que vous désirez davantage. Priez votre Révérende Mère Prieure de faire mettre vos sentiments et vos désirs par écrit, et que la Commu-

nauté m'écrive ou me marque par la secrétaire du Chapitre ce que vous désirez, car je ne le comprends par vos lettres, me semblant vous avoir donné des marques de mon affection aussi sensibles et plus que je n'ai jamais fait à ma propre soeur et à pas un de mes parents ; et cependant vous n'êtes pas contente de moi. Je voudrais vous pouvoir satisfaire, j'en aurais autant de joie que vous avez de méfiance de mon affection. Soyez cependant persuadée que je suis à vous en Jésus.

Sr M. du St Sacrement

Cette lettre autographe est écrite sur une demi-feuille de papier ; les mots : «en Jésus» et la signature sont sur la seconde page ainsi que l'adresse : «pour Ma très chère Soeur du St Esprit à Toul». Il n'y a pas de cachet.

n° 759 Dumfries

A LA MÈRE PRIEURE DE TOUL

Le 9 octobre 1675

Loué soit le Très Saint Sacrement !

y 1 faut avouer, ma plus chère Mère, que vous êtes la plus obligeante personne du monde d'avoir fait tant de diligence pour me trouver des reforts gris (1) ! Je ve.ux vous dire que vous me faites un très sensible plaisir et que je tâcherai de le bien reconnaître. J'attends celles que vous avez mis au coche ; si elles se trouvent bonnes, assurez-vous que vous en ressentirez de bons effets.

J'ai vu l'acte de votre communauté touchant les désirs de ma soeur du Saint Esprit. Je donne les mains 'à tout ce que vous jugerez pour son repos ; si elle pouvait faire profession comme les autres, ce serait une grande consolation pour elle.

Dans l'acte, vous exposez qu'elle demande de faire voeu de chasteté et d'obéissànce. Si elle fait ces deux voeux, elle peut faire le troisième encore plus facilement, qui est la pauvreté, étant le plus doux à observer parce que la Religion fournit les besoins. Si elle voulait se contenter de ces voeux, il faudrait lui accorder le voile noir. Mais, en vous écrivant, la pensée me vient que, si vous l'engagez à faire profession comme les autres, que peut-être elle prendra plus à coeur l'observance des voeux ; quant au voile noir, j'estime que vous lui pouvez donner, si la communauté en est contente.

Vous en pouvez mieux juger que personne, parce que vous voyez la capacité du sujet. Vous pouvez faire de trois manières, une à votre choix

(1) Le raifort est une plante de la famille des crucifères. Les trois espèces les plus connues sont : le raifort sauvage, dont les racines autrefois utilisées en médecine sous forme d'infusion contre l'asthme et le catarrhe, étaient aussi considérées comme un stimulant de l'appétit ; le raifort noir, ou radis noir, dont la racine est un puissant antiscorbutique et un stimulant de la digestion ; enfin le raifort cultivé ou radis commun.

328 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 329

la première, de la faire professe comme les soeurs converses ; la seconde, de la laisser comme elle est, en lui accordant le voile noir ; la troisième, en lui faisant faire les voeux de Religion simplement entre vos mains. Une quatrième serait qu'elle fit voeu de stabilité, de conversion des moeurs. Mais le plus exact serait de faire les voeux et profession comme les converses, quoique la capacité soit petite. Faites lui entendre son obligation ; il n'y a qu'à considérer si elle est capable de demeurer en repos dans sa condition, et si dans la suite elle ne serait pas inconstante. Depuis le temps qu'elle est dans la Religion, on peut juger à peu près ce qu'elle peut faire.

Ce sera bien fait de terminer cela avant que Monseigneur l'Evêque (2) arrive, car je vous assure qu'il prendra connaissance de tout, et qu'il pourrait la mettre dehors s'il ne la trouvait pas capable de Religion. Faites donc comme Notre Seigneur vous inspirera, et tirez un acte de la fille qu'elle promet de faire son devoir. Que le tout soit écrit et signé de sa propre main, et lorsqu'elle manquera à son devoir, vous lui ferez lire devant la communauté tout ce qu'elle aura promis par son acte. Voilà à mon avis ce que vous pouvez faire : concluez donc.

On nous donne l'alarme, disant què les Allemands hiverneront dans la Lorraine ; ce serait un grand malheur. Je prie Notre Seigneur qu'il

vous conserve. .

Nous sortons d'un grand service que nous venons de faire pour Madame la Diichesse d'Aiguillon (3) avec une oraison funèbre que Monseigneur l'Evêque d'Evreux a faite, et Monseigneur de Rodez (4) a officié. Il était près de deux heures quand nous sommes allées au réfectoire.

Nous ne manquons point d'exercices.

Je suis bien aise que vous ayez fait le service de feu Monsieur de Toul (5).

(2) Le successeur de Monseigneur du Saussay fut Jaéques de Fieux, 1676-1687.

(3) Marie Madeleine de Vignerod (1604-1675) fille de René de Vignerod, seigneur de Pont Courlai et de Glanay, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, et de Françoise Duplessis, soeur ainée du Cardinal .de Richelieu. En 1620, elle épousa Antoine de Beauvoir du Rouvre, marquis de Comballet et petit-neveu du duc de Luynes. Son mari fut tué au siège de Montpellier, le 3 septembre 1622. Elle désira alors entrer au Carmel, mais le cardinal de Richelieu s'y opposa et la garda près de lui. Dame d'atours, de Marie de Médicis, elle ne jouit de la confiance de la reine et du tout-puissant ministre que pour faire le bien. En 1638, Richelieu acheta pour elle la terre et la ville d'Aiguillon en Guyenne (Lot et Garonne), auxquels furent attachés de nouveau les droits et titres de duché pairie ; en même temps, il lui confia le gouvernement du Havre, à la mort de son frère François II de Vignerod.

Au décès de son oncle, le 4 décembre 1642, elle vint habiter rue de Vaugirard, au Petit-Luxembourg, et consacra son temps et sa fortune aux oeuvres de charité sous la direction de saint Vincent de Paul. Elle peut être regardée comme la fondatrice de l'hôpital des Enfants-trouvés et de la Salpétrière, ainsi que de l'Hôtel-Dieu de Québec. Elle mourut après une longue et douloureuse maladie, le 17 avril 1675. Ses obsèques eurent lieu au Carmel de la rue Chapon, le 19 avril. Elle avait été une-insigne bienfaitrice de notre Institut. A son lit de mort, elle légua son duché à sa, nièce Marie-Térèse Vignerod dite Mademoiselle d'Angenois (1636 - 1704), qui mourut rue Cassette. (Cf. lettre du 21 octobre 1693. Arch. Nat. Y 242 - Y 254 et arch. de nos monastères).

(4) L'évêque d'Evreux : Monseigneur Cauchon de Maupas du Tour (1606 - 1680) : Monseigneur de Rodez : Gabriel de Voyer de Paulmy d'Argenson, né en 1597, nommé évêque de Rodez en 1666, après la démission de Louis Abelly, sacré le 8 mai 1667 à Saint-Louis des Jésuites à Paris, mort à Rodez le Il octobre 1682. Ce fut un saint évêque.

(5) Monseigneur André du Saussay, décédé en septembre 1675.

Je vous quitte pour aller à Vêpres.

A Dieu, ma toute chère Mère ; je vous rends par avance mille humbles remerciements de vos réforts, je les attends avec impatience.

Mon Dieu, que vous me faites de plaisir !

A Dieu, je salue toutes vos chères filles ; toute la communauté vous fait mille humbles saluts, surtout la Mère Sous-Prieure et la Mère de Jésus [Chopinel] (6).

no 508 T5

(6) Mgr. Hervin note : «Cette lettre autographe n'est pas signée : à la 4ème page se trouve l'adresse et un petit cachet appliqué sur pain d'autel représentant seulement un Saint Sacrement».

A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL

1675

e viens encore vous remercier de votre charité dans la multitude de

prières que vous avez faites pour moi. Ma santé se rétablit ; je suis bien présentement, ce me semble,Je vous prie, mes très chères filles, de demeurer dans la très précieuse main de Dieu qui vous soutiendra infailliblement dans vos persécutions. Et, en tout cas, s'il lui plaisait de transférer votre monastère ailleurs, il faut l'agréer et l'adorer où il voudra. Soyons comme des petits enfants dans le sein de sa paternelle Providence ; tout ira mieux que nous ne croyons. Souvent le renversement d'une chose est l'établissement et perfection d'une autre. Observons les mouvements de l'Esprit de Dieu, et nous laissons conduire. Il est facile aux âmes qui sont séparées des intérêts humains et de leur propre sens de vivre de la sorte ; toujours paisibles dans les bourrasques de la vie. Accoutumons-nous bien aux événements fâcheux, et, pour le dire plus clairement, apprivoisons notre esprit à vivre dans la Croix,- à manger les amertumes et les contradictions. Il ne faut point chercher d'autre nourriture. Le monde est corrompu, tout ce qu'il contient est infecté du péché ; il faut nécessairement respirer cet air envenimé, sans contracter rien de sa corruption, s'il est possible. Or cela ne se peut qu'en vivant de croix et de douleurs, qu'en vivant comme le Fils de Dieu sur la terre, sans y prendre ni goût, ni plaisir. Oh ! qu'il est difficile à la créature qui est si tendre sur elle-même, qui n'a de capacité que pour se réfléchir, pour se plaindre, pour se compassionner soi-même ! Mourons, mourons, mes toutes chères, et mourons tous les jours, perdons le soin de nos intérêts, et Dieu tout bon et tout miséricordieux s'appliquera à nous-même et pourvoira à nos besoins. Il dit autrefois à sainte Catherine : «MA FILLE PENSE A MOI, ET JE PENSERAI A TOI». C'est assez qu'un Dieu pense à nous. Il ne se peut tromper, ses lumières sont infaillibles, et sa bonté pour nous ineffable. Adieu, mes toutes chères, je vous embrasse d'affection et suis tout à vous en Jésus.

n° 1587 N267

330 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 331

A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL

A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL

[début mai] 1678

e n'est pas sans peine, mes très chères Filles en Jésus, que votre

très Révérende Mère Prieure sacrifie son repos pour -si Notre Seigneur l'ordonne ainsi- rendre encore ses services à l'Institut, et marquer à toutes en général et en particulier sa charité et sa tendre affection. Je crois que vous entrerez avec moi dans les reconnaissances que nous lui devons de vouloir bien nous accorder la grâce de ne se point opposer à la conduite de l'adorable Providence sur son élection (1). Je sais qu'en ce rencontre elle donne à Dieu tout ce qu'elle lui peut donner et qu'elle se fait une très grande violence de souffrir d'être continuée. Je vous assure, mes très chères filles, que je me fais à moi-même de la peine de l'en solliciter, sachant que j'augmente sa croix, mais il faut que vous priiez Notre Seigneur qu'il la fortifie, et, de votre part, faire tout votre possible par vos fidélités de la diminuer et de lui donner la joie de voir la Communauté marcher dans les sacrés sentiers de la sainteté. Il faut, mes très chères Soeurs, vous animer toutes à la perfection de l'Institut et que vous soyez les vraies victimes du Sauveur, sans quoi cette digne Mère Prieure ne peut faire ce que vous désirez. Je l'assure que vous y ferez tout votre possible, et que vous vous renouvellerez toutes dans une sainte résolution d'être tout à Dieu.

J'aurais bien désiré vous dire deux mots sur la mort de notre chère Soeur de la Mère de Dieu (2) qui consomma, dimanche 1er mai à huit heures du soir, son sacrifice entre nos mains. Je puis vous assurer qu'elle est morte de la mort des justes et qui a fait envie à toute notre Communauté de mourir de la sorte. Son coeur et son esprit ne sont pas sortis de Dieu ; une douceur et une patience angéliques l'accompagnaient jusqu'au dernier soupir. Elle avait une sainte ardeur de se voir détruite et toute anéantie et qu'il ne restât rien en, elle que Dieu. Je crois que la paix, l'amour et l'abandon ont fait la consommation de son sacrifice. Je ne puis vous en dire davantage, je suis obligée de finir ; je me recommande à vos saintes prières, vous suppliant de me croire toute à vous en Jésus et en sa très sainte Mère.

no 135 N267

(1) Réelection de Mère Anne de Sainte-Madeleine le 21 mai 1678.

(2) Soeur Marie Magdeleine de la Mère de Dieu (Marie Magdeleine Bony), native de Paris, baptisée à Saint-Sulpice, fille légitime de Nicolas Bony et Anne Boutain, reçut l'habit à 32 ans, à Paris, le 5 avril 1666, pour aller au monastère de Toul, où elle fit profession le 7 mai 1667. Sa santé ne lui permettait ni d'assurer l'office choral, ni de.participer aux gros travaux d'entretien elle fut donc reçue comme «converse privilégiée». Elle revint à Paris en novembre 1674 avec Mère Marie de Jésus Petitgot, Mère Marie de Saint Bernard Cousine!, Mère de Sainte Madeleine Viriot, Mère Marie Joachim Adbet, qui fondèrent le second monastère de Paris.

Juin 1678

:1> 'ai reçu, mes très chères filles, celles que vous avez pris la peine

de m'écrire touchant l'élection de votre Mère Prieure. Je conviens avec vous que votre maison n'est point encore en état de changer de conduite, et que, nonobstant les fortes et pressantes raisons de votre Révérende Mère, je la supplie de se rendre aux ordres de Dieu en sacrifiant ses intérêts et sa propre vie. Je sais bien aussi que sa santé est usée et qu'elle peut justement demander du repos, mais la pure gloire de Notre Seigneur et l'amour de sa divine volonté la doit immoler. J'espère qu'elle s'y soumettra ; je l'en supplie de tout mon coeur dans la lettre que je lui écris. Seulement, mes chères et bonnes filles, tâchez dé votre part à la soulager par vos fidélités aux observances et votre soumission à ses ordres. Une supérieure est admirablement soulagée de son poids par la sincère obéissance de ses filles et par une entière confiance en sa conduite. Vous devez être toute sa consolation et son soutien dans sa charge, la soulageant de tout votre possible en vivant saintement, vous animant et vous édifiant les unes les autres à la vertu, et conservant partout la paix et l'union. Ne soyez qu'un coeur et une même volonté avec votre chère Mère ; c'est en cette fidélité que vous adoucirez ses peines et qu'elle pourra s'en décharger quelquefois sur vous. Epargnez-la tant que vous pourrez ; vous voyez comme elle a servi la maison et les bénédictions que Notre Seigneur y a répandues par son ministère. Chérissez-la et ne lui donnez point de sujet de gémir sous le faix, mais plutôt rendez-vous capables de l'aider. Ayez de la reconnaissance de son zèle et de sa charité pour vous et pour tout l'Institut qui lui est infiniment obligé. J'en suis dans les sentiments que je dois, et si je la pouvais servir et qu'elle eût besoin du plus pur sang de mon coeur, je lui donnerais, tant je me sens son obligée. Et je puis dire que si Notre Seigneur me l'ôtait, j'y perdrais plus que vous-même. Il est très difficile de trouver des personnes, dans les Communautés, capables de remplir dignement sa place, tant pour sa vertu que pour son zèle et son expérience. Chérissez-la donc, mes chères filles, par des fidélités continuelles à vos observances et à ses volontés, et vous attirerez sur votre maison les bénédictions du Ciel. Demandez miséricorde pour moi à Notre Seigneur par sa très sainte Mère, et me croyez en lui votre très humble et affectionnée servante et fidèle amie.

no 747 N267

332 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 333

A LA MÈRE ANNE DE SAINTE MADELEINE Prieure de Toul

Juillet 1678

3> 'entre, ma toute chère Mère, dedans vos sentiments que je trouve

bien justes en considérant vos infirmités et les grandes fatigues de votre charge ( 1). Dans l'âge où nous sommes, vous et moi, nous aurions besoin de repos pour nous occuper le reste de nos jours à Dieu et nous préparer pour aller à lui, mais comme victime immolée à sa gloire, et dans [obligation de tel abandon de nous-mêmes au bon plaisir de Notre Seigneur, qui ne nous permet pas d'avoir des retours volontaires sur nous, parce que nous ne devons plus être à nous-mêmes, ni vivre un moment pour nous. C'est, ma toute chère Mère, ce qui vous doit tenir sous la main de celui qui dans l'adorable sacrement se fait votre hostie, et vous tire dans son état d'immolation pour vous consommer en lui dans son sacrifice. Il veut encore de vous un plus grand délaissement •de vous-même avant que de mourir. C'est une perte qu'il faut que vous fassiez de tous vos intérêts de temps et d'éternité, de vie, de santé et de tout le reste. Votre communauté n'est pas encore en état de se pouvoir passer de vous et de votre secours.

Achevez, ma très chère Mère, pour la gloire de notre auguste mystère. Il en faut relever les hommages et réparer plus que jamais. Et surtout l'honneur de sa sainte Mère, qui est attaquée de toutes parts. On écrit publiquement contre elle, on la décrie, on la méprise, on lui dénie ses privilèges, et à peine trouve-t-on des gens qui osent entreprendre sa défense. Je crains bien que cette dernière impiété ne soit le comble de nos malheurs, et que, n'ayant plus de protectrice au Ciel, les foudres de la divine justice ne nous abîment un de ces jours. On ne doit plus espérer de consolation en ce monde si une fois cette malice triomphe dans le coeur. Il faut, ma très chère Mère renouveler l'amour et la dévotion vers cette auguste Mère de Dieu, et suppléer pour les misérables qui l'outragent. C'est un des motifs qui vous doit encore faire plier les épaules sous le faix, espérant que vous soutiendrez sa gloire. Oh ! que vous seriez heureuse de mourir pour son honneur en soutenant ses intérêts !

(n Depuis le début de 1676, un projet d'établissement d'un monastère de l'Institut était en vue à Commercy (Meuse). Nos archives ont gardé la trace des actes suivants•: en 1676, le 2 avril, lettre de

Monsieur Desarmoises (sic) ; le 23, lettre de Dom Henri Hennezon, prieur de Saint-Mihiel, le 23 mai, permission donnée par M.M.P. Gaulthier et J. de Mandro, vicaires généraux, à la mère prieure de Toul et à quelques religieuses pour se rendre à Commercy ; le ler juillet permission du cardinal de Retz d'acquérir la maison de l'Hôpital de Commercy ; le 4, lettres patentes du cardinal de Retz pour l'établissement en la ville de Commercy ; le 12, consentement de «M.M.» de Commercy pour cet établissement et le 14, consentement du gouverneur. Cette fondation n'a pu se faire, mais la Mère prieure de Toul a participé à toutes ces négociations.

Un peu plus tard, en octobre 1678, l'évêque de Toul, Monseigneur Jacques de Fieux choisira les mères de Saint Denis [du Vay] et de Saint Michel [Guillaume), religieuses du monastère pour «rétablir la régularité chez les religieuses de Sainte-Claire à Sorcy (Meuse)».

Ayez donc le courage, ma très chère Mère, de vous sacrifier et de ne point abandonner le petit troupeau des victimes de son Fils. Soyez animée de l'esprit du bon Pasteur qui met sa vie pour ses brebis. 11 n'est pas encore temps de les remettre en d'autres mains. Quand Notre Seigneur les voudra confier à d'autres, il le fera sans vous. Je sais bien que je crucifie terriblement votre pauvre coeur, mais je ne puis faire autrement, quoique ce soit avec une extrême peine que je vous énonce la volonté de Notre Seigneur qui n'est point conforme à votre sentiment et que vous ne pouvez embrasser sans une extrême souffrance. Je vous prie de prendre courage, ma toute chère Mère, et d'être persuadée que je voudrais de tout mon coeur pouvoir satisfaire votre désir dans cette occasion, et vous témoigner que j'ai un grand déplaisir de ne pouvoir adhérer à votre demande. Sacrifiez-la, je vous supplie, et ne pensez pas vous accabler pour faire au delà de vos forces, ni détruire le peu de force qui vous reste. Nous voulons que vous preniez du soulagement, et que vous ne fassiez point de violence pour aller où votre santé ne vous permet pas, ni de suivre la communauté ; vous n'en êtes plus en état. Dieu est content, mais souffrez que son oeuvre demeure entre vos mains, ou, pour mieux dire, entre les siennes •en vous. Je vous assure qu'il se glorifiera de votre sacrifice et vous soutiendra de l'abondance de ses grâces. Consolez vos chères enfants qui sont dans un abîme de douleur, et ne croyez pas que ce soit par pure adhérence à leurs sentiments ; je vous proteste que je ne regarde que Dieu et son oeuvre.

Adieu, ma toute chère Mère. Ne soyez point mal satisfaite de moi. Je vous proteste devant Notre Seigneur que si je savais mieux faire pour sa gloire en vous et en votre maison, je le ferais. Vous savez que je suis en lui toute à vous.

no 1279 N267

A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL

1 678

Mes très chères,

Jésus humilié et souffrant soit votre force, votre lumière !

e me sens pressée de vous écrire en la vue et dans le sentiment

des grandes peines que vous souffrez par vos persécuteurs, ou pour le mieux dire les persécuteurs de Jésus Christ. Depuis que je vous sais en croix, je ne cesse de me désirer avec vous, pour vous aider à soutenir

334 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 335

le poids que vous portez et pour vous en délivrer - si je pouvais. Nous y faisons notre possible et n'avons pas dessein de vous laisser dans cette rigobreuse crucifixion, mais malgré nous il faut attendre voir ce que Monsieur l'Intendant fera pour vous, sur l'instance que Madame lui en a faite. Après cela nous nous pourvoirons d'une autre manière. Tout notre déplaisir sont les calomnies qu'on vous fait et qu'on vous dit qui ne peuvent que vous être très sensibles.

Mais, nies très chères enfants, vous vous souviendrez que c'est dans ces sortes de peines que vous vous rendez les victimes de Notre Seigneur Jésus Christ. C'est souffrir sans crime, et c'est souffrir glorieusement Je vous prie, nies très chères enfants, que ceci soit véritable que vous soyez sans crime. Je veux dire, que vos infidélités n'obligent pas Dieu à ruiner son oeuvre, Je suis poussée de vous parler de la sorte, et toute cette nuit j'ai aspiré le jour pour vous conjurer par les entrailles de Jésus Christ, notre divin Sauveur, de vivre de telle sorte entre vous toutes que Dieu ne soit point offensé et que nous n'attirions peint sa justice sur• l'Institut qu'il nous a confié. Et je vous prie, avec toute l'instance que je puis, que vous soyez parfaitement unies entre vous toutes, de coeur, de volonté et d'esprit, et qu'on puisse dire véritablement que vous n'êtes qu'une en Jésus. Sacrifiez-lui de bon coeur tout ce qui s'oppose à cette sainte union, comme l'obstacle le plus fâcheux et le plus opposé aux grâces de notre Sauveur Jésus Christ.

Si vous avez quelque chose de caché dans le fond de vous-mêmes, Dieu le connaît, et c'est que vous n'êtes point propres à ses desseins. 11 demande de vous la simplicité de la colombe et la sincérité d'enfant. Examinez-vous chacune en particulier sur la sainte union que Notre Seigneur veut de vous et veut que l'on établisse dans notre Institut, sans laquelle il périra infailliblement. « TOUT ROYAUME DIVISE SERA DÉSOLE », dit le saint Evangile. Dieu voit le coeur et les dispositions qui y sont renfermées. Vous voulez bien que je vous dise que Dieu veut deux choses de nous : La première, que nous regardions Jésus son Fils comme notre Roi et Souverain Monarque, et que nous lui faisions la cour incessamment. que nous lui représentions tous nos besoins, et que nous ayons en sa toute puissante bonté une confiance inébranlable. La seconde, que nous soyons une, c'est à dire unies par sa dilection divine de coeur et d'esprit. Ayec ces deux points, nous vaincrons le monde et l'enfer avec une certitude infaillible. Soyez les vraies imitatrices de Jésus Christ pour devenir ses victimes. Ne vous contentez pas de lumières, de pensées et de belles paroles; venez aux oeuvres. Offrez toutes les calomnies, injures et mépris qu'on vous fait à Jésus Christ, et le priez pour ces pauvres gens qui ne savent pas ce qu'ils font. Accomplissez les paroles de cet aimable Sauveur, qui, du haut de la Croix, s'écriait à son Père : « MON PÈRE PARDON N EZ LEUR CAR ILS NE SAVENT CE QU'ILS FONT », et celles qu'il dit en un autre endroit : « AIMEZ VOS ENNEMIS, FAITES DU

BIEN A CEUX QUI VOUS HAÏSSENT ET QUI VOUS PERSÉCUTENT ».

Voilà, mes très chères enfants, les maximes de Jésus Christ. Commencez une neuvaine pour tous ceux qui vous font souffrir et vous ferez ce qu'il dit. Prenez donc courage, et croyez que je suis en esprit avec vous et voudrais bien y être en vérité pour vous soulager et tirer dans mon coeur les peines que vous souffrez. Je ne cesse de faire prier Dieu pour vous, et ne doutez pas que vous ne soyez secourues de ses grâces. Ne craignez rien; vous verrez bientôt le soin que Dieu a de vous et de son oeuvre. Je suis en lui d'un coeur très sincère et cordial toute vôtre. Souvenez-vous de prier Dieu pour moi.

no 1002 N267

A UNE RELIGIEUSE DE TOUL

1678

e m'abandonne au bon plaisir de- Dieu et j'adore ses conseils sur

votre âme, aussi bien que .sa sainte conduite sur toute votre sainte Communauté. Je la remets à sa divine Providence , me confiant à sa bonté qu'elle en aura toujours soin et qu'elle la protégera comme elle l'a fait jusqu'ici.

Je l'abandonne à la puissance du Père, à la sagesse adorable du Fils et à la plénitude du divin amour du Saint Esprit. J'invoque sur icelle toutes les 'bénédictions du ciel par Jésus Christ et supplie la très sainte Mère de Dieu d'en être la directrice. C'est à cette sacrée Mère que je vous laisse toutes, vous la donnant pour votre très digne Supérieure qui aura soin de vos conduites dans la sainte perfection et qui vous obtiendra de son Fils la sanctification que je vous désire. Je vous conseille d'abandonner le tout à Dieu et de croire qu'il n'est point attaché aux objets. Ses jugements sont profonds, et bien souvent nos lumières ne sont que dans la piété de nos pensées. Mais la main de Dieu est puissante, qui fait ses ouvrages comme il ,Iui plaît et qui tire nos sanctifications de ce qui paraît notre ruine. Les croix de Providence ont des onctions bien plus suaves que les autres ; ce sont des visites de notre bon Maître. Il les faut adorer et s'y soumettre. Il est vrai que nous sommes dans un règne d'anéantissement. Je prie Notre Seigneur qu'il nous donne la grâce de nous bien anéantir dans l'amour du bon plaisir de Dieu au temps et à l'éternité.

Votre nécessité spirituelle ne consiste qu'à vous rendre bien fidèle et inébranlable dans la voie que sa divine miséricorde vous a montrée. Et pour quelque doute qui vous puisse arriver ou tentation contraire, n'en désistez jamais ; appuyez-vous sur l'obéissance qui vous l'enjoint.

336 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 337

Ne vous affligez point de la privation d'une créature impuissante à vous aider, à vous sanctifier. Dieu seul, mais tout seul, vous suffit. Laissez anéantir les moyens pour demeurer étroitement unie à la fin. Je sais bien que c'est le plus grand bonheur dans la vie intérieure - après la possession de la grâce - que de trouver une personne qui conçoive nos dispositions et qui, avec le Saint Esprit, nous serve de guide. Mais, hélas ! ma chère N. , je ne suis point utile à votre âme ; Dieu sait l'impureté et l'ignorance de la mienne. Il n'appartient qu'à lui de sanctifier ses élus et de les faire arriver à un heureux port au travers des épouvantables orages. Prenez courage, sa sainte grâce vous suffit ; la foi nue doit être désormais votre appui - sans appui. Il faut tout perdre pour trouver Dieu, qui ne peut être trouvé qu'en surpassant toutes les créatures et soi-même. Demeurez fort tranquille dans le pur anéantissement, sans vous mettre tant en soin de votre salut. Souvenez-vous de ce que Notre Seigneur dit dans son Evangile : « Qui gardéra son âme la-perdra, et qui la perdra la gagnera pour la vie éternelle». Perdons-nous donc, ma très chère Mère, et demeurons dans le pur abandon. Laissant à Dieu la conduite de votre âme, le Saint Esprit ne vous manquera pas.

Bienheureuse l'âme qui tend fidèlement à son Dieu par cette secrète et admirable voie de silence ! Ne vous en détournez jamais si vous ne voulez vous rendre infidèle. Que si, dans ce silence, l'on vous dit : que faites-vous ? vous ne savez ce que vous faites vous-même ; la foi nue est votre appui, vous contentant que Dieu le sait et le connaît. Ne vous épouvantez pour aucune tentation quelle qu'elle soit ; vous n'êtes point encore au bout. 11 y a des âmes qui en souffrent, dans cette voie, d'effroyables. Il faut que Dieu seul en pure foi vous suffise, et apprendre à vous passer de tout le reste. Si l'on vous dit que vous ne savez ce que vous adorez, vous êtes assurée en ce point ne pouvoir manquer, car vous adorez en esprit et vérité celui qui est, et vous l'adorez d'autant plus véritablement que vous le regardez par une foi simple, comme il est en lui-même, sans image et sans distinction. Fermez l'oreille à toutes les interrogations qui vous seront faites sur votre voie, contentez-vous de savoir que c'est votre chemin. Ne le quittez pas et ne vous mettez en peine de son obscurité ni des obstacles qui s'y rencontrent. Demeurez dans une amoureuse confiance en Dieu. Il y a beaucoup d'âmes qui arrivent jusqu'à certain degré d'oraison, mais elles ne passent pas plus outre. Sainte Thérèse dit qu'elle n'en sait pas la cause, et un autre dit que la faute vient de ce que nous avons encore trop d'amour et trop de réserve pour nous-même. Nous ne nous abandonnons pas assez à l'aveugle, sous les meilleurs prétextes du monde. Si je suivais mes pensées j'écrirais beaucoup sur ce sujet, et je ne sais pourquoi Notre Seigneur m'en donne tant de petites lumières, vu l'abîme de mes infidélités et combien je suis loin de la pureté de cette voie. Il est vrai qu'il y a une grande distance de l'union dé l'amour -avec Dieu et de la sainteté qu'il faut avoir pour entrer dans le Ciel. 11 y achemine les âmes durant la vie et il les consomme à la mort ; c'est l'ouvrage de sa divine main. Pour vos péchés, ne vous mettez ,point en peine de les rechercher. Si Dieu veut de vous une confession extraordinaire, il vous donnera grâce et lumière pour la bien faire : ne vous en occupez pas. Demandez la sanctification de cette communauté, et pour mon âme un parfait anéantissement.

Je vous embrasse en l'amour pur et sacré de notre divin Maître et vous laisse dans son divin Coeur et entre les mains de sa très sainte Mère. Adieu, en Dieu, pour jamais, sans nous séparer de l'union sainte que nous avons en lui, à la vie et à la mort.

nu 988 N 267

A LA MÈRE PRIEURE DE TOUL

Pentecôte 1679

D'e prie le divin Paraclet de vous remplir de sa lumière et de son feu, et qu'il fasse en vous toutes un divin incendie, pour y consommer tout ce qui pourrait s'opposer à trois choses que nous devons avoir incessamment dans le courant de nôtre vie : la première, regarder Jésus ; la deuxième, 's'unir à Jésus ; et la troisième, opérer en Jésus. Je vous supplie de demander ces trois choses au Saint Esprit pour moi, pour vous, [ et pour ] toutes les âmes qui sont dans notre Institut.

Ne vous affligez point de vos croix et des continuelles tribulations que vous souffrez. Vous êtes, ma toute chère, associée à Jésus, hostie et victime pour la gloire de son Père et pour les pécheurs. Vous devez souffrir et soutenir comme lui et avec lui, je veux dire en sa force et en sa vertu, tout ce que son bon plaisir vous envoie au dedans et au dehors de vous, sans vous réfléchir sur la nature qui gémit sous le poids, et qui crie quelquefois si haut. qu'elle retire l'âme de son fond et de son union à Jésus souffrant en elle, portant sa souffrance et la sanctifiant. Il ne faut point se regarder pour avoir pitié de son mal : nous perdrions courage à chaque rencontre. Mais souffrons et mourons avec Jésus. C'est ce qu'il veut et à quoi il vous a destinée. Soyez assurée qu'il est avec vous, que vous ne souffrez pas seule, que s'il fait votre croix par sa sagesse et son amour, il fait votre soutien par sa grâce et par son onction. Jésus vous est et vous sera toutes choses, et lorsqu'il vous manquera, vous serez responsable des accidents qui en pourraient arriver ; mais je suis certaine qu'à moins que vous ne l'abandonniez, il ne vous abandonnera pas. Demeurez unie à ce cher et adorable principe. Laissez-vous gouverner par sa toute aimable Providence, tout ira bien pour vous. C'est assez ; ni vous ni moi ne voulons rien dans son oeuvre, ni dans nous-même que pour sou plaisir. Je lui remets très souvent notre Institut entre les mains. Je me résous de le voir anéantir-si j'envisage

338 CATHERINE DE BAR

LETTRES INÉDITES 339

les événements, mais si je le regarde en Dieu, il peut tout. Il faut vivre dans la mort et marcher sans attache et sans réflexion : allons, allons à la croix... Pour les contradictions, il est impossible de les éviter ; il' vaut mieux les bien porter que de s'en affliger ; Jésus triomphera de ses ennemis et des nôtres. Ne craignons rien,, soyons fidèles à Dieu, et nous expérimenterons ses bontés et ses protections ineffables. On ne connaît jamais mieux les soins paternels de la bonté de Dieu que lorsque l'on est environné de croix.

Nous vous manderons ce que nous apprendrons des arrêts. Monsieur le premier Président a résolu de parler au Roi et lui représenter que les monastères ne sont pas si riches qu'il croit (1). On espère que tout se terminera avec moins de rigueur qu'on espérait. Mais, quoiqu'il arrive, tenez vos coeurs préparés pour recevoir la croix qui vous menace, et qui ne peut tomber sur vous qu'elle ne tombe sur moi plus violemment. S'il plaît à Dieu nous l'envoyer, il faut bénir son Saint Nom, et ce sera le châtiment que mes péchés méritent. Tout me serait doux s'il était sur moi seule et que les innocentes ne pâtissent point pour la coupable. Si Dieu veut me confondre, je n'ai pas le mot à dire : il est juste. Mais quoique je ne sois pas digne des regards de sa miséricorde, je ne puis cependant que je ne me confie en sa bonté pour l'amour de lui-même, espérant qu'il n'abîmera point son oeuvre absolument, quoiqu'elle soit en toutes manières fort agitée. Il faut attendre son secours en la manière qu'il lui plaira nous le donner, et ne nous point trop affliger des bouleversements dont nous sommes menacées. Laissons faire Dieu : il est plus puissant que nous pour défendre ses intérêts. Il fait que nous n'avons d'appui qu'en lui seul, et.que nous ne demandons point de meilleure protection. Tout est dans sa divine main, le bien ou le mal, le triomphe ou la honte, l'honneur ou le mépris ; qu'il fasse selon son bon plaisir. C'est ici où il faut que je meure et que je sois ensevelie dans les ruines de tous mes dèsseins, qui me semblent cependant n'avoir été formés que pour sa gloire. Mais, comme je ne suis que corruption et que tout ce que je fais mérite d'être anéanti, je tâche de me tenir prête à tout ce qu'il plaira à Notre Seigneur qui fera justice de m'abîmer dans toutes sortes d'abjections. Et je suis bien aise de n'avoir point d'appui chez les créatures, ni de défense chez les souverains j'attends de Dieu immédiatement toutes choses. 11 sera toujours adorable en tout ce qu'il permettra m'arriver ; je le bénis et l'adore par avance en me tenant sous ses pieds. Faites de même, je vous supplie, et lui offrez les amertumes de mon coeur

(1) Dès 1663 Colbert, peu favorable à la vie monastique, avait fait entreprendre une enquête dans le but de connaître le montant exact des revenus des monastères qu'il croyait très riches. L'affaire fut portée devant le Saint-Siège en 1668 et les soupçons du ministre furent reconnus comme tout à fait injustifiés. La plus grande partie des revenus monastiques était perçue par les abbés commendataires. Mais une nouvelle tentative reprit en 1671 et l'on s'efforça même de restreindre les nouvelles fondations. Mère Mectilde aura aussi à souffrir de ces mesures restrictives lorsqu'elle voudra ouvrir un second monastère à Paris. Il semble bien que cette lettre fait allusion aux difficultés créées par Colbert. Dom Martène, op. cit., vol. XXXI V, t. IV, p. 177-178. Ligugé, 1930.

au regard de cette oeuvre et tout ce qui y est compris. C'est une rude croix pour l'amour propre qui n'y voudrait voir que pureté et sainteté. Redoublez votre confiance en Dieu, et ne vous effrayez d'aucune chose ; arrive qui pourra, tout est dans la main du Seigneur ; c'est où il se faut fixer et demeurer solidement en patience. Laissez crier les gens ; je ne crois pas qu'ils rompent vos portes, et s'ils en venaient là, ce serait une bonne chose pour nous pourvoir devant le roi.

Ce petit mot sera un témoignage que je pense à vos intérêts, et que vos affaires et toute la petite maison me tient au coeur. Je vous prie, ne vous affligez de rien ; tout ce que l'on vous dit n'est pas toujours vérité, et ce qui tend à vous abattre sera un jour confondu. Ayez bon courage, relevez votre confiance, et soyez d'autant plus ferme que vous avez moins d'appui humain, Notre Seigneur me fait la grâce d'expérimenter le faible des créatures et combien il y a peu de sujet d'y faire fond d'appui. Vous savez combien Madame de N. nous aimait. Cependant sans savoir ni pourquoi, ni comment elle s'est choquée, elle redemande les fondations qu'elle a faites. Jugez si cela est raisonnable, et quel fond on peut faire sur tel sujet. J'espérais bien le contraire, et voilà tout renversé de ce côté là. Tout de même de Madame N. qui m'avait donné parole etc..., et après en avoir fait les remerciements, il n'y a rien eu pour nous que l'affront que j'en ai reçu. J'en espérais encore d'un autre côté, mais c'est la même chose ; tout se confond. Je fis hier mon oraison sur ce renversement d'appui humain, et mon âme entra dans une forte confiance en Dieu seul. Je connus bien que jamais je n'avais eu de vraie foi ni de confiance en Dieu. Je fus dans une très grande joie intérieure de me voir trompée des créatures, et que je ne savais où donner de la tête pour trouver de l'argent pour achever de bâtir (2). Je me jetais à corps perdu et tout le bâtiment entre les mains de Notre Seigneur abandonnant tout à sa sainte volonté. Je suis néanmoins dans une secrète confiance que sa bonté y pourvoira d'une façon que je ne comprends

(2) Dans une lettre écrite de Rouen à la Mère Anne du Saint-Sacrement vers le mois de juin 1679, elle dit : « Je vous prie de considérer que nous ne bâtissons pas pour nous, mais pour celles qui viendront dans la suite... Je ne prétends pas donner... mon consentement à aucune vanité, ni embellissement curieux qui tirent hors de la simplicité religieuse... ». Comme l'on travaillait au bâtiment et que l'on mettait la couverture, en décembre 1679, un jeune couvreur tomba d'un troisième étage sur une pierre de taille ; cet accident toucha la Mère Mectilde sensiblement, et elle en demeura sans paroles, sans néanmoins négliger le salut de cette âme, qui était ce qui lui tenait plus à cœur, puisqu'elle se mit en même temps à genoux devant une image de l'Immaculée Conception pour lui demander le salut de cet infortuné. La hauteur dont il était tombé fit juger d'abord qu'il était mort, le voyant sans paroles et sans connaissance. Après quelque espace de temps il se plaignit disant qu'il avait les reins rompus. On fut avertir cette digne Mère qui était encore en prière, lui disant qu'on espérait qu'il n'en mourrait pas. Elle répondit : « Je ne demande point sa vie ; ce n'est que pour son âme que je prie quand il sera dans les dispositions qu'il doit être pour bien mourir, Notre Seigneur fera ce qu'il lui plaira ». On l'étendit sur un lit de repos pour le porter à la Charité, où il vécut encore plusieurs jours et y mourut très chrétiennement après avoir reçu tous ses sacrements. On tient que la fervente prière de cette charitable mère lui obtint par l'entremise de la sainte Mère de Dieu cette grâce, car c'était un jeune homme qui venait de l'armée et qui, n'ayant pas trop de dévotion ni de piété, avait besoin de ce secours. Et l'on a regardé comme une très grande miséricorde de Dieu qu'il n'ait pas été tué tout roïde. C'est le témoignage qu'en ont rendu ceux qui le virent tomber. P. 101, p. 912 - 914.

340 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 341

pas : il soit à jamais béni ! On ne sait ce que c'est de foi nue si les appuis des sens ne viennent à défaillir ; mais quand on ne trouve plus rien aux créatures, on s'abandonne plus facilement au créateur. Ceci, joint à d'autres petites occasions, donne de quoi offrir à Dieu plusieurs sacrifices durant la journée.

Priez-le, très chère Mère, qu'il se glorifie de tous nos petits événements, et que je sois à lui de la bonne manière. Le déplaisir encore, que j'ai eu ces jours passés, fut une pièce qu'un ecclésiastique nous a faite chez les Pères Jacobins. Nous avons tâché de la réparer. Il ne faut pas penser vivre sans contradiction ; la vie en est toute pleine, mais tout est bon quand on le regarde en Dieu. Communiez les dix vendredis pour obtenir ce que vous demandez, et tâchez de vous bien fixer en Jésus Christ. Agissez purement pour lui seul et n'attendez rien des créatures, mais ne laissez pas de les servir comme membres de Jésus Christ. Quand on agit avec un saint dégagement, de quelque manière que les affaires tournent, nous serons toujours contentes. Il ne faut pas toujours parler de Dieu durant les conférences, cela surchargerait trop les faibles ; la charité, dit Saint Paul, s'accommode à tout.

no1311 N267

A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL

1679

Jésus soit le commencement, le milieu et la fin de nos années !

c'est en lui et par lui que nous devons commencer et finir. Il faut

que son esprit nous environne et que son amour soit notre centre et notre mouvement. Je le prie de tout mon coeur, mes très chères, qu'il vous tire dans son sacré Coeur et que vous soyez toutes cachées en lui ; que rien ne soit plus en vous de vous-même, mais qu'il soit la vie de votre esprit.

Si je ne savais que sa bonté vous comble de ses divines miséricordes, j'aurais bien de la douleur d'être si longtemps sans vous donner des marques de mon souvenir et [ sans vous redire ] que vos chères lettres ne me sont point ennuyeuses. Mais la Providence, qui est la maîtresse de tout, a si bien ménagé toutes choses qu'elle m'a mise dans quelque sorte d'impuissance de satisfaire à ce que mon affection désirait de vous rendre de service et de secours dans vos besoins.

Prenez courage : vos fidélités confondront l'enfer et les démons qui ne peuvent souffrir danS la ville de Toul la Maison du Très Saint Sacrement. Il faut prendre patience ; nous ne serons pas toujours dans l'oppression. Notre Seigneur permet qu'on vous persécute pour épurer vos vertus ; mais, après tout, c'est lui-même qui est persécuté en vos personnes et qui souffre les contradictions des hommes pécheurs dans son divin Sacrement. Nous avons une très longue expérience qu'il veut être le monarque et le souverain, et la très Sainte Vierge notre reine. Il faut premièrement avoir recours à ces augustes et célestes Majestés ; après, nous irons à celle de la terre. Mais ma pensée est qu'il n'en sera pas besoin. Redoublons notre confiance et espérons contre toute espérance : c'est là où la bonté de Dieu éclate et où sa divine Providence fait ses coups. Je sais bien qu'il est dur et fâcheux de vivre toujours en peine ; mais vous trouverez dans le livre de l'Amour divin de saint François de Sales une histoire qui doit être votre règle. C'est d'un peintre qui demeurait dans la ville de Rhodes (1) et qui fit, du temps qu'on assiégeait la ville et qu'on lui tenait souvent le pistolet sur la gorge, le plus rare chef-d'oeuvre de la nature par son art de peinture, sans que les coups de canon ni autres alarmes lui fissent manquer d'un trait.

Il faut que, durant toutes les persécutions que vous souffrez et les coups de langues que l'on tire contre vous, vous soyez fermes, constantes et inébranlables, sans discontinuer votre paix, votre foi et votre confiance en la bonté de Notre Seigneur et de sa très Sainte Mère et sans manquer les plus beaux traits de l'amour et de la conformité à Jésus Christ et de sa belle et précieuse image qu'il peint lui-même au fond de vos coeurs. Ne vous troublez donc point ; celui est bien gardé que Dieu garde. Servez-le toujours bien et vous expérimenterez ce que peut sa puissance pour vous défendre de vos ennemis. Notre Seigneur sera le maître. Priez-le qu'il me rende digne d'être en son saint amour pour jamais...

no 1542 N267

(1) « Démétrius tenant le siège devant Rhodes, Protogène (peintre célèbre qui vivait à Rhodes vers 336 av. J.C.), étant en une petite maison des faubourgs ne cessa jamais de travailler mais avec tant d'assurance et de repos d'esprit, qu'encoré qu'on lui tînt presque toujours l'épée à la gorge, il fit l'excellent chef-d'oeuvre d'un satyre admirable qui s'égayait à jouer du flageolet ». cf, Saint François de Sales. Traité de l'amour de Dieu, livre IX, chap. XV.

A LA MÈRE PRIEURE DE TOUL

[ 1680 au plus tard ]

Cr 'est un peu tard, ma toute chère Mère, que je vous souhaite la bonne et sainte année, suivie d'un grand nombre de pareilles pour la gloire de Notre Seigneur. Ce n'est pas vous faire plaisir que de vous désirer une longue vie, mais il faut. l'agréer pour travailler à la vigne du Seigneur qu'il a confiée à vos mains et sous votre conduite. J'écris à nos chères Soeurs vos filles qui m'ont écrit. Elles ont besoin d'être encouragées à s'oublier d'elles-mêmes pour être toutes abandonnées aux voies que la grâce tient sur elles pour les anéantir.

342 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 343

Elles demeurent trop longtemps, par timidité intérieure, réfléchies sur leur misère ; elles s'en occupent trop. Il faut qu'elles meurent à toutes les tendresses qu'elles ressentent sur leurs péchés, et je crois qu'au lieu d'y mourir elles s'efforcent d'y vivre en se reprochant leur dureté.

11 y a telles âmes qu'il faut comme tirer de cette sensibilité, parce qu'elle n'est pas opérée par la grâce. Il faut sentir sa corruption, mais sans accablement. On n'est que cela, pourquoi s'en tant étonner ? Cela vient d'une superbe secrète qui ne veut point porter l'abjection du fond malin sous prétexte de l'offense de Dieu. Or Dieu n'est point offensé par les vues ni les sentiments de notre fond, mais bien par les oeuvres de péché qu'il ne faut point commettre. Le reste est bon à sentir et souffrir ; il ne s'en faut pas tourmenter. Encouragez-les à bien souffrir ; c'est en cela qu'elles sont victimes, et qu'elles souffrent pour les intérêts de Notre Seigneur au mystère de notre adoration.

Dites-leur bien que la simplicité fait des miracles dans les âmes, et que c'est par cette vertu que l'obéissance est parfaite et qu'elle nous fait entrer en union d'état avec Jésus Christ au Très Saint Sacrement. Toute la perfection religieuse se renferme dans l'obéissance. Je vous prie de les exhorter à obéir sans raisonnement. Si elles donnent lieu à ce vice, le démon les fera tomber en mille fautes, et jamais elles n'auront de forces pour soutenir vigoureusement ses combats. C'est par l'obéissance que Jésus a triomphé du péché et de la mort. L'âme qui meurt incessamment par la fidèle pratique de l'obéissance meurt à elle et vit à Jésus Christ et se, sanctifie infailliblement. Mon expérience me fait voir que tout consiste à cette précieuse vertu.

Pour vous, ma toute chère Mère, il ne vous manque que la santé, car la besogne est grande. Je prie Dieu qu'il vous en donne, et qu'il me donne la consolation de vous revoir. Si Dieu nous donnait une paix cela serait bientôt. Mais, hélas ! nous ne savons ce que nous deviendrons. Il faut s'abandonner à tout ce qu'il plaira à Notre Seigneur.

Prenez courage, ma très chère Mère, et ne vous rebutez point de la croix, on ne peut l'éviter en la place où vous êtes. Je vous dirais plusieurs choses si j'avais un peu plus de loisir, mais il faut finir pour mille autres choses qui me pressent.

Pour ce qui est de Rouen je ne sais quand il plaira à Notre Seigneur d'y terminer nos affaires. Je laisse tout à sa Providence après y avoir fait ce que j'ai pu.

Je suis toute à vous, ma toute chère Mère, en celui qui fait dans le temps et l'éternité le lien de nos coeurs en son amour. Je salue très cordialement toutes vos chères filles et me recommande à leurs saintes prières.

A MADEMOISELLE SA NIÈCE

13 mars 1680

a'est avec une sensible douleur, Mademoiselle ma très chère nièce, que j'apprends par Monsieur de Valfleury (1) et ma chère nièce, votre fille Gertrude, l'extrémité où est réduit Monsieur de Vienville. Je ressens votre affliction ; elle pénètre d'autant plus vivement mon coeur que je vous en vois si accablée qu'il sera comme impossible de survivre à votre perte qu'il y a longtemps que je prévois.

Ce qui vous peut consoler, c'est qu'il a éu la grâce de faire ses dévotions avant que d'être surpris de cette fâcheuse apoplexie, et qu'il meurt apparemment comme un bôn serviteur de Dieu, ayant tâché de mettre ordre à ses affaires.

Je sais que son éternité vous est mille fois plus considérable que tous les intérêts du monde, et que vous savez trop bien que nous ne vivons que pour mourir, que c'est une loi indispensable à tout le monde ; c'est le châtiment du péché qu'il faut subir puisqu'aucune créature ne la peut éviter.

Je n'ai pas besoin de vous exhorter de vous conformer à la très sainte volonté de Dieu ; il faut vouloir ce qui lui plait et comme il le veut, puisqu'il est juste qu'il dispose de son ouvrage, et à nous d'adorer ses conduites.

Je vous prie, ma très chère nièce, de prendre courage et de ne vous point laisser tomber dans l'accablement. Vous avez des enfants qu'il faut soutenir et tâcher d'établir (2), Plût-il à Dieu qu'elles voulussent être toutes trois religieuses, mais il les faut laisser choisir leur sort que je leur souhaite heureux pour leur salut. Je voudrais être au pays pour vous consoler et servir dans vos besoins ; mais, ma chère enfant, jetez-vous entre les bras de la très Sainte Vierge et prenez saint Joseph pour votre protecteur dans votre état présent. Priez le d'être le père de votre petite famille, et lui recommandez toutes vos affaires et surtout l'établissement de vos chères filles.

(1) Valfleury, canton de Saint-Chamond (Loire). Prieuré dédié à Notre-Dame, fondé le 20 septembre 1052 par le roi Henri ler et dépendant des bénédictins de la Chaise-Dieu uni à Savigneux vers 1414. Ayant besoin de réforme on pensa aux Mauristes. Mais, en 1663, l'archevêque de Lyon forma le projet d'y établir un séminaire et l'attribua aux lazaristes en 1687. Valfleury est un lieu de pélerinage à Notre-Dame, célébre dès le X le siècle. Il tomba en décadence au XVe siècle. Les fils de saint Vincent de Paul le relevèrent. La statue miraculeuse, cachée sous la Révolution, a été replacée dans l'église paroissiale. La source miraculeuse coule toujours dans la crypte. C'est le sanctuaire le plus populaire du diocèse de Lyon après Notre-Dame de Fourvière. Cf. Archives• de la France monastique, vol. XXXVI I ; Abbayes et Prieurés, Ligugé, IX p. 135. M. Colinon, Guide de lu France religieuse et mystique, Centurion, 1969, p. 625.

(2) Françoise Lhuillier, épouse de Claude Gaulthier de Vienville eut trois filles : Françoise Gertrude, née le 15 janvier 1657, qui demeura près de Mère Mectilde comme dame pensionnaire au monastère de la rue Cassette : elle mourut à Saint-Dié le 28 août 1733. Marguerite, née le 2 novembre 1658, épousa le 3 juin 1686 Jean-François Humbert, comte de Girecourt. Elisabeth Catherine, née le 17 mars 1660, insigne bienfaitrice du monastère de Rambervillers, décéda rue Cassette en 1747.

no 224 N 267

344 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 345

Monsieur Lhuillier (3) n'est pas encore de retour du voyage du Roi où il a suivi Monsieur de Guise. Je serais d'avis qu'il vous allât trouver pour vous aider et servir dans votre affliction. Je croirais utile pour vos affaires, et, s'il peut obtenir son congé, il partira incontinent.

Cependant, nia bonne et très chère nièce, il faut que votre sacrifice soit généreux et qu'il vous attire les grâces du Ciel pour embrasser la Croix et vous soumettre aux très saintes volontés de Dieu.

Ce me serait un grand repos si je vous pouvais tenir auprès de moi, mais, dans le présent, voyons ce qui se peut faire.

Je suis bien aise que Mademoiselle Gérard (4) soit auprès de vous ; je l'embrasse de tout mon coeur et la prie de ne vous point abandonner dans votre affliction.

Je salue mes chères petites-nièces et les prie de vous donner toute sorte de contentement.

Mon coeur ressent votre douleur ; je ne cesserai de faire prier Dieu pour le cher défunt et pour vous.

J'ai mille obligations à Monsieur de Valfleury qui vous a rendu de si bons services dans cette extrémité d'affliction.

Notre chère Mère Sous Prieure de l'Hospice [Mère Bernardine de la Conception Gromaire( lui écrit pour moi et vous assure de son affection.

A Dieu, ma plus chère nièce, je vous embrasse de tout mon coeur et prie Notre Seigneur être votre force et votre consolation, c'est les désirs de votre fidèle servante.

no 178 T8

(3) Nicolas Lhuillier, écuyer ordinaire de S.A.R. la duchesse d'Orléans, est le frère cadet de Françoise Lhuillier.

(4) La soeur de Françoise Lhuillier, Marguerite, avait épousé Gérard de la Gràndmaison, capitaine au régiment de Lhuillier, natif d'Essey en Voivre (actuellement Essey-et-Maizerais, Meurthe-et-Moselle), annobli par Charles IV à Nancy le 11 novembre 1667. Mort sans descendance. C'est peut-être pour cela que, dans la lettre du 14 février 1686, Mère Mectilde écrit à sa nièce Françoise : « Je vous recommande votre chère soeur ; elle aura soin de vos chères filles ».

peine de m'y soumettre, et que j'en ai été toute pénétrée de douleur et d'angoisse, mais je vous dirai à vous seule, nia plus chère Mère, qu'à la très sainte communion il m'a semblé que Notre Seigneur m'a dit qu'il se trouvait avec sa très sainte Mère pour soutenir le poids, et que ce serait lui et elle qui présideraient et soutiendraient tout. J'en ressentis les effets dans le moment nie trouvant dans un grand calme avec une douce indifférence, me semblant que Notre Seigneur et sa sainte Mère étaient en moi qui recevaient cette charge. Priez-les, ma plus chère Mère, qu'ainsi soit-il, et que ce ne soit pas moi, mais que ce soit leurs esprits saints qui conduisent toutes choses.

J'espère vendredi le matin être à la nouvelle maison (1), et puis aller dîner avec vous, ma plus chère Mère,et avec nos très chères Soeurs que je salue cordialement. Je ne pus hier répondre à la chère Mère Sous-Prieure, mais s'il plaît à Dieu, vendredi nous suppléerons. Je la salue de tout le coeur. Mille bonjours, mon unique et plus chère Mère ; je suis encore tout de nouveau toute à vous.

J'ajoute, mon unique Mère, ce petit mot à celle que je nie suis donné l'honneur de vous écrire ce matin, sur celle que votre bonté me vient d'écrire,. pour vous dire que je n'ai pas été triste depuis ; ce que je vous mande se passa en moi si doucement que Notre Seigneur a tout soutenu avec sa très sainte Mère. Il est vrai que je nie retirai à notre chambre après none, mais je ne me souviens point d'y avoir jeté des soupirs ; au contraire je me jetai sur notre lit où je m'endormis assez doucement près d'une heure, ce qui me donna plus de forces, car j'étais lasse: Le Révérend Père Prieur (2) a fort contenté la Communauté. Il en a. usé autant bien qu'il se pouvait.

no 470 P 104 bis

(1) Le petit « hospice » de la Porte Montmartre, rue Saint-Marc.

(2) Dom Claude Boistard (1620-1709) avait fait profession à Saint-Augustin de Limoges le 19 décembre 1640. Elu prieur de Saint-Germain-des-Prés au chapitre de 1678, il le demeura six ans. Il fut supérieur général de la congrégation de Saint-Maur de 1687 à 1705.

A LA MÈRE PRIEURE DE TOUL

A UNE PRIEURE

[Mère Bernardine de la Conception Gromaire]

3 juillet 1680

est bien juste, mon unique et plus chère Mère, que je vous rende

grâce de vos saintes prières et de toutes celles de vos chères filles, qui m'ont attiré du ciel la grâce de soutenir le poids dont il a plu à Notre Seigneur me recharger. Je le prie que ce soit pour sa gloire et la sanctification de tout l'Institut. Il faut avouer que j'ai eu une très grande 1683

ar-'apprends de vos enfants, ma toute chère Mère, l'état périlleux que nous n'attendions pas. J'en suis très sensiblement touchée, et la crainte que Notre-Seigneur ne vous transfère de la terre au Ciel me le fait prier ardemment de vous laisser encore travailler à son oeuvre, puisqu'il me semble que j'en vois un extrême besoin. Ce qui m'oblige de vous prier de ne vous y point opposer ; ce retardement augmentera vos mérites, et pour la gloire de Notre Seigneur et pour notre consolation et [celle] de toutes vos très chères filles, qui sont, aussi bien

346 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 347

que moi, toutes pénétrées de douleur. Faites de votre côté ce qui vous sera possible pour votre guérison ; n'épargnez rien, je payerai toutes choses et, pour Dieu, faites tout ce qu'il faut faire pour vous tirer de cette grande maladie. Nous en sommes toutes touchées. J'étais à l'hospice [Porte Montmartre I hier où j'ai reçu cette affligeante nouvelle ; toute notre joie en fut troublée. Je les laissai en douleur et notre bonne Mère [Bernardine de la Conception Gromaire] plus que toutes, qui n'a plus de santé et que je vois sensiblement s'approcher du tombeau. J'adore Dieu au-dessus de mes sens, et tâche de me rendre à ses adorables volontés, quoique le sacrifice d'elle et de vous me soit une mort terrible. Il faut la soutenir quand il lui plaira. Je ne laisse de le supplier de vous conserver pour la gloire et le bien de l'Institut; j'attendrai de vos nouvelles avec impatience. Je supplie Notre Seigneur et sa très sainte Mère de me les donner bonnes. Je vous embrasse, ma très chère Mère, du plus tendre de mon coeur.

no 863 N 267

La petitesse d'esprit consiste à une soumission de jugement, à un saint mépris de son propre sens et à n'être rien au dedans de vous-même non plus qu'au dehors. Nous en dirons davantage une autre fois. Pensez-y pourtant en la présence de Notre Seigneur et craignez un secret appui en vous-même. C'est pourquoi simplifiez-vous intérieurement autant qu'il vous sera possible. Ne manquez de nous écrire à chaque ordinaire, car je languis jusqu'à ce que votre malade soit mieux. Ne m'oubliez pas en vos saintes prières.

no 442 N267

A LA MÈRE BERNARDINE DE LA CONCEPTION IGromairel

Prieure de l'hospice de la rue Saint-Marc

A UNE RELIGIEUSE DE TOUL

1683

fiélas ! j'attends comme une manne du Paradis un peu de bonnes

nouvelles. Celles que j'ai reçues hier en date du 26 du courant ne me consolent guère. Je suis toujours en transe de faire aussi continuer les prières. Voilà un grand mal pour une personne aussi usée que votre bonne et digne Prieure. Je l'ai, ma très chère fille, toujours à l'esprit et, comme la bienheureuse Marie des Vallées (1) fait quantité de miracles, je la prie et vous aussi d'y avoir recours. Ne cessez point que vous n'obteniez sa santé. Cependant, embrassez cette chère Mère pour n-loi, et lui dites de la part de Dieu que je lui défends de mourir.

Je ne vous dis rien pour cette fois de votre intérieur ; j'ai trop peu de loisir. Je prendrai du temps pour vous dire ce que Notre Seigneur me donnera sur votre disposition. En attendant soyez bien obéissante et vous étudiez à une profonde humilité d'esprit. Je sens en fond que cette chère vertu manque à votre âme. Notez que je dis d'esprit. Souvenez-vous des paroles de Notre Seigneur : « SI VOUS N'ETES FAITE COMME UN PETIT ENFANT VOUS N'ENTREREZ POINT AU ROYAUME DES CIEUX »

Mt. 18,1

(1) Née à Saint-Sauveur-Lendelin, au diocèse de Coutances, le 15 février 1590 ; décédée à Coutances le vendredi 25 février 1656.

i.e soutien de Saint Jean Eudes dans certaines de ses fondations a connu autant d'approbations que de violentes critiques en raison des phénomènes mystiques assez extraordinaires dont elle était l'objet. Mère Mectilde avait grande confiance en l'intercession de celle qu'on appelait la « sainte de Coutances ». Cf. Emile Dermenghem, La vie admirable et les révélations de Marie des Vallées, Plon Nourrit, Paris, 1926 ; R.P. Georges. Saint Jean Eudes, Lethielleux, Paris 1936.

25 février 1683

Ue suis, mon unique et plus chère Mère, bien sensiblement touchée

de l'état souffrant où sont toutes nos chères filles ; je voudrais de tout mon coeur les pouvoir soulager. Je crois qu'elles ont trop de fatigue pour l'adoration de Li nuit. Il faut voir comment on pourrait les dispenser de quelques heures, ou bien voir si ce n'est point qu'elles ne sont pas bien nourries. Je croirais qu'il y aurait peut-être quelque chose de cela, ou bien qu'elles sont trop austères ou trop tristes. Je croirais bien que ce dernier l'emporterait, car la tristesse tue le corps aussi bien que l'esprit. Voyons les remèdes que l'on y peut apporter ; ce sera de ma part de tout mon coeur. Il nous faut tout remettre à Dieu, il est le maître de tout, et nous bien persuader que l'état de véritable victime coûte quelque chose. Je crois que Notre Seigneur nous veut toutes dans la mort pour ne plus vivre qu'en lui. Je vous assure qu'il lui faut tout céder, car autrement nous n'aurions point de repos avec lui. Il sait bien qu'il est le maître de ses créatures, et nous le croyons aussi, et que, par conséquent, il doit agir sur elles en souverain, et nous, nous devons toujours être anéanties par une parfaite soumission à ses volontés.

J'embrasse toute la chère communauté de tout le coeur en attendant la consolation de les voir, comme je l'espère, la première semaine de Carême, si Notre Seigneur me prête la vie. Millions de bonjours. Ce lundi matin 25 février, ce jour [ anniversaire Ide la mort de notre bienheureuse Marie des Vallées ; priez-la pour moi, je vous supplie.

no 1127 Cr C

348 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 349

A MADEMOISELLE SA NIÈCE

14 février 1685

'apprends avec douleur, Mademoiselle ma très chère nièce, l'indisposition où vous êtes tombée. Mais comme nous dépendons de Dieu et que nous sommes en sa puissance, nous devons toujours nous

tenir dans ses divines mains pour agréer ses divines volontés. Vous

saurez, ma très chère nièce, que nous n'avons point d'heure ni de moment assuré, mais que la meilleure disposition est de nous tenir prêtes

pour retourner à Dieu. La première chose qu'il faut faire est de sépa-

rer votre coeur de tous les biens de la terre et de remettre vos chères filles sous la protection de la très auguste Mère de Dieu et, après vous

être confessée et [avoir] communié, faire promptement votre testament,

en cas que vous ne l'ayez pas fait ; ordonnez des bonnes oeuvres et des aumônes. Heureuses les âmes qui portent la lumière devant elles;

celles que l'on porte après ne sont pas si méritoires. Dieu vous a donné du bien, n'oubliez pas les pauvres. Que servira d'avoir possédé des biens sur la terre si nous ne nous en servons pour gagner le Ciel ? C'est ma très chère, ce que vous devez faire.

Quant aux choses qui donnaient de l'inquiétude à votre esprit, séparez votre esprit de tout cela pour demeurer dans une amoureuse con-

fiance en la bonté de Notre Seigneur. Ce ne sera pas sur cela que vous serez jugée, je vous en assure, mais sur le dégagement de votre coeur des choses de la terre. Rien ne le doit occuper que Dieu et les bonnes oeuvres que vous devez faire pour sa gloire et votre salut.

Allons, ma très chère nièce, allons à Dieu, retournons dans le bienheureux centre dont nous sommes parties. Nous ne sommes pas de ce mon-

de, ce n'est pas notre patrie. Nous y sommes pour opérer notre salut, mais comme des voyageurs qui ne font que passer, sans s'arrêter à ce qui se rencontre en leur chemin.

Je vous estime heureuse d'avoir encore un peu de temps pour vous bien attacher à Dieu. Ces sortes de maladies sont fort affligeantes par-

ce que, pour ordinaire, elles tuent tout d'un coup les personnes qu'elles attaquent. Notre Seigneur vous a fait la grâce d'en revenir pour un peu de temps, niais vous le devez employer pour le grand retour qui terminera votre éternité. Ne vous affligez pas de quitter vos chères filles : elles sont à Dieu et la Très Sainte Vierge en aura soin. Tenez votre esprit fort libre et saintement dégagé de toutes choses. S'il était possible, je me désirerais auprès de vous pour consoler votre âme et vous aider à ce passage de votre retour à Dieu, mais je vous rendrai visite en esprit et ferai bien prier Notre Seigneur et sa très Sainte Mère pour vous.

Prenez courage, très chère nièce, nous nous reverrons dans l'éternité, je vous la désire heureuse.

N'ayez point de regret de quitter une vie si misérable, mais réjouissez- vous d'aller à Dieu. Je vous embrasse en son amour du plus tendre de mon coeur ; vous ayant toujours aimée, je continuerai jusqu'à la mort. Vos chères filles, Monsieur et Mademoiselle Gérard trouveront ici les assurances de mon souvenir.

Je vous recommande votre très chère soeur : elle aura soin de vos chères filles si Notre Seigneur dispose de vous. Je le prie qu'il vous conserve en vous rendant une meilleure santé pour sa gloire et votre salut.

Je suis en lui tout à vous, ma très chère nièce.

no857 T8

A LA RÉVÉRENDE MÈRE BERNARDINE DE LA CONCEPTION 'Gromaire!

Samedi 12 mai 1685

e viens, ma chère et unique Mère, vous dire que ce matin à quatre

heures et demie, Notre Seigneur nous a enlevé notre chère Mère de Saint Joseph si doucement qu'à peine s'en est-on aperçu. Je crois que la très Sainte Mère de Dieu l'a reçue et qu'elle ne sera pas longtemps sans posséder la gloire. Je ne vous la recommande pas : votre charité est trop grande. Je vous supplie de le mander à nos Maisons de Lorraine, je n'en ai pas le loisir.

Ne soyez point en peine de moi ; je ne me fatigue point, mais vous, ma toute chère Mère, conservez-vous au nom de Notre Seigneur..

no 1605

350 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 351

Jeudi 4 novembre [ 1688

e ne voudrais pas, mon unique et plus chère Mère (1), vous presser

de revenir. Si vous êtes un peu mieux avec nos chères Mères qu'avec nous, je ne voudrais pas vous contraindre, mais cependant, ma plus chère Mère, je voudrais vous prier de revenir. Mes nièces sont comme tombées des nues ne vous trouvant point ici, et moi je transis de ne vous point voir. Hélas ! j'ai été si longtemps éloignée de votre chère personne. Revenez donc, très chère Mère, revenez avec moi. Je ne peux plus souffrir votre absence.

Mon pied est toujours enflé, quoique je ne marche pas. Il faudra un peu de temps qui me mortifie beaucoup, car je désire ardemment d'aller embrasser mes chères Mères. Je les salue de tout mon coeur en attendant que je puisse avoir la consolation que je désire. Je suis bien en peine de la chère Mère Prieure (2) qui est plus mal, je voudrais bien la pouvoir soulager. J'ai bien de l'impatience d'apprendre la délivrance de Monsieur Féret (3). Il faut faire manger de la viande à la chère Mère Prieure ; ordonnez-lui, ma très chère Mère, de prendre plus de soin de sa faible santé.

J'ai donné ordre à ma Soeur Rose de vous mener un carrosse pour vous ramener, afin que je puisse avoir la chère consolation de vous embrasser, car, depuis mon retour (4), je n'ai possédé ce bonheur qu'un petit moment. Venez, mais sans contrainte, ma plus chère Mère.

no 1220 Pl no 14

Pour

Mon unique et plus

chère Mère Lancienne

prieure de Rambervilliers.

(1) Cette lettre fait partie des autographes de Mère Mectilde conservés dans nos archives ainsi que les lettres no 843 - 986 - 1642 - 1606 - 2779 - 1609. Nous en avons modernisé l'orthographe et parfois la ponctuation pour en faciliter la lecture. niais nous avons conservé la souscription et l'adresse telles qu'elles sont écrites par Mère Mectilde sur une feuille blanche qui devait servir d'enveloppe,. les plis étant encore visibles. Cette lettre est adressée à Mère Bernardine de la Conception Gromaire.

(2) Mère Marie de Saint François de Paule Charbonnier, élue prieure le 21 mars 1685, décédée le 18 avril 1710 à Paris.

(3) lI était un insigne bienfaiteur du monastère.

(4) Mère Mectilde fait allusion à son voyage à Chatillon-sur-Loing où elle venait de fonder son huitième monastère sur les terres de la princesse de Meckelbourg. La première Exposition du Saint Sacrement avait eu lieu le 21 octobre précédent.

A MÈRE M. DE SAINT FRANÇOIS DE PAULE CHARBONNIER

décembre 1688

Mon Dieu, ma chère Mère, est-il vrai que vous êtes un peu mieux ? Le puis-je croire, si je ne le vois de mes yeux, quoique notre chère

Soeur de la N. (1) me le veut persuader. Mais quand il a paru de l'amendement en votre maladie, nous avons eu tant de revers que nous vous avons cru demie morte. C'est ce qui nous fait encore trembler. Certes, ma plus que très chère Mère, on ne peut pas être plus touchée que je l'ai été à votre sujet. Dieu seul connaît les gémissements et la frayeur que j'avais qu'il ne confondît les désirs de mon coeur. Je sais que je le mérite, mais je lui présentais l'Institut et la nécessité que nous avions de votre personne. Enfin il semble qu'il a exaucé les voeux de vos très chères Filles, comme le méritant cent mille fois mieux que moi. J'entre dans leurs reconnaissances, et en rends grâces à Dieu autant que je le puis. Mais au moins que ce soit tout de bon, et pour longues années Je sais bien que je ne vous fais pas de plaisir, et que la mort vous plairait plus que la vie, si vous considérez vos intérêts, mais il faut encore vous sacrifier et dire avec le grand saint Martin : « DOMINE SI ADHUC POPULO TUO SUM NECESSARIUS, NON RECUSO LABO-REM »(2). Je le crois, ma toute chère et plus que très chère Mère, que vous êtes encore nécessaire, et qu'il faut que toutes choses soient bien établies avant que de les abandonner. C'est à quoi nous tâcherons de travailler, et pour vous en rendre capable, je vous conjure de faire tout votre possible pour vous bien porter. Faites-vous soulager, n'épargnez rien, je ferai satisfaire à tout. S'il plaît à Notre Seigneur, il nous donnera du secours ; je l'espère de sa miséricorde par sa très Sainte Mère. Nous chanterons le TE DEUM, quand vous m'assurerez vous-même que vous êtes mieux ; mais ne me flattez point, car cela tue quand la vérité ne suit point la parole. Ne faites point d'effort pour me consoler de vos lettres ; je n'en veux point recevoir qu'après les Rois. Je sais la peine qu'on a d'écrire au retour d'une grande maladie ; ne vous efforcez point. Ma chère Soeur de la N. le pourra faire pour me dire ce que vous voudrez. Donnez-vous du repos et vous' réjouissez en Notre Seigneur. Je vous écrirai plus amplement quand vous serez mieux. Cependant il faut vous fortifier, car la nécessité veut que je vous voie pour des affaires que je ne peux écrire. Nous prendrons nos mesures s'il plaît à Dieu nous faire vivre et qu'il nous donne la paix comme on l'espère. Voilà trop vous importuner dans l'état où vous êtes.

Adieu, ma plus que très chère Mère. Mille et mille fois, je loue Dieu de VQUS redonner un peu de vie. Mais souvenez-vous qu'elle n'est point à vous et qu'il ne la faut plus prodigaliser par les excès de peine et de fatigue que vous avez soufferts. Notre bonne Mère [Bernardine de la Conception Gromaire] est si ravie de votre mieux qu'elle m'a dit qu'elle voulait vous écrire, nonobstant qu'elle soit très mal. On tâchera de la porter .à l'église le jour de Noël pour entendre la sainte messe et y communier, Adieu mille fois, je ne puis finir.

no 2193 N267

(1) Anne Gaspar Levasseur, Soeur Marie Anne de la Nativité, professe du 25 février 1686, est la seule religieuse de ce monastère dont le nom semble répondre à l'abréviation du manuscrit.

(2) Antienne de l'office de saint Martin. Sulpice Sévère, Epist. III, oc! Bassulata sacrum suant. P.L. XX, 182 B.

352 CATHERINE DE BAR

A UNE RELIGIEUSE DU MONASTÈRE DE RAMBERVILLERS

à Paris, ce 2 avril 1691

Loué soit le Très Saint Sacrement de !

reçu votre lettre, ma très chère fille, en date du 22 du mois de

mars. Je conçois votre peine et combien vous souffrez dans cette disposition. Je puis vous assurer que j'aurais un sincère désir de vous y soulager si j'en puis trouver l'occasion. Je crois que la divine Providence m'en fera naître une qui sera facile avant qu'il soit peu de temps. Je vous prie de votre part la présenter à Notre Seigneur afin, que si c'est sa gloire, il la fasse réussir. Cependant, très chère fille, ne perdez point la grâce du sacrifice dans votre âme ; faites triompher Notre Seigneur Jésus Christ en vous ; votre fidélité le couronnera et vous remplira de bénédictions. C'est dans les peines que la vertu triomphe ; la souffrance fait les saints, quand une âme ne succombe pas à la tentation.

Je ne doute pas que la sacrée Mère de Dieu ne vous secourre de sa protection et vous soutienne de ses grâces ; tâchez de l'envisager toujours en la personne de vos Supérieures et, lorsque la peine vous surmonte, prosternez-vous aux pieds de la très Sainte Vierge dans votre intérieur ou devant son image et lui dites de tout votre coeur le verset « Monstra te esse Matrem », qui est le 4e verset de l'hymne «Ave Maris Stella ». Vous en recevrez un grand secours par des forces qu'elle vous obtiendra pour porter saintement votre croix et pour en faire un saint usage. Croyez, chère fille, que la croix se trouve partout ; il est impossible de s'en dispenser, et comme elle aide à notre sanctification, de quelque côté que vous vous puissiez retirer vous la trouverez. Mais pour en bien user, il faut tâcher d'apprivoiser notre esprit à la souffrance, ne voir les créatures qu'en Dieu et n'en user qu'en son esprit. Je le prie qu'il soit votre force, votre soutien et votre consolation et qu'il me fasse la grâce de vous rendre service ; ce sera de tout mon coeur, très chère fille. Ne m'oubliez point en vos saintes prières et me croyez toute à vous en Jésus et sa très sainte Mère.

no 824 LETTRES INÉDITES 353

Mercredy 21 octobre 1693

a". 'ai un sensible déplaisir, ma Révérende et plus chère Mère, de vous

avoir embarrassée de la grande fille d'Anet, qui vous est si incommode en toute sa manière. Je sais que c'est une grande charge dans l'état où vous êtes ; j'en ai une douleur sensible et je vous en fais milles excuses. J'espère que Notre Seigneur me fera la grâce d'y satisfaire et de vous l'ôter bientôt. Je vous assure que j'en ai de l'impatience ; je ne perds pas un moment de temps pour trouver son argent : si l'on me tenait parole je l'aurais cette semaine et vous en délivrerais.

Je ne sais si vous savez que la Mère de la Conception [de Lescale] (1) est élue Prieure à Rambervillers ; l'on me prie de la faire partir incessamment ; elle vous ira voir. Il n'y a guère d'apparence qu'elle puisse partir avant la fête de Tous les Saints. Je voudrais bien trouver quelque personne dans le coche pour l'accompagner, car il coûterait beaucoup de lui donner une personne pour la conduire et revenir : je vous prie, ma très chère Mère, de vous en faire informer.

Nous avons toujours nos chères Mères d'Anet (2), que je ne puis renvoyer si Notre Seigneur ne nous en donne les moyens. Si je suivais mon sentiment, je crois que j'abandonnerais tout, la Providence ne nous fournissant rien pour soutenir cette maison. Ma grande peine est de détruire un autel où le Seigneur a été immolé tous les jours depuis plus de cinquante ans. Je vous prie, très chère Mère, de le présenter à Notre Seigneur, pour le soutenir ou l'anéantir : nous ne voulons que ce qu'il lui plaira.

J'aurais mille choses à vous dire, mais j'ai de la peine à conduire ma plume. Je suis quelquefois bien misérable, à ne pouvoir presque parler ni écrire, mais je suis très contente de tout ce qu'il plaira à notre divin Maître ; priez-le, très chère, qu'il me tienne toujours sous ses pieds adorables, ne me laissant pas la liberté de contrarier ses ordres, soit de temps ou d'éternité.

Madame la Duchesse (3) est fort touchée de ce que Monsieur le Duc

(1) Marguerite de Lescale. D'après les signatures de quelques contrats, elle semble avoir été sous-prieure et prieure a diverses reprises. (Archives des Vosges, H XXXIX - no 38).

.(2) Les religieuses bénédictines dites du Saint-Esprit, établies au bourg d'Anet, avaient demandé l'aide de Mère Mectilde pour relever leur maison réduite à une extrême pauvreté. L'évêque de Chartres s'étant opposé à ce projet, les religieuses s'installèrent à Dreux où après des difficultés sans nombre, elles parvinrent à acheter une maison en 1695. La première Exposition du Saint-Sacrement eut lieu le 23 février 16%, mais les lettres patentes ne furent obtenues qu'après la mort de Mère Mectilde en 1701. Ce sont des religieuses du monastère de Rouen qui aidèrent au relèvement et à la conduite de cette maison.

(3) La duchesse d'Aiguillon (1( 6 - 1704), fille de François II de Vignerod marquis de Pontcourlay, et de Marie de Guémadeuc était la dernière de cinq enfants. Elle faisait de grandes charités au monastère de la rue Cassette. Bon .cwur. mais fantasque, elle était tantôt dame pensionnaire au monastère, tantôt novice, sans parvenir à s'engager dans la vie religieuse. Son acte de vêture du 23 décembre 1690 stipule qu'elle est reçue, mais «avec la condition expresse que ma dite Dame Duchesse a faite en présence de la Cté avant que de procéder à la balotte de la réception au St habit de religion et d'estre admise dans cette maison, scavoir qu'elles ne la recevront solennellement avec les cérémonies ordinaires qu'après avoir abandonné son duché et ses autres biens entre les mains d'une ou de deux personnes

354 CA'1111,RINI, DE BAR I 1 IIRIS INÉDITES 355

son frère ne lui a pas donné ses chères filles : elles sont fort jolies ; je crois qu'il vous en pourra bien demeurer quelques-unes. Je prie Notre Seigneur vous bénir et vous donner toutes sortes de grâces et de bénédictions. Hélas ! que j'aurais de joie qu'il vous mît à votre aise (4) ! Je le désire plus que pour moi-même. Je suis en lui toute à vous.

Pour

la Révérende Mère

La très Révérende Mère prieure

des Rses du St Sacrement, rue

Neuve St Louis au Marais

no 843 Pl no 67 à Paris

authorisées du Roy pour en avoir la régie et faire payer les créanciers de ma dite Dame Duchesse qui promet ne pas s'engager par les voeux de la Profession que lorsque toutes ses dettes seraient payées ou ses affaires en état de ne point inquiéter son repos et celuy de la communauté...

signature : M. Mad. Therese de Vignerod. D. d'Aiguillon

S.M. du St St Prieure

Sr Anne du St St Sous P. »

(A.N.L. 763 no 26)

Son frère avait hérité des titres et armes du cardihal de Richelieu.

(4) Les dernières années de Mère Mectilde seront une lutte constante contre une pauvreté qui con. fine à la misère et tout spécialement pour le monastère de la rue Saint-Louis qu'elle appelait son « petit Bethléem ». Les lettres autographes à la mère Prieure, mère Saint François de Paule Charbonnier le montrent abondamment.

A LA RÉVÉRENDE MÈRE PRIEURE DE TOUL

7 juin 1694

01 on Dieu, ma très chère Mère (I), que cette personne dont vous me parlez est heureuse, si elle le savait. Elle croit que l'on ne l'aime point. Hélas ! qù'est-ce que l'estime et l'amitié des créatures ? Croyez-moi, ma très chère, j'ai goûté de l'une et de l'autre et, à présent que je suis par une permission divine tombée dans un abîme d'abjection, je vous jure que je ne changerais pas mon état présent contre toutes les fortunes de la vie. Encore une fois, hélas ! qu'est-ce que l'estime et l'amour des créatures ? Rien qu'amertume et affliction d'esprit. J'ai plus de consolation intérieure dans une heure dans l'abîme de mon humiliation que je n'ai jamais eu de joie de l'estime et de l'amitié des créatures. Je suis restée dans la charge avec douleur, sans quasi y rien fai-

(1) Mère Gertrude de l'Assomption (Noire», vêture à Rambervillers le 1â-VIII-1660, avait été élue prieure en présence de Monseigneur Henry de Thyard de Bissy„ assisté du Sieur Nicolas Menget, chanoine de la cathédrale de Toul, et du R.P. Dom Charles George, prieur de Saint Epvre. (Livre des élections priorales du monastère de Toul).

re. Je vous le dis en confiance, et de ma part très contente et satisfaite. J'ai' fait ce que j'ai pu pour obliger la Communauté de faire une élection de Prieure. Elle ne le veut pas, à moins que je souffre qu'on m'élise ; c'est ce que je ne veux pas et qui fait aujourd'hui nos différends. Jugez, très chère Mère, si je pourrais me, résoudre d'accepter une élection à l'âge de quatre-vingts ans cela ne se peut. Je sors d'une grande maladie où l'on tient que c'est un grand miracle de n'y être pas demeurée. Ce sont les voeux et les prières qui m'ont tirée de là. Je ne sais pourquoi Notre Seigneur me renvoie. Tâchez, ma chère Mère, de consoler de votre mieux cette personne, sans toutefois vous inquiéter de sa peine : elle passera. Faites prier Notre Seigneur pour elle et pour moi, qui suis de coeur en Jésus et sa très sainte Mère toute à vous.

no 2199 N261

A LA RÉVÉRENDE MÈRE [ANNE DE SAINTE MADELEINE)

. PRIEURE DÉPOSÉE DE TOUL

7 juin 1694

je suis bien mortifiée, ma Révérende et plus chère Mère, d'avoir

différé si longtemps à vous témoigner ma reconnaissance pour toutes vos saintes prières et votre bon coeur pour moi. Je vous conjure d'être toujours ma bonne et très chère Mère. Je n'ai plus que vous en ce monde. Conservez-vous pour ma consolation. Je crois que vous êtes bien consolée d'avoir fait faire vos élections. Je sollicite ici pour cela, mais je n'ai point avancé par quelques raisons que l'on a dans la Communauté que l'on n'ose pas vous dire. Pour moi, je m'en suis retirée et déclaré que je renonçais à tout ce que l'on pourrait faire à mon sujet. Jugez, très chère Mère, si je serais assez misérable de souffrir à l'âge de quatre-vingts ans que l'on me remît dans cette terrible charge. La Providence m'en a sortie, quoique l'on m'ait commandé d'en faire les fonctions, mais au reste j'y ai renoncé par écrit bien signé. Je vous congratule d'être dans le repos. Je vous assure, très chère Mère, que je me désire auprès de vous. Si j'avais vidé mes affaires temporelles, je me retirerais, étant bien aise de mourir en repos, mais je suis encore bien tracassée. Je fais mon possible que vous touchiez quelque chose cette année, mais l'on ne fait pas ce que l'on veut. Il faut être toujours crucifiée ; Dieu le veut de la sorte. Il y faut prendre plaisir. Je me réjouis de ce qu'étant bien âgée, je ne serai pas encore longtemps sur la terre. 0 très chère Mère, quelle joie de retourner à Dieu comme à notre divin centre ! Donnez-moi toujours vos saintes prières pour obtenir miséricorde et la grâce d'une bonne mort. Je gémis devant Dieu incessam-

356 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 357

ment pour cela ; aidez-moi de vos saintes prières et de celles de vos chères Filles. Je suis toute à vous, ma très chère Mère, je dis : plus que très chère Mère, comme à la seule que Notre Seigneur m'a laissée. Je le prie de vous conserver. Faites-moi donner de vos nouvelles pour ma consolation. C'est votre très fidèle et obéissante servante en Jésus et sa très sainte Mère.

no 1455 N26I

A UNE SUPÉRIEURE DÉPOSÉE

12 juillet 1694

ur votre chère lettre du 3e juillet, ma très chère Mère, qui m'apprend

votre déposition de Prieure, j'en suis d'autant plus touchée que vous êtes contente de n'être plus dans cet emploi. Je dois croire que Notre Seigneur a exaucé vos prières en me mortifiant, car je désirais beaucoup que vous eussiez fait encore un trienne pour achever ensemble les affaires. 11 faut bénir le Seigneur qui en a disposé d'une autre sorte. Je suis cependant bien aise que vous goûtiez un peu de repos dans votre chère maison, en soulageant la chère nouvelle Prieure qui a besoin de votre consolation. Je crois qu'elle ne manquera pas de croix en bien des manières. Je la compatis, mais il faut l'encourager à souffrir : c'est le chemin du Ciel.

11 ne faut pas nous flatter : nous ne vivrons pas sans croix ; toutes nos maisons en sont bien partagées. Celle de Châtillon vient d'être grêlée et par conséquent ruinée absolument. C'est Dieu qui fait de semblables coups pour exercer la patience et augmenter nos fidélités par de nouveaux sacrifices. Tout est en souffrance. Nous y sommes extraordinairement céans. La misère est universelle, mais elle nous presse de bien près ici. Vous seriez bien étonnée si vous saviez à quel point Notre Seigneur nous réduit. L'on pourrait dire que ce serait l'extrême, mais il faut espérer que l'adorable Providence y mettra sa sainte main. Priez Dieu pour nous et gardez le secret jusqu'à ce 'que l'on voie s'il plaira à Notre Seigneur de nous secourir. Je vous conjure de faire quelques prières pour nous, sans dire à quel point est notre croix. Je suis néanmoins dans l'espérance que Dieu ne nous abandonnera point absolument et qu'après nous avoir humiliées il lui plaira de jeter les verges dans le feu. Recourez à la très sainte et sacrée Mère de Dieu et au grand saint Joseph et à notre glorieux Père saint Benoît. Je veux espérer que vos saintes prières nous attireront quelque bénédiction.

Vous avez laissé des filles à Nancy fort affligées, mais il faut qu'elles tâchent de se consoler. Le mal est sans remède. J'ai écrit à cette nouvelle Prieure. Elle est bien à plaindre, car elle est toute neuve et sans expérience. Je l'exhorte fort d'avoir recours à la sacrée Mère de Dieu. Mandez m'en des nouvelles quand vous en recevrez. Je plains bien celles qui ont goûté la douceur de votre conduite. La pauvre soeur Mectilde de la Conception aura bien à sacrifier. Il faut qu'elle tâche d'être fidèle Je vous suis sensiblement obligée à son sujet et pour beaucoup d'autres, votre bon coeur m'ayant toujours épargnée.

Je n'oublierai jamais vos bontés. Continuez-les moi, très chère Mère ; Notre Seigneur vous bénira en récompense et sa très sainte Mère vous en saura gré, vous le connaîtrez quelque jour. Je voudrais bien vider d'affaires cette année, ne sachant si je pourrai voir la suivante. Nous y ferons de notre mieux. Gardez encore les papiers que vous avez jusqu'à ce que nous ayons pris quelque mesure par quelque secours de la divine Providence. J'en attends des nouvelles et de vous témoigner ma reconnaissance ; j'en désire les occasions et de vous persuader que je suis, en Jésus et sa très sainte Mère, toujours toute à vous et votre obligée servante.

no2797 N261

A LA MÈRE PRIEURE [DE RAMBERVILLERSI

Ce 12 juillet 1694

omme c'est à l'ordinaire la conduite de la divine Providence de

me tenir sur la croix, que je veux de tout mon coeur toujours adorer et embrasser, à peine suis-je sortie de ma maladie, qui m'a duré près de six mois que je m'en trouve environnée d'un grand nombre qui renouvellent quasi à toute heure mes sacrifices. Ce m'en est une bien grande, ma Révérende et très chère Mère, de ne pouvoir soulager vos besoins. Les nôtres sont à un point que vous auriez bien de la peine à vous le persuader. Il plaît à Notre Seigneur nous affliger de bien des sortes ; son très saint Nom soit béni ! Comme je suis dans mes derniers temps, il est juste que je souffre. Mais, mon Dieu, ce n'est pas comme je le mérite. Toute la terre devrait s'élever contre moi pour châtier-mes ingratitudes vers la bonté de Notre Seigneur qui m'a toujours environnée de ses grandes miséricordes. Réparez pour moi, ma très chère Mère, et ne croyez pas que je vous oublie.

J'espérais vous donner une petite consolation, mais Notre Seigneur l'a remise à un autre temps. J'aurais eu une sensible joie de vous envoyer un petit secours. Priez Notre Seigneur qu'il ne soit pas perdu. On me flatte que l'affaire se remettra et que j'aurai cette petite consolation de vous donner une petite marque de la tendresse de mon coeur pour votre chère personne et pour toute la maison que j'aime toujours, et dans laquelle je voudrais pouvoir consommer mon sacrifice. J'ai assez de

358 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 359

forcé et de courage pour en faire le voyage, si l'on voulait m'y laisser aller. Je n'en suis pas digne : j'aurais trop de consolation d'être dans votre petit désert, hors de mes tracas qui sont toujours crucifiants. Je voudrais vous pouvoir écrire bien des choses ei vous étonneraient : il n'appartient qu'à Dieu de savoir bien crucifier.

Notre bonne duchesse est présentement à Malnoue (1) qui est en grande fâcherie contre nous, mais je ne puis vous en faire l'histoire. Je ne peux plus guère écrire ; ma main, depuis ma maladie, est plus pesante et ne veut plus faire marcher ma plume. Cependant, il faut vous dire deux mots sur Mr votre nouveau Supérieur qui fait bien le maître. Il est bien en crédit auprès du Seigneur prélat [Mgr de Thyard de Bissy], puisqu'il lui donne tout son pouvoir. Je vous conseille, très chère Mère, de ne vous point faire d'affaire avec lui. Ménagez-le le plus honnêtement que vous pourrez, et n'en espérez guère de secours. Ne vous attendez qu'à Dieu seul, qui est l'unique, fidèle et parfait ami ; ayez-y un entier recours. Prenez donc vos mesures pour ne point choquer le personnage, de crainte que vous n'en ayez du déplaisir. Il pourrait bien vous causer des croix. Croyez-moi, ne vous en faites pas, car elles viennent en dormant et au moment que l'on ne les attend pas. Priez Notre Seigneur qu'il se glorifie de tout ce qu'il lui plait nous envoyer, et à toutes les maisons de l'Institut qui sont dans la souffrance par les misères du temps qui sont universelles (2) et les grêles qui ont ravagé Châtillon (3). Les grêlons étaient d'une grosseur extraordinaire, et plusieurs étaient longs comme le bras. Ce sont les fléaux de la justice de Dieu qu'il faut souffrir. Ce sont mes péchés qui les ont attirés, il est bien juste que je les porte ; mais ma douleur c'est que les autres en souffrent, et je voudrais les avoir tous pour moi, qui les ai mérités. Je tâcherai de vous écrire plus souvent si je ne retom-

(1) Abbaye Notre-Dame et Saint-Erasme, commune d'Emerainville, canton de Lagny, arrondissement de Meaux (Seine-et-Marne), fondée au XI le siècle. Une partie des- moniales d'Argenteuil s'y réfugia en 1129. Bénédictines jusqu'en 1772, elles s'unirent alors aux Ursulines de Versailles (Dom Martène. op. cit., Ligugé. 1931, vol. XXXI 1 I , t. I 11. p. 229).

(2) Déjà, en 1680, Vauban écrivait : «Le commun du peuple ne mange pas de viande trois fois l'an,. les trois quarts ne sont vêtus, hiver et été, que de toile à demi-pourrie». (Daniel-Rops, L'Eglise des temps classicpres, Fayard. 1958, p. 265). Les guerres de la fin du XV 1 le siècle rendront la misère encore plus profonde et plus générale.

(3) Au mois d'août 1676, Louis XIV signait les lettres patentes autorisant la princesse de Mekelbourg (veuve en premières noces de Monsieur de Coligny) à fonder un monastère de notre Institut sur ses terres de Châtillon, au diocèse de Sens. Monseigneur Jean de Montpezat de Carbon, «archevesque de Sens, Primat des Gaules et de Germanie», autorisa cette fondation le 5 juin 1676. Des difficultés sans nombre s'ét .nt élevées, ce n'est qu'en octobre 1688 que les religieuses purent s'installer dans le nouveau monastère. La cérémonie de la première Exposition du Saint-Sacrement eut lieu le 21 octobre en présence d'une foule considérable. Le procès-verbal de cette prise de possession est signé de «La princesse de Mekelbourg, Mère Mectilde, Sr M. Hostie du St Sacrement (Hardy, professe de la rue Cassette. le 2 avril 1660) ; Sr M. Marguerite de Sainte Madeleine (Soreau, professe de la rue Cassette, le 4 novembre 1662) : Sr M. de Saint Jean l'Evangéliste (converse, professe en 1683) ; Sr M. Madeleine de Jésus : Sr M. Madeleine de Saint Benoit ; Sr M. Marthe de Jésus (Du Chemin) ; Sr M. Madeleine de Saint-Joseph (converse). Ce monastère a été détruit en 1792. (Bibli. mun. d'Orléans, ms 1343. Cf. Priez sans cesse , Desclée de Brouver, 1953, p. 71 et suiv.).

be pas. Je ne me tiens pas fort assurée ; je crains l'automne où je ne manque guère d'être mal. De plus, l'âge est si avancé qu'il n'y a pas lieu de croire que je pourrai aller encore bien loin. Demandez pour moi, très chère Mère, la grâce d'une bonne mort, et croyez-moi toute à vous.

Je dois vous faire mille humbles remerciements des bonnes choses que vous m'avez envoyées, surtout de l'orge qui me nourrit et dont je mange souvent , elle est admirable, et de tout le reste. Si nous n'étions si éloignées, nous nous aiderions les unes les autres. Il faut avoir patience ; les petites douceurs nous seraient fort agréables, mais Notre Seigneur veut que l'on souffre et que les prières doivent suffire pour tout. Je vous prie, très chère Mère, de marquer à la chère Mère Jeanne de la Croix [Parmontel] la part que je prends à sa douleur de la perte qu'elle a faite de Madame sa bonne Mère. C'est un grand sacrifice que Notre Seigneur a exigé de sa fidélité. Je le prie d'être sa force et sa consolation. Je me recommande à ses saintes prières et de toutes celles de la Communauté. Je les embrasse toutes en esprit, surtout la chère Mère Sous-Prieure [Mère Anne de Saint Paul Pierre]. C'est votre fidèle servante en Notre Seigneur et sa très sainte Mère.

n.249 N26I

A UNE SUPÉRIEURE NOUVELLEMENT ÉLUE [Nancy probablement'

26 juillet 1694

l est juste, ma Révérende et très chère Mère, que je vous marque

combien je vous suis obligée de toutes les bontés que vous me témoignez et aussi toute la chère communauté. Je la salue et la remercie de tout mon coeur et vous, ma très chère Mère, plus en particulier. Je voudrais bien vous pouvoir donner des effets aussi bien que des paroles de ma sincère reconnaissance. Je ne perds pas encore l'espérance de vous en donner quelques petites preuves ; je le désire beaucoup avant que de mourir. Je suis très consolée d'apprendre la joie et consolation de toute la Communauté sur votre élection. Je prie Notre Seigneur qu'il les conserve dans cette disposition : ce sera une marque de leur fidélité et des devoirs de leur obligation, car, quand l'on aime bien, une supérieure, l'on fait volontiers ce qu'elle dit et l'on conserve un esprit de soumission en toutes ses ordonnances. Si cette disposition se conserve dans la Communauté, avec l'entière union des coeurs, elle sera parfaite ; il ne faut pas douter qu'elle ne soit remplie des dons du Saint Esprit. Je vous souhaite toutes les grâces que vous avez besoin pour conduire saintement le troupeau du Seigneur. Ce sont toutes des victimes choisies. Je veux espérer qu'elles correspondront à la grâce qui les a appelées

360 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 361

à un état si saint. Quand vous croirez, très chère Mère, que je vous suis utile en quelque chose, vous n'avez qu'à me faire savoir en quoi je pourrais vous servir ; ce sera toujours du plus tendre de mon coeur, je vous prie d'en être bien persuadée.

Il y avait longtemps que je désirais que vous vous puissiez passer d'autres religieuses que des vôtres. Vous devez avoir une plus étroite liaison. 11 y a moyen de vous tenir dans une parfaite union. Pour y bien réussir, c'est de défendre à vos filles de ne point communiquer les unes les autres leurs sentiments, qui font souvent de très mauvais effets qui détruisent la charité, sous prétexte de décharger un peu le coeur de celle qui a quelquefois sujet de mécontentement. Il faut sacrifier ces petites peines, se souvenant qu'une victime doit sacrifier à tous moments pour bien remplir sa qualité de victime. Tendez toutes à retrancher les vues humaines, les respects humains et les intérêts de votre amour propre. Et Notre Seigneur règnera dans vos intérieurs en grande bénédiction.

Je suis en son amour au général, et toute à chacune en particulier, votre... et en la terre. Comme Mère de Dieu, son crédit est au-delà de nos pensées. Nous avons besoin de son secours, étant, au moment que je vous écris, dans une très grande angoisse. Gardez-moi le secret, excepté à la chère Mère Prieure, que je chéris et aime tendrement ; vous lui direz afin qu'elle prie Notre Seigneur et sa très sainte Mère pour moi et pour cette maison affligée.

A Dieu ! J'embrasse la chère Mère Prieure et la chère Mère Sous-Prieure. Je n'ai pu achever cette lettre ; nous nous sommes assemblées plusieurs fois, mais, mon Dieu, bien inutilement ; il faut un secours d'en haut ; le nom du Seigneur soit béni ! Voilà, ma chère Mère, ce que je vous puis dire en attendant un peu plus de loisir. Je suis en Jésus toute à vous.

nn 904 N261

no 479 N261 A LA RÉVÉRENDE MÈRE PRIEURE DENANCY

SUR LA MORT DE LA RÉVÉRENDE MÈRE DE LA CROIX

A UNE RELIGIEUSE QUI AVAIT ÉTÉ SUPÉRIEURE CI- DEVANT PRIEURE DE CETTE MAISON

30 août 1694 Paris, ce 4 août 1696

e bénis Dieu, ma très chère Mère, qui vous fait aimer les conduites

de l'adorable Providence. Elles sont toujours avantageuses quand l'on n'y mêle rien d'humain. Je crois bien que les personnes que vous savez vous ont trompée. Mais regardons de plus haut ce qui nous arrive, afin que tout soit profitable à l'âme qui ne veut que Dieu. Je sais que vous ne voulez que cela. Le reste passe et nous passons aussi, très chère Mère ; prenez courage et me donnez toujours vos saintes prières. Je suis ravie de votre maison et de tout ce que vous m'en dites. Je prie Notre Seigneur qu'il augmente ses bénédictions.

Celle dont vous me parlez est bien malade, mais, très chère Mère, ayez recours à la très sainte Mère de Dieu. Nous faisons une dévotion en l'honneur de son Immaculée Conception qui fait de bons effets : c'est de communier neuf samedis de suite et, chaque samedi, l'on fait quelques dévotions en l'honneur de l'Immaculée Conception, soit prières ou autres pratiques de piété. L'on dit que la sacrée Mère de Dieu accorde par ce moyen ce que l'on lui demande. Je vous prie faire cette dévotion pour cette bonne fille qui me paraît si faible et si pâle.

Je vous avoue que mon recours est à la prière avant toutes choses. Ayez-y aussi, très chère Mère, votre confiance et priez la sacrée Mère de Dieu qu'elle nous assiste par son divin pouvoir, qui est grand au ciel \T ous serez surprise, ma Révérende et plus chère Mère, de voir une lettre de ma main, sans attendre la réponse de celle que votre bonté me fait espérer. Hélas ! c'est pour vous donner une nouvelle qui ne vous sera pas moins sensible qu'à nous : c'est la perte que nous venons de faire de notre très digne et très chère Mère de la Croix, que vous honoriez et qui vous aimait bien tendrement. Nous sortons de son enterrement. Jeudi au soir, étant au réfectoire, elle tomba dans une apoplexie et, sans nous donner aucun signe, elle prit son vol vers le ciel. Tout ce que l'on pu faire fut de lui donner l'extrême-onction et, à la dernière, elle rendit l'esprit, sans parole fort doucement. L'on dit que son apoplexie a été une apoplexie de sang, de sorte que nous n'avons pu la tirer. Notre Seigneur a voulu lui donner la récompense de sa sainte vie.

Je ne puis vous exprimer à quel point je ressens cette mort et combien elle me touche : c'est une perte pour notre Institut. C'était une des plus grandes religieuses de l'Ordre et un admirable pilier d'observance. Je perds mille fois plus que je ne puis dire et je la regrette de tout mon coeur, sans vouloir être contraire aux conduites de Dieu qui l'a voulu tirer des souffrances de cette vie. Comme vous la connaissiez, je ne dois point vous expliquer ses mérites : vous pourriez bien mieux les exprimer que moi. Je crois que votre bon coeur et votre sainte Communauté seront sensibles à notre douleur, et que vous emploirez vos saintes prières

362 CATHERINE DE BAR' LETTRES INÉDITES 363

pour avancer son bonheur, si déjà elle n'en est jouissante. En vérité, c'était une digne religieuse, d'un rare exemple, infatigable aux observances, souffrant continuellement sans vouloir prendre un peu de relâche. A mon sens, elle était un peu trop sévère sur elle-même ; c'est le seul point qui me peinait en elle. Car, si je parle selon mon sentiment, elle a avancé sa mort, étant trop excessive pour l'austérité de vie. Mais je crois qu'elle était dans la sincérité de coeur, croyant que Notre Seigneur voulait cela d'elle . Cependant l'obéissance est plus agréable à Dieu que le sacrifice. J'espère en vos saintes prières pour elle, et je les demande pour obtenir une bonne mort : c'est là notre plus grande affaire ; l'éternité est plus considérable que le temps.

J'attends de vos chères nouvelles quand vous le jugerez à propos. Croyez seulement que je suis toute à vous du même coeur que vous le pouvez désirer, parce que c'est en toute sincérité que je vous parle. Je vous conjure d'en être persuadée, et que je voudrais vous en donner des marques au prix de ma propre vie. Je prie la très auguste Mère de Dieu de vous combler de toutes les bénédictions que je vous souhaite, comme étant votre très humble, très obéissante et fidèle servante en Jésus et sa très Sainte Mère.

n " 3147 N 267

A MADEMOISELLE LA SOEUR

[de la Mère de la Croix, ci-devant Prieure de Nancy

mardi 7 août 1696

J'ai une peine extrême, ma très chère Demoiselle, de renouveler votre douleur en vous envoyant cette croix, que défunte votre chère soeur, notre très honorée et très chère Mère de la Croix, a chérie toute sa vie. L'on peut dire qu'elle remplissait parfaitement son nom, puisqu'elle a toujours embrassé et porté la croix avec tant d'amour pour Dieu et d'édification pour tout notre Institut.

Sa mémoire nous sera éternellement précieuse, n'étant pas possible d'oublier tant de vertus et de saintes pratiques dont toute sa vie a été remplie, ne s'étant jamais relâchée de sa première ferveur. Elle a vécu en parfaite religieuse et comme une véritable adoratrice et victime .de Notre Seigneur Jésus Christ au Très Saint Sacrement, accomplissant exactement tous ses devoirs avec une fidélité admirable ; toujours la première dans toutes les observances ; une ponctualité merveilleuse pour toutes les pratiques de notre saint Institut ; employant . la plus forte partie de sa vie en adoration, réparation et en pénitence pour les pécheurs, pour le salut desquels elle sacrifiait les moments de sa vie en souffrance continuelle, par amour et par rapport à Jésus Christ Notre Seigneur.

Cette chère Mère semblait ne respirer que dans la souffrance. Le zèle qu'elle avait pour le Très Saint Sacrement était toujours ardent et la tenait en état d'immoler sa vie à toute heure pour la gloire de cet auguste Mystère, et prête d'aller au-delà des mers, si la volonté de Dieu l'y appelait. Mais comme elle nous était très chère, nous la conservions pour cette maison, sa présence et son exemple y faisant de grands effets. Toute la Communauté la regrette avec sujet ; et moi, je puis vous dire, ma très chère Demoiselle, que je suis la plus sensible à cette perte et que j'en suis pénétrée de douleur, sans vouloir être contraire aux conduites de Dieu, auxquelles nous devons être parfaitement soumises. Ce qui me console, c'est que j'espère n'être pas longtemps sans la revoir, puisque selon l'humain je la dois bientôt suivre.

Je ne laisse pas, ma très chère Demoiselle de ressentir très vivement votre douleur. Vous aviez une soeur bien sainte pendant qu'elle vivait sur la terre, mais consolez-vous dans la pensée que vous aurez désormais une avocate auprès de Dieu dans le ciel, qui intercédera pour vous et vous obtiendra bien des grâces par ses prières. J'espère qu'en sa considération vous continuerez vos bontés pour cette maison. C'est la grâce que je vous demande humblement et à Monsieur de La Mare, que j'honore singulièrement, auquel je serai toute ma vie, et à vous, ma très chère Demoiselle, d'une affection très sincère et avec respect en Notre Seigneur Jésus Christ. Votre très humble et très obéissante et plus fidèle servante.

no 839 N 257

[A LA RÉVÉRENDE MÈRE MARIE

DE SAINT FRANCOIS DE PAULE CHARBONNIER'

Vendredy ler juin 1696

e loue Dieu, ma très Révérende et plus chère Mère, [du départi

de votre fugitive. Je prie Notre Seigneur la conduire si loin que vous ne la revoyiez jamais : c'est un grand secours pour vous et rapproche (sic) de Madame de B. Dieu vous la veuille redonner meilleure que jamais et vous ramener votre tortillon, que Notre Seigneur veuille bien convertir et ramener dans votre sainte maison ! C'est une pauvre fille. Croit-elle qu'elle en sera quitte devant Dieu ? Non, assurément, car Notre Seigneur n'a conservé ses biens et sa chère personne que pour les sacrifier à Dieu dans votre maison, pour la gloire du Très Saint Sacrement. Je suis certaine qu'il lui en demandera compte, car c'est

364 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 365

à lui qu'ils appartiennent, et la chère demoiselle aussi. Elle verra dans la suite des temps ce que Notre Seigneur fera. Ayons patience et vi-

vons toujours dans le saint abandon à son adorable Providence : il veut cela de nous, comme des victimes qui ne vivent et ne meurent que pour son divin plaisir. Courage ! le temps approche ; il ne faut pas manquer à la fin : la couronne est trop précieuse...

Je compatis à la bonne Mère de Saint Augustin (1). Si elle peut avoir permission de Monseigneur, elle peut aller voir ce médecin ; la Mère de l'Echelle y a été, mais elle ne l'a pas vu. Il est réfugié dans un château

bien gardé par le seigneur, qui en a soin. On menace de le tuer, c'est pourquoi il ne paraît plus. L'on dit des merveilles de sa science ; je vou-

drais y pouvoir faire aller notre bonne Mère Sous-Prieure, qui devient aveugle ; mais je ne sais comment. Elle est actuellement malade de fâcheuses coliques ; depuis plusieurs jours elle vomit toujours. Il y a de la néphrétique qui est un grand mal, mais il faut tout souffrir quand il plaît au Seigneur.

Je vous conseille de vous faire payer par votre dame anglaise par avance, si elle demeure chez vous , car les pensions seraient un point casuel.

L'on a bien de la peine de trouver de l'argent ; il faut espérer que Notre

Seigneur nous en donnera quelque jour pour soutenir son oeuvre. Je vous supplie, très chère Mère, si la Mère Saint Augustin vient à mourir, je serais bien aise que l'on ouvrît son corps, à cause de son

squirre (2). Je crois bien qu'elle souffre beaucoup : Dieu lui fasse la grâce d'en user saintement.

Nous avons la petite Mère de la Conception (3) qui est malade. La moitié de son corps n'est quasi qu'une plaie ; c'est à ce que l'on dit

un cancer de pourriture. Elle sent si mauvais que l'on a bien de la peine à en sentir l'odeur ; je la recommande à vos saintes prières ; et moi, qui en ai plus besoin que toutes parce que mes plaies sont internes ; priez l'auguste Mère de Dieu de les vouloir guérir.

J'attendais une permission d'aller chez vous, mais elle ne vient pas; je n'en sais pas la cause.• Je la voudrais parce que je ne suis pas si mal à présent : il faut l'attendre quand il plaira au Seigneur. Je suis en lui toute à vous, très chère Mère, que j'aime et honore tendrement.'

nu 986 P 1 no 96

( I) Marie Guérin. Elle venait du monastère Notre-Dame-de-Liesse, à Paris. Après l'échec de l'union de ce monastère à notre Institut. elle entra à Saint-Louis au Marais. où elle fit profession le 26 juillet 1689.

(2) Sorte de tumeur cancéreuse dure et ferme. Cette appellation n'est plus usitée.

(3) Marguerite Landon prit l'habit rue Cassette le 14 août 1668, et fit profession le 5 novembre 1670. A UNE DE SES PETITES NIÈCES. LA VEILLE DE SA PROFESSION [à l'abbaye de Malnoue

21 juillet 1696

i le ciel a de la joie de votre immolation, ma très chère nièce (1),

je puis me joindre à la joie du paradis de vous voir entrer dans le sacrifice de tout le créé et singulièrement de tout vous-même, en quoi consiste le parfait sacrifice ; car de sacrifier tout le monde et ne vous pas sacrifier vous-même, ce ne serait qu'une apparence et non l'effet que la grâce prétend de vous. Allez, allez, très chère enfant, allez tout sacrifier, allez tout jeter dans le sacré brasier du pur amour, sans rien résérver. C'est ce que Notre Seigneur demande de vous et que la très Immaculée Mère de Dieu vous donnera la force de faire dans la perfection que la grâce demande de vous. Connaissez votre indignité et votre insuffisance pour remplir un devoir si divin ; vous avez besoin de recourir de toute votre capacité à la Mère de miséricorde. Vous avez de grandes protectrices auprès d'elle : la première, c'est Madame votre sainte Abbesse. qui vous fait l'honneur de vous immoler avec tant de zèle et de charité ; et la seconde, Madame notre illustre duchesse N. à laquelle, après Dieu et Madame votre digne Abbesse, vous devez le bonheur que vous allez posséder. 11 est si grand et si admirable que votre vie ne suffira pas pour en produire tous les jours vos humbles reconnaissances. Il faut les rendre à Dieu sans discontinuer, et à ces deux illustres personnes autant qu'il vous sera possible, rendant à Madame vôtre digne Abbesse une soumission parfaite accompagnée d'une profonde humilité, et à Madame la duchesse D. des prières continuelles, pour attirer sur elle les bénédictions du ciel pour terminer ses affaires et couronner son sacrifice par une heureuse consommation, ainsi qu'elle-même le désire avec tant d'ardeur. Et après avoir rendu vos devoirs à qui vous les devez et qu'il vous reste un moment, votre charité l'emploiera pour demander à Notre Seigneur, par sa très sainte Mère, miséricorde pour une misérable qui n'a fait autre chose dans toute sa vie que de profaner les grâces du Seigneur par une ingratitude qui mérite des châtiments éternels. Demandez-lui pardon pour moi et, par surcroît de ses bontés divines, de m'accorder une bonne mort dont je suis si près. De ma part, je puis vous assurer des prières de toute la Communauté, qui ne cesse d'admirer les grandes grâces dont il plaît au Seigneur vous combler. J'assisterai en esprit à votre sacrifice .; les saints Anges vous accompagneront et prieront pour vous. Je les prie de vous obtenir la grâce de persévérance, qui est un pur don de Dieu que nous ne pouvons mériter, non plus que la

(1) Catherine Lhuillier, petite nièce de Mère Mectilde, fille de Nicolas Lhuillier et de Charlotte Thérèse de Castres.

366 CATHERINE DE BAR

LETTRES INÉDITES 367

première. Il faut que votre vertu marque votre reconnaissance envers la Communauté qui vous a fait l'honneur de vous recevoir avec tant de bonté. Nos obligations envers Madame votre sainte Abbesse seront éternelles. Allez vous Seter à ses pieds pour la remercier très humblement de ma part ; embrassez-les pour moi avec bien du respect. Notre Seigneur bénira et récompensera sa charité.

A Dieu, très chère nièce ; nous serons ensemble à Notre Seigneur Jésus Christ et sa très sainte Mère, pour le temps et pour l'éternité.

no 2697 N 254

A MADAME SA PETITE NIÈCE QUI VENAIT DE

FAIRE PROFESSION À L'ABBAYE DE MALNOUE

ce 30 juillet 1696

e ne puis assez rendre grâce à mon Dieu, ma très chère nièce,

de la consommation de votre sacrifice, qui vous engage à vivre d'une vie nouvelle, ne vivant plus pour vous mais uniquement pour l'amour de celui à qui vous êtes si heureusement consacrée. C'est à présent que vous devez dire plus d'effet que de paroles ,: « Je ne suis plus, et je ne dois plus être qu'une simple-capacité de l'adorable volonté de Dieu. Il m'a fait la miséricorde de me sortir du Inonde, et de me séparer des créatures ; je ne dois plus vivre que pour lui seul, et par conséquent 'n'appliquer actuellement à ce qui lui peut plaire ». L'obéissance sera la règle qui vous conduira sûrement, et la profonde humilité l'accompagnera en tout. Avec ces deux vertus, vous irez loin et le pur amour viendra consommer tout ; il ne se refuse point au coeur humble, puisque le prophète nous apprend que le Saint Esprit repose sur le coeur humble. Cet Esprit adorable étant le feu sacré qui consomme les holocaustes, j'espérerais que le vôtre aurait ce bonheur. Surtout, ma chère nièce, ne soyez point méconnaissante du don de Dieu, qui est si admirable ; vous ne pourriez jamais le mériter. Je le regarde comme un effet du très Saint Coeur de l'auguste Mère de Dieu. Demandez-lui tous les jours de votre vie la grâce de persévérer et de ne jamais relâcher de la sainte ferveur qu'elle vous a obtenue avec tant de miséricorde. Aimez-la toujours de plus en plus, et lui rendez vos devoirs avec amour et confiance. Après la très Immaculée Mère de Dieu, il n'y a rien de plus considérable pour vous que Madame votre illustre et sainte Abbesse. Vous êtes heureuse d'être à ses pieds et de recevoir les lumières de Dieu par elle pour votre conduite ; honorez-la, respectez-la, et l'aimez comme Dieu, dit la Sainte Règle. Cela veut dire que vous devez voir Dieu en elle ; que vous ayez une sincérité et simplicité entière,

c'est-à-dire que vous ne lui devez rien cacher de vos dispositions. Comme vous lui êtes infiniment obligée, la plus grande marque de votre reconnaissance, c'est votre fidèlité. N'oubliez jamais le précieux jour de votre immolation. Je prie Notre Seigneur vous conserver dans la grâCe que vous avez reçue. Allez pour moi aux pieds de Madame, pour la remercier très humblement de ma part ; je suis comblée de ses bontés pour vous. Avec sa permission, vous prierez Dieu pour votre frère (1), qui prend la résolution de faire une retraite pour connaître la volonté de Dieu sur son état. Il semble qu'il prend la pensée de se retirer du monde et de reprendre ses études pour se rendre capable de servir Dieu et de faire son salut. Priez la sacrée Mère de Dieu de le protéger de ses bénédictions, et de m'y donner un peu de part, et de me croire comme je suis en Jésus et sa très Sainte Mère toute à vous.

Je voudrais bien rendre mes devoirs à toute votre Communauté, mais, ne le pouvant, suppléez pour moi en leur marquant mes humbles reconnaissances ; soyez bien reconnaissante de la grâce que l'on vous a faite.

no 1095 N257

(1) Charles Léopold Lhuillier de Castres, seigneur de la capitainerie de Spitzemberg, écuyer, seigneur de Vauzelles, Saint-Marcot et Malezise. Il épousa Anne Florentin dont il eut quatre fils et cinq filles, entre autres Anne qui épousa Charles Hyacinthe Hugo. Celui-ci est à l'origine de la descendance actuelle. Cf. Dom Pelletier, Nobiliaire de Lorraine, Nancy, 1758.

[A LA RÉVÉRENDE MÈRE MARIE

DE SAINT FRANÇOIS DE PAULE CHARBONNIER]

27 février 1697

a>e vois, ma Révérende et plus chère Mère, votre extrême douleur ; croyez que je la ressens jusqu'au centre de mon âme, mais il plaît à Notre Seigneur nous abîmer. Comme vous voyez que la divine Providence ne produit pas les secours qui paraissent nécessaires, c'est à présent les grands coups de l'abandon, où il faut soutenir tout ce qu'il plaira à Notre Seigneur. Prenez courage, très chère Mère ; il faut espérer contre toute espérance, ce sera un grand miracle ; continuez de prier la très Immaculée Mère de Dieu. Je n'attends que de sa bonté, et cependant il faut demeurer toute sacrifiée nous ne pouvons aller plus loin. Il sait et voit toutes choses ; je suis persuadée qu'il faut que la miséricorde opère.

Je vous enverrai votre lettre sans y manquer demain ou vendredi ; vous serai fidèle à ne la point montrer. L'affaire de Toul est à l'ordinaire : nous sommes entrées dans le procès ; l'on doit venir nous interroger, savoir si cet argent n'a pas été donné céans. Nous attendons les

368 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 369

suites, en priant Notre Seigneur d'avoir pitié de nous, car nous sommes toutes bien crucifiées. Les maisons souffrent ; du moins la vôtre, comme la plus affligée de toutes, et celle de Toul qui l'est aussi ; mais ce sont des maisons du Très Saint Sacrement. O Dieu ! si la sainteté y était comme Dieu le désire, il les soutiendrait ; mais, malgré mes péchés, je veux espérer, parce que Dieu est bon d'une bonté infinie.

Nous avons enterré aujourd'hui Madame de Morsant ; mais il n'y a rierl à espérer de ce côté là. Je ne puis comprendre Madame de B. ; comment est-ce que son coeur est si fort changé ? Mon Dieu nous fait bien voir que les créatures ne sont que des misérables néants. Courage ! Relevons notre foi, quoique nous ne voyons aucun secours : voilà encore deux mois de respir. Si la bonne Duchesse était en état, elle pourrait vous soulager. Je prie l'auguste Mère de Dieu que ce soit elle-même qui soulage votre douleur. Je suis en son amour toute à vous. Le reste à vendredi , s'il m'est possible.

no 1642 PI no 97

3 0 avril 1697

C'e viens vous dire, ma Révérende et plus chère Mère, que j'ai fait les

offices tels quels, avec bien de la peine car je suis trop vieille pour bien faire cela, mais c'en est fait pour le présent. Ces sortes de remuements ne sont pas agréables, mais il a fallu faire cela pour obéir. Je vous conjure de prier la sacrée Mère de Dieu les bénir.

Je doute fort que vous obteniez ce que l'on vous propose : autrefois le Roi y était opposé. Je crois bien que si M. l'Archevêque (1) le veut demander comme il faut à sa Majesté, en lui représentànt l'état où vous êtes, cela le devrait toucher. Je prie l'auguste Mère de Dieu de lui donner une bonne inspiration.

Nos Mères de Dreux (2) n'avancent pas, parce qu'il n'y a point de Maison qui veuille s'en charger, ainsi que vous avez vu le mémoire : il faut un secours de la divine Providence, efficace.

Je recommande à vos saintes prières le bon Monsieur de Grainville (3) : c'est une perte pour nos Mères de Rouen et de Dreux. Dieu est le maître et le souverain de tout ; il faut l'attendre et l'adorer. Nous sommes assez doucement ; je n'osais espérer cette grâce , car je suis

(1) Louis Antoine de Noailles, évêque de Châlons de 1681 à 1695, succède à François de Harlay comme archevêque de Paris de 1695 à 1729. Il est promu cardinal en 1700 par le Pape Innocent XII au titre de Sainte Marie Majeure. Cf. Jean Rupp, Histoire de l'Exils(' de Paris. R. Lafont, 1948, p. 199

(2) Cf. lettre du 21 octobre 1693. note 2.

(3) Charles ou Jacques Le Pelletier sieur de Grainville, d'abord avocat général en la chambre des Comptes de Rouen, puis en 1646, conseiller au Parlement de Normandie et président de la chambre des Requêtes du Palais. Il avait épousé Gabrielle Le Tellier, soeur d'un maître des Requêtes de l'hôtel du roi. cf. de Frondeville, Les Conseillers an Parlement de Normandie, t.IV , p. 198 - 199.

bien sotte et bien incapable de bien faire. Je deviens si pauvrette et si misérable que je ne sais comme l'on me peut souffrir. Je serai cependant bien aise de vous voir, très chère Mère. Je ne sais si M. de Toul (4) est parti. Il ne poursuit point son procès. J'attends les moments du Seigneur pour tout ce qu'il lui plaira ; je le prie vous bénir et toutes vos affaires. J'espère que la Providence y pourvoira, si vous avez fait ce que vous projetiez pour contenter vos créanciers ; vous serez un peu de temps en repos, en attendant que Notre Seigneur y pourvoie. J'espère toujours qu'il le fera, mais il faut une grande patience.

Dites-moi des nouvelles de votre santé. Nous allons repasser sur les Constitutions, pour tâcher de les pratiquer. Nous retranchons les ouvrages particuliers et les petits commerces pour trafiquer (5), de crainte que la sainte pauvreté ne se trouve embarrassée. Dieu nous fasse la grâce de nous retirer de tout cela pour le bien de toutes ! Je puis vous dire que j'ai fait les offices dans l'amertume de mon coeur, mais il faut souffrir et abandonner tout.

Pour

La Révérende Mère

prieure des filles du

St Sacrement

rue Neuve St Louis

à Paris

no 1606 P 1 no 99

(4) Henry de Thyard de Bissy, évêque de Toul de 1692 à 1704, puis évêque de Meaux. Il est promu cardinal le 29 mai 1715. Il était abbé commendataire de Saint-Germain-des-Prés depuis le 28 décembre 1714. Il mourut en 1737. Cf. Dom Martène, op. cit. vol. XVII, t. I X, p. 32.

(5) Cette remarque de Mère Mectilde se rapporte à une coutume très fréquente à l'époque. Les moniales confectionnaient de menus travaux de broderie et les échangeaient avec leur famille contre de petits objets qu'elles employaient pour leurs obédiences. Mère Mectilde cherche à préciser dans la révision des Constitutions tout ce qui pourrait devenir un obstacle à la pratique du voeu du pauvreté.

A UNE SUPÉRIEURE

[peut-être celle de Nancy]

28 juin 1697

e viens vitement vous faire un petit mot, ma très Révérende et

plus chère Mère, pour vous assurer que j'ai reçu votre chère lettre du 23 de juin. Je suis pénétrée de vos croix, ma très chère Mère. Je ne croyais pas que votre Communauté soit composée d'esprits si mal tournés. Mais prenez courage : vous êtes sur la croix par la volonté de Dieu. Ne vous accablez pas, confiez-vous en la, bonté de celui qui vous a mise où vous êtes. Tenez-vous ferme en Dieu. J'espère qu'il prendra votre parti et qu'il vous soutiendra. Ayez plus de confiance en son secours et à celui de sa très Sainte Mère qu'à toutes les créatures. Si Monseigneur votre Evêque [Henri de Thyard de Bissy] a l'esprit de Dieu, il pénétrera bien que

LETTRES INÉDITES 371

370 CATHERINE DE BAR

c'est un méchant esprit qui fait le trouble dans votre maison. Je prie Notre Seigneur de le confondre. Redoublez votre confiance et demeurez inébranlable dans sa divine main. Sa très sainte Mère vous protègera. Gardez votre paix au milieu de cette tempête, que vous devez regarder dans la dispensation divine pour en faire un saint usage, et que rien d'humain ne diminue la grâce en vous. Croyez, ma très chère Mère qu'il est impossible d'être parfaitement à Dieu sans la croix. Elle fera de bons effets en vous, si vous demeurez dans le pur abandon à la divine Providence. Vous commencez d'être la victime de Notre Seigneur Jésus Christ. Donnez-nous des nouvelles de la suite de cette extraordinaire conduite. Ne vous mettez pas en peine de ne pouvoir faire vos officières, puisque Monseigneur a dit qu'il les voulait faire. Il faut que vous l'attendiez en priant Dieu de lui donner son Saint-Esprit. Si la bonne Mère N. faisait bien, elle ne s'en mêlerait pas, mais elle prierait ardemment Notre Seigneur d'y vouloir présider et de les faire faire en son esprit. Je la plains de s'embarrasser de cette affaire qui n'est plus dans sa main. Prenez courage, ma chère Mère, et souffrez. Je suis en esprit avec vous aux pieds de la très auguste Mère de Dieu qui présidera à vos élections des officières. Il la faut prier de renverser tout ce que les démons tâchent de faire pour nuire à l'oeuvre du Seigneur. J'enverrai votre lettre à la chère Mère de N. Ne vous fatiguez pas de lui écrire, mais donnez-moi au plus tôt de vos nouvelles et me croyez toute à vous.

no 1602 N 261

[A LA RÉVÉRENDE MÈRE MARIE

DE SAINT FRANÇOIS DE PAULE CHARBONNIER'

26 juillet 1697

eur la chère vôtre du 24 du courant, ma très Révérende et plus chère

Mère, je vous dirai que j'ai reçu le mémoire que vous m'envoyiez des Filles de Sainte Marie, qui nous convient bien mieux que [celui que] vous m'avez envoyé des Carmélites. Nous nous y tiendrons. J'ai fait prier un très habile de nous faire ce règlement d'union ; je 'ne sais s'il me fera cette charité. Si Notre Seigneur lui inspire, il fera à merveille, car il sait ce que c'est de ces sortes d'unions. S'il y travaille, je vous l'enverrai ; j'en aurai bientôt des nouvelles.

Je vous rends un million de grâces de l'extrait de la bulle pour l'office de notre' glorieux Père. Je le fais imprimer pour en donner à beaucoup d'endroits, qui en seront ravis. J'ai aussi vu l'association avec nos Pères Bénédictins. Je ne sais si l'on pourra s'en acquitter, à cause de chanter la sainte messe. Le calendrier fera plaisir au bon Père qui travaille au nôtre. Mr. Chatelin s'en mêle. Je crois qu'ils y changeront beaucoup

et trancheront bien des saints. Il n'importe, pourvu qu'il soit arrêté

pour n'être plus dans l'embarras savoir ce que l'on doit faire. J'ai écrit à M. de Rabaumont (1) pour le prier qu'il nous envoie son office dé

la Réparation. Je ne sais s'il le fera. Si nous l'avons, nous tâcherons de l'introduire. Celui que nous avons n'est pas dévot, ni approuvé de tout le monde.

Nous avons commencé de lire les Constitutions dans la Communauté. On l'en trouve (sic) bien des choses à redire, mais je n'ai point voulu que l'on y changeât ce qui n'est pas propre pour les autres maisons. Nous verrons d'accommoder les choses, sans rien gâter.

Vous me consolez d'entendre que Méridon (2) n'est pas encore désespéré. Je crois que si tous étaient bien instruits, que Monseigneur

ne le refuserait. La nécessité paraît grandi et bien considérable, en cas qu'il arrivât quelque violence de vos créanciers. Monsieur Ferret ferait beaucoup s'il pouvait faire entendre à Monseigneur que vous êtes à la veille de sortir de votre Maison ; et où faudrait-il vous retirer

Il vaut bien mieux avoir Méridon que de n'avoir pas un trou où se loger. Il est vrai que votre maison n'est point à vous (3); il faut un coup du

Ciel pour éviter une chute très fâcheuse. Je ne sais ce qu'il plaira à

Dieu faire de nous et de l'Institut. Il est bien dans la balance de l'adorable Providence ; il faut une grande mort pour soutenir un tel abandon.

Oui, oui, c'est une admirable merveille qu'une Communauté de 36 per-

sonnes puisse subsister de rien en fonds. Cela est miraculeux. Je conçois que ce n'est pas sans peine ; je ressens ce que vous souffrez actuellement. Hélas ! très chère Mère, je souhaiterais bien que la Providence vous donne de bonnes veuves ou filles, capables de vous soulager dans votre

temporel. Vos demoiselles ne vous donnent pas de quoi vous aider. Nous avons sans dessein choqué Madelle. (mot barré); l'on dit qu'elle veut sortir. Il en sera comme il plaira à la divine Providence. Il faut se soumettre à toutes les conduites de Dieu. Son très saint Nom soit béni de tout !

Vous faites bien de ne pas changer vos offices dans l'état présent. Les jeunes sont trop imprudentes. Je vois des expériences fréquentes

(I) Il était l'aumonier du monastère de Saint-Louis. Une relation ancienne dit qu'il quitta Paris vers le mois de mai 1691 pour prendre une cure à Bar. Il resta cependant très attaché à l'Institut et lui rendit service en certaines occasions. Nos archives possèdent l'éloge funèbre de Mère Mectilde qu'il prononça dans l'église de notre monastère de Toul, le I I juin 1698.

(2) « Presque réduites à quitter leur maison pour satisfaire aux exigences de leurs créanciers,... elles pensèrent se réfugier dans le petit domaine de Méridon que la duchesse et le Cardinal de Bouillon avaient vendu ». (Histoire manuscrite du monastère de Saint-Louis. aux Archives du monastère de Rouen).

(3) En 1684, l'hôtel de Turenne, appartenant au cardinal de Bouillon, fut mis en vente. D'après certains récits conservés dans nos archives, il aurait été acheté par la duchesse d'Aiguillon, petite nièce de Richelieu, pour y installer le second monastère du Saint-Sacrement à Paris. Peut-être la duchesse en avait-elle gardé la propriété jusqu'à sa mort.

372 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 373

et je dis avec vous : les jeunes perdent la simplicité et ensuite l'on ne fait rien qui vaille pour le bien de la religion, ni la propre perfection. Je vous avoue que je me dégoûte fort des sujets que l'on reçoit présentement. Vous n'y voyez quasi rien de solide.

Ne songez pas à faire de visite. Demeurez en paix : il n'est pas à propos de remuer. Vous avez un bon Supérieur qui vous aime bien, vous êtes en repos avec lui.

Quant à Mad. V., je lui dis hier un mot de votre extrémité, lui marquant ma douleur. Il faudrait qu'une autre personne lui fasse faire entendre l'état où vous êtes. Je ne puis faire ce que je voudrais parce que mes dites m'ont discréditée. Et quelque religieuse céans crie encore tous les jours parce que c'est moi qui ai fait tout le mal. Cette dame aurait fait de bonnes choses, mais l'on m'a discréditée dans son esprit. Si vous pouviez trouver quelque dame de qualité qui lui puisse parler, je suis sûre qu'elle vous ferait du bien, car elle en fait à toutes les Communautés pauvres. Monseigneur l'Archevêque l'emploie de tous côtés pour les bonnes oeuvres.

Il manda hier qu'on lui envoyât notre homme d'affaires je ne sais pourquoi, si ce n'est pour le procès que M. de Toul nous fait. Si c'est cela, notre homme d'affaires l'instruira fidèlement de tout. Il faut remettre dans les saintes et adorables mains de Dieu ; il faut toujours attendre la croix comme il plaira à Dieu nous la donner. Je vous en manderai des nouvelles quand je les saurai.

Continuez-moi vos saintes prières et augmentez votre confiance envers la très Immaculée Mère de Dieu. Je suis en son amour toute à vous.

no 2779 P 1 no 102 A LA MÈRE MAGDELEINE D'AUVERGNE (1)

27 septembre 1697

Louée et adorée soit à .jamais l'adorable Volonté de Dieu qui éprouve ses victimes comme il Lui plaît .1

e mot est assez précipité, mais je ne m'attendais pas à avoir une

si affligeante nouvelle à vous mander ; je sursois toutes les autres, quoique bien pressantes par le récit que vos chères lettres nous en font, pour vous dire qu'il a plu à Dieu, le soir de la fête de saint Mathieu, réduire en cendre notre maison de Nancy, tandis que toute la Communauté était à matines. Les pauvres filles trouvent leur maison au retour dans un tel embrasement que les trois côtés du cloître et les dortoirs furent consummés. Il n'y a eu que l'église que l'on a tâché de sauver, de sorte que ces pauvres filles n'ont que ce qu'elles avaient sur le corps étant à matines ; il ne leur est rien réservé, pas une chemise, pas un mouchoir, etc... Voilà où il a plu à Notre Seigneur les réduire c'est une pitié qu'on ne peut exprimer. Nous ne savons encore le détail de ce débris. J'en appris l'affligeante nouvelle mercredi au soir par Monsieur leur Supérieur, qui me l'écrit ; les pauvres filles n'étaient pas en état d'écrire ; la désolation est très grande. Je demande vos saintes prières pour les soutenir dans la soumission qu'elles doivent aux volontés de Dieu.

Il faut avouer que cette épreuve est grande, mais les victimes doivent être capables de tout souffrir, se souvenant qu'elles sont victimes par leur sainte profession et que Notre Seigneur a droit de les sacrifier en la manière qui lui plaira.

Figurez-vous près de trente religieuses, tant de choeur que converses, réduites sur le pavé où elles ont couché à plate terre, n'ayant plus rien, pas seulement de mouchoir, ni chemises, etc... C'est une terrible peine à se trouver en deux ou trois heures de temps dans une telle privation de tout. L'on peut dire avec vérité que la croix est grande. La seule consolation est que Notre Seigneur a été conservé dans le Très Saint Sacrement, sans que l'église soit endommagée, ni aucune religieuse brûlée, ni blessée. C'est une grande grâce ; il en faut remercier Notre Seigneur. .Et voyez, très chère Mère, comme il m'afflige dans mes derniers jours. Et où prendre pour les soulager ? J'attends tout de mon Dieu qui seul peut y remédier car toutes les maisons de l'Institut sont affligées. Vous savez à quel point est celle de Saint Louis (2). Il faut beaucoup prier l'Immaculée Mère de Dieu qu'elle protège l'Institut, car l'enfer a bien pris la résolution de le détruire. Voyez comme il y travaille par différentes manières. Je sais que cet incendie est cruel, mais il est bien plus doux à supporter que les divisions dans les maisons de l'Institut qui ne font qu'offenser Dieu et obliger sa Justice à retirer ses grâces

374 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 375

et abandonner les sujets infidèles à la puissance des démons qui les entraînent et font périr. O ma chère Mère, il faut que les démons se jouent des âmes qui résistent à la grâce pour suivre leurs maudites passions ; et que gagnent-elles, quand elles ne sont plus fidèles à Dieu et méprisent ses grâces ?

Est-ce pour cela que l'on fait des monastères et que l'on présente à Dieu des victimes qui l'outragent au lieu d'apaiser sa juste colère ? Hélas ! très chère Mère, vous voyez que les innocentes souffrent pour les coupables ; personne n'est plus indigne des miséricordes de Dieu que moi, et cependant je suis indigne de réparer ; il faut que Notre Seigneur choisisse des victimes innocentes pour faire et souffrir ce que je mérite. C'est ce qui m'afflige dans cette occasion et dans toutes les• autres afflictions que Notre Seigneur envoie. Son très Saint Nom soit à jamais béni ! J'avais besoin de cette affliction pour m'abîmer davantage.

Priez le Seigneur que nos pauvres mères affligées de Nancy puissent porter saintement leur souffrance. Ce temps est fâcheux, car le froid commence et les voilà toutes dénuées. Priez Notre Seigneur qu'il les revête de lui-même et qu'elles puissent donner par leur sacrifice quelque plaisir à Notre Seigneur en réparation de tant de péchés et de profanations. L'on nous assure de la paix. Je ne sais si les affaires de votre pays se termineront en faveur de ce bon prince (3). J'en espérais des nouvelles, mais elles ne sont point encore venues. Ayez, très chère Mère, la bonté de nous en mander. Monsieur Tarlot sera bientôt chez vous ; il prétendait y être à la mi-octobre, c'est bientôt ; je prie Notre Seigneur qu'il le conserve. C'est un vrai saint et qui a bien de la bonté et de la charité pour notre Institut. Je crains que votre Communauté ne soit ingrate de sa charité.

La Mère de Jésus (4) vous écrira sur vos affaires touchant nos Mères de Toul. Je crois que nous ne plaiderons plus. Monseigneur l'Archevêque de Paris en a témoigné son mécontentement à Monseigneur l'Evêque de Toul : c'est ce qui le fait résister, car il ne peut rien gagner. Son procès a été mal intenté. Mais vous savez, très chère Mère, qu'il me faut toujours des croix. Adorez et aimez Notre Seigneur pour moi, très chère Mère, et me croyez toujours toute à vous et à votre sainte Communauté que je salue en Jésus et sa très sainte Mère.

J'écrirai à la plus chère Mère du Saint Esprit (5) le plus promptement

qu'il me sera possible ; je la prie d'avoir un peu de patience. Je ne la veux pas contraindre de rester : elle pourra prendre son temps et

prendre les permissions de Monseigneur votre Evêque (6) ; de même les autres qui prétendent revenir. Je comprends bien qu'il y a à souffrir dans une maison naissante, dans un pays extraordinaire pour la langue et pour beaucoup d'autres choses, qu'il faut donner à Notre Seigneur.

C'est sa gloire qui vous y a menées, il faut que ce soit sa gloire qui vous fasse revenir et que lui seul vous fasse agir en tout et partout, afin que vous soyez remplie de son Esprit et que l'humain ne vous domine pas.

Je vous quitte, très chère Mère, ne pouvant aujourd'hui vous en dire davantage. Je prie l'Immaculée Mère de Dieu de vous combler de bénédiction.

no 96 P 39

(1) Fille de «Jacques Dauvergne et de Marie de Valière, demeurant à Paris, elle fit profession à Toul le 8 octobre 1679, en présence du P.L.E. Louys, abbé d'Etival. J. Philbert, curé de Saint-Epvre, Nicolas Plant». Elle mourut le 8 juillet 1709. (Livre des professions de Toul).

Lorsque la reine de Pologne Marie Casimire, en exécution d'un voeu fait pour obtenir la victoire et la protection de Dieu sur son mari Jean Sobieski lors de la bataille de Vienne contre les Turcs, demanda à Mère Mectilde des religieuses pour fonder un monastère de son Institut à Varsovie en 1687,, la Mère d'Auvergne fera partie des fondatrices. (cf. Sous la crosse de Notre Dame, monastère des Bénédictines du Saint Sacrement, Rouen. 1975 no 66 et sv.).

(2) Le texte F 1 a été barré sur l'autographe et rétabli d'après une copie antérieure à cette suppression.

(3) Auguste II. élu roi de Pologne par la Diète, le 26 juin 1697. Jean Sobieski roi depuis 1674. Son prédécesseur était mort le 17 juin 1697.

(4) Mère Marie de Jésus (Marguerite Petitgot), fille du sieur Errard Petitgot, écuyer, seigneur du fief Francour et gouverneur pour le roi du château de Landserone, et de Damoiselle Marguerite Obrion, résidant à Huillecourt, fit profession à Toul le 13 octobre 1670 et décéda le 23 août 1718 dans notre monastère de la rue Saint-Louis à Paris. Elle fit partie des fondatrices de Varsovie. Très liée d'amitié avec la reine de Pologne, elle rentra en France quelque temps après le départ de Marie Casimire pour le pays. Après son veuvage. la reine s'installa à Rome où elle désirait fonder un monastère de notre Institut. Dans cet espoir, et pour faire approuver les Constitutions revues par More Mectilde avant sa mort. Mère Marie de Jésus se rendit à Rome. Mais les deux projets échouèrent. Rome n'accepta' pas la seconde version des Constitutions, parce qu'elles n'étaient pas signées de toutes les maisons de l'Institut.

(5) Mère du Saint-Esprit (Agnès Françoise Boutilly) fit profession le 10 février 1687 au monastère de Saint-Louis. Le roi Auguste III, le 12 juin 1698, signa l'autorisation de rentrer en France pour « Maria Margueritha Petigoth, Maria Francisca Boutiller, et Maria Grand Jour ».

(6) Stanislas Witwicki, évêque de Posnanie de 1687 à 1698.

A LA MÈRE MARIE DE SAINT - PLACIDE IPhilbertl

I au monastère de Saint-Louis 1

27 septembre 1697

n vous renvoyant, très chère Mère, une de vos lettres que j'ai encore

trouvée, je vous fais part de l'affliction arrivée à nos chères Mères de Nancy. Comme la Révérende Mère Prieure est en retraite, je ne sais si elle aura vu ce que je lui ai écrit. Vous saurez, très chère Mère, que le jour de saint Mathieu, 21ème du courant mois, pendant les matines, le feu s'alluma avec tant d'ardeur qu'en deux ou trois heures de temps, il consomma les trois parties du cloître et les dortoirs, en sorte qu'elles se sont trouvées sans plus rien avoir, pas seulement de chemises ni de mouchoirs, enfin, rien du tout et obligées de coucher à plate terre. Jugez, très chère Mère, en quelle extrémité elles se sont trouvées réduites. Et qui pourra les soulager, étant toutes réduites comme vous savez que nous sommes ? Il faut bénir le. Seigneur qui fait pareils coups. Voilà de quoi remplir la qualité de victime. O Dieu, très chère Mère, quel coup ! Adorons et bénissons celui qui sait faire

LETTRES INÉDITES 377

X76 ( A 1111 RINI Di BAN

dans un moment ce que l'on peut faire dans plusieurs années. O chère Mère, apprenons à être victimes, voilà un petit échantillon de sa puissance. Il faut espérer que sa divine bonté soutiendra ces pauvres souffi ;unes et qu'il les sanctifiera. Je les recommande à vos saintes prières cl là cellesl de toute la Communauté. Je voudrais bien écrire à ma chère Wertrudel niais je n'ai pas le temps. Je lui demande si l'enfer ne croit pals avoir fait un grand chef-d'oeuvre d'avoir brûlé cette maison. Dites-lui ce petit mot en secret, très chère Mère, et l'embrassez pour moi. A Dieu, e suis toute à vous d'une sincérité entière.

no 408 1'105

Samedy 18. octobre 1697

"Te viens vous dire, ma très Révérende et plus chère Mère, que la

Révérende Mère Prieure de Nancy sera demain sur les dix ou onze heures dans Paris. Je vous demande si d'abord vous pouvez les recevoir et loger deux ou trois jours, parce que notre bon Père Prieur (1) mourut hier et que nous n'avons point de Supérieur, gut le Seigneur Archevêque I le Cardinal de Noailles] à qui j'ai déjà écrit trois ou quatre fois sans pouvoir tirer aucune réponse cela m'embarrasse beaucoup, pour toutes les défenses qu'il a faites. Je crois que je pourrais les recevoir, mais je ne puis leur, permettre de sortir pour leurs affaires. C'est un abîme de tirer une réponse de Monseigneur. Je vous prie de me dire si vous pouvez les laisser sortir, quand vous les avez reçues. Si vous ne le pouvez, il faut qu'elles viennent tout droit avec nous et qu'elles y demeurent tant qu'il plaira à mon dit Seigneur leur permettre de sortir. Je vous supplie me donner une réponse positive et de me croire toute à vous.

Pour-

La Révérende Mère

prieure des filles du

St Sacrement

rue Neuve St Louis

à Paris

no 1609 I no 104

(I) Dom Antoine Durban (1626 - (697), originaire de Mouzon. diocèse de Reims. Il fit profession n Saint-Remi de Reims le 22 110(11 I(46. Après plusieurs priorats, il devint procureur de In congrégation de Suint-Maur à Rome. assistant de deux supérieurs généraux. puis prieur de Saint-Germain-des-Prés. 11 mourut le 17 octobre 1697. (Dom N.larlène, op. cil.. fuse. XI.11 I. I. VII, p. 164. Ligugé. 1937).

Loué et adoré soit le Très Saint Sacrement !

Ce 20 octobre 1697

Nous avons reçu, ma très Révérende Mère, par écrit et par effet, les marques de la bonté et charité de votre coeur et de toute la Communauté pour nos chères Mères affligées. Nous attendons la Révérende Mère Prieure avec• une compagne. Tous leurs amis les ont obligées de partir pour se venir jeter aux pieds du Roy ; si elles nous disent quelque chose de particulier, nous vous en. ferons part. Elles mandent 'qu'elles ressentent de plus en plus leur mal et qu'elles n'ont pu apprendre d'où est provenu le feu. Grand nombre de personnes leur disent que ce sont des sorciers et qu'une femme disait, le soir de la nuit que cet accident leur arriva, à un soldat qui lui paraissait assez las : «Où vas-tu ?» Lui répondit : «Me coucher, carie n'en puis plus». Elle lui répartit : « Tu auras pourtant assez d'ouvrage cette nuit». Les Jésuites qui sont leurs voisins virent le feu prendre en cieux endroits du toit en même temps et avec tant de violence que tout fut bientôt embrasé. Tout le monde y a couru : Bénédictins, Jésuites, Capucins, Carmes, soldats, ouvriers, tous travaillèrent à sauver l'église et les papiers qui sont considérables pour elles. La sacristie, qui est une aile de leur choeur, est sauvée. Il n'y a eu que deux niches et quelques choses qui étaient au grenier, brûlé, et deux chandeliers d'argent fondus, dont elles ont retrouvé la plus grande partie du métal. Tout le reste est consommé : meubles, habits, linge. Elles se trouvèrent n'ayant que ce qu'elles avaient sur le corps. Celles qui étaient à Matines (vous savez comme l'on y va) avec de méchants scapulaires et voiles ; celles qui avaient été au Saint Sacrement devant et celles qui devaient y aller après furent éveillées par le feu qu'elles virent sur elles : une partie se sauvèrent sans avoir eu le temps de prendre chausses, ni souliers, ni robe. Y en a une qui a les pieds brûlés. Elles allèrent au chœur Où l'on disait Matines, dont elles ne disaient que le troisième psaume, et tout le faîte et greniers paraissaient embrasés ; il n'y avait pas plus d'une demi-heure qu'elles en étaient parties sans avoir vu ni senti aucune apparence de jeu. On exposa le Très Saint Sacrement pour conserver sa maison ; le prêtre le tint bien deux heures dans le jardin et elles tolites tout autour. Elles se trouvèrent après en l'état où je vous les ai dites, une partie à demi-habillées, les autres avec une tunique, et toutes sans un seul voile à coiffer. Toutes leurs figures du Saint Sacrement fondues. Leurs bréviaires, hors la partie qu'elles avaient à Matines, brûlés et généralement tous leurs livres. Il ne leur reste, disent-elles, qu'un seul tome de la vie des saints. Elles avaient une belle bibliothèque. Elles bénissent Dieu et disent comme Job : «Il nous l'avait clonné, il nous l'a ôté» et nous sommes bien aises qu'il ait plutôt conservé sa maison que la nôtre. Elles inondent aussi à Notre Révérende Mère, pour sa consolation, qu'elles ont plus de désir que jamais [d'itre1 plus à Dieu, que c'est ce qui leur reste : que la bonne volonté et que l'Office divin et l'Adoration perpétuelle n'ont point manqué ; qu'elles commencent à avoir des maladies. Elles sont retirées dans une petite maison qu'elles ont au bas de leur église. Elles ont reçu de grands secours des Filles de Sainte Marie : dès le soir, elles leur envoyèrent 6 paillasses et des couvertures et leur offrirent d'en recevoir 5 ou 6 des plus vieilles et bernes, mais pas une n'a voulu sortir, aimant mieux simili* ensemble. Il y a des voûtes sous le cloître qui ne sont pas enfoncées. Messieurs les Gouverneur et Lieutenant de Roy ont fait travailler des soldats aux décombres de peur

378 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 379

qu'elles n'enfoncent et leur ont rendu de bons services. Il y a aussi eu des religieux de (leur) bonne volonté. Un canne y trouva une image de papier de sainte Scholastique sans aucune tache ni rupture ; cette image avait un cadre de bois et attaché à un pièce de bois qui était brûlée ; on a aussi trouvé un petit crucifix de cuivre sur une croix de bois sans être brûlé ; c'est tout ce que l'on dit avoir trouvé.

Notre très Révérende Mère est un peu mieux depuis quelques jours ; elle m'ordonne de vous faire, ma très Révérende Mère, toutes les amitiés possibles de sa part et du plus tendre de sou coeur. Elle est charmée de votre charité et l'a comptée pour beaucoup et qu'assurément Notre Seigneur vous en récompensera. Je vous avoue qu'elle« surpasse du tout nos espérances, l'union de l'Institut me faisant vous mander ce fâcheux accident sans avoir intention de vous quêter que le 'secours de vos saintes prières pour nos chères Mères affligées, mais votre grande charité leur donne aussi le secours temporel. Notre Seigneur et sa très sainte Mère en soient eux-mêmes votre récompense !

Je crois, très Révérende Mère, que vous aviez averti le Révérend Père de Birne, qui vint, le lendemain que je reçus la chère vôtre, apporter le contenu de votre quittance que je lui donnai ; il me pria de vous bien faire ses compliments ; il est charmé de vos bontés pour ses parentes.

J'attends vos livres, mais il faut envoyer présentement pour cette commodité, ce sera pour la première qui se présentera. Mille actions de grâces, ma très Révérende Mère, pour vos bienfaits. Je suis du meilleur de mon coeur votre très obéissante servante. Sr

de Ste Magdeleine

C 400 no I 1 autographe au monastère de Caen

A UNE RELIGIEUSE DE TOUL

[sans date]

Ma chère Fille,

ous croyez trouver quelque appui en moi, mais je vous assure que

je me mettrai du côté de Notre Seigneur. S'il vous ôte votre voile, je vous ôterai la robe. Je veux votre sainteté ; vous êtes une petite paysanne que l'on mène à la cour. On en veut faire une dame, on lui ôte ses vieux haillons et ses petites guenilles. Elle ne le peut souffrir, ne voulant point de robe plus belle ni plus riche , et s'y trouvant emprun- • tée. Elle dit : «Otez-moi cela, donnez-moi mes hardes, j'aime mieux ma liberté que toutes ces belles choses ». Voilà votre portrait tout fait. Quand Dieu vous aura dépouillée, quelle perte ferez vous ? Il -veut vous ôter vos guenilles pour vous revêtir de lui-même, et vous ne le voulez pas, vous l'empêchez. La nature, qui est cette paysanne, dit :« Quoi ! je n'aurai plus aucun goût de Dieu qui me soutienne, pas une bonne pensée qui me remplisse, pas une douceur, une consolation ?

Cela m'est rude ». « Ôtez-moi tout cela, ce ne sont que guenilles : Dieu sera votre force et votre soutien ». - « Oui, mais je ne le vois pas, je n'en sens rien, pourquoi le croirai-je ? ».

Eh ! nous nous confions bien à une personne que nous savons nous aimer - qui nous trompe souvent - et parce que nos sens ne voient point Dieu, nous avons peine à croire en lui et en sa parole ! Un peu de foi et de confiance en sa bonté fera merveille. Si vous étiez entre les bras de votre père qui est au monde vous diriez : « Mon père m'aime et il ne souffrira pas qu'il m'arrive du mal ». Et Dieu nous aime bien plus, sans comparaison. Heureuse perte ! Si vous vous perdez vous-même, Jésus Christ vous recevra.

Pourquoi pensez vous que le Saint Esprit ait descendu sur les Apôtres avec un grand vent et du feu ? C'est que le vent renverse tout, mais étant cessé, les choses se peuvent relever. Il n'en est pas de même du feu, il consomme tout et ne fait aucune réserve. Donnez-vous au pouvoir du Saint Esprit, et vous trouverez un exterminateur qui n'épargne rien : il met le feu partout. Gardez-vous de l'activité, et souffrez les agonies autant de temps que Dieu voudra. Est-il vrai que vous aimeriez mieux mourir que d'être dans une perpétuelle langueur, et que vous demanderiez volontiers le coup de grâce ? Vous avez trop de compassion sur vous-même ; oubliez-vous une bonne fois, et laissez toutes vos. pensées et raisonnements à la porte, sans amuser à contester avec cette marmaille qui vous nuira si vous n'y prenez garde. Le démon est ravi lorsqu'il voit une âme badiner et réfléchir sur elle-même. Il se sert de l'occasion pour la perdre. Lorsque ces choses se présentent à l'esprit, il faut leur dire : « Taisez-vous, vous m'importunez ». Et si elles recommençent, ne vous amusez pas à contester. Toutes ces réflexions et tendresses de nature, et de compassion de vos propres intérêts, ne sont que des jeux de petits enfants qui crient devant les portes. Laissez-les crier tant qu'ils voudront. «Mais quel moyen de vivre ? J'aimerais mieux perdre toutes créatures que de perdre le goût de Dieu ». C'est l'amour propre qui crie ainsi. N'est-ce pas bien de l'honneur et de la grâce que Dieu vous fait de vous associer à son Fils. Je sais que vous le voulez de tout votre coeur. Abandonnez-vous donc toute à lui : oubliez-vous de vous même et vous verrez qu'il fera son ouvrage. Je ferai avec lui de si bons contrats pour vous que vous ne vôus en pourrez défendre.

Priez-le qu'il me donne son Esprit et que jamais je ne l'offense, que

lui même ag _ n,,nelire7 en paix.

no 3025 N267

380 CATHERINE DE BAR

ANNEXE

A UNE RELIGIEUSE QUI GARDAIT MADEMOISELLE SA NIÈCE qui avait la petite vérole

6rès chère Mère, je suis très obligée à votre charité de toutes les peines que vous prenez pour ma chère petite nièce. Je prie la sacrée Mère de Dieu vous combler de bénédictions en récompense.

Voici que je lui écris un petit mot comme elle l'a désiré. Je serais bien aise que, de bonne heure, elle apprît à souffrir saintement les afflictions de la vie. Je sais que la maladie en est une, très forte à soutenir, mais qui attire bien des grâces du Ciel quand l'on sait en faire usage. Je vous prie, très chère Mère, apprenez-lui à l'offrir à Notre Seigneur et à sa très Sainte Mère et à prendre patience dans ses maux, les offrant aussi pour les âmes du Purgatoire. Elle est en état de mériter, si elle se soumet au bon plaisir de Notre Seigneur. Je crains, ma très chère Mère, que la fatigue ne vous fasse succomber. Je presse la chère Mère N. de vous donner du secours afin que vous puissiez au moins un peu dormir, parce que ce mal est long et, sans miracle, vous n'y pourrez résister. Je vous prie de dire à ma nièce que sa maman est à Paris et qu'elle viendra tantôt apprendre de ses nouvelles. Je voudrais bien qu'elle se dévouât toute à la très Immaculée Mère de Dieu, car, en vérité, c'est sa vraie et unique Mère.

no 1517 N261

A MADEMOISELLE SA NIÈCE

Ue loue Dieu, ma chère petite nièce d'apprendre que votre petite

vérole n'est point mauvaise et que, avec la grâce de Notre Seigneur, vous en guérirez ; je vous prie, très chère enfant, de faire un saint usage de cette maladie, qui vous donne sujet de sacrifier ce que la nature aime en elle-même ; et, comme ce mal vous est envoyé de Dieu, il faut que vous le receviez de sa très sainte main, le remerciant de vous avoir fait l'honneur de se souvenir de vous, en vous envoyant une petite parcelle de sa sainte Croix : apprenez de bonne heure, ma chère petite nièce, que rien n'est plus précieux, ni plus avantageux en ce monde, que la souffrance. Notre Seigneur vous a donné cette petite croix pour purifier votre coeur de la vanité du monde et des créatures, et vous serez heureuse si, en sacrifiant à Notre Seigneur ce que la nature avait de plus agréable en vous, il vous a fait la miséricorde de l'agréer, en vous donnant en échange une sainte vocation et les grâces qui la doivent accompagner pour être une véritable victime de Jésus Christ.

LETTRES INÉDITES 381

Apprenez de bonne heure à mépriser tout le créé pour le posséder lui seul : c'est le souverain bien que je vous désire et que vous obtiendrez par l'entremise de la très auguste Mère de Dieu. Jetez-vous entre ses bras avec humilité et confiance : elle vous enseignera les voies du salut et vous obtiendra la persévérance, qui est le comble de tous les dons de grâce que nous recevons en cette vie. Offrez-lui vos douleurs et le reste, la suppliant d'en glorifier son divin Fils et qu'il vous rende digne d'être un jour son épouse par la sacrée profession religieuse et que, dès ce moment, vous Soyez une véritable fille d'une Mère si admirable et si pleine de bonté. Demandez-lui tous vos besoins et vous [serezl consolée d'être assurée qu'elle ne vous abandonnera jamais, si vous ne l'abandonnez vous-même, par quelque infidélité volontaire : je la prie de tout mon coeur que ce malheur ne vous arrive jamais.

Prenez donc courage, ma chère petite nièce, et me croyez toute à vous en l'amour de Jésus et de sa très Immaculée Mère.

no 984 P 120

de Saint-Dié, ce 19 décembre 1679

Monsieur et très cher oncle,

Comme je vois que vous êtes en peine de savoir si nous avons reçu trois de vos lettres, par la dernière que vous nous avez fait l'honneur de nous écrire, j'ai cru ne vous y devoir pas laisser plus longtemps et vous dire que l'ordinaire a été retardé ; il y a eu plusieurs personnes qui ont été prises à ça. N'en soyez pourtant plus en peine, mon cher oncle, nous les avons reçues et voyons, par icelles, le désir-que vous avez de nous obliger. On ne saurait le faire accompagné de plus de vigilance, ni de mon côté, en concevoir des sentiments de reconnaissance plus véritables et plus forts ; aussi je souhaiterais que mon père eût pris la résolution de poursuivre cette charge, mais il craint la grande dépense. J'appris hier par Monsieur Boucquenomine, mon cousin, une nouvelle qu'il faut que je vous apprenne : sur ce sujet il reçut une lettre de sa soeur, Mademoiselle Redouté, qui lui mandait que Monsieur Redouté avait encore parlé à Monsieur l'Intendant au sujet de ladite charge pour mon père, et qu'il lui avait dit que, si mon père la voulait poursuivre, il croyait qu'il la gagnerait, s'il voulait plaider. Il donnait même à entendre qu'il lui conseillait de le faire. On ne sait que penser de cela après ce qu'il a fait pour Glatigny. C'est de l'intendant dont je vous parle, qui a dit ce que je viens de vous écrire à Redouté. Si d'aventure on voit que la guerre finit, je sais un homme qui est à Saint-Dié, greffier, qui pourra bien prendre soin de vos affaires, je lui en parlerai encore et vous en donnerai des nouvelles. Il n'est pas

382 CATHERINE DE BAR

encore assuré d'y demeurer, mais je ne l'en vois pas éloigné, parce qu'il y est marié et y demeure actuellement on est bien embarrassé présentement de ne savoir positivement à qui on sera, cela vaut bien des mesures.

Il faut que je vous dise encore derechef que je suis bien fâchée de voir perdre la charge de mon père, qui le sera, parce que mes père et mère ne se résolvent à rien sur ce chapitre. Ne laissez pas encore lever les oppositions, mon cher oncle, traînez les choses le plus à la longue que vous pourrez, je vous serai bien obligée. Etant, Monsieur et cher oncle, votre très humble et obéissante nièce et servante,

Gertrude de Vienville

Mes père et mère vous saluent, et Madame ma chère tante, pour laquelle j'ai tous les respects du monde, ma soeur n'en a pas moins.

Si vous l'agréez, mon cher oncle, nous vous offrons cette charge et vous en donnerons une démission : donnez-nous une réponse, s'il vous plaît, au plus tôt, afin que nous vous puissions envoyer les papiers nécessaires pour solliciter, il ne faut pas permettre que cette charge sorte de notre famille (1). Conseillez-nous un peu et nous dites à combien peut monter la dépense, si on avait envie de la faire.

A Monsieur de Lhuillier

Ecuyer de Son Altesse Royale

Madame la Duchesse de Guise

au Luxembourg

Faubourg Saint-Germain à Paris

LETTRES INÉDITES 383

1) De son second mariage avec Marguerite Guion ou Guillon de Padoux (Vosges) Jean de Bar eut quatre filles et un fils. L'ainée Marguerite née le 4 mars 1609 a épousé Dominique Lhuillier de Spitzemberg, né à Moyemont; lieutenant du duc de Lorraine, Prêvot chargé de la défense de la ville de Saint-Dié, gouverneur des portes et du château en 1630. Il est colonel d'infanterie, gouverneur de Bitche, Hombourg, Neufchateau, Landsoul en juillet 1655, commandant d'un des quatre régiments du duc Charles IV en 1661. Le duc l'avait annobli le 17 janvier 1646 pour les services éminents rendus au duché, sa bravoure et sa loyauté.

De ce mariage Lhuillier - de Bar, il y eut quatre enfants 1) un fils Nicolas, hérite du titre ; il est écuyer ordinaire de son Altesse Royale Madame la Duchesse d'Orléans et épouse Charlotte Thérèse de Castres (contrat par devant notaire au Châtelet à Paris le 14 janvier 1670). Du mariage Lhuillier de Castres naitront quatre enfants. Une de leurs filles : Catherine sera religieuse à l'abbaye Bénédictine de Malnoue (cf, lettres du 21 et 30 juillet 1696).

2) La fille ainée de Dominique Lhuillier : Françoise,- 26 juin 1629 + 1685 (probablement) (cf. lettre du 14 février 1685), a épousé le 7 février 1652 à Clefcy (Vosges), Claude Gaulthier de Vienville, + 22 mars 1680 à Sainte-Croix de Saint-Dié. maître ès arts, licenciés ès droits, seigneur de Frémifontaine et de Vienville, gentilhomme ordinaire de la maison de Gaston d'Orléans. Il hérite de la charge de son beau-père comme Prêvot de Saint-Dié .de 1652 à 1660, date à laquelle la charge de Prévôt fut supprimée et .remplacée par celle de Bailli. De ce mariage Gaulthier de Vienville - Lhuillier, naquirent trois filles. celles que Mère Mectilde appelle le plus souvent ses nièces et qui sont ses petites nièces : a) Gertrude, née le 15 janvier 1657. Sa tante Marguerite Lhuillier-de Grand Maison a été marraine pour sa grand-mère Marguerite de Bar-Lhuillier. Il est fait mention d'elle à la bénédiction des cloches de la paroisse de Vienville en 1730. Elle demeurait habituellement au monastère de la rue Cassette. Elle est décédée le 28 août 1733 à Saint-Dié. b) Marguerite, née le 2 novembre 1658 + le 12 février 1727 à Rambervillers ; et qui épousa le 3 juin 1686 Jean-François Humbert comte de Gircourt conseiller du Roi au bailliage d'Epinal, décédé à Nancy en 1754. c) Catherine , née le 1 7' mars 1660, décédée rue Cassette en 1747. Mère Mectilde était sa marraine.

Le colonel Lhuillier avait toujours été un loyal serviteur de son Souverain le duc de Lorraine. Son .gendre Claude Gaulthier de Vienville avait reçu les lettres patentes pour succéder à son beau-père en la charge de Prévôt de Saint-Dié le 3 août 1653. La guerre de Trente ans allait ouvrir une nouvelle ère de dévastation en Lorraine. Les troupes du roi de France, celles du duc de Lorraine au service de l'Empire, leurs alliés, passent et repassent sur son territoire. Comme son beau-père Claude Gaulthier reste fidèle à son souverain, sans toutefois s'engager dans l'armée. C'est pourquoi les intendants délégués par le roi de France cherchent à le destituer de sa charge. Depuis 1660, les charges de Bailli et Prévôt sont suspendues ou exercées par des officiers subalternes. Cependant le 30 juin 1671, il prête serment devant le Sieur Commissaire et obtient un arrêt du Parlement de Metz qui le fait rentrer dans sa charge.

Les lettres échangées de 1671 à 1676 entre Gertrude de Vieuville, demeurant à Saint-Dié, son oncle Nicolas Lhuillier demeurant à Paris, au Luxembourg, et son père Claude Gaulthier de Vienville d'une part. Le mémoire rédigé par ce dernier d'autre part, nous montrent que Claude Gaulthier a fait tout ce qui était en son pouvoir pour conserver la charge dans la famille Lhuillier de Vienville. Plusieurs lettres adressées par Claude Gaulthier de Vienville à «Madame Sa Tante» prouvent que Mère Mectilde du Saint-Sacrement de Bar prenait une part active à tous les évènements de sa famille. Cf, Arch. Nat. 98 AP et renseignements fournis par Mr Marande, Président du Cercle Généalogique de Lorraine. à Nancy et Mr Ronsin, conservateur de la Bibl. Mun. de Saint-Dié.

h .

384 CATHERINE DE BAR

LETTRES INÉDITES 385

A LA MÈRE AUGUSTINE GENET (1)

Ma très chère Mère, le 19eme septembre 1654 [?]

Jésus dans le Très Saint Sacrement soit notre consommation !

e vous fais ce mot en hâte, venant présentement de recevoir l'hon-

neur des vôtres, en date du 25eme de mai, avec une très grande consolation car, encore bien que mon silence paraisse grand par la rareté de mes lettres, vous n'êtes pas moins dans mon coeur, et je serais une ingrate si je vous oubliais jamais. Les petits embarras que la Providence nous a donnés par ce. petit établissement m'ont réduit dans l'impuissance de m'acquitter de mes obligations à l'endroit de votre chère personne et beaucoup d'autres qui se plaignent bien justement de moi. Et nonobstant que je vois en cela mon défaut, je n'ose promettre d'y apporter remède pour deux raisons : la première, par la continuation des petites affaires qui m'occupent ; la seconde, pour une très grande incapacité et stupidité d'esprit où je suis tombée, qui ne me fournit pas les talents nécessaires pour satisfaire à ce que je dois et' dont il faut que je souffre l'humiliation, que j'accepte, ce me semble, de bon coeur, dans la vue et la tendance de mon anéantissement dans toutes les créatures, où je dois prendre mes délices puisque c'est l'état qui me rendra plus purement à Dieu. O ma très chère Mère, que c'est une grande grâce de sa bonté de nous réduire dans le centre de notre néant ! Hélas ! s'il nous laissait agir de nous-même selon les instincts même de notre profession, combien d'amour-propre sous prétexte de le glorifier ! J'ai trouvé un trésor de grâce et de miséricorde caché sous le total abandon de nous-même à la conduite adorable de Jésus Christ ; et, en cette disposition, les événements de son amoureuse Providence sont si aimables que par 'eux nous sommes plus liées à lui, et nous trouvons une séparation des créatures et de nous-même quasi insensiblement. Plût à Dieu que toutes les âmes qui tendent à la sainte perfection voulûssent goûter ce cher et précieux abandon ! Je sais que d'abc:nad il ne plait à la nature ni à l'esprit humain, mais dans la suite il devient si suave que l'âme s'étonne de son aveuglement. Or cet abandon nous conduit dans le bienheureux néant de toutes choses, et quand l'âme [en est] arrivée là, elle ne se trouble plus de rien, tout lui devient indifférent, ne vivant plus pour elle ni par-elle-même, mais toute en Jésus Christ et pour Jésus Christ. Vous le savez infiniment mieux que moi, ma chère Mère, puisque Notre Seigneur vous a fait la

(1) Religieuse de la congrégation Notre-Dame d'Epinal (Vosges). Née à Toul, orpheline de bonne heure, elle est élevée par son oncle, bourgeois d'Epinal, et confiée par lui à une « pieuse dame de Saint-Dié », qui ne peut être .que Claude Clément, soeur de Marguerite Clément, épouse de Nicolas Genay, le tuteur et probablement son oncle. Elle entre à la Congrégation Notre-Dame en 1623 et fait profession en janvier 1626.

grâce de vous attirer à son amour; et qu'il y a si longtemps que vous êtes dans les usages des souffrances et des croix, qui est l'unique et plus efficace moyen de s'unir parfaitement à Notre Seigneur Jésus Christ. Souvenez-vous de ma misère devant lui et m'obtenez la grâce du total anéantissement, et que je sois abjecte, morte et toute anéantie dans les créatures, et que Dieu seul soit en moi et en toutes les âmes qu'il a créées pour lui.

Je vous prie en son amour de croire que je suis toujours dans la même affection pour vous, et dans un très grand désir de vous servir. Mandez-moi en quoi je le puis faire et je vous assure que je n'y manquerai pas moyennant la grâce de Notre Seigneur. Je crois que notre bonne Mère Sous Prieure vous aura mandé quelque chose de notre petit établissement : je l'en ai priée. Nos obligations y sont si grandes, puisque non seulement nous devons être continuellement devant le Très Saint Sacrement jour et nuit, mais encore que nous sommes obligées de vivre de la vie cachée et anéantie de Jésus dans l'hostie. Voyez ce qu'il est dans son divin et adorable Sacrement ! Il nous faut l'imiter autant qu'il nous sera possible, tant dans le silence, solitude, anéantissement, que dans ses états d'opprobres et de mauvais traitements par les mépris et impiétés que les créatures qui font souffrir. Je vous dirais beaucoup d'autres choses si je m'étendais jusqu'à où nos obligations nous portent. Cette petite maison n'est pas un monastère d'éclat mais de piété et de néant, par conformité à Jésus tout caché et anéanti dans le Très Saint Sacrement. Priez-le, ma chère Mère, qu'il nous en donne la grâce, et que nous soyons rendues dignes de mourir dans la véritable qualité de victimes du Très Saint Sacrement. Je vous promets association à tout ce que la grâce nous fera faire devant sa très adorable Majesté abaissée sous les espèces, et à tous les biens généraux et particuliers de la maison, etc... Priez bien Notre Seigneur que je ne profane point céans sa gloire au lieu de la réparer. Je voudrais bien rendre mes respects à la Révérende Mère votre digne Supérieure, mais il faut que ce soit pour.une autre fois. Il y a longtemps que je n'ai été capable de faire une lettre si longue. Il y a plus de deux mois ou dix semaines que je suis dans une langueur de fièvre et de faiblesse de poitrine qui m'a pensé faire mourir au mois d'août dernier. Vous diriez souvent que je meurs sans ressource, n'ayant quasi ni force ni vigueur, mais, nonobstant ma lâcheté, le Bon Dieu me fournit des forces pour mes observances, mais c'est tout ce que je puis faire quelquefois. Il faut traîner sa pauvre vie et se réjouir d'en voir la consommation quand il plaira à Notre Seigneur.

A Dieu, ma toute chère et bonne Mère, croyez-moi en son amour autant jamais ...

no 1742 P101

386 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 387

DU MONASTÈRE DU ST SACREMENT DE PARIS

Ma très chère Mère. Le 21 juillet 1660

ae petit mot est pour vous assurer que j'ai fait tenir à Nancy les quatre pistoles que je vous ai promis et sont entre les mains de Mr Chassel depuis un mois ou six semaines ; ayez la bonté de les envoyer prendre chez lui, en lui faisant voir le billet ci-joint pour l'obliger à vous les délivrer. Je fais ce que je peux pour apprendre des nouvelles des parents de Madlie Barillouis. Si cette petite dame est arrivée à Remiremont, il faudrait voir les personnes qui l'ont amenée, s'ils peuvent donner quelques instructions sur ce sujet ; et s'il y avait grande sûreté, je crois qu'on ne ferait pas mal de l'exposer. Néanmoins il faut être dans la dernière circonspection à cause du hasard et péril évident, à moins d'une protection toute singulière de la bonté de Dieu. Le voyage est long, de plus on ne connaît pas le monde à qui on la confie. Ayez, ma très chère Mère, la charité entière pour elle, qui est de vous en bien informer et assurer ; s'il y avait quelque vertueuse dame, on pourrait mieux l'y confier. Cependant nous l'aiderons de notre possible, mais ce ne sera jamais jusque au degré qu'elle désire, ni que je voudrais, à raison de mon impuissance. Et quand je fais réflexion que je mourrai peut-être bientôt et qu'elle ne sera point pourvue, j'en suis fort en peine, quoique je la présente à Notre Seigneur et à sa très sainte Mère, qu'elle doit bien prier et se mettre incessamment sous sa protection. Je vous prie tenir la main qu'elle apprenne les moyens de se sauver. Voilà le principal et ce que j'ai plus de passion qu'elle sache bien ; au reste elle ne doit point prétendre de réussir à Paris, car outre que les bonnes conditions sont très rares, il faut des qualités pour servir maintenant, bien plus grandes et extraordinaires que du passé. Les Dames se font servir d'une étrange manière, et ce que je trouve de pis, c'est que le péril y est très grand : cela ne se peut dire ni penser ce que l'on apprend tous les jours de ces effroyables et infernals effets. Il vaut mieux être pauvre et se sauver, que d'être brave et jolie, pour se damner. Néanmoins si je pouvais lui procurer quelque petite chose pour la marier, puisqu'elle n'a point de vocation, je le ferais de tout le coeur. Vous nous ferez la grâce de nous mander tous vos sentiments là-desàis.

Nous avons reçu plusieurs de vos chères lettres, ma très aimée et très chère Mère, mais il m'est impossible d'avoir la chère et douce consolation de vous écrire aussi souvent que je voudrais. Croiriez-vous qu'il y a plus de sept mois que je n'ai pas écrit un pauvre mot à notre Révérende Mère Prieure de Rambervillers, ni à aucune de nos Sœurs. Je ne le puis ; vous seriez étonnée de voir mon petit travail, tant au dedans qu'au dehors de la Maison. Et quoique je ne fasse rien qui vaille, on ne me veut point décharger de n-ion poids. Cependant mon âme y languit et voit que je n'y fais pas le bien qu'on pense. Priez un peu le bon Dieu pour cela, et surtout qu'il me fasse la miséricorde de mourir en son amour.

Je ne mis rien dans le paquet des livres, parce que nous avions eu un paquet pillé près de Saint Nicolas [de Port] un peu avant que je vous les envoyais. Je n'oublie point la pauvre Françoise et si sa pauvreté presse, je vous supplie que si quelqu'une de vos amies la peut assister d'une pistole, je vous promets qu'elle vous sera rendue par les Mères Annonciades de votre ville, qui sont venues à Paris, pour y trouver du secours pour leur communauté ; mais les aumônes sont à présent si petites qu'elles en sont extraordinairement surprises et tout affligées. Nous tâchons de les servir : c'est où je ne puis réussir ; on ne veut plus ouïr parler de la pauvreté des monastères de Lorraine. Les bonnes Mères ne seront pas trop riches à leur retour, si Dieu ne fait quelque coup de sa puissance sur les coeurs qui les peuvent secourir.

Si vous aviez affaire de quelque chose, il faudrait pendant trois semaines qu'elles seront encore ici que vous nous le mandiez promptement par un mémoire détaché d'avec vos chères lettres.

Je continue à faire rechercher la «Science des Saints» (1) et quoiqu'il soit comme impossible de le trouver, j'espère néanmoins dans la suite des temps le rencontrer, ou à Paris, ou ès villes de France où on imprime. J'ai donné ordre pour cela. Je suis mortifiée de ne pouvoir rendre ce petit service à la très Révérende Mère Supérieure que je salue très affectueusement, et toute votre sainte Communauté, que j'aime d'une amitié toute singulière. On dit que les premières affections sont bien fortes ; je le vois par expérience : vous êtes et votre sainte Maison, les premières dans mon coeur et pour qui j'ai eu de plus forts attrait d'être religieuse, quoique Dieu ne l'a pas voulu ; cependant mon affection ne s'en est point retirée, et tant que je vivrai je vous aimerai chèrement, et toute la Communauté me sera chère, et j'aurai affection de la servir. Je vous supplie d'en assurer toutes les chères Mères et Soeurs qui la composent et en font le nombre ; je nie recommande à vos saintes prières ; je ne dois point vous dire que ma santé est bonne : elle est fort variable parmi tous les tracas, mais soutient tout ; nOi1S nous abandonnons toute à lui. Et en lui je suis toute à vous

Sr Mectilde du Saint Sacrement

A La Révérende Mère,

La Révérende Mère Augustine Genest,

Assistante au Monastère de la Congrégation

A Epinal

no 148 Autographe

(1) Ce volume a paru en 1638 à Paris chez Cramoisy. L'auteur, François Poirey, S.J. est né à Vesoul en 1584. Recteur de la maison profès de Nancy. puis du collège de Lyon et de Dôle, il meurt à Dôle en 1637.

388 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 389

1

RÉSUMÉ DU MÉMOIRE (I) ENVOYÉ À ROME PAR MÈRE MECTILDE

le 15 janvier 1658

En 1632, Soeui- Mectilde du Saint Sacrement, supérieure du monastère nouvellement fondé au faubourg Saint Germain à Paris, alors agée de 17 ans, entre au monastère des religieuses de l'Annonciade rouge, de l'Institut de la Bienheureuse Jeanne de France, sous la direction des Pères Cordeliers, au bourg de Bruyères en Lorraine, diocèse de Toul, où elle fait profession solennelle. Mais, au 2e ou 3e an après cette profession, ledit monastère, non encore suffisamment doté, à cause des guerres qui ont ruiné et perdu toute la Lorraine, est entièrement brûlé et pillé. Les religieuses sont obligées de se retirer soit chez leurs parents, soit chez leurs amis et bienfaiteurs,le pays étant rempli de cruels soldats et brigands. La Mère de Saint Jean ne voyait aucun moyen de rebâtir son monastère, ni de pouvoir vivre ailleurs régulièrement et ensemble avec ses sœurs. La guerre si longue l'empêche d'envoyer à Rome pour en obtenir une dispense. Cherchant la perfection de sa vocation, elle a consulté des hommes de grande piété, doctrine et expérience. Il n'y avait point d'autre monastère dans toute la province où elle pût subsister. Alors l'évêque de Toul (2), lors vivant, et le vicaire général, et plusieurs pieux et savants religieux lui persuadent que non seulement elle peut, mais qu'elle doit entrer dans un ordre plus parfait et plus austère. Elle a demandé la permission à son supérieur provincial (3), d'entrer dans le monastère de la Conception de Notre-Daine au bourg de Rambervillers, diocèse de Toul, de l'Ordre de Saint Benoît, de l'étroite observance, auquel ladite Règle de Saint Benoit est observée exactement, avec la lettre, la clôture, et l'abstinence perpétuelle de chair et de linge.

Le Père provincial ne veut pas donner la permission ; alors le vicaire général (4) de Toul, supérieur légitime et ordinaire du monastère de la Conception, la lui accorde, ainsi que le pouvoir à la Mère Prieure d'iceluy de reèevoir la Mère Mectilde et de lui bailler l'habit de Saint Benoit, avec l'entrée au noviciat. Après un an entier et huit jours, avec la même licence autorité et pouvoir du même vicaire général (le siège épiscopal vacant), du consentement de toutes les religieuses, sans opposition quelconque que l'on sache, soeur Mectilde fait publiquement et solennellement profession, en 1639, de l'étroite observance de la Règle de Saint Benoit à Rambervillers. Par obéissance, elle a exercé presque toutes les charges dudit monastère, jusqu'à environ sept ans, qu'elle a été envoyée supérieure en un autre monastère du même ordre, qu'elle a gouverné trois ans entiers, ensuite supérieure en son propre monastère par le consentement universel de tout le convent. Elle est conduite à Paris, pour la fondation, érection et direction dudit monastère nouvellement établi au faubourg Saint Germain à l'honneur du très Saint Sacrement de l'autel, duquel elle est supérieure depuis environ sept ans qu'il a été fondé.

Ce monastère [avait été] fondé à la sollicitation et grâce à la dévotion de la reine, ainsi que par la pieuse libéralité de quelques autres grandes et vertueuses daines. Sous prétexte que ce changement d'ordre n'a pas été fait par l'autorité apostolique, on voudrait révoquer en doute ce qui a été fait par la suppliante, au grand scandale des religieuses qu'elle a reçues aux trois monastères qu'elle a gouvernés conune supérieure...»

CERTIFICAT DU VICAIRE GENERAL DE TOUL

«Nous, François Caillier, licencié aux droits, pronotaire de ladite Eglise romaine, chantre et chanoine de l'Eglise de Toul, vicaire général de Monseigneur André du Saussai, évêque et comte de Toul, prince du saint Empire romain...

Fait à Toul, en notre hôtel, le 7 janvier 1658... Contresigné : D. Lestang».

AUTRE CERTIFICAT

«Nous, Dom A rsène Mathelin (5), abbé de Saint-Airy, en la cité de Verdun, et Président de la Congrégation de Saint-Vanne et de Saint-Hydulphe, ordre de Saint Benoit, Dom Pierre des Crochets (6), prieur du monastère de Saint-Clément, en la cité de Metz, et Dom Henry Hennezon (7), prieur du monastère de Saint-Evre en la cité de Toul, visiteur de ladite Congrégation... Fait à Verdun, en notre abbaye de Saint-Airy, le 15 janvier 1658».

(1) Ce résumé a été rédigé par Dom Alphonse Pothier (+ 1907).

(2) Charles Chrétien de Gournay était évêque de Toul en 1636 - 1637. Le siège ensuite fut vacant jusqu'en 1645.

(3) Frère Jacques Saleur. ministre provincial de la province de France parisienne.

(4) Monsieur Midot. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 16, note 16.

(5) Profès à Moyenmoutier (Vosges) le 15 août 1617, fut deux fois visiteur et treize fois président de la Congrégation de Saint-Vanne de 1639 à 1670. 11 mourut à Saint-Vincent de Metz le 9 février 1671. Cf. Dom Martène, op. cit. , t. IV, 1930. p. 120.

(6) Né à Verdun, profès de Saint-Evre le 15 juin 1624. prieur d'Haréville en 1636. prieur de Saint-Martin des Champs de Paris en 1660. 11 mourut à Saint-Arnould de Metz le 14 juin 1672. Il communiqua ses mémoires aux auteurs de la G allia Christianci. qui les utilisèrent. On trouve des notices qu'il a rédigées sur Saint-Arnould de Metz et plusieurs autres abbayes aux Arch. Dép. de Metz. ms. 813 ; Epinal, mss. 35 - 36 ; Bibi. Nat., Nouvelles acq. fr. 3669, f. 863 - 906. Cf. J. Godefroy. op. cit., p. 66.

(7) Profès de Noutroland, le 8 juillet 1635. fut prieur de Saint-Evre et du Brduil, puis abbé de Saint-Avold en 1660. et de Saint-Mihiel en 1666, où il mourut le 20 septembre 1689. après avoir été président de la Congrégation de Saint-Vanne sept fois de 1667 à 1688. Cf. J. Godefroy. op. cit., p. 112-113.

Il exerça une influence profonde et heureuse sur le Cardinal de Retz, retiré à Commercy, et l'assista à sa mort, survenue le 24 août 1679. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 272.

390 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 391

BREF DE NOTRE SAINT l'ÈRE LE PAPE ALEXANDRE VII

• «... donné à Rome, à Sainte Marie Majeure, ... ce 20 septembre 1660, l'an sixième de notre pontificat. Signé : H ugolin...»

Grâce à ce bref, la Mère Mectilde, le 26 juin 1662, obtint des lettres du roi. par lesquelles il fut reçu en France, et son changement d'ordre fut autorisé par sa Majesté.

Après la publication du bref et des lettres du roi, les Pères Cordeliers gardèrent le silence et digérèrent leur peine en secret ; dans la suite, ils donnèrent aussi leur consentement par un écrit, dont voici le contenu :

«Nous, frère Laurent de Chars, de l'ordre des frères mineurs de l'observance régulière de la province de France parisienne réformée, à notre très chère Fille Mectilde du Saint Sacrement, autrefois professe de notre monastère des Annonciades de Bruyères, de l'évéché de Toul, et maintenant professe et supérieure du monastère des religieuses Bénédictines du fauxbourg Saint Germain lez Paris, sous le titre du Saint Sacrement... Donné à Paris en notre monastère de l'Ave Maria le 20 mars 166.... Signé : frère Laurent de Chars, ministre provincial».

LES LETTRES DE MÈRE MECTILDE

Les lettres publiées dans ce volume sont conservées dans les archives de nos monastères à l'état de copies. La plupart ont été recopiées plusieurs fois soit dès le XVII" siècle, soit ensuite. Une eude comparative de ces textes nous a permis de découvrir les copistes les plus fidèles et de retrouver avec un maximum de certitude le texte de Mère Mectilde et sa pensée authentique.

Nous avons indiqué au bas de chaque lettre le numéro de ce texte correspondant à sa fiche alphabétique employée dans nos monastères.

Les lettres adressées à la duchesse d'Orléans - 'ère partie - sont données d'après les manuscrits N 267 et P 110 décrits ci-après.

Les Annales du monastère de Toul - 2ème partie - proviennent du Journal » de ce monastère, rédigé par la secrétaire du chapitre.

La majeure partie des lettres à la Lorraine - 3ème pàrtie - ont été empruntées au wanuscrit L 14. Toutes les lettres qui ne portent pas de désignation d'origine proviennent de ce voluZéLes autres se répartissent en une dizaine de manuscrits dont nous ne décrivons que les plus interessants. Chaque volume est coté par une lettre, désignant son monastère d'origine, même si cette maison n'ex-iste plus depuis très longtemps, et un chiffre. numéro d'ordre dans les archives de ce monastère.

Lettres à Marguerite de Lorraine, duchesse d'Orléans.

Les manuscrits N. proviennent du monastère de Toul. réinstallé à Saint-Nicolas-dePort après la Révolution, et où se regroupèrent les survivantes des trois monastères lorrains.

N 267 = Volume du XVI I" siècle de 163 x 110 mm., relié cuir. de 247 feuillets dont 241 seûlëment sont foliotés recto. A l'intérieur de la couverture se trouve cette inscription :

« Loué soit le très St Sacrement. A l'usage de la Révérende Mère Marie Anne de Ste Madelaine Prieure ». 11 y a de très fortes chances pour que ce manuscrit ait appartenu à la Mère Prieure de Toul, que nous recontrerons très souvent au cours de la troisième partie de ce livre. C'est un manuscrit très fidèle. Nous y avons pris aussi un grand nombre de lettres adressées à la « Lorraine ».

P 110 = En provenance du premier monastère de Paris, rue Cassette. Manuscrit du XVII° sléclé de 190 x 140 mm., relié cuir avec fermoir de cuivre, 386 pages. Il a été complèté. au XIX" siècle, par quelques lettres manquant à la série. D'une écriture très fine, peu courante parmi nos copistes, il est un témoin fidèle. Toutes les lettres à la duchesse d'Orléans sont prises dans ces deux volumes. Les titres placés en tête de certaines lettres appartiennent très probablement à la copiste. Leur ancienneté nous les a fait conserver.

Les lettres de la troisième partie sont prises dans les manuscrits suivants :

P 1 = Volume des autographes de Mère Mectilde. 11 contient 107 lettres autographes, FeTrées en parchemin de 235 x 180 mm., adressées en majorité à la Mère Prieure et à des religieuses du second monastère de Paris, rue Saint-Louis au Marais. Plusieurs lettres ont conservé, au dos, l'adresse de la destinataire que nous avons reproduite en fin de la lettre imprimée. On distingue parfois des traces du cachet personnel de Mère Mectilde. Ces lettres sont en très bon état de conservation. Malheureusement elles ont été raturées, en quelques endroits, à une date postérieure. Il n'a été que parfois possible de rétablir le texte original.

L 14 = En provenance de l'abbaye Saint-Louis du Temple, de Limon. qui a bien voulu nous le prêter pour préparer cette édition. C'est un volume de 260 x 160 mm., de 183 pages contenant 55 lettres adressées au monastère de Rambervillers. Au crayon sur la page de garde se lit « Rouen - 1851 ». L'écriture et l'orthographe font penser à une copie du XVIII" siècle. Cependant nous avons là un manuscrit très fidèle et qui cite presque toujours les noms de personne et de lieu, omis dans les autres. C'est pourquoi nous l'avons utilisé comme base de travail.

P 104 bis = Manuscrit du XV11° siècle de 173 x 114 mm., 594 pages numérotées, relié cuir, iihWEErs jaspées. L'écriture extrêmement fine et serrée, de myope, ne se retrouve pas

392 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 393

dans d'autres manuscrits. Comparé à d'autres manuscrits dont on connait l'exactitude. il s'est révélé une copie fidèle. Revu au XIX" siècle, il a été complèté par des notes intéressantes.

P 101 = Gros in-folio cartonné noir de 325 x 215 mm., 1023 pages. Il donne la biographie de Mère Mectilde rédigée par sa nièce, Mademoiselle Gertrude de Vienville. La lettre d'approbation du chanoine Simon Gourdan ( de l'Abbaye de Saint Victor ) datée de 1701. permet de fixer la fin de cette rédaction au tout début du XVII I" siècle. Le volume a été complété au siècle dernier en y ajoutant des lettres de Mère Mectilde à Monsieur de Bernières, d'après un manuscrit du monastère d'Arras et insérées à leur date en cours du volume. 11 y a donc une double pagination : celle de la rédactrice primitive en haut de page et une autre moderne. au crayon. C'est cette dernière que nous utilisons. Nous n'avons pas la preuve que ce volume soit bien celui qui a été écrit par Mademoiselle de Vienville. Il n'en est peut-être que la copie. Mais c'est alors une copie contemporaine de l'original si l'on en juge par l'écriture et l'orthographe.

Cr C = Manuscrit du XVII" siècle appartenant actuellement au monastère de Craon et provenant de celui de Rouen. Volume de 165 x 112 mm., 782 pages, relié cuir, avec deux fermoirs de cuivre. Ce recueil a été copié par Mère Monique des Anges de Beauvais. Elle a été une copiste extrêmement fidèle. Durant son priorat rue Cassette (1713 à 1723) elle a pu vérifier sur les originaux et rectifier ses copies. Lorsqu'elle n'était pas certaine de sa lecture ou qu'un passage était une citation non signalée par Mère Mectilde, Mère Monique l'indique. La pagination est très défectueuse, mais le manuscrit est de toute première valeur.

N 254 = Manuscrit du XVII" siècle, de 192 x 145 mm., relié cuir, composé de deux parties. rrrere contient 312 pages, la 2ème, 309 pages. Ce manuscrit est lui aussi de la main de Mère Monique des Anges de Beauvais ainsi qu'elle l'explicite elle-même. Elle ajoute page 6 : « J'avertis que toutes les lettres qui sont dans ce livre ont été tirées sur les originaux de Mère Mectilde ». Sur la page de garde on peut lire « Madame Rozières » et, en dessous, d'une autre écriture : « ce livre m'a été donné par la Mère Alexis Dame religieuse du Très saint Sacrement de la maison de Nancy le 24 juin 1799 ». La Mère de Saint Alexis était dépositaire au monastère de Nancy et signa à ce titre la remise des livres de compte aux commissaires gouvernementaux, le 16 Juillet 1790.

N 261 = Manuscrit du XVII" siècle, volume de 182 x 130mm., 455 pages, relié cuir, copié en trois parties. En haut de la première page est inscrit : « à l'usage de Soeur Marie Monique des Anges de Beauvais ».

B50à = Appartenant au monastère de Bayeux, volume de 215 x 150 mm., relié cuir, dorure au dos, 569 pages numérotées; puis quarante pages d'une autre écriture et qui ne sont pas des textes de Mère Mectilde.

T 5 - T 8 = Ces volumes appartiennent au monastère de Tourcoing. Ce sont de gros registres, 280 x 185 mm., reliés en carton noir et rouge. Au siècle dernier, Monseigneur Hervin a recopié sur ces registres tous les textes de Mère Mectilde qu'il a pu retrouver. Sur la page de droite, il a copié le texte d'un manuscrit et, sur la page de gauche, il signale

les divergences avec les autres manuscrits qu'il a pu consulter. C'est un travail très

important et fort intéressant en raison de cette concordance entre les divers textes. Malheureusement, Monseigneur Hervin n'a pas toujours eu connaissance des meilleures sources, mais il reste, en certains cas, le seul témoin de textes perdus actuellement.

En editant ces lettres nous avons toujours respecté le texte original. Seules ont été modifiées l'orthographe et la ponctuation, trop archaïques. Lorsque la lecture nous a paru trop peu claire, nous avons ajouté quelques mots entre crochets dans le texte. Nous n'avons jamais indiqué la signature de Mère Mectilde, qui n'a pas de raison d'être, excepté dans quelques rares cas où cela nous a paru nécessaire pour séparer la fin de la lettre, d'un post-scriptum non indiqué par l'auteur.

Il reste au moins autant de lettres adressées aux religieuses de Lorraine que nous n'avons pas éditées. Nous n'avons retenu, de ce très gros dossier, que les lettres datées, les jugeant plus aptes à faire mieux comprendre la pensée et la personnalité de Mère Mectilde et l'histoire de son oeuvre.

INDEX DES NOMS DE PERSONNE ET DE LIEU

Abréviations employées

A.P.S.S. = adoration perpétuelle du (Très) Saint Sacrement

b. = bénédictine m. ^ monastère

C. = couvent pr. • professe

I. = lettre r. • religieuse (ou religieux)

M. = Mectilde de Bar s.c. = sœur converse

AGNÈS DE SAINT-PIERRE (Mère), pr. du c. des Annonciades de Bruyères, 1.41 (compagne de M.).

AGNÈS (La M.), r. b. de St Nicolas, 1.222 (élue prieure de Rambervillers, s'en retourne à St Nicolas).

AGNÈS (La M. - ou Sainte) [ ROLIN 1, r. b. APSS, 11.252 (1. de -, supérieure du m. de Nancy, à M., 2.XII.65).

AIGUILLON (Duc d'), 11.353-354.

A 1G U I L LON (Marie-Madeleine de) V IGNEROD (duchesse d'), bienfaitrice de l'Institut, [1.328 et n.3 (service célébré à sa mémoire, I. de M., 9.X.75).

AIGUILLON (Marie-Thérèse de) V IGNEROD (duchesse d'), nièce de la précédente, 11.353 et n.3 (I. de M., 21.X.93).

ALEXANDRE VII, pape, 1.236-306 (28.1 V.70), 11.390 (Bref).

ALEXIS DE JÉSUS, r. b. pr. de Rambervillers, 1.51-52 (s'intalle à l'abbaye de Juvigny).

ALEXIS (Mère), r. b. APSS de Nancy, 11.392.

A lmenèches (Orne, arr. Argentan), abbaye b., 1.57-58-60 et n.16 - 61.

ANCELIN (Marie), voir : BENOIT (Marie de Saint).

ANDRE (Mère Saint), r. b. de Montmartre, 11.304 (I. de M., 29.X1.68), 316 (I. de M., 10.X1.73).

Anet (Eure-et-Loir, arr. Dreux), m. de b., 11.353 et n.2 (projet de relévement, I. de M., 21.X.93).

ANGÉLIQUE DE LA NATIVITÉ [ DEMANGEON 1, r. b. APSS/de Rambervillers, 1.51 (quitte Rambervillers), 58 (à la Trinité de Caen), 64 (maladie et guérison), 66 (à St-Maur, supérieure de la communauté), 307-308 (à Rambervillers, 1666), 322 (à Paris, St-André 54), 11.125 (I. de M. à -, restée à Barberi, 25.11.43 ou 44), 192 (I. coll. à M., 8.V111.60), 195 (communauté de Rambervillers, 9.X[.60), 288 et n.1 [ 289 1 (I. de M. à Dorothée Heurelle, 24.11.67).


[dernière p. 393 des lettres inédites]


Itinéraire spirituel

= Véronique Andral, Catherine de Bar Mère Mectilde du Saint-Sacrement 1614-1698, Itinéraire spirituel, 2e éd. 1997.


ITINÉRAIRE SPIRITUEL

&

ORIGINE DES CONFERENCES

Par Véronique Andral, osb. ap.

1997

Suivi des

ENTRETIENS FAMILIERS

[Par Marie-Catherine Castel, osb. ap.]

1984

Réimpression assurée par D. Tronc, 2016


Depuis une vingtaine d’années, les Bénédictines du Saint Sacrement, en France d’abord, puis en Italie, en Allemagne et aux Pays-Bas, ont fourni un effort remarquable pour faire connaître la pensée de leur fondatrice, Mère Mectilde du Saint Sacrement (1614-1698). La documentation la concernant est très étendue, puisqu’on a gardé des milliers de lettres de la fondatrice, en partie autographes, en partie transcrites par des contemporains. Elle se trouve dans les archives des différents monastères étant ou ayant été membres de l’Institut des Bénédictines du Saint Sacrement, mais également à la Bibliothèque Nationale à Paris et ailleurs. Afin de maîtriser quelque peu cette masse de documents, qui se recoupent en partie, les archivistes du monastère des Bénédictines de Rouen les ont ordonnés en un fichier, ce qui en facilite l’usage et l’exploitation.

Sœur Véronique Andral, du monastère d’Erbalunga en Corse, vient d’écrire un livre, paru également en italien, qui retrace, à partir de ces documents, l’itinéraire spirituel de Mère Mectilde du Saint Sacrement 8. L’auteur avait déjà écrit l’article du D.S. 9 ; et dans le livre de J. Daoust « Mectilde de Bar », un chapitre de sa main rénovait et mettait dans ses justes perspectives la spiritualité de la fondatrice 10. Pendant le XIXe siècle, on avait, en effet, retouché assez profondément, dans un sens doloriste, les écrits de Mère Mectilde. Dans sa contribution au livre de J. Daoust, comme aussi dans l’article du D.S., Sœur Véronique a replacé cette spiritualité. dans la perspective pascale qui lui est propre.

Il est probable que H. Brémond, dans son « Histoire du sentiment religieux », s’est laissé guider par ces éditions du XIXe siècle, jointes à quelques pratiques propres au temps, dans son jugement quelque peu réservé sur Mère Mectilde de Bar 11. Sœur Véronique dissipe cette équivoque.

Son livre est utile à un autre titre : il traduit en français de notre temps des expressions et des termes qui, au XVIIe siècle, avaient un sens différent. À cela s’ajoute que chaque époque connaît ses mots et expressions-slogans qui sont, pour ainsi dire, en l’air et que tout le monde emploie sans en bien cerner le sens précis. En notre temps, liberté, communication, démocratie ou conscience personnelle appartiennent à cette catégorie de mots-slogans. Au XVIIe siècle, pour se limiter au domaine spirituel, réparation, victime, anéantissement ressortent du même genre d’expressions et il est assez délicat, prêtant parfois à un contresens, de s’en servir sans une « traduction » appropriée.

Ceci vaut pour tous les écrits spirituels et mystiques du Grand siècle, d’autant plus que la langue était encore en évolution. Du Bellay, Ronsard et le groupe de la Pléiade avaient, au XVIe siècle, fortement contribué à créer un français noble, une véritable langue. Mais ce n’est pas sans raison que Richelieu, lorsqu’il fonda en 1635 l’Académie française, lui assigna comme première tâche la publication d’un Dictionnaire français.

L’abondance des écrits de Mère Mectilde du Saint Sacrement, aussi bien que la langue utilisée encore en formation, en rendent l’accès peu aisé. Ce livre nous en facilite la lecture. Ce n’est qu’une esquisse, « un essai qui voudrait tracer quelques pistes en vue d’une recherche ultérieure, plus approfondie ». Mais les pistes en sont déjà bien tracées.

On survole, en quelques pages, la jeunesse : naissance à Saint-Dié le 31 décembre 1614, entrée à 17 ans chez les Annonciades de Bruyères, expulsion pendant la guerre de Trente Ans avec sa communauté décimée par la famine et la peste, son élection à 22 ans, en 1636, comme supérieure de ce qui reste de la communauté, que les malheurs du temps conduisent bientôt à l’extinction totale. C’est alors qu’elle entre en 1639 chez les Bénédictines de Rambervillers, où elle fait profession le 11 juillet 1640.

C’est à ce moment que commence la première étape de son ascension spirituelle, caractérisée ainsi : « Vers la mort mystique et la résurrection ». Cette période se clôt au début de 1662. Jusqu’en 1653 la vie reste mouvementée : fuite de Rambervillers à cause de la guerre, séjours à Paris, en Normandie, de nouveau à Paris, d’où elle est appelée comme prieure d’abord à Caen, puis à Rambervillers ; nouvelle fuite de là à Paris, alors que la ville est en pleine ébullition de la Fronde. Cette vie avec ses attaches en différents endroits explique en partie les influences diverses qu’on constate dans la spiritualité de Mère Mectilde : influence bénédictine avec les réformes en Lorraine (D. Didier de la Cour), des Mauristes et de Montmartre à Paris ; influence de la mystique espagnole avec saint Jean de la Croix et sainte Thérèse d’Avila ; influence de l’École Française ; et enfin, celle prépondérante, du groupe de spirituels normands, notamment le Père Jean Chrysostôme de Saint-Lô et surtout Jean de Bernières.

Malgré ces multiples influences, Mère Mectilde connaît sa voie spirituelle bien propre. Elle passe par une purification, « anéantissement », qu’elle résume vers la fin de cette période (le 17 octobre 1657) en six points : « 1. Ne tenir à rien. 2. Aimer l’abandon. 3. Souffrir en silence. 4. Vivre sans choix. 5. Épouser la croix. 6. Se conformer en tout au bon plaisir de Dieu » 12. Cette étape se termine sur une union très intime qu’elle caractérise elle-même comme un passage « en Jésus Christ comme en la source de sa vie ». Cette « néantisation » est plutôt « une transformation de notre nature qui dépasse et accomplit notre être en le faisant passer dans le domaine divin, but de sa création et de sa rédemption dans le Christ » 13.

Une deuxième étape suit alors, qui durera douze ans. On peut dire que, durant ces années, Dieu a pris au sérieux le désir de Mère Mectilde d’être « victime ». Elle se sent alors sous le coup de la justice divine, qui la fait entrer dans ce que saint Benoît écrit au douzième degré d’humilité : « Conscient à toute heure du fardeau de ses péchés (le moine) se voit déjà traduit au redoutable jugement de Dieu ». Dieu forme pour ainsi dire en elle l’état de victime, afin de la libérer plus parfaitement d’elle-même et de la préparer à entrer dans l’union substantielle. Saint Benoit décrit ainsi cette union : « Il parviendra bientôt à cette charité divine qui dans sa perfection chasse dehors la crainte ; ... Alors il agira par amour du Christ... sous l’action de l’Esprit Saint » 14.

Malgré l’union substantielle qu’on peut qualifier de mariage mystique, l’ascension spirituelle de Mère Mectilde continue pour aboutir à sa Pâque au moment de sa mort en 1698. Car, dans notre participation au mystère eucharistique, nous sommes unis à la mort et à la résurrection du Seigneur ; les deux aspects de ce mystère vivent en même temps en nous. Mais, dans notre expérience humaine, c’est tantôt l’un, tantôt l’autre aspect qui l’emporte. Mère Mectilde a donc connu une alternance de souffrances et de consolations. Celles-ci ont parfois une cause extérieure, mais la plupart du temps il s’agit d’expériences spirituelles, par lesquelles Dieu avive l’amour en elle et la rend plus malléable à la perfection.

En chaque étape de sa vie, le mystère eucharistique est vécu très profondément par Mère Mectilde, avec cet aspect de victime qui lui est propre. Nous pouvons penser que ce sont surtout les malheurs du temps (guerres de religion, sacrilèges commis par des soldats protestants) qui ont retenti dans sa vie. N’est-ce pas plutôt un germe de sainteté que Dieu a semé en elle dès sa jeunesse, germe qu’elle a accueilli et que Dieu a fait grandir ? Quoi qu’il en soit, Dieu a pris au sérieux ce que Mère Mectilde lui a offert. Sa vie et son expérience mystique sont à la fois un honneur et une interrogation pour l’humanité et pour chacun de nous : que faisons-nous des grâces reçues ? Quelle place prend dans notre vie, en particulier, le mystère eucharistique, don du Seigneur Jésus à son Église et à chaque chrétien ?

Avant de conclure, disons encore un mot du livre que Mère Mectilde a écrit et fait imprimer déjà de son vivant : « Le véritable esprit des religieuses adoratrices du T.S. Sacrement ». La rédaction en a été commencée durant la retraite de fin 1661— début 1662. Le livre, imprimé dès 1683, a reçu des compléments durant toute sa vie et est passé de 10 à 19 chapitres en la dernière édition. Sœur Véronique Andral montre à plusieurs reprises à quel point ce livre est autobiographique. Une édition moderne, faisant état des divers remaniements, s’impose afin de mieux connaître la vie spirituelle de Mère Mectilde du Saint Sacrement.

Dom Vincent Truijen, osb

Abbé de Clervaux

Feuille des Oblats de Paris et de Clervaux — 1991

INTRODUCTION

Ceci est une esquisse seulement, un « essai » qui voudrait tracer quelques pistes en vue d’une recherche ultérieure plus approfondie. Nous nous sommes contentées de coudre ensemble des textes que nous versons au dossier. Trop et trop peu, car nous sommes en face de documents d’une richesse extraordinaire. Et nous n’avons pu tout explorer.

Grâce à la compétence et à la bienveillance des Sœurs archivistes de Rouen, nous avons pu consulter des vies manuscrites inédites, la correspondance avec Bernières, les « Relations » de Mère Mectilde au Père Chrysostôme et nombre d’autres écrits. Sans compter tous ceux qui ont été déjà publiés. Nous n’avons pu utiliser que les textes datés, cela nous a privées de bien des richesses, mais il fallait choisir.

Tout au long de notre recherche a paru une route, vertigineuse certes, mais cohérente et fidèle à elle-même dans sa progression. Après l’enfance et la vie tourmentée qu’elle connût chez les Annonciades, Mère Mectilde semble commencer la première grande étape de sa vie lors de sa Profession de vie Bénédictine. Elle atteint son som met lors de la retraite de 1661-1662. On pourrait 1' intituler :

« Vous êtes morts et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu ». « Vous êtes morts... mourez donc ! » insiste saint Paul (Col. 3, 3-5). C’est la seule route de la vie. Nous le verrons amplement.

La deuxième étape commence aussitôt et dure douze ans. On pourrait dire que Mère Mectilde a gravi les douze degrés de l’humilité de la Règle de saint Benoît selon laquelle plus on s’abaisse, plus on s’élève. Ainsi, « terrassée » sous le poids de la divine justice, comme le publicain de l’Évangile et le moine de saint Benoît, elle parvient bientôt à l’amour parfait du Christ, sous la conduite de l’Esprit.

Nous arrivons ainsi au sommet de l’union « substantielle » que d’autres nommeraient « mariage spirituel ». Mais l’épouse doit être en tout semblable à son Époux crucifié.

Voici la dernière étape, et c’est encore saint Paul qui paraît bien l’illustrer :

« Offrons notre personne comme une hostie vivante, sainte et agréable à Dieu » (Rm. 12,1) et « nous portons sans cesse la mise à mort de Jésus dans tout notre être afin que la vie de Jésus soit manifestée en nous » (2 Co. 4, 10 ; Ant. Ben. XIIème dim. T.O.).

Ces trois étapes nous parlent de l’unique Mystère qui éclaire toute sa vie : cette route est la route pascale de Jésus-Christ où Il entraîne son Église tout au long des siècles en se donnant à Elle dans son Corps livré et son Sang répandu pour la transformer en Lui-même et continuer, par Elle, le mystère de la Rédemption.

« J’ai désiré d’un grand désir, dit notre aimable Sauveur, de manger cette Pâque avec vous, avant que de souffrir » (Lc. 22, 15).

« Jésus-Christ, dans le Très Saint-Sacrement conserve ce désir, Il n’est pas encore rassasié, Il dira jusqu’à la consommation des siècles : Desiderio desideravi. Et tant qu’il y aura une âme sur la terre capable de sa grâce, I1 sera dans un désir infini de l’attirer à son Amour en mangeant la Pâque eucharistique avec elle... et parce qu’Il nous regarde comme les membres de son corps mystique, Il ne peut être satisfait que nous ne soyons unies et transformées en Lui. Courons donc, mes Sœurs, courons au Très Saint Sacrement, allons rassasier les désirs infinis de ce Cœur adorable ! » (Véritable Esprit, chap. 8).


LISTE DES MANUSCRITS UTILISES

Les textes de l’Itinéraire Spirituel de Mère Mectilde sont pris dans les Manuscrits suivants :

— P 101 (cf. note 1).

— P 108 et P 105, manuscrits XVIIème et XVIIIème siècles, très fidèles, provenant du monastère de la rue Cassette, conservés au monastère de Rouen.

— Les références Mg. concernant les manuscrits archives du monastère du Mas-Grenier, dont certains sont des copies de manuscrits anciens donnés par le couvent de Saint Nicolas de Port au XIXème siècle, mais appartenant au « fonds Lorraine ».

— Rumbeke (Z 4).

— D 12

— N 250

— P 108 bis

— Les numéros, entre parenthèses, sans autre référence, renvoient au fichier alphabétique de tous les textes de Mère Mectilde.

Les textes déjà édités appartiennent à :

— Catherine de Bar, Documents Historiques,

Rouen, 1973 = D.H.

— Catherine de Bar, Lettres Inédites,

Rouen, 1976 = L.I.

— Catherine de Bar, Fondation de Rouen,

Rouen, 1977 = F.R.

— Catherine de Bar, En Pologne avec les Bénédictines de France, Téqui, 1984 = En Pologne.

— Mère Mectilde du Saint Sacrement,

Entretiens Familiers, Bayeux, 1984 = E.F.

— Catherine de Bar, Lettres de Mère Mectilde de Bar à Marie de Châteauvieux, Téqui, 1989 = Amitié spirituelle.

ENFANCE

Catherine de Bar est née à Saint-Dié, le 31 décembre 1614. Elle est baptisée le jour même de sa naissance.

Le P 101 [1] 15 , p. 5. nous apprend que « la Mère Mectilde a dit plusieurs fois qu’elle avait eu la vocation religieuse à deux ans, et même auparavant, ce sont ses propres termes », rapportés, dit la rédactrice, d’après les Mémoires de la comtesse de Châteauvieux. « La raison lui a été avancée » dit le même manuscrit. C’est une enfant précoce !

Giry [2], de son côté, écrit : « Elle n’avait pas encore atteint l’âge de trois ans, comme elle l’a dit plusieurs fois depuis, qu’elle se sentît portée à se donner entièrement à Dieu, d’une manière particulière, pendant tout le cours de sa vie, et l’impression qu’elle en a conservé lui a toujours fait penser qu’elle appartenait à Dieu et qu’elle ne devait vivre que pour Lui » (Vie, p. 2).

L’abbé Berrant [3] rapporte le même fait « d’après les Mémoires de Madame de Rochefort qu’il a en mains » et ajoute : « C’est ce que Dieu permit qu’elle déclarât à une personne de confiance, en s’affligeant et se condamnant elle-même de n’avoir pas été fidèle à de si précieuses grâces » (Ber. p. 2).

Son désir d’être religieuse date donc de l’éveil de sa raison. C’est une constante de son enfance. Témoin cette anecdote rapportée par le P 101 : « Comme elle était douée d’une volonté tenace et d’un tempérament très vif, il était fort difficile de venir à bout de ses caprices, jusqu’au jour où ses éducatrices trouvèrent le mot magique pour faire céder le petit personnage : « Si vous agissez ainsi, vous ne serez point religieuse ».

Elle montre très tôt de l’attrait pour la prière, la pénitence, la charité. On souligne déjà son amour pour le Très Saint Sacrement. À six ans elle lit les « Vies des Saints » et essaie de les imiter. Elle voit en songe sept ostensoirs et s’écrie : « Ha ! venez voir le Saint Sacrement que j’ai ! » Mère Mectilde a toujours pensé que ce songe était prophétique. « Elle s’est souvenue toute sa vie de ce songe... elle a toujours assuré qu’elle n’établirait que sept maisons et qu’à la septième elle s’en irait » (P 101).

À huit ans, une maladie d’yeux mal soignée lui fait perdre la vue. La veille de l’Ascension 1624, sa mère la conduit à une procession. « Cette dévote mère, prit pour intercesseurs auprès de Dieu les saints dont on portait les reliques, et en particulier sainte Odile ». Elle est subitement guérie. Miracle ! (P 101, p. 7).

Peu de temps après, sa mère tomba malade. Catherine la croit perdue, monte sur son lit, et lui fait cette prière : « Je vous prie, ma bonne maman, quand vous irez en Paradis après que vous aurez fait la révérence à la Sainte Trinité, de lui demander pour moi la grâce que je sois religieuse. Après, vous vous tournerez vers la Très Sainte Vierge et la supplierez qu’elle me prenne sous sa protection et me serve de mère » (P 101, p. 6). Sa mère guérit, mais n’oublia pas sa prière. Après sa mort, alors que la vocation de sa fille était si traversée, elle lui apparaîtra pour l’encourager et l’assurer qu’elle sera religieuse.

D’après Giry, elle fit sa première communion à. l’âge de neuf ans « contre la coutume, parce que l’on vit en elle des dispositions qui permettaient de lui avancer cette grâce ». Bien plus tard, Mère Mectilde, parlant à des petites filles qui se préparaient à leur première communion leur dit : « De la première communion dépendent toutes les autres, et quand elle est bien faite, on s’en ressent toute la vie. Je sais une personne (et ici nos biographes y voient une confidence personnelle, Giry p. 3), que la grâce qu’elle y a reçue a été comme un germe qui en a produit une infinité d’autres et l’a conduite à la perfection où Dieu l’appelait. Ce qui est aussi arrivé à plusieurs autres »... et poursuivant son discours elle dit : « Tout ce que l’on y demande à Notre Seigneur, on l’obtient. Pour ce qui est de moi, je lui demandai la grâce de vaincre mes passions » (P 101, p. 10). D’après Collet 4 (1 p. 7) la deuxième grâce qu’elle demanda fut celle d’être toute à Dieu.

« Elle allait à la messe aux Capucins qui n’étaient pas loin » (P 101, p. 11). Elle lit la formule des vœux du Tiers Ordre qui l’enchante, et se met à prêcher l’Évangile à ses frères et sœurs et à ses amies. Un franciscain l’ayant entendue, lui prédit qu’elle serait une sainte religieuse et une excellente supérieure (C. 1, p. 7). C’est encore un capucin qui au cours d’une de ses maladies, lui donne une image du Nom de Jésus. Elle guérit.

Son zèle manifeste sa vivacité de caractère. Entendant un garçon proférer toutes sortes de blasphèmes, elle le supplie de se taire, lui offre dans ce but son goûter, puis sa petite bourse, puis, n’obtenant aucun résultat, elle se jette sur lui et l’étend à terre à coups de poing... Elle avouera plus tard s’en être confessée plusieurs fois ! Elle va trouver bientôt un meilleur moyen de « venger l’honneur de Dieu » !

On lui propose de pousser ses études, elle s’y livre avec enthousiasme. Trop. Elle voit qu’elle y perd la paix et risque de s’éloigner de Dieu, alors elle y renonce pour jamais (C. 1, p. 9). Ceci est peut-être un trait hagiographique, car elle eut une excellente formation. Mais cela nous montre aussi l’absolu de son caractère.

« À l’âge de quatorze ou quinze ans, le récit des effroyables sacrilèges commis par les hérétiques contre le Très Saint Sacrement dans le temps des guerres d’Allemagne en l’année 1629, la touchèrent si vivement qu’animée d’un zèle ardent pour venger les intérêts de la gloire de cet auguste Mystère, elle s’offrit dès ce temps-là à la divine Majesté pour en être la victime » (Giry p. 3). Voilà donc la meilleure manière de « réparer » ! Mais elle ne se doute pas encore de ce que cela pourra signifier dans la suite. C’est un premier germe qui va se développer.

À seize ans, dit Collet elle convertit un gentilhomme qui avait pour elle un « penchant très vif », et il entre en religion.

On essaie de la marier contre son gré, elle en tombe malade. Son prétendant croit faire sa conquête en se couvrant de gloire. Il part en guerre. Il y est tué. Catherine est libre et son désir de vie religieuse grandit de plus en plus.

Ce désir datait de sa plus tendre enfance, nous l’avons vu, et, écrit-elle au Père Chrysostôme en juillet 1643 : (239) 16 « Plus elle croissait en âge, plus ce désir prenait de l’accroissement. Bientôt il devint si violent qu’elle en tomba dangereusement malade... ce désir... épuisait en quelque sorte toute son attention et tous ses sentiments. Il ne lui était pas possible de s’en distraire... Dans différentes assemblées de personnes de son âge, le désir qui dominait son cœur prenait un tel ascendant sur ses sens même qu’elle restait insensible et comme immobile, en sorte qu’elle était contrainte de se retirer »... « les cartes lui tombaient des mains », précise le P 101, p. 15.

Le bon Père lui répond : « Je dirais que dans cette vocation je vois beaucoup de Dieu, mais aussi quasi beaucoup de nature. Cette lumière qui pénétrait son entendement venait de Dieu. Tout le reste... était Pouvrage de la nature ». Mais le P 101 rapporte que le Père disait aussi « en parlant de la vocation de cette vénérable Mère, que ce n’était pas seulement une vocation de volonté, comme ont ordinairement les autres personnes qui désirent se consacrer à Dieu... mais que c’était plutôt une passion qui la portait à embrasser ce saint état. C’est ce que le Révérend Père a déclaré à une religieuse du même hospice » (P 101, pp. 4-5).

Après bien des résistances, son père céda à son désir, elle guérit.

Ces quelques notes nous révèlent déjà le caractère et les dispositions de Catherine : vive, passionnée, entière, puissamment saisie par la main de Dieu qui l’attire. Son extrême impétuosité a besoin d’être maîtrisée.

CHEZ LES ANNONCIADES

Dans la relation au Père Chrysostôme que nous venons de citer, Mère Mectilde dit d’elle-même : « Cette âme, dans l’ardeur de la soif qui la dévorait, ne se donnait pas le temps de la réflexion : elle ne s’arrêta point à considérer de quelle eau elle voulait boire. Elle voulait être religieuse, rien de plus... »

Elle a recours aux Capucins. Ils lui indiquent les Annonciades de Bruyères qui étaient sous leur juridiction. Elle est attirée par le « côté marial » de l’Ordre. On pourrait souligner d’ailleurs tout au long de sa vie le rôle et la présence de la Sainte Vierge.

À dix-sept ans, en novembre 1631, elle entre au monastère. Elle prend l’habit en janvier 1632. Sa devise « Ego Dei sum » date de cette époque, mais elle était déjà en germe dans la grâce de ses trois ans.

Son tempérament a un besoin impérieux de nourriture et de sommeil. Jeûnes et veilles lui sont très durs à supporter. Elle emploie tous les moyens héroïques pour se vaincre. À la suite d’une violente tentation de gourmandise, elle a recours à la Sainte Vierge, et, « par le pouvoir de son Fils » « demanda de perdre le goût, dans le manger, ce qui lui fut accordé de manière qu’il ne lui resta que ce qu’il faut pour prendre sa nourriture et non pas pour se flatter de la délicatesse des viandes. C’est de son propre témoignage qu’on le sait. » (P 101, p. 21). Autrement dit, elle est délivrée de la gourmandise, mais n’a pas « perdu le goût ».

Plus tard, ses lettres nous révéleront qu’elle trouve « admirable » l’orge qui la nourrit, apprécie le raifort (sorte de radis noir), les confitures et le chocolat d’Espagne... ajoutant avec humour qu’elle en « régale » ses infirmières (Lettre à la Mère Prieure de Toul, 9 octobre 1675, L.I. p. 327), (508).

« Elle avait la parole prompte et la réplique incisive. Quand elle rencontrait l’erreur ou qu’elle attaquait un désordre, elle se laissait aisément entraîner à une impétuosité de langage qui donnait à son ton quelque chose d’altier » (C. p. 16). Encore un remède héroïque : un caillou dans sa bouche. Le biographe nous assure qu’elle n’éleva plus la voix. Nous verrons qu’elle n’en a pas fini avec son caractère.

On remarque aussi, dans les débuts de sa vie religieuse chez les Annonciades, combien elle est sujette aux « hauts et bas ». Après les accès de la plus grande ferveur, elle tombe dans des dégoûts non moins profonds « la solitude lui causait un ennui accablant » (alors que plus tard ce sera sa plus grande tentation) ; sa « douleur était de ne pas aimer et servir Dieu ». Marie la console, tandis que sa supérieure l’accable, pour la « former ».

Au cours d’une épidémie qui ravagea la communauté, sa détresse fut à son comble. Elle demanda alors à Marie d’être sa Mère maîtresse.

Voici comme elle le racontera plus tard : « Un jour, me trouvant dans de grandes peines et n’ayant personne à qui ouvrir mon cœur, je m’adressai à la sainte Mère de Dieu en ces termes : “O Très Sainte Vierge, m’auriez-vous amenée ici pour me faire périr ? Il ne fallait que me laisser dans le monde puisque je ne trouve pas ici les moyens de servir Dieu avec plus de sainteté et de pureté. Vous voyez que je ne sais à qui recourir pour m’apprendre mes devoirs, que je n’ai personne, que je ne sais ni prier ni faire oraison. Servezmoi donc, s’il vous plaît, de mère et de maîtresse. Apprenez-moi tout ce qu’il faut que je sache”.

“Cette très aimable mère lui servit en effet de maîtresse et lui apprit aussitôt par une impression intérieure à faire l’oraison sur l’Ave Maria, en sorte que jour et nuit elle y demeurait appliquée. Quelque temps après, cette divine maîtresse lui donna les souffrances de Notre Seigneur à considérer, et elle en fit, avec la même fidélité, son occupation continuelle, et la très sainte Mère de Dieu lui fit passer sa tentation par le secours qu’elle lui donna intérieurement. Cette digne Mère ajouta : ‘Je puis dire que c’est de la très Sainte Vierge que j’ai appris tout ce que je sais. Elle a toujours été depuis ce temps, ma sainte maîtresse. J’étais toujours appliquée à elle, m’y adressant pour toutes choses’ (2896).

Et voici que le Père Étienne, capucin, la lance vers la perfection avec trois moyens infaillibles : n’avoir que Dieu en vue, par une grande pureté d’intention, remplir bien ses devoirs, tendant toujours au plus parfait (P 101, p. 25).

Catherine part à fond de train vers cette perfection, et après une période d’extrême ferveur, retombe dans une prostration générale, ‘mélancolie’ ! : ‘tout la fatiguait, l’ennuyait... les paroles les plus inoffensives l’irritaient, elle avait peine à se supporter elle-même’. Nous dirions : après un fort surmenage par excès de zèle, elle fait un peu de dépression. De ce temps date la parole : ‘Quoi ? Faire toujours la même chose, toujours à la même heure, de la même manière, quelle servitude !’ et la ‘prophétie’ de Mère Angélique, sa Supérieure : ‘Rassurez-vous, ma Sœur, vous ne serez pas si heureuse que de faire toujours la même chose’. Elle ne croyait pas si bien dire.

De cette expérience, on pourrait peut-être conclure que Catherine n’a pas encore trouvé sa ‘petite voie’ d’abandon, d’humilité, d’anéantissement : elle découvre ses limites et apprend que la perfection se reçoit plus qu’elle ne se conquiert.

Convaincue de son indignité, elle demande à faire une retraite de quarante jours pour se préparer à sa Profession. Pas de demi-mesure ! et le P 101, p. 28 nous rapporte que : ‘la nuit de devant sa Profession... elle se vit en esprit conduite par deux anges au pied de la Sainte Vierge qu’elle voyait comme dans un trône ; elle fut présentée à cette Reine du Ciel par ces Esprits angéliques, lui offrant humblement ses vœux ; cette Mère d’amour les reçut et les présenta à la Très Sainte Trinité qui les eut si agréables que Jésus-Christ les signa de son Précieux Sang’.17

Catherine reçoit des grâces inexprimables sous le drap mortuaire en prévision des croix à venir. ‘Elle trouva sous ce drap de mort le principe de la vie’ (P 101, p. 29).

Une nouvelle étape commence. Nous sommes en 1633. Mais la ‘mélancolie’ reparaît, pire que jamais. Elle dépérit, elle a de violents maux de tête. Quand on lui fait des compliments, la préférant aux autres, elle s’en trouble outre mesure croyant les peiner. Ses Sœurs la rassurent et l’embrassent tendrement, elles n’en sont pas jalouses. Mais son humilité s’en alarme un peu trop, dirait le Père Chrysostôme.

Sœur Saint Jean, tel est son nouveau nom, est aux prises avec Dieu qui se sert de tout pour réaliser en elle une ‘formation accélérée’, et c’est bien nécessaire, puisqu’à vingt ans, elle est nommée Vice — Gérante, avec une Supérieure qui ne 1'accepte pas. Elle essuie bien des humiliations, mais ‘notre Mère Saint Jean a toujours aimé ses ennemis, même d’un amour de préférence’ (P 101, p. 38). Elle est cependant très appréciée de ses Sœurs. On reconnaît déjà son talent pour exprimer les mystères de la foi. Elle fait une conférence sur l’Eucharistie ‘qui par sa vertu change et transforme les âmes en Jésus Christ’. La Communauté en est émerveillée, mais la Supérieure lui dit :” Taisez-vous, vous n’êtes qu’une bête, vous ne savez ce que vous dites », craignant qu’elle ne s’enorgueillisse d’un tel succès (P 101, p. 31).

C’est alors qu’a lieu la grâce de la Pentecôte 1634 : « Depuis son entrée en religion, elle avait travaillé sans relâche à. vaincre deux défauts qui étaient d’autant plus difficiles à surmonter qu’ils semblaient lui être naturels : c’était d’être extrêmement prompte et d’ailleurs très sensible au point d’honneur. Elle joignait au travail, la prière, demandant sans cesse à Notre Seigneur qu’il lui fit la grâce de les lui ôter, et particulièrement dans le temps de la sainte Communion. Le jour de la Pentecôte de l’année 1634, ses désirs furent accomplis : la douceur et la modération lui furent données en échange et furent comme naturalisées en elle » (Berrant, p. 18).

Donc, le caillou dans la bouche n’avait pas été tout à fait efficace ; d’ailleurs, il ne faut pas croire qu’il n’y eut plus de combats, nous en verrons des traces, mais une étape est franchie.

Voici la guerre, la famine, sa Supérieure meurt et, à vingt-deux ans, Mère Saint Jean va gouverner la maison. Elle se fait l’humble servante de ses Sœurs (C. 1, p. 35). La Communauté est comblée de grâces, mais dès 1635, c’est l’exode. Le monastère est brûlé. Les Sœurs se réfugient à Commercy en février 1636 ». C’est dans cette situation dramatique, que Mère Saint Jean est élue Supérieure.

À la guerre, à la famine, s’ajoute la peste. Mère Saint Jean se fait infirmière. Atteinte elle-même, elle reste quinze heures sans donner signe de vie. Tandis qu’on la croit morte, elle « parait au jugement de Dieu », mais est renvoyée sur terre en vue d’une mission mystérieuse. D’après son propre témoignage, ce fait étrange se renouvellera trois fois dans sa vie (2600). Nous le verrons en son temps.

Plusieurs de ses Filles meurent de la peste, d’autres s’en retournent dans leur famille. Les Annonciades mènent une vie pleine de dangers. C’est alors que se situe la grande tentation dont elle parle dans la « Relation » déjà citée.

Voici le récit du P 101, p. 50 :

« Comme Dieu se servait du mérite personnel qu’Il avait mis lui-même dans cette sainte fille pour insinuer et inspirer le respect à des gens de guerre qui pour l’ordinaire ne sont que trop sujets à la dépravation 18, le diable, par un contrepied, voulut se servir du même mérite pour gâter et corrompre le cœur et l’esprit de quelque personne qui par la sainteté de son état et le rang où Dieu l’avait mis et établi au-dessus d’elle aurait dû servir de rempart à sa pureté. Mais Dieu, plus puissant, tira sa propre gloire de la malice du démon, puisqu’il s’en servit pour l’accomplissement des grands desseins qu’il avait sur sa servante... »

« Elle se trouva dans des dangers si évidents de perdre sa pureté qu’il lui fallut une Providence spéciale pour la préserver ». La Providence lui donna le moyen de s’en tirer en lui faisant conseiller de changer d’Ordre. Il est donc probable qu’elle fut poursuivie par un de ses Supérieurs.

Elle dit dans sa « Relation » : « Des personnes dont elle devait le moins se défier et qui par état ne devaient la porter qu’à Dieu, lui furent une occasion de tentations les plus violentes » (Duquesne [5] p. 60).

Pour la première fois, la tentation trouve en elle un écho, la pauvre Mère en est épouvantée et se croit perdue. Le Père Chrysostôme assure que c’est un miracle qu’elle s’en soit sorti. Elle croit ne plus pouvoir revenir à Dieu, mais bien conseillée par un séculier, puis par son confesseur, enfin par un religieux qui acheva de l’éclairer, elle comprit que le seul moyen qui lui restait pour échapper à tant de périls était de quitter son Ordre pour un autre plus strict où elle vivrait en clôture.

Mère Saint Jean cherche avec anxiété l’Ordre où le Seigneur la veut. La Sainte Vierge l’invite à entrer dans la plaie du côté de son Fils sur ses genoux tel qu’il était quand on le descendit de la croix (P 108bis, c. III), et elle fait le vœu de n’avoir jamais plus d’autre volonté que celle de Dieu. Ceci est aussi un premier pas. Nous retrouverons ce vœu. Elle devra le refaire, et cela ne l’empêchera pas d’être « en procès avec Notre Seigneur » qui voulait ce qu’elle ne voulait pas. Et il ne s’agissait de rien moins que de notre fondation (P 101, p. 405).

Durant son séjour chez les Annonciades, Mère Saint Jean fit un « songe mystérieux » qu’elle a rapporté sous la figure d’un rêve.

Ce songe est comme l’anticipation symbolique de tout son cheminement. Les biographes le citent au début, au milieu ou à la fin de sa vie, et en font l’exégèse. Il nous suffit pour le moment d’en lire le texte, selon la version du P 101, p. 33 :

« Il me sembla que j’étais dans une foire où il y avait grand nombre de boutiques enrichies de tout ce que l’on peut imaginer de plus beau et de plus précieux ; et que j’étais marchande, et que j’avais une boutique qui paraissait encore plus magnifique que les autres.

Comme j’étais occupée à regarder toutes mes richesses, j’entendis un grand bruit et chacun courait en disant : “Voici le Seigneur !”. Je me sentis aussitôt dans une si grande ardeur de le voir que je fis mon possible pour découvrir où il était ; et l’ayant vu qui s’arrêtait à toutes les boutiques, je pensais en moi — même qu’il viendrait aussi à la mienne ; ce qui m’obligea de me tenir à l’entrée pour le recevoir, ne pouvant me résoudre d’abandonner cette belle boutique pour aller plus loin au-devant de lui.

Enfin mon Seigneur arriva, au milieu d’une grande foule de peuple : il était vêtu d’une longue robe blanche avec une ceinture d’or, les cheveux tirant sur le blond pendaient sur ses épaules, le visage un peu long et les yeux si charmants qu’ils enlevaient tous les cœurs.

Il ne fit, à la vérité, que passer devant moi ; mais en passant il me jeta un regard si pénétrant que j’en demeurai toute transportée et vivement pressée de quitter ma boutique pour le suivre, ce que je fis dans le même moment. Je pris néanmoins dans ma robe ce qu’il y avait de plus beau et de plus facile à emporter, et je le suivis, ainsi dans la foule qui était si prodigieuse que je ne pouvais presque l’apercevoir.

Je ne me sentis pas seulement pressée de le suivre, mais encore obligée de marcher sur les vestiges de ses pieds. Il fallait une grande attention pour les reconnaître parmi ceux de ce peuple ; ce qui fut cause que je négligeai tout le reste et que je perdis insensiblement tout ce que je portais.

Cette populace s’étant petit à petit dissipée, je me trouvai hors de la ville, seule avec Notre Seigneur que je tâchai de suivre de plus près qu’il m’était possible. Alors je tombai : toute mon attention et ma plus grande hâte furent de me remettre sur ses vestiges.

Il me mena par des chemins très difficiles, fort étroits, tout pierreux et pleins d’épines qui emportaient mes souliers, ma coiffure et mes habits. J’avais les bras, les mains, les pieds et tout le corps ensanglantés.

Enfin, après des peines si inconcevables, et que les ronces et les épines m’eurent dépouillée de mes habits, je me trouvai revêtue d’une robe blanche et d’une ceinture d’or comme Notre Seigneur, dans un beau chemin où je le suivais toujours de près, sans pourtant qu’il me regardât. Je pensais en moi-même : “Au moins s’il me regardait, je serais contente !” Ensuite je me disais pour me consoler : “Il sait bien que je l’aime !”, sentant une certaine correspondance de son Cœur au mien, comme d’une espèce de cornet (sic) ou conduit qui aboutissait de l’un à l’autre et qui les unissait de telle sorte que les deux ne faisaient qu’un.

Après avoir bien marché à la suite de Notre Seigneur, je me trouvai dans une grande prairie où l’herbe paraissait d’or (qui signifie la charité) tout émaillé de fleurs, où étaient de gros moutons, la tête levée, qui ne se repaissaient que de la rosée du ciel, car quoi qu’ils fussent jusqu’au cou dans ces pâturages, ils n’en mangeaient point.

Il me fut montré que ces moutons représentaient les âmes contemplatives qui ne se repaissent que de Dieu et ne se rassasient que de sa divine plénitude. Parmi ces moutons, j’en remarquai un qui était fort maigre et s’éloignait du troupeau : il s’en retirait si fort qu’à la fin il le quitta tout à fait.

J’aurais bien voulu jouir du bonheur de ces âmes que ces moutons me représentaient, mais il ne me fut permis que de les regarder, et ainsi je passai outre, en suivant toujours mon divin guide.

Il me mena ensuite dans une grande plaine, à I » extrémité de laquelle était un palais magnifique ; mais la porte était si basse et si étroite qu’à peine la voyait-on, ce qui me fit croire que jamais je n’y pourrai passer. J’en fus extrêmement affligée. Alors Notre Seigneur, qui n’avait pas fait semblant de me voir depuis ce regard qu’il m’avait jeté en passant devant ma boutique, se retourna et me regarda.

Je compris en même temps qu’il fallait pour entrer dans ce palais que je fusse toute anéantie : dans le moment, Notre Seigneur entra, et moi avec lui : mais je fis tant d’efforts pour passer après lui que, non seulement ma tunique fut emportée, mais que j’y laissai ma peau étant tout écorchée.

Je me perdis en Lui, mais si perdue que je ne me retrouvai plus ».

BÉNÉDICTINE À RAMBERVILLERS

Enfin Mère Saint Jean fait connaissance du monastère de Rambervilliers. Elle est séduite par la règle de saint Benoît et commence son noviciat le 2 juillet 1639. D’après l’abbé Berrant (p. 28) c’est pendant son noviciat avec Mère Benoîte de la Passion [6] qu’elle reçoit la grâce mariale dont nous possédons le texte qui fut « écrit de sa propre main » ou du moins copié sur l’autographe. Nous le donnons ici intégralement (2876). Il se passe de commentaire.

Écrit de la propre main de notre vénérable Mère Institutrice parlant d’elle-même en tierce personne.

À la Gloire et Louange de l’Auguste et toute Immaculée Mère de Dieu.

« Une personne ayant confiance en la très Sainte Mère de Dieu dès le commencement de sa vie religieuse, elle la supplia de lui apprendre à prier et à méditer sur les sacrés mystères de Notre Seigneur. Elle continuait de s’appliquer à elle et d’y avoir toujours recours, y fondant toutes ses espérances et en quelque façon s’appliquant plus à elle-même qu’à Dieu même (cf. p. 13 de ce travail).

Un jour, étant à l’oraison le matin à l’ordinaire, cette personne s’adressant à cette aimable Mère de bonté, comme elle avait coutume de faire, et voulant s’occuper intérieurement, cette auguste Mère d’amour sembla disparaître, ce qui surprit beaucoup cette personne, et la voulant toujours voir et l’avoir pour objet, elle lui présenta Notre-Seigneur Jésus-Christ et se tint comme debout derrière son divin Fils ; et comme cette personne ne comprenait point pourquoi cette souveraine de son cœur en usait de la sorte, elle lui fit entendre qu’elle était cachée en son Fils, et qu’il était de son pouvoir et de sa bénignité de le produire dans les âmes et de le faire connaître, mais qu’en le produisant de la sorte elle était encore plus intime à l’âme, et qu’elle devait apprendre que cette grâce était le fruit des petites dévotions et pratiques qu’elle avait faites en son honneur et l’effet de sa confiance ; et lui ayant fait comprendre l’utilité de cette confiance filiale que nous devons avoir en sa bonté, cette âme fut éclairée des vérités suivantes :

1° Que tous les devoirs d’amour, de tendresse, de confiance, de respect et de fidélité à son service, retombaient en Dieu d’une manière avantageuse à l’âme ; en ce que cette auguste Mère de bonté étant divinement abîmée en Dieu, tout ce qui est fait en son honneur retourne dans cette adorable source, y étant elle-même anéantie d’une manière incompréhensible à nos esprits ; et j’ose dire et assurer que la sincère dévotion à la très pure et très immaculée Mère de Dieu est la porte du salut et de la vie intérieure.

2° La deuxième vérité est qu’encore qu’il semble que l’âme s’est attachée par tendresse à la très Sainte Vierge plus qu’à Dieu, si l’âme est fidèle, elle sera fort instruite des voies de la grâce, et cette tendresse, si elle est sainte comme elle doit être, ne manquera jamais de porter l’âme à une union à Notre Seigneur Jésus-Christ très intime, et j’ose dire singulièrement, parce que la très Sainte Mère de Dieu, n’ayant point de vue en elle-même, ne peut retenir aucune créature pour elle, c’est pourquoi de nécessité elle les réabîme toutes en Jésus-Christ.

Plût à Dieu que tout le monde connaisse cette vérité ; l’on n’aurait jamais scrupule de trop aimer cette glorieuse souveraine du ciel et de la terre. Selon ma petite expérience et de la manière dont je l’ai appris, il faut commencer par la Mère ; puis elle-même nous conduira à son divin Fils, et, qui a le plus de pouvoir de le faire connaître et de le produire en nous, que celle qui l’a conçu par l’opération du Saint — Esprit ?

Aimez Marie et vous ne mourrez pas qu’elle ne vous fasse aimer Jésus ; c’est son propre et c’est ce qu’elle ne manque jamais de faire si nous voulons correspondre aux grâces qu’elle nous présente.

Quand je rencontre une âme qui a ce qu’elle doit avoir pour la Mère de mon Dieu, je tiens, ce me semble, son salut en mains, je veux dire que je m’en tiens en assurance. Si toutes les âmes en étaient persuadées, elles l’aimeraient tendrement et y auraient confiance entière. L’on ne doit point craindre de lui trop donner ni d’excéder aux devoirs qu’on lui rend, puisque rien ne demeure en elle et que tout retourne à Jésus et en Jésus.

J’aurais bien plus à dire, si je pouvais exprimer les avantages de cette dévotion, mais ce peu suffira pour cette fois.

Il est certain qu’elle ouvre l’intelligence et fait comprendre des choses ineffables sur les sacrés Mystères, sur les voies de la grâce. Elle apprend à faire oraison, la mortification ; elle soutient et console dans les peines. Elle préserve de tomber dans les tentations. Elle chasse nos ennemis visibles et invisibles et nous défend contre leurs malicieux desseins.

O. Mère admirable, vos bontés ne se conçoivent point faute de confiance et de nous abandonner amoureusement entre vos mains. Faites-moi la miséricorde de me regarder en votre bénignité, quoique j’aie toute ma vie abusé de vos grâces, ne rejetez pas le cœur contrit et humilié qui se connaît infiniment indigne ».

Comment ne pas penser à Grignion de Montfort ?

PREMIÈRE GRANDE ÉTAPE

VERS LA MORT MYSTIQUE ET LA RÉSURRECTION.

« Vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu » (Col. 3, 3).

Le 11 juillet 1640, Mère Saint Jean fait Profession. Elle se nomme désormais Sœur Catherine Mectilde. D’après Giry (p. 9) : « Ce fut dans ce temps où l’on peut dire qu’elle commença à être élevée au— dessus du commun des justes et à avoir part aux communications les plus sublimes dont Dieu favorise ses épouses quand il lui plaît ».

De cette époque date l"'Abrégé d’une retraite de l’année 1640 ». On ne saurait majorer l’importance de ce texte pour la suite du cheminement de Mère Mectilde. Nous le citons donc aussi intégralement :

ABRÉGÉ D’UNE RETRAITE DE L’ANNÉE 1640

(2621). Qui me donnera la grâce d’être tellement crucifiée au monde que le monde et toutes les créatures me soient croix, que je sois si profondément plongée dans la vérité véritable de mon néant et de mon abjection que je me tienne le reste de ma vie sous les pieds de tous les démons, que l’est i m e et l’honneur des créatures me soient un enfer, que je sois hors de leurs idées et de leurs affections, et puisque je suis intérieurement en la disposition que Dieu connaît et qu’il me fait ressentir, je dois vivre dans un éloignement si grand de tout ce qui peut donner vie et satisfaction à mes sens et à mon propre esprit, que ma vie doit être une mort continuelle.

Je me voue à la grâce et à la puissance de Jésus-Christ pour entrer dans la vérité véritable de ce que dessus, et pour demeurer le reste de ma vie en abjection à moi-même et à tout le monde.

Mon âme sent toujours quelque agitation si elle n’est dans le véritable anéantissement. Toute autre disposition me semble étrangère et je n’y puis quasi avoir d’application.

Mon Dieu, il n’y a que vous qui concevez ce qui se passe dans votre esclave, il me suffit que vous le connaissiez, que votre miséricorde et votre justice achèvent votre ouvrage et qu’il en soit selon vos éternels desseins.

Je sens un mouvement quasi perpétuel qui tend où Dieu me veut réduire : « Tôt, tôt, tirez-moi de mon être et me mettez dans l’opération de ma fin » (sainte Catherine de Gênes).

Silence en esprit d’anéantissement.

Cette petite phrase, tirée du même manuscrit, peut déjà nous servir de clé d’interprétation :

« Pouvoir être anéantie c’est un grand mystère et le plus grand qui se puisse faire en l’âme, parce qu’elle n’est plus en elle, mais toute à Jésus-Christ ».

N’oublions pas, en lisant ce texte, de quelle épreuve Sœur Mectilde vient de sortir, et la motivation de son changement d’Ordre : « être crucifiée au monde... » elle rejette ce « monde » qui a failli la perdre. « La vérité véritable de mon néant... » : de quoi ne suis je pas capable, si je ne suis ensevelie dans l’humilité. « L’estime et l’honneur... », n’ont-ils pas été, en partie, la cause du piège qui lui a été tendu ? Elle veut être effacée de leur souvenir et de leur affection. Elle sent sa faiblesse en face de tout ce qui peut « donner vie » à ses sens et à son propre esprit... c’est pourquoi elle parle de devoir vivre dans une mort continuelle. Or, la Profession est une « mort au monde », elle la désire ardemment. Mais qui peut accomplir cela ? « La grâce et la puissance de Jésus-Christ seul » peut la faire demeurer dans « l’abjection » : l’humiliation profonde à ses propres yeux et aux yeux de tous. Elle n’a la paix que dans le « rien ».

Elle sent en elle une opération de Dieu qui la purifie : elle s’est donnée à Dieu pour cela. Elle se livre à sa justice et à sa miséricorde pour que tout lui advienne selon ses éternels desseins. Elle reprend l"'Ecce ancilla Domini, fiat mihi secundum verbum tuum ». Ancilla = esclave. Et ce but où Dieu la mène c’est d’être arrachée à elle-même pour être transformée en Celui par qui et pour qui elle a été créée : Dieu.

Mais tout cela est scellé dans le « silence » pour demeurer dans le « Rien » : l’humilité parfaite qui seule laisse libre l’action de Dieu.

Dès avant l’entrée en scène de Bernières, nous avons les mots-clefs : néant, abjection, mort continuelle, tendance au véritable anéantissement. Tout son désir la porte à être tirée de son être pour parvenir à sa fin : être transformée en Dieu. Il y a là en germe le mouvement pascal qui domine sa vie, dit dans le vocabulaire du temps, avec la radicalité qui la caractérise : « sortir de moi-même pour entrer en Jésus — Christ ».

Nous pouvons relever deux citations qui nous apprennent qu’elle lit sainte Catherine de Gênes. D’abord cette expression étrange : « Sous les pieds de tous les démons ». Pour la bien comprendre, il faut recourir aux explications de sainte Catherine : le démon est fixé dans un état de méchanceté qui ne peut empirer. Il ne peut nuire aux hommes que dans la mesure où ces derniers lui en laissent la possibilité en cédant à la tentation ; tandis que l’homme peut toujours croître en méchanceté et, donnant au démon la possibilité de nuire, il est « pire que lui ». Cela signifie donc plus simplement que l’on prend conscience d’être capable de tout mal.

Et puis la sentence qui clôt cet « Abrégé » : « Tôt, tôt, tirez-moi de mon être et me mettez dans l’opération de ma fin ». Pour la comprendre il faut relire le chapitre trente-deuxième de son livre « Comment se fait l’anéantissement de l’homme en Dieu par l’exemple du pain ». (La vie et les œuvres de Catherine Adorna, traduite par Desmarets, Paris, 1662).

Le pain proteste parce que celui qui le mange lui « ôte son être » et elle lui répond : « Pain, ton être est ordonné pour sustenter mon corps qui est plus digne que toi ; et tu dois être plus content de la fin pour laquelle tu es créé que de ton être propre : parce que ton être ne serait point estimable si ce n’était à cause de sa fin. Ta fin est ce qui te donne une dignité à laquelle tu ne peux parvenir que par le moyen de ton anéantissement. Donc si tu ne vis que pour parvenir à ta fin, tu ne te soucieras pas de ton être, mais tu diras : “Tirez-moi promptement de mon être et me mettez en l’opération de ma fin pour laquelle je suis créé”. C’est ainsi que Dieu fait de l’homme, lequel a été créé pour la fin d’être uni à Dieu et d’être transformé en Dieu » (op. cit. p. 159).

Voilà donc ce vers quoi Mère Mectilde aspire de toutes ses forces.

Mais la guerre se rallume en Lorraine. En septembre de la même année, Mère Mectilde quitte son monastère pour Saint Mihiel en compagnie de Mère Benoîte et de Mère Bernardine ? Elles connaissent une extrême misère et sont secourues par Monsieur Guérin8, un envoyé de saint Vincent de Paul. Mère Mectilde et ses compagnes vont en pèlerinage à Benoîte-Vaux les 1er et 2 août 1641. Elles demandent à Marie de les protéger du « péril des soldats » et de trouver quelque bonne Abbesse qui veuille bien les recevoir en attendant des jours meilleurs. Le 21 août, Sœur Mectilde et une de ses compagnes partent pour l’abbaye de Montmartre où elles sont accueillies huit jours plus tard par l’abbesse Marie de Beauvillers. Elles y restèrent un an (Documents Historiques, Rouen, 1973, pp. 53 et 56).

En continuité avec l « 'Abrégé » de sa retraite, nous relevons ce passage dans une lettre qu’elle écrivait de là à Mère Benoîte en octobre 1641 :

« Je vous supplie, donnez-moi fortement et instamment à Dieu et le priez qu’il captive toutes les puissances de mon âme en sorte que je meure mille fois plutôt que de l’offenser. Cette crainte de tomber dans le vice me donne mille frayeurs et m’empêche d’être si parfaitement résignée de sortir d’ici (Montmartre), encore que je m’abandonne à Dieu autant que je puis. Je voudrais de très bon cœur descendre dans les enfers plutôt que de déplaire à Dieu, secourez-moi de vos prières à ce sujet.

Or, la plus ordinaire pensée que j’ai de présent, c’est le désir d’être parfaitement anéantie et d’être attachée sur la très précieuse croix. Quant à l’anéantissement, je le comprends intérieur et extérieur, m’étant avis que sans icelui je n’avancerai pas vers Dieu ; et pour l’extérieur, il est facile avec la grâce ; mais l’intérieur, je le trouve difficile parce qu’il me semble que toute la diligence est peu si Dieu même n’anéantit les puissances. La vivacité de mon esprit me travaille beaucoup, et le peu de constance qui est en moi me prive de beaucoup de grâces ». (L.I., p. 123).

Deux choses qu’elle reprochera plus tard à sa chère comtesse de Châteauvieux !

Mère Mectilde réalise que cet « anéantissement » est l’œuvre de Dieu, et que le mieux est de s’y soumettre et abandonner et, comme elle l’écrit à une de ses Sœurs en 1643 :

« Je vous convie encore de vous aider à détruire en vous abandonnant de bon cœur à toutes sortes de désolations, vous abaissant devant sa Majesté pour recevoir les effets de sa miséricordieuse justice qui vous purifie par son éternel amour ». (L.I., p. 125).

N’oublions pas ce lien que Mère Mectilde fait toujours entre la justice, la miséricorde et l’amour. C’est très important pour comprendre ce qu’elle entend par « victime de la Justice ». Elle parlera plus tard à Anne de Béthune [9] de sa « miséricordieuse justice qui n’est autre que son amour ». C’est par miséricorde que sa justice purifie l’âme pour la transformer dans l’amour. Et c’est par amour que la Justice la rend capable de recevoir la miséricorde !

LA NORMANDIE. LE PÈRE CHRYSOSTOME.

Le 7 août 1642, Mère Mectilde quitte Montmartre. Elle se réfugie à Barbery, fait la connaissance de Dom Louis Quinet 1° qui lui amène Bernières [11], accompagné du fidèle Roquelay [12]. C’est désormais dans leur correspondance que nous verrons surtout le cheminement de Mère Mectilde jusqu’à la mort de Bernières.

Le processus de mort vers la résurrection va aller s’amplifiant :" Je meurs sans mourir, je ne sais plus où j’en suis » (5 mars 1643), (1244). « Qu’il me convertisse ou que je meure ! » Le 15 mars 1643, elle écrit encore à Roquelay : « Il me semble avoir un grand attrait pour chérir la sainte abjection, le sacré abandon et sainte dépendance. Pour moi, je trouve celui qui goûte parfaitement ces points, qu’il possède une béatitude en terre et qu’il se peut estimer un des heureux hommes du siècle. Quelles félicité et béatitude y a-t-il au ciel que Dieu ? Et si une âme en terre est toute absorbée et perdue en lui, que peut-elle désirer ? Il faut que je vous avoue que je n’envisage point le Paradis, qu’il me suffit d’être toute à Dieu, non seulement de m’être donnée à Dieu, mais d’être toute délaissée à Dieu. II me semble que cet abandon se conçoit bien mieux de pensée qu’il ne s’explique de parole. Désirez, mon cher frère, cette sainte perte de moi-même. J’aime beaucoup cette béatitude :

Bienheureux qui se voit réduit

à porter dans son impuissance

la Puissance qui le détruit.

(Béatitude dite « de la Mère de S. Jean (Le Sergent). Désirez qu’elle s’accomplisse en moi (908).

Mais voici juin 1643 : c’est la rencontre avec le Père Jean Chrysostôme 13. Nous avons là des documents de première valeur : juillet 1643, la Relation de Mère Mectilde au Père Chrysostôme, avec la réponse du Père (239). Une deuxième série de propositions avec réponses, et une troisième série de réponses.

Mère Mectilde fait une relation de toute sa vie pour se faire bien connaître. Nous avons déjà noté son violent désir de vie religieuse où le Père voit beaucoup de “nature”. Ensuite, Mère Mectilde raconte la grâce extraordinaire qu’elle a eu la nuit précédant sa profession, dont nous avons aussi parlé. Elle fait allusion à la couronne lumineuse qui parût ce jour-là au-dessus de sa tête. Très sagement, le Père l’exhorte à ne pas faire fond sur les grâces extraordinaires sujettes à beaucoup d’illusions, et à fonder sa perfection sur “la mortification et la vertu”. Cela revient comme un refrain dans ses réponses, mais en même temps il ne cesse de l’encourager et d’approuver son cheminement. Elle raconte ensuite la grande tentation et sa résolution de changer d’Ordre. On remarque aussi l’attrait de Mère Mectilde pour la “volonté de Dieu” que nous avons déjà noté.

Dès son entrée à Rambervillers, elle se donne à l’oraison “de bonne sorte”, son attrait pour la contemplation se développe. Sa Mère Maîtresse (Mère Benoîte) la pousse vers l’oraison passive et silencieuse. Le Père met en garde et encourage en même temps. Il lui conseille de ne pas se livrer sans discernement à la “passivité”.

À Montmartre, elle est dans l’épreuve : privations, réprobation, peines intérieures, “cachots ténébreux” (que l’on retrouvera dans sa correspondance avec A. de Béthune.. ). Elle souffre par soumission à la divine justice.

Le Père lui répond : ce sont des purifications. Il faut les souffrir patiemment et remercier Dieu qui purifie et dispose ainsi à la passivité de la contemplation. “L’âme étant affective, l’opération d’amour refluera en l’appétit sensitif (d’où tourments et maladies). L’âme, se purifiant, cet amour résidera davantage en la partie intellectuelle”.

Il lui recommande : “Quant à la nourriture et au dormir, c’est à elle d’être fort discrète, comme aussi à toutes les austérités”, “elle aura besoin d’ailleurs de soulager son corps”. (Donc, la fameuse scène du parloir où il lui intime les plus effrayantes mortifications était peut-être une exception, qu’on aura d’autant plus remarquée. Ici, le Père paraît fort sage).

Enfin, il l’exhorte à ne pas mettre tout le fond de la perfection sur la seule oraison, mais plutôt sur la tendance à la pure mortification. Il donne des conseils sages et modérés pour la conduite de cette oraison passive.

Mère Mectilde parle de ses peines et aridités à la communion : “En ses communions, elle allait de tout son cœur recevoir son Dieu avec le désir d’être tout à Lui et qu’il fut tout pour elle, mais toujours sans sentiments sensibles, et lorsqu’elle avait communié, elle entrait dans son obscurité ordinaire et captivité sans pouvoir le plus souvent adorer son Dieu, ni parler à sa Majesté. Il lui semblait qu’il se retirait au fond de son cœur ou pour le moins en un lieu caché à son entendement et à son imagination, la laissant comme une pauvre languissante qui a perdu son Tout. Elle cherche et ne trouve pas. La foi lui dit qu’il est entré dans le centre de son âme, elle s’efforce de l’y aller adorer, mais toutes ses inventions sont vaines, car les portes sont tellement fermées et toutes les avenues, que ce lieu est inaccessible, du moins il lui semblait, et lorsqu’elle était en liberté, elle adorait sa divine retraite et souffrait ses sensibles privations, néanmoins son cœur s’attristait quelques fois de se voir toujours privé de sa divine présence, pensant que c’était un effet de sa réprobation.

D’autres fois elle souffrait avec patience, dans la vue de ce qu’elle a mérité par ses péchés, prenant plaisir que la volonté de son Dieu s’accomplisse en elle selon ce qu’il plaira à sa Majesté”.

Le Père l’exhorte à s’abandonner à la conduite de Dieu, car ces peines lui sont données pour la conduire à la pureté de perfection à laquelle elle est appelée, et de laquelle elle est encore bien éloignée.

De cette expérience sortira le chapitre du Véritable Esprit : “De la sainte communion en général”. De plus, nous verrons que Mère Mectilde entrera un jour dans ce centre de son âme qui lui est actuellement fermé, et... qu’elle n’en pourra plus sortir !

Enfin elle lui fait part de l'  « état » d’épreuve où elle se trouve en ce moment : « Il semble qu’elle aura une joie sensible si on lui disait qu’elle mourrait bientôt ; la vie présente lui est insupportable voyant qu’elle l’emploie mal au service de Dieu et combien elle est loin de la sacrée union. Il y avait lors trois choses qui régnaient en elle assez ordinairement ; savoir : langueur, ténèbres et captivité ».

Sur quoi le bon Père conclut : « Voilà des marques de l’amour habituel qui est en cette âme... » 19


La deuxième série de propositions est aussi datée de juillet 1643. Le Père modère l’impétuosité de Mère Mectilde et l’exhorte à la discrétion, c’est le maître mot de cette série. (Nous la résumons à regret).

Mère Mectilde : « Mon attrait particulier est un entier abandon de tout moi-même à Dieu et un parfait anéantissement, en un mot, je voudrais être abîmée en Dieu ». 20

Le Père : « Cet attrait serait fort saint, mais il le faudrait ménager discrètement... »

Mectilde : « Est-il bon de se laisser entièrement à l’amoureuse Providence de Dieu et en cet abandon ne prendre pas grand soin des choses temporelles, ni même de ce que l’on deviendra, mais se satisfaire de cette pensée : Je suis toute à Dieu ? (Ego Dei sum) ».

Le Père : « Il faut user de discrétion : il faut que le spirituel soit très indifférent à tous états, mais ainsi que le disait saint Ignace, il doit travailler comme s’il n’était point attaché à la Providence, et en même temps néanmoins il doit tout espérer de Dieu comme si son travail n’était qu’une chose adjointe ».

Mectilde : « En l’oraison faut-il forcer son entendement ?...»

Le Père : « Il ne faut point forcer son entendement, mais il le faut conduire doucement »... Mectilde : « J’ai un désir ardent de solitude et de me retirer de tant d’occupations... »

Le Père : « Il faut tendre à la solitude discrètement... Rester dans l’obéissance... »

Ce désir de solitude sera pour Mère Mectilde une vraie tentation qui la poursuivra longtemps.

Bref, il semble que Mère Mectilde ait trouvé le directeur qu’il lui fallait et qu’on pourrait beaucoup nuancer le portrait traditionnel de ce bon Père grâce à ces sages conseils.

Le troisième écrit est un vrai petit traité où le Père confirme les attraits de Mère Mectilde. Essayons de les résumer en quelques mots.

— Désir de vie solitaire et séparée des créatures. Retraite, secret, silence.

— Attrait et disposition pour l’oraison. C’est l’anticipation du ciel : contempler et aimer.

— Dévotion au Saint-Sacrement où Jésus est « caché » et appel à honorer « par état » cette vie cachée.

— Pour entrer en communication de l’Esprit de Jésus et dans les opérations de sa vie divine, il faut entrer dans ses états d’anéantissement et d’abjection. Imiter Jésus serviteur et humilié, participer à tous ses « états ». (Ceci ne saurait être trop souligné. Chaque mot porte).

— Bien avare à qui Dieu ne suffit. 21 Dans la pauvreté suprême de toute créature, vous vous trouverez riche par la pure jouissance du Dieu de votre amour. C’est un repos et joie inconcevables.

— Bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice. Bienheureuse l’âme qui n’a point d’autre désir que d’aimer du pur amour, la faim que vous sentez est une grâce qui n’est donnée qu’à peu... Elle ira toujours croissant... à mesure que vous vous purifierez.

— Par tout cela, vous acquerrez la paix de l’âme et reposerez en Dieu. Je vous annonce beaucoup de combats et de tentations pour parvenir à la possession du Pur Amour.

— Ayez une dévotion particulière à Marie (et là nous trouvons un tableau raccourci du mystère de Marie qui annonce ce qu’en dira Mère Mectilde dans ses conférences).

— La perfection ne consiste pas dans les lumières, mais néanmoins les lumières servent beaucoup, ne pas négliger de s’instruire.

— Dévotion à l’Âme de Jésus : entrer dans ce ciel intérieur vous merveilles d’amour ».

On peut dire que Mère Mectilde a bien profité de tout cela. Par ailleurs, le Père Chrysostôme a une très haute estime de sa dirigée. « Il a dit souvent qu’il trouvait plus de spiritualité dans le petit réduit de Saint Maur que dans toute la grande ville de Paris, et que, tout théologien qu’il était, la Mère Mectilde du Saint — Sacrement lui avait appris des secrets qu’il ne trouvait point dans les livres » (Giry, p. 11).

« Un ami de Bernières écrit de son côté : “Je n’ai point encore pu voir les religieuses dont notre bon Père Jean Chrysostôme fait un grandissime état, particulièrement de la Mère Mectilde du Saint Sacrement : il dit qu’elle va comme un géant dans les grandes voies de l’amour, et qu’elle est fortement fondée en pure vertu”. Une religieuse qui a demeuré avec elle à Saint Maur nous assure qu’elle était toujours en prières, autant qu’elle pouvait, et que lorsqu’elle en sortait, son visage paraissait extraordinairement animé de l’amour de Dieu, dans une ardeur à mettre tout le monde en ferveur » (P 101, p. 151).

« Monsieur Boudon [14], archidiacre d’Évreux, fit bientôt connaissance avec la Mère Mectilde lorsqu’elles furent arrivées à Saint Maur, de laquelle il écrivit ainsi à une Supérieure : “J’ai eu la grâce de voir la Mère Mectilde pour avoir avec elle une conversation du Royaume du ciel, d’où nous primes occasion de nous écrire mutuellement... Les paroles de cette servante de Dieu étaient un or purifié au feu...". Dans une autre lettre qu’il écrivit à une autre Supérieure, il parle ainsi : “J’ai eu la grâce de voir à Saint Maur pour la première fois la Mère Mectilde, car j’estime cela comme une véritable grâce. Je puis assurer que je l’ai trouvée tellement remplie de Dieu que j’en sens en moi-même les effets. Elle me causa une véritable joie céleste... ce que la présence de cette pieuse fille a opéré en moi est inexprimable” (ibid. p. 50).

BERNIÈRES

Voyons maintenant la correspondance avec Ber — fières et Roquelay. Dès Montmartre, Mère Mectilde nous apprend qu’elle souffrait par soumission à la divine justice. Elle va être de plus en plus aux prises avec cet attribut divin. N’oublions pas qu’elle la définit : “La miséricordieuse justice qui n’est autre que son amour”. L’amour qui purifie.

Le 15 mai 1644, elle écrit à Jourdaine de Bernières 15 : “Priez, très chère Mère, Celui qui nous est tout qu’il me rende digne de faire un saint usage des croix ; mais notamment des intérieures, lesquelles met-tent quelquefois dans quelque sorte d’agonie ; dites pour moi, je vous supplie, pensant à mes misères :” Iustus es Domine ». Oh ! que mes péchés, mes libertinages passés et mes infidélités présentes méritent bien ce traitement, lequel je trouve (nonobstant ses violences) tout plein de miséricorde. « Bénie soit la main adorable qui me fait ressentir quelque petite étincelle des effets de sa divine justice. Aimez pour moi cette justice de Dieu, c’est ma félicité lorsque j’ai la liberté de lui faire hommage ». « Adorez cette divine justice » (2524).

Le 7 juillet : « Je suis toute à sa puissance, attendant avec paix et repos les effets de son adorable justice » (75 b).

Et le 13 août 1644 ce texte étonnant à Bernières : « Ne pouvant me persuader que la Majesté adorable d’un Dieu daignât bien abaisser les yeux pour regarder la plus impure des créatures et le plus sale néant qui ne fut jamais sur terre... Si elle me mandait que la très sainte et très aimable justice de mon Dieu m’abîmerait au centre des enfers, je n’aurais nulle difficulté de porter croyance à une telle sentence. Car en esprit j’y suis en quelque manière abîmée, ne voyant aucune place qui me soit convenable que le plus affreux de ces cachots que je porte par hommage à la divine, très sainte et amoureuse justice de mon Seigneur et de mon Dieu, que j’aime d’une tendresse égale à sa sainte miséricorde. Si j’osais je dirais davantage, prenant un plaisir plus grand dans l’effet de la première que de l’autre, parce que je vois une main d’amour qui fait justice à soi-même, faisant ce que mon amour-propre m’empêche de faire. Aimez Dieu pour moi, mon très cher frère, voilà tout ce que je puis dire dans l’état présent » (2276).

Tout est œuvre de l’amour, il n’y a pas d’antinomie. Mais sur ses vieux jours, on entendra un autre son de cloche : « Il est juste, Il est vrai, mais penchez plutôt du côté de sa bonté que de celui de sa justice » (Entretien sur l’abandon, 2436). La miséricorde deviendra première, nous le verrons.

Ainsi Mère Mectilde est prise entre le sens très aigu de son néant, de son péché, et l’impétueux désir d’être toute à Dieu.

Le 18 août 1644, elle écrit à Bernières : « Mon actuelle occupation est de tendre à lui et d ’être à lui sans aucune réserve » (572).

RETRAITE

Le 30 septembre 1644, Mère Mectilde écrit au Père Chrysostôme :

« Mon très Révérend Père, l’obéissance m’a donné dix jours de temps pour entrer en retraite, commençant dès la veille de saint Denys. Je vous supplie, mon très cher Père, de me dire votre pensée et votre sentiment sur cette retraite, à quoi je dois occuper mon esprit et quels doivent être les sujets de mes méditations ; je vous supplie aussi de prier notre bon Seigneur pour moi et de m’appliquer votre sainte bénédiction pour commencer cette œuvre que je désire faire à la plus grande gloire de Dieu. Je vous supplie que je sache de vos nouvelles avant ce temps, si je ne puis avoir la consolation de vous voir. En ce temps je vous écrirai très particulièrement ; recommandez-moi, je vous prie, aux saintes prières du bon frère Jean Baptiste et de toutes les bonnes âmes que vous connaissez. Vous savez mes besoins et connaissez mes misères ; je me repose sur votre charité, espérant qu’elle continuera ses effets puisque Notre Seigneur en sera glorifié et que mon âme en pourra être convertie, selon SES désirs. Notre Très Révérende Mère et toutes mes Sœurs vous présentent leur humble recommandation. Je suis en Notre Seigneur, toute vôtre... » (2135).

Le Père lui répond :

« Notre très chère Mère, Jésus soit votre lumière et votre conduite !

Dans votre retraite, tendez à l’amour divin, car vous y avez disposition particulière. Prenez pour vos sujets d’oraison ceux auxquels la grâce vous inclinera intérieurement, auxquels vous pourrez joindre l’amour de Dieu qui vous parait en l’Incarnation, en la sainte Eucharistie et au crucifiement. Voyez aussi si vous vous porterez aux méditations de l’Être divin, de l’immensité, bonté, sainteté, infinité et toute-puissance. Ne lisez que des sujets d’amour divin.

Je soumets tous ces avis à votre Révérende Mère Supérieure à laquelle je présente mes humbles recommandations, et aussi à nos Mères de la Résurrection, Dorothée et Angélique (moniales de Rambervillers).

Je vous renvoie les papiers de la Mère Benoîte et ma réponse. Je tâcherai de vous voir au plus tôt, dans la fin de vos exercices, je prierai chaque jour pour vous, je vous supplie de faire le même, car à présent j’en ai grand besoin. Écrivez chaque jour ce que vous aurez fait et ensuite je vous en dirai mon sentiment. Bon courage, Dieu est avec vous » (312).

Dans une lettre écrite à Bernières le 25 de l’an 1645, nous voyons que Mère Mectilde continue son chemin vers le Rien-Tout : c’est le Mystère pascal.

« Le plus intime sentiment qui me possède est de rentrer en Dieu. Cette simple pensée est mon occupation ordinaire et le plus intime de mes désirs... la mort, l’anéantissement est mon affection... La vue de ma misère est actuelle, mais je me réjouis en Dieu qui est la souveraine perfection et qui est suffisant à soi — même » (1304).

LE PROJET D’ERMITAGE

« Au commencement de l’année 1645, la Mère Bernardine avec la Mère Mectilde furent obligée de retourner à Rambervillers. Cinq mois après, elles retournèrent à Saint Maur où elles trouvèrent M. de Bernières qui leur découvrit le dessein qu’il avait de se retirer en une solitude. Elles louèrent son dessein et lui avouèrent qu’il y avait longtemps qu’elles pensaient à faire la même chose, et depuis ce temps, leurs entretiens ne roulèrent que sur cette matière. La Mère Mectilde écrivit deux lettres à M. de Bernières à Paris, dans lesquelles elle lui représente au vif les grands désirs qu’elles avaient pour la solitude. Elle lui fit aussi savoir qu’elles sont déjà au nombre de cinq qui avaient ce dessein, qu’elles le prient de prendre cette affaire en mains, et d’avertir en même temps le Père Chrysostôme pour en savoir son sentiment là-dessus » (N 250, p. 53).

Le 30 juin Mère Mectilde écrit à Bernières : « (Je) vous assure de la constante et ferme résolution des cinq solitaires qui augmente tous les jours dans l’affection à une sainte retraite telle que votre bonté se propose de nous faire observer, nos désirs sont extrêmes... Et comme je ne reconnais au ciel ni en la terre point de bonheur plus grand que celui d’aimer Dieu d’un amour de pureté, faisant quelquefois réflexion sur le genre de vie que nous prétendons d’embrasser, il me semble que c’est le chemin raccourci qui conduit au sacré dénuement... Il faut être pauvre de toutes sortes pour l’amour de celui qui nous appelle dans sa voie » (1386).

Elle conclut une de ses lettres : « Les cinq hermitesses vous saluent ! » Et Bernières écrit à un ami, à Caen, le 4 juillet 1645 : « Monsieur... Au reste j’ai trouvé cinq ou six personnes de rare vertu et attirées extraordinairement à l’oraison et à la solitude, qui désirent se retirer dans quelque ermitage pour y finir leur vie et pour vivre dans l’éloignement du monde et dans la pauvreté et abjection, inconnues aux séculiers qu’elles ne voudraient point voir, et connues de Dieu seul. Il y a longtemps que Notre-Seigneur leur inspire cette manière de vie. J’aurais grand désir de les servir au-dehors et de favoriser leur solitude, puisque Notre-Seigneur nous a donné l’attrait à ce genre de vie qu’elles entreprennent, sans aucun dessein de se multiplier ni augmenter de nombre, même en cas de mort. C’est un petit troupeau de victimes qui s’immoleraient à Dieu les unes après les autres.

Ce sont d’excellentes dispositions que les leurs, et leur plaisir sera de mourir dans la misère, la pauvreté et les abjections, sans être vues ni visitées de personne que de nous. Cherchez donc un lieu propre pour ce sujet où elles puissent demeurer closes et couvertes, avec un petit jardin, dans un lieu sain et auprès de pauvres gens, car le dessein est d’embrasser et de marcher dans les grandes voies et les états pauvres et abjects de Jésus... Ces personnes sont fortes en nature et en grâce. Faites donc ce dont je vous prie pour ce sujet, et surtout gardez le silence, sans en parler à personne du monde » (P 101, p. 200).

Le 12 juillet il écrit encore à ses amis de Caen : « Cherchez tous ensemble par-delà une maison qui soit propre à nos ermites, leur dessein est approuvé... La Mère Mectilde est une âme toute de grâce... »

Le 4 juillet Mère Mectilde avait écrit de son côté parlant encore de son projet : « La résolution est toujours ardente ». Et le Père Chrysostôme lui répondait : « Un peu de patience pour votre ermitage, entrez maintenant dans la pure solitude du cœur ».

Mais Bernières est ruiné (il devait fournir ledit ermitage), ce qui renverse le projet. Le désir ardent de solitude n’est donc pas réalisé. Détachement, suivi d’un bond en avant, ce que nous vérifierons plusieurs fois dans la suite.

L’œuvre de Dieu avance dans son âme :

Le 10 février 1646, elle écrit à Bernières : « Notre-Seigneur m’a fait beaucoup de miséricordes (qui me plongent dans le) silence... La puissante et très adorable main de mon Dieu me touche et m’attire efficacement... Il me semble que je commence à vivre depuis que mon Dieu règne plus absolument en moi » (794).

Le 26 mars 1646 le Père Chrysostôme meurt. Grande désolation et grand détachement. Elle assiste en esprit à son agonie et en reçoit de grandes grâces. Elle y fait allusion dans une lettre du 12 mai 1646 : « Depuis l’instant de sa mort, il m’a fait changer de disposition... Il me semblait que Jésus-Christ me remplissait (de son Esprit). Je me trouve changée, mais non au point que j’espère l’être... Je me trouve plus forte et plus abandonnée » (758).

Boudon raconte de son côté dans la « Vie » du Père Chrysostome « L’homme intérieur » p. 319 : « L’homme de Dieu, par les mouvements de sa grâce et d’une sainte confiance en la bonté de son Dieu, avait promis à une personne avec laquelle l’esprit de son aimable Maître l’avait uni très saintement, qu’avant trois jours après son décès, il la viendrait entretenir du Royaume de Dieu à l’imitation de son divin Sauveur dont il est rapporté dans les Actes des Apôtres qu’il leur apparut après son humiliante mort et sa glorieuse résurrection, leur parlant beaucoup du Règne de Dieu. La personne avec qui il avait fait cette promesse fut persuadée qu’elle fut accomplie par Notre Seigneur même qui lui dit dans l’intérieur de l’âme que son bon serviteur lui avait été tellement uni qu’il était comme un autre lui-même, et qu’ainsi il voulait qu’elle sût qu’il lui paraissait en sa personne sacrée, et que c’est ainsi qu’il s’acquittait de ce qu’il lui avait promis ».

D’après l’abbé Berrant (p. 54), voici le récit de cette grâce, récit que lui a fourni le Père Guilloré 16 :

« L’emploi de la Mère Mectilde à Saint Maur était de pourvoir aux nécessités journalières de la communauté. Le dimanche de la Quasimodo, étant à la cuisine occupée dans les fonctions de ce même emploi, mais bien plus du désir qu’elle avait de participer à l’esprit de son bienheureux Père (Chrysostôme), ayant éprouvé depuis sa mort, en plusieurs occasions que je serais trop longue à rapporter, des secours qui ne lui laissaient aucun doute de sa béatitude, il lui sembla que Notre Seigneur dans ce moment la remplissait du Sien propre. (Notons l’humour du Seigneur : tu veux l’esprit de ton Père Chrysostôme ? Je te donne le mien !). Ce qui produisit dans son âme d’admirables effets. Elle se trouva changée de dispositions intérieures, étant plus courageuse, plus abandonnée et toujours plus fortifiée pour aller à Dieu dans la pureté de ses voies et de son Esprit. Elle fut encore pénétrée d’une lumière qui lui fit connaître, même sensiblement, la manière dont Dieu remplit le monde par son immensité, et que toutes choses sont abîmées en lui comme en leur centre ; il lui donna l’intelligence du droit qu’il s’était acquis par sa mort sur toutes les créatures animées et inanimées, et cette impression fut si forte qu’elle resta plusieurs mois gravée dans son âme qui ne voyait que Dieu en tout. Si elle agissait et parlait, c’était sans autre réflexion que sur cette plénitude de Dieu et ce domaine de Jésus-Christ, et tout ce qu’elle touchait semblait perdre son être naturel, tant elle le voyait investi de celui de Dieu ».

Après la mort du Père Chrysostôme le manuscrit P 108 bis, p. 43, nous apprend que : « Ne pouvant pas ensuite, tout éclairée qu’elle était, se conduire autrement que par l’obéissance, elle se mit sous la direction de la Mère de Saint Jean l’Evangéliste1, religieuse de Montmartre d’un très grand mérite, qui était Supérieure d’une petite Communauté au Faubourg de la Ville-l’Évêque. Cette nouvelle directrice lui interdit absolument toutes les pénitences que le Père Chrysostôme lui avait ordonnées ». Elle quitte sa ceinture de fer. (L’abbé Berrant situe ce fait en juin 1646, p. 56) : « Que si elle n’était si crucifiée de corps sous la Mère de Saint Jean, elle le fut beaucoup plus du côté de l’esprit, car ce fut alors qu’elle entra par ses avis dans le creuset purifiant où il faut se tenir pour arriver à l’indépendance de toutes les créatures et au Pur Amour de l’Être incréé, et pour mettre sa félicité dans un parfait dénuement de tout soi-même. Sur quoi elle disait souvent qu’elle sentait à toute heure la main du divin Amour qui se faisait justice en elle et qui y détruisait, par la voie d’un crucifiement douloureux, jusqu’au moindre reste de son amour-propre ».

Cette Mère de Saint Jean n’est autre que Charlotte Le Sergent [18]. Brémond en fait l’éloge dans l’Histoire littéraire du sentiment religieux en France (Tome II, pp. 467 à 484), où il renvoie à l"'Abrégé » de sa vie par la Mère de Blémur 18 (pp. 481-483). Il parle de ses relations avec Mère Mectilde.

« De toutes les élèves de Charlotte Le Sergent, c’est Catherine de Bar qui lui fut la plus chère et qu’elle a le mieux façonnée à sa propre image. Elle avait connu d’avance la vocation particulière de cette future “victime” dont nous admirerons plus tard le génie et l’apostolat ».

« Étant en oraison ce matin, lui écrivait-elle, je vous ai vue entre les bras de Jésus-Christ, comme une hostie qu’il offrait à son Père pour lui-même et d’une manière où votre âme n’agissait point, mais elle souffrait en simplicité ce que l’on opérait en elle... Vous n’avez rien à craindre, le je ne sais quoi qui vous va séparant de toute douceur est ce que j’estime le plus simple et le plus sûr de votre voie... Je vous dis ce que l’on me met en l’esprit sans le comprendre, étant dans un état où je n’ai rien, rien, rien, sinon une certaine volonté qui veut ce que Dieu veut et qui est disposée à tout » (Abrégé p. 116-118).

« J’ai vu tout votre être absorbé dans une lumière devant laquelle la vôtre a disparu, et je voyais en cette région lumineuse un jour sans ténèbres où la créature n’était plus rien, Dieu étant tout » (Abrégé p. 127).

Au mois de juillet, Mère Bernardine s’en va à Rambervillers et demande à Mère Mectilde de la remplacer à la tête de la petite communauté. À cette idée, Mère Mectilde a une réaction si violente que les Sœurs en sont effrayées. Elle a fait vœu de ne vouloir que la volonté de Dieu, mais il lui faut trois jours de combat pour retrouver la paix avec l"'indifférence ». « Je ne pouvais plus avoir de volonté que pour l’anéantir en la Sienne ». Elle progresse dans le détachement et l’abnégation, mais ce n’est pas fini.

CAEN

6 novembre 1646. Autre coup de massue : on la demande comme supérieure à Caen. Mère Mectilde résiste tant qu’elle peut. Elle écrit à Bernières : « La lecture des vôtres m’a surprise et je vais vous dire tout simplement ce que j’en pense. Premièrement : je doute aussi bien que vous si l’ordre de Dieu m’appelle en cette maison. Secondement : je n’ai ni grâce ni capacité pour être supérieure. Troisièmement : je crains de perdre l’esprit d’oraison qui semble prendre quelque petit accroissement, celui de pénitence, de la sainte pauvreté et abjection que notre bienheureux Père nous a si saintement imprimée en nos esprits. Quatrièmement : notre Communauté n’y consentira jamais. Il faut un coup de la toute-puissante main de Dieu pour me tirer d’avec elles : vous savez l’amitié que nos Sœurs ont pour nous.

Je sais bien quelle est cette maison, il y a longtemps que l’on m’en a parlé. Mais comme j’ai une très grande répugnance à la supériorité, et que d’ailleurs je suis liée à une Communauté de laquelle je ne sortirai jamais par moi-même, je me laisse et m’abandonne à Dieu sans réserve pour être et faire tout ce qui Lui plaira au temps et à l’éternité. Et si d’aventure vous voyez jour pour faire cette affaire, pour l’amour de Dieu, avant que de vous conclure demandez bien son saint Esprit pour connaître la divine volonté. Je m’en repose entièrement sur votre charité ; vous connaissez mes petites dispositions, et Notre Seigneur nous ayant liés par les chaînes de son divin Amour, portez-moi toujours à ce qui est plus purement sa gloire. Je porte un certain état d’insensibilité à toutes choses pour me rendre à Dieu seul, et si vous y remarquez son bon plaisir, je m’y sacrifierai de très bon cœur, car je ne veux plus vivre que pour Jésus — Christ.

Pour moi, je pense que dès aussitôt que l’on nous aura vue, que cette bonne dame désistera de ses poursuites. Vous savez, mon très cher frère, que je ne suis qu’une pauvre idiote et incapable de quoi que ce soit.

Voilà ce que j’avais à vous dire sur cette affaire. Ne serait-ce point cette croix que notre bon frère Jean nous a annoncée de la part de Dieu ? Car elle est de supériorité. Bon Dieu ! N’y a-t-il point moyen de souffrir sans être supérieure ! Recommandez le tout à Dieu autant qu’il vous sera possible. C’est l’affaire de sa gloire, il la faut conduire discrètement et purement pour Lui seul. J’ai une grande joie de la voir entre vos mains. J’ai de la peine à quitter mon état pauvre et abject pour posséder plus de commodités, et, en apparence, plus d’éclat. Mon cœur se pourra résoudre à faire le voyage, mais non à accepter la supériorité. Je ne pense pas que cela soit, ou bien Dieu me donnera d’autres grâces.

À Dieu, mon très cher frère ; voyez avec quelle simplicité je vous écris. Vous voulez bien, car vous êtes un bon frère et celui qui m’est donné de Dieu par la bouche de notre bienheureux père. Je suis en son amour... (775).

« J’aime mille fois mieux un petit coin dans mon état d’abjection que toutes les abbayes de France » (1287). Mais au milieu de mille orages : « de quelque côté que le navire tourne, l’âme envisage toujours son Dieu, mais d’un regard simplement amoureux qui la fait perdre et abîmer dans le sein de la divinité... Qu’il fait bon être tout à Dieu, que l’âme s’anéantisse pour laisser régner Jésus-Christ en elle, de son règne de puissance et d’amour ». Elle a un désir ardent que Jésus soit tout. « Je n’ai pu avoir d’autre désir depuis qu’il m’a fait connaître que la créature n’a rien à faire en ce monde que de s’anéantir pour laisser vivre en elle Jésus-Christ » (17 novembre 1646), (1714). Voici un mot-clé de tout son cheminement.

Le 16 février 1647 encore un écho de la lutte : « Les créatures me pourchassent. Je ne suis point morte, mais toute vivante à moi-même dans la recherche de mon repos. O. Sainte Solitude !... Je n’irai pas à Caen ! » (Elle a eu un accident de santé : palpitations ?).

Mais le 26 février elle rend les armes : silence et éloignement de toutes choses. Captivité à l’ordre de Dieu. Abandon par adhérence amoureuse à son divin plaisir. La santé va mieux. Lorraine, Saint Maur, Caen... (des trois côtés la même croix l’attend). « Que je ne fasse rien de ma volonté... il faut être anéanti et mourir à tout » (2962).

Le 11 mai 1647, elle annonce : « Notre bonne Mère remet tout à mon choix ». Et elle se tourne vers Bernières : « Choisissez pour moi ce qui est le plus de Dieu ». Elle a horreur de la supériorité qui l’attend de tous côtés, mais elle est prête à tout. Le 25 mai : « J’ai reçu mes obédiences », elle va partir à Caen.

Dès son arrivée, qui n’est pas saluée avec enthousiasme, Mère Mectilde demande au Seigneur de lui inspirer quelle conduite adopter. Il lui répond : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur ». Et c’est ainsi qu’elle gagne le cœur de cette communauté. Le 25 juin 1647, elle a un grand dégoût de sa charge, mais elle est dans la paix au milieu des contrariétés. En août elle fait une retraite et écrit à Bernières :

« Puisque je n’apprends point de vos nouvelles, je vous en donnerai des nôtres, et vous dirai que j’ai fait quatre ou cinq jours de retraite avec tant de consolations, que je reprenais vie et rajeunissais à vue d’œil. II me semblait que j’étais dans mon centre, me voyant séparée des créatures, et seule avec le divin objet de notre amour. Je vous confesse que mon âme y prit grand plaisir ; mais d’autant que l’ordre de Dieu ne la veut point dans cette jouissance, on l’a fait passer avant que de sortir de retraite dans un nouveau sacrifice au bon plaisir de Jésus. J’ai vu comme le divin plaisir me devait être toute chose, et à même temps mon cœur plein d’amour et de respect pour Lui. Il rendait les hommages les plus intimes que la grâce lui fournissait, et à même temps abîmait le désir de perfection et de jouissance.

Mon âme disait à son Seigneur : « Mon Dieu, il me semblait du passé que vous me faisiez l’honneur de m’attirer à la contemplation de vos divines grandeurs et dans une sorte d’amour qui semblait me devoir consommer. Et à présent vous retirez votre abondance pour me lier à votre divin plaisir et pour le respect duquel vous me faites faire ce que naturellement je répugnais. Mais c’en est fait : je suis toute à vous et toute sacrifiée à votre adorable plaisir. Je suis pour votre amour la servante de vos servantes. Que si en nettoyant les robes de vos épouses, la mienne en est poudreuse, je me confie et m’abandonne à votre bonté. Mes intérêts, ma perfection et mon salut est entre vos mains, et je proteste que je ne suis plus qu’une victime de votre bon plaisir.

O Plaisir divin que vous êtes précieux aux yeux de mon âme ! Que votre amour fasse ma consommation puisque Jésus-Christ le désire.

Au reste, mon bon, mon très cher et très intime frère, je ne doute plus de la volonté de Dieu sur notre demeure ici. J’ai connu assez manifestement que tel était son ordre, et les effets de ses miséricordes me confirment tous les jours. Durant les jours de ma retraite, il a touché jusqu’au fond un de nos esprits qui s’est venu jeter entre nos bras pour avoir quelque assistance. Votre, etc. » (2529). C’était la plus rebelle. Le 12 décembre 1647 elle écrit : « qu’il me donne la force et le courage pour me bien surmonter et être toute à tous » (1177). Mère Mectilde se donne tout entière à sa tâche, elle y réussit, et le Seigneur la comble de grâces (10 septembre 1648) : « Depuis notre petite retraite, il me semble que je suis toute renouvelée... Je reçois des forces tout autres que du passé ; mon esprit est plus libre, plus dégagé et moins sensible qu’il n’était... au reste, je ne sais ce que je fais ni ce que je suis, il faut mourir dans le pur abandon à la sainte Providence » (1268).

On sait combien fut bénéfique pour cette Communauté son séjour à Caen. Nous en avons quelque écho dans le témoignage d’une de ses religieuses, qui n’était pas des plus faciles, et que Mère Mectilde parvint à dompter. Ainsi nous le rapporte le P 101 : « Un jour, elle crut que j’avais besoin de prendre quelque chose de plus que la Communauté à la collation, à cause que j’étais indisposée. Comme je suis d’une humeur prompte, je lui résistai ; elle me fit venir au milieu du réfectoire pour me faire manger ce qu’elle m’avait fait servir, je ne le voulus point ; elle me menaça de la discipline, je n’en fis point d’état. Le soir elle vint voir nos Sœurs qui coulaient la lessive (car elle avait grand soin de celles qui étaient dans le travail). Je descendis pour voir nos Sœurs, et lorsque je l’aperçus, je m’enfuis et barrais la porte de la chambre où je couchais. Le lendemain étant allée à la cuisine, pour quelque chose de mon emploi, j’y rencontrais deux de nos Mères qui me parlèrent sur ma résistance et me conjurèrent de ne point demeurer dans ma mauvaise disposition ; mais tout ce qu’elles me dirent m’endurcit encore plus et je leur parlai même avec mépris et murmure de notre digne Mère. La lecture pour le travail sonna, et je m’y en allais : je ne sais ce qu’elle y dit, mais sa présence me changea tout d’un coup, en sorte que de moi-même je m’accusai de ma rébellion et de toutes les fautes que j’avais faites dont elle me parut touchée en m’en imposant pénitence. Les deux Mères, à qui j’avais déchargé mon cœur, s’entreregardaient l’une l’autre, car elles me croyaient endurcie ; ce fut Dieu qui me toucha par la présence de notre digne Mère. Cela m’est arrivé bien des fois.

Nous nous assemblions à ses pieds pendant les récréations, où elle nous parlait de Dieu. Les jours où nous communiions, elle prenait du temps avant la sainte messe pour faire une conférence sur la fête ou sur l’Évangile pour nous entretenir pendant l’Action de grâces. Quelquefois elle nous disait que le bon Dieu ne lui avait rien donné pour nous dire.

Un soir qu’elle était fort occupée, elle m’envoya pour elle au parloir à M. de Roquelay, ami de M. de Bernières, en attendant qu’elle pût s’y rendre. Je ne sais ce que ce bon prêtre me dit, mais je lui répondis sans façon. Le lendemain, le bon Dieu me donna la pensée de demander à notre digne Mère mes intentions pour la communion, car elle ne nous avait rien dit ce jour-là. Elle se mit à me chapitrer et à me dire que je trompais les créatures et me priva de la sainte communion. Je puis assurer que je fus aussi satisfaite de cette mortification que si j’avais communié. Elle me disait souvent que l’affection qu’elle avait pour moi ne lui permettait pas de me rien pardonner. J’avais de mon côté tant de respect pour elle que, quoiqu’elle fut bien aimable, je tremblais néanmoins quand elle tenait chapitre et quelle prenait son sérieux.

Les personnes qui l’avaient le plus désobligée étaient celles pour qui elle passait les nuits et qu’elle assistait davantage dans les maladies, les servant dans les choses les plus basses et les comblant de marques de bonté et d’affection.

Un jour que l’on avait assemblé le chapitre pour proposer une affaire sur laquelle j’étais fort opposée, je me laissai emporter avec quelques autres et je n’y voulus point consentir ; je parlais fort mal à propos ; mais comme j’aimais notre digne Mère, je fus touchée de ma faute et lui en demandai pardon. Elle refusa de m’écouter plusieurs fois que je me jetais à ses pieds pour lui demander pardon, la guettant partout où elle allait. Le vendredi suivant, elle tint chapitre et quand je vins à dire mes coulpes, elle m’ordonna de prendre sur l’heure la discipline pour les emportements que j’avais faits et me fit demander pardon à chacune en particulier au chapitre, et puis le finit. À la sortie, plusieurs me plaignaient de la pénitence que j’avais faite pour elles et pour moi ; mais j’y avais reçu tant de grâces que je 1'attribue aux prières que notre digne Mère fit pour moi. Après cette mortification, elle m’envoya quérir pour savoir ma disposition. Je la lui dis simplement et quoiqu’on voulut me porter à la désapprouver auprès de Monsieur l’Abbé de Barbery, je ne le fis pas et je lui dis au contraire qu’elle avait eu raison d’agir de la sorte : Je lui disais à elle-même les peines que j’avais contre elle sur ce que je voyais qu’elle souffrait à d’autres des choses pour lesquelles elle me mortifiait : elle me répondait que mes fautes lui étaient sensibles.

Lorsqu’il arrivait que j’avais quelque peine qui me portait à me priver de la sainte communion, je lui allais dire ce que j’avais fait et lorsqu’elle jugeait que je ne devais pas me confesser, elle me donnait pénitence et j’étais en repos, sans plus réfléchir sur ma peine. Que si au contraire elle me disait de me confesser, je le faisais sans réflexions, et souvent ma peine était levée tant elle avait de grâces pour mettre les consciences en repos.

J’avais souvent l’avantage d’être auprès d’elle pour lui aider à faire des ouvrages, ce qui me procurait bien des instructions pour ma conduite. Nous avions une telle confiance en elle que nous ne nous rebutions jamais quoiqu’elle eût bien de la fermeté dans ce qu’elle jugeait être pour notre perfection et que son extérieur fût majestueux, ce qui la faisait craindre et respecter » (P 101, p. 278).

Voici donc, en passant, un petit portrait de Mère Mectilde réformatrice.

RELATIONS SPIRITUELLES AVEC BERNIÈRES

Tout au long de cette correspondance, on pourrait souligner aussi un autre cheminement : son attachement-détachement pour Bernières, les « bonnes âmes » et les serviteurs de Dieu. Elle est amenée progressivement au silence sur son intérieur. Il faut noter aussi que, passant par des épreuves non communes, elle avait bien besoin de secours. De plus, il y a beaucoup d’affinité entre son attrait personnel et la voie de Bernières. Ils ont tous deux le même Père spirituel et en sont marqués, chacun selon sa grâce propre.

Dès novembre 1643, Mère Mectilde et Bernières échangent une sorte de « carte du Tendre » nommée « terre d’anéantissement » où ils décrivent leurs fermes de « pauvreté », de « délaissement ou abandon », reliées à la ferme de « mépris ». La quatrième ferme est « douleur ». Divertissement dans le goût du temps, mais typique.

La litanie : abjection, abandon, mépris, pauvreté, privation (779) reviendra souvent, sinon à toutes les pages. Par exemple dans cette lettre du 1er décembre où elle ajoute en substance : « C’est l’Avent, je n’écris plus, mais vous, écrivez-moi ». Le même mois, une lettre à Roquelay réclame lettres et visites.

En mars, elle parle à Bernières de ses écrits, demandant qu’on ne les montre à personne « car de plus de mille personnes vous n’en trouverez pas une de ma voie ni qui lui soit arrivé tant de choses. Vous n’en verrez qu’un petit échantillon dans cet écrit » (2546). Bernières est donc peut-être le seul entre mille à pouvoir la comprendre.

Il y avait d’ailleurs un continuel échange d’écrits et de « dispositions » dans ce petit groupe : Mère Benoîte, le Père Chrysostôme, le Père de Gondran [19], Mère Mectilde, la « bonne âme » [20] la chère S... (cf. la lettre à Roquelay du 10 décembre 1644), (25). Sans parler de la Mère de Saint Jean.

Mère Mectilde attend beaucoup de Bernières : le 18 août 1644 : « Il me veut convertir par votre moyen... puisque c’est par les secours que vous m’avez donnés et procurés que je suis sortie de certains états intérieurs où mes imperfections me tenaient liée... » (P 101, p. 176), (572).

Et voilà qu’on lui reproche ses lettres trop fréquentes !

21 octobre 1644 : « J’ai trouvé long votre silence... M. de Barbery m’écrit que j’étais trop prolixe en mes lettres, notamment en celles que je vous écrivais (je ne sais où il les avait vues !) et qu’en cela j’agissais contre la grâce. Ceci arrêta un peu ma plume jusqu’à ce que j’en serai assurée d’ailleurs... Vous me dites que je suis devenue muette... Que j’aime ce dénuement, mais que j’en suis éloignée ! » (61).

Sa plume ne s’arrête qu’à moitié. Mais le 3 janvier elle dit : « Écrivez-moi... si vous y êtes poussé par le Saint Esprit ». Le 29 janvier, nous entendons encore la double note : « Abandon, perte, anéantissement », mais « ne m’oubliez pas, écrivez-moi ».

En juin, c’est le projet d’ermitage dont nous avons déjà parlé. Le bon Père Chrysostôme tombe malade, Bernières devient « l’ange » de Mère Mectilde (753).

Le 25 septembre : « Je vous désire la perfection des trois degrés de la sainte pauvreté de toutes créatures, le mépris véritable, actif et passif de toutes créatures, et la souffrance sans consolation d’aucune créature ». Ces trois souhaits sont une citation du Père Chrysostôme (cf. H. Boudon « L’homme intérieur », p. 411), ce qui n’empêche pas son désir de communiquer avec Bernières (il n’est donc pas une « créature » ?).

5 novembre 1645 : elle est mortifiée d’être privée de son entretien : « Tâchez de revenir pour me dire ce que la grâce vous a donné » (1728). Le 7 novembre (sa plume ne chôme pas) elle dit à Roquelay son bonheur d’avoir lu les écrits de Bernières, et le 11, elle écrit à Bernières : « C’est donc aujourd’hui que j’entre dans la privation de votre chère présence... Je ne puis vous dire les bons effets que vos écrits font en moi... Que vous êtes heureux, mon très cher frère, d’être hors des créatures et de vous-même ! ... Dieu est Dieu... Je vous supplie, envoyez-moi la suite de votre disposition présente... (elle lui fait des adieux très touchants) : À Dieu, le cher amant de mon Dieu !...» (P 101, p. 205) (et surtout, ne m’abandonnez pas !), (185).

Le 15, encore une lettre à Bernières (que dirait l’Abbé de Barbery ?), tout enflammée du désir d’être blessée d’amour. « J’ai plus de passion que jamais de me retirer en solitude pour me délaisser toute à Jésus... vivre sans l’aimer, c’est mourir » (428).

Une autre lettre de 1645 nous apprend que le cher Ange est en solitude avec le bon Père. Elle est en « privation » et exprime son désir de rencontre et d’échange sur « les petits sentiments que la miséricorde de Dieu me donne de tendre à la pureté de son saint amour... il y a un je ne sais quoi qui m’arrête encore en ce passage, et je crois que la divine justice n’est point encore satisfaite... qu’elle détruise en moi tout ce qui empêche l’établissement de son règne et la pureté des saintes unions » (1721).

On voit que la Justice continue son œuvre de purification et ce n’est pas fini.

Le 16 février, Bernières est malade, le Père aussi. Elle sacrifie les deux âmes incomparables « les deux plus rares trésors du cabinet 22 de mon affection ». Encore un échange de billets de « dispositions » entre les trois ou les quatre (Bernières, Roquelay, le Père et Mère Mectilde). « C’est un de mes plus singuliers plaisirs que de savoir une âme qui par la douce violence du divin amour souffre le total anéantissement d’elle-même » (52).

À la mort du Père Chrysostôme, Bernières devient son père et son frère (1061) : « Soyez en ce monde ce qu’il m’était » (130).

Et le 5 octobre 1646 : « Comment vous portez-vous vous trois ? Votre silence est bien grand... vous commencez d’abandonner votre pauvre Sœur ».

Le 18 janvier 1647, elle aspire à « Votre saint entretien que je désire autant qu’il m’est possible sans me retirer de la soumission que je dois avoir à toute privation » (630).

Le 15 juin 1647, elle est Supérieure à Caen : « Vos saintes instructions sont la seule consolation qui me reste dans la douleur que mon peu d’anéantissement me fait ressentir sur cette élection » (1966). Durant son séjour à Caen, elle est près de Bernières, ce qui explique le peu de correspondance en ce temps-là.

Le 7 septembre 1648, Mère Mectilde lui écrit : « Je vous demande part à la belle conférence du Rien que vous avez eue avec la chère Mère de Saint Jean ». Ce « rien » est celui de saint Jean de la Croix. Ici, nous pouvons signaler l’influence du grand Docteur mystique sur la Mère de Saint Jean, Bernières et Mère Mectilde.

Bernières connut et apprécia saint Jean de la Croix. Nous en avons pour preuve cette lettre que lui adressa la Mère de Saint Jean : « Je me doutais bien, lorsque vous me dites que vous tiriez des lumières du Père Jean de la Croix, que vous seriez bientôt conduit dans le sentier secret des peines et des doutes où j’aime mieux votre âme que dans les clartés où elle semblait être auparavant ». Et elle le pousse résolument dans le sentier du « rien » sanjuaniste (Mg 7, p. 603).

Il serait fort intéressant de relever dans le « Chrétien Intérieur » mainte et mainte page directement inspirée de saint Jean de la Croix ; mais Bernières n’en a pas moins sa physionomie bien particulière : tout son « rien » semble se cristalliser autour de « Jésus pauvre, abject et souffrant », autour de « l’amour de l’abjection » 23 . La méditation assidue de l’Evangile le pousse à la pauvreté, au dénuement, à la « dernière place » d’une manière qui en fait un ancêtre authentique du Père de Foucauld — avec cette différence essentielle qu’il mène cette vie abjecte, non au cœur du Sahara, mais en pleine ville de Caen.

Mère Mectilde partage avec ardeur l’amour de « l’abjection » de Bernières, elle s’engage sur la voie du rien pour imiter le Christ qui s’est « anéanti », le Mystère Rédempteur étant au centre de sa vie et de sa doctrine, mais elle ne s’arrête pas à l’abjection, elle va jusqu’au bout du Mystère Pascal, et comme elle a profondément assimilé la doctrine de saint Jean de la Croix, elle se plaît à nous décrire cette voie comme le chemin qui mène droit à Dieu dans une marche intrépide qui est celle de la « Montée du Carmel », écartant délibérément tout ce qui n’est pas Dieu seul, guidé par la lumière — obscure — de la pure foi.

« Pour se laisser guider sûrement par la foi, à cet état de contemplation, écrit saint Jean de la Croix, l’âme non seulement doit se tenir dans l’obscurité dans cette partie d’elle-même qui a rapport avec les créatures et le temporel, c’est-à — dire sa partie sensitive et inférieure, mais aussi dans cette partie qui a rapport à Dieu et aux choses spirituelles ; c’est-à-dire sa partie raisonnable et supérieure ».

« L’âme doit se dépouiller complètement et volontairement de tout ce qu’elle peut contenir d’affection aux choses d’en haut ou d’en bas ; elle le fera dans toute la mesure où cela dépend d’elle, et alors qui empêchera Dieu d’agir en toute liberté dans cette âme soumise, dépouillée, anéantie ? Que celui qui aspire à s’unir à Dieu ne s’appuie pas sur ses connaissances, qu’il ne s’attache pas à ses goûts ni à ses sentiments, ni à son imagination, mais qu’il croie que Dieu est, ce qui ne peut être saisi ni par l’entendement, ni par les tendances, ni par l’imagination, ni par un sens quelconque » (cf. La Montée du Carmel, livre II, chap. 4, Éd. 1641-1665).

Et l’on sait comme saint Jean de la Croix passe en revue tous les biens auxquels l’âme risque de s’arrêter sans excepter les plus hautes grâces surnaturelles, répétant toujours comme un refrain : « A cela, il ne faut pas s’attacher, cela il faut le fuir, cela il faut l’oublier ».

Mère Mectilde connaissait la Montée du Carmel, elle sait le rappeler à ses Filles qui se désolent dans leurs ténèbres :

« Dieu donc est et nous ne sommes rien ; mon Dieu, très chère, que je trouve de grandes forces et de grandes grâces dans la pratique de ce néant en foi ! Il porte l’âme à un si précieux abandon qu’elle y demeure toujours dans une paix toute divine. Souvenez-vous de ce qui est dans “La Montée du Carmel” qui est la figure de la perfection où l’âme spirituelle doit atteindre : le commencement du sentier dit : RIEN ; plus loin : RIEN ; avancez, il vous dit encore : RIEN ; après avoir fait quelques progrès dans cette montée, vous trouvez encore cette même leçon : RIEN ; un peu plus avant, vous entendez cette devise : “Vous serez d’autant plus que vous voudrez être moins” ; continuant le chemin, l’âme dit, avec une admirable expérience : “Depuis que je me suis mise au rien, j’ai trouvé que rien de me manque” (1707), à Mère Saint Placide.

Et voici le commentaire des sentences du “graphique” dans une lettre à la comtesse de Châteauvieux dont l »'esprit vif et curieux » lui donnait beaucoup de fil à retordre. Ne lui lança-t-elle pas un jour : « Vous avez grand sujet de dire que votre esprit va trop vite, car en effet il prévient celui de Dieu ! » (2804)

« Depuis que je me suis mise à rien

J’ai trouvé que rien ne me manque ».

Ce sont les paroles d’un grand saint qui l’avait bien expérimenté. Vous vous trompez, ma chère Fille, la vie intérieure n’est pas dans les lumières, mais dans le pur abandon à la conduite et à l’Esprit de Jésus.

L’unique moyen pour faire un grand progrès dans la vie spirituelle, c’est de connaître devant Dieu notre néant, notre indigence, notre incapacité. En cette vue et dans cette croyance que nous avons tant de fois expérimentées, il faut s’abandonner à Dieu, se confiant en sa miséricorde, pour être conduite selon qu’il lui plaira : soit en lumières, soit en ténèbres ; et puis simplifier son esprit sans lui permettre de tant voir et raisonne r.

Il faut vous contenter de ce que Dieu vous donne sans chercher de le posséder d’une autre façon. Ce n’est point à force de bras que la grâce et l’amour divin s’acquièrent, c’est à force de s’humilier devant Dieu, d’avouer son indignité, et de se contenter de toute pauvreté et basseté. Il faut vous contenter de n’être rien et

« Vous serez d’autant plus

Que vous voudrez être moins ».

La vie de grâce n’est pas comme la vie du siècle : il faut s’avancer et se produire dans le monde pour y paraître et y être quelque chose selon la vanité ; mais dans la vie intérieure, on y avance en reculant. C’est-à-dire : vous y faites fortune en y voulant rien être et vous paraissez d’autant plus aux yeux de Dieu que moins vous avez d’apparence et d’éclat aux vôtres et à ceux des créatures.

« Pour être quelque chose en tout

I1 ne faut rien être du tout ».

Les richesses de la vie de grâce, c’est la suprême pauvreté.

« Ut iumentum factus sum... », dit David (Ps. 72) : « J’ai été fait comme la jument » et j’ai demeuré avec vous. Demeurez à Dieu comme une pauvre bête incapable de quoi que ce soit, sinon d’être ce qu’il lui plaira ; ignorant tout et ne sachant rien que sa très sainte volonté à laquelle vous serez abandonnée et soumise sans le connaître. Et vous verrez que sa grâce, son amour et son Esprit régneront en vous » (1391). (cf. Une amitié spirituelle au grand siècle, Lettres de Mère Mectilde de Bar à Marie de Châteauvieux, Téqui, Paris, 1989, pp. 115 à 117).

Comment ne pas rappeler ici le chapitre 7 du même Livre II de la « Montée du Carmel », que Mère Mectilde a sûrement lu et médité :

« Ayant dit que le Christ est le chemin, et que ce chemin c’est mourir à notre nature, tant pour le sensible que pour le spirituel, je veux donner à entendre comment cela se fait, à l’exemple du Christ ; car il est notre exemple et notre lumière.

« Tout d’abord, pour le sensible, il est certain qu’il mourut, en esprit pendant sa vie, et en réalité pendant sa mort ; attendu, comme il dit, qu’il n’eut pas en sa vie où reposer sa tête, et encore moins en mourant.

« Pour le spirituel, il est manifeste qu’à l’instant de sa mort il fut aussi anéanti en l’âme, sans aucune consolation ni soulagement, le Père le laissant ainsi dans une intime aridité selon la partie inférieure. Ce qui le contraignit à crier, en disant : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Ce fut, dans la partie vulnérable de son être, la plus grande déréliction qu’il ait connue en sa vie. Et c’est en elle qu’il fit la plus grande œuvre qu’il ait opéré en toute sa vie par ses mi-racles et ses autres œuvres, tant sur la terre que dans le ciel, à savoir de réconcilier et unir le genre humain par grâce avec Dieu. Ce qui se fit au moment et à l’instant où ce Seigneur se trouva le plus anéanti en tout : soit quant à l’estime des hommes, car, le voyant mourir, ils s’en moquaient plutôt que d’en faire aucun cas ; soit quant à la nature, puisque, mourant, il s’anéantissait en elle ; soit quant à la protection et consolation spirituelle du Père, qui en ce temps l’abandonna, afin qu’anéanti et réduit ainsi comme à rien, il payât purement la dette et unis l’homme à Dieu. D’où vient que David dit de lui : J’ai été réduit à néant, sans rien savoir.

« Il faut donc que l’homme spirituel entende le mystère de la porte et du chemin du Christ pour s’unir à Dieu ; et qu’il sache que tant plus il s’anéantit pour Dieu selon ces deux parties : la sensible et la spirituelle, tant plus il s’unit à Dieu et fait une œuvre meilleure. Et lorsqu’il sera réduit à rien, ce qui sera l’extrême humilité, alors l’union spirituelle sera faite entre l’âme et Dieu : c’est le plus haut état où l’on puisse parvenir en cette vie. Il ne consiste pas en réconforts, en goûts, en sentiments spirituels, mais dans une vive mort sur la croix, sensible et spirituelle, c’est-à-dire intérieure et extérieure » [24]

On ne saurait mieux dire. Le dernier paragraphe éclaire tout le cheminement de Mère Mectilde. Nous verrons comment « réduite à rien » dans l’extrême humilité, elle sera unie à Dieu de la manière la plus parfaite « où l’on puisse parvenir en cette vie ».


Mais revenons en septembre 1648, où Mère Mectilde fait une retraite (notons l’importance des retraites dans sa vie). Il se fait alors un changement, et elle écrit le 28 que « ayant trouvé le souverain Bien », elle qui était si avide de converser avec les « bonnes âmes », les trouve insipides, mais pas Bernières ! Ils sont tous les deux dans un « état de silence » (155) et la Mère de Saint Jean, écrivant à Bernières, fait de longs développements sur cet « état ». Citons-en quelques passages :

« En ce nouvel état de silence, il se fait cette division de l’esprit avec l’âme, dont j’ai oui dire qu’a parlé saint Paul (Heb. 4, 12), et Dieu retire ses opérations dans l’intime de l’âme et semble rebuter toutes les autres puissances qu’il met en aveuglement et comme dans une léthargie spirituelle où elles ne peuvent mouvoir du côté de Dieu ni comprendre ce qu’Il fait dans ce fond, et comme elles se voient rejetées de cette partie, et qu’elles ont une inclination naturelle d’agir, sitôt qu’elles trouvent des appuis au dehors, elles s’éparpillent et font du tintamarre dont il ne se faut pas plus mettre en peine que du vent qui souffle, et vivre beaucoup séparé et en négligence de ce côté-là. Il doit suffire à l’âme que sa volonté en soit séparée et qu’elle porte ce tintamarre par esprit de pénitence, en patience et humilité ; car qui douterait que cet état de simple silence, de nudité et de mort d’esprit n’ait ses commencements, ses progrès et sa perfection qui, pour le dire en vérité, ne sera que dans l’état de la béatitude, en sa consommation, se tromperait. Il y a ses nuits, ses jours, ses printemps, ses étés, ses automnes et ses hivers ; et c’est de la sagesse toute puissante et souveraine de Dieu d’agir ainsi sur ses créatures, de leur donner pour leur ôter et les désapproprier de tout appui, et enfin de leur faire perdre terre en elles-mêmes, les mettant par état et disposition dans leur néant pour leur apprendre, par leur propre expérience, qu’ils sont enfants d’Adam. Oui, cela nous est très nécessaire pour nous tenir bas, petits et humbles, recourant à notre Père, nécessités par la connaissance de notre indigence et misère. Nous fâcher, nous ennuyer de cela, ou nous troubler, c’est amour-propre ; c’est méconnaître et oublier que nous sommes héritiers de l’impureté et misère de notre premier père ; et c’est humilité de porter tous ces effets misérables avec esprit de douceur, de pénitence et de résignation. L’entende qui pourra ! Il en faut venir là, ou bien n’avancer guère dans les voies de l’Esprit.

Sommes-nous plus que saint Paul qui a ressenti cette peine ? Mon Dieu, que je plains certaines âmes qui se donnent plus de peines que leurs peines mêmes ne leur donnent, par leur empressement d’esprit pour se faire quittes des ressentiments de leur partie inférieure, et voudraient vivre dans leur chair et corruption comme si elles étaient angéliques. Oui, c’est une bonne pratique d’humilité de porter son abjection devant Dieu avec résignation (Mg 7, pp. 604-606).

Vous ne vous devez étonner si dans cette voie de silence, vous ressentez plus vivement les attaques de vos passions ; c’est que dans l’oraison sensible qui frappe les sens, elles s’étourdissent, mais elles ne meurent point que par un bien long travail, après lequel peu y arrivent ; mais dans un “état de silence”, comme on travaille à leur mort totale, elles crient bien haut, mais patience !

Tout ne se fait pas en un jour, il faut monter les degrés de la montagne, et puis en haut se trouve le festin et les mets délicieux... Il faut dans cet état, abandonner nos intérêts spirituels et nous tenir content de tout... jetant les yeux vers Dieu en tout » (Mg 7, p. 613).

Mère Mectilde, à son tour, dans un « Escrit sur l’oraison » nous parlera longuement de cet « état de silence », d’une manière qui complète et approfondit ce qu’en dit la Mère Saint Jean. Il a pour nous son prix, car il fait écho à son expérience. Nous pouvons donc citer ici ce texte important, quoique non daté et probablement postérieur :

« Il me semble selon ma petite connaissance et expérience, qu’une âme que Dieu veut conduire dans le silence intérieur, doit passer trois voies sur lesquelles je n’ai dessein de m’arrêter, ce qui serait trop long, et mon ignorance trop grande pour en bien parler. Je dis donc que, selon ma pensée, il faut que l’âme entre premièrement dans l’anéantissement du sens extérieur et soit en état » que tout ce qui est sensible soit trouvé à dégoût et croix à cette âme, ou bien elle goûtera très imparfaitement le sacré repos et silence de l’âme où Dieu seul agit, mais à sa mode. Ce qu’il convient souffrir pour cela, quant aux sens extérieurs, l’expérience nous l’apprend, et tel parle de ce doux et sacré repos de l’âme en Dieu, que s’il savait les détroits qu’il faut passer pour y arriver, je ne sais s’il aurait assez de courage pour se mettre dans la poursuite d’icelui.

Mais pour entrer dans le second degré qui est l’anéantissement des vues et sentiments des sens intérieurs, il y a bien autre chose à souffrir, telle que si cette divine Sagesse qui semble être le martyre de ces âmes qu’elle veut faire entrer dans ses divins sentiers, ne ménageait ces opérations par des ressorts qu’elle proportionne à la petite capacité de l’âme, certes elle perdrait souvent courage dans le chemin. ll y aurait beaucoup à dire sur ce sujet, mais ce n’est pas mon dessein que de m’y arrêter, non plus que sur le troisième degré ou anéantissement où il faut que cette âme entre, qui est dans les anéantissements de la mémoire, entendement et volonté 25. Combien de temps l’âme est à comprendre cela, bien qu’il lui en soit donné quelques petits rayons de lumière, où elle a bien peine à se rendre, tant elle trouve cela opposé à la raison et hors de sa compréhension. Et certes si Dieu ne retirait à l’âme tous les appas et tous les appuis qu’elle tire de ses propres lumières, des affections de la volonté et autres dispositions qui laisse en l’âme (sic) je ne sais pas bien comme elle s’en pourrait retirer, d’autant que les tentations sont extrêmes sur ce sujet, et les difficultés étranges sur toutes les appréhensions où l’on entre de perte de temps dans un état si obscur à l’esprit.

Ce serait une grande entreprise que de vouloir déduire les tentations que nous nous donnons à nous-même, et surtout celles que les directeurs qui n’ont pas entrée dans cette voie, donnent. Ce n’est pas une petite grâce quand Dieu lui en fait rencontrer un qui la puisse assurer et fortifier dans sa voie, où je tiens que c’est presque une chose impossible d’entrer sans ce secours, à moins que d’avoir un trait tout extraordinaire, ou une âme téméraire qui soit peu fondée en humilité et connaissance d’elle-même ; et telles personnes, selon ma pensée, ne sont pas appelées à ce silence, mais une oisiveté les y attire et non pas l’Esprit de Dieu qui n’est point contraire à ses ordres qui sont tels qu’il a mis la direction dans son Église dont il ne se faut retirer que quand Dieu nous en ôte tous les moyens : alors il supplée par lui-même en une manière digne de sa bonté.

L’âme donc étant arrivée à ces dénuements et comme toute anéantie en Dieu, entre dans ce sacré silence, dont les commencements sont un peu pénibles, bien que mêlés de suavités, par une certaine expérience de la présence de Dieu en l’âme, laquelle ayant passé du sens à l’esprit, de l’esprit ou raisonnement à la lumière de la foi, est conduite dans une autre lumière qui, selon ma pensée, doit ou peut-être nommée une lumière « mestoyenne » entre la lumière de la gloire et celle de la foi. Si elle a un autre nom, je ne le sais pas. Dans cette lumière, l’âme est possédée de Dieu qui agit en elle comme un peintre sur une toile préparée pour son ouvrage, où il met divers traits de son pinceau. D’abord il semble que Dieu fasse un silence dans toutes les puissances qu’il tient liées et obscurcies, mais en disposition de tout ce que le maître veut. L’esprit remue un peu pour connaître ce que l’on veut faire. Il est rebuté et obscurci, l’on le fait simplifier, et dit par disposition : « Que vous plaît-il faire ? ». L’on le simplifie, l’on le captive de tous côtés, enfin il perd terre et n’a sur quoi s’appuyer. Il demeure en Dieu comme tout perdu, et Dieu est l’âme de son âme qui n’a autre capacité qu’en lui, de sorte que s’il opère, il se fait quelque chose, sinon elle repose en lui en patience et humilité, connaissant qu’il ne lui doit rien.

Autre fois, Dieu se manifeste, mais comme retiré en lui-même, et l’âme le connaît présent et est en respect comme un valet devant son maître. Autre fois l’on la désapproprie de tout et l’on la met dans le néant de toute opération où elle jouit d’un grands repos et quiétude, ne voulant ni n’étant appliquée à rien en particulier, mais est prête à tout ce que l’on voudra lui manifester ; et me semble que c’est la plus ordinaire disposition de cet état de silence.

Autre fois, elle sent une plénitude de Dieu qui semble la posséder toute, et même quelquefois les sens y participent par des goûts et suavités qui leur sont communiqués. Et l’âme est dans des actes ou dispositions continuelles de sacrifice. Autre fois, toute captive d’une impression du saint amour qui la dégage de tout, qu’elle trouve insipide, pour apparence de bon qu’il ait, et n’estime que ce qui procède de l’amour. Et comme elle connaît que c’est de Dieu même, elle ne peut vouloir que Dieu ou son bon plaisir.

L’entendement semble élevé dans cette lumière, sans les opérations de son raisonnement, mais par une manifestation qui est prompte et subite, et les effets qui s’ensuivent le sont aussi, faisant un si subit changement en l’âme qu’elle n’a le loisir de s’apercevoir comme il se fait, mais elle y est sans savoir comment, et ne l’aperçoit qu’après qu’elle y est établie.

Autre fois, quand l’âme est en doute ou agitée de quelque dérèglement, ou bien abattue en elle-même, il semble que Dieu se manifeste à elle pour l’accoiser 26 , instruire, relever. Enfin, selon son besoin, il lui dit quelques paroles distinctes qui tout d’un coup l’élèvent à Dieu et fait les effets selon que Dieu le veut et les besoins de l’âme qui, enfin pour le faire court, n’a rien à faire en cet état qu’à laisser faire et recevoir tout passivement, et laisser Dieu dans son repos en elle, quand il veut, et opérer quand il désire ; être simple, abandonnée, simplifiée, humble, fidèle en ses obligations et surtout éviter la dissipation des sens, égarement d’esprit, empressement intérieur et extérieur dans ses opérations, tant de l’un que de l’autre. La pureté de cœur et de conscience et désengagement d’esprit sont absolument nécessaire. Mon ignorance m’empêche d’en dire davantage, sinon que le rien est disposé à tout, ne désire rien, ne fait élection de rien, il ne refuse rien, Dieu y agit comme bon lui semble. C’est, ce me semble, l’état où doit être l’âme.

De dire les morts, les agonies, les tentations qu’il faut souffrir pour y arriver, l’expérience l’apprend mieux que le discours d’une simple et ignorante fille. Mais enfin les fruits qui s’en recueillent sont très doux, la paix que l’âme y goûte, la font passer par-dessus bien des difficultés, et connaît que c’est en vérité que Dieu seul peut contenter notre esprit et que c’est son véritable centre. J’y crois bien d’autres avantages, mais il ne m’est pas donné la liberté de les pouvoir dire : il m’en faut demeurer là, suppliant Notre Seigneur de nous y conduire par telles voies qu’il voudra.

Quand j’ai parlé de cette lumière qui est « mestoyenne » entre la lumière de gloire et celle de la foi, je veux dire qu’encore bien que l’âme, dans l’état du silence intérieur, soit en foi en Dieu qui agit en elle à sa manière, elle y reçoit une autre lumière qui éclaircit celle de la foi, le propre de laquelle est de captiver et assujettir l’entendement humain à la vérité des mystères que la foi nous enseigne, sans les voir ni comprendre, les croyants dans la vérité de ce qu’ils sont sans autres distinctions. Mais en celle qui est donnée à l’âme en cette voie, l’entendement est élevé avec tant de certitude des choses qui lui sont proposées, qu’elle n’en pourrait jamais douter, bien qu’elle le voulût, ayant une belle intelligence secrète et intime qui la tient très certaine de tout ce qui lui est donné à croire, qui, selon ma pensée, peut être appelé don d’intelligence que le Saint Esprit verse en l’âme.

Je me suis aussi oubliée de dire qu’en cet état de silence intérieur l’on ne peut donner aucune loi ni exercice, ni l’âme en prendre, mais qu’elle doit attendre et recevoir ce qui lui est donné en toute simplicité. Sa règle et méthode est de n’en point avoir, étant souffrante et non agissante dans cette voie, (566).

Le 8 octobre 1648, Mère Mectilde demande à Bernières de lui écrire sur la « pure union ». Pure et nue foi et silence prodigieux y conduisent... ses puissances ne se taisent pas comme il faut, que faire ? Ne gardez pas le silence à mon égard ! « Allons à Dieu purement en nous entr’aidant l’un l’autre » (781).

Le 5 novembre 1648 : « Mon âme aime et chérit la vôtre plus intimement, plus cordialement et fortement que jamais... Plût à Dieu vous tenir une ou deux heures à notre parloir... À Dieu jusqu’à lundi, je ne peux me pouvoir mortifier de me priver de vous écrire le plus souvent que je pourrai, je vous conjure de l’agréer » (804).

Le 7 décembre 1648 : « Mon âme ressent une grande tendresse pour la vôtre ». La dirigée devient peu à peu directrice : « courage, demeurez fidèle... ». On voit aussi dans cette dernière lettre que Mère Mectilde s’enfonce toujours davantage dans la « nuit obscure » : « Notre Seigneur me conduit par les ténèbres et la pauvreté, je ne sais plus ce qu’il fera de moi, je ne connais plus, je ne goûte plus, je ne vois plus, je ne sais plus rien sinon qu’il faut se perdre, et encore ne sais — je de quelle sorte je me dois perdre. Tout ce que je puis faire c’est de demeurer paisible en m’abandonnant à la divine conduite sans retour » (169).

RAMBERVILLERS

Mère Mectilde a terminé son séjour à Caen. On la retrouve à Rambervillers où elle vient d’être élue Prieure.

Le 7 de l’an 1651 : « C’est ici une étrange solitude... » Elle est dans le « tintamarre » et en éprouve une révolte à en tomber malade. Elle est perplexe et a la tentation de se retirer dans un monastère où elle aurait la paix. Elle projette de demander un « Bref » au Pape pour se tirer de là. Mais « je ne veux rien faire de ma volonté ». Elle ne désire qu’oraison et solitude. Une abbaye en Alsace, comme sa sœur le lui avait proposé ? Non, elle préfère porter la besace que la cros

se ! Ce qu’il lui faut, c’est un petit coin en Provence ou devers Lyon, (pour n’être plus connue de personne). Elle craint que sa « petite oraison » ne s’évapore dans ce tracas (2158).

Bernières lui répond avec beaucoup de sagesse :

De l’hermitage de saint Jean Chrysostome

ce 14 février 1651.

Dieu seul et il suffit.

Je répondrai brièvement à vos lettres, qui sont les premières et les dernières que j’ai reçues de votre part, lesquelles m’ont beaucoup consolé d’apprendre de vos nouvelles, et de votre état extérieur et intérieur. Je ne vous ai jamais oubliée devant Notre Seigneur, quoi que je ne vous aie pas écrit, notre union est telle que rien ne la peut rompre. Ces souffrances, nécessités et extrémités, où vous êtes, me donneraient de la peine si je ne connaissais le dessein de Dieu sur vous, qui est de vous anéantir toute, afin que vous viviez toute à lui, qu’il coupe, qu’il taille, qu’il brûle, qu’il tue, qu’il vous fasse mourir de faim, pourvu que vous mouriez toute sienne, à la bonne heure. Cependant, ma très chère Sœur, il se faut servir des moyens dont la Providence vous fera ouverture pour vous tirer du lieu où vous êtes, supposé l’extrémité où vous réduit la guerre. J’ai bien considéré tous les expédients contenus dans vos lettres ; je ne suis pas capable d’en juger, je vous supplie aussi, de ne vous pas arrêter à mes sentiments. Mais je n’abandonnerai pas la pauvre Communauté de Rambervillers, quoique vous fussiez contrainte de quitter Rambervillers ; c’est-à-dire qu’il vaut mieux que vous vous retiriez à Paris pour y subsister, et faire subsister votre refuge qui secourra vos Sœurs de Lorraine ; que d’aller au Pape pour avoir un couvent, ou viviez solitaire, ou que de prendre une abbaye : La divine Providence vous ayant attachée où vous êtes, il faut mourir, et de la mort de l’obéissance et de la croix. Madame de Mongommery vous y servira et Dieu pourvoira à vos besoins, si vous n’abandonnez pas les nécessités spirituelles de vos Sœurs. Voilà mes pensées pour votre établissement, que vous devez suivre en toute liberté !

Pour votre intérieur, ne vous étonnez pas des peines d’esprit et des souffrances que vous portez parmi les embarras et les affaires que votre charge vous donne, puisque ce sont vos embarras et affaires de l’obéissance. Les portant avec un peu de fidélité, elles produiront en votre âme « une grande oraison », que Dieu vous donnera quand il lui plaira. Soyez la victime de son bon plaisir, et le laissez faire. Quand il veut édifier dans une âme une grande perfection, il la renverse toute ; l’état où vous êtes est bien pénible, je le confesse, mais il est bien pur. Ne vous tourmentez point pour votre oraison, faites-la comme vous pouvez, et comme Dieu vous le permettra, et il suffit. Ces unions mouvementées, ces repos mystiques que vous envisagez ne valent pas la pure souffrance que vous possédez, puisque vous n’avez ce me semble ni consolation divine, ni humaine. Je ne puis goûter que vous sortiez de votre croix, par ce que je vous désire la pure fidélité à la grâce, et que je ne désire pas condescendre à celle de la nature. Faites ce que vous pourrez en vos affaires pour votre Communauté, si vos soins ont succès à la bonne heure ; s’ils ne l’ont pas ayez patience, au moins vous aurez cet admirable succès de mourir à toutes choses. Si vous étiez comme la

Mère Benoîte religieuse particulière, vous pourriez peut-être vous retirer en quelque coin ; mais il faut qu’un capitaine meure à la tête de sa compagnie, autrement c’est un poltron. Il est bien plus aisé de conseiller aux autres que de pratiquer. Dieu ne vous déniera pas ses grâces... Courage, ma chère Sœur, le pire qui vous puisse arriver c’est de mourir sous les lois de l’obéissance et de l’ordre de Dieu.

À Dieu, en Dieu, je suis de tout mon cœur, ma très chère Sœur, votre très humble, obéissant, frère Jean hermite, dit Jésus pauvre", c’est le nom qu’il avait pris en renonçant à ses biens (P. 101, p. 320).

RETOUR A PARIS

Mais la guerre redouble et la Communauté se disperse. Mère Mectilde part avec quatre des plus jeunes Sœurs le lé mars 1651. Elles arrivent à Paris le 24 mars, en pleine Fronde. Mère Mectilde retrouve la paix de l’âme. Elle rejoint ses Sœurs réfugiées au faubourg Saint Germain dans la plus grande pauvreté.

Ici se place sa grande et « presque dernière tentation de fuite à la Sainte Baume » (voir la lettre à Bernières de janvier 1651).

Voici le récit du P. 108 bis, p. 54, qui nous paraît le plus complet :

« Cependant la tentation qui la poussait à se renfermer dans un hermitage alla dans ce temps si loin qu’elle avait déjà formé tout le plan de sa retraite. Elle s’était proposé d’aller dans les rochers qu’on lui avait dit être sur les côtes de Marseille, et pour cela de sortir de la maison, sur une obédience qu’elle aurait obtenue à l’insu de ses Sœurs, et de passer ensuite à Lyon d’où elle leur enverrait par la poste une lettre qu’on a trouvée parmi ses papiers, de son écriture, mais contrefaite, où il y avait seulement ce peu de mots : “Une religieuse nommée Mectilde du Saint Sacrement a passé par ici. Dieu en a disposé. Priez Dieu pour le repos de son âme”. De là, elle espérait, comme son Père saint Benoît, se renfermer dans quelque grotte en Provence où, inconnue à tout le monde et dénuée de tout autre secours que de celui de la Providence, elle se serait immolée comme une victime par les plus cruelles mortifications, sans qu’aucune personne vivante n’eût jamais pu la déterrer. Mais Dieu, qui avait de toutes autres vues sur elle, mit deux grands obstacles à ce projet lorsqu’elle s’y attendait le moins, et qui ne furent pas longtemps sans le renverser.

Le premier fut une grâce très particulière dont Il lui plut de la favoriser en une veille de Pâques. Elle avait passé tout le Carême dans une grande application à l’oraison pour se soutenir par ce pain spirituel, au défaut du matériel dont elle était privée, et lorsqu’elle était, durant la nuit de cette grande solennité, toute remplie du mystère que l’Église y célèbre, et qu’en considérant Jésus Christ qui, étant mort aux créatures dans son sépulcre, y trouve cette résurrection par laquelle Il vit uniquement à Dieu son Père, elle lui demandait qu’il opérât en elle quelque chose de semblable et bénit la résolution où elle était de se renfermer dans un hermitage comme dans un tombeau, pour y reprendre une nouvelle vie en Lui seul.

Et voici que tout à coup il lui fut dit d’une voix intelligible : “Adore et te soumets” 27 à tous les desseins de Dieu qui te sont inconnus à présent ». Ces paroles furent comme un coup de foudre qui la terrassa. Elle se trouva renversée, le visage contre terre, toute anéantie de corps et d’esprit, et ayant comme un grand poids sur elle qui l’empêchait de se relever ; de quoi elle n’eut la permission qu’après qu’elle eût fait à Dieu une solennelle promesse de ne plus disposer en rien d’elle-même par sa propre inclination, mais d’attendre qu’il la plaçât par ce qu’elle verrait être uniquement de sa sainte volonté.

L’autre accident qui rompit le dessein de Marseille et arrêta la Mère Mectilde, malgré qu’elle en eût, à Paris, fut la maladie violente dont elle fut attaquée qui la réduisit à toute extrémité...

Remarquons que ce grand désir de « reprendre une nouvelle vie en Lui seul » sera exaucé, d’une autre manière, en 1662. Nous le verrons. À propos de cette « vie nouvelle » nous pouvons citer ici une lettre de Bernières, malheureusement non datée, mais qui montre bien la parenté profonde de ces deux âmes

« Cette vie nouvelle que vous voulez n’est autre que la vie de Jésus Christ, qui nous fait vivre de la vie surhumaine (pour cette expression voir le « Chrétien Intérieur » qui en parle surabondamment) vie d’abaissement, vie de pauvreté, vie de souffrance, vie de mort et d’anéantissement, voilà la pure vie dans laquelle se forme Jésus Christ, et qui consomme l’âme en son pur et divin amour. Soyez seulement patiente et tâchez d’aimer votre abjection. Vous dites que vous êtes à charge et que vous êtes inutile ; cette pensée donnerait bien du plaisir à une âme qui tendrait au néant. O ! qu’il est rare de mourir comme il faut ! Nous voulons toujours être quelque chose et notre amour-propre trouve de la nourriture partout. Rien n’est si insupportable à l’esprit humain que de voir que l’on ne l’estime point, qu’on n’en fait point de cas, qu’il n’est point recherché ni considéré. Vous ne croiriez jamais si vous ne l’expérimentiez, le grand avantage qu’il y a d’être en abjection dans les créatures. Cela fait des merveilles pour approfondir l’âme dans sa petitesse et dans son néant, quand elle sent et voit qu’elle n’est plus rien qu’un objet de rebut. Cela vaut mieux qu’un mont d’or. Vous n’êtes pas pourtant dans cet état, car l’on vous aime et chérit trop. C’est une pensée qui vous veut jeter dans quelque petit chagrin et abattement. Présentez-la à Notre Seigneur et sucez la grâce de la sainte abjection dans les opprobres et confusions d’un Jésus Christ (P 105, p. 481).

Le 3 juin, elle écrit à Bernières : « Je suis dans un lieu où les serviteurs de Dieu sont en grand nombre (le Paris dévot de l’époque)... mais Notre Seigneur ne veut pas que je fasse en cela ma fortune. Il me retire dans le fond où je trouve en Lui seul infiniment plus par la sainte union que tout ce que les créatures me peuvent donner par leur éloquence... O Que c’est un grand secret d’être seule avec Dieu seul et de lui laisser faire son ouvrage ». Elle dit aussi : « Je trouve quantité d’âmes qui vont à Dieu, mais j’en trouve peu dans la profonde voie de mort et d’anéantissement... Cette voie n’est pas connue... il faut pourtant laisser tout mourir afin que Dieu seul soit P » (684). Logique implacable qui ravirait le Père de Condren.21 !

Le 14 juillet, elle lui demande « un pauvre petit mot » si son trait intérieur le lui permet : « S’il ne vous le permet pas, je n’en veux pas » (383). Voici un progrès très net.

Fin juillet, début août, elle tombe malade d’une étrange manière (N 250, p. 74). Elle sort de la messe et semble « une morte ». Une religieuse la suit : « Cette religieuse s’assit auprès d’elle et la tint entre ses bras une demi-heure, après elle revint à elle et poussant un profond soupir elle dit : “Quelle privation !”. On n’a jamais pu apprendre d’elle ce que ce soupir voulait dire, mais une autre personne vertueuse assura qu’en ce moment elle avait vu la Mère Mectilde devant Dieu, et qu’elle avait été renvoyée pour être mise sous la presse des souffrances et des croix ». Est-ce sa deuxième comparution au jugement de Dieu ?

Elle parle de sa maladie dans une lettre du 25 novembre : « J’aurais bien voulu vous écrire durant le fort de ma maladie. J’avais besoin de votre secours, mais... je ne pouvais tenir ma plume... je ne devais vivre que trois jours d’après les médecins. Le jour de saint Louis on me croyait morte... Il n’y a que quinze jours j’étais encore à l’extrémité... Dieu est admirable dans ses conduites, il me mène à la mort et me remet dans la vie... (J’étais dans un entier abandon...) une i mpuissance de faire autre chose que de me laisser dans cet état de mort pour me rendre sans réserve à celui qui pouvait me donner la vie...".

Elle est « demeurée en Dieu » tout au long de cette maladie : « Il y a je ne sais quoi au fond qui fait que l’âme passe tellement en Dieu qu’elle n’a et ne peut plus avoir de vouloir ou non vouloir, tout lui est un » (796).

Le 2 décembre, elle est encore malade, elle a eu trois rechutes... Le 5 mars 1652, elle écrit à Roquelay et lui parle de sa « grande maladie qui fut au mois d’août » et lui décrit son « état de mort » : « Il me tient dans un état qui me semble plus tenir de la mort que de la vie... Je suis quasiment sans être... C’est une vie de mort... Sans désirs, sans choix, sans inclinations, sans volonté, sans ardeur et sans affection de quoi que ce soit... Pourvu que je meure dans l’état de mort, rien ne me fait peine » (150).

LE CENTRE DU NÉANT

Mais voici une nouvelle étape :

Le 7 septembre 1652, Mère Mectilde écrit à Bernières : « Je ne sais et ne connais plus rien que le tout de Dieu et le néant de toutes choses. J’ai bien passé par le tamis, depuis que je vous ai écrit... Je vous dirai un jour les miséricordes que Notre Seigneur m’a faites depuis un an et demi, et qu’il les a bien augmentées depuis quelques mois ». « J’observe tant le silence pour les choses intérieures que j’ai perdu l’usage d’en parler... Je n’ai pas la liberté intérieure de communiquer » (799).

Elle s’enfonce dans le silence et écrit le même jour à Mère Benoîte : « Je suis devenue muette et je n’ai plus rien à dire, car je ne sais et ne connais plus rien dans la vie intérieure. Je n’y vois plus goutte... » (L.I., p. 145), (946).

Et le 24 septembre elle écrit au frère Luc de Bray [22] : « ... Depuis que je ne vous ai écrit, Notre Sei-gêneur a bien permis de choses ! Je voudrais vous en pouvoir dire le détail, mais le papier n’est pas assez secret. Tout ce que je vous puis dire c’est que Dieu est bon d’une bonté infinie et que sa sainte conduite est admirable et adorable tout ensemble. La Providence m’a fourni quelques sujets d’humiliation par le saint zèle de quelques bonnes personnes. Je laisse cette histoire pour vous dire que Notre Seigneur me fait la miséricorde de me soutenir en m’humiliant ; mais je ne puis vous cacher les sentiments de mon cœur qui ressent les effets de la grande miséricorde de Notre Seigneur, ce me semble. Néanmoins je suis en doute de l’état que je porte depuis quelque temps, je ne le puis bien exprimer : je suis et ne suis point, je ne sais où je suis, je ne sais ce que je suis ni ce que je veux ou ce que je ne veux pas. Concevez, si vous pouvez, ce que je voudrais dire... Je n’ose pas passer plus outre, je n’ose rien dire de plus parce que je ne sais pas, si je suis plus ou moins anéantie ; Dieu seul sait ce qui se passe et ce que je suis. Il me semble que je vois un peu plus de séparation des créatures, et que même je dois m’abstenir de la conversation des saints qui sont sur la terre, à raison de la malignité de mon orgueil ou de la subtilité de ma vanité... Je suis en état d’observer plus de silence que du passé et de me tenir dans mon néant où l’on m’a fait reculer d’une étrange sorte pour en trouver le fond, et là, n’être plus trouvée des créatures. O Quel bonheur d’avoir trouvé le centre de son néant. Je ne suis point dans les lumières ni dans l’oraison, je ne sais plus ce que c’est que d’être intérieure, je ne sais plus ce que c’est que grâce ou faveur, je ne sais plus rien désirer, mon âme est devenue stupide, elle n’a plus aucune inclination : le ciel, la terre, la vie, la mort, c’est la même chose. Je ne sais plus rien que le Rien même. O bienheureux néant ! Voilà tout ce que j’en peux dire. C’est à vous et à vous seul que je le dis, car je garde un plus grand silence que du passé ; je n’écris plus, même à notre très bon M. de Bernières. Ce n’est pas que j’aie volonté de rien lui cacher, mais ma loi m’abîme dans le néant et je ne trouve rien à écrire parce que je ne puis dire ce que je voudrais pouvoir exprimer, si Notre Seigneur me le permettait... » (658).

Elle complète sa pensée dans la lettre suivante adressée au même frère : « Je ne veux au ciel ni en la terre que sa très sainte et très pure volonté. Je fais banqueroute à tout le reste, même à ma propre perfection, car je commence à voir que Dieu seul est et que lui seul doit être, et le reste tout anéanti...

J’ai un grand désir d’être fidèle à l’avenir, et je crois que Notre Seigneur me veut dans le silence et dans le néant. Je n’ai jamais si bien connu ma petite voie, et il me semble que Notre Seigneur me donne quelquefois de petites lumières qui me font tenir dans mon centre.

Priez-le bien qu’il me fasse la grâce de me bien laisser à sa vertu et à sa puissance afin qu’il fasse sa très sainte volonté, sans que j’y mette opposition. Il me semble que je ne me soucie plus de rien et je vois bien l’amusement où j’ai été en ma vie passée sous des apparences de perfection et de vertu ; mais j’en suis, par le secours divin, détrompée, et je vois bien que pour être à Dieu il ne faut que se taire et laisser agir Dieu sans vouloir tant d’appuis dans les créatures... J’y ai renoncé et par une espèce de vœu pour me lier à une fidélité plus grande. Je ne communique plus et n’écris plus, je ne parle plus de mon intérieur. Je me tiens en silence et m’en trouve parfaitement bien. Pour ce qui est des discours que l’on fait de moi, ils ne me font point de peine ; il me semble que Dieu fait son œuvre et je l’adore sans me troubler ; sa grâce me soutient et me fait tout porter avec respect de ses ordres. Faut-il pas être détruite ? Et que m’importe par qui Dieu passe et opère ma destruction, pourvu que je le sois, si par les anges ou par les démons ou par les saints de l’Église militante : tout est bon et tout est égal en la vue du bon plaisir de Dieu. Voilà ce que je vous puis dire » (1094).

Mère Mectilde a trouvé le « fond » de son néant, mais il y a plusieurs fonds, et elle va aller de fond en fond au moins jusqu’en 1662, comme nous le verrons. Il est évident que sa voie s’approfondit et se simplifie. Elle va en reparler à Bernières en lui envoyant le livre de « La Sainte Abjection », 28 œuvre du Père Chrysostôrne, le 23 novembre 1652 :

« Notre Seigneur me fit la miséricorde de me faire rentrer d’une manière toute particulière dans le centre de mon néant où je possédais une tranquillité extrême, et toutes ces petites bourrasques (elle vient de subir de très grandes humiliations) ne pouvaient venir jusqu’à moi parce que Dieu, si j’ose parler de la sorte, m’avait comme caché en Lui... Cela a bien détruit mon appui et ma superbe qui m’élevait de pair avec les saints, et à qui ma vanité semblait se rendre égale ! Oh ! Je suis bien désabusée de moi-même. Je vois bien d’un autre œil mon néant et l’abîme de mes misères ! J’étais propriétaire de l’affection et de l’estime des bonnes âmes. Notre Seigneur a rompu mes liens de ce côté-là... Il m’a semblé que Notre Seigneur faisait un renouvellement en moi d’une manière bien différente des autres dispositions que j’ai portées en ma vie : il me dépouillait même de lui-même 29 et m’a fait trouver repos et subsistance hors de toutes choses, n’étant soutenue que d’une vertu secrète qui me tenait unie et séparée. C’est que Notre Seigneur me fait trop de miséricordes » (830).

LA FONDATION

Cette rafale de persécutions vient de ce que l’on commence à parler de notre fondation. Mère Mectilde écrit à Bernières le 2 janvier 1653 et lui demande conseil : « Déterminez-moi ».

Elle raconte toute la genèse de la fondation, ses résistances : « Il n’y a que moi qui suis sous la presse et qui ai sujet de trembler. J’ai déjà voulu rompre trois ou quatre fois, mais parce que cette œuvre pourrait

être anéantie en même temps, l’on m’en fait scrupule de péché d’y résister ou d’empêcher l’effet... Je ne sais, mon très cher frère, si je dois tout quitter, ou soutenir le poids qui sans doute me fera succomber, je n’ai point de fond intérieur pour y subvenir et je ne vois en moi que misères si effroyables que la moindre serait capable de me faire mourir, si Notre Seigneur ne me soutenait... Je voudrais bien m’en retirer si j’en savais le moyen. C’est donc à vous que j’ai recours en cette angoisse... Déterminez-moi et me dites absolument ce que je dois faire pour la gloire de Notre Seigneur. Vous savez quelque chose de ma voie et ce que Dieu veut de moi » (P 101, p. 430), (1057).

Bernières lui fait un devoir de ne pas résister. elle écrit encore à Marguerite du Saint Sacrement23, carmélite, fille de Madame Acarie qui l’exhorte aussi vivement à accepter le fardeau de la supériorité (P. 108, p. 295).

Mère Mectilde n’hésite plus et on entre en pourparler avec Dom Placide Roussel, Prieur de Saint Germain des Prés, qui ne va pas faciliter les choses. Elle écrit à Madame de Rochefort, une de ses bienfaitrices : « Notre affaire n’est pas si avancée que M. Picoté 24 le fait croire partout où il parle. Rien n’est conclu... J’y ai des répugnances toujours plus grandes, et certainement, si elles augmentaient, je pourrais bien en mourir. Ce qui me console c’est que tant de malheurs viendront qu’il faudra tout abandonner. Il faut faire l’impossible pour aller à la Sainte Baume, et je veux toujours espérer » (P 101, p. 445). La nuit de Pâques n’a donc pas été tout à fait concluante ? Mais Collet continue (c’est à lui que nous empruntons la suite VI, p. 17). « Elle priait Dieu avec ardeur de lui faire connaître sa volonté, prête à partir au moindre signal ; mais il arriva au contraire cinq ou six fois différentes que, s’entretenant de son projet avec Jésus Christ après la sainte communion, elle se sentit arrêtée, comme si deux mains puissantes l’eussent retenue par les épaules... Elle comprit par là que Dieu lui ordonnait de renoncer à ses projets de retraite ». Ce sont les derniers sursauts de sa tentation du désert.

Mère Mectilde apprend donc à « mourir » de toutes les manières. Le 22 janvier 1653, elle écrit à Mère Dorothée :

« O ma très chère Sœur ! Que d’abîmes je conçois, mais dans un silence si grand que je n’en puis rien dire !... Il n’y a que Dieu qui soit capable de son œuvre : nous n’avons qu’à nous laisser mourir et il saura bien nous donner la vie... Je ne veux plus avoir de pensée que pour la mort. Voilà à quoi nous sommes appliquées, mais mort sans relâche en la manière que Dieu l’entend... Lui seul doit être et tout le reste anéanti » (L.I., p. 152), (1359).

Et le 15 février à Anne Loyseau (future postulante) : « ... C’est ma passion présente d’être réduite au néant en toutes manières... Et quand je serai anéantie, je ferai des merveilles devant Dieu pour vous, et d’une manière efficace, CE NE SERA PLUS MOI, MAIS JÉSUS EN MOI ! » (L.I., p. 154). (Voilà le secret de son « désir de mort ! »

Le 22 février 1653, elle écrit encore à Mère Benoîte : « O que de morts il faut faire avant que de l’être !... J’apprends une leçon bien rigoureuse, qui me va dépouillant de toute la vie que je prenais dans les âmes saintes ; je m’y suis trop souillée et j’y ai pris trop de satisfaction, c’est pourquoi Notre Seigneur m’en prive tous les jours, et me va tellement dénuant qu’il me semble me vouloir faire vivre comme un mort sur la terre, sans prendre plus aucune vie en quoi que ce soit ; et je reçois tous les jours assez de lois intérieures dans le fond de mon esprit pour être certaine que ma petite voie n’est que silence et anéantissement. Demeurons dans l’abîme où la conduite de Dieu nous tient, et que chaque âme soit victime selon son degré d’amour, n’étant plus rien qu’une pure capacité de son bon plaisir. Laissons-nous consommer comme il lui plaira » (L.I., p. 154), (55).

Le même jour, à Roquelay : « Il y a des degrés dans le saint anéantissement, je n’y suis pas encore tout — à-fait, j’ai bien besoin d’un entretien avec notre bon frère (Bernières) » (842).

Et encore à Mère Benoîte : « Car pour vous parler en fond de vérité, je ne suis que ténèbres et misère extrême ; mais il ne se faut pas toujours regarder : si je m’arrêtais à ce que je suis, jamais je n’ouvrirais la bouche. O Mon Dieu, je ne vois en moi qu’abomination et péché. Croyez que je suis bien réduite, et pas encore assez, j’espère descendre dans un plus profond abîme. Priez Dieu qu’il soutienne l’âme pendant qu’il la détruit jusqu’à la moelle des os... Il ne m’est plus permis d’avoir aucun désir ni l’ombre d’aucune curiosité. Il nous faut tout perdre et laisser abîmer, chacun dans sa voie, et dans la sainte et adorable conduite de Dieu. Demeurons chacune dans nos degrés ; quoique le mien soit extrême, je n’en veux jamais sortir, car il faut perdre son être propre afin que Dieu seul soit » (L.I., p. 161), (1354) 30.

On voit d’ailleurs dans cette lettre comme Mère Mectilde est passée de dirigée à directrice avec son ancienne Mère Maîtresse, et qu’elle la distance maintenant dans la voie du Rien.

Mais la fondation approche. Le deuxième dimanche de Carême, 9 mars 1653, (ici nous citons le N. 249, D.H. p. 159) : « Madame la comtesse de Châteauvieux25 et Madame la Duchesse de la Vieuville25, sa fille unique, étant toutes deux malades en sorte qu’on n’en espérait pas vie, notre Révérende Mère Supérieure mit en prière la Communauté, et elle encore plus que toutes s’appliqua avec ferveur à demander à Dieu leur guérison ».

Et Mère Mectilde, dans un entretien familier, dit elle-même : « Comme je voulais prier pour la santé de Madame la Duchesse de la Vieuville, fille unique de ma chère comtesse de Châteauvieux, “on” me dit :

“Applique-toi à l’œuvre que l’on veut de toi et laisse — là ta duchesse, on en aura soin”. En effet en peu de temps elle se porta mieux, et l »'On » me fit voir comme Dieu serait adoré dans l’Institut, me montrant un grand nombre de personnes dehors et de dedans, appliquées comme de véritables adorateurs. Je voyais des âmes toutes unies et toutes collées à Dieu d’une manière qui me consolait beaucoup, car je voyais que Notre Seigneur y prenait ses complaisances, et qu’il aurait des victimes selon son cœur » (« On » désigne Jésus — E.F., p. 34).

N 249 continue : « Et tout cela se passa avec tant de majesté et de splendeur que, touchée d’un étonnement profond, elle lui dit : “Seigneur, puisqu’il en va ainsi, que c’est votre œuvre, et que c’est une chose si admirable, que ne la faites-vous réussir par vous-même, car quelle est la créature digne d’y travailler ? Moins encore moi, la plus chétive” (D.H., p. 159). Et toutefois, se voyant assurée que Dieu voulait qu’elle le fît, elle baissa le col et se soumit à cette adorable volonté, acceptant dès lors d’y travailler et de se consommer en holocauste à ce Dieu d’amour qui daigne ainsi se glorifier en ses créatures. (...) Dix jours après, qui fut le jour de la fête de saint Joseph, cette même vue lui revint, et avec plus de clarté, et de véhémence de l’esprit de Dieu pour l’animer. Il y eut cela de particulier, qu’il lui fut montré que saint Joseph serait le protecteur spécial et le pourvoyeur de la maison du Saint Sacrement, comme il l’avait été de la sainte Famille du Verbe incarné, sur la terre.

Et comme Notre Seigneur lui faisait entendre sa complaisance particulière sur cette œuvre, par ces mots, qu’il lui répéta plusieurs fois : » C’est mon œuvre, et je la ferai", elle prit la hardiesse de lui dire : « Seigneur, si c’est votre œuvre, donnez-en moi donc le signe : que le Saint Sacrement nous soit accordé, et vous, grand saint Joseph, employez-vous pour cela ». À la sortie de son oraison, elle écrit d’elle-même au Père Prieur pour le lui demander. C’est la seule fois, dit — elle, qu’elle agit d’elle-même dans cette affaire. Contre toute attente la permission est accordée.

Mère Mectilde laisse déborder sa joie dans une lettre à la comtesse de Châteauvieux (D.H., p. 187) : « Ma doublement vraie et unique fille, je vous viens dire bonjour dans un transport de joie très grand que je ressens dans le fond de mon âme, au regard de la possession aimable du Très Saint Sacrement de l’Autel. O ! que je me sens infiniment votre obligée, de m’avoir donné tout ce que le Paradis aime et adore, et qui est l’objet béatifique des saints ! Que de mystères pleins d’étonnement ! C’est à vous, ma chère fille, que je dois cet honneur et cette grâce... »

« De ces deux dernières visites divines, il en demeura à cette digne Mère, comme elle l’a confessé, d’admirables effets pour son âme, entre autres une occupation intérieure très élevée qui lui dura plus d’un an » (D.H., p. 161).

Le 25 mars 1653, l’abbé Berrant nous rapporte d’après le Père Guilloré, que « pendant la grande messe du jour heureux de cette première Exposition, la Mère Mectilde fut ravie en esprit dans le temps de la consécration ; elle vit à l’élévation de la sainte Hostie, la sacrée Mère de Dieu qui présentait ce nouvel Institut et toutes les âmes qui y étaient comprises, à Notre Seigneur Jésus Christ pour (en) obtenir la bénédiction, afin que par elle, ce petit nombre de victimes se multipliât au centuple. Notre Seigneur eut pour agréable cette offrande des mains de la Sainte Vierge et lui dit qu’il prendrait ses complaisances dans cet établissement » (p.102). C’est à cette époque que l’abbé Berrant situe le vœu que fit Mère Mectilde de ne jamais se plaindre, et l’acte suivant dont il cite la deuxième partie : « Prosternée... etc. » (p. 108). Le voici en entier d’après le D 55, p. 271 :

« Mon Dieu, je me sacrifie derechef et totalement à vous en Jésus et avec Jésus et par Jésus. Et comme l’offrande de moi-même est déjà faite, et par cela, j’espère, acceptée de Dieu par sa grande miséricorde, je demeure dans l’attente de l’accomplissement de ses desseins sur moi en qualité de victime de la divine justice pour le péché 31 , et même dans un désir extrême de l’heure aimable des souffrances par lesquelles il plaira à Dieu me consommer et m’anéantir comme une victime sur la croix de Jésus.

Prosternée aux pieds de mon Dieu et tout infiniment adorable au Très Saint Sacrement de l’Autel, je choisis aujourd’hui par votre miséricorde la grâce d’être en opprobre et abjection dans toutes les créatures, et ce pour votre amour et union de vous-même, et seulement parce qu’il vous plaît, et par obéissance à votre pur vouloir divin sur moi. J’accepte la mort humiliante et dans votre amour je la désire. Je ne veux plus prendre part à aucune créature, mais être traitée comme une abominable et une excommuniée 32. Voilà la résolution que votre pure grâce a mise en mon âme, ne pouvant rien que par la force de votre Esprit ».

Remarquons combien Mère Mectilde ne s’appuie pas sur elle-même en prenant une telle résolution, mais agit seulement « par obéissance à son divin vouloir ». C’est ainsi que Mère Mectilde s’enfonce toujours plus dans sa vocation et éprouve un attrait toujours plus grand pour le silence et le rien.

Le 3 mai 1653, elle écrit à Bernières : « Le silence et la solitude sont ma vie ! »... « Je commence à bien voir d’une autre manière que du passé le néant de toutes choses et le misérable amusement des âmes qui ne se rendent pas tout à Dieu... Mon âme semble ne vouloir plus rien en ce monde ni en l’autre que de se laisser toute à son Dieu et qu’il soit en elle selon son bon plaisir... (Boudon l’a soutenue et rassurée sur son état passé)... Je ne sais si je vais à la perfection dans l’état où je suis, je ne vois plus rien. Dieu, Dieu et il suffit, car je sais seulement qu’il EST » (811). Et le 20 mai à Roquelay : « Je ne fais que de me laisser à Dieu avec un esprit de complaisance à son bon plaisir... Je ne sais plus rien de la vie intérieure et je dirais, si j’osais, ce verset de votre cantique :

“Une très sincère innocence

me met toute à l’indifférence”.

C’est un grand repos que d’être bête... Priez Notre Seigneur qu’il me fasse taire et qu’il me tienne en solitude » (1718).

Bernières essaie de la confier au Père Lejeune [26], Mère Mectilde s’enquiert « s’il est homme d’oraison et de foi nue... Qu’il ne brouille pas, car il y a des docteurs qui défont ce que Dieu fait » et elle ajoute : « Je suis résolue de plus jamais rien écrire de moi, ni des faveurs, ni des grâces reçues... Écoulons-les en Dieu et demeurons nous-mêmes en Lui... Je ne veux plus rien être. Il faut que Dieu seul soit et que nous ne soyons plus. Autrefois j’ai dit ces choses, mais je crois que je n’en avais pas si bien l’expérience que je la goûte aujourd’hui » (Lettre à Roquelay, 22 juin 1653), (1049).

Le 9 août, nous apprenons qu’elle a encore envie de se retirer de la fondation (1747).

Le 2 septembre, grande lettre à Bernières. La direction avec le Père Lejeune ne marche pas, elle ne peut rien dire, mais elle est prête à essayer et obéir. De son état présent elle ne sait comment parler à Bernières : « Il y a quelque effet de miséricorde, mais il y a aussi beaucoup de misère, je me défie de tout, laissant tout à Dieu en Dieu... Une chose me rebute de parler de ce qui se passe en moi, c’est l’amusement où je vois quelques âmes en ce pays, et j’en connais qui consomment toutes leurs grâces à l’évaporer en remarques, en paroles et en écritures ».

Autre cause de son silence : elle ne sait pas si ce qui lui arrive est réel. Sur le moment, elle n’en doute pas, mais ensuite crains d’être trompée et donc préfère le silence et l’abandon. Donc pas besoin de directeur « qui soit après moi toutes les semaines »... « Ma paix est grande et ma joie intime, toutefois sans attache... Je me vois sur la terre quasi comme n’y étant point, et cependant je suis, avec ces dispositions, le néant, la misère et le péché même. Le moyen d’accorder tout cela ? C’est ce qui me fait taire ».

Elle est censurée par tout le monde. Le P 101, p. 345 raconte que pendant qu’elle était à l’hospice du « Bon Amy » elle fut persécutée par « un religieux ». « Cette persécution de ce religieux dont il est parlé ici dura plusieurs années, après lesquelles il vint voir la Mère Mectilde du Saint-Sacrement. Aussitôt qu’elle fut avertie qu’on la demandait, elle se leva d’une grande vitesse, avec une joie extraordinaire qui paraissait sur son visage. Une religieuse lui demandant qui elle allait voir “Un des plus grands amis que j’aie au monde, répondit-elle, et si la modestie et les grilles ne m’en empêchaient, je l’embrasserais de tout mon cœur, tant je lui suis obligée, Dieu s’étant servi de lui pour humilier et détruire mon orgueil et mon amour propre”. En disant ces paroles, elle courut au parloir comme si elle eût volé. C’est la religieuse qui était présente qui nous l’a raconté ».

Elle écrit donc à Bernières : « J’avais une joie si extrême de ce que Dieu faisait son œuvre en détruisant mon orgueil et ma propre excellence que je ressentais un amour sensible pour tous ceux qui m’humiliaient... Ces petites rencontres, m’ont à ce que je crois, fait beaucoup de bien et je puis dire avec un peu d’expérience que Dieu nous fait une merveilleuse grâce quand il nous abandonne à la croix des humiliations, des souffrances, etc. Car je ne vais que de moment en moment : j’oublie tout, mais je ne m’oublie pas assez moi-même. Je ne fais plus d’austérités particulières, il y a longtemps que cet attrait n’est plus, ma générale pénitence, c’est d’être dévorée par la sainte et amoureuse Prouidence, d’être toujours disposée pour faire ce que Dieu veut ». « Les desseins particuliers de cette fondation sont admirables... Je suis un pauvre instrument pourri... » et elle termine : « Hé bien, mon très cher frère, je me suis bien épanchée aujourd’hui avec vous ! Mon esprit a produit plus que je ne pensais... » (745). Heureusement pour nous qui voyons mieux ainsi l’œuvre de la grâce en elle.

Le 25 novembre, Mère Mectilde écrit à Roquelay : « Votre silence me pesait un peu... » Le Père Lejeune ne la contente pas, elle préférerait Bernières. Elle parle de la fondation, s’en trouve indigne, est « dans son néant ». « Ce néant me tient lieu de tout : Dieu et il suffit. À Dieu, très cher frère, je vous prie, ne me laissez pas si longtemps » (743). Toujours ce même contraste savoureux.

Le 12 mars 1654, a lieu la pose de la croix où l’on remarque son visage tout rayonnant d’une joie surnaturelle. Anne d’Autriche fait la première amende honorable28

Mère Marguerite de la Conception nous a conservé un « Acte fait au moment du commencement de l’Institut, rue Férou. Mars 1654 ». Nous allons mettre ici (écrit-elle) un acte que la Mère Mectilde du Saint Sacrement a écrit de sa main et signé de son sang, qu’elle fit dans ce temps-là, qui est comme une rénovation de toutes les consécrations qu’elle avait faites à Notre Seigneur. Elle commence en ces termes :

« En l’union et par l’Esprit Saint de mon Seigneur Jésus Christ que je crois, que j’adore et pour lequel je veux mourir : moi, sœur Catherine Mectilde du Saint Sacrement renouvelle toutes les donations, consécrations, sacrifices et immolations de tout moi-même que j’ai faites dans ma vie passée à mon Sauveur Jésus Christ et à sa très Sainte Mère. Je les réitère de tout mon cœur, je les ratifie et les confirme par ce présent acte et par lequel je me rends (sans) réserve à Jésus. En foi de quoi j’ai signé de mon sang :

Sœur Catherine Mectilde du Saint Sacrement, religieuse indigne, victime de Jésus au Très Saint Sacrement et esclave de Marie sa très Sainte Mère.

“Loué et adoré soit à jamais le très Saint Sacrement de l’Autel” Jésus, Jésus, Jésus que j’aime et que je veux aimer en sacrifiant ma vie pour lui. Oh que je puisse mourir de l’amour de mon adorable Jésus ! Ainsi soit-il. Toute la grâce que je demande c’est d’aimer et de mourir uniquement pour Jésus. Jésus faites-moi la grâce que je puisse mourir de regret de vous avoir déplu et que je puisse mourir de votre amour. Rien en moi que pour Jésus. C’est ma volonté pour jamais.

Sœur Catherine Mectilde du Saint Sacrement, religieuse indigne » (N 248. p. 449).

Le 16 mars, nous apprenons que le Père Lejeune n’a pas encore approfondi ses dispositions... « Mon esprit est au comble de l’ignorance ». Elle a une espèce de rebut pour tout ce qui la tire du néant. « Au reste, je ne sais plus ce que c’est que dévotion, goût, ferveur, vous diriez d’un mort ou d’un insensible à tout, sinon à la sainte abjection, mépris et rebut des créatures »... Elle a le désir de se lier plus particulièrement aux opprobres de Jésus (Souvenons-nous de l’acte cité plus haut) : « Il faut se perdre sans ressource pour ne plus se retrouver. Il me semble que c’est là, où la main adorable de Dieu me conduit ». C’est bien ce que nous verrons.

Elle parle ensuite de la maison du Saint Sacrement : « Je n’ai jamais vu une affaire si détruisante... l’on me croit au comble de mes plaisirs et satisfactions, et j’y suis au comble de mon abjection... Voilà comment il faut être : crever de peine, de honte, de i m puissance et d’abjection, et que l’on vous croie dans la félicité. C’est mourir sans secours et porter sa peine dans le néant » (149). Le Seigneur a pris son offrande au sérieux.

Le 20 mars elle lui demande une lettre à défaut de visite. « Je usus supplie de m’aider à mourir parfaitement ». « Associez cette pauvre petite maison à votre saint ermitage et faites prier Dieu pour nous afin que nous puissions être tout à fait anéanties et n’être plus rien en nous pour être tout à Jésus et en Lui »... « Je me recommande à tous et les prie nous obtenir la grâce de silence, de retraite et de néant pour toutes les âmes qui viendront céans, car c’est l’esprit de la fondation » (1125). Elle a donc reçu une grâce « capitale » !

Voici maintenant l’installation de Notre Dame Abbesse qui lui donne une grande joie ; elle en écrit à Mère Dorothée le 28 mai 1654 : « Je ne trouve plus en moi la capacité de me réjouir de quoi que ce soit. Il faut pourtant excepter une chose qui m’a donné grande satisfaction : c’est qu’ayant fait faire une Notre Dame plus haute, sans comparaison, que moi tenant son enfant sur son bras droit, et de la main gauche tenant une crosse, comme étant la généralissime de l’Ordre de saint Benoît et très digne Abbesse, Mère et Supérieure de cette petite maison du Saint Sacrement, on nous l’apporta samedi veille de la Pentecôte. Je vous avoue que son abord me fit frémir de joie et de consolation, voyant ma sainte maîtresse prendre possession de son domaine ». « Il me semble que ma confiance passée s’est renouvelée en moi plus fortement que jamais » (L.I., p. 162), (1361).

Le 23 juin 1654 Mère Mectilde écris à Bernières : « ... Je tends à être toute anéantie dans le bon plaisir de Dieu qui est l’âme de mon âme et la vie de ma vie... Je ne veux plus rien attendre ni recevoir des créatures si ce n’est la contradiction ou le mépris... Il me semble que j’ai une plénitude de Dieu et une plénitude de misère. Voilà une grande contrariété et cependant cela ne me trouble pas, je ne m’afflige plus du tout de ce qui m’aurait fait peine autrefois » (1162).

« j’ai quelquefois des distractions dans le temps de l’oraison et de la sainte messe, et ces jours passés je voyais d’une manière ineffable comme Jésus répare dans le très Saint Sacrement. Cela fut bien étendu, et j’appris comme nous devions faire l’amende honorable que nous sommes tous les jours obligées de faire dans cette maison devant le très Saint Sacrement. Après, j’ai reçu encore une autre intelligence qui fait, ce me semble, de bons effets, où j’ai appris qu’il n’y avait que Jésus Christ digne des regards et de l’amour de son Père. Cela me porte à m’oublier moi-même et attendre que toute cette petite Communauté le fasse aussi, nous oubliant toutes et oubliant aussi les créatures pour être toutes occupées de Jésus Christ en la manière qu’il lui plaira » (Ibid.)

Encore une grâce « capitale » que l’on retrouvera dans la suite. Elle ajoute : « Le petit noviciat fait très bien ; il semble entrer dans l’esprit de saint Benoît qui est de mort et de séparation... Je vous recommande instamment cette petite troupe qui doivent être les victimes du très Saint Sacrement ». Encore deux thèmes qui feront fortune. Le 15 septembre elle réclame des lettres et se dit indigne de cette fondation.

Elle écrit à une religieuse de Rambervillers en 1654 : « Depuis quelque temps, je vois une espèce de béatitude à être rejetée, méprisée, crucifiée et maudite des créatures, et me semble que je ne serai jamais parfaitement à Dieu si je ne passe par là. Il plaît à Dieu m’y mettre au regard de plusieurs, mais non pas de tous. Ainsi le bonheur n’est pas accompli. J’avoue qu’il faut une très haute grâce pour le soutenir, mais ma confiance est dans la vertu et miséricorde de Notre Seigneur Jésus Christ. Il sait détruire et soutenir, et si vous entendez dire beaucoup de choses de moi, ne vous en étonnez pas... Laissons-le faire, tout ira bien et il ménagera notre sanctification au milieu des obstacles que la nature, les créatures et le démon nous dressent. Il me semble que l’âme ne peut plus prendre aucun plaisir sur la terre que dans le bon plaisir de Dieu ; dès aussitôt qu’on l’envisage, il calme tout, jusqu’au premier mouvement qu’il a la puissance de retenir. Apprenons à nous perdre. Soyons victimes en vérité et non en figure. Immolons nos vies, nos intérêts et nos sentiments au bon plaisir de Dieu. Préférons-le à tout 33 et prenons notre complaisance dans le renversement de nos desseins. Je vois que c’est une infidélité à l’âme de désirer quelque chose ; c’est à Jésus Christ de désirer pour elle et de former des desseins sur elle. Je n’oserais plus rien souhaiter. Il me semble que Notre Seigneur veut que nous demeurions plus en lui qu’en nous et que nous soyons plus agies de son Esprit que du nôtre. Commençons à vivre pour lui dans la pureté de son amour. Donnons-lui cette gloire, que le reste de nos années qui sont bien courtes, soient purement pour lui sans plus de retour sur nous, non pas même sur notre propre perfection » (L.I. p. 166), (2483). Après quoi elle déclare qu’elle n’a jamais vécu un moment pour Jésus Christ, mais pour elle et les créatures ! Nous nous permettons d’en douter, car cette lettre est bien l’écho de son expérience et de sa vie. Mais enfin, elle n’est qu’à la moitié de sa course (elle a quarante ans).

Le 26 janvier 1655 elle a encore un désir : elle écrit à Bernières : « Il me semble que la plus grande et la dernière de mes joies serait de vous voir et entretenir encore une fois avant de mourir, et autant qu’il m’est permis de le désirer, je le désire, mais toujours dans la soumission, car la Providence ne veut plus que je désire rien avec ardeur. Il faut tout perdre pour tout retrouver en Dieu ». Quand on sait la véhémence des désirs de Mère Mectilde dans sa jeunesse, on voit le chemin parcouru.

Elle parle ensuite de son monastère « ce petit trou solitaire » et ajoute : « s’il m’était permis de me regarder en cette maison, je serais affligée de son établissement, me sentant incapable d’y réussir. Mais il faut tout laisser à la disposition diuine ». Elle le consulte sur son désir de ne s’appuyer que sur Dieu seul et ajoute : « Il me semble aussi que je n’ai point d’ambition de faire un monastère de parade. Au contraire, je voudrais un lieu très petit et où on ne soit ni vu ni connu de qui que ce soit. Il y a assez de maisons éclatantes dans Paris et qui honorent Dieu dans la magnificence. Je désirerais que celle-ci l’honorât dans le silence et dans le néant ». Elle termine : « un mot, je vous supplie » (878).

D’après Collet, Bernières lui répond : « Ne doutez pas que je fasse mon possible pour aller vous voir cetété prochain afin de nous entretenir encore une bonne fois en notre vie, y ayant l’apparence que ce sera la dernière, soit que la mort nous surprenne, soit que l’incommodité de mes yeux ne me permette pas de faire ce voyage plus souvent... Je vous confesse que c’est la plus haute fortune qu’une créature puisse faire en la terre que de sortir de soi-même pour entrer en Dieu et y vivre de la même vie de Dieu, à l’image de Jésus Christ qui n’a d’autre support (suppôt ?) 34 que le Verbe divin, et dont la vie, par conséquent toutes les opérations, ont été divines. Si nous nous voyons jamais, n’attendez pas d’autre discours de moi que de vous déduire les merveilles d’une âme anéantie et qui ne subsiste qu’en Dieu seul, tant pour vivre que pour opérer. C’est le principe de la grandeur de nos actions. Pour arriver là, vous faites très bien de ne point chercher l’éclat ni la magnificence pour votre maison, et de ne mettre aucun appui sur les créatures. L’abjection, la pauvreté, la petitesse, le mépris, attirent plus Jésus Christ dans un monastère que tous les moyens dont la prudence humaine se sert » (P 101, p. 633), (C. VII, p. 24). Il faudrait s’arrêter à chaque mot de ce texte important, et l’on comprend la joie de Mère Mectilde à la lecture de ces lignes.

Nous pouvons placer ici un petit épisode qui fut soigneusement caviardé dans le P 101, où, à une certaine époque, on a tâché d’effacer ce qui regardait les relations de Mère Mectilde avec Bernières (serait-ce au moment où Rome a mis à l’index le « Chrétien intérieur » ?). Bref, voici, en résumé, ce que nous avons pu déchiffrer : Bernières est venu voir Mère Mectilde à Paris, les voilà tous deux au parloir, perdus en Dieu. Cet entretien dura plusieurs heures, si bien qu’ils en oublient de prendre leur repas, au grand désespoir de la Sœur tourière et de la Communauté. Ils étaient tous les deux plus ou moins en extase... Pourquoi s’en étonner ? Cela n’arriva-t-il pas à sainte Thérèse avec saint Jean de la Croix ? Et saint Benoît avec sa sœur Scholastique, n’ont-ils pas passé la nuit à louer Dieu ? Honnis soit qui mal y pense !

LES SEPT ANS D’ÉPREUVE.

C’est à peu près à cette époque que commence une période très douloureuse de la vie de Mère Mectilde qui ne se terminera qu’avec la retraite de 1661-1662. L’auteur du N 249, parlant de cette période, écrit :

« Pendant plus de sept ans, après l’établissement de l’Institut, elle porta des peines intérieures si extrêmes que son corps ne les pouvait soutenir. L’on crut souvent qu’elle en mourrait... Aussi elle a confessé depuis que la peine était pour lors si grande que selon les sentiments de la nature, elle aurait reçu en grâce très singulière la mort... Même il lui est échappé de dire à une de ses amies intimes que notre Institut était fait à la pointe de Pépée contre toutes les puissances de l’enfer qui l’avaient combattu sept ans durant, que les détresses mortelles qu’elle portait en esprit en ce temps étaient si épouvantables qu’elle appelait cela le poison infernal dont tous les jours elle en buvait à pleine coupe, disait-elle. C’est tout ce que nous pouvons en dire (car elle ne s’en expliquait pas) ».

Nous avons donc beaucoup moins de textes que du temps de la grande correspondance avec Bernières. Et l’auteur du N 249 ajoute :

« Mais il est certain qu’avec tous ces horribles maux et de corps et d’esprit, son visage ne fut jamais moins doux et son esprit moins quiet et agréable que pendant sa plus grande santé. Au contraire, dans ses entretiens spirituels en discours ou par écrit, c’était une fluidité de paroles, une clarté et netteté à s’énoncer, et surtout une onction si grande de grâce que tous ceux qui l’entendaient étaient dans l’admiration. Ils l’auraient été bien davantage s’ils eussent su les rudes états que son intérieur portait lors » (N 249, p. 68).

Nous pouvons suivre un peu cette période dans les lettres qu’elle écrivit à Mère Benoîte et à Mère Dorothée. Elle est malade depuis janvier 1657. En avril 1657, elle écrit à Mère Dorothée : « Si je considérais le poids que je porte, je serais abîmée de douleur ; mais autant que je le puis, je le laisse sur les épaules de Notre Seigneur et tâche de m’anéantir sous ses pieds. Mais c’est avec tant d’infidélité que j’en ai horreur et je vous supplie d’en demander pardon pour moi » (L.I., p. 170), (746). Elle fait allusion à son prochain départ pour la Lorraine, car les médecins lui ont ordonné les eaux, et elle a choisi Plombières. Elle passe par Nancy, Rambervillers, Épinal, et reste un mois à Plombières d’où elle écrit à Mère Benoîte le 24 juin : « I1 est vrai que vous êtes bien crucifiée, et j’espère que je le serai un peu avec vous, et toutes deux dans le silence, sans se plaindre à personne qu’à Dieu seul. Je ne doute point qu’il soit votre force, priez-le qu’il soit la mienne. Plus je considère les affaires, plus je vois d’embarras pour moi et dans l’embarras ma ruine, si Dieu n’a pitié de moi... Heureuse l’âme qui possède la solitude ! » (L.I., p. 172), (1595).

Le 21 juillet elle écrit encore à Mère Dorothée. Dans ces deux lettres elle manifeste le désir de retourner un jour en Lorraine : « Ma santé est assez bonne, mais sitôt que je clocherai, je ferai tant de bruit que l’on me renverra, et pour lors sera bien habile qui me retiendra à Paris (L.I., p. 174), (46).

Et le 18 août à Mère Benoîte : « Pour ma retraite (elle espère encore pouvoir se retirer de sa charge) je l’ai toujours fort à cœur, et espère que le temps viendra ou que la mort me retirera. Ma santé est bien ébranlée... mais cela n’est encore rien, il n’en faut pas parler » (L.I., p. 177), (95).

Le 17 octobre, elle écrit à Mère Dorothée et lui parle de la consultation qu’elle vient de faire avec les « serviteurs de Dieu ». Voici ce qu’en dit Collet : (accablée d’épreuves de toutes sortes) « elle perdit courage et résolut de quitter la France, de retourner en Lorraine et d’abandonner une œuvre qu’elle se jugeait incapable de mener à sa perfection. D’ailleurs, pensait — elle, la fondation étant achevée, les raisons qu’on avait alléguées pour l’obliger d’y prêter les mains n’existaient plus. M. de Bernières se rendit à Paris sur ces entrefaites. Elle le pria de conférer de ses doutes avec quelques-uns des plus saints et des plus éclairés serviteurs de Dieu qu’elle connût. Selon ses désirs, il choisit saint Vincent de Paul, M. Olier, ancien curé de Saint-Sulpice, M. Boudon et le Père Hayneuve..., jésuite. Les ayant réunis au parloir du monastère, il leur présenta un écrit où elle exposait l’état de son âme et les motifs de sa démission en ces termes :

« Nous supplions très humblement les serviteurs de Dieu que la divine Providence assemble ici, de nous vouloir donner leurs conseils selon les lumières que le Saint Esprit leur communiquera, sur cette maison et particulièrement sur ce que Notre Seigneur veut de moi au regard d’icelle, portant un grand désir de la remettre entre les mains de quelques âmes qui aient la capacité d’y établir la pure gloire de Dieu, me trouvant absolument incapable de le faire pour les raisons suivantes : la première est que je n’ai point les grâces, ni les talents nécessaires pour y agir de la manière qu’il faut ; la seconde est que me trouvant fort impuissante, stupide et ténébreuse, je ne puis m’appliquer sans violence d’esprit à la conduite, n’ayant que des ignorances extrêmes. Troisièmement, je connais par expérience que ma conduite n’y établira jamais le bien en sa perfection, n’ayant pas, comme j’ai déjà dit, ce qu’il faut pour cela, perdant la mémoire, mon entendement étant hébété et plein de ténèbres causées par un fond d’orgueil épouvantable qui est en moi et par lequel je suis toute opposée à Jésus Christ, cet orgueil faisant de si mauvais effets en moi que toutes mes opérations en sont corrompues. Je le crois la source de tous mes maux puisqu’il me rend indigne des miséricordes de Dieu pour moi et pour les autres.

Au regard de ce monastère, voici mes petits sentiments : premièrement je conçois un si grand malheur de faire une œuvre de telle conséquence qui ne soit point l’œuvre du pur esprit de Dieu, qu’il vaudrait mieux qu’elle s’abîmât dans le néant que de subsister un moment hors de cette pureté.

Le dessein de cette fondation étant très saint en apparence, il est fort à douter que l’excellence extérieure d’icelle n’épuise la grâce et la substance intérieure, à moins que Notre Seigneur y donne des sujets capables de la maintenir par une très grande fidélité.

La principale pensée sur ladite fondation a été de la recevoir pour un petit nombre d’âmes qui veulent se donner à Dieu sans réserve, oubliant la conversation avec les créatures autant qu’il est possible, les religieuses devant vivre en icelle comme des recluses ; l’on n’y devrait rien connaître que la vie et les états de Jésus Christ. Point de parloirs que pour la nécessité des affaires.

Le motif le plus important de ladite fondation est d’y vivre de la vie cachée et anéantie du Fils de Dieu dans le très Saint Sacrement selon les degrés de grâce d’une chacune, d’y être pauvres, abjectes, inconnues et rebutées par hommage et union à Jésus Notre Seigneur dans la sainte Hostie.

La difficulté étant de trouver des âmes assez généreuses pour entrer dans ces saintes dispositions, mon âme en souffre une douleur extrême.

Je souffre au regard de cette maison, tant d’amertume dans l’âme et des angoisses si crucifiantes que je suis dans un regret continuel de cet établissement et voudrais donner mille vies pour l’anéanti r s’il n’est pas dans l’esprit et dans les desseins de Jésus Christ et je prie ardemment les serviteurs de Dieu d’en examiner les circonstances et de voir si c’est l’œuvre de Dieu et ce qui se doit faire pour la mettre dans un état où il la veut pour sa gloire.

Pour moi, je confesse derechef qu’il m’est impossible d’y réussir, ayant toujours cru et assuré plusieurs fois que je ne ferai point le plus important de cette œuvre, et connu que je n’en avais point les talents, mon trait intérieur me portant à la solitude pour me rendre à Dieu, sortant du tracas des charges que j’ai exercées depuis plus de dix ans sans discontinuation, mon âme gémit sous le poids de mes misères et je crois ne me pouvoir sauver qu’en quittant tout et me retirant en profond silence et en lieu inconnu pour y faire mourir mon orgueil naturel duquel je ne puis me défaire et qui prend vie dans les grandes occupations. J’ai toujours cru que Notre Seigneur voulait que je me retirasse puisque j’ai fait, ce me semble, ce qui m’était donné à faire en cette œuvre et jusqu’à présent je n’avais point eu la liberté de la quitter, mais depuis quelques mois il me semble que je puis me retirer sans en porter aucun scrupule et mon âme a une pente si grande et si profonde à me jeter dans un trou caché, gardant un profond silence, que la seule pensée me donne une nouvelle vie. Je ne vois pas lieu de rendre à Notre Seigneur ce que je lui dois, ni de me sauver que par là.

Pour augmenter mon incapacité, j’ai perdu l’ouïe d’un côté et commence à être fort étourdie de l’autre.

Dans les affaires il me faut une si grande attention pour les comprendre que j’en souffre violence. Mon âme ne voudrait être captive de rien comme elle n’est capable de rien que de s’abaisser devant Dieu, gémir sa vie pleine de crimes, demander miséricorde et tâcher de me séparer du péché ».

Les arbitres, après avoir mûrement examiné, chacun en particulier ce mémoire, le discutèrent ensuite tous ensemble. Ils convinrent unanimement et déclarèrent que l’attrait de Mère Mectilde pour la solitude et ses projets de retraite n’étaient qu’une tentation ; que l’établissement était véritablement l’œuvre de Dieu ; qu’elle devait s’y consacrer toute entière et qu’elle résisterait à la volonté divine en l’abandonnant (P 101, p. 638 ; P 105, p. 363 ; D.H., p. 295), (C. VII, pp. 25-26), (2379).

Voici maintenant comme Mère Mectilde en parle à Mère Dorothée dans sa lettre du 17 octobre 1657 : « Il est vrai, ma très chère Mère, que nous avons fait consultation pour quitter cette maison, mais l’on ne nous a pas accordé notre demande. L’on me condamne d’y rester tant que les supérieures en disposeront : vous êtes mes supérieures, je suivrai toujours vos ordres le plus expressément que je pourrai ; je vous assure du moins que c’est ma volonté. Si vous saviez comme je deviens, vous auriez pitié de moi. Je n’entends quasi plus, et comme je suis sourde, je deviens aussi stupide ; vous diriez qu’on parle à une bête ; on voit cela et on ne me laisse pas quitter. Il faudra bien en venir là, si la Providence continue à me laisser devenir bête tout à fait, comme j’en prends le chemin. J’aspire à un petit trou, n’étant plus capable de rien, et ne crois pas pouvoir être totalement à Dieu que lorsqu’il me séparera de tout. Je suis trop faible pour être parmi les créatures, je m’y souille sans cesse, etc. Si ma surdité augmente, malgré le monde, il faudra me laisser aller. J’abandonne le tout à Notre Seigneur : il sait ce qu’il veut faire de nous ; il faut demeurer dans son bon plaisir et attendre ses ordres. Il me semble que par sa grâce je suis toujours prête. J’aspire sans vouloir déterminé, je désire et je meurs à tout désir. Ma toute chère Mère, c’est une belle et bonne chose de n’avoir plus de choix.

Voici six points que je trouve excellents, voyez s’ils vous agréent : 1° ne tenir à rien. 2° aimer l’abandon. 3° souffrir en silence. 4° vivre sans choix. 5° épouser la croix. 6° se conformer en tout au bon plaisir de Dieu. En voilà assez. À Dieu, jusqu’à une autre fois... Priez Dieu que je meure incessamment afin que lui seul soit notre unique vie » (L.I., p. 178), (2593).

Le 5 février, elle écrit encore à Mère Dorothée : « Mourons donc incessamment, chacune dans sa voie... Plus nous tardons à mourir, plus nous retardons la vie, le règne et la consommation de Jésus Christ en nous ». (L.I., p. 179), (156). C’est donc bien la mort pour la vie, et quelle vie : celle de Jésus en nous !

Le 21 mars 1659 c’est l’inauguration du monastère de la rue Cassette, et le 3 mai Bernières meurt. Mère Mectilde l’écrit à Mère Dorothée : « Ce grand saint est mort avant que de mourir, par un anéantissement continuel en tout et par tout, et nous pouvons dire de lui ce que dit l’Écriture : « Beati mortui qui in Domino moriuntur », « Bienheureux ceux qui meurent dans le Seigneur » (Ap. 14, 13), (L.I., p. 182), (146). Et elle ajoute : « mourons incessamment, mourons toujours, car dès que nous cessons de mourir nous cessons de vivre » (L.I., p. 183), (146).

Voici un fidèle écho de l’enseignement du P. Chrysostôme rapporté par Boudon dans « L’homme intérieur » p. 241 : « O mort ! o mort donc qui vaut mieux que toutes les vies ! Que mon âme te désire incessamment le reste de mes jours que je ne veux plus être que des jours de mort. O Mon aimable Jésus que je ne vive plus que de cette mort afin que vous viviez uniquement en moi. O Que bienheureux sont ceux qui meurent dans le Seigneur ! »

Elle l’écrit aussi au frère Luc de Bray qui était alors à Rome, le 27 juin 1659 : « Cette mort qui me serait très sensible si je ne la regardais dans l’ordre du bon plaisir de Dieu, et ne le trouvais plus proche de nous que lorsqu’il vivait parmi nous ». Elle essaie de s’ouvrir : « Je suis plus seule que jamais, ne parlant à personne et me sentant portée à un grand éloignement de tout le monde. Sans doute c’est par pauvreté et par ma très grande abjection ; je suis infiniment au-dessous de tout le monde ; il me semble que je ne tiens plus de place dans qui que ce soit, et je voudrais bien être cachée en Jésus Christ dans le très Saint Sacrement de l’Autel. J’appauvris tous les jours et suis si rebutée de moi-même que je ne voudrais plus paraître. Mais, mon Dieu, il faut que je soutienne la charge que mes péchés m’ont attirée, et si j’en pouvais être quitte, je m’enfuirais dans le fond d’une solitude pour y apprendre à mourir. Je suis dans un état intérieur que je ne puis dire. Dieu seul le connaît. Je n’ai pas le pouvoir ni la capacité de l’exprimer... Il faut demeurer dans l’abandon nu et crucifié, quelquefois jusqu’à l’extrême » (1163, autographe). Elle espère pouvoir lui parler plus facilement s’il vient la voir, de retour à Paris, dans un an !

Le 31 août, elle écrit à Mère Benoîte une lettre de détresse : « Ma croix n’est pas encore finie ; il faut que je l’embrasse et peut être faudra-t-il que j’y meure. Je dois être hostie de Jésus Christ, qu’il me consomme selon la complaisance de son amour. Ce me serait trop de grâce de posséder la solitude que je désire et que j’ai toujours fort à cœur... mes péchés s’y opposent... et je meurs de n’être pas à lui comme je dois. C’est un enfer, au dire du bon M. de Bernières, d’être un moment privé de la vie de Jésus Christ, je veux dire qu’il soit privé de sa vie en nous 35. C’est ce que je fais tous les jours en mille manières. J’en suis en une profonde douleur et c’est pour cela que je gémis et que je vous prie et conjure de redoubler vos saintes prières... J’en ai un besoin si grand que je me sens périr. Ma très chère Mère, soutenez-moi, me voici dans une extrémité si grande que si Dieu ne me regarde en miséricorde, il faut mourir... Donnez-moi votre secours, par la charité que vous avez puisée dans le Cœur de Jésus Christ, comme à une âme qui a perdu la vie et qui ne peut ressusciter que par Jésus Christ » (L.I., p. 183), (570).

Cette dernière phrase est très importante et s’éclairera pendant la retraite de 1662 par le texte : « Dieu tient l’âme dans la mort avant que de lui donner sa vie divine ». En ce moment, elle vit cette « mort » et commence à comprendre que Jésus Christ seul peut la ressusciter. Mère Mectilde continue (ceci est peut-être une deuxième lettre) :

« Je vous avoue que j’admire quelquefois comment je le puis soutenir, mais je vois que c’est la force divine de Jésus Christ qui fait et souffre tout. Il faut une patience étrange dans ces conduites... Quand il plaît à Notre Seigneur me laisser seulement approcher de l’ombre de la croix, hélas ! je suis à demi-morte, mais il la suspend au-dessus de moi et la soutient par sa vertu divine. Cependant je ne me saurais plaindre : aussi n’ai-je pas le mot à dire. Je demeure comme abîmée aux pieds de Notre Seigneur, le laissant faire ma ruine, ma destruction et ma consommation comme il lui plaît... Nous demeurons ainsi mourante sans mourir, souffrante sans souffrir, car en vérité je ne puis dire que je souffre. Tout ce qui était le plus fort à soutenir, c’est une effroyable destruction qui se fait au fond de l’âme : tout y meurt, tout y est perdu ; je ne sais où je suis, ce que je suis, ce que je veux, ce que je ne veux pas, si je suis morte ou vivante, cela ne se peut dire. Priez Dieu qu’il me fasse sortir du péché : je suis horrible devant ses yeux divins » (L.I., pp. 184-185), (570-1685).

Le 3 septembre 1659 elle envoie la « Messe mystique » à Mère Dorothée, pour son divertissement. C’est peut-être bien la « Messe mystique » de M. Quatorze30, que l’on trouve souvent recopiée parmi ses écrits, mais elle ajoute : « Si Notre Seigneur me donnait grâce et lumière, je l’étendrais un peu plus et le rendrais fort intelligible et très suave, car tous les jours et à tout moment nous la pouvons célébrer. Mais je voudrais dire quelque chose de plus, si Dieu le voulait, qui serait comme Jésus Christ est immolé incessamment en nous, et comme il y continue son sacrifice et nous sacrifie avec lui ».

Cela sera développé au cours de la retraite de 1662 et dans le « Véritable Esprit ». Textes bien préférables à celui de M. Quatorze. Puis, elle fait encore allusion à ses épreuves de santé et autres. « J’étais tuée de corps et d’esprit », et elle ajoute : « Croyez, ma très chère Mère, que la mort ne m’est douloureuse qu’à cause que Jésus Christ n’a point vécu en moi, et que c’est une chose effroyable d’avoir empêché sa vie divine de s’établir en moi. Oh ! quel enfer dans une âme quand Jésus Christ n’y vit point ! » (L.I., p. 186), (3007).

Le 15 septembre nous relevons encore dans une lettre à Mère Benoîte : « Je vous écris, ma toute chère Mère, sans autre liberté intérieure que celle que le néant me donne, et je me sens si indigne de vous occuper un moment, nonobstant les besoins où je me trouve, que si je suivais mon sentiment, je serais dans un silence perpétuel, même avec les serviteurs de Dieu, ne trouvant rien à dire dans l’abîme où je suis descendue et dans lequel je trouve la paix, la tranquillité et la joie au-dessus de moi-même. Je suis devenue bien plus petite que je n’étais, mais pourtant encore très éloignée de ce que je dois être et que Notre Seigneur veut de moi » (L.I., p. 187), (969).

Mère Mectilde continue donc sa route vers le Rien/Tout. Elle aspire toujours à la solitude et à être retirée du « tracas » (elle a été réélue en juillet 1659). « Je vous supplie, ne m’abandonnez pas. Je vous demande par grâce une neuvaine à l’Âme sainte de Jésus et à son très adorable Cœur, pour honorer toutes les douleurs intérieures et secrètes et qui sont encore inconnues, dont il a été navré et cruellement blessé en sa douloureuse Passion et qu’il continue d’être dans le très Saint Sacrement de l’Autel, quoiqu’il ne soit plus passible ni mortel. Je vous supplie de me faire cette aumône pour les adorer pour moi et y avoir la part que son amour et sa miséricorde m’y veut donner, quoiqu’infiniment indigne » 36.

Nous avons déjà rencontré cette dévotion à l’Âme de Jésus chez le Père Chrysostôme et chez Bernières. Ici, elle communie à sa Passion intérieure (voir aussi le chapitre IV du « Véritable Esprit »). Ceci est un indice de l’objet de sa contemplation à cette époque. Elle est appelée à avoir part à ces souffrances inconnues. (Les révélations du Sacré Cœur à sainte Marguerite Marie datent de 1672)

« Un samedi dans I'octave de Tous les Saints » 1659, elle reçoit une grâce particulière de la Sainte Vierge : « Je crois que c’est une manifestation intellectuelle qui lui laissa une joie et une liesse intime dans une pleine assurance et sentiment de bienveillance de la Mère de miséricorde ». Elle avoue que pendant sa vie elle reçut plusieurs fois de semblables grâces. Un autre jour, dans la même octave pendant la sainte Messe, elle reçut « une joie inénarrable que je ne saurais exprimer... C’est une paix au-delà de ce que l’on saurait dire, en un mot c’est une calme béatifique »... (2916). Voici donc un intermède.

Le 9 octobre 1660, nous retrouvons Mère Mec — tilde en route vers le rien. Elle écrit au frère Luc de Bray : « Tout va d’un bon air d’abjection pour moi et j’ose vous assurer que jamais je ne fus réduite dans la plus profonde abjection et petitesse... Je commence à voir clairement que j’ai toute ma vie abusé de la grâce et trompé les serviteurs de Dieu... J’aspi re au centre du néant » (P 101, p. 700), (2064).

Mais dans ce même mois, elle fait une petite retraite qui lui donne un peu de « respir ». Elle en parle à Mère Benoîte : « Il faut encore que je confesse qu’il me fait trop de miséricordes. Je suis au dernier jour d’une petite retraite que j’ai faite pour reprendre un peu de respir pour continuer ma course et me rendre aux desseins de Notre Seigneur qui veut que je marche dans la mort continuelle, que je demeure en lui et que j’attende tout de lui ; et cela me paraît si vrai qu’il me semble que je n’ai pas un bon mouvement que je ne le voie sortir de son Cœur divin. Je vois sa force et sa patience qui m’environnent et je suis toute surprise que dans les occasions assez fâcheuses à l’esprit humain, il retient tous les sens et fait un si grand calme dans le fond que l’âme en demeure toute étonnée : elle voit bien que ce n’est point son ouvrage ; enfin c’est son plaisir d’agir ainsi à l’endroit de la plus infidèle de ses créatures »... « Je vous dirais bien des choses si j’en pouvais prendre le temps. Mais j’espère que Notre Seigneur vous donnera quelque pressentiment de ce que je suis : je n’en sais rien moi-même, j’aime mieux me perdre et m’abandonner que de le connaître » (Octobre 1660), (L.I., p. 193), (2814).

Voici, à n’en pas douter, un petit début de « résurrection ».

Dès janvier 1661, Mère Mectilde est malade. Le 18 février, elle écrit à Mère Benoîte :

« Pour moi, il faut qu’en passant je vous dise que quoiqu’accablée dans de continuels tracas, je ressens d’une manière singulière la présence efficace de Jésus Christ Notre Seigneur. Certainement quand il lui plaît, tous temps et toutes occasions lui sont propres. Il opère ce qu’il veut et fait connaître à l’âme que son œuvre est indépendante, même au-dedans, et qu’il n’a besoin que de son amour et de sa toute-puissance quand il veut opérer souverainement.

Avec tout cela je suis plus que jamais plongée dans 1'abîme de mon abjection, car son ouvrage ne m’ôte pas cette connaissance et ce sentiment. N’en disons pas davantage ; mais pour 1'amour de ce même pur et divin Amour, priez-le qu’il fasse sa très sainte volonté en moi et qu’il se contente lui seul en toutes les différentes dispositions que sa divine Providence me fait porter.

Je ne sais qu’un secret dans la vie intérieure : c’est le cher et précieux abandon de tout nous-mêmes au plaisir de Dieu. Qu’il vive et règne lui seul et il suffit, sans nous réfléchir ni sur le progrès, ni sur les dons de Dieu, ni même sur notre éternité. Que le pur et divin Amour nous consomme comme il lui plaira, puisque nous ne som mes créées que pour lui seul... si vous voyez comme je suis dévorée, vous auriez pitié de moi. Le corps même n’y peut quelquefois subvenir. Mon Dieu, ma très chère Mère ; il me semble que Notre Seigneur veut que je me perde entièrement ; mais je suis encore toute pleine de moi-même et des créatures » (L.I., p. 195), (412).

Au mois de mai, Mère Mectilde est à toute extrémité ; c’est le dernier assaut, dedans et dehors, avant la retraite de novembre. Nous avons un bon témoignage de son état dans sa lettre du 20 juillet 1661 à Mère Benoîte qui est « la seule au monde » avec qui elle puisse encore parler.

« Il y a plusieurs mois que je suis tombée dans un état que je ne sais ce que ce pourra être, s’il sera bon ou méchant. Ce n’est pas toujours les occupations qui me privent de la chère consolation de vous écrire... mais il m’est survenu une étrange suspension des organes et puissances de mon âme, en telle sorte que mon corps en restait affaibli et me trouvant sans vigueur et quasi à la mort, me semblant qu’un souffle me pourrait ôter la vie. J’ai été fréquemment de cette sorte durant ce temps.

Quoique l’interdiction soit grande et que je n’ai d’usage que pour le nécessaire de mes obligations qui survenaient dans ces rencontres, mon âme avait en fond une occupation profonde non distincte, mais qui semblait dévorer et consommer quelque chose, quelquefois dans une paix et cessation si profonde qu’il n’y paraissait pas seulement, même dans le fond, un petit respir de vie... I1 faut que je meure aux secours, aux lumières et à tout ce qui peut donner le moindre appui. Cependant vous voyez que j’en cherche auprès de vous, ma très chère Mère. Il est vrai, et tout en le cherchant et le demandant, je le remets dans le Cœur adorable de Jésus Christ, voulant me tenir dans l’abîme où je suis suspendue, sans assurance de rien. Je puis dire dans l’apparence — selon le raisonnement — de tout perdre et de faire naufrage.

Si vous pouvez, ma très chère et intime Mère, prier Dieu pour moi, ne m’en dites que ce qu’il lui plaira. Il faut tout perdre, je le vois bien, mais la nature inférieure cherche à mettre le bout du pied pour avoir quelques respirs. Oh ! que la mort totale est rare ! Ce qui fait le comble de la croix, c’est que je ne vois point que ce qui se passe soit opération de Dieu. D’une part je crains la certitude, à cause de l’appui que j’y prendrais, et, de l’autre part, je vois tout perdu. Enfin je ne puis juger de mes dispositions ou états présents, sinon qu’ils seront ma ruine ou la résurrection de mon âme éternellement : ou grande miséricorde, ou grande justice.

J’adore dans le silence de mon cœur tout ce que Dieu en ordonnera. Je suis et ne suis plus. Vous seriez étonnée de me voir : à ce qu’on dit, je parais bien plus morte que je ne suis. Bref, ma très chère Mère, je ne sais plus que dire, je demeure quasi sans parole, je n’ai rien à dire, je suis abandonnée : il faut demeurer là, ne pouvant aller ni haut ni bas, ni de côté ni d’autre. Si l’âme savait qu’elle expire en Dieu, vraiment elle serait plus que très contente : mais elle ne sait où elle est, ni ce que l’on fait, ni ce qu’elle deviendra. Le seul abandon au-dessus de l’abandon est le soutien secret de l’âme... voici un échantillon de ma pauvreté, ma très chère Mère » (L.I., pp. 197-198), (293).

Nous ne pouvons que renvoyer au chapitre XII du « Véritable Esprit » : « Dieu tient l’âme dans la mort avant que de lui donner sa vie divine », qu’elle écrivit au cours de sa retraite de 1661. La seule différence entre ces deux textes c’est que l’un est écrit pendant l’épreuve et l’autre après.

Mère Benoîte tâche de la réconforter dans une lettre datée du 21 novembre 1661 (a-t-elle tant attendu ? Où est-ce la réponse à une autre lettre ? Pourtant elle paraît bien répondre à celle de juillet... ou est-ce dû à la « Poste » de ce temps-là entre la France et la Lorraine ?).

"... J’adore en Jésus Christ et par Jésus Christ la hauteur et la profondeur des desseins que Dieu son Père a sur les âmes : il faut que son règne soit accompli et le vouloir de ses divines complaisances ; il me semble que votre état de mort est effroyable et capable d’ôter la vie au corps, à moins d’un miracle ; ce qui m’étonne est que votre état a peu d’intervalle, car l’expérience nous apprend qu’après cet état de mort, le corps est quasi épuisé de ses forces. J’avoue que Celui qui fait mourir fait revivre notre faiblesse par la puissance de sa très sainte main. Laissons-nous perdre dans les abîmes de sa conduite adorable et de ses miséricordes infinies. L’abandon parfait d’une âme n’empêche pas que l’on ne cherche pas un peu à se soulager ; il est vrai que quand il plaît à Dieu, l’on ne trouve pas de soulagement au ciel ni en la terre. Il faut donc mourir et être ensevelie en celui qui prend son triomphe de gloire dans la mort de ses créatures. Bienheureux mille fois les morts qui sont passés et trépassés en Jésus Christ qui est notre pure vie » (L.I., p. 199), (805a).

Entre temps, le 1er novembre 1661, Notre Seigneur demande à Mère Mectilde une « victime totalement perdue ». Elle décrit elle-même dans un long texte l’état extrême de cette vocation extrême. Elle cherche sans la trouver, cette victime parmi les Sœurs de sa Communauté. Elle crut un moment que cette victime était Anne de Béthune, abbesse de Beaumont-Lez-Tours avec qui elle eût une correspondance assidue. Mais l’abbesse mourut avant d’arriver au point où Mère Mectilde s’efforçait de l’entraîner. Pour ses filles, et pour ses biographes, c’est clair : cette « victime » était Mère Mectilde elle-même, car en la décrivant elle fait son propre portrait. Durant les grandes épreuves de la fin de sa vie, une de ses filles le lui rappellera, elle s’en trouvera trop indigne !

Victime totalement perdue et abandonnée au bon plaisir de Dieu pour porter l’effet de cette qualité de victime

(Écrit de Notre Mère)

« Je ne sais par quel moyen je pourrai réussir à contenter Notre Seigneur qui semble me presser de lui donner une hostie sur laquelle il puisse faire les impressions de sa sainteté pour réparer les profanations qu’elle reçoit en son divin Sacrement par les impies. J’ai jeté les yeux sur toute l’étendue de ce monastère et je n’ai su sur qui arrêter ma vue quoique toutes les âmes qui y sont semblent lui être immolées à cet effet. Il est vrai, elles le sont, mais celle que l’on demande est un surcroît, d’autant que Jésus Christ la veut pour se l’unir à lui-même dans son état d’anéantissement et d’hommage à la sainteté divine pour en porter avec lui les effets selon l’étendue de sa grâce en elle, sans laquelle aucune âme n’est capable de la soutenir pour peu que ce soit, voire même en la plus petite partie.

O. divin Jésus, s’écriait mon âme, choisissez-vous à vous-même cette hostie victimée à votre sainteté profanée. Vous me la demandez et vous savez que je n’en puis trouver si vous-même ne l’amenez dans le lieu destiné à les y préparer. Mais que désirez-vous de si particulier en cette victime par-dessus celles qui vous sont dans ce lieu sacrifiées ? Vous voulez, ô divin Jésus, une âme toute séparée d’elle-même et des créatures, toute dépouillée et toute anéantie, capable de porter les états que vous avez portés durant votre très sainte vie, et que vous portez encore dans ce mystère divin. Vous voulez qu’elle soit tellement abandonnée à votre divine et très sainte volonté que vous en fassiez tout à votre plaisir, sans retours, sans plaintes, et sans jamais se lasser d’être hostie avec vous, plongée dans un abîme de douleurs, de peine, d’amertume, d’angoisse, d’agonie et de mort, tellement remplie de désolation que l’on puisse dire d’elle ce que les prophètes ont dit de vous-même : “l’homme de douleur” ; sans secours sensible d’aucune créature ni de vous-même, portant un état de rigoureuse privation, de soustraction, de ténèbres, d’impuissance, de captivité, de délaissement extrême, et si j’ose dire, de réprobation, et tout ceci par union à Jésus Hostie à son Père et victime du péché pour la gloire de la sainteté et justice divine. O Mon Dieu, où trouverons-nous une âme qui vive dans une perte non d’une année ou de quelque temps, mais de perte éternelle, sans ressource pour elle-même, demeurant ainsi abîmée dans la volonté divine et dévouée à son bon plaisir, qui en fera sa complaisance éternelle, et cela pour toujours, sans relâche, sans retour et sans appui.

Il faut une âme pure, touchée d’un trait de grâce toute singulière pour entrer et porter ces états ; il faut être dévorée par la sainteté divine en la manière qu’il lui plaira faire son opération. Il faut qu’une telle âme se résolve de tout perdre, les secours et consolations humaines des créatures, qu’elle s’assure qu’elle en sera le rebut et le mépris très sensible, et peut-être très cruellement traitée, voire même jusqu’à la persécution. Il faut qu’elle ne sache plus où poser son pied ni reposer son chef sur la terre, et que toute agonisante sur la croix, elle y expire avec Jésus hostie et victime à la sainteté divine.

Qui sera l’âme fortunée et million de fois très heureuse qui remplira ce dessein amoureux et infiniment adorable de Jésus, qui sera cette généreuse prostituée et toute perdue dans la volonté divine de Jésus hostie et victime ? O quel bonheur, quelle grâce, quel avantage, quel honneur, quelle gratification ! O mon divin Sauveur, permettez-moi de vous dire que vous voyez une troupe de victimes en ce lieu qui vous sont dévouées par un ardent désir de réparer votre gloire. Choisissez vous-même celle qu’il vous plaira appliquer à votre sainteté d’une manière si particulière, et qui soit comme l’objet sur lequel vous imprimiez et insinuiez plus précisément votre divine ressemblance de victime. Nous voilà toutes à vos pieds. Faites votre élection selon votre bon plaisir, et la remplissez de la plénitude de la grâce de ce sacré état où votre bonté la veut établir, et si aucune ne vous agrée pour ce singulier et très auguste dessein, prenez celle qu’il vous plaira et la placez en ce lieu afin qu’en elle vous ayez une double complaisance, mais plutôt, ô divin Jésus, appropriez-vous toutes les âmes de cette maison en la manière la plus intime qu’il vous plaira, et en faites autant de pures et de véritables victimes de votre sainteté, profanée dans l’hostie. Elles s’y vouent et s’y consacrent toutes par la parole de mon cœur qui la verse dans le vôtre, et spécialement celle sur qui de la troupe sainte vous voulez vous appliquer par dessus toutes. Car je vois que c’est votre particulier dessein, et que c’est le sujet qui me presse et m’empresse. Qui est celle-là qui se donnera à moi dans les dispositions que je viens de dire, ou du moins dans une sainte et sérieuse résolution par grâce extraordinaire de ferveur et d’abandon, par amour pur et union à Jésus Victime, se donnera librement, volontairement, pleinement, absolument, cordialement, constamment et éternellement à moi pour que j’en fasse, par la puissance qui m’en est donnée de Jésus, mon hostie, et que comme telle, je la présente à Jésus Christ le Saint des saints, pour rassasier son désir et lui donner le plaisir en ce lieu d’avoir une victime_ singulière en l’état et en volonté de tout souffrir, tout soutenir, et de mourir éternellement sans relâche pour l’amour, gloire et louange à sa sainteté divine. Je vous supplie, mon adorable Seigneur, de donner mouvement à celle que vous voulez qui vous soit de cette sorte immolée, de venir me rendre le vœu de son cœur et que je vous en fasse l’hostie que vous me pressez de vous donner, et que je voudrais pouvoir acheter au prix de mille vies, pour votre pur amour et entière satisfaction.

Ceci est une petite expression de la victime que Notre Seigneur a demandée ; c’est un petit crayon de son abandon, pour être la proie du plaisir de Jésus Christ au divin Sacrement.

Il y a environ vingt-six ou vingt-sept ans le jour de la fête de tous les Saints de l’année 1661 que Notre Seigneur demanda une victime totalement perdue et abandonnée à son plaisir pour porter l’effet de cette qualité de victime » (1157).

RETRAITE

Mère Mectilde continue donc à être très malade. C’est une véritable agonie. Reprenons le récit du N 249 :

Comme à la fin cette horrible peine l’avait réduite aux derniers abois, ses religieuses firent de nouveau appeler les médecins qui ne manquèrent point de lui ordonner toutes sortes de remèdes, ni cette patiente Mère ne manqua pas non plus de les faire fort exactement quoiqu’elle fut bien assurée qu’ils ne lui feraient que du mal, parce qu’elle savait bien que sa maladie, dont elle ne voulait pas s’expliquer, ne procédait point d’une cause naturelle ; mais elle voulut obéir aveuglément à sa Communauté qui l’en priait avec instance, ignorant ce qui se passait... (Au bout de ces traitements) les médecins la trouvèrent tellement empirée qu’ils la condamnèrent à n’en relever jamais... et comme elle vit cela, elle ne laissa point échapper l’occasion de faire une retraite, de quoi elle avait un grand désir, en ayant demandé à la Communauté le consentement sous prétexte de se préparer à la mort, quoiqu’en son âme, elle ne croyait point trop ce que disaient les médecins, puisqu’elle était fort assurée qu’ils ne connaissaient point du tout son mal, mais elle ne demandait pas mieux que de s’al l e r unir à son véritable Médecin qui saurait bien autrement la guérir que ceux de la terre, et sa Communauté y consentit à la fin, quoiqu’avec bien de la répugnance pour le désir qu’elle avait de la servir dans ses maux et de ne la point perdre de vue pour le peu de temps qu’on leur disait qu’elles avaient à la garder, mais le grand respect qu’elles avaient toutes pour elle fit qu’elles y donnèrent les mains. I1 est vrai qu’elles commençaient de s’apercevoir déjà de quelque chose de sa vraie maladie et de juger que ce remède lui serait le plus propre de tous.

Ainsi elle y entra le 21ème de novembre, jour de la fête de la Présentation Notre Dame 1661, et n’en sortit que la veille de Notre Dame de février 1662, et y recouvra en effet une parfaite santé, parce que, comme nous l’avons su depuis, dans sa retraite Dieu lui changea sa voie et lui ôta cette étrange peine intérieure qui la tuait et qui lui fut enlevée, dit-elle un jour, comme qui lui aurait ôté un casque de dessus la tête, et son tempérament premier fut si parfaitement rétabli que quand ses religieuses la virent, elles furent tout à fait surprises de la trouver ainsi rajeunie et refaite ; même depuis ce temps-là Dieu lui a continué une santé très forte, parce que cela était nécessaire à sa gloire à cause qu’elle n’eût autrement pu agir à l’établissement de la congrégation qui l’a obligée de faire plusieurs voyages et porter de grands travaux ; et ce fut dans cette retraite qu’elle fit l’écrit suivant qui ne sortit pas tout d’un trait de sa plume comme les autres, mais à diverses reprises parce que, pour consoler ses filles à qui une si longue absence ennuyait fort, elle leur envoyait de fois à autre quelques feuillets pour leur servir d’entretien et de consolation spirituelle, et leur donner part en même temps, avec une bonté de vraie mère, des dispositions qu’elle portait dans sa chère solitude, comme cela il s’est trouvé bien plus long que les autres (N 249, p. 61).

Suivent les « feuillets » de cette retraite :

1. Dieu ayant fait ce monastère... D.H., p. 128), (334).

2. Quand je considère... (D.H., p. 135), (2562).

(On retrouvera ces deux textes dans les deux premiers chapitres du « Véritable Esprit », remaniés, mais non notablement changés).

3. Suite de la même retraite : O quel abîme !... (D.H., p. 139), (2424).

(C’est le chapitre XII du « Véritable Esprit » : « Dieu tient l’âme dans la mort avant que de lui donner sa vie divine ». C’est la description de sa propre expérience « pascale », qui nous fait un peu entrevoir quelle est cette vie divine, achetée par une telle mort. On pourrait en faire un commentaire ligne à ligne à partir de tout le chemin parcouru jusqu’ici).

4. Voici encore une suite de la même retraite : « De la vie cachée en Jésus Christ » (D.H., p. 142), (485).

(C’est le chapitre XI du « Véritable Esprit »).

« Pour consoler ses filles »... parmi tant de sublimités, elle savait aussi glisser des billets pleins d’humour, au goût du temps, dont voici un échantillon :

« Épître à la Communauté de Paris pour les divertir dans une retraite qu’elle fit de six semaines.

« Je ne suis pas encore au pays des morts, quoique ces jours passés on parlait d’y faire voile. Je ne sais si le vent nous sera bon. Je ne sortirai pas des frontières de l’Arabie Heureuse sans prendre, par un mot, congé de mes compagnes et surtout de mon vice-roi dont les assurances que vous me donnez qu’il est satisfait, me console merveilleusement. Commandez partout de notre part que l’on continue, et que j’en saurai gré à mon retour à. celles qui n’y auront pas manqué.

La santé est admirable en ce pays, l’air qu’on y respire fortifie le cerveau. Néanmoins celles qui l’ont fort affaibli, je ne leur conseillerais pas d’y venir. 11 y faut de bons estomacs. Mais quoi qu’il en soit, vous diriez que c’est mon air natal.

C’est une contrée où il y a mille sortes de fruits, mais par malheur mon estomac n’en peut point digérer. C’est pourquoi je les souhaite aux délicats qui aiment les choses exquises. J’ai toujours mangé également, jusques ici on ne parle point de nous retrancher les vivres. Ils sont en ce pays plus abondants qu’en France. Je conseillerais à ceux qui y meurent de faim d’y venir. Il est vrai qu’il faut y avoir des amis pour s’y introduire. Pour moi, j’y suis venue à la faveur d’une Dame de mérite qu’on y reconnaît la Toute Puissante. Elle domine sur les Etats du Roi. Personne ne lui ose contredire. Si quelqu’un s’adresse à vous pour y venir, dites-leur de ma part qu’ils envoient des messagers à cette Grande Princesse, et qu’il n’y a pas moyen d’y subsister que sous sa souveraine protection.

Au reste, j’ai ri de tout mon cœur quand vous me dites que les tambours manquent à ma suite, et que c’est pour cela que j’ai demandé des bâtons. Au pays où je suis, les tambours n’y sont point en usage, on n’y entend que des sons harmonieux et qui ne sont point composés d’instruments musicaux dont on use à Paris. Il faudrait un temps pour en faire une description plus entière.

Le panier postillon ne peut différer de partir, il est retenu plus qu’il ne faudrait, dans une autre rencontre, vous aurez de mes nouvelles.

Je salue d’affection toute la compagnie.

Aux lieux Hérauts » (N 255 p. 478) (1207).

Mais revenons au N 249 où la rédactrice cite une lettre à la comtesse de Châteauvieux écrite durant cette retraite :

« Je ne puis différer davantage la consolation que je prends de vous demander de vos chères nouvelles ; vous verrez en cela que je ne suis point morte, non certainement je ne le suis point, au contraire, il me semble que je prends vie et qu’au lieu d’être occupée de la mort, je suis appliquée à aimer. Je ne puis penser au passé, encore moins à 1' avenir. Mon âme ayant rencontré son Dieu à l’entrée de sa solitude, elle s’y est liée d’une telle sorte qu’elle n’a pu encore entreprendre d’autre pensée. Il faut qu’il me serve de tout et que son amour fasse ma préparation pour la mort, car je n’y puis nullement réfléchir. O très chère, que je vois par expérience que si les âmes se laissaient à Dieu, qu’il leur serait toutes choses. Il les soutiendrait et les substanterait de lui-même et de ses ineffables miséricordes. Oh ! que la solitude est désirable, puisqu’elle nous fait posséder Dieu plus pleinement et avec moins d’ombrage ; elle est, si je ne me trompe, le centre de mon âme et la santé de mon corps. Je m’y porte très bien jusqu’à présent, nous n’espérons pas moins de la suite » (N 249, p. 202).

« Je vous avoue que j’aurais un très ardent désir que Dieu seul soit en moi et en toutes choses. Demandons bien la perte et la ruine totale de nous — mêmes, car Dieu ne vit en nous qu’à mesure que nous mourons à nous. Hâtons-nous donc de mourir pour ne plus retarder un bien si grand. Et si vous me demandez en quoi il faut mourir, je vous dirai : en tout. Vous le verrez plus distinctement dans le petit livre du Mantelet de l’Époux où vous apprendrez les diverses sortes d’habillements dont il faut se dépouiller. L’adorable Providence en fournit mille rencontres à l’âme qui voudra être fidèle. Combien de petites occasions de douceur, de condescendance, d’humilité, de soumission ! Combien de sacrifices dans une journée ! Tout cela avance notre mort. Mais le coup qui nous ôte la vie ne peut être donné que de Dieu même. I1 faut l’attendre avec une prodigieuse patience, souffrance et profonde humilité, nous en estimant très indignes, mais nous confier en sa bonté sans empressement. Ce sera quand il lui plaira.

Nous ne vivons par pour nous-mêmes (Rom. 14, 7), aussi ne devons-nous pas mourir pour nous-mêmes » (1102), (suite de cette lettre d’après le N 256, p. 131. Elle serait à citer entièrement).

Elle écrit de même à Madame de Rochefort [31], avec qui elle parlait « plus à cœur ouvert qu’à toute autre, leur liaison étant très intime » : « Je suis entre la vie et la mort, sans me pouvoir occuper de l’un ni de l’autre. Je suis entrée en retraite par le sentiment de M. Bertot pour me préparer à bien mourir, et je ne suis à rien moins appliquée : toute ma capacité semble se vouloir fondre et consommer en Dieu sans pouvoir faire de retour sur le passé ni mettre ordre au présent. Il faut vivre et mourir de cette sorte, ce qui fait que je ne puis juger si ce sera pour ce coup que la main toute puissante de Dieu tranchera le fil de cette languissante vie » (P 101, p. 706), (L.I., p. 398), (cité par l’abbé Serrant p. 127).

« Il me semble que je me suis vue en ma retraite comme Moise sur la montagne, d’où on lui fit considérer la beauté et l’étendue de la Terre Promise sans y entrer. Hélas ! j’ai bien sujet de croire que mon sort sera à peu près semblable et que je n’aurai eu dans ma solitude que quelque faible connaissance des beautés du ciel, en suite de quoi je pourrai recevoir un commandement de mourir sans entrer dans cet heureux séjour, et en cela Dieu fera justice, ayant trop abusé de ses grâces ; après tout, je suis prête à la mort et je ne puis rien dire ni faire que de demeurer en respect et en amour. Si la main de Jésus Christ me fait mourir en mon désert, il fera un coup de justice et de miséricorde, et ma destruction me sera agréable, pourvu qu’il y trouve son bon plaisir » (cité par Giry, p. 25). (On peut voir comment le parallèle entre Moise et Mère Mectilde a été « interprété » par Hervin p. 415 : Moise sur le mont Nebo est devenu Moise sur le Sinai » !).

Dans une autre lettre à la même, elle parle ainsi :

« Je prie Notre Seigneur qu’il soit votre divin Maître et qu’il grave au fond de votre cœur les leçons de son Pur Amour. C’est lui seul qui le peut faire efficacement, et moi je dois demeurer dans mon néant où parmi les morts je me vois comme ensevelie sans espérance de vie que la pure bonté de Jésus Christ qui est la seule et unique Vie. J’adore ce Verbe divin anéanti sous la figure d’un enfant (nous sommes au temps de Noël) et caché sous la sainte hostie, comme une source de vie de laquelle dépend notre résurrection et hors de laquelle il n’y a que mort et enfer éternel. Il me semble que nous devrions avoir une singulière dévotion à Jésus comme Principe et Source de Vie, et que nous devrions nous tenir incessamment en cet état de mort en sa sainte présence, afin qu’il nous spire un petit mouvement de sa Vie divine. Oh ! que cette vie est adorable et efficace ! Un moment de cette vie en nous vaut mieux que tout ce qu’il y a de grand au ciel et en la terre. Je voudrais que nous en fussions bien persuadées afin que nous eussions plus de fidélité à mourir, car cette précieuse vie ne vient en nous qu’après la mort de notre propre vie. Mourons donc, et mourons avec plaisir, puisque cette mort nous cause un bien infini en son excellence et en sa durée. Ayez cette charité pour moi de prier Notre Seigneur qu’il consomme toute la malheureuse et impure vie de moi-même, afin de faire place à sa Vie divine par laquelle seule il reçoit des hommages purs et saints de nous » (P 101, p. 709), (207), (cité par Berrant p. 129).

Tout ceci serait à confronter avec le chapitre XII du « Véritable Esprit », et particulièrement la fin de ce chapitre qui nous livre, à n’en pas douter, l’expérience décisive de cette retraite.

Voici donc Mère Mectilde « passée en Jésus Christ comme en la source de sa vie » et ce « germe ou fond de vie » qui demeure en elle « n’est autre que Jésus-Christ lui-même. Ce n’est point une grâce ou participation de quelque faveur, il faut dire que c’est Jésus Christ lui-même qui est dans ce fond misérable, comme vie et centre de vie, mais vie essentiellement vie. Je dis “Vie” et ne puis dire autrement parce que je n’ai pas de terme pour mieux exprimer ce que je comprends » (2424). Elle est « heureusement ressuscitée », par la pure bonté et miséricorde de Jésus Christ. « Cette vie divine est sans prix, et elle n’est achetée que par la mort ». À ce point, on peut dire que c’est une grâce exceptionnelle, mais ce n’est rien d’autre que la mort/vie pascale où nous a plongés notre baptême et qui s’approfondit à chaque communion, afin d’être vécue dans l’humble quotidien. « Ce n’est plus moi qui vis, c’est Jésus Christ qui vit en moi » (Gal. 2, 20).

Mère Mectilde écrivait à sa chère comtesse, quelque peu épouvantée devant ce chemin si radical de mort universelle : « Ma chère fille ne vous rebutez point sur cet état de mort totale de soi-même. Ce n’est point l’œuvre de la créature, mais l’œuvre de la main toute puissante de Dieu qui y fait entrer l’âme à mesure qu’elle se dépouille et qu’elle se désapproprie de tout ce qui occupe et qui remplit son fond. C’est l’état pur et saint que vous avez voué au baptême. C’est celui qui nous fait cesser d’être ce que nous sommes pour faire être et vivre Jésus-Christ en nous » (A.S. = Une amitié spirituelle au grand siècle, p. 228), (2258).

Cette résurrection coïncide, ô paradoxe ! avec ce qu’elle nomme « état d’anéantissement ». Voici ce qu’elle en dit dans une relation de retraite : « Aujourd’hui en mon oraison et tout particulièrement après la sainte communion, j’ai eu lumière sur l’état d’anéantissement que je compris mieux que je ne peux l’exprimer. Il me semble que c’est une grâce, laquelle dénuant l’âme d’elle-même, la revêt de Jésus Christ d’une manière spéciale et que le même Jésus Christ demeure en elle, il y est présent par union intime et devient ensuite le principe de ses actions et de sa vie. J’eus l’intelligence de ces paroles de saint Paul “Je vis, mais non pas moi, c’est Jésus Christ qui uit en moi”, lesquelles décrivent naïvement l’état d’anéantissement, car si Jésus Christ vit en nous, il faut qu’il y soit présent d’une présence d’union que sa grâce opère quand il lui plaît. Il faut que l’âme en soit prévenue passivement, et alors elle doit cesser d’agir par elle-même, laissant faire l’Esprit de Jésus Christ qui vit en elle » (B.N. 19693, p. 278), (418).

Ceci nous rappelle bien des pages de M. Olier (pour ne citer que lui) qui a si vivement vécu cette transformation après de terribles épreuves. 37

Même du temps de Mère Mectilde cette doctrine du « Rien » avait du mal à passer, et notre rédactrice du N 249 en fait cette glose :

« Le langage des mystiques est fort malaisé à entendre pour ceux qui ne le sont pas. C’est une théologie qui consiste toute en expérience, puisque ce sont des opérations de Dieu dans les âmes par des impressions de grâce et par des infusions de lumières : par conséquent l’esprit humain n’y saurait voir goutte pour les comprendre par lui-même. Ce Rien dont notre Mère parle avec tant d’admiration, se trouve de cette nature. C’est sans doute un dépouillement de l’âme effectué par la grâce qui la met en nudité et en vide pour être revêtue de Jésus Christ et pour faire place à son Esprit qui veut venir y habiter. Mais nous pouvons dire encore que la nature par elle-même ne peut arriver à cet état. Il n’appartient qu’à Celui qui a su du rien faire quelque chose, la réduire de quelque chose comme à rien, non pas par son anéantissement naturel, mais par un très grand épurement de tout le terrestre où il la peut mettre » (copie du manuscrit de Tourcoing, p. 33).

Il ne s’agit donc pas d’une « néantisation » ni d’une « mutilation » de notre nature, mais d’une transformation qui à la fois dépasse et accomplit notre être en le faisant passer dans le domaine divin, but de sa création et de sa rédemption dans le Christ.

À partir de cette « résurrection » le ton de la correspondance change, il ne sera plus guère question que des affaires de l’Institut ou de la destinataire. Ses conseils spirituels sont adaptés à chaque personne et jaillis de sa propre expérience. Son dynamisme et son intrépidité, guidés par l’Esprit Saint, l’emportent et emportent ses correspondantes à travers la mort en toutes choses vers le saint abandon et la pureté de l’amour divin. Son amour du très Saint Sacrement éclate et le terme de victime résume de plus en plus l’essentiel de sa vocation : don total à Jésus dans l’Eucharistie pour participer à tous ses « états », lui être « associée » en sa qualité de victime « pour la gloire de Dieu et le salut des hommes ». Entrer dans son sacrifice avec ses dispositions, car c’est ainsi seulement que l’on peut réparer sa gloire offensée dans l’Eucharistie. Il est le seul et unique « réparateur » (cf. Bérulle et l’École française. Cochois, p. 90). L’adoration perpétuelle, signe et moyen de cette union continuelle à Jésus Eucharistie, n’a de valeur que si toute notre vie tend à être une union à sa vie « eucharistique » d’adorateur du Père et d’intercesseur pour les hommes. Et sa propre vie nous envahira vraiment si nous sommes fidèles à mourir sans cesse à tout ce qui fait obstacle à cette vie é nous. Toute notre tendance doit être de « devenir des Jésus Christ ». « La communion est la consommation de l’Institut », mais il la faut faire saintement.

Bien sûr, Mère Mectilde n’est pas au bout de son chemin, et si la comtesse de Rochefort fait allusion à sa « résurrection », elle se récrie dans une lettre datée de Pâques 1662 : « Il me tarde de vous entretenir pendant qu’il me semble avoir la liberté de parler ; vous savez que je ne la possède pas toujours et que souvent je suis dans un silence de mort. Ce n’est pas que je sois ressuscitée, hélas, nenny ! mais j’ai vu un petit brin du bonheur de l’âme qui ne vit que de Jésus, en Jésus. Je ne sais s’il me sera possible de vous l’exprimer ». (P 101, p. 709), (cité par l’abbé Berrant, p. 128).

Nous verrons dans le « Véritable Esprit » qu’elle a eu la grâce d’en dire quelque chose, bien que, chaque fois, elle proteste de n’en pouvoir rien dire, et cela se comprend : certaines expériences sont au-delà de toute explication. Cependant elle avait un don pour parler des choses de Dieu, et de ces années 1661-1662 datent nombre de conférences remarquables dont certaines sont reprises dans le « Véritable Esprit ». Il faudrait un volume pour en explorer les richesses, sans parler de sa correspondance où on ne peut que glaner.

Mais reprenons son itinéraire. Ici commencent les douze ans qui vont la conduire au mariage spirituel.

DEUXIÈME GRANDE ÉTAPE

LES DOUZE ANS ET LE DOUZIÈME DEGRE D’HUMILITÉ

Le moine « conscient à toute heure

du fardeau de ses péchés,

se voit déjà traduit

au redoutable jugement de Dieu...

Il parviendra bientôt à cette charité divine qui dans sa perfection

chasse dehors la crainte...

alors il agira par amour du Christ...

sous l’action de l’Esprit Saint »

(R.B., 7, 64. 67. 69).

Mère Mectilde « terrassée » sous le poids de la divine justice, parviens à l’union parfaite avec le Christ, dans l’Esprit.

TERRASSÉE

Les biographes de Mère Mectilde signalent bien des grâces reçues au cours de ses mystérieuses maladies. Ainsi l’abbé Berrant nous rapporte que « Le 9 janvier 1663... la Mère Mectilde se trouva mue intérieurement de prier Dieu qu’il la terrassât comme il avait fait le grand Apôtre, afin qu’elle n’eût plus le malheur de s’opposer à son domaine sur elle, s’étant donnée en même temps à la divine justice pour en porter les effets en la manière qui donnerait le plus de gloire à Dieu : une secrète confiance qu’elle sentait alors lui faisait attendre avec quelque sorte d’impatience le jour de la conversion de saint Paul, dans l’espérance que Notre Seigneur lui ferait quelque grâce par les mérites de ce grand saint. Ce jour étant arrivé, elle redoubla ses instances : étant à l’oraison elle sentit une grande inquiétude par tout le corps, avec une défaillance si excessive qu’il lui était presque impossible de se tenir l’espace d’un “Miserere” en une même posture. Elle ne laissa pas d’aller communier et ensuite l’action de grâce, de faire la lecture dans la chambre commune ; mais son mal augmentant d’un moment à l’autre l’obligea de quitter le livre pour se mettre contre terre, lui étant impossible de se soutenir, ce qui ayant effrayé ses filles, elle s’efforça de les rassurer ; mais elles la prièrent de trouver bon que le chirurgien qui était alors dans la maison, la vit pour en juger, lequel lui ayant touché le pouls, il la trouva très mal et dit qu’il la fallait saigner au plus tôt. S’étant mis en devoir de le faire, dans le moment qu’il piqua la veine, elle vit une ombre qui lui fut représentée comme si c’eût été l’ombre d’une main divine qui passait sur elle, et se sentit percer le cœur de même que si on lui avait passé une épée au travers du corps. Ce coup fut si puissant que la violence de la douleur jointe au poids terrible dont elle se sentit opprimée lui ôta le sentiment et la connaissance. On ne peut être plus mal qu’elle ne fut sans mourir.

Pendant le temps qu’elle demeura sans parole et sans connaissance, elle se trouva comme écrasée sous le poids de la divine justice en sorte que depuis ce moment l’impression de son néant et du domaine que Dieu a sur sa créature a produit des effets d’abaissement intérieur et extérieur où elle a été le reste de sa vie. Étant revenue à elle, on la mit au lit où elle demeura tout le temps de sa maladie dans un accablement et anéantissement universel : à peine pouvait-elle prononcer une seule parole. Le ressentiment du coup lui demeura longtemps, souffrant les mêmes douleurs que si elle avait eu une véritable plaie.

Elle souffrit de corps et d’esprit des maux qu’on ne peut exprimer, et sa seule consolation en cet état était de se faire lire le Livre de Job. Elle disait quelquefois agréablement à la Mère Anne du Saint Sa-crement32 : “Ma Mère, l’orgueil est abattu !” (...) Tout ce qui s’est passé dans cette maladie lui avait fait tant d’impression que dix-huit mois avant sa mort elle en dit quelque chose à une de ses plus proches parentes, ce qui fit juger que l’impression lui en était resté toute sa vie » (Berrant, p. 131).

Le 16 juin 1663, elle écrit à la comtesse de Châteauvieux : « Mourons tous les jours pour nous apprendre à bien mourir » (1 Cor. 15, 31) ; le meilleur moyen c’est d’être fidèle à conserver en son intérieur la présence de Jésus Christ et de suivre les sacrés mouvements qu’Il nous donne... Pour ma santé, elle est entière » (97).

Le 28 juin 1664, elle écrit à Mère Benoîte : « Jésus soit l’unique vie de nos cœurs ! C’est l’unique souhait que nous devons faire... C’est la joie des cœurs qui n’aiment que sa pure gloire de le voir agir en souverain. Mon Dieu, ma très chère Mère, que ne règne — t-il partout dès à présent, sans résistance de la part de ses créatures ! Ce serait le paradis sur terre. Mais Jésus continue sa vie cachée et captive dans la plupart des âmes, dans lesquelles il n’a pas la liberté d’opérer selon son amour, et cela est affligeant. Priez-le, ma très chère Mère, que je ne sois pas de ce nombre, qu’il vive et règne en nous par l’adorable Eucharistie. Oh ! que ce mystère est grand et peu connu des hommes ! Je m’étonne que tout le monde ne s’occupe à le considérer et à en expérimenter les effets. Quelle union ineffable ! Pour moi, je ne demande point d’autre grâce que de porter en moi les effets de ce divin mystère : tout s’y renferme et Dieu même ne peut rien faire de plus à notre faveur » (L.I., p. 207), (193).

Dans cette année 1664, le P 101 (p. 746), nous fait assister à une scène qui ne manque pas de saveur et que les hagiographes ont parfois défigurée : « Dans le temps dont nous parlons, (vers Pâques 1664), il fut donné un avis important à la Mère Mectilde pour le communiquer à la Reine Mère, de laquelle il devait sans doute être fort bien reçu ; mais comme elle n’entreprenait jamais rien qu’elle n’eût consulté le Seigneur, elle fit d’instantes prières pour connaître sa divine volonté. Dans ces dispositions, il arriva qu’un soir, pendant l’examen après Complies, elle fut ravie en extase et vit Notre Seigneur Jésus Christ au très Saint Sacrement de l’Autel, comme dans un trône avec deux cercles, l’un plus éloigné dans lequel il semblait renfermer tout le monastère pour le séparer du monde par cette espèce de clôture, le second qui était auprès de Notre Seigneur contenait seulement les religieuses qu’elle voyait toutes ramassées dans ce cercle autour du Fils de Dieu, comme des brebis à l’entour de leur pasteur qui les aime et les caresse ; et elle entendit le très aimable Seigneur qui disait : » Je suis le Roi des Filles du Saint Sacrement et ma mère en est la Reine ». Elle comprit aussitôt que Dieu ne voulait pas qu’elle donnât cet avis, qu’elle prit appui dans les grands de la terre, mais qu’elle se reposât absolument sur le soin de son amoureuse Providence pour tout ce qui regardait cette Maison. Elle s’y rendit si fidèle que la Reine étant venue peu de jours après au monastère, elle ne lui en dit pas un mot. Elle n’avait pas de peine à suivre le conseil du Prophète en se déchargeant sur le Seigneur du poids de toutes ses affaires *38, et d’attendre de sa main libérale ce qui était nécessaire pour la subsistance de son troupeau.

Mais, pour achever ce que nous avons commencé, cette vision durant trop longtemps, une religieuse, se doutant que cette favorite du ciel était au festin de son Maître, la tira par sa robe et la fit revenir pour donner l’eau bénite, selon la coutume ; qui avait été retardée de plus d’une demi-heure à ce sujet ».

Si nous comprenons bien la « pointe » de la parabole, c’est le Seigneur qui a donné une petite leçon à Mère Mectilde, tentée de trouver appui du côté de la Reine. « Que vas -tu chercher Anne d’Autriche ? C’est moi le Roi, et c’est ma Mère la Reine... » pourrait-on traduire. Et ce n’est pas la première fois de sa vie, ni la dernière, que le Seigneur lui donne des leçons d’abandon et de confiance.

La nuit, faisant l’adoration, elle fut terrifiée par un vacarme extraordinaire, et Jésus : « Pourquoi crains — tu ? Je suis avec toi. De quoi te mets-tu en peine, petit avorton ? Est-ce ici ton œuvre ? N’est-ce pas la maison de Jésus et de Marie ? » (P 101, p. 639).

Au moment de la fondation de Rouen, tandis qu’elle disait : « Seigneur, je n’ai pas d’argent, donc je n’irai pas à Rouen », I1 lui répond encore : « Petit avorton, t’ai-je jamais manqué ? »

Les hagiographes ont cru bon de gommer la « leçon » de Jésus, et supprimer le « petit avorton » et le « tu ». Merci à Monique des Anges et à Mademoiselle de Vienuille de nous les avoir conservés (F.R. p. 32, P 101, p. 875).

TOUL

Mais reprenons notre histoire. 1664 est l’année de la fondation de Toul. Dès le 8 décembre 1663, la sainte Vierge lui avait donné l’inspiration de cette fondation qui fut très laborieuse. Mais nous n’en retenons que l’aspect « intérieur », selon notre propos.

En août 1664, Mère Mectilde écris à Mère Bernardine (qui se trouve à Toul) : « Il faut bénir Dieu de tous les événements contraires, comme de tout ce qui réussit à nos souhaits. Je vous assure, ma très chère Mère, qu’il faut toujours être prête à voir tout périr et renverser, et l’on ne peut avoir de vrai repos que dans le renversement et dans les contradictions. Abandonnons tout à la divine Providence : Dieu sait bien ce qu’il veut faire : s’il ne veut rien, j’en suis contente. Sa divine volonté soit triomphante en tout et partout... Ayons patience, ma très chère Mère, et nous tenons fermes à l’ordre de Dieu pour le vouloir en sa manière et non selon notre esprit » (L.I., p. 212), (509).

Et le 12 août de la même année : « Pour répondre à votre chère lettre, ma très chère Mère, par laquelle vous me témoignez le déplaisir que vous avez du renversement du prétendu établissement de Toul, je vous conjure de ne vous fâcher de cela ni d’autre chose qui me doive affliger. Je ne sais si c’est la grâce ou la stupidité qui opèrent, mais rien ne m’a surprise ni affligée... Croyez-moi, je ne fais jamais une affaire que je ne sois toute prête, avec la grâce de Notre Seigneur, d’en voir le renversement. C’est ainsi que l’on me fait marcher, et c’est ce qui me tient en repos quand les coups arrivent.

Je prie Notre Seigneur qu’Il vous donne autant de tranquillité qu’Il m’en donne sur ces deux sujets qui, selon la raison humaine, seraient insupportables, mais qui, dans l’ordre de Dieu, sont pleins de mystères qu’Il nous fera connaître un jour. Que si nous regardons l’affront qui nous en revient, hélas, ma très chère Mère, nous n’avons encore rien souffert en comparaison de Jésus Christ... Mais tout est dans la main du Seigneur. “S’Il est pour nous, qui sera contre nous ?” (Rom. 8, 31). Il ne faut point se rebuter. Si nous avons le cœur droit, ne nous affligeons de rien, laissons faire Dieu » (L.I., p. 213), (2501).

En octobre 1664, elle écrit une longue lettre à la Mère Anne du Saint Sacrement qu’il faudrait citer en entier : « Je ne crains point : « Si Deus pro nobis, quis contra nos ? » (Rom. 8, 31)... Je ne sais d’où vient que notre bonne comtesse (de Châteauvieux) est si mal satisfaite de cet établissement, sinon que Dieu lui fait faire pénitence de l’avoir voulu faire pour détruire celui de Rouen. Il faut bénir Dieu de tout !... Je commence à voir que dans la souffrance et dans la douleur on enfante les monastères de l’Institut, et non autrement. Mais la joie d’y voir adorer le très Saint Sacrement nous paiera bien de nos peines... Prenons donc courage et bénissons Dieu en tout et partout ; n’ayons rien au cœur que son amour et en la bouche mille louanges : « Quoniam bonus... » (Ps. 105).

« Je m’attends à passer ma vie dans la contradiction, soit que je fasse des établissements ou non. C’est ma portion pour le reste de mes jours. Le pain d’abjection ne me manquera pas, d’autant qu’il me faudrait une suffisance angélique pour remplir dignement la place que j’occupe et je suis la plus misérable de toutes les créatures. Tout ce que je vois et expérimente me confirme de plus en plus qu’il faut tout attendre de Dieu seul... Au milieu de tous ces tracas et persécutions, Notre Seigneur m’a toujours tenue en sa sainte main, sans permettre que ma paix soit altérée un moment... » (P 101, p. 760), (L.I., p. 214), (2355).

RÉPARATION

Le 8 décembre 1664, elle fait la première amende honorable à Toul. Elle en écrit à Mère Anne du Saint Sacrement : « Que ne puis-je mourir de douleur et de regret des affronts que je fais à mon Dieu ! O Jésus comment me souffrez-vous ? Chère enfant, je vous appelle au secours, gémissez et réparez pour moi. Je sors de notre cérémonie où j’ai fait la première amende honorable avec une humiliation si profonde et si grande que je ne la puis exprimer. O mon Dieu, que j’en ai de sujet ! Je n’en dis pas davantage, mais je loue Dieu et le bénis de ce qu’il fait son œuvre sans nous et qu’il n’a besoin de personne “quoniam bonus”. Demandez miséricorde pour moi afin que mes péchés n’attirent point l’ire de Dieu sur la terre. Voyez, chère enfant, l’état où je suis. Mon Dieu, mon Dieu, sauvez les pécheurs et faites régner votre divin Fils ! » (L.I., p. 217), (P 101, p. 765), (1047).

Elle reprend les mêmes pensées dans une longue lettre à Mère Benoîte de la Passion le 12 décembre : « L’humiliation me vient toujours en partage, aussi bien après que l’œuvre est faite comme auparavant. J’en remercie Notre Seigneur et usus supplie d’en faire autant pour moi. La honte, l’opprobre et la contradiction sont mon partage et je me sens si confondue devant Notre Seigneur que je ne sais où me mettre. Son très saint nom soit éternellement béni ! Je suis indigne de le faire honorer... Je n’ambitionne qu’une chose, c’est de mourir de douleur pour les outrages que mes péchés ont fait à Jésus mon Sauveur et ceux de mes frères les pécheurs... » (Rom. 9, 3). (L.I., p. 218), (2547).

Mais voilà une éclaircie : elle écrit le 15 décembre à Mère Anne du Saint Sacrement : « Depuis quelques jours Notre Seigneur m’a fait la miséricorde de me tenir plus près de lui et de me rendre certaines petites vues de Lui et de sa conduite qui me soutenaient du passé et qu’Il m’avait suspendue dans nos grandes contradictions... Je ne puis assez l’adorer, bénir et remercier : aidez-nous, je vous en conjure » (L.I., p. 221), (P 101, p. 768), (2327).

Mère Mectilde racontera plus tard, en 1697, qu’un jour « faisant la réparation, il y a plus de vingt ans (était-ce ce jour-là ?), j’avais quelques petits mouvements extraordinaires qui faisaient que j’étais fort touchée, autant et plus de mes propres péchés dont j’a-vais la vue présente, que de ceux des autres, me trouvant donc fort peinée intérieurement en (la) vue de mes péchés qui m’étaient d’un grand poids, et comme je craignais de communier dans cet état, ne sachant plus que faire de moi, tant j’étais désolée, me voyant si misérable et si chargée de péchés, il me fut dit intérieurement : “Puisque tu as percé ton Dieu, que tu l’as outragé, que tu lui as fait des plaies par tes péchés, fourre-toi dans ces même plaies que tes péchés ont faites, tu y trouveras ta guérison, ton salut et enfin tu trouveras la vie dans ce qui t’avait donné la mort”. Celles de dessous les pieds de Notre Seigneur est mon attrait. On y peut toujours demeurer parce qu’on y est caché, séparé, et que Notre Seigneur nous y souffre et prend plaisir à nous y voir ».

(Une sœur lui demande : « et celle du côté ? »). « On peut y aller aussi quelquefois, mais pour y demeurer toujours il faudrait des âmes bien épurées et bien séparées d’elles-mêmes et de tout le créé, car c’est une fournaise qui veut tout consommer. Il faut aimer du pur amour ou l’on n’y peut demeurer » (2303) et (1947).

À propos de la plaie du côté, nous pouvons relever cet aveu, encore dans un « Entretien familier » (2374) :

« Pour arriver à cet état bienheureux (où dans son néant on trouve Dieu) il faut se dépouiller de tout — quand je dis : tout, je ne réserve rien. Oui, il faut se dépouiller aux pieds de Notre Seigneur, à ses pieds, non dans son Cœur, on ne peut entrer dans le Cœur divin, que l’âme ne soit toute dépouillée. C’est donc aux pieds de ce divin Sauveur que l’on met bas ce que l’on possède, puis l’on se coule doucement dans son Cœur où l’âme se trouve unie sans apercevoir comme cela se fait ».

Souvenons-nous que, lorsqu’elle était encore annonciade, Marie l’a invitée à entrer dans la plaie du côté de son Fils (p. 17) et nous verrons comment elle est « passée » dans ce Cœur adorable en 1697 (p. 184).

Mais revenons à cette journée de « réparation » où Jésus l’a invitée à entrer dans ses plaies, car nous avons la prière qu’elle composa à la suite de cette grâce. Donnons-en du moins quelques extraits : (...) « O excès, ô bonté, ô amour infini, ô charité trop grande ! ô mon Sauveur, vous souffrez que mes péchés vous f as — sent d’innombrables blessures sans vous plaindre ! et après avoir navré ainsi votre humanité sainte, vous me dites d’entrer dans ses douloureuses et délicieusement amoureuses ouvertures pour y trouver un asile et mon lieu de défense contre la juste colère de votre Père ; et comme si vous étiez insensible à vos propres douleurs, vous me dites si amoureusement que je demeure dans vos sacrées plaies, que je me cache dans ces cavernes divines 39 que je m’y tienne comme perdue... O excès, ô amour ! voilà le langage que vous tenez à l’âme criminelle qui devrait la noyer dans les larmes d’une sincère contrition et d’un amour dévorant le cœur et la vie ! O. Jésus, vous êtes le Sauveur des pécheurs, vous êtes celui à qui je dois tout ! Faites-moi la miséricorde de ne sortir jamais de ces adorables blessures que mes péchés et votre amour vous ont faites. Que mon âme y soit si profondément plongée qu’elle n’en puisse jamais revenir, que là votre précieux sang la purifie, et que votre amour la consomme en vous pour ne plus paraître hors de vous. Amen » (Mg 7, p. 636).

PARIS

Mère Mectilde s’en retourne à Paris en 1665. Elle sait que mille tribulations l’attendent, mais cela ne trouble ni son intrépidité, ni son action de grâce. Elle en écrit à Mère Benoîte : « Je ne vous puis dire, ma très chère et intime Mère, combien je suis obligée à l’infinie bonté de Dieu. Si j’avais pu vous entretenir, je vous en aurais dit quelque chose, mais Il ne l’a pas voulu : son saint nom soit béni ! ... Je voudrais bien vous dire quelques petites choses de cette fondation, mais je n’ai pas assez de loisir. C’est assez de vous dire que c’est la sacrée Vierge qui l’a faite pour son Fils, et qu’elle est consacrée à l’honneur de son âme sainte et de toutes les opérations du Verbe en elle et de ses retours adorables vers lui. Priez cette âme sainte, ma très chère Mère, qu’elle soit l’âme de notre âme et qu’elle nous tire dans ses sacrés anéantissements : c’est l’état qu’elle a toujours porté sous les opérations du Verbe éternel » (L.I., p. 223), (1121).

Ici Mère Mectilde situe la source et le modèle de l’anéantissement, à la manière de Bérulle 33 dans celui de l’âme sainte de Jésus à l’égard du Verbe. Pensée que l’on retrouve dans un écrit du « Bréviaire » (418), une lettre à un serviteur de Dieu (2133) et plusieurs autres écrits.

« Il ne vivait que du Verbe de Dieu pour nous ap-prendre à ne vivre que de Lui ». Voici donc un « anéantissement » bien positif. « Anéantissement par plénitude », disait Bérulle.

Nous donnons ici quelques textes sur ce sujet fort important :

« Le Fils de Dieu qui nous doit servir d’exemple et à qui nous nous devons conformer en tout, qui seul, comme homme a dignement servi Dieu, qu’a-t-il fait ? “exinanivit semetipsum”. Il s’est anéanti d’un anéantissement qui ne se peut concevoir. Pour laisser régner en lui la divinité, il a été l’homme le plus anéanti de tous les hommes et jamais personne ne le peut être si fort, ayant perdu le “suppôt” humain. Je ne puis dire ce que je voudrais, et je viens à la pratique de ce parfait néant que je vois en ce divin Jésus, qui rend à son Père toute la gloire qu’il mérite par cet anéantissement où il demeure en sa présence dans une soumission parfaite et respect à tous ses ordres dans un état d’hommage et d’adoration, dans cet esprit de mort et de victime en la présence de Dieu, qui honore sa grandeur parfaitement, et sa sainteté et souveraineté » (Mg 6, p. 42).

« Il faut que vous soyez comme une capacité de Dieu : c’est-à-dire que nous soyons tellement conformes aux volontés de Dieu en nous et sur nous, que nous n’ayons plus d’autre volonté et d’autre désir que ceux de Jésus, par une soumission si entière à ses conduites sur nous, quelles qu’elles soient : soustractions, crucifiement, contradictions, toujours soumises, comme à proportion que l’Humanité de Notre Seigneur a été adhérente à la divinité : que notre âme soit une capacité de Dieu par la soumission entière et déiforme 40 à tout ce qui sera de son bon plaisir » (Mg 4, p. 182).

« Il me semble que Notre Seigneur veuille dans notre petite retraite nous communiquer quelque part de l’anéantissement parfait où la grâce peut élever une âme fidèle dès ce monde icy ; parce que dès la première oraison il nous fut représenté la manière que la divine Sagesse a gardé au mystère de l’Incarnation en détruisant et en anéantissant la subsistance humaine et terminant par la Personne du Fils cette nature humaine dénuée, et ainsi accomplissant cette merveille si profondément cachée en Dieu jusqu’alors, et faisant qu’un homme fut Dieu, menant une vie divinement humaine, d’où arrive que le moindre regard, soupir, parole, la plus petite action et la plus légère souffrance de Jésus-Christ est divine et d’un mérite infini.

« Quand l’âme découvre cet admirable secret, elle entre dans des admirations qui ne se peuvent exprimer, de cette nouveauté si étrange qu’un Dieu soit homme, qu’il soit le frère des hommes, quoique chétifs et misérables, qu’il vive et qu’il meure : l’âme est contente puisqu’elle a de quoi glorifier infiniment Dieu en la personne de Jésus Christ, c’est pourquoi elle désire vivre continuellement en Lui, par une union très étroite, et être toute perdue et abîmée en Lui, car le plus grand de ses désirs et la grâce après laquelle elle soupire, c’est celle-là ; mais grâce qui ne peut être accordée que dans l’anéantissement et par le dénuement parfait d’elle-même, par participation à celui de la nature humaine en l’Incarnation.

« Pour devenir Jésus Christ par grâce, il faut que la grâce nous fasse entrer dans la privation de nous — même correspondante à celle qui se passa à l’Incarnation à l’égard de la nature humaine par l’union hypostatique qui deuint le principe de sa vie et de ses actions et qui lui fit mener une vie divine et ineffable : car Jésus Christ ne vivra jamais en nous dans la perfection de sa grâce, qu’elle ne nous anéantisse aussi d’une manière inconcevable et qu’elle ne devienne heureusement pour nous le seul principe de notre vie et de nos actions. Il n’appartient qu’à la nature humaine de Jésus Christ d’avoir le Verbe divin pour suppôt, mais il est donné au parfait chrétien qui entre dans le dénuement parfait de soi-même, que Dieu soit la source de sa vie.

« C’est cet état que je conçois et que je ne puis exprimer. Il est pourtant totalement nécessaire, et l’âme y doit avoir sa principale attention, c’est-à-dire d’être anéantie à elle-même et vivante en Jésus Christ et par Jésus Christ seulement. En cette disposition, l’Esprit divin la possède, lui donne les mouvements et les conduites pour tout ce qu’elle a à faire et à souffrir conformément à ses desseins, de sorte qu’elle n’est pas, c’est Dieu qui vit en elle, mais d’une vie intime et profonde et si cachée qu’elle ne se découvre que par lumières particulières.

« Le dénuement de la nature humaine dans l’in carnation n’est opéré que par l’union immédiate de Dieu ; et c’est la foi qui lui procure ce bonheur incomparable. Dieu qui est essentiellement lumière et amour ne vient à l’âme que par une lumière amoureuse qui est la foi... C’est un divin rayon obscur, mais néanmoins d’une splendeur admirable qui met l’âme en possession d’une connaissance divine de toutes choses et son écoulement est la source de la pure oraison...

« Notre Seigneur après la communion imprimait en mon âme quelque connaissance et quelques effets de l’état susdit et que c’était le premier effet de ce sacrement admirable dans les âmes... là, l’âme anéantie puise dans sa source...

« Le fond de l’âme étant anéanti par l’union amoureuse à Jésus Christ, cet état porte l’âme à toutes sortes d’anéantissements intérieurs et extérieurs, c’est-à-dire dans la privation des lumières humaines, des conduites de notre esprit... dans la mortification, dans la pauvreté, le mépris et la croix. Enfin ce fond anéanti par grâce, comme nous avons dit, engendre et produit Jésus Christ en nous, nous faisant mener une vie conforme à la sienne. C’est le principal effet de la grâce chrétienne que cet anéantissement et c’est l’unique voie pour tendre à la perfection de l’amour.

« Cette grâce donc, autant que je la peux comprendre, est une communication spéciale et abondante de Jésus Christ en l’âme, c’est une assistance particulière de son divin Esprit qui la possède et y fait sa demeure. L’union qui s’en suit est étroite, anéantissant l’âme en elle-même et la faisant vivre toute en Dieu, par rapport de la vie de l’âme de Jésus Christ dans le Verbe et du Verbe dans l’Humanité sainte, et c’est en ceci que consiste la parfaite imitation de Jésus Christ. La plupart des âmes s’appliquent à l’imiter en faisant des actions semblables aux siennes, souffrant et opérant comme lui : mais tout cela est extérieur, si l’on n’entre dans la manière dont il opérait et vivait en la terre, savoir par la conduite et union du Verbe 41....

“Ces paroles : ‘A meipso nihil facio ; opera Patris facio semper’ me furent fortement imprimées dans mon oraison, et reçu, il me semble, éclaircissement sur celle qui me donnait à connaître le progrès admirable de l’Humanité sainte au regard de la divinité ; et que l’âme, par rapport, doit entrer dans une manière d’opérer semblable. C’est là aussi où elle puisera la grâce pour mener une vie toute unie et anéantie en soi-même. Car comme chaque mystère de Jésus Christ a sa grâce et influence particulière, cet assujettissement de l’Humanité sainte au Verbe opère beaucoup de grâce en l’âme qui contemple et s’y unit en foi” (B.N. Ms. Fr. 19.693, pp. 218-291), (418).

Le mardi de Pâques 1665, Mère Mectilde écrit à Mère Bernardine une lettre où affleure son expérience profonde : 15 avril 1665 :

“Je ne puis mieux commencer ma lettre que par les sacrées paroles de Jésus ‘Pax vobis’, la paix de Jésus soit en vous, règne en vous et demeure éternellement avec vous !

C’est cette paix que Jésus donne à ses disciples et qui est la marque ou un effet de sa glorieuse résurrection. Quand Jésus donne sa paix à une âme, il lui donne son Esprit, il lui donne son amour : c’est une grâce merveilleuse d’avoir cette paix qui calme le trouble de nos intérieurs, qui chasse les craintes, qui tient l’âme dans un simple et amoureux abandon à l’opération divine. Oh ! que cette paix est précieuse, ma toute chère ! Je vous la désire du plus intime de mon cœur et prie Notre Seigneur de la mettre pour toujours au milieu de votre cœur. Que cette paix soit dominante sur tout vous-même, en sorte que votre âme soit environnée et soutenue de cette paix divine, que rien de la terre ni de l’enfer même ne vous la puisse ôter. Et qu’en tout et partout, vous portiez la paix de Jésus, c’est ce que je vous souhaite, ma toute chère Mère. C’est la bonne portion que Notre Seigneur nous donne dans le mystère de sa vie ressuscitée. I1 faut la recevoir avec respect et le supplier qu’il la rende immuable par sa vertu divine.

Et qu’est-ce que cette paix, sinon la présence de Jésus et sa demeure dans nos cœurs ? C’est pourquoi le Saint Esprit réside au milieu de la paix, le prophète nous l’assure : ‘In pace locus eius’. Et si nous l’avons, le Saint Esprit nous enverra le divin amour. O la grande et adorable possession ! Priez Notre Seigneur, ma toute chère, qu’il nous donne sa paix : mais que dis-je, nous la donne, mais qu’il nous fasse la grâce de recevoir la sainte paix avec toutes ses suites et ses sacrés effets, afin que nous soyons en vérité les enfants de Dieu qui sont mus et animés de son même Esprit” (L.I. p. 232).

Grâce pascale et trinitaire qui aide puissamment à porter les épreuves de la vie.

Il y a des âmes, ma toute chère Mère, que Dieu conduit par des sentiers de perte et d’actuelle abnégation d’elles-mêmes. Il semble que tout conspire à la ruine des moindres choses qui les pourrait un peu consoler. Leurs voies ne sont que mort et que langueurs, que des abjections qui semblent presque infinies, et ce n’est pas un petit sacrifice de vivre de cette sorte, notamment quand la Religion nous charge de ses emplois les plus forts.

Pour moi, je puis dire que Dieu a trouvé un moyen de me rendre abjecte effroyablement en faisant notre Institut. Je n’en puis revenir. Vous diriez que tout aboutit à m’y plonger toujours plus avant. Il faut bénir Notre Seigneur et le laisser faire comme il lui plaira, quoique l’esprit humain et la superbe crèvent de voir sa conduite si renversante de nos desseins. Cependant il faut marcher, agir et faire bonne mine comme si tout succédait selon nos désirs. Il ne faut pas seulement qu’on voie la moindre amertume dans nos paroles ni dans nos actions ; nul n’est capable de nos peines, comme aussi personne ne nous peut consoler quand Dieu se mêle de nous crucifier » (391).

TÉMOIGNAGE DU FRERE LUC DE BRAY

Nous pouvons citer ici un témoignage du Frère Luc de Bray adressé à la comtesse de Châteauvieux le 30 juillet 1671, qui nous donne un portrait spirituel de Mère Mectilde à cette époque par quelqu’un qui l’a bien connue :

« Madame, Jésus soit la vie de notre vie et l’esprit de notre esprit pour le temps et l’éternité !

« Plusieurs raisons m’obligent à garder le silence au sujet de la connaissance que j’ai de la vie et vertu de la Révérende Mère Mectilde du Saint Sacrement ; mais le respect que j’ai pour votre piété et pour votre personne, à qui je dois tout, m’oblige à le rompre. Je vous dirai, Madame, qu’il y a environ vingt ans que j’ai le bonheur de connaître ladite Révérende Mère, et depuis ce temps-là j’ai eu une étroite liaison et communication avec elle, tant de vive voix que par écrit, là où j’y ai toujours remarqué l’Esprit de Dieu en toutes choses et la pratique des vertus au suprême degré : 1° une humilité profonde, 2° une pureté et chasteté angélique, 3° une très véritable pauvreté, 4° une pénitence au-dessus des forces humaines, 5° une charité sans bornes, 6° une oraison sans intermission, c’est — à — dire une union très intime et continuelle avec Dieu, 7° un dénuement total, 8° un amour de Dieu et du prochain autant qu’une âme le peut avoir pendant sa détention corporelle, 9° l’amour de la croix et du mépris ne s’est jamais départi de chez elle : la plupart de ses amis l’ont abandonnée et méprisée, et dans cet état elle s’est conformée à Jésus Christ abandonné et méprisé. Je ne vous dis rien, Madame, de son zèle pour faire régner son divin Époux dans les âmes, votre piété en a l’expérience. Je ne vous dis rien de la grande conformité qu’elle a eue en toutes choses à la très sainte et adorable volonté de Dieu, vous en êtes vous-même témoin depuis plusieurs années que la divine Providence vous a étroitement unies pour travailler de concert à l’établissement de plusieurs monastères de l’Institut de l’adoration perpétuelle du Très Saint et très adorable Sacrement de l’autel.

Voilà, Madame, ce que je puis dire pour le présent de cette sainte âme que je considère comme ne vivant plus, mais que Jésus Christ vit en elle. Je la révère comme l’âme la plus unie et transformée en Dieu qu’il y ait au siècle. Je la considère comme une seconde sainte Térèse sur la terre : aussi y a-t-il beaucoup de rapport en plusieurs choses, lesquelles on est obligé de tenir présentement secrètes.

Comme tout ce que dessus, Madame, n’a été écrit que pour satisfaire votre pieux désir et obéir à vos ordres, c’est pourquoi je vous supplie qu’il ne soit vu et lu que de vous seule. C’est la grâce que vous demande celui qui est en tout respect et en l’amour de Notre Seigneur Jésus Christ, Madame, votre... » (D 12, p. 518).

On comprend que la comtesse ait été ravie de cette lettre et... qu’elle n’ait pu la garder pour elle seule. Le bon Père Luc gardera son estime pour Mère Mectilde jusqu’au bout de leur longue vie. Dans sa lettre du 14 juin 1694 à Jeanne Marguerite de Montmorency, il écrira : « Je vous recommande la santé de la Révérende Mère du Saint Sacrement de la rue Cassette : Que Dieu bénisse ses bons desseins ! Vous savez que c’est mon intime amie ». (Lettres d’une solitaire inconnue ou Jeanne Marguerite de Montmorency, révélée par la correspondance avec le Père Luc de Bray. Première édition publiée par les soins d’un ancien supérieur de séminaire. Orange. Chez Jules Escoffier, imprimeur libraire. 1841, p. 153.

Nous pouvons peut-être compléter ce témoignage par quelques extraits de « Vues et dispositions très saintes et très solides de notre digne et précieuse Mère » que ses filles ont si fidèlement recopiées :

« À la sainte communion, je me trouvai dans un grand silence avec tranquillité d’amour, sans production, mais avec attention et désir d’union. Je compris que le plus grand empêchement des âmes à l’oraison était qu’elles faisaient trop d’elles-mêmes et qu’elles ne se laissaient pas assez à Dieu dans une passive attention à son bon plaisir.

« M’entretenant par une humble application à la douce présence de Dieu sur une autre vue de l’actuelle application de Jésus Christ à son divin Père, je voyais qu’en tout ce qu’il a opéré, son âme sainte était actuellement regardant Dieu, j’étais excitée d’être actuellement adhérente à Dieu.

« Je vis une âme dans un état pitoyable et digne de compassion : elle était excessivement pauvre et très languissante, elle expérimentait un si grand délaissement que je ne le puis quasi exprimer. Notre Seigneur, la très Sainte Vierge ni les saints n’en prenaient pitié, elle soupirait et gémissait sans sans cesse. Après, je fus consolée par une vue de la bonté de Dieu qui l’avait retirée de si abominables péchés pour lui faire la grâce de tendre à la voie de son pur amour.

« Un jour, étant à l’oraison, il me fut montré un chemin, lequel comme je crois, était le sentier secret par lequel l’âme doit marcher pour entrer dans la vie, or ce chemin conduisait l’âme à Dieu, mais il était grandement difficile et bien rude au commencement ; il y avait des obscurités épouvantables et des dangers très grands, quantité de ronces et d’épines qu’il fallait traverser et en ressentir les piqûres ; ces choses retenaient quelquefois longtemps l’âme dans le chemin sans avancer ; plus avant, il était étroit, mais moins dangereux, la lumière n’était pas pénétrante, il fallait marcher sans appui, sans secours et sans lumière ni assistance de quelque côté que ce fut. L’âme allait à Dieu par tendance aveugle au-dessus des sens, elle n’était, ce lui semblait, soutenue ni du ciel ni de la terre et il fallait marcher sans aucune consolation ni appui. Au bout de ce chemin, la divinité y paraissait comme dans une lumière inaccessible qui considérait ou regardait cette âme, mais nonobstant qu’elle la voyait dans des peines et des souffrances très grandes à raison de cette terrible nudité, elle ne lui donnait aucun secours qu’elle ait pu remarquer ni sur quoi prendre quelque appui. Je remarquai une chose en cette voie, c’est que l’âme, ne pouvant s’arrêter sur aucune chose, elle paraissait fort élevée de terre, tendante immédiatement à Dieu, mais elle ne pouvait se reposer sur aucune chose de la terre ni s’attacher au ciel. Elle était comme suspendue, uoltigeant sans se pouvoir arrêter sur rien qui soit, et quoique quelque petite faveur semblait paraître quelquefois, elle ne s’y pouvait appliquer, d’autant qu’il y avait autre chose que cela qui l’attirait sans toutefois rien distinguer ni connaitre. La vue de ce chemin fut très prompte, néanmoins je vis et compris bien tout ceci et quelque intelligence m’en demeura dans l’esprit que je serais trop longue à rapporter 42.

« Mon âme, voulant se donner à son Dieu incontinent après la sainte communion, se trouvant dans Dieu et lui appartenant sans aucune réserve, elle ne pouvait lui offrir aucune chose, mais seulement prenait une singulière et merveilleuse complaisance de se voir toute à Dieu et que Dieu était tout plein et satisfait de lui-même. Incontinent après, je vis mon âme élevée au-dessus de toutes créatures et adhérente amoureusement à son Dieu qui lui était très présent, car il lui semblait que lui-même l’élevait et lui faisait voir comme elle devait être indépendante de toutes les créatures, qu’elle devait marcher dans un grand éloignement de tout le créé et des créatures sans en retenir aucune, même dans l’oraison, qu’elle devait s’appliquer à la pureté d’icelle sans se lier ou captiver aux moyens (...).

« Au reste, il ne faut plus rien cacher : au milieu de mes infidélités Notre Seigneur me continue ses miséricordes et me découvre un pays dans lequel on le peut posséder seul dès ce monde ici. Tout mon soin est de me laisser conduire à ce bienheureux état et de souffrir les dépouillements et dénuements dans lesquels il faut entrer. I1 est vrai que l’expérience seule peut apprendre à l’âme la vraie union, c’est-à-dire qu’il faut que Dieu y mette l’âme avant que de savoir ce que c’est. Si je désirais encore quelque chose, ce serait de revoir N... et d’être aussi avec vous quelques jours pour recevoir des avis propres à l’état où Dieu me veut mettre. Mais dans la privation de tous secours, je m’abandonne à Dieu et le laisse opérer en moi ses saintes volontés. Vraiment Dieu se trouve dans le néant, et c’est une pure ignorance de le chercher ailleurs, ce qui fait que mon âme est dans une indépendance de toutes les créatures, il les faut toutes outrepasser pour arriver à Lui (Ct. 3, 4), et si on ne les perd toutes on ne le peut rencontrer. Mais aussi quand on l’a trouvé, on ne peut rien dire, on ne peut rien faire que de se reposer en Lui sans connaissance et sans amour particulier de choses quelconques, tout est abîmé dans la divinité et il semble que l’âme dans son fond a la connaissance et l’amour éternel que Dieu se porte à lui-même *. Tant plus on avance dans les voies de Dieu, tant moins on a de choses à dire. Dieu qui ne s’exprime point est celui qui possède l’âme et qui la plonge dans un silence extérieur et intérieur (...).

« La chose du monde qui crucifie plus mon intérieur c’est la louange et l’estime des créatures. Quand l’on me prie de quelque chose ou qu’on me demande quelque avis et qu’on croit que j’ai quelques grâces et que je suis bien unie à Dieu, que je suis pure et dégagée des choses de la terre, ou qu’on dit que j’ai des perfections, des vertus, etc. c’est la chose du monde qui me crucifie et afflige le plus, parce que mon âme éclairée du fond de la pure vérité qui voit par une lumière véritable et d’expérience l’abîme profond de son néant, non seulement d’être, mais encore de péché, dans cette vue mon âme souffre de se voir gratifiée de quelque don et miséricorde de Dieu et elle se voudrait toujours voir au-dessous de tous les démons, sans être ni paraître aucune chose en elle-même ni aux créatures. Mon Dieu, pourquoi souffrez-vous qu’on ait recours à mes prières ? Pourquoi ne détrompez-vous pas ceux qui m’ont en estime ? Vous savez tout, et quand il vous plaira de me manifester en fond, tout le monde connaîtra qu’il est en vérité abomination, superbe ; l’orgueil souffrirait bien l’estime et la louange des hommes, mais la vérité de Dieu ne le peut supporter et l’un détruit l’opération de l’autre. Lorsque cette adorable vérité paraît, l’orgueil s’enfuit, se cache et s’absente. O Divine Vérité, régnez en mon âme ! Je vous adore comme Dieu même, car rien n’est vérité que Dieu. Dieu donc est vérité et sa vérité est Dieu. Il faut donner l’empire à la vérité, Dieu seul est tout, tout le reste n’est rien. Je me voue et me consacre à la divine Vérité, je veux y adhérer de tout mon cœur par la force de la grâce et voir tout le reste dans le rien... Il serait à désirer d’un intime souhait d’être en profonde solitude pour éviter le mensonge et la vanité des créatures, pour ne les point amuser dans de vaines créances de moi-même, puisque Dieu me connaît servante inutile (Lc 17, 10), je dois avoir peine à souffrir que les créatures me croient quelque chose de meilleur (...).

« Quand tout semble renversé, que je me voie quasi accablée et à ne savoir plus où on en est, trouvant opposition partout, dans les esprits, dans les affaires, je me retire au Très Saint Sacrement ou dans mon intérieur et je demeure là quelque temps comme une personne qui n’est point, et cependant que je suis ainsi abîmée dans mon néant, Dieu opère son œuvre et fait ses affaires, et je vois dans la suite que toutes réussissent ; en vérité, il faut s’abandonner à Dieu (...).

« Je porte une disposition que tout me crucifie. La supériorité me serait d’un poids insupportable si Dieu ne me soutenait. Je ne sais comment font les autres, mais pour moi, je porte le faix de tous les intérieurs de mes Sœurs. Je les vois plus clairement que le jour qui m’éclaire : les faiblesses des esprits, les infidélités, tout cela me charge devant Dieu. Croiriez-vous même que l’affection qu’on me témoigne me crucifie ? Tout ce qui satisfait les autres n’est pour moi qu’amertume. Je n’aurai désormais autre chose. Dieu ne m’a pas ren­voyée pour enfiler des perles.

« Dieu m’a donné une tendresse et un je ne sais quoi pour les âmes affligées et peinées qui fait qu’elles me sont toujours présentes à l’esprit et que je n’en saurais quitter le soin tant que leurs peines durent. Il semble qu’il m’ait fait pour telles âmes. Ah ! si elles connaissaient leur bonheur ! Je suis certaine qu’il y en aura plus de sauvées par cette voie que par celle des consolations. C’est un piège où plusieurs se perdent, parce qu’il faut une grande humilité et beaucoup de fi­délité pour recevoir ces dons sans s’en rien approprier ou attribuer. J’estime ces âmes ainsi consolées, mais je ne les envie pas. Il ne faut point nous regarder ni son —

* à nos intérêts, cela est trop bas. Je voudrais faire ce qu’on raconte d’une femme qui ayant d’une main un flambeau allumé et de l’autre une cruche d’eau, par­courait la ville, et étant interrogée de ce qu’elle vou­lait faire, répondit qu’elle voulait brûler le Paradis et noyer l’enfer afin que les hommes n’eussent plus que

Dieu seul en vue et qu’ils fissent le bien pour son pur amour et qu’ils évitassent le mal par la seule crainte de lui déplaire » (R 19, p. 300), (15).

UNION SUBSTANTIELLE

Reprenons le récit de l’abbé Berrant (p. 160).

« En l’année 1674, elle a déclaré à son directeur (Guilloré) avoir porté douze ans entiers la disposition intérieure suivante qui était un esprit terrassé (allusion à la grâce du 25 janvier 1663) et humilié pour ses péchés et ceux de son prochain jusque sous les pieds des démons et ceux de toutes les créatures qu’elle connaissait, en la lumière de Dieu, être plus innocentes qu’elle, ne voyant à son égard qu’un poids de la justice de Dieu qui la réduisait dans un abaissement où elle n’aurait pu subsister un moment si elle n’eût reçu la force des plaies sacrées de Notre Seigneur dont elle tirait incessamment sa vie et son soutien. Cette disposition a produit en elle un fond si prodigieux d’abaissement qu’elle n’était presque plus capable d’aucun mouvement de vanité ni d’estime d’elle-même ; en sorte qu’elle ne pouvait comprendre comment on pouvait seulement en avoir quelque pensée 43.

« Après ces douze ans, Dieu l’attira si profondément dans l’intime de l’âme qu’elle n’en sortait point. (Souvenons-nous du temps où elle ne parvenait pas à y rentrer !). Cette union était si simple et si surnaturelle qu’elle ne la pouvait exprimer autrement qu’en disant qu’elle était abîmée dans une région qu’elle nommait « substantielle » 44 et que cette partie était si profonde et si délicate que l’on pouvait dire que c’était la portion de Dieu en l’âme. Tout ce qu’elle faisait dans l’exercice de sa charge et dans les emplois distrayants où elle était occupée sans cesse, ne la tirait point de ce fond où elle opérait tout sans se distraire un moment de son abstraction, d’autant que ce n’était point proprement elle qui agissait au-dehors, puisqu’il lui semblait qu’on lui faisait faire toutes choses sans qu’elle s’y appliquât. Les sens ni l’esprit humain n’avaient point d’entrée dans ce cabinet sacré dont elle ne pouvait sortir, quand même elle l’eût voulu.

« Dans la sainte communion, elle était bien plus retirée dans ce divin centre que dans les autres temps ; elle était alors comme incapable de faire autre chose que de jouir du divin Objet qu’elle possédait et dont elle était possédée. C’est pourquoi ses Actions de grâce duraient si longtemps » (Guilloré).

« Selon le rapport d’un de ses directeurs, très expérimenté dans les voies surnaturelles (le P. Guilloré), « elle a souvent expérimenté en la sainte communion une présence presque sensible de Notre Seigneur Jésus Christ, lequel s’appliquait à elle si admirablement qu’il semblait même unir son divin cœur à celui de cette âme sainte. Ce qui opérait en elle une union très intime qui a duré plusieurs années. Elle était en cet état toute à son bien-aimé et son bien-aimé tout à elle » 45.

Ainsi donc, après les sept ans qui l’ont conduite à la « mort mystique » et à la « résurrection » de 1662, commencèrent ces douze ans d’épreuve qui creusent en elle un « abîme » d’humilité et la préparent aux très hautes grâces d’union que nous venons de rapporter. Deuxième sommet de sa vie, plus élevé que le premier. Mais la route n’est pas terminée et nous allons entrer bientôt dans la troisième période qu’elle nommera « l’enfer du Pur Amour » où toutes ces belles grâces passeront aussi par le creuset d’une manière qui ne s’explique que par sa vocation particulière de « victime » telle que nous l’avons vue décrite dans le texte de novembre 1661.

ADORATION DE LA JUSTICE DE DIEU

Le 1er décembre 1675, Mère Mectilde tombe gravement malade, maladie mystérieuse d’ailleurs, où elle comparait au jugement de Dieu et fait une expérience d’abandon et de « délaissement ».

Voici deux textes qui nous en portent quelque écho :

Le premier est une lettre d’un serviteur de Dieu (signé G.) du 26 avril 1676. D’après l’abbé Berrant, c’est le Père Guilloré qui l’a écrit et signé de sa propre main (p. 162) :

« Le 25 avril 1676, me rendant compte des dispositions où elle (la Mère Mectilde) avait été dans sa maladie qu’elle avait eue sur la fin de 1675, lorsque j’ent rai pour la confesser, voici ce qu’elle me dit : « Je sentis pendant trois jours que je fus en péril de mort, un transport qui se fit de mon esprit en Dieu, peut — être était-ce une imagination, mais je vous le dis comme je le pense : pendant ce temps ce fut non pas un abandon, car l’âme est pour lors à elle-même, mais un délaissement de moi-même, toute perdue à la souveraineté et à la justice de Dieu ; et tout cela sans aucune pensée particulière ni raisonnement, en sorte que je n’avais pas même le moindre retour sur mon mal et n’avais aucune distraction qui me tirât de cet état, tant j’y étais perdue et anéantie ». Et puis elle m’ajouta : « Cela même m’a encore duré deux mois après ; et comme toutes les nuits je ne dormais pas, étant à mon séant, toute ramassée et les mains jointes, je les passai entières devant cette souveraineté et cette justice de Dieu, sans distraction qui m’en divertit, avec une pénétration qui ne se peut dire ».

Le deuxième texte est cité par l’abbé Berrant (p. 162) d’après le témoignage de la Mère de Blémur :

« Le 4 décembre elle communie et annonce qu’elle sera guérie le 8, mais « elle fut ce même jour 4 décembre, depuis 11 heures du soir jusqu’à 3 heures du matin sans parole et sans connaissance, et comme une personne en suspens. Pendant cette interdiction, elle se trouva en esprit dans un lieu fort spacieux où Dieu lui paraît comme sur un trône élevé autour duquel étaient quantité d’adorateurs qui avaient chacun un autel d’or sur lequel chaque âme immolait à Dieu son être en sacrifice, lequel retournait à Dieu par Jésus Christ, seule victime digne de Dieu. Ils étaient tous dans un si profond respect et si abîmés que rien n’était capable de les distraire un moment de leur application ; elle se vit au milieu de cette sainte assemblée comme étant moins que rien, attendant son arrêt au pied de l’Agneau. Elle l’entendit enfin prononcer : il fut rigoureux, mais ne fut pas pour des peines éternelles. On lui commanda de reprendre son corps dont l’esprit ayant été tiré comme hors de la région de ce monde, se croyait déjà hors de sa prison, laquelle paraissait insupportable à une âme si proche de son retour à Dieu. Son corps lui parût, à ce qu’elle a dit à une amie, comme un vêtement blanc où était écrit partout en gros caractères le nom de Dieu en lettres d’or, mais d’un or qui ne se trouve point ici-bas. L’âme se retrouva donc dans le corps par la volonté divine, mais si séparée d’elle-même et de toute créature que sans cet ordre et l’avantage qu’elle avait de voir son Dieu partout où elle se voyait elle-même, elle eût succombé sous le poids de la douleur. Étant un peu revenue, on entendait qu’elle disait par des paroles entrecoupées : “Mes ennemis n’ont point paru : je n’en aurais pu supporter la vue sans mourir... J’avais bien des dettes, mais mon Sauveur Jésus Christ a tout payé. Hélas ! faut-il encore se trouver dans les mêmes effrois ? O terrible jugement ! Si toutes les créatures le connaissaient, elles vivraient bien d’une autre manière qu’elles ne font”. Et puis élevant la voix elle disait : “Mes Sœurs, travaillez à établir le règne de Dieu en usus : tout le reste n’est qu’amusement. J’ai vu devant la majesté Divine que toute la terre n’était rien, et de plus je l’ai vue digne de l’ire de Dieu, et si un jour il me le permet, je vous en dirai davantage. J’en avais assez pour mourir, mais dans le moment où j’étais prête à passer, il a exaucé vos vœux ; il a eu plus d’égard à vos désirs qu’aux miens, il ne m’a pas renvoyée pour enfiler des perles, mais pour souffrir et travailler sur nouveaux frais”.

Elle est hors de danger le 8 décembre, mais passe encore plus de six mois avant d’être rétablie. Écrivant à M. l’abbé d’Etival, elle lui dit : “C’est à présent que je commence à vivre, car jusqu’ici je n’ai pas encore vécu”. Et elle lui marque plusieurs choses semblables qui lui firent juger que Dieu avait fait en cette âme un renouvellement de grâce et de miséricorde qui l’avait fait entrer dans un degré plus sublime. Elle demeura six mois dans les dispositions intérieures dont Dieu l’avait favorisée les trois premiers jours de sa maladie » (Berrant, p. 168).

Elle disait bien que Dieu ne l’avait « renvoyée » que pour souffrir et travailler plus que jamais pour le bien de l’Institut. 1676 ne se termine pas que le pape In-nocent XI n’ait érigé en congrégation les maisons de Paris, Toul, Rambervillers et Nancy. La même année commence les pourparlers pour la fondation de Rouen, qui ne fut pas une petite affaire. La comtesse de Châ teauvieux était morte le 8 mars 1674 et c’est pendant la convalescence de cette maladie, en janvier 1676, que Mère Mectilde voit en songe sa comtesse qui lui dit : « Hâtez-vous » de faire la fondation de Rouen qu’elle avait empêchée (cf. Fondation de Rouen, p. 25 et suiv.). Mère Mectilde y part pour la première fois le 8 mars 1677. La fondation a lieu le 1er novembre 1677, mais cet établissement n’est vraiment achevé que sept ans après, en 1684.

La supériorité est toujours pour Mère Mectilde une très lourde charge. Nous le voyons le 3 juillet 1680. Elle éprouve une grande peine de sa réélection, mais, écrit-elle à Mère Bernardine : « A la très sainte communion, il m’a semblé que Notre Seigneur m’a dit qu’il se trouvait avec sa très sainte Mère pour soutenir le poids, et que ce seraient lui et elle qui présideraient et soutiendraient tout. J’en ressentis les effets dans le moment, me trouvant dans un grand calme avec une douce indifférence, me semblant que Notre Seigneur et sa très sainte Mère étaient en moi qui recevaient cette charge » (L.I., p. 344), (470).

Et le 1er octobre à une religieuse de Montmartre : « J’aurais besoin d’un peu de solitude et de séparation d’une vie pleine de tracas, cependant il faut marcher... » (730).

En décembre 1680, elle est encore malade. Elle en écrit le 3 janvier 1681 à une religieuse de Rouen : « Cette maladie, très chère, m’a bien plus étourdie que celle que j’eus il y a cinq ans. Je vous confie dans le secret du cœur que Notre Seigneur, en frappant le corps, a assommé l’esprit. J’ai été cinq jours sans quasi savoir où j’étais ni ce qu’il voulait faire, le mal était assez grand pour mourir, mais je n’avais certitude de vie ni de mort ; je fus ainsi suspendue dans un abandon qui n’était connu que de Dieu seul, cependant, il a plu au Seigneur me renvoyer, j’ai la créance que ce n’est que pour souffrir, mais d’une manière que je ne pourrais l’exprimer ni trouver de consolation sur la terre ; je n’y en dois plus chercher, je ne sais pas même si il lui plaira me rendre digne d’achever son ouvrage. Je puis vous assurer que je n’y agirai qu’avec un entier anéantissement, car je suis encore à ne savoir où je suis, mais n’importe, il faut n’être rien et cependant agir comme si l’on était capable de quelque chose... » (F.R. p. 253) (236)

Le 2 juillet 1683, elle écrit à son amie Anne de Béthune : « Il faut vous dire que j’ai été remise aujourd’hui sous le pressoir de la charge, quoique j’y eusse renoncé d’une manière particulière. Notre Seigneur m’a réduite sous sa justice. Je mérite bien d’en porter le poids. Il me serait bien doux, si j’y faisais mon devoir » (2036).

TROISIÈME GRANDE ÉTAPE

L’ENFER DU PUR AMOUR

« Offrons notre personne comme une hostie vivante, sainte et agréable à Dieu

(Rom. 12, 1).

Nous portons sans cesse la “mise à mort” de Jésus dans tout notre être, afin que la vie de Jésus soit manifestée en nous" 46 (2 Cor. 4, 10).

1684. Nous ne pouvons mieux faire que de citer encore l’abbé Berrant qui résume parfaitement cette épreuve, en s’appuyant sur un récit de Mère Mectilde dont on retrouve l’écho tout au long de sa correspondance avec Anne de Béthune.

Il nous parle d’abord, en résumé, de ses épreuves extérieures, puis il cite Mère Mectilde (pp. 228 et suivantes) :

« Tout ce qui s’est passé depuis ce temps (1684) jusqu’à la fin de sa vie nous fait juger que sans une grâce extraordinaire, il eût été impossible qu’une personne accablée sous le poids de l’âge et des infirmités continuelles les eût pu soutenir comme elle l’a fait avec une douceur angélique, une paix divine et une égalité d’âme que rien au monde n’a pu troubler, toutes les différentes épreuves qu’elle a portées dans ses dernières années qu’on peut dire avec certitude avoir été les plus sensibles de sa vie. Pendant ces jours d’épreuve, tout ce qu’elle entreprit tourna en croix pour elle, et ces croix, se succédant les unes aux autres par un secret de la sainte Providence, ne la laissèrent pas un moment sans souffrance. Elle ne s’en plaignait jamais, et elle louait et bénissait Dieu avec plus d’ardeur lorsqu’il la mettait sous le pressoir des humiliations et des afflictions les plus sensibles qu’elle portait plutôt en ange qu’en pure créature, quoiqu’elle n’y fut pas insensible. Sa plus grande peine était de voir souffrir la Communauté à son occasion ; elle disait quelquefois avec sa paix et sa douceur ordinaires : “Je suis le Jonas, il faut me jeter dans la mer, et la tempête s’apaisera”.

Dans ces années d’épreuve, on noircit sa réputation par des calomnies, on désapprouva sa conduite, on blâma sa trop grande confiance en Dieu, on trouva même à redire à sa grande bonté. Ce qui avait été dans sa prospérité des sujets d’admiration devint ensuite la matière de son humiliation. Monsieur l’abbé de La Pérouse, grand serviteur de Dieu, lui dit un jour : “Ma Mère, vous avez à présent si peu d’amis que si, par malheur, on vous menait en [place de] grêve 47 pour vous exécuter, il ne faudrait point de mouchoir pour vous pleurer”. Comme il avait été quelques années absent, il était si surpris de ce qu’il voyait, comparé avec ce qu’il avait vu autrefois, qu’il n’aurait pu en revenir s’il n’avait regardé les choses de plus haut et admiré les voies dont Dieu se sert pour la sanctification de ses élus. Plus on abaissait cette digne épouse de Jésus anéanti, plus elle s’abaissait elle-même : on ne voyait en elle en toute rencontre que mort et anéantissement. Dieu même s’est souvent mis de la partie pour la crucifier, lui faisant porter des états de ténèbres, de sécheresse et d’une mort terrible dans l’intime de son âme, et lorsqu’il lui plût de consommer le sacrifice de la victime, il l’affligea par une vue continuelle qui lui faisait croire qu’elle était réprouvée et perdue sans ressource. C’était toujours la conduite de Dieu sur cette sainte victime que de lui donner par avance la vue des états par lesquels il la voulait faire passer ; ce qu’on remarqua surtout sur la fin de sa vie ».

Ici, l’abbé Berrant cite le texte de la « Victime totalement perdue » du 1er novembre 1661. II affirme que c’est bien d’elle qu’il s’agit. Il cite ensuite une lettre à Madame de Béthune et conclut : « Les personnes qui ont connu particulièrement l’une et l’autre assurent que l’état qu’elle a exprimé lui convenait mieux qu’à Madame de Beaumont » (p. 239).

Voici ce que rapporte Mère Mectilde 48 :

« Le 15ème de juin 1684, étant sur notre lit après matines, environ sur les trois heures et demie, je tâchais de prendre un peu de repos, mais bien loin de pouvoir dormir, je me suis sentie tirée dans une grande application pour voir comme dans un miroir une âme que Dieu avait choisie pour son plaisir et de laquelle il se jouait et sa très sainte Mère aussi.

« L’on m’a fait voir les différents états de cette âme, et comme elle avait été blessée de plusieurs flèches du divin Amour qui l’on tirée des créatures et l’ont fait marcher dans plusieurs degrés de purification. Elle est arrivée à un point de très grande mort dans ses sens, étant sevrée de tout ce qui les peut contenter et même de ce qui semble absolument nécessaire pour soutenir la vie, la nature en elle étant dans un extrême dénuement qui cause de très profondes souffrances, ne sachant où s’appuyer ni où prendre quelque peu de réconfort, étant dans un dépérissement qui ne se peut exprimer ; et après que Notre Seigneur l’a conduite jusqu’à ce point que l’on peut dire une terrible mort, et qu’il n’y a plus de goût en rien de créé pour elle, que même toutes les créatures animées et inanimées lui sont croix, ce Dieu saint ayant lié et comme garrotté son cœur par des sacrifices presqu’infinis, et par des recoulements (sic) ineffables en lui, de telle manière que la pauvre âme ayant tout sacrifié et abandonné toutes choses pour être plus intimement et parfaitement toute à lvi, jusqu’aux intérêts éternels qu’elle a remis en lui, bref par une remise entière et totale, autant que l’âme le peut dans l’étendue de la lumière de la grâce.

Étant donc dans cet état de pure immolation où il semblait qu’ayant tout rendu à son Dieu, elle ne pouvait porter son amour et sa fidélité plus loin, ce Dieu infiniment adorable dans ses desseins ayant reçu cette âme avec les agréments de son amour et de sa complaisance infinie, trouve un nouveau moyen de la plonger dans un état que nous pouvons nommer, ainsi qu’il nous l’a fait connaître, l’enfer de l’Amour, et je crois que l’on peut appliquer ici ces paroles du Cantique que : “l’amour est plus fort que la mort” (Ct. 8,6). Cette âme donc qui s’était ainsi abandonnée par amour pur au divin Objet aimé, a été mise dans cet enfer que je viens de dire, et j’ai vu comme Notre Seigneur l’a traitée et achèvera de la traiter jusqu’à la satiété de son divin plaisir, pouvant dire qu’il en fait son jouet par rapport de son humanité adorable qui l’a été de sa divinité.

Concevez, s’il vous plaît, que l’Époux a lié cette âme par un contrat entre lui et elle que l’on peut dire irrévocable, et étant assuré de sa fidélité par le divin mariage qu’il a contracté avec elle, il fait une nouvelle épreuve de son amour, mais d’une manière qu’on peut appeler cruelle, sans sortir du respect que l’on doit aux opérations de Dieu. Et sans m’arrêter à toutes ces démarches, je dirai seulement ce que cette âme soutient présentement et ce que l’on fait pour la faire crever et je dis désespérer, si Dieu secrètement ne la soutenait. Il lui a ôté les appuis de ses sacrifices, les joies de voir ses pures et sincères immolations, les consolations de l’avoir toujours préféré en toutes choses et de n’avoir rien refusé à son amour. Ce divin Époux semble ignorer ce qu’elle a fait pour lui ; et comme s’il avait lieu de s’en plaindre, il lui soustrait le plaisir de penser à lui, il s’arrache lui-même de son cœur (s’il est permis de parler ainsi pour exprimer les angoisses infernales de cette âme). Il semble qu’il s’est séparé d’elle jusques à la substance, ne le pouvant trouver en aucun endroit d’elle-même ; il a fait de son intérieur une affreuse solitude 49 où il ne se trouve que des monstres effroyables qui à tout moment semblent la vouloir engloutir, elle croit périr à toute heure.

Les démons sont déchaînés pour la tourmenter par mille spectres et craintes terribles : on lui imprime la perte éternelle sans ressource, ils lui font mille insultes et, pour la crever de douleur, ils lui demandent : “Où est ton Dieu que tu as tant aimé et servi avec tant de zèle ? Où est sa sainte Mère que tu as tant fait honorer et qui était toute ta confiance ? etc.” Ils font mille et mille autres insolences, et en feraient encore bien davantage s’ils en avaient la liberté ; et cette chère âme, se croyant abandonnée de Dieu, ne ressentant plus l’amour tendre et ardent qu’elle avait pour son Dieu, et de plus excitée par ses ennemis, se plonge dans une mer de douleurs, des crêve-cœur continuels, des désespoirs profonds, et j’ose dire qu’elle devient quelquefois comme toute forcenée de furie et d’espèce de rage, qui la ferait abîmer et précipiter dans l’enfer.

O Mon Dieu, qui pourrait exprimer ce qui se passe dans cette âme et ce qu’elle souffre actuellement sans quasi point de relâche, elle n’ose quasi penser à son Dieu ! Elle voudrait n’avoir plus d’être ni de vie, toute sa tendance serait de pouvoir rencontrer la mort, sans se soucier de quelle manière elle lui arrive : elle l’avancerait même de tout son cœur, s’il lui était possible. Je puis dire que la langue humaine ni la plume ne sauraient exprimer la profondeur ni l’étendue de ce que cette âme souffre, et je crois que l’on peut dire de cet état ce que l’on dit des derniers temps où la persécution et les fléaux de Dieu seront tels que “si ces jours n’étaient abrégés en faveur des élus” (Mt. 24, 22), aucun ne se pourrait sauver. Mais Notre Seigneur qui sait jusqu’où il porte la puissance de sa grâce, sait soutenir divinement et non sensiblement.

Je ne finirais pas si je continuais à dire quelque petite circonstance de cet état : Notre Seigneur me l’a fait voir comme l’enfer du Pur Amour où l’âme soutenait la jalousie de l’Epoux divin par une épreuve in — concevable et inexplicable 50. C’est, me semble, un arrachement de Dieu qui fait sentir à l’âme comme s’il lui disait un A Dieu éternel à ne jamais revenir, comme s’il ne voulait plus de son amour ni de sa fidélité, comme s’il méprisait sa tendresse, son zèle et son amour qui avait été si sincère pour lui qu’elle s’est séparée vigoureusement de toute autre chose, comme s’il l’abandonnait aux démons et à l’enfer, à toutes les révoltes de la nature et même à la persécution des créatures. Et cette chère âme qui dans les commencements de cet état, tenait son divin Sauveur dans son cœur qui la fortifiait, ne trouve plus à présent que des rebuts, des délaissements éternels, sans se soucier d’elle en aucune manière, et se voyant ainsi rebutée et méprisée, il s’élève une certaine furie en elle qui la ferait éclater d’un bout du monde à l’autre, mais se trouvant resserré par une violence intérieure, son cœur semble s’écarteler et se briser en mille pièces. Et je puis assurer qu’elle serait capable d’être transportée hors d’elle-même, si elle n’était retenue par une main invisible. Je suis obligé de finir ». (15 juin 1684).

Et l’abbé Berrant poursuit :

« C’est avec grande raison que la Mère Mectilde exprime son état de peine extrême par le mot d’enfer du Pur Amour, qui est selon les maximes des maîtres de la vie spirituelle 51 un purgatoire effroyable par lequel passent quelques âmes d’élite appelées à une perfection peu commune. L’Ecriture en fait le tableau dans Job, Jérémie, Jonas et le saint roi David. Ces passages s’adressent premièrement et principalement à Jésus Christ, le modèle des élus, et ensuite à quelques âmes à qui il a daigné communiquer ses souffrances et les délaissements de sa Passion.

“Dieu abaisse beaucoup l’âme, écrit le bienheureux Père Jean de la Croix, afin de l’élever ensuite beaucoup, et s’il ne modérait promptement les sentiments que l’âme a si vivement imprimés dans l’esprit, elle abandonnerait son corps en peu de jours ; mais le feu de ces peines ne se fait sentir que de temps en temps et non pas continuellement ; il est quelquefois si violent que l’âme croit voir l’enfer ouvert sous elle et tout près de l’engloutir. Ces sortes de gens sont du nombre de ceux qui descendent tout vivants dans les enfers et qui y sont purifiés comme dans le purgatoire”.

Et dans le chapitre suivant : “Les hommes qui sentent l’amertume de cette nuit ont été prévenus ordinairement des douceurs divines et ont rendu à Dieu des services considérables, c’est pourquoi la privation d’un état si heureux et l’impossibilité apparente de le recouvrer leur perce le cœur d’une douleur infiniment sensible”.

Il marque ensuite comme rien ne peut adoucir son chagrin, jusqu’à ce que Notre Seigneur achève de la purifier dans le temps et en la manière qui lui plaira.

“Elle ressemble, dit-il, à un homme qu’on tient les mains et les pieds liés dans une obscure prison : il ne peut ni se remuer, ni rien voir, ni recevoir le moindre soulagement ; de même l’âme gémit dans les chaînes, dans les croix, dans les ténèbres, immobile, sans aide, jusqu’à ce que l’esprit soit amorti, humilié, purifié, si dégagé des choses matérielles et sensibles, si subtil, si simple qu’il puisse devenir en quelque sorte un (seul) esprit avec l’Esprit de Dieu, selon la mesure et le degré de l’union d’amour à laquelle la miséricorde divine voudra l’élever”.

Tout ce que nous venons de dire me semble renfermé dans ce principe de saint Augustin, lorsqu’il explique ces paroles du Psaume 121 “Fiat pax in virtute tua”. “O Jérusalem, ô cité qui est bâtie comme une ville dont tous les habitants sont en une parfaite union, que la paix s’établisse dans votre force, parce que votre force est votre dilection et charité mutuelle. Écoutez le Cantique des Cantiques : ‘L’amour est fort comme la mort’. L’admirable expression, mes frères, ‘l’amour est fort comme la mort !’ Pouvait-on exprimer plus noblement et plus vivement l’efficacité de la charité ? Qui résiste, je vous prie, à la mort ? On résiste au feu, à l’eau, au fer ; on résiste aux puissances et aux rois ; mais quand la mort vient seule, qui est-ce qui lui résiste ? Il n’y a donc rien de plus fort qu’elle ; c’est pour cela que la charité lui est comparée et que l’on dit qu’elle est forte comme la mort. Et parce que la charité a la force de tuer en nous ce que nous avons été afin que nous commencions d’être ce que nous n’étions point auparavant, on peut dire en un sens qu’elle cause en nous une espèce de mort très réelle” (saint Augustin. Ps. 121, 12, Enarrationes in psalmos).

On ne peut douter que cet état dont on vient de parler n’ait été celui de la vénérable Mère Mectilde dans ses dernières années ».

ÉPREUVES

Mais reprenons le cours de notre histoire : 1684 est l’année de la fondation de la deuxième maison de Paris. En 1685, c’est l’agrégation du monastère de Caen, et surtout, à cette époque c’est le procès Ta-1on34 qui fut dramatique. L’abbé Berrant le raconte tout au long d’après la Mère de Blémur (pp. 184-220). Ce fut une très lourde croix pour Mère Mectilde. Le 3 mars 1685, elle écrit à Mère Gertrude de Sainte Oppor-tune : « Il a plu à Notre Seigneur nous visiter en nous faisant porter une grosse croix qui semble faire un tort inconcevable à notre Institut. Bénissez le Seigneur qui me l’a envoyée. Il est trop juste que je souffre. Je l’adore et veux ses adorables volontés pour toutes les humiliations et destructions qu’il lui plaira. Mais priez-le, chère Mère, qu’il conserve l’Institut. Jésus Christ en est le père, et la très sainte Vierge la mère ; Jésus Christ en est le roi et sa très sainte mère la reine. Je ne puis avoir d’autre appui. Je leur abandonne tout. C’est ici le temps que Notre Seigneur a choisi pour m’anéantir. C’est peu de chose de ma ruine et de ma mort. C’est une pécheresse que l’on traite comme elle le mérite. N’en soyez pas en peine, mais priez ardemment la mère et le fils de bénir l’Institut et de le conserver... Nous sommes toutes, ou peu s’en faut, bien consternées et bien humiliées. Toute ma douleur c’est de n’être pas seule à porter cette croix. Ce qui la rend si terrible, c’est que c’est une victime qui la produit, qui sort de son état de victime et qui hasarde son salut, et voilà où et sur quoi il faut gémir, verser des larmes de sang et mourir. À Dieu, ne parlez de cela qu’à Notre Seigneur et à sa très sainte Mère. Le reste n’y peut apporter aucun soulagement » (462).

Mère Mectilde fait une supplique à Notre Dame de Benoîte-Vaux et s’of f re en sacrifice pour le salut de sa malheureuse fille. Elle tombe gravement malade, mais ne parvient pas à toucher le cœur de la rebelle (cf. Fondation de Rouen, p. 182, note).

De cette année date un petit billet écrit de sa propre main que l’on trouva plus tard dans son bréviaire et qui contenait ce qui suit : « Le premier vœu est de ne me justifier jamais d’aucune accusation que l’on ferait de moi. Le second de ne me plaindre jamais, quelque mauvais traitement que l’on me fit » (N 261/2, p. 75), (A l’écoute de Saint Benoît, p. 91), (2026).

Le 14 mars, elle compose l’acte suivant qui dans le manuscrit porte ce titre : « Acte de notre digne Mère après sa maladie de l’année 1685. Le 14 mars » (N 261/2, p. 74) :

« Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Ainsi soit-il.

Il est bien juste, mon adorable Sauveur, que je vous laisse en proie l’être que vous m’avez rendu, et que je ne le tienne plus comme rendu à moi-même, mais que vous retenez dans le vôtre divin, comme l’ouvrage de votre toute-puissance, pour vous être présenté à toute heure, pour le faire porter ce que vous jugerez être de votre gloire, n’ayant plus rien à savoir, à considérer et à voir que votre unique plaisir. C’est uniquement pour lui donc, ô mon Dieu, que je suis sur la terre et que je ne puis avoir aucun autre motif, quelque bon qu’il puisse être, et comme je dois être toujours sous votre bras adorable, je ne dois plus rien attendre ni espérer que l’accablement de cet être que vous m’avez reproduit. Il n’est plus à moi, il n’y a plus rien pour moi. Je suis et ne suis plus. C’est Dieu seul qui est. Oserai-je continuer sans me plaindre TETIGIT ME DOMINE 52 (sic), mais avec tant de justice que si l’on avait la capacité de tous les êtres, ce serait pour les fondre en votre présence. Votre justice m’a touchée » (P 105, p. 387), (465).

En août 1685, nous avons l’autographe d’une supplique de Mère Mectilde au Prieur de Saint Germain des Prés, en vue de la prochaine élection. Point n’est besoin d’en faire un commentaire :

[ici l’autographe]

En septembre 1687, à propos de la mort de Sœur Marie des Anges, maîtresse des novices à Rouen, elle écrit : « Qui dit victime, dit une âme collée à la croix, qui ne vit que dans la croix et n’est pas un moment sans la croix... Les Filles du Saint Sacrement ont deux apanages : l’humilité et la croix. Les voilà assez bien partagées ; mais c’est le don que Notre Seigneur au divin Sacrement leur fait, celui qu’il a porté lui-même et qu’il souffre encore lui-même dans le divin Sacrement. Hélas, combien de mépris et de mauvais traitements y souffre-t-il encore ? C’est pour avoir rapport à ces états qu’il nous y a donné une si bonne part, tâchons d’y bien remplir ses desseins. Amen » (2772).

L’affaire de Liesse 35 lui donne une surabondance d’ennuis et d’humiliations, que l’on peut suivre dans sa correspondance avec Anne de Béthune, toujours à la même époque. Et en 1688, commence la fondation de Pologne qui lui réserve aussi bien des tracas. Il suffit de lire les lettres si touchantes qu’elle leur adresse. On y voit sa tendresse maternelle, son humour, ce qui n’exclut pas de sérieux examens de conscience à l’usage de la Prieure et de la Communauté, son grand souci de l’union dans la charité qui est fort battue en brèche par la reine au caractère difficile (Cf. En Pologne avec les Bénédictines de France, pp. 184-210).

GRÂCE D’ABANDON

En 1688, Mère Mectilde reçoit une grâce d’abandon ainsi relatée par l’abbé Berrant. En 1694, nous retrouverons cette même grâce qui ira cette fois jusqu’au « délaissement » »

« Le jour des Rois de l’année 1688, Notre Seigneur fit pendant le Salut des reproches à cette digne Mère de ce qu’elle n’était pas encore abandonnée totalement. Ces reproches la touchèrent vivement et elle dit à Notre Seigneur : « N’êtes-vous pas le Maitre Souverain ? Je veux vos volontés et je m’y abandonne ». Ce fatal abandon, effrayant la nature qui en envisageait les suites, faisait qu’elle avait peine à y entrer. Mais malgré ses répugnances elle s’abandonna simplement à. tout ce que Notre Seigneur voudrait faire d’elle, en quelque extrémité qu’il la pût réduire. Il lui tomba en même temps dans l’esprit qu’elle deviendrait comme percluse entre les mains d’autrui, ce que naturellement elle appréhendait le plus, n’aimant point à dépendre des autres par l’état d’infirmité. Cependant Notre Seigneur voulut cette épreuve. Le lendemain, après la messe du convent, elle fut encore faire la lecture dans la chambre commune et parla à ses filles avec tant de bonté qu’elles furent comblées de sa charité. Étant remontée à sa cellule, elle y fut attaquée d’apoplexie. Ayant dit à Notre Seigneur : « Est-ce ici la vie ou la mort ? », il ne lui fut répondu autre chose sinon : « Abandonne-toi ! ». Ce qu’elle fit sans retour. On courut aux sacrements : à la dernière onction, elle perdit la parole et la connaissance, mais non sa tranquillité. Une paix divine parut toujours sur son visage mourant... Elle souffrit des douleurs inconcevables... Elle fut quelque temps abandonnée à la douleur, c’est-à-dire que son esprit en était occupé. Quelque moment après, elle en fut tirée sans savoir où elle était, n’étant ni au ciel ni en la terre, mais comme passée en Dieu dans une grande paix et un parfait repos. Elle aurait bien désiré, s’il lui eût été permis, de rester dans cet heureux état : mais à peine en eût-elle goûté la douceur qu’on l’obligea à revenir, sans savoir pourquoi ni ce que l’on voulait faire d’elle, sinon qu’elle eût à s’abandonner ; elle reçut alors la grâce d’un entier abandon ; elle revint en effet, mais une partie d’elle-même resta dans ce bienheureux centre, se trouvant bien plus dégagée et séparée de tout le créé qu’auparavant » (p. 223).

Elle en revint... et le jour de la Purification elle guérit.

Le 17 février 1688. Elle écrit à Anne de Béthune : « Je suis comme dans un pays étranger ou comme tombée des nues. Je ne sais quasi où je suis. Je dirais volontiers que je ne suis plus de ce monde. J’aurais besoin d’être dans un trou, cachée aux créatures. Je ne sais ce que Notre Seigneur veut faire de moi, mais je puis vous dire que je porte un fond d’anéantissement un peu extraordinaire, je crois que j’achève mon triennat pour le dernier. Il y a encore quatorze mois... (560).

Et elle poursuit : « Je portais une disposition qui semblait désirer d’être broyée sous le sacré pressoir de la conduite de Dieu qui me réduirait dans l’abîme du néant, comblée d’abjections. Je ne sais comme je me voyais, il me semblait que par là serait accomplie la pensée de la bienheureuse Mère de Saint Jean : que je sortirais des créatures et que les créatures me laisseraient au néant. Cette vue me donnait du charme que j’ai cependant laissé en Dieu pour ne pas m’occuper de ce qui n’est pas encore présent. Il faut néanmoins être toujours dans la main du Seigneur et souffrir qu’il nous tourne de tous côtés selon son plaisir » (17 et 18 février 1688) (1662).

Le 3 février 1691, elle écrit à la Mère Prieure du deuxième monastère de Paris, très éprouvée : « Ce sont mes péchés qui attirent tous ces malheurs... demeurons bien abandonnées et nous confions en sa miséricordieuse bonté... Pour moi, Notre Seigneur fera justice, mais je suis touchée vivement quand je vois que mes péchés font et attirent un tel malheur. Je voudrais qu’il tombât sur moi seule et point sur vous ni sur l’Institut » (591). Et le 26 novembre : « C’est une terrible croix que d’être croix à tant de victimes et à tout l’Institut » (559).

Le 5 janvier 1692, elle parle encore « des abîmes d’abjection où la divine Providence m’a plongée. Je vous avoue que Notre Seigneur m’y a fait trouver la joie et la satisfaction qui n’est pas concevable... Notre Seigneur connaît ma faiblesse. J’avais besoin de son secours pour me soumettre à ses adorables conduites qui n’étaient pas très agréables à l’esprit humain. Je crains que je ne les chérisse pas assez et que Notre Seigneur les retire. Cependant je ne demande pas le retour de la médaille, je connais les merveilles de grâce qui sont renfermées dans les états humiliés. Il me semble que mon dégagement est plus grand et que je n’ai plus rien à craindre : j’ai tout perdu ce que l’amour propre chérissait le plus » (2967).

VISITE CANONIQUE

En mars 1693, a lieu la visite canonique. Elle va trouver le visiteur au parloir et rapporte ainsi l’entretien :

« J’ai été au scrutin où je n’ai dit que très peu de paroles, les voici : « Mon Révérend Père, je ne viens pour accuser personne, mais pour m’accuser moi-même, et c’est ce que je fais de tout cœur, vous disant, mon Révérend Père, que je suis la seule criminelle, je mérite les châtiments qu’il vous plaira. Si vous aviez agréable de faire un acte de justice, ce serait de me mettre en prison. Vous me feriez une grâce singulière dont je vous serais sensiblement obligée ». Il me dit qu’il me mettait dans la prison de l’amour divin, après quoi il me renvoya » (P 137/2, p. 376).

Voilà une petite scène qui ne manque pas d’humour.

« VICTIME »

Mère Saint François de Paule, une de ses chères filles, Prieure du deuxième monastère de Paris, lui rappelle la « victime » que Notre Seigneur jadis lui demanda, (cf. p. 116) serait-ce elle ? Elle lui répond : « Vous me parlez d’une victime que Notre Seigneur me demanda il y a plusieurs années. Oh ! chère Mère, je suis trop pécheresse et infiniment indigne de remplir cette place ».

Et pourtant... nous en voyons l’accomplissement.

DÉLAISSEMENT

En janvier 1694 elle est encore malade, et s’en — fonce toujours plus dans le rien et l’abandon. Voilà ce qu’elle en dit dans un entretien familier :

24 février 1694 : « Je puis vous dire que j’ai été plusieurs jours qu’il me semblait que je n’étais plus. Vous ne pouvez croire le contentement et la paix où on est. Je ne vous dirai pas que je n’avais pas de répugnance ni de sentiments du côté de la nature... mais c’est une bête, elle sera toujours bête et toujours sensible... il la faut souffrir en patience... C’est un bonheur infini de se laisser ainsi dans un pur abandon » (1951).

26 février 1694 : « Je ne suis pas revenue pour être sur le trône ni pour être à mon aise, ni pour avoir des consolations et être caressée... J’ai été dans un pays perdu où j’ai connu bien des choses. J’imagine vous, si vous étiez je ne sais pas où, et que l’on vous prit en l’air sur un gouffre affreux, et que vous y fussiez suspendue plusieurs jours, prête à tomber, sans sa-voir ce qui vous soutient, n’étant que comme un filet, que feriez-vous ?... J’ai vu ce gouffre et j’ai connu que je le méritais bien, et il me semblait qu’il n’aurait pas fallu grand-chose pour me faire tomber dans cet abîme dont je n’étais soutenue que par un filet de la bonté et de la miséricorde de Dieu » (2126).

28 mars 1694 : « Portons-lui en esprit d’humilité toutes nos fautes, nos misères... Si nous faisons des fautes involontaires... ne nous en étonnons point... si vous tombez, mettez-vous encore plus bas et avouez votre misère devant Notre Seigneur et croyez que c’est là ce dont vous êtes capables. Criez à lui et il vous pardonnera, et si vos fautes sont volontaires, il faut crier plus haut, et il ne laissera pas de vous les pardonner. Notre Seigneur est si aisé à contenter ! Je ne l’aurais jamais cru, mais je l’ai appris. Il m’a fallu pourtant faire quelques sacrifices un peu durs et sensibles, mais ils ont été adoucis par la bénignité de Notre Seigneur. »

Et elle entretient longuement ses filles sur l’abandon et le délaissement, faisant allusion à sa maladie.

« Oui, mes enfants, dans l’abandon il y a une grâce ineffable qui conduit l’âme jusque dans le sein de Dieu... Je trouve néanmoins qu’il y a encore quelque chose de plus dans le délaissement que l’âme fait d’elle-même. Car dans l’abandon nous nous avons encore en vue, mais dans le délaissement nous nous perdons... Il y en a très peu qui se délaissent, parce que les retours que nous faisons sur nos intérêts nous font reprendre ce que nous avions abandonné. Et voilà comme j’ai appris le délaissement : mon imagination, après deux ou trois jours de ma maladie, me présenta à mon jugement, et Dieu me fit la miséricorde de me mettre dans un état d’abandon et de délaissement. En ce même temps, mon âme me fut représentée comme une chiffe, et je voyais cette chiffe toute marquée de Dieu. Cela me fit comprendre que Dieu voulait que je me délaissasse ainsi que l’on fait d’une chiffe, qu’à peine relève-t-on de terre, ou du moins si on la relève, ce n’est que pour la mettre en quelque coin, et non pour la serrer dans un coffre. En vérité, mes enfants, il fait bon être chiffe ! »... « Dieu m’a renvoyée afin que je commence à vivre en simplicité comme un enfant, toute abandonné à lui sans retour sur moi ».

Et elle parle longuement de la paternité de Dieu :

« Je ne vois rien de plus consolant et de plus ravissant pour une âme que de dire : Dieu est mon Père. En plusieurs endroits de l’Evangile, il nous le montre, et même il semble nous en faire un commandement exprès comme en celle d’aujourd’hui : « N’appelez personne sur la terre votre père, car vous n’en avez qu’un qui est au ciel » (Mt. 23, 9). Cette parole qu’il dit à sainte Magdeleine après sa résurrection me charme : « Je monte à mon Dieu et à votre Dieu, à mon Père et à votre Père » (Jo. 20, 17). Quelle consolation à une âme : mon Dieu est mon Dieu, mais il est aussi mon Père !...

« Avant hier, après la sainte communion, il me semblait que mon âme criait après les pécheurs et qu’elle disait : Venez, venez, pécheurs, venez voir l’amour ineffable d’un Dieu et les merveilles qu’il opère dans les âmes. Venez voir cet abîme sans fond de miséricorde et d’amour ! Abyssus abyssum (Ps. 11, 8 Vulg.)... S’il est Dieu il a aussi un cœur de père. Chose admirable : celui qui est le Principe de la très Sainte Trinité est mon Père, le Père d’un Dieu est mon Père ! Et c’est une vérité de foi que nous devons croire aussi fermement que le très Saint Sacrement, puisque Jésus Christ l’a dit.

“Voyez qu’il ne dit pas : ‘Soyez parfaits comme MON Père céleste est parfait’, mais ‘comme VOTRE Père céleste est parfait’. Nous sommes d’une origine divine. Quelle gloire pour nous, mes Sœurs, d’avoir un Dieu pour Père ! Quoi ? Celui qui est mon Dieu est mon Père ! Confions-nous donc en lui. Non, mes Sœurs, il ne vous abandonnera pas. Vous aurez le poison dans le cœur sans en mourir. C’est un Dieu juste, il est aussi infiniment bon. Croyez-moi, penchez plutôt du côté de la bonté que de la justice. Non, il ne veut point perdre les âmes, je vous l’ai déjà dit. Il les aime et les porte toutes dans son Cœur adorable” (2436). Ceci nous rappelle une lettre de Mère Mectilde à la comtesse de Châteauvieux où elle lui écrivait : “Dieu est tout bon, mon enfant, et très miséricordieux, aussi bien que très juste” que l’auteur du “Véritable Esprit” a traduit, un peu sèchement : “Dieu est aussi bon qu’il est juste” (2706) et (841).

MISÉRICORDE

Relevons encore dans les “Entretiens familiers”, le 1er avril 1694 : “Puisez en Dieu un fond de confiance et demandez-lui pardon de l’out rage que vous lui faites en vous défiant de sa bonté. Il se tient moins offensé d’un crime que de la défiance en sa miséricorde”... “Gardez-vous de la défiance : Dieu est votre Père et votre Sauveur... regardez-le en ces qualités et non comme un tyran. C’est lui faire une injure insupportable que de se défier de sa bonté... Quelque criminelle ou méchante que vous soyez, Dieu est toujours votre Père et il a plus de bonté pour vous que vous n’avez de malice. Quant à moi, j’ai fait pis que tout ce que vous pourriez avoir fait... néanmoins, je le regarde toujours comme mon Père et dans cette confiance, je ne crains point qu’il me perde, j’espère en ses miséricordes” (2004).

Le Samedi Saint 10 avril 1694 : “La maladie que j’ai eue m’a été très utile, elle m’a fait voir la grande miséricorde de Dieu dans laquelle je suis demeurée. Je ne puis assez admirer cette divine miséricorde dont je suis environnée et qui me soutient toujours... (tout ce texte serait à relire)... Je suis restée entre les mains de mon Dieu pour être tout ce qu’il lui plaira, souffrir tout ce qu’il voudra et demeurer toujours dans la mort. C’est ce que ma maladie m’a appris de vivre dans cet esprit de mort. Et cet ‘esprit de mort’ consiste à demeurer toujours en Dieu. Oui, toujours en Dieu, sans jamais m’en séparer un seul moment. Dieu en tout, Dieu partout, Dieu toujours”... Je lisais hier aux Ténèbres, un verset que j’aime bien : “Je dormirai et me reposerai” (Ps. 4). Voilà comme je désire être. Oh ! le bonheur d’une âme de se reposer en Dieu... Dieu est dans l’intime de votre âme. Vous l’y trouvez à tout moment y faisant actuellement sa demeure. Regardez-le donc toujours pour adhérer à lui, pour vouloir tout ce qu’il veut, pour vous y soumettre. Priez-le de vous attirer toute à lui “Trahe me post te” (Ct. 1, 3). Il y a deux choses à faire dans la vie pour être à Dieu : adorer et adhérer toujours. Donc adorer et adhérer à tout ce qu’il permet, l’aimant, le voulant et l’agréant par soumission à ses ordres... C’est ainsi que vous dormirez et reposerez doucement en Dieu, l’adorant et lui adhérant toujours » (1875).

Sa confiance et son abandon ne sont pas toujours bien reçus. Elle écrit à Mère Saint François de Paule le 10 mai 1694 : « Si nous avions autant de foi et de confiance en la bonté de Notre Seigneur que vous en avez, nous serions plus à notre aise que nous ne sommes, mais je n’ose rais dire qu’il faut espérer que la divine Providence se souviendra de nous : c’est une espèce de crime, parce que l’on se moque de ma confiance et que l’on en fait une raillerie. Cependant je ne désiste point, ce sont mes péchés qui retardent les effets de cette aimable Prouidence, mais Notre Seigneur ne les regardera pas toujours, sa miséricorde préviendra en bénédictions, ayons patience ».

Dans la même lettre, on relève aussi ce passage significatif pour bien comprendre notre vocation : « Les chères vôtres du 8 courant, ma très honorée et très chère Mère, m’ont consolée de voir les grâces que Notre Seigneur vous fait dans vos croix qui sont quasi comme les nôtres, mais c’est l’état des victimes. Il ne faut point se flatter d’autre chose. Voilà notre portion et celle de tous les chrétiens qui sont tous victimes par le saint baptême, mais qui ne le connaissent pas. C’est une grande grâce que Dieu nous a faite de nous donner la lumière et de nous y avoir engagées par notre Institut » (2048, autographe).

Le 26 mai 1694, elle écrit à Mère Marie de Jésus, en Pologne : « Ce mot, ma très chère Mère, est seulement pour vous assurer que j’ai ressenti l’effet de vos saintes prières, dont je vous rends mille grâces de tout cœur ; elles m’ont ramenée de l’autre monde où j’étais déjà par la meilleure partie de moi. Je ne sais pourquoi Notre Seigneur m’a renvoyée, sinon pour commencer à faire pénitence ; mais mon âge si avancé me la fera faire bien petite et indigne d’être présentée à Notre Seigneur ; mon recours est sa très sainte Mère qui sera mon avocate et qui suppléera à mon impuissance. Je vous conjure de la bien prier pour moi. Si j’étais près de vous, je vous dirais les miséricordes qu’elle m’a faites dans ma maladie qui a duré près de trois mois et dans laquelle je me suis trouvée plus de trois fois à l’agonie... j’ai pensé retomber plusieurs fois ; il faut que je demeure toujours abandonnée à son divin plaisir » (En Pologne, p. 186), (110).

LA VIERGE MARIE

Nous pouvons deviner les miséricordes que lui a faites la Vierge Marie en reprenant ces précieux « Entretiens familiers » :

« Le 16 février 1694, notre digne Mère nous dit : « Je suis bien pauvre et bien indigente de toutes ma-nières... Je suis dans l’abjection, l’humiliation, l’anéantissement... Dieu soit béni ! Je suis dans un terrible état dehors et dedans, je ne suis rien en toutes manières, même dans l’Institut. Mais quoique je n’y sois plus rien en tout, ma consolation et ma joie est que la très Sainte Mère de Dieu en prend soin et qu’elle en est la Mère. J’en suis déchargée, non d’une manière, sachant que j’ai encore en main l’autorité de supérieure, mais toujours voilà qui est fait ! La très Sainte Vierge réparera pour moi les fautes que j’ai commises. Elle a tout pris sur elle, elle aura soin de tout, elle en a fait son affaire ; je l’en ai remerciée. Prenez bien garde à ce que je vous dis : je ne parle pas en l’air ni de ma tête : je mourrai dans cette certitude, et c’est ma joie, que l’Institut est dans ses saintes mains : elle aime cette œuvre, c’est son ouvrage, vous le connaîtrez au ciel... Je le dis encore : rien de plus saint dans l’Église de Dieu que l’Institut quand il sera dans sa perfection. Oui, la Sainte Vierge a tout entre ses mains, elle a tout pris » (2058).

Le 20 février 1694, notre digne Mère dit à une autre religieuse : « OUI, la très Sainte Mère de Dieu est votre Mère... elle l’a toujours été et le sera toujours, n’en doutez jamais. Il est vrai qu’elle a pris un soin nouveau de l’Institut et de vous toutes... elle pourvoira à tout. Donnez-vous seulement bien à elle, lui faisant toutes une dédicace nouvelle de vos cœurs et que ce soit avec joie, avec confiance et avec certitude qu’elle est votre mère et que l’Institut est dans ses bénites mains » (2122).

Le 25 février, une autre religieuse revient à la charge et elle reprend :

« L’Institut est la très sainte œuvre de l’Église de Dieu, et premièrement l’ouvrage de la très Sainte Vierge et sa très sainte œuvre, car l’Institut est sien et elle l’a repris tout de nouveau entre ses mains sacrées. Présentement, je me trouve déchargée d’un grand poids. Lorsque je me vis sur le point de quitter la terre, ne sachant sur qui me démettre de cette œuvre, je priai cette Mère de bonté d’en prendre soin. Elle le fit, mais d’une manière si admirable et si consolante pour l’Institut et pour moi, que j’en fus dans un très grand transport de joie, et si j’auais suivi les mouvements de mon cœur, j’aurais fait assembler la Communauté pour venir rendre hommage à cette Mère de miséricorde, en action de grâces de ses bontés pour l’Institut... Je vous assure de nouveau que j’eus une grand joie de le voir retourner d’où il était sorti » (2119).

Enfin, le 19 mars, elle nous révèle le sujet de sa grande joie : « Je ne saurais me lasser de répéter la joie et la consolation que j’ai eues pendant ma maladie, de voir que la très Sainte Mère de Dieu avait remis l’Institut DANS SON CŒUR D’OU IL ÉTAIT SORTI » (1971).

DERNIERS LABEURS

Le 7 juin 1694, Mère Mectilde écrit à Mère Anne de Sainte Madeleine en vue des élections : « Pour moi, je m’en suis retirée et déclaré que je renonçais à tout ce que l’on pourrait faire à mon sujet. Jugez, très chère Mère, si je serais assez misérable de souffrir à l’âge de 80 ans que l’on me remit dans cette terrible charge... J’y ai renoncé par écrit bien signé » (L.I., p. 355), (1455). Mais elle sera sur la brèche jusqu’au bout.

Le 22 juin, elle fait part à Mère Marie de Jésus du retard des Constitutions 53 : impossible d’achever le reste qui doit avoir rapport aux Constitutions... elle ajoute : « Hélas, ma très chère Mère, je ne sais pourquoi Notre Seigneur m’a renvoyée des portes de la mort, sinon pour vivre encore un peu de temps dans un rude sacrifice : je ne suis revenue que pour cela. Priez Notre Seigneur qu’il me fasse la grâce d’y être bien fidèle, car il faut que tout ce qui reste encore soit absolument et entièrement détruit » (En Pologne, p. 187), (2776).

Le 28 juin, elle écrit à la Mère Prieure du deuxième monastère de Paris à propos de « babil de filles » qui tentaient de mettre la brouille entre les deux maisons : « Ne me plaignez point, mes souffrances ne sont que des mouches... Ne vous inquiétez de rien, ne vous troublez de rien, laissez tout tomber aux pieds de Notre Seigneur. I1 consommera tout par sa miséricorde. Ne me plaignez point, très chère, hélas, je ne souffre rien, je ne mérite que l’enfer, voyez que je ne souffre que des pailles. Allons, souffrons et mourons ! Ne vous faites point malade... ayez courage et patience, et à toute extrémité l’on n’en peut que mourir ! Mais il faut vivre et soutenir ce que le Seigneur voudra » (1740).

Relevons en passant ce mélange d’intrépidité, d’humour, et de sollicitude maternelle : « souffrons et mourons ! », mais « ne vous faites point malade »... « l’on n’en peut que mourir ! »... « mais il faut vivre I »...

Le 12 juillet 1694, elle écrit à la Mère Prieure de Rambervillers : « Comme c’est à l’ordinaire la conduite de la divine Providence de me tenir sur la croix que je veux de tout mon cœur toujours adorer et embrasser, à peine suis-je sortie de ma maladie qui m’a duré près de six mois, que je m’en trouve environnée d’un grand nombre qui renouvellent quasi à toute heure mes sacrifices... son saint nom soit béni » Elle lui parle ensuite de Monsieur leur nouveau supérieur qui « fait bien le martyre » : « ménagez-le le plus honnêtement que vous pourrez, et n’en espérez guère de secours. Ne vous attendez qu’à Dieu seul qui est l’unique, fidèle et parfait ami ; ayez-y un entier recours. Prenez donc vos mesures pour ne point choquer le personnage... il pourrait bien vous causer des croix. Croyez-moi, ne vous en faites pas, car elles viennent en dormant et au moment que l’on ne les attend pas (L.I., p. 357), (249).

Au milieu de tout ce tracas, l’humour et le bon sens n’ont pas perdu leurs droits.

En août 1694, elle revient encore sur l’abandon : « Abandonnez-vous entièrement entre les mains de Dieu... c’est le seul moyen d’avoir toujours la paix... car une âme qui lui est ainsi toute abandonnée lui est plus agréable que cent autres qui ne sont point dans cette disposition, et lorsqu’il la troue dans une âme, il y vient répandre des profusions de grâces. Oui, des profusions, tant il aime cet abandon et que partout où il trouve cette vertu, il la comble de bénédictions (E.F., p. 59), (2654).

Le 26 août 1694, elle parle encore de ce mystérieux jugement qui a eu lieu lors de sa maladie, dans une lettre à Mère Suzanne de la Passion : « Plus je vais en avant, et plus je crains le compte qu’il faut rendre de ce terrible emploi (celui de prieure). Cependant il faut espérer ses divines miséricordes avec une humble confiance. Si je pouvais vous entretenir, je vous dirais bien des choses en confiance, m’étant trouvée moi — même à ce terrible passage dans ma maladie. J’en devrais être convertie, mais ma lâcheté me fait perdre les miséricordes que Notre Seigneur m’a faites. Employez uos saintes prières pour me faire commencer à être plus fidèle. Réparez pour moi, car je ne puis être encore longtemps en ce monde. Il faut payer la dette du péché par la mort qui doit détruire l’être pécheur »...

« Je vous dirai seulement ce qui fit mon plus grand poids dans mon agonie : ce fut la sainteté de l’Institut que je n’ai jamais bien rempli, et si la sacrée Mère de Dieu ne fut venue à mon secours en me déchargeant du poids de l’Institut, j’aurais péri immanquablement. O. très chère ! Quel épouvantable état de se trouver suspendue sur l’embouchure de cet effroyable abîme ! Priez Notre Seigneur me faire la miséricorde, par sa très Sainte Mère, que je n’y retourne plus. Le seul effroi serai capable de faire mourir » (En Pologne, p. 188), (179).

Ensuite, elle lui fait part de son projet de leur envoyer le Règlement des Offices auquel elle travaille assidûment. (Ce Règlement est d’ailleurs en tous points remarquable. Celui de la Mère Prieure est un « véritable portrait » de Mère Mectilde par elle-même).

Le 30 décembre 1694, elle écrit à Mère Saint François de Paule : « Il faut que j’aime ma petitesse et mon abjection, je crois qu’il sera permanent et que ce sera celui qui consommera ma vie ; j’y suis, par la grâce de Dieu, si bien apprivoisée que je suis aussi contente que si j’étais dans un meilleur état ! » (Autographe n° 78), (1179).

On peut ainsi suivre Mère Mectilde au cours de ses dernières années grâce surtout aux Entretiens familiers et à sa correspondance avec Mère Saint François de Paule. Mais son chemin est tout tracé et nous avons déjà tout dit. Abandon et miséricorde sont les maîtres-mots, comme dans cette lettre du 4 février 1695 à Mère Saint François de Paule :

« Il faut s’abandonner à Dieu au-dessus de l’hu-main. Il lui plaît nous tenir dans l’épreuve, en vérité elle est grande, mais sa bonté est plus grande que notre désolation. Il faut croire que son infinie miséricorde prendra soin de vous en l’aimant et en le ser-vant de tout votre cœur. Ne vous accablez pas, la sacrée Mère de Dieu est votre Mère. Je vous conjure de saluer souvent son très Saint Cœur tout plein de bonté pour l’Institut. Ne vous affligez point, mais perdez-vous en Dieu par votre saint abandon, en priant et espérant » (511).

CONFESSION

Le 20 mai 1695, samedi avant la Pentecôte, Mère Mectilde fait une confession extraordinaire relatée en détail par une de ses filles. Elle était bien malade lorsque, ce jour-là, « elle se leva dès 5 heures et s’habilla disant qu’il fallait qu’elle allât à confesse, entendre la Messe et communier. La Mère Sous-Prieure lui fit toutes sortes de remontrances pour l’en empêcher, lui faisant voir qu’elle se faisait mourir. Malgré tout ce qu’elle lui put dire, cette digne Mère tint toujours ferme en lui répondant seulement que Dieu demandait cela d’elle et que la très Sainte Vierge la pressait de le faire et lui avait dit dès le matin : « Va t’en ! », qu’elle n’y pensait point du tout, « mais, ma pauvre Mère, quand on me chasse, il faut bien y aller ! Que voulez-vous que je fasse ? Je me suis bien doutée que vous vous y opposeriez et je lui ai dit : “Très Sainte Mère de Dieu, elles ne me laisseront pas aller ! Faites donc qu’elles ne me contraignent point, si vous voulez que je fasse ce que vous demandez de moi”. Elle lui ajouta : “Mais, ma Mère, ne vous en mettez pas en peine, j’espère avec la grâce de Dieu, que je n’en serai pas plus mal”. Sur cette parole, la Mère la laissa descendre. Elle marchait avec tant de vitesse et de légèreté que nous en étions tout étonnées. Elle ne voulut ni bras ni bâton, sans doute que la Sainte Vierge lui donnait des forces, car autrement cela lui eût été impossible. Et en effet, elle a avoué depuis qu’il lui avait semblé qu’on la soulevait pour la faire aller plus vite. Avant que de descendre, elle nous disait de prier la très Sainte Mère de Dieu, et elle le faisait elle-même, qu’elle lavât ses péchés dans le sang de son divin Fils. Et quand elle fut remontée dans sa chambre, elle dit qu’elle avait auparavant représenté à la très Sainte Mère de Dieu qu’il fallait qu’elle se confessât, et qu’elle lui avait répondu : “Hé bien, confessez-vous !” Mais comment ferai-je ? lui dit-elle, sera-ce au Père N. ? Celui que j’attends ne viendra pas assez tôt. Elle me répartit : “Dites ce que vous savez et ne vous inquiétez pas”. (C’est qu’elle avait envie de faire une confession extraordinaire). Il m’a donc semblé qu’elle s’en chargeait, nie disant que je ne m’en misse pas en peine, et je me suis mise en devoir de me confesser, sans savoir ce que je voulais dire. Je n’ai pas plus tôt commencé qu’une si grande multitude de choses me sont venues à l’esprit que je ne finissais point. Je me suis confessée des résistances que j’ai eues au Saint Esprit, des obstacles que j’ai mis à ses grâces, à ses desseins, et de toutes les infidélités que j’ai faites contre lui et des mauvais effets que j’ai pu causer dans les âmes qui ont pu retarder leur perfection, enfin j’ai dit tout ce que j’avais à dire » (E.F.), (2918).

INVITATION AU PARADIS

Et la narratrice continue : « Le même jour, étant seule avec elle, elle me dit qu’elle avait été à même de s’en aller dans cette maladie, que l’on l’y avait même comme invitée avec beaucoup d’honnêteté, que l’on (« on » c’est Jésus) n’a pas coutume de lui en tant faire, que la très Sainte Mère de Dieu lui avait dit « Vous pouvez, si vous voulez, venir », me laissant espérer une issue favorable sous sa protection, et comme mes affaires me reuinrent dans l’esprit, comme la chose qui y mettait plus d’obstacle, il me semblait qu’elle s’en chargeait, me disant que je ne n’en misse point en peine, mais je n’ai choisi ni la vie ni la mort ; je me suis contentée de dire : « Il en sera tout ce que Dieu voudra », ne sachant pas si ce ne serait pas une tentation, mais si ce n’en était pas, j’ai perdu un bon coup, je n’y reviendrai jamais ! (E.F.), (2918).

« Le lundi de Pentecôte, elle dit : « la seule chose qui me ferait désirer de mourir serait pour connaître Dieu plus parfaitement que nous ne le faisons en cette vie, et l’aimer davantage, car la connaissance produit l’amour ; mais Dieu en sait le moment, ce sera quand il voudra. Il ne faut pas vouloir en retarder ni avancer le temps ». Le mardi : « Je suis aussi languissante intérieurement qu’extérieurement, je ne saurai plus rien faire, je n’ai plus de vigueur, mais je porte ma langueur en esprit de pénitence... Il faut demeurer dans la disposition où Dieu nous met, le bénir toujours et toujours ». Et le jeudi : « Il faut tout avaler... encore s’il n’y avait que moi qui en goûte ! » (Br III, pp.21-23).

Voici bien Mère Mectilde peinte au naturel. Mais ses affaires la poursuivent et elle les poursuit courageusement. Elle écrit à ses chères filles de Pologne où cela marche mal. Un bon chapitre pour la Mère Prieure (949), des exhortations aux anciennes (1738). Elle travaille aux Constitutions, au Règlement des offices. Elle se sent trop vieille : « Nous verrons bien des affaires, surtout une prieure, car je n’y puis demeurer davantage. Cela perd la Religion, car il y en a qui n’obéissent plus à ce que nous disons. Je ne corrige plus et cependant les habitudes se forment... » Elle trouve la Communauté difficile et plaint celle qui lui succédera. Nous verrons cependant que quelques jours avant sa mort, elle saura très bien reprendre une de ses filles, lui laissant cette algarade comme dernier souvenir.

DÉTRESSE

Nous avons ensuite trois lettres au Père Paulin, son directeur qui fut aussi, dans sa jeunesse, son fils spirituel. Elles nous montrent la grande détresse intérieure où elle se trouvait en 1695, 1696 et 1697.

Le 30 décembre 1695, elle lui écrit :

« J’avais bien prétendu avoir la consolation, mon très cher Père, de vous dire deux mots sur l’état que je porte qui est fort touchant. J’ai besoin de vous parler pour vous faire concevoir que, selon ce que je vois, il faut abandonner mon salut. Je vois toute ma vie si effroyable que je conclue que sans un secours extraordinaire de grâce, il faut périr. Je vous conjure, mon bon Père, par les entrailles de la divine miséricorde de Notre Seigneur Jésus Christ, de vous appliquer pour moi en sa sainte présence et que par le saint ange, vous me disiez ce que Notre Seigneur veut de moi, car je ne saurais jamais vous exprimer comme je suis, sinon de vous dire en deux mots que je ne vois qu’horreur et péché dans tout le cours de ma vie, je ne vois que crimes et péchés, dans l’incertitude de ma perte éternelle. Une autre que moi en serait au désespoir, mais je suis insensible à mon malheur. Je partirai sans que vous en ayez aucune compassion, je vous conjure, au nom du divin enfant Dieu, de vous y appliquer et de me dire ce que Dieu vous en fera connaître, en attendant que je puisse vous mieux exprimer ce que je sens. Comptez que je ne suis que péché, orgueil, vanité et tout ce qu’il y a de plus indigne. Je ne vois en moi que tout cela. Je ne me suis jamais vue de la sorte. Je vous prie au nom de Notre Seigneur et de sa très Sainte Mère, de m’écrire un mot après que vous aurez prié pour moi. Ne m’abandonnez pas, je suis moi-même dans l’abandon, car je ne puis me tirer de l’état où je suis. Je me vois périr avec une espèce de paix qui me devrait effrayer. C’est votre indigne fille » (885).

En 1696 un autre billet, elle le supplie de lui répondre, de demander son salut par la Sainte Vierge : « Je ne sais si je dois demeurer dans le silence, abandonné à l’adorable Providence sur plusieurs choses que je devrais vous dire, mon Révérend Père, et sur les réponses que j’attendais de votre charité. Ma détestable vie me fait une terrible frayeur pour passer à l’éternité. Si vous n’avez rien à me dire par la sollicitation de votre saint ange, redoublez du moins vos saintes prières. Je puis m’en aller sans avoir la consolation de vous revoir, je ne suis mal que d’un rhume, mais l’on meurt en tout temps, je ne puis m’assurer d’un moment. J’ai toujours espéré que usus m’obtiendrez miséricorde par la très puissante et très immaculée Mère de Dieu. Je vous supplie que ma confiance ne soit pas sans effet. Je sais que si vous lui demandez mon salut, elle vous l’accordera. Ne tardez pas un moment de lui demander, s’il vous plaît, et m’en donner des nouvelles. Ne refusez pas, mon très Révérend et bon Père, d’em — ployer pour cet effet tout le pouvoir que Notre Seigneur vous a donné. Votre charité ne sera pas sans récompense. J’attends ce secours comme d’un des vrais et sincères amis qui me reste sur la terre. Il y a longtemps que je sollicite intérieurement votre charité, mais il faut que Notre Seigneur parle à votre bon cœur. Écoutez donc sa divine parole et me la faites entendre. S’il ne vous donne rien, je tiendrai mon doute véritable. Un petit mot en charité pour la plus indigne qui soit sur la terre, indigne d’être dans l’honneur de votre bonté » (1185).

Le 4 mai 1697, elle lui écrit : « ... Priez (Dieu) mon très cher et bon Père, qu’il me regarde en sa divine miséricorde, je n’ai plus que vous sur la terre, et que je vois déjà un pied dans le ciel. Si vous allez le premier, comme je le crois, venez me secourir dans ce terrible passage qui sera pour moi plus que terrible parce que je mourrai comme une misérable pécheresse sans pénitence, à moins que vous ne m’obteniez miséricorde, c’est la charité que j’espère de votre bon cœur qui en recevra une éternelle récompense. C’est votre indigne fille et servante » (P 105, p. 352).

Puis elle s’explique davantage (p. 354) :

« Je vous avais écrit trois mots très cher (Père) dans la dernière confiance, mais Notre Seigneur m’a retenue et n’a pas voulu que j’augmente votre douleur. Je confesse que je n’étais pas raisonnable, mais comme mon cœur était fermé à tout le monde, mon penchant se tourna vers vous pour vous faire la confidence de l’état que je portais, qui est des plus surprenants, mais il est juste et saint dans la conduite de Dieu. Je ne dis pas : je le veux, il est déjà voulu, et je suis sans choix et sans élection ; mon Dieu étant le maître, je veux qu’il en use comme il lui plaira, et comme un martre absolu qui n’a pas besoin du consentement de sa créature. Son très saint Nom soit béni ! Continuez-moi vos saintes prières, car je ne sais ce que je deviendrai. En ma vie, je n’ai été de la sorte. Attendons-en les suites comme Dieu les voudra... j’ai été assez mal depuis quinze jours, je m’attendais tous les jours de suc-comber, mais l’on me fait vivre malgré moi et l’on me souffle de la vie quand je n’en puis plus. Adorons et attendons ce qu’il plaira au Seigneur de conclure. Je ne sais où tout cela aboutira. Bénissez, aimez et adorez-le pour moi ; je n’en puis dire davantage, je ne puis plus tenir ma plume, tout me quitte. Priez Notre Seigneur pour moi et sa très Sainte Mère, qu’il ne me quitte jamais » (1684).

La même année, elle écrit encore :

« Quoique vous soyez persuadé que je vous oublie...

... Il faut attendre la fin qui sera peut-être un effet très rigoureux de sa justice. Il y a déjà bien du temps que je portais quelque chose, mais à présent l’on m’y a abîmée. C’est ce qui a arrêté ma plume.

... Avec cela vous saurez que j’ai été toutes ces saintes fêtes dans une langueur mortelle, avec oppression quasi continuelle, tout cela n’est rien, n’y pensez pas, il faut mourir. J’ai pensé plusieurs fois que c’était la fin. Je vous confie mon enfer ou mon purgatoire, avec défense d’en parler à qui que ce soit, cette saillie est un effet de ma parfaite confiance en vous, mais avec confiance que vous brûlerez cette lettre sans y manquer, vous me ferez plaisir de me la renvoyer, pour me donner lieu de vous en écrire d’autres » (2632).

Elle est donc bien plongée dans « l’enfer du Pur Amour ».

JOIE

Entre temps, elle a eu une « joie », ainsi le rapporte une de ses filles dans un entretien familier du 21 novembre 1696 :

« Notre digne Mère étant à la récréation nous dit : « Il faut que je vous fasse part d’une petite joie que j’ai eue ce matin qui n’a pas duré longtemps, puisque ce n’a été que depuis la sainte communion jusqu’au retour à notre place, où heureusement une de nos Sœurs m’aidait, car je crois que sans cela j’aurais eu de la peine à y retourner. Ce n’est qu’une idée ou une imagination, comme usus voudrez, que j’ai eue sur la fête d’aujourd’hui, quoique cela n’ait guère duré ».

Une religieuse lui dit : « Ma Mère, usus n’avez pas laissé de voir bien des choses ? » Elle lui répondit « Oui, il n’en faut guère pour cela. Ce que nous disons est en manière de récréation : il faut autant se divertir à cela qu’à autre chose. La joie n’est pas une chose qui me soit ordinaire, mais quoique je n’en aie point, je n’ai pas laissé d’en avoir une très sensible au sujet du mystère de la Présentation de la très Sainte Mère de Dieu au Temple, où il me semblait voir la très Sainte Trinité pour ainsi dire, quoique ce terme ne soit pas propre, dans l’admiration et toute transportée hors d’elle-même à la vue de cette petite colombe si belle et si parfaite, parce que jusques alors il ne s’était rien uu sur la terre qui en approchât. Et le Père éternel n’avait encore rien vu hors de lui-même de si beau ni de si parfait que cette petite créature, l’Humanité Sainte du Verbe n’étant pas encore formée. Il en fut charmé, à notre façon de comprendre, car je sais que le transport et l’admiration marquent une surprise dont

Dieu ne peut être capable ; mais je me sers de ces termes pour m’expliquer.

« Il me semblait donc voir la très Sainte Trinité tout appliquée à la considérer, y prenant un plaisir infini. On peut lui appliquer ce qui est dit dans la Genèse, et à plus juste titre, qui est dans la création du monde : « Dieu ayant considéré ses œuvres, il vit qu’el-les étaient bonnes », parce qu’ici c’est le chef d’œuvre de ses mains, c’est pourquoi il ne la trouve pas seulement bonne, mais très parfaite, très excellente et très digne de lui. Il se complaît dans son œuvre, s’applaudissant lui-même d’avoir si bien réussi dans ce chef d’œuvre de grâce et de nature...

« Le plus grand plaisir que Dieu a eu dans cette pure et innocente créature a été de se retrouver en elle. Il s’y est vu comme dans un miroir, et voilà ce qui l’a charmé et rempli d’admiration, et la joie qu’il en a eue a été si grande que, quoiqu’elle soit son ouvrage, il la regarde aujourd’hui avec autant de complaisance que s’il ne l’avait jamais hue. Toute la très Sainte Trinité s’est écoulée en elle avec une telle plénitude de grâce qu’il fallait une capacité telle que celle que Dieu lui avait donnée pour les contenir toutes.

« Le Père la regardant et l’aimant comme sa fille. Le Fils qui ne s’est point encore incarné... la regarda dès ce moment comme celle qui devait être sa mère. Le Saint Esprit comme son épouse. Et en ces trois qualités, elle fut comblée par les Trois divines Personnes. La joie de Dieu en a fait ma joie dans cette rencontre ».

Et notre narratrice de conclure : « Ceci n’est qu’une faible expression de ses paroles qui étaient si sublimes et élevées que l’on ne les a pu bien retenir, cela surpassant nos pensées et notre compréhension. De fois à autre elle répétait comme toute pénétrée : « Il est vrai que j’ai vu de belles choses en un moment qui m’ont transportées de joie. J’en ai pensé tomber, étant presque hors de mois » (2120) et (D 12, p. 9).

CONSOMMATION

En 1697, nous pouvons relever encore deux échos de son âme :

Le 22 mai, elle écrit :. « Quand il plaît à Dieu d’anéantir l’on ne peut s’échapper de ses divines mains. J’y suis si plongée que de ma vie je n’en reviendrai ; mais, à vous dire vrai, pour mon particulier j’y ai trouvé le paradis, mais il n’en est pas de même d’une Communauté qui n’a que des murmures et des plaintes... Mais si j’y ai trouvé la paix et le repos dans ma destruction, j’y ai trouvé une douleur mortelle de ce que vous souffrez et que les autres maisons en peuvent souffrir. La mort serait plus agréable, mais elle n’est pas à notre choix » (3020).

Et le 16 septembre de la même année : « Notre Seigneur est si miséricordieux qu’il donne par sa grâce le soutien dans les croix que son adorable Providence fournit. Comme il me fait la grâce de ne rien voir que dans sa très sainte volonté, je suis calmée au moment que je l’envisage, quoique la nature y trouve de quoi sacrifier, mais il le faut vouloir. Je n’ai pas de peine pour ce que je puis souffrir et qui peut tomber sur moi, mais j’en ressens pour ce que vous en souffrez vous-même et que tout l’Institut pâtit. C’est là ma croix, et non ce qui me pourrait toucher moi seule. Mon Dieu me paraît si saint, si juste et si adorable en tout ce qu’il m’envoie, que je n’ai rien à dire sinon : lustus es Domine ! (1178).

Ceci rappelle ce qu’elle écrivit à Fénelon36 la même année : « Je sens en moi une disposition si prompte à entrer dans tous les desseins de Dieu et agréer les états les plus anéantissants qu’aussitôt qu’il m’y met, je baise, je caresse ce précieux présent ; et pour les affaires temporelles qui paraissent nous jeter par terre, mon cœur éclate en bénédictions et est content d’être détruit et écrasé sous toutes ces opérations pourvu que Dieu soit glorifié et que ce soit de sa part que je sois blessée » (D.H., p. 31).

Le 12 octobre 1697, elle nous dit en nous parlant de Dieu comme à son ordinaire : « Jamais je n’ai eu moins de lumière et jamais je n’ai été si éclairée que je le suis à présent. Comment — nous dit-elle agréablement — comprendre et entendre cela ? C’est pourtant véritable : c’est une antithèse. Je vous dirais qu’il ne faut pas tant de multiplicité pour la vie intérieure, mais je conseille d’aller tout simplement à Notre Sei­gneur ».

Une religieuse lui ayant demandé si l’abaissement de l’âme devant Dieu faisait son anéantissement, elle lui répondit : « L’abaissement de l’âme devant Dieu, quoique ce soit une très sainte disposition, ne fait pas son anéantissement. Il faut bien que Dieu fasse en elle d’autres opérations pour la disposer à cet anéan­tissement. Et quand il l’en a rendue capable, il la dé­truit et anéantit comme il lui plant, par des dispositions pénibles et crucifiantes et si intimes et secrètes qu’elle ne les connaît pas elle-même. Il y aurait bien des cho­ses à dire là-dessus, si Notre Seigneur m’en donnait la grâce. Mais il faut qu’il me la donne, je ne l’ai pas à présent. Il m’est très pénible de parler et d’agir, mais pour souffrir j’y prends mon plaisir ».

Ce même jour au soir, qui était le samedi, nous parlant de la sainte communion elle nous dit : « A quoi me sert-il de manger Dieu s’il ne me mange ? Nous le mangeons par la sainte communion, mais cela ne suffit pas pour demeurer en lui, il faut qu’il me mange et qu’il me digère ; c’est ce que je lui demanderai demain à la sainte communion ». Une des religieuses qui était présente quand elle dit ces paroles ne manqua pas le lendemain de l’interroger pour savoir si Notre Seigneur lui avait accordé ce qu’elle lui aurait demandé. Elle lui répondit avec une certaine allégresse : « Oui, il m’a. mangée, et je dirais même là-dessus les plus jolies choses du monde, mais dans le temps où nous sommes, cela serait fort mal tourné. Notre Seigneur est un trop gros morceau pour moi, je ne peux pas le digérer, mais moi, il me digère en un moment. Et comment ? Ce n’est pas à la façon que nous digérons les viandes... La réponse donc que Notre Seigneur a faite à ma demande, puisque vous la voulez savoir a été : “Oui, je le veux, passe en moi”. Je me suis coulée comme un petit mou-cheron en Dieu ; c’est proprement le Tout qui absorbe le néant. Voilà ce que j’appelle être mangée et digérée de Dieu. Une âme mangée et digérée de la sorte est passée en Dieu, il la cache dans sa face, elle est absorbée en lui et pour ainsi dire elle fait partie de lui-même ».

Et elle poursuit : « J’ai vu en passant son Cœur adorable comme un brasier ardent capable de consommer toute la terre. Je ne suis pas restée cependant dans ce divin Cœur parce que je suis trop impure ; il y a plus de trente ans que je l’ai prié de me tenir sous ses pieds. J’ai été effrayée de voir l’amour infini de ce Cœur adorable envers les créatures. Il ne s’irrite point contre elles, pour tous les outrages qu’il en reçoit à tout moment. Au lieu de nous foudroyer comme nous le mériterions, il n’en a pas même de ressentiment. Il n’est pas vindicatif : toujours prêt à nous recevoir, il n’attend pas même que nous allions à lui. Il nous pré-vient par ses grandes miséricordes. Il nous presse intérieurement de retourner à lui, et nous n’avons pas plutôt conçu le regret de nos fautes et demandé pardon qu’il nous a déjà pardonné, oubliant tout le passé sans nous en faire aucun reproche. Un auteur dit qu’un flocon d’étoupe jeté dans un brasier n’est pas plus tôt consommé que nos péchés le sont en Jésus Christ aussitôt que nous avons du regret de les avoir commis » (1974).

Cet « auteur » est peut-être bien sainte Marguerite-Marie. Du moins elle s’exprime ainsi.54 Ce texte est très important, car il nous montre combien la vue de la miséricorde l’a emporté sur celle de la justice. Mère Mectilde « n’en revient pas » (ainsi pourrait — on traduire son « effrayée ») de voir jusqu’où va la miséricorde du Seigneur. Elle reparlera de cette expérience à une de ses filles en particulier, qui le rapporte comme suit :

« Ces jours-ci je pensais que comme nous communions et que nous mangeons Notre Seigneur, il faut aussi que Notre Seigneur nous mange. Savez-vous bien comment il nous mange ?... c’est que quand l’âme est fidèle, Notre Seigneur l’attire en lui et se l’unit si intimement qu’il en fait une petite portion de lui-même, si bien que, étant ainsi toute unie à Jésus Christ, elle demeure en lui. O Précieuse demeure ! elle est ineffable : c’est une fournaise ardente où l’âme est toute embrasée, toute remplie de lumières et toute inondée de grâces. Si vous aviez été un moment dans cette demeure, vous concevriez ce que je ne puis exprimer, car c’est quelque chose de si divin et délicieux que je n’ai point de paroles pour le dire.

Elle me dit des termes encore plus forts et expressifs que je n’ai pu retenir, tant ils étaient élevés ; mais d’une manière si suave qu’il me semblait qu’elle goûtait ce qu’elle me disait, et que c’était par la divine expérience qu’elle en avait » (P 123, p. 46).

Un autre jour du même mois elle dit : « On m’a appris depuis peu que lorsqu’on se trouve occupé d’inutilités, il faut s’en séparer aussi promptement que l’on se déferait d’un charbon de feu qui serait tombé sur la main, parce qu’il n’y doit point avoir de vide dans notre vie et que tout appartient à Dieu. C’est une sorte de petit reproche que l’on m’a fait, me disant intérieurement : “Tu ne l’ignorais pas, mais tu n’en faisais pas mieux”. C’était une de ces nuits passées... J’apprends — encore tous les jours bien des choses ».

— Mais, ma Mère, quand on s’aperçoit qu’on est dans l’inutilité, c’est souvent après y avoir perdu des heures...

« Qu’importe ! Sortez-en au plus tôt sans songer au passé. Pour peu qu’une âme fasse de son côté, Dieu est si bon, il a un amour et un penchant si grand pour sa créature qu’il ne saurait se tenir en repos : il faut qu’il lui fasse des grâces » (E.F., p. 119), (1974).

Dans la même conversation, elle nous apprend qu’elle ne fait point de résolutions : « Une religieuse disait qu’elle ne commettait point de fautes sans en concevoir du regret, et la preuve qu’elle en donnait c’est qu’elle prenait toujours la résolution de n’y point retomber. Notre digne Mère prit la parole : « Qu’est-ce que c’est de vos résolutions ? vous empêchent-elles de faire des fautes ? Je suis assurée qu’après toutes ces belles résolutions, vous en faites aussi facilement. Pour moi, je ne sais point faire de résolutions, mais ce que je fais, c’est de me tenir auprès de Notre Seigneur. C’est le seul moyen que j’ai trouvé pour m’empêcher de tomber ! Je vous conseille de vous en servir et vous verrez que vous vous en trouverez bien... Oh ! qu’il fait bon être à Dieu ! (Ego Dei sum !). Pour moi, je me tiens toujours sous sa main adorable » (1970).

1698 — LA PÂQUE DE MERE MECTILDE

Nous arrivons à la dernière année. Elle n’a pas quatre mois à vivre. Et voici un « écrit de notre digne Mère sur la disposition à la mort » daté de 1698. Il est très précieux pour nous, aussi nous le donnons en entier :

« Une Fille du Saint Sacrement qui a usé ses jours à adorer Notre Seigneur au divin Sacrement doit mourir en parfaite adoratrice, c’est à quoi elle doit remplir son obligation et consommer son sacrifice de la manière la plus parfaite puisqu’il y consomme son être en réalité par la mort qui le détruit. Il est donc important d’en remplir l’esprit de la religieuse mourante afin qu’elle perfectionne sa mort dans l’esprit du Sacrifice. Je crois qu’une religieuse adoratrice voudra de bon cœur consommer saintement son adoration en se rendant soumise à la très sainte volonté de. Dieu, prétendant se reconcentrer en Dieu, passant de la vie à la mort pour n’en jamais revenir. C’est là le parfait Sacrifice. C’est pourquoi celles qui assistent les mourantes diront dévotement l’oraison du Saint Sacrement qui est à notre usage en esprit de réparation pour l’agonisante, priant Notre Seigneur de lui faire la grâce de consommer dignement son sacrifice par une adoration parfaite et éternelle qui sera l’effet d’une sainte mort » (2870).

On aimerait suivre jour après jour les deux dernières semaines de Mère Mectilde, et l’on voit presque comme un « signe » sur sa vie que ces deux dernières semaines soient la Semaine Sainte et celle de Pâques.

Mardi Saint : 25 mars. C’est le jour anniversaire de la naissance de l’Institut.

Ensuite son biographe note seulement : « Elle assista encore, quoique très languissante, à tout l’office de la Semaine Sainte ».

Comment a-t-elle passé son dernier Jeudi Saint ? Qu’a-t-elle dit à ses Filles ce jour-là ? On peut le présumer en — relisant une de ses conférences. Malheureusement elle n’est pas datée, mais elle est sans aucun doute une des dernières :

« J’aurais assez d’ambition pour désirer faire cette action encore pour la dernière fois de ma vie, mais Notre Seigneur m’en ayant ôté le pouvoir, je me contenterai de vous exhorter à le faire saintement.

« Quand on vous lavera les pieds, ne regardez point celle qui vous les lave, mais regardez que c’est Notre Seigneur qui le fait et qui est à vos pieds. Ne voyez que Jésus. En un mot, faites cette action avec un esprit intérieur pour honorer celle de Notre Seigneur. C’est ainsi qu’il faut toujours agir et vous y trouverez bénédiction.

« Préparez-vous et appliquez-vous à recevoir les grâces que Notre Seigneur veut vous départir par celle qui fera le lavement des pieds. Demandez-les-lui aussi pour elle et priez-le de l’y préparer.

« Je vous le répète, agissez toujours ainsi, avec esprit intérieur. Quand je vois qu’on fait humainement les choses divines, cela me tue. Appliquez-vous à tous les mystères de Notre Seigneur et à ses souffrances excessives. C’est réellement qu’il est mort, ce n’est pas une imagination. Il n’y a pas une créature sur la terre qui, si elle avait une entière connaissance des souffrances de Notre Seigneur, en pourrait supporter la vue sans mourir. II n’y a que le Père éternel, qui les a fait souffrir à Jésus, et son Fils Jésus Christ qui les a endurées, qui en connaissent toute la grandeur. Hélas, nous sommes si sensibles au moindre affront qu’on nous fait, les grands cœurs les ressentent si vivement, et Notre Seigneur qui avait le plus grand et le plus beau de tous les cœurs, jugez de ce qu’il a dû éprouver au milieu de tant d’opprobres et de souffrances en tous genres.

« Ah ! j’ai un cœur de chair pour moi, et pour mon Dieu je n’ai qu’un cœur de pierre. Je suis sensible à tout ce qui me regarde et si insensible pour Jésus Christ notre Seigneur ! Si nous ne pouvons nous occuper comme nous le voudrions des souffrances de notre adorable Sauveur, soyons-en dans l’humiliation et la confusion et entrons au moins dans quelque compassion des excessifs tourments qu’il endure pour l’amour de nous. On dit que ce n’est qu’au jour du jugement que nous connaîtrons tout ce que Notre Seigneur a souffert pour nous et l’étendue de son excessive charité pour les pécheurs. O Mon Dieu, permettez-moi de vous dire que cette connaissance alors ne nous servira de rien. Je vous prie donc de nous avancer ces lumières et ces connaissances, de nous les donner à présent afin que nous en profitions, que nous vous connaissions et que nous vous aimions !

« Le Père éternel nous a donné son fils unique : c’est beaucoup, mais en un sens ce serait peu pour nous, s’il ne nous l’avait encore donné pour nous sauver et nous racheter en mourant pour nous. Oh ! quelle excessive charité !

« C’est bien en ce saint temps que Dieu fait toutes choses nouvelles (Apoc. 21, 5), que tout va être renouvelé. Recevez donc une nouvelle vie en Jésus Christ et par Jésus Christ.

« C’est par la communion que Jésus Christ se met à vos pieds. Oui, Jésus Christ est à nos pieds dans la communion. Hélas, s’il n’y est pas encore plus mal qu’à nos pieds ! Notre Seigneur n’a jamais regardé que la gloire de son Père, le salut et la conversion des pécheurs, et sa plus grande douleur en mourant fut de voir combien il y en aurait qui ne voudraient profiter de sa mort. Ah ! combien n’y en a-t-il pas qui ne veulent pas que les souffrances de Jésus leurs soient appliquées et qui n’en profitent point ! Priez beaucoup en ces saints jours pour la conversion des pécheurs et pour les âmes du purgatoire » (880).

Le mardi de Pâques, elle était encore en pleine activité, puisqu’elle se préparait à faire le chapitre des emplois. Écoutons plutôt ce dernier souvenir d’une de ses filles :

« Le mardi 1er avril 1698, sachant que notre digne Mère allait faire les officières, je la priai de ne me point donner d’emploi parce que j’étais bien aise de me retirer pour m’appliquer davantage à Dieu. Elle prit la parole, ne me donnant pas le temps d’achever ce que je lui voulais dire, et me parla d’une manière forte, me témoignant qu’elle n’était pas contente de ma demande : “Vous serez ce que Notre Seigneur voudra, me dit-elle, je ne puis souffrir les âmes qui disent qu’elles seront bien aises de ceci ou de cela, il ne faut être bien aise que de faire la volonté de Dieu et de souffrir pour lui”. Ce sont les dernières paroles qu’elle m’a dites en particulier avant que de mourir » (2003).

Et cependant, le même jour, elle va dans le jardin à une chapelle dédiée à la Sainte Vierge, et y reste plus d’une heure en prière ; et comme ses filles la pressent de rentrer, elle leur dit : « je ne le puis, il faut que je remette l’Institut entre les mains de la sainte Mère de Dieu ». Est-ce un pressentiment ? C’est à croire, car, encore ce mardi, elle fait part à une de ses filles de sa mort prochaine, et prie une autre d’aller à sa place voir au parloir une de ses amies pour lui faire dire qu’elle n’était plus de ce monde et lui disait « A Dieu ! ».

Le mercredi, elle fait encore cette confidence : « Je me sens attirée et pressée d’aller à Dieu ; la seule douleur de mes chères filles me fait peine ; mais il faut qu’elles s’y disposent, et dans peu ».

Et c’est dans la nuit du mercredi au jeudi — ce précieux jeudi — qu’après avoir fait ses trois heures d’oraison et dit son office, elle est terrassée par la maladie. Vers la fin de la matinée on lui donne les derniers sacrements et on lui porte la communion.

Le vendredi elle semble un peu mieux, mais le samedi on juge son état désespéré. À une dame pensionnaire qui lui disait : « Hé ! quoi, ma Mère, vous nous délaissez ! » Elle répond par les paroles du Seigneur à Marie-Madeleine : « Je m’en vais à mon Dieu, je m’en vais à mon Père ! »

Enfin le dimanche de Quasimodo, jour de « Pâques closes », 6 avril, (anniversaire présumé du premier Jeudi Saint) entre minuit et une heure elle fait sa dernière communion et prolonge longtemps son Action de grâce. Vers six heures, le Père Paulin, son confesseur, lui demande : « Ma Mère, que faites-vous ? à quoi pensez — vous ? » Elle lui répond par ces deux mots qui ouvrirent jadis sa mission de fondatrice et qu’elle redit si souvent depuis : « J’adore et me soumets ». Quelque temps plus tard, comme il lui demandait un mot pour ses filles en pleurs autour d’elle : « Dites-leur, mon père, qu’elles me sont et me seront toujours présentes. Qu’elles se jettent à corps perdu dans les bras de la très Sainte Vierge ».

Ce sont ses dernières paroles. Vers les deux heures, elle se redresse et s’assied sur son lit, puis elle incline la tête et rend l’esprit si doucement qu’on ne peut saisir son dernier soupir. Elle avait quatre-vingts-trois ans.

Elle avait dit un jour de Quasimodo : « C’est aujourd’hui “Pâques closes”. Voilà qui est fait pour cette année. Nous ne reverrons plus les jours saints. Pâques signifie “passage”. Où êtes-vous ? Passées en Jésus Christ ? Vous avez toutes communié, et par la sainte communion vous êtes passées en Jésus Christ. Mais ce n’est pas tout, il y faut demeurer et n’en plus revenir » (10 avril 1695). (1967).

Ainsi s’acheva la Pâque de Mère Mectilde.

Le Lundi de Quasimodo, en la fête (transférée cette année-là) de l’Annonciation, tandis que la Communauté « versant un torrent de larmes », se trouvait dans l’impossibilité de chanter, les moines de Saint Germain des Prés vinrent fraternellement à leur secours et chantèrent le premier service pour Mère Mectilde. On la déposa « à la chapelle de Saint Joseph où il y a une grande grille qui donne sur l’église du dehors ».

Voici la « première épitaphe » relevée par l’abbé Berrant (p. 280) :

Au pied de cet autel gît la parfaite amante d’un Dieu qui, par amour,

dessus le même autel en victime innocente pour nos péchés s’immole chaque jour.

Mectilde qui se fit, lorsqu’elle était vivante, une loi d’imiter en tout ce même Dieu

par une charité tout à fait surprenante

se fit, pour les pécheurs, victime dans ce lieu. Pleine du feu divin qu’animait un grand Zèle, tous les jours aux yeux du Sauveur

elle immolait son esprit et son cœur

pour réparer t’offense criminelle

que la créature infidèle

tous les jours commettait contre son créateur. Elle mit tous ses soins à réparer la gloire

de son Dieu méprisé par les profanateurs.

Pour une œuvre si sainte, si digne de mémoire, elle établit ici de vrais adorateurs

qui jour et nuit en ta présence

de ta divine Majesté

immolent par l’austérité

d’une sévère pénitence

leurs esprits et leurs corps

pour fléchir la clémence

d’un Dieu irrité.

Elle fut la première à leur donner l’exemple : on la vit jour et nuit adorer dans ce temple, le faire retentir de ses saintes louanges.

Ne soyons pas surpris qu’ayant dans ces bas-lieux dès son vivant fait l’office des anges

elle le fasse à présent dans les cieux.

La deuxième épitaphe, qui ne nous est pas connue, est peut-être plus simple que celle-ci, qui le saura jamais ? À ce jour, le cercueil de Mère Mectilde n’a pas été retrouvé. Seul il avait disparu parmi ceux de toutes ses filles de la rue Cassette. Peut-être, même dans la gloire, ne veut-elle pas que nous nous arrêtions à « cet objet humain » (comme elle disait), mais que nous recueillions comme héritage son cœur et son esprit, comblés par l’Esprit de Dieu.

ÉPILOGUE

Mère Monique des Anges, une des plus fidèles copistes des écrits de Mère Mectilde, a consigné dans le manuscrit D 12 quelques « lettres de plusieurs personnes de vertu et de mérite touchant la Révérende Mère Mectilde du Saint Sacrement, tant durant sa vie qu’après sa mort, qui feront voir combien elle était en estime et réputation de sainteté de tous ceux qui avaient le bonheur de la connaître » (D 12, p.518).

Elle commence par la lettre du Frère Luc de Bray, déjà citée. On y trouve aussi le témoignage du Père Guilloré, relevé en son temps.

Enfin, pour la petite histoire, nous relevons quelques passages parmi les lettres d’un certain « Monsieur de V. grand serviteur de Dieu ». Les sages, les savants, etc. peuvent arrêter ici leur lecture. Mais enfin ce nouveau « Pélerin d’Emmaüs » clôt assez bien la « route pascale » de Mère Mectilde, et nous donne, à tout le moins, une idée de l’estime en laquelle la tenaient « ceux qui avaient le bonheur de la connaître ».

Cette première lettre est adressée à une de ses religieuses et datée du 16 avril 1698 :

« Jésus soit aimé.

J’ai reçu votre lettre ce matin, après avoir dit ma messe pour votre sainte défunte, dans laquelle vous me marquez sa maladie : c’était un fruit mûr pour le paradis ; Jésus Christ la voulait récompenser de ses travaux qu’elle avait souffert pour sa gloire. Oh ! qu’elle est heureuse et grande devant Dieu ! Adressons-nous à elle dans nos besoins, car j’espère (tout pécheurs que nous sommes) qu’elle nous assistera. Je veux bien vous dire un petit secret comme à une de mes amies, que vous ne direz à personne : vous ne m’en parlerez pas même. C’est qu’étant parti le lendemain de l’Annonciation pour aller voir mes sœurs religieuses à Rosay55, comme je revenais, entrant dans un bois, j’eus une présence de la vénérable Mère du Saint Sacrement, et à l’instant je la vis à mon côté droit qui m’accompagnait et qui marchait avec moi : tout cela se passait dans le plus intime de mon âme, sans que les sens y eussent part. Je ressentais une grande paix et une douceur de paradis : elle m’entretenait de la grandeur de Dieu :

Magnus Dominus et laudabilis nimis in civitate Dei nostri” Ps. 47, 2 et de sa grande bonté

"Quam bonus Israël Deus his qui recto sunt corde" Ps 72, 1-7.

Je lui répondais durant cette contemplation : cela dura un peu de temps. Après quoi je dis en moi-même, cette vue étant passée : Hélas ! Ma Mère Mectilde du Saint Sacrement serait-elle morte ? Car je ne savais pas qu’elle l’était : ceci arriva à une heure après midi.

Je poursuivis mon chemin, toujours très content et plus que je ne vous saurais dire, à pied, mon bâton à la main.


Vers les 4 heures après midi, je trouvai un de mes amis qui me dit entre autres choses que la Révérende Mère du Saint Sacrement était morte et que ses

filles étaient en pleurs ; je baissai la tête et lui dis fort peu de choses ; mais quand je l’eus quitté, je disais et redisais les paroles des pèlerins d’Emmaüs :

Nonne cor nostrum ardens erat in nabis dum loqueretur in via ?” (Luc 24, 3). Je ne m’étonne plus de ce que mon cœur était si ardent pendant que cette digne Mère m’entretenait des bontés et de la

sainteté de son divin Maître.

Brûlez ma lettre et me croyez, ma très chère Mère, votre très humble... ».

Vaine recommandation ! La lettre suivante nous apprend que la Mère n’a pu tenir sa langue :

« Jésus soit aimé ! 1er Mai 1698.

Ma révérende Mère, je viens de recevoir votre lettre que la personne qui vient de Paris m’a remise ; elle m’a promis qu’elle vous donnerait celle-ci en mains propres. Vous me faites grand plaisir de me dire que vous n’avez communiqué ma lettre à personne, cependant d’autres le savent : je ne sais pas comment cela se fait !...»

Monsieur de V. n’en continue pas moins ses confidences. Relevons-en encore deux : A la même religieuse.

« Jésus soit aimé 1 » Mai 1698.

Je prie Dieu qu’il vous fasse sainte, et ma chère Mère de Jésus aussi. Je vous renvoie vos écrits et vous suis fort obligé.

J’ai été bien en peine, ma chère Mère, depuis que je ne vous ai vue, mais Dieu merci, notre vénérable Mère Mectilde du Saint Sacrement, que j’ai invoquée, m’en a ôté et m’a fait un grand plaisir. Vous saurez qu’un nommé Monsieur Chevreuil, peintre, étant venu ici et s’en retournant à Paris, je le priai de vouloir bien porter un paquet de papiers de conséquence aux Feuillantines, à la Mère de Sainte Cécile, qui les ferait tenir à leur adresse ; il me le promit et les mit dans une boîte, afin d’être plus en sûreté : je lui réitérai encore en partant d’en avoir bien soin et de prendre garde de la perdre. Je fus bien surpris le soir du même jour de recevoir une lettre de lui qui m’écrivait que la boîte s’était crevée en chemin et que mes papiers étaient perdus. Je fus sensiblement mortifié et je m’en allai à mon oratoire prier la vénérable Mère du Saint Sacrement de me faire recouvrer mes papiers.

Madame notre Abbesse qui sut ma peine m’envoya quérir et elle me dit qu’elle prenait bien part à ma mortification ; elle ajouta : « Mais comment n’invoquez-vous point de ces grandes âmes que vous avez connues ? »

— Je l’ai déjà fait, lui dis-je.

— Et qui ?

— La vénérable Mère Mectilde du Saint Sacrement.

— Oh ! bien, repartit-elle, si elle est si sainte que l’on dit, elle vous fera trouver vos papiers.

— Madame, je l’espère, lui dis-je.

Quatre jours après, on me manda des Feuillantines qu’un pauvre homme inconnu leur avait apportées exprès mes papiers qu’il avait trouvés le long d’un bois, à quatre lieues de Paris ; et nos gens qui conduisaient la charrette me dirent qu’ils croyaient que la boîte s’était défaite au commencement du faubourg Saint Antoine.

Remerciez notre bonne Mère pour moi. Mes très humbles saluts à la Révérende Mère Prieure, à la Mère Sainte Madeleine, à la Mère de Jésus et à toutes vos bonnes amies. Je suis votre... »

On aimerait savoir le nom de cette bonne Abbesse, nouveau Saint Thomas !

Enfin, voici une dernière lettre de Monsieur de V. à un religieux, cette fois, où il résume ses relations ante et post mortem avec notre Mère Mectilde :

« Jésus soit aimé » 1698. Mon Révérend Père,

Un abbé de mes amis me priant d’aller avec lui aux Filles du Saint Sacrement, remercier la Révé-rende Mère Fondatrice Mectilde du Saint Sacrement, d’un grand plaisir qu’elle lui avait fait, car elle tâchait de faire plaisir à tout le monde ; nous y fûmes, nous la remerciâmes : et en prenant congé d’elle, elle me dit de la venir quelquefois voir : je le souhaitais beaucoup ; mais je fus vingt ans sans y aller ; Notre Seigneur ne m’en donnant pas la pensée, jusqu’à l’année 1695 que je la fus voir, et que je continuais à lui parler jusqu’à sa précieuse mort. Il est vrai que c’était un plaisir de l’entendre parler de Dieu et des grandeurs de la Sainte Vierge. J’étais surpris et j’admirais la force de son esprit à son âge, et son grand amour pour Dieu.

Environ dix mois avant sa mort, elle m’apparut. Je connus dans ma vision qu’elle mourrait bientôt et qu’elle ne passerait pas l’année, comme il arriva ; c’était le jour de la Sainte Trinité, deux de juin de l’année 1697, et elle est morte le six d’avril 1698. Je vis quelque temps après des anges qui la portaient et qui disaient : « Nous la voulons, nous l’aurons, vos prières ne seront plus exaucées ».

Elle m’a assisté depuis sa mort en diverses rencontres, et je l’ai vue dans la gloire parmi les saints.

Une fois, disant une grand messe de Requiem pour elle, je la vis pendant que le chœur chantait l’offertoire « libera animas... » sous la forme d’une colombe très blanche qui prit son vol de dessus la crédence par-dessus l’autel et alla dans la plaie du côté du Christ qui était sur l’autel, et elle s’y cacha.

Une autre fois, je la vis qui avait un grand crucifix : le bois prenait du haut de la guimpe jusqu’aux genoux, il tenait sur sa poitrine, quoique je ne le visse point attaché : le Christ était vers moi, et le bois de la croix tenait au scapulaire de la vénérable Mère Mectilde du Saint Sacrement. Après que j’eus bien regardé le Christ, je dis à la Mère : « Je vous vois toujours ou caressée de Jésus Christ ou avec lui, et point Notre Dame que vous aimez tant ! » — Oh ! que je l’aime, me dit-elle, oh ! que je l’aime ! ». Elle ajouta ces paroles : « Mais voici (en serrant ce grand crucifix entre ses bras sur son cœur, avec une sainte ardeur, mais si tendre qu’en y pensant encore à présent j’en suis tout touché) elle disait ces paroles de l’hymne de Saint Bernard :

« Iam quod quaesivi video

quod concupivi teneo...

(Je vois déjà ce que j’ai cherché et je tiens maintenant ce que j’ai désiré avec tant d’ardeur...) » et plusieurs autres paroles de l’amour de Jésus Christ.

Comment ne pas penser à l’antienne de sainte Agnès ?

Ecce quod concupivi, iam video,

quod speravi, iam teneo :

Illi sum iuncta in coeiis

quem in terris posita

tota devotione dilexi. 37

NOTES

1. P 101 : Biographie de Mère Mectilde, rédigée par sa nièce, Gertrude de Vienville. La lettre d’approbation, signée du

Chanoine Simon Gourdan, de l’Abbaye de Saint Victor est datée du 26 avril 1701.

2. GIRY François (1635-1688). Provincial des Minimes qui a écrit une Vie de Mère Mectilde, dans la Vie des Saints, trois volumes, 1719.

3. BERRANT Pierre. Aumônier de la Visitation de Melun. Directeur spirituel d’une haute valeur. Il a demeuré de 1690 à 1715 à Melun. Il était un des correspondants de Malebranche. Sa mère, Madame de Faverolles habitait à Marcilly.

4. COLLET (Dom Firmin-Dunstan), né le 21 juin 1824 à Fay-en-Haye (Meurthe et Moselle), profès de l’Abbaye Saint Pierre de Solesmes le 8 décembre 1848. Quitte Solesmes vers 1865 pour être secrétaire de Mgr Mermillod, évêque de Genève. Décédé en 1892. Il a écrit une Vie de Mère Mectilde, restée manuscrite, qui est conservée à l’Abbaye de Pradines.

5. DUQUESNE (abbé) : Vie de la Vénérable Mère Catherine de Bar, dite en religion Mectilde du Saint Sacrement, Nancy, 1775.

6. BREM (Elisabeth de), Mère Benoite de la Passion, à vingt — trois ans, veuve, entre chez les Bénédictines de Rambervillers ; en 1634, elle est maîtresse des novices, et de 1653 à sa mort en 1668, elle est Prieure. Mère Mectilde fut son amie intime (Documents historiques, Rouen, 1973, p.225).

7. GROMAIRE, Mère Bernardine de la Conception, Prieure du

monastère de Rambervillers lorsque Mère Mectilde y prit l’Habit de saint Benoît, était une des plus grandes religieuses de son temps. En 1653, Mère Bernardine vient rejoindre Mère Mectilde à Paris, elles travaillent conjointement à l’établissement de l’Institut. Sous-Prieure au premier monastère, elle aida à la fondation de Toul et en fut la première Prieure ; et fut Prieure pendant dix ans du deuxième monastère de Paris (Saint-Louis). Elle est décédée rue Cassette, le 28 janvier 1692 á minuit.

8. GUÉRIN (Julien), prêtre missionnaire à Tunis (1605 — 1648), soldat puis Lazariste en 1640. Envoyé par M. Vincent pour porter des aumônes en Lorraine. Il y perd sa santé, et envoyé à Saintes puis à Tunis (1643) où il s’occupe des esclaves, convertit le fils du « Dey » de Tunis. Il y meurt de la peste en 1648. Grandet, Les Saints Prêtres Français, du XVIIème siècle, 1897, T. I, p. 190 ; d’après le manuscrit original de Letourneau PSS.

9. BÉTHUNE (Anne-Berthe de) (1637-1689). Petite-nièce de Sully, ministre de Henri IV, petit-fils de Philippe, comte de Selles-sur—Cher, gouverneur de Gaston d’Orléans, fille d’Hippolyte de Béthune, qui légua à Louis XIV les 2 500 manuscrits qui forment le fonds Béthune, à la Bibliothèque Nationale. Anne-Berthe fut confiée, à l’âge de trois ans, à sa cousine Anne Babou de la Bourdaisière, abbesse de Beaumont-lès-Tours. En 1669, à la mort de Madame de Vaucelas, elle fut choisie pour lui succéder à la tête de l’Abbaye de Beaumont—lès—Tours, où elle fit son entrée le 15 octobre 1669. Une amitié spirituelle la liait à Mère Mectilde (Les Bénédictines de France en Pologne, Rouen, 1984, p. 119).

10. QUINET (Dom Louis), religieux de l’Ordre de Citeaux, né à la Houblonnière (diocèse de Lisieux) vers 1595, mort à Barbery en 1665, se fit recevoir à Paris docteur en théologie, fut mis à la tête de l’Abbaye de Royaumont et devint Abbé de Barbery en 1638. Il introduisit dans ces deux maisons une discipline plus régulière. Il était confesseur de Richelieu. A.Glaire, Dictionnaire des Sciences Ecclésiastiques, Paris, 1868.

11. BERNIERES—LOUVIGNY (Jean de) trésorier de France à Caen. Né en 1602, mort en 1659, il avait établi une Communauté composée d’ecclésiastiques et de laïcs qui vivaient ensemble, unis par les liens de la ferveur et de l’oraison ; c’est ce qu’on appelait l’Ermitage. Il contribua aussi à l’établissement d’hôpitaux, de couvents, et à la fondation de l’Église du Canada. Il fut l’ami et le conseiller de saint Jean Eudes (1601-1680) et de Henri — Marie Boudon (1624-1702) et de nombreux « spirituels », prêtres et laïcs.

12. ROOUELAY, prêtre, était le secrétaire de Jean de Bernières.

13. Jean Chrysostême de Saint—Lé, né à Frémont, diocèse de Bayeux. Il étudie à Rouen auprès du P. Caussin s.j. À dix-sept ans, il entre au couvent de Picpus, du Tiers—Ordre de saint François, près de Paris. Professeur de philosophie et de théologie à 25 ans, « définiteur général » de son Ordre et supérieur du couvent de Picpus à trente et un ans, il est Provincial de France à quarante ans et habite au couvent de Nazareth à Paris. Il eut la confiance de Louis XIII et de Richelieu — lesquels lui confièrent des affaires épineuses qu’il mena à bonne fin, à leur satisfaction — et celle des reines Marie de Médicis et Anne d’Autriche. Ami de Bernières, qui le fait connaître à Mère Mectilde, il meurt le 26 mars 1646. D’après certaines lettres de Mère Mectilde à Bernières, il semble que l’authenticité et le très grand zèle du Père Jean Chrysostôme lui aient attiré beaucoup d’inimitié, même dans son couvent. C’est pourquoi quand Mère Mectilde, après la mort du Père, désirera obtenir un de ses portraits et surtout ses écrits elle sera obligée à de longues tractations diplomatiques et sera accompagnée de son amie Madame de Brienne. Elle n’obtiendra jamais les écrits qui seront publiés seulement plus tard : Henri Boudon, L’homme intérieur, Paris, 1 ? 58 — D.S. fsc. II Col. 1125 — (D.H. p.28, n.26).

14. BOUDON Henri-Marie, né le 14 janvier 1624 à la Fère (Aisne), filleul d’Henriette de France, fille de Henri IV et reine d’Angleterre, mort le 31 août 1702. Il est très lié avec les spirituels de son temps : le Père Bagot, Bernières de Louvigny, saint Jean Eudes. Il fut chargé de l’éducation du futur évêque de Québec, l’abbé de Laval-Montigny ; archidiacre d’Évreux, il connut dans ce ministère de très grandes épreuves. Il fut spirituellement très uni durant plus d’un demi-siècle à Mère Mectilde. C’est au monastère de la rue Cassette que l’abbé Boudon tint à dire sa première messe, le jour de l’Annonciation, reporté, en 1655, au lundi 5 avril. La cause de béatification de M. Boudon a été introduite à Rome en 1888, mais a été abandonnée depuis (Fondation de Rouen, 1977, p. 352). Un archidiacre d’Évreux au grand siècle, Henri-Marie Boudon, Pierre Coulombeau, 1988.

15. BERNIÈRES (Jourdaine de) (28 février 1596-1670), dite de Sainte-Ursule, sœur cadette de M. de Bernières, fille de Pierre de Bernières, sieur d’Acqueville et de Louvigny, et de Marguerite de lion—Roger, qui fondèrent un monastère d’Ursulines à Caen.Cf. Dom Oury, Marie de l’Incarnation, Ursuline, Correspondance, Solesmes, 1971, P. 949-950.

16. GUILLORÉ François (1615-1684) né au Croisic, il est admis au noviciat des Jésuites le 22 octobre 1638. Il enseigne pendant onze ans, puis se consacre au ministère de la direction des âmes et à la prédication. Ce sont surtout ses œuvres spirituelles qui ont fondé sa réputation. Une édition complète de cinq volumes de ses œuvres spirituelles a été publiée en 1684 par l’auteur. Après avoir gouverné les maisons de Nantes et de Dieppe, il mourut à Paris en pleine activité le 29 juin 1684. D.T.C. fasc. XLVIII, col. 1989.

17. « Abrégé de la vie de la vénérable Mère Charlotte LE SERGENT dite de Saint Jean l’évangéliste, religieuse de l’Abbaye Royale de Montmartre », par Madame de Blémur. Paris, Lambert, 1685 (B.N. Cote 8° L. n° 27. 12 442).

18. BLÉMUR (Marie Jacqueline Bouette de) (1618-1696). Entrée à cinq ans à l’Abbaye de la Trinité de Caen, peu de temps après sa profession, elle fut nommée Prieure. Vers 1678, elle entra au monastère de la rue Cassette.

19. P. de GONDRAN. Supérieur de la maison des Jésuites de Rouen.

20. Marie des Vallées, dite « la bonne âme », visionnaire et mystique, née à Saint-Sauveur-Lendelin (diocèse de Coutances) le 25 septembre 1590, d’une famille de petite noblesse sans fortune. Elle est atteinte de troubles psychologiques profonds qui la font passer pour possédée. Durant ce temps (1615-1618), elle accepte de souffrir des peines extrêmement profondes en réparation des fautes commises par les sorciers.

De 1621 à 1633, durant une période de douze ans elle est étroitement associée aux douleurs de la Passion du Christ. En 1641, elle rencontre saint Jean Eudes dont elle sera le soutien spirituel dans l’œuvre qu’il entreprenait alors.

Elle meurt le 25 février 1656. Les jugements portés sur la « sœur Marie » trop passionnés de son temps, sont aujourd’hui plus favorables et plus nuancés. Catholicisme fasc. 35, col. 665-666.

21. CONDREN (Charles de) Oratorien, Docteur de Sorbonne, né à Vaubrun, près de Soissons, en 1588, mort en 1641. Il fut le deuxième Supérieur Général de l’Oratoire. Il refusa l’archevêché de Reims et de Lyon, même le cardinalat. Ses œuvres ne furent imprimées qu’après sa mort. Il fut tenu en très grande considération par les plus hautes autorités religieuses de son temps.

22. BRAY (Luc de), religieux cordelier, de l’Ordre de saint François d’Assise a été en relations avec Mère Mectilde pendant plus de vingt-cinq ans. Elle l’avait connu par leur ami commun, Jean de Bernières-Louvigny (F.R. p. 354).

23. ACARIE Marguerite, sœur Marguerite du Saint Sacrement (1590-1660), quinzième professe du grand couvent de Paris. Élue prieure du petit couvent de la rue Chapon en 1624. Elle était la seconde fille de Madame Acarie.

ACARIE (Barbe Avrillot, Madame), (1565-1618), introductrice du Carmel en France avec le Cardinal Pierre de Bérulle. Veuve en 1613, elle entre au Carmel. Béatifiée par Pie VI en 1791.

24. PICOTÉ Charles, est le prêtre qui avait fait le vœu, au nom de la Reine Anne d’Autriche, d’établir un monastère de moniales vouées à l’Adoration perpétuelle du très Saint Sacrement en réparation des profanations commises pendant les guerres et pour demander la paix du Royaume. Ce vœu va faciliter la réalisation de notre fondation. Monsieur Picoté, p.s.s. (1597-1679), confesseur de Monsieur Olier, prêtre en 1626.

25. La GUESLE (Marie de), mariée en 1625 au comte René de Vienne de Châteauvieux, décédée au monastère de la rue Cassette le 8 mars 1674. Elle fut, avec son mari, une aide infatigable et généreuse pour Mère Mectilde dans la fondation de notre Institut. Nos archives possèdent un très grand nombre de copies des lettres adressées par Mère Mectilde à la Comtesse. (Cf. Catherine de Bar, Une amitié spirituelle au XVIIème siècle, Rouen, 1989).

De ce mariage naquirent un fils, mort en bas âge et une fille, Françoise-Marie qui épousa en 1649, François II de la Vieuville (cf. op. cit.).

26. D’après le Père Charles Berthelot du CHESNAY (Revue « Notre vie » T. IV n° 28. 1952, pp.103 à 111, note 13), il s’agit du Père Paul LEJEUNE (1591-1664), jésuite, dont on connaît surtout les « Relations » du Canada. Il ne se contentait pas d’envoyer à Mère Mectilde des remèdes curieux, il lui prodiguait surtout des conseils d’ordre spirituel dont elle rendait compte à son directeur Bernières. (Corresp. T.IV, pp. 451-499, manuscrit Tourcoing). Ce bon serviteur de Dieu lui avait été présenté par la Duchesse de Bouillon. Bernières le tenait en haute estime, comme l’attestent les « Œuvres spirituelles » (2° éd. 1677, T. II, pp. 125-127 et p. 363 : « Un apôtre et un saint »).

[27. Le P 101, p. 345 raconte que pendant qu’elle était à l’hospice du « Bon Amy » elle fut persécutée par « un religieux ». « Cette persécution de ce religieux dont il est parlé ici dura plusieurs années, après lesquelles il vint voir la Mère Mectilde du Saint-Sacrement. Aussitôt qu’elle fut avertie qu’on la demandait, elle se leva d’une grande vitesse, avec une joie extraordinaire qui paraissait sur son visage. Une religieuse lui demandant qui elle allait voir “Un des plus grands amis que j’aie au monde, répondit-elle, et si la modestie et les grilles ne m’en empêchaient, je l’embrasserais de tout mon cœur, tant je lui suis obligée, Dieu s’étant servi de lui pour humilier et détruire mon orgueil et mon amour propre”. En disant ces paroles, elle courut au parloir comme si elle eût volé. C’est la religieuse qui était présente qui nous l’a raconté »].

28. Note sur l’Amende Honorable. (E. Glotin, O.S. art. Réparation, T. 13, col. 388). Paris 12 mars 1654 : la paix revenue dans le Royaume et conformément à un vœu formé pendant la rébellion, la régente Anne d’Autriche présida la mise en clôture des premières Bénédictines de l’Adoration Perpétuelle du Saint-Sacrement, fondées par son amie Catherine de Bar (D.S. T. 10, col. 885-888 ; art. Mectilde du Saint-Sacrement). Elle fut invitée, devant l’ostensoir de la rue Férou, à lire, corde au cou et cierge allumé sur la « colonne de réparation », une amende honorable d’une belle facture trinitaire où, au nom de tous ses sujets, elle plaidait coupable pour les profanations eucharistiques commises pendant les troubles. Le pouvoir politique restituait au peuple chrétien, « sublimée » au service du Mystère d’universelle réconciliation (Eph. 2, 16) la « symbolique réparatrice » qu’il lui avait jadis empruntée.

L’Amende Honorable ou « Réparation d’honneur » (opposée à la réparation pécuniaire) introduite en France du XVème au XVIIème siècle, était une peine infligée, avant l’exécution capitale, pour tout délit grave contre Dieu, l’Église, l’Etat, l’ordre public... mais aussi le crime de sang... Le condamné, en chemise, le cierge à la main et la corde au cou, à genoux devant tous, demandait pardon (Cf. Glotin, ibid. col. 370-373). Mère Mectilde l’a adoptée pour signifier la solidarité dans le péché qui lie tous les hommes et donc aussi les moniales à leurs frères du monde, rachetés d’une manière surabondante par la solidarité dans le Christ (Rm. 5, 12-21...).

La Réparation d’honneur faite au Très Saint Sacrement, le Cierge en mains, est une action d’humiliation, nous confessant criminelles, mais elle ne peut être reçue du Père que par Jésus — Christ.

Donc en cette sainte action nous nous unirons très particulièrement à Jésus-Christ Notre Seigneur pour, par lui, réparer la gloire de son Père et la sienne dans son divin Sacrement. Cela fait il faut nous laisser en foi dans cette véritable croyance qu’il réparera en nous et nous rendra dignes, par lui, de le glorifier. I1 faut demeurer simplifiées dans cette union de soi à Jésus (Documents Historiques, Rouen, 19 ? 3, p.123).

29. HAYNEUVE Julien, né à Laval le 3 septembre 1588, entré dans la Compagnie de Jésus le 31 mai 1608. Théologien, disciple du Père Lallemant et son successeur à Rouen en 1631. Il mourut à Paris, le 31 janvier 1663. Catholicisme, Fasc. 19, col. 541.

30. M. QUATORZE, « Pieux solitaire laïc qui vivait inconnu à Paris ». Une note lui est consacrée dans la « Vie de M. Olier » par Faillon, 4° éd. Paris, 18 ? 3, p. 426.

31. ROCHEFORT (Comtesse de) Catherine de la CROIX de CHEVRIÈRES, née en 1614, épouse en 1633 Anne de la Baume de Suze, Comte de Rochefort. Elle est veuve en 1640 avec quatre enfants.

Des procès interminables l’obligent à demeurer à Paris. Installée rue Férou, elle rencontre Mère Mectilde en 1651. Très vite, Madame de Rochefort confie ses désirs de perfection à son amie. À travers les Lettres de Mère Mectilde à la Comtesse nous voyons les dépouillements et la montée d’une âme vers Dieu.

Rappelée en Dauphiné par de graves difficultés familiales en 1661, elle doit briser ses projets de vie religieuse à peine entrevus. Elle meurt sur ses terres de Savoie en 1667 assistée par son fils qui vient d’être sacré archevêque d’Auch.

La Comtesse était donc bien placée pour connaître les circonstances de la fondation de l’Institut ainsi que la pensée de la Mère Mectilde sur son œuvre.

32. LOYSEAU Anne, sœur Anne du Saint Sacrement, issue d’une famille de parlementaires. Née en 1623, elle prit l’habit rue Cassette en octobre 1660 et fit profession le 31 janvier 1662. Cellerière en 1684, sous-prieure en 1689, elle sera élue Prieure trois jours après le décès de Mère Mectilde. Elle mourut un an plus tard, le Vendredi-Saint 1699 (L.I p. 148, n° 1).

33. BÉRULLE (Pierre de), (1575-1629). Fondateur de l’Oratoire de France (1611). Introduit en France les carmélites réformées de Térèse d’Avila. Il fut l’un des plus profonds et plus prestigieux maîtres de « L’École Française » de spiritualité.

Une spiritualité de l’adoration. M. Dupuy, Desclée, 1964, pp. 211 à 221. Formule du vœu de servitude en 1614 version B : « Je révère le dénuement que l’humanité de Jésus a de sa subsistance propre et ordinaire, pour être revêtu d’une subsistance autre... et en l’honneur de cela je renonce à toute puissance, action, droit, propriété et liberté que j’ai de disposer de moi ». p. 218 : l’union à l’humanité du Christ est ce qui conduit à l’anéantissement. p. 221 : le dénuement de subsistance humaine du Christ intéresse particulièrement Bérulle, il peut être le point de départ d’un mouvement qui aboutit à l’adoration.

34. TALON Françoise, (sœur Françoise de la Résurrection) prit

l’habit en janvier 1672 à 28 ans et fit profession en janvier 1673. Elle apporta 6000 livres en présent, ainsi que des « joyaux » pour l’ostensoir, du linge et des étoffes. Sa mère était protestante et son père avait fait plusieurs dons au monastère en demandant des messes et des prières pour la conversion de sa femme. Il obtint cette grâce, mais, quelques années plus tard, devenue veuve, Madame Talon retournera au protestantisme et réclamera au monastère les dons faits par son mari, et, en outre, les intérêts des sommes données. Une partie de cet argent avait été employée pour la fondation de Rouen. On conseilla à Mère Mectilde d’intenter un procès afin de prouver son bon droit. Elle aurait préféré tout rembourser si elle avait eu la somme nécessaire, mais finalement, malgré ses répugnances, elle entama une procédure et l’on reconnut ses droits. Déboutée, la plaignante attaqua de nouveau. Tout cela entraîna de pénibles conséquences dans la vie du monastère, la Sœur de la Résurrection ayant fait cause commune avec sa famille. C’est alors que brilla l’immense charité de Mère Mectilde qui accepta, pendant plusieurs années, les rebuts, les injures, voire les méchancetés de cette Sœur pour sauver son âme aveuglée. C’est une page douloureuse de la vie du monastère de la rue Cassette, mais illuminée par la charité de la Mère et de ses Filles.

35. En 1683, la Prieure du monastère N.D. de Liesse du diocèse de Reims réfugiée à Paris, fait appel à Mère Mectilde pour réformer sa Communauté. Deux religieuses y sont envoyées et la Communauté fait les vœux de l’Institut en août 1686. Mais des difficultés insurmontables et très douloureuses vont rendre la situation intenable et obliger les filles de Mère Mectilde à rentrer dans leur monastère.

36. FÉNELON (François de SALIGNAC de La MOTTE), (1651-1715), attaché à la paroisse de Saint Sulpice, précepteur des ducs de Bourgogne, d’Anjou et de Berry, archevêque de Cambrai. cf. Varillon, Fénelon et le Pur Amour, éd. du Seuil, 1957.

37. Antienne de sainte Agnès :

Ce que j’ai désiré, je le vois enfin,

ce que j’ai espéré, je le possède :

je suis unie dans les cieux à Celui que sur terre

j’ai aimé de toute mon âme.

[Chronologie et index omis]


Origine des recueils de Conférences [M.-V. Andral, ajout]

ORIGINE DES RECUEILS DE CONFERENCES DE MERE MECTILDE SUR L'ANNEE LITURGIQUE. [Mère Marie-Véronique Andral]

[Ce texte dactylographié a servi à la préparation d’un article traduit puis publié en italien comme l’indiquent en tête les annotations manuscrites : « Introduction au 3e livre italien / Mère Marie-Véronique Andral (texte de l’introduction donnée à s. Marie-Bruno par Mère Marie-Véronique) / A USAGE PRIVE (ne pas communiquer avant l’impression de ce livre / Paru (Italien) en 1997 »]


Mère Mectilde a toujours eu grand soin d'instruire ses filles sur les mystères et les fêtes de l'année liturgique. Déjà en 1647 lorsqu'elle fut nommée Prieure au monastère du Bon Secours de Caen, nous pouvons relever ce témoignage d'une de ses religieuses :

"Nous nous assemblions à ses pieds pendant les récréations où elle nous parlait de Dieu... Elle prenait du temps avant la sainte messe pour faire une conférence sur la fête ou sur l’Evangile. L’explication de la Règle suivait celle de l’Evangile… Toutes les veilles de fêtes elle doublait la conférence et n'en laissait passer aucune sans instruire à fond du mystère qu'on y devait célébrer... On ne se lassait jamais de 1 'écouter".(P101 p.278)

Donc, dès avant notre fondation en 1653, on apprécie les conférences de Mère Mectilde. Mais bientôt ce sera elle-même qui les communiquera1à ses filles absentes. Nous en avons un exemple dans la lettre à Mère Saint François de Paule du 23 Juin 1666 :

"J'écrirai à la Mère N. pour la prier de vous prêter quelques petites choses qu'elle a recueillies sur quelques évangiles de l'année. Peut-être que cela pourra vous servir et aider à donner un peu d'intelligence pour les autres. J'aurai un singulier plaisir d'instruire votre âme, ce sera toujours le plus souvent que je pourrai".(3074)

Une autre lettre, sans date, à une demoiselle, nous apprend que le livre du(baptême, qui deviendra le Bréviaire de la Comtesse de Châteauvieux, commence à circuler :

"Voilà de petites pensées que l'on vous a promis sur le baptême. Je vous supplie d'agréer la simplicité avec laquelle elles sont exprimées. C'est le langage et la méthode que nous tenons entre nous... Je ne puis assez regretter le tort que l'on fait aux âmes de ne leur point faire connaître ce qu'elles sont et ce qu'elles doivent être par Jésus Christ".(181),

Enfin elle écrit à une Carmélite, à propos du "Véritable Esprit", le 5 Février 1683 :

"La chère Mère de Jésus m'a témoigné que vous désiriez un petit livret qui contient plusieurs petites simplicités utiles à nos novices postulantes pour leur faire un peu entendre l'esprit de notre saint Institut... La chère Mère de Jésus vous enverra quelque livret pour contenter votre piété, ou plutôt votre humilité. Elle les a fait imprimer à mon insu, j'en ai été très mortifiée et pour réparer cela, j'ai défendu de le produire à qui que ce soit hors de nos Maisons. Je ne vous exclue pas du nombre..."(140)

D'après ces trois indications, nous, pouvons deviner l'origine de tant de recueils manuscrits, écrits du vivant de la Mère, et contenant des conférences "recueillies par la Mère N.", le livre du baptême, si souvent recopié et dont nous avons encore de nom­breux exemplaires. Et nous avons la certitude que la "chère Mère de Jésus" n'est pas étrangère à la publication du "Véritable Esprit". Nous pouvons comparer son travail de rédaction avec les textes plus archaïques que nous ont conservé les manuscrits, ce qui nous permet d'en apprécier la valeur.

LE TRAVAIL DE LA MERE N.

Est-ce elle qui a falt le recueil en le recopiant ou, plus probablement, a-t-elle recueilli au vol les conférences faites par Mère Mectilde ? La critique interne du texte peut nous aider à voir plus clair.

Que des textes aient été "sténographiés", relevés presque mot à mot, c'est possible, vu la mémoire dont étaient douées certaines Soeurs en ce temps-là, vu aussi le texte lui-même quand il relève du langage parlé et que l'on trouve soudain, en cours de texte, des phrases comme celles-ci :

" Ma,Soeur, dites-moi, qu'est-ce que cette fête ?

- C'est la naissance du Fils de Dieu".(1591)

ou :

"Ayant fini par ces paroles son entretien..."(175)

ou :

"Elle interrogea une religieuse lui disant : -Ma Soeur, répondez-moi, qui est celui qui vient ? - elle lui dit :Ma Mère, c'est le Fils de Dieu. - Et pourquoi, lui répartit-elle, vient-il ? -la religieuse : pour nous racheter...etc (503)

DIFFERENCES ENTRE LES CONFERENCES.

On peut aussi relever une certaine différence entre les conférences datées des années 60-70 et celles de 80-90. Les premières sont souvent plus courtes, avec un plan plus précis (qui s'étend parfois d'une année à l'autre)

Par exemple pour la Toussaint, Mère Mectilde dit en 1663 :

"La fête de tous les Saints est la fête de la sainteté de Dieu, c'est ce que je vous fis voir il y a deux ans".

C'est la première conférence (2853)

La deuxième est datée de 1662, c'est le chapitre "Des trois demeures de Dieu"(2029) du Véritable Esprit. En 1663 elle poursuit :

"l'année passée je vous dis qu'il y avait trois maisons du Seigneur", elle ajoute "et aujourd'hui je vous ferai voir...que Jésus est cette demeure de Dieu".

C'est la troisième conférence (2084)

Toute la sainteté des saints est une participation à la sainteté de Jésus Christ ; d'abord la sainteté de Marie reine de tous les saints. Et suit le commentaire de "Soyez saints parce que je suis saint" (2807) Tout cet enchaînement ne paraît pas fortuit.

Certaines conférences paraissent rédigées et se trouvent mot à mot dans des lettres écrites à la même époque. On peut comparer par exemple la lettre du mardi de Pâques 1665 à Mère Bernardine (L.I. p.232) et la conférence datée du même jour (325) Il semblerait même que la lettre ait été transformée en conférence

On peut relever en ce sens quelques omissions ou variantes :

"(Je ne puis mieux commencer ma lettre que par les sacrées paroles de Jésus) :Pax vobis… .etc". "Oh que cette paix est précieuse (ma toute chère), je vous la désire...". La conférence porte : « désirons- la ", et tous les "vous" deviennent "nous". Plus loin : "C’est ce que je vous souhaite (ma toute chère Mère)". "Priez" devient "prions" etc. Le premier paragraphe de la conférence est absent de la lettre, il semblerait le fruit d’une expérience personnelle mis là pour étoffer la lettre un peu courte, et portant sur le même sujet, ce qui n’enlève rien à l’authenticité de l’ensemble.

Les conférences de la fin de sa vie n’ont certainement pas été rédigées à l’avance, du témoignage même de la Mère qui parle de l’a­bondance du cœur, se répète et n’en finit plus, mais avec une onction qui tenait son auditoire dans le ravissement. Une de ses secré­taires avoue même que ses termes étaient si sublimes qu’elle n’a pu les retenir tous (2120). On peut voir fonctionner cette manière de relever les paroles et entretiens de la Mère dans les dernières années de sa vie, au cours des récréations où elle leur parlait de Dieu et du mystère du jour. Tout était relevé par une ou plusieurs soeurs qui ensuite confrontaient leurs cahiers. Nous en avons un exemple au début de la conférence pour la fête de la Présentation (2467) :

"Ensuite elle parla à une partie de la communauté qui était présente ; j’en ai déjà écrit quelque chose en un autre endroit. Je rajouterai seulement ici ce qu’une autre a encore retenu, nous avons réuni le tout ensmble".

FIDELITE DES COPISTES

La Mère Monique des Anges de Beauvais, très fidèle copiste de Mère Mectilde, a relevé une longue liste de textes sur la charité, la présence de Dieu, Jésus Christ, la communlon, le pur amour, la divine volonté, et elle ajoute :

"Toutes ces diversités ont été tirées des entretiens familiers de notre Révérende Mère, dans les temps des récréations, et quoique je les aie mises par chapitres, ceux qui prendront là peine de les lire verront bien qu'ils ne sont point suivis, quoique les articles traitent du même sujet, et que ce sont choses qui ont été dites en divers temps". Voilà un beau réflexe d'honnêteté.

Mère Monique est aussi la seule à signaler les passages du "Bréviaire de la Comtesse de Châteauvieux" qui ont été tirés de St Jean Eudes, et elle précise qu'elle n'a pu "obmestre descrire" l'acte de renouvellement des voeux du baptême (de st Jean Eudes) parce que Mère Mectilde en fait le commentaire.

Tout cela nous montre que les Filles de Mère Mectilde ont tra­vaillé avec une scrupuleuse honnêteté et que la Mère ne s'est pas sentie trahie puisque dès 1666 elle répand ces recueils dans les autres maisons et qu'elle en envoie à ses amies. On pourrait même avancer qu'elle exerçait un certain contrôle sur le travail de ses rédactrices. Certaines pièces portent un "Vu et approuvé" de sa main avec sa signature. D'autres, très recopiés, existent en "ver­sion primitive" et "version officielle". Par exemple les "Pensées sur l'Institut". On ne peut affirmer qui a fait ces corrections, mais elles ont été connues et approuvées par la Mère. D'ailleurs il est typique de remarquer que Mère Mectilde ne cesse de retou­cher ses textes, en particulier les Constitutions, le Règlement des Offices, qui fut peut-être terminé après sa mort. La multitude des copies (en dépit de tout ce qui a été perdu) nous montre le succès de cet enseignement.

LES ANNEES LITURGIQUES

Parmi ces copies nous trouvons de véritables "Années Liturgiques" visiblement composées d'un choix de conférences ou autres écrits se rapportant au temps ou à la fête. Cela commence généralement au saint temps de l'Avent (parfois le 1er janvier) temporal et sanctoral mêlés, suivant le bréviaire monastique et quelques fêtes propres à notre Institut. Et pour finir, le commentaire d'évangiles de certains dimanches de l'année. On trouve aussi des conférences dispersées parmi d'autres écrits, L'ensemble de ces conférences a été dactylographié par le monastère de Bayeux, selon les meilleures versions. C'est sur cette base que nous avons travaillé.

II L'EXPERIENCE DE MERE MECTILDE.

Dans ces conférences Mère Mectilde cite abondamment la sainte Ecriture, comme l’a si bien remarqué sœur G. [illis.], sans séparer pour cela l’Eucharistie de l'office du jour ; elle commente autant l'évangile que telle ou telle antienne ou répons. Elle ne semble pas non plus séparer sa vie d'oraison de sa vie liturgique. Elle ignore les problèmes surgis de notre temps entre une piété dite subjective et une piété dite objective... une spiritualité de type carmélitain et une de type monastique ou bénédictin. Le mot "con­templationo, quoique peu fréquent, ne porte pour elle aucune ambi­guité,. Sa parenté avec St Jean de la Croix ne la détourne pas de sa contemplation "bénédictine" du mystère du Christ et de l'Eglise. Bien sûr, elle est tributaire de son temps, et l'Ecole Française aurait beaucoup à nous dire sur ce point. Il suffit de consulter quelques livres de l’introduction à Bérulle ou Olier, sans oublier St Jean Eudes. Au fond, Mère Mectilde ne cherche pas de "théories", elle s'instruit et elle vit, à la lumière de l'Esprit Saint, ce que lui donne "la sainte Eglise" : le missel, le bréviaire, les Pères, les docteurs, les saints, les spirituels de son temps, la tradition vivante où elle baigne. Un lien étroit fait un seul tout de la messe, de l'office, de l'adoration, de l'oraison, de la vie quotidienne, et le but est toujours le même : "devenir des Jésus Christ".

Son expérience personnelle, très riche et très profonde, lui porte un surcroît de lumières qui n'est pas à négliger. Donnons seule­ment un exemple où cette expérience affleure discrètement à la fin d'une conférence sur l'Avent :

"La sainte Mère de Dieu s'anéantit dans les âmes qui lui ont de la dévotion, pour les donner toutes à son Fils. Elle souffre que l'on l'aime, que l'on lui rende des hommages : cela lui plaît. Vous voyez des âmes si ardentes pour la Mère de Dieu qu'il semble qu'el­les n'aient d'amour que pour elle. Mais savez-vous bien ce qu'elle fait, cette sainte Mère, possédant ainsi une âme ? Elle y fait en­trer son Fils, et lorsqu'elle l'a unie à lui, elle s'anéantit, se retire et ne paraît plus, Non qu'elle ne prenne toujours soin de cette âme, mais elle a fait par son pouvoir qu'elle l'a toute con­vertie à son Fils. " (1431)

Voyons maintenant l'expérience source de ce texte :

« Ecrit de la propre main de notre vénérable Mère Institutrice, par­lant d'elle-même en tierce personne. A lagloire et louange de l'auguste et toute immaculée Mère de Dieu.

"Une personne ayant confiance en la très sainte Mère de Dieu [au] commencement de sa vie religieuse, elle la supplia de lui apprendre à prier et à méditer sur les sacrés Mystères de Notre Seigneur. Elle con­tinuait de s'appliquer à elle et d'y avoir toujours recours, y fondant toutes ses espérances et en quelque façon s'appliquant plue à elle-même qu'à Dieu même.

« Un jour, étant à l'oraison le matin à l'ordinaire, cette personne s'adressant à cette aimable Mère de bonté, comme elle avait coutûme de faire, et voulant s'occuper intérieurement, cette auguste Mère d'amour sembla disparaître, ce qui surprit beaucoup cette personne, et la vou­lant toujours voir et l'avoir pour objet, elle lui présenta Notre Sei­gneur Jésus Christ et se tint comme debout derrière son divin Fils ; et comme cette personne ne comprenait pas pourquoi cette souveraine de son coeur en usait de la sorte, elle lui fit entendre qu'elle était cachée en son Fils, et qu'il était de son pouvoir et de sa bénignité de l’introduire dans les âmes et de le faire connaître, mais qu'en le produisant de la sorte, elle était encore plus intime à l'âme, et qu'elle devait apprendre que cette grâce était le fruit des petites dévotions et pratiques qu'elle avait faites en son honneur, et l'effet de sa confiance ; et lui ayant fait comprendre l'utilité de cette confiance filiale que nous devons aroir en sa bonté, cette âme fut éclairée des vérités suivantes : cette auguste Mère de bonté étant divinement abîmée en Dieu, tout ce qui est fait en son honneur retourne dans cette adorable source ... la très Sainte Mère de Dieu, n'ayant point de vue en elle-même, ne peut retenir aucune créature pour elle, c'est pourquoi de nécessité elle les réabîme toutes en Jésus Christ" (2876) It. p.21-22.

La veille des Rois 1678, la Mère Monique des Anges écrit dans son histoire de la fondation du monastère de Rouen :

"Elle parût dans une gaîté extraordinaire, comme si elle eût été hors d'elle. Le matin elle nous fit une conférence admirable sur le mystère de l'Epiphanie. Tout le reste du jour, il semblait â la voir, qu'elle ne se possédait pas. Toutes celles qui venaient à sa rencontre, elle leur disait : "Nous avons vu son étoile et nous sommes venues l'adorer".

Le 21 novembre 1696 à la récréation elle leur dit :

"Il faut que je tous fasse part d'une petite jouissance que j'ai eue ce matin et qui n'a duré que depuis le moment de la commu­nion Jusqu'à ce que je fusse arrivée à notre place. Heureusement qu'une de nos soeurs m'aidait car autrement je crois que j'aurais eu de la peine à y retourner. Ce n'est qu'une idée ou une imagination que j'ai eu sur ]a fête de ce Jour."

-- Ma Mère, dit une religieuse, quoique cela n'ait guère duré, vous avez probablement vu bien des choses.

-- Oui, il ne faut pas grand temps pour cela. Ce que je vais vous dire est en manière de récréation. Autant nous divertir à cela qu'à autre chose.

« La joie n'est pas un sentiment qui me soit ordinaire. Mais malgré cela, je n'ai pas laissé que d'en avoir une très sensible au sujet de la présentation de la Très Sainte Mère de Dieu au Temple : il me semblait voir la très Sainte Trinité pour ainsi dire dans l’admiratlon (si j'ose me servir de ce terme qui n'est pas propre) et comme transportée à la vue de cette petite colombe si belle et si parfaite, car jusqu'alors il ne s'était rien vu sur la terre qui en approchât. La sainte Humanité du Verbe n'étant pas encore formée, le Père éternel n'avait encore rien vu hors de lui- même de si beau, de si parfait que cette petite créature ; il en fut charmé (selon notre façon de comprendre et de parler, car je sais que ce terme, ainsi que le transport et l'admiration marque une surprise dont Dieu ne peut être capable). Il me semblait donc voir la Très Sainte Trinité tout appliquée à considérer cette incomparable Vierge et y prenant un plaisir infini. On peut lui appliquer à juste titre ces paroles de la Genèse : "Dieu ayant considéré ses oeuvres vit qu'elles étaient bonnes". C'est ici le chef d’oeu­vre de ses mains, c'est pourquoi il ne îa trouve pas seulement bonne mais très parfaite; très excellente et très digne de lui(...) le plus grand plaisir que Dieu a eu dans cette pure et innocente cré­ature a été de se retrouver en elle. Il s'y est vu comme dans un miroir, et la joie qu'il en a eue a été si grande que, quoiqu’elle soit son ouvrage, il la regarde aujourd'hui avec autant de complaisance que s'il ne l'avait jamais vue. Toute la Sainte Trinité s'est écoulée en elle avec une telle plénitude de grâce qu’il fal­lait une capacité telle que celle que Dieu lui avait donnée pour les contenir toutes. Le Père la regarda et l'aima comme sa fille, le Fils ...la regarda comme celle qui devalt être sa Mère, le Saint Esprit la regarda comme son épouse, et en ces trois qualités elle fut comblée par les trois Personnes divines. La joie de Dieu a fait ma joie en cette rencontre". (2120)

III L’ ENSEIGNEMENT DES CONFERENCES

Mère Mectilde nous rappelle d’abord que notre vie chrétienne s’enracine dans le Mystère Pascal de Jésus où nous plonge notre baptême, et que l’Eucharistie fait grandir en nous chaque jour.

Après l’Eucharistie, et ne faisant qu'un avec elle, le grand moyen qui nous est offert pour entrer dans la Pâque du Christ et parti­ciper à tous ses Mystères c'est la célébration de l'année liturgi­que vécue par l'Eglise toute entière, et singulièrement dans la vie monastique où elle a une telle place. Voici donc la première affirmation de Mère Mectilde :

L'EGLISE CONTINUE SUR TERRE LA VIE DE JESUS CHRIST

La vie de tous les chrétiens est une suite de sa vie.

"Un Père dit que tous les chrétiens jusqu’à la fin du monde font une suite des années de Jésus Christ. C'est pour cela qu'il s'est fait pain, voulant être une nourriture, afin qu'étant inti­mement uni à nous par la communion, nous devenions tout lui-même". (1240)

Or, les mystères de Jésus Christ sont passés en tant qu'évênements historiques, mais l'Eglise nous les représente chaque année pour nous les faire célébrer, contempler, adorer et surtout pour nous y faire participer. Voici ce qu'elle dit à propos de Noël. :

"Jésus naît dans les chrétiens au moment qu'ils sont baptisés, mais comme très peu conservent cette grâce qui est d'un prix infini, sa charité l'oblige à venir derechef et à se manifester dans les âmes" (2641)

"Il est donc venu et il vient encore incessamment, c'est ce que nous disons dans un répons de l'Office : "Veniens, veniet…». C'est de quoi il le faut prier sans cesse : "Venl, Domine.(2641 )

Cette venue est permanente :

"Préparons-nous pour avoir part à la grâce du mystère que l'Eglise nous propose. Le mystère est passé, je l'avoue, et il ne s'est fait qu'une fois ; mais la grâce n'en est point passée pour les âmes qui s'y préparent à faire naître Jésus Christ dans leur coeur. Il est né une fois en Bethléem, et il naît tous les jours par la communion qui est une extension de l'Incarna­tion, ainsi que disent les Pères".(2573)

La naissance de Jésus dans la chair n'a eu lieu qu'une fois, en un temps donné, en un lieu précis. Son retour n'aura pas lieu "ici ou là" mais à la fin des temps ; on pourrait dire : il mettra fin au temps. Entre les deux il y a la "venue" mystérieuse et sacramentelle de Jésus présent dans l'Eglise jusqu'à la fin du monde, au plus profond de notre être chrétien, grâce à l'Eucharistie.

"Notre Seigneur s'incarne pour ainsi dire de nouveau en tous ceux qui le reçoivent afin que nous le conservions et manifestions par nos bonnes oeuvres, et que nous exprimions ses vertus dans le cours de notre vie. Il y a des mystères infinis dans la sainte communion ; car, mes soeurs, quand vous possédez Jésus-Christ dans votre poitrine, Jésus Christ vous possède, et vous ne le changez pas en vous, mais il vous change en Lui, et vous présentant ainsi à son Père revêtues de lui-même, nous ne pouvons que lui être fort agréables". (1591)

Pour recevoir ce don infini, que nous est-il demandé ? désirer sa venue :

"Voici le temps des désirs. L'Eglise en est toute remplie et elle le manifeste par les saints Offices. Unissons-nous à elle et crions avec les justes : "Rorate..." (3021)

"Demandons incessamment la venue et la demeure de Jésus dans nos âmes, non pas comme il est né en Bethléem, n'y étant que pour un temps, mais c'est son dessein de demeurer pour toujours, jusqu'à la consommation des siècles, en nous qui sommes ses temples".(2573)

C'EST PAR LA FOI QU'ON ENTRE DANS LE MYSTERE

Mère Mectilde insiste beaucoup sur la foi : "Pour pénétrer dans la grâce du mystère, il faut se l'approprier par la foi" qui nous fait aller au-delà de toute intelligence humaine :

"Tous les mystères renferment en soi des choses si prodigieuses et si incompréhensibles à l'esprit humain que tout ce que l'on peut trouver dans les livres et tout ce que l'on en peut dire n'est rien moins que ce qui en est ; que la raison humaine se taise, elle n'en n'est pas capable. La foi seule peut nous le faire comprendre"(503)

Ici Mère Mectilde fait discrètement allusion à une foi éclairée par un don de contemplation qu'elle nomme une lumière "mestoyenne" entre la foi ordinaire et la vision béatifique : le don d'intelligence, ajoute-t-elle. Ceci est le fruit d’une expérience personnelle.

Ce n'est $as une foi spéculative, mais une foi agissante qui nous pousse à l'imitation :

"Mon Dieu, que nous avons peu de foi l Quand est-ce qu'elle nous animera et qu'éclairées de ses lumlères, nous agirons selon l'es­prit et la grâce des mystères ! Car, mes Soeurs, il ne suffit pas de les adorer et admirer, mais il faut y entrer par imitation en nous conformant aux vertus que Jésus Christ y pratique. Nous devons en­trer en conformité d'état avec Notre Seigneur...Voilà ce qui nous fera glorifier Notre Seigneur de nous conformer à lui dans ses souf­frances, d'avoir part à ses états. C'est le fruit que nous devons rapporter de ce mystère... Les mystères n'opèrent rien dans les âmes quand nous n'entrons pas en l'imitation de ce qu'ils représentent" (2484).

ON NE PEUT MIEUX ENTRER DANS LES MYSTERES QUE PAR CONFORMITE (191)

et voilà le plus important. Mère Mectilde s'en explique :

"Les mystères nous sont représentés par notre Mère la sainte Eglise pour nous y conformer par état autant que nous le pouvons. Méditez et examinez sérieusement les circonstances qui s'y rencon­trent pour entrer en communication de pratique, comme chrétiennes et membres de Jésus Christ votre chef ; et jamais nous ne serons unies à lui si nous ne faisons les mêmes choses que lui". (2573)

C'est le seul moyen pour en recueillir les fruits :

"Je ne fefai point la description du sacré mystère, mais seulement je dirai les fruits que nous devons en tirer. Il ne faut jamais que les mystères soient inutiles en nous, et après les avoir connus et adorés, il nous y faut lier et entrer en l'esprit et en la grâce du mystère". (2113)

"Tous les mystères de la vie de Jésus opèrent dans les âmes divers effets, et je prends plaisir quelquefois de voir les divers sentiments qu'un même mystère opère dans les âmes".(476)

LA VIERGE MARIE

Dans l'écrit déjà cité à la louange de la Mère de Dieu, Mère Mectilde ajoutait :

"Il est certain qu'elle ouvre l'intelligence et fait comprendre des choses ineffables sur les sacrés mystères" (2876)

Elle a dit ailleurs :

"C'est d'elle que j'ai appris tout ce que je sais"(2896) It.p.13(F) p.37(l).

Marie nous communiquera les dispositions de son propre Coeur pour y par­ticiper :

"Goûtez la suavité d'un Dieu anéanti dans le sein virgi­nal de sa bénite Mère, Attachez-vous à ses pieds et ne les quittez pas. Entrez dans les dispositions de son très saint Coeur… Entretenez-vous avec cette auguste Mère et la suppliez qu'elle vous fasse entrer dans les dispositions que vous devez avoir pour participer aux grâces que le renouvellement des divins mystères doit opérer en votre âme". (1580) L.I.pp.20-21.

TOUS LES MYSTERES DANS LE MYSTERE. L'EUCHARISTIE.

C'est avec prédilection que Mère Mectilde contemple tous les mystères dans le Mystère : "Tous les mystères de Jésus Christ sont renfermés dans le Très Saint Sacrement. Toujours ils s'y renouvellent" (2484)

"Nous ne devrions jamais nous départir du saint ciboire, ou plutôt du Coeur de Jésus Hostie. C'est là que nous recevons la grâce de tous les mystères, puisqu’ils s'y rencontrent tous dans le Très Saint Sacrement...Cet auguste Sacrement est tout ce que la sainte Eglise a de plus divin. O divin Jésus, venez vous-même nous instruire des vérités de vos adorables mystères, ou plutôt restez où vous êtes et attirez nos coeurs à vous !"(476)

Elle dira encore à propos de l'Epiphanie :

"Cette fête ... nous convient plus particulièrement qu'à aucune autre, selon l'esprit de notre sainte vocation qui nous destine à adorer comme eux le même Jésus Christ dans l'auguste Sacrement de l'autel qui renferme tous les autres mystères de sa vie. C'est pourquoi vous pouvez l'y fdorer comme enfant et dans la crèche avec les saints Rois"(2338).

Et pour l'ascension :

"Dieu renouvelle ses grâces et se misé­ricordes dans les grandes fêtes. C'est pourquoi, quoique les mystè­res ne s'opèrent plus, et que Notre Seigneur, par exemple, étant toujours dans sa gloire, n'y entre pas demain, il ne laisse pas de renouveler et opérer en nos âmes, dans la sainte communion, les effets et la grâce du mystère. Il viendra donc demain en vous, par cette précieuse communion, pour vous tirer en lui et vous unir à lui, faisant la même demande pour nous qu'il fit autrefois pour ses apôtres (Qu'ils soient un) Tout ce que vous devez désirer en ce monde est qu'elle ait son effet en vous"(3157)

Les mystères de Jésus Christ demeurent tous perpétuellement présents dans l'Eucharistie. Le "Mystère", au sens de Saint Paul est tout entier présent dans chaque mystère, et chacun des mystères est inclu dans le Mystère où nous fait entrer l'Eucharistie.

"Puisque nous ne pouvons comprendre ses divins mystères, adorons-les et nous anéantissons. Laissons-nous confondre et abîmer dans ses saints mystères. Il est bien meilleur pour nous d'en être remplies et d’en porter la grâce que de les comprendre. Abandonnons-nous pour cela à l'Esprit de Jésus. L'on ne connaît point Jésus Christ à moins de ruminer et de se nourrir de ses sacrés mystères, de ses "états" et de ses vertus. Les apôtres ne le connurent après sa résurrection qu’à la fraction du pain, et il se donne â nous à la sainte communion sous la figure du pain”(2690).

LE CORPS MYSTIQUE. L'EGLISE.

Mère Mectilde ne s'arrête pas à ce qui ressemblerait à un intimisme un peu individualiste et sentimental. Sa vue est ecclésiale. Tous les membres de Jésus Christ concourent au développement de son Corps mystique dans l'unité et la diversité de la même vocation.

C'est ce qu'elle veut dire en assurant que chaque âme honore un « état » ou mystère de Jésus, c'est toujours en vue du corps tout entier :

"Jésus Christ est le chef de l'Eglise, elle en est le corps et tous les fidèles doivent avoir rapport à leur chef, ils en doivent être animés et en tirer leurs influences et leurs mouvements. Si bien, mes soeurs, que Jésus Christ étant notre chef adorable, nous devons être animées de lui, n'agir et n'opérer que par sa grâce et sa lumière, et surtout avoir rapport à lui. Comment cela ? En portant ses états par pratique et conformité de vie. Chaque âme en honore quelqu'un...Voilà ce qui fait la perfection et l'achèvement du corps mystique de l'Eglise avec Jésus Christ son chef, par la liaison et l'union des membres avec lui”. (2484)

Comme nous l'avons vu, tout s'ordonne autour du Mystère Pascal de Jésus célébré et participé afin de "devenir des Jésus Christ". Relevons encore un texte qui résume bien cet enseignement :

« Voilà de grands mystères qui viennent de se passer et dont nous devons être encore toutes remplies : l'institution du Très Saint Sacrement, la mort et la résurrection de Notre Seigneur, Joignons-y l'Incarnation (25 mars).

« Voyons si nous avons participé à ces grands mystères. Si nous sommes mortes avec Jésus Christ, nous ressusciterons avec lui. Il n'y a pas de mystère qui ne porte ses grâ­ces, mais tout cela est renfermé dans l'auguste Sacrement de l'autel et toutes les fois que nous communions, Jésus vient en nous les re­nouveler et nous donner part à sa glorieuse résurrection ; car les mystères de Notre Seigneur ne nous sont donnés que pour participer à leur grâce et pour opérer en nous l'effet et les grâces qu'ils renferment et nous faire mener une vie conforme à celle de Notre Seigneur (2949)



Entretiens familiers [Sœur Castel]

MERE MECHTILDE DU SAINT SACREMENT Catherine de Bar



Cum permissu superiorum

1984 – Monastère des Bénédictines BAYEUX


[5]

AVANT-PROPOS


Entretiens familiers ? De quoi s’agit-il ?

D’un enseignement plus libre, agrémenté d’humour ou de propos plaisants, donné à la Communauté de la rue Cassette au cours de récréations, ou à quelques Sœurs restées auprès de leur Mère après une lecture du matin, ou encore à une de ses filles qui, pour le mieux retenir et en faire profiter d’autres, l’a consigné par écrit.

Il nous a semblé que ces textes pieusement recueillis par les premières moniales de l’Institut étaient toujours chargés d’une vie qu’il ne fallait pas laisser perdre. De plus, ils devaient nous faire pénétrer davantage dans l’intimité de notre Mère alors qu’elle achevait dans la souffrance une vie pleine d’expérience.

Sans doute y eut-il de tout temps des entretiens familiers dans la Communauté de la rue Cassette. Mais ceux qui nous ont été conservés intéressent une époque bien déterminée, les années où les filles de notre Mère Mechtilde ont commencé à craindre de la perdre. À l’exception du billet de 1685 mis en tête de ce recueil, c’est un peu en « novissima verba » que ses paroles ont été recueillies. Des textes dispersés entre 1687 et 1692. Puis très suivis, parfois jour par jour en 1694 et 1695, pendant la convalescence de graves maladies, puis à nouveau plus isolés en 1696 et 1697.

Avant de poser les yeux de notre cœur sur cet enseignement de notre Mère, peut-être convient-il de faire quelques remarques. Elles seront des points de lumière sur un style de vie et de langage qui n’est plus celui de notre XXème siècle finissant.

1. Les grandes maladies de notre Mère Mechtilde — elles ont jalonné toute sa vie — semblent avoir été voulues par le Seigneur pour lui révéler quelque chose de sa lumière, et aussi ses exigences. Dans l’abandon de ses retours à la vie, n’était-il pas normal qu’elle confie son expérience à quelques-unes de ses filles qu’elle savait capables de comprendre ? Si nous, qui lisons à trois siècles de distance, nous ne comprenons pas toujours, c’est que Dieu nous conduit par un autre chemin. Est-il meilleur ? Quoi qu’il en soit de notre adhésion personnelle, il reste à s’incliner devant une vie si pleine de souffrance, d’abnégation, de mépris de sa propre valeur, et toute donnée à l’amour et à l’adoration.

2. Le XVIIème siècle, c’est le Grand siècle. Tout y était grand y compris le style et la façon de converser, aussi bien que les exposés théologiques et les échanges spirituels. L’hyperbole y était d’usage courant. Alors avant d’aborder les textes de ce temps, il nous faut tout simplement savoir dépasser l’hyperbole. La lecture de la Bible nous a appris à le faire, spécialement celle des psaumes dans notre prière quotidienne.

3. Des mots se sont perdus ou ont changé de sens. À nous de les lire avec le sens qu’ils avaient à la fin du XVIIème siècle. Pour y aider nous avons demandé au dictionnaire de Furetière (1619-1688), un vrai contemporain de notre Mère Mechtilde, de nous donner une définition des termes un peu surprenants. Nous ferons donc précéder certains textes d’un bref lexique qui précisera la portée d’un mot. Dans d’autres cas quelques lignes pourront éclairer une situation, attirer l’attention sur une personne ou un point d’enseignement.

Pourquoi avoir choisi de mettre ces explications en tête du texte plutôt qu’en notes ? Parce que, pensons-nous, mieux renseigné, on s’intéressera davantage à la lecture, et prévenu de l’embûche, on la dominera plus facilement.

§

De l’ensemble des textes groupés dans divers manuscrits sous le titre d’Entretiens familiers, nous avons éliminé pour cette publication ceux à qui manquait cette marque de familiarité. Ils seraient plutôt à classer parmi les conférences ou chapitres. Nous avons de même abrégé certains textes qui, après avoir commencé en « entretien », se faisaient trop spirituels. Quant aux fragments déjà publiés dans les livres précédents, nous les avons écartés s’ils pouvaient l’être sans dommage, mais maintenus s’ils étaient nécessaires à l’enchaînement de la pensée.

Nous avons gardé quelques récits d’entretiens privés avec une Sœur. C’est dans le cas où l’on percevait nettement que cette Sœur avait l’intention de partager avec d’autres.

§

Cette réflexion nous amène à nous demander à qui nous devons d’avoir accès à ce trésor de famille. Nous ne pouvons avoir aucune certitude, vu le caractère toujours impersonnel des manuscrits. Mais il nous paraît fort vraisemblable que Mère Monique des Anges, la narratrice de l’histoire de la fondation de Rouen, soit l’une de ces fidèles copistes. Peut-être n’a-t-elle pas recueilli elle-même tous ces propos, mais elle les a consignés et nous lui avons emprunté bon nombre de textes de ce recueil.

Monique de Beauvais, celle que notre Mère Mechtilde appelait « mon petit Ange », était entrée rue Cassette en 1667. Elle y fut maîtresse des novices avant d’être l’une des fondatrices de la maison de Rouen. Elle fut élue Prieure rue Cassette en 1713 et mourut en 1723. On lui doit plusieurs excellents manuscrits et nous pensons pouvoir faire confiance à sa « conscience professionnelle », vu la phrase inscrite à la page 6 du N. 254 : « J’avertis que toutes les lettres qui sont dans ce livre ont été tirées sur les originaux de Notre Mère ».

Nous pensons aussi être dans la vérité en reconnaissant dans une autre narratrice

9

Mère Marie-Bénédicte du Saint-Sacrement (De Béon de Lamezan) qui fut la secrétaire particulière de notre Mère Mechtilde dans les dernières années de sa vie. Que savons-nous d’elle ? Bien peu de choses. Elle fit profession rue Cassette en 1683, fut Prieure du 2 juillet 1699 au 2 juillet 1705. Puis elle fut envoyée au monastère de Rouen où elle vivait encore en 1711. Comme secrétaire de notre Mère Mechtilde elle ne la quittait guère. Elle était habituée à saisir sa pensée, à la transcrire fidèlement et à l’écrire rapidement. Aussi pouvons-nous la deviner sous certaines expressions rencontrées au cours des dialogues rapportés.

Il est évidemment bien dommage que nous ne puissions identifier ces moniales qui conversent avec leur Mère, la poussant parfois dans ses retranchements, et « plaidant le faux pour savoir le vrai ».

Que l’Esprit Saint qui inspira l’enseignement de la Mère ouvre tout au long des siècles le cœur de toutes ses filles à le recevoir comme un don de Dieu.

§

Ainsi qu’il est dit au dernier chapitre de la Règle, les quelques explications données ici ou en tête des textes ne sont qu’une « faible ébauche ». Les introductions et les notes des volumes publiés par le monastère de Rouen et l’abbé Daoust renseigneront plus amplement sur les personnes et la spiritualité évoquées dans ce recueil.

10

MANUSCRITS UTILISES

N 254 et N 261 : Saint-Nicolas-du-Port

Cr C : Craon

sont de l’écriture de Mère Monique des Anges.


P 123 : Paris

B 532 : Bayeux

ils sont identiques sauf quelques détails (ainsi que Limon D). Copies du XIXème siècle ou début du XXème dont certains textes ne se trouvent dans aucun manuscrit ancien, sans doute perdu ou passé en d’autres mains. Car on reconnaît à ces copies un véritable cachet d’authenticité.

C 404 : Caen

D 12 et D 55 : Dumfries


T 16 : Tourcoing

copie moderne de C 411 disparu.


Les références sont indiquées à la fin de chaque texte avec leur numéro d’ordre dans le catalogue général.

ENTRETIENS

Billet 1685


D’après les lettres du début de 1685 (Fondation de Rouen pp. 315-316) on comprend que Notre Mère venait d’être gravement malade. À la suite de cette maladie, elle écrivit le 14 mars un acte de nouvelle remise d’elle-même à Dieu (n° 465). Il est permis de penser que le billet suivant daté de 1685, est en rapport avec ces événements. Les mots de présentation appartiennent au manuscrit.

« Vœu ».

Il s’agit là, sans doute d’un engagement pris envers elle-même, d’une résolution, et non d’un vœu au sens fort de promesse faite à Dieu.


On trouva dans son bréviaire un petit papier, écrit de sa propre main, qui contenait ce qui suit :

Le premier vœu est de ne me justifier jamais d’aucune accusation que l’on ferait de moi.

Le second de ne me plaindre jamais quelque mauvais traitement qu’on me fît.

n° 2026 N261/2 p.75

21 septembre 1687

Le 21 septembre 1687, Notre digne Mère étant à la récréation nous dit : « Hier soir en me couchant, je faisais réflexion en moi-même d’où vient qu’il y a si peu d’âmes unies à Dieu. La pensée me dit qu’il ne tenait pas à Notre Seigneur que nous ne fussions unies à lui, qu’il en avait un désir infini, et qu’il ne demandait pas mieux, et qu’il ne tenait qu’aux âmes d’avoir cette union. Que pour cela elles n’avaient qu’à être fidèles continuellement à la grâce qui leur était donnée à tout moment pour remplir le dessein qu’il avait sur elles. Et que si elles avaient cette fidélité à leur grâce, qu’en peu de temps elles arriveraient à la plus parfaite union où nous voyons que ces grands saints sont arrivés, n’y ayant eu que cette fidélité qui leur a attiré cette grâce d’union et d’élévation à Dieu ».

Là-dessus une religieuse lui dit : « Mais, ma Mère, ces âmes qui n’ont qu’une petite grâce, qui ne sont pas appelées à une si grande perfection n’arriveront pas à cette si haute union ». « Tout de même, lui répondit-elle, si elles sont fidèles à correspondre à tout moment à cette petite grâce, elles auront l’avantage d’être unies à Dieu selon leur degré de sainteté que Dieu prétend leur donner. C’est pourquoi donc nous n’avons qu’à être toujours fidèles chacune selon sa grâce, et nous serons unies à Dieu divinement et amoureusement, et plus rien sur la terre nous fera peine. Nous serons en Dieu et Dieu sera en nous. Oh ! quel souverain bonheur ! »

n° 2121 N254/2 p.108

Le jour des Saints Anges 1687

Ces lignes sont un témoignage de la foi de Notre Mère Mechtilde envers les Anges, et de sa vénération pour ces créatures spirituelles en qui elle voyait des modèles de notre propre vocation. C’est toujours la même foi qu’aux jours de la fondation du monastère de Rouen. « Ma sœur, l’église est toute pleine d’Anges », disait-elle à la sacristine la veille du jeudi où l’on devait y exposer le Saint Sacrement pour la première fois (Fondation de Rouen p.59).

« Anéanti », « anéantissement ».

Il est bon peut-être de rappeler que ces termes signifiaient l’humiliation profonde que l’homme doit normalement éprouver devant la grandeur de Dieu. « L’anéantissement de soi-même devant la Majesté divine est une action fort chrétienne ». (Furetière).

On peut revoir aussi le petit lexique de « La source commence à chanter ».


Le jour des Saints Anges (1687) elle nous dit ce qui suit : « Ce que j’aime plus dans notre saint Ange, c’est le profond anéantissement, respect et abaissement où il est continuellement devant la majesté divine, dont il est si pénétré qu’il en est tout anéanti. Faisons une sainte liaison avec lui pour participer et entrer en communication de tout ce qu’il fait au regard de Dieu, à qui il rend incessamment des hommages, des adorations, des vénérations, comme à son Dieu de qui il sait qu’il dépend, et qui lui a donné l’être. Prions-le qu’il nous donne part à sa fidélité et soumission à lui. Oui, à sa fidélité, car il en a une très grande à accomplir les volontés de Dieu. Et enfin à son anéantissement profond qui l’abîme devant la grandeur de Dieu, se voyant comme un rien en sa divine présence.

n° 1993 N254/2 p.61

1689 Je vous exhorte à fuir l’humain ».

L’humain, c’est ce qui est propre à l’homme, ce qui vient « du monde », en opposition au divin, à la grâce. C’est la même pensée dans le conseil de « se séparer des créatures % ce qui écarte de Dieu et occupe inutilement l’esprit.

L’année 1689, elle dit à une religieuse en retraite : « Nous avons une grande nécessité de recourir à Dieu fréquemment, devant faire comme dit saint Paul de prier sans intermission. Cela s’entend d’avoir toujours un penchant vers lui et d’être attentive à sa sainte présence ». Cette religieuse la fit ressouvenir de ce qu’elle nous avait dit d’elle là-dessus autrefois, qu’elle avait appris à prier sans intermission. « Oui, dit-elle, c’était nuit et jour, je ne dormais qu’à demi. Je demandais une grâce à Dieu depuis longtemps, qu’il ne m’a pourtant point accordée, c’était d’être recluse ; tellement qu’un jour de Pâques, il me fut imprimé une parole intérieure en ces termes : « Adore le dessein que j’ai sur toi, qui t’est inconnu, et t’y soumets ».

Le samedi 11 mars, elle dit encore à cette même religieuse en retraite : « Quand vous serez en des occasions où l’on dira des choses qui ne se doivent pas dire, au lieu de vous y joindre, dites : “Nous ne sommes pas à la récréation pour s’indigner, ou pour désapprouver, ou pour blâmer, etc., parlons de quelque chose de meilleur”. Ne vous amusez point à exhorter ou dire quelque chose par forme d’exhortation, car ceux-là en pourraient savoir autant, et n’en profiteraient pas ».

« Je vous exhorte à fuir l’humain, à vous tenir toujours dans le recueillement ; c’est assurément le plus parfait de ne point regarder la créature dans quoi que ce soit ». Elle lui disait cela à propos sur la peine que la religieuse lui témoignait d’être toujours dans le mépris dans sa pensée, qui faisait qu’elle s’y appliquait toujours. Elle dit encore là-dessus : « Tant que vous pourrez vous passer de vous en plaindre ce sera incomparablement mieux. Et pour obtenir cette force intérieure, il faut que vous fassiez quelques prières à la très Sainte Vierge ».

Sur quelque chose qu’elle lui proposait de faire, elle lui répondit : « Il n’est pas le temps à présent, et je n’en ai pas la lumière, mais on y verra ; Notre Seigneur nous éclaircira pour cela. Il ne faut pas prévoir tant de choses.

Jour à jour et de moment à moment, il faut attendre les croix ou les lumières que Dieu nous veut donner, et ne point tant prévenir les choses. Enfin, lui dit-elle, faites un bon usage de votre retraite en vous séparant bien des créatures et de vous-même ». n° 1892 T16 p.17

2 février 1692

On demanda à notre vénérable Mère si elle n’avait pas demandé à la Sainte Vierge bien des grâces pour la Communauté et ce que la Sainte Vierge lui avait dit. Notre Mère répondit : « Elle m’a fait connaître qu’elle avait le cœur et les mains toujours pleines pour donner, mais que l’on n’avait pas la volonté disposée à recevoir ».

n° 2416 P123 p.135

1692 « Notre bonne Mère ».

Tout fait penser qu’il s’agit de Mère Bernardine de la Conception (Gromaire), Prieure du monastère de Rambervillers quand notre Mère Mechtilde y fit profession en 1640. Elle le restera jusqu’en 1643, puis Sous-Prieure rue Cassette, Prieure à Toul, à Nancy, à l’Hospice Saint Marc (plus tard Saint Louis au Marais), deuxième maison de Paris.

En 1685, elle fut remplacée par Mère Saint François de Paule. On ignore la date du décès de Mère Bernardine, mais à partir de 1692 il n’est plus fait mention d’elle dans les lettres. Par ailleurs, c’est sous le nom de « bonne Mère » que notre Mère Mechtilde en parlait dans les lettres de la fin de sa vie.

« J’aurais dit de belles choses à Notre bonne Mère, si je n’avais craint de l’attendrir, et de m’attendrir moi-même », dit-elle à une religieuse, qui lui répondit : « Si j’avais le bonheur de mourir entre vos bras, j’en serais si pénétrée que je mourrais avec joie, espérant aller tout droit en Paradis, mais après je trouverais bien à décompter ». Elle lui dit : « Non, non, il nous sera fait selon notre foi, ce n’est point sur notre mérite que nous fondons notre salut. Pour moi je crois certainement qu’une personne qui mourrait avec grande confiance en la bonté et au mérite de Notre Seigneur, pourvu qu’elle n’ait de péché volontaire, qu’elle irait tout droit en Paradis. Quelle consolation a une âme en mourant de dire : je quitte la terre pour aller à mon Père qui est aux cieux. Quel bonheur a cette âme de retourner à Dieu duquel elle est sortie ! Mais la réflexion vient bientôt troubler notre joie en vue de nos péchés et de nos fautes, par la crainte des jugements. Mais nous pouvons dire à Notre Seigneur : vous n’êtes point venu pour les justes, mais pour les pécheurs, dont je suis du nombre. Vous êtes notre Sauveur, sauvez-moi par vos mérites et votre infinie bonté. Pour moi je crois qu’une âme qui serait bien pénétrée de cette confiance n’aurait rien à craindre ».

Revenons aux comparaisons humaines. Quelle est la créature, pour peu qu’elle ait le cœur bien fait, qui voulût perdre une personne qui aurait en elle une entière confiance ? Je crois qu’il n’y en a point qui en soit capable, à plus forte raison devons-nous l’espérer de Dieu. Il nous fait une comparaison dans l’Évangile qui confirme notre confiance, lorsqu’il nous dit qu’il nous aime incomparablement plus que les pères charnels n’aiment leurs enfants, nous disant : quel est le père qui donnera une pierre à son enfant lorsqu’il lui demandera du pain. Il nous fait entendre par là que nous devons avoir plus de confiance et d’abandon en lui que les enfants n’en ont pour leur père. Si notre cause était entre les mains du Père éternel, et que nous n’ayons pas, en la personne de son Fils, un Sauveur et un Rédempteur qui n’est point venu pour les justes, mais pour les pécheurs, je vous avoue qu’une pécheresse comme moi aurait bien lieu de craindre.

n° 882 N261/3 p.48

1692 « Abjection ».

Condition servile qui fait tomber une personne dans le mépris. Et aussi, mépris de soi-même. « Le mérite des premiers chrétiens, des premiers religieux, a été de vivre dans l’abjection, dans l’humilité, dans le mépris du monde. Ce mot vieillit, on ne s’en sert guère que dans les livres de dévotion » (Furetière). Ce mot a été employé par Saint François de Sales, Pascal, etc.

Une religieuse lui parlant sur ses affaires, à propos, elle dit : « Dieu fera de moi ce qu’il lui plaira, mais je ne veux jamais sortir de l’état où je suis, c’est-à-dire de l’abjection. Je commence à me connaître mieux que je n’ai jamais fait. Ah, que c’est une bonne chose de demeurer dans son abjection. Nous devons aussi demeurer dans la divine Providence sans nous mouvoir, nous laissant détruire comme il lui plaira, sans inquiétude et sans empressement. Que Dieu nous anéantisse couine il voudra, nous ne devons point sortir de l’état où il nous met. Il faut toujours avoir patience et être bien persuadé d’une vérité qui est que Dieu ne nous doit rien, que s’il nous fait souffrir nous en méritons cent fois davantage ». La religieuse lui dit : « Ma Mère, Dieu vous relèvera devant que de mourir ». « Je ne veux point que Dieu me relève, lui répondit-elle. Je veux mourir dans mon abjection, répéta-t-elle encore, et n’en veux point sortir ».

Ensuite, cette religieuse prenant l’occasion de lui parler sur elle, lui dit qu’elle était toujours bien misérable et infidèle, qu’elle était toujours surprise de ses passions, quoique depuis vingt-huit ans elle demandait à Dieu la fidélité dans les occasions sans pouvoir l’obtenir, qu’elle était toujours aussi prompte à dire plusieurs choses plus tôt qu’elle n’y avait pensé, et aussi superbe, ce qui l’affligeait beaucoup. D’autant que communiant presque tous les jours elle ne voyait point de changement en elle, ni point d’humilité quoiqu’elle ne cessait de prier Notre Seigneur de lui donner cette sainte vertu, qu’elle craignait d’abuser du Saint Sacrement puisqu’elle en profitait si peu.

Elle lui répondit : « Persévérez à demander et faites de votre côté ce que vous pourrez, et soyez certaine que Dieu vous accordera votre demande. Si ce n’est à la vie, ce sera à la mort et dans le temps que vous ne pourrez plus profaner ses grâces. Car à présent s’il vous donnait cette fidélité vous croiriez faire beaucoup et vous entreriez par là dans quelques vaines complaisances de vous-même. Il est bon que nous connaissions de quoi nous sommes capables et ce que nous sommes en nous-mêmes. Les grâces que Dieu nous fait ne servent bien souvent qu’à nous porter à l’élévation, non qu’elles fassent cet effet, mais parce que tout a été corrompu en nous en Adam. Nous portons un être malheureux de péché qui est toujours opposé à Dieu, et le Baptême, tout-puissant qu’il est, ne nous ôte point cette pente naturelle que nous avons toujours au mal. C’est pourquoi il nous est avantageux de connaître notre misère et de voir en nous plusieurs défauts, pour détruire en nous-mêmes la propre estime et l’orgueil qui nous est si naturel. Car autrement, quelque bonne volonté que vous ayez d’être humble, (...) si vous n’appreniez par votre propre expérience ce que vous êtes, jamais vous ne vous connaîtrez à fond ».

J’aime beaucoup que l’on sente sa misère, et j’estime plus une personne qui aura, si vous voulez, des passions à combattre, bien des choses à réprimer, quoiqu’elle tombe par fragilité involontairement dans plusieurs défauts, qu’une autre qui paraîtra mieux réglée. Parce que les fautes que nous commettons involontairement portent après elles leur humiliation, et tout ce que nous avons à faire est d’avoir patience et nous en humilier devant Dieu. Ce n’est pas une petite affaire que de se supporter soi-même ; il faut une grande patience pour attendre les moments de ses miséricordes. Nous n’avons rien de bon qui ne vienne de Dieu. En attendant qu’il achève de nous purifier il faut supporter nos misères. C’est encore un effet de sa miséricorde de nous les faire ressentir.

Cette religieuse lui dit encore qu’à l’égard de la présence de Dieu elle souhaitait fort en faire sa principale occupation, mais qu’elle n’y pouvait parvenir et que, quelquefois, une bagatelle, une chose de rien qu’une telle a dit ou fait, revenait sans cesse dans son esprit pendant toute la journée sans qu’elle pût s’en défaire, que cela lui faisait beaucoup de peine de se voir amuser par des bagatelles sans pouvoir faire autrement. Elle lui répondit : « Ce que vous avez à faire en pareille occasion est, sans vous tourmenter ni peiner davantage, ne plus regarder les choses comme vous avez fait du passé, mais vous en détourner et les regarder comme une croix que vous portez tant qu’il plaira à Dieu vous en délivrer. Cela n’est pas croyable la patience qu’il faut avoir pour se supporter dans ses misères, c’est notre principal exercice ».

n° 2885 N261/3 p.50

13 février 1694

Le 13 février 1694, durant une maladie de notre digne Mère, elle nous dit : « Il me serait d’une douceur et d’une consolation inexplicables, si je reviens, de voir la Communauté vivre à l’avenir dans une paix et une union plus grandes que jamais, et dans un saint attachement à Dieu, qui ne voit plus que Dieu, qui n’aime plus que Dieu, qui ne cherche plus que Dieu, qui ne veut plus vivre que pour Dieu. Dieu m’a tenue plusieurs jours aux portes de la mort. Ah ! il est juste de rendre à son souverain domaine l’hommage qui lui est dû : ce n’est point dans les lumières et dans les clartés que la foi subsiste ; mais dans les précieuses ténèbres

Il serait avantageux que cet objet humain (Notre vénérable Mère parle d’elle-même, de l’affection qu’on lui portait), qui vous a occupées, ne soit plus, afin de faire place entièrement à Dieu, pour qu’il soit tout, qu’il anime tout, qu’il possède tout. Je sais que cette conduite est dure à la nature, que l’on y rencontre de cruelles crucifixions, d’étranges morts. Mais c’est dans la mort que l’on doit chercher la vie. Il semble que je rêvasse un peu, cependant je dis des vérités ». Quelques-unes de nos Mères lui ayant dit que, afin d’obtenir sa conservation de la bonté divine, elles avaient bien promis d’être plus fidèles à l’avenir, notre vénérable Mère répondit : « Mes Sœurs, vous ferez bien, car je vous assure qu’il n’y a que Dieu à contenter et à chercher, tout le reste n’est rien. Oh ! que je voudrais qu’on en fût persuadée ! Oh ! si l’on voyait cette vérité telle qu’elle est, on ne s’amuserait pas à la bagatelle comme on s’y amuse, ni à tant de petites choses auxquelles on s’arrête, dont on s’entretient. Une parole, par exemple, qu’on nous aura dite et qui nous choque, une autre qui déplaît. Et pour cela on laisse Dieu, on oublie ce qu’on lui a promis, on néglige ses obligations. Ainsi toute la vie se passe et l’on se trouve à la mort qui nous mène... où ? en enfer !...

À cette parole prononcée, dite d’un ton pénétrant, une religieuse s’écria : « Ah ! ma Mère, en enfer ! Qu’est-ce que vous nous dites ? Vous allez bien loin, vous voulez donc nous effrayer... » Notre digne Mère répondit : « Oui, ma Mère, je vous le dis encore : en enfer... je sais ce que je vous dis. Oui, j’ai vu quelque chose, mais je ne veux pas le dire. Ah ! si l’on pouvait concevoir ce que c’est que de n’être pas à Dieu, de ne pas faire ce qu’il demande de nous dans notre état et surtout de ne pas remplir une vocation religieuse ! Et quand on se voit au moment où il en faut répondre... Ah ! la terrible chose ! Cela ne se peut concevoir, pourtant c’est ce qui n’est que trop vrai... Nous y arriverons toutes, mes Sœurs, c’est à nous à y penser et à y bien penser, afin de vivre d’une autre manière que nous n’avons fait par le passé. Je vous conseille donc de vous bien attacher à Dieu, de n’avoir plus tant de petites complaisances humaines, de petites amitiés pour les créatures qui vous font faire des imperfections, et vous détournent de la fidélité que vous devez à Dieu. Ah ! plus rien que Dieu, mes Sœurs, croyez-moi, ne cherchez que lui, et faites tout votre possible pour lui plaire, le préférant à tout le reste. Tout mon désir est de vous voir ainsi tout à lui et le contentant en toutes choses ».

n° 2107 P123 p.124

15 février 1694

Il semble bien que l’auteur de cette page soit la secrétaire de notre Mère Mechtilde, Mère Marie-Bénédicte du Saint Sacrement (Voir l’avant-propos).

« Rambervillers ».

Monastère de Bénédictines, agrégé à l’Institut le 29 avril 1666. C’est là que notre Mère Mechtilde fit profession de Bénédictine le 11 juillet 1640. Elle en fut meme Prieure pendant quelques mois avant son installation à Paris. Il demeura toujours très cher à son cœur. L’histoire de ce monastère est racontée dans le volume « Documents historiques ».

« Filles du Saint Sacrement ».

Ce terme de « fille » qui nous rebute aujourd’hui, était alors donné à toute personne qui n’avait pas été mariée et en particulier à celles qui se sont consacrées à Dieu, ayant fait vœu de virginité. Ainsi connaitra-t-on les Filles de l’Annonciation, les Filles du Calvaire, les Filles de la Charité, etc.

« Dans l’Église de Dieu il n’y a rien de plus saint que l’Institut ».

Sans doute va-t-on trouver forcée cette expression de notre Mère Mechtilde. Ce n’est pas chez elle une pensée passagère, mais une conviction profonde. « Je brûlerais pour cela », dit-elle. Elle ne canonise pas ses moniales, qu’elles soient de la rue Cassette ou d’ailleurs, loin de la. Mais elle comprend avec son intuition et ses lumières de Fondatrice que l’occupation de l’adoration du Fils de Dieu dans l’Eucharistie et l’adoration du Père en union avec le Fils, est effectivement l’occupation la plus sainte à laquelle des âmes puissent se livrer. Or, c’est proprement la raison digne de l’Institut.

Notre Révérende Mère m’ayant ordonné et recommandé fort expressément d’écrire à notre maison de Rambervillers, me dit de leur mander de sa part qu’elle les priait et leur recommandait sur toutes choses d’aimer bien leur vocation de Filles du Saint Sacrement, d’avoir une grande estime et un grand respect pour l’Institut, parce qu’il n’y a rien de plus saint dans l’Église de Dieu. « Je le dis avec vérité, ajouta-t-elle, je le sais et je pourrais même en dire davantage ; mais il ne faut pas tout dire, cela suffit ». Sur quoi je lui répartis : « Ma chère Mère, il serait pourtant fort nécessaire de nous faire savoir tout ce que vous en connaissez ». Mais elle ne voulut point dire davantage. Seulement elle me dit bien d’assurer nos Mères de Rambervillers que Dieu bénirait leur maison et les comblerait de bénédictions pourvu qu’elles fussent bien fidèles à aimer l’Institut et à bien remplir leurs devoirs envers le Saint Sacrement.

Elle me dit aussi que Dieu bénirait de même toutes les autres maisons de l’Institut, qu’elles ne devaient se mettre en peine de rien que de donner à Notre Seigneur par leur fidélité tout le contentement qu’elles lui doivent.

Quand je dis, continua notre Révérende Mère, qu’il n’y a rien de plus saint dans l’Eglise que l’Institut, je le dis sans intérêt, car mon Dieu sait bien que je n’y prends aucune part, Notre Seigneur me tenant dans un état que lui seul connaît. C’est son œuvre, c’est à lui seul qu’il en faut laisser la gloire. Pour moi, ma portion est le néant et l’abjection, je n’ai jamais prétendu autre chose.

Je dis à Notre Mère que j’allais écrire tout ce qu’elle venait de dire. « Oui ma Sœur, me répondit-elle, écrivez-le ; si vous voulez je le signerai de mon sang. Oui, encore une fois je vous le dis, et je brûlerais pour cela, dans l’Église de Dieu il n’y a rien de plus saint que l’Institut. J’en ai connu la sainteté plus que jamais depuis que Dieu m’a mise dans l’état où je suis. Il n’est pas connu comme il devrait l’être, peut-être le sera-t-il davantage dans la suite.

Il faut prier Dieu de donner tout son esprit à celles par qui il veut faire subsister cette œuvre, pour en soutenir les intérêts, pour la maintenir dans la sainteté, et pour réparer les fautes que moi, misérable, j’ai faites dans la place que j’ai remplie si indignement. Si ce désir m’était permis, je voudrais savoir celle qui doit venir après moi. Dieu demande d’elle de grandes choses. Que Notre Seigneur lui fasse la grâce de s’en bien acquitter, et de bien remplir ses devoirs pour soutenir la sainteté de l’Institut. Voilà les sentiments d’une pauvre mourante, d’une personne qui approche de sa dernière heure. Écrivez-le aux autres maisons, les exhortant à aimer de toute leur capacité ce saint Institut, et que toutes les âmes qui le professent s’y rendent fidèles autant qu’il leur sera possible. C’est là leur principale obligation ».

n° 2282 B532 p.3

16 février 1694

Le 16 février 1694, notre digne Mère nous dit : « Je suis bien pauvre et bien indigente de toute manière. Notre Seigneur sait à quel point de misère je suis réduite en toute façon : je suis dans l’abjection, l’humiliation, l’anéantissement, je mérite bien aussi que tout l’enfer se soulève contre moi. Dieu soit béni ! Je suis dans un terrible état dehors et dedans, je ne suis rien en toute manière, même dans l’Institut. Je n’y tiens point de place, n’ayant fait que le profaner. Mais quoique je n’y sois plus rien en tout, ma consolation et ma joie c’est que la très sainte Mère de Dieu en prend soin et qu’elle en est la Mère. J’en suis déchargée, non d’une manière, sachant que j’ai encore en main l’autorité de Supérieure, mais toujours voilà qui est fait ! La très sainte Vierge réparera pour moi les fautes que j’ai commises. Elle a tout pris sur elle, elle aura soin de tout, elle en a fait son affaire ; je l’en ai remerciée. Prenez bien garde à ce que je vous dis : je ne parle pas en l’air, ni de ma tête : je mourrai dans cette certitude, et c’est ma joie, que l’Institut est dans ses saintes mains : elle aime cette œuvre, c’est son ouvrage, vous le reconnaîtrez au ciel. Il faut redoubler de dévotion envers elle et avoir pour elle une dévotion toute particulière. Je le dis encore : rien de plus saint dans l’Église de Dieu que l’Institut quand il sera sans sa perfection. Oui, la Sainte Vierge a tout entre les mains, elle a tout pris ».

Une religieuse demanda à notre vénérable Mère si c’était le jour de la Purification que cela était arrivé. Elle répondit : « Non, c’est le jour que Dieu connaît ; il s’y passa des choses que personne ne sait, et que je ne sais pas moi-même ». « Elle a donc repris tout ce qu’elle vous avait confié », repartit la religieuse. « Oui, j’en ai usé indignement ».

n° 2058 P123 p.127

20 février 1694

Le 20 février 1694 notre digne Mère dit à une autre religieuse : « Oui, la très sainte Mère de Dieu est votre Mère. Je ne le dis pas seulement à présent que je suis malade, mais je vous dis qu’elle l’a toujours été, et elle le sera toujours, n’en doutez jamais. Il est vrai qu’elle a pris un soin nouveau de l’Institut et de vous toutes. C’est pourquoi ne vous mettez-en peine de rien que de lui plaire, vous laissant à sa protection maternelle : elle pourvoira à tout.

Donnez-vous seulement bien à elle, lui faisant toutes une dédicace nouvelle de vos cœurs et que ce soit avec joie, avec confiance, et avec certitude qu’elle est votre Mère et que l’Institut est entre ses bénites mains.

Il y a là-dessus des choses que l’on ne sait pas et que je ne veux pas dire, mais qui sont pourtant véritables. Pourvu que nos misères nous humilient devant Dieu, il est content. Allez, on perd bien du temps dans la vie, je le reconnais avec douleur ».

n° 2122 P123 p.128

24 février 1694 « Dégagement ».

Notre Mère Mechtilde explique elle-même sa pensée dans les lignes qui suivent. Terme cher à M. de Bernières. Il est plus aimable que « dépouillement », moins austère, mais tout aussi radical avec son sens de vide : oubli de soi, abandon, libération. Dégager le passage afin que Dieu pénètre.

Le dégagement intérieur met l’âme dans le repos, la paix et la tranquillité. Pour posséder cette paix et avoir ce saint dégagement, il faut ne s’attacher à rien, ne tenir à rien, ne se mêler de rien, ne prendre part à rien, être comme si l’on n’était point. Je puis vous dire que j’ai été plusieurs jours qu’il me semblait que je n’étais plus : vous ne pouvez croire le contentement et la paix où l’on est. Je ne vous dirai pas que je n’avais plus de répugnances, ni de sentiments du côté de la nature, qui a toujours fait voir ses immortifications ; mais c’est une bête, elle sera toujours bête et toujours sensible, jusqu’à ce qu’il plaise à Notre Seigneur de la réduire : il la faut souffrir en patience, en attendant la destruction entière.

Laissons-nous bien entre les mains de Notre Seigneur, mes Sœurs, pour être tout ce qu’il veut, pour aller où il veut, car c’est un bonheur infini et que l’on ne peut concevoir de se laisser ainsi dans un pur abandon : Dieu met haut, il met bas, il nous mène, nous ramène, il nous conduit partout où il lui plaît, sans que l’âme sorte de sa paix et de son repos. Ce n’est pas que je veuille dire que l’âme sorte de sa place, quand je dis que Notre Seigneur nous mène, nous ramène et nous fait aller où il lui plaît. Mais c’est que étant toute délaissée à son bon plaisir, il use de nous selon ses volontés adorables.

Alors l’âme sait une chose qui est que Dieu est et c’est là qu’elle s’arrête, ne s’amusant plus à regarder, ni à réfléchir sur tout ce qui se passe en elle ou hors d’elle. N’y faisant pas même attention, elle demeure toujours en Dieu.

n° 1951 P123 p.63

25 février 1694

Le 25 février 1694, une de nos Mères demanda à notre digne Mère ce que Notre Seigneur lui avait fait connaître sur l’Institut, lui disant qu’elle avait bien envie de le savoir pour sa consolation. Elle répondit : « Il m’en a fait voir des choses si admirables qu’on ne les peut exprimer ; moi-même je ne puis vous en rien dire, sinon que l’Institut est la très sainte œuvre de l’Église de Dieu et premièrement l’ouvrage de la très sainte Vierge et sa très sainte œuvre, car l’Institut est sien et elle l’a repris tout de nouveau entre ses mains sacrées ».

La même religieuse ayant demandé quel jour cela s’était passé, notre digne Mère répondit : « Je ne puis vous le dire ne l’ayant pas remarqué ; mais ce qui est bien certain, c’est que la très sainte Vierge a bien voulu se charger de notre Institut et présentement je me trouve déchargée d’un grand poids. Lorsque je me vis sur le point de quitter la terre, ne sachant sur qui me démettre de cette œuvre, je priai cette Mère de bonté d’en prendre le soin. Elle le fit, mais d’une manière si admirable et si consolante pour l’Institut et pour moi, que j’en fus dans un très grand transport de joie, et si j’avais suivi les mouvements de mon cœur j’aurais fait assembler la Communauté pour venir rendre hommage à cette Mère de miséricorde, en actions de grâces de ses bontés pour l’Institut ».

Elle répéta encore, avec grande ardeur, toute pénétrée d’amour et de reconnaissance : « Oui, c’est son ouvrage, il est sien et présentement j’en suis entièrement déchargée, elle en aura soin. Je vous assure de nouveau que j’eus une grande joie de le voir retourner d’où il était sorti. Je vous dis cela comme une rêverie de malade ; mais n’en dites mot, je vous prie ».

n° 2119 P123 p.129

26 février 1694

Notre digne Mère nous dit en jetant les yeux sur une descente de croix placée au pied de son lit : « Si j’avais l’esprit libre, je penserais à plusieurs choses, mais il est aux pieds de mon Maître, pour y être écrasé comme il lui plaira, et il faut qu’il y demeure. Je ne suis pas revenue pour être sur le trône, ni pour être à mon aise, ni pour avoir des consolations et être caressée, mais pour recevoir les coups de mon Maître et être écrasée comme il voudra. Aussi bien je ne mérite que l’enfer ».

Une religieuse lui dit : « Ma Mère, Notre Seigneur prend plaisir à vos souffrances » ! Elle répondit : « Ah ! si cela pouvait lui donner le moindre plaisir, j’en aurais cent fois plus que lui. J’ai été en un pays perdu où j’ai connu bien des choses. J’imagine, vous, si vous étiez je ne sais pas où, et que l’on vous prît en l’air sur un gouffre affreux, et que vous y fussiez suspendue plusieurs jours prête à tomber, sans savoir ce qui vous soutient, n’étant que comme un filet, que feriez-vous ?... J’ai vu ce gouffre et j’ai connu que je le méritais bien, et il me semblait qu’il n’aurait pas fallu grand-chose pour me faire tomber dans cet abîme, dont je n’étais soutenue que par un filet de la bonté et de la miséricorde de Dieu ».

n° 2126 B532 p.8

7 mars 1694

Quelques religieuses s’entretenant de croix et de souffrances avec notre digne Mère, elle leur dit : « Mes Sœurs, ne demandez pas de croix ni d’humiliations. Mais prions Notre Seigneur de nous faire la grâce d’accepter avec amour, respect et soumission, celles qu’il lui plaira de nous envoyer, et de demeurer abandonnées à son bon plaisir ». « Oui, ma Mère, mais quand Dieu voit une âme ainsi abandonnée, il ne l’épargne pas, nous le voyons en vous puisque vous avez tant souffert durant toute votre vie ».

« Je n’ai pas souffert grand-chose, n’en n’ayant pas été digne. Il est bien vrai que j’ai eu dans le cours de ma vie de petites contradictions et humiliations ».

Elle parla ensuite de ce qui lui était arrivé au commencement de l’Institut, disant que cela venait de ce que beaucoup de personnes, et même de personnes de piété, croyaient qu’elle entreprenait cette œuvre par vanité, par un esprit d’élévation et de complaisance. Puis se tournant amoureusement vers une image de la Sainte Vierge, elle ajouta : « Elle m’est témoin, et elle sait bien si j’ai jamais recherché de moi-même à faire cette œuvre, si je l’ai entreprise par mon propre esprit, ou si jamais je l’ai regardée avec complaisance, ou si j’en ai eu de la joie par rapport à moi. Elle sait combien, au contraire, j’ai prié Notre Seigneur de s’adresser pour cela à des âmes choisies et fidèles. Cette divine Mère sait encore ce qui m’en fut montré un jour, le deuxième dimanche de Carême, comme aujourd’hui, après la sainte Communion. Oui, je ferais des volumes entiers de toutes les choses admirables que l’on m’en fit voir. Comme je voulais prier pour la santé de Madame la Duchesse de la Vieuville, fille unique de ma chère Comtesse de Châteauvieux, on me dit : “Applique-toi à l’œuvre que l’on veut de toi, et laisse là la Duchesse, on en aura soin”. En effet en peu de temps elle se porta mieux, et l’on me fit voir comme Dieu serait adoré dans l’Institut, me montrant un grand nombre de personnes dehors et dedans, appliqués comme de véritables adorateurs. Je voyais des âmes toutes unies et toutes collées à Dieu d’une manière qui me consolait beaucoup, car je voyais que Notre Seigneur prenait ses complaisances, et qu’il aurait des victimes selon son cœur ».

Ici notre digne Mère s’arrêta, et comme on la pressait de dire tout ce qu’on lui avait fait voir, elle répondit : « Quand je le voudrais, je ne le pourrais pas, c’est au-delà de toute expression et de toute idée ».

n° 2600 B532 p.10

19 mars 1694

Le 19 mars 1694, elle dit : « Je ne saurais me lasser de répéter la joie et la consolation que j’ai eues pendant ma maladie de voir que la très sainte Mère de Dieu avait remis l’Institut dans son cœur dont il était sorti. Une Fille du Saint Sacrement ne devrait jamais avoir de peines, ni d’inquiétudes si elle savait ce que la très sainte Mère de Dieu lui est. Je vous dirai que moi-même, toute indigne et toute misérable que je suis, je l’ai expérimenté, ressentant une certaine joie ».

Quelques-unes lui dirent : « Ma Mère, vous vous récréez avec elle ? » Non seulement elle ne s’en défendit point, mais elle fit bien entendre que cela était vrai, qu’elle la consolait dans ses souffrances, dans ses croix et dans ses peines, qu’elle lui aidait à les porter.

n° 1971 P123 p.146

19 mars 1694

Ce même jour qui était la fête de Saint Joseph, une religieuse lui demanda le matin si ce grand saint ne lui avait rien dit. « Il faut l’aimer plus que jamais, lui répondit-elle, et avoir en lui une grande confiance. C’est un des plus puissants saints du Paradis (après la Sainte Vierge), et qui a plus de pouvoir. Le croirez-vous ? Oui, il a un très grand pouvoir. Il faut dire plusieurs Te Deum pour honorer les liaisons et rapports qu’il a à la très Sainte Trinité ; il n’y a pas de saint qui en ait comme lui. L’Institut lui a de très grandes obligations ; il faut lui en remettre l’intérieur dans ses mains et le prier d’en être le conducteur.

Je vous ai dit que l’Institut est fait pour les anéantissements d’un Dieu, et pour remplir ses desseins, il faut s’y conformer. Nous ne pouvons lui rendre la gloire que nous lui devons que par nos anéantissements.

La très sainte Mère de Dieu a pris un soin tout particulier de l’Institut ; que cela vous réjouisse ; ayez donc en elle plus de confiance et d’espérance que jamais : je ne suis plus rien qu’un vieux tison. Je ne suis plus rien dans l’Institut ». Une religieuse lui disant que cela lui devait donner de la joie, elle lui répondit : « Ma pauvre Mère, je n’ai jamais eu de joie depuis que l’Institut est entre mes mains ».

n° 2005 P123 P.146

20 mars 1694

La veille de notre glorieux Père saint Benoît (20 mars 1694), elle pria tout le monde de lui demander pardon pour elle de toutes les fautes et manquements qu’elle avait commis envers lui, de ne l’avoir pas assez honoré, ni prit son esprit en toute sa conduite.

Une religieuse lui ayant demandé comment il fallait honorer ce grand saint, elle lui répondit : « Il faut rendre grâces à la très Sainte Trinité de toutes les élévations et excellences singulières dont elle l’a gratifié, s’en réjouir avec le Ciel, et demander à Notre Seigneur la grâce de l’imiter en toutes ses vertus ».

n° 2124 P123 p.147

Mars 1694. Après sa maladie « ... Comme en celle (évangile) d’aujourd’hui ».

À cette époque, le mot « évangile » était indifféremment masculin ou féminin. (Dictionnaire de l’Académie Françoise 1694).

Oui, mes Sœurs, une âme abandonnée fait le jouet de Dieu, il s’en joue couille il veut, elle se laisse peloter, tourner, virer, et se laisse mener comme Dieu la mène, elle n’a aucune résistance. Il y en a qui disent qu’on ne peut pas retenir son esprit. Vous seriez bien habiles, mes Sœurs, si vous en veniez à bout, il court sans cesse, et il ne faut non plus s’étonner de ses courses que d’un oiseau qui vole. On dit qu’en mettant un grain de sel sur la queue, on l’attrape ; il en va de même de l’esprit. Laissez-le donc là et n’ayez soin que de retenir le cœur soumis et abandonné.

Je disais tantôt que l’abandon quoiqu’il soit le chemin le plus abrégé pour aller à Dieu, qu’il n’était pas pour cela le plus aisé, parce qu’il y a beaucoup à souffrir du côté de la nature, qui, se voyant toute délaissée et ne sachant plus où se prendre, entre quelquefois dans la rage et le désespoir. Il faut un courage étonnant pour demeurer ainsi, car mille retours de compassion et de tendresse sur soi-même viennent à la traverse. Ah ! mon Dieu, si j’avais le secours de cette personne, cette grâce qui me manque, ce soutien que je n’ai plus ! Et toutes ces plaintes viennent de ce qu’elle ne peut souffrir de se voir abandonnée ; mais laissez-la crier, elle trouvera à la fin son tombeau.

Il vous viendra, si vous voulez, une tentation, Dieu permettra que le démon vous fasse des impressions malignes, vous suggérant des pensées contre Dieu, dans lesquelles il semble que votre perte est assurée, qu’il vous abandonne et qu’il vous rebute, quoiqu’il n’en soit pourtant rien, mais nos sens, notre imagination et le démon se mêlent ensemble qui nous font croire ces choses. Mais croyez-moi, mes Enfants, cela n’est point, ne sortez point pour cela de votre abandon, puisque si vous ne voulez point être abandonnées c’est de vous abandonner. Plus ces pensées vous viennent, plus tenez-vous aux pieds de Jésus Christ : il prend un plaisir extrême à y voir ces pauvres âmes qui se sentent rejetées de lui et pour qui il a des tendresses infinies. Oui, si vous voyiez les bontés de ce cœur adorable, l’amour de ce cœur adorable, les tendresses de ce cœur adorable pour les âmes qu’il ne veut jamais perdre, oh ! que vous auriez de confiance ! Dites donc dans ces occasions, où il semble que votre perte est assurée, ne sentant point de grâce pour vaincre ce que vous ressentez : il est juste, ô mon Dieu, que n’ayant pas fait profit de vos grâces, j’en sois maintenant destituée pour pouvoir vaincre en moi ce qui s’élève contre vous.

Tournez-vous toujours du côté de Dieu. Soyez assurées qu’il ne vous veut point perdre. De nous-mêmes nous ne pouvons rien, et si Dieu ne nous soutenait par une grâce autant puissante qu’amoureuse nous tomberions à tous moments dans mille péchés, et tout présentement que je vous parle, vous et moi nous sommes capables d’en faire une infinité. Qu’est-ce qui me retient donc ? C’est mon Dieu qui veille sur moi ; et quand vous êtes retirées en solitude adorez cette puissance qui vous soutient et qui vous empêche de tomber. Dans ma maladie, que je fus délaissée à moi-même, je ne savais où j’en étais, je fis bien des choses qui m’ont rendue bien abjecte. En vérité on ne se connaît point, jusqu’à présent j’avais cru que j’étais capable de souffrir quelque chose, mais l’expérience m’a fait voir le contraire. Je disais : BONUM MIHI HUMILIASTI ME — il est bon, Seigneur, que vous m’ayez humiliée —, car ce fut pour moi une maladie d’abjection.

Je me plaignais, je n’avais point de repos et je disais : « Ah ! j’ai été malade bien des fois, j’ai eu des maux de poitrine, des coliques assez violentes, des fièvres ardentes, j’ai été plusieurs fois à la mort, mais celle-ci je ne sais où j’en suis, je n’ai plus de cœur, que suis-je donc ? Je ne me connais plus, Dieu m’a frappée jusque dans la substance de mon être. Il est vrai que j’en avais assez pour partir, mais Dieu m’a renvoyée afin que je commence à vivre en simplicité comme un enfant, tout abandonnée à lui et sans retour sur moi.

Abandonnons-nous donc mes Sœurs, Dieu est Père, nous voyons dans les conduites qu’il tient sur l’Eglise qu’il veut que nous nous abandonnions à lui. Voyez l’Évangile d’aujourd’hui, je ne l’ai point lu, mais dans quelques petits passages de l’Office j’ai compris que Jésus Christ disait : « N’appelez personne sur la terre votre père, car vous n’avez qu’un Père qui est au ciel et qu’un Maître qui est Jésus Christ » (Mt 23, 9). Vous me direz : mais j’ai un père qui m’a donné l’être ! Il est vrai, mais cet être n’est qu’un

être passager et fini, mais l’être que vous avez reçu de Dieu est un être qui ne finit point. Oui, c’est une vérité de dire que Dieu est notre Père, c’est lui-même qui nous a produits et c’est lui seul qui nous conserve, puisque s’il ne nous soutenait pas nous tomberions tout à l’heure dans le néant. Je ne vois rien de plus consolant et de plus ravissant pour une âme que de dire : « Dieu est mon Père ». En plusieurs endroits de l’Évangile il nous le montre et même il semble nous en faire un commandement exprès comme en celle d’aujourd’hui : « N’appelez, dit-il, personne sur la terre votre père, car vous n’en avez qu’un qui est au Ciel ». Cette parole qu’il dit à Sainte Magdelaine après la Résurrection me charme : « Je monte à mon Dieu et à votre Dieu, à mon Père et à votre Père ». Quelle consolation à une âme, mon Dieu est mon Dieu, mais il est aussi mon Père.

n° 2436 P123 p.166

Le texte porte : « Lui-même sera notre viande ». C’est le seul terme de ce recueil que nous avons cru bon de modifier pour éviter d’émouvoir les sensibilités. Il est cependant intéressant de préciser que dans le langage du XVIIème siècle, « viande » désignait simplement les aliments, la nourriture prise dans un sens général. C’est ce que dit Furetière. Et de même Littré : « Toute espèce d’aliment, tout ce qui est propre à soutenir la vie ». cf. Claudine Moine (1618-16 ?) Ma vie secrète (Desclée) p.119.

La misère du temps et le pressant besoin de la maison faisaient craindre à quelques-unes de manquer des choses nécessaires à la vie. Notre vénérable Mère tâchait de consoler celles qu’elle voyait plus inquiètes à ce sujet et qui appréhendaient même de mourir de faim.

Jamais, leur dit-elle entre autres choses, on n’a vu des victimes abandonnées de Dieu. Mais les victimes de leur côté doivent s’abandonner à Notre Seigneur, qui est leur Père, leur Dieu, et leur Sauveur : il prendra soin d’elles de quelque manière que ce soit. Ne nous mettons donc point en peine de quelle mort nous mourrons : la victime ne doit point envisager le genre de sa mort, mais l’objet de son sacrifice. Si Dieu nous laisse mourir de faim en ce monde, il nous rassasiera dans le Ciel par des mets infiniment délicieux : lui-même sera notre nourriture.

Jugez, mes Sœurs, quel bonheur d’être nourries éternellement de Dieu même. Je vous souhaite à toutes son pur amour et de n’avoir point d’autre objet que lui seul dès cette vie.

n° 1886 P123 P.137

1er avril 1694

Le 1er avril 1694, notre digne Mère reprit fortement une religieuse qui témoignait une crainte excessive de n’être pas du nombre de ceux qui gagneraient le Jubilé. « Vous allez toujours dans l’extrême, lui dit-elle. Puisez en Dieu un fond de confiance et demandez-lui pardon de l’outrage que vous lui faites, en vous défiant de sa bonté. Il se tient moins offensé d’un crime que de la défiance en sa miséricorde, témoin Judas qui fit un plus grand péché par son désespoir, que par celui qu’il avait fait en vendant Notre Seigneur. Voulez-vous un exemple plus fort ? Changez de sentiments et que je ne vous voie plus à la désespérade et menant tout le monde en enfer avec vous ». Puis elle lui dit agréablement : « Vous avez donc bien envie d’y aller, d’après ce que je vois, au moins il le paraît par vos paroles. Modérez-les aussi bien que vos sentiments et gardez-vous de la défiance : Dieu est votre Père et votre Sauveur. Croyez-vous qu’il vous veuille perdre ? Regardez-le en ces qualités et non comme un tyran, ainsi qu’il paraît que vous faites. À quoi bon se retirer de la confiance pour se jeter dans le désespoir ! »

Sachez, mes Sœurs, que vous trouverez Dieu à la mort conne vous l’avez fait pendant votre vie. Vous êtes ses enfants, ses épouses et ses victimes ; il est en vous, et vous le portez toujours dans vos cœurs ; il vous comble de ses grâces, vous tenant unies à lui par son amour, mais d’une manière si intime que vous êtes comme tout entrées en lui. Voudriez-vous vous en séparer ? C’est lui faire une injure insupportable que de se défier de sa bonté. Non, mes Sœurs, rien ne peut lui être plus désagréable que d’entrer dans un cœur où il trouve de la défiance. Quelque criminelle ou méchante que vous soyez, Dieu est toujours votre Père et il a plus de bonté pour vous que vous n’avez de malice. Quant à moi, j’ai fait pis que tout ce que vous pourriez avoir fait, et j’ai mérité l’enfer plus que tout le monde ensemble ; j’ai fait pis que tous les Juifs, ayant une infinité de fois crucifié Notre Seigneur par mes péchés. Néanmoins je le regarde toujours comme mon Père et dans cette confiance je ne crains point qu’il me perde, j’espère en ses miséricordes.

Parlant encore sur le Jubilé et sur la confession, elle dit à une autre religieuse : « Il faut vous examiner pour voir si en toutes choses vous n’avez cherché que le plaisir de Dieu, toute votre ambition devant être bornée à faire régner ce plaisir de Dieu en vous : rien d’humain n’y doit être préféré. Il ne faut pas que vous ayez d’autres vues : faites une chose, faites-en une autre (vos notes si vous voulez), toujours toutes choses dans cette vue du bon plaisir de Dieu ».

n° 2004 P123 p.138

Avril 1694

Notre digne Mère, au mois d’avril 1694, nous entretenait familièrement de la confiance que nous devons avoir en la miséricorde de Dieu. Elle nous dit à ce propos : « Un jour, faisant la réparation, il y a plus de vingt ans, j’avais quelque petit mouvement extraordinaire qui faisait que j’étais fort touchée, autant et plus de mes propres péchés dont j’avais la vue présente, que de ceux des autres.

Me trouvant donc fort peinée intérieurement en vue de mes péchés qui m’étaient d’un grand poids, et comme je craignais de communier dans cet état, ne sachant plus que faire de moi tant j’étais désolée, me voyant si misérable et si chargée de péchés, il me fut dit intérieurement : « Puisque tu as percé ton Dieu, que tu l’as outragé, que tu lui as fait des plaies par tes péchés, fourre-toi dans ces mêmes plaies que tes péchés ont faites, tu y trouveras ta guérison, ton salut et enfin, tu trouveras la vie de ce qui t’avait donné la mort ».

n° 2303 CrC p.193

Avril 1694

Les lignes suivantes ont été empruntées à un autre manuscrit qui est pour la première partie, moins personnel que le Cr C.

(...) « Celles de dessous les pieds de Notre Seigneur sont mon attrait, l’on y peut toujours demeurer, parce que l’on y est cachée, séparée, et que Notre Seigneur nous y souffre, et prend plaisir à nous y voir ». « Et celle du côté ? » lui dit-on. Elle répondit : « On y peut aller aussi quelquefois, mais pour y demeurer toujours il faudrait des âmes bien épurées, et bien séparées d’elles-mêmes et de tout le créé, car c’est une fournaise qui veut toujours consommer. Il faut aimer du pur amour, ou on n’y peut demeurer ».

n° 1974 (fin) D12 p.4

2 avril 1694.

« Je me suis trouvée toute nature ».

Laissons Furetière nous expliquer l’expression : « Nature se dit figurement en matière de Religion, de la volonté de l’homme, du penchant au péché qui est né avec lui. L’homme dans l’état de nature corrompue est en état de péché. Il n’y a que la grâce qui lui fasse vaincre les passions de sa nature fragile et corrompue ».

Je ne saurais assez vous dire, mes Sœurs, combien nous sommes contraires à nous-mêmes. Nous sommes notre plus grand ennemi, d’autant plus dangereux que nous nous en défions moins et que nous vivons plus en assurance avec lui, quoiqu’il nous séduise à toute heure et à tout moment. On s’en prend à celle-ci ou celle-là. Hélas ! prenez-vous-en à vous-même, car c’est vous-même qui vous faites tout le mal que vous avez, et vous êtes à vous-même le plus grand obstacle que vous puissiez avoir au bien.

Je ne saurais assez m’étendre sur la misère, ni trop gémir sur l’aveuglement, la pauvreté et l’impuissance de la créature qui vit dans l’insensibilité, n’étant point touchée de ces grandes vérités que tout n’est rien, que tout passe, qu’il faut finir, qu’il faut mourir, quoiqu’elle soit tout près de la mort, car nous en approchons à toute heure. Si nous étions pénétrées de ces vérités, vivrions-nous comme nous le faisons ? Serions-nous aussi humaines ?

Il faut avouer que c’est une pauvre chose que la créature ! Je vous le dis d’après ma propre expérience. Je me suis vue en cette maladie tout près de la mort et je me suis trouvée toute nature. J’étais toute nature auparavant, et depuis que Dieu m’a renvoyée, je me trouve encore toute nature. Je prévoyais bien cela, et c’est ce qui faisait que je n’aurais pas été fâchée de mourir, mais bien de revenir, et que je ne l’ai fait que malgré moi et en versant des larmes. Nous sommes toujours nature : nature à la vie, nature à la mort. C’est une suite du péché de notre premier père. Qu’il a fait de désordre en nous ! Un de mes sujets d’étonnement dans les commencements était que le baptême, tout puissant qu’il est, ne nous ôte point cette misérable capacité de péché et la pente naturelle que nous y avons. Ni même la sainte Communion qui fait en nous des effets si merveilleux ; car un moment après, vient-il une petite occasion, nous y succombons.

Une religieuse dit alors à notre digne Mère : « Mais Dieu a pitié de notre faiblesse.

— Vraiment il le faut bien ; sans cela, il y a longtemps qu’il nous aurait foudroyées. Voyez s’il a pardonné seulement une seule fois aux Anges et comme il les a traités. Hélas ! s’il n’avait pas pitié de nous et de notre faiblesse, que ferions-nous ?

— C’est qu’il nous aime infiniment ».

n° 1199 B532 p.21

2 avril 1694

Je trouve à la vérité que c’est une très grande grâce que le jubilé. Mais à mon sens, et dès ma jeunesse, j’ai trouvé dans la confession quelque chose de si grand et qui m’imprimait tant de respect et d’estime pour ce sacrement que je ne voyais rien qui le surpassât. Car enfin quoique nous n’y recevions pas le Corps de Notre Seigneur Jésus Christ, ses mérites nous y sont appliqués et c’est (en) une participation et une action qui rend beaucoup de gloire à Dieu, parce que par là nous nous humilions devant, et en confessant nos fautes, nous avouons que nous sommes criminelles.

Mais nous devons regarder Dieu uniquement en la personne du prêtre, sans avoir égard à ses qualités naturelles ou surnaturelles. Il nous suffit qu’il nous tienne la place de Dieu. Je m’étonne que tant de personnes s’y entretiennent de bagatelles : il me semble que c’est un défaut de respect. Cela n’est pas bien et je ne le puis souffrir. Il faut nous confesser avec humilité et avec la résolution de nous corriger, et si nous ne pouvons nous empêcher de commettre les mêmes fautes que nous avons confessées, du moins tâchons que le nombre en soit diminué et que nos chutes deviennent moins fréquentes.

n° 1553 B532 p.23

10 avril 1694, Samedi Saint

La maladie que j’ai eue m’a été très utile, elle m’a fait voir la grande miséricorde de Dieu dans laquelle je suis demeurée. Je ne puis assez admirer cette divine miséricorde dont je suis environnée et qui me soutient toujours. Je ne sais d’où vient que j’ai été malade, comme j’ai été malade et ce qui s’est passé dans ma maladie. C’est une maladie que Dieu a faite exprès, qui m’a mise plusieurs fois à la mort. Et dans le temps où j’ai cru m’en aller, on m’a jetée et l’on n’a plus voulu de moi, on m’a renvoyée. Je suis restée entre les mains de mon Dieu pour être tout ce qu’il lui plaira, pour souffrir tout ce qu’il voudra, et demeurer toujours dans la mort. C’est ce que ma maladie m’a appris, de vivre dans cet esprit de mort. Et cet esprit de mort consiste à demeurer toujours en Dieu. Oui, toujours en Dieu sans jamais m’en séparer un seul moment. Dieu en tout, Dieu partout, Dieu toujours.

Je lisais hier aux Ténébres un vers que j’aime bien : « Je dormirai et je me reposerai... »

Voilà comme je désire être, dormir et me reposer en Dieu, que plus rien sur la terre ne me trouble, plus de créature, plus de moi-même. Oh ! le bonheur d’une âme de se reposer en Dieu, et de s’oublier d’elle-même et des créatures ! N’êtes-vous pas assez lasses de vivre en vous-mêmes et dans les créatures ? Pour moi, je le suis bien.

Croyez-moi, laissez là toutes les créatures aussi bien que vous, et demeurez en Dieu pour y dormir et vous y reposer. Il n’est pas nécessaire d’aller si loin pour cela, vous n’avez qu’à rentrer en vous-même, car Dieu est dans l’intime de votre âme. Vous l’y trouvez à tout moment y faisant actuellement sa demeure. Regardez-le donc toujours pour adhérer à lui, pour vouloir tout ce qu’il veut, pour vous y soumettre. Priez-le de vous attirer tout à lui. « Trahe me post te ». Il y a deux choses à faire dans la vie pour être à Dieu : Adorer et adhérer toujours. Donc adorer, et adhérer à tout ce qu’il permet, l’aimant, le voulant et l’agréant par soumission à ses ordres. Voilà le moyen que rien de tout ce qui peut arriver en la vie ne nous puisse troubler. C’est ainsi que vous dormirez et reposerez doucement en Dieu, l’adorant et lui adhérant toujours.

n° 1875 B532 p.24

12 avril 1694. Lundi de Pâques

Je ne veux plus souffrir l’humain, partout où je le trouverai je lui ferai la guerre et je donnerai des coups de bâton à celles qui n’en voudront pas sortir, je ne suis revenue que pour cela. Je veux le détruire en vous toutes, ou du moins j’y ferai mon possible, parce que dans ma maladie j’ai eu des connaissances là-dessus et j’ai su que cela déplaisait infiniment à Dieu. Il ne peut souffrir que dans ses victimes l’humain remplisse ce qu’il devrait seul occuper. Je vous ai vues toutes pleines de l’humain, et Dieu me l’a fait connaître. J’ai résolu de vous en faire sortir bon gré, mal gré, car, après ce saint jubilé et ces saintes Pâques, il faut que Jésus Christ règne en vous. Et si vous ne le faites régner par amour, il régnera par force à vos dépens : vous en aurez du déplaisir et vous vous en repentirez. Des Filles du Saint Sacrement ne devraient être que des filles du pur amour. Jamais, jamais elles ne devraient avoir de retours sur elles. Et, de même que Jésus Christ n’a eu en vue que la gloire de son Père et nos intérêts, elles ne doivent en toutes choses avoir d’autres vues que la gloire de Dieu et les intérêts de Jésus Christ.

Or quels sont ses intérêts ? Son règne, son amour dans les âmes. Faites-le donc régner en vous, aimez-le pour lui-même, ne souffrez plus que l’humain tienne en vous la place de Dieu, ne regardez point les causes secondes, ne vous arrêtez point à raisonner : pourquoi ceci ? Pourquoi cela ? C’est une telle qui m’a choquée, c’est une autre qui m’a offensée. Ne vous en prenez à personne : c’est vous-mêmes qui vous faites tout le mal que vous avez. Sortez de l’humain. Je ne dis pas que vous en sortirez tout à fait, cela ne se peut en cette vie, nous en sommes toujours environnées ; mais j’entends que vous ne vous y reposiez pas, que vous ne vous en occupiez pas volontairement. Aussitôt que vous vous trouvez dans l’humain, quittez-le pour ne voir que Dieu et son bon plaisir.

L’Ange dans le ciel, avant qu’il eût péché, était beau, plein de gloire et de lumière, parce qu’il regardait Dieu. Mais du moment qu’il s’est recourbé vers lui-même il est devenu une laide bête, et, par le péché du premier homme, il a communiqué son venin à toute la nature. Voilà pourquoi nous nous regardons toujours, c’est le malheureux penchant de la nature corrompue et, comme je le disais hier, c’est que nous avons en nous un fond de démon qui nous porte toujours à l’élévation.

n° 1214 P123 p.131

18 avril 1694. Octave de Pâques

« Temps ».

C’est l’état de l’atmosphère ;

le ciel, l’espace dans lequel se déplacent les nuages. Ainsi : « Un temps sans nuages » (Furetière).

Oh ! que j’aime la présence de Dieu dans une âme ! Que je trouve qu’elle y fait du bien. Penser que l’on est environné de Dieu, que nous sommes en lui, que nous vivons et nous nous mouvons en lui, que c’est lui qui nous soutient et nous anime, qu’il nous fait être ce que nous sommes, que sans lui nous ne serions point, quel effet cela ne produit-il pas dans le cœur ? Je compare cette présence de Dieu au temps : vous le voyez quelquefois rempli de petits moutons. Lorsqu’il fait un grand air et du vent ils se dissipent et il n’en demeure pas un : il devient d’une beauté et netteté admirable. Ou bien, si vous voulez, que quelques rayons de soleil viennent à paraître ils opèrent le même effet.

De même aussi : ayez l’intérieur rempli de mille choses qui vous peinent, vous inquiètent, vous troublent et vous embarrassent l’esprit, appliquez-vous à cette divine présence, remettez-vous en Dieu, regardez-le, n’ayez en vue que lui, pensez à ses bontés, à ses miséricordes, occupez-vous de ses grandeurs et de ses perfections infinies, perdez-vous dans son immensité divine et adorable, vous voyez qu’imperceptiblement tout se dissipe. Vous trouvez votre âme dans un calme, dans une paix et dans un repos si grand que cela surprend.

n° 176 P123 p.165

3 mai 1694 « Une expression de ses états ».

Jésus manifeste, communique ses états à l’âme. Ils s’impriment en elle, laissent en elle une trace, et à son tour elle doit les manifester extérieurement par ses actes.

Le 3 mai 1694 à la récréation du soir, notre digne Mère parla sur les dispositions que demande la sainte Communion.

Communiez tous les jours si vous voulez, dit-elle, je le veux bien, mais aussi que la sainte Communion opère en vous la mort à vous-même ! Jésus Christ doit faire une expression de ses états dans une âme qui communie souvent ; ils doivent être imprimés en elle et on les y doit voir pour y conformer sa vie. Elle les doit exprimer dans ses actions et ses paroles, et dans les occasions elle doit mettre en pratique les vertus de Jésus Christ, comme son esprit de sacrifice et de mort, son humilité, etc... etc. Pour communier avec fruit, il faut que cet adorable Sacrement produise en vous ces effets. Et en vérité j’ai de la peine quand je vois que l’on communie fréquemment et que l’on ne prend pas l’esprit de Jésus Christ et que l’on n’a point de rapport avec lui.

Je ne vous dis pas de ne point communier, prenez bien mes paroles. Mais je vous dis, en communiant souvent, de vivre selon la grâce de la Communion, vous revêtant de Jésus Christ, en prenant son esprit et en ne vivant que pour lui. Et pour cela il faut, je vous le répète, mourir à vous-même.

Une religieuse prenant la parole dit qu’elle était bien éloignée de ces pratiques et par conséquent de répondre à la grâce de la Communion ; c’était sa grande peine de n’être pas à Dieu comme elle désirait.

Notre vénérable Mère répondit : « Pour être à Dieu, il n’y a pas à faire tant de choses que l’on se l’imagine ; il ne faut pas tant se tourmenter et s’inquiéter pour le connaître. Deux choses suffisent. L’une, de regarder uniquement Dieu en tout et partout, dans toutes nos actions, nos pensées, nos paroles, n’ayant que la seule vue de le contenter et de faire sa sainte volonté, sans nous amuser à vouloir plaire aux créatures. La seconde, c’est de nous séparer toujours de l’humain. C’est cet humain qui nous arrête et nous amuse toujours, qui nous entortille et nous embarrasse l’esprit à mille réflexions et retours inutiles, à mille bagatelles qui nous détournent de l’attention que nous devons avoir continuellement à Dieu et à sa sainte présence. Ôtez-moi ce misérable humain, je ne le peux souffrir ».

Notre digne Mère ajouta en plaisantant : « Depuis que j’ai été malade, je suis colère, et si colère que je voudrais toujours me fâcher quand je le rencontre quelque part. Il m’est insupportable. Je ne veux plus le voir en vous autres. Je ne veux plus que Dieu en vous. Je vais être bien méchante, car partout où je trouverai ce misérable humain, je le battrai ».

Et regardant la religieuse qui venait de parler, elle lui dit, en plaisantant toujours : « Assurément, je vous taperai bien si vous ne détruisez tout l’humain, et si vous ne l’ôtez de vos cœurs. C’est indigne à des âmes qui ne sont créées que pour Dieu, de regarder autre chose que lui et de s’amuser ainsi à la créature. Vous voyez que je ne me lasse point de vous rabattre la même chose et de me récrier sur cet humain. C’est que dans ma maladie, j’en ai connu l’amusement, et comme toutes les âmes s’y laissent aller, perdant par là une infinité de grâces et se retardant beaucoup dans la perfection. Car tant qu’elles s’y arrêtent, elles n’avancent point et demeurent toujours humaines. Sortez-en donc bien vite, mes Sœurs ! Faites-le tomber dans le néant avec vous afin de vous retrouver en Dieu. C’en est le moyen véritable et sûr. Croyez-moi, je vous dis vrai. Faites-en l’expérience en vous séparant de l’humain qui, jusqu’à présent, n’a fait que vous souiller et vous retirer de Dieu ».

n° 2108 B532 p.27

Mai 1694

Un jour, à la récréation, notre vénérable Mère nous parlant d’une manière qui nous tenait toutes fort attentives, une religieuse entra, qui ne s’apercevant pas de notre application, fit beaucoup de bruit et empêcha la Communauté d’entendre. On s’en plaignit en la priant de cesser, sur quoi notre digne Mère nous dit : « Voilà comme nous n’entendons point la voix de Dieu, quand nos sens et nos passions font du bruit : la voix de Dieu est si délicate qu’il faut un grand calme pour la pouvoir entendre ».

n° 2895 P123 p.134

21 mai 1694

Le vendredi d’après l’Ascension elle dit aux novices : « Écrivez en gros caractères : telle je suis étant novice, telle je serai après ma profession. Si vous avez été lâche avant votre profession vous le serez encore après. Celles-là seraient heureuses qui se seraient mortifiées et vaincues, afin d’entrer ensuite dans les dispositions de la grâce ».

n° 2117 P123 p.135

26 juin 1694

Notre vénérable Mère s’adressant à une novice qui devait faire profession trois jours après, parla de la grandeur de cette action et des obligations qu’elle nous impose en des termes les plus forts.

Les religieuses qui étaient présentes se récriant sur la difficulté de remplir ces obligations : « Hélas, dit Notre Mère, trop heureuse si à quatre-vingts ans je pouvais dire que je suis religieuse ! Mais j’en suis bien éloignée et je peux dire au contraire que je ne l’ai jamais été, et qu’à l’âge où je suis, je ne sais encore ce que c’est qu’être religieuse. Car c’est quelque chose de si grand et de si divin qu’il est impossible à l’esprit humain de le pouvoir comprendre. La profession est un second baptême, c’est de plus un engagement d’éternité, c’est une promesse faite à Dieu même, après laquelle nous n’avons plus aucun droit sur nous, et nous ne devons plus disposer de nous en aucune manière.

Le vœu de conversion de mœurs nous oblige à combattre sans cesse nos penchants, nos humeurs, nos inclinations. En un mot il faut nous préparer à être contraires à nous-mêmes, à sacrifier à tout moment. C’est de plus l’obligation d’une victime qui ne doit plus vivre de sa propre vie. De nous croire capables de remplir par nous-mêmes toutes les obligations où la profession religieuse nous engage, ce serait une grande témérité. Que faut-il donc faire ? Il faut, pour bien faire profession hors de nous-mêmes, faire, c’est-à-dire considérant d’un côté la grandeur d’une obligation où nous nous engageons et de l’autre notre incapacité, faiblesse et impuissance, mettre tout notre appui et notre confiance en Dieu, espérant qu’il nous fera la grâce d’être fidèles et de remplir nos devoirs, et ne faire aucun fond sur nous-mêmes. La plupart des personnes qui font profession ne savent pas ce qu’elles font. Hélas ! je ne le savais pas moi-même, quoique je fisse tout ce que je pus pour m’y préparer, et que je paraissais avoir beaucoup de feu et d’ardeur, et avec tout cela je n’ai rien fait. Je ne sais ce que tout est devenu, car j’ai bien mal rempli mes devoirs ».

Une lui ayant dit qu’elle souhaitait fort être à recommencer, elle lui répondit : « Si vous ne pouvez pas la recommencer vous pouvez toujours la renouveler. Pour moi je dirais volontiers : je ne savais, mon Dieu, ce que je faisais lorsque je me suis engagée à de si grandes choses, et depuis que j’ai eu quelque petite connaissance, je ne les ai pas remplies et je me trouve présentement entièrement incapable de les pouvoir jamais remplir si vous ne m’en faites la grâce. Après la profession, il ne faut plus que l’humain tienne en nous la place de Dieu, vous ne le pouvez faire sans une grande infidélité ».

n° 2127 B532 p.33

Août 1694 « Et d’où vient ».

« D’où » avait le sens de pourquoi ? pour quelle raison ? Il est renforcé par « vient » employé ici comme semi-auxiliaire.

Saint Augustin dit que les œuvres sans la foi sont des œuvres mortes, comme la foi sans les œuvres est une foi inanimée parce qu’elle n’a pas devant les yeux son unique objet qui est Dieu seul. Ah ! si nous avions toujours Dieu devant les yeux, nous serions plus sages que nous ne sonnes. C’est pourtant une vérité que nous sommes obligées de croire sous peine de damnation éternelle que Dieu est partout et qu’il voit tout. Oh ! mais vous me direz, je ne le vois pas. Il est vrai, mais Dieu n’est pas sensible, c’est un pur esprit qui ne peut tomber sous nos sens. Il est pourtant vrai qu’il est partout. Il est en vous, en nous ; en vous et en nous, nous dit-elle parlant à trois ou quatre qui étions présentes.

Il faut que je vous donne un exemple qui vous le fera connaître. À présent que le temps est sombre, vous ne voyez pas le soleil. Il n’est pas visible à vos yeux. Cependant, il luit, et s’il n’était point, l’on ne verrait goutte. Aussi disons que Dieu est en nous, et que nos corps lui servent de nuées et d’ombres pour se cacher. Comme le soleil de la nature ne se voit pas à cause des nuées qui le cachent, de même le soleil de la grâce qui est Dieu ne se voit pas, car nos sens et nos corps sont les nuées sous lesquelles il se cache à eux. Mais la foi nous le découvre et est comme un soleil qui se fait voir à plein sur le midi.

Une religieuse lui ayant dit : « Mais, ma Mère, il semblerait à parler selon que l’on voit les grands du monde prospérer qu’il n’y a point de Dieu, ou qu’il ne voit pas tout le mal qui se fait : par exemple, un Prince d’Orange qui fait tant de ravages ». Elle lui répondit : « Dieu se fait des saints partout et de toutes les manières. Nous n’avons qu’à adorer ses conduites adorables et nous y soumettre à l’aveugle. Il est un bon Père qui a soin de ses enfants et il ne permettra pas qu’une seule périsse. Il nous faut seulement abandonner en toutes choses à son aimable volonté, sans nous mettre en peine d’aucune chose : c’est là le seul secret de vivre toujours content, quoi qu’il arrive. Car qui peut empêcher une maladie de venir et une personne de mourir ? Aucune créature sur la terre n’est assez puissante pour cela. Ainsi de tout le reste ».

Et parlant à une malade, elle lui dit : « Abandonnez-vous entièrement entre les mains de Dieu pour qu’il fasse de vous ce qu’il lui plaira, soit pour la vie ou pour la mort, il n’importe. Abandonnez-vous toute à lui, c’est là le seul moyen d’avoir toujours la paix, car sans cet abandon général nous ne faisons rien qui vaille, et avec cette disposition toutes nos actions auront les qualités qu’il demande de nous.

Car une âme qui lui est ainsi toute abandonnée lui est plus agréable que cent autres qui ne sont point dans cette disposition, et lorsqu’il la trouve dans une âme, il y vient répandre des profusions de grâces. Oui, des profusions, tant il aime cet abandon et que partout où il trouve cette vertu il la comble de bénédictions.

À quoi bon se tant inquiéter pour l’avenir : il n’arrivera rien que par la permission de son adorable Providence. À quoi donc servent toutes ces inquiétudes ? Qu’à nous troubler et à nous faire perdre le moment présent qui ne reviendra plus. Ne pensons qu’à ce moment présent qui nous est donné pour gagner l’éternité. Tout ce qui vous occupe l’esprit pour l’avenir n’arrivera peut-être pas. Et d’où vient vous en embarrasser inutilement. Il sera assez temps quand les choses seront arrivées. Oh ! mais le temps est misérable, et nous mourrons peut-être de faim ! Et qu’importe de quelle manière nous mourrons, il nous faut toujours mourir. Vous ne voyez pas que le démon fait tout ce qu’il peut pour nous empêcher de profiter de ce moment présent, duquel bien ménagé dépend notre éternité. Et ce moment qui s’écoule si vite conduit insensiblement à la mort, et alors il ne sera plus temps de regretter le passé. Travaillez, mes Sœurs, pendant que vous êtes encore jeunes, et ne perdez pas des moments si précieux que les saintes âmes du Purgatoire voudraient bien avoir. Ah ! qu’elles les emploieraient bien mieux que nous ne faisons. Demandons pardon à Dieu de tant de moments mal employés et tâchons de mieux faire à l’avenir ».

n° 2654 N261/3 p.42

Août 1694

Une religieuse ayant dit quelques paroles à son avantage en sa présence, elle lui répondit : « L’humain n’honore point Dieu, Dieu l’a en horreur, fuyez-le comme une peste et comptez que tout ce que vous dites et que vous faites par l’humain, non seulement c’est du temps perdu, mais bien plus c’est que vous en rendrez compte. Il ne faut jamais rien dire ni rien faire que par l’esprit de Dieu. Ce n’est pas lui qui vous vient de faire parler. Et que savez-vous si je n’en prendrai point de vanité ». Elle s’anima (...) et nous parla sur cette matière avec tant de chaleur qu’elle nous fit comprendre la douleur qu’elle avait de voir régner l’humain presque partout, et que la plus grande partie de la vie se passait dans l’humain qui ferait un jour notre douleur à la mort.

Je ne demanderais pas, nous dit-elle, que l’on fît de si grandes choses, mais en tout et partout beaucoup de pureté d’intention. Je sais que vous la dirigez dès le matin, mais autant que faire se peut, il faut réitérer cette pureté en toutes vos actions, portant une certaine attention et esprit intérieur qui dit en vous-même : je m’en vais ici ou là, non pour ce que l’on m’y appelle ni autres raisons, mais parce que Dieu le veut. Allez toujours vous simplifiant en toutes occasions.

En religion, l’on est plus coupable pour ne pas faire le bien que pour faire le mal, parce que l’on est hors des occasions : c’est à quoi peu de personnes pensent. Et sous prétexte que la conscience ne reproche pas de grandes fautes, l’on se croit en assurance, mais l’on peut se perdre d’une façon comme de l’autre. Il faut y prendre bien garde.

n° 2881 N261/3 p.45

7 septembre 1694

La veille de la Nativité de la très sainte Vierge, elle nous dit de lui demander trois grâces qu’elle avait reçues dès ses premiers moments : la première, qu’elle avait connu Dieu ; la seconde, qu’elle l’avait adoré ; la troisième, qu’elle s’y était abîmée.

n° 1934 P123 p.148

8 novembre 1694

Cette page nous éclaire sur la vie spirituelle de la Communauté de la rue Cassette, et elle nous fait communier à ses aspirations par delà les siècles. Ainsi voyons-nous que les Pères avaient leur place dans les lectures de la Communauté, les fautes contre la charité fraternelle faisaient l’objet de coulpes spontanées, et le rapport communion-charité » était mis en lumière et expérimenté.

« La lecture du matin » dont il est parlé ici est ce rassemblement de la Communauté qui s’est fait dans tous nos monastères jusqu’à la remise en question des Coutumes. Les moniales y travaillaient tout en écoutant une lecture faite par la Prieure qui pouvait aussi donner avertissements et avis. Certains jours il arrivait à quelques Sœurs moins pressées dans leur emploi de continuer plus longtemps l’échange avec la Prieure. C’est ce souvenir que cette page évoque.

« Par de certaine occasion ».

Signifie occasion précise, attendue. Dans ce sens au XVIIème siècle, l’adjectif « certain » pouvait se placer avant le nom alors que, aujourd’hui, il aurait un sens indéfini. Dans notre texte : « certaine occasion » s’oppose à « choses que l’on ne prévoit point ».

Étant à la lecture du matin, que l’on nous fît sur la sainte Communion, des sentiments des Pères qui conseillent d’en approcher souvent, elle nous dit ensuite : « Voilà une fort belle lecture et combien consolante. Communiez donc, mes Sœurs, avec amour et avec profit. Aimez votre prochain puisque Dieu veut que vous l’aimiez comme vous-même, et qu’il vous le commande. Regardez-le en lui et ne vous arrêtez point à ses défauts, ni aux peines qu’il vous a pu faire pour en avoir du ressentiment. Car il arrive bien souvent que le prochain nous fait de la peine ou nous cause quelque déplaisir sans le vouloir et sans dessein de le faire. Et cela par de certaine occasion qui se présente, ou des choses qui arrivent que l’on ne prévoit point. C’est pourquoi il faut l’excuser et regarder que Dieu le permet sans lui en vouloir de mal. J’aime bien que l’on communie souvent, mais il faut cette charité pour le prochain, Dieu même nous l’ordonne.

Il est vrai que l’on dit de belles choses du Saint Sacrement. J’avoue qu’il y a des livres qui en disent d’admirables et merveilleuses. Et si pourtant je vous disais qu’avec toutes les beautés que l’on en dit, je ne trouve point encore que l’on en parle selon ce que je voudrais. Je cherche partout quelqu’un qui voulût dire ce que je souhaite d’entendre, mais je ne trouve personne. Vous me pourrez dire : dites vous-même ce que vous voudriez que d’autres disent. Je vous répondrais que je le voudrais bien si je le pouvais, car je crois même que cela serait utile et nécessaire à la gloire de Dieu, que Notre Seigneur en serait glorifié, plus aimé et admiré dans ce mystère. Mais je ne le peux, je n’en suis pas digne, n’étant qu’une misérable.

Savez-vous bien qu’il y a plusieurs étages en nous. Il y a l’étage des sens qu’il faut surpasser, et les autres auxquels il ne faut pas que nous nous arrêtions, mais nous élever à Dieu par une foi vive qui nous le fait connaître au plus intime de nous-mêmes où il habite en vérité. Et nous le devons croire pour lui rendre nos hommages et nos respects. Faisons donc, mes Sœurs, un saint usage de la sainte Communion, en nous tenant bien unies à Jésus Christ, et toutes rentrées en lui par la grâce de ce sacrement adorable qui doit opérer en nos âmes cet effet divin. C’est le dessein de Jésus Christ Notre Seigneur. Oh mon Dieu ! ayant la possession d’un si grand bien, nous devrions être saintes et tout à Dieu ».

Ensuite après qu’elle nous eût parlé, plusieurs dirent leurs coulpes. Et m’étant accusée que j’avais dit des paroles sèches à quelqu’une, elle prit la parole et me dit : « Eh ! vous communiez souvent et vous manquez de douceur. L’effet et le profit de la sainte Communion n’est pas à avoir de belles pensées, de grandes lumières, mais à pratiquer les vertus de Jésus Christ qu’il ne manque pas de nous y communiquer. C’est là le fruit que nous en devons tirer. Pratiquez-les donc dorénavant en toutes occasions, et soyez toute douceur et charité envers tout le monde. Ce sera par là, dit Notre Seigneur, que l’on connaîtra que vous êtes mes disciples ».

Lui ayant demandé l’après-dîner, par occasion sur ce qu’elle nous avait dit le matin, comment une âme qui est agitée de toutes sortes de peines, qui ne lui donnent aucune capacité de s’élever à Dieu, qu’à peine même peut-elle croire qu’il y eût un Dieu, pouvait voir qu’elle demeurait en Dieu, elle me répondit : « C’est par la volonté que l’on le connaît. Il faut laisser là vos sens et tout ce qui s’y passe, dont vous n’êtes pas la maîtresse. Votre volonté suffit pour demeurer en Dieu. Il y a bien des choses où il ne faut point faire d’attention, qu’il faut laisser passer comme si elles étaient hors de vous sans vous troubler, vous tenant en paix ».

n° 415 N261/3 p.112

2 décembre 1694. Un jeudi

Date présumée : 1694

Ce texte 1557a a été emprunté au manuscrit N 254.

Le 2 décembre 1694 à la récréation du soir elle se mit insensiblement à parler de Dieu, et commença par quelques petites réflexions sur l’éternité et le jugement, nous disant : « Je m’en occupe quelquefois la nuit. À la vérité, c’est une chose terrible que cette décision d’éternité, et la seule pensée est capable de mettre la terreur dans l’esprit des plus hardis ». Une jeune religieuse lui dit qu’elle y pensait souvent, et qu’elle en avait beaucoup de crainte. Elle lui répondit : « Vous qui êtes jeune vous ne devez pas tant vous occuper de ce qui donne de la crainte, comme de ce qui peut vous exciter à l’amour de Notre Seigneur. Il faut que les jeunes gens s’animent par des motifs qui les portent à faire tout par amour et dans la seule vue de contenter Dieu et lui plaire uniquement. Souvenez-vous que l’amour fait faire de plus grandes choses pour Dieu que non pas la crainte ».

« O ma Mère, lui repartit la religieuse, si on avait l’expérience et les connaissances que vous avez on ferait bien des choses ».

Elle lui répondit : « Qu’est-ce que vous voulez savoir ? Il n’est pas nécessaire d’en tant savoir, une seule chose suffit : Croire Dieu. Le croyant vous le connaîtrez, le connaissant vous l’aimerez. Voilà tout ce que vous avez à faire, et ce que je voudrais pour moi-même. Donc : croire Dieu et l’aimer, ensuite agissez, faites tout purement pour son amour, quittez tout l’humain, ne regardez point la créature, confiez-vous en Dieu et vous y abandonnez, perdez-vous en lui et demeurez là ».

Une religieuse lui ayant dit qu’elle trouvait bienheureuses les âmes du Purgatoire, quelques peines qu’elles souffrissent, la même qui lui venait de témoigner sa frayeur sur la pensée de l’éternité et du jugement lui dit qu’elle craignait fort le Purgatoire et qu’elle voudrait bien s’en passer. Notre digne Mère lui répondit : « Faites si bien que vous n’y alliez point, accomplissez la leçon que je vous ai donnée, faites toutes vos actions avec pureté d’intention, ne voyez que Dieu en toutes choses, vivez du pur amour et vous l’éviterez, car le pur amour a son Purgatoire en cette vie ».

n° 1960 N254/2 p.117

8 décembre 1694 « Ne feignez pas ».

Un sens ancien du verbe feindre, qui veut dire craindre. « C’est un homme franc qui ne feint pas de dire la vérité ». Dans ce sens, il est de style familier.

Le jour de l’Immaculée-Conception elle dit à une Novice : « Qu’est-ce que vous avez demandé à la très sainte Mère de Dieu aujourd’hui ? Ne feignez pas de lui demander beaucoup, cela ne lui fera point de peine. Au contraire ce serait l’offenser que de ne lui rien demander, car plus elle donne plus elle a à donner. Ses trésors sont inépuisables. Demandez-lui que toutes vos pensées et les conceptions de votre esprit soient saintes, qu’elle les sanctifie ».

Elle dit qu’en ce jour elle disait plusieurs rosaires de « Tota pulchra es Maria et macula non est in te », qu’elle ajoutait sur les

68

Pater « Tu gloria Jerusalem tu laetitia Israël, tu honorificentia populi nostri, tu advocata peccatorum », expliquant chaque parole d’une manière si tendre et si respectueuse qu’elle donnait de la dévotion.

Le lendemain la même Novice lui dit : « Ma Mère je m’unis à vos dispositions, car je n’en ai aucune ». Elle lui répondit : « Fi ! Fi ! Unissez-vous à celles de la très sainte Mère de Dieu dans ce saint temps. Priez-la qu’elle vienne aimer son Fils en vous, pour vous, et qu’elle vous apprenne à l’aimer. Aimez votre pauvreté, lisez quelques bons livres dont vous puissiez tirer quelque instruction. Ne perdez point de moment à vous rendre à Dieu aussi parfaitement que vous vous y devez en qualité de chrétienne, et comme une personne qui lui est consacrée s’y doit rendre entièrement. Ne perdez point de temps, ne perdez point de temps encore une fois, quoique vous n’ayez pas prononcé les vœux de la sainte religion vous n’y êtes pas moins obligée. Commencez par être attentive à Dieu au fond de votre âme où il réside, écoutez-le, il vous fera connaître tout ce que vous devez faire et vous manifestera ses saintes volontés ».

n° 1989 N254/2 p.128

Date présumée : 1694

Ce texte 1557a a été emprunté au manuscrit N 254. Comme il se trouve fragmenté en d’autres manuscrits, nous avons inscrit en tête de certains paragraphes le numéro matricule de ceux-ci.

Au n° 2651, nous retrouvons le terme « abjections ». Il a simplement sa place dans l’énumération. On peut revoir le n° 2885 (année 1692).

Je trouve que la souffrance a de grands avantages et qu’elle apporte dans une âme une grande paix et un grand repos. Mais, me dira quelqu’une, je ne l’expérimente point, au contraire ! Je sens du trouble aussitôt que j’y suis. C’est que vous n’avez pas d’estime pour la croix, c’est que vous raisonnez humainement et que vous regardez les causes secondes au lieu d’y regarder le bon plaisir de Dieu, sa volonté, et la recevoir de sa divine main, comme effectivement elle en vient. Ne dit-il pas dans la Sainte Écriture : C’est moi qui fais tout le mal de la Cité hors le péché. Il a permis que les choses soient arrivées de la sorte. (En parlant de quelque affaire qui affligeait).

Après l’amour de Dieu et de sa très sainte Mère, il n’y a rien de plus aimable que la croix. Elle est si aimable que vous ne voyez pas un seul saint qui ne l’ait aimée et qui n’ait souffert, qui plus qui moins. Ils ne sont entrés dans la gloire que par la croix, c’en est là le seul et unique chemin. La croix et l’humiliation, car sans l’humilité l’on ne va pas au ciel ! 0 humilié, que tu es rare, mais croyez-moi, il n’y a de bonheur que dans l’humiliation et dans la croix, mais il n’est pas connu. Toute la fortune d’une âme est dans la souffrance, et pour apprendre à être bien intérieure et ce que c’est de la vie spirituelle, il faut être bien crucifiée. On ne l’apprend véritablement que là-dedans.

(n° 2651) Rien n’est meilleur que les confusions, humiliations, abjections, rebuts, mépris, etc. Les saints en faisaient leurs mets les plus exquis et ils en étaient toujours affamés, on ne pouvait les rassasier d’opprobres. Ce n’étaient pas les sentiments de la nature qui leur faisaient estimer ces choses, ils les regardaient dans la lumière de Dieu. Il n’y a rien au monde qui nous profite tant, ni qui nous soit plus avantageux. Comptez pour perdus tous les jours de votre vie où vous n’aurez souffert de ce

(n° 2673) Si aujourd’hui Dieu vous donne une bonne croix, prenez-la et ne pensez point à celle du lendemain, de peur qu’en vous en occupant vous ne veniez à être infidèle à celle d’aujourd’hui. À chaque jour suffit sa peine, allons de moment en moment. La vertu ne subsiste et ne s’accroît dans une âme que par la souffrance.

(n° 2564) Quand j’étais jeune je demandais à Dieu d’être humiliée. J’aurais voulu que l’on me suppliciât et qu’on traînât mon corps sur une claie comme un chien pourri. Présentement je suis très sensible à la moindre humiliation et ma nature appréhende beaucoup les croix. Vous, mes Sœurs, qui êtes jeunes, aimez-les de tout votre cœur, travaillez avec courage à vous vaincre vous-mêmes, à vous mortifier, à crucifier votre amour-propre, la nature et l’orgueil, car lorsque l’on est vieille on ne peut plus rien faire.

n° 1557a N254/2 p.118

Sur la confession

Il est vrai qu’il est facile de faire des confessions de routine et d’habitude, quand elles sont aussi fréquentes qu’elles le sont ici. Car se confesser tous les jours de quantités d’imperfections sans une véritable douleur et résolution de s’en corriger, c’est abuser du sacrement, et le rendre nul et sans profit ainsi que l’on vient de vous le lire. Je conseillerais de faire, et ce serait mon sentiment, connue font les bons Pères de la Mission, par la méthode que leur en a donné Monsieur Vincent, ce grand serviteur de Dieu comme vous savez, qui disait de se confesser seulement de trois choses et plus principales, où l’on est plus facile à tomber, afin de prendre à tâche de s’en corriger, et que l’on en soit davantage excité à la douleur et au regret d’avoir offensé Dieu. Faites ainsi, mes Sœurs, et par ce moyen, vos confessions vous seront plus profitables. Et quand vous vous serez amendées de ces trois défauts-là, vous en prendrez après cela trois autres, et insensiblement par là vous les détruirez l’un après l’autre. Car toujours d’aller confesser les mêmes choses, qui ne sont souvent que des faiblesses dont on n’a pas la douleur qu’il faudrait avoir pour rendre la grâce du sacrement efficace, il serait mieux de ne s’en point confesser. Même cela ne fait qu’amuser un confesseur. Ne dites donc que trois articles et, si vous voulez, des péchés de votre vie passée. Afin de vous rendre ce sacrement plus utile, une fois par semaine suffirait bien pour en approcher.

Je voudrais qu’à confesse l’on ne s’amuse pas à tant dire de choses sur les dispositions où l’on se trouve souvent, qui nous mettent dans des sentiments qui ne sont pas toujours péché, ainsi que plusieurs se l’imaginent, puisque la volonté n’y étant point, il n’y peut avoir de péché. Mais, ce que je conseillerais, c’est qu’en se confessant, l’on s’étudie toujours à dire ses fautes d’une manière qui puisse donner plus de confusion. C’est-à-dire faire bien connaître au confesseur le fond et le penchant que l’on a, par exemple, à l’orgueil, à la superbe, etc., en disant les motifs par lesquels nous avons fait ou dit les choses, cherchant les termes qui peuvent plus nous coûter d’humiliation, et donner plus de connaissance au confesseur sur notre fond. J’entends néanmoins que cela se fasse avec prudence et sagesse, succinctement, car il n’est pas nécessaire de faire pour cela de longues histoires au confesseur.

n° 498 N254/2 p.120

Date présumée : 1694

Ne soyez point curieuses de savoir les choses que vous n’avez que faire ; et, même pour les affaires de la maison, ne vous informez point si l’on a ou si l’on n’a point. Ne vous inquiétez de rien, laissez tout à la Providence qui en aura soin, et si elle veut que nous souffrions il faut le vouloir, ce n’est pas si grande chose, pourvu que Notre Seigneur soit content et que nous fassions son plaisir cela nous doit suffire. Ne pensons qu’à lui plaire et il pensera pour nous ainsi qu’il le disait un jour à sainte Catherine de Sienne : « Ma fille pense pour moi et je penserai pour toi ». Patience, patience, je vous dis : encore un peu de patience, vous verrez les bontés de Dieu et qu’il ne nous abandonnera pas, mais confiez-vous en lui comme des enfants aux soins de leur Père. Et priez la très sainte Mère de Dieu qu’elle protège l’Institut, qu’elle le prenne en sa protection, qu’elle ait soin de toutes les maisons, et de pourvoir à leurs nécessités temporelles, mais surtout au spirituel pour sa perfection, c’est le principal.

n° 2242 N254/2 p.125

Date présumée : 1694 « Abject ».

Désigne ce qui est méprisable, sans élévation, abandonné comme inutile. Employé rarement seul, cet adjectif s’accompagne ordinairement d’une autre épithète qui lui sert de commentaire et d’explication. Ici « petites et abjectes » ; dans les anciennes Constitutions au chapitre 7,5 : « Les travaux vils et abjects ».

Contentez-vous d’être petites et abjectes. Y a-t-il du mal, me direz-vous, de souhaiter d’être plus sage que l’on est ? Saint Paul ne le veut point. C’est à Dieu à nous donner ses grâces comme il lui plaît, et s’il ne nous donne qu’une petite grâce, pourvu que nous soyons fidèles à cette petite grâce et que nous ne voulions jamais l’offenser, cela suffit, il ne nous en demande pas davantage. On est toujours occupé de soi-même, oubliez-vous, contentez-vous non de ce que vous êtes, non de ce que vous sentez, mais de ce que Dieu est et qu’il sera toujours. Réjouissez-vous de toutes ses divines perfections, le reste ne vaut pas la peine que l’on y pense. À mon âge je dois avoir un peu d’expérience, croyez-moi, ne vous souciez que de Dieu, ne désirez que Dieu, tout le reste n’est rien.

n° 290 N254/2 p.126

Date présumée : 1694

L’attrait des plaies du Seigneur était familier à Mare Mechtilde. cf. textes n° 2303 et n° 1974 du mois d’avril 1694, pp. 44-45.

Vous autres qui êtes de bonnes âmes qui servez et aimez Dieu de tout votre cœur, vous ne devez point craindre la mort, mais la désirer. Elle vous doit causer de la joie dans l’attente de posséder Dieu.

J’entends que vous dites : qu’est-ce qui peut croire cela ! Je l’avoue, mais aussi je vous réponds que si vous n’avez point d’assurance sur vos bonnes œuvres vous en devez avoir en la bonté de Notre Seigneur. Nous confiant en lui, en ses mérites infinis, puisqu’il a tant fait pour notre salut, nous avons lieu de tout espérer, et de recourir à lui pour recevoir les effets de ses miséricordes. N’étant pas venu pour

75

les justes, mais pour les pécheurs — c’est lui-même qui l’a dit — nous pouvons hardiment lui représenter et nous en prévaloir, pour augmenter notre confiance.

Ah ! qu’est-ce qui n’en aurait pas en ce divin Sauveur qui a tant souffert pour nous racheter, qui nous a donné son sang et sa vie par une mort si cruelle et si douloureuse. Mettons-nous dans ses plaies sacrées, cachons-nous-y, oui, dessous ses pieds adorables, fourrons-nous dans les trous de ses plaies. Quand nous serons là, le Père éternel ne nous ira pas chercher pour nous condamner, nous y serons en sûreté et hors de crainte de ressentir les effets de sa colère et de sa justice.

n° 3003 N254/2 p.127

Date présumée : 1694

Dieu ne demande pas mieux que de nous remplir de lui-même et de ses grâces, mais il nous voit si pleines d’orgueil et d’estime de nous-mêmes, que c’est ce qui l’empêche de se communiquer. Car si une âme n’est fondée dans la véritable humilité et mépris d’elle-même, elle est incapable de recevoir les dons de Dieu. Son amour-propre les dévorerait, et Dieu est obligé de la laisser dans des pauvretés, dans des ténèbres et stérilités pour la tenir dans son néant, tant c’est une disposition nécessaire que cette humilité. Si Dieu fait des grâces à ces âmes pleines d’elles-mêmes elles se les approprient au lieu de les référer toutes à Dieu, se réfléchissent par une vaine complaisance et par des retours remplis d’amour-propre, et souillent ainsi les dons de Dieu.

Travaillez à acquérir la véritable humilité et un parfait mépris de vous-mêmes, étant ce qui vous rendra agréables à Dieu.

n° 348a N254/2 p.129

Mercredi des Cendres 1695

Cette page pourrait se rattacher au texte n° 1951 du 24 février 1694, cf. pp. 29-30, dont elle ferait un bon développement.

« Sans regarder la créature ». C’est-d-dire ce qui vient du créé. On dirait plutôt : les causes secondes. C’est ce sens.

Le Mercredi des Cendres 1695, elle dit à une religieuse : « Eh ! bien ! qu’avez-vous fait pour recevoir les Cendres ? » Elle lui répondit : « Je me suis unie à la sainte Église pour entrer dans les dispositions convenables pour que cette action fasse en moi l’impression qu’elle doit faire ». Elle lui répondit : « C’est bien, mais l’impression que les Cendres doivent faire est une impression de mort, d’anéantissement, de pénitence et de séparation. Nous devons être comme le grain de froment qui pourrit avant de renaître. De même nous devons mourir à nous-mêmes avant que de ressusciter et de vivre de cette vie divine. Or, pour arriver à cet heureux état il faut se quitter et s’oublier entièrement, ne pensant non plus à soi que si nous n’étions plus au monde, pour nous perdre en Dieu, ne plus nous occuper de nos intérêts, et ne plus chercher si nous avançons, et ce que nous deviendrons. Il faut nous laisser tout à Dieu et nous oublier. Que Dieu fasse de nous tout ce qu’il voudra : toute notre affaire est de le regarder et de n’avoir d’autre soin que de toujours nous unir à lui, et d’adhérer à lui. Voilà l’unique occupation de l’âme, sans aucun retour ni réflexion, demeurant tout en silence pour contempler Dieu, tout voir en lui. Si nous avons soin de nous tenir toujours près de Dieu en cette sorte, le regardant actuellement, il aura soin de nous, car il prend ses complaisances et il opère dans l’âme qui s’oublie en toutes choses, qui ne veut rien que lui, qui s’abîme toute en lui qui est son tout, étant indifférente à quoi que ce puisse être, ne cherchant qu’à jouir de lui et à se remettre toute en lui. L’âme de cette manière meurt à elle-même, elle est contente et tranquille en quelque état qu’elle soit et quoi qu’il lui arrive, parce qu’elle ne veut uniquement que Dieu. Et elle prend tout ce qui lui vient comme venant de Dieu, sans regarder la créature.

n° 2007 P123 p.157

10 avril 1695

Le 10 d’avril 1695, elle nous dit : « C’est aujourd’hui Pâques closes. Voilà qui est fait pour cette année, nous ne reverrons plus les saints Jours. La Pâque signifie passage. Où êtes-vous passées ? En Jésus-Christ. Vous avez toutes communié, et par la sainte Communion vous êtes passées en Jésus-Christ. Mais ce n’est pas le tout, il y faut demeurer et n’en plus revenir ».

n° 1967 N254/2 p.91

28 avril 1695

Le 28 avril 1695, notre digne Mère étant à la récréation le Jeudi au soir, elle commença tout d’un coup à nous dire, interrompant le discours indifférent dont on s’entretenait : « Jeudi, aujourd’hui Jeudi, ce précieux Jeudi qui doit être toujours pour nous un jour de Pâques et de réjouissance, et qui est si vénérable et si plein de grâces ! On peut dire, mes Sœurs, que c’est le jour que Notre Seigneur s’épuise pour ses créatures par l’institution de ce divin Sacrement. Nous devrions être, nous autres, en de continuelles admirations, reconnaissances et Actions de grâces envers ce mystère adorable. Oui, les Filles du très saint Sacrement devraient être tout hors d’elles-mêmes à la vue des prodiges et des merveilles que Notre Seigneur opère pour elles dans ce divin Sacrement. Car pour qui est-ce qu’il s’y met ? si ce n’est particulièrement pour vous, mes Sœurs. C’est là où je peux dire qu’il vous a produites lui-même, pour lui-même, en ce mystère ineffable. Oh ! si je pouvais et s’il m’était permis de dire tout ce que j’en sais : comment il a fait cet Institut, de quelle manière il s’est servi d’une misérable comme moi, et pourquoi il vous a appelées à cette sainte vocation, cela vous surprendrait. Mais ce sont des secrets que Notre Seigneur découvrira en son temps !

Revenons au saint Jeudi. Il est vrai que le Dimanche est très considérable à tous les chrétiens, parce qu’il est tout dédié et consacré à l’honneur de la très auguste Trinité. Et un auteur tient que ce jour est si abondant en grâces et en bénédictions, que toutes les créatures s’en ressentent par quelque impression extraordinaire, chacune en sa manière et selon sa capacité. (...) Mais si ce jour est si précieux et si fécond en bénédictions, le Jeudi l’est-il moins, mes Sœurs, puisque le même Dieu que nous adorons le Dimanche en lui-même se donne et se communique tout à nous le Jeudi. Et on peut nommer ce jour, avec justice, celui des profusions de l’amour d’un Dieu.

Jour dont tous les moments nous doivent être chers et précieux, particulièrement à nous autres qui avons l’honneur d’être consacrées à ce très auguste Mystère. Ah ! mes Sœurs, n’en soyons point ingrates, reconnaissons le don de Dieu qui n’est pas moins que Dieu même. Invention prodigieuse de son amour, non seulement pour nous communiquer ses grâces, mais pour se donner tout lui-même, car enfin il se donne tout sans se rien réserver. Quoi ! voir un Dieu perdu pour nous, si je l’ose dire, en ce divin Sacrement ! Qui est-ce qui pénètre cela ? Qui est-ce qui connaît ce que c’est que ce mystère adorable ? Qui est-ce qui en pourrait parler dignement ?

Quand j’entends tout ce que ces grands prédicateurs nous en disent, j’aurais envie de leur aller dire : qu’est-ce que vous nous dites de ce sacrement ? Tout ce que vous dites est véritable, je l’avoue, mais ce n’est rien en comparaison de ce qui en est : Ah ! que je désirerais que Notre Seigneur inspirât et découvrît à quelque âme le secret de ce Mystère, et lui donnât la capacité d’en parler, car en vérité nous ne le connaissons point. Nous avons la foi de ce Mystère, mais c’est une foi languissante et grossière. Nous nous contentons de le croire au très saint Sacrement, mais notre foi n’est point animée. Ah ! si nous connaissions une fois les merveilles de ce divin Mystère, et vous et moi, mes Sœurs, nous mourrions d’amour ».

n° 2123 N254/2 p.144

30 avril 1695

Le texte précédent daté du jeudi 28 avril, et celui-ci daté du 30 expriment la pensée de Notre Mère Mechtilde sur l’Institut et notre vocation. Entre les deux, le vendredi 29, elle fit à ses filles au chapitre des coulpes une exhortation sur le môme sujet, dont le texte est conservé par ailleurs. On peut donc dire que le jeudi elle prépara avec ses filles son exhortation du lendemain, qu’elle eut besoin de commenter encore davantage en répondant aux questions posées dans l’entretien familier qui suivit la lecture du samedi matin.

« Relâche ».

Mot employé ici pour « relâchement », alors que son sens normal est celui de détente. Mais trop de détente il est vrai aboutit au relâchement. Et, à l’extrême, à la cessation, ce que veut dire aussi « relâche ».

1695, c’est l’année de la fondation de Dreux, qui fut l’occasion d’humiliations et de mépris pénibles. On peut voir des allusions de Mère Mechtilde à ses épreuves et à ses souffrances dans les Lettres qu’elle écrivit à cette époque (1693-1694) aux maisons de Lorraine et de Rouen.

Le 30 avril 1695, étant toute pénétrée sur la sainteté de l’Institut, après la lecture du matin, étant demeurée avec cinq ou six religieuses elle leur en dit des choses ravissantes, paraissant comme une personne qui est hors d’elle-même. Mais c’était en des termes si divins et particuliers que jamais, à ce qu’ont assuré celles qui étaient présentes, elle n’avait parlé de l’Institut de cette façon, que l’on ne pouvait rien entendre de plus beau ni de plus admirable, et qui excitait davantage à en donner de l’amour et de l’estime, ses paroles étant aussi fortes que pleines de grâce et d’onction, mais on n’a pas eu assez de bonheur pour les retenir. Et comme son entretien était familier, il était interrompu par plusieurs choses que l’on lui disait ou questions que l’on lui faisait, ce n’était point un discours suivi.

En voici seulement quelques mots qu’une religieuse en a écrit : « Mes Sœurs, l’Institut est fait pour nous. Prenez bien garde de le laisser tomber, soyez sur vos gardes, ne vous relâchez pas dans toutes les saintes pratiques qu’il contient, mais surtout prenez garde que le zèle que vous devez avoir pour l’adoration ne se ralentisse pas en vous. Demandez à la très sainte Mère de Dieu la grâce de bien remplir vos obligations et qu’elle vous obtienne l’esprit de notre Institut, car c’est elle qui l’a inventé, qui l’a présenté à son divin Fils. Oui, mes Sœurs, l’Institut est une invention de cette Mère de bonté. Je sais comme cela s’est passé, j’en vois l’heure, le moment, et l’action qu’elle a fait pour cela. Ce sont des secrets qui ne me sont pas permis de dire. Encore une fois, mes Sœurs, soutenez avec rigueur un si saint Institut que Notre Seigneur a fait pour vous, ne le laissez pas tomber. Je sais qu’il sera combattu et persécuté, même par de bonnes gens qui le feront passer pour une chose imaginée, etc. Mais il triomphera n’étant pas l’ouvrage de l’esprit humain, mais de celui de Dieu. C’est son doigt divin qui l’a fait, c’est lui qui l’a produit dans l’Église. Nous sommes présentement dans l’humiliation, comme vous savez, mais courage, mes Sœurs, regardons-nous comme le grain de froment qui pourrit, ainsi que Notre Seigneur le dit dans l’Évangile, demeurons cachées et anéanties autant qu’il plaira à Dieu. L’Institut éclatera un jour et persévérera jusqu’à la fin des siècles, c’est ce qu’un serviteur de Dieu m’a assuré. Vous savez ce qu’en a dit le bon Père Narcisse pendant qu’il vivait ».

Une religieuse lui dit : « Mais ma Mère, si nous avions une supérieure qui voulût mettre le relâche, que ferions-nous ? » Elle lui répondit : « La très sainte Mère de Dieu ne permettra pas que vous ayez des supérieures autres que comme il faut. Mais il y aura toujours des suppôts du démon qui travailleront à détruire l’œuvre du Seigneur, ou à diminuer sa sainteté. C’est une de mes peines, et que j’ai eue dès les commencements. J’ai tant demandé cette grâce qu’il ne se trouve point de ces sortes de gens dans le troupeau des victimes, mais dans les plus saintes compagnies il s’en trouve toujours quelqu’une. Voyez dans les histoires des saints, une sainte Fare n’a-t-elle pas eu la douleur de voir deux misérables réprouvées parmi ses saintes filles ? Et tant d’autres ! Et dans le collège de Jésus, n’y a-t-il pas eu un Judas ?

Je ne vous saurais assez dire, mes Sœurs, de veiller sur vous pour vous garantir du relâche ; l’on pourrait peut-être à la suite trouver trop d’austérités, que l’abstinence, le jeûne, etc. ne sont pas supportables dans ces temps-ci, et que le corps étant mieux sustenté serait plus en état de soutenir l’adoration perpétuelle. C’est la proposition que l’on m’a tant fait de fois en nous établissant, me donnant des prétextes que si nous n’étions pas si austères et que l’on fit la règle mitigée, que l’on recevrait beaucoup plus de sujets, et qu’ainsi l’Institut s’amplifierait et se multiplierait de beaucoup plus. J’ai toujours répondu à toutes les personnes qui me portaient à la mitigation que je n’y pouvais pas consentir, et qu’il valait mieux nous en tenir et demeurer à ce que nous avions déjà professé, que les sujets qui se présenteraient dans l’Institut, étant bien appelés de Dieu, recevraient grâce pour en soutenir l’austérité ».

Là-dessus, on lui demanda ce qu’il faudrait faire pour se préserver des malheurs qui pourraient arriver touchant le relâche, soit de l’adoration ou des austérités que l’on pratique dans l’Institut. Elle répondit : « Le meilleur moyen est de bien prier, avoir beaucoup de recours à Notre Seigneur et à sa très sainte Mère, leur demander grâce et lumière pour ne rien faire de contraire à vos obligations, vous tenant bien unies les unes avec les autres par le lien d’une charité sainte. C’est ce dont je vous conjure et vous exhorte de toutes mes forces de conserver cette union et charité, car, mes Sœurs, si vous êtes dans la charité et que vous vous aimiez les unes les autres, Notre Seigneur ne vous délaissera pas. Il versera sur vous ses abondantes bénédictions, et vous donnera un grand secours que vous n’espérez pas. Mais si vous êtes désunies, n’attendez que des malheurs et des misères, la maison ne subsistera pas, Dieu vous abandonnera.

Quand je vous dis que vous vous aimiez les unes les autres, je n’entends pas une amitié naturelle qui porte souvent plus à l’imperfection que de produire des effets d’une vraie charité chrétienne et religieuse.

Je vous recommande aussi fort l’obéissance, comme le fondement principal de la religion, et une humilité profonde pour ne point suivre son esprit, ni ses propres lumières, qui souvent nous égarent beaucoup.

Tendez toutes, mes Sœurs, à être des petites crucifiées avec Notre Seigneur Jésus Christ afin de ne faire qu’un même sacrifice avec lui ».

Quelques-unes lui dirent : « Mère, si vous vouliez bien écrire tout ce que vous nous venez de dire pour le bien de l’Institut, car toutes les autres religieuses qui sont dans les maisons ne vous entendent point, et si ces choses étaient écrites elles en profiteraient. Elle répondit : « Je ne le peux pas, elles ne me sont données que dans le moment à vous dire, je ne les prémédite point, c’est pour vous seules, c’est à vous à en profiter. Même après que je vous ai parlé, je ne sais plus ce que je vous ai dit, c’est pourquoi il m’est impossible de l’écrire ni de le redire. Et vous toutes, je vous défie de l’écrire et de le redire en la manière qu’il m’est donné, car c’est un je ne sais quoi que l’on met en moi pour me faire parler que l’on ne peut concevoir... »

Elle n’acheva pas ce qui semblait qu’elle voulait dire là-dessus, que quelques mots entre ses dents que l’on ne put entendre.

Une religieuse : « Ma Mère, obtenez-nous la grâce de faire usage de ce que vous nous dites ».

Notre vénérée Mère : « Ah ! faites usage de Jésus Christ qui est en vous par la sainte communion, car par une communion vous avez bien plus que tout ce que je vous dis. Vous avez le Verbe adorable, la Parole éternelle et substantielle. Ah ! un Dieu se donne à nous, demeure avec nous. Et si vous saviez comme moi de quelle manière Dieu demeure avec nous, vous seriez avec moi toutes transportées et hors de vous-mêmes. Notre Seigneur mène à la mort et ramène à la vie quand il lui plaît. J’ai eu quelque temps une petite fièvre qui semblait me miner et je disais : il n’est pas possible de revenir avec cela. Ces jours passés, j’ai été bien mal, je croyais que c’était fini, mais j’ai senti qu’on me soufflait pour me faire revivre, qu’on me redonnait la vie, et tout à coup j’ai senti ma vigueur se rétablir et, comme vous voyez, me voilà bien maintenant. Il m’en arrive autant presque toutes les fois que je suis malade. Dans la dernière maladie, il me semblait qu’on me refaisait une nouvelle poitrine, et je me suis trouvée rétablie tout d’un coup. Selon l’humain, il semble que je n’ai plus guère de temps à vivre, mais dans l’ordre de Dieu, je puis être encore longtemps sans mourir ».

n° 2000 N254/2 p.162

20 mai 1695

« Le même jour étant seule avec notre digne Mère » :

Des expressions de ce genre nous font penser qu’il s’agit bien ici de paroles rapportées par sa secrétaire personnelle, Mère Marie Bénédicte du Saint Sacrement. cf. texte du 15 février 1694 p. 24 et du 16 octobre 1697 p. 120, où la copiste semble être au courant de ses démarches. De même, sans doute, les autres textes de 1697, tirés du même manuscrit.

Un samedi (20 mai 1695 — veille de la Pentecôte), notre vénérable Mère étant malade depuis huit jours d’une grosse fièvre qui, la veille au soir en particulier, s’était considérablement augmentée et lui avait causé une très mauvaise nuit, contre toute apparence et au grand étonnement de la Communauté, elle se leva dès trois heures du matin, disant qu’il fallait qu’elle allât à confesse, qu’elle assistât ensuite à la Messe, et qu’elle y communiât. La Mère Sous-Prieure lui fit toutes sortes de représentations pour l’en empêcher, mais malgré tout ce qu’elle put lui dire notre digne Mère tint ferme en lui répondant seulement que Dieu demandait cela d’elle, et que la Sainte Vierge la pressait de le faire et lui avait dit dès le matin : « Va-t’en ». Elle ajouta : « Je n’y pensais point du tout, mais, ma pauvre Mère, quand on me chasse il faut bien que je m’en aille. Que voulez-vous que je fasse ? Je me doutais bien que vous vous y opposeriez, aussi ai-je dit à la Sainte Vierge : “Très sainte Mère de Dieu, elles ne me laisseront pas aller ; si vous voulez que je fasse ce que vous demandez de moi, faites donc qu’elles ne m’en empêchent point”.

“Mais, continua notre vénérable Mère, ne vous en mettez point en peine, j’espère avec la grâce de Dieu n’en être pas plus mal”.

Sur cette parole la Mère Sous-Prieure la laissa descendre. Elle marchait avec tant de vitesse et de légèreté que nous en étions tout étonnées. Elle ne voulut ni bras, ni bâton ; sans doute que la Sainte Vierge lui donnait des forces, car autrement cela lui eût été impossible. Et en effet, elle a avoué depuis qu’il lui avait semblé qu’on la soulevât pour la faire aller plus vite.

Avant de descendre elle nous dit de nous unir à elle pour prier la Sainte Vierge de lui laver ses péchés dans le sang de son divin Fils. Et lorsqu’elle fut remontée elle nous rapporta de la manière suivante ce qui lui était arrivé : “J’ai d’abord représenté à la Sainte Vierge qu’il fallait que je me confessasse. Eh bien, me dit-elle, confessez-vous.

— Mais comment ferai-je ? Sera-ce au Père N. ? Celui que j’attends ne reviendra pas sitôt.

— Dites ce que vous savez et ne vous inquiétez pas. (C’est que notre digne Mère voulait faire une confession extraordinaire).

Il m’a donc semblé qu’elle s’en chargeait et je me suis mise en devoir de me confesser sans savoir ce que je voulais dire. Mais je n’eus pas plutôt commencé qu’une si grande multitude de choses me sont venues à l’esprit que je ne tarissais point. Je me suis accusée de résistances à l’Fsprit-Saint ; des obstacles que j’ai mis à ses desseins et à ses grâces, et de toutes mes infidélités contre lui, des mauvais effets que j’ai pu causer dans les âmes et qui ont pu retarder leur perfection ; enfin j’ai dit tout ce que j’avais à dire”.

Le même jour étant seule avec notre digne Mère, elle me dit qu’elle avait été à même de s’en aller dans cette maladie, qu’on l’y avait même invitée avec beaucoup d’honnêteté, qu’on avait peu coutume de lui en tant faire, que la très sainte Mère de Dieu lui avait dit : “Vous pouvez venir si vous voulez”, lui laissant espérer une réception favorable sous sa protection. “Mes affaires, continua Notre Mère, me revenant à l’esprit, comme la chose qui y mettait plus d’obstacle, il me sembla que la Sainte Vierge s’en chargeait et me disait que je ne m’en misse point en peine. Mais je n’ai choisi ni la vie ni la mort, je me suis contentée de dire : Il en sera tout ce que Dieu voudra, car je ne savais pas si ce n’était point une tentation. Si ce n’en était point une, j’ai perdu un bon coup, je n’y reviendrai jamais”.

n° 2918 D55 p.222

21 mai 1695

Le lendemain, jour de la Pentecôte, elle assista à la Messe de Communauté et resta au Chœur jusqu’après la grand’Messe. Nous ne pouvions la voir sans admiration, car après l’état où elle avait été le vendredi, il était évident que Dieu avait fait un coup de sa puissance.

La nuit suivante ne fut point bonne, mais on peut en attribuer la cause à un rêve qu’eut notre vénérable Mère et qu’elle nous raconta le lendemain en sortant de l’action de grâces après la Communion. C’était une véritable apparition, car celles qui veillaient Notre Mère ont assuré qu’elle n’avait point fermé l’œil ni pris un moment de repos toute cette nuit. Voici comme elle nous redit ce qui lui était arrivé :

“J’ai vu cette nuit une multitude de petites âmes du Purgatoire qui criaient après moi, me tendant les bras et les mains, et me disaient en me faisant les dernières instances : ‘Secourez-nous, tirez-nous d’ici avant que vous ne sortiez de ce monde’. Elles en parlaient comme si je n’avais plus guère de temps à vivre. Je leur répondis : ‘Que voulez-vous que je fasse pour vous ? Je n’ai rien, et je n’ai plus la possibilité de faire comme par le passé’. Ces âmes étaient celles de plusieurs personnes que j’ai connues, qui même m’ont rendu quelques services et pour qui j’aurais dû faire dire des messes, mais je n’en ai pas eu le moyen, et je ne le puis encore présentement.

Dans ce moment entra la Mère Sous-Prieure, lui disant : ‘Ma Mère, je ne sais ce que vous avez fait cette nuit, car vous n’avez point dormi un instant’. Notre digne Mère lui répéta ce qu’elle venait de nous dire, et ajouta : ‘Oui, ma Mère, chaque fois que vous sortiez de notre chambre elles revenaient, et je les voyais les bras et les mains étendues vers moi, me pressant fortement de ne point m’en aller de ce monde que je ne les eusse soulagées’.

Nous croyons que, ne sachant que faire pour délivrer ces pauvres âmes, elle se donna à Notre Seigneur pour souffrir pour elles ; car ce même jour la fièvre la reprit, elle fut fort abattue et toujours occupée de ces petites âmes dont elle nous parlait continuellement, nous excitant à en avoir compassion et à leur faire aumône de nos prières et bonnes œuvres afin de contribuer à leur délivrance. Elle demeura toute pénétrée de ces pensées durant plusieurs jours ; et le jeudi suivant allant voir une de nos sœurs converses malade, elle lui recommanda ces petites âmes du Purgatoire. Chaque fois, pour ainsi dire, qu’elle la visitait, elle ne manquait pas de l’engager à offrir ses souffrances pour leur soulagement. Mais ce jour-là elle insista encore plus fortement que de coutume, lui disant qu’il y avait un grand nombre de ces âmes à qui il ne fallait que très peu de choses pour les délivrer de leurs peines, comme un acte de silence ou de patience, une parole de charité ou de consolation ou quelque bon office rendu au prochain. Ces pauvres petites âmes, disait-elle, ont une ardeur incroyable d’aller à Dieu ; c’est une grande charité que d’avancer leur bonheur, quand ce ne serait que de quelques moments...”

n° 1997 D55 p.224

23 mai 1695

Le mardi de la Pentecôte, 23 mai 1695, étant auprès d’une de nos sœurs converses malade, elle lui dit : Eh bien, ma chère sœur, vous avez reçu aujourd’hui Notre Seigneur. Comme vous êtes toute à lui, il s’est donné tout à vous. Oui, si votre cœur est tout à lui, le sien ne vous manquera point, comptez là-dessus. Il est venu à vous pour être votre supplément et vous tirer en lui. J’ai bien besoin qu’il soit le mien et qu’il fasse tout en moi ; car je suis aussi languissante intérieurement qu’extérieurement. Je ne saurais plus rien faire, je n’ai plus de vigueur. Mais je porte ma langueur en esprit de pénitence en attendant que j’en puisse faire une meilleure. Il faut demeurer dans la disposition où Dieu nous met, le bénir toujours, et toujours acquiescer à droite, à gauche, de tous côtés ; voilà ce que nous avons à faire. Ma pauvre sœur, le Bon Dieu nous renvoie encore pour faire pénitence ; mais il la faut faire à sa mode, et non à la nôtre. On voudrait agir, on voudrait faire quelque chose, et Dieu veut que nous fassions pénitence dans l’abjection, dans la dépendance, dans l’impuissance, que nous la fassions par notre propre anéantissement. Et après tout, qu’importe en quelle manière ce soit, pourvu que nous fassions ce que Dieu veut ?

Le grand secret pour être toujours contente, c’est de s’accommoder à la mode de Dieu, à sa façon, et en tout ce qui arrive (bon ou mauvais, sans en faire la distinction) de voir toujours la volonté de Dieu en Dieu même, et Dieu même en sa volonté. Ne voyez jamais rien hors de Dieu, pas même une petite piqûre, ou quelque léger chagrin que dès le matin vous prévoyez devoir vous arriver dans la journée. Voyez tout dans Dieu, et ne vous arrêtez ni à l’humain, ni aux causes secondes ; mais attachez-vous au plaisir de Dieu et à sa volonté pour vous y conformer. Ne nous amusons plus, la fin approche.

La seule chose qui me ferait désirer de mourir serait pour connaître Dieu plus parfaitement que nous ne faisons en cette vie, et l’aimer davantage. Car la connaissance produit l’amour. Mais Dieu en sait le moment, ce sera quand il voudra. Il ne faut pas en vouloir retarder ni avancer le temps ».

n° 2002 N254/2 p.174

24 mai 1695 « Pour assister au Veni Creator ».

En effet, jusqu’à la réforme liturgique de Vatican II, la fête de la Pentecôte avait une octave pendant laquelle l’hymne de Tierce était remplacé par le Veni Creator.

Le lendemain mercredi (de la Pentecôte 1695), quoiqu’elle fut encore malade, elle ne laissa pas de se rendre au Chœur pour assister au Veni Creator. Une religieuse qui n’y avait pas été lui dit que cela lui avait donné beaucoup de confusion, et pourquoi elle descendait, si elle n’était pas aussi bien dans sa chambre. Elle lui répondit : « Il est dit que le Saint Esprit descendit sur l’Assemblée et non pas ailleurs. Ce n’est pas que je vous condamne, chacun a ses vues. C’était la mienne d’aller avec le gros de la Communauté ; il y a toujours plus de bénédiction qu’autre part. Je ne dis pas pour cela qu’on ne puisse pas le recevoir en d’autre lieu ».

Étant allée ensuite voir cette bonne sœur converse malade, après lui avoir dit plusieurs bonnes choses, elle fut quelques moments sans parler. Et puis, levant les yeux au ciel, d’un ton languissant et pénétré, elle prit la parole comme si elle eut voulu répondre à sa pensée, ne disant que des mots entrecoupés. « Qu’il se passe de choses où le Saint Esprit n’a point de part. Il y a bien à mourir. La plupart du temps, c’est l’humain ou les créatures qui nous font agir. Nous ne devrions jamais prononcer une parole ni faire la moindre action que nous n’ayons consulté intérieurement l’Esprit de Dieu. Nous ne devrions pas dire d’autre prière pendant toute l’octave que le Veni Creator, pour demander au Saint-Esprit qu’il nous remplisse de ses grâces. Les besoins que nous en avons sont grands ».

n° 1998 N254/2 p.176

25 mai 1695

Le lendemain jeudi (de la Pentecôte 1695), elle dit à propos sur ce qu’on parlait : « Priez Notre Seigneur, qui est dans le très Saint Sacrement un lien de charité, qu’il lie les cœurs, afin qu’il y ait plus d’union que jamais dans la Communauté. Lorsque la charité y régnera parfaitement, tout ira en bénédiction. Cette maison est la maison de Dieu et de ses complaisances ».

Ce même jour, étant auprès de la sœur malade, l’exhortant à souffrir elle lui dit : « Puisque Dieu vous renvoie, c’est une marque que vous n’êtes pas encore prête, et qu’il y a encore quelque chose à détruire en vous. La pauvre Mère N. qui est toujours mal et languissante, se vient de plaindre à moi de ce qu’elle n’est qu’à charge à la maison ; et plusieurs choses pareilles. Je lui ai répondu : Eh bien, ma chère Mère, quand cela serait il en faut porter l’humiliation et toutes ses suites, l’abjection, le mépris, la douleur, etc. Il faut tout avaler, ce sont de bons mets dont il faut nous nourrir quand Dieu nous met en cet état. Ce sont les miens les plus ordinaires, j’ai mille embarras et affaires qui me les attirent. Hélas, dit-elle en soupirant encore, s’il n’y avait que moi qui en goûte (comme si elle eut voulu dire que cela lui serait moins sensible). Mais Dieu veut que plusieurs y participent, et que des personnes qui ont plus de vertu que moi les dévorent. Demeurons bien abandonnées à Dieu, et comme il dit lui-même : vos pensées ne sont pas mes pensées, ni vos voies ne sont pas mes voies.

En toutes rencontres mettez-vous au-dessous de tous. Ne faites aucun fond sur les créatures, n’y mettez pas votre appui, n’en attendez rien. Ne faites fond que sur Dieu seul ».

n° 1996 N254/2 p.177

28 mai 1695

La maison de Saint Louis, c’est le deuxième monastère de Paris. Quelques jeunes moniales venues de Toul en 1674 s’installent d’abord dans un petit « hospice » de la Porte Montmartre, rue Saint Marc, puis en 1684 dans l’hôtel de Turenne, rue Neuve Saint Louis au Marais.

La Prieure en était depuis 1685 Mère Marie de Saint François de Paule (Françoise Charbonnier), professe de Toul, où elle fut maîtresse des novices. De faible santé, elle fut une disciple fervente et fidèle de notre Mère Mechtilde qui lui écrivit de nombreuses lettres. Elle mourut à Paris en 1710.

Une vêture « de conséquence ».

De grande importance, à considérer et ne pas négliger (pour la qualité de la famille sans doute).

« Carrière ».

Signifie : course, chemin. Il faut entendre : Plus j’approche du terme de ma carrière ».

Le jour de la Sainte Trinité, ayant appris un accident arrivé à une religieuse de notre maison de Saint Louis, et que la Mère Prieure était retombée malade, ce qui troublait la joie d’une vêture de conséquence qu’elles avaient, elle dit à ce propos : « La Providence dispose les choses d’une manière qu’elle ne permet pas que nous ayons de joie qu’elle ne soit mêlée d’amertume. Il faut adorer ses conduites. On peut dire que l’Institut est tout rempli et environné de croix. Les Filles du Saint Sacrement doivent être des victimes de la croix, des victimes crucifiées, des victimes attachées inviolablement à la croix. C’est leur partage et à quoi elles doivent s’attendre. Il n’en faut pas douter, nous le voyons par les effets ».

Le lendemain étant à la récréation, la conversation commença sur la difficulté qu’elle avait de parler. Elle dit : « Ma consolation est que j’éviterai par là bien des fautes ». Une demoiselle qui était présente prit la parole lui disant : « Ma Mère, à votre égard vous ne vous en souciez pas, car si vous ne parlez plus aux créatures vous en parlerez davantage à Dieu ». Elle lui répondit : « Ah ! Plût à Dieu que je lui puisse bien parler, je ne souhaiterais que cela, mais je voudrais bien lui parler comme il faut. Il entend bien ce qu’on lui dit sans qu’il soit nécessaire de se donner la peine de prononcer des paroles. Ce n’est pas de même avec les créatures. Le Père éternel parle toujours, et s’il n’a jamais prononcé qu’une parole, encore la prononce-t-il si bas qu’elle n’est entendue que de lui seul. Cette parole est son Verbe qu’il engendre toujours ; et se contemplant et s’aimant dans son Verbe, ils produisent un terme de leur amour qui est le Saint Esprit. Et cette procession des trois divines Personnes, et les complaisances qu’elles prennent entre elles, fait et fera pendant toute l’éternité toute leur occupation, sans qu’elles s’en lassent jamais, y prenant un plaisir infini. C’est de la théologie. Ce qui fait aussi tout le bonheur et la félicité des bienheureux, félicité si grande que pour la posséder, si nous en connaissions l’excellence, il n’y a pas de souffrance sur la terre que nous ne fussions prêtes à endurer.

Saint Augustin, animé de la foi de ce mystère, disait à Dieu : « Coupez, taillez, vous êtes le maître, faites tout ce que vous voudrez ». Il lui donnait carte blanche. Et Saint François qui après avoir travaillé (de) longues années, essuyait beaucoup de peines et de souffrances avec tant d’humilité que l’on ne l’appelait que l’humble François, ayant eu par une faveur particulière de Dieu le bonheur de voir pendant quelque moment l’essence divine, disait à Dieu : « Je suis payé de tout ce que j’ai fait par le passé. Il faut que je recommence à vivre tout de nouveau pour gagner l’éternité ». Plus ce bonheur est grand, plus nous devons craindre de le perdre.

98

……….manque § µ

Une religieuse lui dit : « Je n’ose dire à Dieu de me faire souffrir, quoiqu’il faille bien mieux souffrir en celui-ci qu’en l’autre. Je connais ma faiblesse, je crains de n’être pas fidèle à Dieu, et il me semble que ce serait à moi une témérité ». Elle lui répondit : « Il y a bien de la différence entre demander à Dieu de souffrir en cette vie pour obtenir miséricorde en l’autre, et demander à Dieu des souffrances par une confiance présomptueuse en soi-même et en ses propres forces. Celle-ci est téméraire parce qu’on s’appuie sur soi-même, mais l’autre ne l’est pas. Dieu qui connaît votre intention aussi bien que votre faiblesse, s’il vous l’accorde il vous donnera une grâce et une force proportionnée à la souffrance qu’il vous enverra.

Je compte pour rien les petites souffrances journalières, quelques abjections, quelques humiliations. Mais quand on en a de grandes, il faut une grâce particulière pour les porter, mais Dieu la donne.

C’est une grande miséricorde que Dieu fait à une âme lorsqu’il la sauve. Plus j’approche de ma carrière, plus je crains la mort par l’appréhension que j’ai d’être privée de la possession de mon Dieu, étant aussi indigne que je suis de ses miséricordes. Oh ! épouvantable et cruelle privation, elle est bien plus sensible en l’autre monde qu’en celui-ci, parce que la connaissance que nous avons de Dieu étant plus parfaite nous en fait ressentir plus vivement la séparation. En cette vie, il y a de certains temps où l’on est comme stupide, je l’expérimente par moi-même, l’on n’est pas si sensible ; mais en l’autre monde il n’en est pas de même. Là tout est vie, et l’on est toute vive pour souffrir, et l’on le sera pendant toute l’éternité. Nous courons d’une vitesse surprenante à ce dernier moment, moment terrible où l’on doit faire la décision de notre éternité ».

n° 1987 N254/2 p.178

29 mai 1695

Je ne comprenais pas autrefois ces paroles : « Par la patience vous posséderez vos âmes », mais un peu d’expérience m’a rendue savante sur cette matière. Je ne la croyais pas une vertu si nécessaire, mais j’ai bien compris depuis que par elle on vient à bout de tout, et que sans elle on ne fait rien. « Par la patience vous posséderez vos âmes » : il faut bien de la patience pour se souffrir soi-même, sans compter tous les rencontres de providence qu’il faut soutenir. Vous dit-on une grosse injure, vous fait-on un bon affront, c’est pour lors qu’il faut que vous disiez à vous-même : « Patience ! ». La pratique de la patience est en tout temps nécessaire. Il ne suffit pas de croire Jésus Christ au très Saint Sacrement de l’autel, il faut encore porter foi et croyance à ses divines paroles. C’est lui qui dit que par la patience nous posséderons nos âmes. Il y avait un jour un ermite ou un religieux à qui son Supérieur avait dit de dire sur son chapelet : patience, patience, et sur les gros grains : grosse patience, ce qu’il fit pendant quarante ans, au bout desquels il n’eut plus affaire de le dire, car il fut comblé de grâces. Il ne faut jamais se rebuter, Dieu a ses moments, si ce n’est dans un temps c’est dans un autre, persévérez et ayez patience dans quelque état que vous soyez. Faute de patience nous gâtons tout et retardons beaucoup nos affaires. Je voudrais être après toutes ces personnes peinées qui se désolent et se tourmentent pour leur crier : Patience ! Patience ! Il ne faut que cela, eussiez-vous les plus méchantes inclinations du monde, le plus mauvais naturel, toute la malice dont une créature est capable, pourvu que vous n’y adhériez point, ne vous mettez pas en peine.

— Mais c’est que j’ai un esprit que je ne peux arrêter !

— Eh bien, patience, laissez-le courir. Ne voit-on pas tous les jours des personnes qui ont des qualités naturelles qu’elles ne peuvent vaincre du tout, par là elles font très souvent des fautes qui leur attirent de bonnes humiliations. Ces personnes n’en sont pas moins agréables à Dieu qui permet qu’à notre naissance les planètes nous dominent par leurs influences qui font de très mauvais effets en nous. Est-ce pour nous perdre ? Non, mais pour nous être un sujet d’exercice, pour nous obliger à recourir à Dieu, pour faire en nous un fond d’abjection qui nous empêche de nous élever, ce que nous ne ferions si nous avions des meilleures qualités.

n° 1055 N254/2 p.182

29 mai 1695

Il faut se contenter chacun dans son état, et ne point envier le bien que l’on voit dans son prochain, le seul ordre de Dieu nous doit suffire. Ma grâce est petite, je l’avoue, mais j’en suis aussi contente que si j’en avais une qui m’élevât au rang des séraphins. Et quoique j’aie connu des personnes bien plus favorisées que moi, jamais je ne les ai enviées, au contraire, je bénissais Dieu des miséricordes qu’il leur faisait, y prenant autant de part que si c’eût été à moi-même, et par là je me rendais leur bien commun.

Il y en a quelquefois qui disent : « Dieu fait bien plus de grâces à celui-ci, à celle-là, qu’à moi ». Jamais il ne faut regarder les grâces que Dieu fait aux autres pour les envier, ni vous contrister de ce que vous en avez moins, au contraire vous devez vous réjouir que Dieu soit glorifié dans ces âmes. Il y a plusieurs demeures en la maison de Dieu. Pourvu que vous remplissiez votre petite mesure de grâce, vous serez aussi contente dans le ciel que ceux qui seront dans un rang plus élevé. Faites profit de ce que vous avez et ne vous amusez pas à examiner si les autres en ont plus. Nous ne devrions jamais nous regarder nous-mêmes, mais toujours Dieu.

n° 547 N254/2 p.184

29 mai 1695

Rien n’est plus variable dans les âmes que la grâce, car elle se fait ressentir de moment en moment, tantôt par la souffrance puis par quelque petite consolation, et en mille manières. Dieu le permet pour nous dégager et nous désapproprier même de l’attache à la grâce, car il y en a que, quand ils la ressentent la voudraient tenir à deux mains de peur qu’elle ne leur échappe. Pourquoi ? Pour quelques petites consolations qu’elles y ressentent. Il faut se désapproprier de l’attache à Dieu même quand il n’est que par rapport à nous, pour ne le désirer ni rechercher que par rapport à lui-même.

— Mais, dit une religieuse, ce qui embarasse, c’est qu’on ne sait si on est digne d’amour ou de haine.

— Étant pécheresse vous savez bien que vous êtes digne de haine, mais vous ne vous en contentez pas, vous voulez autre chose avec. On veut toujours être quelque chose, si ce n’est dans les créatures c’est dans Dieu, et rien au monde n’est plus rare que de trouver une personne qui se contente de n’être rien en tout pour que Dieu soit tout en elle. Mais, dira quelqu’une, je ne connais point ma voie, on dit qu’il la faut connaître, tant que je ne la connaîtrai point je ne sais pas ce qu’il faut que je fasse ? — Dieu dit à tous les chrétiens : « Soyez saints parce que je suis Saint », votre voie est de tendre à la perfection que Dieu demande de vous dans l’état où il vous a mis, et le chemin pour y arriver est de suivre les mouvements intérieurs que vous avez : de vous mortifier d’un côté, de sacrifier d’un autre ; faites-y attention, si vous êtes fidèle vous n’en manquerez pas, voilà votre voie, ne dites plus que vous ne la connaissez pas.

— Mais, reprit une religieuse, celle-là est bien trop générale, dites-moi la mienne particulière ? Elle lui répondit : « Votre voie est la petitesse et l’abjection ». La religieuse lui repartit : « Ah fi ! ma Mère, je n’en veux point, je suis payée ! ». Elle reprit agréablement : « Allez, allez, vous êtes une bonne pièce ». Comme voulant lui dire : vous pensez autrement que vous ne dites, je sais quels sont vos sentiments.

n° 2652 N254/2 p.185

29 mai 1695

Une autre religieuse se plaignant à elle de ce que, depuis plusieurs années elle n’avait pas été un moment sans souffrance, elle lui dit : « Ah ! ma chère Mère, que vous êtes heureuse de ce que Dieu vous ait trouvée digne de souffrir ! Oh ! quel bonheur de pouvoir dire : depuis tant d’années je n’ai pas été un moment sans souffrance, quelle consolation pour vous ! Que je m’estimerais heureuse si j’en pouvais dire autant, mais j’en suis bien éloignée, je n’ai jamais rien souffert, je n’en suis pas digne, ce sont des faveurs qui ne sont réservées que pour les âmes que Dieu chérit. Réjouissez-vous donc, ma chère Mère, puisque vous en êtes du nombre, vous en avez bien du sujet, rien n’est plus excellent, plus digne de Dieu et qui nous unit tant à lui que la souffrance, je ne sache rien de meilleur ». — « Mais je n’en ai point fait d’usage », lui dit cette religieuse. Elle lui répondit : — « Notre Seigneur en a fait usage pour vous, ne vous en inquiétez pas ».

n° 2868 N254/2 p.186

31 mai 1695

« Bras séculier ».

Proprement puissance temporelle et laïque par opposition à l’autorité ecclésiastique. Mais Notre Mère Mechtilde s’explique elle-même sur ce qu’elle entend par la et ce qu’elle redoute. C’est une allusion aux grandes difficultés financières qu’elle connut, surtout à la fin de sa vie.

« Griefs ».

Est ici adjectif ayant même sens à peu près que « grand » qu’il renforce. On peut dire grave. cf. Coulpes grièves aux anciennes Constitutions chapitre 25.

La veille du très Saint Sacrement 1695, étant trois ou quatre dans sa chambre, elle s’adressa à une de nous et lui dit : « Que pensez-vous de cette fête, et quel nom lui donnez-vous ? » La religieuse lui répondit : « Je crois que c’est la fête de ses anéantissements.

— Cela est vrai, repartit-elle, mais encore, comment ? Quel autre nom ?

— La fête de son Amour, lui dit la religieuse, envers nous.

— Cela est bien, reprit-elle, mais ce n’est pas encore cela. Et moi, je crois qu’il la faut appeler la fête des magnificences de Notre Seigneur. N’est-ce pas en ce grand jour que l’on peut dire que le Cœur de mon Sauveur est ouvert et qu’il en découle continuellement des abondances de grâces. Oui, c’est là où il les donne à pleines mains, il ne faut que les aller recevoir. Oui, mes Sœurs, allez vous exposer à ses pieds, tenez-vous-y avec respect, amour et confiance, et vous recevrez les dons qu’il veut vous faire. Vous pouvez lui demander tout ce que vous voudrez durant cette sainte Octave, il ne vous refusera rien, et une des choses que je vous prie, mes Sœurs, de lui bien demander, c’est qu’il ne permette pas que nous tombions dans le bras séculier ».

Comme on lui demandait ce qu’elle entendait par là, quelqu’une de nous croyant que c’étaient les Commissaires dont nous étions menacées, qu’elle voulait que Notre Seigneur nous préservât, elle dit : « Non, ce n’est point cela que je veux dire. J’entends que nous ne soyons pas assujetties par la nécessité de notre pauvreté de mendier aux séculières, et par cette raison être obligées de ménager leurs bonnes grâces et amitiés par des complaisances et des manières qui nous seraient nuisibles pour notre perfection et nous détourneraient de l’entière séparation de l’humain où nous devons tendre. Je n’avais demandé que deux choses à Notre Seigneur, la première que nous ne soyons jamais obligées de dépendre des créatures pour le temporel, afin d’éviter bien des choses que je prévoyais ; la seconde d’être en pouvoir de recevoir les filles sans exiger rien pour leur dot. Voilà ce que j’aurais voulu que Notre Seigneur m’eût accordé. Et c’est ces deux choses qui sont la cause et la source de mes griefs et grands péchés. Au lieu d’avoir mérité d’être exaucée Notre Seigneur m’a renvoyée bien loin et m’a réduit au point d’humiliation où je suis présentement. Il était bien juste que mon orgueil fût puni de la sorte ».

n° 1936 N254 p.1

12 juin 1695 (sic)

Le Dimanche d’après l’octave du très Saint Sacrement, 12 juin 1695, notre digne Mère à la récréation du soir nous dit des choses ravissantes tant sur la présence de Dieu que sur les Supérieures, ce qui obligea quelqu’une à lui faire plusieurs petites questions sur ce sujet. Voilà ce que l’on en a pu recueillir, que nous mettrons par article, tant les demandes que l’on lui a faites que ses réponses.

« Mes Sœurs, il ne faut regarder que Dieu dans ses Supérieures, quand même elles seraient les plus ignorantes et les plus imparfaites du monde. Jamais il ne les faut mépriser ou condamner parce que Dieu dit en leur personne : “Qui vous offense m’offense et qui vous méprise me méprise”. Vous savez ce qui est rapporté de Sainte Gertrude dans sa vie, où elle dit d’elle-même qu’étant encore jeune religieuse et ayant vu par la maison trois ou quatre religieuses ensemble qui parlaient contre la Supérieure, s’étant approchées d’elles et y avoir seulement prêté l’oreille, elle fut privée pendant neuf jours des faveurs que Notre Seigneur avait accoutumé de lui faire.

Demande : Quand on est dans la compagnie de personnes qui disent leur sentiment, comment faire ? Cela est assez difficile.

Réponse : Retenez les vôtres et les anéantissez.

Demande : Mais si, par exemple, j’avais une Supérieure qui soit méchante ?

Réponse : Pourquoi portez-vous jugement sur votre Supérieure pour la croire méchante ? Cela ne vous est pas permis.

Demande : Mais si j’en avais une pour qui j’eus de l’antipathie, le moyen que je puisse avoir de l’ouverture pour elle et de la confiance, pour moi je ne lui dirais rien !

Réponse : Oh ! ma Sœur N..., une religieuse qui suit son antipathie, et qui n’a point de confiance en sa Supérieure ne fera jamais bien du chemin hors d’elle-même. Si elle fait cinq ou six pas elle s’arrêtera tout court pour réfléchir, pour raisonner : ma Supérieure est-elle éclairée ? Est-ce par l’Esprit de Dieu qu’elle me fait faire telle chose ? Et quand même elle avancerait encore un peu plus avant dans la sortie d’elle-même, croyez-moi elle y reviendra bientôt, parce que Dieu ne bénit jamais une religieuse qui ne fait point son devoir envers sa Supérieure, et étant hors de la conduite de Dieu elle ne peut se perfectionner.

Demande : Si une Supérieure n’avait pas l’expérience pourrait-on s’adresser à une autre qui en aurait davantage ?

Réponse : Vous pourrez bien vous confier à une bonne amie qui sera, si vous voulez, plus éclairée, cela est tout naturel, mais elle n’aura pas grâce pour vous.

Demande : Mais si j’étais moi-même plus savante et plus éclairée ?

Réponse : Il faut avoir bien de la présomption pour le croire. Mais posez le cas que cela fût, vous ne devez pas vous en rapporter à vos lumières, car vous n’avez pas grâce pour vous conduire, on n’est jamais bon guide de soi-même, notre amour-propre est trop subtil, il s’en faut défier. Il y a toujours grâce et bénédiction de se remettre entièrement de sa conduite à sa Supérieure, vous ne risquez rien à le faire, puisqu’elle est obligée au secret comme un confesseur.

Demande : Mais si, après avoir été à ma Supérieure, je n’en suis ni plus en repos, ni plus contente ?

Réponse : Il ne faut pas regarder si vous êtes contente ou non, ni chercher à vous contenter ; quand elle ne vous dirait qu’un mot il faut en demeurer là, le seul respect de l’obéissance vous doit suffire.

Demande : Si en s’ouvrant à sa Supérieure on ne s’en trouve ni plus échauffée, ni plus éclairée, à quoi cela sert-il de le faire ?

Réponse : Quand cela ne vous donnerait que l’occasion de faire un sacrifice à Dieu, vous le devriez faire ; de plus, vous faites votre devoir, et vous avez toujours la bénédiction de l’obéissance.

Demande : Si on n’a pas de confiance à une Supérieure y a-t-il obligation de s’ouvrir à elle pour tous ses mouvements intérieurs ?

Réponse : C’est le plus parfait, et cela se devrait, parce que votre Supérieure est chargée de vous, et doit vous porter au jugement de Dieu. Mais elle ne l’est qu’autant que vous avez d’ouverture pour elle, et elle n’y portera point ce que vous ne lui aurez pas dit.

Celles qui agissent envers leurs Supérieures avec réserve et dissimulation sont chargées d’elles-mêmes et de leur propre conduite, elles porteront leur fardeau au jugement de Dieu, et une Supérieure n’en sera pas responsable.

Demande : Mais si j’avais pour ma Supérieure toute la soumission et la confiance que l’on peut avoir, etc... et que nonobstant, lorsque j’irais pour lui parler je me trouve dans l’impuissance de pouvoir rien dire, ne porterait-elle pas au jugement de Dieu ce que je ne lui aurais pas dit, puisque c’est malgré moi, et qu’il n’y a pas de ma faute ?

Réponse : Si vous ne pouvez rien dire, ne dites rien. Elle ne portera pas ce que vous ne lui avez pas dit.

Demande : Une Supérieure porte-t-elle au jugement de Dieu les religieuses qui meurent avant elle ?

Réponse : Oui, tout comme les autres.

Je ne comprends pas comme on peut trouver des Supérieures, tant leur poids est grand et qu’elles sont chargées ! Il y en a peu de sauvées ou toujours ce n’est qu’avec beaucoup de peine.

Étudiez-vous, comme je vous ai déjà dit à ne regarder jamais que Dieu en vos Supérieures, agissez avec elles en simplicité et soumission, n’y allez point pour en être estimées, approuvées, etc. Que rien d’humain ne vous fasse agir dans ce rencontre, ce ne sera pas si vous voulez directement pour s’en faire aimer, mais ce sera pour en venir à ses fins, pour la faire condescendre à ce que nous voulons, et la faire entrer dans nos sentiments.

On veut tant de qualités à une Supérieure, on la veut si parfaite que, quand on lui voit quelque défaut, on dit qu’elle n’en est pas capable ; comme si elle n’était pas créature comme les autres, et encore, quelquefois plus misérable ! Les Supérieures ne sont pas des Anges, Dieu ne donne pas aux communautés religieuses un Saint Michel, un Saint Raphaël pour les conduire. Il ne faut pas s’y attendre. Vous en choisissez une parmi vous, sujette aux mêmes faiblesses que vous. Toute la différence qu’il y a c’est qu’elle est par son élection revêtue de l’autorité de Dieu, pourvu que son élection soit canonique et qu’elle ne soit pas dans le dérèglement. Quoique d’ailleurs elle ait beaucoup d’imperfections et de défauts, il ne faut pas laisser de vous y soumettre et lui obéir, car remarquez bien ce que je vous va dire, elle pourra bien n’avoir pas grâce pour elle (il y en a qui ne laissent pas d’être très imparfaites et même qui s’y perdent), mais elle l’aura toujours pour vous. Dieu ne manque jamais de lui donner pour les âmes qui sont sous sa conduite, pourvu que de votre côté vous n’y mettiez point d’obstacles, agissant avec elle en simplicité et avec confiance, regardant Dieu en sa personne. Car si vous faites autrement, Dieu permettra pour vous punir qu’elle n’aura pas grâce pour vous, et ce sera par votre faute, n’ayant pas fait votre devoir envers elle, et cela il n’y a point d’exemption pour aucune. Quand elle serait la dernière et la plus incapable, il suffit qu’elle ait l’autorité de Dieu pour que vous soyez obligée de vous y comporter de la sorte. J’ai des exemples et des expériences à l’infini des grâces et des bénédictions que Dieu répand sur les personnes religieuses qui ne regardent que Notre Seigneur en leur Supérieure, mais je ne peux pas les dire.

Je vous assure que l’on fait bien des fautes sur ce que l’on doit à une Supérieure ».

Comme on la pria instamment de les faire connaître, elle répondit : « Si je les disais on croirait que je me veux faire adorer sur mes vieux jours. Tant que je serai à la place où je suis, je ne le dirai point, mais si je n’y étais plus, je vous le montrerais par mon exemple qui vous en communiquerait mieux que mes paroles ; et j’en gémis devant Dieu et ne suis pas toujours trop à mon aise. On croit que ce sont mes affaires temporelles, mais ce n’est rien moins : les spirituelles me tiennent bien plus à cœur. Je suis chargée de toutes vos infidélités, et toutes les fautes que vous faites j’en porte le poids devant Dieu, et il faut que je paye pour vous. Il y a longtemps que je gémis, et je le prie d’y mettre ordre ».

Quoiqu’on pût faire pour l’obliger à nous éclaircir davantage sur nos manquements envers une Supérieure, nous n’en pûmes rien tirer, sinon qu’elle les laisserait par écrit après sa mort.

n° 1963 N254/2 p.187

Date présumée : 1695

Parlant sur le mépris que nous devions faire de toutes les choses de la terre, elle dit : « Négatif tout le créé ; vous donne-t-on des louanges, vous dit-on des injures : négatif. Soyez indifférentes à tout, car tout ce qui n’est pas Dieu est négatif, et l’affirmatif c’est Dieu seul. Ne vous attachez qu’à Dieu, ne cherchez que Dieu, et ne vous souciez que de Dieu ».

n° 2453 N254/2 p.199

Date présumée : 1695

Le point principal et essentiel de l’Institut c’est l’adoration perpétuelle, car tout le reste ne dépend pas toujours de nous : nous avons besoin de secours étranger pour l’exposition du très Saint Sacrement ; nous avons besoin du ministère des Prêtres pour l’administration des Sacrements et ainsi du reste ; mais pour l’adoration, nous n’avons besoin de personne : soyez donc toujours en adoration, rien ne vous en empêche, cela est toujours en votre pouvoir.

n° 2021 P123 p.119

1695

Anéantissez-vous profondément, et souffrez pour celui qui vous aime avec tant d’excès, ou si la Croix vous fait trop peur et que vous préfériez l’amour, aimez ; mais l’amour est encore plus rigoureux que la Croix, il vous fera plus souffrir. Si vous aimez purement, et sans retour sur vous-mêmes, vous goûterez une bonne souffrance. L’amour a deux regards, l’un vers Dieu en l’aimant purement et vous sacrifiant pour l’amour de lui, l’autre vers le prochain, priant et réparant pour lui, lui rendant service purement pour l’amour de Dieu. Aimez véritablement, et vous éprouverez ce que c’est que la souffrance de l’amour.

n° 2401 B532 p.46

Du jour de la Présentation de la très sainte Vierge 1696.

Notre digne Mère étant à la récréation nous dit : « Il faut que je vous fasse part d’une petite joie que j’ai eue ce matin qui n’a pas duré longtemps, puisque ce n’a été que depuis la sainte Communion jusqu’au retour à notre place, où heureusement une de nos sœurs m’aidait, car je crois que sans cela j’aurais eu de la peine à y retourner. Ce n’est qu’une idée ou une imagination comme vous voudrez que j’ai eue sur la fête d’aujourd’hui, quoique cela n’ait guère duré ».

Une religieuse lui dit : « Ma Mère, vous n’avez pas laissé de voir bien des choses ? » Elle lui répondit : « Oui. Il n’en faut guère pour cela, ce que nous disons est en matière de récréation. Il faut autant nous divertir à cela qu’à autre chose. La joie n’est pas une chose qui me soit ordinaire, mais quoique je n’en aie point, je n’ai pas laissé d’en avoir une très sensible au sujet du mystère de la Présentation de la très sainte Mère de Dieu au Temple, où il me semblait voir la très Sainte Trinité pour ainsi dire, quoique ce terme ne soit pas propre, dans l’admiration, et toute transportée hors d’elle-même à la vue de cette petite Colombe si belle et si parfaite, parce que jusques alors il ne s’était rien vu sur la terre qui en approcha. Et le Père éternel n’avait encore rien vu hors de lui-même de si beau, ni de si parfait que cette petite créature, l’Humanité sainte du Verbe n’étant pas encore formée. Il en fut charmé à notre façon de comprendre. Car je sais que le transport et l’admiration marquent une surprise dont Dieu ne peut être capable, mais je me sers de ces termes pour m’expliquer.

Il me semblait donc voir la très Sainte Trinité tout appliquée à la considérer, y prenant un plaisir infini. On peut lui appliquer ce qui est dit dans la Genèse, et à plus juste titre, qui est dans la création du monde, Dieu ayant considéré ses œuvres, il vit qu’elles étaient bonnes, parce qu’ici c’est le chef-d’œuvre de ses mains. C’est pourquoi il ne la trouve pas seulement bonne, mais très parfaite, très excellente, et très digne de lui. Il se complaît dans son œuvre, s’applaudissant lui-même d’avoir si bien réussi dans ce chef-d’œuvre de grâce et de nature, car jusques alors il n’avait vu ni reconnu en aucune créature ses perfections divines. Mais il les trouve toutes admirablement bien représentées dans l’âme de la très sainte Vierge, que toute la très Sainte Trinité avait enrichie de tous les dons et les grâces qu’une pure créature peut être capable, excepté de lui donner sa divinité. Et on peut dire en une manière qu’il ne pouvait rien faire de plus grand, mais non pas généralement parlant, car la puissance de Dieu étant une puissance infinie, il ne la faut jamais borner.

Jusques alors il n’y avait point eu de sacrifices ni de victimes agréables à Dieu. Tout avait été corrompu par le péché, et si Adam avait été créé en grâce, il n’y avait guère persévéré. Le péché avait tellement défiguré l’image de Dieu qu’elle ne se retrouvait plus dans aucune créature. C’est pourquoi le plus grand plaisir que Dieu a eu dans cette pure et innocente créature a été de se retrouver en elle. Il s’y est vu comme dans un miroir, et voilà ce qui l’a charmé, et rempli d’admiration, et la joie qu’il en a eue a été si grande, que quoiqu’elle soit son ouvrage, il la regarde aujourd’hui avec autant de complaisance que s’il ne l’avait jamais vue. Toute la très Sainte Trinité s’est écoulée en elle avec une telle plénitude de grâces qu’il fallait une capacité telle que celle que Dieu lui avait donnée pour les contenir toutes.

Le Père la regardant et l’aimant comme sa fille, le Fils qui ne s’est point encore incarné, étant aussi grand et aussi puissant que lui, ne lui devant rien, voyant le plaisir que Dieu son Père prenait dans cette petite créature, dit en lui-même : si une pure créature est capable de lui donner tant de plaisir, que sera-ce donc de celui qu’il recevra par mon humanité ? Je me ferai homme afin de lui donner un plaisir et une joie infiniment plus grande que celle qu’il reçoit aujourd’hui. Et il la regarda dès ce moment comme celle qui devait être sa mère, le Saint Esprit comme son épouse, et en ces trois qualités elle fut comblée par les trois divines Personnes.

La joie de Dieu a fait ma joie dans cette rencontre. Mais voyons maintenant les dispositions qu’elle y a portées. La première, un profond anéantissement, elle s’est abîmée dans sa profonde petitesse, par hommage à la grandeur de Dieu, ce qui lui a été si agréable qu’il n’y a pas pris moins de complaisance qu’il en a eue de retrouver son image en elle. La seconde : elle a adoré Dieu, mais d’une adoration parfaite, c’est-à-dire en esprit et en vérité. La troisième, c’est qu’elle a tout référé à Dieu, ne se réservant rien, elle s’est remise en Dieu par un abandon total à toutes ses divines volontés, auxquelles elle a toujours été parfaitement soumise ».

Ceci n’est qu’une faible expression de ses paroles qui étaient si sublimes et élevées que l’on ne les a pu bien retenir, cela surpassant nos pensées et notre compréhension. De fois à autre elle répétait comme toute pénétrée : « Il est vrai que j’ai vu de belles choses en un moment qui m’ont transportée de joie. J’en ai pensé tomber, étant presque hors de moi ».

n° 2120 D12 p.9

12 octobre 1697

Le 12 octobre 1697, elle nous dit en nous parlant de Dieu comme à son ordinaire : « Jamais je n’ai eu moins de lumières et jamais je n’ai été si éclairée que je le suis à présent. Comment, nous dit-elle agréablement, comprendre et entendre cela ? C’est pourtant véritable, c’est une antithèse. Je vous dirais qu’il ne faut pas tant de multiplicités pour la vie intérieure, mais je conseille d’aller tout simplement à Notre Seigneur ».

Une religieuse lui ayant demandé si l’abaissement de l’âme devant Dieu faisait son anéantissement, elle lui répondit : « L’abaissement de l’âme devant Dieu, quoique ce soit une très sainte disposition, ne fait pas son anéantissement. Il faut bien que Dieu fasse en elle d’autres opérations pour la disposer à cet anéantissement. Et quand il l’en a rendue capable, il la détruit et anéantit comme il lui plaît, par des dispositions pénibles et crucifiantes, et si intimes et secrètes qu’elle ne les connaît pas elle-même. Il y aurait bien des choses à dire là-dessus, si Notre Seigneur m’en donnait la grâce. Mais il faut qu’il me la donne, je ne l’ai pas à présent. Il m’est très pénible de parler et d’agir, mais pour souffrir j’y prends mon plaisir ».

Ce même jour au soir qui était le samedi, nous parlant sur la sainte Communion elle nous dit : « A quoi me sert-il de manger Dieu s’il ne me mange ? Nous le mangeons par la sainte Communion, mais cela ne suffit pas pour demeurer en lui, il faut qu’il me mange, et qu’il me digère ; c’est ce que je lui demanderai demain à la sainte Communion ». Une des religieuses qui étaient présentes quand elle dit ces paroles ne manqua pas le lendemain de l’interroger pour savoir si Notre Seigneur lui avait accordé ce qu’elle lui avait demandé. Elle lui répondit avec une certaine allégresse : « Oui, il m’a mangée, et je dirais même là-dessus les plus jolies choses du monde, mais dans le temps où nous sommes cela serait fort mal tourné. Notre Seigneur est un trop gros morceau pour moi, je ne peux pas le digérer, mais moi il me digère dans un moment. Et comment ? Ce n’est pas à la façon que nous digérons les viandes. La réponse donc que Notre Seigneur a faite à ma demande, puisque vous la voulez savoir, a été : “Oui, je le veux, passe en moi”. Je me suis coulée comme un petit moucheron en Dieu ; c’est proprement le tout qui absorbe le néant. Voilà ce que j’appelle être mangée et digérée de Dieu. Une âme mangée et digérée de la sorte est passée en Dieu, il la cache dans sa face, elle est absorbée en lui, et pour ainsi dire elle fait partie de lui-même ».

La religieuse lui dit : « Ma Mère, il faudrait pour cela être anéantie ». Elle lui répondit : « Ce serait le mieux. Une âme anéantie est un objet de complaisance à Dieu, il y prend un plaisir infini. Et comment ? Parce qu’il est tout dans cette âme, et qu’il ne trouve plus rien qui lui résiste. Une âme anéantie fait sa demeure en Dieu, il la cache dans sa face. Mais quoique vous ne le soyez pas encore, ne vous rebutez pas. Cela n’empêche pas qu’il vous mange. Il suffit que vous y tendiez. Les âmes anéanties sont fort rares ». « Je ne sais, lui dit la religieuse, s’il me mange, mais je n’en sens rien ». Elle lui répondit : « Cela se fait sans que l’on s’en aperçoive. Il n’est pas besoin que vous le sachiez ».

Plus cette digne Mère nous parlait sur ce sujet, plus son désir augmentait d’être toujours mangée de nouveau de Notre Seigneur. « J’ai vu, dit-elle en passant, son Cœur adorable couine un grand brasier ardent capable de consommer toute la terre. Je ne suis pas cependant restée dans ce divin Cœur, parce que je suis trop impure. J’ai demandé à Notre Seigneur de me mettre à ses pieds. Il y a plus de trente ans que je l’ai prié de me tenir à ses pieds. J’ai été effrayée de voir l’amour infini de ce Cœur adorable envers les créatures, qui ne s’irrite point contre elles pour tous les outrages qu’il en reçoit à tous moments. Au lieu de nous foudroyer comme nous le méritons, il n’en a pas même de ressentiment, il n’est pas vindicatif. Toujours prêt à nous recevoir, il n’attend pas même que nous allions à lui, il nous prévient par sa grande miséricorde. Il nous presse intérieurement de retourner à lui, et nous n’avons pas plus tôt conçu du regret de nos fautes, et lui en demandons pardon, qu’il nous a déjà pardonné, oubliant tout le passé, sans nous en faire aucun reproche. Et un auteur dit qu’un flocon d’étoupe jeté dans un brasier n’est pas plus tôt consommé que nos péchés le sont en Jésus Christ quand nous avons du regret de les avoir commis ».

n° 1974 D12 p.2

Octobre 1697 « Captivité ».

C’est une sujétion tyrannique, dit Furetière. Nous voulons être libre, ne pas nous contraindre, laisser tout l’effort à Dieu.

D’un autre jour dans le même mois, nous ayant parlé avec beaucoup d’éloquence sur tous les degrés d’anéantissement, elle nous dit ensuite : « On m’a appris depuis peu, que lorsque l’on se trouve occupée d’inutilités, il faut s’en séparer aussi promptement que l’on se déferait d’un charbon de feu qui serait tombé sur la main, parce qu’il n’y doit point avoir de vide dans notre vie, et que tout appartient à Dieu. C’est une manière de petit reproche que l’on m’a fait, me disant intérieurement : tu ne l’ignorais pas, mais tu n’en faisais pas mieux. C’était une de ces nuits passées. J’apprends encore tous les jours bien des choses ».

« Mais, lui dit une religieuse, lorsque l’on s’aperçoit que l’on est dans l’inutilité, souvent c’est après y avoir perdu des heures ». Elle lui répondit : « Qu’importe, sortez-en au plus tôt, sans songer au passé. Pour peu qu’une âme fasse de son côté, Dieu est si bon, et a un amour et un penchant vers sa créature si grand qu’il ne se saurait tenir en repos. Il faut qu’il lui fasse des grâces, et toute misérable que vous me voyez, si j’avais seulement gros comme une tête d’épingle de fidélité, je serais comblée. Nous savons beaucoup, mais nous ne voulons pas faire, nous ne voulons point de captivité. Il faudrait que Dieu fît tout, sans que nous en ayons la peine, et si Dieu nous laisse un peu dans notre pauvreté nous nous fâchons, comme si Dieu nous devait quelque chose ».

Une religieuse lui demanda comment elle l’entendait de se tenir près de Dieu. Elle lui répondit : « Que fait le soleil quand vous êtes en sa présence, ne vous éclaire et échauffe-t-il pas ? De même quand vous êtes auprès de Notre Seigneur, il vous éclaire de ses lumières, et vous donne les grâces qui vous sont nécessaires pour vous préserver de l’offenser ».

n° 1974 D12 p.4

16 octobre 1697

« Je ne suis pas à le lui dire ». Tournure ancienne pour : je ne tarde pas à le lui dire, je lui ai déjà dit, ce n’est pas la première fois.

Une religieuse étant seule avec cette digne Mère, le 16 octobre 1697, comme elle allait parler à une personne, elle lui dit : « Ma Mère, détournez-la donc de l’amusement où elle est avec tous ces directeurs ». « Je ne suis pas à le lui dire, lui répondit-elle, mais c’est qu’elle veut atteindre à de grands états, et la contemplation la plus sublime et élevée n’est pas assez haute pour elle. Elle veut une grâce qu’elle n’aura jamais et dont même elle n’est pas capable ». Elle lui répartit là-dessus : « Mais, ma Mère, est-ce que vous ne lui faites pas connaître son erreur, et que vous ne lui dites pas ? » Elle lui répondit : « Je ne suis pas à le lui dire, car je ne trompe point les âmes, mais elle ne me veut pas croire, et quand les âmes sont ainsi, il faut les laisser. C’est comme un torrent impétueux qui n’a point de digue, et que l’on ne peut arrêter. Mais Notre Seigneur permettra que dans la suite elle s’égarera elle-même, et sera obligée de revenir, et se rendre à ce qu’on lui a dit.

J’ai vu autrefois des choses qui me servent dans les occasions de comparaisons. Je me souviens qu’il y avait en un lieu des bêtes qui en voulaient sortir, et je leur ouvrais la porte pour leur en donner la liberté, et ces bêtes, au lieu d’y aller, s’allaient toujours heurter contre la muraille, et n’en prenaient point le chemin que je leur montrais. Voilà comme font ces âmes. Elles veulent aller à Dieu, mais elles n’en veulent pas prendre le chemin ni la bonne voie que l’on leur montre. Elles se heurtent à ceci, à cela, et au lieu d’en approcher, elles s’en détournent, car qui peut s’élever à Dieu par l’élévation ? Ne faut-il pas s’abaisser et rentrer dans son néant, c’est là uniquement où l’on trouve Dieu, quand on sait s’anéantir et ne vouloir rien être. Mais c’est que le penchant de la créature est l’orgueil et l’élévation. Nous avons hérité cela d’Adam notre premier père, et si vous le marquez vous verrez que toujours, tout ce que nous voulons et désirons, même pour les choses de Dieu, ne sont que par rapport à nous-mêmes. Tantôt nous cherchons un appui d’un côté, ou autre chose d’un autre, si bien que Dieu n’est jamais purement en nous le motif de nos intentions. 0 heureuses les âmes qui n’ont que le pur regard de Notre Seigneur, et qui font ce qu’elles peuvent pour lui plaire, et lui être fidèles dans ce qu’il demande d’elles ».

n° 2059 D12 p.12

6 novembre 1697

Le 6 novembre 1697, comme on lui parlait d’une fille, elle nous dit : « Croyez-moi, j’ai de l’expérience, et depuis bien quarante ans, et je dirais bien soixante, j’ai remarqué une chose, retenez-la bien. C’est qu’il faut bien prendre garde aux qualités naturelles de l’esprit qui ne changent jamais, et celles aussi de certaines petites âmes de grâces, qui ont l’esprit borné. Il faut beaucoup s’appliquer à connaître leur grâce, pour les conduire directement selon ce qu’elle demande d’elles, sans les retirer de leur simplicité, sous quel beau et bon prétexte que ce soit, ou de les produire, de vouloir qu’elles parlent bien, pour les faire valoir et estimer des autres. Prenant même garde de ne leur pas faire connaître leur élévation auprès de Dieu, parce que si une fois la bonne opinion d’elles-mêmes s’empare de leurs cœurs, les voilà perdues pour toujours, parce qu’ayant les esprits bornés elles se heurtent aux sentiments d’estime et de complaisances qu’elles ont d’elles-mêmes, et ne veulent pas croire ceux qui les en veulent dissuader. Si bien qu’à la fin elles perdent leur grâce, et le mal en est sur ce que l’on les en fait sortir, en la leur faisant connaître, et les élevant trop ».

n° 2066 D12 p.13

Date présumée : 1697

Cette nuit j’ai un peu prié Dieu, j’ai pensé que ce n’était pas assez d’avoir l’intention droite vers Dieu pour faire toutes ses actions en sa vue et en son amour, mais qu’il fallait encore avoir l’attention actuellement à lui, et à la grâce pour écouter à chaque moment ce qu’elle demande de nous afin de nous y rendre fidèle, car tout dépend de cette fidélité, « Hodie, si vocem... etc. », et si vous entendez sa voix prenez garde d’endurcir vos cœurs ; il faut quand elle frappe à nos cœurs l’écouter, et suivre ce qu’elle nous dit. Oh ! si l’on savait le malheur d’une âme endurcie qui a méprisé cette voix adorable, Jérémie en fait le portrait dans ses Lamentations.

Tenez-vous proche de Dieu, ne voyez rien hors de Dieu, ne le perdez pas de vue, ayez un bas sentiment de vous-même (...), aimez Dieu uniquement et constamment pour l’aimer éternellement.

n° 238 C404 p.615

Date présumée : 1697

« Ne vous souciez point de l’estime et de l’opinion des créatures ; conservez votre paix ». Là-dessus, cette religieuse lui dit qu’il s’agissait quelquefois des intérêts de la Religion ou des Supérieures qu’on est obligée de soutenir, et de se tirer à cause de cela de sa tranquillité. Elle lui répondit : « Dans ces occasions on a une loi qui nous dicte ce qu’il faut dire et faire ». La religieuse lui objecta qu’il fallait pour avoir la paix avoir quelquefois des complaisances avec certaines personnes peur de les choquer et de troubler la paix. Elle lui répartit : « Il ne faut point craindre cela, et dire ce qu’on croit être obligée et arrive ce qui pourra, Dieu fera le reste en temps et lieu ».

n° 317 N254 p.6

Date présumée : 1697

Heureuse l’âme anéantie. Vous voyez la terre pendant l’hiver : ce n’est que stérilité et désolation. Elle ne fait rien paraître des richesses qu’elle renferme ; tout paraît mort, sec et aride. Les âmes anéanties sont de même à l’extérieur : tout y est commun, pauvre, souvent imparfait, et, sous ces apparences, elles conservent de grandes richesses. Et, quand le printemps reviendra, vous les verrez briller à la faveur de leur divin soleil Jésus Christ Notre Seigneur. Nous ne sommes pas excusables des choses que nous ne pratiquons pas, pour les avoir sues et puis oubliées par inapplication et légèreté d’esprit.

n° 455 P123 p.149

Date présumée : 1697

Remarquons pour finir l’attention de Notre Mère Mechtilde à l’habitation et à la vie de la Sainte Trinité en nous. Nous avons rencontré plusieurs fois cette pensée au cours de ces pages.

« L’anéantissement de Dieu ».

Sans doute est-il inutile d’expliquer ce que Notre Mère Mechtilde veut dire. Cela se comprend aisément dans la mentalité de l’époque.

Par le pur usage de la foi, la Sainte Trinité habite en nous et y fait ce qu’elle fait dans le ciel, c’est-à-dire que le Père y engendre son Fils, et que le Père et le Fils produisent le Saint Esprit.

Dans les commencements que j’ai eu ces lumières, cette pensée de Dieu présent en moi y faisait une si forte impression et de tels effets que, toute transportée hors de moi-même je croyais aller jusqu’aux nues et faire des merveilles ; mais misérable que je suis, me voilà comme vous voyez, revenue toute nature et toute humaine. Tâchez cependant de vous accoutumer tout doucement à envisager Dieu présent en vous. Ne le faites pas par effort, ni en vous formant une idée (Dieu est incompréhensible), mais croyez qu’il est présent en vous par un acte de simple foi, et occupez-vous de cette vérité en allant et venant par la maison et en toutes rencontres.

Une âme qui est fidèle à cette pratique ne se laisse emporter ni à ses passions, ni à ses humeurs naturelles, ni au tourbillon des affaires même les plus embarrassantes. Au milieu de tous ces tracas, elle sent quelque chose qui l’élève au-dessus d’elle-même et de tout le créé, et c’est cette tendance vers Dieu présent en elle qui l’attire, lui disant intérieurement qu’elle n’est point faite pour cela, et que ce qu’elle possède en elle vaut mieux que toutes choses. Elle n’a plus besoin de direction d’intention, elle a toujours le cœur tourné vers le divin Objet.

Oh ! quelle merveille de voir l’anéantissement de Dieu à se tenir toujours en nous sans nous abandonner un seul instant, ni jour, ni nuit. Et nous ne voudrions pas nous contraindre un peu pour nous tenir en sa sainte présence. Ah ! travaillons-y tout de bon et ne vivons plus de nos sens.

Hélas, je sens ces vérités, je vous y exhorte et mes paroles n’ont point effet de grâces. Malheureuse que je suis ! On ne sait pas ce que je souffre, ni les pensées et sentiments que j’ai de moi à ce sujet. Quand vous ne savez que faire, pensez que Dieu est en vous et occupez-vous à le remercier de toutes les grâces qu’il vous fait actuellement ; vous en recevez une infinité auxquelles vous ne pensez point et que vous ne connaissez même point.

n° 2455 B532 p.65

C’est à dessein que nous ne faisons pas de table analytique pour ce petit volume. Nous laissons chaque moniale le soin de l’établir elle-même selon ses goûts et ses inclinations.

La table des matières se limite donc pratiquement à une simple nomenclature des dates ou des sujets des Entretiens [non reproduite : chronologique, couvrant les années 1685 sq., mais surtout 1694 à 1697]



.


Pologne

= En Pologne avec les bénédictines de France, Téqui, 1984.

Quatrième :

Voici un livre dans lequel abondent les faits et les idées. On peut l'aborder comme un document d'histoire... On peut aussi y chercher un message spirituel, et se demander s'il demeure valable, en dépit des vicissitudes de la théologie, de la spiritualité et de leur vocabulaire. Cette seconde attitude est adoptée dans la préface de Dom Jean Leclercq.

« Mère Mectilde de Bar, envoie ses moniales en Pologne, comme missionnaires du Très Saint Sacrement... ». Cette vocation entraîne des exigences venant de l'Esprit-Saint... C'est l'adoration... et l'amour qui donnent la clef de tout : l'oeuvre entière de mère Mectilde commente ces deux devoirs.

En 1683, Jan III Sobieski délivra Vienne, menacée par les Turcs. En accomplissement d'un voeu fait par la reine Marie-Casimire, son épouse, le roi et la reine établirent le monastère des bénédictines du Saint-Sacrement de Varsovie.

Ce livre voudrait célébrer le tricentenaire de la fondation et relate l'histoire de nos monastères de Pologne jusqu'à nos jours.

ISBN : 2-85244-641-3


[page de titre:]


CATHERINE DE BAR

MERE MECTILDE DU SAINT-SACREMENT


EN POLOGNE

AVEC LES BENEDICTINES DE FRANCE


Documents originaux, réunis et présentés par les bénédictines du SaintSacrement de Rouen-les-Essarts

TéQUI

82 rue Bonaparte, Paris VIe


REMERCIEMENTS

Nous tenons à exprimer notre profonde et respectueuse gratitude à M. l'abbé Joseph Daoust, dont l'érudition d'historien nous a permis de réaliser l'édition de ce volume.

Grâce au soutien providentiel que nous ont apporté le très regretté père Ceslas Rzewuski, o.p., et ses amis, grâce à leur science des questions historiques et des familles polonaises, nous avons pu mieux comprendre l'histoire de nos monastères et donner les précisions nécessaires sur les personnes et les faits les concernant. Nous nous plaisons à mentionner ici tout spécialement l'aide que nous ont apportées monsieur le professeur Borowski et madame Potocka ainsi que Dom Chapeau pour qui les listes épiscopales n'ont pas de secret.

Nous avons aussi découvert, grâce à eux, en raison de leur compétence mais aussi de leur empressement à nous aider, l'âme fidèle et très souvent héroïque de ce peuple auquel la France est attachée par des liens si anciens et si profonds.

Que Marie, reine de la Pologne et abbesse perpétuelle de chacun de nos monastères, répande sur tous ceux qui nous ont soutenues et conseillées, ses grâces les plus précieuses.



PRÉFACE

Voici un livre dans lequel abondent les faits et les idées. On peut l'aborder comme un document d'histoire et essayer d'y discerner si et comment événements et circonstances influent sur des mentalités. On peut aussi y chercher un message spirituel, et se demander s'il demeure valable, en dépit des vicissitudes de la théologie, de la spiritualité et de leur vocabulaire. Cette seconde attitude est adoptée ici.

1. DESSEIN DE L'OEUVRE

Manifestement, la façon dont mère Mectilde du Saint-Sacrement parle de la vocation de son institut est marquée par son pays et par son époque. Elle n'est peut-être plus celle que l'on emploierait aujourd'hui. « Peut-être » : car, après tout, la différence est-elle si considérable ? Pour en juger, choisissons un sommet à partir duquel le reste puisse être considéré : un texte-clef, une page où se révèle à la fois l'intention de l'envoi de bénédictines en Pologne, les idées-maîtresses qui animent la fondatrice et ses filles, les attitudes psychologiques et spirituelles qui s'ensuivent. C'est une lettre du 23 août 1687, l'époque de la pleine maturité de mère Mectilde, et c'est, à proprement parler, le « programme » qui orientera tous les développements à venir.

Une paraphrase, pour qui la rédige ou la lit, offre toujours quelque chose d'austère. Les mots ne parleraient-ils point d'eux-mêmes ? Un texte dense, et explicite veut cependant ai-

7

der à en interpréter bien d'autres. Quand on manie l'immense correspondance de mère Mectilde, aussi bien que celle d'un Rancé ou d'autres spirituels de son temps, on découvre bientôt, dans les écrits de chacun d'eux, beaucoup de cohérence : on n'y trouve pas seulement un vocabulaire, qui peut être commun à plusieurs, mais un langage, reflet d'une psyché, d'une expérience intime, qui sont propres à chacun. Il y a dans le discours un ton, un accent — et des accents, des insistances — qui sont personnels. Cette lettre est adressée « aux religieuses qui s'en allaient à l'établissement de Pologne quand elles furent arrivées à Rouen pour s'y embarquer ». Elle revêt la valeur d'un manifeste. Par rapport à son contenu, les autres données du message s'ordonneront et s'éclaireront.

On pourra lire plus loin le texte entier de la lettre ; il est assez bref. N'en retenons ici que le passage essentiel. Avant de le commenter, il est utile de le reproduire en mettant en relief ses mots importants.

« Je vous regarde comme des missionnaires du très Saint Sacrement, comme la couronne et la gloire de l'institut, si vous vous comportez comme l'Esprit-Saint vous le demande.

« Allez, mes très chères enfants, allez chères victimes, allez les choisies du Ciel pour porter la gloire et l'amour du très Saint Sacrement dans tout le royaume de Pologne. Faites à cet adorable mystère de grandes conquêtes, animez les coeurs, ravissez les esprits et que tout le monde se ressente des grâces dont Notre Seigneur a dessein de vous remplir si vous êtes fidèles à les recevoir. Oubliez tout pour l'amour de celui qui s'est, pour vous, oublié de lui-même pour demeurer avec vous et pour vous nourrir de lui-même. Vivez donc de lui et pour lui, allez avec des saintes assurances qu'il est avec vous et qu'il vous conduit dans une nouvelle région de grâce où vous ne devez plus rien voir que lui. Tous vos intérêts sont dans cette sainte entreprise entièrement sacrifiés. Vous ne vous souviendrez plus de vous-mêmes que pour vous regarder comme des victimes réellement et de fait, immolées à toute heure, à tout moment. Vous vivrez dans cet esprit de mort à tout le créé, pour vivre en Dieu et de Dieu en lui-même.

« C'est où je vous laisse et où je tire ma force pour vous sacrifier, espérant qu'il nous fera la très grande miséricorde de vous revoir dans l'éternité. Obtenez-moi cette grâce et me croyez, en Jésus et sa très sainte Mère, plus à vous qu'à moi-même. Consolez-moi de vos nouvelles le plus que vous pourrez. »

8

2. FINALITÉ APOSTOLIQUE

On ne parlait guère encore, au XVIIe siècle, de missionnaires bénédictins. Des moines, certes, avaient, dans le passé, contribué à l'évangélisation de terres non encore chrétiennes et nouvellement conquises par des princes chrétiens. Mais l'idée d'en faire un modèle entrant dans une typologie du monachisme a surtout été élaborée aux Etats-Unis, au XIXe siècle, et, de là, se répandit dans une partie de l'Europe. Toutefois, l'image du « missionnaire », illustrée par tant de jésuites devenus martyrs, était dans beaucoup d'esprits. On comprend que mère Mectilde l'ait adoptée. L'application qu'elle en fait à des moniales allant dans une région considérée comme lointaine est une innovation, comme aussi le fait de l'associer à la diffusion de l'adoration du Saint Sacrement.

Pour mère Mectilde, cette vocation missionnaire entraîne des exigences, venant de l'Esprit-Saint, que mère Mectilde mentionne volontiers : sa piété est trinitaire : « Si vous vous comportez comme l'Esprit-Saint vous le demande ».

Et aussitôt commence une exhortation éloquente, avec répétition à l'impératif, selon un procédé qui fait partie de la rhétorique de tous les temps, et peut-être surtout de celle du XVIIe siècle : « Allez..., allez..., allez ». Les titres aussitôt donnés à celles qui liront ce texte — c'est-à-dire qui l'entendront, comme une péroraison publique, trahissent le fond de l'âme : le « mes très chères enfants » est déjà, au XVIIe siècle, traditionnel, bien que les mots de « fils » ou « enfant », appliqués au moine par rapport à son abbé, manquent dans la règle de saint Benoît. Mais « chères victimes » est plus neuf, plus révélateur d'une culture religieuse. Il ne constituait pas une innovation, car, bien auparavant, le mot « victime » avait été utilisé dans la vie monastique, surtout par des moniales. A l'époque de mère Mectilde, depuis Olier et d'autres, il était devenu fréquent 1, mais conservait toujours un sens précis, que la suite de notre texte va nous aider à préciser. « Choisies du ciel » ne fait point tant penser à la « dame Electa » des deux Épîtres de saint Jean qu'à la formule paulinienne des « élus de Dieu » (Rm 8, 33, Col 3.

1. M. Denis, La spiritualité victimale en France, Rome 1981 (De honiana, 11) : sur le XVIIe siècle, p. 1-35 ; sur mère Mectilde, p. 28-31 ; sur Paray-le-Monial, p. 3646.

9

2 etc.) . La phrase s'achève par l'énoncé de l'intention de mère Mectilde, en pleine cohérence avec l'idée missionnaire, par laquelle tout a débuté : « pour porter la gloire et l'amour du très Saint Sacrement ». Ici encore, les termes ne sont point employés par hasard : ce qui glorifie le Saint Sacrement, c'est que, par l'adoration, on le traite comme il a le droit de l'être, au lieu de lui manquer d'honneur par oubli, négligence ou profanation. Mais c'est « l'amour » qui donne la clef de tout : l'oeuvre entière de mère Mectilde commente ces deux devoirs, dont la suite de ce texte va indiquer les exigences. C'est « dans tout le royaume de Pologne » que ce message doit être « porté » : encore un mot du vocabulaire missionnaire du Nouveau Testament : « Afin qu'il porte mon nom devant les nations… », dit le Seigneur à propos de la vocation de saint Paul (Ac 9, 15) .

Les fruits à attendre d'un tel envoi sont alors énoncés : « Faites à cet adorable mystère de grandes conquètes... » : la formule « Faire des conquêtes » appartenait sans doute déjà au langage amoureux, dont elle a ici la nuance. Mais l'idée d'être une « conquête », d'avoir été acquis, conquis, et de l'avoir été afin d'en conquérir d'autres à Dieu, est dans le Nouveau Testament : « peuple qui fit l'objet de la conquête de Dieu », écrit saint Pierre (1, 2, 9) . « Ravissez les esprits » : le verbe est ici employé au sens propre de « s'emparer » — ce qui est johannique : « Personne ne ravira mes brebis de ma main » (Io 10, 28-29). Mais, au XVIIe siècle, il a aussi un second sens — causer du ravissement — déjà évoqué par le ravissement de saint Paul (2 Co, 12, 2-4) . Malgré la force exprimée, en ce début de phrase, par les impératifs, les filles de mère Mectilde jouent, en cette oeuvre, un rôle d'intermédiaires, rien de plus : elles « reçoivent » des grâces, elles en sont « remplies » afin que « tous les autres les ressentent ». A condition qu'elles demeurent elles-mêmes « fidèles à les recevoir » : aucune trace, ici, de pélagianisme, de suffisance humaine. Tout cela correspond à un « dessein » de Notre-Seigneur — selon « le dessein, le propos, de sa grâce » et de sa volonté, comme le dit plusieurs fois saint Paul (Rm 4, 5 ; Ep 1, 5) ou, plus brièvement, « selon son dessein », celui « selon lequel il nous a appelés » (Ep 1, 11 ; 2 Tm 1, 9).

10

3. EXIGENCES DE L'ASCÈSE

Être en état de réceptivité suppose que l'on est ouvert au don qui va venir, et qu'on a fait le vide en soi. Une des façons de traduire cette idée consistait à parler « d'oubli de soi ». « Oublier tout », sauf Dieu : formule biblique s'il en est, dont on avait aimé faire l'application aux moniales à propos de l'ordre donné à la fille de Sion au Ps 44, 11 : « Oublie, ma fille, ton peuple et la maison de ton père » ; — évocation de l'appel adressé à Abraham (Gn 12, 1) et que doit pratiquer, spirituellement, l'épouse du Christ. Il faut le faire, comme en ce contexte nuptial, « par amour ». Et pourquoi ? A cause de Celui qui s'est « vidé de lui-même » et, en ce sens, totalement oublié, détaché, en quelque sorte séparé de sa gloire divine, pour demeurer sur notre terre. Ici, ce vocabulaire néo-testamentaire est entendu, comme on le fait au temps de mère Mectilde, au sujet de la présence permanente du Christ en l'eucharistie : mais le but assigné à la « demeure de Dieu parmi nous » — selon l'expression de saint Jean (1, 14) — est exact : il s'agit de se nourrir de lui, de vivre de lui et pour lui, — autant de formules également johanniques (Io 11,26) . Bibliques aussi sont les expressions suivantes : il « est avec vous » — l'Emmanuel — et « il vous conduit » hors de la région de l'ombre de la mort (Lc 1, ?9), dans une autre, nouvelle, qui est celle de la grâce, de la lumière qui vient de lui : comme les trois Apôtres lors de la Transfiguration, il ne faut plus « rien voir que lui » (Mt 17, 8).

Ce détachement profond sera cause de fécondité : « Sacrifier entièrement nos intérêts », dit, ici et ailleurs, souvent, mère Mectilde. Ce terme « d'intérêt », au singulier ou au pluriel, était déjà traditionnellement utilisé pour traduire une formule chère à saint Paul : « ne pas chercher ce qui est à soi, quae sua sunt, c'est-à-dire son propre intérêt (1 Co 10, 24 ; 10, 33 ; 13, 5) mais ce qui est des autres ». C'est cela, tout simplement, être « sacrifié », offert en « sacrifice » : « donner sa vie », « offrir nos corps », disent équivalemment saint Jean (Io 15, 13 ; 1 Jo 3, 16) et saint Paul (Rm 12, 1). « Etre sacrifié entièrement » : telle ést la -notion « d'holocauste », qui, dans l'Ancien Testament déjà, puis dans le Nouveau, fut appliquée au « sacrifice spirituel » que l'on peut faire de soi-même. Beaucoup plus tard, en notre siècle, application sera faite de cette image au sacrifice volontaire et total que des moniales firent

11

d'elles-mêmes à Varsovie, comme tant de chrétiens et de juifs, et dans lequel elles furent, à la lettre, consumées par le feu. Les implications spirituelles de cette attitude sont réaffirmées avec force : « Vous ne vous souviendrez plus de vous-mêmes que pour vous regarder comme des victimes, réellement et de fait, immolées à toute heure et à tout moment ». On ne peut être plus précis, plus « pratique », que ne le sont ces formules denses, dont tous les mots portent. Il en va de même des paradoxes aussitôt énoncés : « Vivre dans cet esprit de mort à tout le créé, pour vivre à Dieu et en Dieu lui-même ». Saint Bernard et les mystiques de la tradition monastique médiévale auraient souscrit à tous ces termes, inspirés de saint Paul (Ga 2, 19) et de saint Pierre (1 P 2, 24) .

Ce message doctrinal s'achève sur une note de tendresse : car l'exigence d'ascèse ne diminue en rien le caractère « d'humanité » — et même de féminité — qui fait le charme de tant d'écrits de mère Mectilde. Elle redit qu'elle-même a « sacrifié » ses filles, au sens qui vient d'être expliqué, en se séparant d'elles, mais sans cesser d'avoir pour elles une affection qui est définitive. « C'est où je laisse et où je tire ma force pour vous sacrifier, espérant qu'il nous fera la très grande miséricorde de vous revoir dans l'éternité. Obtenez-moi cette grâce ». « Ne pas chercher son intérêt » : avant d'enseigner à le faire, elle a pratiqué ce devoir : « Et me croyez, en Jésus et sa très sainte Mère, plus à vous qu'à moi-même ». Dans la phrase finale, elle ne dissimule pas qu'elle a besoin de consolations : « Consolez-moi de vos nouvelles le plus que vous pourrez ». Le terme de « consolation » et le verbe « consoler », ou « être consolé », reviennent plus de vingt-cinq fois en saint Paul, parfois, comme ici, à propos de nouvelles reçues. Et dans les Actes des Apôtres (15, 31), « une assemblée — une église — se réjouit de la consolation apportée par une lettre ».

4. EMPREINTE PAULINIENNE

Il y avait lieu de s'attarder à ce témoignage, dont le style est classique, parce que, à sa lumière, s'en éclairent d'autres en lesquels mère Mectilde parle par allusion des convictions qu'elle a explicitées ici. Sous un revêtement qui d'aventure nous fait sourire, ils contiennent une doctrine.

« Chère victime... » : faut-il aussitôt penser au « Ma chère âme » du temps des Précieuses ? Tous ces mots, venus de saint Paul, qui s'appellent, se répondent, se complètent, expriment sous divers aspects une même réalité, ne relèvent pas de la « Carte du tendre » : ils révèlent une structure linguistique paulienne. Peu de citations exactes, et encore moins de références. Saint Paul n'a pas été étudié, peut-être pas même lu, ou guère. Pourtant, il a été assimilé. Par quelle voie a-t-il été reçu ? Mère Mectilde avait-elle accès à l'Écriture, plus que ne l'avait eu sainte Thérèse d'Avila ou ne devait l'avoir sainte Thérèse de Lisieux ? L'essentiel du message n'est-il point venu, dans ces trois cas, par le Missel et l'office divin ? De tous ces termes, phonétiquement traduits de mots latins — sacrifice, victime, holocauste, oubli de soi, mort à soi-même et vie à Dieu — l'équivalent traditionnel serait mortification ou, dans la langue savante, ascèse. Aujourd'hui on dirait volontiers « oblativité ». Est-ce plus clair, plus accessible à tous ?

Une certaine obscurité, de l'imprécision même, en vérité une aura de mystère entourent ce vocabulaire, dont chaque élément ne se comprend, ou ne laisse entrevoir sa signification, qu'associé aux autres, et parce que tous émanent d'une expérience profonde, proprement indicible. Son expression a été coulée, c'est-à-dire à la fois filtrée et enrichie de résonances nouvelles, dans une terminologie biblique, chargée de sens. A propos d'un témoin tout proche de nous, puisqu'il est de la fin du XIXe siècle, le père Dehon, une enquête minutieuse a été menée auprès de spécialistes en exégèse et en théologie : quelle signification valable peut encore revêtir tout le vocabulaire de la « spiritualité victimale » ? Recherche utile, mais qui en appellerait une autre : une analyse structurale des contextes où ces mots reviennent. Roland Barthes a interrogé des écrivains de toutes les époques sur l'une des structures du « discours amoureux » : celle selon laquelle le sujet aimé parle à l'objet aimé 2. Celle selon laquelle il parle de l'objet aimé pourrait donner lieu à une étude du même genre ; c'est celle-là dont abondent les écrits de mère Mectilde. Un saint Bernard avait su transposer au niveau de la charité le « code de l'amour courtois ». D'autres, spontanément, ont enseigné la même charité selon que le demandait — et le permettait — la culture de leur

2. Roland Barthes, Frammenti di un discorso amoroso, Turin 1979, p. 6.

13

temps. Mère Mectilde est du nombre. Si l'on consent à se placer dans cette perspective, point n'est plus besoin qu'on explique ses textes afin de les rendre acceptables : on les lira intelligemment, simplement, c'est-à-dire avec simplicité; à ce prix, on en percevra et la profondeur et le charme. L'écho qu'ils éveillent aujourd'hui en tant de personnes en lesquelles le sens critique ne manque pas suffit à prouver qu'ils sont encore actuels.

5. PROBLÈMES HUMAINS

Dans la lettre du 23 août 1687, deux mots étaient en relief : celui de « force », au début, et celui de « consolation », à la fin. Telles sont, en effet, les deux dispositions spirituelles qui dominent le tout : en même temps que vigoureuse, pleine d'énergie intérieure, mère Mectilde apparaît comme très humaine. Elle possède une immense capacité de compassion, un intense besoin de consoler, mais aussi d'être consolée. C'est en partie à cette affectivité contrôlée, mais non réprimée, que nous devons de posséder tant de lettres nous informant de ce qu'elle pense et « ressent », comme de ce qu'elle fait. A telle de ses correspondantes, elle écrivit trois-cent-trente et une lettres en quinze mois, c'est-à-dire un peu plus d'une tous les deux jours. Or elle ne s'adresse pas seulement à des supérieures ou à des dames bienfaitrices en vue de traiter des affaires. Elle correspond avec de simples religieuses, afin de les encourager. Elle se livre parfois alors à des effusions qui émanent, dit-elle, « du plus tendre de tout mon coeur ». « J'ai besoin, avoué -t-elle ailleurs, de me dilater un peu avec vous ».

D'où l'importance qu'elle attache à la « cordialité », mot qu'elle emploie aussi, de façon charmante, au pluriel, pour caractériser les rapports en la vie de communauté : « Ayez beaucoup de cordialités ensemble ». On comprend qu'elle ait tant souffert quand se fit jour, parmi ses moniales de Varsovie, un malaise dont on entrevoit que les causes étaient variées. La fondatrice et ses filles devaient « contenter Dieu » et une Reine. Celle de Pologne protégeait les bénédictines en leur faisant sentir le poids de son autorité. Il semble, en particulier, qu'elle ait accordé beaucoup de prix à la qualité des voix, donc à l'espèce de concert spirituel qui en résulterait quand ces religieuses chanteraient l'office divin ; or elles avaient été recrutées selon d'autres critères. Mais on admire le style infiniment respectueux dans lequel mère Mectilde sait parfois faire entendre à la souveraine ce qui constitue l'essentiel de la vie monastique. Elle réussit aussi à tenir un langage ferme à une moniale, quand il le faut.

De plus, il semble avoir surgi, dans la communauté de Varsovie, ce qu'on appellerait aujourd'hui un « conflit de générations », ce qui oblige mère Mectilde à écrire, spécialement, « aux anciennes ». Parmi celles-ci des divergences de vues s'étaient fait jour. A ces tensions, la Reine semble n'avoir pas été étrangère. Il en résulte une crise qui est douloureuse pour la fondatrice, mais nous vaut quelques-unes de ses lettres les plus instructives. Elle en souffre d'autant plus qu'elle est réduite à observer de loin cette « division ». Elle sait rappeler à une prieure que, « pour être supérieure, il faut souvent obéir » ; il lui arrive de plaider pour les jeunes, en s'appuyant sur l'autorité de saint Benoît. Surtout, elle excelle à situer la difficulté à son vrai niveau, — celui de la charité — et demander qu'on la résolve au prix d'un renoncement total à l'égoïsme : « Alors seulement, déclare-t-elle, s'établira un saint rapport de vos sentiments aux leurs, pour le respect de la charité, que vous devez faire régner partout et sur tout. Les supérieures doivent donner l'exemple et préférer les sentiments des autres aux leurs propres, afin de les encourager à se démettre elles-mêmes de leurs propres lumières et sentiments. Et pour bien réussir dans la charge il y faut être sans prendre vie à quoi que ce soit, ne désirant que de faire régner Jésus-Christ dans les coeurs, ne parler qu'en son esprit, et toujours se séparer de soi-même... » « Je prie Notre Seigneur de vous donner son esprit et vous fasse la grâce d'entrer dans un parfait dégagement de tous les intérêts que la raison naturelle pourrait envisager, pour ne prendre que ceux de Notre Seigneur Jésus-Christ qui sanctifiera vos sacrifices et vous donnera la consolation de voir la paix rétablie dans votre communauté. ... Il faut que tout le monde se quitte soi-même, pour rentrer dans une parfaite union universelle. Je ne veux que Dieu en tout. Je prie nos chères filles de bien recevoir et agréer ce que j'écris, puisque ce n'est que pour le bien de toutes. Je vous assure que je n'ai point d'autres intérêts ».

Voici encore un témoignage dans lequel sont rassemblés les termes de prédilection du langage de mère Mectilde, agré-15mentés de quelques-uns de ceux de son temps : ces « flammes » dont parlaient aussi les héroïnes de Corneille, ce vocabulaire victimal cher à Bérulle, à Olier, aux plus insignes des spirituels d'alors : « Je vous supplie mes très chères filles, de conserver parmi vous une sainte cordialité, que la charité lie vos coeurs et que l'Esprit-Saint de Jésus-Christ vous anime en tout et partout. Donnez-moi de vos nouvelles tandis que je suis encore en ce monde et me marquez en quoi je puis vous être utile, car je vous assure que je vous aime toutes au-delà de ce que je puis vous exprimer. Si vous désirez que je vous écrive à chacune en particulier je le ferai de tout mon coeur qui est si tendre pour vous toutes. Souvenez-vous que Dieu vous a choisies par l'excès de son amour, il vous a confié ses intérêts, ne lui soyez point infidèles, tâchez de remplir vos vocations et d'être aussi saintes que des victimes du Fils de Dieu au très Saint-Sacrement le doivent être pour sa pure gloire et pour édifier tout le monde, car vous devez être si saintes que vous édifiiez toutes les créatures et les animiez de l'amour de Jésus-Christ. Que ne suis-je auprès de vous pour épancher mon coeur et vous encourager toutes à vous consommer des divines flammes qui sortent du Sacré Tabernacle, et que vous recevez tous les jours. Séparez-vous de l'humain, abandonnez tous vos petits intérêts pour vous conformer à l'adorable hostie qui est tous les jours immolée pour vous tirer toutes dans son divin sacrifice et vous faire avec lui des hosties dignes d'être consommées à sa gloire. Je ne finirais pas si je suivais les mouvements de mon coeur qui est, en Jésus, tout à vous. Je vous embrasse toutes dans le Sacré Coeur de la très immaculée Vierge Mère de Dieu où vous êtes toutes et où vous ne devez jamais sortir. A Dieu en Dieu, il faut finir ! »

Aussi, quelle joie pour mère Mectilde, quand, à Varsovie, tout s'apaise, quand, le calme revenu, elle « épanche soif coeur ». Elle a toujours éprouvé une « sensible tendresse pour ses enfants ». Cette crise l'a encore, s'il est possible, renforcée, et lui a donné l'occasion d'exposer tout l'ensemble de son enseignement, concernant la vie de prière, d'union à Dieu, et celle de la « séparation de soi », c'est-à-dire du toujours nécessaire effort de l'ascèse. Cette peine et cette joie ont été vécues dans une histoire : celle de toute l'époque — si violente, celle du monastère de Pologne, enfin la sienne propre, en ces dernières années de son existence terrestre. Et sur ce point encore, l'exemple de mère Mectilde comporte un message pour notre époque, où les problèmes de l'âge avancé sont pressants, où l'on interroge toutes les traditions religieuses au sujet de « l'art de vieillir » 3.

6. FORCE DU GRAND AGE

Elles sont émouvantes, en leur simplicité, ces confidences d'une septuagénaire. « Je dois bien penser à mourir ». On la considère comme sainte, mais elle renonce à l'être : c'est trop tard, dit-elle équivalemment, avec humour. Elle fait une sorte d'expérience anticipée de son trépas, en quoi n'entre rien de sombre ni de tragique. Puis, lorsqu'elle a passé les quatre-vingts ans, elle ne cache pas qu'elle « appréhende l'agonie ». Quand elle doit renoncer à pouvoir écrire à toutes ses filles, c'est signe qu'elle « approche de sa consommation », comme elle le dit en une formuls inspirée de saint Paul (2 Tm 4, 7). Elle donne encore des conseils de sagesse, et c'est au titre de son ancienneté qu'elle prend la défense des jeunes. « Je suis une vieille misérable qui n'attend tous les jours que la fin... Dieu connaît l'état où je suis ». Mais elle déclare ailleurs, avec entrain : « Mon âge ne me dégoûte pas... J'avance toujours vers la fin et cependant Notre Seigneur me fait vivre. Notre Seigneur ne veut pas que mon amour propre soit satisfait. Il faut tout sacrifier ». Bientôt, pourtant, la voix s'éteint, la plume s'arrête, et ce simple silence est plus impressionnant que ne le sont bien des récits de fin de vie.

Le message fait son chemin. Il a été de « force », conformément à un terme qu'elle a aimé. Force tranquille : « un parfait désengagement... un saint désintéressement... Il faut tâcher d'être inébranlable dans les événéments fâcheux ». Cette calme confiance n'est pas de la littérature, en un temps où retentissent des « bruits de guerre. Toute l'Europe est armée sur mer et sur terre ». Tout le monde appréhende « les grandes guerres qui

3. Tel est le propos de l'ouvrage collectif publié par la Mission du Saint-Siège près l'O.N.U. à l'occasion de « l'année des vieillards » : Aginv : Spiritual Perspectives, éd. par E. Di Filippo — F.V. Tiso, Sunday Publications, 1982. « L'art de vieillir » est le titre du chapitre qu'en collaboration avec mère M.C. Cimbalista, o.s.b., j'y ai écrit, aux p. 163-169.

17 se préparent ». Beaucoup, de nos jours, connaissent une telle angoisse. Près d'un siècle plus tard, en 1773, la fondatrice du monastère des bénédictines de Lwow aura la même sérénité. Agée de soixante-dix sept ans, elle « parvint à une telle union à Dieu, et sainte indifférence, que tout lui était égal ».

Ce n'est point là de l'insensibilité. Cette indifférence à l'égard des vicissitudes humaines est abandon à Dieu. C'est l'ultime mise en pratique du sacrifice de soi, de l'acte d'offrande, pour celles qui se sont mises en l'état de victimes. Tranquillité qui suppose énergie, un dynamisme auquel on participe en demeurant uni au principe dont il émane : « Vous tenir dans votre intérieur par un saint recueillement en la présence de Dieu ».

J. LECLERCQ moine de Clairvaux

UNE FONDATION BÉNÉDICTINE EN POLOGNE AU XVIIe SIÈCLE

En quelles circonstances, il y a trois siècles, un groupe de douze bénédictines du jeune institut du Saint-Sacrement fut appelé à essaimer de Paris vers la lointaine Pologne afin de rendre grâce, tout près du palais royal de Varsovie, pour l'éclatante victoire remportée devant Vienne par le roi Jean III sur les hordes ottomanes en 1683, telle est d'abord l'histoire que nous nous proposons de rapporter en cet ouvrage. Mais avant de laisser la plume à nos religieuses elles-mêmes pour qu'elles nous content leur pittoresque odyssée, leur arrivée, leur installation et leur vie en Pologne, il convient de décrire brièvement l'état de cette nation à la fin du XVIIe siècle et de présenter les protagonistes de cette fondation monastique.

LA POLOGNE AU XVIIe SIÈCLE

C'est en 966 que le duc Mieszko avait fait entrer son peuple dans la chrétienté romaine et donné à son État, unifié à partir de Gniezno, les frontières qu'il a à peu près retrouvées en 1945. Au XVIe siècle, le « Siècle d'Or », il atteignit à son apogée : c'était alors le pays le plus étendu de l'Europe et son « grenier ».

Son extension même et les ambitions dynastiques de Sigismond Vasa (1587-1632) accumulèrent bien vite les menaces contre la « plus grande Pologne ». Celle-ci s'engagea en des guerres ruineuses contre la Moscovie (1610-1618), la Turquie (1620-1621) et surtout la Suède (1600-1629), qui s'empara de la Livonie maritime. En même temps, une grave crise politique secouait le pays (1606-1609) : le rokosz (la fronde) de Zebrzydowski opposait l'insurrection légale aux efforts déployés par la Cour pour instaurer une monarchie héréditaire et absolue ; les magnats s'érigeaient en défenseurs de la « liberté d'or », dépossédaient l'tat de ses prérogatives, qu'ils transféraient aux « diétines » (décentralisation fiscale), asservies à leurs visées par une clientèle de hobereaux à leur dévotion. Et les guerres contre les voisins s'achevaient, quand l'extension du servage en Ukraine au profit de l'aristocratie polonaise provoqua l'insurrection des Cosaques Zaporogues (1648).

Le roi Jean II Casimir se révéla incapable de conjurer les périls. Les Cosaques se rangèrent sous l'autorité du tzar (1654), qui envahit la Biélorussie et la Lituanie ; les Suédois conquirent presque tout le pays à la faveur de la trahison des nobles et de la sympathie des dissidents (1655). La Pologne aurait péri si un sursaut populaire, national et religieux, marqué notamment par la résistance victorieuse du monastère Jasna Góra, à Czestochowa, et l'intervention des puissances n'eussent libéré le territoire.

A la paix d'Oliva (1660), la Suède garda la Livonie ; au traité d'Androussovo (1667), la Russie enleva Smolensk et la rive gauche du Dniepr. La Pologne était couverte de ruines, les champs restaient en friche, un tiers de la population avait succombé. De surcroît, depuis 1652, le liberum veto, par lequel le moindre opposant pouvait à sa fantaisie « rompre la diète » et annuler ses décisions, ouvrait la voie à l'anarchie. Jean II Casimir, en butte à la violente hostilité de la noblesse, abdiqua, désabusé, et, en 1668, se retira à Paris.

C'est alors que, exsangue et traumatisée par tant d'invasions, l'aristocratie choisit un roi dans ses rangs, et que, après le règne de l'insignifiant Michel Korybut (1664-1673), elle élut pour souverain Jean III Sobieski (1674-1696). Ses campagnes, glorieuses mais épuisantes, allaient faire de lui le « rempart de la chrétienté », sans qu'il réussît pour autant à retarder l'irrémédiable déclin de la Pologne. 21

UN HÉROS : JEAN III SOBIESKI

Né le 2 juin 1624 à Olesko, en Galicie, le jeune Sobieski voyagea à travers l'Europe en compagnie de Marc, son frère aîné, et s'arrêta longtemps en France, où il s'engagea même dans le corps des mousquetaires rouges (1645). I1 fréquenta aussi les cercles aristocratiques et se lia d'amitié avec le Grand Condé, son héros idéal, avec qui il correspondit toute sa vie. Les deux frères avaient visité la Turquie quand ils apprirent l'envahissement de leur patrie par les Cosaques (1648). Courant aux armes, ils s'illustrèrent au combat de Zborov, mais, en 1652, Marc fut tué à la bataille de Batov. Chef désormais de sa maison, Sobiéski jura de consacrer le reste de son existence à la défense de son pays. Ses talents militaires, son sang-froid, son courage, laissaient présager un grand capitaine.

A peine remis d'une blessure, en 1655, il lutta contre une nouvelle ligue des Russes, des Cosaques et des Suédois qui, aux ordres de Charles X Gustave, avaient pénétré en Pologne. Russes et Cosaques étant rentrés en lice peu après le traité d'Oliva (1660), Sobieski les écrasa à Slobodysza (1665). Alors éclata la révolte nobiliaire de Lubomirski, que la reine Marie Louise de Gonzague poursuivait d'une haine implacable. Pour retenir Sobieski dans le parti de la Cour, la souveraine le nomma grand maréchal et négocia son mariage avec MarieCasimire d'Arquien, veuve du prince Zamoyski. Ce fut le nonce Odescalchi, le futur Innocent XI, qui, le 5 juillet 1665, bénit cette union. Mais profitant de la sédition de Lubomirski, une armée innombrable de Tartares, de Cosaques et de Turcs avait franchi les frontières méridionales de 11a Pologne. Sobieski réunit vingt mille hommes et tailla en pièces les ennemis. Il avait sauvé la République (1667).

La diète avait donné l'incapable Korybut (1669-1673) comme successeur à Jean Il Casimir. Cependant que le pays se débattait dans l'anarchie, Sobieski refoula les Cosaques et leur reprit la région s'étendant entre le Bug et le Dniestr. Mais voici que cent cinquante mille Turcs, débordant la Transylvanie, investissent Kaminieç, tandis que cent mille Tartares font irruption de leur côté (1672). Sobieski écrasa ceux-ci près de Kaluza, puis dispersa les Ottomans. Cependant, la place de Kaminieç ayant capitulé, Korybut conclut_avec les Turcs la paix honteuse de Buczacz (1672). De dépit, le héros se retira en ses 22 domaines. A la diète de 1673, il obtint que fût rompu le traité de Buczacz. Le sultan Mahomet IV passa alors le Dniestr, mais Sobieski s'empara du camp ennemi à Chocim. Apprenant cet éclatant succès, Madame de Sévigné écrit à propos du vainqueur : « Cette victoire est si grande qu'on ne doute pas qu'il ne soit nommé roi, d'autant plus qu'il est à la tête d'une armée et que la fortune est toujours pour les gros bataillons » 1.

Au soir de Chocim, on apprenait la mort de Korybut. Le 21 mai 1674, après un mois de palabres, la diète proclamait Sobieski roi de Pologne sous le nom de Jean III. En 1675, les Turcs vinrent encore attaquer Léopol : le nouveau souverain les défit et les obligea à la paix. En 1678, il conclut avec la Moscovie une trêve qui devait durer jusqu'en 1693.

Sobieski eût voulu s'unir à la politique de Louis XIV à qui il devait largement son élection, pour ébranler la puissance autrichienne, toujours fatale à la Pologne. La reine Marie-Casimire entre autres, quoique française de naissance, l'en détourna et, le 31 mars 1683, il s'allia à l'Autriche contre la Porte. Menacé alors par une formidable armée ottomane, abandonné par les princes allemands, l'empereur Léopold 1er implora le secours de Sobieski. Son ambassadeur se jeta aux pieds du roi : « Sauvez l'Empire ! » supplia-t-il, tandis que le nonce s'écriait : « Sauvez la chrétienté ! » Charles V de Lorraine ouvrit la campagne avec Lubomirski, alors que le grand vizir Kara-Moustapha fonçait sur Vienne. Le 10 août, l'empereur abandonna sa capitale avec la cour et une foule d'habitants. Le 14, les Ottomans assiégeaient Vienne. Le 15 août, Sobieski sortit de Cracovie à la tête de vingt-cinq mille hommes, soutenus par trente bouches à feu. Le 11 septembre, les forces polono-austro-allemandes, en tout soixante-dix mille combattants, occupèrent les hauteurs de Kahlenberg, qui dominent Vienne à l'ouest. Le 12 eut lieu l'assaut décisif, en trois phases. Descendant des collines, les unités se battirent d'abord chacune de leur côté, puis, conservant leurs avantages, préparèrent une avance ordonnée qui, vers midi, les amena sur un grand arc, de Nussdorf à Dornbach. Quand elles eurent encore progressé, se heurtant à une résistance tenace, une furieuse attaque d'infanterie, suivie d'une charge finale de cavalerie, surprit les

1. Mme de Sévigné, Lettres, édition de la Pléiade, t.1, 1953, p. 656 (Lettre du 22 décembre 1673).

23 Turcs, qui s'enfuirent en désordre, cependant que leurs poursuivants les massacraient sans relâche. Le 13, le pieux roi assista à un Te Deum dans l'église des Augustins de Vienne, la cathédrale Saint-Etienne servant alors d'hôpital. Il imitait ainsi son modèle, le prince de Condé, qui, au soir de Rocroi, nous dit Bossuet, « fléchit le genou et, dans le champ de bataille, rendit au Dieu des armées la gloire qu'il lui envoyait » 2.

2. Dans une lettre du 23 octobre 1683, adressée par Mme de Sévigné à Bussy-Rabutin, Corbinelli a ajouté le post-scriptum suivant, qui montre le retentissement qu'eut en France la victoire de Vienne : « La victoire des chrétiens sur les infidèles commence à paraitre plus grande de beaucoup depuis quelques jours. Voici ce qu'on m'en dit d'assez bonne part : que les Turcs furent si consternés sur les nouvelles que les Polonais avaient joint l'armée de l'Empereur, et que le roi de Pologne y était en personne, que le grand vizir, pour désabuser les principaux chefs de ses troupes, prit un officier hongrois dont il crut être assuré, et lui promit de grandes récompenses, s'il pouvait entrer dans le camp des chrétiens, et voir si le roi de Pologne y était. Cet officier avait servi les Polonais contre le Turc, de sorte qu'il fut reconnu dans le camp et mené au roi, qui l'interrogea, et ayant appris son dessein, ce prince lui dit qu'il lui donnait la vie à condition qu'il s'en retournât dire de sa part au grand vizir que s'il voulait attendre, il lui donnait sa parole royale qu'il l'irait attaquer un tel jour. Cet officier retourna, et dit au vizir ce qu'on l'avait chargé de dire. Le grand vizir se présenta en bataille au jour donné, se mit à la tête de son aile droite, donna la gauche au bassa de Bude, contre lequel se trouva le roi, qui, après peu de résistance, le rompit. Le vizir se sauva avec un grand corps au quartier des Tartares, et dit à celui qui le commandait qu'il le priait de faire son devoir et que le bassa de Bude avait trahi sa patrie et sa religion. Le chef des Tartares lui répondit qu'il n'y avait plus de salut pour eux que dans la fuite et lui en donna l'exemple aussitôt. Le roi les suivit une partie du jour, et étant revenu de la poursuite des infidèles, il entra dans la tente de vizir, où il commença à écrire à la reine sa femme, et lui manda qu'il lui écrivait dans un lieu plus grand et mieux bâti que Varsovie, et plus magnifique ; qu'il y avait pris le grand étendard de Mahomet, et qu'il y coucherait cette nuit ; ce qu'il fit, et le lendemain il entra dans Vienne, où le peuple le reçut à genoux comme un Messie, et ne voulant pas le laisser sortir. On dit qu'il y avait dans le camp des Turcs cent mille tentes, cent cinquante pièces de canon, et pour trois mois de toutes sortes de munitions, un million d'or en espèces. Le roi a envoyé cet étendard au pape, qui, ce dit-on, veut faire dresser une statue à ce roi au milieu de la ville, avec cette inscription : Au libérateur de la chrétienté » (Mme de Sévigné, Lettres, ibid., t. II, 1955, pp. 940-941).

Voltaire, de son côté, dans son livre sur la Russie sous Pierre le Grand, ne cache pas son admiration pour Sobieski, « à jamais célébre par la victoire de Choczim et par la délivrance de Vienne » (Voltaire, OEuvres historiques, éd. de la Pléiade, 1955, p. 418). Dans le Siècle de Louis XIV, il loue « le courage » du roi qu'il compte parmi les « héros » (ibid., pp. 770, 943), mais il rabaisse quelque peu son mérite dans le passage suivant : « Contre toute attente, Vienne fut délivrée. La présomption du grand vizir, sa mollesse, son mépris brutal pour les chrétiens, son ignorance, sa lenteur, le perdirent : il fallait l'excès de toutes ces fautes pour que Vienne ne fût pas prise. Le roi de Pologne, Jean Sobieski, eut le temps d'arriver, et, avec le secours du duc de Lorraine, il n'eut qu'à se présenter devant la multitude ottomane pour la mettre en déroute (12 septembre 1683). L'empereur revint dans sa capitale avec la douleur de l'avoir quittée. Il y entra lorsque son libérateur sortait de l'église où l'on avait chanté le Te Deum, et où le prédicateur avait pris pour son texte : « Il fut un homme envoyé de Dieu nommé Jean ». Vous avez déjà vu que le pape Pie V avait appliqué ces paroles à don Juan d'Autriche, après la victoire de Lépante... L'empereur d'Autriche fut à la fois triomphant et humilié. (Ibid., pp. 753-754).

L'Europe, dont le sort s'était joué sous les murs de Vienne, respira. Partout on célébra le vainqueur. Plein d'admiration pour celui-ci, Saint-Simon écrit : « Le roi Jean III Sobieski, signalé par ses victoires sans nombre contre les Turcs et les Tartares, couronna ses triomphes par le salut de l'Allemagne. Il vint en personne livrer bataille aux Turcs qui assiègeaient,Vienne et qu'ils étaient sur le point de prendre : leur défaite fut complète et Vienne sauvée avec une partie de la Hongrie » 3. En fait, c'est l'Europe qui échappait au joug ottoman.

Le 14 septembre, Léopold arriva. Grave problème : cormment lui, souverain héréditaire, saluerait-il un prince électif ? « Sans cérémonie et les bras ouverts », proposa Charles de Lorraine, Sobieski, lui, voulait, sans plus attendre, regagner la Pologne. Finalement, on décida que l'entrevue se déroulerait à cheval et sur le grand chemin. Le 15 septembre, les deux souverains vinrent au-devant l'un de l'autre. L'empereur salua et murmura quelques paroles de gratitude, tandis que le roi, touchant son bonnet sans l'ôter, prononçait : « Mon frère, je suis bien aise de vous avoir rendu ce petit service ». Puis il présenta son fils Jacques à Léopold : « Voilà mon fils, que j'ai élevé pour la chrétienté ». Léopold inclina à peine la tête, sans mot dire.

Après avoir poursuivi quelque temps la campagne, Sobieski rentra le 23 décembre 1683 à Varsovie, mais son peuple le reçut assez froidement : il lui reprochait d'avoir versé le sang de la Pologne au service d'un monarque ennemi. Il n'avait pas tout à fait tort, car l'empereur n'exécuta aucune clause du pacte d'alliance. Toutefois, le roi ne rompit pas la ligue chrétienne, mais il la renforça encore par le traité de Moscou, conclu entre la Pologne, l'Autriche et la Russie, le 2 février 1687, mais non sans verser des larmes, car il' prévoyait le funeste avenir qui se préparait pour sa patrie.

Les complots des grands troublèrent ses dernières années. Il voulut abdiquer, mais on l'en dissuada. Le vieux lutteur reprit une dernière fois les armes pour reconquérir Kaminieç,

3. Saint-Simon, Mémoires, édition de la Pléiade, t. Il. 1949, p. 887.

25 toujours occupé par les Turcs. Il échoua. Tandis qu'il s'éteignait lentement, la reine et son clan poursuivaient leurs menées. Jonas, un médecin juif, s'était emparé de son corps ; son intendant Bethsal, un autre juif, pillait le trésor sans vergogne. Monnaies altérées, taux et impôts multipliés, armée quasi inexistante ; partout désordre et confusion. Hydropique, Sobieski se retira au château de Willanow, près de Varsovie. Marie-Casimire voulait qu'il dictât son testament. A l'évêque qui l'en pressait, il répondit : « A quoi bon ! Nous ordonnons, vivant, et nous ne sommes pas écouté ; mort, le serions-nous ? » A la Fête-Dieu, jour anniversaire de sa naissance et de son élection, il rendit l'âme, âgé de soixante-douze ans. Telle fut la fin de ce héros chrétien, qui avait étonné l'Europe par quarante années de victoires, mais que les factions jalouses de la noblesse, les intrigues de la reine et le machiavélisme des puissances empêchèrent d'arrêter l'irrémédiable déclin de la Pologne.

Après l'avoir suivi au cours de sa carrière, esquissons le portrait du souverain. Au physique, c'était un colosse d'une corpulence extraordinaire. Teint frais et coloré, larges yeux bleus, nez aquilin, bouche et dents admirables. Sa robuste constitution se moquait des fatigues. Gros mangeur, grand buveur, il ne prenait cependant qu'un repas par jour, mais qui durait trois heures. Couché tard, il se levait dès six ou sept héures. Vêtu habituellement d'un justaucorps de brocart d'or, sanglé d'une ceinture de diamant, il portait par-dessus un manteau de fourrure richement orné. Rien toutefois d'un soudard à l'esprit épais, habile seulement à manier la rapière. Théologien, philosophe, mathématicien et historien, doué d'une étonnante mémoire, il parlait à la perfection le polonais, le latin, le français, l'italien, l'allemand, voire le turc et le tartare. Prompt à régler les menus détails, il se montrait prudent et réfléchi dès qu'il s'agissait d'affaires importantes. Très dévot, remplissant scrupuleusement les moindres devoirs religieux, il se révélait affable et juste. Mais il aimait trop l'argent, au point qu'on l'accusa d'avarice. Enfin, et c'était son plus grave défaut, dans un pays voué à l'anarchie et au milieu d'une cour où foisonnaient les cabales, lui le vaillant stratège au coup d'oeil prompt et lucide, manquait totalement d'autorité : il se laissait berner et gouverner par la reine, que nous allons maintenant évoquer. 26

UNE PIEUSE INTRIGANTE : LA REINE MARIE-CASIMIRE

En 1645, Louise-Marie de Gonzague (v. 1612-1667) avait quitté la Cour de France où elle brillait pour épouser le roi de Pologne Ladislas IV Wasa, un barbon revêche. Veuve dès 1648, elle convola aussitôt avec Jean-Casimir, frère et successeur du défunt, qui, durant tout son règne (1648-1668), fut le jouet de sa femme.

Celle-ci avait amené en Pologne une petite nivernaise de quatre arts, Marie-Casimire de la Grange d'Arquien (1641-1716), dont la mère, Françoise de La Châtre, avait été sa gouvernante. La jeune fille, promue demoiselle d'honneur de la reine et devenue sa confidente, allait jouer un rôle politique important.

Marie-Casimire, « Marysierika », disaient les Polonais, était d'une beauté remarquable : taille moyenne mais bien proportionnée, abondante et superbe chevelure noire, teint de lis et de rose, grands yeux de jais, nez plutôt aquilin, bouche mignonne aux coins retroussés, dents un peu gâtées mais régulières, elle avait tout pour séduire.

Sobieski s'était follement épris de l'adolescente, alors qu'elle avait quinze ans, mais, le 2 mars 1658, — elle avait alors dix-sept ans — la reine lui fit épouser Jacques Radziwill, prince Zamoyski, vaillant soldat mais débauché. Durant cette union, qui se solda par un échec, elle garda des relations avec son premier amoureux, et, en juillet 1665, peu de temps après la mort de Zamoyski, Marie-Louise de Gonzague la maria à Sobieski, grand maréchal de Pologne. Le futur Innocent XI, nous l'avons dit, donna la bénédiction nuptiale aux époux.

Quand une maladie incita Marie-Casimire à venir se soigner en France, son mari donna de l'argent à plusieurs monastères, fit brûler une lampe devant l'icône de Notre-Dame de Czestochowa et promit de jeûner neuf samedis de suite au pain et à l'eau.

Si, après l'abdication de Jean-Casimir (1668), l'ambitieuse jeune femme échoua à faire proclamer roi son mari, elle arriva à ses fins à la mort de Korybut. Le 20 mai 1674, la diète choisit « le premier homme de la République par ses victoires et ses grandes actions, qui le portèrent sur le trône par une élection unanime » 4.

4. Ibid., t. II, 1949, p. 885.

27 « Transportée de se voir une couronne sur la tête, écrit encore Saint Simon s, elle eut une passion de la venir montrer en son pays, [la France] ». Elle prétexta la nécessité de prendre les eaux de Bourbon, mais on l'avertit que la reine Marie-Thérèse ne lui céderait pas la droite, Marie-Casimire n'étant que souveraine élective et non héréditaire. Le dépit en fut si grand que si elle eût reçu un affront : elle rompit son voyage, se lia avec la cour de Vienne et tous les ennemis de la France, eut grand part à la ligue d'Augsbourg contre elle (1686), et mit tout son crédit, qui était grand sur le roi son mari, à lui faire épouser tous les intérêts contraires à la France. Le désir extrême qu'elle eut de faire son père duc et pair l'en rapprocha depuis, mais les mécontentements essentiels qu'on avait -reçus d'elle l'en firent constamment refuser. Longtemps après, c'est-à-dire en 1694, elle obtint pour lui le collier de l'Ordre [du Saint-Esprit] ... et, l'année suivante, il reçut le chapeau de cardinal ... Personne n'a ignoré la conduite sordide qu'elle inspira au roi son mari dans ses dernières années, qui l'empêchèrent d'être regretté, et qui fut un obstacle invincible à l'élection de pas un de ses enfants »6. Ailleurs, le mémorialiste la déclare, une fois de plus, « la plus mortelle ennemie de la France », et ajoute : « Il est certain qu'elle se servit toute sa vie du pouvoir presque entier qu'elle s'était acquis sur le roi son mari pour l'éloigner de la France contre son goût, et l'attacher à la maison d'Autriche »7.

Outre son empire sur Sobieski, ses intrigues politiques et son ambition, Saint-Simon dénonce « son humeur altière et son extrême avarice » 8, ainsi que la « hauteur de ses manières ». Ajoutons qu'elle ne mettait aucun frein à ses caprices, qu'elle remplissait le palais et l'État de ses brouilleries et favorisait les tendances anarchiques de l'aristocratie. Toutefois, si son rôle politique s'avéra détestable, elle était vertueuse, très pieuse et, à l'occasion, savait se montrer généreuse et charitable.

Après le décès de Sobieski (1696), la diète l'expulsa de Pologne, où elle se trouvait haïe et méprisée. De Dantzig, Marie-Casimire se réfugia à Rome avec son père le cardinal, puis, à

5. Ibid., t. II, p. 887. 7. Ibid., t. IV, 1953, p. 335.

6. Ibid., t. Il, p. 887-888. 8. Ibid., t. IV, p. 334.

28 la mort de celui-ci (1707), elle supplia Louis XIV de lui accorder un asile en France. Le roi lui proposa l'un des châteaux de la Loire. Elle choisit Blois, d'où elle ne sortit plus et où elle s'éteignit en 1716. Sur son lit de mort, elle avait imploré le pardon de ses péchés et demandé qu'on élevât un monument à la mémoire de Sobieski, auprès duquel elle souhaitait reposer, quoique, dit-elle, son corps ne méritât point d'être transporté dans la lointaine Pologne. Elle laissait de l'argent pour célébrer des messes à son intention et pour doter ses oeuvres de charité.

LES DIPLOMATES FRANÇAIS A VARSOVIE : Le marquis de Béthune et M. de Janson

Marie-Casimire avait quatre soeurs, dont deux se firent religieuses en France. Les deux autres vivaient auprès d'elle : l'une avait épousé, en 1678, le comte Wielopolski, grand-chancelier de Pologne ; l'aînée, Marie-Louise (1634-1728), fille d'honneur de la reine de France Marie-Thérèse, était, depuis 1669, la femme de François-Gaston, marquis de Béthune, de la branche de Selles, et petit-neveu de Sully (1628-1692). Celui-ci, vaillant militaire, fut nommé ambassadeur à Varsovie en 1676, lorsque son beau-frère Sobieski eut été élu roi de Pologne : il avait pour mission d'entretenir l'amitié franco-polonaise, d'exciter le nationalisme des Hongrois et des Roumains, pour opérer une diversion à l'est contre l'Autriche, et de s'opposer à la formation d'une ligue chrétienne contre les Turcs. Marie-Casimire fit échouer cette politique. Rappelé en France en 1680, il revint en Pologne de 1685 à 1691, d'où il fut envoyé en Suède. Il mourut l'année suivante avant d'avoir présenté ses lettres de créance.

Son épouse, Marie-Louise d'Arquien (1634-1728), nous est dépeinte par Saint-Simon comme « une femme d'esprit, hardie, entreprenante », mais que Louis XIV, à cause de ses prétentions, « trouva impertinente et fausse » 9. Lorsque Mme de Sévigné, son amie, apprit son départ pour la Pologne, en 1675, elle prononça, non sans une légère pointe d'envie : « C'est une agréable place qu'elle va tenir 10». Dix-sept ans plus tard, lors

9. Ibid., t. I, p. 335.

10. Lettres, ibid., t. 1, p. 875 (lettre du 17 novembre 1675).

29 du décès de l'ambassadeur dans la lointaine Suède, la marquise confia à sa fille : « La pauvre Mme de Béthune vient de perdre son mari très aimable en Suède ; cette pauvre créature a toujours été livrée aux plus vives passions : elle adorait son mari, elle en était jalouse ; les furies l'avaient suivie jusqu'en Pologne : ah ! quel état ! » 11. Quoi qu'il en soit, c'est Mme de Béthune que la reine Marie-Casimire chargea d'adresser sa requête à mère Mectilde pour qu'elle envoie ses religieuses à Varsovie.

Un autre diplomate, qui devait, en l'occurrence, seconder M. et Mme de Béthune dans leurs démarches, c'est le futur cardinal de Janson. Issu d'une ancienne famille provençale, il naquit à Mane, au diocèse de Sisteron vers 1625, fut évêque de Digne (1653), puis de Marseille (1668), et Saint-Simon, son ami, le compte parmi les hommes « rares et illustres » de son époque. Lors de son épiscopat en Provence, il s'occupa de toutes les affaires de la province, au grand dépit du lieutenant-général, le comte de Grignan, gendre de Mme de Sévigné. Sa réussite fut telle que Louis XIV, en 1674, l'envoya comme ambassadeur en Pologne, où la diète allait choisir un nouveau roi. Son habileté parvint à se concilier tous les partis et à faire élire unanimement Jean Sobieski. De retour en France, il reçut en récompense l'évêché pairie de Beauvais (1679), et fut bientôt renvoyé en mission en Pologne à la place du marquis de Béthune, puis en Allemagne. Cardinal en 1690, il contribua efficacement à l'élection d'Innocent XII (1691) et demeura à Rome durant six ans comme chargé des affaires de France. Il y apaisa les différends qui, sous les pontificats précédents, avaient opposé Louis XIV et le Saint-Siège. Janson ne fut pas moins actif au conclave qui élut Clément XI Albani (1700) et, pendant six autres années, défendit encore avec énergie les intérêts français dans la Ville éternelle, au point qu'il déplut au pape et à sa cour, mais renforça son crédit auprès de Louis XIV. Rentré sur sa demande en 1706, il reçut la charge de grand-aumônier de France. Il mourut à Paris, le 24 mars 1713.

Ce diplomate se doublait d'un pasteur plein de zèle. Lorsqu'il n'était pas en mission à l'étranger, il se plaisait à résider dans son diocèse ; il passait sept à huit mois chaque année à

11. Ibid., t. III, p. 815 (lettre du 29 octobre 1692).

30 Beauvais, visitant ses paroisses et remplissant ses fonctions avec application et vigilance. Ses ouailles, les pauvres surtout, l'adoraient et le pleurèrent lorsqu'il disparut.

Voici le portrait flatteur qu'en trace Saint-Simon :

« Le cardinal de Janson était un fort grand homme, bien fait, d'un visage qui sans rien de choquant ni de singulier n'était pourtant pas agréable, et avait quelque chose de pensif sans beaucoup promettre. Il était plein d'honneur et de vertu ; il avait un grand amour de ses devoirs et de la piété ; c'était une sage et excellente tête, se possédant toujours parfaitement, et qui par là a réussi en perfection dans toutes ses négociations, et a mieux servi le Roi à Rome qu'aucun autre... Il y (a) été plus craint et considéré que pas un d'eux, parce qu'avec une parole lente et désagréable par l'organe, qui avait un son étranglé, il avait une sagacité qui ajoutait beaucoup à la finesse de son esprit, et à sa justesse, qui était grande, en sorte qu'il n'a jamais pu être trompé, même à Rome. Il était consommé dans les affaires par une longue habitude, magnifique en tout et partout avec beaucoup d'ordre, fort désintéressé, affable aux plus petits, naturellement obligeant, fort poli, mais avec un choix et dignité, quoiqu'il le fût à tout le monde, et l'homme du monde le plus capable d'amitié, de fidélité à ses amis, et de les bien servir. Il était né pauvre... (mais) il avait l'âme et toutes les manières d'un grand seigneur, doux et modeste, l'esprit d'un grand ministre né pour les affaires, le coeur d'un excellent évêque, point cardinal, au-dessus de sa dignité, tout français sur nos libertés et nos maximes du royaume sur les entreprises de Rome avec netteté, inébranldble là-dessus jusqu'à l'éclat... Cette fermeté constante et vraie a souvent eu de grands effets. Tout bon courtisan qu'il était il fut aussi peu timide au dedans qu'au dehors, et aussi impénétrable au crédit et aux artifices des jésuites, dont il ne s'émut jamais, et qu'il contint toujours en crainte et en respect » 12.

12. Mémoires, ibid., t. IV, p. 169-171.

31

DEUX GRANDES MONIALES FRANÇAISES L'ABBESSE DE BEAUMONT ET MÈRE MECTILDE

Avec les deux diplomates et l'épouse du premier, la soeur de M. de Béthune allait aussi s'entremettre entre les souverains de Pologne et la fondatrice de l'Institut de l'Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement.

Anne-Berthe de Béthune (1637-1689) avait été confiée, à l'âge de trois ans, à sa cousine Anne Babou de la Bourdaisière, abbesse de Beaumont-lès-Tours. Quand, vers 1649, ses parents, Philippe de Selles, gouverneur du duc d'Orléans, et Anne-Marie de Beauvillier, soeur du gouverneur des enfants de France, voulurent la reprendre, la jeune fille refusa énergiquement et demanda son admission à l'abbaye de Montmartre, que dirigeait sa tante, Marie de Beauvillier. En 1659, le roi nomma Anne-Berthe abbesse de Saint-Corentin, au diocèse de Chartres. En 1669, elle succéda en la même qualité à Madame de Vaucelas, à la tête du monastère de Beaumont-lès-Tours.

Cette moniale connaissait bien l'institut du Saint-Sacrement et, très vite, s'était liée d'amitié avec la fondatrice, Catherine de Bar, en religion mère Mectilde du Saint-Sacrement ; quand les affaires l'appelaient à Paris, elle séjournait chez ces bénédictines de la rue Cassette et, à l'occasion, intervenait en h ur faveur.

En 1683, l'année de la victoire de Vienne, elle les aida à acquérir, à Rouen, l'hôtel de Mathan, élevé dans l'enceinte même de la forteresse où avait été incarcérée Jeanne d'Arc. Depuis six ans, les filles de mère Mectilde avaient occupé deux maisons bien trop exiguës dans la capitale normande : c'est grâce à l'abbesse de Beaumont que, en août 1683, fut signé, rue Cassette, le contrat d'achat de leur nouveau monastère. Mme de Béthune aida encore à agréger à l'institut le couvent Notre-Dame du Bon-Secours, à Caen, créé en 1634 par l'abbesse de Montivilliers et dirigé, de 1647 à 1650, par mère Mectilde. M. de Nesmond, évêque de Bayeux, s'opposait à l'union de ce prieuré au monastère parisien. L'abbesse de Beaumont fit intervenir son frère Armand de Béthune, évêque du Puy, et, le 30 septembre 1685, les moniales du Bon-Secours émettaient les voeux de l'institut.

Entre mère Mectilde et Mme de Béthune s'échangeait une incessante correspondance. Ainsi, pour la seule période allant de janvier 1688 au 26 juillet 1689, il nous reste 331 lettres de la fondatrice des bénédictines du Saint-Sacrement à l'abbesse de Beaumont. C'est, dit le père Lebreton, « un document d'une haute valeur spirituelle et d'une haute portée historique », qui témoigne de la noblesse de ces deux grandes âmes.

Mais, bien que nous ayons déjà retracé la biographie de mère Mectilde en d'autres ouvrages 13, il convient de rappeler ici les dates principales de sa vie. Car c'est à elle que l'on doit, à la demande de tous les personnages que nous avons évoqués, la fondation de Varsovie.

Née le 31 décembre 1614, à Saint-Dié, au duché de Lorraine, dans une famille appartenant à la noblesse de robe, Catherine de Bar, à l'âge de dix-sept ans (1631), avait pris le voile chez les annonciades de Bruyères, au diocèse de Toul, mais la guerre de Trente Ans, qui désolait le pays, jeta ces religieuses sur les grands chemins. Recueillie par les bénédictines de Rambervillers, notre moniale y prit l'habit et, le 11 juillet 1640, prononça ses voeux. Là encore, les combats l'expulsèrent de son couvent. Finalement, elle put se réfugier au monastère parisien de Montmartre, où l'accueillit l'abbesse, Marie de Beauvillier (1641). De là, elle gagna diverses maisons de Normandie, revint quelque temps aux environs de Paris et, de 1647 à 1650, gouverna, à Caen, le prieuré de Bon-Secours. A la fin de son triennat, elle avait à peine regagné Rambervillers que les armées françaises désolèrent la ville, obligeant mère Mectilde et ses soeurs à rejoindre Paris (1651). La Fronde avait alors éclaté dans la capitale, en proie à l'anarchie et à la famine. Nos bénédictines lorraines se débattaient dans la misère, en un pauvre logis de la rue du Bac, quand vinrent à leur aide leur compatriote Marguerite de Lorraine, duchesse d'Orléans, la comtesse de Châteauvieux et quelques grandes dames.

Celles-ci, pour retenir mère Mectilde auprès d'elles, lui suggérèrent de fonder un monastère bénédictin voué au culte de l'hostie. Or, dans le même temps, la régente Anne d'Autriche. alors que les révoltés avaient écrasé les troupes royales au faubourg Saint-Antoine (juillet 1652), avait demandé à M. Picoté, prêtre de Saint-Sulpice, de faire un voeu propre à rétablir

13. J. Daoust et bénédictines de Rouen, Catherine de Bar, mère Mectilde du Saint-Sacrement, Paris, Téqui, 1979 ; Le Message eucharistique de mère Mectilde du Saint-Sacrement, Paris, Téqui. 1981.

33 l'ordre et la paix dans le royaume. Celui-ci promit d'ériger un couvent exclusivement consacré à l'adoration du Saint-Sacrement. Le 21 octobre 1652, Louis XIV entrait triomphalement dans Paris, et la France retrouvait enfin le calme. Sur les entrefaites, M. Picoté avait connu le projet de mère Mectilde et de ses nobles amies. Il en parla à la régente qui, soucieuse d'exécuter au plus tôt sa promesse, accorda aussitôt l'autorisation de créer cette maison dédiée à l'Adoration perpétuelle. Le 25 mars 1653, eut lieu, rue du Bac, la première exposition. Après un bref séjour rue Férou, mère Mectilde et ses vingt moniales s'installèrent, le 21 mars 1659, dans un monastère austère mais tout neuf, rue Cassette.

Celui-ci allait devenir le centre d'une nouvelle congrégation : l'Institut des bénédictines du Saint-Sacrement. Il s'implanta d'abord à Toul (1664), puis s'agrégea Rambervillers (1666) et Notre-Dame de la Consolation, à Nancy (1669), fonda de nouvelles maisons à Rouen (1677), à Paris, rue Neuve-Saint-Louis (1684), s'unit le Bon-Secours de Caen (1685) et s'établit ! à Varsovie (1688), à Châtillon-sur-Loing (1688) et à Dreux (1696).

Le 6 avril 1698, mère Mectilde du Saint-Sacrement achevait une vie semée d'épreuves, mais toute consacrée à la gloire de Dieu et au mystère de l'Eucharistie.

LE VŒU DE MARIE-CASIMIRE

Pendant que, le 15 août 1683, Sobieski partait de Cracovie pour libérer Vienne, la reine Marie-Casimire s'était retirée dans la solitude où, adonnée aux bonnes oeuvres, à la prière et à la pénitence, elle s'efforçait d'attirer les faveurs de Dieu sur les armées chrétiennes. C'est au cours de cette retraite qu'elle promit de fonder, à Varsovie même, un couvent de religieuses qui, par l'adoration de l'hostie, traduiraient, à travers les âges, sa reconnaissance pour la protection qu'elle espérait du ciel.

Quand, le 12 septembre 1683, Sobieski eut terrassé les Ottomans, couronnant ainsi une série ininterrompue d'exploits, il adressa à Innocent XI, le pontife qui avait jadis béni son mariage, ce message qui paraphrasait les mots fameux de César : Venimus, vidimus, Deus vicit (« Nous sommes venu, nous avons vu, mais c'est Dieu qui a vaincu »).

La reine, d'accord avec son époux, songea aussitôt à s'acquitter de son voeu. Par l'abbesse de Beaumont, par sa soeur, Mme de Béthune, et le mari de celle-ci, l'ambassadeur, elle connaissait mère Mectilde et l'institut de l'Adoration perpétuelle, qu'elle jugeait le plus apte à exécuter son pieux dessein. Elle chargea donc sa soeur ainsi que l'évêque de Beauvais, M. de Janson, d'entrer en rapport avec la fondatrice de la rue Cassette. Celle-ci n'hésita guère : sa congrégation comptait déjà cinq maisons en France ; pourquoi refuserait-elle d'essaimer au coeur même de la Pologne catholique et d'y développer le culte eucharistique ? Mais M. de Janson était absorbé par ses tâches diplomatiques et les difficultés ne cessaient de surgir. Enfin, à l'été de 1687, douze bénédictines pouvaient enfin quitter Paris et, par la mer, gagner Varsovie.

J. DAOUST Docteur d'État ès Lettres

35

LETTRES DE MÈRE MECTILDE DU SAINT-SACREMENT AVANT LA FONDATION 1687

A Madame de Beauvais Juin 1687

Madame,

J'ai vu celle dont votre bonté a voulu consoler votre chère fille, notre chère mère de la Présentation, qui m'a très fort édifiée, touchant le consentement qu'elle vous demande pour aller remplir l'établissement d'un monastère de notre saint institut, que la reine de Pologne a fondé pour faire honorer dans sa ville capitale le très Saint Sacrement, en action de grâce des victoires que le roi de Pologne a remportées sur les Turcs. Cet établissement a donné une si grande émulation à notre communauté qu'elle en témoigne une grande joie et beaucoup d'affection d'y contribuer.

Votre chère fille, Madame 1, est une des plus zélées, et son ardeur parait si sainte que l'on pourrait vous assurer qu'il n'y a que Dieu qui puisse donner une telle impression. Il y a plus de sept à huit mois que je la prie de n'y jamais penser, étant certaine, Madame, que votre coeur maternel n'y consentirait pas. Elle a été un temps sans en plus parler ; mais, voyant que l'on se dispose pour partir vers la fin du mois de mars, son feu s'est rallumé de telle sorte qu'elle a voulu vous en écrire, espérant que votre piété ne lui refuserait pas la grâce qu'elle lui demande d'aller élever un autel à la gloire du très saint Sacrement, et le faire adorer dans un royaume catholique, mais qui a besoin de réveiller la piété des peuples.

La reine témoigne un grand empressement pour ce nouveau monastère. Je n'ai pu refuser les religieuses qu'elle

1. Catherine Henriette Bellier, née vers 1615, appartenait à une famille attachée depuis trois générations au service des reines de France. Dès son adolescence, Catherine servit Anne d'Autriche et devint plus tard sa première femme de chambre. Le 23 février 1634, elle épousa Pierre de Beauvais, né le 9 août 1602, décédé en 1674, substitut du procureur général au Parlement de Paris.

Son influence sur la reine, sa moralité peu scrupuleuse, lui permirent d'acquérir une fortune assez considérable et des charges de plus en plus importantes pour son mari. C'est en 1647 qu'elle acquit la seigneurerie de Gentilly et, en 1654, des terrains faubourg Saint-Antoine (actuellement rue François-Miron) sur lesquels elle fera élever quatre ans plus tard, par Antoine Lepautre, premier architecte du roi, l'hôtel de Beauvais. Elle avait acheté aussi une belle demeure bordant la rue Saint-Antoine et appartenant à Charles-Louis de Lorraine, abbé commendataire de Chaalis près de Senlis.

Sa générosité et les très grandes dépenses engagées pour la construction de son hôtel mirent la baronne de Beauvais au bord de la ruine. Anne d'Autriche mourut dans les bras d'une fille de Mme de Beauvais à qui la reine avait légué 30 000 livres sur son testament. Le 31 décembre 1683, Catherine-Henriette dut céder tous ses biens pour payer ses créanciers, mais Louis XIV fit racheter en sous-main la terre de Gentilly et l'hôtel de la rue Saint-Antoine et lui en fit don le 13 septembre 1684. Mme de Beauvais mourut à Gentilly le 7 août 1690 (cf. Lettre de mère Mectilde, 10 août 1690).

De son mariage avec Pierre de Beauvais, elle eut huit enfants dont : Louis filleul de Louis XIII ; Anne-Jeanne Baptiste, filleule de la reine et de Monsieur, qui épousa le marquis de Richelieu et fut grand mère du maréchal de Richelieu (16961788) ; Claire Angélique, première femme de chambre de la reine qui entra aux Visitandines de Chaillot, fut élue supérieure le 29 mars 1695 et mourut le 23 novembre 1709 (c'est pour elle que Bossuet prononça en 1667 le Sermon pour la profession d'une demoiselle que la Reine Mère avait tendrement aimée) ; Radegonde, qui fut la septième enfant, née à Saumur lors d'un séjour de la Cour en cette ville, en février 1652 ; enfin Monique née en 1653. Les deux soeurs entrèrent au monastère de la rue Cassette et y firent profession le 3 août 1669. Mère Radegonde de la Présentation fut la première prieure du monastère de Varsovie, et revint à Paris en son monastère en 1691.

Mère Monique des Anges fit partie du groupe des moniales envoyées à Rouen par mère Mectilde pour y fonder un monastère, le cinquième de l'Institut, en 1677. Elle demeura à Rouen jusqu'en 1688 probablement. Elle fut prieure du monastère de la rue Cassette de 1713 à sa mort survenue le 19 septembre 1723. Pierre de Beauvais étant mort en 1674 en laissant des dettes, sa veuve dut entamer des procès qui durèrent jusqu'en 1685.

Le 27 août 1728 l'hôtel de Beauvais fut vendu à Antoine-Martin Chaumont de la Galaizière, lequel fut nommé plus tard chancelier du roi de Pologne, Stanislas, duc de Lorraine. Nos archives ont conservé des documents signés de ce chancelier et concernant notre monastère de Nancy. Le fils d'Antoine-Martin Chaumont de la Galaizière fut le premier évêque de Saint-Dié. Mgr Barthélemy-Louis-Martin de la Galaizière de Chaumont occupa le siège épiscopal de 1777 à 1802.

En 1755, l'hôtel avait été loué puis acheté par le comte d' Eyck, envoyé extraordinaire du duc de Bavière. Le père de Mozart, accompagné de sa fille Marie-Anne (10 ans) et de son fils Wolfgang (7 ans), y logeait en novembre 1763. (cf. Dictionnaire de biographie française; Jacques Willairet, Evocation du Vieux Paris, t. I, éd. de Minuit, Paris 1951 ; C. de Bar, Fondation de Rouen, Rouen, 1977 ; chanoine Louis Brochard, Saint-Gervais, Firmin-Didot, Paris, 1950, p. 90-94).

39 demande. Si votre bonté agréait que votre très chère fille fût du voyage, notre dessein serait de lui donner la charge de supérieure, sachant bien qu'elle s'en acquittera dignement et contentera beaucoup la reine, étant bonne religieuse et d'édification. Peut-être, Madame, serez-vous bien aise de contribuer à ce saint oeuvre par le sacrifice que vous ferez à Notre Seigneur de votre chère enfant. Vous en serez glorieusement récompensée : outre la part que vous aurez dans toutes les bonnes œuvres qui s'y feront, tout l'institut, Madame, vous en serait parfaitement obligé. De ma part je la sacrifie avec douleur, m'étant parfaitement chère.

Si la chose vient à son effet, voulez-vous, Madame, lui permettre d'aller recevoir votre bénédiction avant que de partir, pour l'heureux succès du voyage ? Je ne doute pas que Notre-Seigneur ne vous favorise d'une grâce singulière en récompense du sacrifice que vous ferez. Je puis vous assurer, Madame, que le mien est très grand et qu'il m'est très sensible, qu'il n'y a que la seule gloire de Dieu qui me le fasse faire. Je suis avec respect votre…

n°845


A la mère Monique des anges de Beauvais Ce 12 juin 1687

... Je crois que vous savez que votre chère soeur [Radegonde de la Présentation] veut se sacrifier pour la Pologne ; elle a beaucoup de zèle pour cela ; je ne sais s'il n'y aura point de changement. Recommandez le tout à Notre Seigneur et à sa très sainte Mère. Je n'ai encore nommé ni déclaré personne pour y aller 2 : ce n'est pas une petite affaire. Priez bien Notre Seigneur pour moi : j'en ai un besoin extrême. Je voudrais que les âmes qui iront à cette fondation soient toutes dégagées et séparées de l'humain. Je sais bien qu'il n'y a pas grand chose pour l'amour-propre, mais il se fourre partout, jusque dans les souffrances et les sacrifices les plus saints. Il faudrait des séraphins pour aller animer les peuples à l'amour du très Saint Sacrement. La reine de Pologne [Marie Casimire] est bonne et fort pieuse. Elle attend les filles du Saint-Sacrement avec beaucoup de zèle et d'affection. Priez Dieu qu'il conduise tout pour sa pure gloire...

no 992a) Z4

2. Quelques jours plus tard, la permission de partir en Pologne fut donnée par Mgr François de Harlay de Champvallon. Elle est signée du 24 juin 1687. — François, second du nom, d'une famille de robe ayant donné à la France de grands magistrats, naquit en 1625. Abbé commendataire de Jumièges, il occupa le siège de Rouen par la résignation de son oncle en mai 1651. Nommé archevêque de Paris en 1671, il joua un rôle important près de Louis XIV comme conseiller pour les affaires écclésiast;ques conjointement avec le Père La Chaise (1624-1709). 11 se distingua par son eloquence. Il publia des ouvrages de controverse et de discipline ecclésiastique. Il mourut en 1695 (cf. Catherine de Bar, Fondation de Rouen. Rouen. 1977).

A la révérende mère Marie de Jésus Petitgot maîtresse des novices au monastère de Saint-Louis au Marais3, à Paris Paris, 1687

Tout ce que je vous puis dire, ma très chère mère 4, c'est que j'attends aujourd'hui ou demain des nouvelles pour pren-40

3. Le monastère de Toul avait été fondé en 1664 par mère Mectilde, elle-même, avec l'agrément de l'évêque du lieu, Mgr André du Saussay. Cette maison très fervente forma de nombreuses jeunes moniales à qui mère Mectilde put confier ses fondations ultérieures : Saint Louis au Marais, Varsovie. Ce monastère de Toul fut prospère jusqu'à la Révolution, qui expulsa les moniales en 1792. — Les bénédictines du Saint-Esprit, dont le prieuré d'Anet (Eure-et-Loir) ne parvenait pas à subsister, demandèrent à mère Mectilde de les aider. Elle fit appel en 1676 à Toul. De jeunes religieuses partirent pour les seconder. Les tractations n'ayant pu aboutir alors, les moniales s'arrêtèrent à Paris. Ce sont les premières fondatrices du second monastère parisien, qui s'installera définitivement rue Saint-Louis au Marais, en 1680, dans l'ancien hôtel de Turenne. A la mort du maréchal, l'hôtel était devenu la propriété du cardinal de Bouillon, son neveu. (Cf. C. de Bar, fondation de Rouen. Rouen 1977).

4. Marguerite Petigot, (ou Petitgot), soeur Marie de Jésus, était fille de Errard Petigot, seigneur du fief de Francourt (Haute-Saône) et gouverneur, pour le roi du château de Landcrone (actuellement Landskron, Haut-Rhin). Sa mère était Damoiselle Marie Marguerite Olrion ou Olérion, demeurant à Huillecourt (Huilliécourt, Haute-Marne).

Le château de Landskron, où mère Petigot a pu passer sa jeunesse, avait été acheté par Louis XIV en 1663. Ce château commandait la défense de notre frontière en dessous de Belfort, face à Bâle. Vauban le fortifia et il ne fut détruit que par les armées autrichiennes en 1814. (Cf. A. Durlewanger, Les châteaux forts d'Alsace. Strasbourg. 1972).

dre la dernière résolution de partir pour Pologne. Je vous compte, ma très chère mère, pour supérieure dans cette nouvelle maison, que je prie la très sainte Mère de Dieu vouloir combler de bénédictions ; je l'espère de sa très grande bonté.

Je vous prie de faire venir Monsieur votre frère, pour vous y accompagner et y être votre chapelain. Je serais bien aise qu'il fût un peu de temps à Paris pour y voir la manière d'officier dans nos maisons. Vous savez que l'on a besoin d'un saint prêtre pour confesseur en ce pays-là, parce que l'on n'est pas certain d'en trouver comme on les doit souhaiter. D'ailleurs je serais bien aise qu'il soit votre parent. I1 prendra tout le soin pour vous en soulager, surtout pour la nourriture dans le vaisseau, car il ne s'en faudra pas toujours rapporter au capitaine qui tend toujours d'épargner pour faire son profit. Comme vous allez en droiture, vous n'aurez que dix ou douze lieues à faire sur terre, et pour cet effet l'on trouvera en ce lieu-là des chariots pour mener les personnes et les bagages. Quand nous serons à Rouen, nous ferons faire les provisions de bouche et des matelas et des couvertures pour coucher dans le vaisseau.

Il faudra des ornements pour dire la sainte messe dans le dit vaisseau pour la consolation des religieuses. Nous ferons ici d'autres provisions de choses qui sont rares et chères en Pologne : nous en avons un mémoire. Il faut des livres spirituels et des livres de chant, des règles et des constitutions, etc. Il faut du papier, des plumes, des canifs, des petits et des grands saints sacrements, des soies de toutes couleurs, fil blanc et autres, etc.

Mére Petigot fut maitresse des novices au monastère de Saint-Louis au Marais.

Partie pour Varsovie en 1687, elle fut élue prieure le 2 juillet 1691 et le resta jusqu'au 2 août 1697. Elle quitta la Pologne le 12 juin 1698. Quelques années plus tard, la reine Marie Casimire Sobieska, exilée à Rome, fit venir près d'elle mère Petigot, qu'elle estimait particulièrement, dans le but de fonder un monastère de notre institut à Rome. (Cf, le récit du voyage des moniales, chapitre II). Ce projet n'ayant pu réussir, les religieuses revinrent en France. Mère Marie de Jésus Petigot mourut en son monastère le 23 août 1718. (Cf. Arch. Nat. L.1076 n° 1 et 13, et archives du monastère de Bayeux).

Un aveu et démembrement pour le fief d'Huilliécourt se trouvent aux Arch. Dép. de Meurthe et Moselle : L' 90.

Les registres paroissiaux d'Huilliècourt, disparus pour les années 1633 à 1661, portent, à la date du 2 octobre 1662, le baptême de Jean-Baptiste, fils de noble Errard Petigot et de Marie Marguerite Olerion, noble Jehan (?) pour parrain et damoiselle Anne Colin pour marraine. Huilliécourt appartenait au diocèse de Toul. (Renseignement aimablement communiqué par le directeur des Arch. Dép. de la Haute-Marne).

Pour aller avec vous, je vous prie de chercher dans votre maison une compagne de choeur pour le moins. J'aurai d'ailleurs une converse. Il faut prendre cette postulante qui a une belle et grande voix, si toutefois elle a les qualités requises, savoir : la bonne vocation, un bon esprit naturel, sans passions, docilité et courage pour surmonter les obstacles ; connaissez si elle est de bonne famille, gens d'honneur et de vertu.

Vous sortirez nue comme la main, parce que vous n'emporterez rien de la maison. L'on vous revêtira ici de toutes choses nécessaires, et quand tout sera arrêté, je vous irai prendre ou vous enverrai quérir. Il faudra doucement avoir l'agrément de Monsieur de Saint-Eustache, votre digne supérieur. Cette semaine nous saurons tout ce qu'il faudra faire. J'aurai bien de la peine à partir, laissant nos chères mères malades. Priez Notre Seigneur qu'il les guérisse pour sa gloire.

Je crois bien, ma très chère mère, que vous sacrifiez terriblement, mais l'amour que vous avez pour Notre Seigneur vous anime et vous fait embrasser tout ce qui le peut faire glorifier ; quoiqu'il vous en coûte beaucoup, Notre Seigneur saura bien vous en récompenser. L'on peut revenir, plusieurs personnes y sont allées et sont revenues, même des filles de Sainte Marie. Ce n'est pas l'autre bout du monde ; assurément l'on en revient quand on veut. Il faut espérer que Dieu bénira cette mission. Vous aurez avec vous surtout une demoiselle qui y a demeuré du temps et qui en sait toutes les conduites : vous en recevrez beaucoup de satisfaction. Donnez-vous bien à Notre Seigneur et à sa très sainte Mère. C'est remplir votre qualité de victime. Si l'on me laissait aller, ah ! très chère Mère, que je serais très contente ! Mon coeur y vole, mais apparemment je n'en suis pas digne. Je m'offre à sa puissance et à son amour pour cela.

2820, AUTOGRAPHE, n° 35


II REGISTRE CONTENANT LE RÉCIT DU VOYAGE

Loué et adoré soit à jamais

le Très Saint Sacrement de l'Autel

et la Très Sainte Vierge Mère de Dieu

toujours Immaculée

REGISTRE

dans lequel est contenue l'histoire de la fondation

et généralement des propositions et conclusions

faites en chapitre dans ce premier

Monastère des religieuses bénédictines de

l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement

de l'Autel . et du commencement de sa

fondation l'an de Notre Seigneur

1688

in Poland

L'on pourrait avec justice nous accuser et nous serions coupables d'une grande ingratitude envers Dieu et notre illustre reine et donnerions un juste sujet de plainte au public et à nos successeurs, si nous ne leur apprenions pas les raisons et les manières de notre arrivée en ce royaume et que toutes celles qui nous doivent succéder soient informées du sujet qui nous a fait venir dans ce pays.

C'est donc pour satisfaire à ces obligations que nous faisons brièvement cette relation.

Ce fut en l'an mil six cent quatre-vingt-trois que Vienne, ville de l'Empire, fut assiégée par les Turcs d'un si prodigieux nombre de soldats que les plus généreux des assiégés virent bien que, sans les secours du Dieu des combats, l'on ne pouvait obtenir la victoire, et ce fut dans cette espérance de vaincre ou mourir pour un si bon signe, que le très martial, généreux et vaillant prince Jean III, roi de Pologne, qui ne bornait pas ses conquêtes à la seule défense et protection de son peuple mais prêta son secours à ses voisins, se trouva immanquablement des premiers dans un si périlleux combat, pressé du zèle de la religion, qui aurait souffert une funeste destruction par la victoire des ennemis. Mais ce même zèle de la gloire de Dieu, qui embrasait le coeur de notre illustre reine Marie-Casimire, épouse d'un si vertueux et généreux mari, ne lui permettant pas, comme lui, d'y paraître en public, de prendre l'épée ni la lance pour aller combattre les ennemis, la fit retirer dans la solitude et retraite où elle chargeait son corps faible et délicat des plus sensibles par d'affreuses mortifications, comme une autre Esther pour la délivrance du peuple de Dieu, et faisait faire des prières publiques et continuelles pour ce même sujet. Tout cela ne suffisant pas à sa piété, elle engagea le Ciel par des voeux secrets à lui être propice et favorable et promit à la divine Majesté de fonder un monastère de religieuses, lesquelles, par les louanges et adorations continuelles qu'elles feraient, seraient une perpétuelle reconnaissance de la grâce qu'elle demandait et espérait d'obtenir de Dieu et par l'intercession de la très sainte Vierge.

Cette pieuse reine la prend toujours pour son avocate auprès de son divin Fils ; elle célèbre ses fêtes avec une dévotion singulière ; aussi en a-t-elle reçu de grands secours et assistances. Celle qui nous semble la plus apparente et la plus considérable est cette glorieuse victoire remportée à Vienne sur les Turcs, que Sa Majesté demandait avec tant de ferveur et de persévérance. Et ce qui nous en fit attribuer le bon succès aux prières continuelles de cette grande reine est qu'il parait même que le ciel ait voulu rendre ce témoignage par les plus belles et généreuses actions du combat, ayant été faites par le roi, son très digne époux, et nul des princes présents ne lui ayant jamais disputé l'honneur et la gloire du combat et, après Dieu, la gloire lui est due ; et les belles dépouilles qu'il remporta sur les ennemis en sont les fidèles preuves. Leurs Majestés eurent la 47 bonté de nous les faire voir à notre arrivée. Sa Majesté, sachant bien qu'il ne suffit pas de faire des voeux au Seigneur mais qu'il les faut accomplir, travailla incessamment à s'en acquitter et, voyant l'avantage que recevait la République, des Dames de la Visitation 5, qui avaient été établies par la Sérénissime reine Louise, résolut de l'augmenter, mais encore plus profitable-ment, demandant des religieuses de France qui, joint à la bonne éducation qu'elles donneraient à la jeune noblesse du pays, augmenteraient la dévotion des peuples envers le très Saint Sacrement de l'autel par l'honneur et le culte extraordinaire et les fréquentes expositions que notre saint institut nous oblige de lui rendre, et l'adoration perpétuelle, jour et nuit, que

5. La première maison des Dames de la Visitation Sainte-Marie fut fondée à Varsovie le 9 août 1654 par des moniales du premier monastère de Lyon et de Troyes. Actuellement, il existe deux maisons de la Visitation en Pologne, à Varsovie et à Cracovie. Cette dernière a été fondée par celle de Varsovie le 22 novembre 1681 (Renseignements aimablement communiqués par l'archiviste du monastère de la Visitation de Paray-le-Monial). Leur église à Varsovie fut construite entre 1727 et 1734 par l'architecte Karol Bay. (cf. Aleksander Gieysztor et Stanislaw Herbst, La Pologne millénaire, Interpress, Warszawa).

Louise Marie de Gonzague, née vers 1612, décédée à Varsovie le 9 mai 1667, fille de Charles de Gonzague, duc de Nevers et de Mantoue, et de Catherine de Lorraine. En 1558, l'archevêque de Gnezno était Waclaw Leszczinski (1605-1666). Il se rendit en France pour y chercher la jeune princesse, qui épousa, en 1645, Ladislas IV, roi de Pologne, puis son frère et successeur Jean Casimir, qui régna sous le nom de Jean II ou Casimir V. Entré d'abord dans la Compagnie de Jésus, promu cardinal, il fut relevé de ses voeux pour épouser la veuve de son frère et lui succéder sur le trône de Pologne en 1649.

La reine ne servit pas les intérêts de Louis XIV autant que celui-ci l'aurait désiré. Des guerres incessantes contre les Tartares, les Cosaques, les Russes et les Suédois, ravagèrent le pays. Le roi fut d'abord vaincu, puis, avec l'aide de l'empereur, il souleva les Palatinats, vainquit ses ennemis et put imposer le traité d'Oliva (1660), qui lui rendit ses États.

La reine reconciliée avec la France, tenta d'imposer la candidature d'un prince français, lors de l'abdication de Jean II en 1668. Mais la Diète n'accepta ni le duc d'Enghien, ni Condé, et choisit un prince polonais, Korybut, un incapable, qui régna jusqu'en 1674, date à laquelle fut élu Sobieski, qui prit le nom de Jean III. En 1655, Charles-Gustave de Suède envahit la Pologne, mais ses armées furent arrêtées devant le monastère de Czestochowa le 25 décembre par l'apparition de la sainte Vierge. Le ter avril 1656, le roi de Pologne, Jean Casimir, consacra son royaume à Marie et ordonna qu'elle fût invoquée sous le titre de reine de Pologne. Le roi Jean Casimir, après son abdication, se retira en France où il reçut en commende l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. La reine Louise, épuisée par les querelles dynastiques, mourut d'une attaque d'apoplexie en 1667 à Varsovie. La Pologne lui doit d'avoir amené des prêtres de la Mission et des filles de la Charité de saint Vincent-de-Paul, ainsi que les moniales de l'ordre de la Visitation Sainte Marie (cf. Daniel-Rops, L'Église des temps classiques, Fayard, 1958, T.I. ; H. Pradel, Notre-Dame en France, 1944).

l'on y fait, ce qui agréa fort à Sa Majesté, ces saintes pratiques étant conformes à ses desseins de continuelles louanges et adorations à la Majesté divine, en reconnaissance des grâces qu'elles avaient reçues dans l'occasion que j'ai spécifiée. Sa Majesté chargea madame la marquise de Béthune, sa soeur, et monseigneur l'évêque de Beauvais 6, de la conduite de cette affaire en France, pour parler à la révérende mère Catherine Mectilde du Saint-Sacrement, notre très digne mère institutrice, pour obtenir de ses religieuses. Les affaires de l'État et celles de l'Église ayant obligé ce prélat à des voyages à Rome, il ne put si tôt donner contentement à sa Majesté. Enfin, après quelques années de pourparlers de part et d'autre, l'affaire fut conclue en l'an 1687. Le 22e du mois d'août, les religieuses partirent de Paris, un vendredi, et vinrent à notre monastère de Rouen ', où elles furent reçues avec bien de la joie et de l'estime de leurs saintes entreprises, et restèrent dans le monastère jusqu'au 2e de septembre qui était un mardi, qu'elles sortirent.

6. Toussaint de Forbin-Janson (1624-1713), évêque de Beauvais (1679-1713), venu à Varsovie avec M. de Vitry, envoyé par Louis XIV en mission diplomatique auprès du roi Jean Sobieski. La reine profita de l'occasion pour lui demander son aide au sujet de la fondation des moniales de l'institut en Pologne. Toussaint était fils de Gaspard Forbin Janson et de Claire de Libertat. Il fut successivement coadjuteur de l'évêque de Digne 1653, auquel il succéda en 1655, puis évêque de Marseille, en 1668. Il fut ensuite nommé évêque de Beauvais en 1679 et cardinal au titre de Saint-Calliste, sur présentation de Jean III Sobieski, en 1690. Il fut ambassadeur en Pologne, puis à Florence, où il réconcilia Côme de Médicis et son épouse Marguerite Louise, fille de Marguerite de Lorraine, duchesse d'Orléans. Le cardinal mourut à Paris en 1713. Il était commandeur des ordres du roi et grand aumônier de France. (Cf. Recueil des instructions aux ambassadeurs et ministres de France en Pologne, Alcan, Paris, 1888), (cf. chap. IX, n. 170).

7. En 1676, mère Mectilde signa un contrat d'achat d'une maison appartenant aux Béguines, rue Saint-Vigor, près du Vieux-Marché, à Rouen. Lors d'un premier voyage, en 1677, elle se rendit compte qu'elle avait été trompée. On loua alors une maison rue des Arsins, et la première exposition du Saint Sacrement, qui fonda le monastère de Rouen, eut lieu le 4 novembre 1677. Ce n'est qu'en août 1683 que les moniales purent acheter une grande maison, dite château de Mathan, où elles remplirent leur mission de moniales adoratrices et réparatrices jusqu'en 1792. Chassées de leur couvent, elles furent emprisonnées, mais, grâce au dévouement de leur aumônier, l'abbé Cousin, et à la complicité bienveillante de leur geôlière Françoise, elles poursuivirent leur tâche d'adoratrices, mime durant leur année d'incarcération. Elles ne parvinrent à se regrouper dans un couvent qu'en 1804, grâce à la générosité de leurs bienfaiteurs. Réunies dans l'ancien couvent des Minimes, elles y poursuivent leur tâche d'Église, à l'ombre de l'ancienne abbatiale Saint-Ouen. (Cf. C. de Bar, Fondation de Rouen, Rouen, 1977). Saint François de Paule fonda l'ordre des Minimes; sa Règle fut approuvée en 1474 par Sixte IV. Le saint mourut en 1508. Le couvent de Rouen, rue Bourg-l'Abbé ne parvint à s'établir dans cette ville qu'en 1600.

49

L'on considérait ce voyage comme celui de Turquie tant par le péril où l'on met sa vie sur mer par l'inconstance de cet élément que par les autres hasards et malheurs que l'on y rencontre des pirates et corsaires de mer. A partir de là, l'on y séjourna dix jours, tant pour attendre le vent favorable que pour porter les ballots dans le navire. Le lieutenant de la marine et autres embarras qui se trouvent en pareille rencontre nous y firent arrêter.

Madame la marquise de Béthune avait fait, par l'ordre de leurs Majestés polonaises, une grande emplette de levée des marchandises pour notre usage, tous les ornements nécessaires pour dire la sainte messe sur mer, un beau tabernacle de bois doré, de grandes figures de la Sainte Vierge, des anges et autres saints de plâtre doré et ornements communs tout faits ; des étoffes, pour habiller les religieuses, d'hiver et d'été, 200 aunes de serge blanche pour faire des chemises, d'autres pour faire des draps, des couvertures, 200 aunes de France de toile pour faire du linge, plusieurs pièces de toile noire et d'étamine pour faire des voiles, et tout ce qui était nécessaire pour l'habillement des religieuses, des bréviaires, livres de chant et une bibliothèque des livres spirituels, de beaux missels de maroquin et autres à l'usage des ecclésiastiques, une douzaine de belles aubes et des surplis, deux douzaines d'amicts ; enfin l'on n'avait qu'à demander ; madame la marquise, bien instruite des intentions de Sa Majesté, faisait tout avec une magnificence royale.

Notre soleil [ostensoir] en est une belle preuve, que l'on dit valoir plus de 2 000 ducats de France, une tapisserie de velours rouge, etc.

Avant que de partir, l'on marchanda avec le maître du navire pour le voyage, et il fut conclu qu'on lui donnerait 40 sols par tête, qui font quatre francs de ces pays ; c'était pour la nourriture et pour la voiture.

Nous étions vingt-trois personnes en comptant monsieur du Chartrin 8, qui était notre confesseur. La liste des religieuses françaises parties en Pologne de 1687 à 1787 se trouve en Appendice.)

Nous étions huit religieuses de choeur, deux soeurs converses, quatre novices, une postulante âgée de 14 ans [Jeanne Lombard], une tourière, un sacristain, un jardinier, trois joueurs de hautbois, que la reine faisait venir pour son service.

Nous fûmes accompagnées dans notre voyage des trois demoiselles françaises, qui venaient pour le service de la reine, et d'une dame de qualité. Une de ces demoiselles françaises qui avait déjà été en Pologne et qui parlait un peu la langue du pays nous servit beaucoup.

Madame la Présidente de Lesseville, dame d'une grande piété et de beaucoup d'estime pour notre saint institut, voulut nous amener à Rouen, et l'aurait fait volontiers jusque dans la Pologne, si son âge n'eût fait appréhender à messieurs ses enfants que ce voyage n'eût été sans retour ; elle est depuis peu décédée dans notre monastère de Paris d'une maladie très douloureuse, qu'elle souffrit avec une patience et soumission qui édifia beaucoup toute la communauté, qui conserve une grande estime de sa vertu et de la reconnaissance pour ses libéralités.

Elle ne nous fut point à charge durant le voyage, ni durant le séjour que nous fîmes à Rouen ; elle paya même la dépense de ses gens et de ses chevaux et nous fit aussi des présents.

J'ai déjà dit que nous séjournâmes dix jours dans notre monastère de Rouen durant que l'on disposait notre navire, lequel, étant un navire marchand, était peu propre pour nous loger tous ; l'on fit aussi les provisions pour la navigation, des tonneaux de lard et de boeuf salés, des tonneaux de vin, cidre et bière, confitures sèches et liquides, toutes sortes de fruits, oran-

8. Dès le départ de Paris, monsieur l'abbé du Chartrin accompagna nos soeurs dans leur voyage et les soutint aux premiers temps de la nouvelle fondation avec le plus grand dévouement. Il avait désiré rentrer en France, mais mourut peu de temps après à Varsovie, en mai 1688.

Un autre prêtre seconda les religieuses, au moins au cours de la descente de la Seine, c'est l'abbé Sicault. Nous le voyons mentionné comme chapelain du monastère de la rue Cassette en 1684 (cf. aussi lettre de la mère Anne Loyseau, 6 octobre 1687).

De même la présidente de Lesseville, bienfaitrice insigne de l'institut. Nous relevons dans le livre de comptes du monastère de la rue Cassette en 1654 : Mme de Lesseville offre une Vierge pour notre choeur Elle donna pour l'établissement du premier monastère de Paris 700 écus. Sa générosité et surtout sa piété l'incitaient à entrer quelques jours au monastère, chaque année, pour y faire une retraite. Catherine Le Boulanger de Viarmes épousa Nicolas Le Clerc de Lesseville, seigneur de Thun et d'Evecquemont, doyen de la Chambre des Comptes de Paris. Elle eut, entre autres, comme enfants : Eustache, évêque de Coutances de 1659 à 1669 ; Antoine de Lesseville et d'Evecquemont, correcteur en la Chambre des Comptes, dont la fille Henriette épousa Claude de Saint-Simon, père du mémorialiste.

51 ges et citrons. L'on tâcha que rien ne nous manquât durant ces dix jours.

Le bruit se répandit dans la ville de Pamis (sic), que des religieuses bénédictines de l'Adoration perpétuelle du Saint Sacrement allaient en Pologne ; chacun voulait les voir.

Madame de Souvré 9, abbesse de Saint-Amand, madame de Bellefonds 10 abbesse de Notre-Dame des Anges, et plusieurs autres envoyèrent faire des compliments et supplièrent que l'on les pût voir et qu'elles enverraient des carrosses pour nous amener ; mais, comme notre vocation n'est pas de nous produire mais plutôt de nous cacher et nous anéantir, l'on leur fit faire des remerciements et excuses pour éviter les louanges et applaudissements que l'on nous aurait donnés.

Monseigneur l'archevêque de Rouen 11, frère de Monsei-

9. L'abbaye de Saint-Amand fut fondée vers 1030 par Gosselin, vicomte d'Arques, et Emmeline, sa femme. Madeleine de Souvré, née le 1« février 1621, entra très jeune à l'abbaye de Préaux. Prieure de sa soeur Léonore de Souvré en 1653 à Saint-Amand, coadjutrice en 1657, elle devint abbesse à la mort de sa soeur, survenue le 28 août 1672. Elle donna un haut exemple de piété, de douceur, de patience dans son gouvernement, et laissa un grand renom de sainteté. Elle mourut le 8 septembre 1691, à 77 ans. ayant gouverné son abbaye 19 ans et 10 jours. (Cf. F. Farin, Histoire de la ville de Rouen, Bonaventure Le Brun, Rouen, 1738).

10. L'abbaye de Notre-Dame des Anges fut fondée en 1644 au faubourg Saint-Sever, mais, n'ayant pu subsister, le monastère fut relevé en 1648 par le marquis de Bellefonds, lieutenant général des armées du roi et Mme Laurence de Bellefonds, religieuse de l'abbaye royale de la Trinité de Caen, qui l'établirent en 1650 rue Beau-voisine. Madame de Bellefonds avait une dévotion extraordinaire envers le Saint Sacrement. Dès 1670 elle obtint de l'archevêque l'autorisation de l'exposer publiquement tous les 4' jeudis du mois, avec office solennel, sermon et salut. Une religieuse restait toujours en adoration devant le Saint Sacrement dans la journée. Son abbatiat fut très fécond. Après 36 ans le gouvernement, elle mourut le 31 octobre 1683, âgée de 71 ans. (Cf. F. Farin, op. cit.).

11. François Rouxel de Médavy de Grancey, conseiller d'État, fut évêque de Langres. puis de Séez. Élu 86' archevêque de Rouen le 1« janvier 1671, il succéda à François II de Harlay appelé au siège de Paris. Ce prélat qui avait servi tout d'abord dans l'armée. puis le pouvoir royal, fut un administrateur consciencieux. 11 prit possession de son siège épiscopal le 16 janvier 1672. II mourut à Mâcon le 2 janvier 1691 et fut inhumé sans faste, selon sa demande, dans le bas de la nef de la cathédrale de Rouen.

La fondation de notre monastère de Rouen se fit sous son épiscopat et avec son agrément. (Cf. C. de Bar, Fondation de Rouen. Rouen, 1977 et Nicétas Périaux, Histoire sommaire et chronologique de la ville de Rouen. 1874, réédition, Bertout, Luneray, 1970).

Jacques Rouxel de Médavy, comte de Grancey, maréchal de France (16031680). C'était un soldat d'une intrépidité extraordinaire parfois comparé à Bayard.

52 gneur le maréchal de Grancey, étant pour son grand âge et infirmité détenu au lit, nous envoya monsieur l'abbé de Fieux 12, son official et grand vicaire, nous congratuler sur notre bonne entreprise, nous en témoigner sa joie et donner de sa part la bénédiction archiépiscopale.

Tout étant apparemment assez prêt, l'on résolut de partir.

Le mardi 2e de septembre, nous fîmes toutes à cette intention la sainte communion, pour nous disposer à cette sainte entreprise. L'on fit des prières publiques (liturgie du bréviaire monastique) pour obtenir un bon et heureux voyage. Après le diner, arrivèrent les carrosses. Il fallait prendre congé les uns des autres et dire le dernier adieu, qui fut très sensible ; la douceur et cordialité que l'on avait goûtées depuis dix jours y mettait un peu d'amertume et de larmes ; la douleur de celles qui restaient paraissait plus grande que celle des voyageantes, car elles perdaient leurs chères mères et soeurs.

A la sortie du monastère, nous fûmes à l'église de Notre-Dame, la cathédrale de Rouen 13, et puis à l'église du prieuré

On le trouve à la tête de son armée dans les grandes batailles de cette époque : Montauban. La Rochelle, Rocroi. Il reçut en 1651 le bâton de maréchal de France.

Ils sont fils de Pierre lei Rouxel de Médavy, comte de Grancey (1562-1618) et de Charlotte de Hautemer de Fervaques, qui eurent dix-sept enfants. (Renseignements aimablement communiqués par l'archiviste de l'abbaye d'Argentan).

12. Etienne de Fieux, licencié en décrets, prieur de Saint-Avertin, de Saint-Germain-en Ay-. au diocèse de Coutances et de Beaulieu (arr. de Rouen). abbé commendataire de Bellozanne (arr. de Neufchâtel), sur résignation de son frère, Jacques. évêque de Toul en 1677. Curé de Saint-Eloi de Rouen (1654-1666). de Saint-Laurent de Rouen (1666). chanoine de Rouen. archidiacre du Petit-Caux (1660). du Vexin français (1665). vicaire général du chapitre « sede vacante » après le transfert de François II de Harlay au siège de Paris (1671), vicaire général de Mgr Rouxel de Médavy le 9 juin 1675, puis de l'archevêque Jacques-Nicolas Colbert le 16 février 1691. official de 1676 à 1690, il décéda le 21 novembre 1694 en sa maison, rue Noble (actuellement rue Orbe), et fut inhumé en la chapelle Saint-Pierre-et-SaintPaul de la cathédrale. Il avait été prince du Puy de la Conception en 1673. (Renseignements aimablement fournis par M. l'abbé A. Fouré).

13. La tradition, discutée d'ailleurs, veut que la cathédrale s'élève sur l'emplacement de la première église. bâtie au IV' siècle. laquelle se dressait à l'intersection des deux voies qui traversaient la cité gallo-romaine. De grandes dates jalonnent son histoire. Le 1" octobre 1063. le bienheureux Maurille consacra la basilique romane, en présence de Guillaume, le futur conquérant de l'Angleterre, et des évêques de la province. Le 8 avril 1200. elle fut ravagée par un incendie. Dès 1204, elle put accueillir le roi Philippe Auguste, mais les travaux ne s'achevèrent que vers 1240. En 1515, un incendie endommagea encore l'édifice. saccagé par les protestants en 1562. Le monument souffrit des intempéries aux XVII' et XVIII` siècles si bien qu'un rapport

53 de Bonne-Nouvelle 14, où est un monastère de notre ordre et un lieu destiné à la sainte Mère de Dieu, qui y opère de grands miracles. Nous y fûmes donc pour nous mettre sous sa protection et lui demander son assistance pour le bon succès de notre voyage. Après, nous allâmes sur le gué de Rouen pour faire le premier pas de notre embarquement. Nous entrâmes dans un petit bateau pour aller à notre navire, [vu] que l'eau de la rivière n'était pas assez forte pour le porter au bord.

L'on dit que tous les habitants de la ville étaient sortis pour nous voir. Il est vrai que les rues où nous passâmes étaient si pleines de peuple qu'il nous eût bien fallu un huissier pour nous faire place. Plusieurs avaient gagné le devant et étaient allés à notre navire, que nous trouvâmes si plein que nous n'y pouvions trouver place, mais, la nuit arrivant, ils furent contraints de se retirer, et nous fûmes plus au large et en paix pour nous offrir de nouveau à Notre Seigneur pour accomplir ses desseins et ses saintes volontés sur nous.

Nous n'avions pour nous toutes qu'une manière de grande chambre contenant huit lits pour seize que nous étions ! Les messieurs et demoiselles avaient leurs chambres séparées. Monsieur de Chartrin, notre charitable aumônier, en avait une petite pour lui seul. La nôtre avait une petite tenture de tapisserie, étant le lieu où nous disions en commun notre office, où se célébrait la sainte messe et tous nos exercices de religion.

de 1757 . en fait craindre la ruine prochaine .. La cathédrale connut encore des heures sombres et fut à deux doigts de la ruine, surtout en avril 1944. Il fallut toute la science et le courage d'architectes, de maîtres d'oeuvre et de tailleurs de pierre pour lui redonner l'aspect merveilleux que nous lui voyons aujourd'hui. (Dictionnaire des églises de France, art. abbé André Fouré, secrétaire de la Commission dép. des Antiquités, secretaire de la Société de l'Histoire de la Normandie).

14. Le prieuré de Notre-Dame-du-Pré, dit de Bonne Nouvelle, fondé par Guillaume le Conquérant, duc de Normandie, et Mathilde, son épouse, qui firent bâtir l'église en 1060 à la sollicitation de saint Anselme, abbé du Bec. L'église fut dédiée à l'Annonciation de Notre-Dame. Très tôt les fidèles prirent la coutume d'aller y prier la Vierge, pour obtenir le pardon de leurs péchés. Les bâtiments et l'église, entièrement ruinés lors du siège de Rouen en 1592, furent réédifiés en 1604, et l'ancienne discipline monastique restaurée en 1626 par l'introduction des bénédictins de la congrégation de Saint-Maur. Une congrégation en l'honneur de l'Enfant-Jésus (dévotion qui se répandait beaucoup en France à l'époque), fut fondée au prieuré en 1636. En 1687, le prieur de Bonne-Nouvelle était Dom Martin Filland, né à Saint-Benoitsur Loire. Il fit profession à Vendôme le 24 février 1663, âgé de 19 ans. Après avoir rempli plusieurs charges dans sa congrégation, on le trouve prieur de Bonne-Nouvelle en 1687. II mourut au Bec, dont il avait été prieur de 1717 à 1720, le 7 août 1726. (Cf. F. Farin, op. cit. ; Dom Martène, Histoire de la Congrégation de Saint-Maur, Ligugé, 1937).

Nous fûmes deux jours dans notre navire sans partir du port, le vent s'étant assez promptement rendu contraire. Ce délai nous fut favorable car, quelque soin qu'on eût pris de nous pourvoir de tout, néanmoins il nous manquait encore plusieurs choses : des cierges, des chandelles, des assiettes, etc. ; mais dès le lendemain les banquiers de sa Majesté y pourvurent.

Durant ces deux jours, quelques dames de la ville nous vinrent voir et la révérende mère Prieure 15 de notre monastère à Rouen nous envoya son révérend père confesseur pour savoir de nos nouvelles et l'état de notre santé.

Le jeudi, au matin du 4e de septembre nous partîmes et arrivâmes au port de la Bouville, [la Bouille], n'ayant fait ce jour-là que trois lieues de chemin.

Notre navire étant si grand qu'il ne pouvait aller sur la rivière que quand la force de la marée arrivait, qui n'était pas de longue durée. Le vendredi et le samedi, nous ne fîmes pas davantage. Notre navire demeura sur le sable auprès de la maison de plaisance de monsieur le marquis de Beaufvron 16 [Beu-

15. Françoise de sainte Thérèse du Tiercent, issue d'une famille originaire de Bretagne, naquit en 1647. Ayant perdu sa mère dans son enfance, elle dut attendre l'autorisation paternelle pour entrer au monastère de la rue Cassette où elle prit l'habit le 14 octobre 1672, et émit ses voeux le 3 septembre 1673. Elle fit partie du second groupe des fondatrices du monastère de Rouen, où elle arriva le 1" octobre 1677. D'abord maîtresse des novices, elle fut élue prieure de la nouvelle fondation le 29 mai 1681, et mourut le 10 janvier 1716, après 35 ans de priorat.

Son père était maitre des requêtes au Parlement de Paris. Sa famille était alliée aux Saint-Simon, Richelieu, Aiguillon. Elle songea d'abord à se mettre au service des pauvres chez les Filles de la Croix, fondées en 1641-1642 par Mme de Villeneuve, mais son père la rappela en Bretagne. Est-ce près des filles de la Croix qu'elle connut notre institut ? Mgr du Saussay, grand official et grand vicaire au diocèse de Paris, fut le supérieur des filles de la Croix de 1647 à 1650. Or, Mgr du Saussay, évêque de Toul, nommé en 1649, ne reçut ses bulles qu'en 1655. Ce fut un ami de mère Mectilde dès la fondation de notre institut et le protecteur du monastère de Toul. Près des filles de la Croix nous retrouvons aussi M. Picoté, qui obtint pour mère Mectilde l'autorisation de fonder son premier monastère, en 1652, rue du Bac, transféré rue Cassette (25 mars 1659).

16. La copiste a probablement fait une erreur de lecture (manuscrit revu par M. l'abbé A. Fouré, archiviste du diocèse de Rouen).

François d'Harcourt, marquis de Beuvron, chevalier des ordres du roi, était lieutenant général au gouvernement de Haute-Normandie. Il avait épousé, en 1677, en secondes noces, Angélique de Fabert. Ils eurent une fille, Henriette, qui épousa Louis Marie Victor, comte de Béthune, fils de François Gaston de Béthune et de Marie Louise de La Grange d'Arquien.

Angélique de Fabert de la Meilleraye, épousa en secondes noces François d'Harcourt, marquis de Beuvron. En 1687, Mme de Beuvron fut en procès avec les

55 vron] qui envoya de ses gens pour voir ce que c'était... L'on leur dit que c'était des religieuses que la reine de Pologne envoyait quérir pour établir l'adoration perpétuelle du très Saint Sacrement de l'autel dans son royaume. Il en fut très édifié et admira sa grande piété et notre généreuse entreprise, et nous envoya des mets de sa table et des fruits de son jardin, nous assurant que madame la marquise aurait bien de plaisir de nous voir, mais elle n'était pas au logis.

Le lendemain, qui était un dimanche, notre navire fut relevé à l'arrivée du flot, qui veut dire la marée, qui est en son plein à midi et à minuit. L'on fit le chemin ordinaire de trois ou quatre lieues, et nous vînmes jusqu'au port de Quilboeuf 17, où, selon les lois entre mariniers et matelots, le maître de notre navire laissa la conduite du sien à ceux du pays, sans leur oser rien dire, qu'ils fassent bien ou mal.

Le lundi matin, il arriva un bon ancien matelot, qui travailla du mieux qu'il put pour nous faire avancer le chemin et nous fit passer le jour à viravier, c'est un terme de marine, c'est-à-dire à toujours tourner et ne bouger d'une place.

Le mardi matin, il en vint un autre, jeune, qui, peut-être mécontent que l'on ne l'eût pas pris d'abord, donna bien de la peine. L'on dit qu'il était sorcier et qu'on l'avait vu souffler sur les cordes du navire. Je ne sais s'il était sorcier ou peu exercé en son métier, mais je sais qu'il réussit très mal, et nous fûmes très près de périr, soit par malheur ou par malice. Il ne leva pas

religieux de Saint-Wandrille à propos d'une terre qu'elle venait d'acheter et dont les limites étaient le sujet du litige. Plus tard, nous la verrons de nouveau en procès avec les mêmes religieux à propos du bac, nécessaire pour la traversée de la Seine à la hauteur de Caudebec. Cf. Histoire de l'abbaye de Saint-Wandrille depuis l'an 1604 jusqu'en 1734, par Dom Toustain et Dom Tassin, éditée par Dom Jean Laporte, abbaye de Saint-Wandrille, 1936.

17. Cet ancien havre des Vikings fut la capitale du Roumois du XIIIe au XVIIIe siècle, siège d'une amirauté, port de pêche et relais des grands voiliers.

C'était la station obligée des navires qui descendaient la Seine et devaient franchir au moment de la pleine mer les parages dangereux de la Traverse, à 14 km en amont. Ils arrivaient à Quillebeuf à mer baissante et y attendaient que la marée leur permit de passer sur les bancs de la baie. Les navires à voiles devaient attendre que le vent fût favorable. Le port proprement dit est situé sur la rive gauche de la Seine à 14 km du point où se termine le chenal endigué. En raison des rochers qui formaient le prolongement sous-marin de la pointe et dont le port était hérissé, tout navire échoué sur les bancs était perdu et, à l'arrivée du flot, il était roulé par la barre et démoli. La lieue marine est de 5 km. 555. (Cf. B. Girard, la Normandie maritime, Niort, 1 899).

56 l'ancre assez tôt avant l'arrivée du flot, qui rompit le câble et mit le navire en tel péril que les plus habiles et les plus hardis, et même les matelots, crurent être à leur dernière heure ; et plusieurs descendirent pour se sauver dans de petites chaloupes, qui suivent les navires sur la rivière et que l'on met sur le tillac quand on est sur mer. Peu d'entre nous eurent connaissance du péril, et fûmes plutôt averties de prier Dieu de nous avoir préservées de ce malheur que de lui faire des voeux pour nous en garantir.

L'on jeta pourtant un passeport de l'Immaculée Conception 18 dans l'eau pour apaiser sa rapidité.

18. Nos archives possèdent encore un petit feuillet de 115x60, imprimé recto verso. On peut y lire d'un côté : « Loué et adoré soit à jamais le tris Saint Sacrement de l'autel ». Suit une prière au Christ eucharistique et une autre à la très pure et Immaculée Mère de Dieu. Le verso porte : rt Passeport de l'Immaculée Conception de la Sainte Vierge », avec une belle prière à la Vierge « conçue sans la tache du péché originel ».



[ici un encadrement ...

PASSEPORT

De l'Immaculée Conception de la Sainte Vierge.

Sainte Marie Mere de mon Dieu

& Sauveur Jefus-Chrilt , toujours Vierge, élevée au Ciel en Corps & en Ame, qui avez été conçue fans la tache du péché originel, priez pour moi maintenant & à l'heure de ma mort. Priez pour ma converfion : Protegez-moi (fans toutes mes entreprifes : Soyez toujours ma confolation : Prenez foin de mon salut : j'ai mis en vous, après Dieu , toute ma confiance, Mcre de miféricorde, qui n'avez jamais eu aucune tache de péché.

Tota pulchra es Maria , & macula originales non fuit in te.

Il faut porter cette Oraifon fur foi, pour être préfervé dc pluficurs périls, comme on l'a souvent expérimenté.

Fin de l’encadrement]


58 C'est à la sainte Mère de Dieu à laquelle nous croyons avoir cette obligation. L'ancre fut perdue ; nous ne fîmes que trois lieues ce jour-là et nous vînmes à un petit port nommé Saint-Sanson, proche de Ponton-de-mer 19 (Pont-Audemer) où notre navire demeura ensablé.

Le lendemain, qui était un mercredi, l'on voulut sur le midi, à l'arrivée du flot, mettre les voiles de navire au vent, ce que l'on fit sans bon succès, à raison que, la lune étant sur son déclin et le flot et la marée moins fortes, on ne fit que relever le navire pour très peu de chemin, et il retomba sur le sable mais si renversé que l'on ne se pouvait tenir debout. Cet accident étant arrivé dans l'heure du dîner, tout fut renversé et la vaisselle cassée, car nous n'en avions pour lors que de terre. Nous ne nous étions point encore trouvées en de telles défaites, et le maître du navire, voyant qu'il faisait un beau temps, nous proposa de sortir et d'aller dans la campagne où nous trouvâmes un lieu assez agréable. Nous envoyâmes quérir dans notre navire de quoi dîner et, ne pouvant retourner dans notre vaisseau qu'il ne fût relevé, l'on nous dit qu'il y avait, assez proche de là, un monastère de religieux bénédictins. Nous y fûmes par promenade ; l'on nous y reçut fort civilement, surtout Monseigneur l'évêque de Chartres 20, qui en était l'abbé commendataire. Ils

19. Pont-Audemer, chef-lieu d'arrondissement de l'Eure. Station romaine : Pons Audomari. Plusieurs conciles provinciaux y furent tenus au XIIIe et XIV' siècle. Au XVIIe siècle, le bailliage de Pont-Audemer englobait tout le vieux pays appelé Roumois ; il occupait toute la rive gauche de la Seine, de La Bouille jusqu'à l'estuaire. La ville était célèbre par ses tanneries et une manufacture royale des cuirs. (Cf. Léopold Soublin, Le premier Vote des Normands 1789, F.M.I.N., Fécamp, 1981).

La bourgade de Saint-Samson est située actuellement près de la Risle. Au siècle dernier, elle possédait une église contenant des vestiges de l'abbaye de Pental, fondée vers 550 par le moine saint Samson, et dotée par Childebert Ier. (Cf. J. Daoust, Le Val de Seine, Imprimerie Rouennaise).

20. L'abbaye Notre-Dame de Grestain, fondée en 1050 par Herluin de Conteville, mari d'Herlève (Arlette), mère de Guillaume le Conquérant et son fils Robert, comte de Mortain. Arlette fut inhumée dans l'abbaye. L'abbaye fut supprimée dès 1757 et ses biens furent transférés au petit séminaire de Lisieux. L'essentiel des bâtiments fut démoli vers 1768. 11 n'en subsiste plus, dans un site remarquable en bordure de l'estuaire de la Seine, que le mur d'enceinte, un bâtiment gothique et deux piles de l'église abbatiale.

Nos soeurs furent reçues par les moines dans la salle réservée aux hôtes (voir photo). L'abbé commendataire en 1687 était Denys Sanguin (abbé de 1670 à 1702), évêque de Senlis.

nous montrèrent toutes leurs raretés, mais particulièrement un reliquaire de la sainte Mère de Dieu : c'était une bourse, dont l'on ne peut connaître la matière ni la façon de l'étoffe ; nous la baisâmes avec bien de respect et renouvelâmes l'offrande de nos personnes. Au retour de cette visite, nous rentrâmes dans notre navire, que l'on avait relevé à l'arrivée du flot mais qui n'avait point changé de place.

Le lendemain, qui était un jeudi, nous nous trouvâmes en pareille aventure à l'heure du dîner. Comme le jour précédent, tout fut renversé, le dîner et les mets, et nous ne pouvions nous tenir debout. Tout cela arriva par la faute des matelots du pays, lesquels n'ayant pas eu l'adresse de bien conduire le navire, qui était fort grand, par le milieu de la rivière, l'ayant laissé aller au rivage et le flot se retirant, il demeurait sur le sable.

Notre capitaine nous dit que nous n'avions qu'à chercher gîte et que, sans miracle, le vaisseau ne pouvait changer de place de plusieurs jours.

Nous sortîmes toutes avec nos bréviaires et nos sacs de nuit. Nous étions en pleine campagne, loin des villages et des connaissances, et fort embarrassées de nos personnes. Nous rencontrâmes des paysans et nous leur demandâmes le nom de leur village et de leur seigneur et celui de monsieur le curé. Ils nous dirent que monsieur le curé s'appelait Tallon 21, et leur seigneur monsieur de Matignon 22. L'une de notre compagnie connaissait ce bon curé. Nous nous hasardâmes d'y aller et nous ne fûmes point trompées dans nos espérances. Il nous

L'évêque de Chartres, était alors Ferdinand de Neuville, de la maison de Villeroy, abbé commendataire de l'abbaye Saint-Wandrille de Fontenelle, sur la rive droite de la Seine, à 40 km de Rouen environ. Nos voyageuses avaient donc presque atteint l'embouchure de la Seine.

Mgr de Chartres ne vint que deux fois visiter son abbaye et, en 1687, il était octogénaire et quasi-impotent. (Renseignements aimablement communiqués par l'archiviste de l'abbaye de Saint-Wandrille).

21. Les registres paroissiaux de Conteville [Eure] portent, à la date du 18 décembre 1687, la signature de « Benoist Tallon, official et grand vicaire de monseigneur l'évesque et Comte de Dol ». La signature du curé Talion est apposée sur les registres paroissiaux dès 1686, et durant plusieurs années encore. (Renseignement aimablement communiqué par M. Coulombeau).

22. Henri, comte de Torigni, marquis de Lourai, lieutenant général de Normandie, conseiller d'État en 1658. Il épousa Melle de la Luthumière, qui lui apporta la seigneurerie du Marais-Vernier. Il mourut à Caen le 28 décembre 1682. (Cf. CharpilIon, Dictionnaire de l'Eure).

59 reçut avec bien de la bonté, nous marquant prendre beaucoup de part à tous nos petits désastres. Nous étions toujours accompagnées de monsieur de Chartrin, qui s'entretint avec monsieur le curé du sujet de notre voyage et ils nous laissèrent reposer de notre fatigue, car nous avions fait près d'une lieue de chemin. Nous dinâmes et soupâmes chez notre bon monsieur le curé ; pour le coucher, quelque peine qu'il prît pour nous bien accommoder, nous donnant tout ce qu'il avait, il ne put fournir au monde que nous étions.

Une partie coucha sur la paille, ce qui ne nous est pas nouveau. Nous passâmes encore le vendredi chez lui fort agréablement. Après avoir assisté à la sainte messe, il nous promena par tous ses jardins et ses vignes.

Nous tâchions de ne lui être pas tant à charge et nous fîmes venir plusieurs provisions de notre vaisseau, car vingt-cinq personnes ont bientôt mis fin à celles d'une seule personne. Le capitaine de notre vaisseau nous vint trouver pour nous dire qu'il s'ennuyait de ne nous plus voir, et que notre vaisseau n'était pas encore en état de nous recevoir, qu'il fallait bien encore huit jours.

Nous priâmes instamment monsieur notre bon curé de nous faire chercher des voitures pour aller jusqu'à Honfleur 23 ; il y avait quatre lieues de chemin.

23. Le port est situé en face de celui du Havre, sur le côté opposé de l'estuaire de la Seine. Il a souvent été une base de départ pour les flottes de guerre vers l'Angleterre et donc lieu de combats. A la fin de la guerre de Cent Ans, c'était une des dernières possessions anglaises. Dunois réoccupa Honfleur en 1450 pour Charles VII, qui attendait à Grestain de pouvoir entrer dans la ville reconquise.

L'origine de la chapelle de Notre-Dame-de-Grâce remonte à des temps anciens. Il semble que sa fondation soit due à Robert le` le Magnifique, duc de Normandie.

En 1538, le roc sur lequel s'élevait la chapelle disparut dans un éboulement après une grande tempête et entraîna la ruine quasi-totale de l'édifice. En 1606, Gonnier, employé au grenier à sel, en commença la reconstruction, continuée et achevée par Mr de Fontenay, gentilhomme de Honfleur, qui en avait obtenu la per-

Le samedi matin, après avoir assisté à la sainte messe et communié, nous primes congé de notre bon hôte, qui voulut, par estime et dévotion pour notre saint institut, savoir tous nos noms. Il nous promit de nous recommander à Dieu au saint sacrifice de la messe et de nous venir voir à Honfleur, et qu'il prendrait soin de notre navire et de notre embarquement, de quoi il s'acquitta avec bien de la bonté.

Étant arrivées à Honfleur, nous eûmes besoin de repos ; la voiture était rude et incommode.

Nous y séjournâmes quatre jours, n'ayant fait en quinze jours que quatorze lieues.

Le dimanche, nous fûmes faire nos dévotions à l'église paroissiale qui était la plus proche de notre auberge. Monsieur le curé nous reçut avec tant d'honneur que cela nous fit confusion. L'on écartait le peuple comme s'il n'était pas digne d'approcher de nous ; l'on nous prépara des sièges et des cierges pour assister à une procession que l'on allait faire du très Saint Sacrement.

Le lendemain, il nous pria instamment de venir chez lui pour dîner. Nous y fûmes par complaisance et par honnêteté, pour le remercier de toutes ses civilités, et puis nous revînmes dans notre hôtellerie pour y pratiquer autant que nous pouvions nos exercices de religion.

mission de Mile de Montpensier (la Grande Mademoiselle), propriétaire du terrain. Le 16 octobre 1620, Marie de Bourbon, fille unique du duc de Montpensier, donna par lettres patentes aux religieux capucins le terrain formant tout le plateau. Les capucins furent mis en possession régulière de la chapelle par Durant-le-Saulnier, prêtre habitué de Sainte-Catherine, député par l'évêque de Lisieux dont dépendait la chapelle, le 5 mars 1621, elle fut agrandie et embellie jusqu'à la Révolution.En 1793, elle fut pillée et profanée. Dès 1802, elle fut rendue au culte et les pèlerins ne cessèrent d'affluer. D'après un manuscrit très ancien où sont consignées les grâces et faveurs obtenues par l'intercession de la Vierge sous l'invocation de Notre-Damede-Grâce, on peut relever d'une part les très nombreuses guérisons, d'autre part la protection toute spéciale de Marie sur les marins en péril. Les navires de Honfleur, qui sillonnaient la mer du Nord ou l'Océan, vers Terre-Neuve, étaient à la merci de fréquentes tempêtes, et les ex-voto des marins sauvés par la Vierge sont innombrables. Citons seulement : en 1660 le Saint-François, commandé par Jean Liébard, de Honfleur, revenant d'Amsterdam en France et surpris par une tempête qui dura de dix heures du soir à sept heures du matin ; ayant vu 17 navires se perdre sous ses yeux, l'équipage se recommanda à Notre-Dame de Grâce. Il fut alors porté sur une petite ile voisine où il demeura six semaines et répara ses avaries. Cette nuit là fut fatale à 270 bâtiments montés par 10 000 marins. On comprend qu'avant de s'embarquer pour un voyage aussi lointain que la Pologne, nos religieuses aient tenu à se recommander à Notre-Dame-de-Grâce . (Cf. P. Kappelin, Histoire de la chapelle de Notre-Dame-de-Grâce, Honfleur, 1881).



[photo manuscrit] Signature de M. le curé Talion

(registre de Conteville. Arch. Diocésaines d'Evreux. Eure)


61

Au bout de la ville et tout proche du port, il y a une chapelle dédiée à la très sainte Mère de Dieu, sous le titre de Notre-Dame de Grâces56. Il y a, auprès, de petites chambres pour deux pères capucins qui la desservent huit ou dix mois de l'année ; le reste du temps elle est inhabitable, étant sur une éminence si haute qu'elle commande à la ville et à la mer qui bat au pied et, de plus, elle semble n'être faite que pour recevoir les voeux et les actions de grâces de ceux qui se mettent sous la protection de la Sainte Vierge dans leur navigation, qui ne se fait pas dans l'hiver.

Le seul titre d'honneur de ce lieu d'appartenir à la Mère de Dieu suffisait pour nous exciter à y faire un pèlerinage, tous nos soins et toutes nos dévotions étant, auprès de Dieu, de l'honorer et de la servir.

La bonne coutume du pays et nos besoins présents nous y conduisirent, avec bien de l'espérance d'en être bien assistées dans notre voyage, ce que nous avons éprouvé en plusieurs rencontres.

Ce lieu est très dévôt et très pauvre ; ces bons religieux y souffrent beaucoup ; l'on leur donna de l'argent pour dire des messes.

Notre navire arriva le mercredi au matin, et nous nous disposâmes sans délai à partir, après avoir entendu la sainte messe et communié. Nous entrâmes dans notre navire le mercredi dix-septième de septembre. L'on fit de nouvelles provisions de volaille et des moutons en vie, mais on oublia de changer l'eau, qui nous fut une occasion de grande souffrance. Nous eûmes deux ou trois jours un temps assez tranquille, mais nous n'avançions guère. Après, les vents devinrent si furieux que les vagues venaient jusque dans le vaisseau, qui se remplissait d'eau.

Il fallait donc une grande diligence pour empêcher que cela ne le fît périr ; nous étions dans des alarmes continuelles. Le maître de notre navire nous cachait le plus qu'il pouvait notre danger, mais un jour, quoiqu'il fût luthérien, il pressa fort pour que l'on dit la sainte messe, ce que l'on balançait de faire à cause de l'agitation du navire, et son attente ne fut pas vaine ; nous eûmes plus de calme le reste du jour. Cette tempête convertit un de nos matelots, qui abjura son hérésie à Varsovie et on le plaça bien.

La tempête recommença le lendemain, et le vaisseau était si penché d'un côté qu'il n'y avait pas un demi-pied qu'il ne touchât à la mer ; tout tombait de ce côté-là.

Le maître du navire avait beau à crier pour que l'on passât de l'autre côté, l'on ne pouvait marcher ; il fallait se trainer et se tenir au bois des lits qui étaient assez bien cloués.

Les plus craintives étaient celles qui parlaient le moins, ayant honte de faire paraître leur faiblesse devant le plus grand nombre, qu'elles voyaient pleines d'espérance et de courage.

Nous eûmes après quelques jours un assez beau temps, ce qui nous excita à monter sur le tillac, où nous vîmes la beauté de la mer quand elle est calme. Et nous ressentîmes toutes les effets ordinaires de la mer, dès le premier jour : les maux de coeur et les vomissements furent continuels durant dix-sept jours que nous fûmes sur la mer, et nous étions dans un si grand dégoût que les provisions ne diminuèrent guère ; ainsi notre capitaine en profita. Nous lui faisions pitié et sachant que l'on ne prenait qu'un peu de vin et quelques fruits, il nous en donna, voyant que les nôtres avaient pris fin.

Deux ou trois d'entre nous eurent plusieurs accès de fièvre et souffrirent beaucoup, car nous n'avions plus de volaille pour leur faire des bouillons.

La nuit de saint-Michel, nous eûmes une terrible tempête, et l'endroit où nous étions était très périlleux. Il y avait plus de cinquante bancs de sable à passer et l'on y voyait encore le haut des mâts des navires qui y avaient péri. L'on passa la nuit en prière à se disposer aux ordres de la divine Providence.

Nous réclamâmes instamment le grand saint Michel, qui est un des protecteurs de notre institut ; nous fîmes plusieurs voeux pour nous rendre Dieu propice et le calme succéda à la tempête. Sur les neuf heures du matin, l'on célébra la sainte messe et nous eûmes la consolation de communier et l'on chanta le Te Deum en action de grâces de nous avoir préservés.

Le lendemain, nous eûmes une très grande alarme par l'abord d'un vaisseau, que nous croyions être des pirates ; mais, quand les deux navires furent près l'un de l'autre, notre capitaine connut qu'il appartenait à un de ses amis. Ils se firent de grandes amitiés l'un à l'autre en leur langue allemande, et la 63 conclusion fut que notre capitaine, glorieux de la belle et extraordinaire compagnie qu'il avait dans son vaisseau, la voulut faire voir à son bon ami et nous vint faire prier très instamment, par l'interprète, de monter sur le tillac, pour faire montrer nos personnes.

Nous eûmes assez de peine à y consentir, mais comme il était fort honnête homme et qu'il avait bien de soins et des complaisances pour nous, nous conclûmes qu'il ne fallait pas lui refuser cette satisfaction. Nous y allâmes, mais voilées, comme l'on le doit devant les séculiers.

Ce navire allait en France. L'on leur donna des lettres pour les y porter, desquelles l'on a eu des réponses.

Les derniers jours furent assez doux et favorables. Nous avançions bien, ayant passé la Suède et le Danemarque [Danemark], qui nous parurent fort proches l'un de l'autre. Nous les voyions assez près pour en distinguer les plus élevés bâtiments, comme les citadelles, les tours, les donjons, particulièrement au royaume de Danemarque où, étant arrivés tout proche d'une petite ville nommée Halle-Seigneur 24, où il fallait faire quelque déclaration et payer quelque droit, notre capitaine prit son habit de fête pour paraître dans ce lieu, où il fut contraint d'attendre au lendemain à conclure ses affaires, n'ayant pas trouvé son monde.

Il nous proposa de descendre, ce que nous acceptâmes bien volontiers. Il y en avait plusieurs d'entre nous qui étaient si faibles que nous crûmes que la fermeté de la terre leur pouvait donner de nouvelles forces, comme nous avions ouï dire qu'il était arrivé à d'autres en pareille rencontre, et nous eûmes la joie d'en être convaincues par notre propre expérience.

A notre entrée en cette ville, nous fûmes suivies de toute la populace, nous regardant comme des personnes extraordinaires pour notre façon d'habit que nous n'avions pas changé.

24. Elseneur ou Helsingoer, ville du Danemark, située sur le détroit du Sund. Autrefois, les navires passant par ce détroit devaient payer des droits qui ne furent supprimés qu'en 1857. Un château fort (Kronberg, bâti en 1574) s'élève au nord-ouest de la pointe. Du haut de sa tour on domine un panorama magnifique, qui embrasse la ville de Copenhague et la mer.

En face se trouve Helsingborg, à l'entrée du détroit du Sund, sur la côte suédoise.

Tous les habitants de cette ville étaient des luthériens. A l'arrivée à notre auberge, il s'en trouva qui nous faisaient des compliments, ou plutôt nous disaient des injures que nous n'entendions pas, mais notre interprète, nommé monsieur Chaux, plus d'effet que de nom, les prit à partie, et nous voyions dans leurs manières de part et d'autre bien de l'émotion.

En ayant appris la cause, nous priâmes le dit monsieur Chaux de les laisser dire, que les paroles ne blessent pas et que nous les voulions bien souffrir. « Eh bien, mesdames, si vous voulez bien les souffrir, moi, je ne le veux pas. J'ai l'honneur d'être de votre compagnie ; je ne puis souffrir que l'on traite in-civilement des dames de votre mérite ». Nous lui dîmes : « Ne voyez-vous pas, monsieur, que vous vous faites une méchante affaire et à nous de même ? ». « Patience, mesdames, ne vous fâchez pas ; je ne leur dis pas si grande chose, je leur dis seulement que, s'ils ne se taisent, on les jettera par la fenêtre ».

Monsieur de Chartrin, arrivant sur ces démêlés et en ayant appris la cause, leur parla en latin et les apaisa tous.

Pour le bon monsieur Chaux, il le paya au double, car le soir, étant sorti, il fit encore quelque trait de jeunesse. Ils le prirent et le menèrent au corps de garde, où il passa la nuit, pria, veilla et jeûna plus qu'il n'avait de dévotion.

Le matin, ayant appris cette nouvelle, l'on envoya prier pour sa délivrance, ce que l'on fit à la première requête.

Nous avions déjà dans cette ville du crédit. Dès le même soir, nous eûmes plusieurs visites des dames de qualité. L'on se parlait par interprète. Une des principales dames, qui était catholique, ayant appris qu'il y avait des religieuses et un ecclésiastique avec nous, nous vint trouver en cachette de ses domestiques, craignant que son mari, quoique absent, n'en eût connaissance, car il était luthérien, et elle avait été contrainte par ses parents de l'épouser. Il lui avait promis la liberté de conscience, mais il ne lui tint pas sa parole, la maltraitait fort, lui ayant ôté tous ses livres de prière et de dévotion. Tout cela se dit par interprète, mais pour la confession qu'elle fit à notre confesseur, qui était un homme d'esprit et d'intelligence, il la comprit par ses signes. Cette vertueuse persécutée comptait ce jour pour un des plus heureux de sa vie. Elle eût bien voulu nous accompagner et elle nous quitta avec bien de la douleur.

65

Nous trouvâmes aussi plusieurs soldats français catholiques qui y menaient une misérable vie pour la religion ; ils allaient à la messe des luthériens avec tant de dévotion comme si c'était une église catholique, et je ne sais pas même s'ils n'y communiaient pas. Nous leur dîmes qu'ils ne faisaient pas bien.

Les dames nous vinrent voir le matin et voulurent nous faire voir les beautés de leur ville. Nous passâmes par une église luthérienne très belle, où l'on prêchait ; l'on avait dit la messe à leur mode. Le ministre nous fit un grand accueil, nous montrant leurs ornements et calices. Ils firent jouer leur orgue et leur trompette pour l'amour de nous. Il y a une manière de chapelle bien balustrée où sont les fonts baptismaux, qui sont d'une propreté et beauté charmantes : c'est tout or et azur. Il y a aussi dans cette église un très beau mausolée, fait depuis peu, en l'honneur d'un de leurs plus vaillants capitaines, qui avait été tué à l'armée. Il nous voulurent mener voir le fort, qui était assez proche, mais l'on nous dit que, monsieur le gouverneur étant à la ville, on n'en laisserait entrer que la moitié de notre compagnie à la fois. Nous appréhendâmes quelque surprise et qu'il valait mieux se priver du plaisir de voir ce lieu que de s'exposer, et nous les fîmes remercier.

En revenant, nous rencontrâmes monsieur le gouverneur, qui, par interprète, nous fit beaucoup de compliments et nous voulut ramener au fort, mais nous nous en excusâmes sur ce que nous étions pressées de nous rembarquer.

Les maisons sont très propres et les rues fort agréables. Nous ne séjournâmes que vingt-quatre heures dans cette ville. Nous y rétablîmes un peu nos forces et nous avions dormi une nuit tranquillement. Nous retournâmes donc à notre navire avec une nouvelle vigueur.

A notre arrivée, tous les matelots nous témoignèrent une grande joie et, le maître étant arrivé, l'on mit les voiles au vent et nous commençâmes notre navigation, ayant le vent favorable le reste du temps, qui fut de trois jours.

Le samedi au matin, le 4e d'octobre, nous arrivâmes à la rade de Dantzig.

Notre capitaine sortit le premier pour en donner la nouvelle, nous promettant de revenir bientôt nous quérir ; mais, voyant qu'à midi il ne revenait pas, l'on nous conseilla de sortir, ce que nous fîmes, disant adieu à la mer avec plaisir.

A la descente du navire, nous croyions être dans la ville de Dantzig 25, mais nous fûmes bien surprises qu'après avoir fait bien du chemin à pied et traversé plusieurs rues, il nous fallut encore remonter sur l'eau et entrer dans des petits bateaux pour passer cette petite et agréable rivière. Monsieur le gouverneur envoya nous faire des compliments et nous témoigner qu'il était bien fâché que sa maladie ne lui permettait pas de nous venir recevoir.

A la descente de nos petits bateaux, nous fûmes quelques moments à ne savoir où prendre logis, L'on ne savait rien de notre arrivée. Monsieur et madame Romain, auxquels Sa Majesté avait donné ordre de nous recevoir à Dantzig, n'y étaient pas ce jour-là, et ils nous avaient tant attendus qu'ils ne nous attendaient plus.

Mais monsieur Mathis, marchand banquier, en ayant appris la nouvelle, nous vint trouver, sachant bien qu'il rendrait un service agréable à Sa Majesté, et nous mena dans une grande et belle auberge où logent tous les Français.

Le maître du logis s'appelait monsieur Pain, un très honnête homme et catholique. Monsieur Mathis et madame sa femme furent bien affligés de nous voir si mouillées, car il avait plu toute la journée, et surpris de ce que nous avions nos habits de religion. L'on travailla promptement à sécher nos hardes, à nous apprêter des lits et le souper.

25. Dantzig ou Gdansk. Dès le X' siècle, c'était une importante cité, que la « Vie de saint Adalbert » qualifie de « Urbs s, ce que confirmèrent les fouilles archéologiques. Avec toute la Poméranie riveraine de la Vistule, Gdansk faisait partie de l'État des premiers Piast.

En 1466, la ville fut définitivement incorporée au royaume de Pologne mais en 1793 elle fut donnée à la Prusse. Au XVI' et XVII' siècles, c'était une des plus opulentes cités d'Europe et le commerce y était florissant. Dantzig était le port d'exportation du blé et du bois polonais vers les marchés d'Occident. L'axe de la Vieille Ville est formé par la belle rue Longue (Dluga) et son prolongement, le Long Marché (Dlugi Targ). La Porte d'Or (Brama Zlota) et la Porte Verte (Brama Zielona) verrouillent les extrémités de cette voie centrale. L'église Notre-Dame, de style gothique, est la plus grande de Pologne et l'une des plus vastes d'Europe : 25 000 personnes y trouvent aisément place (Cf. Pologne, de la Baltique aux Carpates, Varsovie, 1975). Le port est situé près de l'embouchure de la Vistule et de la Leniwka. Le centre de la ville se trouve à 5 km de la Baltique. En 1919, Gdansk devint « Ville libre », possédant une administration autonome, mais la Pologne avait libre accès au port (Cf. Pologne, Précis de géographie, d'histoire et de culture, Warszawa, 1959).

67

Nous trouvâmes à notre arrivée une lettre de notre très digne Mère institutrice, laquelle, entre plusieurs choses qu'elles nous mandait, nous ordonna de faire une élection de la supérieure, connaissant bien que l'humilité de la mère de Sainte-Gertrude [Petault de Molette], la plus ancienne de la compagnie, ne lui permettrait pas d'en faire plus longtemps la fonction.

L'on demandera peut-être pourquoi l'on ne l'avait pas fait avant que de partir de France... Je ne trouve pas des raisons plus fortes que celles de l'humilité des anciennes qui, appréhendant toutes plus l'honneur que la peine ou la charge, différaient toujours la nomination, ce qui n'apporta aucun préjudice au bon ordre et règlement dans le voyage, chacune rendant toujours l'obéissance et soumission à son ancienne, que notre bienheureux père Saint-Benoît nous ordonne, dans notre sainte règle, au même degré d'humilité [ Règle saint Benoît ch. 7 et 71].

Pour satisfaire donc à l'ordre que nous avions reçu de notre très digne mère, l'on travailla à l'élection et, pour ne rien faire que dans l'esprit de Dieu et pour sa gloire, nous fûmes le dimanche matin, le cinquième d'octobre, qui était la fête de saint Placide, à l'église des révérends pères carmes 26, implorer l'assistance de la sainte Mère de Dieu, notre première supérieure et abbesse, la suppliant de nous obtenir les lumières pour faire un bon choix.

Après la messe et la sainte communion, étant dans une chapelle, nous portâmes nos billets, sans les cérémonies ordinaires, entre les mains de monsieur du Chartrin, notre confesseur. L'ouverture et la lecture s'étant faites devant toutes, la pluralité des voix se trouva pour la révérende mère de Jésus [Petigot], une des anciennes, qui était maîtresse des novices. Ce fut elle qui fut seule affligée de la compagnie, sachant bien les grands travaux et les peines d'une nouvelle maison. Il n'y eut que la soumission à la très sainte volonté de Dieu qui la fit plier sous un si pesant joug.

26. Les carmes chaussés arrivèrent en Pologne vers la fin du XIVe siècle. Cet ordre prit un très grand essor dans le pays. Entre 1918 et 1939, il y avait neuf maisons de cet ordre.

Les carmes déchaussés développèrent leur activité en Pologne en 1605. Autrefois, ils avaient deux provinces, l'une polonaise, l'autre lituanienne. Entre 1918 et 1939, ils possédaient six couvents.

Les carmélites déchaussées arrivèrent en Pologne en 1612 où elles avaient six couvents (Cf. DTC).

68

Avant que de sortir de cette église, il faut vous dire la douleur qu'elle nous donna, la voyant dans une destruction pitoyable par une sédition populaire des luthériens, mécontents contre ces révérends pères.

Il y avait encore plusieurs de ces séditieux en prison, pour punition de leurs crimes : les chapelles étaient brisées, les autels renversés, les images déchirées, particulièrement un tableau de la sainte Mère de Dieu, qui semblait être encore dans la douleur de tous les sacrilèges et impiétés qu'ils commirent contre la personne adorable de son très cher Fils au très Saint Sacrement. Ils prirent les saintes hosties, les foulèrent aux pieds, les jetèrent dans la boue, burent dans les calices et les saints ciboires et battirent cruellement les religieux. Le seul récit nous toucha sensiblement.

L'on nous conta une autre histoire miraculeuse d'un crucifix, lequel, dans une assemblée que les catholiques et les luthériens faisaient pour quelque dispute de religion dans une église, étant séparés chacun de leur côté, le crucifix se tourna la tête du côté des catholiques. Nous allâmes à cette église et nous avons vu de nos yeux ce crucifix, qui est extraordinairement tourné et penché.

Les dix jours que nous restâmes à Dantzig, nous allâmes presque tous les jours à la messe à cette chapelle royale, qui était près de nous. L'on y jouait des instruments et l'on y chantait en musique pour l'amour de nous.

Nous fûmes pourtant un jour à la messe à une abbaye des religieuses de sainte Brigitte 27. Il se trouva qu'une novice faisait profession ; il y avait beaucoup de monde.

27. Nom populaire des religieuses de l'ordre du Saint-Sauveur, fondé par sainte Brigitte de Suède. Celle-ci, née en 1303, était la fille du gouverneur de l'Opland et alliée à la maison royale. Mariée à 13 ans à Ulf Gurdmarson, elle en eut huit enfants, parmi lesquels Catherine, qui fut canonisée. Après la naissance de leur 8e enfant, ils firent un pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle. A son retour en Suède, Ulf Gurdmarson entra à l'abbaye cistercienne d'Alvastra, en Suède, où il mourut en odeur de sainteté en 1344.

En 1363, Brigitte fonda à Wadstena, près de Linkoeping, en Suède, l'ordre du Saint-Sauveur, sur le modèle de Fontevrault. Mais elle-même n'y fit pas profession. Elle alla en pèlerinage en Terre sainte avec sa fille Catherine en 1371 et revint à Rome en 1373, où elle mourut, le 23 juillet.

Elle s'était aussi donné pour mission de faire revenir à Rome les papes d'Avignon, comme sa contemporaine Catherine de Sienne. La Règle de son ordre fut approuvée par Urbain V en 1370. (Cf. Catholicisme, t. II).

L'église Sainte-Brigitte à Dantzig fut construite à la fin du XV' s. puis remaniée dans le style renaissance. Elle fut détruite en 1945.

69

Les dames religieuses étant toutes dans leur choeur, quelques dames de leurs amies leur dirent que nous étions dans l'église. Elles nous firent prier de les aller voir, nous firent entrer dans le monastère, nous régalèrent très bien et nous comblèrent d'amitié. Elles étaient dans un si grand embarras pour le monde qu'elles avaient à traiter qu'elles nous laissèrent aisément aller. Mais nous fûmes bien surprises que, quelques jours après, elles nous envoyèrent une dame de qualité avec trois carrosses pour nous prier instamment de les aller voir. Quelque résolution que nous avions faites de nous tenir retirées pour nous reposer, l'on ne put pas refuser une si grande civilité. Elles nous reçurent fort cordialement et nous traitèrent magnifiquement.

Madame Romain, ayant appris notre arrivée à Dantzig, vint aussitôt pour nous témoigner le déplaisir qu'elle avait de ne s'y être pas trouvée et nous régala fort bien.

Nous partîmes le mardi, le quatorzième d'octobre, dans des carrosses qui nous menèrent jusqu'à Varsovie, où nous fûmes reçues par madame Kotowska, qui avait ordre de la reine pour nous conduire au château, et le concierge eut soin de nous donner tout ce que nous avions besoin jusqu'à l'arrivée de leurs Majestés.

Les dames nous vinrent voir aussitôt, et elles furent édifiées de voir comme nous travaillions à nous accommoder.

Nous disposâmes si bien toutes choses que le premier dimanche de l'Avent nous reprîmes toutes nos saintes pratiques ; nous couchâmes sur nos paillasses avec nos draps de serge et nous observâmes l'abstinence de viande et le jeûne.

La reine arriva le jour de saint Jean l'évangéliste, 27 décembre au soir, et ne voulut pas loger au château que le roi ne fût venu.

Sa Majesté vint le même jour à neuf heures du soir nous donner des marques très sensibles de sa grande bonté pour nous. Elle fit son entrée d'une manière si agréable et si charmante qu'on ne le peut exprimer ; et elle voulut nous surprendre, empêchant que nous ne sussions son arrivée. Sa Majesté eut la bonté d'amener avec elle mesdames ses soeurs 28, ma-



dame la Marquise de Béthune et madame la Chancelière, qu'elle fit passer devant elle pour voir si nous la distinguerions bien. Mais il faut vous dire que, sans compter la beauté et les grâces dont la nature l'a si libéralement partagée qu'elle efface toutes celles de son royaume, elle a un air majestueux et qui imprime du respect. Nous ne nous trompâmes pas. Nous nous jetâmes à ses pieds, et Sa Majesté nous donna sa main à baiser et nous fit tant d'amitiés que nous trouvâmes que nous étions bien récompensées de toutes les peines que nous avions souffertes dans notre voyage. Elle nous fit coucher au palais de Saint-Casimir 29. Il ne se passait guère de jour que Sa Majesté ne nous fit l'honneur de nous venir voir et nous faire conter les aventures de notre voyage, qu'elle écoutait avec plaisir.

Sa Majesté donna si bon ordre que l'on nous mit en clôture, hormis du côté de l'appartement de leurs Majestés, mais personne n'y entrait qu'avec la permission de la reine.

La chapelle fut disposée et les grilles placées pour le premier jour de l'année.

Une de nos soeurs novices fit un jour une petite harangue à la reine. L'on le souffrit pour le divertissement de Sa Majesté qui, par complaisance, l'approuva et la loua. Cette jeune soeur

28. Les soeurs de la reine Casimire sont :

Louise Marie, Dame d'atour de la reine Marie Thérèse, qui épousa François Gaston de Béthune, marquis de Chabris, dit le marquis de Béthune. La marquise de Béthune mourut à Paris le 11 novembre 1728, âgée d'environ quatre-vingt-quatorze ans ; son corps fut enterré aux capucines (fondées en 1686) à Paris et son coeur porté à Selles, en Berry, chez les religieux de la Charité.

Marie Anne, qui épousa à Léopol le 19 juin 1678, Jean, comte de Wielopolski, grand chancelier de Pologne, ambassadeur extraordinaire en France en 1686, décédé le 15 février 1688.

Françoise-Marie de La Grange d'Arquien, soeur saint Bonaventure, fit profession en l'abbaye bénédictine de Saint-Laurent de Bourges le 27 mars 1685, où elle était entrée probablement en 1683 (les registres de l'abbaye n'ont conservé ni la date d'entrée, ni celle de la vêture monastique). La soeur Saint-Bonaventure ne semble pas avoir rempli des charges considérables dans la communauté. Elle mourut le 9 janvier 1715, un an avant le décès de sa soeur, la reine de Pologne, qui était venue achever sa vie au château de Blois et eut peut-être la joie de revoir ainsi sa soeur, moniale à Bourges. (Cf. Dom Rabory, Les bénédictines de Saint-Laurent de Bourges, 1891).

Jeanne, religieuse chez les ursulines à Nevers.

29. Le palais était placé sous le patronage de saint Casimir, fils de Casimir 1V, roi de Pologne, et d'Élisabeth d'Autriche. Né le 5 octobre 1458, il fut proposé pour la couronne de Hongrie. Il mourut à Vilna le 4 mars 1483. On le considère comme le patron de la Pologne. Il fut canonisé en 1522 par le pape Léon X.

Le palais était situé dans la vieille ville de Varsovie, près de la primatiale saint Jean-Baptiste. Jean III Sobieski avait fait construire un palais d'été à Wilanow.

71 avait de l'esprit et s'était plus occupée de sa harangue qu'à l'oraison mentale. Son découragement pour la religion nous en fut une preuve convaincante. Elles furent deux qui renoncèrent au service de Dieu pour s'attacher à celui des créatures, la récompense temporelle et présente leur donnant plus dans les yeux que la future et bienheureuse éternité.

Le dernier jour de l'an, le roi 30 arriva à Varsovie et vint descendre au château. La reine s'y trouva aussi.

30. Jean III du nom, grand duc de Lituanie, promu chevalier de l'ordre du Saint Esprit fait à Zolkiev, en Pologne, le 30 novembre 1676. Né le 2 juin 1624 à Olesko, en Galicie, il mourut à Willanow, près de Varsovie, le 17 juin 1696, âgé de 72 ans. Fils de Jacques Sobieski, castellan de Cracovie, ambassadeur extraordinaire de Pologne auprès d'Osman, empereur des Turcs, et de Théophile Danilowicz, petite-fille du connétable Stanislas Zolkiewski.

Jean III épousa le 6 juillet 1665, Marie-Casimire de la Grange d'Arquien, veuve de Jacob de Radziwill, prince de Zamosc, palatin de Sandomir. voïvode de Kiev. Marie Casimire était fille de Henri de la Grange, marquis d'Arquien, depuis chevalier des ordres du roi et cardinal, et de Françoise de la Chastre- Brillebaut.

Du mariage de Jean Ill et Marie-Casimire, naquirent huit enfants.

I. Jacques Louis Henri, prince royal de Pologne et du Grand Duché de Lituanie, chevalier de la Toison d'Or et gouverneur de Styrie, né à Paris le 2 novembre 1667.

Louis XIV fut son parrain et Henriette d'Angleterre, veuve de Charles IC, sa marraine. Décédé à Zolkiev le 17 décembre 1737. Il avait épousé le 25 mars 1691, Hedwige, Elisabeth de Bavière, fille de Philippe Guillaume de Bavière, électeur palatin, duc de Neubourg, et d'Élisabeth Amélie de Hesse-Darmstadt ; ils eurent comme enfants .

1. Marie Léopoldine-Éléonore-Claude-Madeleine, née le 3 janvier 1693, décédée le 12 juillet suivant. 2. Marie-Casimire, née le 20 juin 1695, décédée le 28 mai 1723. 3. Marie-Charlotte, née le 15 novembre 1697, mariée le 20 septembre 1723, à Frédéric Maurice Casimir de la Tour d'Auvergne, prince de Turenne, puis, devenue veuve après dix jours de mariage, elle épousa en deuxième noces, le 1« avril 1724, Charles Godefroy de la Tour d'Auvergne, prince de Bouillon, frère de son premier mari. Elle décéda le 9 mai 1740 dans son château d'Olaw en Silésie. 4. Jean Sobieski, né le 21 octobre 1699, décédé le 18 juillet 1700. 5. Marie-Clémentine, née le 18 juillet 1702 et décédée le 18 janvier 1735 ; mariée à Rome le 3 septembre 1719 à Jacques Edouard Stuart, connu sous le nom de chevalier de Saint-Georges, fils de Jacques II, roi d'Angleterre, et de Marie d'Este Modène, dont naquirent le prétendant au trône d'Angleterre, Charles Edouard,décédé en 1788, et le cardinal d'York, mort en 1807. 6. Marie Magdelaine née le 4 août 1704, morte aussitôt après avoir reçu le baptême.

II. Louise Adelaide, née en 1671, décédée en 1677.

III. Thérèse Charlotte-Casimire princesse de Boulogne née le 3 mars 1676, mariée le 15 août 1694 à Maximilien Emmanuel, électeur, duc de Bavière. Elle décéda à Venise le 11 mars 1731. Son corps fut porté à Munich.

IV. Alexandre Benoit Stanislas, prince de Pologne, né à Dantzig le 6 décembre 1677. Il mourut à Rome le 19 novembre 1714, ayant fait, peu auparavant, profession de la règle des capucins, en l'église desquels il est enterré. Il avait reçu le collier de l'ordre du Saint-Esprit en l'église Saint-Louis à Rome.

V. Constantin Philippe Vladislas, né le 1« mai 1680, mort à Zolkiev le 28 juillet 1726. Il reçut le collier de l'ordre du Saint-Esprit en même temps que son frère. Les trois autres enfants sont morts en bas âge.

72

Monseigneur l'évêque et ses ecclésiastiques apportèrent le très Saint Sacrement à la chapelle du château pour en donner la bénédiction à Leurs Majestés, car c'est la sainte coutume de ce prince très chrétien de commencer et de finir tous ses voyages par la visite du très Saint Sacrement, l'invocation de la très sainte Mère de Dieu et des saints, par l'entremise des prêtres qui font plusieurs prières et bénédictions sur la tête des voyageurs.

Le roi étant entré dans la chapelle, l'on y fit un grand salut. A la fin nous chantâmes le Te Deum et Domine salvum fac Regem. Après, la reine nous fit descendre de notre tribune pour nous présenter au roi, qui nous reçut avec une bonté surprenante. Nous eûmes l'honneur de lui baiser la main. Il loua beaucoup le chant et nous promit sa protection, disant que notre institut avait de très solides pratiques de dévotion.

La reine fit récit au roi de tous nos exercices et austérités. Sa Majesté lui dit qu'il espérait que nous attirerions les bénédictions du ciel sur le royaume et sur lui et, ayant appris que nous allions commencer notre adoration perpétuelle et passer la nuit devant le très Saint Sacrement, que nous n'avions pas encore pu avoir, il n'y voulut point consentir et dit que le très Saint Sacrement n'était pas venu pour nous, qu'il voulait que l'on se reposât encore, et ordonna de reporter le Saint Sacrement à l'église de Saint-Jean 31, ce que l'on fit en procession. Nous ne laissâmes pas, suivant les saintes coutumes de notre institut, de nous lever avant minuit pour faire l'acte d'offrande 32.

Le premier jour de l'année, nous récitâmes les matines en choeur et les autres offices à l'heure prescrite.

Jean III avait une soeur, Marie, qui épousa un Radziwill ; ils eurent un fils Stanislas Casimir.

31. Située près de la place du Château, la cathédrale Saint-Jean-Baptiste, la plus ancienne église de Varsovie, fut fondée au XIII' siècle, à la date même de la création de Varsovie comme capitale. Son architecture est de style gothique.

32. Dès la fondation de notre institut, mère Mectilde avait établi la coutume de passer en retraite silencieuse les trois derniers jours de l'année. Le 31 décembre, les soeurs se réunissent et après une exhortation de la mire prieure, se demandent pardon mutuellement de tous les petits manquements à la charité fraternelle dont elles se sont rendues coupables au cours de l'année, afin de recommencer une année nouvelle dans la paix et la charité. A minuit, les soeurs réunies au choeur offrent à Dieu l'année, la mère prieure lit un acte d'offrande que mère Mectilde avait composé, puis suit l'office de nuit. (Voir le texte de l'acte d'offrande en appendice).

73

Monseigneur l'évêque Witwicki 33, notre supérieur, chanta la grand-messe, à laquelle nous renouvelâmes nos voeux, en présence du roi et de la reine, dont ils furent fort édifiés.

Ce jour-là, nous commençâmes l'adoration perpétuelle. La reine prit un grand soin de nous donner toutes les choses nécessaires pour notre usage et pour la décoration de notre église.

Tout le temps que Sa Majesté séjourna à Varsovie jusqu'à son départ pour la diète de Grodno 34, elle ne manqua pas de nous venir voir tous les jours pour nous donner quelques preuves de sa bienveillance.

Leurs Majestés furent de retour pour la semaine sainte et assistèrent à nos « Ténèbres » 35. Nous fûmes huit mois au château et, pendant ce temps, Sa Majesté fit préparer le palais qu'elle avait dessein de nous donner. Elle mit la première pierre à notre église avec bien de la solennité. Notre translation se fit le dimanche vingt-septième de juin 1688 avec une grande solennité, comme à la procession du Saint Sacrement.

La reine nous mena dans la chapelle où étaient le roi et toute la cour, monseigneur le nonce Pallavicini 36 et les évê-

33. Posen, actuellement Poznan, archevêché, dont Varsovie dépendait au plan ecclésiastique à l'époque de notre fondation. L'évêché de Varsovie ne fut créé qu'entre 1796 et 1801 et devint siège primatial avec sept suffragants entre 1801 et 1825. Posen, capitale du Grand-Duché de Posnanie, au confluent de la Sybina et de la Wartha, est une ville très ancienne (Xe siècle) qui fut pendant quelque temps capitale de la grande Pologne. Anéantie par les guerres du XVIIe siècle, elle fut donnée à la Prusse lors du deuxième partage de la Pologne en 1793. En 1808, Napoléon la réunit au Grand Duché de Varsovie, mais, en 1815, elle fit retour à la Prusse. (Cf., C. Bihlmeyer, Histoire de l'Église, t. IV, Mulhouse, 1967).

34. Au XVIIe siècle, la Pologne s'étendait assez profondément dans les États baltes et en Russie. La Diète, sorte de parlement, réunissant les seigneurs et hauts dignitaires ecclésiastiques, civils et militaires, avait des sessions régulières et élisait le roi de Pologne. En 1688, Grodno était la capitale d'une province russe. La ville se trouve tout près de la frontière de la Lituanie et de la Pologne. Les Diètes polonaises se tenaient alternativement à Varsovie ou à Grodno, sur la rive droite du Niemen.

35. Office composé de psaumes et de lectures tirées du prophète Jérémie. Il se récitait avant le lever du jour les jeudi, vendredi et samedi saints. Chanté ou récité, cet Office tire son nom bien plus de la participation de l'Église aux souffrances du Christ qui vont le conduire à la mort pour le salut du monde qu'à l'heure de la journée où il est célébré.

36. Obizzo Pallavicini, né à Gênes le 13 octobre 1632, nonce en Toscane, à Cologne puis en Pologne de 1680 à 1686, crée cardinal le 2 septembre 1686, évêque de Spolète 28 novembre 1689, puis d'Osimo 8 août 1691, il décéda à Rome le 11 février 1700. Conjugant ses efforts avec le nonce à Vienne, Buonvisi, il parvint à réconci-

ques, l'un desquels porta le très Saint Sacrement sous le dais.

Le roi donna la main à la révérende mère prieure, la reine mena la mère sous prieure, messeigneurs les princes chacun une religieuse. Les dames prirent aussi des religieuses et des novices et les six jeunes pensionnaires.

Les trompettes, les cymbales, les violons et les musiciens, tour à tour, faisaient leurs symphonies d'une manière très agréable et dévote.

Étant arrivées à l'église, l'on exposa le très Saint Sacrement et on chanta une messe à la royale, après laquelle on fit un sermon à la louange du roi et de la reine sur leur grande piété envers le très Saint Sacrement. A la fin de la cérémonie, nous nous mîmes à genoux devant monseigneur le nonce, qui nous donna à baiser des saintes reliques.

Le roi et la reine se retirèrent dans leurs chambres et nous demeurâmes libres pour quelques heures. Durant cet intervalle, on dressa des tables en plusieurs chambres, la reine ayant donné ses ordres pour traiter le mieux toute la cour et pour rendre cette cérémonie plus célèbre. Tout y était magnifique. Le roi avait à sa table monseigneur le nonce ; les seigneurs : les évêques et les sénateurs ; la reine était dans une autre chambre avec monseigneur d'Arquien 37, son père, les dames de la cour

lier l'empereur d'Autriche et le roi de Pologne ; le 31 mars 1683 ils signaient une alliance contre les Turcs ; et le 12 septembre de cette même année, Jean III Sobieski, après avoir servi la messe, conduisit la fameuse charge de Kahlemberg qui mit en déroute l'armée turque. (Cf. Encyclopedia Cattolica, IX, 1952, col. 642-644). Radziejowski Michel, né le 3 décembre 1645, mort à Dantzig le 30 octobre 1705. Il était fils de Jérome Radziejowski, staroste de Tomzen, et d'une fille du comte de Fornow, et avait été élevé en France au collège d'Harcourt par les soins de la reine Marie-Louise de Gonzague. Nommé par Sobieski à l'évêché de Warmie en 1679, il avait été fait cardinal en 1686. (Cf. Recueil des instructions données aux Ambassadeurs et Ministres de France, notes par Louis Farges, Paris, 1888).

37. Henry de La Grange, marquis d'Arquien, de Beaumont, de Prie, d'lmphy, etc., né à Calais, le 8 septembre 1613, maitre de camp du régiment de cavalerie du duc d'Orléans et capitaine de ses gardes suisses, fut fait chevalier des ordres du roi et reçut le collier dans l'église de Zolkiev (Pologne), le 13 avril 1694, des mains du roi de Pologne Jean III Sobieski en présence de l'ambassadeur de France (le marquis de Béthune) et des principaux seigneurs polonais. Il épousa en premières noces Françoise de la Châtre, fille de Jean-Baptiste de la Châtre de Brillebaut et de Gabrielle Lamy (+ 1672). Après son veuvage il partit en Pologne près de la reine, sa fille, qui lui procura le chapeau de cardinal, qu'il reçut le 12 novembre 1695. Il mourut à Rome le 23 mai 1707 et fut enterré à l'église Santa Maria della Vittoria des carmes déchaussés. Il eut sept enfants dont : deux garçons et cinq filles.

Anne Louis de la Grange, marquis d'Arquien et comte de Maligny. Passé en

75 et les religieuses. Cela était entremêlé des dames et des religieuses. Madame la princesse de Boulogne Thérèse Sobieska avec les seigneurs, les jeunes princes, ses frères, étaient dans une troisième chambre ; et nos soeurs novices et les demoiselles pensionnaires mangeaient au réfectoire.

Cette grande solennité étant passée, tout le monde se retira et nous nous trouvâmes bien agréablement dans notre chère solitude que nous avions tant souhaitée, mais la reine nous venait voir souvent et assistait à nos dévotions.

La sortie de ces deux novices donna occasion de faire venir quatre postulantes l'année suivante 1688, qui firent trois mois d'épreuve dans la première maison de Paris et arrivèrent le quatorzième d'octobre.

Le roi et la reine étaient pour lors en Russie et n'arrivèrent qu'au commencement de l'Avent. L'année de probation de nos deux soeurs novices étant accomplie, l'on disposa tout ce qui était nécessaire pour leur profession, qui avait lieu un dimanche, le neuvième de janvier 1689, en présence du roi et de la reine et de toute la Cour. Sa Majesté les habilla elle-même, et on voyait qu'elle prenait un singulier plaisir à faire cette cérémonie.

Le deuxième de février, la reine choisit ce jour-là pour donner le saint habit à cinq postulantes, parce que ce jour, qui est la fête de la Purification de la très sainte Vierge, elle fut couronnée. Elle assista à cette cérémonie avec bien de la joie, le roi vint aussi avec toute sa Cour. La reine a fait toujours les dépenses de toutes les professions et de toutes les vêtures.

L'après-dîner, on fit les cérémonies du baptême de mademoiselle de Béthune 38, nièce de la reine, dans notre église.

Pologne, celui-ci obtint de la République les lettres d'indigénat dans la Diète de Varsovie le 6 mai 1690, fut colonel d'un régiment de dragons du roi de Pologne, capitaine de ses gardes et staroste de Hierdersec.

Louis de la Grange dit le chevalier d'Arquien tué au siège d'Orsoy en 1672. Les quatre filles sont indiquées à la note 28 de ce chapitre.

38. Hippolyte de Béthune, comte de Selles, marquis de Chabris, né à Rome le 19 septembre 1603, eut le pape Clément VIII pour parrain. Il mourut le 24 septembre 1665. La maison de Béthune possédait le fief de Selles-sur-Cher (Loir-et-Cher). C'est Philippe de Béthune, frère de Sully, qui fit construire le château de Selles. Une abbaye fut fondée à Selles au VI' siècle par saint Eunice, dont parle Grégoire de Tours. Chabris est dans le département de l'Indre.

Hippolyte de Béthune épousa, le 29 novembre 1629, Anne Marie de Beauvillier

76

L'année de nos cinq novices étant accomplie, l'on demanda à la reine quel jour elle voulait destiner à cette cérémonie. Elle choisit le seizième de février 1690, qui était un jeudi. Cela se fit avec les mêmes démonstrations de joie qu'à la vêture.

Comme les prospérités de cette vie ne sont jamais de longue durée, nous eûmes la plus sensible croix qui nous pouvait arriver de la mort du roi, qui arriva le jour de la très sainte Trinité [ 17 juin] de l'année 1696.

Louis XIV, roi de France, en fut fort affligé. Sa Majesté avait connu son mérite quand le roi de Pologne l'envoya pour être ambassadeur en France vers 1667 avec madame son épouse.

qui fut dame d'atours de la reine Marie Thérèse d'Autriche et mourut le 12 novembre 1688, âgée de 78 ans ; elle fut inhumée dans l'église de notre monastère, rue Cassette, à Paris.

De ce mariage naquirent onze enfants dont François Gaston, le quatrième, était né à Selles le 13 mai 1638. Le 11 décembre 1668, il épousa Marie Louise de la Grange d'Arquien, soeur de la reine de Pologne, Marie Casimire.

Le marquis de Béthune fut envoyé extraordinaire pour le mariage de Philippe de France, duc d'Orléans, avec la princesse palatine en 1671. De nouveau envoyé extraordinaire en Pologne, en 1674, pour féliciter le roi Jean III Sobieski, lors de son élévation au trône. Au retour, il fut créé chevalier des Ordres du roi (22 décembre 1675) et chargé d'en porter le collier au roi de Pologne, son beau-frère ; il le lui remit dans l'église de Zolkiev, le 30 novembre 1676. Il fut ambassadeur de France en Pologne de 1676 à 1691, puis ambassadeur extraordinaire en Suède, où il mourut le 4 octobre 1692. De son mariage avec Marie-Louise de la Grange d'Arquien, il eut deux fils et deux filles. La seconde fille est probablement celle qui fut baptisée dans l'église de notre monastère.

1. Louis, tué à la bataille de Herschter.

2. Louis Marie Victor, qui épousa 1° Henriette de Harcourt Beuvron, fille de François de Harcourt et d'Angélique Fabert sa seconde femme, et 2° Françoise Potier de Tresmes.

3. Marie Catherine, née en Pologne en août 1677, qui épousa en premières noces, le 22 mai 1690 (à Varsovie en l'église Saint-Jean-Baptiste), Stanislas Casimir, prince de Radziwill-Kleski, neveu du roi de Pologne, grand maréchal de Lituanie ; et en secondes noces en 1692, Sapieha, petit maréchal de Lituanie. La famille Sapieha est : une des plus illustres et des plus puissantes... de Lituanie, laquelle a toujours été de tout temps affectionnée à la France et qui est aujourd'hui attachée au roi de Pologne... fortement unie avec le prince Radziwill, vice-chancelier de Lituanie... » (A.E. Pologne, t. LXVIII, F° 289, Mémoire de Forbin-Janson).

4. Jeanne Marie, qui épousa le 6 février 1693, à Grodno, Jean Stanislas, comte de Jablonowski, grand enseigne de Pologne, palatin de Volhynie, puis de Russie et oncle de Stanislas Leszczynski. De ce mariage sont nés trois garçons et trois filles dont l'une, Louise, fut prieure du monastère de Lwow. (Cf. P. Anselme, Histoire des grands officiers de la couronne ; et Romieu Maurice, Histoire de Selles en Berry et de ses Seigneurs, Romorantin 1899).

77

Sa Majesté française le combla d'amitié et lui en donna des marques très certaines. Quand le roi Michel mourut, il envoya un ambassadeur en Pologne pour inspirer à tous les seigneurs et à la noblesse de faire choix de sa personne et envoya cinq millions pour faire cette faction, qui réussit très heureusement.

Notre roi Jean III n'a jamais oublié les obligations qu'il avait eues à Louis XIV et il protégea tous les Français qui sont venus en Pologne ; nous en avons fait l'expérience et il avait bien dessein d'aider la reine pour nous rachever de bâtir.

Voici un éloge que l'on a fait après sa mort de toutes ses vertus et ses louables qualités :

« Quand trouveront-ils de semblable ? »

« Vous qui passez par ce lieu saint, arrêtez-vous pour y considérer des dépouilles éclatantes de l'honneur et de tristes dépouilles de la mort, pour y admirer un exemple de la gloire la plus élevée et un exemple de la caducité humaine, pour y rendre vos respects à un auguste roi enfermé dans ce tombeau ». « Ce roi, ce grand roi, était Jean III, dont le nom et les glorieuses actions ont été portées et admirées dans les parties du monde les plus éloignées. Il naquit en Russie de la très ancienne et très illustre famille Sobieski, d'où sont sortis plusieurs héros. Il est difficile de rapporter ici tout ce qu'il a fait dès son bas âge. Il cultiva les belles-lettres, il s'attacha aux armes dans sa jeunesse et il s'y distingua par son courage. Sa valeur lui fit mériter bientôt l'emploi de grand enseigne ; peu de temps après, la dignité de grand général, parce qu'il excellait en toutes les sciences, particulièrement dans celles des lois, que sa sagesse, sa prudence étaient connues et révérées de tout le monde. Il obtint aussi la charge de grand maréchal du royaume, de sorte qu'il posséda ensemble les deux premières dignités du royaume, de l'épée et de la robe, et ne vit plus au-dessus de lui que son seul roi.

Le trône venant à vaquer il ne se trouvait personne d'égal à lui, soit en dignité, soit en mérite. Il fut élu roi du commun consentement de la noblesse en 1674. Il crut aussitôt qu'il était plus estimable d'avoir mérité la royauté que d'en posséder les augustes marques. C'est pourquoi, sans attendre qu'il fût sacré, il monta à cheval pour aller faire tête aux Turcs qui ravageaient Vienne. Il les combattit et remporta sur eux une vic79toire signalée. Après deux ans de fatigues et de travaux, il revint à Cracovie, chargé et couronné des lauriers. Il y fut enfin sacré, orné du sceptre et de la couronne, qu'il venait de mériter une seconde fois. Il fut assis sur le trône avec Marie-Casimire d'Arquien, son épouse, d'une des premières maisons de France, déjà souveraine depuis longtemps de tous les coeurs par les rares qualités de son esprit et de son corps, estimée des grands, aimée du peuple à cause de sa piété et de sa charité envers les pauvres.

Après quelques années, Léopold, empereur d'Allemagne, se retira de Vienne à l'approche des Turcs, qui venaient assiéger cette ville. Léopold affligé, Vienne désolée, implorant le secours de Jean III, il fut touché de la mauvaise fortune de Léopold, des malheurs de Vienne. Il résolut donc de secourir l'empereur, de chasser les Turcs de devant Vienne. Après avoir surmonté les difficultés du long voyage, suivi d'une puissante armée, il parut à la tête de ses troupes sur les avenues (les abords] de Vienne, s'étendit dans les plaines, observa le camp et les retranchements des ennemis, les y attaqua, les y força, les mit en déroute et les vainquit ainsi en peu de temps.

Léopold fut donc consolé et Vienne délivrée, qui était aux abois, prête à succomber. Cette action doit être regardée comme un prodige de sa valeur.

L'histoire ne nous fournit aucun exemple de victoire aussi illustre ; toute la postérité doit s'en souvenir. On peut dire avec vérité qu'il a semblé que cette victoire avait brisé les fers que l'Allemagne et la chrétienté étaient menacées de porter bientôt.

Que puis-je dire davantage de Jean III ?

Il a toujours été très équitable ; il chérit sa patrie extrêmement ; il recevait les grands avec beaucoup d'honneur, les petits avec une grande bonté. Il était fort pieux.

Le monastère des capucins, qu'il a fait bâtir à Varsovie, celui des carmélites et celui des frères de la Charité, qu'il a fait aussi bâtir à Léopol, les maisons des missionnaires 39, sont des témoignages certains de sa piété.

Quoiqu'il fût né comme pour les armes et la guerre, cependant il a maintenu toujours la concorde entre les grands, la tranquillité entre les bourgeois, la paix dans les campagnes, dans le temps même que toute l'Europe était en trouble, que le feu de la guerre était allumé partout.

Son règne a été de vingt-deux ans. Il est mort le dix-septième de juin, jour de la Sainte Trinité. Il fut proclamé roi cette même fête.

Priez pour le protecteur de la religion, pour un très bon, très grand roi ».

La mort du roi nous priva aussi de la présence de notre sérénissime reine, qui ne resta à Varsovie que six mois, et puis elle fut à Dantzig, où Sa Majesté resta jusqu'à son voyage d'Italie 40.

39. Les capucins sont une branche de l'ordre des Frères mineurs, créé par saint François d'Assise en 1209. Leur église de Varsovie se trouve dans la vieille ville, près du palais royal et de la primatiale. Ces religieux arrivèrent à Varsovie en 1681 et ce fut le roi Jean Sobieski qui fonda leur couvent. Ils assistèrent beaucoup les« Congrégations cachées ». Le centre de leur activité au début du XX' siècle fut le couvent de Nowe Miasto avec le R.P. Honoré Kuzminski.

Le couvent des carmes de Varsovie a été fondé en 1639 et celui des carmélites en 1649. L'église des Carmes fut bâtie par Tylman van Gameren, qui a aussi construit celle de notre monastère de Varsovie. (Renseignement aimablement communiqué par l'archiviste de l'ordre des Carmes).

Tylman Zgameren ou Tijlman Van Gameren (1632-1706), appelé aussi Gamerski ou Camerini, commença ses travaux au palais Bialystok, « le Versailles » de Podlèsie. Il fit ses études d'architecture en Hollande, son pays natal, puis voyagea en Italie. Établi en Pologne au service des Lubomirski, il y construisit en style baroque, mais de tradition classique, de nombreux monuments, dont le palais Krasinski, à Varsovie, l'église de notre monastère et Sainte-Anne de Cracovie.

Les maisons des « Missionnaires » (Lazaristes), fondés à Paris en 1625, par saint Vincent de Paul (1581-1660). C'est le fondateur lui-même qui a envoyé les prêtres de la mission à Varsovie.

Marie-Louise de Gonzague, pendant son séjour en France, avait connu M. Vincent. Elle faisait d'ailleurs partie de l'assemblée des Dames de la charité. Après son mariage avec Jean-Casimir, roi de Pologne, elle demanda à Vincent de Paul de lui envoyer quelques missionnaires. Le premier groupe arriva en Pologne en 1651. Il était confié à M. Lambert, un fidèle assistant de M. Vincent, à MM. Desdames, prêtre, Guillot, sous-diacre, Zelazewski, clerc, et au frère Posny. (Cf. Mémoires de la Congrégation de la Mission, Paris, 1863).

Les frères de Charité (boni fratres) arrivèrent en Pologne en 1609 et établirent aussitôt un grand nombre d'hôpitaux dans tout le pays.

40. Le mot français Jubilé dérive de Jubilaeus, terme du latin ecclésiastique, crée par saint Jérôme pour traduire le Yobel hébreu. Tant en hébreu qu'en latin, ce terme signifie « cri joyeux ».

Le premier Jubilé fut institué officiellement par Boniface VIII en 1300 : par la bulle Antiquorum, le pape accordait une indulgence plénière aux pèlerins qui se rendaient à Rome et y visitaient les basiliques des Apôtres. Le Jubilé fut accordé d'abord tous les 50 ans, par Clément VI (1340-1352). Urbain VI (1386-1389) le fixa tous les 30 ans. Le 19 avril 1470, le pape Paul I1, par la bulle Ine,(rabilis Providentia avait ordonné la célébration d'un Jubilé tous les 25 ans. Celui de 1700 fut publié par Innocent XII. L'année suivante, les grâces du Jubilé furent étendues à tout le monde catholique.

80 [Photos omises]

légendes :

Monastère de Varsovie (1900), photo Conrad, Warzzawie

Intérieur de l'église du monastère de Varsovie (XVIII° s.).

Dans le transept droit, monument funéraire de la princesse Constantin Sobieska (Caroline de Bouillon).

L'église et le monastère après la bataille de Varsovie en 1944-1945.

Epée du sacre des rois de Pologne conservée à Cracovie, château du Wawel

Le roi Jan III Sobieski recevant de la part des moines paulins de Jasna Gora, l'épée de Zolkiewski avant l'expédition à Vienne - 1683, École de Jasna Gora, 2° moitié du XVII' s.

Varsovie chapelle du château de Jean Ill Wtianov (Varsovie), construit 6 la fin du XVIIe s.

Église des Capucins de Varsovie, où se trouve conservée l'urne contenant le coeur de Jan III Sobieski

Église du monastère de Varsovie. Autel majeur (actuel), au fond le tabernacle. A droite se trouve la grille du choeur.

Gdansk : baptistère

de l'église Sainte-Catherine

Château des Potocki é Lancut, dans la région de Jaroslaw.

Église du monastère de Lwow : intérieur.

Nancy – église de Bonsecours ( 1741)

N-D Elevée par

sur l'ordre de Stanislas. s La façade est ornée d'un écusson aux armes de Pologne.

Église du monastère de Lwow :.extérieur (1939)

§

Château de Luneville (Résidence du roi Stanislas)

Monastère des Bénédictines du Saint Sacrement de SiédIce - l'église

§

Wroclaw,

notre monastère reconstruit (septembre 1978).

Monastère des Bénédictines du Saint Sacrement

de Siédice - intérieur de l'église

Carte de la Pologne

1697-1709

etc.

[photos omises]

Elle alla à Rome pour le grand Jubilé (1700) et Diue se servit d’elle pour obtenir de notre très Saint Père Clément XI la confirmation de nos constitutions, qu'on n'avait pu obtenir jusqu'alors ; et comme la révérende mère de Jésus a beaucoup aidé la reine par ses conseils à soutenir les difficultés que les seigneurs les cardinaux objectaient, il est nécessaire que l'on sache les moyens dont Dieu s'est servi pour la faire aller à Rome.

Quand notre très digne Mère institutrice dit adieu à la révérende mère de Jésus pour le voyage de Pologne, elle lui dit d'un ton prophétique : « Adieu ma chère mère prieure D. Notre très digne mère institutrice mourut le sixième d'avril, le dimanche de Quasimodo, sur les deux heures après-midi, et elle apparut en forme d'une colombe blanche à la mère de Jésus durant son sommeil sur les dix heures du soir. Elle en ressentit tant de peine qu'elle se mit à crier. La mère de Saint-Joseph [Paulmier], qui allait à son heure d'adoration, entra dans sa cellule et lui demanda si elle se trouvait mal. Elle lui dit : « J'ai fait un rêve d'une colombe blanche qui m'a battue de ses ailes, comme pour m'enlever et, étant éveillée, j'ai encore entendu le battement des ailes. »

Trois semaines après, l'on reçut des lettres de nos religieuses de France qui confirmèrent la vision de la révérende mère de Jésus. Elle demanda de s'en retourner en France. Toute la communauté n'y voulut pas consentir.

1697-1709

La révérende mère de Sainte-Madeleine [d'Auvergne], qui était supérieure en ce temps lui dit qu'elle voulait avoir le consentement de la reine, qui était encore à Dantzig. La révérende mère de Jésus écrivit à Sa Majesté et reçut la réponse que, puisqu'elle allait partir à Rome, elle lui permettait de s'en retourner en France et que, dans quelques années, elle la ferait venir à Rome, ce qui est aussi arrivé.

Sa Majesté avait en vue de faire une fondation dans cette capitale du monde chrétien, mais elle n'a pas réussi, et ce voyage ne servit qu'à confirmer nos constitutions.

La bonne conduite de la révérende mère de Jésus et des religieuses qui étaient avec elle, a donné beaucoup d'estime pour 81 notre institut et a engagé Notre Saint Père le Pape de confirmer les constitutions, et nous avons une grande obligation à la reine de toutes les peines qu'elle y a prises.

L'an 1708, la peste, s'étant allumée dans Varsovie au commencement du mois d'août, fit mourir un grand nombre des personnes. Pour nous préserver de la contagion, notre révé- rende mère Prieure, de l'avis du très révérend père Belavity, résolut de ne plus avoir de commerce avec les personnes du dehors.

L'on fit quelques petites provisions qui ne nous menèrent pas loin, et, si le révérend père Belavity 41, notre bon confesseur, ne nous eût prêté de l'argent, nous serions mortes de faim ; il eut la charité de venir s'enfermer avec nous, et le révérend père Félice (Télice), dominicain, qui avait gagné la peste et ne nous en dit rien.

Nous avions encore plusieurs demoiselles pensionnaires, que l'on n'avait pas encore retirées, mais, quand madame Stragenique apprit le danger où nous étions, elle envoya quérir ses trois filles, et, en même temps, la deuxième mère de Sainte Madeleine, qui était sous-prieure, la mère des Saints Anges et la mère de Saint Casimir [Potocka] sortirent avec ces demoiselles le vingt-troisième d'août.

Notre très révérende mère prieure, Suzanne de la Passion Bompard] 42 mourut le lendemain, le jour de saint Barthélémy, 24 août, de la peste.

41. Le père Belavity, supérieur des théatins, était confesseur des religieuses du monastère de Varsovie.

Gaëtan de Thiène, né à Vicence en 1480, vint à Rome en 1508. Juriste, philosophe et théologien, c'est un homme de la Renaissance humaniste.

En 1516, il fonda la société du Divin Amour qui se répandit en toute l'Italie. Avec Jean Pierre Caraffa, qui fut pape sous le nom de Paul IV, il fonda une société de prêtres désirant une vie sacerdotale plus parfaite. Le projet fut agréé par le pape Clément VII, le 24 juin 1524. Bientôt la nouvelle société se répandit en Italie, en Espagne, en Allemagne et en Pologne. On trouve les théatins à Varsovie et à Lwow en 1663. A Lwow, ils travaillaient à l'union des Arméniens à l'Église romaine. Élu supérieur de la maison de Venise, le père Gaëtan se dévoua au service des pestiférés, puis revint à Naples où il mourut le 7 août 1547. Le nom de théatin leur vient de leur fondateur, Jean-Pierre Caraffa, évêque de Chieti, en latin Theatinus (Cf. Dictionnaire des sciences ecclésiastiques, Poussielgue, Paris, 1868).

42. La mère Suzanne de la Passion offrit sa vie à Dieu pour qu'il arrête le fléau. Le lendemain de son offrande, elle fut attaquée de la peste et mourut le 24 août 1708. Un mausolée s'élève encore, en souvenir de son dévouement, dans l'église de notre monastère de Varsovie.

82

Tous nos domestiques moururent de la peste. Il ne nous resta qu'un domestique, nommé Lapierre, Français de nation, qui nous fut d'un grand secours, et une servante ; et comme ces deux personnes ne pouvaient pas faire tout l'ouvrage, il fallut les aider à tout, et néanmoins, tant de jour que de nuit, l'adoration a été soutenue et le chant comme à l'ordinaire.

Nous passâmes huit mois assez misérablement. Au mois de mars, on nous conseilla d'aller trouver la mère de Sainte-Madeleine, à cause qu'il y avait eu tant de corps morts de la peste que l'on avait enterrés autour de notre monastère, que cela pouvait faire recommencer la peste.

Notre révérend père Belavity nous fournit de quoi faire le voyage, et nous arrivâmes après Saint Michel, dans le domaine de Przemysl 43. Il resta ici cinq religieuses, qui trouvèrent de la protection auprès des dames de qualité et qui leur fournirent tout ce qu'elles avaient besoin.

La mère de Sainte-Madeleine trouva quelques personnes de qualité qui lui proposèrent de faire une fondation. C'est ce qui l'obligea de rester à Léopol avec six religieuses, et cette fondation réussit quelques années après.

AUTOGRAPHE A DUMFRIES

43. Ville et place forte de Galicie, surplombant le San, affluent de la Vistule. Ses origines remontent au moins au X` siècle. A cette époque, la ville était déjà un centre commercial important sur la voie conduisant d'Europe centrale à la mer Noire. Actuellement, c'est une ville industrielle. Le château, bâti par Casimir le Grand, domine la ville et le fleuve. Il en reste quelques vestiges. 11 avait été construit à l'époque de la Renaissance sur les fondations anciennes où l'on a trouvé des traces d'une chapelle pré-romane datant des premier Piast. Aux XV1P-XVI11° siècle, la ville fut enrichie d'un ensemble architectural de style baroque : le collège des Jésuites, le couvent et l'église des franciscains, l'église des carmes, la cathédrale du rite byzantin.

Sous la domination autrichienne, Przemysl fut entourée de fortifications telles qu'elle fut alors l'une des plus puissantes places fortes d'Europe. La ville est à 70 lieues environ de Varsovie. C'est le siège de deux évêchés (latin et grec). En 1687, l'évêque se nommait Mgr Zbaski, Jean Stanislas. Les Mémoires de la Congrégation de la Mission rapportent que la peste y fit de grands ravages en I705. (Cf. Pologne, de la Baltique aux Carpathes, Varsovie, 1975).

83

III HISTOIRE DU MONASTÈRE DE VARSOVIE 1687-1962

R.P. WLADYSLAW SZOLDRSKI 44

A leur arrivée à Varsovie, le 14 octobre 1687, les religieuses venues de Paris furent reçues au château royal. Elles y commencèrent leur mission d'adoratrices dans la chapelle du château le ler janvier 1688. Elles restèrent les hôtes de la reine du 14 octobre 1687 au 27 juin 1689.

Pour leur assurer une demeure stable, la reine acheta, le 19 janvier 1689, une propriété à Nowe Miasto (Nouvelle-Ville) ; un terrain appartenant à M. Adam Kotowski, écuyer tranchant de Wyszogrod 45, avec une maison spacieuse en briques, et une autre plus petite en bois (dworek), plus deux jardins sur le bord élevé de la Vistule. Le roi confirma cette acqui-

44. Né à Kluezkôw, le 23 avril 1884, ordonné prêtre le 28 octobre 1906, il fit profession dans la congrégation du Très-Saint-Rédempteur (Rédemptoristes) le 2 février 1909. Il mourut le 7 avril 1971 (Mercredi saint) et fut inhumé le 9 avril (Vendredi saint). (Renseignements aimablement communiqués par le père Sampers, Maison généralice, Rome).

La congrégation du Très-Saint-Rédempteur fut fondée en 1732 au royaume de Naples par saint Alphonse de Liguori (1696-1787), à qui Pie IX conféra le titre de docteur de l'Église en 1871.

Le père Ladislas (ou Wladyslaw) avait consulté les archives municipales de Varsovie ainsi que toutes les archives monastiques à sa disposition. Rédemptoriste de Wroclaw, il publia en 1964 une histoire du monastère de Varsovie et rédigea celle du monastère de Lwow que nous publions ci-après. L'article tris documenté du DTC sur les ordres religieux et les congrégations en Pologne vers 1934, est dû au père Ladislas.

45. Kotowski Adam était d'origine paysanne. Jean Wielopolski, de l'illustre famille polonaise de ce nom, s'intéressa à lui, assura son éducation, le fit entrer à la Cour du Roi dont il devint le secrétaire. Le roi Jean-Casimir, en tant que monarque titulaire de Suède, lui conféra la noblesse suédoise en 1659. Il fut reconnu comme indigena

-sition le jour même et la reine rédigea l'acte de fondation le 4 juin 1689. Le 22 juin, les religieuses signèrent l'acceptation de la fondation et, trois jours plus tard, Mgr Stanislas Witwicki, évêque de Poznan, de qui relevait Varsovie, signa l'acte d'érection du monastère.

Le 27 juin, au cours d'une procession solennelle, on introduisit les religieuses dans leur nouvelle demeure. L'église conventuelle, placée sous le vocable de saint Casimir, n'était pas terminée. Elle fut construite en style baroque sur les plans de l'architecte italien Tylman de Gameren.

Mère Mectilde n'oubliait pas ses filles en Pologne. Elle encouragea par ses lettres les pauvres religieuses, qui en avaient bien besoin. Il leur était difficile de s'habituer aux conditions de vie, toutes différentes de celles de France. Mère Mectilde s'efforça toujours d'en envoyer d'autres à leur place, et selon les nécessités du monastère. Elle écrivit souvent à la reine Marie-Cas4mire au sujet de cette fondation.

Bientôt, des jeunes filles polonaises, issues de très bonnes familles, entrèrent chez les bénédictines. Dès 1688, Barbara Bidzinska et Catherine Kadzinska demandèrent à être admises comme soeurs converses . En 1692, ce fut Antoinette Grotusowna, puis, en 1693, Catherine Potocka 46, qui furent reçues

polonais en 1673.

Marié à Marguerite Durand, femme énergique et avisée, Kotowski se lança dans les affaires, affermant notamment des terres appartenant au roi et à l'État, ainsi que les douanes et la gabelle. Fastueux et généreux, il se fit construire un palais à Varsovie ainsi qu'une chapelle funéraire dans l'église des dominicains de cette ville. Il dota plusieurs monastères à Varsovie, fit construire des églises en province, donna aux dominicains plusieurs terres. Il fonda et entretint de ses propres deniers un régiment de dragons et un détachement de hussards au cours de la guerre contre les Turcs. Kotowski vendit, aux bénédictines du Saint-Sacrement, en 1689, le palais avec un terrain à Varsovie.

Mme Kotowska avait reçu nos Mires le 14 octobre 1687 au château de Varsovie au nom de la reine Marie-Casimire.

46. Barbara Bidzinska (soeur François Xavier), née à Varsovie le 4 décembre 1671. Vêture en 1688 ; profession le 15 octobre 1690 en qualité de soeur converse. Décédée le 12 mai 1745.

Catherine-Sophie Kadzinska (soeur Thérèse de Jésus), née à Lukow en 1660. Vêture en 1688 ; profession le 15 octobre 1690 en qualité de soeur converse. Décédée le 7 avril 1746.

Antoinette Grotusowna (soeur de Sainte Agnès), née à Zmudzki en 1675. Vêture en 1692 ; profession le 24 octobre 1693, décédée le 7 janvier 1725. Elle était fille d'Eustache, castellan de Zmudzki, et de Marie Anne Liniewski. Une autre jeune fille de cette famille entra aussi au monastère.

Charlotte Grotusowna (soeur de Sainte Agnès), née le 2 novembre 1714. Vêture

87 comme religieuses de choeur. Mère Mectilde écrivit à cette dernière une lettre conservée dans les archives du monastère de Varsovie (cf., lettre du 10 mai 1696).

Tout d'abord indépendant, le monastère, comme tous ceux de notre institut, fut soumis à la juridiction épiscopale par le pape Innocent XII 47, le 3 juillet 1694.

La mort du roi Jean Sobieski fut une grande perte pour les moniales. Il succomba à une crise cardiaque le 17 juin 1696. La reine quitta Varsovie quelques mois plus tard. Elle s'arrêta à Dantzig et, vers l'année 1700, partit pour Rome. Là, elle fit des démarches, qui n'aboutirent pas, pour fonder une maison de notre institut à Rome. En revanche, elle contribua à la confirmation de nos Constitutions par le pape Clément XI 48, le 1 er août 1705.

Mère Mectilde n'a donc pas vu confirmer ses constitutions. Elle eut à supporter, dans sa vie, de nombreuses et très lourdes croix. L'incendie du monastère de Nancy, dans la nuit du 21 septembre 1697, l'attrista beaucoup, comme en témoigne la lettre qu'elle envoya à Varsovie. Ce fut sa dernière lettre envoyée en Pologne. Dès le début de l'année 1698, sa santé déclina et elle expira le 6 avril 1698.

le 1er mai 1729 ; profession le 14 septembre 1730. Décédée le 30 mars 1803. Elle était fille d'Adam, staroste de Wilkijski, et de Françoise Grotusowna, châtelaine de Zmudzki.

Catherine Potocka (soeur Marie Casimire), née à Kaminiec en Podolie en 1679. Vêture en 1696, profession le 29 août 1700, décédée le 17 novembre 1745. Elle était fille de Paul Pôtocki, palatin de Czeniechow, castellan de Kaminiec, et d'Eléonore Sokykow. Catherine avait trois frères, Alexandre (cf. p. 280, n° 121), Etienne (cf. p. 288. n° 131) et Pierre (cf. chap. X, n. 21).

47. Antonio Pignatelli, né, à Spinazzola (Naples) en 1615, nonce en Toscane, en Pologne (1660-1668) et à Vienne, fut promu cardinal sous Innocent XI et archevêque de Naples en 1687. Élu pape le 12 juillet 1691 sous le nom d'Innocent XII, il ramena la paix religieuse en France, après les différends entre Louis XIV et la papauté. Il mourut le 27 septembre 1700. (Cf. Gaston Castella, Histoire des papes, Zurich, 1945).

48, Gian Francesco Albani, né à Urbino le 22 juillet 1649, placé en 1687 par Innocent XI à la tête de la secrétairerie des Brefs apostoliques, fut promu cardinal le 13 février 1690. Élu pape le 23 novembre 1700, il intervint vigoureusement dans les affaires de l'Église de France, en particulier par la promulgation, le 8 septembre 1713, de la bulle Unigénitus. Il soutint l'Electeur de Saxe, Frédéric Auguste, roi de Pologne, car il avait favorisé la religion catholique tant en Pologne qu'en Saxe. Protecteur des lettres, des arts et des sciences, il était d'un caractère pacifique et bon. Il mourut le 19 mars 1721.

88

Le 16 juin 1715, Mgr Bartolomé Tarlo 49, évêque de Poznan, consacra solennellement l'église. Ce fut l'occasion d'une grande joie pour les religieuses. Cette église, quoique de petites dimensions, joua un grand rôle dans l'histoire de la capitale de la Pologne.

Les rois qui succédèrent à Jean III Sobieski, Auguste II de Saxe, roi de Pologne de 1697 à 1733, et Auguste III de Saxe, son fils, qui lui succéda de 1733 à 1763, puis Stanislas Poniatowski témoignèrent beaucoup de bienveillance aux bénédictines. Les personnes apparentées à la famille Sobieski ne les oublièrent pas non plus. La fille de Jacques Sobieski, fils aîné du roi Jean, la princesse Caroline de Bouillon (+ 1740)5° et

49. Issu d'une famille très ancienne et illustre de Pologne, Michel Tarlo naquit à Lubumel, sur les confins de la Hongrie, le 24 août 1656, mais il appartenait au diocèse de Poznan, son père étant palatin de Sandomir. Celui-ci, quand il eut vingt ans, l'envoya à Rome poursuivre ses études ecclésiastiques au Collège romain, mais sans grand succès. Conseillé par M. Godquin, supérieur de la maison Sainte-Croix de Varsovie, la première des Lazaristes en Pologne, qu'avait fondée en 1651, la reine Louise, M. Tarlo enjoignit à son fils de continuer ses études à Rome chez les disciples de M. Vincent au séminaire de Montecitorio. Il entra dans la congrégation de la Mission le 25 août 1677. En 1685, après un séjour à la maison de Saint-Lazare à Paris, il fut nommé supérieur de la maison Sainte-Croix à Varsovie et visiteur de la province. Il fut le premier à exercer cette charge. Les Mémoires de la Congrégation de la Mission notent qu'en 1705, après la mort du roi Jean III Sobieski, la guerre, la famine et la peste ravagèrent le pays ; c'est au milieu de ces difficultés et des luttes pour le pouvoir que M. Tarlo fut nommé évêque de Posnan, malgré ses résistances, et sur l'ordre du pape lui-même par l'intermédiaire du cardinal Paulucci, en 1710. En 1714, alors que la famine décimait toute la Pologne, le saint évêque utilisa toutes ses ressources pour nourrir les pauvres. Missionnaire infatigable, il mourut d'épuisement, alors qu'il se rendait de Varsovie à Poznan en 1716.

50. La princesse Caroline (Marie-Charlotte), née le 15 novembre 1697, était la troisième enfant de Jacques-Louis Sobieski et de Hedwige Élisabeth Aurélie de Neu-bourg, donc petite-fille du roi Jean III Sobieski. Elle épousa en premières noces, le 20 septembre 1723, Frédéric Maurice Casimir de la Tour d'Auvergne, prince de Turenne, grand chambellan de France en survivance, colonel du régiment de Turenne-cavalerie, né le 24 octobre 1702 et mort le 1« octobre 1723, dix jours après son mariage. Ayant obtenu une dispense de Rome, la princesse Caroline épousa en secondes noces, le 1" avril 1724, le frère de son premier époux, Charles Godefroy de la Tour d'Auvergne, prince puis duc de Bouillon. Les princes de Bouillon étaient fils d'Emmanuel-Théodose, troisième comte d'Evreux (1668-1730), et de Marie Ar-monde Victoire de la Trémoille, décédée le 5 mars 1717.

Quatre enfants étaient nés de ce mariage, dont Frédéric-Maurice et Charles Godefroy, 4' comte d'Evreux. Celui-ci décéda au château de Montalet le 24 octobre 1771 et fut inhumé en l'église Saint-Taurin d'Évreux.

La princesse de Bouillon mourut le 9 mai 1740 en son château d'Olaw, en Silésie. Son corps fut déposé dans le caveau de l'église de notre monastère de Varsovie, où un monument fut élevé à sa mémoire.

La princesse Constantin Sobieska (1685-1762). née Marie Josèphe Wessel,

89 l'épouse de Constantin Sobieski étaient des bienfaitrices dévouées. Cette dernière, Marie-Josèphe Sobieska (née Wessel, décédée en 1761), habita de longues années chez les religieuses en qualité de résidente. Ces deux dames furent ensevelies dans le cimetière du couvent, et, dans l'église, on leur érigea de beaux tombeaux.

Ce qui contribuait à la popularité des bénédictines, c'est qu'elles avaient un pensionnat pour les jeunes filles, fréquenté surtout par la jeunesse provenant des meilleures familles polonaises. Même le côté matériel était prospère en ces temps-là. Entre autre bienfaiteurs, le comte Jean Szembek, chancelier, père d'une religieuse, Ursule 51, offrit au couvent le domaine de Macierzysz.

En 1787, saint Clément Hofbauer 52, rédemptoriste, vint habiter avec ses religieux dans le voisinage du monastère, en

fille de Stanislas,Staroste de Rozana, avait épousé en 1708 le second fils du roi Jean Ill Sobieski et de la reine Marie-Casimire, Constantin Philippe Vladislas, né le lef mai 1680. Il avait été arrêté avec le prince Jacques Louis, son frère, le 28 février 1704 par ordre du roi Auguste II de Saxe, roi de Pologne, qui redoutait l'influence de la famille Sobieski. Transféré en septembre 1706 au château de Konigstein sur l'Elbe, il fut libéré en décembre 1706 et mourut à Zolkiev en 1726. La princesse Sobieska avait été accueillie par le monastère de Varsovie au temps de son épreuve, demeura près des religieuses jusqu'à sa mort et fut inhumée dans le caveau, sous le monument élevé en souvenir de sa nièce, la princesse de Bouillon. En 1718, la princesse donna 1600 livres au monastère de Lwow. Deux nièces de la princesse furent religieuses au monastère de Varsovie : Jadwiga Thérèse Wessel, soeur Marie-Josèphe de l'Immaculée, née le 15 octobre 1739, reçut l'habit monastique en 1757, fit profession le 27 août 1758 et mourut le 8 juillet 1796 ; et Marie Clémentine, soeur Técle de Jésus, née le 11 septembre 1745, reçut l'habit monastique en 1762, fit profession le 6 novembre 1763 et mourut le 17 juin 1831.

51. Ursule Szembek, soeur Marie Cécile de Jésus, née à Tarpniew, le 25 mai 1718, reçut l'habit monastique le 10 mars 1733, fit profession le 15 mai 1735 et mourut le 18 décembre 1775. Elle était fille de Jean, grand chancelier de la Couronne, et d'Ewy Leszczynska, apparentée aux Jablonowski. La famille Szembek joua un rôle important dans la diffusion du culte du Sacré-Coeur en Pologne (cf. ch. IX, n. 170).

52. Jean Hofbauer, né à Tasswitz, aux confins de la Moravie et de l'Autriche, le 26 décembre 1751, de père slave et de mère allemande. Il apprit le métier de boulanger et entra comme domestique à l'abbaye des prémontrés à Klosterbruck (Moravie), dans l'espoir d'y devenir prêtre. Il vint en pèlerinage à Rome, y rencontra à Tivoli le futur Pie VII qui l'admit parmi les ermites de Quintilliolo, où il reçut le nom de Clément. Après divers essais de vie religieuse et des études poursuivies à Vienne, il entra chez les rédemptoristes à Rome, y fit profession le 19 mars 1785 et fut ordonné dix jours plus tard. Il retourna à Vienne, mais ne put y demeurer en raison de l'atmosphère antireligieuse du gouvernement. C'est alors qu'il partit pour Varsovie, où l'église allemande de Saint-Benon (ou Benoit) lui fut confiée. Il ett un très grand rayonnement sur toute la Pologne, mais toutes ses oeuvres furent détruites lors des guerres napoléoniennes de 1805 à 1808. Clément-Marie Hofbauer se retira alors à

90 l'église Saint-Benon. Il fut le confesseur et le directeur des moniales pendant de longues années. Il y avait chez ces religieux plusieurs pères français, ce qui facilita les rapports avec les bénédictines leurs compatriotes. L'une d'elle fut Louise, princesse de Bourbon-Condé S3. Saint Hofbauer dirigea aussi plusieurs vocations vers le monastère, entre autres les deux soeurs Sedzimir 54.

Après le deuxième partage de la Pologne, en 1794, la nation se souleva. On réquisitionna au profit de la caisse de la République plusieurs vases sacrés de notre église, en or et en argent. On prit aussi les plaques de plomb, dont l'église était couverte. A la suite du troisième partage du pays, Varsovie tomba aux mains des Prussiens, en 1795. Madame Caroline de Bouillon avait fait une donation de 12 000 zlotys pour avoir une messe à son intention à perpétuité ; les Prussiens confisquèrent cette donation en 1797.


Pendant la période de la principauté de Varsovie (1807-1815), les religieuses furent privées du noviciat, qui fut interdit. Le 5 mai 1815, le préfet du département de Varsovie permit toutefois à Mile Dorothée Szuster 55 d'émettre ses voeux. Mais les temps les plus durs survinrent après l'écrasement de l'insurrection de 1863. Le régime tzariste confisqua le domaine de Macierzysz et le noviciat fut fermé de nouveau. Le temps passait, les religieuses mouraient l'une après l'autre et il n'y avait pas de recrutement. Malgré leur petit nombre, elles assuraient

Vienne, où il mourut le 6 mars 1820. Saint Pie X le canonisa le 20 mai 1909. (Catholicisme, Dom Chaussy). L'activité des rédemptoristes, installés à Varsovie sous la direction de saint Clément Hofbauer, se développa surtout dans les années 17871808. (Cf., Hunermann, Le Mitron de Vienne, Ed. Salvator, Mulhouse, 1962).

53. La princesse Adélaïde de Bourbon-Condé fit profession au monastère de Varsovie. Voir chap. XII. ci-dessous.

54. Françoise Sedzimirowna, soeur Marie Gaëtan de Saint Raphaël, née le 10 novembre 1774, reçut l'habit monastique en 1793, fit profession le 26 mai 1795, et mourut le 21 novembre 1858.

Josèphe Catherine Sedzimirowna, soeur Marie Bénédicte du Saint-Sacrement, baptisée le 20 avril 1779, reçut l'habit monastique le 11 septembre 1799, fit profession le 22 novembre 1801 et mourut le 18 mai 1847.

55. Dorothée Szuster, soeur Marie Scholastique du Saint Sacrement, née à Varsovie et baptisée le 7 février 1787, reçut l'habit monastique le 23 mai 1813, fit profession le 16 mai 1815 et mourut le 2 février 1877. L'autorisation lui fut accordée par le préfet de la principauté de Varsovie à la demande de Mgr Zambrzycki.

91 quand même l'adoration. Le 22 avril 1897, elles demandèrent au tzar de leur permettre de recevoir six nouvelles religieuses. On le leur refusa. Ce ne fut que le 12 août 1905, sous la pression du mouvement révolutionnaire, que les autorités cédèrent et permirent la réouverture du noviciat.

Après la résurrection de l'État polonais en 1920, le monastère développa librement ses activités sans en être empêché par les autorités d'État.

En 1927, mère Byszewska, bénédictine de Staniatki 56, devenue prieure à Varsovie, contribua à la bonne situation du monastère. Elle entreprit la classification et l'inventaire détaillé des archives. Ce travail confié à mère Ignace Rejewska 57, a donné des résultats inattendus. De 1928 à 1936, celle-ci fit ce grand travail. Elle écrit dans l'avant-propos de cet inventaire, le 28 décembre 1936 :

« Nous avons commencé à mettre de l'ordre dans nos archives, dans ces temps incertains de continuels cataclysmes, renversements et changements politiques. Ce travail fut très difficile. Et souvent, nous nous demandions si cela servirait à quelqu'un, ou si cela serait brûlé comme tant d'autres documents pendant un orage de guerre. Au lieu de continuer ce travail, ne serait-il pas mieux de s'adonner uniquement à la prière, pour implorer de Dieu sa miséricorde sur le monde ? Mais l'avenir nous est sagement voilé. Donc, nous gardions l'espoir que ce travail servirait au bien du monastère, surtout aux soeurs qui viendraient après nous, quand nous-mêmes nous nous reposerions sous terre. Cette classification des archives du monastère nous a permis de mieux connaître l'histoire de la maison, et les documents que nous avons trouvés permettent de reconstituer la vie intérieure du monastère avec toute les gé-

56. Clémentine Jadwiga Byszewska, soeur Jeanne de l'Eucharistie, naquit le 3 mars 1886 à Dziaduszyka. Elle reçut l'habit monastique à l'abbaye bénédictine de Staniatki, archidiocèse de Cracovie, le 1« novembre 1910, fit profession le 13 novembre 1912, devint prieure de notre monastère de Varsovie le 28 septembre 1927. C'est elle qui gouverna le monastère pendant toute la guerre de 1939-1945 et présida à la reconstitution de la communauté (voir son oeuvre au chap.XIV).Elle mourut le 18 octobre 1951. L'abbaye de Staniatki, fondée en 1216, est placée sous le patronage de saint Adalbert.

57. Stefania Wanda Rejewska, soeur Ignace, née à Varsovie le 29 décembre 1898, reçut l'habit monastique le 20 mars 1923 et fit profession le 25 octobre 1924. Elle disparut dans « l'holocauste A du monastère de Varsovie, le 30 août 1944.

nérations des religieuses qui vécurent dans ces murs, qui y prièrent et travaillèrent et, par l'offrande d'elles-mêmes, méritèrent sans conteste notre hommage, notre vénération, notre admiration et notre reconnaissance ».

Ces lignes figurent dans l'introduction du livre, édité par le monastère à propos de son 250e anniversaire : 1688-1938 ; ces propos étaient rapportés par le R.P. Jean Rostworowski, S.J. (1876-1963) .

Cet anniversaire fut célébré très solennellement. On ne soupçonnait pas alors que la plus atroce des guerres viendrait très tôt ravager la Pologne, en particulier Varsovie, et détruire le monastère.

Au mois de septembre 1939, malgré le bombardement de la ville et les incendies, le monastère et son église n'eurent pas à souffrir. Mais pendant l'insurrection du 1er août au 31 août 1944, le bombardement du monastère et de l'église fut si acharné que tout tomba en ruines. Beaucoup de personnes laïques qui s'étaient réfugiées dans les sous-sols du monastère furent tuées. 32 religieuses ensevelies vivantes y trouvèrent la mort, entre autres mère Rejewska.

Les archives aussi furent victimes des flammes. Après la tourmente, on trouva dans les cendres, comme par miracle, les lettres de mère Mectilde et ce fameux inventaire des archives. Puisque les archives du monastère n'existent plus, il parait très intéressant de rappeler les éditions dans lesquelles on parle du monastère des bénédictines du Saint Sacrement de Varsovie :

La Revue religieuse et morale (Varsovie 1853, tome XXIV, p. 1-29) où l'on trouve le résumé des actes du début de la fondation, le récit du voyage des religieuses de Paris à Dantzig et la vie du monastère de 1687 à 1709 inclus.

L'éminent historien Julian Bartoszewicz 58 a écrit en 1855 et édité à Varsovie, une monographie des églises de Varsovie (Koscioly Warszawskie) où, aux pages 301-316, il donne des renseignements très intéressants sur l'histoire des bénédictines du Saint Sacrement.

58. Julian (1821-1871), historien, originaire des provinces de l'annexion russe, auteur de nombreux traités et d'articles historiques de grande valeur. (Cf., D.T.C., fascicule CX — CXI, art. Pologne).

La Vie de mère Mectilde, Hervin, Paris 1883, p. 667-685, donne des informations sur la fondation de Varsovie.

En 1887, à l'occasion du 200e centenaire de l'installation des bénédictines du Saint-Sacrement en Pologne, a paru à Lwow La Vie de saint Benoît, dans laquelle l'histoire du monastère de Varsovie est très amplement présentée, avec les noms des religieuses, mortes jusqu'en 1887 (pages 227-267).

L'abbé Roch Filochowski a édité une brochure Église et monastère des bénédictines du Saint-Sacrement à Varsovie (Varsovie 1889), où l'on trouve bien des détails intéressants.

Dans l'Encyclopédie ecclésiastique (t. XXIV), l'abbé Alexandre Zaremba parle des bénédictines du Saint-Sacrement en général, et de celles de Varsovie en particulier.

Mais c'est le livre du 250e centenaire, Bénédictines de l'Adoration perpétuelle à Varsovie, (Varsovie 193 8) qui donne le plus d'informations. L'histoire du monastère, ses bons et ses pénibles moments, y est très bien racontée. On y trouve des souvenirs des religieuses les plus dignes de mention, et des copies de textes de journaux dont les originaux ont disparu.

Si en écrivant ce livre on avait prévu quelle destinée attendait sous peu le monastère, l'histoire aurait certainement été présentée avec plus de détails. Mais, grâce à cet inventaire, on peut reconstituer ce qui manque, d'autant que dans cet inventaire figurent des résumés de documents aujourd'hui disparus. Voici quelques éléments venant de cet Inventaire :

1. Une liste des noms des religieuses défuntes depuis l'arrivée de France en 1687 jusqu'à 1960 : 189 noms.

2. La liste des prieures : 32 noms.

3. Une liste des documents signés par les rois et des membres des familles royales et concernant le monastère.

4. Les informations extraites de la Chronique des bénédictines du Saint Sacrement de Lwow.

5. Les lettres de mère Mectilde (39 lettres).

6. Les écrits concernant le séjour de la princesse Louise de Bourbon-Condé.

— Priez sans Cesse, 300 ans de prière, Desclée de Brouwer, Paris, 1953.

(Cet ouvrage préparé par mère Thadée de Jésus, moniale de notre maison de Paris, à l'occasion du troisième centenaire de la fondation de notre Institut, relate de manière succincte l'histoire de nos monastères polonais).

— Kwartalnik A rchitektury I Urbanistyki, Iréna Michaëla Walicka, Warsawa, 1978.


IV LETTRES 1687-1697



Le récit que nous venons de lire ne mentionne pas les difficultés auxquelles les premières religieuses ont dû faire face. C'est vraiment de la croix qu'est venue la fécondité de cette fondation, qui depuis 300 ans à travers luttes et souffrances a donné naissance à 4 monastères.

A vues humaines tout était contraire à l'implantation du monastère de Varsovie : les coutumes, la langue, le climat. Mais il y eut surtout la reine. Toutes les lettres de mère Mectilde à la reine et aux moniales ne nous sont pas parvenues, les réponses de la reine et des religieuses ayant disparu totalement. De ce fait il est bien difficile de se faire une opinion exacte des heurts et des dissensions dont les lettres publiées ci-après font mention. La reine était d'un caractère très autoritaire et fantasque. Elle supportait très mal de ne pouvoir jouer le rôle de supérieure et la mère prieure fut souvent obligée de se plier aux volontés royales pour ne pas jeter ses filles dans une extrême misère.

Les « anciennes » qui, après le départ de la reine et de mère Marie de Jésus Petigot, prieure de 1691 à 1697, devinrent prieures du monastère de Varsovie, ou fondatrices de celui de Lwow, ayant été formées par mère Mectilde, étaient attachées à l'esprit et aux usages de notre institut. Mère Mectilde, prise dans cet imbroglio, et ne recevant pas toutes les lettres, ne connaissait qu'une partie des problèmes qu'elle s'efforça d'apaiser en prêchant la discrétion à la mère prieure, la charité fraternelle et la soumission à toutes ses filles. Il faut lire les lettres de mère Mectilde à la reine dans l'optique du style de l'époque, en pensant qu'elle cherchait surtout à éviter une rupture brutale pour le monastère, pas encore en état de vivre sans soutien. La politique a dû aussi jouer son rôle dans l'attitude de la reine. Mgr Tarlo, lazariste, évêque de Poznan et supérieur du monastère, une des très grandes figures des premiers missionnaires de M. Vincent, en Pologne, appartenait à une famille polonaise de très haute noblesse qui ne parait pas avoir toujours suivi les prises de position politiques de la reine Marie-Casimire. On se souvient que celle-ci avait, sur ce plan, une trop grande influence sur son époux, le roi Jean III Sobieski, et que par dépit, elle travailla contre la France.

Pour la chère petite communauté des victimes qui se sacrifient pour la gloire du très Saint Sacrement en Pologne / Aux religieuses qui s'en allaient à l'établissement de Pologne quand elles furent arrivées à Rouen pour s'y embarquer ce 23 août 1687

Je viens encore vous embrasser, mes chères enfants, et vous désirer un heureux voyage. Je n'aurai ni repos ni joie que je ne sache le succès de votre voyage et de quelle manière la reine vous aura reçues. S'il arrivait quelque changement dans son dessein touchant l'adoration et votre établissement, ne différez pas de me le mander par la voie de M. de Rigioly afin que je donne ordre pour votre retour et, s'il s'en trouve d'entre vous qui aient de la peine à passer, je la prie et la conjure de revenir. Vous savez que la trop grande violence vous ferait plus de mal que le voyage même.

Si vous vous sacrifiez pour Dieu, il sera votre force. Je le prie sans cesse de vous soutenir et de vous animer de son Esprit ; qu'il vous maintienne toutes dans une sainte paix et union ; cela sera, si vous êtes humbles et fidèles. C'est les deux points que Notre Seigneur a ordonné à la bonne âme de vous dire ; si vous lui êtes fidèles en ces deux points, ne doutez pas qu'il ne vous comble de bénédictions pour tout le reste et qu'il 99 vous conservera pendant le voyage. Puisqu'il vous a donné le courage de vous y sacrifier pour sa pure gloire, il faut espérer qu'il bénira la pureté de vos intentions ; tenez-vous en Dieu ; attendez tout de sa bonté infinie ; marchez sous les ailes de sa divine protection ; celle de sa sainte Mère ne vous manquera pas ; et souvenez-vous que vous laissez mon coeur affligé de vos absences, qui vous accompagnera en esprit et qui ressent comme une mère une sensible tendresse pour ses enfants ; je les ai reçues de Dieu, je les remets en Dieu ; il est juste qu'il en soit le maître et qu'il les emploie selon ses desseins et les envoie par la puissance de sa divine volonté. Je vous regarde comme des missionnaires du très Saint Sacrement, comme la couronne et la gloire de l'institut, si vous vous comportez comme l'Esprit-Saint vous le demande. Allez, mes très chères enfants, allez chères victimes, allez les choisies du ciel pour porter la gloire et l'amour du très Saint Sacrement dans tout le royaume de Pologne. Faites à cet adorable mystère de grandes conquêtes, animez les coeurs, ravissez les esprits et que tout le monde se ressente des grâces dont Notre Seigneur a dessein de vous remplir, si vous êtes fidèles à les recevoir. Oubliez tout pour l'amour de celui qui s'est, pour vous, oublié de lui-même pour demeurer avec vous et pour vous nourrir de lui-même. Vivez donc de lui et pour lui ; allez, avec de saintes assurances qu'il est avec vous et qu'il vous conduit dans une nouvelle région de grâce où vous ne devez plus rien voir que lui. Tous vos intérêts sont, dans cette sainte entreprise, entièrement sacrifiés. Vous ne vous souviendrez plus de vous-mêmes que pour vous regarder comme des victimes, réellement et de fait, immolées à toute heure, à tout moment. Vous vivrez dans cet esprit de mort à tout le créé, pour vivre en Dieu et de Dieu en lui-même.

C'est où je vous laisse et où je tire ma force pour vous sacrifier, espérant qu'il nous fera la très grande miséricorde de vous revoir dans l'éternité. Obtenez-moi cette grâce et me croyez, en Jésus et sa très sainte Mère, plus à vous qu'à moi-même. Consolez-moi de vos nouvelles le plus que vous pourrez.

N° 1586

ce saint jour de la Nativité 8 septembre 1687

Mes très chères enfants,

Ce mot vous devance par la grâce que me fait monsieur de Rigioly qui veut bien s'en charger pour vous le faire donner aussitôt que vous serez arrivées à Dantzig où je prie Notre Seigneur et sa très sainte Mère vous conduire heureusement. Je puis vous assurer que depuis votre départ, je ne puis prendre de repos que je ne sache le succès de votre voyage.

J'ai appris les peines et les grandes difficultés que vous avez souffertes à Rouen, et comme les vents vous ont été contraires. L'on n'a cessé de prier Notre Seigneur pour vous, et l'on continue jusqu'à ce que quelqu'une d'entre vous nous mande s'y vous êtes arrivées à bon port.

Nous le demandons à Dieu de toute l'ardeur de nos coeurs, le priant soutenir votre courage et animer votre zèle qui ne va au delà deys mers que pour la pure gloire du divin Mystère que nous adorons.

Je me confie en la protection de la très sainte Vierge qui ne vous aura point abandonnées d'un seul moment.

J'espère qu'elle achèvera de vous combler de ses divines bénédictions.

Je vous prie, mes très chères enfants, de nous donner de vos nouvelles sitôt que vous serez arrivées à Dantzig.

Depuis votre départ, il n'est rien survenu ; nous sommes céans comme vous nous avez laissées.

La chère mère dè Jésus 60 vit encore, mais toujours pendant à la mort. Elle ne peut sans miracle guérir de son mal.

60. Marguerite Chopinel (soeur Marie de Jésus), fille de M. Chopinel et d'Élisabeth de Brem, née le 25 octobre 1628, fut élevée au monastère de la Conception des bénédictines de Rambervillers (Vosges). Quand elle eut dix ans, sa mère, entrée dans ce monastère comme religieuse, la confia à sa famille de Sarrebourg. Au cours de la guerre de Trente Ans, elle rejoignit les moniales de Rambervillers, réfugiées à Saint-Mihiel (Meuse) en 1641. Lorsque mère Mectilde ouvrit un petit pensionnat à Saint-Maur-des-Fossés, près de Paris, elle y fit venir la jeune fille et une de ses compagnes. En 1646, Mlle Chopinel entra au monastère de Rambervillers et y fit profession, le 21 août 1647, sous le nom de soeur Marie de Jésus. En mars 1651, elle rejoignit mère Mectilde à Paris, fut maitresse des novices durant de nombreuses années et mourut au monastère de la rue Cassette, entourée d'une grande vénération, le 8 décembre 1687.

L'on m'a mandé de Rouen que vous étiez toutes bien enrhumées en partant, vous ne vous êtes point précautionnées pour le froid, la saison étant fort avancée vous sera très incommode ; mais je vois que vous souffrez pour Dieu, que vous purifiez toujours de plus en plus vos intentions, et que l'amour divin s'allume dans vos coeurs pour vous sacrifier aux intérêts de sa gloire. Soyez toutes revêtues de Jésus-Christ.

Marchez en nouveauté de vie comme dans un monde nouveau où vous ne voyez que Dieu et n'y vivez que pour lui. Sa bonté aura soin de tout ce qui vous regarde, si vous avez un soin unique de lui plaire et de ne désirer que lui, en travaillant à sa gloire. Je puis vous assurer que vos fatigues seront bien récompensées ; relevez toujours votre courage ; ne vous rebutez point des difficultés. Les oeuvres de Dieu ne s'établissent que par la Croix.

Je vous recommande toujours la parfaite union qui ne se peut conserver que par une profonde humilité.

Si vous avez ces deux points vous triompherez de l'enfer et par conséquent de tous vos ennemis.

Ne soyez donc jamais divisées, quelques choses qui vous puissent arriver, soit par tentation, par antipathie ou par dégoût.

Vivez dans cette paix divine qui vous unit ensemble par l'Esprit-Saint de Jésus-Christ.

Je continuerai de prier sa très sainte Mère pour vous.

Croyez, très chères enfants, que vous m'êtes toutes parfaitement chères et que je suis de coeur et d'affection avec vous et tout à vous, pour jamais votre vraie amie et très fidèle servante.

J'attends avec une grande impatience de vos nouvelles ; donnez-moi le plus tôt que vous pouvez.

N° 117 autographe à Varsovie

De la mère Anne Loyseau sous prieure, rue Cassette, Paris ce 6 octobre 1687

Loué et adoré soit le très Saint Sacrement !

Je me sers avec un très sensible plaisir, mes très révérendes et bien chères mères, du moment que me donne M. de Rigioly de vous écrire à Varsovie espérant,que vous êtes arrivées. C'est ce dont je doute et ce que je souhaite, croyant qu'auparavant vous nous auriez donné de vos chères et bien attendues nouvelles de Dantzig. Au nom de Dieu ne négligez aucune occasion de nous en faire savoir et que la crainte des ports ne vous serve point d'excuses, car nous ne pouvons assez payer la consolation que nous attendons de vos lettres. Il y a deux ou trois jours que l'on en apporta une que vous aviez écrite à Honfleur, ce furent des cris de joie dans toute la Maison, qu'il semblait que nous étions toutes devenues folles. Consolez-nous donc de toutes nos craintes et déplaisirs de votre éloignement.

Pour moi, étant revenue de Rouen il y a douze jours, j'ai trouvé la maison si vide et si touchée de notre séparation que je ne puis assez vous le dire ; le plus souvent mes mauvais yeux, m'en font prendre d'autres pour vous et aussitôt je me trouve trompée. Ou bien il faut entrer avec vous dans l'esprit du sacrifice et vous dire qu'il n'y a que moi qui me sers de cette occasion parce que le temps est si bref qu'il n'y en a pu profiter, non pas même notre très révérende mère, qui dit vous avoir écrit trois fois tant à Dantzig qu'à Varsovie, et puis elle n'est pas très bien depuis deux jours. Elle a un commencement de jaunisse ; elle a vomi avant hier au soir, elle en a été mieux, quoique son visage en est demeuré très jaune. J'espère que son dévoiement emportera tout cela. Elle ne laisse pas de faire à son ordinaire et est toujours plus bonne, aux termes de ma très chère mère de Sainte-Gertrude. Je suis bien en peine de son rhume.

Monsieur Sicault m'ayant dit qu'il dirait quand il serait revenu ; il ne l'est pas encore. Céans tout le monde n'étant pas pour lui, cependant je tâche à le mettre en crédit par les bops offices qu'il nous a rendus, et à moi par conséquent. Il nous fait une petite relation de ce qu'il a su comme témoin de votre voyage.

103

Nous avons été obligées aussi de faire un mémoire de ce qui s'est encore passé dans la négociation de votre affaire et de la manière que l'on nous a traitées tant à Paris qu'à Rouen, puisque l'on nous impose beaucoup de choses fausses, disant que l'on a fait des dépenses épouvantables, tant à faire de l'accommodement dans le vaisseau par les séparations et tapisseries inutiles ; que vous avez fait un séjour de cinq semaines que l'on a payé à 50 F par jour et la vérité est que nous n'en avons touché que cinq jours à 34 F par jour et les autres six jours nous étant dus, ils nous en ont rabattu 100 F pour le passage, le vivre et le coucher de la petite fille et de Philippe, quoique vous ayez nourri les trois messieurs Hautbois et la demoiselle de madame de Béthune ; et qu'ils n'ont pas voulu payer toutes les dépenses pour les vivres, tant celles que vous avez faites que celles que j'ai faites aussi ; ce que je vous dis en gros, croyant vous devoir envoyer ce dit mémoire afin de vous pouvoir au moins disculper de ce que l'on pouvait vous imposer. On crie fort après moi. Pour finir je le fais avec mille respects et amitiés pour toute la petite troupe du voyage, dont monsieur du Chartrin aura sa part s'il vous plaît.

N° 1005 autographe rapporté de Varsovie, conservé au monastère de Rouen.

MÉMOIRE

MÉMOIRE VÉRITABLE DE TOUT CE QUI S'EST FAIT ET PASSÉ DANS LA NÉGOCIATION ET EMBARQUEMENT DES RELIGIEUSES DE L'ADORATION PERPÉTUELLE DU TRÈS SAINT-SACREMENT QUI SONT ALLÉES DE FRANCE EN POLOGNE

Au mois de mars de cette année 1687, notre révérende mère prieure du premier monastère du Saint Sacrement de Paris reçut une lettre de madame la marquise de Béthune par laquelle elle lui mandait de se souvenir de la promesse qu'elle lui avait faite d'envoyer à la reine de Pologne huit religieuses et deux soeurs converses de son institut, pour en établir un monastère à Varsovie. Notre révérende mère prieure ayant considéré que ce nombre n'était pas suffisant pour entretenir le culte et l'adoration perpétuelle du très Saint Sacrement, en écrivit à la reine et à madame de Béthune, la suppliant de vouloir bien le représenter à Sa Majesté et obtenir son agrément pour en envoyer douze et deux soeurs converses ; elle en parla aussi aux personnes qui furent envoyées au couvent pour négocier cette affaire : cela fut accordé par Sa Majesté, et monseigneur l'évêque de Beauvais en vint lui-même assurer notre révérende mère prieure. Elle proposa donc cet établissement à sa communauté, fit connaître à toutes ses religieuses le pieux dessein et le saint zèle de la reine pour la gloire de Dieu ; elle leur communiqua la lettre de madame de Béthune par laquelle elle lui expliquait les intentions de Sa Majesté sur ce sujet, qui voulait par une générosité toute royale que tout se fit à ses dépens, sans qu'il en coûtât rien au monastère de Paris, se contentant des religieuses qu'on lui envoyait et ne prétendant pas qu'elles emportassent aucune chose de Paris, mais qu'elle souhaitait qu'elles fussent toutes habillées, équipées, et fournies de toutes les choses nécessaires, à ses dépens. On reçut cette proposition avec beaucoup de joie et pour seconder la piété de la reine, plusieurs se présentèrent pour aller en Pologne, et en peu de temps il se trouva un nombre suffisant de bons sujets pour faire cet établissement.

105

Il ne s'agissait plus que d'exécuter les ordres de la reine et de convenir de la somme qui était nécessaire pour acheter les accommodements des religieuses, les livres à leur usage, avec tout le linge de la sacristie, et faire les frais du voyage et de l'embarquement. Messieurs les négociants étant venus à notre couvent pour cela, notre révérende mère prieure leur demanda mille louis d'or pour se charger de toute cette dépense. Ils déclarèrent d'abord qu'ils étaient chargés de faire toutes les emplettes pour la sacristie et de fournir tout ce qu'il fallait pour l'embarquement et pour le voyage, et partant que notre révérende mère prieure ne demeurerait plus chargée que des accommodements de ses religieuses et de l'achat de tous les livres, tant de chant que de dévotion, à leur usage. Pour cela elle demanda la somme de six mille livres que ces messieurs ne voulurent pas lui accorder ; on eut pour cela bien des contestations qui durèrent plus de deux mois avec la plus grande rigueur de leur part.

Cependant on eut avis qu'il y avait un vaisseau à Rouen qui devait frêter à Dantzig, ce qui ayant obligé nos soeurs de presser messieurs les négociants de terminer cette affaire, pour ne pas perdre une si belle occasion de partir, ils vinrent à notre monastère pour finir avec nos soeurs ; ils leur promirent cinq mille livres pour tout, dont elles furent obligées de se contenter : laquelle somme ne leur fut délivrée que le troisième jour de juin, par le sieur Bachelier, receveur des Tailles d'Orléans.

Elles travaillèrent pour lors avec toute la diligence possible à obtenir leurs obédiences et leurs passeports et à acheter le plus promptement que faire se peut ce qui était nécessaire pour leur accommodement, n'ayant demandé pour cela que huit jours de temps, parce qu'elles espéraient toujours partir par le vaisseau qui était sur le point de passer à Dantzig. Il arriva pourtant le contraire ; car, soit par la négligence de messieurs les négociants, soit par la précipitation du maître du vaisseau, il partit au commencement de juin ; de telle sorte que nos soeurs furent bien surprises lorsqu'elles apprirent que cette occasion était manquée ; au reste ce n'était pas par leur faute, mais bien par celle des négociants qui ne voulurent point fournir l'argent plus tôt, et firent languir nos soeurs plus de deux mois pour en tirer meilleur marché, outre que les passeports du roi ne furent expédiés que le onze de juin, nos soeurs ne les ayant demandés que lorsqu'il plut à ces messieurs de terminer l'affaire.

Elles ne perdirent pourtant pas l'espérance de partir bientôt, car elles reçurent peu de jours après des lettres de nos soeurs du couvent de Rouen, par lesquelles on leur donnait avis qu'il y avait deux vaisseaux qui devaient fréter à Dantzig, dont l'un était à Rouen et l'autre à Dieppe. Elles envoyèrent promptement une personne pour les visiter. Il revint bientôt après et nous assura qu'il les avait vus, qu'ils étaient fort bons, grands et commodes. On en donna avis à messieurs les négociants qui dirent pour toute raison que leurs correspondants ne leur en écrivaient rien et que c'était de fausses nouvelles qu'on donnait, et, quoi qu'on leur pût dire pour confirmer la vérité, ils persistèrent toujours à dire que ces vaisseaux étaient des chimères et des idées en l'air.

Cependant nos soeurs, qui disposaient toutes choses pour leur départ, virent bien dans les achats qu'elles firent que la somme de cinq mille livres ne suffisait pas pour les accommodements nécessaires à quatorze personnes, ce qui les obligea à demander encore mille livres. Messieurs les négociants les leur refusèrent avec beaucoup de dureté et d'invectives. Elles eurent recours à monseigneur l'évêque de Beauvais qui obligea ces messieurs, suivant les ordres de la reine, à fournir encore à nos soeurs la somme de mille livres. Ils ne donnèrent pourtant que cinquante louis d'or, encore eut-on bien de la peine à les avoir. Elles les employèrent, aussi bien que la somme de cinq mille livres, à acheter les choses propres à leur usage et dont elles ont fait un mémoire d'emploi pour le présenter à la reine.

Nos soeurs étant munies de toutes les choses nécessaires pour leur départ n'attendaient plus que quelqu'occasion favorable pour aller bientôt en Pologne, suivant le désir de sa Majesté. Elles envoyèrent tous les jours des gens chez messieurs les négociants pour les presser de travailler à leur embarquement ; mais enfin, se voyant importunés par tant de sollicitations, ils dirent qu'ils attendaient un vaisseau d'un de leurs amis ; qu'il arriverait bientôt à Rouen et retournerait incessamment à Dantzig ; qu'ils l'avaient destiné pour porter nos soeurs. On leur représenta qu'il serait bien plus à propos de s'embarquer à Dieppe ou au Havre, pour éviter les incommodités et les

107

dangers de la rivière : cependant, comme ils prétendaient épargner beaucoup en faisant l'embarquement à Rouen, ils se tinrent toujours à leur première résolution. Ils eurent enfin nouvelle du vaisseau de leur ami ; ils en firent part à nos soeurs, et l'un d'eux vint au couvent pour voir les mesures que l'on prendrait pour le voyage de Rouen et pour l'embarquement. Il promit qu'il fournirait trois carrosses pour les conduire, qu'il leur donnerait trente-quatre livres par jour, pour dix-sept personnes qui devaient aller au voyage de Pologne, à raison de quarante sous par tête, et qu'il continuerait à faire payer la même somme de trente-quatre livres par jour, pendant tout le séjour que l'on ferait à Rouen jusqu'au jour de l'embarquement, qu'à l'égard des victuailles, provisions, et de tout ce qui était nécessaire dans le vaisseau, il enverrait ordre à leurs correspondants de Rouen pour faire toute cette dépense, si nos soeurs aimaient mieux acheter elles-mêmes leurs provisions, que leurs correspondants paieraient, qu'au cas qu'elles leur en voulussent laisser la commission, il leur serait libre de rejeter des provisions celles qui ne les accommoderaient pas, et d'en faire acheter d'autres ; en un mot que tout ce qu'elles souhaiteraient leur serait fourni abondamment. On n'attendit donc plus pour partir que l'ordre qu'il plut à ces messieurs de donner. On partit de Paris le vingt-deuxième jour d'août dans trois carrosses, et, ayant été trois jours en chemin, on n'arriva à Rouen que le vingt-cinq. Nos soeurs n'y furent pas plus tôt arrivées que, étant dans une impatience incroyable de s'embarquer, tant parce qu'elles voyaient que la saison était fort avancée, qu'à cause qu'elles savaient qu'on les attendait depuis longtemps en Pologne, elles envoyèrent donner avis de leur arrivée à messieurs les négociants de Rouen, auxquels elles avaient été adressées Or ceux de Paris. Ils vinrent voir nos soeurs et, après leur avoir fait mille protestations de service, on leur présenta un mémoire des provisions qu'on leur demandait ; ils promirent de le remplir : ils firent d'abord disposer une chambre dans le vaisseau, ayant fait faire un plancher sur des tonneaux, dont il était déjà chargé, avec une cloison entre le grand mât et la poupe du vaisseau, qui contient environ dix-huit pieds de longueur et quinze de largeur, pour y mettre toutes les religieuses. Ils firent encore ajouter à l'entrée de la chambre un petit plancher, tant pour placer une échelle pour monter et descendre dans la chambre que pour faire un petit retranchement pour un ecclésiastique qui a eu la bonté d'accompagner nos soeurs. Ils tapissèrent ensuite la chambre d'une petite bergame d'environ quatre pieds de hauteur et de quinze à vingt sous l'aune, tout au plus. Ils envoyèrent quelques jours après dix lits consistant en paillasses, matelas, et couvertures, avec dix paires de draps. On plaça huit lits dans la chambre, quoiqu'avec beaucoup de peine, les deux autres furent destinés pour monsieur l'ecclésiastique et pour le sacristain. Il fut encore fourni deux douzaines de serviettes et une nappe, plus une table de sapin, douze chaises de paille, et de la vaisselle de terre et de bois pour faire le petit ménage ; ils firent aussi dresser près de la poupe une petite table d'autel pour célébrer la sainte messe. Voilà au juste ce qui a été fait et disposé dans le vaisseau pour nos soeurs qui sont allées en Pologne. A l'égard des provisions, messieurs les négociants ne remplirent pas le mémoire et se contentèrent de fournir ce qui est contenu dans le mémoire ici attaché, encore obligèrent-ils nos soeurs de nourrir sur ces provisions cinq autres personnes qui étaient dans le vaisseau. Ce qui les obligea à avoir recours à monsieur le lieutenant de l'amirauté de Rouen qui, voyant l'injustice du procédé de ces messieurs les négociants, ordonna que non seulement ils augmenteraient les provisions destinées pour la mer, mais aussi qu'ils donneraient au capitaine du vaisseau de l'argent pour fournir aux religieuses et aux autres passagers, du pain, des viandes fraîches et toutes les autres choses nécessaires pendant le temps qu'on serait sur la rivière ; que, avant que d'entrer en mer, ils feraient acheter les volailles et les moutons en vie dont ils étaient convenus auparavant : ils promirent d'exécuter ces ordres avec toute l'exactitude possible, et cependant ils n'en firent rien du tout ; de telle sorte que si nos soeurs n'avaient point eu d'autre secours, elles auraient péri de faim dans les fâcheuses conjonctures qui leur sont arrivées.

On ne saurait exprimer l'impatience dans laquelle nos soeurs étaient de s'embarquer au plus tôt. Elles envoyaient tous les jours chez messieurs les négociants pour les presser de finir l'affaire et de partir. Ils furent enfin obligés de dire les raisons de ce retardement avouant qu'il ne tenait pas à eux, mais aux négociants de Paris, qui n'avaient pas encore envoyé des ballots qu'ils voulaient faire porter en Pologne dans ce vaisseau, qu'on ne pouvait partir qu'ils ne fussent arrivés. C'est ce qui 109 causa le délai et le séjour que l'on fit à Rouen, qui fut de onze jours. Tout ce qui est ici avancé se justifie tant par les quittances que les religieuses ont données de l'argent reçu pour le séjour, que par le procès-verbal d'embarquement fait à Rouen. Enfin les ballots, que l'on attendait, étant arrivés, pour ne point perdre de temps, nos soeurs s'embarquèrent. Le même jour on fit partir le vaisseau ; mais, les vents ayant été toujours contraires, il fut quinze jours entiers sur la rivière, où toute la troupe a souffert des peines incroyables, ayant été par deux fois sur le point de périr et s'étant trouvée dans la nécessité de quitter le vaisseau pour aller chercher un asile dans les lieux voisins, exposée aux vents, à la pluie, et à toutes les injures du temps, qui fut toujours très mauvais et par le plus détestable chemin du monde, obligée enfin, après tant de fatigues, de coucher sur la paille pendant deux jours, et voyant que leur vaisseau était toujours inhabitable, parce qu'il était tout couché sur le côté quand la marée se retirait et dans une agitation et un péril continuel lorsqu'elle remontait ; le capitaine, les pilotes et les matelots leur en défendant l'entrée de peur d'exposer leur vie à un danger si évident, elles résolurent d'aller à Honfleur, qui était à trois grandes lieues de leur vaisseau, où elles arrivèrent presque épuisées de la fatigue du mauvais temps et du mauvais chemin ; elles ne perdirent pourtant pas courage par toutes ces difficultés et, pour seconder le zèle de la reine, elles ont essuyé généreusement toutes ces fâcheuses aventures.

Cependant messieurs les négociants de Rouen, voyant que le vaisseau était parti de devant leur port, se mirent fort peu en peine d'exécuter les ordres de monsieur le lieutenant de l'amirauté pour augmenter les provisions à Quilleboeuf, non plus que de fournir à la troupe la nourriture sur la rivière, à quoi ils étaient obligés ; et, comme si le vaisseau eût dû passer en un jour de Rouen en pleine mer et faire en si peu de temps le chemin de soixante lieues de rivière, le plus difficile et le plus dangereux du monde, ils crurent qu'ils avaient satisfait à leur devoir et qu'ils ne devaient point entrer en connaissance de tout ce qui arriverait, ni exécuter ce qu'ils avaient promis ; de telle sorte que nos soeurs, se voyant dépourvues de tout secours dans leur pressante nécessité, s'adressèrent à un ecclésiastique qui les accompagna jusqu'en pleine mer, pour le prier de les assister dans leurs besoins ; ce qu'il fit volontiers, espérant que la reine aurait la bonté de lui faire rendre ce qu'il avancerait pour 110 elles ; c'est pourquoi il fit des provisions à Quilleboeuf, qu'il paya de son argent, dont le mémoire est ici attaché. Il les accompagna et les assista dans tous les lieux où elles furent chercher retraite, et enfin à Honfleur paya toute la dépense qu'elles firent avec toute leur compagnie pendant cinq jours, comme il se voit par la quittance qu'il a tirée de l'hôte chez lequel elles étaient logées, que l'on envoie aussi : outre toutes ces dépenses que cet ecclésiastique a payées, notre mère sous-prieure de Paris, qui avait accompagné nos soeurs à Rouen, voyant que les négociants ne voulaient pas donner une infinité de choses mentionnées dans le mémoire qu'elles leur avaient donné, fut obligée d'acheter à Rouen des confitures, du vin d'Espagne et faire plusieurs autres provisions qu'elle a payées et dont est ici le mémoire.

Enfin nos soeurs étant entrées en mer, le dix-sept septembre, l'ecclésiastique qui les avait accompagnées depuis Rouen jusqu'en pleine mer les quitta et, étant revenu à Rouen, il présenta à messieurs les banquiers les mémoires des provisions qui avaient été faites, tant par lui que par notre mère sous-prieure, avec la quittance de la dépense qu'il avait payée à Honfleur ; de plus il leur demanda le paiement du séjour qu'on avait fait à Rouen ; mais bien loin de vouloir le satisfaire, après toutes les peines qu'il avait prises, ils répondirent qu'à l'égard des mémoires, des provisions et de la dépense faite à Honfleur, ils n'en tiendraient aucun compte, n'ayant point ordre de rien payer pour cela ; qu'au contraire leur correspondant de Paris se plaignait qu'ils avaient excédé ses ordres dans la dépense qu'ils avaient faite pour l'embarquement et que tout ce qu'ils fourniraient de surplus ne leur serait point rendu. C'est pourquoi ils lui donnèrent un acte de refus de paiement que l'on envoie aussi ; à l'égard de ce qui était resté dû pour le séjour, il fallut entrer en composition avec eux ; et après beaucoup de contestations, ils déduisirent sur la somme de deux cent quatre livres qui restait due pour le séjour de Rouen, celle de quatre-vingt-neuf livres, comme il se voit par la quittance qu'ils nous ont donnée, pour le passage, nourriture et couchage d'une jeune demoiselle qui était allée en Pologne avec nos soeurs pour être pensionnaire dans leur couvent et pour un serviteur qu'on avait emmené du monastère de Paris pour les servir, qui n'étaient pas compris dans les passeports du roi ; et 111 sans vouloir considérer que nos soeurs étaient chargées de nourrir sur les provisions de mer, qu'on avait faites exprès pour elles a Rouen, cinq personnes auxquelles elles ne s'attendaient pas et que, sur la rivière pendant quinze jours, elles leur avaient fourni la nourriture et payé toute leur dépense à Honfleur : ils ne voulurent jamais faire aucune compensation et en tenir aucun compte. De telle sorte que notre communauté de Paris se trouve en avance d'une somme assez considérable qu'elle a été obligée de fournir pour subvenir aux besoins de nos soeurs qu'on envoie en Pologne, sans en pouvoir espérer le remboursement de ces messieurs les négociants : le tout s'étant passé sous la bonne foi, sans avoir fait aucun traité par écrit avec eux, les ayant crus assez honnêtes gens pour bien faire les choses et tenir fidèlement leur parole ; et le bon ecclésiastique qui a donné son argent pour les assister dans leurs pressants besoins, ne sait à qui s'adresser pour être payé. Voilà la manière dure et déraisonnable avec laquelle nous ont traitées les personnes que Sa Majesté polonaise avait destinées pour nego cier le voyage de nos soeurs. Nous espérons que la reine entrera en considération de tout ceci, et qu'elle aura égard aux très humbles remontrances que lui font ses très humbles servantes.

De mère Marie de Jésus Petitgot à notre révérende mère Mectilde (sur leur voyage en mer) de Dantzig le 10e d'octobre de l'an 1687

Étant la mieux de toutes, ma très révérende mère, je prends la liberté de vous instruire des souffrances de vos chères voyageuses. Elles eurent tant de joie à la vue, de leur vaisseau à Honfleur, que la ferveur les y fit entrer sans avoir pensé de faire changer l'eau qu'on avait prise à Rouen, qui s'est trouvée si méchante, que tout le monde se mourait de soif, surtout les plus malades, dont la chère mère de la Présentation est la première. Dès le soir de notre arrivée, qui fut le 17e de septembre, elle eut des vomissements étranges qui la prenaient à chaque heure ; la poitrine, la tête, les côtes lui faisaient faire des plaintes qui me pénétraient de douleur. Parmi tout cela elle voulait faire l'office et faire maigre, ce que monsieur du Chartrin a empêché comme à ma soeur de Sainte Magdelaine qui a été con- trainte d'abandonner le soin de la charge. Ma soeur de Saint Benoist, qui s'embarqua avec la fièvre, n'a cessé de vomir avec bien de la patience. La petite mère Paulmier est toujours sur son lit. Monsieur Philippe et sa grande novice, toujours sur le tillac ; quand elle a vomi, elle mange ; les deux autres sont bien mal, et ne laissent pas de tâcher de rendre quelques services. Ma soeur de Saint Ovide est encore des plus mal, ne pouvant bouger du lit ; on lui arracha trois dents la veille de son départ sans qu'elle ait fait un cri.

Nos mères sont toujours charmées de ma soeur de Saint Joseph qui est restée seule pour nous soulager, quoiqu'elle soit mal, qu'elle ne prend rien pour se soulager, si ce n'est au soir.

C'est un courage, une douceur qui surpassent l'imagination, nos mères la regardent comme un trésor. J'ai laissé ma révérende mère de Sainte Gertrude, des dernières, pour vous parler tout au long de son courage. Elle a vomi jusqu'au sang avec tremblement, ne souhaitant comme le cerf qu'un bonne fontaine pour se rafraîchir ; et ma chère mère de Sainte Mectilde qui protestait qu'elle ne serait point malade, elle a eu de grands vomissements accompagnés de frissons sans ne pouvoir rien prendre et gardait dans ses maux un grand silence ; mais ma soeur de la Passion a la bonne part dans la maladie, comme ne se pouvant remuer. C'est un miracle de voir le courage de tout le monde.

Monsieur du Chartrin est fort bien et les autres hommes aussi, excepté David qui fut si mal qu'il crut être un jour plus vieux qu'il n'était, les séculières sont fort mal, excepté une.

Le 19 de septembre, l'on a pas tant vomi qu'aujourd'hui, l'on est comme des ivrognes. Je ne sais seulement si l'on pourra dire la messe dimanche tant est grande l'agitation. Pour moi, ma très honorée mère, ma souffrance est universelle étant comme le poisson hors de l'eau.

Le 20, l'agitation fut si grande que monsieur du Chartrin, les plus forts et moi, donnâmes du nez en terre.

Le 21, on ne célébra point la messe, et je ne vois point d'espérance qu'on la dise une seule fois ; l'on ne peut marcher qu'à quatre pattes. Philippe se porte bien, et nous rend toutes 112 sortes de bons services avec un homme qui a porté quatre mois l'habit des pères de Nazareth 61.

Le 22, c'est ici la vraie image du purgatoire, tous les sens y sont cruellement affligés ; on voit l'image de la mort peinte sur les visages, l'horreur d'un cachot plein d'une confusion du monde ; les oreilles entendent toutes sortes de plaintes, sans pouvoir soulager personne ; le goût souffre cruellement, l'on ne respire que de l'eau et elle sent mauvais ; l'odorat est accablé de fumée, l'odeur des viandes et des fruits cause des vomissements continuels. Les cloaques du vaisseau, la mer, nos lits mêmes, sentent le caveau. Le coeur est englouti, son plus grand soulagement est de vomir. L'incertitude où l'on est, qu'elle en sera la fin, afflige l'esprit. Celles qui l'ont le plus désiré souffrent le plus, gardant toujours un profond silence. La soeur Sainte Ovide, à laquelle on a arraché trois dents, dit que c'était des roses en comparaison de ce qu'elle souffre. Voilà, ma chère mère, l'état de vos chères victimes. Je vous l'écris assise par terre, ne pouvant me tenir debout un Ave Maria. Je n'ai été qu'un jour sans dire notre office. Je tâche à me ravoir pour soulager les autres. La mère de Sainte Mectilde soutient plus que personne ; c'est un miracle si la mère de Sainte Gertrude et de la Présentation n'en meurent, et la soeur de Sainte Ovide !

Le 23, l'agitation fut telle que je tombai dans l'extrémité de toutes souffrances, puis sentant mon âme sur les lèvres, je l'offris à Notre Seigneur pour le soulagement des pauvres victimes que je voyais toutes à l'extrémité, et qu'il nous donnât bon vent. Nous fimes cinq lieues cette nuit là, et la précédente le péril me paraissait assuré. Sans ma soeur de Saint Joseph, je ne sais ce que nous serions devenues, nos mères la regardent comme une sainte.

Le 25 de septembre, ce jour-là la mer ayant été un peu calme, j'eus la consolation de voir un peu réjouir nos mères. Ayant pris notre office, je tombai aussitôt dans un extrême épuisement, et la mer devenant dans une grande agitation, nous étions pelotées comme des balles.

61. Religieux du Tiers Ordre de Saint François qui avait deux couvents à Paris : celui de Picpus et celui de Nazareth, près du Temple. Mère Mectilde eut pour directeur de conscience, durant son premier séjour à Paris, entre 1643 et 1646, le père Jean Chrysostome de Saint-Lô, gardien du couvent de Nazareth et qui exerça une grande influence à son époque (Cf. DS, fasc. X, col. 880 - 885). Les franciscains étaient arrivés en Pologne dès 1231.

Le 28 de septembre, ce jour ayant été calme l'on a dit la sainte messe où la plupart ont communié pour la première fois. Le grand saint Michel nous donna le bon vent dans le temps qu'il nous fallait passer des bancs de sable, et un détroit où plusieurs ont péri. Si le bon vent ne fût venu, il nous aurait fallu descendre dans la méchante province de Norvesque [Norvège] pour l'attendre, peut-être tout l'hiver, comme il est arrivé à d'autres. Nous voilà au port D'alleSeigneur [Helsinborg],dans le Danemark, à cent lieues de Dantzig. L'on y prendra de l'eau et quelques provisions. Le jour de saint Michel nous n'avons point eu de messe.

Le 30e de septembre, ayant mis pied à terre, je vous y ai écrit « Dalle Seigneur » où nous dépensâmes 30 écus pour un repas.

Le passage nous en voilà de retour. Le même jour à six heures du soir, nous trouvâmes en secret une dame de notre religion qui a la même ferveur des premiers chrétiens. Rien n'est plus honnête que les Danois luthériens. Leurs églises sont propres comme les palais de notre France. L'on me dit que du mois de mai dernier deux vaisseaux ont péri où nous avons passé deux jours auparavant. Je jetai dans la mer une de vos lettres avec un « passeport ».

Le ler octobre, le vent était petit et mauvais le matin, et l'on dit la messe pour la deuxième fois. Pendant l'action de grâce de la sainte communion, le vent devint si grand et si bon que sur les neuf heures du soir nous avions fait cinquante lieues.

Le 2 octobre, point de messe, toujours le vent bon, et l'espérance d'arriver le lendemain à Dantzig. Tout le monde se porte un peu mieux, quoique les vomissements ont été continuels, excepté la mère de Sainte Mectilde, de Saint Joseph et moi. L'on ne souhaitait que de l'eau et des citrons, c'était justement ce que l'on n'avait pas. L'on a peu donné un bouillon aux plus malades à cause de la méchante eau et la mauvaise marmite ; on a vécu par miracle. Pour ma chère soeur de Saint Joseph, elle demeura seule pour servir, s'étant traînée à quatre pattes plusieurs fois et tombée bien des fois pour cela.

Le 3e d'octobre, la nuit fut dangereuse. Le matin l'on dit la sainte messe et, quoique nous ne fussions qu'à quatre lieues de Dantzig, nous n'y allâmes pas à cause du mauvais vent.

115

La nuit du 4e d'octobre, nous échappâmes des dangers et, à six heures du matin, nous arrivâmes en rade de Dantzig... et de là nous débarquâmes au soir, bien mouillées, et fûmes reçues chez un traiteur français.

Le 4e d'octobre, étant arrivées à Dantzig à six heures du soir, entre 7 et 8, l'on nous apporta une de vos dignes lettres qui fut lue devant tout le monde. Jugez de notre joie ; en vérité elle était grande ! Le lendemain nous allâmes aux Carmes. Le lendemain nous trouvâmes ici deux Dames des premières de Pologne, qui nous ont fait des honnêtetés qui passent l'imagination, ce qui nous donne de grandes espérances. Il y en a une troisième qui nous traite demain, qui avait ordre de la reine depuis trois mois de nous recevoir. Mais monsieur Matisis nous ayant fait descendre chez un traiteur français, proche chez lui, nous y demeurons, étant fort régulières ; mais couchées par terre à la mode des hôtes du pays, nos dames nous envoyèrent des lits, et les religieuses de Sainte Brigitte nous ont régalées chez elles

Le premier jour de leur fête, après avoir ouï leur messe et toute la musique de Dantzig, qui est effroyable, quoiqu'il y ait toutes sortes de bons « instrumenters », monseigneur l'évêque nous y donna sa bénédiction, avec cent honnêtetés, comme de [la part de] toute la noblesse. Nous pressons pour partir à cause du beau temps. L'on nous promet que ce sera vendredi. Monsieur Sicault, notre cher conducteur jusqu'à l'embarquement en mer, a été témoin de nos roses ; j'eusse souhaité qu'il eût été participant des épines qu'ont supportées celles qui sont, avec tout respect, ma révérende mère

vos très humbles et très obéissantes filles.

A la mère de la Présentation de Beauvais à son arrivée en Pologne Paris, 31 octobre 1687

Je ne puis vous exprimer le plaisir que vous m'avez fait de me consoler de vos chères lettres. Je ne doute pas que vous n'ayez souffert dans le voyage, terriblement, en toutes manières. Le corps et l'esprit en ont été affligés ; il était impossible que cela ne fût pas quant au corps, car un voyage de huit cents lieues par mer ne se peut faire sans d'étranges renversements. Je vous ai compatie et admiré souventes fois votre courage ; il fallait que Dieu vous le donnât pour sa gloire, car rien ne vous obligeait de sortir de votre monastère, où je puis dire que vous êtes aimée. Mais comme vous avez voulu faire des sacrifices pour le plaisir de Notre Seigneur, il les a voulus dans la sainteté de son Esprit ; c'est pourquoi il vous a crucifiée et purifiée intérieurement, ayant permis à la tentation de s'emparer de vos sens intérieurs, de votre esprit et de tout ce qui pouvait vous faire souffrir. Il a voulu par là vous disposer pour travailler à son oeuvre avec un esprit de séparation de vous-même pour la rendre plus sainte. Je le prie de tout mon coeur qu'il soit votre force, votre lumière et votre conduite dans ce grand ouvrage de sa gloire que vous êtes allée faire. Il faut qu'il vous donne un grand courage avec toutes vos chères compagnes pour soutenir les difficultés qui ne manquent jamais de se rencontrer dans de pareilles affaires.

Vous avez à contenter [Dieu] premier en toutes choses, et puis tâchez de contenter la reine qui est si bonne et si remplie de vertus. C'est assurément une grande et admirable princesse en toutes manières. Je fais un grand fond sur sa piété et sur sa bonté qui est dans l'estime de tout le monde. Je vous estime heureuse d'être en ses royales mains. Son coeur est grand pour Dieu. Je vous prie d'embrasser ses pieds pour moi et d'assurer Sa Majesté que nous ne cessons de prier pour la conservation du roi et de toute la famille royale que nous aimons tendrement. Il me semble que la Pologne est ma patrie, tant elle m'est intime.

La chère mère des Anges est encore ici ; vous savez pourquoi elle est venue ; madame votre mère ne veut pas qu'elle voie le roi qu'elle nomme « son bon ami » ; elle en est assurément bien mortifiée. Elle s'en retourne à Rouen. Cette chère pe-117tite mère a pour moi tant de tendresse et de bonté que j'en suis confuse ; je voudrais bien la retenir avec moi, mais la mère prieure de Rouen [mère Françoise de Sainte Thérèse du Tiercent] la prie à mains jointes de retourner.

Je ne puis vous exprimer les sentiments d'affection et de tendresse de toute la communauté qui vous embrasse de tout son coeur, et moi, très chère, je suis de tout le mien tout à vous, avec la plus intime cordialité possible à votre indigne mère. Je prends cette qualité parce que Notre-Seigneur me l'a donnée quand il a voulu que je vous immole et que je vous enfante en son amour ; souffrez-moi, très chère, en me croyant tout à vous. J'embrasse votre chère petite communauté en vous souhaitant toutes sortes de bénédictions.

N° 1140

Aux religieuses envoyées à Varsovie de Paris, en France, le 23 novembre 1687

Je vous salue Marie Mère de Dieu qui avez été conçue sans péché originel.

J'apprends avec douleur, par vos chères lettres du 24 du mois passé, les peines que vous avez souffertes et que vous souffrez encore, mes très chères mères et mes chères enfants.

Je n'en suis pas surprise, les oeuvres de Dieu, pareilles à celle que vous êtes allées faire, ne s'enfantent que par la Croix.

Je me suis bien attendue que vous auriez beaucoup à sacrifier ; tous les royaumes du monde ne sont pas comme celui que vous avez quitté ; mais souvenez-vous, très chères, que vous l'avez quitté pour Dieu et que, si l'on vous avait dit qu'il y avait un martyre à soutenir, vos grands coeurs, pour Dieu, vous l'auraient fait embrasser. Je vous conjure de relever un peu votre courage. C'est dans ces rencontres que vous donnez à Notre Seigneur des marques de votre amour. Vous étiez allées chercher sa gloire, votre zèle vous transportait à embrasser ce qui était le plus difficile. Les souffrances de la mer ne vous ont pas rebutées ; ne vous effrayez pas de ne trouver d'abord que les quatre murailles, la suite vous semblera meilleure ; et après tout, si la reine manquait, Dieu ne vous manquera pas. Prenez de l'argent des amis de M. de Rigioly, je lui rendrai ici. Ne souffrez point de nécessités, ce n'est pas mon intention. Notre Seigneur a dit que votre établissement sera à sa gloire et qu'il le bénira. Ayez courage, je me souhaite ardemment avec vous pour partager vos souffrances et pour vous dire qu'il ne faut pas perdre coeur. Je vous promets que Notre Seigneur vous établira bien, avec un peu de temps et de patience ; vos souffrances vous serviront de préparation à son oeuvre. Adorez ses desseins et son entrée en ce monde dans une étable, sans secours humains ; honorez ses états pauvres, abjects et souffrants. Il est vrai que vous êtes dans un pays étranger ; mais vous êtes dans les bras et dans le sein de Dieu même, toujours avec lui et soutenues de ses grâces. Je vous plains fort pour le froid, mais comme le bois est abondant ne l'épargnez pas, la reine donnera des ordres pour vos besoins. Elle ne vous a point appelées pour vous laisser périr, elle a trop de piété ; l'on saurait en France qu'elle vous aurait manqué ; je vous prie de ne point croire cette pensée, vous verrez ses bontés.

C'est une reine qui a un grand coeur pour Dieu et qui aura des bontés de mère pour vous.

Monsieur le marquis de Béthune a mandé à madame de Beaumont 62 qu'il ferait des merveilles pour votre établisse-

62. Anne-Berthe de Béthune, soeur du marquis François Gaston de Béthune, fut une amie très intime de mère Mectilde. Nos archives ont conservé 331 lettres de mère Mectilde à cette abbesse. Née en 1637, elle était entrée à l'abbaye de Montmartre, près de sa tante, madame de Beauvillier, à l'âge de douze ans, si l'on en croit les Chroniques de l'Abbaye. Elle fut d'abord abbesse de Saint-Corentin-lès-Mantes (dioc. de Chartres), puis de Beaumont-les-Tours (arrond. de Tours), le 15 octobre 1669. Elle décéda le 25 juillet 1689 après vingt ans de gouvernement, à l'âge de 52 ans. Cette abbaye, fondée en 580, dans le cloître de la basilique Saint-Martin. sous le vocable de Notre-Dame, par Ingeltrude, puis transférée en 1002 à Beaumont, aux portes de Tours, par le trésorier, Hervé de Buzançais. Cet antique monastère avait subi bien des vicissitudes, surtout pendant la guerre de Cent Ans. L'abbesse Françoise de Marrafin, avec le concours du Minime François de Belleniére et des bénédictins de Chezal-Benoit, entama une sérieuse réforme et fit rédiger de nouveaux statuts (1532-1554). L'abbaye fut ensuite dirigée par des abbesses de grande valeur : Charlotte de La Trémoille, religieuse de Fontevrault, Anne Babou de La Boudaisière, qui forma plusieurs religieuses, réformatrices du XVII' siècle, et enfin Anne-Berthe de Béthune. L'abbaye possédait un prieuré à Mennetou-sur-Cher (Loir-et-Cher), à une vingtaine de kilomètres de Selles-sur-Cher, fief de la maison de Béthune. Il est souvent fait mention de ce prieuré dans les lettres de mère Mectilde à Madame de Béthune. (Cf. Dom Yves Chaussy, Les bénédictines et la réforme catholique en France au XVII' siècle, édit. de la Source, 1975).

119 ment. Un peu de patience, vous serez consolées, donnez votre temps et votre peine à Notre Seigneur pour la gloire de son divin Mystère, et il vous comblera de bénédictions.

Ne doutez pas que le démon ne jette de grands dégoûts dans vos coeurs pour vous décourager et vous faire perdre le mérite de tant de fatigues, et détruire l'oeuvre de Dieu dans la naissance.

J'espère que Notre Seigneur et sa très sainte Mère vous donneront des forces et du courage pour achever ce que votre zèle et votre amour pour notre adorable Mystère vous a fait commencer ; vous avez bien pu vous persuader en prenant votre résolution d'aller, que l'on ne fait pas des établissements hors d'un royaume sans s'exposer à beaucoup de peines et de grandes incommodités. Prenez courage, la Croix est venue du devant de vous pour vous faire soutenir toutes choses, pour parvenir à glorifier Notre Seigneur, et à élever un autel à sa gloire. Je vous estime infiniment heureuses, très chères mères et très aimées filles, ne perdez pas votre confiance. Dieu bénira son oeuvre, tâchez de la faire, elle en sera d'autant plus sainte que vous n'y trouvez rien pour la nature et que vous y vivez en pur sacrifice. Après vous prendrez vos mesures pour revenir ; je ne vous en empêcherai jamais. Je voudrais que vous en soyez à la veille, ce serait une marque que vous auriez tout fait. Souvenez-vous que vous êtes les héros du très Saint Sacrement et qu'il vous a choisies pour porter sa gloire et son amour dans les coeurs, que Notre Seigneur vous tient dans sa divine main, m'assurant par sa fidèle servante que tout irait bien, qu'il vous protégerait, et vous conduirait lui-même. Il ne nous a pas dit, très chères mères, que ce serait sans peine ; tous commencements sont difficiles, et très difficiles, hors de vos habitudes et de vos connaissances.

Mais, très chères, vous n'êtes pas hors de Dieu, c'est ce qui vous peut consoler dans vos angoisses. Je voudrais être avec vous de tout mon coeur pour les partager avec vous, et les tirer toutes dans mon coeur, s'il m'était possible.

J'écris à monsieur du Chartrin pour le remercier de toutes ses bontés en réponse de ce qu'il a pris la peine de m'écrire. Il parle de son retour, il y faudra travailler. Je lui ai de très grandes obligations pour les services qu'il vous a rendus. Témoignez-lui bien de la reconnaissance. Ayez soin qu'il soit accommodé et, si vous n'avez point d'argent, je vous prie d'en prendre des amis de monsieur de Rigioly et je le rendrai ici. J'espère que vos chagrins ne dureront pas toujours.

Vous avez commencé pour Dieu, achevez ; très chères, et il vous bénira.

Je le prie vous combler de grâce et de bénédiction.

Je suis tout à vous, mes très chères, et vous promets que je ne vous oublierai jamais. Et si vous n'étiez pas contentes, je trouverai des moyens de vous faire revenir.

Ayez donc courage et me croyez tout à vous. L'éloignement ne change pas mon coeur, vous le trouverez toujours tout à vous en Jésus et sa très sainte Mère.

N° 858, autographe à Varsovie

Aux religieuses de Varsovie ce dernier de l'an 1687

Je vous ai écrit beaucoup de fois, mes très chères mères, sans pouvoir être assurée que vous ayez reçu aucune de mes lettres. Cette incertitude me mortifie de manière que je ne sais si je dois continuer de vous écrire.

Je me suis aussi donné l'honneur d'écrire à monsieur l'abbé du Chartrin qui m'a témoigné le désir qu'il avait de revenir au printemps.

Je vous plains fort de son absence. C'était pour vous un grand secours et à moi une grande consolation que vous ayez une personne d'un si grand mérite à qui Notre Seigneur a donné une charité si étendue sur vos besoins. Je voudrais bien qu'il plût à Notre Seigneur le retenir près de vous jusqu'à ce que la Providence vous eût établies solidement. J'espère qu'il retardera son retour pour la gloire de notre adorable Mystère. Je vous conseille de faire beaucoup de prières à la très sainte Vierge pour obtenir cette grâce.

Madame la marquise de Béthune [Marie Louise de la Grange d'Arquienl m'assure par ses lettres qu'elle fera tout son possible pour que vous ayez la satisfaction que vous pouvez désirer. Si je n'étais certaine du dessein de Dieu sur votre établissement et qu'il s'est fait par sa divine volonté absolument, je serais dans une perpétuelle inquiétude.

121

J'avais pris la résolution de vous faire faire un commandement absolu de revenir, mais Notre Seigneur a fait connaître que c'était l'ouvrage de sa gloire ; c'est ce qui m'a lié les mains. Je crois, à présent, que vous aurez vu la reine, étant de retour de l'armée, et qu'elle vous aura donné des marques de la bonté de son coeur royal. Votre établissement lui servira un jour de consolation et Dieu saura bien récompenser cette bonne oeuvre qu'elle fera pour l'amour du très Saint Sacrement.

Mandez-moi si vous jugez à propos que je me donne l'honneur d'écrire à Sa Majesté.

Je ne sais si je vous ai mandé que Notre Seigneur a exaucé les prières de la bonne âme qui a demandé un prince héritier de la couronne d'Angleterre. La reine aura bientôt cette consolation, qui sera un très grand bien pour la conversion totale du royaume. Je crois qu'elle établira aussi dans Londres, une maison de notre institut. Vous aimerez sans doute cet établissement, à cause de toutes les impiétés que l'hérésie a causées dans ce royaume.

Je vous prie me donner la consolation de me donner de vos chères nouvelles chacune en particulier, et d'être persuadées que je ferai tout ce qui me sera possible pour vos satisfactions, étant toujours, d'un coeur très sincère et très cordialement, votre fidèle amie et très affectionnée servante en Notre Seigneur et sa très sainte Mère.

Je vous ai mandé comme la très sainte Vierge nous enleva, le jour de son Immaculée Conception, notre chère mère Marie de Jésus [ Chopinel]. Notre Seigneur nous a fait savoir par la bonne âme57 que la très sainte Vierge avait reçu cette chère mère avec une joie incompréhensible et qu'elle était au ciel dans tin haut degré de gloire et qu'en sortant de ce monde elle avait attiré de grandes bénédictions sur l'institut. La perte que nous avons faite est grande. Il faut espérer que son secours nous sera très favorable.

Vous avez su aussi la mort de monsieur loyseau 63. Vous

63. Charles Loyseau, conseiller à la Cour des Aides, était fils de Charles Loyseau (1564-1627), juriconsulte célèbre à son époque. Il épousa Louise Tourtier, d'Orléans, dont il eut six enfants, entre autres Charles et Anne, qui fut religieuse au monastère de la rue Cassette. Sous-prieure durant de longues années, elle succéda à mère Mectilde comme prieure du monastère jusqu'à sa mort, en avril 1699. (Cf. C. de Bar, Lettres inédites, Rouen, 1976).

apprendrez quelque jour la nôtre qui ne vous sera pas sensible dans un si grand éloignement.

Je vous salue pour la nouvelle année, en laquelle je vous souhaite toutes sortes de bénédictions. Je les espère de l'infinie bonté de Notre Seigneur et de la haute piété de la reine. L'on fait toujours ici beaucoup de prières pour vous toutes et pour l'heureux succès de votre établissement.

N° 1661, autographe à Varsovie

D'une religieuse du Saint Sacrement, de Pologne à notre révérende mère sur leur arrivée en Pologne de Varsovie, I2e janvier 1688

Malgré l'accablement d'affaires où nous sommes, ma très révérende et très honorée mère, je ne puis m'empêcher de dérober ce petit moment pour vous remercier très humblement de celle que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire du 23e de novembre 1687. Nous reçûmes deux de vos paquets, tout à la fois, qui nous pensâmes faire mourir de joie. Apparemment, ils sont arrivés sans aucun risque.

Nous avons eu l'honneur de voir Leurs Majestés. La reine arriva la veille de Noël, et le roi, le lendemain de la Circoncision. La reine, ayant voulu avancer son arrivée avant le roi par l'impatience qu'elle avait de nous voir, voulut pourtant nous surprendre, et défendit que l'on nous dise le jour qu'elle viendrait. Quelles qu'informations que nous fissions pour le savoir, jamais nous ne le pûmes découvrir. Nous avions envie de lui faire une entrée solennelle et chanter le Te Deum, mais elle avait donné de si bons ordres que nous fûmes malheureusement trompées, mais pourtant agréablement, car elle nous fit une journée la plus agréable du monde. Elle descendit d'abord aux Carmélites pour y coucher jusqu'à l'arrivée du roi, à qui elle avait promis de ne point entrer dans le Louvre qu'avec lui, de sorte que, sur les neuf heures du soir, elle nous envoya madame la grande Chancelière, [Marie Anne de la Grange d'Arquien] nous faire compliment de sa part et nous assurer qu'elle était bien mortifiée de ne pouvoir nous embrasser aussitôt qu'elle l'aurait souhaité ; mais que la fatigue était si grande 123 qu'elle ne la pouvait surmonter ; que le lendemain au matin elle ne manquerait pas de se rendre au château ; qu'en attendant. elle nous embrassait de tout son coeur. Et pour mieux jouer la comédie, madame la grande Chambellante dit à la mère de Jésus, tout bas : « Je ne sais ce que cela veut dire, je suis dans la dernière surprise que la reine ait descendu aux carmélites; avant de venir vous voir, il y a quelque chose là-dessous que je ne comprends pas ».

Cela nous affligea un peu et nous ne pûmes nous empêcher de le témoigner à madame la grande Chambellante. Comme cette dame s'en allait, monsieur du Chartrin la voulut conduire. Il rencontra un gentilhomme qui vint à grande hâte lui dire : « Madame avertissez vos dames, voilà la reine, qu'elles ne se méprennent point ». Car vous saurez qu'elle était seule, sans aucune suite, dans le carrosse, avec madame la grande Chancelière, sa soeur. Nous courûmes promptement au devant d'elle et ma mère de Sainte-Gertrude, qui était seule, qui nous avait devancées, commença à chanter : Laudate Dominum omnes gentes, dans un grand transport de joie. Nous aperçûmes madame la grande Chancelière et monsieur le Comte de Maligny. 64 le frère de la reine, qui la tenait par la main, qui se mit devant la porte, comme pour l'empêcher de passer, et me dit : « Mes chères mères, que faites-vous ? Ce n'est point là la reine, c'est moi qui viens vous témoigner mille amitiés de sa part et vous assurer que, sans l'extrême fatigue où elle est, elle aurait eu la consolation de venir vous saluer ce soir ».

« Quoi, monsieur, lui dîmes-nous, ce n'est point la reine ? L'on vient de nous dire qu'elle était ici. Ah ! Mon Dieu ! Quelle douleur pour nous de la savoir dans Varsovie et de n'avoir point l'honneur de nous jeter à ses pieds ». Cependant que nous nous lamentions de cette sorte, la mère de la Présentation et moi, nous remarquâmes une dame, soutenue de deux écuyers, qui était dans une grande obscurité, car elle avait fait retirer tous les flambeaux ; nous ne doutâmes pas toutes deux que ce fut la reine. La mère de la Présentation, plus hardie que moi, s'élança dans la chambre et se mit à crier : « Voilà la reine ! » et d'abord se jeta la première à ses pieds et lui baisa la

64. Anne Louis de la Grange, marquis d'Arquien, comte de Maligny (cf. chap. Il. n. 37).

main. A ce cri nous quittâmes madame la grande Chancelière et nous vînmes fondre en un instant à ses pieds. Alors elle ôta son masque et tous les flambeaux parurent. Elle nous dit enfin : « Mes mères, il n'a pas été en mon pouvoir de me priver de la consolation de vous voir aujourd'hui, car je n'aurais pu reposer tranquillement, et je n'ai pu gagner sur moi d'attendre à demain à me donner cette joie ». Vous jugez bien de ce que nous pûmes répondre à cela, d'autant plus que nous ne nous y attendions pas. A cette grâce, elle ajouta encore toutes les cordialités imaginables et je peux dire qu'elle nous en combla. Ensuite, elle demanda laquelle était la mère prieure, car nous étions toutes confusément à genoux. On la lui montra. Elle dit : « Ma mère, que je vous embrasse » et lui témoigna mille bontés. Elle voulut voir comme nous étions accommodées. Elle entra dans toutes nos petites cellules qu'elle trouva fort propres et fort à son gré, disant tout haut : « Ah ! mon Dieu ! si j'y demeurais toute ma vie ! ». Nous la menâmes dans l'appartement des novices qui s'en allaient coucher. Étant toutes déshabillées, vous pouvez croire quel effroi elles eurent de voir la reine dans cet équipage ! Elles se sauvèrent dans les greniers d'où jamais on ne les put faire descendre. La reine et toute la Cour riaient à gorge déployée. La reine nous demanda d'où vient que nous n'étions pas couchées, et qu'elle s'attendait de nous embrasser toutes dans notre lit ; qu'elle aurait eu bien du plaisir de nous y trouver ; qu'elle était venue exprès bien tard pour cela, et elle nous quitta en nous renouvelant ses bontés et amitiés. Ma soeur Suzanne de la Passion, qui ne s'était point trouvée à son arrivée, vint comme elle était. Déjà à la moitié de l'escalier, on dit à la reine qu'il y avait une religieuse qui n'avait pas eu l'honneur de se jeter à ses pieds et qu'elle en était extrêmement mortifiée ; elle l'attendit et la reçut fort cordialement.

Le lendemain au matin, monsieur du Chartrin lui présenta une lettre de la mère de Jésus et nos très humbles respects. Elle lut la lettre par deux fois et elle dit : « Mes filles sont spirituelles. Il n'y a rien de mieux que cette lettre là. Je suis extrêmement contente d'elles ». Elle nous fit de nouveau cent amitiés et nous manda qu'elle nous allait envoyer ses carrosses pour l'aller trouver aux Carmélites. Elle ne le fit pas parce qu'elle reçut tant de visites qu'il lui fut impossible de nous faire venir. Elle alla sur le soir aux filles de Sainte Marie. Elle revint au château et nous mena dans son appartement. Elle s'assit sur 125 son petit lit de repos et elle commanda que l'on nous apportât des carreaux (des coussins) pour nous mettre, mais nous la remerciâmes très humblement. Elle fit sortir tout le monde, jusqu'à madame la Princesse Thérèse, sa fille, disant qu'elle avait à parler avec nous. Elle fit rester la marquise de Béthune. Insensiblement nous tombâmes sur la maison qu'il nous fallait. La reine nous en nomma une qu'elle goûte fort et que nous avons déjà vue, qui est une maison séculière.

Le lendemain elle nous envoya dire qu'elle allait envoyer ses carrosses afin que nous allassions dîner aux Carmélites et que l'on envoyât une soeur converse pour montrer à accommoder à la française. La mère de Jésus se mit dans le carrosse, avec elle, pour entretenir la reine sur toutes nos affaires. Dès qu'elle entra, elle alla se jeter à ses pieds, lui témoigna mille bontés. La mère de Jésus lui dit qu'elle avait pris le devant pour avoir l'honneur de l'entretenir. La reine fit sortir tout le monde et retarder la messe et donna à la mère de Jésus tout le temps qu'elle souhaita. Ce pays-ci n'est pas comme celui de France : l'on y vit à force d'argent. Après donc que la mère de Jésus eût parlé à la reine autant qu'elle a voulu, elle se retira et Sa Majesté put entendre la messe. Pendant ce temps elle nous envoya quérir avec deux carrosses à six chevaux quoiqu'il n'y eût qu'un pas des carmélites au château ; nous lui fûmes rendre nos respects. Elle nous donna sa main à baiser, nous témoignant à son ordinaire milles bontés. Elle nous fit conduire par les princes, ses enfants, chez la mère prieure des Carmélites, qui se meurt du poumon. Nous fûmes conduites ensuite au réfectoire où l'on nous traita magnifiquement. La reine y dîna à la table de la mère prieure ; nous fûmes régalées des mets, la plupart à la polonaise, dont nous ne pûmes quasi manger tant cela était méchant. Notre table était si proche de celle de la reine qu'elle n'ôtait point les yeux de dessus de nous, s'informant si nous mangions toutes. Les princesses palatines et autres dames et demoiselles de la première qualité nous y servaient et c'était un si grand cours de monde dans le réfectoire, de grands seigneurs et dames que l'on s'y portait.

La reine but à la santé tout debout à la polonaise. L'on nous présenta incontinent un verre de vin pour boire à la santé de la reine.

La mère de la Présentation s'écria tout haut : « Je ne sais point boire à la polonaise, comment faut-il faire ? » La reine lui cria : « Ne buvez point à la polonaise mais à la française ». Il nous fallut pourtant boire à la santé de la reine. Ce repas dura trois ou quatre heures d'horloge, après lesquelles la reine nous mena dans une grande chambre, d'où elle renvoya tout le monde afin de nous parler et, comme la chambre était pavée de pierres, elle ne voulut jamais que nous nous mîmes à genoux à ses pieds. Elle se tint deux heures d'horloge avec nous, où il n'y eut point d'amitiés, de bontés et de cordialités qu'elle nous fit, que nous aurions toutes sortes de satisfactions, qu'elle était notre mère, qu'elle nous aimait en cette qualité avec la dernière tendresse. Enfin je vous puis dire qu'elle nous combla d'amitiés.

Je ne crois pas que l'on puisse voir une reine plus aimable et plus engageante. Elle est autant avec nous qu'il lui est possible et nous avons autant de liberté de l'aborder que la plus petite novice, quoiqu'elle conserve toujours la majesté et la gravité d'une reine. Nous sortîmes avec elle pour assister à la procession du Saint Enfant-Jésus, que madame la princesse, sa fille, portait avec les deux princes Jacques et Alexandre. Elle pria la mère de Sainte Gertrude de chanter avec ses chantres dont elle témoigna être fort contente. On retourna au réfectoire où elle fit chanter les novices qui lui plurent beaucoup. La mère de la Présentation dit que je chantais aussi mais qu'il fallait que Sa Majesté fut seule dans un petit coin, qu'à moins de cela je tombais en faiblesse d'appréhension. Elle me prit par la main : « Allons ensemble, dit-elle, et que personne, ne nous vienne incommoder. Nous avons des affaires ». La Cour ne laissa pas de suivre mais elle fit cacher et retirer la plupart. Je chantai quelques petites choses, mais ma voix était si faible avec la frayeur que j'avais, que je ne fis pas grand chose. Elle ne laissa pas de m'applaudir beaucoup car c'est la plus obligeante princesse qui se fut jamais vue. Elle nous ordonna de faire un mémoire de tout ce qui nous manquait à la sacristie et me dit en prenant congé d'elle : « Au moins songez à ce qu'il faut à notre autel, car j'irai demain vous aider à le parer pour recevoir le roi ». Et comme nous lui témoignâmes qu'elle ne nous ferait qu'empêcher de la revoir, comme nous en étions obligées. « Eh bien, dit-elle, vous me verrez avec lui, comptez comme si vous ne m'aviez pas vue ». Enfin, il me faudrait un 127 volume si je voulais vous particulariser toutes ses bontés que nous recevons actuellement. Je ne finirais point car c'est à tous moments de nouvelles choses. La veille de la Circoncision, elle nous manda que le roi allait arriver et que nous nous disposassions à le recevoir. On lui chanta un Te Deum et un salut, monseigneur l'évêque Dalacisnie (sic) ayant apporté le Saint Sacrement de la cathédrale, qu'il rapporta à huit ou neuf heures du soir, où nous le reconduisîmes avec des cierges. Ce salut achevé, la reine amena le roi dans notre choeur, qui est justement la salle des gardes. Elle nous présenta elle même à Sa Majesté, en lui disant : « Sire, voilà mes filles. Je vous supplie de les regarder en cette qualité et de les aimer pour l'amour de moi. J'espère que ce sera la bénédiction de notre royaume ».

La mère de Jésus et quelques autres se mirent à genoux pour lui embrasser les pieds à la mode de la Pologne. La reine vit qu'il ne nous donnait pas la main à baiser, lui dit : « Sire, donnez votre main, s'il vous plaît. Approchez-vous, mes mères, pour baiser la main du roi ». Il dit : « En vérité j'ai bien de la joie de leur arrivée et de ce qu'elles sont logées céans ». Il dit encore d'autres choses obligeantes que je n'entendis pas. Comme il était tard, la reine nous envoya faire la collation, après laquelle elle m'envoya quérir pour me montrer les ornements qu'elle avait empruntés pour notre cérémonie, les nôtres n'étant pas encore faits, et pour me donner une grande caisse de fleurs contrefaites (artificielles), qui sont si admirables et si naturelles que je crus que l'on me trompait et je ne pus m'empêcher de les fleurer (sentir). Nous fûmes fort tard avec la reine où nous la fîmes rire jusqu'aux larmes de toutes nos aventures et moi de mes frayeurs. Je lui dis en riant : « On m'avait parlé de la guerre des Turcs, des Tartares, des Suédois, de la peste du coton, qui est une maladie du pays », enfin de mille choses que je lui dis elle pensa pâmer de rire. Elle parut parfaitement contente de nous et dit qu'elle ne manquerait pas de vous remercier du choix que vous aviez fait de la mère Sainte Gertrude. On lui conta comme on s'était opposé qu'elle vînt. Elle lui dit qu'elle en aurait été très fâchée, étant une fille comme il faut. Le lendemain, le premier jour de l'année, on exposa le Saint Sacrement où nous renouvelâmes nos voeux entre les mains de monseigneur notre évêque qui officia pontificalement en présence de Leurs Majestés qui assistèrent au service tout pendant le jour. Un autre évêque prêcha en polonais, donc nous n'entendîmes rien, mais l'on dit qu'il ne pouvait dire rien de plus à la louange de notre institut et à la gloire de la reine.

L'église était magnifiquement bien parée d'orfèvrerie, cela était à l'infini, et des choses admirables. La reine nous fit présent du manteau royal avec lequel elle avait été couronnée, qui était tout couvert de point d'Espagne or et argent. Elle nous donna aussi un saint ciboire tout couvert de filigranes d'argent et de rubis. Elle nous fit faire toute l'argenterie que nous lui avons demandée. Elle nous a donné une fort belle tapisserie de velours cramoisi avec des galons d'or, de lés en laine où les ouvriers ont travaillé nuit et jour pour qu'elle fût faite.

Elle nous a donné plusieurs étoffes or et argent de toutes sortes pour des ornements et me dit, toujours en riant : « Notre autel s'accommodera ». Enfin, l'on ne peut rien ajouter à ses bontés. Elle dit qu'elle veut faire toutes nos provisions. Elle nous en a déjà fait venir des quantités pour la cuisine et ordonne que l'on lui fît un mémoire de tout ce qui manque. Elle veut nous faire faire de la fourrure sous nos habits et des bonnets. Elle envoya savoir dès le matin comme nous nous portions et si nous n'avions pas froid à nos heures d'adoration. Celle qui va à onze heures la trouva dans la tribune, c'est où nous faisons notre office, qui faisait son heure d'adoration. Elle y demeure toute l'heure entière disant que c'est une grande bénédiction d'avoir commencé l'adoration au château. Je craindrais de vous ennuyer ou de blesser votre patience, ma très chère et honorée mère, si je vous racontais en particulier ce que je ne vous ai seulement raconté qu'en général.

Permettez-moi donc de finir en protestant aussi bien que toutes nos autres mères, être toute ma vie, ma très révérende mère, votre humble et très obéissante.

Aux religieuses de Pologne A Paris, le douzième du mois de février 1688

Je vous salue Marie, Mère de Dieu qui avez été conçue sans péché originel.

Je reçois, mes révérendes, très chères et très aimées mères, les chères vôtres du 15 de janvier, au retour d'une furieuse atteinte d'apoplexie, où je puis vous dire que j'ai été morte quelque temps, mais Notre Seigneur m'a encore renvoyée sur la terre pour ses adorables volontés.

Il y aura demain cinq semaines que je tombai dans cet accident, qui affligea la communauté, à jeter des cris que l'on entendait hors de la maison.

Tout ce que l'on put faire fut de me donner l'extrême-onction bien en hâte. J'ai eu de la peine d'en revenir. Je ne descends pas encore de notre chambre, mais, ayant reçu les chères vôtres, je n'ai pu m'empêcher de vous y faire un mot de réponse, vous voyant en douleur de ce que Sa Majesté vous fait faire des propositions qui vous donnent lieu de penser qu'elle n'a pas pour vous toutes les bontés qui ont paru dans les témoignages qu'elle vous en a rendus lorsqu'elle vous a honorées de sa présence. Il ne faut point, mes très chères enfants, vous rebuter. Vous connaissez le bon coeur de la reine. Assurez-vous qu'elle fera son possible pour vous bien établir. Confiez-vous en sa bonté. Tout ce que je désire est la conservation du roi et de la reine ; avec cela tout le reste ira bien.

Je n'ai regardé en cet établissement que la gloire de Notre Seigneur. Il l'a voulu, et je me suis soumise à ses adorables volontés.

Mais, très chères et mes plus chères enfants, soyez certaines qu'il pourvoira à tout et donnera à la reine des sentiments plus avantageux pour vous. Il est croyable qu'elle ne vous a pas appelées pour vous laisser périr. Elle est trop pieuse et a trop d'amour pour le très Saint Sacrement. Que s'il arrivait que vous ne fussiez point établies solidement, nous aurions recours à ceux qui ne vous laisseraient point misérables. Notre Seigneur m'a retirée des portes de la mort pour vous assurer qu'il ne vous abandonnera pas et que, vous ayant envoyées en Pologne pour sa pure gloire, il vous y soutiendra. J'en suis si assurée que je prétends vous en donner un peu de consolation dans votre douleur. Représentez humblement à la reine l'impuissance où vous êtes de recevoir les offres que Sa Majesté vous a fait faire, que c'est avec un extrême regret de vous voir obligées de lui donner le déplaisir de ne pouvoir se soumettre, en cette occasion, à ses volontés.

Si j'ai donné les mains à une fondation si modique, madame la marquise [de Béthune) me disant que l'on vivait pour rien à Varsovie, je crus qu'une fondation royale irait toujours au-delà du pur nécessaire, eu égard à mille inconvénients qui obligent à faire des dépenses où l'on ne s'attend pas.

La reine est si bonne et si judicieuse qu'elle ne vous fera jamais des propositions qui ne soient avantageuses, ainsi que je l'ai toujours attendu de sa royale bonté.

Vivez, très chères enfants, dans cette espérance, remettant toute votre confiance en Notre Seigneur et sa très sainte Mère.

Je vous prie me mander quelle somme de deniers il faudrait pour vous établir, pour faire un fond raisonnable. Tout ce que je vous souhaite, c'est une maison en propre, suffisante pour vous loger commodément. Prenez courage ! Vous souffrirez, mais Notre Seigneur conduira tout en bénédiction.

J'avais dessein de vous envoyer au mois de mai deux ou trois belles voix et une organiste. J'attendrai les ordres que vous recevrez de Sa Majesté. Et si, par malheur, vous étiez obligées de revenir, ne vous en affligez pas : l'affection est si tendre que toute la communauté sentirait une grande joie de vous revoir. Vous savez qu'elles vous aiment bien tendrement. Mais, très chères enfants, tâchez de soutenir l'oeuvre de Dieu. Ne manquez à rien de votre côté et Notre Seigneur fera le reste, je puis vous en assurer et que je suis tout à vous, avec une tendresse et fidélité qui ne se peut exprimer.

N° 1349, autographe à Varsovie

A la mère Marie de Jésus Petitgot, prieure 20 février 1688

Je reçois, ma très chère mère, avec une grande joie, vos chères lettres, qui me font un extrême plaisir. Je ne puis vous exprimer combien je vous suis obligée de me donner cordialement de vos chères nouvelles. J'aimerais bien y faire une longue 131 réponse, mais je n'ai pas assez de temps ce matin, qu'il faut porter les lettres pour ne les pas retarder de huit jours. C'est seulement pour vous demander à toutes mille pardons de toutes les peines et mauvaises édifications que je vous ai données, parce que je viens des portes de la mort par une forte atteinte d'apoplexie. Je puis y retourner. Cela est assez ordinaire que cet accident revienne et tue les gens. Il y a aujourd'hui six semaines, à dix heures du matin. J'en suis tout à fait revenue en

[Charte manuscrite de profession de Mère Marie de Jésus Petigot (23 octobre 1670) omise]

santé, sans accident. L'on me mande de la bonne âme que c'est un miracle. Je n'ai point de peine à le croire, sachant comment j'ai été. L'on m'a crue morte céans, et cependant me voilà encore pour un peu de temps.

Tâchez, ma chère mère, de mettre partout l'institut en estime. Ce sera par les vertus et la bonne conduite qui paraîtront entre vous. Je vous conjure de prendre courage et de vous souvenir des bénédictions que Notre Seigneur nous a promises par la bonne âme58 : il veut que vous preniez courage, qu'il vous soutiendra et environnera de ses grâces, me disant que le démon fera tous ses efforts pour vous lasser et vous dégoûter toutes de son oeuvre, mais qu'il faut que vous la souteniez avec courage et confiance. Il en veut tirer de grands fruits. Voyez, très chère mère, quelle récompense dans le ciel, si vous contribuez de tout votre possible à sa gloire. Ne vous lassez point de souffrir. Vous avez beaucoup de peine dans ce commencement, mais le progrès vous donnera plus de satisfaction. Tâchez de contenter et d'édifier la reine, qui a tant de bonté pour vous.

Tâchez d'avoir des pensionnaires, des filles de qualité. C'est par un petit séminaire que vous pouvez augmenter votre maison. Je ne sais ce que Notre Seigneur fera, mais il a bien marqué plus d'une fois qu'il serait glorifié par cet établissement, que ses desseins étaient grands. Vous les verrez dans le temps. Prenez seulement courage.

Je me souhaite avec vous pour embrasser les pieds de la plus grande, la plus généreuse, la meilleure et la digne reine du monde. Si vous en êtes charmée, je ne le suis pas moins, au récit que vous me faites toutes de ses rares qualités d'esprit. Je ne cesse de prier que Notre Seigneur la conserve et le roi aussi, et qu'il comble Leurs Majestés de toutes sortes de grâces et de bénédictions.

Nous vous allons envoyer 4 ou 5 filles qui chantent bien. J'attends pour les faire embarquer que je sache comme il plaira à la reine d'en user. Si je reçois de l'argent qui nous est dû, je veux bien en faire les frais, mais si je ne le reçois pas, il faudra bien que Sa Majesté en fasse la dépense. Si vous étiez un peu accommodées, vous ne lui donneriez pas cet embarras, mais elle est si bonne et a tant de zèle et d'amour pour le très Saint Sacrement que je ne doute pas qu'elle n'en voulût bien faire davantage. Tâchez de votre côté de contribuer à la sainteté de 133 l'oeuvre du Seigneur, et, pendant que je suis encore en ce monde, voyez ce que je puis faire pour votre consolation. Ce sera de tout mon coeur que j'y ferai tout mon possible. Au reste je vous ai, très chère mère, les dernières obligations du zèle que vous avez pour me soulager en quelques choses. Je connais votre bon coeur ; ne vous incommodez pas ; quand vous serez plus riche, vous ferez ce que vous pourrez, mais, à présent, ne songez qu'à prier Notre Seigneur pour moi, qui vous embrasse, très chère enfant, du plus tendre de mon coeur et qui suis en son amour tout à vous, et, quoiqu'indigne, toujours votre très fidèle et sincère amie et mère, toute misérable que je suis. J'embrasse toute la chère et plus que très chère communauté, en attendant que je puisse écrire.

N° 1338.

A madame de Béthune 25e de février 1688

... J'avais préparé l'écrit de la vie et sainte mort de votre bienheureuse petite victime 65, mais comme le caractère n'est pas assez beau, je le ferai dès aujourd'hui d'un très beau caractère, pour l'envoyer vendredi, et en même temps j'écrirai à la reine, pour la remercier de toutes les bonnes choses qu'elle témoigne. Il est vrai qu'elle est admirable dans sa conduite. Je vous assure qu'elle n'aurait pas trop sujet d'être contente, car il se passe bien des petites choses qui ne lui peuvent plaire ; mais c'est une bonté surprenante. C'est l'esprit le mieux fait, le plus éclairé et le plus sage et pieux qui se puisse voir.

J'aurais mille choses à vous dire, mais je vous enverrai les lettres de mère Mectilde et d'autres. Elles ne sont pas contentes de la conduite de la mère Marie de Jésus et, elle, se plaint des autres. Si elles étaient toutes comme il faudrait, cet établissement serait tout divin.

Je finis ce mot, n'ayant pas assez de temps pour dire tout ce que je voudrais.

N° 2789

65. Catherine, fille de Maximilien Alpin, marquis de Béthune, lequel avait épousé Catherine de La Porte le 11 décembre 1668. Quatrième enfant du couple, elle est connue sous le nom de Mademoiselle de Béthune.

Maximilien était le frère d'Anne-Berthe de Béthune, abbesse de Beaumont-lèsTours.

Aux religieuses de Pologne Fini, le 1er mars 1688

... Et j'espère que Notre Seigneur vous bénira.

Combien croyez-vous que sera grande la récompense que vous recevrez dans le ciel pour vous être sacrifiées pour sa gloire ?

Il n'y aura peut-être jamais d'établissement qui soit plus crucifiant que le vôtre, à cause de l'éloignement et du langage difficile à entendre.

Je vous plains, chères enfants, et vous souffrez, mais si je pouvais donner de mon sang pour vous soulager, ce serait de tout mon coeur.

Je n'ai pas vu le projet que vous disiez que la reine m'enverrait pour votre fondation.

Je vous prie, mes très chères enfants, me mander combien vous aurez de revenus solides sans charge, et si votre maison est acquise absolument pour vous.

Je suis bien aise de savoir si vous êtes assurées et stabiliées.

Je suis ravie des bontés de la reine. C'est une princesse qu'il faudrait adorer (s'il est permis d'user de ce terme). Je l'aime et l'honore très profondément et sincèrement. Vous êtes heureuses d'avoir une telle fondatrice, non seulement pour sa qualité de reine, mais pour toutes les rares qualités, vertus et piété qui l'accompagnent. Ne lui dites pas que je l'aime ardemment, mais dites lui que je sens intérieurement pour sa Majesté ce que je ne puis exprimer.

Si je n'étais si âgée, je ferais mes efforts pour parvenir au voyage et conduire les filles que vous demandez ; mais je suis indigne de ce bonheur et de me voir aux pieds de la plus excellente reine du monde et la plus accomplie en toute manière. Il me semble que l'on ferait de cette auguste princesse, une grande sainte. Elle a de grands avantages pour cela ; sa haute piété n'y serait point contraire. Je prie Notre Seigneur qu'il la conserve et le roi et toute la famille royale.

Ne vous étonnez pas que vous ne voyez pas d'adorateurs dans votre chapelle. Quand vous serez dans votre petite maison, les choses iront d'une autre manière. Il faut prier Dieu pour les peuples. 135

Je suis sensiblement touchée de l'affliction de madame la grande chancelière, il faut faire beaucoup de prières pour la conversion de Monseigneur. Demandez sa conversion à la très sainte Vierge.

Vous saurez, chères enfants, que le sieur Talon 66 avait recommencé de nous plaider, mais, par le secours divin que madame l'abbesse de Beaumont a obtenu du ciel, nous gagnâmes hier pour la seconde fois. Je vous prie d'en remercier Notre Seigneur.

Nous avons reçu aujourd'hui les chères vôtres datées du 4, 5 et 6 du courant. Cela m'a réjouie et je vous en suis très obligée. Consolez-vous, je me porte bien, grâce à Notre Seigneur ; mais les médecins me tiennent de près, disant que mon accident était un fâcheux avertissement ; néanmoins Notre Seigneur a dit par la bonne âme qu'il me guérirait, et en effet l'on dit que c'est un miracle. Soyez donc en repos, très chères enfants, je ne mérite pas vos bontés et moins encore les larmes que vous répandez à mon sujet.

Soyez, je vous supplie, bien cordiales les unes avec les autres, afin que votre union attire les miséricordes du ciel sur votre établissement ; prenez courage, vous êtes en état de devenir toutes de grandes saintes. Vous avez besoin de vous entr'aimer ; vous n'avez de société qu'avec vous toutes ensemble. Vous n'avez nulle consolation quand la reine n'est pas à Varsovie. Il est vrai que vous êtes bien dénuées, je le comprends bien. Les privations sont très grandes et, comme vous n'avez point de créatures, vous êtes obligées de chercher et de vous tenir près du Créateur, qui récompensera éternellement les sacrifices que vous faites pour sa gloire au divin sacrement de l'autel. Encouragez-vous à le faire adorer. Petit à petit, Notre Seigneur fera connaître notre institut. Il aura soin de vous, puisque vous vous êtes sacrifiées pour lui par un abandon ad-

66. M. Talon, père d'une religieuse du monastère de la rue Cassette, avait fait une très importante donation au monastère lors de la profession de sa fille (1673). Mme Talon, de religion réformée, s'était convertie après son mariage, mais, devenue veuve, elle retourna au protestantisme et réclama à mère Mectilde non seulement les sommes d'argent offertes par son mari, mais aussi les intérêts de cette dot de sa fille. Mère Mectilde, dans l'impossibilité de faire face à ces exigences, dut, sur les conseils de ses amis, entamer une procédure qui aboutit à son avantage ; Mme Talon fit appel et cette seconde procédure s'acheva encore au mieux des intérêts de notre monastère de la rue Cassette.

mirable. Pour moi, je suis persuadée qu'il fera des choses dignes de son infinie bonté. Ayez, très chères, cette ferme foi et cette amoureuse espérance.

Sachez donc solidement si la reine veut que je vous envoie des religieuses et des filles novices qui aient des belles voix. Il faut savoir positivement si Sa Majesté en fera les frais ; je ne suis pas encore en état de les faire.

Combien voulez-vous de filles qui chantent et combien de religieuses ? Je voudrais bien en trouver de bien constantes et bien abandonnées à Dieu.

Je vous prie, mes chères mères, de supplier Sa Majesté de ne nous point assujétir aux gens qui ont fourni pour votre voyage. Il faudrait envoyer une somme et nous ferions nos affaires nous-mêmes, sans dépendances de ceux qui ne font les choses qu'à demi et en grondant beaucoup.

Prenez les ordres et les volontés de la reine et me les envoyez. Il faut encore vous dire que nous payons les ports de vos lettres et que le cachet de Sa Majesté ne nous en exempte pas. Le dernier paquet que j'ai reçu aujourd'hui est de deux écus. Si vous pouvez faire en sorte que le port de vos lettres puisse être mis par monsieur Elisant sur les parties de la reine, avec ordre de Sa Majesté de ne nous rien demander, cela serait fort à désirer pour faciliter notre petit commerce. Ce me serait une grande consolation. Voyez, très chères, ce que vous pourrez faire là-dessus.

Dans une de vos lettres, vous m'avez mandé que Sa Majesté vous donnait quatre mille livres de rentes. Je vous prie de me dire si ce sont quatre mille livres monnaie de France ; si ces quatre mille livres font quatre cents pistoles. Vous savez ce que c'est des livres de France. Si c'était quatre mille livres de France, je trouverais que cela serait bon pour commencer. La suite en produira davantage. Si, avec cela, vous avez une belle maison, cela serait bien raisonnable.

Si monsieur l'abbé du Chartrin persiste à vouloir revenir après Pâques, on ne peut l'empêcher. C'est cependant une grande douleur pour vous. Il faudrait que la reine l'engageât à demeurer.

Quant à la petite Benoiste Maunoury, Notre Seigneur ne bénira pas son retour, et je l'assure qu'elle en aura du déplaisir. 137

Ne croyez pas, très chères, que je veuille empêcher votre retour en France. Cela se fera sûrement, mais encore un peu de patience. Ne donnez point ce chagrin à la reine, elle en a assez d'autres, vous le savez. Consolez-là, en assurant que vous vous sacrifiez jusqu'à l'année prochaine, que je promets de faire revenir celles qui le voudront.

Achevez, au nom de Dieu, ce que Notre Seigneur a commencé par vous pour sa gloire. Ne perdez point votre couronne. Quand vous serez dans une maison en clôture, il sera plus aisé de vous en revenir sans bruit. Je vous enverrai des filles et des religieuses qui aideront à soutenir l'oeuvre. Je vous la recommande, mes très chères enfants, et de vouloir bien me continuer vos saintes prières, étant à vous toutes du plus tendre et sincère de mon coeur, en Jésus et sa très sainte Mère.

N° 420, autographe à Varsovie

A une religieuse de Varsovie 8 mars 1688

Je vous envoie, ma très chère mère, un petit manuscrit que vous pouvez présenter à la reine. Il contient la mort bienheureuse de mademoiselle de Béthune, sa nièce, décédée à l'abbaye de Beaumont entre les mains de madame l'abbesse, sa tante, avec des dispositions admirables pour son âge.

Madame l'abbesse croit que Sa Majesté sera bien aise de les savoir et aussi monsieur et madame de Béthune, pour leurs consolations, dans leur douleur d'une perte si sensible.

Je me réserve à vous écrire pour vendredi, n'ayant pas eu le temps de me donner aujourd'hui cette satisfaction, mais j'ai eu de petits embarras. Cependant j'ai reçu de vos chères nouvelles du 14 du mois de février. Je répondrai à tout, et à ma très chère soeur d'Auvergne.

J'embrasse toute la chère communauté. Les bontés de votre grande reine ravissant mon coeur, je ne peux assez l'admirer. Je prie Notre Seigneur qu'il la conserve. Je n'aurais, ce me semble, qu'un désir en ce monde, qui est de me voir aux pieds de Sa Majesté. Je sens une amitié profondément respectueuse pour elle, mais je n'aurai jamais cette consolation ; mon âge ne me permet pas d'espérer ce bonheur.

Je prendrai la liberté de lui faire les remerciements que je dois à Sa Majesté pour tous les biens que vous recevez de sa bonté. Tâchez de la bien contenter, car elle le mérite, ayant pour vous des soins tout maternels.

Je ne vous fais que ce petit mot. Je me porte assez bien, mais les médecins m'ont défendu de faire Carême par la défiance que je ne retombe dans un pareil accident d'apoplexie, de sorte que l'on me ménage de la sorte.

Ne vous inquiétez pas, très chère mère ; j'espère que j'en serai quitte pour le reste de l'année. Nous verrons ce que Notre Seigneur fera la prochaine. Je demeure abandonnée à ses très adorables volontés, et suis toujours à vous toutes très fidèle amie et très affectionnée servante en Notre Seigneur et sa très sainte Mère.

Nous avons déjà une voix qui est jolie, qui sait la musique et très sage. J'en attends encore deux, et une ou deux religieuses pour vous envoyer. Cela fera au nombre de 5 ou 6. Je vous prie tenir la main que nous ne dépendions point de messieurs. Vous avez vu la peine ! Nous prendrons d'autres mesures.

N° 1733, autographe à Varsovie

A madame de Béthune 16 mars 1688

... Je crois vous avoir mandé comme notre soeur Madeleine de Jésus s'est offerte de bonne grâce pour aller en Pologne. Je l'ai acceptée, et pour ne point alarmer monsieur de l'Or et la mère Sainte Élisabeth, je dis que je l'ai envoyée à Rouen. Elle fait cela d'une si belle manière que tout le monde en est édifié. Je crois qu'elle fera bien en Pologne. La mère Mectilde s'avise de vouloir revenir absolument. La reine est fort affligée de la mort de monsieur le grand chancelier Jean Wielopolski 67. Elle dit perdre beaucoup d'appui...

Il gèle et neige comme au fort de l'hiver...

N° 2353

67. Jean Wielpolski était stolnik de la Couronne depuis 1662. Il obtint la charge de grand chancelier en 1678. Il la conserva jusqu'à sa mort en mars 1688.

Il fut ambassadeur extraordinaire en France en 1686. Il écrivit de Rome à saint Vincent de Paul pour lui proposer d'établir une maison de missionnaires sur les terres qu'il possédait près de Dantzig.

Le 19 juin 1678 il épousa à Léopol, Marie Anne de la Grange d'Arquien, soeur de la reine Marie Casimire. D'un précédent mariage, il avait eu un fils ainé Louis-Jean qui épousa Catherine Potocka en février ou mars 1688 et mourut sans postérité quelques semaines plus tard (chap. IV, lettre du 16 et 24 mars 1688).

A madame de Béthune 24 mars 1688

Il y a quatre ou cinq jours, très chère victime, que j'aspire à vous écrire, mais la Providence n'a pas donné lieu à mon désir, de sorte que je ne vous dirai qu'un pauvre mot qui vous donnera de la douleur ; votre bon coeur n'étant nourri que d'amertume et il faut que je lui en donne par la mort fort subite du fils aîné de monseigneur le grand chancelier. Il faut que vous sachiez qu'il fut marié dans la chambre de monsieur son père, environ un mois avant sa mort. Et après la mort de son père, il alla à la campagne, où il est mort en deux jours. Jugez de la douleur de la bonne reine et de madame la grande chancelière qui est terriblement affligée. Et je puis vous dire que je ressens cette affliction, qui est très grande pour notre précieuse reine. Voilà comme Notre Seigneur visite ses élus et qu'il les sanctifie.

Je crois, très chère victime, que votre charité les consolera de quelques-unes de vos lettres pour les encourager à souffrir.

La reine m'avait demandé trois ou quatre filles qui eussent de belles voix, mais je crois que je ne dois pas me hâter. Je tâcherai d'attendre encore de ses nouvelles du retour de la Diète, pour apprendre les volontés de la reine. Je crois, chère victime, que c'est votre sentiment.

Notre chère soeur Madeleine de Jésus est partie ce matin pour se rendre chez nos mères de Rouen, où elle attendra les ordres de la reine.

no 647.

A la reine de Pologne ce 10 mai 1688

Madame,

Pourrais-je entendre raconter tous les jours les merveilleuses qualités qui font l'ornement de la plus grande reine du monde et qui comble les filles du Saint Sacrement de toutes sortes de bontés, sans me donner l'honneur de verser en esprit mon coeur aux pieds de Sa Majesté, tout plein d'humbles reconnaissances. Je le ferais avec bien plus d'ardeur s'il m'était permis de me jeter dans le vaisseau qui doit partir dans peu, pour les embrasser réellement avec tous les respects imaginables. J'avoue que je ne suis pas digne d'un tel bonheur.

J'aurais ressenti trop de joie d'aller seconder le zèle de Votre Majesté pour établir la gloire du très Saint Sacrement par l'adoration perpétuelle. Je dois me contenter de renfermer mes désirs dans ce morceau de papier, que je prie nos chères mères de vous présenter, madame, et de vous en dire mille fois plus qu'il ne contient. N'osant me rendre trop importune à Votre Majesté, ce sera aux pieds de l'autel du Seigneur que je tâcherai de reconnaître tout ce qu'elle fait pour la gloire du plus auguste de nos divins Mystères, et par lequel Votre Majesté sera comblée de toutes sortes de grâces et de bénédictions. C'est, madame, ce que je souhaite avec ardeur pour suppléer à mon impuissance et à tous les devoirs d'humbles remerciements que notre institut doit à Votre Majesté, qui n'épargne rien pour faire exalter le très Saint Sacrement dans son royaume.

Il n'y a rien de plus juste, rien de plus saint et rien de plus digne de votre piété royale. Oh ! que je dirais de choses, madame, si le respect ne retenait ma plume et mon coeur qui sent un grand épanchement vers Votre Majesté ! J'estime nos chères mères heureuses de recevoir si souvent les effets d'une bonté qui est sans égale. Elles m'en paraissent si transportées qu'elles s'oublient de toutes choses pour m'entretenir des prodiges de Votre Majesté, qui charme les ennuis qu'elles pourraient ressentir éloignées de leur patrie. Je leur souhaiterais la capacité de pouvoir un peu divertir Votre Majesté, chargée du gouvernement d'un grand royaume, et son coeur royal souvent oppressé de tristesse, qui fait une partie des maux qu'elle souffre sans se plaindre. Quoique son courage soit au-delà du commun, les 141 forces du corps ne sont pas assez grandes pour soutenir tant de choses sans altérer sa précieuse santé, si nécessaire à l'État et singulièrement à celles que votre bonté, madame, honore du titre de ses filles, qui sont les victimes du très Saint Sacrement. Vivez, grande et auguste reine, pour faire adorer Jésus-Christ immolé sur nos autels et pour la consolation de celles qui se sont sacrifiées pour sa gloire et pour accomplir les pieux desseins de Votre Majesté, qu'elles honorent, qu'elles respectent, et, si j'osais, je dirais qu'elles aiment passionnément ; mais je sais que l'on ne doit point parler de la sorte à une personne de votre qualité ; mais votre bonté, madame, le veut bien souffrir et me permettre d'être, avec tous les respects, toute la reconnaissance et la soumission imaginables, madame, de Votre Majesté la très humble, très obéissante et infiniment obligée servante en Notre Seigneur.

N° 2496, autographe à Varsovie
Pour la révérende mère prieure et la chère communauté 13 mai 1688

Je ne puis vous exprimer, ma très chère mère, avec quelle joie j'ai reçu vos chères lettres du Vendredi saint. Je les attendais avec bien de l'impatience pour apprendre le retour de la reine, pour la conservation de laquelle je fais prier bien justement. La bonne âme59 a obtenu de Notre Seigneur une longue vie pour elle et pour le roi. Je voudrais bien qu'il soit triomphant de tous ses ennemis et surtout des Tartares, qui font, à ce que l'on dit par deçà, d'étranges cruautés à un furieux nombre de Polonais qu'ils ont pris, de massacrer, où emmener prisonniers. Cela fait frémir d'horreur. Plût-il à Dieu que le roi soit en effet de poursuivre ces misérables qui ne sont point chrétiens et de les réduire à son obéissance ! Il faut tout attendre de l'infinie bonté de Dieu.

J'ai trois filles qui ont de belles voix, qui sont prêtes à partir, si vous aviez ce qu'il faut pour leur voyage. Je croyais que vous auriez donné les ordres de Sa Majesté pour cela. Je l'attendais pour les faire partir pendant la belle et bonne saison, mais je n'ai rien reçu pour cela. Le secrétaire des commandements de la reine est venu, mais il n'a aucun ordre pour faire toucher de l'argent pour le voyage de deux religieuses que vous demandez, trois filles qui chantent bien, deux bonnes filles pour être converses, une pour la cuisine, l'autre pour le ménage, et un jeune homme qui travaille en toutes choses, très sage et d'une grande utilité pour la sacristie. Voilà le nombre que j'ai accepté. Au nom de Dieu, très chère mère, mandez-moi ce que vous voulez que j'en fasse. Si Sa Majesté n'en veut point, il faut, s'il vous plaît, me le mander en toute diligence, parce que je ne puis continuer à les entretenir si elles ne partent toutes à la Saint-Jean. Vous savez que cette saison est la meilleure de toute l'année. Au nom de Dieu, très chère mère, remplissez-là ; ou me permettez de renvoyer tout ce petit monde, ne pouvant les retenir si longtemps. Je voudrais être en effet de ne rien demander. J'aurais la plus grande joie du monde de vous envoyer ce secours sans qu'il en coutât à personne, mais, présentement, je ne le puis. Mandez-moi donc en diligence les volontés de Sa Majesté. Je ne réponds pas à tout le contenu de votre lettre ; je me réserve pour le retour de monsieur le secrétaire, faisant ce mot par le courrier ordinaire afin que vous l'ayez plus tôt et que j'en puisse aussi avoir une plus prompte réponse. Je crois, que vous croyez, que les ordres sont donnés pour cela, mais, ne vous trompez pas, je vous assure qu'ils ne le sont pas. Faites, je vous supplie, vos diligences. Je n'écris à personne pour cette fois ; la présente sera pour toutes, s'il vous plaît, embrassant toutes, en général et en particulier du plus tendre de mon coeur. Je me désire d'une grande affection au milieu de vous toutes, pour avoir l'honneur de me coller aux pieds de la reine pour la remercier de toutes les excessives bontés qu'elle a pour vous. C'est un abîme de merveilles ou, pour mieux dire, ce sont des miracles, et qu'il faut publier pour la gloire du divin Maître, qui tient dans ses adorables mains le coeur royal de la reine.

Vous voyez beaucoup, mais vous verrez encore davantage. Ayez toutes bon courage. Notre Seigneur est avec vous, et sa très sainte Mère qui vous bénit. Je suis, en son amour, tout à vous d'une tendresse inexplicable.

N° 1137

143

A madame de Béthune le 17 mai 1688

Je ne reçus point hier de vos chères nouvelles. Je suis après pour faire préparer les filles qui doivent aller en Pologne. Il y a trois vaisseaux arrivés à Rouen. Si elles pouvaient partir dans ce mois, elles ne seraient que neuf jours en chemin. Je recommande tout cela à vos saintes prières.

N° 1573

A la mère Magdeleine d'Auvergne 17 mai 1688

Nous avons une si belle occasion de vous écrire, ma très chère fille, que je ne serais pas excusable si je manquais de vous donner un peu de nos nouvelles pour en apprendre des vôtres. Je crois que vous avez su que la reine a envoyé un courrier et que; par lui, vous pouviez nous écrire ; cependant vous ne l'avez point fait. D'où vient, très chère, que vous ne me donnez pas de vos nouvelles, surtout de votre santé, et ce que vous faites en Pologne ? Quand plusieurs écrivent, l'une dit ce que l'autre oublie. Je vous prie, très chère, quand vous aurez des occasions ne les négligez pas ; vous devez vous persuader que c'est une de mes plus grandes joies d'apprendre de vos nouvelles et du progrès de l'oeuvre de Dieu et de la santé très précieuse de la meilleure reine qui soit au monde. Je vous avoue que ses bontés et ses grandes vertus excitent en moi un grand désir de me voir à ses pieds, et si j'en avais la liberté, je partirais avec nos chères soeurs et avec des voix que nous envoyons à votre secours.

Voilà trois voix qui sont belles et qui soutiendront votre choeur. Je vous prie de les bien recevoir. Vous savez qu'il est assez difficile de trouver de belles voix pour envoyer si loin ; quand l'on parle de passer les mers, cela effraye les plus hardies. Cependant la divine Providence nous en a fourni et je n'attends que les ordres de Sa Majesté pour les faire embarquer, y ayant trois vaisseaux à Rouen pour aller à Dantzig. J'ai de l'impatience de les faire partir, sachant bien que vous en avez beaucoup à faire. Sitôt que j'aurai reçu quelque argent, elles partiront sans retarder davantage.

Je vous assure, très chère, que je suis sensiblement tou chée de la maladie, ou peut être de la mort, de monsieur du Chartrin. J'en suis dans une douleur que je ne vous puis exprimer. Voilà une perte inconcevable. Je ne sais comme le faire savoir au présent.

Il faut tâcher de vous servir du père carme pour vous confesser, en attendant que nous puissions vous envoyer un bon ecclésiastique. Je vous assure qu'ils sont rares pour la Pologne. L'on ne veut point sortir.

Je ne vous dirai rien de nouveau, les choses sont comme elles étaient sortant d'ici, excepté la perte que nous avons faite de la chère mère maîtresse, que nous trouvons fort à redire, n'ayant encore pu remplir sa place.

Mandez-moi comme tout va chez vous, un peu dans le détail, et si tout est dans la paix et le repos que je vous souhaite.

Je ne vous dis rien de messieurs vos parents, je n'en ai point de nouvelles ; je crois qu'ils vous en donnent. Tâchez de vous bien porter et d'être une des premières saintes de la maison. N'épargnez rien pour contenter Dieu et il, vous comblera de toutes sortes de bénédictions. Je suis en lui tout à vous.

N° 2330 autographe à Varsovie

A madame de Béthune 1er juin 1688

Sur la chère vôtre du 28 mai, je vous dirai, très chère victime, que je ne sais ce que la chère marquise de Béthune vous a mandé. Mais vous n'avez pas sujet de vous affliger, disant que vos lumières ne sont pas bonnes. Il y aurait bien de quoi vous entretenir pour vous faire entendre les différends des unes et des autres. Ce sera un vrai miracle si l'établissement de Pologne réussit en bénédiction, car la mère Marie de Jésus est très mal contente des trois autres, et ces trois, savoir : mères Gertrude, de la Présentation et Mectilde sont de même très mal satisfaites d'elle. Cette manière étant violente à soutenir de part et d'autre, il faudra, sans miracle, que cela éclate, les filles n'étant pas assez vertueuses et courageuses pour porter tout cela au sacrifice et en faire un usage de pure vertu. Elles n'ont plus personne pour les soutenir. M. l'abbé du Chartrin qui s'était donné à elles pour un temps vient de mourir. Elles en sont dans 145 une extrême douleur. La reine l'a fait enterrer magnifiquement, car c'était un très saint homme et d'une grande édification. C'est pour nos mères une fort grande perte. Quelques novices [Mlles Giron et Philippe] sont sorties de chez elles, qui ont fait de l'éclat. La reine ne veut plus que je leur envoie des postulantes comme on me les avait demandées. Elle veut des professes qui aient de belles voix. Nous n'en avons point, de sorte que je me résouds de prendre les voix que je leur avais disposées, leur donner l'habit et dans un an elles seront professes, pour les envoyer. J'ai donc sursis leur voyage jusqu'à ce que nos mères me fassent savoir autre chose des volontés de la reine. Les petites peines et difficultés qui surviennent dans les nouveaux établissements ne me surprennent pas ; le démon fera son possible pour renverser celui-ci dès son commencement. Mais ce qui est de plus touchant, c'est leur peu d'union. Je vous conjure, très chère victime, de prier la sacrée Mère de Dieu de soutenir son oeuvre en bénédiction.

N° 2777

A la mère Marie de Jésus Petigot, prieure Paris, 3 juin 1688

En fermant le paquet pour donner à M. le chevalier d'Allaras qui part demain, j'ai trouvé que je ne vous ai point écrit, très chère mère. Je ne puis me résoudre que ce paquet ne vous portât point l'assurance que j'ai reçu la chère vôtre du 30 avril. Ce monsieur a demeuré par deçà bien plus longtemps qu'il ne prétendait. Il n'aura pas la satisfaction de mener le frère Ange : il est trop âgé et cassé pour entreprendre un tel voyage. J'en suis bien fâchée, car il aurait bien soulagé les maux de la reine. Il faut espérer que Notre Seigneur sera son bon médecin.

Je reçus hier une lettre de la part de la bonne âme. Notre Seigneur promet des grâces prodigieuses pour Sa Majesté et pour le roi, (ce sont ses propres termes)60. Et croyez qu'ils seront bien récompensés de l'honneur qu'ils procurent au très Saint Sacrement. Vous savez que Philippe second, roi d'Espagne, fut fait roi de ce royaume, d'un pieux gentilhomme qu'il était, pour avoir rendu un honneur singulier au très Saint Sacrement.

Comme ce Mystère est le plus grand qui renferme tous les autres et dans lequel Notre Seigneur Jésus Christ est le plus anéanti, il prend plaisir d'y être reconnu, aimé et adoré de ses élus. Je suis bien certaine que le roi et la reine seront élevés dans la gloire, en récompense de ce qu'ils font pour l'exaltation de notre adorable Mystère. J'ai de grands sentiments de reconnaissance de toutes les bontés que Sa Majesté vous témoigne. J'ai pris la liberté de lui rendre mes respects, en réponse de celle qu'elle a bien voulu m'honorer. Je ne sais si vous l'avez vu, mais elle me comble de confusion par ses grandes et excessives bontés. Vous êtes bien heureuses d'avoir à traiter avec une si admirable princesse. L'on voit bien qu'elle a un fond de grande piété. Elle a de quoi faire une grande sainte. Je prie Notre Seigneur qu'il vous la conserve. Tâchez de la bien réjouir, et qu'elle puisse trouver en vous toutes, la consolation et l'édification qu'elle en a espéré. Je prie Notre Seigneur qu'il ne fasse de vous toutes qu'un coeur et qu'une âme et que vous soyez toutes animées de son Esprit. Au nom de Dieu, sanctifiez son oeuvre ! Vous y êtes obligées, très chères mères. Encouragez-vous entre vous pour faire des merveilles à la gloire du très Saint Sacrement. Il faut persévérer à prier. Il donnera de grandes bénédictions à votre établissement : plus vous sacrifiez, plus vous recevrez de grâces. Prenez courage, mandez ce que vous désirez de moi, très chères, et comptez que je suis de tout le coeur tout à vous.

N° 385

A la reine de Pologne Paris, 3 juin 1688

Madame,

J'ai reçu avec profond respect celle qu'il a plu à Votre Majesté m'honorer, par laquelle je vois un si grand excès de bonté que j'en suis remplie de confusion.

Non, madame, Votre Majesté ne me doit point de remerciements de lui avoir donné des religieuses de l'adoration perpétuelle du très Saint Sacrement, mais je lui dois des actions de grâces infinies pour la bonne et favorable réception qu'elle leur a faite et de les gratifier de l'honneur de sa protection. C'est un 147 avantage si considérable qu'elles et moi avons sujet d'en bénir Dieu qui a donné à Votre Majesté tant de zèle pour sa gloire, et tant d'amour pour le plus auguste de nos divins Mystères. C'est pour le faire exalter qu'elle a voulu établir dans son royaume les victimes qui lui sont consacrées, pour lui rendre jour et nuit leurs hommages, et réparer autant que la créature en est capable les outrages qu'il reçoit des impies.

Je souhaite de tout mon coeur que Votre Majesté puisse trouver en elles toute la satisfaction qu'elle peut désirer. Je peux bien l'assurer que, de leur part, elles n'ont point d'autres desseins que de la contenter en s'acquittant de leurs devoirs, mais la divine Providence qui sait ménager par les croix, la sanctification des élus, Votre Majesté étant de ce précieux nombre, lui donne souvent des sujets de présenter à Notre Seigneur de grands sacrifices, même dans l'oeuvre la plus sainte qu'elle puisse jamais faire à la gloire de ce Dieu immolé sur nos autels. Le démon ne manquera pas d'y former des obstacles ; je ne doute pas aussi que la piété de Votre Majesté n'en souffre beaucoup de contradictions sur quantité d'incidents qui arrivent ; mais, madame, votre coeur royal est intrépide, il est invincible à toutes les atteintes, et les oppositions que l'enfer y peut faire ; les intérêts de Dieu lui sont tellement sensibles qu'il les veut soutenir jusqu'à en souffrir de la peine qui sera cependant divinement récompensée. C'est l'assurance que j'en donne à Votre Majesté, de la part de Notre Seigneur, qui l'a révélé à une sainte âme qui priait ardemment pour vous, madame. Il a promis qu'il comblerait le roi et Votre Majesté de grâces prodigieuses (ce sont ses propres termes) et qu'il prolongerait les années de Vos Majestés, ce qui m'a donné une grande joie.

J'ose aussi vous assurer, madame, que Notre Seigneur vous ôtera les grandes frayeurs de la mort qui troublent si souvent le repos de votre intérieur et qui altèrent votre précieuse santé, si importante à tout le royaume. Je crois que celles que Votre Majesté honore de la glorieuse qualité de ses filles, n'épargnent rien devant Dieu pour en obtenir la conservation. Je les congratule de tant de grâces qu'elles reçoivent de Votre Majesté. Je prie Notre Seigneur les rendre dignes d'en mériter la continuation. Si j'étais à vos pieds, madame, je prendrais la liberté d'épancher les sentiments de mon coeur sur l'humilité de Votre Majesté qui l'a fait désirer d'être ma novice.

En vérité, elle a raison de dire que ce serait une chose rare de voir une novice reine. Il s'en est vu autrefois dans notre saint Ordre, mais ce serait un prodige surprenant de voir une majesté comme la Vôtre, madame, être sous la conduite de la plus indigne créature qui soit sous le ciel.

La seule pensée d'un tel abaissement mérite l'admiration de toute la terre. Notre Seigneur s'en contentera sans en vouloir l'effet : Il vous donnera sa très sainte mère pour être votre mère maîtresse, qui vous conduira sûrement dans les voies de la grâce, tandis que nous supplierons le Fils et la Mère de cornbler Votre Majesté de toutes sortes de bénédictions.

Je m'abîmerai dans mon néant pour me dire,avec tous les respects imaginables, madame, de Votre Majesté, la très indigne, très obéissante et très obligée servante.

N° 744 autographe à Varsovie

Fragment d'une lettre à la reine de Pologne Juin 1688

C'est, madame, l'amour du très Saint Sacrement qui augmente toutes les précieuses qualités dont votre belle âme est ornée, qui fait l'admiration de tout l'univers. C'est ce Mystère adorable qui vous donne, madame, toutes les belles lumières qui donnent de l'éclat à votre esprit et d'où il reçoit une plénitude de grâces divines. C'est une source intarissable, Votre Majesté le conçoit, et je ne doute pas qu'il ne la comble de toutes les bénédictions qu'elle peut désirer et que je lui souhaite de tout mon coeur. C'est de ce divin Sacrement que j'attends la récompense que votre zèle mérite pour la gloire qu'elle lui fait rendre, par l'établissement des victimes de cet auguste Mystère, pour lui rendre jour et nuit des hommages par l'adoration perpétuelle. Je ne puis exprimer ce que je conçois devant Dieu ; mes termes ne sont pas suffisants pour le pouvoir. J'espère qu'Il les fera sentir intimement au coeur de Votre Majesté pour un peu la réjouir. Je prétends bien qu'il lui rendra sa précieuse santé que j'apprends avec douleur être indisposée. Nos chères mères m'en marquent leur douleur et je m'empresse de faire faire des voeux et des prières par toutes les maisons de notre institut pour sa conservation et une longue et heureuse vie. Je 149 l'espère de Notre Seigneur et de sa très sainte Mère. J'ose dire à Votre Majesté qu'Il me l'a fait promettre par les prières des saintes âmes, et aussi pour le roi, sachant de quelle importance est la prolongation de sa vie..

N° 189

Du monastère de Varsovie à la mère sous prieure de la rue Cassette touchant plusieurs choses qui relatent leur translation du château à leur nouvelle maison le 3 juillet 1688

Comme je crains que notre révérende et très honorée mère ne soit déjà à Châtillon68 j'ose me hasarder, ma révérende mère, de me donner l'honneur de lui écrire, quoiqu'il me semble qu'il y ait un siècle que je ne me suis donnée cette consolation. Le tracas d'un déménagement, joint à celui de notre saint Octave et, par dessus tout cela, l'élection que nous venons de faire aujourd'hui d'une supérieure canonique, sont des raisons assez considérables pour me servir d'excuses.

J'ai mille choses à vous dire sur tout cela.

Je commencerai par notre élection qui s'est faite dans toutes les formes. Monseigneur l'évêque de Posnanie notre très digne prélat, et supérieur, y ayant lui-même assisté en personne, en crosse et en mitre, accompagné de monseigneur l'évêque de Livonie 69, son grand vicaire, qui l'ont confirmée.

68. Châtillon-sur-Loing aujourd'hui Châtillon-Coligny (Loiret).

Isabelle de Montmorency-Boutteville, veuve de Gaspard IV de Coligny, remariée au prince Christian Louis de Mecklembourg, voulut créer un monastère de notre institut dans son douaire et signa le contrat de fondation le 31 août 1677. Ce fut dans les bâtiments de l'ancien collège protestant, reconstruit en 1571, que la communauté s'installa après bien des démêlés. Les religieuses tinrent un pensionnat. On construisit ensuite un monastère qui, après la Révolution, servit de mairie et de bureau de poste, mais l'église fut démolie. La première adoration eut lieu le jeudi 21 octobre 1688. (Cf. Le Message eucharistique de Catherine de Bar, Téqui, 1980, p. 146 et sv.).

69. Witwicki Mgr Stanislas (t 1697) étudia à Lublin, Braunsberg et Paris. Après son retour en Pologne, nommé chanoine à Gniezno et abbé de Plock, il prit part à de nombreuses ambassades notamment au Danemark et en France. Il dirigea personnellement l'ambassade que le roi Michel Korybut 1669-1673 envoya à son beau-frère, Léopold, empereur d'Allemagne. Nommé évêque de Poznan en 1688. Pasteur zélé, il est auteur de nombreux ouvrages religieux et politiques.

La Livonie, province passée à la Russie au traité d'Oliva (1660) et située sur la mer Baltique, avait comme capitale Riga, siège d'un archevêché.

La mère de la Présentation est tombée sous ce sort qui l'a réduite dans la douleur que vous pouvez vous imaginer. Cependant nous espérons en recevoir beaucoup de consolation, toutes nos voix ont été si uniformes.

Monseigneur notre évêque et tous les assistants en ont été charmés et extrêmement édifiés. Je serais trop longue à vous dire les particularités. Il faut revenir à notre histoire et la continuerai par où je devais la commencer, qui est la translation du château à notre nouvelle maison, qui s'est faite le dimanche après l'octave de notre grande fête c'est-à-dire le 27 de juin. Sa Majesté qui avait la dernière impatience de nous déloger au plus tôt, nous trouvant trop renfermées où nous étions, et ayant fait si grande diligence par la quantité d'ouvriers qu'elle mit en ouvrage que nous fûmes en état de nous transporter le jour que je viens de vous marquer ; et c'est vu sa bonté, sa grande magnificence où sa grande Majesté s'est signalée si admirablement, ayant fait faire les choses dans une pompe digne de son coeur royal et de celui de notre grand monarque qui ne donna pas moins des preuves de son respect et de sa foi et sa dévotion que notre incomparable reine. Il y avait déjà deux jours que deux ou trois de « nos autres » couchaient à cette maison pour faire tout préparer le dimanche que se devait faire notre cérémonie. Nous nous rassemblâmes toutes au choeur où nous trouvâmes la reine qui y était déjà, car elle ne couche pas à Varsovie, mais à deux ou trois lieues par delà. Le malheur voulut que la pluie fut quasi continuelle depuis le vendredi jusqu'au dimanche que se devait faire notre cérémonie, ce qui nous fit appréhender que l'on ne pût faire la procession. Cependant l'on ne laissa pas de faire tous les préparatifs dans toutes les rues. Le roi ayant ordonné que tout fût comme à la Fête-Dieu. L'on tapissa donc toutes les rues et l'on fit en d'autres endroits des palissades d'arbres si belles et si touffues que l'on eût pris Varsovie pour le plus beau jardin du monde.

Les arbres étaient plantés par allées, en sorte qu'aux endroits où les rues se trouvèrent un peu larges, il paraissait deux allées admirables. La pluie ne laissa pas de continuer toujours, ce qui nous affligea beaucoup. Nous promîmes des messes aux âmes du Purgatoire mais tout cela ne fit rien. Le roi dit qu'il fallait différer jusqu'à midi, assurant que le temps se mettrait au beau, et qu'au lieu de chanter la messe dans la nouvelle église, il 151 fallait mieux la chanter dans le château. Ce qui ne put s'exécuter à cause que les chanteurs avaient déjà envoyé tous les livres de chant à l'orgue au monastère. Monseigneur l'évêque de Livonie dit une messe basse où l'on chanta quelques motets de plain-chant. A la fin de la messe la reine nous manda de nous rendre en diligence à la chapelle, parce que la pluie avait cessé tout d'un coup ; qu'il fallait partir incessamment ; nous lui obéimes dans le moment et monseigneur le nonce, ayant pris le très Saint Sacrement, nous donna la bénédiction et marcha sous un dais fort beau que la reine nous a donné. On distribua plus de mille cierges. Premièrement au roi et à la reine, à la princesse, aux petits princes, et à tous autres, ensuite la noblesse qui s'y trouva en fort grand nombre, et à tout le peuple qui s'y rencontra.

La procession marchant avec le très Saint Sacrement, le roi prit la mère de Jésus qui tenait encore la place de supérieure ; la reine prit la mère de Sainte Gertrude ; madame la princesse, la mère de la Présentation, à présent notre révérende mère prieure, monseigneur le prince Alexandre, second fils du roi tenait la mère de Sainte Magdeleine, monseigneur de Maligny, frère de la reine, avec ma soeur Benoist. Ma soeur Suzanne et les novices avaient chacune un palatin et une palatine. Les petites pensionnaires qui étaient au nombre de cinq avaient chacune une fille d'honneur.

Tout cela marchant dans un ordre admirable et l'on passa toutes les grandes galeries du Louvre jusqu'à l'église de Saint-Jean, chantant le Pange lingua, autour de la dite église. Le roi quitta la mère de Jésus, ne pouvant marcher plus loin à cause de quelques indispositions. Il commanda à son grand maréchal de prendre la place jusqu'à ce qu'il la revînt prendre. L'on continua la procession dans le même appareil et le Très Saint Sacrement fut porté en triomphe, au bruit du canon et de toutes les autres armes à feu, qui ne cessèrent de tirer pendant toute la procession, au son des trompettes, des tambours, des violons, des hautbois et autres instruments de musique qui accompagnèrent toujours la procession, suivie de notre grande reine, des princes, des princesses et de toute la cour par un chemin détestable, malgré toutes les précautions que l'on avait prises, en faisant balayer les rues, mettre des planches et faire un espèce de pont sur les ruisseaux, et jonchées de toutes sortes d'arbres aromatiques pour remplir les trous. Tout cela n'empêcha pas que nous ne fûmes crottées jusqu'aux oreilles, et la reine plus que personne, à qui il fallut changer de tout ; mais qui n'empêcha pas de suivre toujours son Dieu avec une ferveur et une piété sans exemple. Lorsque nous arrivâmes proche de la maison, le roi descendit de carrosse et revient prendre la mère de Jésus, et suivit la procession. J'oubliais de vous dire que la plupart du peuple était sous les armes et que tous les gardes et compagnies de Sa Majesté précédaient la procession qui était des millions en nombre, et qui ne servait pas peu à l'augmentation de la magnificence. On porta le Très Saint Sacrement à l'église, où le roi et la reine et nous autres se rendirent avec toute la cour dans notre choeur, où un autre évêque dont le nom m'est inconnu fit un sermon, dont nous ne profitâmes point ayant prêché en polonais. Ensuite monseigneur le nonce donna la bénédiction du Très Saint Sacrement. A la fin de la cérémonie l'on chanta le Te Deum et monseigneur le nonce nous vint dire de nous tenir à la porte, voulant lui-même nous mettre en clôture en cérémonie. Il était revêtu des habits pontificaux. Le roi et la reine nous y menèrent dans le même ordre qu'ils nous avaient menées à la procession, et nous ramenèrent de même. On chanta Ecce quam bonum et quam jucundum, pendant lequel nous fûmes, l'une après l'autre, nous mettre à genoux devant ce digne prélat qui nous bénit toutes et il n'y eut qu'une chose qui nous fit de la peine, c'est qu'à la fin il chanta l'oremus « Respice quaesumus », que l'on chante à la fin des Heures. La sainte cérémonie se termina par un magnifique banquet, que le roi et la reine firent aux seigneurs et dames de la cour. Tout cela se fit dans la pompe digne de la Majesté royale et avec une profusion épouvantable. L'on avait fait une cuisine exprès au milieu d'une place de notre jardin et l'on ne trouvait pas dans la maison de lieu suffisant pour contenir tout le monde. L'on dressa quatre tables en différentes chambres, capables d'y mettre soixante personnes. La reine avait la sienne dans une chambre où l'on avait mis un dais et où elle était au milieu, la mère de Jésus à son côté, une princesse après. Nous suivions à chaque côté selon nos rangs, et il se trouvait toujours une religieuse entre deux dames. La reine nous faisant en cela tout l'honneur qu'elle nous pouvait faire, et ne faisant point de distinction de nous entre les personnes de la première qualité, nous faisant manger à sa table. Le roi que je devais nommer le premier, avait sa table en un autre endroit où 153 il traitait tous les premiers de la couronne. Madame la princesse, sa fille, avait la sienne dans une autre chambre, où elle était sous un dais avec les dames du second rang et toutes les petites pensionnaires mangèrent avec elle. Monseigneur le marquis de Béthune en tenait une autre pour les autres seigneurs qui n'étaient pas si considérables que ceux qui étaient avec le roi. On servit à la table de la reine, chair et poissons avec des profusions inouïes, mais je ne trouvais rien de plaisant que lorsqu'il fut question de manger. Nous n'avions ni couteaux, ni cuillères, ni fourchettes, et on nous demanda si nous n'avions pas apporté les nôtres, car c'est la mode aux grands banquets en Pologne d'apporter tout cela parce que l'on vole tout. On attacha même une grande nappe, autour de celle qui est sur la table, pour servir de serviettes, de peur qu'on les dérobe. Les dames firent la charité de nous prêter leurs couverts. L'une après l'autre nous nous servîmes ainsi de leurs couteaux, cuillères et fourchettes pour manger. Enfin, c'est la mode du pays et tout le reste ne laissa pas d'être dans un très bon ordre. Le roi et tous les seigneurs burent souvent à nos santés, une infinité de fois, la reine y but elle-même debout et fit boire ensuite toutes les dames. Enfin on ne peut rien ajouter à la bonté et à l'honneur qu'elle nous témoigna ce jour-là.

Je ne doute point que cela ne soit dans la gazette, car on met de bien moindres choses.

A la fin du repas, qui dura plus de cinq heures d'horloge, la reine dit qu'on nous laissât tout le dessert qui resta sur table, qui était merveilleux en beauté et prodigieux en abondance. Le roi nous témoigna de son côté mille bontés et tout se termina avec la joie et l'admiration de tout le monde et ne s'étant jamais rien vu de pareil. Nous sommes agréablement logées. Le jardin donne sur la rivière [la Vistule] avec une vue enchantée. Nous avons trouvé de quoi nous loger commodément dans la maison que le maître et la maîtresse ont quittée en attendant notre maison de pierre que nous voyons bâtir devant nos yeux et où l'on travaille à force et on nous la promet pour la Toussaint. Vous avez vu comme le roi et la reine ont mis la première pierre à notre nouvelle église. Elle sera couverte pour la Toussaint. Il y a plaisir quand on expédie si promptement les choses. J'ai fait rire la reine là-dessus, car je lui dis l'autre jour que je ne voulais plus avoir que des reines pour fondatrices, que l'on avait fait tout, à l'heure. Nous l'allons perdre bientôt.

Elle s'en va à ses terres et à l'armée avec le roi pour venir cet hiver à la Diète qui se tiendra à Varsovie. Elle se porte mieux. Dieu nous la conserve. En vérité elle est charmante. Nous avons déjà une petite princesse et il nous en va encore entrer une avec des palatines.

Nous aurons aussi mademoiselle de Béthune, la cadette, qui est polonaise, et tout cela pour faire plaisir à la reine qui se fait un très grand devoir que l'on nous fasse un peu d'amitié. Je vous conjure, ma très honorée mère, de faire part de cette relation à mes très chères soeurs de la rue Saint-Louis. Je ne puis leur écrire, crainte de ports et manquer de temps. Vous voyez bien que vu le peu de monde que nous sommes nous n'avons pas de temps de reste.

J'oubliais de vous dire, ma révérende mère, que la reine avant que de partir de chez nous le jour de notre cérémonie, quoiqu'il fût de la dernière fatigue, voulut que l'on chantât le salut pour avoir la bénédiction du Très Saint Sacrement. Son festin revenait à six mille écus de France.

A la mère de la Présentation de Beauvais quand elle fut élue prieure, et à la communauté ce 29 juillet 1688

Comme j'apprends que Notre Seigneur vous a conduites heureusement dans la maison que la reine vous a donnée, et que le très saint Sacrement en a pris possession, il me semble, mes très chères mères, que vous êtes un peu plus en repos. Je loue Dieu de toutes les bénédictions que le ciel verse sur vous. Je le prie vous faire la grâce d'en bien profiter, et que l'oeuvre de Dieu soit sanctifiée en vos mains, et qu'il vous donne entre vous une parfaite union. Avec cela, je crois que vous aurez tout le reste car, ne cherchant que la gloire de Dieu, l'établissement de son règne, l'exaltation de son saint nom, vous serez comblées. Je vous souhaite toutes sortes de bonheurs, mais surtout l'abondance des grâces divines.

Je rends grâces infinies à Notre Seigneur d'avoir béni votre élection. J'avais bien fait dessein d'écrire à la chère mère prieure, nouvellement élue, mais je n'ai pu aujourd'hui, ce sera le plus tôt que je pourrai. Cependant je me réjouis en Dieu de vous voir toutes contentes. Vous avez trop de bonté pour moi. 155

Il y a plus d'un mois que je tombai en grande langueur avec une fièvre rongeante. Depuis deux ou trois jours, je n'ai plus de fièvre, je me remets doucement. Notre Seigneur ne veut point que je meure encore, quoique je sois inutile sur la terre c'est pour exercer la charité de la communauté, qui continue avec sa bonté ordinaire. Je laisse à la chère mère sous-prieure à vous mander toutes choses, et à vous assurer que vous êtes toutes dans le plus intime de mon coeur ; que si la très sainte Vierge m'exauce, vous serez toutes remplies de toutes sortes de bénédictions.

Je vous embrasse toutes en esprit, avec une tendresse qui est inexplicable. Croyez, très chères mères, que je sens bien devant Dieu que vous êtes les enfants de mon coeur, qui vous êtes sacrifiées pour la gloire de notre adorable Mystère. Il ne laissera pas ces actes héroïques sans récompense éternelle ; c'est de quoi je puis vous assurer.

Je crois que vous avez reçu présentement toutes nos lettres, et celle que je me suis donnée l'honneur d'écrire à Sa Majesté, en réponse à celle dont elle a voulu pour la deuxième fois m'honorer. Embrassez ses pieds pour moi, en lui présentant mes très profonds respects. En vérité, très chères mères, vous êtes heureuses d'avoir une si bonne, si généreuse et si sainte reine. Notre Seigneur a promis une longue vie pour elle et pour le roi. Leurs personnes sacrées et toute la famille royale m'est toujours présente devant Notre Seigneur, le priant les combler de toutes sortes de bonheurs et de consolations. Je vous prie, très chères mères, de vous souvenir de moi dans vos saintes prières, et me croyez très sincèrement tout à vous.

N° 257.

A madame de Béthune 3e d'août 1688

... Je vous envoyai hier la lettre que la nouvelle prieure de Pologne m'a écrite. Vous remarquerez qu'elle est bien ferme. Enfin, elle dit que tout est en union, Dieu le veuille, par son infinie bonté. Nous en verrons la suite. Avec cela je ne crois pas que son règne soit long, elle a la poitrine fort attaquée.

J'envoie cinq filles pour les soulager. La cinquième a l'honneur d'être connue de vous...

Ne 1734

A la reine de Pologne le 4 août 1688

Madame,

Je reçois avec profond respect et très humble reconnaissance l'honneur que Votre Majesté me fait par ses précieuses lettres que je reçus hier des mains de monsieur de Gottemont, le contenu desquelles ont pénétré mon coeur d'une juste douleur, de voir celui de Votre Majesté mécontent de la conduite de celles qu'elle honore de ses bontés avec tant de profusion. Je blâmerais volontiers leur manière d'agir et dans ce rencontre j'avoue que mes lumières ont été plutôt des ténèbres, car je ne croyais jamais, que si l'on faisait élection d'une autre prieure, l'on pût faire une autre maîtresse des novices que la chère mère Marie de Jésus, dont le mérite et la vertu me sont connus depuis bien du temps et à parler ingénuement à Votre Majesté, je ne croyais pas qu'on la dût changer dans les élections mais plutôt la confirmer. Je sais que cette chère mère en est bien ravie, mais pour moi je n'en suis point consolée, puisque Votre Majesté m'en paraît fort touchée. Elle en pénètre les conséquences et elle me les fait connaître, ce qui m'afflige sensiblement puisqu'après Dieu je n'ai rien plus à coeur que de contenter Votre Majesté qui en use avec des bontés qui sont inconcevables et qu'on ne peut assez admirer, et qui fait l'étonnement de tous ceux qui les connaissent, mais, madame, permettez-moi d'assurer Votre Majesté que je n'ai aucune part à tout ce qui lui peut déplaire dans les changements qui se sont faits et, si l'on voyait mes lettres, l'on verrait que si la chère mère de Jésus n'était pas continuée prieure, qu'elle serait chargée de la direction et conduite des novices, la croyant très capable de s'en bien acquitter, et par les grâces dont il plaît à Notre Seigneur la gratifier, .et par les expériences qu'elle a par l'exercice de cette charge de plusieurs années.

Je crois que la mère prieure sera obligée de la rétablir.C'est pourquoi je supplie très humblement Votre Majesté de ne se point rebuter ; l'on tâchera d'y apporter du remède. Je crois que je mourrais de douleur si l'oeuvre de Dieu venait à échouer comme Votre Majesté le craint. Je crois, que malgré l'enfer, Dieu la soutiendra, étant à sa gloire, et ne recherchant en ce monde que cela, mais ce n'est pas pour moi une petite affliction de voir que ce que Votre Majesté a souhaité avec plus d'ardeur pour Dieu et pour sa consolation se convertisse en 157 amertume et remplisse son bon coeur d'une douleur très sensible ; si vos chères filles, madame, avaient suivi mes conseils, Votre Majesté ne serait pas dans cette peine, car, ayant l'honneur de connaître le fond de bonté et de piété qui est en elle et comme après Dieu on lui doit toutes choses, c'était de leurs devoirs de ne rien faire que par les avis et sages conseils de Votre Majesté qui est capable de tout conduire par les grands talents que Dieu lui a donnés. Je les ai priées et ordonné plusieurs fois par mes lettres d'exposer tous leurs desseins à Votre Majesté et de suivre ses lumières et ses volontés. C'était leurs devoirs et leurs obligations. Je ne sais comme elles se sont oubliées en cette rencontre, et qu'elles aient manqué de respects et soumissions ses volontés. En vérité, madame, je ne m'en puis consoler. Je voudrais voler pour aller remettre les choses en l'état que Votre Majesté les peut désirer ; je ne puis avoir de repos qu'elle ne soit satisfaite. Elle a trop de bonté et moi beaucoup de reconnaissance, c'est pourquoi je ferai tout mon possible pour lui en donner des marques par mon respect et par ma soumission et enfin par toutes les voies que Notre Seigneur mettra en ma puissance, pouvant assurer Votre Majesté que si j'étais libre, je partirais par le premier vaisseau pour me rendre à ses pieds, toute languissante que je suis, pour l'aller consoler, car de la manière que je la connais, et que Dieu m'a faite, je crois, madame, qu'il me ferait la grâce de vous contenter et de vous aider à porter votre croix qui, pour être précieuse aux yeux du monde, ne laisse de navrer votre bon coeur. Oh ! Madame que j'aurais de choses à dire à Votre Majesté sur ce sujet.

J'ai pris la liberté de lui en dire quelques petites chosés par les trois lettres que je me suis donné l'honneur de lui écrire en réponse de celles qu'il a plus à sa bonté me gratifier,et puisque Votre Majesté ne les a pas reçues, je prie la chère mère de Jésus d'y suppléer, et de la réjouir et consoler en contribuant à élever votre âme au-dessus de tout le créé, pour n'être dominée que de Dieu seul si établir par là, une paix divine dans votre coeur.

Et cela peut-être bien compris de Votre Majesté, elle aura une santé plus ferme, moins de crainte de la mort, et une sainte liberté qui la tirera de la captivité des sens, et de toutes les choses humaines.

C'est la grâce que je lui souhaite. J'ai une peine inexplicable de n'être pas près de Votre Majesté à cause des grands avantages que Dieu lui a donnés pour être parfaitement tout à lui. L'éloignement est pour moi une grande souffrance, car mon coeur est devant Dieu d'une manière toute extraordinaire pour Votre Majesté ; il me semble que je ne lui serais pas tout à fait inutile, quoique je sois la plus indigne de toutes les créatures, mais il se sert du néant pour ce qu'il lui plaît.

Une bonne âme prie Dieu incessamment pour Votre Majesté et il plaît à Dieu l'assurer qu'il vous comblera, madame, de grâces prodigieuses. J'ai beaucoup de foi aux prières de cette bonne âme, nous en voyons des effets admirables ; Notre Seigneur lui a promis une longue vie pour le roi et pour Votre Majesté.

C'est ce qui fait ma joie et qu'il vous ôtera, madame, les craintes de la mort, c'est ce qui donnera plus de tranquillité à Votre Majesté et plus de santé. Je la lui souhaite parfaite, accompagnée de toutes sortes de grâces et de bénédictions. Ce sont les souhaits de celle qui est avec tous les respects imaginables de Votre Majesté, Madame, la très humble, très obéissante et très indigne servante.

N° 1336 autographe à Varsovie

A madame de Béthune 6 août 1688

Vous n'aurez aujourd'hui que des nouvelles affligeantes, très chère victime. Votre bon coeur a bien pressenti les sentiments de notre bonne reine qui a trouvé de la dureté dans la manière d'agir de la nouvelle prieure, lui ayant refusé fort impertinemment de mettre la mère Marie de Jésus, maîtresse des novices. Je ne puis vous exprimer combien mon coeur est touché de cette malhonnêteté, sans considérer la qualité de la reine, sa puissance et toutes les bontés dont elle les a gratifiées. Vous verrez comme cette auguste princesse en est pénétrée.

Voici la copie de la lettre qu'elle m'a fait l'honneur de m'écrire de sa propre main.

Je l'ai fait transcrire en petit papier par mère Bénédicte parce que l'original contient plus de douze pages d'une fort grosse et grande écriture. Quand vous l'aurez lue, très chère victime, vous serez pour le moins autant pénétrée de douleur 159 que moi. Je ne puis revenir de cette petite mère, vous diriez qu'elle est la reine des cartes et que son imagination l'élève au dessus des couronnes fermées. Je ne puis m'empêcher d'en murmurer.

Je n'ai point éclaté dans la communauté le mécontentement de la reine ; je le ferai connaître à ma soeur de Raffetot 70 qui n'en sera pas moins en colère.

J'écrivis hier à la reine en réponse à celle dont elle m'a honorée. Je lui ai déjà écrit plusieurs fois et vous verrez qu'elle se plaint de ne pas recevoir de mes lettres. J'en suis fort mortifiée.

N° 3107

A madame de Béthune 8 août 1688

... Vous me parlez de Caen 71 : je vous dirai ingénuement que c'est la maison la plus régulière de notre institut. Elle est parfaitement bien réglée, vous avez raison de l'estimer. La mère prieure de Domfront y a demeuré trois semaines avec grande édification de part et d'autre. Elle est présentement chez nos mères de Rouen...

70. La marquise de Raffetôt, fille de la marquise et du maréchal de Grammont. Antoine III, duc de Grammont (1604-1678), épousa une nièce de Richelieu. Il fut lieutenant général au gouvernement de Normandie et gouverneur du château de Rouen en 1638. Ce fut un brillant soldat.

La marquise de Raffetôt fréquentait le couvent de la rue Cassette depuis plusieurs années. Après son veuvage, elle demanda à y être reçue comme postulante. Dans une lettre du 10 janvier 1685, mère Mectilde nomme, parmi un groupe de religieuses malades, « notre bonne novice madame la marquise de Raffetôt.... On peut supposer que la saur de Raffetôt est entrée rue Cassette en 1683 ou 1684. Mère Mectilde lui confia la mission délicate de tenter l'union à notre institut de l'abbaye Notre-Dame de Liesse, selon le désir de l'archevêque de Paris et du père de Roncherolles, mais de très vives oppositions de la part d'un petit groupe de moniales de cette abbaye entrainèrent l'échec de cette entreprise.

Soeur Bénédicte du Saint Sacrement de Béon de Lamezan dut faire profession en 1683 et très vite servit de secrétaire à mère Mectilde. Nous voyons son nom apparaitre très souvent dans la correspondance entre notre fondatrice et madame de Béthune, abbesse de Beaumont. Mère Bénédicte fut prieure du monastère de la rue Cassette de 1699 à 1702. (Cf. Catherine de Bar, Fondation de Rouen, Rouen, 1977).

71. La célèbre abbaye de Montivilliers, près du Havre, fonda un prieuré à Pont-l'Évêque en 1639 avec l'aide de Madeleine de Moges, marquise de Moy (les Mouv descendants des ducs de Mercoeur). Pour des raisons de salubrité, le prieuré dut être transféré à Caen en 1644. Madame de Mouy, connaissant déjà mère Mectilde, désira lui confier la direction de ce monastère. Elle en fut donc prieure de 1647 à 1650.

Dès 1675, un groupe de moniales de ce couvent désira son agrégation à notre institut. Après de longues tractations et une attente prudente, car l'évêque de Bayeux désirait obtenir l'assentiment de la quasi totalité de la communauté ; ce monastère fut uni à notre institut le 30 septembre 1685. 11 fut fermé pendant la Révolution, mais se reconstitua très vite, les moniales étant demeurées dans la ville de Caen. Détruit durant la dernière guerre, il a été reconstruit dans les faubourgs de Caen (Cf. C. de Bar, Fondation de Rouen, Rouen, 1977).

Domfront : En 1621, l'abbaye de la Trinité de Poitiers avait fondé à Laval, un prieuré, qui essaima à son tour à Domfront, alors au diocèse de Laval, en 1629, (actuellement département de l'Orne); (Cf. Dom Yves Chaussy, Les bénédictines et la reforme catholique en France au XVII' siècle, Paris, Ed. de la Source, 1975).

160

... En Pologne on ne veut que des religieuses qui aient de la voix. Je vous ai envoyé la copie de la lettre que la reine m'a honorée de sa propre main. Vous y verrez la douleur qui m'a fort touchée. Cette supérieure a fort manqué au respect qu'elle doit à Sa Majesté, lui refusant de mettre maitresse des novices la mère Marie de Jésus. Nous tâcherons de raccommoder tout cela. Ce ne sera pas sans peine. Entre nous, je crois que la mère Marie de Jésus les a trop pressées et qu'elle a aigri les esprits. Je vous enverrai les lettres de soeur Suzanne de la Passion et de mère Madeleine d'Auvergne qui étaient toutes deux pour la mère Marie de Jésus...

N° 139

A madame de Béthune 20e d'août 1688

... Je fais partir mercredi matin à cinq heures six filles pour la Pologne. Cela me donne un peu de tracas. Voyez, je vous prie, une lettre de mère Mectilde que j'ai reçue hier. Je vous supplie de me la renvoyer quand vous l'aurez vue. Vous verrez que mère Mectilde donne lieu de croire que la mère de Jésus a été trop extrême en quelque chose de sa conduite. Je ne laisse pas d'être touchée de ce fracas qui fait beaucoup de bruit. J'écris à nos soeurs comme je dois leur faire voir la faute très considérable qu'elles ont faite d'avoir choqué la reine. Je les oblige à se jeter à ses pieds pour obtenir pardon. Voilà un bel avènement à la supériorité pour la prieure. Elle en doit être bien affligée. J'espère que Notre Seigneur ramènera la reine. Elle est bonne, si nos soeurs savent s'humilier. Je ne sais si elles le feront comme il faut. C'est un sujet de grande affliction pour le respect de l'oeuvre du Seigneur. Souvenez-vous en, en sa sainte présence très chère victime. Vous y prenez intérêt pour sa gloire...

N° 452

161

A madame de Béthune 23e d'août 1688

... Voyez, ce que la mère Marie de Jésus m'écrit, et puis vous aurez la bonté de me faire renvoyer la lettre...

Nous sommes à la veille d'une terrible désolation de guerres, et même contre le pape... (Innocent XI (1676-1689)1.

Je ne vous écris, très chère victime, qu'avec précipitation, étant depuis plusieurs jours occupée à plusieurs choses, tant pour Châtillon que pour la Pologne ; faisant partir cinq filles qui ont de la voix pour aider à chanter et adorer. Ces pauvres filles me mandent qu'elles sont sur les dents, ne pouvant plus soutenir. Elles m'ont prié d'avoir pitié d'elles, parce qu'elles n'osent rien demander à la reine mais, grâce à Notre Seigneur, cette bonne princesse revient un peu. La bonne âme m'assure qu'elle se remettra dans sa bonne disposition pour ses religieuses qu'elle a honorées de son affection et qu'elle ne peut abandonner. J'ai encore reçu quelques lettres que je vous enverrai...

Nous avons pris nos mesures pour que le voyage des filles que j'envoie cette fois ne coûte rien à la reine. Je voudrais être en état de ne l'importuner jamais pour ces sortes de choses. Si Notre Seigneur nous fait vivre l'année prochaine, j'enverrai encore quelques religieuses en Pologne, parce que de longtemps elles ne recevront de polonaises, à cause de la difficulté que nos soeurs ont d'apprendre la langue. Il faut tâcher de soutenir l'oeuvre de Dieu. Je la recommande toujours à vos saintes prières.

N° 1834

A la reine de Pologne après le 23 août 1688

Pourrais-je entendre réciter si souvent toutes les rares et merveilleuses qualités qui font l'ornement de la plus grande reine du monde, qui sait porter la piété à son plus haut point et combler les filles du Saint-Sacrement de tant de bontés, sans me donner la liberté de verser mon coeur en esprit à ses pieds, tout plein d'humbles reconnaissances ? Je le ferais, Madame, avec bien de l'ardeur si je pouvais me jeter dans le vaisseau qui doit partir dans peu de jours, pour embrasser respectueusement et réellement les pieds de Votre Majesté, avec tous les respects imaginables. J'avoue que je ne suis pas digne d'un tel bonheur.

Il faut me contenter de renfermer mes désirs dans ce morceau de papier, que je prie nos chères mères de vous présenter, Madame, en vous disant mille fois plus qu'il ne contient et que je n'ose produire, crainte de me rendre importune à Votre Majesté. Ce sera au pied du saint Autel où je tâcherai de reconnaître tout ce que Votre Majesté fait pour la gloire du plus auguste de nos divins mystères, par lequel vous serez, Madame, comblée de toutes sortes de bénédictions et de grâces. C'est ce que je souhaite avec ardeur pour suppléer à mon impuissance et à tous les remerciements que l'institut doit à Votre Majesté, qui n'épargne rien pour le faire glorifier dans son royaume. Rien n'est plus juste, rien n'est plus grand, ni plus digne de votre piété royale. Oh ! Madame, que je dirais de choses si le respect ne retenait ma plume. Je sens un si grand épanchement de coeur vers Votre Majesté que j'ai peine à le retenir. Nos chères mères, qui ont l'honneur de recevoir si souvent les effets d'une bonté qui est sans égale, en sont toutes transportées. Si j'étais à vos pieds , Madame, je prendrais la liberté de vous dire bien des choses. Votre bonté m'en donne de grands désirs, mais c'est une grâce que je ne puis espérer. Il faut que Votre Majesté me pardonne si j'ose lui dire qu'elle a besoin d'un peu de joie pour soulager ses douleurs. Je vois, devant Dieu, son coeur royal dans un fond de douleur qui augmente, ou plutôt qui fait une partie des maux qu'elle souffre sans se plaindre. Le coeur et le courage est au-delà du commun, mais les forces du corps ne peuvent suffire pour porter le poids qui l'oppresse. Elle a besoin d'une amoureuse confiance en la bonté infinie de Dieu et peut-être y aurait-il en elle trop de crainte pour l'éternité. Dilatez, Madame, votre pauvre coeur, dans l'assurance que je lui donne, de la part de Dieu, qu'il la recevra en son amour. C'est la promesse que Notre Seigneur m'a faite par les saintes âmes qui prient pour Votre Majesté. Si j'avais l'honneur d'être à ses pieds, je lui en dirais bien davantage, ayant sujet d'une grande consolation. Elle l'aura plus grande qu'elle ne l'espère, mais surtout un peu plus de joie, qu'il faut tâcher de prendre au-dessus de toutes choses, parce que Dieu vous fera des miséricordes éternelles. Pardon, grande Reine, de parler avec tant de liberté à une Majesté que je respecte et à laquelle j'ai des obligations infinies et qui me tiennent à ses pieds comme la plus indigne de ses très humbles etc..

N° 2497

163

A madame de Béthune 25e d'août 1688

... Je vous ai envoyé des lettres de la Pologne ; celle de mère Suzanne de la Passion et de la mère Madeleine d'Auvergne, et aussi celle de la mère Marie de Jésus. Je serais désolée sur tout cela si je n'espérais à ce que la bonne âme m'a demandé que Notre Seigneur a dit qu'il accommodera cette mésintelligence ; ce sont ses propres termes.

... Cinq filles sont parties aujourd'hui à cinq heures du matin pour la Pologne. Je vous supplie de les présenter à la très sainte Mère de Dieu, qu'elle les protège, les bénisse et les conduise heureusement.

N° 2788

A la reine de Pologne

Madame,

Suivant les ordres que Votre Majesté me fit la grâce de me donner par l'avant-dernière lettre qu'il lui plut m'honorer, j'ai cherché des filles qui puissent secourir les religieuses que votre piété, Madame, a établies dans leur besoin, tant pour le chant du choeur, que pour l'adoration perpétuelle. J'ai choisi cinq filles de bonne vocation, qui ont le courage pour Dieu et pour remplir le zèle et la charité de Votre Majesté, pour la gloire de notre adorable Mystère.

Quatre desquelles sont demoiselles, et la cinquième est fille d'un bon bourgeois de Paris, gens de probité et de sage conduite.

Ces bonnes filles se donnent à Votre Majesté, malgré leur famille.

Il n'est pas croyable la peine que nous avons eue de surmonter les obstacles qu'elles nous ont faits pour empêcher leur voyage et la consommation de leur sacrifice, se donnant à Dieu avec tant de ferveur, pour essuyer les fatigues et les hasards d'un pénible voyage, que tout le monde en est étonné et édifié ! J'espère, Madame, que votre bonté leur fera la grâce de les recevoir de bon coeur et de les honorer de son affection, C'est leur générosité pour Dieu, et le très profond respect et la...

no 2755, autographe à Varsovie

A madame de Béthune 3 septembre 1688

Sur la chère vôtre du 31 d'août, je vois la terrible douleur de votre bon coeur touchant la Pologne. Je vous ai envoyé les lettres que vous avez vues pour vous faire connaitre les esprits et les conduites de nos soeurs et pour demander vos prières ; car je suis touchée foncièrement de tout cela, mais je n'y puis remédier, ne pouvant les faire revenir parce que je n'en ai pas le pouvoir à cause qu'elles sont sous un autre évêque et d'un autre royaume. Je m'en serais terriblement désolée si la bonne âme ne m'avait consolée, me promettant que Notre Seigneur remédierait à cette mésintelligence qui est entre la reine et nos soeurs61 ; sans cela je ne m'en consolerais jamais.

Je vous prie et conjure, très chère victime, de ne vous point laisser accabler, Notre Seigneur y mettra sa très sainte main; consolez-vous en lui et par lui. J'ai toujours vu de grands effets de ce que la bonne âme m'a dit, je les attends encore de même.

J'écrivis hier à la reine et je crois qu'elle sera satisfaite de mes lettres. Je fais la leçon aux autres et leurs fais voir leur horrible manquement. Je ne veux plus vous en affliger...

N° 2773

A la reine de Pologne Octobre 1688

Ce n'est point à Votre Majesté de me faire des remerciements des religieuses que je lui ai envoyées, c'est à moi à lui rendre des actions de grâces à l'infini, s'il m'était possible, pour l'honneur qu'elle fait rendre au très saint et très adorable sacrement de l'autel. Je suis ravie d'entendre nos chères mères qui ont à présent l'honneur d'être les filles de Votre Majesté, qui me font par leurs lettres le récit de son zèle et de son amour pour ce divin mystère, que je ne puis assez le reconnaître devant Notre Seigneur. Ce sont des dons, Madame, que le ciel vous a faits avec un très grand nombre d'autres. Tous ceux qui ont l'honneur d'approcher de Votre Majesté sont si transportés d'admiration de toutes les rares qualités qui se trouvent en elle qu'ils n'en peuvent, par leurs termes, exprimer les sentiments de leur coeur. Le bon M. l'abbé du Chartrin, que Dieu a retiré 165 de ce monde, m'en écrivit de la sorte. Il n'était point homme à flatter, ni à exagérer. Il m'imprima par sa lettre des respects si profonds pour Votre Majesté et une si haute estime que je me sentis poussée d'une respectueuse tendresse, je n'ose pas dire d'aimer, mais d'honorer intimement celle que le ciel a remplie de tant de grâces, que je ne puis m'empêcher de prier Notre Seigneur de la combler de toutes celles qui la peuvent rendre aussi sainte qu'il la désire pour sa gloire. Il n'était pas besoin que Votre Majesté m'honorât de ses précieuses lettres ; elle doit savoir que j'en suis indigne, mais elle a voulu par son humilité confirmer ce que tout le monde dit d'elle : qu'entre toutes les perfections qui font l'ornement de Sa Majesté, la bonté éclate par dessus toutes les autres. En vérité, Madame, il en faut avoir beaucoup pour faire ce que Votre Majesté a fait à mon égard. J'en suis demeurée si confuse que les paroles m'ont manqué pour en faire une sincère expression. J'ai eu recours à nos chères mères qui ont l'honneur et l'avantage d'approcher si souvent de Votre Majesté, pour les obliger d'être mon supplément et de lui rendre les témoignages de reconnaissance dont elles savent que mon coeur est rempli.

Mais, croyez-vous, Madame, que, ressentant la bonté du vôtre et avec quelle sincérité elle me fait l'honneur de me parler, que, tout indigne que je suis, je me suis présentée à Notre Seigneur pour toutes les intentions de Votre Majesté, et singulièrement pour qu'il lui plût lui ôter les craintes trop excessives de la mort et lui donner une meilleure santé, si utile et absolument nécessaire à tout le royaume. J'en ai écrit à une sainte âme qui obtient du ciel ce qu'elle demande. Je veux vous donner la bonne nouvelle, Madame, que Notre Seigneur lui a promis que, dans peu, Votre Majesté sera soutenue de beaucoup de grâces et que même elles lui seront données sensiblement pour la fortifier. Et puisqu'elle veut que j'oublie pour un moment sa qualité de reine, je lui dirai avec profond respect que je me soumets à l'ordre qu'elle me donne d'avoir soin de sa perfection et de son éternité, qui m'est infiniment chère, lui promettant de ne point cesser de faire prier Dieu pour elle, et de lui obtenir, par les bonnes âmes que je connais, toutes les grâces qu'elle peut désirer. Nous avons aussi obtenu la prolongation des années du roi et de Votre Majesté. Faites-nous savoir, Madame, ce que vous voulez que je fasse demander pour votre consolation.

Mon coeur est si rempli de tendresse que, si j'étais aux pieds de Votre Majesté, je ne pourrais jamais m'empêcher de les embrasser, en prenant en même temps la liberté de lui dire mille choses que je ne puis exprimer par ma lettre. Je sais même que Votre Majesté souffre beaucoup, et sur plusieurs sujets qui la crucifient. Elle a de quoi sacrifier à toute heure au pied de l'autel du Seigneur, et pour peu qu'elle veuille s'y appliquer pour en faire l'usage que Dieu veut, elle sera une parfaite victime de son amour. Ne suis-je pas trop libre, Madame ? Pour la première fois, Votre Majesté me le pardonnera, sa bonté en est cause. Je suis, avec un très profond respect, etc.

N° 140

A la reine de Pologne A Paris, 26 de l'an (janvier) 1689

Madame,

Je ne puis exprimer, par aucun terme, le sensible déplaisir que je ressens d'apprendre, par celle qu'il a plu à Votre Majesté m'honorer, le mécontentement qu'elle reçoit de ses filles du Saint-Sacrement. Je crois bien, Madame, que vous avez sujet de vous plaindre de la dépense trop grande qu'elles ont faite jusqu'à présent. J'aurais bien désiré qu'elle eût été moindre et que Votre Majesté n'en eût reçu que de la satisfaction.

Elle a eu tant de bontés pour elles dans le commencement, qu'elles en ont peut-être usé un peu trop librement. Oserais-je représenter, avec profond respect à Votre Majesté, qu'elles sont encore nouvelles dans le pays, et qu'elles n'ont pas encore toutes les expériences de la manière de s'y conduire avec moins de dépenses. J'espère qu'à l'avenir elles prendront mieux leurs mesures, pour lui donner plus de satisfaction. Je n'ai point vu les mémoires de la fondation que Votre Majesté a faite, non plus que celui des choses qu'elle a fournies, tant pour la sacristie que pour le reste. Je ne doute pas qu'ils ne soient bien amples et d'une grande considération dans le ciel, qui seul peut dignement récompenser Votre Majesté des choses qu'elle fait pour,la gloire de notre adorable Mystère.

J'ai une extrême douleur qu'elle ait sujet de s'en repentir et, comme je la considère, sans comparaison, beaucoup plus 167 que nos chères mères, qu'elle a tant gratifiées de ses bontés jusqu'à présent, que si, par malheur, elle n'en reçoit pas la consolation qu'elle en espérait, Sa Majesté est toute puissante pour les renvoyer comme elle a eu la piété de les appeler. Elle est la maîtresse de sa fondation, pour en user comme l'Esprit de Dieu vous fera connaître, Madame, être de sa pure gloire, car je ne crois pas que Votre Majesté, remplie de tant de zèle pour la gloire du très Saint Sacrement, puisse agir par d'autres sentiments. C'est pourquoi, Madame, si Votre Majesté veut absolument me renvoyer mes religieuses, je les recevrai comme Notre Seigneur me les renvoie, et le prierai, Madame, qu'il donne à Votre Majesté d'autres religieuses, capables de remplir les desseins de Dieu, de le glorifier davantage et donner un parfait contentement à Votre Majesté. Je n'ai que cela à désirer. J'aurais un déplaisir mortel que l'oeuvre de Dieu manquât en les mains de mes chères soeurs, ne remplissant pas les souhaits de Votre Majesté. C'est ce qui m'oblige de lui marquer avec profond respect que je ne veux que ses volontés et que je suis, avec soumission, très respectueusement,

Madame de Votre Majesté, la très humble, très obéissante et très obligée servante

N° 1109, autographe à Varsovie.

A madame de Béthune ce 28 de l'an (janvier) 1689

... Il faut dire un mot à la chère victime, de l'état de la maison de Pologne. Je voulais vous envoyer une lettre que la reine m'a écrite pour se plaindre de la dépense de nos soeurs. Je lui ai rendu mes respects le mieux qu'il m'a été possible. Elle dit qu'elle me renverra nos soeurs et qu'elle prendra des religieuses du pays auxquelles elle fera ajouter l'adoration perpétuelle. Je suis touchée de son mécontentement. J'écris à nos mères et j'ai reçu de leurs lettres qui gémissent de leur état. Elles disent que c'est moi qui en suis cause, parce que j'ai écrit à Sa Majesté, blâmant leur conduite et que la reine a lu mes lettres devant toute sa cour, qui a bien crié contre nos mères. Je n'ai dit qu'une chose, c'est que je n'approuve point que nos mères aient fait leur élection sans en parler à Sa Majesté et lui confier leur sentiment cordialement, ayant vu en elle tant de bonté. Mais comme la Providence divine nous a donné cette croix, qu'il faut adorer en lui, c'est son oeuvre, il faut espérer qu'il y pourvoira. Il faut tout attendre de Dieu ; il est nécessaire que la croix se trouve partout, c'est ce qui en fait le bonheur.

J'espère néanmoins que tout se raccommodera. La reine paraît un peu radoucie...

N° 198

A madame de Béthune ce 22 mars 1689

.. J'ai reçu des lettres de la Pologne qui ne consolent pas.

La mère de Sainte Mectilde écrit à ma soeur de Raffetot et lui témoigne sa douleur sur mon silence et la dureté de mon coeur sur leurs souffrances. La mère Madeleine d'Auvergne m'écrit aussi du même style ; sa lettre est signée des autres à la réserve de la mère Marie de Jésus et la bonne mère Paulmier qui, je crois, est du parti de la mère de Jésus. Je vois bien que les autres voient assez que la mère Radegonde de Beauvais ne les aime pas, c'est leurs grandes douleurs ; à moins d'un coup du ciel je n'y vois point de remède. Je leur ai écrit souvent, et quand j'y manque, la mère sous prieure y supplée et les encourage et fortifie de son mieux. Elles se sont mises dans la croyance que je suis contre elles du parti de la reine. Il est vrai que je leur en ai témoigné mon déplaisir, car il ne fallait point choquer la reine. Si elles lui avaient fait un peu de confidence de leurs peines, elle-même les aurait consolées, car c'est la meilleure princesse du monde. Il ne faut pas traiter les souveraines de la sorte. Mais le mal est fait sans y voir de remède. Cependant, je ne sais comme nos pauvres mères pourront revenir, la mer étant toute pleine de périls à cause des guerres d'Angleterre qui sont fort allumées et partout ailleurs. Je suis résolue de leur envoyer de l'argent, car selon qu'il parait, c'est leur trop de dépenses qui indispose la reine, mais je crois aussi que c'est un prétexte.

N' 1343

A madame de Béthune ce 28 mars 1689

... Je vous envoie la copie de la lettre que j'ai reçue de monseigneur l'évêque de Varsovie, qu'il m'a écrite pour, je crois, faire retirer quelques unes de nos soeurs qui ne plaisent pas à Sa Majesté. Elle en est la maîtresse. Si je savais comment les faire revenir, je les aurais déjà mandées, mais je ne sais comment les exposer dans ces bruits de guerre ; toute l'Europe est armée sur mer et sur terre. Il faut avoir un peu de patience, à moins que la bonté de la reine ne les fasse conduire en sûreté. Je lui écrirai, et au seigneur prélat, pour l'en supplier.

Je crois que la mère de Sainte-Gertrude aura fait quelques brusqueries ; vous la connaissez ; la reine s'est trop familiarisée avec elle. La bonne âme avait bien assuré que Notre Seigneur réunirait les coeurs, mais cela n'est pas arrivé de la sorte62, car je vois Sa Majesté plus aigrie que jamais. Il faut la contenter, c'est mon dessein ; si j'avais pu y aller, il me semble que j'aurais empêché tout cela, mais Notre Seigneur ne l'a pas voulu et je me puis tromper. J'accuse nos soeurs de n'avoir pas bien ménagé les bontés de la reine car il est vrai qu'elles ont été excessives.

N° 1282

A la mère de la Présentation de Beauvais, prieure Paris, 7 octobre 1689

Je vous suis, ma très révérende et chère mère, parfaitement obligée de la grâce que vous me faites de prendre part à la juste douleur que j'ai de la mort de la plus sainte abbesse [de Beaumont] qui fut en France dans le siècle où nous sommes. Je ne suis pas capable de porter jugement sur les effets de grâce qu'elle a portés dès son enfance ; mais les serviteurs de Dieu qui l'ont connue disent n'avoir en leur vie rien vu de plus saint. C'est un glorieux avantage pour elle, qui jouit présentement de la récompense qu'une vie, la plus souffrante que l'on puisse s'imaginer, a mérité de gloire ; si l'on fait son éloge, je vous l'enverrai.

Je crois que monsieur et madame de Béthune n'en sont guère touchés ; cela n'empêche pas qu'elle ne leur soit une bonne avocate devant Dieu. Je ne puis vous en rien écrire au jourd'hui, n'ayant que le temps de vous dire un peu de nos nouvelles et surtout de mon étonnement de voir que vous ne recevez pas toutes les lettres que je vous ai écrites et à toutes nos chères mères et soeurs qui sont avec vous. C'est une Providence qui m'est sensible, d'autant plus que je ne puis prendre le temps que je voudrais pour vous marquer toute mon estime et ma tendresse pour vous, très chère mère, et pour toutes. Je me suis souhaitée près de vous plusieurs fois, dans le temps de vos grandes souffrances, pour les partager avec vous et vous assurer que les établissements des filles du Saint Sacrement ne sont fondés que sur la croix : il semblait au commencement du vôtre que tout devait vous succéder en joie, par les applaudissements de la reine et les témoignages d'une amitié qui devait être éternelle. Mais, très chère mère, l'oeuvre n'aurait pas pris de si fortes racines sans la terre de l'humiliation, qui est celle de tous les beaux parterres de Notre Seigneur Jésus Christ ; il n'y aurait pas trouvé les belles fleurs des vertus que l'on pratique ordinairement dans les souffrances, où souvent, hors de là, ce ne sont que des ombres de vertus ; mais quand elles sont produites par la croix, elles sont d'une bonne odeur au divin Maître qui vous a plantées où vous êtes, et où il veut se glorifier en vous.

La croix a une vertu admirable pour purifier à recevoir les grâces singulières de la bonté de Dieu. Puisqu'il vous a choisies pour son oeuvre, vous devez être toutes persuadées qu'il vous veut dans un état de sainteté que l'on ne peut jamais acquérir sans peine.

Prenez toutes courage : vous avez souffert les plus rudes coups. J'espère que la main de Dieu conduira le reste à la perfection qu'il demande de son oeuvre et qu'il adoucira le coeur de notre grande reine, que l'ennemi du Seigneur et de ses épouses avait aigri si fortement, qu'il en paraissait amer dans sa conduite à votre égard.

J'ai souffert de tout cela devant mon Dieu et j'en suis encore dans la douleur, sachant que vous n'êtes pas encore comme je le souhaiterais pour votre repos. J'espère que Notre Seigneur, par les prières de sa très sainte Mère, calmera tout et vous donnera les grâces nécessaires pour tout soutenir en son Esprit et pour être fidèles à son amour qui vous perfectionne par les croix qu'il vous envoie. Je sais bien que vous travaillez 171 à en faire un saint usage et que je n'ai pas besoin de vous exciter à la fidélité : votre exemple encouragera les autres et, tandis que vos oeuvres seront bien unies en Jésus Christ, et qu'il n'y aura pas de division parmi vous, vous serez invincibles à tous ceux qui vous haïssent et qui vous persécutent : « Si mous étiez du monde, dit Notre Seigneur, le inonde Fous aimerait, mais vous n'êtes pas du inonde » (in 15, 18-19), ce sont ses paroles adorables.

Demeurez en lui : vivez de son Esprit de paix, d'union et d'une sainte concorde. Vous devez n'avoir aussi qu'une même volonté, ne tendant qu'à bien édifier l'oeuvre de Dieu pour sa pure gloire ; ne vous regardez 'plus, mes très chères mères, comme si vous aviez encore quelqu'intérêt sur la terre : vous devez vivre comme des morts. Vous êtes dans un pays qui vous aide beaucoup à vivre dans cette sainte séparation et dégagement de tout ce que la nature peut aimer : vous ne trouvez où vous êtes que ce qui peut la contrarier partout, ne voyant rien qui lui soit agréable.

C'est une vie bien dure et crucifiante que de vivre dans un perpétuel sacrifice, sans quasi trouver aucun soulagement, parce que vous portez une privation de mille petits secours que l'on trouve ici, que l'amour de Dieu et de sa gloire vous ont fait sacrifier. Je vous assure que vos récompenses seront bien glorieuses dans le ciel, car l'on peut dire que nous ne savons ici ce que c'est que de porter la croix nue : les secours ne nous manquent pas. Ce n'est pas souffrir de la pure souffrance qui fait porter un dénuement de toutes les créatures. Si vous persévérez dans toute la sainteté des voies de la divine Providence, vous serez des plus élevées dans le ciel et la gloire de l'institut en terre.

Travaillez donc fidèlement à la perfection de l'oeuvre que le Seigneur vous a confiée, et puis, venez vous reposer dans le berceau qui vous tend les bras et où vous avez droit de venir quand il vous plaira.

Très chère mère, puisque Notre Seigneur vous a chargée de son petit troupeau, conduisez-le par les gras pâturages de ses grâces et de son amour ; je vous prie de ne vous point souvenir de la mauvaise édification que je vous ai donnée, et que toutes les chères mères trouvent ici le tendre souvenir de mon coeur, sans en oublier aucune. J'embrasse aussi votre cher noviciat.

Je vous assure que vous devez avoir un grand recours à Notre Seigneur et à sa très sainte Mère : il n'y a pas trop d'appui aux créatures, mais de vous attacher uniquement tout à Dieu ; vous ne serez pas rebutée de son infinie miséricorde ; je vous conjure de prendre un nouveau courage pour souffrir pour son amour. Si l'on pouvait trouver une voie bien sûre je vous donnerais des marques de mon affection pour soulager vos besoins de toutes manières, en vous envoyant des toiles, des étoffes et autres choses ; mais je n'en sais pas sur la terre, ni sur mer, car tout est en guerre. L'on nous fait frayeur de la suite ; nous tâchons de nous tenir dans un saint abandon. L'on ne parle partout que de désolation : Dieu par sa bonté infinie nous veuille regarder en sa miséricorde ! On dit que nous sommes à la veille de grandissimes maux ; priez bien Dieu pour nous et surtout qu'il nous donne la grâce de n'être point infidèles, lorsqu'il lui plaira nous plonger dans les calamités qui semblent menacer.

Je prie Notre Seigneur et sa très sainte Mère vous combler de toutes sortes de bénédictions ; ne nous oubliez donc point dans vos saintes prières, surtout notre chère bonne mère Bernardine 72 qui se consomme dans des souffrances qui aug-

72. La mère Bernardine était prieure du monastère des bénédictines de Notre-Dame de la Conception à Rambervillers (Vosges). Ce monastère avait été fondé, selon l'esprit de la réforme de la Congrégation de Saint-Vanne, par Mme Eufraise du Hautoy le 14 mars 1629. Mère Bernardine y était entrée comme postulante dix jours après la fondation. Elle fut élue prieure en 1637. C'est donc elle qui reçut Catherine de Bar quand elle vint demander asile à ce monastère en 1639. La mère Bernardine était une supérieure pleine de sagesse, très éclairée dans les voies de Dieu, alliant une grande fermeté de caractère à une profonde tendresse pour ses filles ; elle savait éclairer et soutenir les âmes qui se confiaient à elle. Entre ces deux ferventes religieuses se noua une union qui dura autant que leur vie. La guerre de Trente Ans les obligea à fuir la Lorraine et à chercher divers refuges en France. Mère Bernardine rejoindra définitivement mère Mectilde en 1652. Liées désormais à la même tâche, nous les trouvons unies dans les charges, les peines et les joies de la fondation de l'institut. En 1664, elle fut envoyée à Toul pour gouverner la maison naissante pendant quinze mois. Elle exerça de nouveau la charge de prieure à Rambervillers, pendant quelques mois, pour initier les moniales à leurs nouvelles obligations aprés leur affiliation à l'institut. En 1669, elle est à Nancy pour préparer l'union de l'abbaye Notre-Dame de Consolation, et, en 1674, mère Mectilde lui confie la direction du petit hospice n de la Porte Montmartre qui deviendra le n second u monastère de Paris, rue Saint-Louis-au-Marais. En 1685, elle demanda à être remplacée en raison de son âge. Elle mourut le 27 janvier 1692, entourée de la sollicitude et de la vénération de mère Mectilde et des deux Communautés de Paris. (Cf. C. de Bar, Lettres inédites, Rouen, 1975).

173 mentent tous les jours ; et moi qui la dois suivre par un âge avancé : l'on ne peut plus s'assurer sur sa vie ; après les accidents d'apoplexies, il faut craindre les rechutes ; mais tout abandonner à Dieu : il fera selon sa très sainte volonté.

Je prie toutes nos chère mères, d'avoir soin de votre santé, et de votre côté ne la prodiguez point ; soutenez l'oeuvre du Seigneur et nous faites donner de vos nouvelles. A Dieu, mille et millions de fois. Je suis en lui tout à vous du plus tendre de mon coeur, ma très chère mère.

N° 1802.

A mère de la Présentation de Beauvais, prieure ce 3 novembre 1689

Il faut faire un effort pour prendre une heure de temps pour vous donner de nos nouvelles, et vous assurer que nous avons rendu grâces à Notre Seigneur sur les vôtres, un peu meilleures, par le retour du bon coeur de la reine vers vous. L'expérience nous apprend tous les jours qu'il fait bon se confier en Dieu ; il ne nous confond point, son bras n'est point raccourci, il est avec vous, et il est avec nous. C'est lui qui nous secourt et qui nous soutient contre une infinité d'accidents qui devraient nous abîmer. Vous savez mieux que personne qu'il fait bon s'abandonner à Dieu, lorsque l'on se trouve abandonnée des créatures. C'est dans cet état que l'on goûte divinement la présence de Dieu, sa bonté et sa providence. Je vous assure que l'on ne peut bien connaître Dieu que dans les occasions qui nous font vigoureusement recourir à lui. Vous le savez, très chère mère, dans l'éloignement où vous êtes et, je le sais, par l'impossibilité de trouver du secours dans les créatures. Du siècle où nous sommes, tout le monde se resserre si fort, qu'à peine trouverait-on des enfants qui voulussent soulager leur père et mère.

Il est vrai que le monde souffre, au moins la plupart, mais dans un débris de charité qu'elle ne paraît quasi plus sur la terre, vous diriez qu'elle a repris son vol dans le ciel, ne trouvant personne qui la voulût recevoir en terre. Cependant, très chère, dans ce terrible chaos de désolation, presque universelle, Dieu m'a suscité un secours qui ne peut être regardé dans l'humain, qui me sort de toutes mes affaires, si bien que je n'y pense plus. Cela se fait d'une manière qui enlève le coeur et qui me fait adorer et admirer incessamment la bonté de Dieu. Je vous le mande en confiance pour l'en remercier pour moi, sachant votre bon coeur et votre charité pour votre pauvre mère. Et si vous me demandez comme ce secours m'est arrivé, je ne le puis dire, car je ne le sais point. Mais une personne de haute piété que je n'ai jamais connue, ayant appris que j'étais dans la peine à cause des maisons de l'institut, a été touchée de compassion. Sachant que je n'avais plus aucune ressource sur la terre, et que mon âge était si avancé qu'il fallait plutôt attendre ma mort que la vie, et que mourant je pouvais être en peine, m'a fait demander un mémoire de ce que je dois, et ensuite a commencé à y satisfaire, sans que je puisse savoir qui est mon bienfaiteur et à qui j'ai tant d'obligation. Il m'a fait dire qu'il suffit qu'il soit connu de Dieu et qu'il a reçu son ordre pour me retirer de peine. Voilà une providence bien admirable et qui me fait vous dire, très chère mère, que je pourrais vous faire aider si vous en avez besoin. Prenez la peine de me le mander, et combien il vous faudrait pour vous mettre un peu plus à votre aise. Je vous dis ceci en secret. Ayez la bonté de n'en rien dire à la reine ; il faut la laisser faire l'oeuvre qu'elle a commencée pour ne lui point ravir sa couronne. Nous attendons demain le bon frère Ange qui doit nous venir conter de vos chères nouvelles.

Je prie Notre Seigneur qu'il vous donne à toutes une parfaite santé. Permettez-moi de saluer très cordialement toute la chère communauté. Je suis dans une grande joie quand je reçois de vos nouvelles. Je laisse à la petite mère des Anges de Beauvais de vous mander des siennes. Je n'en sais point, sinon qu'il y a bien partout de la misère, la mienne est infiniment grande devant Dieu ; demandez-lui miséricorde pour celle qui est en lui tout à vous. La chère mère sous-prieure se veut ensevelir en Dieu : je la prie de se souvenir de moi. J'en dis de même à la chère mère de Jésus et à toute la chère communauté, priant Notre Seigneur et sa très sainte Mère vous combler toutes de mille millions de grâces et de bénédictions.

N° 528

A la mère de la Présentation de Beauvais, prieure 8 juin 1690

Je peine furieusement, très chère mère, de n'avoir point de vos nouvelles. Êtes-vous encore de ce monde, ou avez-vous passé dans l'autre ? Me croyez-vous indifférente à vos croix ou à vos bonheurs, si vous en avez ? Je vous conjure de me faire donner de vos nouvelles. Une pauvre mère ne peut souffrir cette dure privation. Je ne suis point encore morte, quoi qu'il y a peu que je sois en meilleure disposition. Faites-moi savoir comment vous êtes toutes, du moins celles que je connais.

Vous serez étonnées d'entendre que Notre Seigneur nous a visitées par des maladies de coliques, de vomissements et de fièvre, mais je crois que toute la communauté y passera, car il y en a déjà plus de 25. Chaque jour il en tombe malade une ou deux. Nous sommes environ 8 ou 9 dans la communauté. Les novices même sont attaquées, et, ce qui est plus surprenant, l'on dit que ce mal est pour nous seules, qu'il n'y en a point dans le monde, ni dans les autres maisons religieuses. C'est un présent que Notre Seigneur nous fait, qu'il faut recevoir de sa très sainte main, et adorer ses conduites. Il est vrai que nous sommes dans un temps très pénible à soutenir, car l'on ne reçoit rien, et il faut faire subsister la communauté.

Mais, vous, très chère mère, n'êtes-vous pas aussi sur la croix, ne souffrez-vous pas de bien des besoins ? J'ai le grand désir de vous soulager par le moyen d'une affaire qui doit se terminer devant la Saint-Jean. Si Notre Seigneur la bénit, vous en sentirez des effets. Je recommande le tout à vos saintes prières. Dites-moi un peu si la reine vous aime toujours, et si elle vous fait du bien. Contez-moi un peu vos petites affaires pour ma consolation. Je prie Notre Seigneur qu'il vous comble de toutes sortes de bénédictions.

Je vous embrasse toutes du plus tendre de mon coeur, vous aimant bien tendrement ; mais je crois que vous ne le croyez pas ; je vous prie de le croire car c'est la vérité toute sincère. La chère mère de Sainte Gertrude, notre sous-prieure, ne pense plus a sa pauvre mère qu'elle a tant aimée autrefois. Pour soeur Mectilde, je n'en sais que dire : son coeur est gros, je ne sais pourquoi. Pour mère Sainte Magdeleine, elle pense que je n'ai rien pour elle et que je l'ai à dédain. Devant Dieu, cela n'est pas vrai. Quant à la chère mère de Jésus, elle m'a pendue au croc parce qu'elle est au-dessus de tout, ne touchant plus à la terre que par l'extrémité. Pour la bonne mère de Paulmier, elle ne me connaît point. Et quant à la chère mère Benoîte de la Passion, de Rouen, elle se souviendra seulement que je l'ai immolée au Seigneur, lui ayant fait faire profession. La chère soeur de saint Joseph priera Dieu pour moi avec vous toutes, j'en ai un très grand besoin. Ma pauvre mère Suzanne de la Passion, n'est pas oubliée, mais de sa part, je la prie de ne m'oublier point aussi. Avez-vous toutes appris la langue polonaise ? Je vous plains de ne la savoir pas.

Il faut encore que je vous demande un peu si le très Saint Sacrement est bien honoré à votre église, si vous avez bien des adorateurs et si vos jeunes religieuses prennent bien l'esprit de l'institut. Faites, très chère mère, autant de séraphins que de religieuses. Élevez-les dans un grand amour vers le très Saint Sacrement et un grand zèle de sa pure gloire. Je ne sais si je ne mourrai pas vers la fin de l'année. Cela pourrait bien être, car je ne manque point de tomber périlleusement malade en ces temps-là. Il faut me tenir prête. Notre Seigneur en fera ce qu'il lui plaira. Je vous écrirai encore avant ce temps, s'il m'est possible, pour demander vos saintes prières et vous assurer que, vivant ou mourant, je suis et serai toujours parfaitement tout à vous. Adieu, très chères mères et chères enfants. Je vous embrasse tendrement.

N° 1283

A la mère de la Présentation de Beauvais, prieure le 1er août 1690

Vos dernières du 5 du mois de juillet dernier nous ont bien consolée. Vous nous faites un singulier plaisir quand vous nous donnez de vos chères nouvelles. Nous aimons mieux qu'il nous en coûte de l'argent. Je rends grâce à Notre Seigneur du secours qu'il vous fait espérer par cette jeune veuve que vous avez reçue. Je suis sûre qu'il ne vous abandonnera point : vous êtes ses chères et bien-aimées victimes. C'est pour sa pure gloire que vous vous êtes sacrifiées et avez passé les mers pour le faire adorer. Ne vous étonnez pas de vos croix : il faut que les oeuvres de Dieu en soient toujours assaisonnées, si ce n'est dans un temps, c'est dans un autre. Prenez courage. C'est la 177 souffrance qui fait la meilleure partie de votre sanctification. Il faut espérer que Notre Seigneur touchera le coeur de la reine dans le temps opportun. Demeurez ferme et constante dans la foi et la confiance que Dieu vous soutiendra.

Nous ne pouvons vous rien mander des misères du temps. C'est celui de souffrir, Notre Seigneur le voulant ainsi. Nous avons jusqu'à trente malades. C'est un peu beaucoup. Pourvu que le service divin et l'adoration ne se quittent point, nous serons trop heureuses. De tout ce nombre il n'y en a point encore de morte que la pauvre Marie l'allemande, que je recommande fort à vos saintes prières et de toute votre chère communauté. Les autres malades ne guérissent point entièrement. Il y a plus de deux mois que cela dure. Chaque jour il en tombe une ou deux. La pauvre petite mère des Anges fut prise avant-hier et, aujourd'hui, madame de Raffetot. C'est une maladie épouvantable : l'on est comme des demi-désespérées. L'on dit qu'il faut changer d'air. Hélas ! si nous étions près de vous, vous nous recevriez sans doute, mais le trajet est trop long. Je prie Notre Seigneur qu'il vous conserve et vous comble de toutes sortes de bénédictions.

Si l'on pouvait se confier au papier, l'on vous manderait bien des choses, mais il faut tout sacrifier. Je vous conjure de vous souvenir des saintes âmes du purgatoire. Ne les oubliez jamais. Souvenez-vous que ce sont de fidèles amies. Pour nouvelles : la mère de Jésus-Maria est à Anet 73 avec ma soeur Magdeleine du Saint-Sacrement l'anglaise. Si Notre Seigneur achève ce que sa Providence me destine, je ne les y laisserai

73. Nos Annales de Rouen font mention, en 1696, d'une donation de M. de Grainville en faveur du monastère de Dreux pour lui permettre d'acquérir une maison. Les religieuses de ce monastère, primitivement fondé à Anet (Eure-et-Loir), avaient fait appel à mère Mectilde pour relever leur prieuré tombé dans une extrême pauvreté. C'est alors qu'elles s'unirent à notre institut. Leur église fut bénite par M. Louis Bunet, docteur en Sorbonne, attaché à l'église Saint-Pierre de Dreux et nommé supérieur de ce nouveau prieuré le 23 février 1696. La première exposition du Saint-Sacrement eut lieu ce jour même. Les lettres patentes furent données en 1701. Soeur Marie Magdelaine du Saint-Sacrement signa l'acte d'établissement le 23 octobre 1695. Notre monastère de Rouen dut leur venir en aide au XVIII' siècle par l'envoi de plusieurs moniales, dont la mère Elisabeth Cuiller, prieure de 1719 à 1749.

Soeur Marguerite de Jésus-Maria, Marguerite de la Bernardaye, reçut l'habit monastique le 3 avril 1675, âgée d'environ trente ans, et fit profession rue Cassette le 4 mai 1676. En 1684, elle était tourière.

pas ; nous les approcherons de nous. Messieurs de la ville de Guise 74 nous ont écrit de la manière du monde la plus honnête et la plus touchante, pour nous obliger d'établir dans leur ville une maison de notre institut. Cela est tout à fait édifiant, mais je n'y pourrai aller cette année. Tout notre monde est quasi malade. Vous savez qu'il faut bien des choses pour établir une maison de notre institut. Les dépenses sont grandes mais le plus difficile est d'avoir des sujets.

Je vous prie, très chère mère, que toutes nos chères mères qui sont avec vous et celles que vous avez reçues trouvent ici un million de saluts de ma part. Je voudrais bien écrire à toutes, chacune en particulier, mais je n'en puis trouver le temps. Je me recommande à vos saintes prières pour obtenir la grâce de bien mourir. Je ne suis point malade, mais je ne suis point forte. Je ressens bien cette année que je diminue beaucoup. Comptez que je suis dans la soixante et seize : c'est beaucoup. La chère mère sous-prieure ne me connaît plus, et moi je vous connais toutes et vous porte toutes dans mon coeur avec une tendresse que je ne puis vous exprimer. Nous avons 4 ou 5 filles, des incurables séculières, que nous avons prises pour soulager nos malades. Nous n'attendons que les moments que le reste tombera. Priez Notre Seigneur qu'il nous fasse la grâce de ne point quitter le service divin et de bien porter nos croix en son Esprit. Les pauvres malades vomissent de la bile toute verte. L'on a cru que nous étions empoisonnées ou ensorcelées, mais ce n'est ni l'un ni l'autre. L'on dit que c'est l'influence des éclipses qui se sont faites au mois de mars dernier. Les médecins ne savent que dire et ne peuvent en aucune manière soulager les malades. C'est un présent que Notre Seigneur nous a fait. Il faut le recevoir de sa très sainte main et nous bien abandonner à ses adorables volontés. Adieu, très chère mère, priez bien pour nous, notre besoin est grand. Croyez-moi sincèrement tout à vous, très fidèle et humble servante.

N° 2959

74. Nous savons, par deux lettres de mère Mectilde, l'une adressée à « une demoiselle de Guise », l'autre aux échevins de la ville, qu'un projet de fondation avait été élaboré pour Guise, en réponse au désir des échevins. La demande de lettres patentes et d'une autorisation de l'évêque de Laon devait être faite par le maire et les échevins. Il semble que mère Mectilde ait donné son accord de principe, mais que les autorités de la ville n'ont pu obtenir les permissions nécessaires. (Manuscrit conservé au monastère de Rumbeke, Belgique. Les Arch. Dép. de Laon, n'ont gardé aucune trace de ce projet).

179

A la mère de la Présentation de Beauvais, prieure ce 10 août 1690

Il n'y a que huit jours, ma révérende et chère mère, que je me donnais la consolation de vous écrire, en réponse de celle que vous m'aviez fait la grâce de m'écrire du cinq du mois de juillet dernier. Je réitère encore aujourd'hui pour vous donner une nouvelle qui affligera votre bon coeur.

C'est avec douleur que je suis obligée de vous la donner, mais je n'ai pu m'en dispenser. J'entre avec vous dans le douloureux sacrifice que Notre Seigneur exige de votre fidélité, dans le moment qu'il vous demande la personne du monde [votre mère] qui vous est la plus chère, et qui tenait la meilleure place dans votre coeur. En la retirant à lui, il vous donne lieu de lui faire un sacrifice de justice, en lui rendant ce qu'il vous avait prêté.

Mais, très chère mère, ne vous abîmez pas dans la douleur. Si vous perdez une bonne mère, vous en trouvez une mille fois meilleure, qui est la très auguste mère de Dieu. Notre Seigneur Jésus Christ vous la donne et j'ose vous assurer qu'elle remplira dignement cette qualité et que vous expérimenterez ses maternelles bontés au-delà de tout ce que je vous en puis assurer. Jetez-vous donc à corps perdu entre ses bras. C'est dans son sein virginal où vous goûterez ses divines douceurs et où vous puiserez les forces nécessaires pour soutenir un sacrifice qui est le plus grand, selon l'humain, que vous pouvez faire et souffrir en cette vie. Je ne puis vous donner aucune consolation ; j'avoue que je n'en suis pas capable, votre douleur me paraît trop grande. Mais Notre Seigneur et sa très sainte Mère suppléeront à mon insuffisance. Je le prie de tout mon coeur vous combler de toutes les grâces et bénédictions que je vous souhaite.

La chère mère des Anges est sensiblement touchée. Il y a apparence que cette illustre défunte avait quelque pressentiment de sa mort. Elle fut à Montmartre dire adieu à madame sa soeur ; elle acheta de la toile, disant que c'était pour l'ensevelir. Sa maladie a été une fièvre continue. Je ne sais si les médecins l'ont bien traitée, mais il lui survint un transport. L'on usa d'émétique, pour rappeler ses esprits, qui d'abord parut bien faire, mais le lendemain elle fut beaucoup plus mal et, à la fin de l'accès, elle quitta la terre pour approcher le ciel, sa céleste patrie, où quelque jour vous aurez la consolation de la rejoindre pour aimer et adorer Dieu ensemble dans la bienheureuse éternité.

On l'a ouverte et on ne lui a trouvé aucune cause de mort, ayant le dedans du corps comme celui d'un enfant, tant il paraissait de santé et capable de vivre encore trente années. Tout ce que l'on en peut dire, c'est que Dieu, comme maître souverain- de ses créatures l'a voulue et qu'il n'a pas été possible de résister à ses adorables volontés.

Je le prie nous consommer en son amour. Je suis en lui du plus tendre de mon coeur tout à vous, ma très honorée et chère mère. Je salue et embrasse toute la chère communauté, surtout les chères mères qui sont les chères compagnes du voyage.

N° 602

A la mère de la Présentation de Beauvais, prieure Paris, 1 décembre 1690

La chère mère des Anges [de Beauvais] m'a fait part de celle que vous lui avez écrite, ma révérende et plus chère mère. Notre Seigneur vous visite d'une sorte et nous d'une autre. Nos taxes nous font bien de la peine : nous en avons de plusieurs sortes ; il faut bénir Dieu qui le veut ainsi. Au travers de tout cela, il faut l'aimer et adorer et nous servir de tout pour nous préparer à la mort, qui me semble s'approcher de si près : les croix et les afflictions de la vie en fournissent de bons sujets ; mais que devons-nous aimer en ce monde si ce n'est que les croix ? C'est pour souffrir que Notre Seigneur nous fait vivre. Les âmes fidèles ne respirent que cela, par conformité d'état à leur divin Maître.

Je crois, ma très chère mère, que vous êtes de ce nombre-là parce que les occasions de sacrifice ne vous manquent pas. Je ne vous dis rien sur la dernière que la Providence vous a donnée. Je me confie à cette aimable Providence qu'elle pourvoira à tout, sans aucun préjudice : il faut bien qu'elle soit votre mère et qu'elle vous protège en tout. Je voudrais bien pouvoir vous donner un peu de secours et de consolation. Je vous assure que j'y ferai tout mon possible, tandis que Notre Seigneur me donnera encore quelque respir de vie : usez de moi 181 comme il vous plaira, et priez-le qu'il m'environne de ses miséricordes divines pour me préparer à bien mourir : il faut y penser sérieusement ; c'est pour cela que je demande vos saintes prières et que je vous demande pardon de toutes les peines et mauvaises édifications que je vous ai données ; je voudrais être à vos pieds pour vous le demander à toutes.

Prenez courage ; Notre Seigneur vous bénira. C'est la prière que je fais tous les jours à la très sainte Vierge, de vous bénir et de vous combler de ses divines grâces, vous unifiant si intimement toutes ensemble que vous ne soyez qu'un coeur et qu'un même esprit pour sa pure gloire, pour la sanctification de son oeuvre et de plusieurs que Notre Seigneur sauvera par l'institut.

La reine sera la première qui recevra l'onction divine par l'institut : elle sera comblée ; c'est pour son âme que Dieu vous a toutes envoyées dans son royaume. Priez Notre Seigneur qu'elle ne perde point les grandes et admirables grâces qui lui sont préparées. Elle ne sera pas seule, mais sa portion est incomparablement plus élevée et plus abondante.

Je laisse à la chère mère des Anges de vous mander des nouvelles de la maison. La communauté est assez doucement pour la santé : nos malades se rétablissent un peu lentement. Je prie Notre Seigneur qu'il vous conserve toutes. Je crois que ma chère mère de Sainte Mectilde est bien mortifiée de ne pouvoir revenir, comme elle voudrait. Il n'y a aucune sûreté, ni sur la mer, ni sur la terre : l'on craint beaucoup l'année prochaine pour les grandes guerres qui se préparent.

Priez bien Dieu pour nous, très chère mère, et nous donnez de vos nouvelles, car c'est une très grande joie pour nous d'en recevoir ; quoi qu'elles coûtent de port, nous aimons mieux en recevoir et payer, car vous êtes nos chères et bien-aimées qui nous êtes très intimes. Je vous conjure toutes d'en être bien persuadées, même la chère mère sous-prieure, qui se renferme tout en Dieu.

Il me prend une sensible douleur quand je crois que je n'aurai plus la consolation de vous revoir en ce monde. Hélas ! C'est, je vous assure, un très grand sacrifice pour votre retour ; mais je dois vouloir comme Dieu vous veut. Vous êtes toutes à lui et non à moi, qui suis en lui tout à vous, pour me sacrifier en lui avec vous.

N° 1832

A la mère Gertrude de Sainte Opportune [ Cheuret] 29 mai 1691

... Vous savez que plusieurs de nos mères de Pologne reviennent et que la chère mère Mectilde est du nombre. J'aurai bien des choses à vous dire là-dessus. Je crois que la chère mère de Jésus écrit à la révérende mère prieure 76. Si je savais qu'elle ne lui écrit pas, je lui enverrais les lettres que j'en reçois. La voilà supérieure à présent et bien aimée et soutenue de la reine ; l'on dit que l'on espère que Notre Seigneur bénira tout. A Dieu je suis en lui tout à vous.

N° 823

A une religieuse [Soeur Françoise de Saint Antoine Feuvej ce 18 octobre 1691

La chère mère de Sainte Gertrude veut que je vous marque la joie que je ressens dans mon coeur, de l'assurance qu'elle me donne de votre fidélité pour Dieu, et de l'amour que vous avez pour votre vocation, ma très chère soeur, mais surtout du zèle que vous avez pour la gloire du très Saint Sacrement.

J'en ai d'autant plus de consolation, que ce divin Mystère faisant l'objet actuel de vos adorations, vous lui rendez les devoirs qu'il attend d'une victime, qui est immolée à sa gloire, et qui emploie toute sa capacité à lui faire des réparations pour les pécheurs qui l'outragent avec tant d'impiété dans cet auguste sacrement.

Je vous conjure, ma très chère soeur, de faire tout votre possible pour conserver ce feu divin dans votre coeur, faites le

75. Jeanne Cheuret, soeur Gertrude de Sainte Opportune, originaire de Paris, fit profession au monastère de Toul, le 8 mai 1674. Elle revint à Paris, où elle participa à la fondation du second monastère, rue Saint Louis au Marais. Elle y fut longtemps maitresse des novices, puis prieure. après mère Saint François de Paule, jusqu'en 1719. Elle mourut le 19 avril 1724.

76. Françoise Charbonnier, soeur Marie de Saint François de Paule, était née à Saint-Mihiel (évêché de Verdun), de noble Charles Charbonnier et de Marguerite La Vesle. Elle entra au monastère de Toul le 24 mars 1665. prit l'habit à vingt-trois ans. le lundi de Pâques, 6 avril 1665, et fit profession le 15 mai 1666. Prieure du monastère de la rue Saint-Louis au Marais, à Paris, en mars 1685 ; elle resta à la tête de cette maison jusqu'à sa mort le 18 avril 1710. (Cf. C. de Bar, Lettres inédites, Rouen, 1976).

183

brûler sans cesse, afin qu'il consomme tout ce qui peut être en vous un obstacle à la complaisance qu'il doit avoir en vous.

Aimez bien chèrement votre précieux état de victime ; et pour y être fidèle, envisagez souvent la victime adorable de l'autel, pour vous conformer aux dispositions qu'elle y porte. Je le prie de tout mon coeur, remplir le vôtre de ses grâces, et qu'il vous rende digne d'être un jour consommée de ce feu divin, qui doit consommer les fidèles victimes de son amour. Je vous conjure, très chère soeur, de me donner un peu de part à vos saintes prières et de me croire tout à vous, en Jésus et sa très sainte Mère.

N° 1831

A la mère Marie de Jésus Petitgot, prieure du 31 janvier 1692

Je viens, ma chère mère, vous annoncer le grand sacrifice que Notre Seigneur a exigé de moi, en la personne du monde qui m'était le plus chère. Vous en serez touchée avec moi, par ce que je sais que vous l'aimiez comme votre bonne mère. Elle était bien la mienne, et je lui devais l'honneur que j'ai d'être dans l'ordre de Saint Benoît ". Notre Seigneur l'enleva la nuit de dimanche dernier, à minuit précisément du 27 et du 28 courant.

C'était un sacrifice qui me restait à faire, le voilà consommé.

Cette bonne et très chère mère était une sainte religieuse, qui laisse une heureuse et glorieuse mémoire de sa sainte vie. Toutes nos maisons seront touchées de sa mort ; je puis dire qu'elles y perdent toutes beaucoup. Elle ne cessait de leur procurer quelque consolation. Je crois qu'elle s'en souviendra dans le ciel. Je ne la recommande point à vos saintes prières car je suis assurée que vous n'y manquerez pas. Me voilà donc, à présent, sans mère sur la terre, mais je vais la trouver en Dieu

77. Mére Mectilde avait connu la Règle de saint Benoît au monastère de Rambervillers. Elle s'était si parfaitement imprégnée de son esprit qu'au moment de fonder l'institut de l'Adoration perpétuelle, elle choisit cette règle de préférence à toutes les autres et la commenta souvent devant ses moniales. (Cf. C. de Bar, Documents historiques, Rouen, 1973 ; C. de Bar, A l'écoute de saint Benoît, Rouen, 1979).

où elle est retournée comme dans son bienheureux centre. Je crois que nous ne serons pas bien du temps sans la suivre : mon âge de soixante et dix sept passé est grand ; j'entre dans la soixante et dix-huit depuis un mois.

J'ai reçu votre chère petite lettre qui m'a fort consolée, voyant les bénédictions de Dieu sur votre maison. Je loue Dieu que la reine soit contente de vous. Tâchez, ma chère mère, de ne la jamais mécontenter ; il faut toujours la considérer pour ce qu'elle est, et lui rendre vos devoirs d'honneur, de respects, et de soumission, Notre Seigneur bénira, car l'ingratitude est insupportable à Dieu, et aux hommes.

Vous demandez, très chère mère, des nouvelles de mes croix. Elles sont telles que Dieu les a faites ; il les connaît ; mes péchés ont obligé sa justice de me réduire comme je suis. J'espère néanmoins que son infinie miséricorde y pourvoira avec le temps et la patience.

J'aurais bien de la consolation de vous pouvoir écrire plus souvent, et à toutes les chères mères qui vous accompagnent, que j'embrasse de tout mon coeur.

Je voudrais bien me dilater un peu avec vous, très chère mère, mais je n'en puis prendre le temps. Je dois bien penser à mourir, mais aidez-moi, je vous supplie, par vos saintes prières, à suivre ma très bonne mère et la vôtre, car c'était aussi votre bonne mère, qui vous aimait beaucoup ; priez bien Dieu pour elle, et ne l'oubliez jamais.

Je rends mille grâces à Notre Seigneur d'avoir calmé votre maison, et de vous avoir donné la grâce de gagner les coeurs et les esprits. Je me réjouis fort de voir monsieur N, qui nous dira de vos chères nouvelles. Possédez donc en bénédiction votre chère maison, et toutes vos chères filles, et que vous augmentiez en grâce et en sainteté. J'ai une sensible joie que vous soyez comme vous me mandez. Hélas ! si dans les commencements les choses avaient été de la sorte, vous seriez les plus triomphantes de la Pologne. Je crois même que vous auriez fait plusieurs fondations, car tout le monde était ravi de l'institut, mais le démon n'a pu souffrir un si grand avantage pour augmenter l'adoration.

De bon coeur j'écrirais les voeux de vos chères soeurs professes, mais je n'écris plus rien qui vaille, ma main est toute perdue, nous ne laisserons pas de faire de notre mieux au premier jour. 185

Je voudrais bien vous dire bien des choses, très chère mère, mais lisez-les dans mon coeur, et comprenez que ma pauvre mère est allée à Dieu, et m'a laissée seule ; c'est un grand sacrifice pour moi, mais je le veux comme mon Dieu le veut lui même, et être toute sacrifiée à ses adorables volontés, pour rester tant qu'il lui plaira, et pour souffrir tout ce qu'il voudra. Il me semble que je suis si seule, que je ne vis plus. Je suis sans être, et sans plus attendre autre chose que la séparation de tout l'être crée.

A Dieu très chère mère, je crois que, nonobstant ma langueur, je vivrai encore un peu de temps, pour achever ce que Dieu veut de moi. Je suis en lui tout à vous, très chère mère, vivons et soyons comme si nous n'étions plus.

N° 1602

A la mère Marie de Jésus Petitgot, prieure 26 mai 1694

Ce mot, très chère mère, est seulement pour vous assurer que j'ai ressenti l'effet de vos saintes prières, dont je vous rends mille grâces de tout mon coeur ; elles m'ont ramenée de l'autre monde où j'étais déjà par la meilleure partie de moi . Je ne sais pourquoi Notre Seigneur m'a renvoyée, sinon pour commencer à faire pénitence ; mais mon âge, si avancé, me la fera faire bien petite et indigne d'être présentée à Notre Seigneur ; mon recours est à sa très sainte Mère, qui sera mon avocate et qui suppléera à mon impuissance. Je vous conjure de la bien prier pour moi.

Si j'étais près de vous, je vous dirais les miséricordes qu'elle m'a faites dans ma maladie, qui a duré près de trois mois et dans laquelle je me suis trouvée plus de trois fois à l'agonie. Peut-être serai-je obligée de vous en mander quelque petite chose pour augmenter votre confiance envers cette mère de bonté qui aime et qui protège notre institut. J'espère bien vous en écrire et répondre aux chères lettres que vous m'avez écrites, dont je vous suis très obligée, et à la chère mère Suzanne de la Passion, sa lettre m'a fait un plaisir singulier ; je lui répondrai, s'il plaît à Dieu, fort exactement, le premier ordinaire, si Notre Seigneur me conserve en l'état où je suis. J'ai pensé retomber plusieurs fois ; il faut que je demeure toujours abandonnée à son divin plaisir. Continuez-moi vos saintes prières, et me donnez de vos chères nouvelles un peu amplement.

Je bénis Dieu de votre sainte union, mais je voudrais que vous ayez beaucoup de cordialité ensemble : c'est la douceur des religieuses, éloignées comme vous êtes et dans un pays où vous avez peu de communications. Courage ! Vous avez sacrifié pour la gloire du très Saint Sacrement, il saura bien vous en récompenser : ne vous rebutez pas des croix. I1 est impossible de les éviter ; nous en sommes à présent environnées ; nous en avons bien besoin et plus que jamais, dans les maux dont nous sommes menacées. Je ne puis vous en dire davantage, mais priez. C'était bien mon dessein d'écrire à toutes en particulier, mais je n'ai pu continuer ; ce sera pour l'autre semaine. Je vous assure, mes très chères mères, que vous m'êtes très précieusement chères et que je ne vous oublie point, toute misérable que je suis. Puisque Notre Seigneur m'a retirée de la mort, je tâcherai de vous marquer que je vous aime toutes, du plus tendre de mon coeur.

N° 110

A la mère Marie de Jésus Petigot, prieure 22 juin 1694

Sur la chère vôtre du 21 mai, ma révérende et plus chère mère, j'aurais mille choses à vous dire, si l'on pouvait autant écrire. Je vous assure qu'il serait bien nécessaire, pour beaucoup de raisons importantes. Je ferai mes diligences pour écrire à la reine, pour la solliciter avec zèle et respect, et à M. le cardinal N. Je vous [assure] que le retardement des constitutions est pour moi une bonne croix, parce qu'il est impossible d'achever le reste, qui doit avoir rapport aux constitutions.

Hélas ! très chère mère, je ne sais pourquoi Notre Seigneur m'a renvoyée des portes de la mort, sinon pour vivre encore un peu de temps dans un rude sacrifice ; je ne suis revenue que pour cela. Priez Notre Seigneur qu'il me fasse la grâce d'y être bien fidèle, car il faut que tout ce qui reste encore soit absolument et entièrement détruit. Il faudrait vous parler pour vous dire bien des choses que l'on ne peut fier au papier. Oui, 187 ma très chère mère, je voudrais bien faire la guerre à l'humain, mais je suis moi-même une lâche et sans coeur pour Dieu. Priez-le cependant qu'il détruise ce misérable humain qui l'emporte quasi toujours au-dessus de Dieu. Une telle guerre serait une juste entreprise, mais qui est-ce qui l'entreprendra rigoureusement ? Je pourrais bien dire quelques paroles pour animer à cela, mais les oeuvres ne suivent pas les paroles ; c'est pourquoi je ne ferais pas triompher le pur amour qui ne souffre pas d'humain.

Il faut répondre sur l'entrée de vos pensionnaires : cela dépend de vous de les faire recevoir avec la croix et l'eau bénite. Cela portera toujours bénédiction si vous le faites. Il y a des parents qui ne le veulent pas quelquefois, mais vous ferez toujours bien quand vous les recevrez de la sorte. Pour ce qui est de les laisser sortir, le plus sûr est d'avoir une permission générale de l'évêque ou du supérieur qui tient sa place, pour faire sortir les pensionnaires selon les besoins que vous connaissez, et que jamais elles ne sortent qu'elles ne soient bien accompagnées et bien observées.

N° 2776

A la mère Suzanne de la Passion Bompard 26 août 1694

C'est avec un extrême déplaisir, ma très chère, que j'ai différé si longtemps à répondre à votre chère lettre, que je reçus avec bien de la joie, car, à vous dire vrai, vos lettres et celles de la chère mère de Sainte Madeleine [d'Auvergne] me font un singulier plaisir, me faisant savoir un peu dans le détail de vos nouvelles et des bénédictions que Notre Seigneur verse sur votre maison. Je l'en remercie de tout mon coeur, et surtout de la paix et sainte liaison qui est entre vous.

J'ai appris que vous avez fait élection de votre prieure et continué celle que vous avez déjà élue autrefois [mère Marie de Jésus Petigot] ; je prie Notre Seigneur la remplir de son divin Esprit pour qu'elle conduise saintement le troupeau que Dieu lui a confié. Plus je vais en avant et plus je crains le compte qu'il faut rendre de ce terrible emploi. Cependant il faut espérer ses divines miséricordes avec une humble confiance. Si je pouvais vous entretenir, je vous dirais bien des choses en confiance, m'étant trouvée moi-même à ce terrible passage dans ma maladie. J'en devrais être convertie, mais ma lâcheté me fait perdre les miséricordes que Notre Seigneur m'a faites. Em- ployez vos saintes prières pour me faire commencer à être plus fidèle. Réparez pour moi, car je ne puis pas être encore longtemps en ce monde. Il faut payer la dette du péché par la mort qui doit détruire l'être pécheur.

Je vous conjure, très chère, de soutenir les intérêts de Dieu dans la sainteté de son oeuvre. Je vous dirai seulement ce qui fit mon plus grand poids dans mon agonie : ce fut la sainteté de l'institut que je n'ai jamais bien remplie, et, si la sacrée mère de Dieu ne fût venue à mon secours en me déchargeant du poids de l'institut, j'aurais péri immanquablement. O très chère, quel épouvantable état de se trouver suspendue sur l'embouchure de cet effroyable abîme ! Priez Notre Seigneur me faire la miséricorde, par sa très sainte Mère, que je n'y retourne plus. Le seul effroi serait capable de faire mourir.

Vous êtes des premières avec la chère mère de Sainte Madeleine : je vous conjure toutes deux de bien soutenir la sainteté de l'institut. Il est si saint, et il est si saint, que les termes me manquent pour l'exprimer. Vous l'apprendrez du très Saint Sacrement ; c'est en sa sainte présence que vous pénétrez ses ineffables grandeurs et la sainteté où il veut que ses victimes soient animées. Vous avez des lumières et des grâces pour cela, puisque Notre Seigneur vous y a mises. Encouragez-vous toutes deux pour soutenir la sainteté de cet état, je veux dire la mère de Sainte Madeleine que je considère, et vous très chère mère, comme le soutien de l'oeuvre avec la révérende et chère mère prieure. Je suis ravie que votre union soit parfaite et que vous vouliez toutes le vrai bien.

Je tâcherai de vous envoyer les règlements de toutes les charges et emplois de la religion. Si l'on veut les observer, la maison sera dans la perfection. J'espérais les pouvoir faire imprimer, mais il plaît à Notre Seigneur me tenir dans la croix avec des impuissances dont vous seriez étonnées. Mais comptez que Notre Seigneur m'a mise dans la profonde abjection. Je l'ai reçue, ce me semble, avec respect et soumission, le suppliant d'en tirer sa gloire et sa complaisance. J'attends son secours quand il lui plaira, espérant que, quand il me l'aura donné, qu'il me tirera de cette vie. Selon l'humain, le temps ne sera pas long.

Priez bien la sacrée Mère de Dieu pour moi et me recommandez à toute la chère communauté que j'embrasse en esprit ; 189 ma chère soeur Catherine de Jésus 78 vous dira ce que je ne puis vous écrire. J'ai reçu les chères lettres de la chère mère de Sainte Madeleine ; embrassez-la bien pour moi. Je la crois toujours sous-prieure et vous maîtresse des novices, à moins que la révérende mère prieure n'ait fait du changement. Je prétends la chère consolation de lui écrire, si la divine Providence m'en donne le temps.

N° 179

A une religieuse ce 20 octobre 1694

Ma très chère et très honorée soeur en Jésus, je vous envoie les voeux de votre profession 79, ainsi que vous les avez désirés. Je prie Notre Seigneur vous donner son Esprit et la grâce de les remplir dignement, pour être une victime de Notre Seigneur âu divin Sacrement, où il est lui-même le modèle de votre immolation. Je vous conseille, très chère enfant, de vous nourrir de cet auguste mystère, non seulement par la méditation des états qu'il y porte, mais par la conformité des états que vous devez pratiquer tous les jours de votre vie. La grâce qu'il vous a faite de vous avoir choisie et appelée pour lui être toute référée par une consécration est si grande qu'elle ne peut être assez considérée ni bien reconnue en ce monde : il faut toute une éternité pour la contempler et pour en rendre grâce à Notre Seigneur, qui vous a fait l'honneur de vous unir à son état

78. Soeur Marie Anne Catherine de Jésus Rasle reçut l'habit monastique rue Cassette, le 3 avril 1675, et fit profession le 4 mai 1676. En 1684, elle était maîtresse des jeunes pensionnaires.

Nos archives ont conservé deux lettres qu'elle adressa à une religieuse du monastère de Toul pour obtenir des renseignements sur mère Mectilde, en vue de les communiquer à l'abbé Pierre Berrand, ami du monastère de Châtillon-sur-Loing, qui avait accepté d'écrire la biographie de notre mère institutrice. Nous publions ci-dessous la première des lettres de soeur Anne Catherine de Jésus à mère Saint Michel Guillaume, religieuse à Toul. Elle était fille de François Râle et de Catherine Perron, de Chailly-en-Brie. Elle était âgée d'environ 23 ans en 1676, lors de sa profession.

79. Mère Mectilde avait coutume d'écrire elle-même, au verso de la charte de profession de ses moniales, la formule suivante : « Si vous observez vos voeux, nous vous promettons de la part de Dieu la vie éternelle. En foi de quoi nous avons signé N ; suivait la signature de mère Mectilde. Il est possible que les professes de Varsovie aient désiré que ce même texte, signé de notre fondatrice, soit écrit de sa propre main, au verso de leur charte de profession.

190

d'hostie. Si vous comprenez ce bonheur, ma très chère, vous serez heureuse, car vous ferez tout votre possible pour que cette grâce ne soit pas vaine en vous. Je vous conseille d'y travailler avec courage et fidélité. Pour l'obtenir, vous la devez demander à la très sainte Vierge, notre souveraine mère et maîtresse, qui ne vous la refusera point. C'est elle qui a le soin de choisir des victimes à son divin Fils et de les préparer pour les rendre dignes de cette précieuse qualité, que vous avez la grâce de partager avec lui. Soyez bien généreuse pour lui rendre autant d'amour et de fidélité qu'il en attend de vous. Un vrai moyen d'y bien réussir c'est d'être bien reconnaissante de ses miséricordes. Je le prie vous les augmenter tous les jours jusqu'au point d'en être comblée et que le pur amour de Jésus Christ fasse un jour votre consommation. Je suis en lui, par sa très sainte Mère, votre très humble et très affectionnée servante.

N° 1730

A la mère Marie de Jésus Petigot, prieure ce 21 octobre 1694

Je viens vous marquer, ma révérende et ma plus chère mère, combien je suis obligée à votre grande dévotion d'avoir obtenu de solenniser la fête de [sainte Catherine], ma bonne patronne, [en rite] double. Je vous en fais un million d'humbles remerciements. Autrefois, tout le monde faisait fête chômée de cette grande sainte, mais nos seigneurs prélats ont retranché plusieurs fêtes en faveur des pauvres, pour les faire travailler. Je n'osais jamais espérer que vous eussiez tant d'amour pour cette grande sainte. Nous avons, ce jour, l'indulgence plénière. J'écris un mot de remerciement à la chère mère sous-prieure, mère Madeleine Dauvergne, croyant bien qu'elle aime sainte Catherine comme vous. Je prie cette aimable sainte de vous combler de mille et mille bénédictions, et toute votre sainte communauté que j'aime et que je chéris fort tendrement. J'ai un grand désir que Dieu la sanctifie et que votre maison soit une maison de bénédiction et des plus saintes de l'institut, parce que vous pouvez, dans la suite, faire plusieurs monastères dans un royaume où Notre Seigneur sera bien honoré. Nous sommes ici sur la croix ; beaucoup de misères nous envi-191ronnent. Vous seriez bien surprise si vous saviez à quel point l'on souffre et, par surcroît, deux de nos soeurs ont la petite vérole, mais par la grâce de Dieu sont déjà toutes bien.

Pour ce qui est des expositions du très Saint Sacrement, il faut que vous vous soumettiez aux ordres de monseigneur votre évêque. Il n'est pas d'obligation que toutes demeurent devant le très Saint Sacrement lorsqu'il n'est point exposé, mais il faut continuer les heures, chacune à son tour.

J'ai de la peine à consentir que l'on donne la portion de la très sainte Mère de Dieu 80 à une postulante. Je craindrais que, dans la suite des temps, on ne l'oubliât tout à fait. Prenez vos mesures, très chère. Si la nécessité vous y contraint, faites que ce ne soit que pour un temps, avec promesse signée de vos anciennes que ce n'est pas pour toujours, mais seulement pour un temps. Fixez-le à peu près. Voilà mon petit sentiment. Donnez l'aumône comme vous pourrez, en pain, viandes, ou autrement, puisque les pauvres du pays n'aiment point les viandes comme vous les mangez.

Je suis ravie des bénédictions que vous recevez de l'auguste mère de Dieu, pour votre cher noviciat. Il est en bonnes mains [mère Suzanne de la Passion Bompard].

Les postulantes vont au chapitre quand on les a reçues à l'habit, c'est-à-dire avant que d'être revêtues de l'habit. Vous pouvez leur faire faire leur demande en chapitre, et vous pouvez les exhorter là-dessus avant que les autres novices disent leurs coulpes.

Pour le feu du jour de la Nativité de la très sainte Vierge, ne vous faites point d'affaires pour cela : vous ferez toutes un feu dans vos coeurs, qui brûleront d'un pur amour pour la très

80. « Mettre au réfectoire une petite table pour poser le couvert de la mère de Dieu, qui sera servi le mieux qui se pourra : savoir une livre de pain, un potage et trois portions et dessert aui seront honnêtes ; et lorsqu'on la servira, il ne faut envisager que c'est pour les pauvres, parce que vous la serviriez trop mesquinement. Mais il la faut servir comme une abbesse très illustre, la première et toujours le meilleur, comme si vous la voyiez devant vos yeux : c'est le moyen de lui rendre votre charité agréable. Je vous recommande ce point, et, au souper, deux portions, du dessert et une salade ».

Nos monastères ont conservé cette tradition. La « portion » de la Sainte Vierge est destinée aux pauvres. C'est ainsi que saint Louis Grignion de Montfort demanda à la recevoir lors de son passage aux monastères de la rue Cassette et de Rouen. (Cf. Catherine de Bar, Fondation de Rouen, Rouen, 1977, p. 152).

sainte Vierge. Il faut faire ce que votre prélat vous ordonne et ne vous point affliger si l'on vous empêche de faire ce que votre bon coeur voudrait pour honorer la très Immaculée Mère de Dieu. Croyez-moi comme je suis de tout coeur votre fidèle et très affectionnée servante en Jésus.

N° 1617

A la mère Marie de Jésus Petigot, prieure ce 11 mars 1695

Je ne veux, ma révérende et plus chère mère, que vous dire un petit mot sur votre chère santé, qui est toujours attachée à la croix, dont je suis sensiblement touchée. L'on dit qu'il y a plus de trois mois que vous souffrez d'un violent rhumatisme. Est-il possible que l'on n'y puisse point trouver de remède ? Ce sont les grands froids du pays ! Je vous supplie me faire mander de vos nouvelles. Les miennes sont bien languissantes. Je trouve que, depuis que j'ai rempli mes 80 années, que je suis plus faible qu'à l'ordinaire, ce qui me persuade que ma course ne sera plus guère longue. Je demande avec instance vos saintes prières pour une bonne mort, et pour obtenir de la très Sainte Vierge de ne me point abandonner dans mon agonie.

J'aurais bien voulu achever bien des choses avant que je meure. Je voudrais faire réimprimer nos Constitutions ; tous les monastères m'en demandent, et je ne suis pas en état de faire cette dépense ; avec les règlements de tous les offices qui s'exercent dans les maisons religieuses bien réglées, qui est une chose si absolument nécessaire que sans cela ce n'est qu'une confusion, mais quand on les pratique tout va en bénédiction ; c'est un petit paradis, chacune sait son devoir, et c'est ce qui soutient les maisons dans un état de perfection. La vôtre, très chère mère, qui est commençante, serait admirable si elle pratiquait tous les règlements. Je sais que votre bon coeur ne veut que le plus parfait et le plus saint et ce qui aide à sanctifier votre monastère. Si je puis faire imprimer ces règlements, ce sera de tout mon coeur, pour la gloire de notre divin Maître, que je vous les enverrai et pour votre consolation.

Notre Seigneur vous bénit et toute votre maison, tandis qu'il lui plaît nous tenir sur la croix d'une très grande pauvreté par les misères du temps. Nous avons eu bien des taxes et nous 193 n'en sommes pas à bout, outre la chèreté du pain ! Nous en avons dépensé depuis près de deux ans pour quinze ou seize mille livres, encore de très méchant pain que l'on ne pouvait quasi manger. Toutes les denrées sont d'une chèreté à n'en pouvoir acheter ! Il faut bénir le Seigneur qui nous a réduites, avec beaucoup d'autres, dans un état si violent. Nous n'y voyons de remède que par la paix générale. Dieu, par sa divine miséricorde nous la veuille donner, et vous donne une parfaite santé ! Continuez-nous vos saintes prières et me croyez sincèrement tout à vous.

N° 1215

A trois religieuses de Varsovie du 11 mars 1695

J'ai reçu vos lettres, mes très chères mères, auxquelles je voudrais bien faire réponse à chacune en particulier pour ma consolation et la vôtre, car je crois que toute votre affection serait de voir votre maison dans l'état de sainteté que Dieu la désire. Il n'y a point de bonheur plus grand que de voir une maison religieuse bien réglée. Nous allons travailler au règlement général de tous les offices. J'attends la Providence pour les faire imprimer, parce qu'il n'est pas possible de faire tant de copies. J'espère que Notre Seigneur me fera la grâce de les achever avant que je meure. Quoique je sente les approches de ma consommation, je serais contente si j'en peux venir à bout. Je demande pour cela vos saintes prières. Ce qui fait la perfection des maisons, c'est que chacune voit ce qu'elle doit faire dans l'emploi que la religion lui donne et, par ce moyen, il n'y a point tant de paroles ni de diversité de sentiments. L'on n'a qu'à suivre ce qui est écrit, conforme aux Constitutions, qui ne peuvent être bien observées que par la fidèle pratique des règlements. Je ne doute pas que, si on veut les pratiquer, que vous ne demeuriez d'accord que votre maison sera dans une grande perfection par l'union et conformité de pratiques qui la maintiennent.

Pour bien établir une maison religieuse, il faut établir les observances qui doivent la bien régler en tout et, dès les commencements, il faut établir les choses, si l'on veut réussir avant que l'on n'ait pris des habitudes que l'on ne peut après réformer qu'avec de très grandes peines. Je vous crois toutes si zélées pour la perfection et la bonne conduite de votre maison que, comme vous en êtes les colonnes, vous en êtes donc les soutiens. De plus, je connais vos bons coeurs, qui ne veulent que le bien et la bonne observance pour faire une maison sainte. Vous n'omettrez rien pour la rendre la plus parfaite qu'il vous sera possible ; vous serez la consolation et l'appui de la révérende mère prieure, qui ne peut tout faire par elle-même. Elle trouvera en vos personnes un secours, particulièrement dans ses maladies où elle souffre par la crainte du déchet de la régularité. Je prie Notre Seigneur vous donner à toutes l'esprit d'une parfaite union. C'est le point essentiel des maisons religieuses. Hors d'une vraie et sainte union de coeur et d'esprit, l'on ne peut réussir. Je vous prie, mes très chères mères, de bien tenir la main à cette union ; autrement le démon renverserait toujours le bien que vous tâcheriez de faire. Vous commencez, et commencez donc en bénédiction par cette parfaite charité qui règne et qui doit régner parmi vous. Prenez bien garde à retrancher les fautes qui se commettent contre la charité, surtout les rapports qui sont des pestes qui détruisent cette sainte vertu. Veillez, mes très chères mères, pour empêcher que la division n'entre jamais chez vous. J'aurais bien voulu vous écrire à toutes les trois en particulier, mais je n'en ai plus la facilité.

Recevez la présente avec le même coeur que je vous écris, vous embrassant toutes du plus tendre et sincère de mon pauvre coeur, et toute votre sainte communauté, à laquelle je souhaite une infinité de bénédictions, tant en général et chacune en particulier, que vous soyez toutes la bonne odeur de Jésus Christ, que vous puissiez augmenter son amour dans tous les coeurs et l'esprit d'adoration, par reconnaissance du don qu'il vous a fait de tout lui-même dans l'adorable sacrement de l'autel. Tâchez d'embaumer tout le royaume de vos saintetés, que vous soyez des objets de complaisance à Notre Seigneur Jésus-Christ, des vraies réparatrices de sa gloire et que, par vos fidélités, vous puissiez attirer toutes sortes de bénédictions sur le roi, la reine et toute la maison royale, pour laquelle nous sommes toutes obligées de prier pour leur conservation. Soyez aussi mes réparatrices pour tant d'ingratitudes et d'infidélités dont je suis coupable devant mon Dieu et l'abus que j'ai fait de ses divines miséricordes ; et pour comble de vos charités, obtenez-moi la grâce d'une bonne mort ; je vous en serai obligée dans l'éternité. Je vous embrasse encore une fois 195 d'une tendresse singulière et je vous dis à Dieu en Dieu. Je le prie de vous abîmer en son amour et que, vos saintes prières m'obtenant miséricorde par la très pure et immaculée Mère de Dieu, je puisse me retrouver avec vous dans le ciel pour aimer, adorer et glorifier l'adorable Trinité, Jésus Christ et sa très sainte Mère dans l'éternelle éternité.

N° 801

A la mère Marie de Jésus Petigot, prieure ce, 4 juillet 1695

Je crois, ma révérende et plus chère mère, que vous me permettrez d'agir avec vous dans la sincérité de mon coeur, en la vue et présence de Notre Seigneur, qui m'y oblige pour sa pure gloire et l'honneur du sacré Mystère que nous adorons, et du saint institut que Dieu nous a confié. Il me fait connaître qu'il y a entre vous quelque chose qui lui déplaît ; votre union n'est pas telle qu'elle doit être. Il y a déjà bien du temps que j'ai cette impression. Je ne l'aurais point reçue et ne vous l'aurais point mandée, si des gens de vos contrées n'étaient venus, à nos grilles, me dire des choses qui confirmaient les sentiments que l'on me donnait intérieurement. Ces personnes qui sont venues sont gens de qualité qui m'ont assuré que l'on disait que vous n'étiez point en union, mais plutôt en division, et que cela commençait d'éclater et faisait de fort mauvaises impressions dans les personnes de qualité, et que l'on disait que la reine, qui fait tout l'appui de votre maison, commençait fort à se refroidir.

Je vous avoue, ma très chère mère, que mon pauvre coeur a été navré d'une profonde douleur, et, d'autant plus sensible que je croyais votre maison la plus heureuse de tout l'institut, vous croyant dans une parfaite intelligence avec vos filles, sous-prieure et autres qui doivent faire avec vous un même coeur, et par conséquent une parfaite union. Au nom de Dieu, ma très chère mère, voyez d'où peut venir cette désolation ; car rien n'est plus affligeant qu'une maison religieuse divisée, cela est bien capable de faire mourir de douleur, car Notre Seigneur ne peut jamais être honoré, ni glorifié dans une maison où il n'y a point de sincère union ; et comme vous en êtes responsable devant Dieu, voyez et considérez en sa présence d'où peut venir ce malheur, car si cela est, je tiens votre maison 196 pour perdue. Je me souhaite auprès de vous, très chère mère, pour vous marquer ma douleur et, en même temps, examiner avec vous les causes de cette division.

Comme vous êtes chargée devant Dieu et que vous devez répondre du bien et du mal de votre maison, je me persuade que c'est peut-être quelque différend qui a paru entre vous, qui n'a pas édifié. Vous devez, très chère mère, sacrifier vos sentiments et vos propres lumières pour entrer dans une saine cordialité avec vos anciennes, pour ne paraître devant Dieu qu'un coeur et un même esprit. Votre maison doit embaumer tout le pays. Les filles du Saint Sacrement doivent vivre comme des anges qui sont en actuelle adoration et qui ne vivent que de l'Esprit de Jésus, sacrifié dans le divin mystère de l'autel. Il ne devrait rien avoir de plus saint dans l'Église que les filles du Saint Sacrement.

Prenez bien garde si vous avez le secret qu'il faut avoir quand l'on vous confie quelque chose ; si vous donnez la liberté à vos filles, soit jeunes ou anciennes, de vous dire leurs sentiments ; et si vous tâchez d'y entrer pour conserver l'union. Croyez, ma très chère mère, que pour être supérieure il ne faut pas croire qu'on le peut emporter sur les autres. Il faut souvent obéir au lieu de commander63. Ne croyez pas vos propres lumières, ne croyez pas même que vos lumières soient de Dieu, vous tomberiez dans une étrange erreur. Non, non, il faut s'accommoder, comme dit la sainte Règle, et croire que Notre Seigneur fait quelquefois connaître ses volontés par les plus jeunes. Rien ne plaît tant à Dieu que le coeur humble ; défiez-vous de vos propres sentiments. Achetez la paix et l'union de vos filles, et ayez toujours un saint rapport de vos sentiments aux leurs, pour le respect de la charité, que vous devez faire régner partout et sur tout. Les supérieures doivent donner l'exemple et préférer les sentiments des autres aux leurs propres, afin de les encourager à se démettre elles-mêmes de leurs propres lumières et sentiments. Et pour bien réussir dans la charge il y faut être sans prendre vie à quoi que ce soit, ne désirant que de faire régner Jésus Christ dans les coeurs ; ne parler qu'en son Esprit, et toujours se séparer de soi-même. C'est le vrai moyen d'attirer du ciel les bénédictions sur la mère et les filles et sur tout le couvent. Si la nouvelle de votre division passe dans cette communauté, il en faudra mourir de douleur, cela se répandra par-197tout. Remédiez à ce mal, très chère mère, avant qu'il soit plus grand. Prenez vos chères filles, conférez ensemble pour tâcher de connaître d'où vient de si méchantes impressions que l'on a de votre maison. Soyez cordiale et sincère avec vos anciennes pour qu'elles vous aident à découvrir le mal, et s'il est tel qu'on le dit, de travailler à y porter du remède. N'ayez qu'un coeur avec vos filles, animez-les de l'Esprit Saint qui vous doit animer, et toujours Dieu partout et pour tout. La pensée me vient que vous feriez bien de prendre les conseils de M. car l'on dit par deçà que c'est un saint. Suivez ses avis, il vous aidera à porter votre croix, et à vous sanctifier.

N° 949

Aux religieuses anciennes du monastère de Varsovie ce 4 juillet 1695

N° 949 pour la lettre précédente ?? vérifier toutes les références antérieures...]

Mes très honorées et très chères mères,

Je vous fais celle-ci en attendant que Notre Seigneur vous fasse connaître ce qu'il faut faire pour sa gloire et votre consolation. J'ai le coeur navré de vous savoir dans la division, car Notre Seigneur n'y peut être honoré, les ennemis de notre institut en triomphent. Il y a longtemps que les démons nous ont menacées de ce que nous voyons aujourd'hui. J'en ai écrit à la bonne mère prieure, et la prie instamment de réfléchir d'où peut venir ce malheur, qu'elle fasse un peu d'examen pour voir si, de sa part, elle n'y donne pas quelque sujet. Je vous prie aussi, mes très chères filles, voyez devant Dieu s'il n'y a rien de la vôtre qui puisse contribuer à ce malheur.

Je sais que pour une parfaite union il faut que chacune y contribue, sacrifiant beaucoup de choses. Je vous conjure de voir ce qu'il faudrait faire pour réunir les coeurs qui sont choqués. Nous faisons des prières au très saint Coeur de l'auguste Mère de Dieu pour la réunion des vôtres. Je sais bien qu'il y a des choses dans la conduite qui peinent, et qu'il y a bien de la difficulté à soutenir, mais courage ! J'espère que la puissante main de Dieu y mettra le remède que les créatures ne peuvent, et que Notre Seigneur me fera la grâce de répondre à tous vos différends. Si l'on pouvait observer les règlements, je crois qu'il se ferait un grand changement parmi vous. La révérende mère prieure verrait dans le sien ce qu'elle doit faire, et de quelle manière elle se doit comporter envers vous et toute la communauté. Comme je lui ai écrit une fort grande lettre de plusieurs choses, je doute si elle en sera contente ? Obligez-moi de l'observer sans lui faire connaître que vous savez que je lui ai écrit, à moins qu'elle-même vous le dise. Il faut tâcher à raccommoder les différends. Je voudrais savoir foncièrement en quoi ils consistent, je vous prie de me le marquer par articles. Je ferai tout mon possible pour vous consoler.

Si la bonne mère prieure n'avait pas encore deux ans à être dans la charge, l'on pourrait faire une autre élection, et n'était qu'il ne faut pas choquer la reine, cela serait bientôt. J'ai cherché quelque religieuse pour vous envoyer, mais personne ne veut se sacrifier. Celle que je comptais vous envoyer ne peut souffrir le carrosse sans vomir jusqu'au sang et des faiblesses continuelles. Jugez, si elle est si mal pour un petit voyage, que serait-ce d'un de cinq ou six cent lieues ! Elle n'irait pas à moitié chemin sans mourir. Je suis désolée sur ce sujet. Nous avons encore ici la bonne mère de la Croix 81 qui est d'une très grande observance et fort exacte, mais la santé ne correspond pas à son zèle ! Vous êtes si loin, mes chères enfants, que l'on se fait peur de vous aller trouver ! Je l'entreprendrais si je pouvais être utile et qu'on voulût ici me laisser aller. Mon âge ne dégoûte pas, car les vieilles créatures comme moi ne sont plus bonnes à rien. Mais, faisant réflexion comme la Providence divine vous a envoyées et qu'elle vous a retenues, tandis qu'elle en a renvoyé d'autres, je dois croire que Notre Seigneur vous donnera ce qu'il faut pour soutenir son oeuvre, et je vous conjure d'y faire votre possible, et que Notre Seigneur n'y soit point offensé au lieu d'y être honoré. Je suis en esprit auprès de vous, mes très chères mères, où je vous dis mille choses, pour voir les moyens de remettre tout dans l'ordre qu'il doit être. Ce

81. Anne Hanus, soeur Anne de la Croix, née à Bouxières-aux-Dames (Meurthe et Moselle), était fille de César Hanus, maire de Bouxières, et de Claude André. Elle fit profession à l'abbaye Notre-Dame de Consolation, à Nancy, le 3 février 1636. Prieure de ce monastère après l'agrégation à notre institut, elle mourut en juillet ou août 1696 au monastère de la rue Cassette. Elle était en grande vénération auprès de mère Mectilde et de la communauté. (Cf. C. de Bar, Lettres inédites, Rouen, 1976, lettre du 7 août 1696).

199 qui me touche sensiblement ce sont les mauvais exemples que votre jeunesse en tire, et qui n'en seront jamais si exactes à leur devoir. Il n'en faut pas tant pour perdre un monastère. Je crains bien que, si la reine est une fois imbue de tout cela, qu'elle ne se dégoûte et qu'elle ne m'écrive, ce qu'elle a déjà fait une fois, qu'elle trouverait bien d'autres religieuses qui feraient l'adoration perpétuelle. Ces personnes-là se choquent très facilement. Mais le mal serait très grand et d'une fâcheuse humiliation pour notre institut. L'on en dit déjà assez par le retour des chères mères qui sont revenues ! L'on dit partout que la reine n'en était pas contente.

Je remarque ce que l'on nous a dit plusieurs fois que les démons feraient leurs efforts pour détruire l'institut. Ils ne le peuvent que par la division qui serait un grand scandale. C'est pourquoi, mes chères enfants, je vous invite encore à souffrir un peu de temps pour éviter un tel malheur. Que votre vertu en soit donc le soutien. J'espère que Notre Seigneur y pourvoira par quelque secours de son adorable Providence ; il aime trop l'institut pour le laisser périr. Celles qui en seraient la cause en porteraient de terribles châtiments de temps et d'éternité. Ce n'est pas mon ouvrage, comme on le dit quelquefois ; s'il n'y avait eu une main divine qui l'a fait, il y a longtemps qu'il serait détruit. Je sais ce qu'il a coûté dans les commencements et dans les suites. J'ose vous assurer que c'est l'ouvrage du très saint Coeur de l'Immaculée Mère de Dieu 82 et que c'est elle qui le protège. Je vous conseille d'y avoir un sincère recours avec une humble confiance ; elle vous rétablira. Nous expérimentons tous les jours son secours, par son Immaculée Conception, en diverses manières. Il faut, mes très chères mères, que vos saintes prières auprès de cette auguste Reine du ciel détruisent par son très saint Coeur la division que les démons ont semée dans toute votre communauté. Ne cessez de la prier jusqu'à ce qu'elle ait tout rétabli en paix et en bénédiction. Je vous assure qu'elle vous protégera.

82. Saint Jean Eudes (1601-1680), dont la piété mariale marqua toute la vie et toute son oeuvre, composa un Office en l'honneur du très saint Coeur de Marie et le fit éditer à Autun en 1648. Notre institut fut parmi les premières maisons religieuses à adopter cet Office dans son ordo. Une lettre de mère Mectilde, datée du 5 février 1658, signale que le monastère de la rue Cassette célébrait cette fête le 8 février suivant. Depuis la dernière réforme liturgique cette fête, entrée au calendrier universel, se célébre le samedi qui suit la fête du Sacré-Coeur. (Cf. C. de Bar, Lettres inédites, Rouen, 1976. Saint Jean Eudes, Œuvres complètes, t.V11, Beauchesne, 1908).

Nous sommes tous les jours bien exercées, et plût à Dieu que l'on puisse vous faire connaître toutes choses ! Vous seriez surprises des assauts que l'enfer nous livre très souvent, mais quand il semble que tout est perdu, c'est là où nous voyons les protections de cette divine Mère. Je vous prie d'observer ce qui serait nécessaire pour remettre les coeurs en union et faire rentrer tout le monde dans son devoir, car quand chacune fait ce qu'elle est obligée dans la sainte religion, c'est un paradis en terre qui embaume même les séculières. Voyons donc, très chères mères, ce qui se peut faire de votre côté et ce que vous croyez que la révérende mère prieure doit faire du sien ; cela n'empêchera pas que je ne vous envoie quelques religieuses quand je le pourrai. L'on m'a dit qu'il y avait un carrosse qui devait partir ce mois d'août prochain. Si je puis en trouver quelqu'une qui ne vous soit pas incommode, je sais à présent ce qu'il vous faudrait, et qui ne soit pas désagréable à la bonne mère prieure, je n'y perdrai pas de temps. Ma grande peine serait d'avancer les deniers des frais du voyage, car il me serait impossible présentement de le faire. Je crois que la chère mère Catherine de Jésus vous en a écrit et que vous êtes convenues ensemble. Elle pourra vous assurer de l'état d'impuissance où je suis, qui ne m'est pas une petite croix dans ce besoin.

Après que vous m'aurez mandé vos sentiments comme je vous les demande, mes très chères, j'écrirai à toute la communauté, une lettre qui sera peut-être bien reçue. Je prie Notre Seigneur vous donner son esprit et vous fasse la grâce d'entrer dans un parfait dégagement de tous les intérêts que la raison naturelle pourrait envisager, pour ne prendre que ceux de Notre Seigneur Jésus Christ, qui sanctifiera vos sacrifices et vous donnera la consolation de voir la paix rétablie dans votre maison ; vous en serez bien dignement récompensées devant Dieu ; vous ne pouvez rien faire de plus grand en sa sainte présence et qui vous attire plus de bénédictions. Je vous conjure, mes bonnes mères et mes très chères filles, de vous appliquer toutes trois à ce que je vous prie, par un saint désintéressement, et vous verrez que la lumière d'en haut vous sera abondamment communiquée. J'attendrai vos chères nouvelles, en réponse de celle-ci, avec impatience, car j'espère tout de la grande miséricorde de Notre Seigneur. Nous faisons faire des prières surtout à l'auguste Mère de Dieu.

N° 1738

201

Aux religieuses anciennes du monastère de Varsovie 29 juillet 1695

Mes très chères mères, m'étant donnée à Notre Seigneur et prié de tout mon coeur de me faire connaître les manquements qui avaient causé chez vous tant de malheurs qui ne peuvent s'accuser et remédier efficacement que par des secours extraordinaires du ciel, je connais que le mal est bien plus grand que vous ne le comprenez vous-mêmes, quoique vous en soyiez bien touchées. Oui, les maux sont venus à un tel point que les jeunes sont renversées et sont dans des angoisses extrêmes, jusqu'à produire dans le coeur de quelqu'une un sensible déplaisir d'être religieuse. Voilà en vérité un grand mal que cette malheureuse désunion a causé. Un autre encore plus grand c'est le scandale et la mauvaise édification parmi vos domestiques séculières, et vos pensionnaires, qui concevront un grand mépris pour l'état religieux.

Hélas mon Dieu ! d'où vient ce désordre ? Je laisse à Dieu le secret des coeurs qu'il connaît ; mais je vois l'imprudence d'avoir communiqué ses sentiments aux unes et aux autres qui a allumé l'incendie que vous voyez chez vous et que je vois, devant Dieu, terrible. Le démon a bien réussi en ses prétentions. Il ne fallait point donner tant de connaissance des différends qui faisaient votre division, aux externes qui sont dans votre maison, car les séculiers n'ont pas la prudence ni la chante pour excuser les manquements des personnes religieuses qu'ils prétendent voir comme des anges, incarnés en elles.

Une autre chose que l'on me fait encore remarquer, c'est que, dans vos difficultés qui ne sont pas considérables, vous appelez le seigneur prélat, incontinent, et par cette manière d'agir vous faites trop connaître les faiblesses de la maison. Les petits différends qui peuvent arriver fréquemment devraient se terminer au dedans, avec la supérieure, sans recourir au secours du dehors.

Il faut encore examiner une chose : savoir si l'on ne manque point de respect et de soumission à la supérieure. Peut-être aurait-on quelque sujet de s'en plaindre, et que les inférieures n'ont pas la liberté de lui dire les sujets de peine que sa conduite donne, il ne faut pourtant pas la mépriser facilement, ni porter jugement contre elle. Si les oeuvres qu'elle fait sont contre la régularité il faut toujours que la charité marche et qu'elle produise dans les coeurs le respect et la circonspection que Dieu demande aux inférieures, tâchant toujours de tolérer avec douceur et patience, pour ne point faire d'éclats et éviter les troubles qui sont excités fréquemment par les ennemis de notre salut et perfection.

Je vous dis tout ce que j'ai pensé devant Notre Seigneur, je vous prie de le bien recevoir, et que cela vous aide à découvrir ce qui a causé un si grand mal. Quand les misères d'une maison ne passent pas au dehors l'on y remédie plus facilement, mais, mes très chères, la vôtre éclate ! et la reine en tirera de mauvaises conséquences et produira du dégoût dans son coeur. Je sais ce qu'elle m'en a écrit autrefois, que les causes n'étaient que des ombres, comparées au mal présent. Je vois aussi que le révérend père, votre confesseur, est touché de la division de votre maison. Ce qui m'en touche et pénètre davantage, c'est de voir de jeunes religieuses, toutes remplies de cela et l'intérieur dissipé ! Hélas ! elles ne devraient pas savoir l'ombre de vos différends, cependant je vois, par leurs lettres, les angoisses de leurs coeurs. Quel remède à cela ? Et comment les rappeler au dedans d'elles-mêmes et leur ôter les impressions de mésestime qu'elles conçoivent des unes et des autres ?

Vous vous étonnerez, mes chères mères, de mes grandes lettres avec tant de redites. N'en soyez pas surprises. Je vois le mal, quoique de loin, qui me pénètre et me touche plus que de près, car si j'étais avec vous nous y pourrions ensemble, avec la grâce de Dieu, trouver quelques remèdes.

Si la mère prieure est trop dans ses sentiments l'on pourrait la ramener, mais de loin comme nous sommes l'une de l'autre il faut beaucoup écrire pour dire fort peu de choses qui n'ont quasi point d'effet ! Hélas ! si j'étais digne de soutenir l'oeuvre du Seigneur, avec quel plaisir je m'embarquerais, mais je suis une vieille misérable qui n'attends tous les jours que la fin. Je prie Notre Seigneur par sa très sainte Mère de vous remplir de son Esprit et qu'il vous donne toutes les grâces que vous avez besoin pour travailler courageusement à faire régner Jésus Christ Notre Seigneur, à le faire connaître et à le faire aimer, dans l'adorable Mystère de son amour. Il faut, mes chères mères, que vous ayez le courage et le zèle des saints martyrs, pour vous immoler chaque jour, non sur les amphithéâtres du 203 monde, mais par les purs sacrifices de vos coeurs, de vos esprits, de vos sentiments et même de votre raison, afin de pouvoir soutenir en paix et patience bien des choses qui font gémir et souffrir vos coeurs. Prions toujours Notre Seigneur qu'il sanctifie son ouvrage et qu'il ne permette pas au démon de l'outrager et de le détruire. Je sais qu'il s'y emploie et même avec les machines de l'enfer, mais vous avez le puissant secours de la très Sainte Mère de Dieu. Ne cessez donc de la prier, et pour la plus indigne de ses esclaves qui, en sa dilection sacrée, est tout à vous, je vous conjure d'en être bien persuadées.

N° 2172

A la révérende mère Saint-François de Paule, prieure du monastère de Saint-Louis au Marais, à Paris ce lundi 1er août 1695

Comme nous n'avons pas trop de temps pour la Pologne, il faut s'il vous plaît, ma très révérende et chère mère, que vous preniez la peine de nous amener la chère mère du Saint Esprit, pour que nous ayons le temps, avant son départ, de lui dire plusieurs choses qu'il faut qu'elle soit instruite. Je crois que monsieur votre supérieur vous donnera bien facilement permission, la chose étant de conséquence. J'attends des religieuses de Rouen pour accompagner notre chère mère du Saint Esprit. Elles ne tarderont point d'arriver, et ainsi il faut avancer le plus que l'on pourra. Prenez vos mesures, ma très chère mère, pour avancer, et priez Dieu pour moi, qui suis de coeur en Jésus tout à vous.

N° 268 autographe, P 1, N° 90.

A la révérende mère, la très révérende mère prieure des religieuses du Saint Sacrement rue Neuve Saint Louys au Marais à Paris. / A une religieuse à qui elle avait proposé d'aller en Pologne 3 août 1695

Je suis, ma très chère mère, tellement édifiée de vos réponses que je ne puis vous exprimer les sentiments de mon coeur pour les saintes dispositions du vôtre. C'est la pure grâce, très chère mère, qui anime votre coeur à tout sacrifier. Oh ! que je serais heureuse de vous accompagner dans le voyage de Pologne ! Mais je n'en suis pas digne. Venez donc, très chère mère, et apportez vos hardes. La mère de Jésus vous écrira sur ce que vous pourrez apporter. Venez donc, chère victime de mon divin Maître le plus tôt que vous pourrez. Il n'y a pas de temps à perdre. Je ne vous dis rien, sinon que je ne doute point que Notre Seigneur ne vous bénisse et qu'il ne vous comble de grandes bénédictions. J'espère aussi qu'il bénira votre voyage et que vous le glorifierez en Pologne. Nous vous dirons toutes choses ici, demeurez ferme dans votre sainte résolution. J'espère tout de la grande miséricorde de Notre Seigneur. Venez le plus tôt qu'il vous sera possible, par la voie qui vous sera la plus commode. Je rendrai à Anet ce que les chères mères vous auront donné pour votre voyage. Je vous attends avec toute la tendresse de mon coeur, étant en Jésus et sa très sainte Mère tout à vous.

Je voudrais bien pouvoir écrire à madame l'abbesse, votre chère cousine, pour la supplier d'agréer le choix que Notre Seigneur fait de votre chère personne pour la Pologne, il n'y a que la pure gloire de Dieu qui me presse de vous y envoyer. Il faut soutenir cette maison promptement ou il la faut laisser périr. Vous ne serez pas seule, j'ai une compagne à vous donner, qui ne cherche que Dieu uniquement et qui se sacrifie comme vous de la belle manière. Notre Seigneur fera par vous ensemble des merveilles pour sa gloire. Je vous attends, très chère mère, ne tardez que le moins que vous pourrez, et croyez-moi à vous.

N° 1503

A toute la communauté du monastère de Varsovie 5 août 1695

Je prétends bien avec l'aide de la grâce vous faire réponse, mes très honorées et très chères filles, à celles que vous avez pris la peine de m'écrire. Je crois les avoir toutes reçues avec une extrême douleur de voir les états affligeants où je vous trouve quasi toutes, qui m'auraient donné une très sincère affection de partir, par une occasion qui se présente, pour vous aller toutes consoler.

Je suis si sensiblement touchée de voir une maison naissante dans une grande division, qu'il m'est facile de croire que les ennemis de votre salut ont fait ce grand désordre pour empêcher la gloire de Notre Seigneur, dans vos coeurs et dans votre monastère. C'est un mal extrême et un des plus grands de ceux qui peuvent affliger une maison religieuse, car c'en est quelquefois la ruine totale ; il n'y a que trop d'expériences de ces malheurs qui ont des suites si effroyables. Je suis bien affligée que le démon ait trouvé des sujets si faibles pour vous jeter dans ce désordre ! Hélas, mes chères filles, un peu d'application à la présence de Dieu et de mortification, pour vous rendre fidèles à la grâce, auraient empêché que la nature et le démon ne vous eussent jetées dans cet état déplorable. Je vous conjure, mes chères enfants, de ne pas donner ce triomphe à l'enfer, de vous voir sortir des saintes dispositions où les victimes du Fils de Dieu, immolé pour nous sur l'autel, vous doivent tenir.

Comme il n'y a rien de plus saint dans l'Église, que l'institut que vous avez professé, le démon a eu ce pouvoir de vous faire quitter les saintes pratiques que vous devez avoir toujours en usage, pour vous rabaisser dans des sentiments humains qui n'ont d'autre motif que de satisfaire l'amour-propre, qui ne veut point souffrir, ni agir dans l'esprit de votre sainte profession, qui vous oblige toutes de vivre de l'Esprit Saint de Jésus Christ et de mourir à nous-mêmes pour nous conformer aux sacrés états qu'il porte dans l'adorable sacrement de l'autel où vous l'adorerez incessamment. Ce n'est pas un vrai hommage que vous lui rendez si vous ne marchez pas conformément aux Règles qu'il vous donne. Voyez, mes très chères enfants, si ces adorables paroles portent l'effet qu'elles doivent porter dans vos coeurs, quand il vous dit : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur ». Où est votre douceur quand vous faites des saillies et des emportements qui ne conviennent point à une âme religieuse ? Et combien faites-vous de péchés en donnant de très mauvaises édifications, au lieu de porter par vos paroles et par vos manières d'agir, la bonne odeur de Jésus Christ ? Et ces autres paroles de Notre Seigneur : « Celui qui veut être mon disciple qu'il renonce à soi-même et qu'il porte sa croix pour me suivre » (Mt 16, 24).

Vous voyez qu'il faut porter sa croix de quelque part qu'elle nous arrive, il faut tâcher de la souffrir avec douceur et patience, c'est-à-dire qu'il ne faut pas s'emporter contre celle qui vous fait de la peine, mais la souffrir patiemment à l'exemple de Notre Seigneur qui doit être notre modèle partout et dans toutes les occasions de pratiquer la vertu pour nous rendre fidèles à la loi qu'il nous en donne et à la sollicitation de sa grâce, qui ne manque jamais de nous faire connaître la manière sainte que ses victimes doivent observer.

Croyez-vous, chères filles, vous pouvoir sauver sans abnégation ? Il est impossible sans renoncer à vous-même. Vous avez des constitutions qui vous feraient vivre d'une autre sorte si vous vouliez en prendre l'esprit et les pratiquer. La principale vertu c'est la sainte obéissance, sans quoi nous ne pouvons être vraies religieuses, ni faire aucune chose qui soit agréable à Dieu. Et pour vivre dans cette vertu que Notre Seigneur a tant chérie sur la terre, qu'il s'en est réservé la pratique au très Saint Sacrement, c'est, mes très chères filles, ce qui fait les vraies religieuses et par laquelle l'on connait si le pur Esprit de Dieu les conduit. La religion établit des supérieures dans chaque monastère pour donner lieu aux religieuses d'obéir. Il les faut regarder comme celles que Dieu a choisies pour tenir sa place et pour lui confier son autorité, c'est pourquoi il faut les respecter et leur obéir simplement et sincèrement, comme à Dieu même, ce sont les paroles de notre sainte Règle ; c'est le moyen de conserver le bon ordre dans une maison religieuse et d'y vivre de la sainteté que nous y professons, car sans l'obéissance il n'y a rien dans une religieuse qui puisse plaire à Dieu. Pesez bien, mes chères filles, cette vérité qui est essentielle et qu'il faut bien graver dans vos coeurs pour assurer votre salut. Vous savez que ce n'est pas l'habit qui fait la vraie religieuse mais l'observation de ses voeux et les engagements de sa pro-207fession qui la fait vivre d'une vie renoncée, c'est-à-dire dans une continuelle mortification de ses sens, de la nature et de son propre esprit qui veut toujours régner.

En attendant que je puisse écrire à chacune en particulier je vous prie instamment, mes très chères et bien aimées filles, de recevoir de bon coeur la présente qui vous sollicite à vous remettre dans la charité et sainte cordialité les unes envers les autres, et de rendre à votre supérieure les devoirs que vous lui devez, en attendant que la divine Providence fasse d'autres changements dans votre maison. Nous sommes assurées qu'elle ne veut que la pure gloire de Dieu et vos sanctifications. Remettez-vous au plus tôt, mes très chères filles, dans l'état que Notre Seigneur veut de vous. Confondez les démons qui prétendent détruire l'oeuvre de Dieu, réunissez-vous toutes par son divin Esprit, sacrifiant, chacune en particulier, les raisons qui la tiennent dans la désunion. Il faut se surmonter soi-même et, par ce moyen, vous serez toutes des vraies victimes dont vous faites profession. J'espère vous envoyer sans retardement du secours. Je vous prie le bien recevoir, vous en serez édifiées, ce sont de saintes filles qui se sacrifient uniquement pour Dieu. Tâchez qu'elles trouvent parmi vous la douceur et la charité qu'elles quittent par deçà. Je vous proteste que j'ai une extrême peine de les voir partir sans moi, je les accompagne en esprit. Ce n'est pas que je vous sois nécessaire, mais c'est mon affection qui me donne ce désir, et que j'accomplirais si j'étais libre, sans répugnance des fatigues d'un si long voyage. Renouvelez-vous toutes, mes très chères, afin de confondre l'enfer et de relever plus saintement que jamais le règne de Jésus Christ. C'est pour sa gloire qu'il vous a appelées dans l'institut, remplissez ses desseins et vous en recevrez le centuple en ce monde, et une éternelle félicité en l'autre. Ayez un grand coeur pour sacrifier tous vos petits intérêts particuliers à Notre Seigneur et que son Esprit règne uniquement en vous. Vous réparerez, par ce moyen, les scandales de votre division, qu'il faut réparer sous peine de damnation, vous le savez, très chères. Ne retardez pas un moment après la présente reçue, que je vous écris de la part de Notre Seigneur dont, très indigne que je suis, je tiens la place dans l'institut, non par les créatures mais uniquement par Lui. Je vous dis cette parole qui m'abîme et m'anéantit, non par hauteur mais par une confusion qui me fait mourir à toute heure ; connaissez mon effroyable indignité et toute, telle que je suis la plus indigne qui soit sur la terre, je suis en son Esprit et en son amour tout à vous64.

Souvenez-vous que vous êtes toutes les premières, et qu'il faut que celles qui entrent dans votre maison marchent sur vos pas. Jugez quel malheur éternel si vous ne leur donnez pas, par vos exemples, l'édification que vous devez et par les saintes pratiques que l'on doit voir en toutes vos conduites, surtout : celle de l'obéissance et d'une très profonde humilité qui ne permet pas à l'esprit humain de s'élever par orgueil et par fierté. Je veux espérer, pour ma consolation, que vous réparerez tout et que vous vivrez désormais comme de véritables victimes de Jésus Christ. Je le prie, par sa très sainte Mère, de vous combler de bénédictions, avec toutes les grâces que vous avez besoin pour remplir vos devoirs. Ayez surtout une parfaite confiance à la très immaculée Mère de Dieu ; si vous y avez recours elle vous consolera et vous donnera ce que vous lui demandez pour être aussi saintes que vous le devez être.

C'est votre indigne servante et fidèle amie.

N° 1300

A la révérende mère Marie de Jésus, prieure 5 août 1695

Il est bien juste qu'après avoir écrit à vos filles une lettre en général, en attendant que je puisse mieux faire, que je vous fasse ce mot pour vous donner avis que votre chère fille du Saint Esprit Boutily se sacrifie avec un coeur admirable pour l'amour de Notre Seigneur, avec une autre religieuse qui est dans les mêmes dispositions. La mère de Jésus nous en a écrit, vous serez édifiée de l'une et de l'autre. Je vous conjure de prévenir la reine et de l'obliger d'agréer ces deux sujets. J'aurais bien voulu en mettre une troisième si j'avais pu trouver de l'argent d'emprunt, la croyant fort nécessaire, car il faut remédier au mal par des sujets qui soutiendront le bien. Je vous assure que si j'étais en pouvoir je ne vous laisserais rien à payer, mais Dieu connaît l'état où je suis, Prenez donc, très chère mère, votre temps pour prévenir la reine, parce que ces deux chères mères partiront dans trois ou quatre jours dans le carrosse de M. le cardinal, qui part incessamment, la commodité est admirable. Je voudrais être de la partie et s'il ne tenait qu'à moi, je 209 vous assure que je ferais le voyage avec joie, mais comme je suis indigne de vous y rendre service, je demeure dans le néant. Je crois que vos chères filles vous feront voir la lettre que je leur écris pour les solliciter à se remettre dans une parfaite union. L'état de notre maison est des plus affligeants et qui se détruira si Notre Seigneur n'y met sa très sainte main. Il faut faire beaucoup de prières pour cela, surtout à la sacrée Mère de Dieu, de qui nous devons attendre tous les secours que nos besoins demandent. Faites faire des prières à cette auguste princesse du ciel et de la terre avec une confiance filiale ; vous en recevrez d'admirables effets.Je crois que vous avez reçu mes lettres. J'ai écrit aussi à la chère mère sous-prieure, et à celles qui sont dans son union. Il faut que tout le monde se quitte soi-même, pour rentrer dans une parfaite union universelle. Je ne veux que Dieu en tout. Je prie vos chères filles de bien recevoir et agréer ce que j'écris, puisque ce n'est que pour le bien de toutes. Je vous assure que je n'ai point d'autres intérêts. Je suis ravie de vous envoyer la chère mère du Saint-Esprit ;vous l'avez toujours aimée, continuez toujours,. très chère mère, elle vous sera utile, et sa compagne aussi ; je vous les recommande. La mère de Jésus vous mandera comme elle a répondu pour l'argent qu'elle a emprunté. Elle se tient bien sûre que vous lui ferez rendre, et moi je vous prie d'être bien persuadée que je suis tout à vous, très chère mère, mais d'un coeur très sincère. J'aurai l'honneur d'écrire au révérend père votre confesseur le plus tôt que je pourrai, pour le remercier des bontés qu'il a pour vous. Je lui en suis très obligée.

N° 466

A une religieuse qui désirait d'aller en Pologne et renouer le voyage que cette digne mère avait rompu à cause des guerres, Mère Marie du Saint-Esprit Boutilly ce 14 août 1695

J'admire, ma très chère (mère), le grand coeur que Notre Seigneur vous donne pour sa gloire. Si j'étais à ma liberté, je vous assure que je serais de tout mon coeur votre compagne, car il n'est pas possible de vous en donner, ayant renvoyé celles que nous attendions, jusques à la mère de Domfront qui est toujours dans le même zèle ; mais elle ne pourrait être ici plus tôt que dans 5 ou 6 jours, au plus vite, n'ayant point de voiture, que de certain jour de la semaine, qui est le vendredi ; et je vois par vos lettres que le moment presse. Cette bonne demoiselle pourrait vous servir de compagne et, si la chose se faisait, il faudrait vous déguiser, ayant à l'extérieur une forme d'habit de demoiselle, comme elle, cela serait moins hasardeux ; mais quant au for interne si vous devez aller ou non, il semblerait que Notre Seigneur vous y dispose ; vos raisons sont très bonnes, et je les approuve fort, mais pour vous commander de faire le voyage, je ne le puis, quoique l'on me dit hier, qu'il y avait quatre religieuses de Saint-Maur 83 qui partaient pour la Pologne. Si j'avais pu apprendre leur route, je les aurais priées de vous recevoir en leur compagnie. Je crois bien que Notre Seigneur vous conservera, vous donnant un si grand zèle. Mais quel moyen d'aller seule ? Selon le monde on me blâmerait, et vous aussi, et toute votre chère famille jetterait feu et flammes contre moi, de vous envoyer. Cependant j'ai peine d'éconduire votre zèle, peut-être que Notre Seigneur se servirait de votre présence pour apaiser le trouble, je n'en douterais pas. Mais le moyen de vous dire d'aller ? Il faut une permission de monsieur votre supérieur, ou des grands vicaires de Paris, vous ne pouvez obtenir cela dans si peu de temps.

Je vous remets au consentement de mesdames vos parentes, si elles vous donnent les mains, je croirai que Notre Seigneur le veut. Comme je l'ai beaucoup prié pour rompre ce voyage, je ne suis pas digne que sa bonté me manifeste ses volontés. Je l'en prie cependant de tout mon coeur ; que s'il le

83. Les Soeurs de l'Enfant Jésus, dites de la Providence, furent fondées à Rouen par le père Nicolas Barré, de l'Ordre des Minimes, en 1666. Ce religieux était arrivé à Rouen en 1659 au monastère des Minimes, que le cardinal de Bourbon avait appelés en 1601. Ils construisirent les bâtiments occupés par les bénédictines du Saint Sacrement depuis 1802.

Mandé à Paris par ses supérieurs en 1675, le père Barré put, grâce aux dons de Marie de Lorraine, duchesse de Guise, établir plusieurs écoles dans la capitale. Il fit venir une religieuse de la congrégation de Rouen, Marie Hayer, et ouvrit alors un noviciat dans un petit hôtel de la rue Saint-Maur, près du séminaire des Missions étrangères. Telle fut l'origine de la seconde branche de l'institut fondé par le pire Nicolas Barré pour l'enseignement des filles. Le père Barré mourut en 1686, après avoir eu la joie de voir s'étendre son institut à plusieurs villes de France. C'est à lui que Mme de Maintenon fit appel pour l'éducation de demoiselles de Saint-Cyr. (Cf. Ch. Farcy, L'Institut des sœurs du Saint Enfant Jésus, dite de la Providence de Rouen, 1938). La cause de béatification du père Nicolas Barré est en cours à Rome.

211 veut, qu'il lui plaise le faire connaître par les événements qui le facilitent. Quant à l'argent, il serait tout prêt, mais je conjure la chère mère prieure de faire des prières et voir le sentiment de la communauté. Si elle le veut, que la communauté y consente, je croirai voir encore en cela une manifestation de la volonté de Dieu ; voilà, très chère mère, le plus certain moyen de la connaître. Il faut beaucoup prier aujourd'hui la sacrée Mère de Dieu, et demain, après la sainte communion, la chère mère prieure prendra le sentiment par voix verbales, ou secrètes, par les balottes mais qu'au nom de Dieu, chacune en cela agisse avec une sainte vue de la plus pure gloire de Dieu. L'on peut encore se servir de billet. De ma part, je ferai prier et dire la sainte messe. Voilà, très chère, ce que je peux, faites voir la présente à la chère mère prieure ; Notre Seigneur en décidera et non les créatures. Il faut toujours avoir l'agrément de vos proches. Vous me ferez savoir la réponse, s'il plaît à la révérende mère prieure. Je ne puis m'opposer et je ne puis commander, mais il semble que Notre Seigneur le veut, vous donnant le courage qu'il vous donne. Je vous assure que mon coeur y est tout porté, mais comptez que je ne puis commander. Je crois cependant que Notre Seigneur vous bénira et, plût-il à Dieu, j'aurais voulu vous pouvoir vous servir de compagne, mais les saints anges vous en serviront et ne vous abandonneront jamais, la sacrée Mère de Dieu vous tiendra dans son très saint Coeur ; mais après tout, comptez que je ne vous envoie pas absolument. Je consens à ce que Notre Seigneur veut et croyez que je suis, en lui, tout à vous. Si vous allez, faites-le moi savoir promptement.

N° 656

A la communauté du monastère de Varsovie 9 septembre 1695

Je ne sais, ma révérende et mes très honorées et chères mères, si j'aurai fait une chose qui vous soit agréable, mais après avoir fait mon possible pour gagner celle que vous avez témoigné désirer, qui est de vous envoyer des mères anciennes, personne de celles que vous avez désirées n'ont voulu s'exposer à un si long et fâcheux voyage, et si dangereux dans l'état où les guerres paraissent universelles. La chère mère N. est actuellement malade, la chère mère N. ne veut point sortir de cette maison, la chère mère N. n'a pu se résoudre à tant de fatigues en toutes manières, et d'autres que j'ai sollicitées. L'on m'a refusé de toute part, même dans la maison de Rouen.

Je me suis arrêtée à nos chères mères de Saint-Louis, une desquelles m'a ravie, voyant son zèle et son amour pour la gloire du très Saint Sacrement. Elle s'est offerte de la meilleure grâce du monde, sans considérer sa propre délicatesse, qui n'est pas d'un tempérament robuste (mais qui) n'a que Dieu en vue et l'unique désir de vous seconder dans l'oeuvre du Seigneur, autant qu'il lui plaira en donner la grâce ; en un mot : malgré les oppositions de sa famille, elle est partie avec une jeune soeur novice [Soeur Catherine de l'Assomption Faguet], que je vous supplie vouloir bien recevoir pour être professe, quand elle aura fait son temps d'épreuve. Je crois que vous serez édifiées de son courage. Toutes deux sont parties dans un esprit de pur sacrifice. En vérité, il est à admirer, car il faut une foi et une confiance aussi grandes que Dieu donne à cette chère mère, qui s'immole avec sa petite compagne, et fait voir la force de la grâce en elle et la pureté de son zèle pour Dieu. Si vous saviez en quels hasards elles se sont exposées, vous admireriez comme nous faisons le coeur et le courage dont Notre-Seigneur les a animées. J'espère qu'elles vous seront utiles, surtout la chère mère du Saint-Esprit ; c'est une fille sans intérêts, qui est passionnée de vous rendre service. On la regardait à Saint-Louis comme capable de soutenir et remplir les places les plus nécessaires ; nous l'avons vue et reconnue capable de bien servir la sainte religion. J'espère que vous en serez édifiées et contentes. Je vous supplie, mes chères mères, de la bien recevoir, et de vous persuader qu'elle n'a aucun dessein que de vous rendre service. Son sacrifice est grand et cependant d'une ferme résolution de seconder le zèle que vous avez de perfectionner l'oeuvre que Notre Seigneur a mise entre vos mains ; elle est la seule qui a bien voulu marquer qu'elle est, en vérité, victime par effet, aussi bien que de parole. Je prie Dieu de tout mon coeur que vous en soyez aussi satisfaites que je le désire et qu'elle a de volonté de vous contenter.

Je supplie la révérende mère prieure de la présenter à la reine. J'espère que sa vertu l'édifiera et la rendra agréable à Sa Majesté. Si vous lui témoignez qu'elle vous sera utile, elle est 213 capable des emplois de la sainte religion ; vous le connaîtrez à l'usage. Je puis vous protester, d'une vérité très constante, que j'ai désiré ardemment de lui servir de compagne et, sans avoir égard à mon insuffisance en toutes manières, je me serais, d'une affection très sincère, jetée dans le carrosse pour vous aller marquer ma tendresse et la sincère affection de mon coeur. Je n'ai pas été digne de ce bonheur ; mon âge aurait rebuté Sa Majesté, mais je vous assure que mon coeur n'aurait pas manqué au profond respect que je lui dois et à la reconnaissance que tout l'institut doit avoir, et qu'il aura éternellement, de l'honneur de sa protection et de toutes les grâces dont elle nous a toutes gratifiées. Je vous avoue que ma reconnaissance est au-delà de toutes les idées des créatures. Il n'y a que Dieu qui pénètre les vrais sentiments de mon coeur pour cette auguste reine, que j'aime de toute la capacité de mon coeur, et que nous ne pouvons assez aimer ni vénérer comme la plus excellente reine qui soit sur la terre. Je la crois sans pareille, et surtout son zèle et son amour pour Dieu. Rien n'est plus admirable que de voir Sa Majesté occupée aux grandes et importantes affaires de son royaume, et conserver tant de piété et de religion. C'est la merveille du monde ! Nous prions sans cesse pour sa conservation et pour toutes les intentions de son coeur royal. Soyez toujours bien soumises à ses volontés et à tous les devoirs que vous êtes obligées de lui rendre. Si j'étais à ses pieds, je tâcherais de la persuader qu'on ne peut être à elle avec plus de zèle, de fidélité et de reconnaissance très respectueuse, que je suis.

Je vous supplie, mes très chères filles, de conserver parmi vous une sainte cordialité ; que la charité lie vos coeurs et que l'Esprit Saint de Jésus Christ vous anime en tout et partout. Donnez-moi de vos nouvelles tandis que je suis encore en ce monde et me marquez en quoi je puis vous être utile, car je vous assure que je vous aime toutes au-delà de ce que je puis vous exprimer. Si vous désirez que je vous écrive à chacune en particulier, je le ferai de tout mon coeur, qui est si tendre pour vous toutes. Souvenez-vous que Dieu vous a choisie par l'excès de son amour65, il vous a confié ses intérêts, ne lui soyez point infidèles.

Tâchez de remplir vos vocations et d'être aussi saintes que des victimes du Fils de Dieu au très Saint Sacrement le doivent être, pour sa pure gloire et pour édifier tout le monde, car vous devez être si saintes que vous édifiiez toutes les créatures et les animiez de l'amour de Jésus Christ. Que ne suis-je auprès de vous pour épancher mon coeur et vous encourager toutes à vous consommer des divines flammes qui sortent du sacré tabernacle, et que vous recevez tous les jours. Séparez-vous de l'humain, abandonnez tous vos petits intérêts pour vous conformer à l'adorable hostie, qui est tous les jours immolée pour vous tirer toutes dans son divin sacrifice et vous faire, avec lui, des hosties dignes d'être consommées à sa gloire. Je ne finirais pas si je suivais les mouvements de mon coeur qui est, en Jésus, tout à vous. Je vous embrasse toutes dans le Sacré Coeur de la très Immaculée Vierge, Mère de Dieu où vous êtes toutes et d'où vous ne devez jamais sortir. A Dieu en Dieu, il faut finir ! C'est votre fidèle servante.

N° 1184

A la mère Marie de Jésus Petigot, prieure ce 23 septembre 1695

J'ai reçu vos chères lettres, ma révérende et plus chère mère, avec bien de la consolation. C'est la plus grande satisfaction de ma vie que de recevoir de vos lettres, car nous sommes si loin de présence corporelle que cela peine beaucoup, à cause que nous ne pouvons nous rendre les services que nous voudrions. Je suis cependant en esprit bien près de vous, priant Notre Seigneur, par sa très sainte Mère, de vous soutenir et fortifier dans les amertumes de la vie.

Votre dernière m'a consolée un peu, me disant que les choses vont mieux. Je prie Dieu qu'ainsi soit. Vous savez donc à présent que c'est notre chère fille [mère du Saint Esprit] qui généreusement s'est offerte ; et d'un courage constant, elle ne s'est point effrayée des difficultés d'un si fâcheux et long voyage, se confiant à la sacrée Mère de Dieu, allant d'un grand coeur pour la gloire du très Saint Sacrement. Dieu veuille qu'elle vous soit utile pour la paix et le repos de votre maison. Il ne faut pas, très chère mère, la mettre d'abord dans les premières charges, vous pourriez exciter une peine aux autres. Mais dans la suite des temps vous verrez où elle sera propre. Je crois qu'elle n'a qu'un défaut, à quoi vous prendrez garde, 215 comme elle a du zèle et que le coeur est bon, elle parle de son abondance, et, je crois, bien plus qu'il ne faudrait. Conseillez-lui de peu parler et d'écouter beaucoup. Nous lui avons donné nos petits conseils. Gardez-vous bien de faire de la jalousie en lui témoignant plus de confiance et d'affection qu'aux autres. Vous savez qu'il faut ménager les esprits pour conserver la paix. Les supérieures doivent avoir une grande prudence. Je prie la sacrée Mère de Dieu d'être votre lumière et votre conduite.

Je vous prie de donner la ci-jointe que j'écris à la chère mère du Saint-Esprit, aussitôt qu'elle sera arrivée. Je prie le Saint Esprit de conduire sa langue et qu'elle témoigne bien de l'affection à toute votre communauté et surtout aux anciennes. Je prie Dieu de lier tous vos coeurs au Coeur de Jésus, par le très saint Coeur de sa précieuse Mère. Je vous fais ce mot assez pressé afin que vous le receviez avant l'arrivée de cette chère mère. Je suis indigne des bontés de la reine. J'ai pris la liberté de lui écrire pour prier Sa Majesté d'agréer la mère du Saint-Esprit, à la place de la mère N. qui n'a pas assez de santé pour l'exposer à un si long et pénible voyage. La mère N. veut bien vous aller rendre les services, mais elle est actuellement malade. mes fort touchées ; ce sont de saintes filles qui ont bien travaillé pour Dieu et pour l'honneur de l'ordre de Saint-Benoît par tant de livres et autres choses qu'elles ont faites. Priez bien Dieu pour elles, c'est une grande perte pour nous, mais il faut toutes mourir. Je me plains de vous à vous-même, très chère mère, du peu de soin que vous avez de votre santé. Si vous ne vous conservez pour l'amour de Notre Seigneur, j'en ferai mes plaintes à Sa Majesté. Vous prenez trop sur vous. Je vous prie et vous conjure de vous soulager mieux que vous ne faites. Vous êtes à Dieu, très chère mère, et à ses usages ; ayez donc soin de votre vie, pour Dieu, elle n'est point à vous. Vivez donc pour lui. J'aurais bien des choses à vous dire qui vous étonneraient si je vous les pouvais marquer, mais Notre Seigneur ne veut pas que mon amour-propre soit satisfait. Il faut tout sacrifier. Je vous recommande toujours de m'obtenir la grâce d'une bonne mort par l'intercession de la sacrée Mère de Dieu ; j'avance toujours vers la fin, et, cependant, Notre Seigneur me fait vivre. Je voudrais bien que ce fût en son Esprit et pour sa pure gloire66. Adieu, il faut que je vous quitte en vous embrassant en esprit, priant la très auguste Mère de mon Sauveur, Jésus Christ, de vous bénir avec toutes mes filles et généralement toute votre maison. Je suis de coeur tout à vous.

Je vous recommande les chères mères de Blémur 84; la jeune se meurt, l'aînée en est terriblement affligée ; elle est à présent à ne pouvoir plus se conduire, et dans de grandes incommodités. Il n'y a guère d'apparence qu'elle vive encore du temps. La mort de la jeune, fera mourir l'autre ; nous en som-

N° 797

84. Marie Jacqueline Bouette de Blémur, mère Saint Benoît, (8 janvier 1618-24 mars 1696). Elle était entrée à l'abbaye de la Trinité, à Caen, à l'âge de cinq ans et y avait fait profession à seize ans. Elle remplit des charges importantes ; en particulier, elle fut maîtresse des novices et prieure. En 1678, elle entra, avec sa soeur, au monastère de la rue Cassette, n'hésitant pas à refaire son temps de noviciat pour mieux s'imprégner de l'esprit de notre institut. La princesse de Mecklembourg avait offert à mère Mectilde de fonder un monastère sur ses terres de Châtillon-sur-Loing et souhaité que les mères de Blémur, auxquelles l'unissaient des liens de parenté, en fussent les premières supérieures. La fondation de cette maison ayant été retardée d'une huitaine d'années, leur âge alors ne leur permit plus d'en assurer la direction et elles demeurèrent l'une et l'autre au monastère de la rue Cassette. La vaste intelligence et la haute piété de la mère Saint Benoît l'incita à écrire une oeuvre très féconde, notamment : L'Année bénédictine, 1662, Les éloges de personnes d'une éminente vertu, 1679. La vie de saint Pierre Fourier, Les grandeurs de la Sainte Vierge, etc... (Cf. Dom Chaussy, Les Bénédictines de la reforme catholique en France au XVII' siècle, Ed. de la Source, 1975).

A la mère du Saint Esprit Boutilly à Varsovie ce 23 septembre 1695

Je viens savoir, très chère, le succès de votre voyage, et si Notre Seigneur vous a conduite heureusement comme nous l'en avons prié de toutes nos forces. En vérité, vous nous avez bien mises en peine, étant si éloignée et si impossible d'apprendre de vos nouvelles. Je ne vous fais que ce mot, espérant d'en apprendre. Je vous fais seulement souvenir de très bien filer (sic) et de parler peu. Surtout, prenez bien garde à ne point dire ce que vous avez appris ici, de ce qui se passe par-delà. Je vous recommande ce point sur toutes choses, comme de la dernière conséquence. Quand vous serez arrivée, je vous écrirai plus amplement. Embrassez bien toutes les chères mères de ma part, les assurant que je les aime toutes tendrement. Il n'y a rien de nouveau à Saint-Louis, ni céans ; toutes choses sont 217 toujours de même. Je n'aurai point de repos que je ne sache de vos nouvelles et si vous êtes arrivée aussi heureusement que je le désire. Priez pour nos chères mères de Blémur et pour moi, qui suis tout à vous. Ayez, je vous prie, soin de la santé de la chère mère prieure, et m'en donnez des nouvelles.

N° 1593

A la mère Marie Casimire Potocka Paris, 10 mai 1696

Mademoiselle,

Vous me donnez une sensible consolation d'apprendre les effets de la grâce dans votre cher coeur, lui donnant la force et le courage de s'immoler à Notre Seigneur, comme une victime de son pur amour.

C'est une faveur du Ciel, des plus signalées et qui vous doit donner une solide confiance, que vous êtes honorée du sacré caractère des élus du Seigneur, et ce qui vous doit confirmer dans une telle espérance, c'est que vous devenez non seulement fille de l'institut, mais une fille bien chérie de la très Immaculée Mère de notre divin Sauveur Jésus Christ ; mais d'une manière si intime et si avantageuse pour vous que vous en devez concevoir une joie toute divine, parce que vous avez une supérieure qui est toute puissante au ciel et en la terre, qui vous donnera toutes les grâces et bénédictions que vous avez besoin pour devenir une grande sainte. Je vous conjure d'y avoir une parfaite confiance et de prier quelquefois pour moi qui serai, toute ma vie, en son amour, votre fidèle amie et servante.

Je la prie qu'elle vous fasse concevoir la grande grâce de votre vocation et vous donne la fidélité pour la remplir.

J'aurais bien dessein de vous en dire davantage, très chère et aimable fille, mais je n'ai pu prendre le temps de contenter mon affection à vous marquer les sentiments de mon coeur et combien je me sens obligée à Notre Seigneur de vous avoir prévenue de ses bénédictions. Je lui demande pour vous la grâce de persévérer et qu'il vous consomme un jour de son pur amour.

Obligez-moi de saluer tendrement mesdemoiselles vos chères compagnes. Je leur souhaite le même bonheur qu'à vous et d'être bien persuadées que c'est du plus sincère de mon coeur, ma très chère fille, que je suis, en Jésus et sa très sainte Mère, votre très humble et très fidèle servante.

N° 3094 Autographe à Varsovie


[photos omises]

Portrait gravé de mère Mectilde

du Saint Sacrement de Bar (vers la fin de sa vie).

Lettre de mère Mectilde. adressée à Melle Potocka

218

A une religieuse ce 6 juillet 1696

Je vois, ma très chère fille, par celle que vous m'écrivez, votre pauvre coeur plongé dans la douleur; je la ressens et vous compatis, mais il ne faut pas que votre perfection en souffre du déchet ; ce sont des occasions de redoubler votre fidélité, et d'être plus à Dieu que jamais ; sa grâce ne vous manquera pas. Si vous suivez le conseil que vous voulez que je vous donne, chère enfant, séparez votre esprit de tout ce qui se passe chez vous, remettant tout entre les sacrées mains de la très Immaculée Mère de Dieu, qui prendra le soin de vous consoler et de fortifier votre coeur, pour souffrir ce qu'il plaira à Notre Seigneur vous envoyer. J'espère que son infinie bonté y pourvoira Ayez cette confiance, chère enfant, sans vous laisser tomber dans un abîme de douleur, qui ferait tort à votre intérieur. Il faut tâcher d'être inébranlable dans les événements fâcheux pour ne rien voir que dans l'ordre de Dieu qui nous envoie des croix pour nous sanctifier. Conservez toujours une amoureuse confiance en sa bonté; il est notre Père, notre Sauveur, et notre Époux, pouvez-vous avoir des appuis plus forts ? Relevez votre foi et votre confiance, vous verrez qu'il aura soin de vous, et qu'il vous fera plus de miséricordes que vous n'en osez espérer. J'aurais bien encore d'autres choses à vous dire, qui pourraient aider à vous consoler, mais il faut les remettre à une autre fois. Consolez votre chère compagne. Si vous n'étiez pas si éloignée de nous, nous pourrions vous consoler, mais, chère enfant, attendez tout de Dieu, et de sa très Sainte Mère, qui ne vous abandonnera jamais, si vous y mettez votre confiance ; c'est le conseil que je vous donne, et d'être bien persuadée que je vous aime bien tendrement, et que tout ce qui dépendra de mon pouvoir pour votre sanctification je tâcherai de vous le marquer par mes services et de vous assurer que je serai toujours en Jésus et sa très Sainte Mère votre fidèle amie et servante.

N° 1633

Pour notre très chère fille en Jésus, sœur de Saint-Bernard (Anne Bompard) ce 6 juillet 1696

Sur la chère vôtre, ma très chère fille, du 15 mai, je vous dirai que je suis sensiblement touchée de vos affections. Nous faisons des prières pour demander à Notre Seigneur, par sa très sainte Mère, qu'il pacifie tout, car rien n'est plus affligeant que de savoir une maison de l'institut dans une telle désolation. Je sais que vous en souffrez beaucoup sans y pouvoir mettre de remède. Mais si vous êtes fidèle à Dieu dans les persécutions et dans les tentations que l'Enfer vous livre, la force divine de Jésus Christ, par sa très sainte Mère, triomphera de tout, et vous verrez les secours de sa grâce qui vous surprendront. Je vous conseille de demeurer, comme vous dites, à ne vous mêler de rien, mais de vous tenir dans votre intérieur par un saint recueillement en la présence de Dieu, attendant de sa miséricorde quelques coups extraordinaires de son infinie bonté. Redoublez votre foi et votre confiance. Soyez fidèle à vos obligations ; ne communiquez point vos sentiments pour décharger votre coeur, qui vous ferait dire plusieurs choses qui le pourraient blesser ou, du moins, troubler sa tranquillité. Allez toujours sans vous arrêter où la grâce vous attire, et vous souvenez des paroles de Notre Seigneur qui veut que vous le suiviez en portant votre Croix, vivant dans l'esprit d'un continuel sacrifice, qui doit faire la vie d'une victime. L'on ne peut en ce monde éviter plusieurs contradictions mais la victime fidèle laisse les morts ensevelir les morts. Elle surpasse tout pour se rendre à celui à qui elle est immolée, n'ayant point d'autre tendance que de lui plaire, sans envisager ses propres intérêts. Elle les anéantit de tout son coeur, par le sacrifice actuel, faisant consister son bonheur à n'avoir que Dieu en vue sur toutes choses, son amour et son règne faisant toute sa fortune. Pour être parfaitement et uniquement tout à Jésus Christ, gardez donc précieusement la paix de votre intérieur ; vous la conserverez en ne prenant parti à rien sur la terre, qu'à vivre dans un esprit de mort. Je ne puis m'empêcher de me désirer auprès de vous toutes, pour tâcher de vous consoler et remettre votre sainte maison dans le calme.

J'espère que la sacrée Mère de Dieu le fera et vous bénira, je l'en prie de tout mon coeur, et qu'elle vous réunisse toutes en son Esprit. Il lui faut demander et vous souvenir, en la présence de Notre Seigneur, de la plus indigne de toutes les créatures, qui est, en son Amour, tout à vous, fidèle amie et servante.

Je salue très cordialement votre communauté et me recommande à leurs saintes prières. Je vous prie de les assurer que je les aime toutes bien tendrement.

N° 2771 autographe à Rouen

A la mère Marie de Saint-François de Paule Paris, 16 septembre 1697

... Quand je recevrai des lettres de Pologne je vous les enverrai incontinent. Selon toutes les apparences le prince de Conti sera roi et, sur cette croyance, nous pourrons voir du changement : peut-être que Dieu changera le coeur de la reine. La pauvre mère Marie de Jésus cause bien de la peine ; mais je crois que ce n'est pas volontairement : elle est pleine de ses propres lumières, et comme elle croit beaucoup souffrir, elle fait croire cela facilement. Cependant je ne puis la faire revenir que l'on ne voie ce que la reine fera...

N° 1178 autographe

A la mère Magdeleine d'Auvergne 27 septembre 1697

Louée et adorée soit à jamais l'adorable Volonté de Dieu qui éprouve ses victimes comme il Lui plaît !

Ce mot est assez précipité, mais je ne m'attendais pas à avoir une si affligeante nouvelle à vous mander ; je surseois toutes les autres, quoique bien pressantes par le récit que vos chères lettres nous en font, pour vous dire qu'il a plu à Dieu, le soir de la fête de saint Mathieu, réduire en cendre notre maison de Nancy 85, tandis que toute la communauté était à matines.

85. Le 26 juin 1624, Catherine de Lorraine, soeur du duc Henri II, obtint de son frère l'autorisation d'établir une abbaye bénédictine à Nancy. Prise dans les remous de la guerre de Trente Ans, Catherine dut chercher refuge chez sa soeur, la duchesse de Bavière. Le monastère subit lui aussi les conséquences tragiques de la guerre. A sa mort, elle légua sa maison à sa nièce Marguerite de Lorraine, qui jugea que le moyen le plus sûr pour relever l'abbaye était de la confier à son amie mère Mectilde. En 1667, la mère Bernardine de la Conception vint préparer le monastère à recevoir nos Constitutions. Mère Mectilde arriva à Nancy le 26 décembre 1668, accompagnée de la mère Anne Loyseau et de la mère de Saint Joseph de Montigny-Laval, soeur de Mgr François de Laval, premier évêque de Québec, béatifié le 15 juin 1980, qui sera prieure de ce nouveau couvent. La première exposition du Saint Sacrement eut lieu le jeudi 13 avril 1669. Un pensionnat florissant, le soutien au siècle suivant du roi Stanislas Leszczynski, qui créa une pension pour douze jeunes filles, permirent aux moniales de réparer les malheurs des guerres et d'avoir un grand rayonnement spirituel sur toute la Lorraine.

A la veille de la Révolution, on comptait 25 moniales et 8 soeurs converses. Le 3 novembre 1793, la prieure, Louise Éléonore de l'Isle, fut expulsée avec toutes ses soeurs. Les bâtiments et l'église furent vendus en 1796. Après 1804, plusieurs religieuses vinrent se joindre aux communautés de Paris et de Toul qui, peu à peu, se regroupaient.

Les pauvres filles trouvèrent leur maison au retour dans un tel embrasement que les trois côtés du cloître et les dortoirs furent consumés. Il n'y a eu que l'église que l'on a tâché de sauver, de sorte que ces pauvres filles n'ont que ce qu'elles avaient sur le corps étant à matines : il ne leur est rien réservé, pas une chemise, pas un mouchoir, etc... Voilà où il a plu à Notre Seigneur les réduire ; c'est une pitié qu'on ne peut exprimer. Nous ne savons encore le détail de ce débris. J'en appris l'affligeante nouvelle mercredi au soir par monsieur leur supérieur, qui me l'écrit ; les pauvres filles n'étaient pas en état d'écrire ; la désolation est très grande. Je demande vos saintes prières pour les soutenir dans la soumission qu'elles doivent aux volontés de Dieu.

Il faut avouer que cette épreuve est grande, mais les victimes doivent être capables de tout souffrir, se souvenant qu'elles sont victimes par leur sainte profession et que Notre Seigneur a droit de se les sacrifier en la manière qui lui plaira.

Figurez-vous près de trente religieuses, tant du choeur que converses, réduites sur le pavé où elles ont couché à plate terre, n'ayant plus rien, pas seulement de mouchoir, ni chemises, etc... C'est une terrible peine à se trouver en deux ou trois heures de temps dans une telle privation de tout. L'on peut dire avec vérité que la croix est grande. La seule consolation est que Notre Seigneur a été conservé dans le très Saint Sacrement, sans que l'église soit endommagée, ni aucune religieuse brûlée, ni blessée. C'est une grande grâce ; il en faut remercier Notre Seigneur. Et voyez, très chère mère, comme il m'afflige dans mes derniers jours. Et où prendre pour les soulager ? J'attends tout de mon Dieu : lui seul peut remédier car toutes les maisons de l'institut sont affligées. Vous savez à quel point est celle de Saint-Louis. Il faut beaucoup prier l'Immaculée Mère de Dieu qu'elle protège l'institut, car l'enfer a bien pris la résolution de le détruire. Voyez comme il y travaille par différentes manières. Je sais que cet incendie est cruel, mais il est bien plus doux à supporter que les divisions dans les maisons de l'institut qui ne font qu'offenser Dieu et obliger sa justice à retirer ses grâces et abandonner les sujets infidèles à la puissance des démons qui les entraînent et font périr. O ma chère mère, il faut que les démons se jouent des âmes qui résistent à la grâce pour suivre leurs maudites passions ; et que gagnent-elles, quand elles ne sont plus fidèles à Dieu et méprisent ses grâces ? 223

Est-ce pour cela que l'on fait des monastères et que l'on présente à Dieu des victimes qui l'outragent au lieu d'apaiser sa juste colère ? Hélas ! très chère mère, vous voyez que les innocentes souffrent pour les coupables ; personne n'est plus indigne des miséricordes de Dieu que moi, et cependant je suis indigne de réparer ; il faut que Notre Seigneur choisisse des victimes innocentes pour faire et souffrir ce que je mérite. C'est ce qui m'afflige dans cette occasion et dans toutes les autres afflictions que Notre Seigneur envoie. Son très saint nom soit à jamais béni ! J'avais besoin de cette affliction pour m'abîmer davantage.

Priez le Seigneur que nos pauvres mères affligées de Nancy puissent porter saintement leur souffrance. Le temps est fâcheux, car le froid commence et les voilà toutes dénuées. Priez Notre Seigneur qu'il les revête de lui-même et qu'elles puissent donner par leur sacrifice quelque plaisir à Notre Seigneur en réparation de tant de péchés et de profanations. L'on nous assure de la paix. Je ne sais si les affaires de votre pays se termineront en faveur de ce bon prince. J'en espérais des nouvelles, mais elles ne sont point encore venues. Ayez, très chère mère, la bonté de nous en mander. Monsieur Tarlo sera bientôt chez vous ; il prétendait y être à la mi-octobre, c'est bientôt ; je prie Notre Seigneur qu'il le conserve. C'est un vrai saint et qui a bien de la bonté et de la charité pour notre institut. Je crains que votre communauté ne soit ingrate de sa charité.

La mère de Jésus vous écrira sur vos affaires touchant nos mères de Toul. Je crois que nous ne plaiderons plus. Monseigneur l'archevêque de Paris en a témoigné son mécontentement à monseigneur l'évêque de Toul 86. C'est ce qui le fait désister,

86. Henry de Thyard de Bissy, 87e évêque de Toul, était fils de Claude, lieutenant général des armées du roi et commandant supérieur de la province des Trois-Évêchés. M. de Bissy fut nommé évêque de Toul par Louis XIV en 1687, mais, par suite des différends survenus entre le pape Innocent XI et la Cour de France, le prélat ne reçut ses bulles que six ans après sa nomination. Ce fut un évêque éminent et d'une extrême modestie. C'est ainsi qu'il refusa l'archevêché de Bordeaux, auquel Louis XIV voulait le nommer en 1692. L'évêque eut de longues contestations avec la Cour de Lorraine, tant au sujet de la juridiction ecclésiastique qu'à propos d'un code de droit publié par le duc Léopold en 1701, code qui limitait la liberté de l'Église. Cet ouvrage fut condamné par Clément Xl. Cette querelle se perpétua d'ailleurs jusqu'à l'érection d'un siège épiscopal à Nancy. Pour complaire au duc, Louis - XIV nomma M. de Bissy à l'évêché de Meaux en 1704, siège que venait d'illustrer Bossuet, et le pape le créa cardinal le 29 mai 1715. 11 était abbé commendataire de Saint-Germain-des-Prés depuis le 28 décembre 1714. Il mourut à Paris en 1737. M. de Bissy avait été tellement apprécié de ses diocésains qu'il dut quitter Toul au petit matin, presque incognito, « ne pouvant plus supporter la douleur que le clergé et te peuple de Toul lui témoignaient de le voir se retirer », écrit un contemporain. (Cf. A.D. Thiery, Histoire de la tille de Toul et de ses évêques, t. Il, Paris, 1841),

car il ne peut rien gagner. Son procès a été mal intenté. Mais vous savez, très chère mère, qu'il me faut toujours des croix. Adorez et aimez Notre Seigneur pour moi, très chère mère, et me croyez toujours tout à vous et à votre sainte communauté que je salue en Jésus et sa très sainte Mère.

J'écrirai à la chère mère du Saint Esprit le plus promptement qu'il me sera possible ; je la prie d'avoir un peu de patience. Je ne la veux pas contraindre de rester ; elle pourra prendre son temps et prendre les permissions de monseigneur votre évêque ; de même les autres qui prétendent revenir. Je comprends bien qu'il y a à souffrir dans une maison naissante, dans un pays extraordinaire pour la langue et pour beaucoup d'autres choses, qu'il faut donner à Notre Seigneur.

C'est sa gloire qui vous y a menées, il faut que ce soit sa gloire qui vous fasse revenir et que lui seul vous fasse agir en tout et partout, afin que' vous soyez remplie de son Esprit et que l'humain ne vous domine pas.

Je vous quitte, très chère mère, ne pouvant aujourd'hui vous en dire davantage. Je prie l'Immaculée Mère de Dieu de vous combler de bénédiction.

N° 96 autographe à Varsovie.

De la reine de Pologne à la mère Marie de Jésus Petigot, de Varsovie 20 juin 1698

Si vous pouviez voir dans mon coeur, ma très chère mère, combien il est pénétré des persécutions que l'on vous a faites dans votre couvent de Varsovie, qui est la seule cause qui m'a fait accorder à vos importunes instances votre retour en France ! Si cependant j'avais dû demeurer en ce pays-ci toutes vos peines ne m'y auraient jamais fait consentir. Mais ayant formé le dessein d'en partir aussitôt, ce que j'espère avant l'hi-225ver de pouvoir faire, pour me rendre, Dieu aidant, à Rome. Là, je me promets de porter le pape à faire une fondation de votre ordre, où vous serez demandée pour l'établir, et là hors des esprits extraordinaires,vous jouirez d'un repos que vous méritez, ma chère mère, et d'une estime très distinguée par la piété et la vie sainte que vous menez, du consentement de tous ceux qui veulent bien vous rendre justice. Et moi, ma chère mère, qui vous la rends tout entière et qui en fais grand cas, je me propose d'y avoir de la consolation en vous y possédant. Je crains seulement que vous ne fassiez avec peine le voyage de France, votre santé étant très altérée par tous les tourments que l'on vous a fait souffrir, et quoique vous n'en soyez jamais tombée d'accord, on en savait bien la vérité ; ce qui a bien scandalisé du monde et fait changer les desseins qu'avaient plusieurs personnes de fonder des couvents de votre ordre dans divers endroits de la Pologne.

Tant que la mère Madeleine et la mère Suzanne de la Passion seront dans cette maison, elle ira parfaitement mal. Monsieur Tarlo y a fait un grand tort. Pour moi, je plains toutes ces pauvres filles qui y ont fait profession ; si Dieu n'y met la main, leur salut est en danger. Comme elles ne m'ont pas laissée la maîtresse dans une maison que j'ai fondée, voulant absolument votre départ contre mon gré, à quoi je n'aurais pas consenti si je n'avais considéré que vous étiez persécutée et par là votre santé altérée, la délicatesse de votre conscience vous ayant fait accroire que la défunte digne mère [mère Mectilde du Saint Sacrement] voulait votre retour, ce que je sais qui n'est point. Si cependant j'avais dû demeurer ici, vous n'en seriez point partie. Comme à votre considération, outre ce que je me suis obligée de donner par an pour la fondation, je donnais le revenu du petit moulin qui faisait avoir le pain gratis, le couvent n'aura plus cette douceur. J'ai donné le moulin à mon fils, le prince Alexandre, ce que je n'aurais pas fait si vous étiez restée ; tout au moins j'aurais excepté le moulin. J'ai ordonné de finir l'église pour que le service de Dieu s'y fasse, ce que j'aurais fait bien d'une autre manière, si je n'avais pas eu sur les bras pendant tant de temps les affaires de l'élection. En vérité, je vous le promettais toutes les fois que vous m'en avez parlé, et même de faire bâtir l'autre aile pour les pensionnaires, qui est vis-à-vis les infirmeries, mais je n'en ferai rien ; cela demeurera ainsi, finissant l'église pour Dieu et non pas pour l'amour d'eux. Rétablissez donc votre santé, ma bien chère mère, pour qu'elle soit en état de faire le voyage de Rome où je vous recevrai, ma très chère mère, les bras ouverts, pour vous embrasser de tout mon coeur

MARIE CASIMIRE, REINE

Mes amitiés à la mère du Saint-Esprit, et à notre bonne soeur Saint-Joseph ; j'ai reçu vos lettres de Posnanie. Priez bien pour moi, ma chère mère, que Dieu me donne la santé et bénisse mes desseins qui sont tous pour sa gloire et le salut de mon âme. Mes enfants vous saluent, mon père aussi et toute ma famille.

De la mère Catherine de Jésus Ce 24 octobre 1702

Je vous supplie, ma révérende et toute chère mère, de prendre la peine de lire cet écrit à notre très honorée mère ancienne 87. il faudrait qu'elle nous dise si elle s'en peut ressouvenir :

En quel temps et année se fit cette assemblée des serviteurs de Dieu, lesquels notre digne mère Mectilde consulta pour connaître la volonté de Dieu dans le désir pressant qu'elle avait de se retirer après que l'institut fût fait ?

Il paraîtrait, suivant la lettre de la mère Marguerite du Saint Sacrement, carmélite, dont je vous envoie la copie, que ce pourrait être en l'année 1657, mais nous n'en sommes pas

87. La correspondante de la mère Catherine de Jésus Rasle est Élisabeth Guillaume, mère Marie de Saint Michel, qui fit profession au monastère de Toul le 4 septembre 1666, et mourut à Toul le 10 avril 1718. La « mère ancienne a est probablement mère Gertrude de l'Assomption Noirel, qui reçut l'habit à Rambervillers des mains de Dom Antoine de Lescale, le 15 août 1660. Elle vint à Paris avec mère Mectilde en juillet 1663. Nos archives ont conservé son acte de profession, écrit par mère Mectilde et signé par la professe, en date du 2 février 1665.

Ayant vécu près de mère Mectilde à Rambervillers et à Paris, ayant été religieuse à Rambervillers près des compagnes de mère Mectilde, dès l'arrivée de celle-ci dans ce monastère en 1639, mère Gertrude connaissait sans doute fort bien les premières années de notre fondatrice et les circonstances de la fondation de notre institut.

D'après cette lettre, on voit combien, dès le décès de mère Mectilde, ses filles ont cherché a rassembler tous les souvenirs la concernant. Les personnages évoqués ici, ainsi que les événements, sont relatés dans C. de Bar, Documents historiques, Rouen, 1973.

L'abbé Pierre Berrand, ami de notre monastère de Châtillon-sur-Loing et de Mgr Charles Taffoureau de Fontaine, évéque d'Alet, avait accepté d'écrire la vie de mère Mectilde d'après les documents rassemblés par les moniales de la rue Cassette. Cette biographie est restée manuscrite. (Archives du monastère de Rouen).


227 bien assurée, peut-être que notre très honorée mère se ressouviendra bien du temps. Lisez-lui, je vous prie, ces deux copies des lettres de la mère Marguerite du Saint Sacrement, fille de la bienheureuse Marie de l'Incarnation, carmélite, autrement mademoiselle Acarie 88. Celle qui est adressée à une dame semblerait avoir été écrite avant celle qui est adressée à notre digne mère, où elle lui parle de ces deux bons pères qui la condamnent à l'emploi où elle a tant d'éloignement.

Je vous prie, ma chère mère, de nous faire sur ceci une réponse tout le plus tôt que vous pourrez et n'oubliez pas aussi de vous informer si monsieur de Bernières est venu plus d'une fois à Paris depuis l'établissement de l'institut. Je vous demande bien des excuses, ma chère mère, de toutes les peines que je vous donne, mais c'est pour la gloire de Dieu et l'honneur de sa fidèle servante, notre très digne mère, pour laquelle vous me témoignez un zèle si ardent que cela me donne toute liberté de m'adresser à vous comme à une autre moi-même, marquez toujours à votre très honorée mère ancienne tous les témoignages de respect, d'estime, de confiance et de vénération possibles ; je vous en aurais une sensible obligation et de me procurer aussi la continuation de ses bontés, mais singulièrement ses saintes prières et celles de votre sainte communauté que j'assure de mes humbles respects, surtout votre révérende mère prieure, je suis toujours fort en peine de sa santé.

88. Barbe Avrillot née à Paris le ler février 1566, fut élevée chez les Clarisses de Longchamps. Le 24 août 1582, par obéissance à ses parents, elle épousa Pierre Acarie. Ils eurent six enfants. Mme Acarie, tout en tenant sa place dans le monde avec talent, sut préserver et cultiver sa vie spirituelle sous la direction du capucin Benoit de Canfeld. Son salon devint le rendez-vous de nombreux spirituels qui travaillaient à la réforme catholique en France. Après la disgrâce de son mari, elle fut accueillie par sa parente, Mme de Bérulle. Elle exerça ainsi, par le seul ascendant de sa valeur spirituelle, une grande influence près de Pierre de Bérulle, fondateur de l'Oratoire, et facilita l'installation des Ursulines à Paris. Son nom reste attaché à l'établissement en France des Carmélites réformées, qui s'installèrent à Paris le 17 novembre 1604 ; elle s'occupa ensuite des fondations de Pontoise, Amiens, Tours, Rouen. Pierre Acarie étant mort le 17 novembre 1613, sa veuve mit ordre à ses affaires et entra au carmel d'Amiens le 16 février 1614, où elle prit le nom de soeur Marie de l'Incarnation. En raison de sa santé, elle obtint de quitter le carmel d'Amiens pour celui de Pontoise où elle mourut le 18 avril 1618. Ses restes, préservés en 1792, ont été ramenés à Pontoise en 1822. Elle fut béatifiée le 5 juin 1791.

De son oeuvre écrite, il ne reste que des lettres et un petit traité de spiritualité. (Cf. Catholicisme, t. 35, col. 640-641).

Une des filles de Mme Acarie, Marguerite, entra elle aussi chez les Carmélites où elle reçut le nom de soeur Marguerite du Saint Sacrement. Après avoir été prieure à Tours, Bordeaux et Saintes, elle le fut à Paris, où elle mourut en 1660, âgée de 70 ans, vénérée de ses soeurs pour sa vie exemplaire.

228

Informez-vous encore, s'il vous plaît, auprès de votre très honorée mère ancienne si monsieur Bertot, ami de monsieur de Bernières, n'a pas été directeur de notre très digne mère67 et s'il n'a pas demeuré céans dès le commencement de l'institut, du moins, depuis l'année 1655 que monsieur de Bernières l'emmena avec lui ici à Paris. Nous serions bien aise aussi de savoir si lorsque monsieur de Bernières fut ici, il logeait céans, c'est-à-dire au-dehors de la maison et combien il resta avant que de s'en retourner à Caen. Je me recommande encore plus particulièrement à vos prières durant ces précieux jours pour m'obtenir un peu de part à la grâce des saints mystères que nous célébrons ; je ne vous oublierai point aussi de mon côté, soyez en bien persuadée, ma plus que très chère mère, et me croyez du plus sincère de mon coeur, en Notre Seigneur, votre très humble et obéissante servante.

SOEUR M. CATHERINE DE JÉSUS

ARCHIVES DU MONASTÈRE DE TOURCOING

229

V NOTICE NÉCROLOGIQUEDE LAMÈRE RADEGONDE DE LA PRÉSENTATION DE BEAUVAIS


[reproduction médiocre – non corrigée ici sauf titre en majuscules - d’une ancienne édition:]



LOUE ET ADORE' SOIT A JAMAIS LE TRE's-

SAINT SACREMENT DE L'AUTEL.


MES RE'V E'RENDE S MERES,

ET TRE's - CHERES SOEURS


UNIES en Jefus-Chrif} par les liens précieux de la charité , nous vous apprenons avec une vive douleur l'aflli6lion qu'il a plû 3 Dieu de nous envoyer par la mort de notre très-refpe&able & honorée Merede Beauvais. Elle eut pour pere Meffire Pierre de Beauvais , Confeiller d'Etat ordinaire,. & au Confeil Royal , Seigneur de Gentilly , de la TourQuarrée , & autres-lieux : & pour mere , Dame Catherine-Henriette de S.-evA c±- dont la famille étoit depuis long-tems attachée au fervice des Reines de France , à commencer par Marie de Médicis. La Bifayeule maternelle de notre honorée NIere fut placée auprès de cette Prince&Te par le choix .d'Henry IV. dont elle avoit mérité la confiance par l'écl : de fes vertus , de dort: que Madame de Beauvais mérita dans la fuite Far fes bonnes manieres d'étre la favorite d'Anne d'Autriche , & d'zti oit i ne. part très-intime à !a cenfiancc de cette g,raiide Pi iucc{rc.

Dieu bénit le mariage de MIonrieur & de Ma&n'e de Beauvais ; notre tris-honorée Mere fut leur fep:iéme erfanl.. EI'r vint au monda à S)11..

m,ur; où étoit alors la Cour , le t 9. Fevricr r 65 z. fept he unes du

loir , elk fut baptifée le vingtième Sc nomni Radegonde.)

Dès qu'elle fut fevrée, Madame la Marc;uifede Richelieha four qui n'avoit point encore d'enfans, pria Madame fa mere de la lui donner , elle la garda jufqu'à l'âge de quatre ans. Ce fut alors que Madame de Beauvais la fit entrer à l'-Abbaye aux Bois 99 ,oit deux de Mefdames fes

fi les étoient déja Religieufes. •

. La premiere Maïtrefle qu'elle eut dans cette Abbaye , trouva.dans fon excellent naturel toutes les difpoftions né_efTTaires pour la former felon . Dieu , & felon les bienféances du monde. Dieu avoir doué Mademoifelle de Beauvais d'un efp& vif, folide & pénétrant. Ses Maitrefres _n'eurent

jamais la .peine de lar reprendre deux fois d'une même chôfe , &'dès l'âge de feptans, elle lifoit..eacrivoit très-bien. Sa prudence lui gagna l'ef}ime • & la confiance 'de-Madame de Chaulnes, Coadjutrice de cette Abbaye , 4iri fc fervoit de fa main pour écrire les Lettres ,. & qui la rendit la con-

dente.de les plus intimes fecrets.2.

k

.Mademoifelle:dc Beauvais- perdit dans ce tans-11 Madame- 1i MArquife

A

232 de Richelieu. Son coeur fut tris-fenfible â cette perte , elle l'avoit bon, tendre , généreux , & compatiffant. Dès-lors fa pieté, qui, comme la raifon avoit en elle prévenu les années , lui fit concevoir la vanité des grandeurs humaines & l'aveuglement de quelques Dames de la Cour clans les motifs de conlolation qu'elles voulôient donner 3 l'illu.ilre mourante , en lui repréfentant comme un adoucifl:ement à fes maux , dans ces derniers momens d'avoir l'honneur de mourir dans le Palais de nos Rois. •

Madame de Chaulnes extrêmement édifiéedes vertus naiffantes de Made-moi felle de Beauvais dans un âge fi tendre , la prépara 3 faire fa premiere Communion:ce fut alors que cette jeune Demoifelle redoubla fon attention à profiter des inflruaions de fes Maitrefles, & 3- faire paroître dans toute fa conduite une douceur & une patience à l'épreuve de tout; vertus qui lui furent bien néceffaires pour toute la fuite de fa vie ; elle en donna dès-lors de rands exemplés pour fon âge_dans toutes les occafions , mais fut-tôut à regard d'une de fes Maîtreffes , qui étant d'un naturel trestvif, avoit befoin de toute fa vertu pour en réprimer les faillies , encore quelquefois le naturel échapoit malgré la vertu. Ce font de ces im erfe~ions qui dans les vues de Dieu fervent â deux fins , & à humilier les unes 3 qui il les laifre,, â éprouver d'autres lu (les qui en effiiyent es incouvénieni. Cette Maîtrefre un peu vive , faifant un jour répéter la leçon du Catéchifine à Mademoifelle de Beauvais,& la croyant moins attentive qu'elle ne devoit l'être ,-voulut la faire approcher, & au lieu de lui prendre la main , lui prit un doigt, fans doute avec quelque violence , puifqu'elle le lui démit. Mademoifelle de Beauvais répandit quelques Iarmes , la douleur les lui arracha ; mais elle eut la prudence de cacher ,8t à Mademoifelle fafatur penfionnaire , & Mefdames fes leurs Religieufes cet accident dont la Maîtreffe fut au défefpoir , pendant que Mademoifelle de Beauvais n'eut point d'autre crainte, que la peur que fa main ne demeura difforme. Mais on la fit panfer à propos , & cet accident n'eut point de fuite ; elle fit fa premiere Communion entre onze & douze ans , avec une piété fi tendre , qu'elle fondit en larmes pendant toute la ales

Quelques moi après Madame fa mere la fit fortir , lui donna les habits les plus magnifiques & les plus convenables I fon rang , & eut le defrein de; lâ préfenter à la Reine Mere. Mademoifelle de Beauvais,fa leur ainée,at tachée 3 la vérité au fervice de cette grande Princeffe , mais douée d'un efprit de piété , & fur lequel les maximes de l'Evangile avoient fait pluscYimpreffion que celles du• monde , connoiffant les dangers de la Cour , ne

put s'empêcher d!- repréfentcr Madame fa mere que h beauté de fa leur' la faifoit trembler pour fon falut , dans un ajour où l'innocence court it-

fouvent les plus grands dangers._ Dieu-qui fe réfervoit.ce jeune coeur pour ' lui être offert, & pour en faire' tine Epoufe .de jéfus-Chritt , permit qui: Madame de Beauvais fe rendit 3.4des réflexions fi chrétiennes, & remit Ma-

demoifelle fa fille I l'Abbayes* Bois. - ` -y ,

Mademoifelle de Beauvais y irtntra avec ce courage . &- cette grandeur d, âme qui lui étoient naturels ; & fans témoigner aucun-chagrin de la- pri-~ vation des a juttemcns tnagnif ques pour . lefquels• clic fe fentoir un pen-

233

cbant,ordinaire aux perfonnes de ibn fexe, St fur tout I celles de fa niifr lance.

Elle ne relia qu'une année à l'Abbaye aux Bois. La Reine Mere mourut. Nladame de Beauvais fe retira de la Cour , reprit aupras d'elle Mademoifelle fa fille. Les magnificences de la Maifon de Madame fa mere , le grand monde qu'elle y recevoit , & les Partis honorables & optilen~s qui furent pr tfe:ntés I hladcmoifelle de Beauvais,n'altererent point en elle les fentimens de picté que Dieu avoir gravé en fon coeur , & n'y, éteignirent point le feu facré de fon amour. M. le Maréchal de Bellefonds9rechercha fon alliauce , elle eut le courage. de le refufer , fortifiée par l'exemple de Mademoifelle fa feeur aînée , qui dés le vivant de la Reine i\'t;.reavoit reec.'ncé au;; plus brilIans avantages , & qui dès le jour même de la mort de cette Princefre , entra pour vivre & mourir Religieufe, dans le Monaflere des filles de Sainte Marie de Chaillo ,2 Monaflere qu'elle a rempli de l'odeur de fes vertus , & où fa mémoire précicufe dl encore en vénération. Cet exemple ne fit pas peu d'impreffion fur celle que nous pleurons,& ne contribua pas peu â l'affermir dans la réfolution qu'elle avoir prife de fe confacrer entiérement . Dieu.

1'%lonfieur fon pere en fut pénétré de douleur; il la prit en particulier, & fit tout ce qu'il put pour la détourner de fon pieux defTein, en lui offrant même de lui faire delus grands avantages qu'à fes autres enfans. Mais rien ne fut capable de la Eire balancer un moment. Elle voyoit de tems en terns Mefdemoifelles d'Auneuil , qui poftoloient dans notre Maifon , & cL•i l'entrete noient fouvent de la haute vertu de notre Mere Inflitutrice , ( dont le nom Peul fait l'éloge ) & de l'Adoration Perpétuelle qu'elle venoitd'établir. Sa dévotion poor ce myflcrc d'amour la porta à choifir notre Monaflere, préférablement aux autres. Madame fa mere fut furprife de la préférence qu'elledonnoit â ce nouvel établiffement , ayant deux de Mefdames fes tantes â l'Abbaye de don: rnartre , & une permif ion de 11onfeigneur l'Archevêque' Pour faire .l;trer Maderno:relie fa fille dans plufieurs \lonafleres 94 pour la tenter p-ir la beauté des édihccs. Mais la réputation & la faictetéde notre Maifon , qui fe répandoir per :out , l'emporteront.

Monfieur fon yere & Madame fa mere fe rendirent 3 cet emprefrement dont les motifs etoient fi folides. Ce ne fut pas affez ; les grandes ames ne fe (auvent jamais feules. Mademoifelle de Beauvais avoit lailié une d: fes faeubs penfionnaire I l'Abbaye aux Bois ; cette foeur voulut fuivre un fi bel exemple , & embrafrer notre faint Inflitut. Les choies étant arrêtées , Mademoifelle de Beativais entra dans notre Maifon pour la voir : la fim-plicité& l'auflerité qui"y regnoit, ne fit que redoubler fon ardeur. Cc -jour émit un jeudy; Madame la Duchefre Doüairiere d'Orléanilqui venoit

fouvent au Salut , y émit ce jour-11. Mademoifelle de Beauvais fut un peu ébranlée par la crainte de retrouver dans la Religion cc qu'elle, venoit faerifier â Notre-Seigneur ; cette tentation dura peu. Notre Réverende ?'ber: Prieure Portant du Salut , mena notre illulre poftulante chez Madame la Comtefle de Chateeuvieux notre Fondatrice, c3ui depuis affez long-teins

A ij s'étoit retirée chez nous, tut y,vivoiescomme une de nos Seenrs.L'exemple de cette Darne calma le petit trouble qui s'étoit élevé dans fon ame; Mademoifelle de Beauvais Sortit très-édifiée des vertus de notre vénérable Mere ; & charmée de les manieres nobles &engageantes , prit jour avec elle & entra avec Mademoifelle fa leur la veille de l'Aifomption de l'année -I 6 6 7. Elle avoit pour lors i 5. ans & demi. Vous pouvez croire , mes

Révérendes Meres , la joye que reffentit notre Communauté , en voyant de fi précieufes vifimes , & dont la vocation paroiffoit fi marquée , s'immoler au Seigneur à la fleur de leur âge , & borique le monde employoit tous fes charmes pour les retenir. Mademoifelle de Beauvais eut pour ? 1aîtrei'.e des Novices la Révérende Mere de Saint Jofeph97Religteufe d'une vertu éminente , & très-capable de former une ame aux vertus de notre faint état , & de la conduire par des voyes fûres 3 la perfeEtion.

Mademoifelle de Beauvais fe porta d'elle-même â remplir avec ferveur

toutes les pratiques les plus humiliantes du Noviciat , & ne regarda jamais

rien de petit dans la Religion. Tout ei grand , difoit-elle , fervice du plus

grand de! 4u tres. Ses vertus parurent fi folides & fi prématurées, qu'on lui donna le flint Habit le vingt-uniéme de Novembre de la même année , jour de la l'ré(ent.ation de la Très-Sainte Vierge , dont elle porta le nom. La cérémonie. fe fit avec autant de pieté quede magnificence. Son air de modcflic & fi tendre dévotion toucheront les Aflians ,& elle dit à une perfonne de confiance que dès ce moment Dieu la combla de tant de graces , ~c la remplit d'un fi grand amour pour lui , que les choies les plus difficiles lui devinrent aifées.

Elle fuivit un peu trop fes premieres ferveurs , elle oublia fa délicateffe

natu relie , & pour s'être livrée â fon ardeur pour la pénitence , elle tomba dangoreufement malade d'une fiévre continue , avec des redoublernens , qui dès le troifiéme jour la mirenten danger de fa vie. Notre vénérable Mere & toute la Communauté en furent fenfiblement affligées. M. fon pere qui l'aicnoit tendrement , fut pénétré d'une vive douleur,& ne quitta point le Parioir tout le toms qu'elle fut en danger. Le vin émétique l'en tira ; fon heureux tempéramment , joint aux foins & aux attentions de toute notre Maifon la rétablit promptement. Elle rentra dans toutes les obfcrvances avec une ferveur nouvelle , mais plus mefurée, & dirigée entierement par l'obéïfTance , qui dès-lors fut une de fes vertus favorites.

Dieu permit alors que notre vénérable Mere fut obligée d'aller â l'Ab-

baye Royale de Nanci pour y établir notre faint Inflitut , & y remplir le pieux deffein de Madame la Duchelfe d'Orléans. Notre vénérable Mere obtint qu'on abolit le titre d'Abbeffedans nos Maifons , & qu'elles feroient miles fous la proteetion de la_ très-Sainte Vierge. La Révérende Mere-de de Saint jofeph la premiere Mattreffe de notre chere Sour de la- Préfentation,accompagna notre vénérable Mere,& fut choifie pour être Supérieure I Nanci. Le départ de ces deux feintes & illuftres perfonnes fut très-fenfi-

-ble à notre chere Soeur de la Préfentation ; ce fut pour elle une nouvelle

f

'matierede facrifice. Elle le fitavec une régnation héroique : la Mere de Saint jofeph en lui difant adieu , lui mit en main un Voil noir , comme un g,ge dia 6fir qu'elle avoit dt la voit Profefe

235

234

Le féjour d? notre digne Mere fut plus long qu'on ne l'avoit cru ,ce 9uù

retarda la réception de notre chere Sceurde la Préfentation , & ne diminua rien de fa ferveur. Enfin notre vénérable Mere- arriva-, afUembla le Cha..

pitre, & égalementempreflée de donner â notre chere Soeurde la Préfen_ ration des marques de fon affeaion & de celle qu'elle avoit pour notre chere Soeur des Anges , leur de notre illuflre Novice , elle fit procéder à leur réception. Toutes les voix fe d éclarerent en leur faveur, elles firent profeffion enfemble le fixisme Août z 6 69.

Notre chere Sceur de la Préfentation pénétrée des engagemens qui 11

lioient pour jamais à ]élus-Chrifi , ne fut plus occupée que du foin de les remplir. Dieu retira pour un Lems les graces fenfbles, & l'éprouva par de

grands fcrupules , elle Soutint ce tcms d'épreuve avec une fidelité incroya-

ble & une docilité exemplaire aux avis de notrevénérable Mere fi éclairée dans les voyes ae Dieu. Son exactitude pour l'obfervation des Regles,

qui dans la fuite a été fi grande, avoit été pouffée fi loin pendant le Noviciat, que les deux Saurs l'avoient fini fans :s'être jamais parlé que dans les tems marqués.

A peine fut-il fini , que la Mere de la Préfentation fut mifcdans les Char_ ges , & fa capacité â s'en acquitter dignement , donna lieu à la Communau;

té de tout efpérer d'un fujet Ci excellent. Elle a été tour â tour Maîtreffe

des penfionnaires , Tourriere , Infirmiere ; par tout fa prudence , fa dou- ceur, fon a&ivité ont paru avec éclat & édification ; fa charité pour les

malades étoit infatigable. Vivement perfuadée (;:1'clle fervoit Téfus..

Chrift mime en leur perfonne , elle leur rendoit ar ec joye les fervices les plus bas; elle ne craignit pas même d'expofer fa vie dans fa grande jeunefle

en s'enfermant avec une de nosMeres qui avoit la petite vérole : mais notre digne Mere en étant avertie, l'en fit fortir. Sa d él icatcffc ne lui fembla jamais un obflacle aux offices les plus laborieux, comme celui du linge & de la Koberie, fi exaéle ceeconome de tous fesmomens qu'elle faifoit une robe par jour , & cela fans perdre aucune obrervancc.

Cette régularité à fe trouver à tous les Offices du jour &de la nuit , ne fut point interrompue dans la Charge de Sacrifline , où elle ne fe diflin-

gua,pasmoins par fa propreté & fon attention que par fon zéle , & l'efpric

de priere qui 1 a toûjours animée. Tant de vertus engagerent notre Mere Inflitutrice â céder 3 l'empreffement que marqua pour lors la Mere de Beau-

vais peur s'aller confacrer au nouvel établiffement que la Reine de Po-

logne défiroit faire dans fon Royaume , où elle vouloit fonder l'Adoration perpétuelle du Très-Saint Sacrement. La réfolution de notre chere Mere de la Préfentation allarma toute fa famille ; des obflacles innombra-

bles traverferent fon pieux deifein. Monfeigneur l'Archevêque accorda 1 Meflieurs fes parens le refus de fon obédience ; la Mere de Beauvais. tomba elle-même dangereufement malade , & reçut tous fes Sacremens. Lorfqu'elle futguérie , ra famille redoubla fes efforts pour l'empêcher de partir ; en faifant voir par l'atteftation des Médecins l'impoflibilité où elle étoit de faire un voyage pour lequel il falloit fe mettre en mer.

Notre chere Mere de la Préfcntation fc trouva un peu ébranlée. Elle

Aij avoit encore la fievre ; elle craignit d'être homicide d'elle-mare , St n'ofs partir fans confulter un habile Dircaeûr qui l'encouragea , & l'aflura même que quand elle _mourroit en mettant le pied dans le vaiffeau , Dieu lui

tiendroit compte de fon intention,& récompenferoit une oeuvre entreprifé pour fa feule gloire. Cettedécifion la fortifia , elle partit avec la petite

troupe deflinee pour cet établifrement,& arriva le a. 4. d'Août T 6 8 7.chez nosMeres de Roiien,où la Révérende Mere desAnges fa fŒur étoit allée dis le commencement de cet établiffement : elle y demeura huit jours , atten- dant que le vaiffeau fut prêt pour l'embarquement.

Lori-que tout fut prêt , elle quitta fa chere fceur , réparation qui lui fut bien fenfible , mais â laquelle elle fe fournit avec le mime courage qu'elle

avoit fait éclater dans les autres facrifices. Elle fouffrit beaucoup dans le

commencement du voyage ; car on fut quinze jours fur la riviere pour arriver au Havre. Dieu cependant permit qu'elle trouva la fanté au même

lieu où elle avoit appréhendée de trouver la mort; ainfi fa providence fait-elle tourner tout , bien en faveur de ceux. qu'elle aime & qui s'abandonnent â fa conduite.

- Enfin le vaiffeau entra en pleine mer. Le voyage fut affez heureux malgré les tempêtes , on débarqua à Dantzick le huit OEtobre ; de Dantzick notre chere Mere avec fa petite troupe:ferendit 3 Varfovie, lien deviné I l'établiffernent des Filles de l'Adoration-perpétuelle.-

Notre chere Mere de la Préfentation eutbefoin de toute fa capacité pour cet érabliffement & pour le maintien de la clôture ; car en attendant qu'on

eut une place pour bâtir un Monafiere , on fe fervit de trois appartemens

qui tenoient à celui de Sa Majefié. La Reine elle-même en avoit fait-la deftination. La clôture y fut mife en très-peu de teins, excepté du côté de la.

Reine qui fut charmécd'y trouver la régularité établie en fix femaines ;

de maniere que l'onût commencer l'Adoration pérpétuelle- le premier jour de l'an,t 6884tx moisaprès,lelieu defliné par ,la Reine pour l'éta-

bliffement. Etant en état de recevoir-les Religieufes, elles s'y tranfporte-

rent, & pour que l'Adoration perpétuelle ne fut point interrompue , no-. -trechere Mere de la Préfentation infpira a la Reine de faire porter le Très-

Saint Sacrement en proceilion dans le nouveau Monaflere. Ce fut le Cardinal Nonce qui porta le Très-Saint Sacrement , précédé d'un nombreux -Clergé, & fuivi de leurs Majeflés , de toutes les Religieufes, & de toute la Cour. Cette Proceflion fe fitavectoute la pompe & toute la magnificence comme â la Fête du Très-SaintSacrement.

Cr fut alors que la Mere de Beauvais fut chargée de l'Office de Dépolitdie,. Charge où fa confiance -fut mile I de rudes épreuves :.il n'y -avoit

arfonelami reyenusa{£gnés, tanti pour le bâtiment que pour l'entretien

deirConxnunatrté ria Reine offroitspew,. Toit que- Sa : Majeflç ne fut pas .eno ce-temi-l3 en état d'offrir d'avantage, -foit qu'elle crut ce qu'elle offroit

(naifant; n'étant point accoutuméeaua ufages de •France. Notre tris-honortEc Meretie la Préfentation pénétrée de la plus vive douleur, fe préfenta à Dieu pour être la victime d'une œuvre qui paroifToit fur, le panchant de.fe.ruinr. Le Seigneur quine frappe que pour guérir , écouta fes veux

237

236

& lz Xeine attgmenta fes dons. Les cbofes prirent une Meilleure Face; dis-lors on ne penfa plus qu'a faire une éleCtion canonique. Notre there Mue de la Préféntation fut éluë d'une voix unanime. .

Monfeigneur i'Evêque de Pofnanie quiavoit préfidé 3 cette éleélion', pour lui en marquer la joye, lui accorda & à toute la Communauté quarante jours d'Indulgence , & fe chargea du foin d'en avertir lui-même Sa Zvlaje té. Dés que.la retraite du Prélat eut laifré le Choeur libre , la Ithé:. rende Mere Prieure fe profterna & écrivit fade où vous fcsavez, mes Révérendes Mures, que nous reconnoiffons la Très-Sainte Vierge pour notre Abbeffe ; on le préfenta à ligner au Roy & z la Reine qui voulurent bien 'en l'honorant de leur feing , s'engager â n'y jamais nommer d'Abbeffe. .

Cc premier devoir rempli, elle f t les Of icieres, & rangea la Maifon fi

P

arfaitement qu'il fcmblit qu'elle eut trente ans d'établiffement.

La fermeté de notre honorée Mere de la Préfentation pour le maintien de la clôture éclata dès ces commencemens, dans une occafion aÆez critique, & où une vertu moins épurée,auroit peut-être échoué. Le Pere de la Reine de Pologne fe fit annoncer pour entrer dans notre , Monaflere;. comme il étoit fans la Reine, notrechere Mere de la Préfentation ne fit aucune dif, ficulté de lui repréfenter avec modeflie qu'elle éroit mortifiée de ne pou., voir lui accorder ceu'il demandoit , qu'elle n'étoit pas maîtr elle ; d'ou, vrir les portes du Monaflere, que cela étoit réfervé â la préferice de la Reine. Ce difcours eut tout l'effet qu'on en pouvoit efpérer , & la Reine admira cette fermeté religieufe. Les autre:• vertus de notre honorée Mere

n'éclaterent pas moins. -

Sa régularité , fa douceur ; ibn accés noble & facile lui gagnerent tous let cours. Elle eut la confolatioi, dans fon triennal de recevoir les vaux de douze ex:ellens fu jets , qu'elle forma & rendit capables de bien fer. vir L Religion,, & qui lui furent d'une grande confo:ation, quand quelques rems après les Supérieures eurent befoin en France de notre honorée Mere de. la Préfentation , & la rappe:!erentavec les autres Rcl rgieufes de notrcMaip fon qui I'a% oient accompagnée. .

Cette féparation couva bien des larmes de part &d autre , & donna lieu:,

degrauds facrifices. Le Roy de Polognc_eut bien de. la peine â ligner le Paieport,& dit_obligeammen t:j'aurois voulu ne f avoir pas écrire. Elles revin-r rcnt par terre , & eurent de grandes fatigues à efuyez ; laconflancede notre. honorée Mere de la Préfentation,& fon amour pour la retraite ne fe démen- tirent jamais. M. le Baron de Beauvais ton frere obtint de Monfeigneur. de, Harlay , Archevêque de.Paris,la permilfion de la garder fix femarnes ; ellq; ne put confentir 3 reiér fi long• teins hors.:"die notre Maifon. Le Roy. ayant., appris fon retour voulut qu'elle vint voir fit-le. Cl?a-reau diaRoy de Poly. logne étoit auffi-beâü que celûï deVerfailles, & donna ordrea Monûeut., Bontems de.faire jouer toutes les eaux, $tc. Monfeigneur le Duc, d'Orléans, frere du Roi ;voulut au1lï' qu'ellç vint I S..,Coud ,, & ce Prince ft 1 hontreut.de.laconduire lui-mémé artout. Çe fut.alors qu'elle refufz, conftamment une Abbaye que la bonte du Roi lu fit offrir , malgeé 1n0G rtmpreffement que Monf eur'fon frere avoir qu'elle 1 accepta.

. Rien ne fut capable d'altérer clans cette grande ame reprit de priere , de régularité, de folitude , & de dévotion qui l'accompagnerent par tout. Son cœur ctoit le temple intérieur , où elle offroit au divin Epoux l'encens des plus purs facrifices, & tout enfemble l'autel & la --viétime fans celte immolée & fans ccffè renaiffante pourde nouveaux holocaufles,• qui montoient fans doute. en odeur -de fuavité jufqu'au- trône de l'im-

mortel. -

. Son retour dans notre I1lzifon caufa une joye fenfible â. notre vénérable Mere & à toute notre Communauté ; elle fut ravie même de fe retoou- ver fous le joug de l'obé- ffance. Elle regarda toujours Dieu dans la perfonne de fes Supérieures ; & quoi qu'elle ait occupée la place de Prieure,t place fi itnpor-tante & Ii difficile, pendant plus de douze années , en diffe-

rens tems , & en différentes 11/4,1aifons , fon exaétitude pour cette

vertu n'en a paru que plus grande. -

Ses aimables qualités ne l'ont point exempté des croix attachées â cette Charge, & c'en -13 où fa "patience a fon humilité, & fa douceur ont pa- ru avec le plus d'éclat. Jamais elle ne murmura contre celles qui la faifoient fouffrir ,-au contraire elle n'en parloit qu'en bien. File adoroit les del feins de Dieu qui l'a toûjours conduite par une voye-de croix ,aufqueiie elle âjoûtoit de grandes auflérieoui lui ont , foutient caufée de grandes

maladies. i ,

Son amour pour la priere & pour la régularité l'a porté a mener une vie cachée en Jéfus-Ch'rift, pour être•tout a. lui ; elle s'éloignoic autant

qu'elle-le pouvoit des féculiers & des parloirs. .

Notre honorée Mere.de la ..Préfentation s'efl fourcnuë jufqu'à ra 'Mort dans l'exercice de fa ferveur , malgré fon grinJ âge & l'extrêmefouffrance. d'un rhumatifriie goutrux,yui l'emii choit les dernieres années de fa vie de defccndre au Chœur ; fa dévotion iii-avoit fait prendre le :foin d'une Chãpelle qui donnoit fur notre Eglife ÿ:& d'où elle pouvoit voit le Tris-Saint Sacrement, 'elle y • pafoit plufieurs heures chaque jour. C'étoit-lIqu'elle fd tlêd'ommage de-ne potivôir-faire la Communauté , & qu'elle. rendoit de continuellesgtions de graçesI Dieu de l'avoir appellée a uù

matât' fi- fâint: ` .. - -

5i'fideiité aux Comniunions'de"regle ébaloit les aûtrës"vértus , elle avôit• isfi attrait particulier pôur'remercier Jéfus-Chrifl toits Tes Jeudis de. l'Inf-. ititution *de l'adorable Sâércrtient dé nos Aûtels,& tout lë jour du Véiidredi -

elle-le fuivoit dans tous les lieûx_ a arrofé ,de fon fang pour- lé falut.

Y

du~genre liumain.;'rien`n'étoit plus tendre;qûe fa..dcv.otion _pour la Tris-.7... Sbii7tè Vierge ; rien-.dé'.pkus firriple ôt de.plus,fquiriis giie: fon.refped & for>' otéi' fana- auxtlécifidnsire

l'F g,P ' •~. '. fi,i. çe~r,~ .'. e

-raonde pour le Ciiidës pieu j.a P. v l" ~é•. 4 nMc.;ri. -i-.-iür

o.ltei.`

LhzndellGr de fon

'Qnelle exaEtitu.den pas'ttôrcre dans lâChargedCcleriere,

dC: •

qtkel2tfag,effe ointe â un gran, difcèrnementdes -cfprits dans celle de Mai-;

~ ! ' i ' : ~ : a~ ~ . . • . . . -

fre$~e =des Novices, qu elle reniplit.dé~u~s fon,retour dePologtt . , .~

~~~àinfede Dieu vrve &filiatt~; clloltice de coeur envers -rui,*teotion •

côtitiàttclr*d

238 239

continuelle fa préfente, probité fans fane, défintereffcrhett épuré en. vers les hommes, charité o :icieufe & compâtif ante, humilité qui la por. toit â rendre â chacun plus d'honniu r qu'on en pouvoit exiger.

Amour pour la pauvreté religieufc qu'elle pouffoit quelquefois jufqu'1 de faints excès , vie unie , où pratiquant a la lettre la maxime de faint Jé. rôme , clic faifoit les choies les plus communes d'une façon non eommu. ne ; confiance inébranlable dans les facrifices les plus délicats , & où la nature a le plus de peine à ne pas du moins fe plaindre.

Voila un abr:gé des fentimens & des actions de notre très-honorée Mere de Beauvais , dite de la Présentation. Quelques tenu avant que Dieu nous l'cnlevât,clle ne penloit plus qu'a fe préparer 1 la mort ; & fortement pi-récrée des jtugemens de Dieu , fa vie n'étoit plus qu'un gémiffement pour implorer fa Iniféricor-'e. Un secret pldl-en:iment lui fit dire à une perfonne de confiance qu'elle ne croyoit pas paffer l'année i 7 34. En effet après un Carême que fa ferveur lui fit entreprendre malgré l'ordre de M. notre Médecin , elle eut une attaque imparfaite de paralyfie , qui par les prompts remédes qu'on lui do.ina n'eut aucune fuite, nous eûmes même lieu d'efpérer fon entier rétabliffement.

Mais le dixiéme de Juillet elle fit encore urt effort pour fe rendre au Confeffionnal dans l'efpérancede communier le lendemain , jour de notre BienheureuxPere Saint Benoît ; nous qumes la douleur de la ramener prefque mourante,& fur -les huit heures du loir elle fut frappée tout d'un coup d'une paralyfie fur la langue , & fui. la moitié du corps , fans perdre cependant connoifTance.

Notre Révérende Mere & les InfiÏ mi res ne perdirent pas un moment , on l'a feigna , & on lui donna l'émétique ; mais quelques foins-que Mon. fleur notre Médecin ait pris d'elle pendant quatre mois , tous les remédes n'ont pu lui rendre !a parole. La fièvre fur-.'int , elle reçut les Sacremrns de l'Eglifeavec une foi & une piété qui s'exprirroic nt par les figne qu'elle failoit ; le Sacré Nom de Jéfus éroit la feule parole qu'c lle pouvoit pronon.er, elle le répétoit fans ceffe , & comme elle conferva toujours fa préfence d'efprit ordinaire, elle avoir le boi-h;:ur oie dix en dix jours da recevoir le Corps Adorable du Sauveur dans l'huchariilie.

Sa tranquilité , fa patience , fa mortification , fon humilité , fa douceur, en un mot toutes les vertus quiavoient brillé en elle pendant tout le cours

de fa vie , répandirent un nouvel éclat pendant les derniers mois que Dieu lui laiffoit encore pour nous édifier & rendre fa vi time plus digne de-lui.

En effet ellea foutenu cette longue & cruelle maladie avec une fournil-fion & une patience héroïque , fans témoig-ner aucun chagrin , ni aucune-

répugnznce pour toutes fortes de rernédes , & la tranquilité de fon ame a toujours été peinte fur fon vifage , même dans les plus vives dou- leurs.

La fiévre redoubla le 2,7. Oetobre,& fut accompagnée d'une enflûre générale , qui la mit à l'extrémité. Son courage & fa foi fe ranimerent dans te cruel-af faut , & enfin après quinze jours de redoubletnens de la. fi év,re

elle rendit fon anse épurée par les fouffranees â fon Créateur fur les fepk

heurts du loir , le Novembre t 7 3 4. âgée de quatre-vingt-trois ans 8&

demi , regretée de toute notre Communauté , qui aura toujours fa me-noire en benedi&ion.

Mais quoique nous ayons tout lieu d'ef périr les plus grandes miféricordes de Dieu fur cette ame choifie ; nous vous demandons avec ini}ance , mes Kévérendes Niel-es-8c très-.theres Soeurs , la grace d'av:ncer fon bonheur , par les fuffrages ordinaires d: notre faint Inflitut.

Nous avons l'i.onneur d'être très-refpetueufement.

MES RE'VE'RENDES hlE-RES, ti '7 :RES-GHERES SOEVRS,

De notre premier ,denafitrs cis Pens, Vos très-humbles & tris-obiaantes Servantes, lis Religieufes Bénédit&ines de !'Adoration!

rerpétuelle dus T. S. Sur :aient.

240 241

89. Anne, Jeanne-Baptiste de Beauvais, fille de Catherine Henriette Bellier et de Pierre de Beauvais, était la filleule de la reine et de Gaston d'Orléans, frère du roi Louis XIII. Elle épousa le marquis de Richelieu dont elle eut un fils, Armand-Jean du Plessis, général des galères et petit-neveu du cardinal de Richelieu par les femmes. Elle fut la grand-mère du célèbre maréchal de Richelieu (1696-1788).

90. Abbaye de religieuses cisterciennes fondée près de Noyon (Oise), en 1202, par Jean de Nesle. Chassées par les guerres, les moniales se retirèrent à Paris en 1564. A l'actuel n° 16 de la rue de Sèvres, à Paris, les annonciades, fondées par sainte Jeanne de France, avaient entrepris la construction d'un couvent qui se révéla vite trop grand pour elles. Elles le vendirent aux cisterciennes en 1652. Le monastère reprit alors le nom d'Abbaye-aux-Bois. Après la Révolution, les religieuses louèrent une partie des bâtiments à des personnes de grand renom dans le monde des lettres : Lamartine, Victor Hugo, Chateaubriand.

Dans la partie donnant rue de La Chaise, les chanoinesses de Notre-Dame, fondées par saint Pierre Fourier, poursuivent toujours leur oeuvre d'enseignantes. Elles conservent, dans leur église, la statue de Notre-Dame-de-Toute-Aide, bénite par saint François de Sales.

91. Bernardin Gigault, marquis de Bellefonds, né en 1630, général et diplomate, servit en Catalogne (1650-1654), en Flandre (1657), et fut nommé maréchal de France en 1668, ambassadeur à Madrid (1665) et à Londres (1673), il mourut à Vincennes en 1694.

92. Le premier monastère de la Visitation Sainte-Marie avait été fondé à Paris par sainte Jeanne de Chantal elle-même en 1619.

En 1651, Henriette de France, fille de Henri IV et femme de Charles I", roi d'Angleterre, fonda un autre monastère de la Visitation sur la colline de Chaillot à Paris. Épuisée par les luttes politiques et religieuses, la reine d'Angleterre s'était réfugiée en France en 1644. Elle vivait la plus grande partie de l'année dans un logement contigu au monastère et comme une vraie religieuse. Elle mourut le 10 septembre 1669 dans son château de Colombes. En 1685, la supérieure de la maison était la mère Marie-Louise Croiset. C'est à elle que sainte Marguerite Marie s'adressa pour faire parvenir à Louis XIV, par l'intermédiaire du père de La Chaise, (16241709), les demandes du Sacré-Coeur concernant la France. Louis XIV n'en fit aucun cas ; ses relations avec le Saint-Siège étaient tendues à l'époque, et le monarque trop orgueilleux pour demander un privilège au pape. En tout cas, le monastère de Chaillot resta un haut lieu de culte fervent au Sacré-Coeur de Jésus.

Ce couvent était situé à peu près à l'emplacement de l'actuel palais de Chaillot.

93. L'abbaye de Montmartre fut fondée en 1 134 par Louis le Gros. Au XVI' siècle, l'abbaye, par suite des guerres, était tombée en pleine décadence. Mais, à la fin de ce même siècle, une jeune abbesse, Marie de Beauvillier, allait entreprendre une réforme qui dépassera de beaucoup le cadre de son abbaye. Elle était entrée à Montmartre le 7 février 1598. A sa mort, le 22 avril 1657, elle avait reçu à la profession deux cents religieuses et formé plusieurs sujets d'élite qui portèrent la réforme, chacune selon son propre idéal, au Val-de-Grâce, à Montargis et en d'autres monastères. La mère de Blémur appelle Montmartre « l'académie des saintes ». Mère Mec-tilde y séjourna en 1641 et garda toute sa vie des relations suivies avec l'abbesse et quelques moniales. L'abbé Bertot, qui fut confesseur à Montmartre, était aussi un familier de la rue Cassette. Nos archives ont conservé plusieurs lettres de mère Mec-tilde adressées à cette abbaye. (Cf. Dom Y. Chaussy, Les Bénédictines et la réforme catholique en France au XVIIe siècle, éd. de la Source, 1975, et lettre de la mère Catherine de Jésus du 24 octobre 1701, publiée au chapitre précédent).

94. Hardouin de Beaumont de Péréfixe, archevêque de Paris (1664-1671). D'abord évêque de Rodez, Hardouin de Péréfixe de Beaumont fut un homme de cour, mais

non un courtisan, choisi par Louis XIV. Depuis 1654, il faisait partie de l'Académie française. Il avait cinquante-sept ans lorsqu'il devint archevêque de Paris. C'était un homme droit, généreux et un bon administrateur. Sous son gouvernement, l'Église de Paris connut des heures brillantes ; c'était l'époque des premiers sermons de Bossuet, mais aussi de luttes pénibles. Après avoir condamné les théories jansénistes, Rome demanda l'adhésion des prélats français. L'archevêque de Paris allait se trouver au coeur des combats ; avec les religieuses de Port-Royal qu'il fit disperser par la police, avec quelques-uns de ses collègues dans l'épiscopat, surtout l'évêque d'Alet, Nicolas Pavillon. L'avènement du cardinal Rospigliosi, devenu pape sous le nom de Clément IX, apaisa la querelle, et ce fut la « paix de l'Église », en 1668. Les dernières années de Mgr Péréfixe furent moins mouvementées. (Cf. J. Rupp, L'histoire de l'Église de Paris, R. Laffont, 1948).

95. Marguerite de Lorraine, soeur du duc Charles IV, naquit le 22 juillet 1613. Elle était la cinquième enfant de François de Vaudémont, frère du duc Henri II de Lorraine, et de Catherine de Salm. Confiée dès son enfance à sa tante Catherine, abbesse de Remiremont, qui en fit sa coadjutrice dès 1609, elle fut initiée par elle à l'esprit de la Contre-Réforme.

Elle épousa secrètement, en 1632, Gaston d'Orléans, frère de Louis XIII. Obligée à fuir en Belgique la colère du roi de France, elle y demeura jusqu'au 26 mai 1643.

En 1651, elle rencontra mère Mectilde, qui comprit la grandeur d'âme de la duchesse et ses souffrances intimes. La princesse demeurait au palais du Luxembourg, proche de la rue Cassette.

Elle hérita l'abbaye Notre-Dame de Consolation, fondée par Catherine de Lorraine, et en prépara l'agrégation à notre institut. La première exposition du Saint Sacrement eut lieu le 13 avril 1669.

Après la mort de Gaston d'Orléans (1660), Marguerite se retira à Blois, où elle mourut le 3 avril 1672.

Nos archives ont conservé 112 lettres de mère Mectilde à cette princesse. Elles ont été publiées dans : Catherine de Bar, Lettres inédites, Rouen, 1976.

96. Marie de la Guesle, dame de la Chaux, était la fille de Jean de la Guesle, baron de Nesle, et de Marguerite de Béraut. Le 26 avril 1628, elle épousa René de Vienne, comte de Châteauvieux, vicomte de Confolens, sieur de Vauvillers, Demangevelle, Clervans, fils de Marc de Vienne et de Marie de Châteauvieux. Deux enfants naquirent de ce mariage : René II de Vienne, vicomte de Confolens, mort jeune, et Françoise, décédée en juillet 1669. Elle avait épousé le 25 novembre 1649, Charles, duc de la Vieuville.

La comtesse de Châteauvieux connut mère Mectilde en 1651, s'attacha à elle et fut la fondatrice la plus généreuse de notre institut. Elle passait de longues heures au monastère et, devenue veuve en 1662, elle demanda a y être reçue comme religieuse. Elle mourut, rue Cassette, le jeudi 8 mars 1674, après la messe, d'une « attaque d'apoplexie » entre les bras de mère Mectilde.

L'hôtel de Châteauvieux situé rue Saint-André-des-Arts, à Paris, existe encore. (Cf. C. de Bar, Documents historiques, Rouen, 1973, et documents aimablement communiqués par le baron de Vienne).

97. Anne-Charlotte, fille de Hugues de Montigny-Laval et de Michèle de Péricard, qui s'étaient mariés le ter octobre 1617. ils eurent six enfants, dont François, premier évêque de Québec et que l'Église vient de béatifier (22 juin 1980), et Anne, née vers la fin de 1619. Arrivée à l'abbaye Saint-Nicolas de Verneuil (Eure), à l'âge de huit ans, pour y être élevée, elle prit l'habit le 23 juillet 1634, à quatorze ans et demi. Mgr de Péricard, évêque d'Evreux, son cousin, lui fit faire profession le 27 décembre 1635. Après de nombreuses difficultés et bien qu'on lui eût confié des charges importantes, elle restait tourmentée... et quitta l'abbaye aprés le 9 septembre 1650. Elle

242

connut mère Mectilde, peut être par son frère l'évêque, très lié avec Jean de Bernières et Henri-Marie Boudon, grand archidiacre d'Evreux, et elle rejoignit le jeune institut en 1654. Après un long et fécond priorat à Nancy, elle mourut en 1685. (Cf. C. de Bar, Lettres inédites, Rouen, 1976, et C. de Bar, Le Message eucharistique de mère Mectilde du Saint Sacrement, Téqui, Paris, 1980).

98. Pierre, baron de Beauvais, avait eu huit enfants de son mariage avec Catherine-Henriette Bellier. Nous savons que le fils aîné, Louis, eut Louis XIII pour parrain. A la mort de son père, le 15 février 1674, il hérita du titre et devint le chef de la famille.

99. Philippe I", duc d'Orléans, frère unique de Louis XIV (1640-1701). Il épousa, en 1661, Henriette d'Angleterre, fille de la reine Henriette de France, qui fonda le monastère de la Visitation de Chaillot, et, en seconde noces, en 1671, Charlotte-Elisabeth de Bavière.

VI FONDATION DU MONASTÈRE DE ROME 1702-1708

La reine de Pologne a exprimé le désir que soit fondé dans cette ville (Rome) un monastère de moniales bénédictines réformées, qui ont pour but spécial l'adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement ; et ce projet ayant trouvé un bienveillant accueil auprès du souverain pontife, qui ne demande pas mieux que de favoriser ce pieux désir aussitôt que Sa Béatitude (le souverain pontife) en aura la possibilité et que le permettront les circonstances, Sa Majesté (la reine) a songé à donner par anticipation un commencement de réalisation à l'oeuvre. C'est pourquoi elle a supplié qu'on permette de faire venir à ses propres frais de Paris quelques moniales, qui seront accueillies ici, dans un monastère de Sa Majesté (la reine) jusqu'à ce que soit assurée la fondation. Sa Béatitude donc, condescendant encore sur ce point aux désirs de la reine, me demande de suggérer à Votre Seigneurie illustrissime de vouloir bien faire en sorte que soit facilité le départ des dites religieuses. Et à cette fin veuillez vous entendre avec M. le cardinal archevêque de manière que tout se fasse avec les égards voulus, et particulièrement avec le consentement des dites moniales et du monastère où elles sont à présent. Mettez-vous aussi d'accord sur la façon d'assurer le voyage des mères Saint Placide du Très Saint Sacrement et sainte Scolastique de Jésus avec deux converses, les soeurs Sainte Marthe et Saint Joseph, ainsi qu'un prêtre à désigner par l'ordinaire, outre les deux servantes et un serviteur. Et pour que les susdites moniales puissent voyager en toute sécurité et décence, la Sainteté de notre Seigneur (le pape) désire et approuve que leur voyage à Rome soit confié à la prudence de l'abbé Bachelier, prêtre, doyen du chapitre de Reims, docteur en Sorbonne.

Que Votre Seigneurie illustrissime veuille bien se conformer à la teneur de cette lettre. Et, ceci fait, je termine en vous baisant les mains.

ROME, 21 MARS 1702.


Puisque M. l'abbé Bachelier doit venir ici pour accompagner les moniales d'un institut de l'Adoration qu'on fait venir pour se conformer au pieux désir exprimé par la reine de Pologne, selon ce qui a été écrit à Votre Seigneurie illustrissime dans la lettre du 21 mars, et étant donné que celui-ci est doyen du Chapitre de Reims, Votre Seigneurie illustrissime devra faire en sorte qu'il ne soit pas lésé dans ses distributions (cachets de présence), mais qu'il soit considéré comme présent tout le temps du voyage ; telle est la pensée de notre Seigneur (du Saint-Père) que je signifie à Votre Seigneurie illustrissime. Et je m'arrête en vous baisant les mains.

ROME, 9 MAI 1702

Copie d'une lettre adressée au Nonce en poste à Paris, Mgr le cardinal Paulucci99b;s. Cette pièce est conservée aux archives du monastère de Rouen. Pièce originale en italien, 2C.

Permission du cardinal de Noailles en date du 18 août 1702 pour le départ à Rome de six religieuses de Saint-Louis au Marais.

99 bis. Fabrice Paolucci ou Paulucci, né à Forli en 1651, cardinal en 1698, fut choisi par Clément XI comme premier ministre et secrétaire d'État, charge qu'il conserva jusqu'à l'avènement d'Innocent XIII en 1721. Il mourut en 1726.

Il avait été évêque d'Imola, suffragant de Bologne (Cf. Dom Martène, Histoire de la congrégation de Saint-Maur, éd. Dom Charvin, t. VII, Ligugé, Paris, 1937).

— Philippe Antoine Gualtieri, né à Fermo le 24 mars 1660, nonce en France le 27 mars 1700 (il n'y arriva qu'en 1701 et eut sa première audience le 4 août 1702). Archevêque titulaire d'Athènes le 30 mars 1700 et sacré à Avignon (où il était vice légat depuis 1696). Evêque d'Imola le 21 novembre 1701, tout en restant à la nonciature de Paris (mais ces cumuls étaient fréquents à l'époque), crée cardinal le 17 mai 1706, reçut la barette des mains de Louis XIV le 4 août et quitta la France le 9 septembre 1706. Il fut titulaire de Saint-Chrysogone, Sainte-Cécile et SaintePraxède, et il mourut à Rome en son palais sur le Corso le 21 avril 1728, âgé de 68 ans et 27 jours.

247

Louis Antoine de Noailles100, par la permission divine, cardinal prêtre de la sainte Église romaine du titre de Sainte-Marie sur la Minerve, archevêque de Paris, duc de Saint-Cloud, pair de France, commandeur de l'ordre du Saint-Esprit, à nos chères filles en Notre Seigneur ; soeurs, de Jésus Petigot, Scholastique de Jésus, de la Conception, de l'Assomption, religieuses de choeur, professes de l'ordre de saint Benoît du monastère du Saint Sacrement, rue Saint-Louis-au-Marais, à Paris, et soeurs de saint Joseph et Marthe, religieuses converses, professes du même monastère101 salut et bénédiction. Notre Saint-Père le pape, désirant fonder en la ville de Rome un monastère de votre institut de l'Adoration perpétuelle du très Saint Sacrement, et à cet effet nous ayant demandé six religieuses de notre diocèse du même institut pour commencer cet établissement, nous vous permettons de vous transporter en la dite ville de Rome pour vous y conformer aux intentions de Sa Sainteté.

Donné à Paris, le dix-huitième jour d'aoust mil sept cent deux.

+ Louis Antoine cardinal de Noailles archevêque de Paris.

Par Son Éminence (signé) CHEVALIER.

Arch. Nat. L 1076, 2e liasse, n° 15

100. Louis Antoine de Noailles naquit le 27 mai 1651 au château de Peynières, près de Brive (Cantal). I1 fut condisciple de Fénelon au collège du Plessis, et ses études furent couronnées par la licence et le doctorat en Sorbonne le 14 mars 1676. Évêque de Cahors à 28 ans. son sacre eut lieu à Paris et revêtit un éclat exceptionnel. Sacré par l'archevêque de Harlay, il était entouré de 20 évêques. Il eut à peine le temps de se rendre à Cahors qu'il fut nommé à Châlons-sur-Marne le 21 mars 1680.

A la mort de Mgr de Harlay, le roi fit nommer M. de Noailles à Paris à l'instigation de Mme de Maintenon (août 1695). Innocent XII le créa cardinal le 21 juin 1700 avec le titre de Sainte-Marie de la Minerve.

C'était un prélat pieux, mais un doux obstiné. Son épiscopat à Paris ne comporte aucun fait qui retienne spécialement l'attention. Il fut généreux pour les pauvres, créa des conférences d'instruction religieuse, entretint et embellit à ses frais sa cathédrale et la demeure épiscopale.

11 s'est surtout fait remarquer dans la querelle janséniste, mettant en cause autant Rome que la Cour de France, s'opposant longtemps aux bulles pontificales mais détruisant totalement l'abbaye de Port-Royal-des-Champs. Son caractère, à la fois indécis et entêté, l'entraîna à des outrances graves et très dommageables pour la paix de l'Église en France. Il mourut le I 1 octobre 1728, ayant enfin accepté officiellement la bulle Unigenitus et réconcilié avec le pape. (Cf. Catholicisme et Mgr Jean Rupp, Histoire de l'Église de Paris, R. Laffont, 1948).

101. L'Église (Marguerite, de), Soeur Scholastique de Jésus. Profession le 27.10.1680 au monastère de Saint Louis au Marais, en présence de mère Mectilde. Moussy (Michèle, Hélène, de), Soeur M. Michel de la Conception. Profession le 30.6.1685 au monastère de Saint-Louis au Marais.

Tocquigny Charlotte — Soeur M. Geneviève de l'Assomption. Profession le 15 mai 1690 au monastère de Saint-Louis-au-Marais.

Boutry Barbe — Soeur M. de Sainte Marthe. Profession le 8 juin 1688 au monastère de Saint-Louis-au-Marais.

Nous, humble prieure, sous-prieure et discrètes religieuses de l'ordre de notre bienheureux père saint Benoît, dites de l'Adoration perpétuelle du très Saint Sacrement de l'autel, établies à Paris, rue Saint-Louis aux marais du Temple. Pour perpétuelle mémoire de la chose. Ayant été informées que la Sérénissime princesse Marie-Casimire, reine douairière de Pologne, désirant procurer un établissement de notre institut de l'Adoration perpétuelle du très Saint Sacrement de l'autel en la ville de Rome, et qu'après en avoir communiqué avec notre très Saint-Père Clément XI ; Pape à présent régnant, Sa Sainteté lui ayant témoigné le désirer et même vouloir en être le fondateur conjointement avec Sa Majesté, elle s'est adressée à notre révérende mère Marie de Jésus Petigot pour nous faire savoir ses royales et pieuses intentions, et avoir notre dit agrément à ce qu'elle se transportât à Rome, accompagnée de nos chères mères : Scolastique de Jésus, de la Conception, de l'Assomption, toutes religieuses de choeur de notre monastère, et de nos soeurs de Saint Joseph et de Sainte Marthe, converses. Pour obéir donc au bref de notre très Saint-Père le pape, en date du 21' mars 1702, signé par le cardinal Paulucci et adressé à l'Illustrissime et Révérendissime monseigneur l'archevêque d'Imola de présent nonce apostolique auprès de notre roi très chrétien Louis XIV, et nous conformer à l'obédience de son éminence monseigneur le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, en date du I8C d'août 1702, et désirant de tout notre coeur coopérer à une oeuvre si sainte et si glorieuse à Jésus Christ, caché dans le très auguste sacrement de l'autel, nous avons donné et donnons notre consentement unanime à ce que les dites religieuses ci-dessus nommées expressément, se transportent en la ville de Rome à l'exécution et aux fins dudit établissement, sous la grande Règle de notre bienheureux père saint Benoît et conformément aux constitutions de notre institut de l'adoration perpétuelle du très Saint Sacrement de l'autel, comme elles sont en usage dans tous nos monastères, pour y demeurer perpétuellement unies de coeur et d'esprit et parfaitement conformes par une pratique commune et générale.

En foi de quoi, nous avons toutes signé le présent acte et y avons fait apposer le sceau de notre dit monastère.

Donné à Paris, l'an de l'Incarnation de Jésus Christ Mil sept cent deux, le quatrième de septembre.

Signé : Soeur Marie de Saint François de Paule, prieure (Charbonnier), Soeur Marie 249 du Saint Sacrement, sous-prieure (Le Fèvre), Soeur Marie de Saint Placide, Discrète (Philibert), Soeur Marie de Saint Bernard, Discrète (Cousinel), Soeur Marie Opportune de Ste Gertrude, Discrète (Cheuret), Soeur Marie de Jésus, Soeur Scholastique de Jésus, Soeur de la Conception, Soeur de l'Assomption.

Arch. Nat., L 1076, 2e liasse, n° 14, AUTOGRAPHE

Loué soit à jamais le très Saint Sacrement de l'autel de Rome ce 8e d'octobre, 1702

Voici, ma révérende mère, votre petite communauté romaine qui vient vous donner de ses nouvelles. La première est celle que vous ne devez pas ignorer et qui durera toujours, c'est la douleur de vous avoir perdue et la séparation de notre chère communauté. Ce sacrifice nous est tous les jours plus sensible et nous le présentons à Notre Seigneur comme le plus pur et le plus grand que nous lui puissions offrir ; nous espérons aussi qu'il lui sera agréable, c'est ce qui fait notre consolation au milieu des amertumes.

Nous arrivâmes à Lyon le 12 septembre, notre route a été bien heureuse ; après y avoir séjourné quelques jours, nous nous mimes sur le Rhône le 14, nous avons passé jusqu'à Avignon par des endroits très dangereux, surtout le pont du Saint-Esprit, que nous n'avons pu éviter. Nous arrivâmes cependant à la ville du Saint Esprit où nous couchâmes. Nous y apprîmes que nous avions couru un grand risque à cause des huguenots qui sont sur ces côtes, qui se révoltent. Il y a quelques jours qu'ils prirent plusieurs prêtres et religieux, qu'ils firent mourir. Ce sont vos prières, ma révérende mère, qui nous préservèrent dê tous dangers.

A notre arrivée à Avignon, monseigneur le vice-légat envoya son secrétaire nous faire compliment, nous témoignant qu'il était très fâché que les carrosses ne fussent pas venus au devant de nous comme il l'avait ordonné, mais nous arrivâmes plus tôt qu'il ne croyait et il nous pria de loger chez lui, dans un appartement qu'il avait fait préparer, à moins que nous n'aimassions mieux aller chez les dames bénédictines 102, qui est une abbaye très ancienne et remplie de personnes de qualité. Il nous en donna le choix, nous acceptâwiiës ce dernier. Aussitôt,

102. Il y avait à Avignon deux abbayes de bénédictines : Saiht-Laureiii, fondée avant 951, et Saint-Véran, fondée en 1140 par Guy, comte de Forcalquier.

nos messieurs furent faire nos remerciements et lui présenter nos respects, le priant d'approuver le choix que nous faisions de cette abbaye; il les reçut parfaitement bien et fit mille offres de services et envoya deux de ses carrosses nous prendre à l'hôtellerie, pour nous y conduire. On ne voit point de pareils carrosses à Paris, à moins que ce ne soit pour des ambassadeurs ;ils sont d'une magnificence et d'une beauté admirable, jusqu'aux roues qui sont de sculpture et toutes dorées. Un estafier marchait à la portière, l'épée à la main. Nous arrivâmes à l'abbaye où nous trouvâmes le secrétaire de son Excellence qui nous fit de nouveaux compliments. La porte du couvent était ouverte où l'abbesse et les dames nous attendaient, elles nous ont reçues de la manière du monde la plus honnête et la plus engageante ; nous y fûmes jusqu'au lendemain. On nous traita magnifiquement, ces dames nous comblèrent de bontés et ne voulaient point nous laisser aller ; il y en eut plusieurs qui eussent bien voulu venir avec nous ; l'état des filles du Saint-Sacrement fait envie à tout le monde. Monseigneur le vice-légat vint nous donner sa bénédiction.

Nous partîmes le lendemain à six heures du matin, pour nous rendre à Marseille le mardi 19 septembre, et nous apprîmes à notre arrivée que les galères du pape étaient parties après nous avoir attendues douze jours et donné ordre que, si nous arrivions dans un peu, on leur mandât promptement et qu'elles reviendraient nous prendre. On nous conseilla de prendre une barque qui était prête à partir, qui devait être conduite par le meilleur patron qui soit sur mer. Nous nous y embarquâmes le dimanche 24 septembre après avoir entendu la sainte messe. La mère de Jésus vous fera, ma révérende mère, une ample description de cette barque dans la relation entière de notre voyagé. Ceci n'étant qu'un abrégé, je me contenterai seulement de vous dire que nous avons payé le tribut à la mer.

Nous arrêtâmes quelques jours dans une île ce qui nous rétablit un pets. Nous y restâmes deux jours en attendant que le vent fut bon càr la mer était si calme que nous ne pouvions avancer. Sitôt que le vent parut nous nous remîmes en mer. En approchant de Livourne, nous aperçûmes les galères du pape ; nous reçûmes aussitôt une ambassade de la part de M. le gouverneùr qui nous marqua l'ordre qu'il avait de Sa Sainteté de nous recevoir dans les galères.

251

Quand nous fûmes arrivées à l'hôtellerie, il vint lui-même avec une grande suite, nous faire compliment et nous fit toutes les honnêtetés possibles. Nous partîmes le lendemain. M. le gouverneur de la ville qui nous avait fait l'honneur de nous venir prendre dans son carrosse au sortir de notre barque, nous reconduisît lui-même au port où nous trouvâmes la chaloupe pour nous mener en pleine mer où étaient les galères. Cette chaloupe était ornée de tapis de velours cramoisis avec des galons d'or et des carreaux de même pour nous asseoir, et par dessus, un pavillon de damas de même couleur. Nous fûmes ainsi conduites à la galère qui commande toutes les autres et qui est d'une très grande magnificence. On nous y reçut par trois saluades de 400 galériens, au son des trompettes et des coups de canon. On nous mit dans la chambre de M. le gouverneur, qui est toute dorée et garnie de sièges de velours. Pendant les trois jours que nous y demeurâmes, il nous traita magnifiquement et à trois services, pendant les repas il nous donna une symphonie d'instruments, il ne peut nous avoir fait plus d'honnêtetés et à tout l'institut en nos personnes. Quand nous arrivâmes à Civitavesche [Civita Vecchia], qui est le dernier port de mer, on apporta à monsieur Bachelier une lettre de la reine où elle lui marquait que, si elle avait su le jour de notre arrivée, elle aurait envoyé ses carrosses, mais que pour y suppléer elle avait fait écrire à un officier de la ville auquel elle donnait ordre de nous tenir des calèches toutes prêtes, nous avertissant de ne pas dormir sur le chemin, faisant mille amitiés à sa petite communauté de la manière la plus obligeante. Quand les calèches furent arrivées, nous sortîmes de la galère conduites par M. le gouverneur et les officiers ; en sortant nous reçûmes la saluade des galériens, les trompettes et les canons accompagnèrent notre sortie, comme ils avaient fait pour notre entrée. Nous trouvâmes au bord de la mer M. le gouverneur de la ville, frère de celui des galères, qui nous attendait avec une partie de la ville. Il nous fit compliment et voulut nous voir monter dans nos calèches.

Nous partîmes sur les 9 h du matin. On nous avait dit qu'il n'y aurait que neuf lieues jusqu'à Rome, mais je crois qu'il y en avait plus de vingt de France, car nous allâmes très vite, et cependant nous fûmes obligées de marcher la nuit. M. le gouverneur nous quittant envoya un Exprès à la reine pour lui porter la nouvelle de notre départ de Civita Vecchia. Sa Majesté eut la bonté d'envoyer au devant de nous trois de ses carrosses à six chevaux que nous trouvâmes à 10 h du soir, en pleine campagne, dans lesquels étaient monseigneur l'évêque de Livonie, madame de Morstin 103 et madame Dupont. Nous sortîmes de nos calèches et nous entrâmes dans les carrosses qui nous conduisirent plus promptement à Rome. En traversant la ville, nous aperçûmes à la faveur du clair de lune une partie de la beauté des édifices. Il y avait un estafier à la portière du carrosse qui prenait plaisir à les faire remarquer. Nous arrivâmes à minuit du vendredi au samedi 7e octobre. On ne peut pas, ma révérende mère, avoir été reçues plus agréablement et plus honorablement. On nous descendit à notre hospice, qui est une partie du palais de la reine; tous les valets de pieds étaient à la porte avec des flambeaux ; tous les gentilshommes nous reçurent au sortir des carrosses et nous conduisirent en haut où Sa Majesté nous attendait avec toute sa Cour. Nous nous jetâmes à ses pieds, elle nous reçut avec toutes les marques de bonté et d'affabilité possibles, nous donnant son témoignage de son amitié :elle nous fait l'honneur de nous la continuer par tous les soins qu'elle veut bien prendre de nous, s'informant de tous nos besoins et donnant ordre que rien ne nous manque, avec des bontés que nous n'aurions jamais osé espérer. Rien n'est plus aimable que cette princesse, elle nous a toutes charmées par ses manières engageantes. Sa Majesté nous dit en arrivant que le pape n'avait pu faire un plus grand honneur à notre institut que de nous avoir donné ses galères ; elle nous dit tout bas qu'il y avait des gageures à Rome que cela ne serait pas. Le lendemain de notre arrivée, Sa Sainteté envoya monseigneur le cardinal vicaire 104 à Sa Majesté pour lui dire qu'elle pouvait témoigner librement ce qui nous ferait plaisir. Il nous fit l'honneur de nous venir voir et nous demanda nos constitutions que nous lui donnâmes. La reine le conduisit elle-même par toute notre maison ;il n'y a rien de régulier, ce sont de petits retranchements que l'on a fait pour les cellules, les ouvriers travaillent encore à la chapelle. Sa Sainteté nous manda de son propre mouvement qu'il ne fal-

103. Un André Morsztyn, né vers 1628, fut toujours du parti des Français près des rois de Pologne, grand trésorier de la Couronne, ce fut un ami de Sobieski. Dans les Instructions donnés aux Ambassadeurs, il est désigné tantôt sous le nom de Morsztyn, tantôt sous celui de Morstin.

104. En 1702, le cardinal vicaire était Gaspard Carpegna. Né à Rome le 8 juin 1625, élu archevêque titulaire de Nicée le 16 juin 1670 et sacré le 22 dans l'église de

252lait pas que nous fussions en clôture avant quinze jours et qu'elle voulait qu'on nous fit voir tout ce qu'il y a de beau à Rome. La reine dit à la mère de Jésus qu'elle devait écrire au pape et nous lui fîmes la lecture, ma révérende mère, de celle que vous vous êtes donnée l'honneur d'écrire à Sa Sainteté. Sa Majesté l'a trouvée parfaitement bien et donna ordre à nos messieurs qui devaient aller le lendemain baiser les pieds du Saint-Père, de lui présenter ces deux lettres. Il les reçut et en fit la lecture. I1 en parut fort content et donna mille témoignages de bonté pour nous et pour tout l'institut. Il dit à nos messieurs qu'il voulait répondre à la lettre de la mère prieure de Paris, que pour celle de la mère de Jésus, il le ferait de vive voix. Il ne se peut rien de plus obligeant, tout le monde est surpris des honneurs que Sa Sainteté nous fait. La reine nous dit qu'il n'en a jamais tant fait à personne. Nous venons d'en recevoir un signalé que Sa Majesté nous a assuré ne se faire qu'aux princes souverains : il nous a envoyé six hommes chargés de grands bassins de confitures sèches et de fruits des plus rares du pays, en pyramides, avec quantité de rubans à la manière d'Italie. Sa Majesté s'est trouvée justement chez nous, qui en a fait compliment à l'officier qui les conduisait. Je souhaiterais de tout mon coeur, ma révérende mère, qu'ils fussent dans votre cellule et pouvoir faire part à toute notre chère communauté de tous les biens que nous recevons ici; cela adoucit un peu la douleur que nous cause la privation de votre personne et la séparation de toutes nos chères soeurs qui nous est toujours plus sensible.Le temps ne me permettant pas de décharger plus amplement mon coeur, je ne puis que vous assurer que nous sommes dans un respectueux attachement...

Arch. Nat. L. 1076, n° 2

Ce 28 novembre 1702

Le 26, ma révérende mère, j'ai reçu la vôtre. Avant que de me donner l'honneur d'y répondre, je vous ferai le récit de la réception que notre Saint-Père nous a faite le jour de sainte Cécile. Sa Sainteté prit soin qu'on allâtmettre un dais à Sainte Cécile, un fauteuil un peu élevé, un pour la reine, au bas, et des sièges de bois, à dos, pour quatorze cardinaux. L'on me fit entrer appuyée d'une religieuse. J'eus la force de faire trois génu-

Saint-Silvestre in Capite à Rome par le cardinal Altieri. Cardinal le 22 décembre 1670, nommé cardinal-vicaire le 12 août 1671, il devait le rester quarante-trois ans jusqu'à sa mort, le 6 avril 1714, à 88 ans. (Renseignement aimablement communiqué par Dom A. Chapeau, archiviste de l'abbaye Saint-Paul de Wisques).

254flexions par l'ordre du maître des cérémonies, je baisai avec respect les pieds de Sa Sainteté, ensuite notre petite communauté et celle de sainte Cécile 105, qui est de notre ordre, habillée de blanc. Au commencement de la cérémonie, le saint pontife dit à la reine que l'on me fit asseoir, parce que j'étais incommodée; nos mères étaient à genoux. Après la cérémonie, Sa Sainteté se leva et vint à nous. Dans ce moment je me jetai à genoux et le Seigneur m'assista si bien que je pris la liberté de lui faire un humble compliment dont la fin fut : « Très Saint-Père, nous trouvons en la sacrée personne de Votre Sainteté, l'heureux centuple que Dieu a promis à ceux qui quittent tout pour son amour ». Sa Sainteté nous dit en italien : « Je me réjouis que vous soyez venues pour une si sainte fonction et pour servir d'exemple aux autres. J'emploierai tout mon pouvoir pour vous servir. Soutenez-moi de vos prières ». Puis Sa Sainteté ajouta en français : « J'ai accordé à la reine la clôture, le jour de la Conception » [8 décembre]. Après avoir remercié, Sa Sainteté demanda si nous avions souffert dans le voyage. Je répondis qu'il avait été le plus heureux du monde. Puis Sa Sainteté, s'en allant, se tourna vers le cardinaux et leur dit : « Voyez-vous cette modestie ». Trois ou quatre de Leurs Éminences nous firent compliment. Nous avions nos voiles baissés sur les yeux. Sa Majesté envoya le lendemain M. le marquis de Macaruny remercier le Saint-Père, qui lui dit : « Monsieur, nous sommes Romains, avez-vous jamais vu de semblables religieuses ? Quelle modestie ! Quel respect ! Quelle dévotion ! La reine m'a remercié de les avoir fait venir, mais c'est bien à moi de la remercier ».

Sur le soir du même jour, Sa Majesté envoya notre petit présent à Sa Sainteté, composé d'un petit portrait de notre révérende mère institutrice, avec une petite vierge de bois de sainte Lucie, d'une chapelotte 106, et la figure du Saint Sacre-

105. Sainte-Cécile, église bâtie sur l'emplacement d'un ancien « titre » par Pascal 1°" (817-824), mais totalement défigurée au XVIe et XVIII' siècle. Près d'une grande chapelle dans le collatéral droit, couloir et oratoire, où des restes de tuyaux antiques ont porté à voir l'étuve où la sainte aurait été enfermée. En fait, c'est dans le complexe d'une insula que dut se loger le « titre » chrétien. Mais qu'avait-il recueilli d'authentique relativement au souvenir de la martyre ? En 1200 une abbaye bénédictine prit possession des lieux. L'abbaye, restaurée en 1527, assure toujours la louange divine au coeur du quartier pauvre du Transtévère (cf. DACL et Maury et Percheron, Itinéraires romains, p. 241-242, 3e éd.).

106. Sorte de petit boîtier en forme de niche, d'environ 5 à 7 cm, contenant une pe-

255

-ment qu'elle a portée jusqu'à la mort, cela dans des bourses, un porte lettre que la reine nous avait donné et des fleurs sur le papier, un petit cabaret de la Chine fait en coeur, bordé d'argent, que la soeur de madame de Morstin, dame d'honneur de la reine lui avait envoyé. Sa Majesté ajouta de belles porcelaines et pièces rares. M. le comte commença par montrer au pape le portrait de notre révérende mère. Sa Sainteté le regarda longtemps et dit : « Elle était jeune. Elle ressemble à la Mère de Jésus ». Puis il montra le Saint Sacrement disant : « Saint-Père, la mère institutrice l'a porté ». Ensuite, le Saint Père, regardant la chapelotte, dit : « Qu'est-ce cela, Seigneur comte ? » -« C'est la même que la digne mère a portée » — « Vous m'apportez donc toute sa dépouille » ? Puis regardant les fleurs, il dit : « qui a fait cela » ? — « C'est la mère de Jésus » dit M. le comte. Sa Sainteté s'étendit sur sa tendresse et son estime pour nous. Il faut abréger. M. le comte développa le présent de la reine qui avait écrit une lettre, comme première de notre communauté, à Sa Sainteté.

Le Saint-Père s'écria : « Que ferais-je pour la reine ? Dites lui qu'elle dispose de tout mon pouvoir, et à mes saintes religieuses, quand le temps ne sera pas si malheureux, que je ferai ce que je dois ». Le lendemain, Sa Sainteté écrivit à Sa Majesté, dont je vous enverrai l'extrait une autre fois. Le Saint-Père garde la grande oraison du Saint Sacrement dans son cabinet.

Sa Majesté en a envoyé une autre à l'impératrice.

Arch. Nat. L 1076 n° 2 (suite)

cite statue de la Vierge, et que les religieuses portaient accrochée à leur ceinture. Les archives de notre monastère possèdent encore quelques anciennes « chapelottes ».

Pour signifier notre spécificité dans l'ordre de saint Benoit, mère Mectilde portait un petit ostensoir de 4 à 6 cm environ, fixé à un cordon noué autour du cou. Cet insigne fut porté par les moniales de notre institut jusqu'à une époque récente.

La reine Marie Casimire a beaucoup contribué à la fondation du monastère de Varsovie, puis au projet de création d'une maison de notre institut à Rome, mais elle n'a jamais fait partie de l'une ou l'autre de ces communautés et n'a aucun titre à se dire « première de notre communauté ».

Du cardinal de Noailles Conflan le 31 octobre 1707

Je suis fort touché, mes très chères filles, de la triste situation où vous êtes. Je vous plaindrais fort, si je n'étais persuadé que vous faites l'usage que Dieu demande de vous des peines qu'il vous envoie ; et qu'ainsi vous y trouvez un grand avantage.

Gardez-vous bien d'entrer dans la maison de Campo Marzio aux conditions qu'on vous propose ; ce serait une imprudence de vous engager dans une communauté si peu disposée à prendre votre institut ; il vaudrait bien mieux sans doute revenir dans votre monastère de Paris, mais il faut attendre votre mission du pape, puisque c'est Sa Sainteté qui vous a appelées ; de plus il faut que la reine de Pologne, dont vous connaissez les bontés pour vous et pour votre institut, consente au parti que vous prendrez.

Sans le respect que j'ai pour elle, aussi bien que pour Sa Sainteté, je n'hésiterais pas à vous mander de revenir.

Si je puis, en attendant, vous être bon a quelque chose, je ferai avec grand plaisir tout ce qui dépendra de moi pour votre service et votre consolation.

Priez toujours Dieu pour moi, je vous conjure et soyez persuadées que je suis en lui, mes chères filles, avec beaucoup de zèle et l'affection sincèrement à vous.

LE CARDINAL DE NOAILLES

Archives conservées au monastère de Rouen. AUTOGRAPHE


CLÉMENT PAPE XI A nos bien aimées filles en Jésus Christ Marie Saint François de Paule, prieure et religieuses de l'adoration perpétuelle du Saint Sacrement

Ma bien aimée fille en Jésus-Christ salut. Pour vous engager à recevoir avec joie .et avec un extrême plaisir nos bien aimées filles en Jésus Christ, les religieuses vierges qui partent de Rome pour retourner chez vous, il nous suffit pour toutes marques de vous les présenter avec singulière piété qu'elles ont puisées chez vous, et qu'elles y rapportent encore à présent; 257 vous reconnaîtrez aisément qu'elles vous appartiennent à cet esprit de ferveur qui les anime et qui vous est commune ; et vous apercevrez aussi que ces religieuses que le mouvement de l'obéissance a conduites à Rome sont les mêmes que l'esprit d'une sincère charité qu'elles ont pour vous ramène aujourd'hui dans votre cloître.

Quoiqu'il ne semble pas nécessaire d'interposer nos offices pour vous recommander ces religieuses qui vous sont déjà assez recommandables par elles-mêmes, cependant nous ne croyons pas devoir les priver du témoignage de la parfaite estime qu'elles se sont acquises dans cette ville, soit par le mérite de leur vertu, soit par leur continuelle exactitude à remplir les devoirs de leur culte, afin que par là elles soient plus dignes de la vôtre. Au reste, puisque les malheurs des temps nous ravissent, l'occasion d'établir ici, selon nos souhaits, et par la force de leurs exemples, leur pieux institut, nous croirons la retrouver lorsque vous nous donnerez lieu de vous marquer par quelque démonstration particulière l'affection que nous avons pour vous, et de laquelle vous serez parfaitement instruites par notre bien-aimé fils, Dom Guillaume Laparre 107, religieux de l'ordre de Saint-Benoît et procureur général de la congrégation de Saint-Maur en France, à l'intégrité et à la vigilance duquel nous avons commis le soin de leur conduite. C'est à vous à présent à former continuellement des voeux et des prières en présence du Seigneur que vous adorez sans cesse afin qu'il lui plaise de protéger et de soutenir son Église, ce qu'attendant de vous, nous vous donnons avec affection notre bénédiction apostolique.

Donné à Rome ce XI septembre 1708.

CLÉMENT PAPE XI

Arch. Nat. L 1076 n° 22

107. Dom Guillaume La Parre, originaire de Castel-Sarrazin (Landes), avait fait profession au monastère de la Daurade le 4 juin 1685, âgé de 29 ans. Nommé vice-procureur en I700, il remplaça Dom Bernard de Montfaucon comme procureur général de la Congrégation de Saint-Maur à Rome, de mars 1701 jusqu'en 1711. Il fut nommé prieur de Saint-Eloi de Noyon (1714), de Montmajour (1717), de La Sauve-Majeure (1720), et mourut le 2 mai 1741 en l'abbaye Saint-Pierre du Mas-Grenier (Tarn-et-Garonne) aujourd'hui monastère de notre institut (cf. Dom Martène, op. cil.).

258

[MARIE CASIMIRE] A ma très chère mère de l'Assomption, religieuse du Saint Sacrement A Blois, le 26e de juin 1716

J'aurai encore le chagrin, ma très chère mère de l'Assomption (Tocquigny), de ne pas vous voir et vous embrasser, quelque désir que j'en aie avant mon départ prochain de France pour l'Allemagne, et je le ressens vivement et pour le moins autant que votre amitié pour moi vous le fera ressentir : conservez-là moi toujours, continuez-moi vos bonnes prières, donnez-moi souvent de vos chères nouvelles, et comptez qu'en quelque lieu et en quelque état où je me trouve, je serai toute ma vie de vos meilleures amies et vous donnerai en toute sorte d'occasion des marques de mon tendre attachement pour vous, ma chère mère.

MARIE CASIMIRE PRINCESSE DE POLOGNE 108

A ma très chère mère de l'Assomption,

religieuse du Saint-Sacrement, de la communauté romaine de la feue reine de Pologne, Madame ma grand-mère, rue Saint-Louis-au-Marais à Paris.

Archives conservées au monastère de Rouen. Autographe

108. Marie-Casimire, princesse de Pologne, née en 1695, morte le 28 mai 1723. Fille de Jacques Louis Henry Sobieski, (fils de Jean 111 et de Marie Casimire de la Grange d'Arquien) et d'Hedwige Elisabeth de Bavière, laquelle était la fille de Philippe Guillaume, électeur palatin, duc de Neubourg, et d'Elisabeth Amélie de Hesse Darmstad.

Marie Casimire fut promise à Emmanuel Théodose de la Tour d'Auvergne, duc de Bouillon, pair et grand chambellan de France, 3` comte d'Évreux (1668-1730). 11 avait épousé en premières noces Marie-Armande Victoire de la Trémoille, décédée le 5 mars 1717.

Marie-Casimire Sobieska Aurait dû être la seconde femme du comte d'Evreux, mais elle mourut avant son mariage. Sa soeur Marie-Charlotte épousa le fils d'Emmanuel Théodose, Frédéric Maurice Casimir de la Tour, qui décéda le 1" octobre 1723, 12 jours après son mariage, et, en secondes noces, Marie-Charlotte épousa, en avril 1724, Charles Godefroy de la Tour, 4' comte d'Evreux, né le 10 juillet 1706, mort le 24 octobre 1771 et inhumé en l'église Saint-Taurin d'Evreux (Eure).

259

VII CHRONIQUE DU MONASTÈRE DE LWOW 1708-1709

Les premières pages de la chronique du couvent des bénédictines de Lwow fournissent beaucoup de renseignements concernant les débuts de la fondation varsovienne. Elles racontent les événements de 1708, lorsqu'une épidémie ravageant Varsovie obligea les religieuses à quitter leur monastère et à partir dans des lieux hors du danger de la maladie.

Voici quelques informations données par cette chronique :

La vénérable mère fondatrice, mère Mectilde du Saint-Sacrement, avait envoyé entre 1687 et 1696 des religieuses provenant de plusieurs monastères de l'institut ; de la rue Cassette, à Paris, partirent : mères Molette, Cheuret, Beauvais de Gentilly, Bompard ; du deuxième monastère parisien, du Marais, partirent : mère Petigot et une converse soeur Granjour ; de Toul : mère d'Auvergne ; de Rouen : mères Maunoury et Paulmier. Quatre novices les accompagnèrent : mesdemoiselles Giron, Philippe, Brenot, Gobard et une ppstulante : Melle Lombard. A Varsovie, les novices Giron et Philippe retourné-rent dans le monde et firent partie de la cour de là 'reine MarieCasimire. Pour les remplacer au noviciat, on demanda à mère Mectilde d'autres religieuses ayant de belles voix. Partirent donc quatre postulantes : mesdemoiselles Demas, Clausier, Bompard, et Meunier de Pontaubert.

On avait omis d'en avertir la reine, qui en fut vexée. Elle fut aussi très mécontente qu'on ait élu comme prieure, mère Radegonde de Beauvais, au lieu de mère Petigot, qu'elle avait désiré voir prieure. La reine exprima le désir qu'on nommât mère Petigot au moins sous-prieure ou maîtresse des novices. Mère Radegonde, une personne très énergique, ne voulait pas que la reine se mêlât des affaires intérieures du monastère. Cette querelle finit par la démission de mère Radegonde, à la fin de son triennat. Celle-ci partit en France le 17 avril 1691, et avec elle d'autres religieuses quittèrent Varsovie : mères Maunoury, Molette, Cheuret, et Gobard. Mère d'Auvergne et mère Bompard voulurent aussi partir, mais cela aurait donné trop d'embarras à la nouvelle prieure, celle-ci n'ayant plus alors que de jeunes religieuses. La reine désirait aussi les garder à Varsovie, c'est alors qu'elle usa de l'influence du nonce, Mgr Pallavicini, qui les obligea, par obéissance, à rester à Varsovie.

Après le départ de mère Radegonde, mère Petigot fut élue prieure, selon le désir de la reine. Après deux triennats, mère Petigot demanda à ne pas être réélue comme prieure. En 1697 c'est mère d'Auvergne qui fut élue prieure. L'année suivante, mère Petigot quitta la Pologne avec mère Boutilly, et la soeur Granjour pour retourner en France.

Ne restèrent donc à Varsovie que mère d'Auvergne, prieure, et mère Bompard, sous-prieure, avec les jeunes religieuses. Mère d'Auvergne, après avoir consulté Mgr Bartolomé Tarlo, supérieur des missionnaires de Saint-Vincent-de-Paul, s'adressa au monastère de Toul pour qu'on lui envoie quelques religieuses. Mères : Magnicourt, Petitot, Darly et Morin, avec une soeur converse la soeur Beudon, arrivèrent le 7 septembre 1699 à Varsovie.

Ce monastère s'était trouvé dans des conditions matérielles déplorables. La reine Marie Casimire après la mort de Jean Sobieski, quitta la Pologne. Étant elle-même dans de grandes difficultés pécuniaires, elle n'était plus en état de remplir ses obligations envers le monastère. Toute une année les religieuses vécurent dans une misère extrême.

En 1700, mère Bompard fut élue prieure. Mais en 1708 une peste épouvantable s'abattit sur Varsovie, et les bénédictines aussi tombèrent malades. La première atteinte fut la mère prieure qui ne se rendait pas compte de la gravité de son état.

263

Madame Jeanne Potocka, épouse d'Etienne Potocki 109, voïevode de Belz, dont deux filles étaient pensionnaires chez les bénédictines, insista pour qu'on les lui renvoyât, et que mère d'Auvergne les accompagnât afin d'éviter la peste. Mère d'Auvergne ne voulait pas quitter le monastère, mais la mère prieure la persuada, qu'étant en dehors de la ville pestiférée, elle trouverait peut-être des moyens pour les aider. Le père Bellavity, Théatin, confesseur du monastère, insista lui aussi pour l'engager à partir. Mère d'Auvergne voyant là, la volonté de Dieu, quitta Varsovie, en compagnie des deux demoiselles Potocka, de mère Casimire Potocka et de mère Grotusowna. Elles quittèrent Varsovie le 22 août 1708, ne soupçonnant pas qu'elles n'y reviendraient plus.

On les transporta par le fleuve, la Vistule, dont les eaux étaient très basses, de sorte que, sur les dunes de sable, les fugitifs de Varsovie s'installaient sous des tentes, fuyant la peste. Il y eut des morts, là aussi.

A la première halte, mère d'Auvergne tomba malade. Se croyant atteinte de la peste, elle désira retourner à Varsovie, pour mourir au monastère ; mais un monsieur, envoyé par madame Potocka pour accompagner ses filles, se présenta, prêt à aller lui-même à Varsovie pour apporter à mère d'Auvergne tout ce dont elle aurait besoin. Arrivé au monastère, il trouva la mère prieure Suzanne de la Passion dans un état désespéré. Avec de grands efforts elle s'assit dans son lit, soulevée par les bras de ses soeurs et parvint à écrire une lettre pleine d'encouragements à la mère d'Auvergne. Au bout de deux heu-

109. Jeanne Sieniawska, fille de Nicolas-Jérôme, voïvode de Volhynie (1645-1683), et de Cécile-Marie, princesse de Radziwill, née après 1662, décédée en 1733. Elle épousa en 1695 Stefan Potocki, palatin de Belz.

Stefan Potocki, grand veneur de la Couronne en 1688, palatin de Belz, décédé vers 1727, fils de Jean, palatin de Braclaw et d'Ursule Danillowicz. I1 épousa en le noces, après 1688, Anna Charleska (+1694) et en secondes noces, en 1695, Jeanne Sieniawska.

Cette dernière avait deux filles pensionnaires au monastère de Varsovie. Les Radziwill, étaient une grande famille polonaise, originaire de Lituanie. Cette famille commence à figurer dans l'histoire au XIVe siècle avec Nicolas, qui en 1386, reçut le baptême en même temps que Jagellon qui devenu roi, le créa palatin de Vilna. Un de ses descendants, Charles, nommé par le roi de Pologne, Auguste II, en 1762, gouverneur de Lituanie s'opposa de toutes ses forces à l'influence russe. Il ne put empêcher Poniatowski, protégé de l'impératrice de Russie, Catherine, de monter sur le trône de Pologne. Spolié de ses biens immenses, il tenta encore de s'opposer au démembrement de son pays. Puis, il dut s'exiler. Il revint mourir en Pologne en 1790.

-res, elle expira le 23 août 1708. Neuf soeurs converses moururent au monastère. Celle qui restaient vivaient sous la menace de la peste.

La vue du cimetière tout proche où sans cesse on enterrait les victimes de l'épidémie augmentait l'angoisse.

La population de la ville était très dense et, bien qu'un grand nombre d'habitants eussent quitté Varsovie, 22 000 personnes moururent de cette peste.

Malgré la situation particulièrement difficile, on n'abandonna pas l'adoration.

Mère d'Auvergne ignorant la mort de la mère prieure, arriva avec ses compagnes chez madame Potocka, heureuse de revoir ses filles. Elle emmena tout le petit groupe à Przemysl et les plaça dans le palais épiscopal, voisin de la cathédrale, où elles pouvaient continuer l'adoration. Voyant que leur séjour s'y prolongeait, mère d'Auvergne demanda à être transférée, avec ses religieuses, dans un couvent. Madame Potocka leur trouva le couvent des dominicaines, très heureuses de pouvoir rendre service aux bénédictines ; mais ne disposant pas de place convenable, elles leur offrirent une petite maisonnette, où madame Potocka, en la meublant, plaça les bénédictines et ses deux filles.

Entre temps, la situation des religieuses à Varsovie devenant de plus en plus difficile, mère d'Auvergne les invita à la rejoindre à Przemysl, en compagnie du père Bellavity, craignant qu'en 1709 la peste ne reprenne ses ravages.

L'hiver 1708-1709 fut particulièrement rigoureux. Les religieuses partirent en traineaux le 13 mars 1709. De grandes chutes de neige rendaient le voyage difficile et pénible. C'est ainsi qu'une fois à cause de la neige, on se trompa de chemin. Heureusement on évita la rencontre des brigands. Les frais du voyage furent couverts par le père Bellavity et ces frais étaient importants pour douze religieuses et leur confesseur ! Ces religieuses furent : les mères Magnicourt, Petitot, Bompard, Morin, Clausier, Paulmier, Demas, Darly, Lega, Lombard, Faguet, et Beudon converse. Ne restèrent au monastère de Varsovie que les mères : Brenot, Pontaubert, Feuve, et deux soeurs converses polonaises Bidzinska et Kaminska. Ces dernières tombèrent malades, mais elles ne voulurent pas quitter le monastère, bien qu'on les y eût fortement encouragées.

265

Le 24 mars 1709, le père Bellavity prévenait mère d'Auvergne, que les religieuses de Varsovie étaient heureusement arrivées. Elles étaient de l'autre côté de la rivière San, couverte de glace. La traversée de la rivière était dangereuse car la glace qui la couvrait commençait à craquer, à cause du dégel. Elles arrivèrent sans accident et habitèrent dans une petite maison offerte par les dominicaines, voisine de celle déjà occupée par mère d'Auvergne et ses compagnes et qui était insuffisante pour héberger tant de religieuses. Tout le chapitre de la cathédraie témoigna une grande bienveillance aux religieuses, les invitant à s'installer dans une des maisons capitulaires. Elles remercièrent, croyant ne rester que peu de temps à Przemysl.

Mère d'Auvergne tomba malade et son état fut jugé très grave. Sa guérison fut obtenue par des prières ferventes adressées, par les religieuses, à la Sainte Vierge, devant sa statue, célèbre déjà pour avoir été sauvée par saint Hyacinthe 10 des mains des Tartares.

110. Jacko d'Opole, aujourd'hui Jacek (diminutif de Jakub, Jacques), transformé en Jacinthus par Stanislas de Cracovie au XIVe siècle. Né probablement à Kamien (Gross-Stein) Silésie. il était peut-être chanoine de Cracovie lorsqu'il entra dans l'ordre des frères prêcheurs à Rome. En 1221, au chapitre général de Pologne, saint Dominique le désigna avec le frère Henri de Moravie pour établir l'ordre en Pologne. Le 31 octobre 1222, ils arrivèrent à Cracovie. Yves Odrowaz, évêque depuis 1218, leur fit don de l'Église de la Sainte-Trinité, dont il leur garantit la propriété par acte du 28 septembre 1227. Les bases de la vie dominicaine étaient ainsi solidement établies en Pologne. En 1225, Jacko fut envoyé fonder un couvent à Gdansk, en Poméranie, aux confins de la Prusse encore païenne. Il fut nommé définiteur de Pologne au chapitre généralissime tenu à Paris en 1228, et fut élu premier définiteur de ce chapitre. Il partit ensuite vers les provinces russes et fonda un couvent à Kievonil où il séjourna de 1229 à 1233. On le retrouve à Gnesen en 1238 comme prédicateur de la Croisade. Il mourut au couvent de Cracovie le 15 août 1257. Très tôt sa renommée de thaumaturge dépassa les frontières de la Pologne. Les frères du couvent de Cracovie consignèrent aussi exactement que possible les récits de guérisons attribuées au saint de 1268 à 1288, récits publiés par le frère Stanislas, du couvent de Cracovie, en 1352. Au XVI' siècle, les princes polonais travaillèrent à la canonisation de Jacko d'Opole, Clément VII autorisa son culte le 11 février 1527. Le père Severinus Lumborius, définiteur de Pologne au chapitre général des dominicains en 1589, obtint l'accord des pères capitulaires et travailla lui-même à la cause, qui aboutit le 17 avril 1594. Il publia ensuite une biographie du nouveau saint où malheureusement il amplifia beaucoup le champ d'apostolat, déjà très remarquable, de saint Hyacinthe. De là ont fleuri de nombreuses légendes.

Le culte du saint fut très favorisé au XVIIe siècle par les monarchies polonaises catholiques. soucieuses de maintenir leurs bonnes relations avec le ,aint Siège. La fête d'abord fixée au 16 août, fut transférée au 17 août par saint Pie A. (Cf. Catholicisme. art. d'A. Duval, o.p., archiviste de la province dominicaine dé France).

266

Ce début du XVIIIe siècle fut malheureux pour la Pologne. C'était partout la guerre civile. Le roi Stanislas Leszczynski était protégé par Charles XII, roi de Suède ; et le tzar Pierre le Grand, protégeait Auguste II de Saxe. Les deux armées envahirent le pays, pillant continuellement Przemysl.

Les Suédois occupaient encore Przemysl avant l'arrivée des bénédictines. Une nuit, un nouveau détachement arriva, et des soldats voulurent occuper la maison habitée par les religieuses. Mais quand ils apprirent que c'étaient des religieuses françaises, ils s'en retirèrent, s'excusant auprès d'elles, car elles étaient connues de leur général à Varsovie. Cette bonne opinion fut profitable aux autres couvents, surtout aux bénédictines de Przemysl 111. Quand les soldats vinrent à l'abbaye pour la réquisitionner, voyant les habits noirs, un d'eux s'écria : « Que faites-vous ? ce sont des religieuses françaises D. Les soeurs dominicaines empruntèrent aussi à nos soeurs des habits noirs, pour éviter le pillage.

Il y avait dans l'armée suédoise deux Français,condamnés à mort, pour avoir commis un crime. Ils implorèrent mère d'Auvergne d'intercéder en leur faveur auprès des autorités suédoises. On donna gain de cause à sa requête et les deux Français eurent la vie sauve. Avant de quitter Przemysl, les Suédois vinrent prendre congé du monastère en leur laissant beaucoup de fourrage, de l'avoine et du foin.

Mère d'Auvergne était très affaiblie par suite de sa maladie. Elle partit, accompagnée par mère Antoinette Grotusowna, à Jaroslaw 112. Là, dès leur arrivée madame la palatine de

111. Abbaye bénédictine fondée à Przemysl en 1626 sous le, vocable de la Sainte Trinité.

112. Ville de Galicie, sur la rivière San. Centre militaire important, à 100 Km N.O. de Lwow. Les jésuites y fondèrent un collège dès 1574. Ils y furent appelés par le cardinal Stanislas Hozjusz, le plus grand théologien que la Pologne ait produit et le chef moral de toute la lutte contre la Réforme au XVI' (Cf. D.T.C., art. Pologne).

La vile fut fondée par le grand duc de Kiev, Jaroslaw le Sage, au Xle siècle. Les dominicains et les jésuites y exercèrent un apostolat fécond. Leurs églises construites au XVIIe et XVIIIe siècles existent encore.

La province de Galicie est située au nord-ouest des Carpates et traversée par le Dniestr et la Vistule. La population se composait de Polonais et d'Ukrainiens. La capitale est Lwow.

Son passé historique est fort mouvementé du fait de sa position de carrefour. Après une période d'indépendance au Moyen Age (la capitale était alors Halioz), elle accepta d'être incorporée à la Pologne en 1349 pour se soustraire aux invasions

267 Kiev, Victoire, comtesse Joseph Potocka, née Leszczynska 113 les invita et désira les recevoir chez elle. Mais les religieuses remercièrent et s'installèrent chez les bénédictines. Elles y rencontrèrent la princesse Anne Dolska 114, qu'elles avaient connue à Varsovie, c'était une personne très bienveillante pour elles. Très contente de les rencontrer, la princesse avoua que, depuis longtemps déjà, elle souhaitait fonder un couvent des bénédictines du Saint Sacrement à Lwow 115, en leur abandon-

des Mongols et des Hongrois. Lors du premier partage de la Pologne, en 1772, elle tomba aux mains de l'Autriche et, malgré plusieurs insurrections, resta sous sa domination jusqu'en 1918, date où elle fut restituée à la Pologne. De durs combats se livrèrent dans les plaines de Galicie au cours de la seconde guerre mondiale.

113. Victoire Leszczynska, tante du roi Stanislas et fille de Venceslas, palatin de Podlachie, et de la princesse Sophie Wisniowiecka. Elle épousa en 1696, Joseph Potocki (1673-1751), grand connétable de la Couronne, castellan de Cracovie, staroste de Varsovie, fils d'Alexandre Potocki, palatin de Smolensk, et de Thérèse Tarlo. La comtesse Victoire Potocka était nièce par alliance de Catherine Potocka, mère Casitnir, religieuse à Varsovie.

La famille Potocki était une des plus nombreuses et des plus anciennes de Pologne. Elle était divisée en 7 branches.

114. Anne Dolska, née Anne Chodorowska, (décédée le 8 mai 1711), avait épousé en secondes noces le-prince Jean Dolski, qui mourut en 1695, laissant à sa veuve une grande fortune, entre autres la propriété de Komarno.

La princesse avait épousé en premières noces le prince Constantin Wisniowiecki dont elle eut deux fils, Janusz et Michel (Cf. chapitre IX, n. 126).

Elle était la fille de Christophe Chodorowski et de Catherine Jablonowska celle-ci était la soeur de l'hetman Stanislas Jablonowski.

Janusz est un prénom slave qu'on chercherait vainement dans le Martyrologe romain. Vu cependant sa similitude avec le prénom de Jean, beaucoup de « Janusz célébraient leur fête onomastique le jour d'une des fêtes de saint Jean ; de là naquit une certaine confusion entre Janusz et Jean.

Komarno, ville de Galicie sur un petit lac poissonneux qui s'écoule dans le Dniestr. Les Polonais y furent vainqueurs des Turcs en 1524 et en 1695.

115. Lwow (ou Léopol ou Lemberg) est une ville d'Ukraine au nord des Carpates, située sur la rivière Pelten.

Fondée en 1250 par le duc de Galicie Daniel Romanovitch, qui lui donna le nom de son fils, Lev. Elle joua un grand rôle dans les luttes contre les Tartares. La ville fut prise en 1340 par les Polonais qui en firent la capitale de la Russie blanche. Devenue évêché, érigé par Urbain V en 1361, puis archevêché en 1412, la ville prit une grande importance commerciale après la prise de Constantinople en 1453. Elle fut souvent assiégée par les Tartares et les Cosaques et fut prise par les Turcs en 1671. Charles XII de Suède la prit à son tour en 1704 et y fit couronner comme roi de Pologne Stanislas Leszczynski. La ville était la résidence de trois évêchés : catholique latin, gréco-catholique et arménien. Le premier évêque de cette cité fut Gédéon, au temps de Clément VIII, pape de 1592 à 1605.

Lors du premier partage de la Pologne, elle fut attribuée à l'Autriche de 1772 à 1918 et prit le nom de Lemberg. Les Russes l'enlevèrent au début de septembre 1914, puis les Austro-Allemands la reprirent le 22 juin 1915. En 1918-1919, la région fut conquise par les Polonais sur les Ukrainiens, appuyés par les Allemands. En 1939, la garnison polonaise résista vaillamment à la XIV' armée allemande,

-nant son palais dans cette ville, et en dotant la nouvelle fondation de sommes importantes. Pour le moment ce projet était irréalisable, car la princesse appartenait au parti du roi Stanislas Leszczynski, et elle risquait gros de la part de son adversaire de sorte que, même à Jaroslaw, elle n'était pas en sûreté.

Elle invita mère d'Auvergne à aller à Komarno, sa propriété rurale, et à s'y installer avec toutes ses religieuses.

On profita de cette offre charitable et, le ler juin 1709, toutes les bénédictines du Saint Sacrement réunies et les deux pensionnaires, Potocka, avec le père Bellavity, quittèrent Przemysl et arrivèrent à Komarno. Elles y trouvèrent l'accueil le plus courtois, recommandées qu'elles étaient par la princesse. Les religieuses, après tous leurs déboires se crurent en paradis. Mais ce bonheur ne dura pas longtemps. L'armée russe s'approchait, comptant dans ses rangs beaucoup de Tartares et d'autres barbares. C'étaient les troupes de Pierre le Grand venant lever les contributions de guerre. Le comte Feliks Potocki 115bis, hetman (commandant en chef) de la Couronne, inquiet de ses parentes confiées aux bénédictines, supplia qu'on se réfugiât à Lwow, disant qu'il ne répondait pas de ce qu'il pourrait arriver à ses cousines et aux religieuses elles-mêmes, si elles tombaient dans les mains des Tartares et des Mongols de l'armée russe.

Elles arrivèrent donc à Lwow le 13 juin 1709. Elles trouvèrent l'hospitalité chez les bénédictines, dont l'abbesse, Hélène Kazanowska, nièce de défunt l'hetman, Stanislas Jablonowski 16, les accueillit avec bonté. Au bout d'un certain

mais les Soviétiques vinrent compléter l'encerclement de la ville, qui tomba le 22 septembre. La Wehrmacht reconquit la ville qui succomba le 30 juin 1941. Elle ne fut reprise par l'armée rouge de Koniev que le 28 juillet 1944.

Malgré les très graves destructions de la dernière guerre, il reste à Lwow des vestiges importants des splendeurs passées, telles l'église Saint-Nicolas du XIII' siècle et la cathédrale (XIV-XVe s.), d'une architecture inattendue, don de commerçants de la colonie arménienne.

115 bis. Félix-Casimir Potocki décédé en 1702, et fut inhumé à Krystynopol. Il fut voïvode de Sieradz en 1669, de Kiev en 1682, de Cracovie en 1683, castellan de Cracovie et grand hetman de la Pologne en 1702. Il avait épousé en premières noces Krystyna Lubomirska et en secondes noces Rose Losiovona.

116. L'abbaye de moniales bénédictines fondée en 1595 sous le vocable de Tous-lesSaints, archidiocèse de Léopol (Cf. Atlas, OSB, 1935).

En 1721, l'abbesse était la soeur de l'archevêque de Lwow, Jean Skarbek. Stanislas Jablonowski, né le 3 avril 1634, grand général de la Couronne en 1682, puis castellan de Cracovie, premier pair laïc du royaume en 1693, mort le 3 avril 1702.

Il avait épousé Marie Anne Kazanowska, dont il eut trois fils et trois filles. L'un de ses fils, Jean Stanislas, fut un grand bienfaiteur de notre monastère de Lwow. Nous le retrouverons au chapitre suivant.

L'abbesse des bénédictines de Lwow devait être fille du beau-frère de l'hetman.

269 temps, elle exprima son désir d'abdiquer la charge d'abbesse et de devenir religieuse du Saint Sacrement ; mais la permission de Rome n'arriva pas. Pendant un temps les religieuses habitèrent dans une petite maison appartenant à madame Dolska, puis le palatin Alexandre Potocki, oncle de mère Casimire Potocka, leur trouva une habitation dans le palais de son cousin, le voïevode de Kiev, Joseph Potocki. Là elles reçurent plusieurs jeunes filles de très bonnes familles comme pensionnaires.

L'idée de fonder un monastère à Lwow ne les quittant pas, les mères Petitot, Morin, Darly, Lombard, Potocka et mère d'Auvergne avec la converse Beudon, décidèrent de rester à Lwow, en vue d'une fondation. Les autres religieuses et le père Bellavity retournèrent à Varsovie le 24 août 1709.


VIII LETTRE D'UNE MONIALE DE LWOW



Lettre d'une moniale de Lwow à une moniale de Paris, Saint-Louis-au-Marais de Léopol 10 décembre 1714

Vous saurez, ma très chère mère, que depuis cinq ans nos affaires ont été dans une continuelle vicissitude de bien et de mal et toujours accompagnées de la persécution de tous les couvents de la ville. Aussitôt notre arrivée, toutes les dames ont témoigné un grand désir de nous voir établies dans leur Province, goûtant la douceur d'avoir leurs enfants en pension proche d'elles, promettant de s'unir ensemble pour nous fonder ; mais elles se sont toujours déférées l'une à l'autre l'honneur de commencer. Il est vrai que la princesse Dolska s'était déclarée vouloir nous fonder et à cet effet nous avait placées dans son palais qu'elle promettait de nous donner. Là-dessus, le bruit de l'arrivée des Moscovites étant survenu, cela obligea la princesse, qui était du parti contraire, de s'éloigner de nous.

Dans cet intervalle, une autre dame, veuve riche, et sans enfants, nous promettait de consacrer tout son bien pour faire adorer Notre Seigneur, ce qui semblait ne pouvoir manquer, d'autant que le mari de cette dame l'avait chargée en mourant de faire bâtir un monastère de religieuses ; mais Dieu, qui avait ses desseins, permit que la peste survenant, cette dame (Sophie Hanska), qui depuis douze ans gardait le lit, se fit transporter dans un village où, après quelques mois, elle mourut assistée de certains religieux qui lui firent faire son testament en leur faveur, sans aucune mention de nous. La princesse, dont j'ai déjà parlé, ayant appris cette mort, écrivit en diligence à notre révérende mère prieure, la priant de ne se pas décourager dans une aventure si étrange et qu'elle était assez puissante pour réparer la perte que nous venions de faire, nous recommandant de ne pas sortir de son palais, dont elle nous faisait donation, et de poursuivre à Rome les permissions pour notre établissement ; qu'elle se déclarait notre fondatrice et que, aussitôt que les Moscovites seraient retirés, elle reviendrait et nous fonderait entièrement, aussitôt les permissions données de Rome. Quelques temps après nous apprenons que Son Altesse est dans la ville incognito, mais malade à l'extrémité : cette maladie était causée par les fatigues qu'elle avait eues dans cette fuite, ayant été obligée souvent d'aller dans des charrettes pour n'être pas reconnue. Elle envoya quérir notre révérende mère pour l'assister dans ce dernier moment. Cette dernière étant arrivée, la princesse lui témoigna beaucoup d'affection, lui disant qu'elle aurait souhaité vivre plus longtemps afin de nous fonder ; mais, puisque Dieu en disposait autrement, qu'elle ne nous avait pas oubliées et que nous étions sur son testament.

Étant ensuite munie des sacrements, elle rendit son âme à Dieu le 7 mars 1711, dans de saintes dispositions, en présence de notre révérende mère, qu'elle laissa, aussi bien que nous, très affligée.

Les deux princes ses enfants se déclarèrent aussitôt contre nous, voulant que nous sortissions du palais, ce que tous les amis de notre révérende mère lui conseillaient de ne pas faire, disant qu'ils n'avaient pas le droit d'ôter ce que la princesse leur mère, avait donné. Mais notre révérende mère a mieux aimé céder que d'entrer en procès, et nous résolûmes de quitter le pays. Monsieur le Palatin de Russie, Jean Stanislas Jablonowski, neveu de la reine douairière et gendre de madame la marquise de Béthune, ayant su notre dessein a été au devant, écrivant en diligence à monseigneur l'évêque, le priant de ne pas permettre ce retour et qu'il nous prenait en sa protection, lui promettant de travailler incessamment, avec toute la noblesse de Russie, dont il était le chef, à notre établissement. Cet événement pouvait bien relever notre courage abattu : ce sei-273gneur étant estimé et aimé dans toute la Pologne et une personne de grande probité. Mais hélas ! le temps qui devait finir nos croix n'était pas encore arrivé ; une bien pesante nous attendait ; c'était la prise de monsieur le palatin de Russie qui, étant soupçonné être du parti contraire au roi, a été, par Sa Majesté, envoyé prisonnier en Saxe, où il est encore depuis deux ans. Son illustre épouse est inconsolable ; mais cependant toujours soumise aux ordres de la divine Providence, et il paraît que leurs âmes se purifient dans le feu de l'affliction, ainsi que l'or dans la fournaise, accomplissant les desseins de Dieu qui permet que ses élus souffrent en ce monde, pour mériter davantage et être couronnés avec plus de gloire en l'autre.

Voilà, ma très chère mère, l'état de nos affaires jusqu'au mois de mars 1714, que notre révérende mère, après avoir fait des prières à tous les saints, fut inspirée de faire une neuvaine à saint Joseph, pour obtenir de Dieu une parfaite libération de nos affaires et que, si cette oeuvre ne se devait pas accomplir, il ne permit pas que l'on nous arretât davantage. Le troisième jour de la neuvaine, un seigneur, père d'une de nos pensionnaires, qui s'était toujours montré inflexible aux prières que sa fille lui faisait pour être religieuse, se sentit touché de Dieu et conçut une si grande estime de notre institut, qu'il permit à sa fille non seulement d'être religieuse ; mais il veut qu'elle soit notre fondatrice 117, et lui promet de lui donner pour cet effet

117. François Cetner, palatin et voïévode de Smolensk en 1714, prit une part très importante dans la vie de Lwow et de sa province. Il fut député de Lwow à la Diète polonaise (parlement). Il était fils de Jean Cetner, staroste de Lwow, et de Sophie Danillowicz.

Il épousa en premières noces Anne Chodorowska, fille du chambellan de Lwow. Ils eurent comme enfant : Aniela-Faustine-Sophie, fondatrice du monastère de Lwow.

François épousa en secondes noces Anne Tarlo ; elle était fille de Stanislas, castellan de Zawichost et palatin de Lublin, décédé en 1705, et de Thérèse DuninBorkowska ; ils eurent comme enfants :

a. Françoise, qui épousa vers 1753 Michel-Joseph Rzewuski, écuyer-tranchant à la Cour de Pologne en 1729, grand greffier de la Couronne en 1744, voïévode de Podlachie en 1752, de Podolie en 1762. Il était fils d'Adam Rzewuski, castellan de Podlachie et de Petronelle Zbrozek. Michel-Joseph avait épousé en premières noces Ursule Stanislawska ; il est décédé en 1769.

b. Jean, décédé en 1734.

Aniela-Faustine-Sophie Cetner, née le 5 février 1698. Entrée au noviciat le 6 avril 1715. Elle prit l'habit en 1717 sous le nom de soeur Marie de Saint-Benoît. Profession le 15 avril 1721. Prieure de 1741 à 1750, puis de 1753 à 1759. Décédée le 8 septembre 1773.

La Podlachie est l'un des anciens palatinats de Pologne, entre les provinces de

tous ses biens. Nous n'aurions jamais pensé à un tel sujet, dont l'alliance est très recherchée, étant fille unique et des plus riches du royaume.

Nous avons aussi une jeune princesse, sa proche parente, et petite fille de la défunte princesse qui voulait nous fonder : elle a une grande vocation, mais elle n'a que treize ans. Le prince son père, promet de ne s'y pas opposer, si elle persévère jusqu'à l'âge requis : pour la princesse sa mère, nous ignorons ses sentiments à notre égard.

Leurs Altesses sont revenues de leur prévention contre nous et parlent déjà de nous rendre leur palais, ne sachant pas encore que la place où nous sommes nous a été donnée, car ils ne sont pas ici ; mais seulement les deux princesses leurs filles, qui sont pensionnaires chez nous. L'endroit où nous sommes

Plock, de Mazovie, de Lublin, à l'ouest, et le gouvernement de Grodno, à l'est. Le chef-lieu est Siedlce, Principales villes : Lublin, Biala, Lukow.

La famille Rzewuski : « Durant trois générations, les Rzewuski ont, de père en fils, porté le titre de Grand Hetman de la Couronne, titre qui cumulait l'office de

chef suprême des armées et celui de ministre de la guerre. L'hetman portait le bâ-

ton de maréchal, en polonais le Bulawa. Le fils de Paul Rzewuski, Michel-Florian, fut un ami et un collaborateur apprécié du roi Jean Sobieski, peut-être le plus grand

roi de Pologne, en tout cas le dernier de ses grands rois. Durant les guerres contre les Ottomans, c'est par deux fois que Michel-Florian contribua, aux côtés de Jean Sobieski, à remporter de brillantes victoires, qui furent déterminantes pour la liberté de l'Occident.

La première bataille se déroula en 1673, près de la forteresse de Chotim, sur le Dniestr. Les Turcs recommencèrent la guerre en 1683 et, cette fois, assiégèrent

Vienne, capitale du Saint-Empire. La bataille décisive fut gagnée, grâce au roi Jean Sobieski et à ses généraux, Sébastian Lubomirski et Michel-Florian. Les Ottomans durent se retirer.

Après la mort de Michel-Florian, qui ne guérit jamais des blessures reçues à Chotim, son fils Stanislas-Matthias reçut à son tour, des mains d'Auguste II, électeur de Saxe et roi de Pologne, successeur de Sobieski, le bâton d'hetman de la Couronne. 11 fut un grand diplomate et conclut la paix avec les Turcs en 1699 à Karlowitz. Il devint ensuite ambassadeur auprès de la Porte.

Le plus célèbre des Rzewuski fut Wenceslas, grand hetman de la Couronne. Il commença sa carrière militaire en France, dans les mousquetaires gris, au service de Louis XV. C'était un homme de grande culture. I1 parlait plusieurs langues et écrivit différents traités concernant l'histoire de son pays, ainsi que des mémoires politiques et diplomatiques (Cf. Alex Ceslas Rzewuski, A travers l'invisible cristal, Plon, 1976).

Wenceslas Rzewuski, de la maison de Krzywda, s'était distingué en défendant la Podolie contre les Tartares (1739). D'abord partisan de Stanislas Leszczynski, rallié ensuite à Auguste III, puis adversaire de Stanislas Poniatowski, il fut envoyé en Sibérie avec son fils Séverin. Ayant fait sa soumission, il fut délivré en 1773 et nommé castellan de Cracovie. Il mourut la même année. (Cf. Recueil des instructions données aux ambassadeurs et ministres de France, Paris, 1888).

275

présentement est fort agréable et d'une si grande étendue que, d'un côté nous sommes proches de la ville, et de l'autre en pleine campagne : nous avons jardins, vergers et prairies, et au milieu un bel étang plein de poissons, dont la source est dedans et qui ne gèle jamais, ce qui fait qu'il coule l'hiver comme l'été, l'eau étant vive.

La dame qui nous a fait cette donation avait résisté à toutes les sollicitations que des personnes les plus considérables lui avaient faites en notre faveur ; et, dans le temps que l'on désistait et que l'on poursuivait une autre place, Dieu toucha le coeur de cette dame, qui nous envoya dire le neuf septembre au soir que le lendemain elle nous ferait donation solennelle de cette place. Ce qui a été exécuté dans toutes les formes ; elle nous a prises en affection et prétend venir finir ses jours avec nous : elle est fort riche, veuve, sans enfants, et tante de notre jeune fondatrice.

Je vous fais part, ma très chère mère, de nos prospérités, auxquelles nous ne sommes parvenues que par un chemin tout semé de croix, ne vous ayant fait mention que d'une petite partie. Jusqu'au moment que nous nous sommes mises sous la protection du grand saint Joseph, il ne s'est pas passé un seul jour qui n'ait été marqué par quelque croix nouvelle. Nous ne regrettons pas ces souffrances qui ont produit un si bon effet, qui est d'établir l'adoration perpétuelle du très Saint Sacrement dans cette province, où grand nombre de victimes se donneront à Notre Seigneur, car les personnes d'ici se portent plus à se faire religieuses qu'à Varsovie, ce que nous expérimentons : plusieurs sujets s'étant déjà présentés et toutes, filles de qualité, car pour les autres il est rare qu'elles se portent à la religion.

ARCHIVES DU MONASTÈRE DE LWOW

IX HISTOIRE DU MONASTERE DE LWOW 1709-1978

276

R.P. WLADYSLAW SZOLDRSKI


I. FONDATION : 1709-1752

La fondation du monastère de Varsovie ne fut pas difficile car la reine Marie-Casimire, accomplissant son voeu après la victoire remportée à Vienne par Jean III Sobieski, son époux, érigea le monastère et l'église de Varsovie. Mais la deuxième fondation de Pologne, à Lwow, rencontra tant de difficultés que l'on pensa souvent qu'elle n'aboutirait pas.

L'idée de cette fondation naquit en 1708-1709, alors que la peste sévissait à Varsovie. A ce moment, presque toutes les religieuses (sauf cinq) quittèrent la capitale et partirent d'abord à Przemysl, puis à Lwow. Mère Madeleine Dauvergne, prieure, puis sous-prieure, à Varsovie, en accord avec ses compagnes, prit en mains la direction du groupe, et fit tout ce qu'elle put pour obtenir la permission d'organiser cette fondation à Lwow.

Par testament, André Drohojowski 118, staroste de Lukow (+ 1692), avait obligé, sa femme, Sophie Hanska, à fonder à Lwow un monastère des trinitaires d'Espagne, et, dans ce but lui laissa une certaine somme d'argent. Cet argent fut déposé chez les trinitaires 19 de Lwow. Comme de grandes difficultés empêchaient de faire venir les religieuses trinitaires d'Espagne, madame Drohojowska souhaita destiner ces fonds à la fondation d'un monastère de bénédictines du Saint Sacrement, mais les trinitaires ne voulurent pas accéder à ce désir.

Souhaitant tout de même aider les bénédictines, elle acheta un terrain, destiné à la construction d'un couvent provisoire en bois, avec le consentement de l'évêque suffragant de Lwow, Jean Skarbek, qui administrait le diocèse après le décès de l'archevêque Zielinski (t 1709)12°. Mais dès qu'on eut commencé les travaux, la municipalité donna l'ordre de les interrompre, et fit incarcérer la personne qui avait vendu le terrain.

En attendant, les bénédictines habitaient dans le palais de Joseph Potocki 121, palatin de Kiev et oncle de Marie-Casimire

118. André Drohojowski, porte-drapeau de Lublin, staroste de Lukow, fils de Stanislas et d'Anne Przyjemska, épousa Sophie Hanska en 1685. Il décéda en 1692, et Sophie Hanska le 7 mai 1711.

Staroste : gentilhomme investi d'une starostie. La starostie était un fief faisant partie du domaine national en Pologne. Il était cédé par les rois à titre viager pour récompenser les gentilshommes de leurs services militaires.

119. Ordre fondé en France, au diocèse de Meaux, par saint Jean de Matha et saint Félix de Valois dans le but de racheter les chrétiens détenus comme esclaves dans les pays infidèles. Les fondateurs reçurent l'approbation du pape Innocent III le 2 février 1198. Ils suivent la règle de saint Augustin et sont chanoines réguliers. En France, on les nommait aussi Mathurins, en raison de l'église qui leur avait été accordée par le chapitre de la cathédrale Notre-Dame de Paris. En Espagne, ils prirent le nom de trinitaires déchaussés, et le gouvernement de cette province fut un peu différent. Il y eut aussi en Espagne des religieuses trinitaires fondées par saint Jean de Matha lui-même. (Cf. D.T.C., fasc. LXXX, p. 293-334).

La congrégation féminine s'établit en France, à Valence, en 1660 et fut approuvée par le pape Léon XIII en 1891. Depuis le début de notre siècle, l'ordre se relève peu à peu en France et compte trois maisons de religieuses, dont une à Paris ainsi qu'un couvent de religieux.

120. Zielinski Constantin-Joseph, archevêque de Lwow. Né vers 1649, il était fils de Louis, castellan de Sierpc, voïvode de Plock et de N. Brzoska. Il fit ses études à Rome, devint évêque auxiliaire de Gniezno (1694), puis fut nommé au siège de Lwow en 1698. Pasteur zélé et vertueux, il mena à bien la rédaction d'une histoire de son archidiocèse sous le titre Leopoliensis archiepiscopatus historia ab anno 16/4 ex actis authenticis et historicis collecta. Il couronna le roi Leszczynski, qui voulut le récompenser en lui conférant la dignité d'archevêque de Gniezno et deprimat de Pologne. Auguste II de Saxe ayant remporté la victoire sur son rival Leszczynski, Mgr Zielinski ne put jamais prendre possession de son nouveau siège. S'étant attiré l'inimitié du tzar Pierre le Grand, il fut arrêté et déporté par les Russes en 1707. Il est mort en 1709 dans un lieu inconnu.

121. Potocki Joseph (1673-1751), grand connétable de la Couronne, castellan de Cracovie (1748), voïvode de Kiev (1702), de Poznan (1743). Il embrassa le parti de Stanislas en 1709, rejoignit Charles XII en Turquie et ne rentra en Pologne qu'en 1714. Il possédait des biens immenses ; sa résidence favorite, Stanislawow, était défendue par 120 bouches à feu, et sa milice régulière se composait de 10 000 hommes.

Potocka. Elles s'occupaient de jeunes filles de familles polonaises assez considérables qui désiraient se perfectionner en français. Les religieuses du Saint Sacrement faisaient l'impossible pour que rien ne manquât à ces pensionnaires, mais elles-mêmes n'avaient pas le nécessaire et se gardaient bien de le dévoiler.

Madame Drohojowska mourut le 22 octobre 1710, l'espoir s'évanouit donc de ce côté.

La duchesse Anna Dolska, née Chodorowska, était très bien disposée à l'égard des moniales et désirait de tout coeur voir aboutir la fondation. Elle prit les religieuses dans son palais et conseilla à mère Madeleine d'écrire au nouvel archevêque de Lwow, Nicolas Poplawski 122, pour lui faire savoir que la duchesse Dolska voulait les aider à construire le monastère, et, puisqu'il se trouvait justement à Rome, le sollicita d'obtenir du Saint-Siège la permission de fonder un monastère à Lwow. L'archevêque, quoique très malade, répondit très cordialement, qu'il apprenait avec joie et plaisir ce projet, et que s'il guérissait et revenait à Lwow à la tête de son diocèse, il ne manquerait pas de faire tout son possible pour que cette fondation puisse s'établir (Lettre de Rome du 22 mars 1711). Hélas, il mourut peu de temps après à Rome, le 8 septembre 1711, n'étant encore qu'évêque « nommé » de Lwow.

La duchesse promit aux bénédictines de leur céder son palais et de les doter richement. Mais elle ne put réaliser ses projets, car elle mourut le 7 mai 1711. De ce fait les bénédictines restèrent dans une extrême incertitude de l'avenir. Le palatin de Smolensk, Alexandre Potocki 123, et Jean Stanislas

Il était fils d'Alexandre, palatin de Smolensk, et de Thérèse Tarlo. Il épousa en 1696 Victoria Leszczynska,, fille de Wensceslas, palatin de Podlachie, et de la princesse Sophie Wisniowiecka ; il convola en secondes noces, en 1732, avec Louise Morsztyn, née vers 1712, décédée en 1785.

Castellan : lieutenant d'un palatin, chargé en particulier du commandement de la noblesse dans le palatinat et ayant, comme lui, entrée au Sénat.

122. Nicolas Poplawski, évêque d'Inflante en 1685, de Livonie vers 1691, archevêque de Lwow en 1710, décéda en 1711.

123. Smolensk (ville de la Russie d'Europe), tour à tour lituanienne, russe et polonaise, fondée au IXe siècle sur le haut Dniepr. Dévastée plusieurs fois par la peste, en butte aux attaques des Tartares, qui disputèrent longtemps la ville aux Lituaniens, elle fut définitivement annexée à l'empire russe en 1654. Pendant la campagne de 1812, la ville fut en partie détruite par les armées napoléoniennes et, de nouveau, en 1941-1943.

Jablonowski 124, marié à Mme Jeanne de Béthune, nièce de la reine Marie Casimire, les assurèrent heureusement de leur protection.

Une carmélite conseilla de dire une neuvaine à saint Gaëtan pour connaître la volonté de Dieu. Au cinquième jour de la neuvaine une visite vint les réconforter. C'était Mme Marianne Jelec '25, femme du porte-drapeau de Sanok. L'avenir témoigna combien cette visite était providentielle, car c'est grâce à elle que l'établissement du monastère réussira.

Cette ville fut le siège de deux évêchés : l'un de rite moscovite et l'autre de rite latin. Après 1636, l'évêché fut uni à l'archevêché de Dorogobow.

Alexandre Potocki, palatin de Smolensk, fils de Paul, castellan de Kamienieç, et d'Eléonore Soltykow (décédée après 1691), épousa Suzanne Karczewska, et, en secondes noces, après 1693, Thérèse Tarlo, qui décéda après 1739. Alexandre Potocki mourut en 1714.

124. Famille princière qui changea son nom primitif de Zaremba, lorsqu'elle acquit le château de Jablonowo en Haute-Pologne.

Parmi les représentants les plus illustres de cette famille citons :

a. Stanislas Jean Jablonowski, né le 3 avril 1634 à Lucza près de Jablonow, grand général de la Couronne en 1682, se distingua sous les ordres de Sobieski devant Vienne en 1683 ; castellan de Cracovie, premier pair laïc du royaume, il prit part aux négociations qui aboutirent à la paix de Carlowitz. Il reçut de l'empereur Léopold le titre de « Prince du saint Empire romain ». Il mourut à Lwow le 3 avril 1702. Il fut parrain du roi Stanislas et eut pour fille Anne Jablonowska et pour fils Jean Stanislas.

b. Anna Jablonowska, née à Lwow en 1660, morte à Saumery, prés de Chambord, le 30 août 1727. Elle avait épousé, en 1676, Raphaël Leszczynski, comte de Leszno, mort à Olesnica le 31 janvier 1703. Ils eurent un fils, Stanislas, roi de Pologne.

c. Jean Stanislas, deuxième du nom, né en 1670, mort à Lwow le 28 avril 1731, grand chancelier de la Couronne de 1706 à 1709, palatin de Volhynie en 1693 et de la petite Russie en 1697. Il avait épousé, le 6 février 1693, Jeanne-Marie, fille de François Gaston de Béthune-Chabris, ambassadeur de France en Pologne, et de Louise de la Grange d'Arquien, soeur de la reine Marie-Casimire. De ce mariage naquirent : Catherine Dorothée (vers 1709), mariée à Varsovie en 1732 à François Maximilien Ossolinski et décédée à Lunéville le 5 janvier 1756. Elle fut inhumée dans la crypte de l'église de Notre-Dame de Bon-Secours à Nancy. Dans cette même crypte furent enterrées : Catherine Opalinska, épouse de François Maximilien puis, en 1756, Catherine Dorothée Jablonowska, épouse de François Maximilien Ossolinski, comte de Tenczyn, près de Cracovie né en 1676, trésorier du royaume de Pologne, grand maitre de la maison du roi Stanislas, décédé le lit juillet 1756.

En 1766, Stanislas fut inhumé lui aussi dans la crypte et, deux ans après, on y déposa le coeur de Marie Leszczynska, sa fille, reine de France. Les dépouilles mortelles furent profanées à la Révolution, mais elles purent être réunies et déposées de nouveau dans la crypte de l'église de Notre-Dame de Bon Secours. Quelques ossements prélevés après la Révolution sont conservés à Varsovie. (Cf. le Pays Lorrain, Nancy 1935, 1966, 1977 et la Revue Lorraine 1977).

125. Marianne Eléonore Bieganowska. Son premier mari fut André Chelmski, porte-drapeau de Sandomir. Son second mari, Joseph Jelec, porte-drapeau de Sanok,

281

Hélas, les deux princes Wisniowiecki : Jean et Michel 126 (du vivant même de leur mère), regardèrent d'un mauvais oeil ces desseins de fondation. Après la mort de leur mère, ils résolurent de chasser les religieuses de leur palais. Tout en avouant que le testament de leur mère était très favorable aux bénédictines, ils leur conseillèrent de partir à Varsovie : on les préviendrait quand les affaires d'héritage seraient finies. Mère Madeleine avertit l'évêque de Poznan, Mgr Bartholomé Tarlo, chargé aussi de Varsovie, qui leur déconseilla de quitter le palais à moins qu'on ne les y forçât.

Les deux frères Wisniowiecki cherchèrent à se débarrasser des religieuses par ruse. Ils obtinrent de l'évêque suffragant, Skarbek, un ordre pour les expulser du palais et s'indignèrent devant le nonce de ce qu'elles restaient à Lwow alors qu'elles n'avaient pas de motif pour vivre hors clôture. Mais, l'évêque Tarlo et le nonce Spinela 127 se prononcèrent en faveur des bénédictines du Saint Sacrement.

fut tué le 23 avril 1713. C'était une parente éloignée de la famille Cetner. Sandomir faisait partie du gouvernement de Radom, dans la partie de la Pologne annexée par la Russie. C'est une des plus anciennes villes de Pologne. Elle est située dans un petit massif de collines resserrées entre la Kamienka et la Nida, affluents gauches de la Vistule. Elle est bâtie sur le bord de la Vistule, à 220 km sud-est de Varsovie et siège d'un évêché. Cette ville donnait son nom a une des voïvodies (préfectures) de la Galicie, dont Cracovie, Kalicz, Masova, Kiedlec, Lublin.

126. Constantin Wisnowiecki (1633-1686), voïvode (gouverneur de province) de Podolie, de Braclaw et de Belz. Il était cousin issu de germain du roi Michel Korybut-Wisniowiecki, prédécesseur de Jan III Sobieski. Les deux rois avaient fait leurs études au célèbre collège de Nysa, tenu par les jésuites, le Carolinum, où s'instruisirent de nombreux Polonais éminents. Nysa est située dans la voïvodie d'Opole.

Constantin épousa en secondes noces Anne Chodorowska, décédée en 1711. Ils eurent deux fils :

— Janusz-Antoine (1678-1741) ; castellan et voïvode (1739) de Cracovie, il épousa en 1704 Théophile Leszczynska (1680-1757), fille de Wenceslas, palatin de Podlachie, et de Sophie Opalinska. Elle se retira chez les dominicaines de Lwow en 1753.

— Michel-Servace (1680-1744), « hetman Wielki » (commandant en chef) des armées de Lituanie, grand chancelier du grand duché de Lituanie, castellan et voïvode de Wilno. 11 épousa : 1. en 1695, Catherine Dolska, décédée en 1725, dont il eut deux filles qui se marièrent ;

2. en 1725, Madeleine princesse Czartoryska, décédée sans postérité en 1728 ;

3. en 1730, Thècle-Rose princesse Radziwill (1703-1747), sans postérité.

127. Skarbek Jean, fils de Christophe, castellan de Halicz et de N. Czolchanska, évêque auxiliaire de Lwow en 1696, archevêque de Lwow 1713-1733 ; abbé bénédictin de Plock. Il avait une soeur, Sophie, abbesse des bénédictines de Lwow. — Spinela Nicolas, archevêque de Thèbes, fût nonce de 1708 à 1712.

Les princes Wisniowiecki ordonnèrent alors aux religieuses de quitter le palais immédiatement. Elles, conseillées par des personnes bienveillantes ne bougèrent pas et continuèrent à chercher une habitation stable, aidées en cela par de bonnes personnes qui désiraient vivement cette fondation. Les religieuses voulaient seulement tenir encore pendant l'hiver et ensuite retourner en France. Dans cette intention, elles commencèrent une neuvaine à saint Joseph. Au dernier jour de cette neuvaine, le 13 octobre 1711, on leur amena une jeune fille de treize ans, comme pensionnaire. C'était Mlle Sophie Cetner, fille de François Cetner, staroste de Kamionka 128 et de Mme Anne Chodorowska, sa femme, fille du chambellan de Lwow. Les religieuses acceptèrent uniquement pour les trois mois d'hiver, escomptant partir au printemps. Nous verrons par la suite que cette jeune fille est devenue la vraie fondatrice du monastère de Lwow.

Le même jour, un Français qui leur cherchait une bonne habitation fit connaître à mère Madeleine, qu'il l'avait enfin trouvée. La maison appartenait à monsieur Jelec et à sa femme. Une personne amie donna aux religieuses l'argent nécessaire. Elles louèrent la maison et une place contiguë, pour la somme de cinq cent zlotys. Alexandre Potocki, palatin de Smolensk, leur conseilla de ne pas quitter le palais pour ne pas perdre leurs droits, mais d'attendre qu'on les expulsât par la force. Ce qui ne se fit pas attendre... La femme de Jean Wisniowiecki, née princesse Théophile de Leszczynska, fit savoir aux religieuses que, si elles ne quittaient pas le palais le lendemain, on les expulserait de force. C'était le 8 décembre 1711, le jour de la fête de l'Immaculée Conception. Le lendemain 9 décembre, les laquais de la princesse s'introduisirent dans le palais, fermèrent les volets, défendirent de faire le feu dans la cuisine... Il n'y avait rien à faire, les religieuses cédèrent devant ces traitements. Elles envoyèrent seulement un acte de protestation, suivant le conseil de leurs amis. Les moniales, elles, pensaient uniquement à retourner en France.

Le palais qu'elles étaient forcées de quitter n'a pas été béni par Dieu. Personne n'y habita et enfin il tomba en ruines.

Les religieuses occupèrent donc la maison qu'elles avaient

128. Ville de Galicie sur le Boug occidental (voïvodie de Skiermiewice).

283 louée, le 10 décembre 1711, persuadées qu'elles n'y resteraient pas longtemps. Au printemps 1712, mère Madeleine écrivit à l'évêque Mgr Tarlo, duquel, même à Lwow, les moniales dépendaient, pour lui demander la permission de partir pour la France. L'évêque, Mgr Tarlo, refusa, et il les encouragea à tenir bon, leur rappellant que les oeuvres de Dieu trouvent toujours des oppositions, mais que grâce à l'aide de leurs puissants protecteurs, la fondation ne manquerait pas de s'établir.

La palatine Jablonowska, de son côté, ayant appris que les religieuses voulaient partir en France, leur écrivit, les accusant de pusillanimité et leur promit de faire tout son possible pour qu'elles restent à Lwow. C'est à partir de ce moment, en effet, qu'elle leur procura les vivres, l'habillement et tout le nécessaire. Les religieuses ne dévoilèrent à personne dans quel dénuement et misère elles vivaient alors.

Le prince Skarbek, devenu évêque de Lwow en 1712, qui jusqu'à présent n'était pas très partisan de l'installation des religieuses à Lwow, changea d'avis, et devint l'un des plus zélés protecteurs de la fondation. Il en fit part à l'évêque Mgr Tarlo, en prodiguant des éloges à l'adresse des bénédictines, et vint lui-même les voir. Il les assura qu'il leur donnerait la permission de fonder aussitôt qu'on trouverait l'emplacement nécessaire. Mais ce ne fut pas facile de trouver « ce morceau de terre » !

Le 25 janvier 1714, madame Jelec renouvela aux religieuses la permission de rester dans sa maison aussi longtemps qu'elles le désiraient, mais elle ne voulut pas la leur vendre, ni la leur offrir. Les religieuses, déçues, songèrent de nouveau à repartir en France et à renvoyer les pensionnaires dans leurs familles respectives. Parmi elles se trouvait mademoiselle Cetner (fille du premier mariage de M. Cetner). Madame Cetner arriva juste à ce moment à Lwow, pour débattre, avec les religieuses, des conditions du séjour prolongé de sa belle-fille. Mère Madeleine Dauvergne insista pour qu'elle reprenne mademoiselle Sophie car elle parlait déjà bien le français. Madame Cetner, ne voulait pas décider sans en référer à son mari. Mademoiselle Sophie, ayant entendu qu'on voulait la renvoyer, éclata en sanglots et déclara vouloir entrer comme religieuse dans l'institut des bénédictines du Saint Sacrement. Mère Madeleine bien émue, ne pouvait plus insister pour la renvoyer.

La visite de la femme du dauphin, madame Constantin Sobieska, accompagnée de la princesse Jean Wisniowiecka, qui leur avait causé tant d'ennuis, en les renvoyant du palais, fut une surprise pour les religieuses. Elle s'excusa confuse, et les appuya même auprès de l'archevêque.

Après la mort de son mari, elle entra chez les dominicaines à Lwow. La femme du deuxième prince Wisniowiecki, Michel, confia ses deux filles aux bénédictines. L'une d'elles voulut entrer en religion, mais son père, obstiné, ne le permit pas.

Nous voyons comment les moniales conquirent l'estime et la bienveillance de la plus haute société. Leur situation cependant resta toujours instable. Elles songeaient toujours à rentrer en France. Madame la palatine Jablonowska [Jeanne Marie de Béthune], très bonne pour elles, ne pouvait pas faire grand-chose, car son mari, Jean Stanislas, avait été fait prisonnier par le roi Auguste II et relégué en Saxe ; elle réconforta toujours les religieuses de son mieux.

Comme les voies de la Providence sont mystérieuses !

Une dame de leurs amies leur conseilla de commencer une neuvaine à saint Joseph, et de faire graver leur demande sur un ex-voto en argent. Les religieuses firent donc graver le couvent qu'elles désiraient obtenir, sur une plaque d'argent. Cette plaquette fut suspendue sur le tableau représentant saint Joseph. Le quatrième jour de la neuvaine, François Cetner arriva : il était maintenant palatin de Smolensk. Il chercha à parler à mère Madeleine en secret. Il lui confia le désir de sa fille Sophie, de devenir bénédictine du Saint Sacrement. Il demanda donc à mère Madeleine de bien étudier sa vocation ; si l'examen s'avérait positif, il promettait de fonder le monastère. Il demanda de garder le secret pour que la famille de sa première femme, de Chodorowska, mère de Mlle Sophie, ne fasse pas de difficultés quant à la disposition de la fortune laissée par sa femme.

I1 revint encore peu après pour savoir comment les affaires de sa fille se présentaient et se déclara disposé à offrir aux religieuses une maison à Lwow. Celle qu'il désirait étant située dans un endroit malsain, mère Madeleine lui conseilla d'acheter la maison qu'elles occupaient déjà.

Cependant des rumeurs couraient que la guerre allait éclater. Les familles emmenèrent leurs filles pensionnaires et 285 monsieur Cetner aussi. Ce n'était pas seulement pour se convaincre de la sincérité de la vocation de sa fille, mais aussi pour que la famille ne le soupçonnât pas de l'avoir quelque peu forcée à se faire religieuse. Bientôt après, il la renvoya tout de même chez les bénédictines, mais ne dit mot sur ce qu'il pensait faire. Les religieuses déçues, écrivirent une nouvelle fois à l'évêque Mgr Tarlo, pour lui demander la permission de quitter la Pologne pour se rendre en France, et pour obtenir du roi les passeports nécessaires. Mère Madeleine s'adressa aussi à l'archevêque Mgr Skarbek dans le même but, le remerciant de sa bienveillance, et à l'évêque suffragant, Stéphan Rupniewski 129, qui leur avait toujours été d'un grand secours.

Il arriva que le Courrier, muni de ces trois lettres, rencontra Mgr Rupniewski. Il lui remit celle qui lui était adressée. Celui-ci, prit connaissance de son contenu, et supposant que les deux autres lettres parlaient de la même affaire, ordonna au Courrier de les rapporter à mère Madeleine. Il lui répondit qu'il ferait tout son possible pour que la fondation se réalisât, et lui conseilla de prendre patience. De même la palatine Jablonowska et la palatine de Kiew, Victoire Potocka-Leszczynska, demandèrent aux bénédictines de rester à Lwow et de garder confiance en la Providence. En effet, la Providence ne les a pas déçues.

Le 13 septembre 1714, grâce aux démarches de Mgr Rupniewski, madame Jelec leur offrit la maison qu'elles occupaient déjà, et de plus un emplacement contigu. Puis messieurs Chelmski 130, fils de madame Jelec et de son premier mari, quoique calvinistes, donnèrent aux bénédictines la partie du terrain dont ils étaient propriétaires, spécifiant dans l'acte d'offrande, « qu'ils faisaient cela pour le salut de leurs âmes ».

Mère Madeleine en informa de suite Mgr Tarlo et l'archevêque Skarbek qui se réjouirent de cette bonne nouvelle. L'archevêque Skarbek leur accorda la permission d'accepter ce don et promit son soutien. Le nonce d'alors, Spinela, écrivit à

129. Stéphan, évêque suffragant de Lwow, puis évêque de Kamieniec (1717-1721), puis de Luck (1722-1731).

130. Fils du premier mariage de Marianne Eléonore Bieganowska avec André Chelmski, porte-drapeau de Sandomir.

La ville de Chelm, proche de la frontière russe, était jadis chef-lieu d'un palatinat. Les Polonais y furent vaincus par les Prussiens en 1794. Un évêché latin y avait été fondé en 1358. Il fut transféré plus tard à Bedzin.

286 l'archevêque Skarbek pour lui demander de protéger la fondation projetée en lui déclarant que tout ce qu'il ferait dans ce sens, il le considérerait comme fait à lui-même.

Mademoiselle Cetner commença son postulat le 6 avril 1715. La famille en fut scandalisée, même madame Jelec, cependant parente éloignée. Mais, voyant la persévérance de la novice, elle s'inclina. L'archevêque Skarbek annonça à monsieur Cetner qu'il accordait la permission, mais qu'il fallait encore obtenir, par la nonciature, l'accord de Rome, pour stabiliser cette nouvelle fondation.

Puisque tout s'annonçait bien, on prépara les plans du couvent proprement dit, de la chapelle, et d'une maison pour le pensionnat. Monsieur Cetner les trouva à son goût, et promit d'en couvrir les frais.

On espérait que les travaux seraient terminés en quatre mois. Mais on oubliait que souvent le chemin qui conduit d'un projet à la réalisation peut être long. Tant que les ouvriers travaillèrent à l'intérieur de la maison, tout alla bien ; mais lorsqu'ils commencèrént les travaux extérieurs, à la vue de tous, l'orage éclata. La municipalité adressa une supplique à l'archevêque pour qu'il interdise la continuation de la construction du couvent. Les autres congrégations religieuses de la ville émirent aussi une protestation, car elles craignaient la concurrence que pourrait créer l'établissement d'un nouveau centre d'éducation pour jeunes filles. Même dans le chapitre diocésain, il y eut des mécontents. Ils manoeuvrèrent tant et si bien que l'archevêque ordonna l'interruption des travaux, tout en espérant qu'il se trouverait des personnes influentes pour défendre les bénédictines du Saint-Sacrement. Il partit à la campagne, en laissant à l'évêque Rupniewski le soin de l'exécution de son interdiction. Mgr Rupniewski, à contre coeur, accomplit l'ordre de son supérieur.

Mère Madeleine, congédia aussitôt les ouvriers. Mais l'archevêque avait raison, il ne manquait pas de défenseurs à la cause des moniales. La palatine Jablonowska et celle de Kiew, Victoire Potocka, avec plusieurs autres personnes influentes, s'adressèrent à l'archevêque et lui demandèrent de révoquer son ordre. Madame la référendaire 131 de la couronne, Thérèse Katski-Potocka, rédigea la lettre et tout le monde la signa.

131. Référendaire : officier de chancellerie, chargé des sceaux royaux. Ce pouvait

287

Elle alla elle-même chez les princes Wisniowiecki pour avoir -leurs signatures.

La lettre fut envoyée par un Courrier spécial, et l'archevêque révoqua l'interdiction. Il écrivit une lettre très aimable à mère Madeleine, où il l'assurait de sa bonne volonté, mais ne voulait pas que les travaux recommencent avant d'avoir obtenu la permission de Rome. Et puisque des personnes si influentes s'offraient à obtenir cette permission, il ne s'opposerait plus à ce que les travaux continuent. Ils reprirent donc, mais quand on commença à construire la chapelle, la municipalité mit son véto, affirmant que cette partie de terrain appartenait à la ville. Comme on continuait cependant, la municipalité fit prévenir qu'elle arrêterait les ouvriers et en effet, le chef des charpentiers fut mis en prison. Quand la palatine Jablonowska l'apprit, elle réclama la libération immédiate de l'innocent ouvrier, et déclara que si on ne l'écoutait pas, elle viendrait elle-même démolir la porte de la prison. La municipalité n'attendit pas l'exécution de cette menace et relâcha l'ouvrier.

La municipalité ne pouvant obtenir de l'archevêque, l'ordre de faire cesser les travaux, s'adressa au nonce 132, en précisant que Rome n'avait pas accordé de permission pour fonder ce monastère et que les religieuses ne possédaient pas les fonds nécessaires pour subsister. Le nonce leur accorda l'interdiction mais l'évêque, Mgr Tarlo, intervint auprès de lui et lui fit savoir qu'il avait été mal renseigné. Le nonce révoqua donc son véto, en menaçant la municipalité d'excommunication si elle continuait à inquiéter les religieuses. Malheureusement, peu après, elles perdirent leur protecteur (Mgr Tarlo) qui mou-

être aussi un officier chargé de rapporter au roi les affaires de l'État.

Thérèse, fille de Martin, Michel, Casimir Katski, général d'artillerie de la Couronne et castellan de Cracovie (1635-1710) et d'Ursule Denhoff (soeur du cardinal Jean-Casimir Denhoff), épousa Etienne Potocki en 1711.

Etienne Potocki, fils de Paul, ambassadeur à Rome (1615-1674). Guerrier longtemps heureux, il fut fait prisonnier par les Russes et resta captif à Moscou pendant treize ans. Il y épousa la princesse Eléonore Soltykoff, tante de l'impératrice Anna Ivanowa ; neuf enfants naquirent de ce mariage, dont Etienne. Celui-ci avait épousé en premières noces Urszula Bieganowska ; en secondes noces Konstancja Denhoff et en troisièmes noces (1711) Thérèse Katska. Etienne Potocki était palatin de Masovie, voïvode de Poméranie (1726), maréchal de la Cour, de la Couronne, des Diètes (1724). 11 est décédé à Lwow en 1730.

132. Grimaldi Jérôme, archevêque d'Edesse, nonce en Pologne de 1713 à 1722.

-rut le 21 septembre 1715. Profitant de cette occasion, la municipalité renouvela les démarches auprès du nonce, et obtint une nouvelle interdiction. On constata pourtant que cette interdiction ne provenait pas du nonce lui-même, mais qu'elle avait été obtenue franduleusement près de son secrétaire. On continua donc les travaux.

Monsieur Cetner intervint auprès de la municipalité qui se calma. On songeait à la vêture de mademoiselle Sophie Cetner mais les événements politiques y firent obstacle.

En 1715, une confédération contre le roi Auguste II de Saxe, s'organisa à Tarnogrod 133. L'inquiétude régnait car on craignait des conséquences tragiques, qui n'eurent d'ailleurs pas lieu. On redoutait les Turcs et les Tartares, mais ils étaient encore loin. Les religieuses, apprenant que la soldatesque pillait les couvents, se confièrent en la Providence, car elles redoutaient de subir le même sort. Elles ne furent pas déçues. Les soldats voulurent leur prendre tous les vivres, mais le capitaine les protégea. Comme il parlait français, les religieuses lui demandèrent de leur obtenir du général ce qu'on nommait, « une libération et une salvagardien 134 ». Mère Madeleine écrivit une lettre au général et obtint ce qu'elle avait demandé. Ces papiers les aidèrent beaucoup, car chaque jour elles étaient contraintes de s'en servir.

133. La Pologne s'était divisée entre partisans d'Auguste II de Saxe, imposé par l'Autriche et la Russie (1697), et partisans de Stanislas I« Leszczynki, élu de la Suède (1704). Les premiers constituèrent la confédération de Sandomierz 1702), les second la confédération de Tarnogrod (1715) voïvodie de Zamosc.

Auguste II de Saxe (imposé par l'Autriche et la Russie) (1697-1733) fut vaincu par les Suédois de Charles XII, qui imposèrent l'élection à Varsovie d'un nouveau roi, Stanislas Ier (1704). Auguste II ne put rentrer à Varsovie qu'avec l'appui des troupes de Pierre le Grand, après leur victoire de Poltava (1709). La deuxième guerre du Nord se solda donc pour la Pologne par des désastres considérables : le dépeuplement atteignit son maximum entre 1710 et 1720. De plus, le pays était désormais divisé entre partisans d'Auguste II, qui avaient constitué la confédération de Sandomierz (1702) voïvodie de Tarnobrzeg et de Stanislas I", qui, hostiles à l'absolutisme saxon, organisèrent la confédération de Tarnogrod (1715). Ces deux organismes furent dissous sur intervention du tsar, dont l'ambassadeur contribua à l'élaboration d'une nouvelle constitution, qui institua de nouveaux impôts et réduisit l'armée à 24 000 hommes. Les troupes saxonnes se retirèrent alors dans l'électorat (diète muette de 1717).

134. Libération : les religieuses avaient obtenu d'être libérées des charges et impositions de guerre, et avaient reçu un sauf-conduit ou une notification de la protection du général.

288

Le 3 avril 1716, les confédérés occupèrent Lwow et le commandant en chef, Adam Sieniawski 135 tomba entre leurs mains. Peu après l'armée Saxe assiégea la ville qui s'était rendue. Le pillage fut général. Plusieurs personnes apportèrent leurs biens chez les moniales en espérant les sauver. Un boulanger apporta plusieurs sacs de farine et quatre tableaux représentant la sainte Vierge. On les suspendit sur les quatre murs de la grande salle et les prières redoublèrent. Les religieuses furent épargnées et on leur prit seulement quelques charrettes de foin.

Au bout d'une année les confédérés s'accordèrent avec le roi Auguste II de Saxe. Le 14 février 1717, on chanta un Te Deum solennel d'action de grâce. Le 30 mars 1717, mademoiselle Sophie Cetner pu recevoir l'habit sous le nom de soeur Marie de Saint-Benoît. L'assistance était splendide : l'archevêque Skarbek officia à la grand-messe. Dans la nouvelle chapelle, on exposa le Saint Sacrement pendant vingt-quatre heures, pour la première fois. La présence de plusieurs personnes de qualité ajouta à la splendeur de la cérémonie.

Le 20 mai arriva enfin la permission de Rome si désirée 136. On se croyait en sûreté et la cérémonie de profession était prévue pour le 29 septembre 1719. Malheureusement, en juillet 1719 la peste sévit en ville. La vie devint impossible et on songea uniquement à se protéger contre ce terrible fléau qui emportait quantité de victimes.

Sur la demande de mère Madeleine, adressée à Paris en 1715, les monastères de France avaient envoyé quelques religieuses pour aider au choeur : ce furent mère de Fleurisel, mère Guion, professes du monastère de Saint-Louis-au-Marais, à Paris et trois postulantes : Miles Tremblier, Bresson, des Bouts. Elles arrivèrent juste au moment de la peste et le désarroi fut général.

135. Cette confédération soutenait le roi Stanislas Leszczynski. Leur commandant en chef à Lwow, parait avoir été allié à la famille Potocki. Stefan Potocki avait épousé Jeanne Sieniawska.

Sieniawski, Adam-Nicolas (1666-1726), dernier du nom : voïvode de Belz, grand hetman de la couronne en 1706 ; castelan de Cracovie en 1710 (première dignité parmi les sénateurs non évêques). En 1687, il épousa Elisabeth, princesse Lubomirska. L'immense fortune des deux époux passa à leur fille unique, Marie-Sophie, mariée au prince Auguste Czartoryski.

136. La bulle d'érection fut donnée le 16 mars 1719 et l'archevêque Skarbek confirma la fondation le 20 avril 1720.

Quelques jours après leur arrivée, mère Madeleine, mère de Fleurisel et une des postulantes tombèrent malades. Elles décidèrent donc de quitter la ville pestiférée, et profitant de l'invitation de madame Jelec, partirent toutes dans une de ses propriétés, d'abord Chodorow, puis au Nouveau Hameau (Nowe Siolo). C'est là-bas que, le 27 novembre 1719, les trois postulantes françaises, le jour dans l'octave de la Présentation de la sainte Vierge, commencèrent leur noviciat.

Toutes les religieuses ne purent rentrer à Lwow, que le 3 février 1720 et le 17 juillet on procéda à l'élection canonique de la prieure : mère Madeleine fut élue.

Il fallut alors enregistrer la fondation au tribunal de Lublin. Monsieur le palatin Cetner, mère Madeleine, madame Potocka, mère de Fleurisel, et mademoiselle Cetner comme fondatrice, s'y rendirent.

Dans cette affaire l'évêque suffragant de Lwow, Jean Félix Szaniawski 137, devait prendre la parole devant le tribunal. C'était le 18 juillet 1720. La donation de monsieur Cetner fut ainsi inscrite dans les actes du Tribunal de Lublin à la date du mercredi avant la fête de saint Barthélémy, soit avant le 20 août 1720.

137. Szaniawski Jean-Félix, célèbre orateur sacré. Évêque coadjuteur à Lwow a 1720), il cumula cette dignité avec celle d'évêque de Chelm en 1725. Nommé évêque de Wilno, la mort l'empêcha de prendre possession de ce siège. Parmi ses sermons les plus remarquables, il faut citer celui qu'il prononça en 1733 pour l'ouverture de l'élection du roi après le décès de Auguste II. Il mourut en 1733.

Fabien Szaniawski, vénateur de la Couronne, staroste de Sochaczew, épousa Eléonore Potocka, fille de Pierre Potocki, palatin de Czernichow, décédé en 1726, et de Catherine Chodorowska.

Joseph Szaniawski (1764-1843) fut un apologiste partisan de Kant et fervent catholique.

Constantin Szaniawski, évêque de Cracovie, joua entre 1726 et 1730 un rôle important dans la reconnaissance du culte du Sacré-Coeur. Il mourut en 1732.

Lublin, région de Lubelszczyzna, proche de la frontière de Russie ; la ville est située sur la rive droite de la Vistule. Elle fut souvent saccagée par les Tartares, les Russes et les Cosaques. C'est à la Diète de Lublin en 1568-1569, que fut décidée l'union de la Lituanie à la Pologne. Son université catholique, fondée en 1918, est célébre et son rayonnement s'étend bien au-delà des frontières de la Pologne. Le cardinal Karol Wojtyla était titulaire de la chaire d'éthique de 1953 jusqu'à son élection au souverain pontificat. En avril 1983, l'université de Lublin décerna le titre de « docteur honoris causa » à Jean-Paul II.

On trouve au centre de la ville : le couvent des dominicains, fondé par Casimir le Grand au XIV' siècle, la cathédrale du XVI' et l'église des soeurs de Sainte-Brigitte, fondée par le roi Ladislas Jagellon au début du XVC siècle, ainsi que les palais des Potocki et des Czartoryski.

291

En rentrant à Lwow, les religieuses apprirent que le fléau de la peste reprenait. Elles profitèrent donc de l'invitation de la palatine Jablonowska, et toutes s'installèrent dans une de ses propriétés à sept lieues de Lwow.

Le monastère avait été confié à la garde des anges gardiens et à quelques fidèles servantes. Le 22 février 1721, toutes les religieuses purent regagner Lwow. La peste avait cessé.

On pensa de nouveau à la profession de la fondatrice, mademoiselle Cetner. Mais de nouvelles difficultés surgirent : le palatin Cetner et l'archevêque Skarbek n'arrivaient pas à s'entendre au sujet de la fondation. On commençait à se demander si cette fondation tant désirée verrait enfin le jour. Heureusement la palatine Jablonowska intervint comme médiatrice et l'accord fut signé. Le palatin Cetner s'engagea à doter la fondation de 100 000 zlotys placés sur l'hypothèque de sa propriété de Chodorow, dont le monastère devait recevoir 7 000 zlotys, partie en argent, partie en vivres. Le contrat fut signé le 9 avril 1721. On peut considérer cette date comme le début officiel de la fondation de Lwow.

La cérémonie de profession depuis si longtemps attendue eut lieu le 15 avril 1721. Étaient présents : l'archevêque, le père de la religieuse, monsieur Cetner, palatin de Smolensk et toute la famille, ainsi que quantité de personnes éminentes, entre autres la soeur de l'archevêque, l'abbesse des bénédictines de Lwow, Sophie Skarbek.

Cependant, le châtelain de Belz, Pierre Potocki, devenu ensuite palatin de Czerniechow, époux de Catherine Chodorowska, fit valoir ses prétentions quant à la propriété de monsieur Cetner ; celui-ci l'avait reçue à la suite de son mariage avec Anne Chodorowska, belle-soeur de Pierre Potocki. Il s'ensuivit un long procès, qui eut une répercussion fâcheuse sur l'existence matérielle des religieuses. En effet, monsieur Cetner, attaqué en justice, ne pouvait pas remplir toutes ses promesses. Cependant Pierre Potocki en entamant le procès déclara qu'il n'avait pas l'intention de nuire aux religieuses et il leur en donna la preuve en leur confiant sa propre fille, Anne 138, la-

138. Potocka Anne, fille de Pierre, palatin de Czernichow, et de Catherine Chodorowska. De ce mariage naquirent six filles, dont quatre entrèrent en religion. Pierre Potocki épousa en premières noces, Louise Dambska, et en 2` noces, vers 1708, Ca-

292 -quelle entra plus tard au monastère comme religieuse. Elle reçut l'habit de postulante le 29 septembre 1724, et celui de novice le 22 mai 1725, sous le nom de Marie de Saint Jean-Baptiste. L'archevêque était présent ainsi que beaucoup de personnes éminentes. La soeur émit ses voeux le 17 novembre 1726. Son père, monsieur Potocki, décédé, ne put jouir sur terre de cette cérémonie, mais sa mère, la tante de mademoiselle Cetner y assista. Elle devait mourir l'année suivante.

Pierre Potocki peu avant sa mort maria sa fille Éléonore à M. Fabian Szaniawski, staroste de Sochaczew. Il poursuivit la procédure si nuisible à la vie du monastère. Plusieurs personnes inquiètes au sujet de l'avenir du monastère, n'osaient pas confier leurs filles aux bénédictines.

Mais une consolation fut donnée aux religieuses par l'entrée au couvent de mademoiselle Louise Jablonowska 139, fille du palatin russe, qui avec sa femme aida tant à la fondation. Une autre pensionnaire, mademoiselle Thérèse Mierzejewska fille du châtelain de Zakroczym, demanda à entrer au couvent. Ces deux jeunes filles commencèrent leur postulat le 19 juin 1727. Mademoiselle Jablonowska prononça ses voeux le 23 janvier 1729, sous le nom de soeur Sainte-Scholastique, et mademoiselle Mierzejewska 140, le lendemain, sous le nom de Marie de Saint-Placide.

La prieure, mère Madeleine d'Auvergne, pouvait constater avec joie que l'oeuvre de sa vie prenait de l'essor, et que le très

therine Chodorowska. Il décéda en 1726.

Anne, soeur Marie de Saint Jean-Baptiste, née à Zoltan le 15 novembre 1710. Entrée au postulat le 29 septembre 1724, vêture le 22 mai 1725, fit profession le 17 novembre 1726, et décéda à Lwow le 9 janvier 1735. Elle était petite-fille de Paul Potocki et d'Eléonore Soltykow, et cousine germaine, par sa mère, de Sophie Cetner.

139. Louise, fille de Jean II Jablonowski, palatin russe, et de Jeanne Marie de Béthune, nièce de la reine Marie-Casimire.

Louise, soeur Marie de Sainte-Scholastique, née à Podkamieniec le 5 novembre 1711. Entrée au postulat le 18 juin 1727, vêture le 18 novembre 1727, profession le 23 janvier 1729. Elle fut prieure de 1765 à son décès, le 1« avril 1779.

140. Thérèse, fille de Casimir Mierzejewski, châtelain de Zakroczyn. et d'Agnès Lanckoronska.

Thérèse, (soeur Marie de Saint Placide), née à Usciu Zielonym le 18 octobre 1710. Entrée au postulat le 18 juin, vêture le 27 décembre 1727 ; profession le 24 janvier 1729. Prieure de 1750 à 1753 et de 1759 à 1765. Décédée le 5 novembre 1772.

293 Saint Sacrement dans son monastère recevait de plus en plus d'adoratrices. Elle regardait l'avenir avec confiance. Sa santé commença à décroître à l'âge de 75 ans. Atteinte d'une longue maladie, et ayant subi plusieurs opérations, elle s'est éteinte le 7 juillet 1729. Elle a contribué par son travail et son énergie à la naissance et au développement du monastère, qui lui doit une reconnaissance éternelle. Elle ne se décourageait jamais, même dans les plus graves difficultés. Au dernier moment, la situation matérielle était si précaire, que, pour couvrir les frais de son enterrement les religieuses furent obligées de s'endetter.

L'élection canonique de la mère prieure eut lieu le 20 août 1730 sous la présidence de Mgr Jérôme Jalowiecki 141, évêque suffragant de Lwow et mère Gertrude de Jésus (Mlle de Fleuri-sel) fut élue. Mère Casimire Potocka, élue antérieurement sous-prieure à Varsovie, n'assista pas à cette élection.

Soeur Elisabeth Puchet, converse, mourut le 1" janvier 1731. Son frère, étant à Rome en 1726 pour diverses affaires du gouvernement, lui avait envoyé des reliques de la vraie Croix. Le 13 janvier 1731, nous eûmes à déplorer encore un décès, celui de mère Morin. Et quelque temps après, toute la communauté fut en deuil en apprenant la mort du palatin Jean Stanislas Jablonowski (28 avril 1731), qui, avec sa femme, avait tant fait pour la fondation.

De nouvelles recrues se présentèrent : mademoiselle Anne Swiderska 142 commença son postulat le 18 août 1731, avec mademoiselle Louise Sierakowska 143 ; le 19 septembre, Rosa-

141. Evêque suffragant de Lwow en 1730.

142. Anne Swiderska, soeur de Saint Casimir. Née à Skale Kolo Kamienec, Podolski le 8 mars 1714. Entrée au postulat le 18 août 1731, vêture le 13 septembre 1732, profession le 29 avril 1736. Décédée à Lwow le 23 mai 1769.

143. Louise Marie Anne Sierakowska, soeur de Sainte Flavie. Née à Maciejourcie le 15 décembre 1717. Fille de Joseph, gardien de la Couronne, et d'Elisabeth Miaczynska. Entrée au postulat le 18 août 1731, vêture le 21 septembre 1732, profession le 6 mai 1736. Décédée le 15 avril 1762.

144. Rosalie, Barbara Bielska, soeur de Saint Maur. Née à Medyniale, le 4 décembre 1717. Fille de Boguslaw, staroste de Rabsztynski, et d'Anne Szeptycka. Entrée au postulat le 19 septembre 1731, vêture le 5 octobre 1732, profession le 24 mai 1734. Prieure de 1779 à 1791 et de 1793 à son décès le 3 mai 1797.

Elisabeth, soeur de Saint-Jean. Née le 24 juin 1725. Vêture le 3 juillet 1740, profession le 3 décembre 1741. Décédée le 26 janvier 1805. Elle était soeur de la précédente.

294-lie Bielska 144 ; le 5 novembre, Catherine Zurakowska 145, de sorte que le couvent compta de plus en plus de Polonaises. Quand le 2 août 1732 Mère de Tous les Saints, Lombard, mourut, il ne resta que trois Françaises parmi celles qui étaient venues à Lwow en 1709 : les mères Darly, Petitot, et soeur Beudon.

La mort du palatin Cetner, le 5 janvier 1732, fut une grande perte pour le monastère, surtout en ce qui concerne l'affaire d'héritage. Mère Saint-Benoît, sa fille unique (Sophie Cetner), avait hérité de sa mère Anne Chodorowska, le droit de disposer de tout ce que celle-ci avait apporté à son mari : les domaines et les bijoux. Donc, mère Saint Benoît était allée à Chodorow pour prendre possession de ses biens. Quant aux droits de succession de son père, elle s'en était dessaisie depuis longtemps. Pour prendre possession de la part des biens qui lui revenaient de droit, de sa mère, elle connut des difficultés de la part de la seconde femme de monsieur Cetner et de ses enfants : Françoise et Jean. Bientôt la mère mourut, le 29 septembre 1733, puis son fils en 1734, et l'affaire .de l'héritage changea d'aspect.

Mais il fut toujours délicat d'entrer en possession du fait de la guerre civile, provoquée par l'élection de deux rois, Stanislas Leszczynski et Auguste III de Saxe. L'armée russe du tzar Pierre le Grand envahit le pays et occupa Lwow. Le monastère ne présentant pas de sécurité suffisante, mère Cetner et mère Potocka s'adressèrent à monsieur Fabian Szaniawski, époux de la soeur de mère Anne Potocka, pour lui demander de recueillir les religieuses dans sa maison, mieux protégée. Il y consentit, et les moniales s'installèrent chez lui en novembre 1734. Mais bientôt il mourut et les religieuses se trouvèrent dans une situation difficile. Mère Anne Potocka mourut aussi, à la suite d'une maladie, le 9 janvier 1735.

Les moniales du Saint Sacrement trouvèrent asile à l'abbaye des bénédictines, et y furent très fraternellement reçues.

145. Catherine Zurakowska, soeur de Saint-Joseph. Née à Rachiniec. le 23 avril 1704. Fille de Michel, échanson, et de Sophie Ulinska. Entrée au postulat le 19 août 1731, vêture le 5 novembre 1731,profession le 21 janvier 1734. Décédée le 21 novembre 1772.

295

Bientôt la maladie obligea mère sainte Scholastique Jablonowska à s'aliter, ainsi qu'une novice, soeur Sierakowska, et une des pensionnaires. L'état de soeur Sainte Flavie Sierakowska, s'étant aggravé, on l'administra et elle prononça ses voeux sur son lit de mort. Elle revint quand même à la santé. En mars 1735, les religieuses retournèrent dans leur monastère. Elles le trouvèrent dans un état lamentable. La mère prieure, Gertrude de Jésus de Fleurisel décida de commencer la construction d'un couvent qui répondrait aux exigences de la clôture. Elle s'adressa à madame la palatine de Belz 146, fille de Stefan Potocki, pour obtenir des blocs de pierre provenant de ses carrières. Cette requête, soutenue par la palatine Jablonowska (Jeanne Marie de Béthune) fut agréée. On commença à apporter les pierres avec beaucoup de difficultés dues à la situation politique.

En juillet 1735, on procéda à l'élection de la nouvelle mère prieure, sous la présidence de Mgr Samuel Glowinski 147, évêque suffragant, administrateur du diocèse après la mort de l'archevêque Skarbek (+ 1733) ; mère Gertrude fut élue pour la troisième fois.

Espérant que, pendant la Diète de paix (1735) 148, on pourrait avantageusement liquider l'affaire de la fondation,

146. Belz, ville de Galicie, région de Lwow, sur la Zolokia, affluent du Bug. La palatine Ursule, fille d'Etienne Potocki, palatin de Belz, et de Thérèse Kaska, épousa Pierre Georges Przebendowski, dont elle eut deux filles, Thérèse, née en 1717, et Sophie, née en 1728, qui toutes deux furent religieuses à Varsovie.

147. Glowinski Mgr, Samuel, évêque d'Hébron. Il fut administrateur apostolique de l'archidiocèse de Lwow en 1733. Il remit en 1737 le gouvernement du diocèse à l'archevêque Nicolas Wyzycki, mais en redevint administrateur apostolique en 1757 après le décès de ce prélat. Mgr Glowinski fonda à Lwow un collège pour les garçons de la noblesse et l'enrichit de nombreux dons.

148. La Pologne était ravagée par la guerre et les dissensions intérieures. Deux rois se disputaient le trône : Auguste, électeur de Saxe, protégé par ses puissants voisins, et Stanislas Leszczynski, élu par sa nation. Le 31 octobre 1735, la paix fut enfin signée à Vienne. Auguste de Saxe conservait le royaume de Pologne et Stanislas se retira pour assurer la paix à son pays. En compensation, il reçut le Duché de Lorraine et de Bar. qui devait revenir à la France à sa mort, et il conserva son titre de roi de Pologne.

Il encouragea de tout son pouvoir ses partisans, groupés autour de lui au château de Koenigsberg, à faire leur soumission au nouveau roi, afin d'assurer la paix à la Pologne, alors épuisée par tant de luttes et de dévastations dues aux armées étrangères qui soutenaient chacune leur partisan au trône. (Cf. Abbé Proyart, Histoire de Stanislas Premier, roi de Pologne, duc de Lorraine et de Bar, Lyon, 1784).

296 mère Cetner, mère Mierzejewska et la dauphine, épouse de Constantin Sobieski, partirent pour Varsovie.

Elles ne purent rien obtenir, car Mathias Kozminski, palatin de Kalisz 149 intéressé dans l'héritage de monsieur Cetner, au titre de mari de Thérèse, sa troisième fille, ne vint pas au rendez-vous de Varsovie.

Les anciennes moniales françaises étant décédées à Lwow, on demanda aux moniales de Varsovie de leur céder une ancienne religieuse française en échange de mère Casimire Potocka, élue prieure de Varsovie le 2 juillet 1730. Donc mère Catherine de l'Assomption Faguet, professe en 1698, arriva à Lwow. Elle resta à Lwow de 1736 à 1746. A cette date il resta au monastère parmi les religieuses du premier groupe des fondatrices : mère Darly et mère Petitot.

Après la mort de monsieur Jean Cetner, demi-frère de mère Cetner, les affaires d'héritage tombèrent entre les mains de François-Michel Joseph Rzewuski, mari de sa soeur Françoise. Mère Cetner dut se rendre souvent à Lublin pour ces affaires, car le procès traînait. Elle écrivit à Rome, à la Sacrée Congrégation des Religieux, pour obtenir le droit d'user des domaines qui lui revenaient jusqu'à ce que la construction du monastère et de l'église fût achevée et la fondation sûrement établie. En janvier 1738, la Sacrée Congrégation lui octroya l'autorisation demandée.

On commença donc les travaux en 1739 et, le 25 juin de la même année, l'archevêque de Lwow, Mgr Nicolas Wyzycki 150, bénit les fondations, entouré d'un clergé nom-

149. Kalisz, près de la* Silésie, sur la Prosna, affluent de la Wartha, passe pour la ville la plus antique de la Pologne. On l'identifie avec la Kalisia de Ptolémée.

Au XVII' siècle, le collège des jésuites poursuivait des recherches sur les taches solaires et la lunette astronomique. Cet institut joua un rôle important dans la culture polonaise.

Mathias Kozminski, fils d'Adam, castellan de Rogozno, et de Sophie Mielzynska, palatin de Kalisz, décédé en 1749.

150. La première pierre du monastère fut posée par Mgr Howinski. Mgr Nicolas Wyzycki bénit la première pierre de fondation le 25 juin 1739, il posa et, bénit la première pierre de l'église en 1743.

La construction de l'église avait été commencée grâce à la générosité de la princesse Hélène Czertwertinska. Mais celle-ci mourut sans avoir fait de testament et les travaux durent être arrêtés faute d'argent et ne purent être repris qu'en 1903, à cause de la pauvreté du monastère et de la situation politique. En 1748, Mgr Wyzycki fonda la première Maison des prêtres de la Mission à Lwow. Il quitta son diocèse en 1775.

297-breux et de beaucoup de personnalités. Les premières pierres furent posées par le prince Janusz Wisniowiecki, châtelain de Cracovie et la palatine Jablonowska. Le père Emmanuel de Saint-Jean-Baptiste, piariste 151 et aumônier du monastère, leur rendit des services notables pour le commencement des travaux.

Entre-temps, la santé de la mère sous-prieure, mère Catherine de Jésus Petitot, s'aggrava, on la libéra donc de sa charge. Elle mourut le 1 er mai 1740. C'est mère Cetner qui lui succéda dans cet office.

En 1739, la princesse Caroline de Bouillon, fille du dauphin Jacques Sobieski et petite-fille du roi Jean III, mourut à Zolkiew 152. Elle avait demandé dans son testament qu'on l'enterrât dans l'église des bénédictines du Saint Sacrement de Lwow, revêtue de l'habit de saint Benoît. Elle avait envoyé vingt ducats pour l'achat des robes. Les religieuses furent très touchées de cette marque d'affection et d'estime pour leur monastère.

En octobre 1740, la mère prieure (Gertrude, de Fleurisel) et mère Cetner, sous-prieure, partirent pour Varsovie. Au monastère elles purent rencontrer la reine Marie Josèphe, fille de l'empereur Joseph 1 er d'Autriche et femme du roi de Pologne,

151. La Congrégation des Clercs réguliers des écoles pies, nommés aussi les Pauvres de la Mère de Dieu, fondés par saint Joseph Calasanz, qui ouvrit la première école en 1597 dans le quartier pauvre du Transtévère à Rome. Ce fut la première école gratuite existant en Europe. Les débuts de la congrégation furent extrêmement difficiles. Le fondateur en butte aux jalousies et aux critiques, tant à l'intérieur de sa congrégation qu'au dehors, finit même par être dénoncé à l'Inquisition et arrêté. Mais, rapidement libéré et, généreusement soutenu par le pape Clément VII, le saint fut bientôt en mesure d'enseigner gratuitement 1 200 enfants.

Joseph Calasanz, né dans le royaume d'Aragon le 14 septembre 1556, ordonné en 1583, théologien de l'évêque de Lérida. Il partit pour Rome en 1592 où il mourut le 25 août 1648. Après son décès, sa congrégation fut rétablie selon les coutumes que Joseph Calasanz avait fondées. Il fut canonisé en 1767 par Clément XIII. La congrégation se répandit d'abord en Aragon, et, dès 1631, en Italie, en Allemagne, en Bohème et en Pologne. A la fin du siècle dernier, les clercs réguliers avaient plusieurs séminaires, en particulier à Rakowice, près de Cracovie. (Cf. Catholicisme).

152. Ville de Galicie à 22 km au nord de Lwow, située sur la Swinia, affluent de la Rata. Dans l'église gothique se trouvent les tombeaux des familles Sobieski et Zolkiewski.

Stanislas Zolkiewski, général polonais (1547-1620) qui avait reçu son éducation à Lwow, se distingua dans les guerres menées par les Polonais, s'empara de Moscou et fut tué à Secora. Il fut le grand père du roi Jean III Sobieski, qui séjourna au château de Zolkiew.

298 Auguste II de Saxe. Elles demandèrent que le roi puisse obtenir de la Diète, qui siégeait en ce moment, la confirmation des deux fondations des moniales du Saint-Sacrement. La reine promit de faire de son mieux, ...mais la Diète fut rompue.

En 1741, mère Gertrude, prieure depuis 1729, demanda à être déchargée de sa fonction de prieure pour des raisons sérieuses. Aussitôt qu'elle n'eut plus de responsabilités, elle commença à rédiger l'histoire du monastère, se servant des notes de mère Morin, de mère Darly et de ses propres souvenirs, ainsi que de ceux de mère Cetner, qui joua un si grand rôle dans la fondation du monastère de Lwow. Cette chronique de mère Gertrude, écrite en français, constitue une source importante pour connaître la première époque du monastère. Mère Cetner fut élue prieure, en juillet 1741.

Les affaires de succession empoisonnaient toujours la vie des moniales. Enfin en 1742 on aboutit à une solution de corn-promis : monsieur Rzewuski s'étant engagé à payer 100 000 zlotys en dédommagement des domaines qu'il gardait et 60 000 zlotys destinés à la construction du monastère et de l'église. Ainsi ces problèmes, si pénibles pour les religieuses, prirent fin.

La bienveillance de l'archevêque leur fut une grande consolation. Il procéda à la visite canonique du monastère, le 16 août 1743, pour la première fois depuis l'existence du couvent, et se montra très satisfait de cette visite.

Le jour du 29 septembre 1743 fut très important pour le monastère. L'archevêque vint bénir la fondation de l'église qui devait être placée sous le vocable des épousailles de Marie, Mère de Dieu, et de saint Joseph.

Le nombre des religieuses polonaises augmentait toujours. Entre autres, trois soeurs Wilczek 1S3 étaient venues malgré l'opposition de leur père. Mais l'archevêque réussit à le persuader. Elles reçurent l'habit des novices le 24 novembre 1743.

153. Thérèse Sophie, née à Lwow le 30.10.1723 ; Anne Barbara, née it Lwow le 7.3.1725 ; Madeleine Félicité, née à Lwow le 6.4.1727.

Filles de Jean Wilczek, conseiller de la ville de Lwow, et de Félicité Steczkiewicz. Entrées au monastère le 1°f septembre 1743. Vêture le 24 novembre 1743, profession le 5 juin 1746. Thérèse, soeur Sainte Foi, est décédée le 18 mai 1784 ; Anne, soeur Sainte-Espérance, est décédée le 21 janvier 1788 ; Madeleine, saur Sainte--Charité, est décédée le 31 janvier 1771.

299

Son Excellence présidait la cérémonie et leur donnait les noms de : Sainte Foi, Sainte Espérance, Saint Amour (Charité). Le même jour dans l'église du couvent, le prélat ordonna prêtre, le frère des trois novices, dominicain. Toutes les trois persévérèrent et le 5 juin 1746 elles prononcèrent leurs voeux monastiques, en présence de l'archevêque et d'une nombreuse assistance, très émue d'une telle cérémonie.

La construction du monastère avançait toujours, mais trop lentement, car l'habitation provisoire tombait en ruines. La mère prieure fit des démarches pour obtenir de quoi couvrir les frais. Elle écrivit au roi Stanislas Leszczynski, prince de Lorraine, pour lui demander du secours. Mère Jablonowska était la propre nièce (sic) du roi, et celui-ci avait déjà envoyé au monastère en 1737 une relique de saint Benoît, reçue du général des bénédictins de la congrégation de Saint-Maur (cf. chapitre suivant. Le roi, répondit à son appel, en lui envoyant 20 000 zlotys pour la construction.

Il faut ajouter que la palatine Jablonowska, juste avant de mourir, en mars 1744, offrit au monastère une relique de saint Roch.

Le nombre des religieuses françaises ayant diminué, les moniales chargèrent le révérend père Baudouin 154, célèbre

154. Gabriel Pierre Baudoin, né le 5 avril 1689 à Avesnes, diocèse de Cambrai, entra dans la congrégation de la Mission, le 10 avril 1710. I1 fut d'abord envoyé à Versailles, puis, après son ordination, au séminaire d'Auxerre comme professeur de théologie jusqu'en 1717. C'est sur sa demande qu'il fut envoyé en Pologne, à la maison Sainte-Croix de Varsovie. Il fut successivement professeur de théologie et de philosophie, puis directeur du séminaire et assistant. Il assura durant plus de trente ans le ministère de confesseur ordinaire des filles de la Charité et de confesseur extraordinaire des soeurs de la Visitation. Dès qu'il eut une connaissance suffisante de la langue, il assuma des fonctions de ministère dans la paroisse ; la vue des enfants abandonnés par leur mère l'engagea à fonder un hôpital sur la paroisse Sainte - Croix, aidé par de généreux donateurs. Des femmes et des enfants abandonnés devaient être confiés aux filles de la Charité. Il commença à mettre son projet à exécution en 1732, mais il dut rapidement agrandir. Les fondations de l'hôpital de l'Enfant-Jésus furent posées en 1756. Le zèle de M. Baudoin le poussa a s'occuper aussi des vieillards, des mendiants et à transformer sa fondation primitive en hôpital général. Il parvint à réaliser son projet avec l'accord de l'évêque de Posen et l'appui du roi Auguste III de Saxe et de ses ministres. Il mourut, épuisé par son zèle infatigable, dans l'hôpital, qui fut la grande oeuvre de sa vie, entouré de la vénération de tous, le 10 février 1768. Ses obsèques furent célébrées par Mgr Hilger, évêque de Smolensk, et suivies par une foule de toutes les classes sociales, unies pour ce dernier hommage de vénération et de reconnaissance envers celui qui fut appelé le  « Père commun des pauvres ». (Mémoires de la Congrégation de la Mission, Paris, 1863, Arch. de la Congrégation).

missionnaire, qui partait de Varsovie pour Paris, de leur trouver une postulante en France. Toul envoya mademoiselle Catherine Granville, qui, après son noviciat passé à Lwow, prononça ses voeux le 20 février 1746.

Le triennat de mère Cetner expirait, elle demanda à ne pas être réélue, mais, craignant qu'on passât outre à son désir, elle le confia à l'archevêque, qui l'appuya. En 1750, la mère Mierzejewska fut élue. Après elle, ce fut de nouveau mère Cetner, de 1753 à 1759, donc deux triennats, puis encore mère Mierzejewska, de 1759 à 1765, et ensuite mère Jablonowska, de 1765 à 1779. Pendant son priorat le premier partage de la Pologne ayant eu lieu, une nouvelle époque commença pour le monastère, une époque de dures et grandes épreuves.

NOTICE NÉCROLOGIQUE DE LA FONDATRICE DE LWOW

Loué, adoré soit à jamais le très Saint Sacrement de l'autel.

Mes très révérendes mères et très chères soeurs,

Quoique éloignées de corps, mais unies de coeur en l'amour de Notre Seigneur Jésus-Christ au très Saint Sacrement, nous faisons part à vos révérences du bonheur dont nous avons joui pour vous le faire savoir, ou plutôt, s'il nous était permis, nous nous plaindrions de la perte que nous venons de faire, par la mort de notre vénérable et très digne fondatrice. Tout nous excite au regret et à la douleur, jusqu'à ces murailles qui nous enferment et qui sont le fruit de ses grands travaux. Il serait à souhaiter que de pareilles personnes vécussent des siècles entiers, mais ce qui ferait le bonheur des unes ferait tort aux autres par le retardement de la récompense due à leurs mérites.

Cette digne mère naquit en mil-six-cent-nonante-huit, cinquième jour de février, d'une maison polonaise des plus illustres, et fut nommée au saint baptême Faustine-Sophie. Son père s'appelait François Cetner, palatin de Smolensk, sa mère, Anne Chodorowska, d'une des familles les plus grandes et les plus distinguées. Cette digne mère fut l'unique fille, héritière de très grands biens du côté de madame sa mère, puisque Mgr le palatin se remaria, avec madame Anne Tarlo.

301

Son père la mit dans notre maison qui n'était encore qu'un petit hospice, pour apprendre la langue française, car, pour lors, madame sa mère était morte. Elle demeura donc chez nos mères en compagnie de beaucoup d'autres pensionnaires. Très qualifiée, notre chère mère s'appliquait et s'exerçait dans toutes sortes de vertus convenables à sa qualité, ou plutôt à celle où elle prétendait parvenir, avec une grande piété. A l'âge de 14 ans, elle signifia à M. son père qu'elle désirait être religieuse, à quoi la piété de son père n'aurait pas contredit, mais ses tantes du côté maternel, qui la chérissaient, souhaitaient la voir établie selon sa qualité et son grand bien, d'autant que le prince Rzewuski la recherchait alors, ce qui mit de grands obstacles à ses projets. Son père la retira du couvent ; mesdames ses tantes la prenaient chez elles, à l'envi l'une de l'autre, où elle fut extrêmement contredite et détournée. Mais Dieu fut le plus fort, puisqu'elle persévéra en sa vocation, surmontant les obstacles de la nature et du sang, d'autant qu'elle était très chérie de son père et de toute la famille.

Cette chère mère entra en épreuve en mil-sept-cent-quinze, et se déclara être âgée de dix-sept ans, et monseigneur Cetner le palatin, son père, se déclara alors être notre fondateur.

Mais mon Dieu, que de contradictions, mille procès de la part de toute sa famille ! D'autant que par la succession, tous les grands biens du vivant de madame la palatine, mère de notre très digne fondatrice, lui étaient échus, comme à sa fille unique. Toutefois, après deux années d'épreuve, elle prit le saint habit, en présence d'un grand concours de personnes qualifiées. Monseigneur l'archevêque Skarbek fit la cérémonie, et elle fut nommée Marie de Saint-Benoît.

La novice était toute unie à Dieu, avec une modestie et une dévotion, qui fut remarquée et admirée de tous les assistants. Elle continua son épreuve encore quatre ans, toujours contrariée par sa famille, mais toujours avec une nouvelle ferveur, une mortification extrême, une humilité foncière et une patience à toute épreuve. Monseigneur, le palatin, avait fait bâtir en attendant un petit couvent très commode et très agréable, avec tous les lieux réguliers et une chapelle. Cependant, en cet espace de quatre ans on ne put achever ce petit bâtiment, étant obligé de l'interrompre souvent par les contrariétés et procès continuels. Toutefois, au bout de ce temps, la sainte novice fit sa profession le 15e d'avril 1721, avec une nouvelle ferveur et un amour de Dieu qui se faisait remarquer sur son visage. Elle travailla à l'acquisition de toutes les vertus, malgré tout le trouble de la fondation ; car, aussitôt sa profession, on commença de nouveaux procès. Elle se trouva obligée de faire divers voyages avec bien de la fatigue, mais ce qui la consola, ce fut que l'adoration commença à sa profession ; et, autant que les affaires le lui permettaient, elle a consumé ses jours en adoration. Si on voulait écrire un jour tout ce qu'elle a fait et souffert pour cette fondation, on en ferait un volume. Elle exerça l'office de robière durant plusieurs années ; ensuite, elle fut sacristine et maîtresse des novices, et elle était partout l'exemple vivant de la Règle, puis sous-prieure, ensuite prieure, avec une grande répugnance de sa part mais une véritable satisfaction de la communauté. A chaque triennat, elle usait de tous les moyens pour choir (échapper à) l'élection. Elle obligea à la fin la communauté, quoiqu'avec bien des regrets de la laisser reposer après dix-huit années de supériorité. Elle nous donna des marques de bontés maternelles et de toutes les vertus. Elle les continua en son repos, et parvint à une telle union avec Dieu et sainte indifférence, que tout lui était égal, nous montrant un grand exemple de mortification jusqu'à sa mort. Elle était toujours d'un esprit ferme et tranquille dans tous les événements les plus mortifiants. Dieu l'avait douée de toutes les vertus qui distinguent les personnes de sa qualité : une taille avantageuse, agréable de visage, un air majestueux. Plusieurs personnes nous ont avoué qu'on se sentait saisi de respect et de vénération quand on approchait d'elle, quoiqu'elle fût d'un abord facile et reçût bénignement ceux qui traitaient avec elle. Mais comme les personnes préposées ont à rendre compte à Dieu, non seulement de leurs fautes mais encore de celles qui leur sont soumises, ce que nous craignons pour notre chère fondatrice, nous supplions votre charité de la secourir par vos saintes prières auxquelles nous la recommandons, comme aussi nous autres que Dieu laisse pour faire pénitence en cette vie, et qu'il nous unisse éternellement en l'autre pour chanter à jamais le divin cantique : « Loué et adoré soit le très auguste sacrement de l'autel ! »

303

Je pretendais me dispenser d'évoquer le décès de notre très chère fondatrice, dont le seul souvenir me fait trembler la main. Néanmoins, il faut bien relater le trépas de celle qui a fini ses jours en terre pour vivre éternellement dans le ciel, comme nous l'espérons de la miséricorde du Seigneur. Cette digne mère, après avoir assisté à la cérémonie de l'élection de la très sainte Mère de Dieu, le dimanche après la fête de l'Assomption, selon nos constitutions, qui était le 22 août en 1773, tomba malade la nuit et, malgré tous les remèdes des médecins, son mal augmenta toujours. Nous nous sommes trouvées d'abord toutes consternées, mais messieurs les médecins nous consolaient toujours, disant qu'il n'y avait point de danger. Peut-être aussi que cette chère mère, pour ne nous point attrister, ne se plaignait point dans ses douleurs, quoique, quand on lui demandait où elle souffrait le plus de son mal, elle disait qu'elle sentait comme si on lui arrachait toutes les entrailles. Et elle souffrait dans un si grand silence qu'on avait de la peine de connaître si elle dormait ou non, si ce n'est que, de temps en temps, elle poussait quelques soupirs.

Cette victime chérie de Dieu se consuma ainsi sur son bûcher jusqu'au 8e de septembre 1773, auquel jour, après avoir reçu les derniers sacrements avec une grande présence d'esprit, elle rendit son âme à Dieu, pendant la bénédiction du Salut, vers six heures du soir, en sa 76e année, mais si tranquillement qu'à peine on put s'en aperçevoir.

C'est ainsi que cette lumière s'est éclipsée pour nous, nous laissant dans les ténèbres d'un morne silence. Il fallait pourtant lui rendre le dernier devoir, et il nous semblait que nous étions toutes mortes avec elle. Ce qui nous console, c'est qu'elle nous aimait et qu'elle ne nous oubliera pas devant Dieu.

Nous avons fait son enterrement le samedi 11e de septembre. Monseigneur l'évêque de Nissie et suffragant de Léopol a fait la cérémonie funèbre. Aussitôt nous accomplîmes ce qui nous est marqué aux constitutions, « lorsque la mère prieure décédera dans sa charge » : notre révérende mère, ayant fait assembler la communauté capitulairement, a établi, avec le consentement de toutes les religieuses, qu'à perpétuité, pour avoir toujours ses bienfaits présents qui sont au-dessus de tous ceux des autres fondateurs et fondatrices, car elle ne se contenta pas de donner son bien à la sainte religion mais même sa propre personne, de dire tous les mois une Vigile à trois leçons et qu'on lui appliquera la sainte communion générale, et tous les ans un service solennel, outre le De profundis tous les jours à la fin des Vêpres.

Soeur Marie de Sainte Scholastique, Jablonowska, prieure de Léopol, Soeur Marie de Sainte Foy Wilczek, secrétaire du chapitre

(archives du monastère de Rouen — autographe).


II. SOUS L'OCCUPATION (1772-1917).

Le 5 août 1774, trois voisins rapaces signèrent le premier partage de la Pologne. Et dès le 19 septembre l'armée autrichienne occupa Lwow.

Le 15 octobre 1774, l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche (1717-1780), dans un édit, défendit d'émettre les voeux monastiques avant l'âge de vingt-quatre ans accomplis. A ce moment, il y avait au noviciat mademoiselle Alexandra Drzewiecka, âgée de dix-huit ans à peine, fille de Felician Drzewiecki 155, porte drapeau de Krzemieniec. Elle ne voulut pas attendre si longtemps et quitta le monastère.

Malgré cela, durant le règne de Marie-Thérèse, les monastères n'eurent pas beaucoup à souffrir. Mais quand son fils, l'empereur Joseph II (1741-1790), monta sur le trône d'Autriche, une période de calamités commença.

Les congrégations contemplatives, en particulier, furent visées. Seuls, les couvents de congrégations actives ou demi-actives purent subsister. Le monastère de Lwow comptait, en 1781, vingt-quatre moniales choristes et six converses. Le gouverneur de la Galicie, dont Lwow fut la capitale, parlait ainsi des bénédictines du Saint-Sacrement dans le registre des couvents des moniales de Galicie, envoyé à l'empereur le 10 mars

155. Drzewiecki, Borsa-Drzewiecki ; Félicien, porte-drapeau de Volhynie, fils de Pierre, chambellan de Krzemieniec et de Marianne Wisniowska. Il épousa N. Bedowska.

Est entrée à la même époque Alexandra Tekia Radlinska, fille de Rosalie Drzewiecka, née le 30 avril 1758 ; vêture le 4 juin 1774 ; profession le 15 février 1784 ; décédée le 3 juillet 1835.

305 1782 : « Elles ont dix pensionnaires, elles leur font apprendre le français, jouer le clavicorde et d'autres sciences en dehors des travaux manuels de couture, etc. Leur fortune a été appréciée à 86 940 florins dans le pays et 65 000 florins à l'étranger ». Un peu après, au sujet des bâtiments : « Les religieuses ont leur église en dehors de la ville, leur monastère n'est pas encore fini et pour les pensionnaires, il serait préférable qu'elles fussent plus près de la ville même. Nous proposons donc de transférer les bénédictines dans le monastère laissé libre après le départ des clarisses, (bernardines) 1S6, et de vendre les bâtiments du monastère des bénédictines ».

L'empereur ne suivit pas ce conseil et, par décret du 30 juin 1782, il leur ordonna de rester dans leur monastère actuel. Dans le décret du 19 octobre 1785, il leur permit de continuer à travailler, mais à condition qu'elles enseignassent désormais la langue allemande, et ti nssent une école normale, où la langue allemande tiendrait la première place. Le comte Brigido, gouverneur de Galicie, informa seulement au bout de quatre ans les mères et le public, par un appel du 17 mai 1787, rédigé en allemand et en polonais : « Parce que les religieuses s'occupent de l'éducation de la jeunesse féminine, du fait de cette utilité, elles peuvent exister pour toujours ; on leur permet donc, ainsi qu'aux congrégations religieuses qui n'ont pas été supprimées, de recevoir des novices ».

La fondation était sauvée, mais les moniales vivaient dans des conditions déplorables. Les profits des sommes hypothéquées sur le domaine de Krystynopol avaient déjà cessé en 1781, et toutes les démarches pour les récupérer restèrent vaines. D'autres apports n'arrivaient pas régulièrement. Les moniales se virent contraintes de vendre un certain nombre d'objets, en argent, de l'église.

En 1781 encore, mère Sophie Przebendowska 157 moniale

156. Une branche des frères mineurs, dite de l'Immaculée Conception, se nommait autrefois bernardins. C'est probablement la branche féminine. Les bernardins étaient très répandus au XVII° siècle.

157. Sophie Antoinette Rose, mère Ursule de Sainte Apolline, fille de Pierre-Jerzego, voïvode de Malbork, et d'Ursule Potocka. Née à Gdansk, le 19 septembre 1728, vêture en 1746 à Varsovie, elle fit profession le 28 janvier 1748 ; partie en France le 17 août 1781,elle revint à Lwow le 12 février 1788. Après la fermeture, en 1793, du second monastère de Lwow, qu'elle avait tenté d'organiser, elle se retira au couvent des Clarisses, où elle mourut le 26 novembre 1803.

de Varsovie, partit en France. Elle fit de son mieux pour obtenir des autorités françaises la permission de s'établir à Lwow, avec quelques bénédictines françaises. (On ignore si elle agissait de sa propre initiative, ou si elle suivait les instructions de Varsovie). Elle sollicitait aussi le droit de jouir d'une dotation de la reine Marie-Casimire qui, organisant le monastère de Varsovie, lui avait donné le profit de 8 000 zlotys sur son domaine de Jaroslaw. Cette dotation avait été signée en 1688 et le monastère de Varsovie reçut régulièrement cette somme jusqu'en 1782 inclus. Mais, comme l'empereur Joseph II avait confisqué les biens des couvents étrangers au profit du département des Affaires religieuses en Autriche, par décret du 5 juin 1784, le monastère de Varsovie perdait le droit de recevoir la somme accordée par la reine Marie-Casimire. Mère Przebendowska et mère Thérèse des Anges (du Parage de Mainvilliers) s'adressèrent donc à la reine Marie-Antoinette, femme du roi Louis XVI et soeur de l'empereur Joseph II. Elles demandèrent à la reine d'obtenir de l'empereur la permission de les recevoir à Lwow et de percevoir régulièrement la somme offerte par la reine Marie-Casimire.

L'empereur acquiesça et donna officiellement sa permission. Alors, le roi Louis XVI autorisa mère Przebendowska à choisir dans les monastères de France les religieuses qui voudraient partir pour la Pologne. Elle fit son choix de six Françaises et de deux Polonaises. Les frais du voyage étaient couverts par l'office autrichien des Affaires religieuses en Galicie. Ces religieuses arrivèrent à Vienne en décembre 1785, puis à Lwow le 12 février 1786. (Cf. ch. xI).

Les autorités autrichiennes se réjouirent de leur arrivée, car elles pensaient que des moniales étrangères donneraient une meilleure éducation aux jeunes filles de grandes familles, dans l'esprit autrichien, plutôt que des religieuses purement polonaises.

Les nouvelles soeurs habitèrent dans le monastère, mais il était très misérable et trop petit pour recevoir encore d'autres personnes. Il y avait en 1786 vingt-six moniales, six soeurs converses, une novice, sans compter celles qui arrivaient de France. Elles ne purent accueillir d'autres pensionnaires faute de place. L'office était dit dans la chapelle, l'église n'étant pas

307

encore finie, faute de fonds nécessaires pour la construction. Donc, en mars, trois françaises demandèrent à retourner en France. L'empereur refusa, le voyage étant trop onéreux.

Joseph II hésitait : fallait-il sacrifier l'ancien monastère ou en ouvrir un deuxième pour les nouvelles venues ? A leur demande, il permit l'établissement d'un second couvent des béné: dictines du Saint-Sacrement à Lwow. Dans son décret du 6 août 1786, il disait : « De la sorte, il y aura deux couvents de bénédictines du Saint Sacrement éducatrices, nous verrons lequel travaillera le mieux et gagnera la confiance du public ».

Le nouveau monastère devait se composer surtout d'étrangères, Françaises et Allemandes. On leur donna l'ancien couvent des carmélites déchaussées. L'empereur vint lui-même le

7 août 1786 et décida de les y laisser. Par une lettre officielle, du 17 mai 1787, M. Brigido, gouverneur de Galicie leur faisait savoir :

1. Par une circulaire on annoncera l'existence du couvent car on espère qu'il sera utile et qu'il aura la permission de recevoir des novices, comme les autres couvents déjà autorisés.

2. Sa Majesté décide qu'en raison du petit nombre de religieuses enseignantes, le nombre d'élèves d'origine noble sera fixé à vingt pensionnaires, les autres étant autorisées à retourner dans leur famille.

3. D'ores et déjà on leur attribue une pension de 175 florins, dont 125 couvriront les frais de nourriture, et 50 les autres dépenses. Le couvent est obligé de donner quatre plats à midi et trois le soir à toutes les jeunes filles dans une proportion égale. De même, toutes porteront le même habit. La supérieure sera tenue de donner satisfaction à toutes les demandes de la directrice du pensionnat. De plus, la supérieure doit savoir que si elle reçoit de l'archevêque la permission de ne pas utiliser l'huile pour les plats, tant pour les religieuses que pour les pensionnaires, les plats à l'huile devront cesser complètement, vu les difficultés à se procurer une huile de bonne qualité.

4. Quant aux travaux de construction, nécessaires dans le monastère, c'est M. Guibaut, l'architecte municipal qui en sera chargé. En plus des travaux déjà en cours, on prévoit : de terminer l'église et de ne pas la prolonger au-delà du premier pilier, et la chapelle pour les religieuses devra être achevée.

308

5. On permet aux religieuses et aux pensionnaires d'être inhumées dans le caveau de la chapelle conventuelle.

C'est ainsi que l'existence de ce monastère polonais fut assurée.

Le second monastère des bénédictines, n'exista pas longtemps. Par décret du 7 août 1787, l'empereur ordonna de le fermer. Les raisons politiques en furent probablement la cause, car les nouvelles parvenant de France n'étaient pas rassurantes. On sentait déjà monter l'orage qui secouera la France et toute l'Europe. Quelques religieuses françaises repartirent dans leur pays. Il n'y eut que Mlle Catherine Beagle, soeur de Saint-André, qui retourna dans le premier monastère de Lwow le 13 août 1791. Trois bénédictines du second monastère : mère Przebendowska, mère Thérèse des Anges et Victoire Ango, allèrent chez les clarisses de Stary Saçez avec la permission de Mgr Florian Janowski, évêque de Tarnow, le 14 mai 1793. Elles y restèrent jusqu'à leur mort.

Quant à la somme léguée par la reine Marie-Casimire, l'empereur Joseph II l'octroya aux bénédictines de Lwow, dans ce même décret du 7 août 1787. Cette rente de 8 000 zlotys fut changée en 2 000 florins. Les mères Przebendowska et mère des Anges recevaient, une rente viagère sur cette somme. Plus tard on diminua la somme de 2 000 florins pour n'attribuer que 800 florins. Les moniales de Lwow tirèrent donc profit de la courte existence du monastère des étrangères car elles reçurent cette rente jusqu'à la première guerre mondiale. C'est l'État autrichien qui la versait. L'État polonais l'ôta, malgré les réclamations réitérées.

PASSAGE DE RÉFUGIÉS FRANÇAIS A LWOW (1798-1799)

... « Ce fut la veille de la Conception de la très Sainte Vierge 7 décembre 1798 que les trappistines arrivèrent à Lemberg ou Léopol, terme provisoire de leur voyage. Les bénédictines de l'adoration perpétuelle du très Saint Sacrement voulurent bien les accueillir dans leur monastère et leur donner l'hospitalité jusqu'à leur passage en Russie. La supérieure, soeur de Saint-André Beagle, française d'origine, leur témoigna le plus grand intérêt et la communauté entière partageait ses sentiments, de sorte que les trappistines furent de la part de ces 309 dignes religieuses, l'objet de la charité la plus compatissante. Les fatigues excessives du voyage devaient avoir leur contrecoup. Pendant qu'elles séjournaient-là, les soeurs furent atteintes d'une fièvre maligne qui devint contagieuse. Leur supérieure mourut ainsi qu'une autre soeur. Parmi les survivantes, plusieurs furent réduites à l'extrémité et, chose plus triste, la supérieure des bénédictines de l'adoration perpétuelle du très Saint Sacrement, elle aussi atteinte de ce mal, succomba, le 9 février 1799, victime de sa charité auprès des malades »...

(Extrait de ODYSSÉE MONASTIQUE

Dom A. de Lestrange et les trappistes pendant la Révolution,

Edition de la Grande Trappe, 1898).

Le monastère souffrait une grande disette et était écrasé par les impôts de toutes sortes. Les revenus ne suffisaient pas à les couvrir et déjà en 1808 les 4 000 florins placés sur le somaine de Bardzikowice ne rapportaient plus aucun bénéfice ; de même, depuis 1818, le revenu des 5 000 florins placés sur Targowiski était inexistant.

Pour bien enseigner l'allemand, les moniales firent venir quatre Tyroliennes 1S8. L'État paya leur voyage de Vienne à Lwow, soit 200 florins, mais les moniales furent obligées des les rembourser. La mère Saint Anselme Radlinska 159, prieure, déclara que c'était impossible, car elles vivaient dans une extrême misère, ce qui fut confirmé par l'archevêque Ankiewicz 160.

La mère prieure Radlinska eut beaucoup de mal pour « joindre les deux bouts », surtout après l'incendie des bâ-

158. Rosine Fritz, soeur Saint Maur, née au Tyrol le 11 avril 1770, vêture le 2 juillet 1801, profession le 31 mai 1803, décédée le 9 mars 1838.

Brigitte Randolfin, soeur Saint-Benoît, née au Tyrol le 10 octobre 1791, vêture le 21 janvier 1818, profession le 8 août 1819. Décédée subitement le 10 janvier 1821. Elisabeth Spottl, soeur Sainte-Scholastique, née à Alsan au Tyrol le 3 octobre 1792, vêture le 21 janvier 1818, profession le 8 août 1819, décédée le 20 avril 1843. Thérèse, Marie Kolb, soeur Sainte Scholastique, née à Hall au Tyrol le 10 février 1824, vêture le 20 octobre 1844, profession le 15 juin 1849, décédée le 20 octobre 1861. Elle fut professeur (voir ci-dessous n. 162, la liste des religieuses enseignantes).

159. Alexandra Tekla Radlinska, soeur de Saint-Anselme. Fille de Szczepana, Entrée au monastère le 4 juin 1774, profession le 15 novembre 1784. Prieure de 1815 à son décès le 3 juillet 1835.

160. Archevêque de Lwow vers 1818, à l'époque de la domination autrichienne

-timents situés dans la cour. Une partie de la voûte de la chapelle s'était effondrée, et tout le monastère exigeait un remaniement, autrement il serait tombé en ruines. Le conseil chargé des bâtiments du monastère exigea une somme de 5 000 florins indispensable pour sauver la construction. Mais où trouver ces fonds ? Le gouvernement qui leur avait volé leur fortune, ne voulut rien donner ; il leur permit seulement d'emprunter. Les autorités municipales de Czerniow leur avancèrent 5 000 florins.. On remédia donc au plus urgent, mais le remboursement de cette dette traîna longtemps.

Les années 1830-1831 furent particulièrement difficiles à vivre à cause de la famine et du choléra qui sévissaient dans la ville. Les parents des pensionnaires reprirent leurs filles par crainte de l'épidémie et cette source de revenus fut perdue. Les moniales furent obligées de s'occuper de leurs biens de Wasylow Wielki, achetés en 1758 par la prieure d'alors, mère Cetner. Ce domaine appartenait auparavant à monsieur Macary Kurdwanowski, écuyer tranchant de Lubaczew 161. Ce domaine n'apportait que peu de revenus et on était sans cesse obligé de réclamer le dû.

Après l'époque de la famine et de la maladie, les moniales reprirent leur enseignement avec zèle. En 1858, les professeurs étaient les bénédictines : Zielonczanka, Gerardowna, Ruschitzka, Kuczynska, Kolb 162. Par moments, il y avait 60 pen-

161. Lubaczen (ou Lubaczow), ville de Galicie, voïvodie de Przemysl, sur un affluent droit du San. Cette ville est fort ancienne. M. Macary Kurdwanoswski avait vendu ce domaine à mère Cetner, par acte enregistré à la mairie de Lwow le 14 juillet 1760.

162. Victoire Zielonczanka, soeur Saint Placide, née à Krzywe, voïvodie de Suwalki, le 8 décembre 1797. Vêture le 11 janvier 1815, profession le 10 août 1823. Décédée le 18 janvier 1876.

Catherine, Emilie Gérardowna, soeur Saint Gabriel Archange. Née â Lwow le 5 janvier 1817, vêture le 12 août 1837, profession le 14 août 1842, décédée le II mai 1898.

Elisabeth Ruschitzka, soeur Sainte Agnès, née à Waszkowic (Waskowitz), en Bukovine, le 17 février 1823. Vêture le 1°! mars 1841, profession le 21 juin 1847, décédée le 11 octobre 1892.

Sa soeur Catherine Cécile, entrée aussi au monastère de Lwow, était née le 6 juin 18 30. Vêture le 1°" janvier 1845 avec le nom de saur Sainte Anne, profession le 6 juin 1854, décédée le 25 août 1888.

Marie Kuczynska, soeur de Saint Michel Archange, née à Lubartowie le 2 novembre 1825. Vêture le 5 février 1845, profession le 15 juin 1849, décédée le 10 juillet 1899.

311-sionnaires parmi lesquelles certaines étaient enseignées gratuitement. Et dix-huit religieuses se recrutèrent parmi ces jeunes filles.

L'église conventuelle n'était toujours pas terminée, bien qu'on l'eût commencée en 1743. Les murs étaient debout, mais sans toitures, et les briques commençaient à s'effriter. Les fonds nécessaires manquaient toujours. Le 19 décembre 1757, M. Joseph Samuel Pawlowski, échanson de Braclaw, avait offert 10 000 zlotys pour la gloire de Dieu et pour contribuer à Sa louange. Mais cette somme s'évapora pendant les guerres.

Mère Christlowna 163, nouvellement élue prieure en 1875 inaugura la quête. Mademoiselle Josèphe Potulicka 164 entrant au monastère apporta 10 000 zlotys de rente pour poursuivre la construction. On couvrit l'église d'une voûte, on construisit la tour de l'horloge. Un toit en bois avait été provisoirement posé sur le monastère laissant dégoutter l'eau, on le remplaça par une toiture de tuiles.

Ce n'est qu'en 1903 qu'on put reprendre les travaux pour que l'église soit consacrée et ouverte aux fidèles. Les travaux furent dirigés par l'architecte Zychowicz et le sculpteur Metzler 165.

Le jour de l'Ascension le 12 mai 1904, avait été choisi pour la consécration 166. La veille, Mgr Wéber, l'archevêque,

163. Laure Christlowna, mère Léonard du Sacré-Coeur, née à Lwow le 7 septembre 1828. Vêture le 5 octobre 1860 ; profession le 28 octobre 1862. Prieure de 1875 à 1881 et de 1884 à 1896. Décédée le 8 décembre 1901.

164. Soeur Josèphe Potulicka, fille de Casimir Potulicki et de Barbara Wielopolska. Née à Bobku, au-dessous de Cracovie, le 18 mai 1839. Entrée au monastère le 19 mars 1882, profession le 28 octobre 1883. Décédée le 8 juin 1889 subitement, alors qu'elle épluchait des pommes de terre.

165. Edmond Zychowicz, né en 1870, architecte diplômé de Lwow en 1892. Il bâtit l'église du monastère de Lwow en 1903 avec le sculpteur Metzler.

166. Mgr Wéber, archevêque de Lwow en 1904.

Saint Justin, né au début du III siècle d'une famille grecque et païenne à Naplouse, près de l'ancienne Sichem de Palestine. En étudiant la philosophie, il rencontra Eusèbe, qui lui fit connaitre le christianisme. Il vint à Rome de 138 à 161 où il construisit une école, et, bien que laïc, il enseigna et défendit la foi, entouré de nombreux disciples, dont Tatien.

Il fut décapité à Rome avec six compagnons sous le préfet Junius Rusticus vers 165. On a conservé les actes authentiques de son martyre.

Son ouvrage le plus connu est l'Apologie, adressée à l'empereur pour défendre l'Église, et ses Dialogues avec Tryphon. (Cf. Catholicisme).

Saint Fidélis ou Fidèle de Sigmaringen, Marc Reyd, en religion Fidèle, naquit le 1«

312 apporta de Rome des reliques de saint Justin, et de saint Fide-lis. Il les enchâssa dans le petit reliquaire, prêt à les recevoir, et le déposa sur un petit autel dans le parloir. Les moniales avec les pensionnaires prièrent devant ces reliques toute la nuit. La cérémonie de consécration fut célébrée par Mgr Weber, archevêque de Lwow, visiteur du monastère, assisté d'un clergé très nombreux. Il rapporta le Saint Sacrement de la chapelle, à l'église, et il le plaça dans l'ostensoir sur le trône. Le rêve de tant de générations de bénédictines du Saint-Sacrement qui attendaient ardemment le moment de pouvoir adorer l'Hostie dans leur propre église, se réalisa enfin. Soucieuses d'assurer le culte du Saint Sacrement elles n'oublièrent pas leur mère abbesse, la sainte Vierge Marie. Déjà en 1887 M. Czajkowski avait offert 2 000 florins pour la construction du trône de la statue de la sainte Vierge qui se trouvait dans le choeur conventuel. Après l'érection de ce trône et la restauration de la statue, son excellence Mgr Puzyna, évêque suffragant de Lwow, bénit la statue et obtint une indulgence de 300 jours pour ceux qui en baiseraient les pieds et réciteraient trois Ave Maria ; on couronna aussi les statues de la sainte Vierge et de l'Enfant-Jésus, au jour de l'Assomption. Comme c'était l'anniversaire de l'élection de Notre-Dame abbesse par la mère fondatrice, mère Mectilde, Mgr Wéber, obtint pour le monastère une indulgence plénière.

L'archevêque, Mgr Bilczewski, s'intéressait vivement au monastère. Peu après avoir pris la charge de l'archevêché, il procéda à la visite canonique, accompagné de son chancelier de la curie, l'abbé Twardowski 167 (futur archevêque de

octobre 1577 à Sigmaringen. Il fit ses humanités à Fribourg, fut avocat à Ensisheim. Il entra chez les capucins de Fribourg, mais avait été ordonné prêtre auparavant à Rome en 1612. Il travailla infatigablement et avec succès comme missionnaire populaire, surtout en Suisse. En essayant de ramener à l'unité de l'Église les Grisons, il fut arrêté à Seewis, dans le Prâtigau. Attaqué par les paysans calvinistes pendant qu'il s'enfuyait hors de l'église, il mourut sous leurs coups le 24 avril 1622. Premier martyr de l'ordre des capucins, il fut canonisé en 1743.

Sa famille était originaire des Pays-Bas. Il était fils du maire de Sigmaringen.

167. Mgr Joseph Bilczewski (1860-1923) fut professeur à l'Université de Lwow et auteur de quelques ouvrages d'archéologie chrétienne parus à Cracovie en 1890, puis archevêque de Lwow vers 1905. C'est lui qui en 1903, rappela dans sa ville épiscopale les frères des Écoles chrétiennes de Saint-Jean-Baptiste de la Salle pour instruire les enfants allemands dans les écoles catholiques.

Mgr Twardowski, archevêque de Lwow, décédé le 22 novembre 1944.

Boleslas Twardowski, né à Lwow le 18 février 1864, prêtre en 1886. curé de Tarno-

313 Lwow) et de l'abbé Wielemski. Il fut reçu solennellement et après avoir fait connaissance avec toutes les moniales et novices, il leur dit : n Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait D, soulignant que ces paroles s'adressaient surtout aux religieux et religieuses, obligés de tendre vers la perfection par le moyen de la charité.

Il visita le monastère et le pensionnat, où on le reçut au chant du Benedictus, puis une élève prononça un mot de bienvenue.

Après quelques mois, Mgr l'archevêque ordonna plusieurs prêtres dans l'église conventuelle. Le monastère devait beaucoup à l'archevêque Mgr Weber. Le 26 mai 1906 il célébra pour les moniales une dernière messe et partit quelques jours plus tard pour Rome, où il entra dans la congrégation des résurrectionistes 168.

Cependant, la tension politique entre les puissances d'occupation : Autriche, Prusse, et Russie, grandit et la guerre éclata en 1914. L'armée russe occupa Lwow le 3 septembre 1914 et ne se retira que le 22 juin 1915. La situation devint difficile : réquisition des cloches de l'église, difficultés d'approvisionnement, cherté et rareté des vivres ; et plusieurs bâtiments du monastère devaient être restaurés au plus vite. Les moniales furent obligées de vendre une partie des terres de Wasylow.

La première guerre mondiale amena beaucoup de malheurs mais elle s'acheva dans de bonnes conditions pour la Pologne. Après 145 ans d'occupation étrangère, le monastère de Lwow se trouva dans la Pologne ressuscitée.

pol, chanoine de la cathédrale de Lwow, prélat de Sa Sainteté le 2 juin 1908 ; élu évêque titulaire de Telmessus et auxiliaire de l'archevêque de Lwow (latin), le 14 septembre 1918 ; sacré le 12 janvier 1919 à Lwow par Mgr Bilczewski, archevêque du lieu. — archevêque latin de Lwow (car à Lwow, il y a aussi un évêque ukrainien et un arménien) le 3 août 1923 ; décédé le 22 novembre 1944.

168. Congrégation de la Résurrection de Jésus, fondée en 1842 par Dieudonné Janski. Son but est l'apostolat parmi les émigrés polonais. La renaissance religieuse en Pologne (zone allemande) est due en premier lieu aux pères résurrectionistes. Ils exercèrent leur apostolat principalement dans les milieux populaires.

III. DANS LA POLOGNE RESSUSCITÉE (1917-1945)

La première guerre mondiale avait fait beaucoup de dommages dans tout le pays. Lentement les conditions de vie commencèrent à s'améliorer.

Le Saint-Siège, soucieux de la vie des communautés religieuses, ordonna une visite apostolique et en chargea Mgr Wladislas Krynicki 169, suffragant de Wloclawek. Il visita notre monastère en décembre 1920. Les moniales, manquant de tourières extérieures, commençèrent à en recevoir à partir de 1925.

La perte de Mgr l'archevêque Bilczewski, fut douloureusement ressentie par les moniales ; son successeur Mgr Twardowski se montra aussi fort bienveillant.

Au moment de la visite canonique de Mgr Bilczewski, en 1907, il y avait soixante-huit jeunes filles pensionnaires. Pendant la première guerre mondiale, Monseigneur permit de prendre aussi des élèves externes. En 1920, l'école du monastère reçut les droits d'État en qualité d'école primaire, et les inspecteurs furent satisfaits. Mais, en 1928, l'école fut fermée faute de moniales, professeurs qualifiés. On ne voulut pas les remplacer par des professeurs laïques de crainte d'abaisser le niveau monastique.

Le 25 juin 1925, le monastère fut consacré au Sacré Coeur de Jésus 170. La cérémonie d'intronisation fut présidée par Mgr Czajkowski.

169. Wloclawek : port fluvial sur la Vistule, situé entre Gniezno et Plock. Ladislas Krynicki, né à Wloclawek le 28 juin 1861, prêtre en 1885, professeur au grand séminaire, archidiacre de la cathédrale, doyen du chapitre, curé de Saint-Sigismondà Czestochowa ; élu évêque titulaire d'Acanthe et auxiliaire de l'évêque de Wloclawek, avec résidence à Czestochowa (l'évêché de Czestochowa ne date que de 1925) le 29 juillet 1918, et sacré le 10 novembre à Wloclawek par le cardinal Dalbor, archevêque de Gniezno, assisté des évêques de Plock et de Wloclawek. Évêque de Wloclawek le 21 novembre 1927, il décéda le 7 décembre 1928.

Il a écrit une Histoire de l'Église universelle, éditée à Wloclawek en 1908 et plusieurs fois rééditée, enfin revue et complétée en 1925 par le père Ladislas Szoldrski, rédemptoriste, auteur de plusieurs chapitres de ce volume.

170. En 1675, le Christ avait demandé à Marguerite-Marie Alacoque, visitandine à Paray-le-Monial, l'institution d'une fête en l'honneur de son Sacré-Cœur. De multiples démarches furent entreprises à Rome, avec l'appui du cardinal de Forbin-Janson, alors ambassadeur de Louis XIV près du Saint-Siège. Seule une messe fut autorisée et dans les couvents de visitandines, à l'exclusion de tout autre lieu de culte.

Cependant les visitandines polonaises avaient très largement répandu la dévo-

315

En 1930, une garde d'honneur eucharistique fut organisée. Plusieurs adorateurs venaient régulièrement aux réunions et contribuèrent à l'embellissement de l'église. L'autel de la Sainte Vierge fut érigé en 1932, celui de saint Benoît en 1938. La curie métropolitaine permit l'exposition du Saint Sacrement le 1 er janvier 1932 pendant toute la journée, et, le 24 juin, l'exposition toute la nuit.

A partir de ce moment, les retraites fermées des laïcs furent prêchées dans les salles de l'école, en carême et pendant l'avent. On recevait à demeure des élèves de tous les coins du pays, ainsi que des étudiantes d'université. C'est ainsi que la vie continua jusqu'à la deuxième guerre mondiale.

Le 1er septembre 1939 Hitler attaqua la Pologne. La deuxième guerre mondiale commençait. Lwow fut bombardée dès le premier jour par les avions allemands, et les jours suivants les attaques se répétèrent. Le 13 septembre, la radio se tut, l'électricité et l'eau manquèrent. Celui qui n'avait pas fait de provisions auparavant, mourait de faim.

Le 14 du même mois, un capitaine polonais demanda la permission d'installer son bureau au monastère. Comme deux soeurs lui montraient une petite maisonnette dans le jardin, un

tion au Sacré-Coeur en instituant une confrérie en chacune de leurs églises. Mgr Constantin Szaniawski, évêque de Cracovie, priait le Saint-Père, dans une lettre datée du 6 mai 1726, d'accorder la liberté du culte et la solennité au peuple polonais. La supérieure du couvent de Cracovie, mère Françoise Szembek (1714-1720), très estimée de son évêque désirait vivement l'accord de Rome. Mgr Christophe Antoine Szembek (1739-1749) était archevêque de Gniezno et primat de Pologne. Le 15 mai 1726, le roi Auguste II joignit une lettre personnelle à Benoît XIII pour appuyer la requête de l'évêque de Cracovie. La congrégation des Rites examina très longuement la demande, mais en 1729, refusa d'autoriser le culte hors des monastères de la Visitation, alors que la Pologne l'avait sollicité pour l'Église universelle.

Un peu plus tard, le défenseur du culte à Rome, le père de Galifet, S.J., intéressa la reine Marie Leszczynska, qui entama des démarches près de Clément XII, puis de son successeur Benoît XIV. Elle fut appuyée par son père Stanislas Leszczynski, et par Auguste III, roi de Pologne, dont la fille, Marie-Josèphe de Saxe, avait épousé Louis, dauphin de France. La lettre de Stanislas est datée de Lunéville le 6 février 1763. Enfin les évêques polonais remirent au Saint-Siège un volumineux mémoire en 1765.

Pour hâter l'accord romain, les évêques polonais ne sollicitaient l'autorisation du culte public du Sacré-Coeur que pour leur pays.

Enfin, par décret du 6 février 1765, la Sacrée Congrégation des Rites, approuvée par le pape Clément XIII, autorisa la célébration solennelle de la fête (le vendredi, après l'octave de la Fête-Dieu), mais seulement pour la Pologne et l'archiconfrérie du Sacré-Coeur établie à Rome. (Cf. C. Drazek, S.J. Symposium théologique de Rome et de Strasbourg, 1978, Téqui).

nouveau raid aérien éclata soudain. La maisonnette fut démolie et les deux soeurs ensevelies sous les ruines. Soeur Romualde Rejzerowna 171 y trouva la mort, mais la deuxième en sortit vivante, et se rétablit complètement au bout de quelque temps.

Le 20 septembre, l'armée allemande, arrivée devant Lwow, exigea la capitulation. Entre-temps, à la faveur des pourparlers, les Allemands cédèrent à la Russie toute la partie orientale de cette province polonaise, jusqu'à la ville de Przemysl. Le 22 septembre, les chars soviétiques occupaient Lwow.

Au printemps 1940, les autorités soviétiques prirent le jardin du monastère obligeant les moniales à y travailler mais on les paya. Il leur fut défendu de paraître en habit monastique, mais seulement en civil. Quelques-unes travaillèrent en ville. A l'automne de 1940, les occupants réquisitionnèrent les salles du pensionnat ainsi que tout un étage pour y mettre leurs installations.

Malgré les difficultés on continua à assurer l'adoration et l'office en commun. Mais Hitler, enivré par ses victoires, attaqua l'armée russe, le 22 juin 1941. Il fut vainqueur et occupa Lwow le 25 juin. Au bout de quelques mois, l'armée allemande atteignit la Volga. Le monastère commença donc une nouvelle période : celle de l'occupation allemande. La permission de porter de nouveau l'habit monastique fut un petit soulagement pour les religieuses. Les autorités occupantes leur rendirent le jardin. Elles eurent des fruits et légumes pour répondre à leurs propres besoins.

Dans les salles de l'école, les occupants établirent leurs bureaux. Dans la cour, ils installèrent un baraquement pour y garder leurs fruits et légumes, ainsi que dans une grande partie des caves.

Les moniales se consacrèrent au Coeur Immaculée de Marie 12 le 25 mars 1943, afin d'obtenir sa protection.

171. Marie Rejzerowna, soeur Romualde du Christ-Roi, née à Zydaczow le 29 décembre 1900, vêture le 4 septembre 1924, profession le 8 décembre 1931. Elle fut tuée dans un bombardement de Lwow le 14 septembre 1939.

172. François Raymond Kolbe, né à Zdunska Wola, près de Lodz, le 8 janvier 1894, de Jules et de Marie Dabrowska. Entré en 1907 chez les frères mineurs conventuels. Le père Maximilien Kolbe, jeune religieux, fit à Rome ses études cléricales. Sa vie intérieure, déjà très profonde, ne fit que grandir grâce à la formation intellectuelle et spirituelle reçue de ses maîtres. Dès son enfance il s'attacha à vénérer la

317

En avril 1943, Mgr Opacki 13, prélat de Sa Sainteté, fut nommé recteur des moniales. Le deuxième centenaire de la consécration de la première pierre de l'église eut lieu le 28 avril 1943, et on organisa un triduum avec sermon.

En février 1944, le détachement d'approvisionnement des Hongrois arriva au monastère, occupant un étage et quelques bâtiments. Le 16 mars, pour leur fête nationale, ils nous demandèrent de leur prêter le réfectoire durant quelques heures. Ils vinrent à la messe, où ils chantèrent leur hymne national. En toute occasion, ils se comportèrent très convenablement. Au milieu de toutes ces peines, dont les religieuses furent abreuvées, la nombreuse fréquentation des fidèles dans leur église leur fut une grande consolation. En deux semaines, on distribua 2 200 communions.

Mais l'armée soviétique commença la contre-offensive. Lwow fut bombardé par les avions russes, et l'armée allemande, en déroute, se retira précipitamment. Le grand bombardement commença au soir du 1er mai 1944. Les moniales descendirent dans les abris. A 9 heures 45, trois bombes tombèrent sur l'église, la toiture fut soufflée, la voûte portait un grand trou de 20 mètres du côté nord. Les murs furent très ébranlés, et tous les vitraux réduits en poussière. Malgré le danger, la soeur adoratrice ne quitta pas sa place, et continua à prier. Le 3 juin suivant, mourut la mère prieure, soeur Josefa Markiewiczowna.

Sainte Vierge et, enfant, à Lwow, lui promit de « combattre pour elle ». C'est au cours de ses études romaines que le père Kolbe conçut le projet de se consacrer à la Vierge Immaculée et de se mettre entièrement à son service. Durant la première guerre mondiale, il jeta les bases d'une association de prière et d'apostolat s'adressant tant à des religieux qu'à des laïcs. Il voyait dans cette consécration au Coeur Immaculée de Marie le salut pour notre monde bouleversé. A Fatima, en 1917, la Vierge elle-même était venue demander la consécration du monde, et en particulier de la Russie, pour obtenir de son Fils, la paix et la conversion des peuples.

Le rayonnement du père Kolbe et de sa milice de l'Immaculée fut prodigieux, dans son pays d'abord, la Pologne, puis dans le monde entier, grâce à la revue imprimée dans le couvent qu'il fonda à Niepokalanow (la cité de l'Immaculée) et qui abrita plusieurs centaines de religieux.

La mort tragique du père Maximilien Kolbe, et sa reconnaissance par l'Église au jour de sa canonisation, le dimanche 10 octobre 1982, prouvent la valeur de son service à la Vierge Immaculée.

La doctrine du père Kolbe demeurera une grande lumière pour la théologie. (Cf. M. Winowska, Le Fou de Notre-Dame, père Maximilien Kolbe, Bonne Presse, 1950, et H.M. Manteau-Bonamy, La doctrine mariale du P. Kolbe, Lethielleux, 1975).

173. Mgr Opacki, prélat de Sa Sainteté, aumônier du monastère.

318 Constatant l'ampleur des dégâts, les moniales firent célébrer la messe dans leur choeur, même pour les fidèles. Aussitôt, on commença la restauration de l'église, qui avançait lentement. En août, une toiture en tôle fut posée, mais l'intérieur de l'édifice était toujours en ruines. A l'approche du front ennemi plusieurs moniales regagnèrent leurs familles. Le 26 juillet, l'armée soviétique envahit Lwow. Le nombre des soeurs réduit, facilita l'approvisionnement devenu très difficile. « Nous avons quelquefois du pain ou des cartes de pain apportées par des

personnes charitables, car celles qui travaillent reçoivent les cartes de pain », raconte une novice de ce temps-là.

Quelques mois après ce changement d'occupant, Mgr Twardowski, archevêque de Lwow mourut le 22 novembre 1944. Il fut remplacé par Mgr Baziak 14, son coadjuteur avec droit de succession. On n'attendit pas longtemps le grand bouleversement dans la vie du monastère, car on voyait bien ce qui se passait en d'autres congrégations. Le 14 août 1945, les soeurs de la Miséricorde 175, au nombre de 127 furent expul-

174. Né à Tarnopol, diocèse de Lwow, le 8 mars 1890, prêtre le 14 juillet 1912, doyen de Stanislawow. Pronotaire le 16 mars 1932, évêque titulaire de Phocée et auxiliaire de l'archevêque de Lwow, le 15 septembre 1933, sacré le 5 novembre 1933 à Lwow par Mgr Twardowski, archevêque titulaire de Parium et coadjuteur de Mgr Twardowski, le 1" mars 1944. Il succéda comme archevêque latin de Lwow le 22 novembre 1944, au décès de Mgr Szceptyckij. En 1944, il fut chassé de son siège et nommé administrateur apostolique de Cracovie. Il assura cette tâche délicate jusqu'à sa mort, survenue brutalement à Varsovie où il participait à une conférence de l'épiscopat polonais, le 15 juin 1962. D'un caractère parfois un peu dur, il avait un coeur 'ardent et il était foncièrement bon. On vit bien lors de ses funérailles qu'il était très aimé de son peuple.

Le prince-évêque de Cracovie Mgr Adam-Stefan Sapieha, fut une des grandes figures de l'épiscopat polonais durant la seconde guerre mondiale. Le 1" novembre 1946, il ordonna prêtre Karol Wojtyla. Il réunit plusieurs séminaristes, dans les caves, aménagées, de sa résidence épiscopale pour leur permettre de poursuivre leurs études cléricales.

Le 28 septembre 1958, Mgr Baziak avait conféré l'épiscopat à Karol Wojtyla, qui lui succéda comme vicaire capitulaire de Cracovie. Pie XII avait nommé Mgr Wojtyla, auxiliaire de Mgr Baziak, le 4 juillet 1958.

Mgr Kyr, André Szceptyckij fut archevêque de Lwow durant 44 ans. Grand spirituel, son influence fut prépondérante sur l'épiscopat polonais durant cette période. Sa cause de béatification fut introduite à Rome en 1956, onze ans après sa mort.

175. La congrégation Notre-Dame de la Miséricorde est d'origine française. Fondée en 1818 par Marie-Thérèse Rondeau (1793-1866), pour la protection des jeunes filles en danger moral. La branche polonaise, fondée en 1862, devint autonome après la première guerre mondiale et compta alors quinze maisons. Les constitutions furent approuvées par le Saint-Siège en 1935.

319-sées, et avant de partir dans l'ouest, se réfugièrent chez nous. Fin septembre, arrivèrent des fonctionnaires, pour voir l'état du monastère. Ils conseillèrent aux moniales de partir sans tarder dans l'ouest de la Pologne, car cette partie de la Pologne était désormais occupée par les soviétiques et annexée. Peu après, les soldats occupèrent le monastère. Les soeurs furent surchargées de travail : elles faisaient la lessive pour trois cent cinquante soldats. Le bon côté, ce fut une bonne rétribution qui permit l'approvisionnement.

Le 2 janvier 1946, soeur Gerarde Holowata 16, mourut subitement, dans la cuisine alors qu'elle était en train d'éplucher les pommes de terre. Le médecin soviétique constata le décès en disant : « Elle est partie chez Jésus ».

Entre la mort de mère Madeleine d'Auvergne et celle de soeur Gerarde, on compte 217 années. Pendant cette période 141 moniales sont décédées au monastère de Lwow, où elles adorèrent si longtemps Jésus dans le très Saint Sacrement. Le monastère subsista avec bien des difficultés.

Voici le dernier acte du drame :

Le 17 avril 1946, la mère prieure mère Mectylda Lekczynska accompagnée d'une soeur, en visite chez l'archevêque, apprirent qu'il leur fallait partir sans tarder. Monseigneur, lui-même, s'était exilé avec les autres prélats de la curie, le 24 avril. Un employé venu au monastère déclara que l'exode des soeurs était indispensable. Dans le bureau principal le même avertissement : on commença donc le déménagement ; beaucoup de documents furent détruits, au grand dommage de l'histoire du monastère. On avait défendu aux religieuses d'emporter la statue de la Sainte Vierge malgré leurs pleurs et supplications. La plus grande difficulté était, le transport des soeurs gravement malades. L'une, soeur Gabrielle Costazza "', étant à toute extrémité, fut administrée le 28 mai.

La congrégation porte en Pologne le nom de Magdalenki. (Cf. Maria Winowska, Droit à la Miséricorde, éd. Saint-Paul, Paris, 1958).

176. Sophie Holowata, soeur Gérarde de la Sainte Trinité. Née à Czysky le 31 octobre 1896. Entrée au monastère le 1" septembre 1923, profession le 27 octobre 1929 en qualité de soeur converse. Décédée le 2 janvier 1946.

177. Marie Costazza, soeur Constance Gabrielle, née à Brody, le 9 janvier 1909. Vêture le 16 juin 1928, profession le 17 août 1930. Décédée à Plawniowice le 15 juin 1946.

Le 2 juin eut lieu la dernière messe dans l'église conventuelle, la consommation de l'hostie du tabernacle, la fermeture de l'église, et la remise des clefs. Avec quel coeur, on peut l'imaginer ! Seuls ceux qui ont subi pareils malheurs peuvent le comprendre.

Le seul réconfort fut la lettre de Mgr Opacki, parti auparavant. Il écrivait que les municipalités polonaises en Silésie promettaient de recevoir les moniales à Plawniowice, dans les environs de Gliwice 18. C'est l'abbé Kobierzycki qui avait obtenu cette faveur. A Plawniowice, c'était un château, provenant du comte Balaestram. Les moniales se consolèrent dans l'espoir de trouver un gîte, même momentané.

Le 4 juin, une fois les clefs du monastère rendues, elles partirent vers la gare complètement détruite. C'est à la gare des marchandises qu'il leur fallut attendre sous une pluie battante. Les moniales surveillèrent leurs bagages et la grande malade, soeur Gabrielle. Montées dans un train de marchandises, elles partirent à minuit, au nombre de vingt deux moniales et deux postulantes. A Medica, poste frontière, perquisition. A Przemysl, Mgr Baziak vint au train et réconforta les soeurs.

IV. A L'OUEST 1946-1961

Il est difficile de raconter toutes les péripéties d'un si long voyage effectué dans les wagons d'un train de marchandises.

Les bénédictines arrivèrent à Plawniowice le 10 juin : château spacieux, dans un parc, avec une petite église attenante ; mais l'intérieur du château était complètement détruit. Il manquait les portes et les fenêtres ; les caves étaient submergées, à cause des canalisations détériorées. On se mit donc au travail afin de pouvoir se loger. Soeur Gabrielle mourut le 15 juin.

On comprit vite qu'on ne pouvait pas compter sur une habitation stable, car les autorités d'Opole 179, pouvaient reprendre ce château pour d'autres oeuvres sociales. Les soeurs furent donc obligées de chercher un autre gîte.

178. Plawniowice par Gliwice, en Silésie, non loin de Katowice, dans une région désormais très urbanisée. Le grand Katowice comptait plus de trois millions d'habitants il y a peu d'années. C'est le centre de la région industrielle de Haute Silésie. La région s'étend au sud sur les Beskides, de part et d'autre des sources de la Vistule, et, au nord, sur une partie du plateau de la Petite Pologne (cf. Pologne, de la Baltique aux Carpathes, Arkady, Varsovie, 1975).

320

On leur fit savoir qu'elles pourraient prendre le couvent de Bardo de Silésie, appartenant auparavant aux soeurs de Sainte Hedwige 180 qui partaient pour l'Allemagne. Mère Hedwige Oledzka 181, chargée de trouver un nouveau gîte, se rendit à Wroclaw chez la mère générale des soeurs de Sainte-Hedwige, et en obtint la permission écrite d'occuper le couvent de Bardo, dès le départ des religieuses. Celles-ci quittèrent, en effet, la maison le 26 août 1946, remettant les clefs à mère Hedwige, de Lwow. L'accomplissement de la possession de ce couvent dépenlait de l'opinion du révérend père Van Ooste, moine bénédictin de Tyniec 182, et visiteur des bénédictines. Il émit un avis favorable, et peu après, quelques unes des moniales s'installèrent.

179. Opole en Silésie, chef lieu de voïvodie.

Les traditions font remonter le passé historique de la ville au IX' siècle et peut-être au VIII' siècle. Avec toute la Silésie, le territoire d'Opole appartint à la Pologne dès le règne des premiers Piast. A l'époque féodale, elle devint duché, et l'autonomie du territoire d'Opole dura jusqu'en 1327. La tour des Piast, du XIV' siècle, le monastère et l'église des Franciscains, de la même époque, ont laissé quelques vestiges encore visibles (Cf. La Pologne, Varsovie, 1975). La ville assuma très tôt une importante fonction de transit commercial sur la voie Cracovie-Wroclaw.

180. Hedwige née en 1174, fille du comte Berthold III, comte d'Andech (Haute-Bavière) et du Tyrol, marquis de Méran. Elle épousa, en 1186, le duc de Silésie, Henri I«, le plus puissant des Piast ; ils eurent six enfants. Après la mort de son mari en 1238, Hedwige revêtit l'habit cistercien et demeura près de la communauté de Trebnitz, dont sa fille Gertrude était abbesse. Elle mourut le 15 octobre 1243.

Son culte est demeuré vivace en Silésie, Une congrégation, placée sous son patronage, prit naissance en 1859, sous la Règle de saint Augustin, à Wroclaw avec l'aide de l'abbé Spiscke, dans le but d'élever des enfants abandonnés (Cf. Catholicisme). Bardo : petite ville située au fond de la vallée de la Nysa. Le fleuve traverse un petit massif montagneux culminant à la Klodzka Gora L'église reconstruite au XVIII' siècle appartint d'abord aux cisterciens de Kamieniec, et devint ensuite propriété des bénédictins. Bardo se trouve à l'ouest de la Nysa.

181. La liste des religieuses de Lwow que nous possédons dans nos archives est close en 1962. Soeur Oledzka n'est pas indiquée sur cette liste ; elle n'était donc pas décédée à cette date. Une religieuse du même nom, peut-être sa parente, était moniale à Varsovie. Née en 1905, elle avait fait profession en 1936. Elle mourut lors du bombardement de Varsovie en août 1944. (Cf. « L'Holocauste de Varsovie », ci - dessous, et la liste des moniales tuées).

182. Fondée en 1044 par le roi Casimir le Rénovateur, dans un vieux château-fort des princes cracoviens, à Tyniec (à 11 km de Cracovie), son nom signifie : le Plessis. Cette abbaye connut bien des vicissitudes, dont quatre sièges : les Vandales ; au XVlI' siècle, les Suédois ; en 1772, les Moscovites ; en 1945, les Soviétiques, et un incendie en 1858 qui détruisit les bâtiments conventuels. Tyniec fut, durant tout le Moyen Age, la principale abbaye et comme le chef de tous les monastères polonais. Les premières générations de religieux de Tyniec se recrutèrent parmi les moines de la région liégeoise ou lorraine et, longtemps encore, les cadres restèrent originaires

Le révérend père Louis Fas, supérieur des pères rédemptoristes de Bardo les aida beaucoup. Il leur conseilla de faire des hosties, de recevoir des pèlerins en été, et d'organiser des colonies d'enfants. Tout cela améliora leurs conditions de vie. Le couvent de Bardo devint une filiale du monastère de Plawniowice, dont la supérieure était la mère Kolumba Wroblewska 183, bénédictine de Staniatki. Elle fut nommée supérieure le 11 décembre 1946.

de ces pays. C'est Tyniec qui « fournit » les premiers moines de l'abbaye de Sieciechow. Sous la direction de l'abbé de Tyniec, que les sources appellent : archiabbé, les abbayes de Mogilno, Lysa Gora, Sieciechow, formaient dès la fin du XII' siècle, une sorte de fédération. Au XIVe siècle, cette primauté lui fut disputée, mais en vain, par l'abbaye de Lysa Gora et l'on sait qu'au XVe siècle, elle conservait encore cette primatie. Il est impossible toutefois de préciser en quoi consistait ce lien plus ou moins fédératif. Tyniec suivait les usages de Cluny. Le 10 juillet 1737, un concordat fut signé à Wschowa et approuvé par Clément XII, le 13 septembre de la même année ; Tyniec faisait partie des trois abbayes bénédictines (avec Lublin et Plock) laissées à la disposition du roi en ce qui concernait la nomination des abbés commendataires. L'abbaye de Tyniec succomba en 1815 par suite des effets du dernier partage de la Pologne ; elle était située dans la partie de la Pologne que s'était attribuée l'Autriche. En 1928, le révérend père Charles Van Oost, de l'abbaye de Saint-André-de-Bruges, commença la restauration de la vie bénédictine en Pologne, interrompue depuis cent vingt ans. Le père Van Oost, avec quatre autres bénédictins : un moine de Maredsous, un moine de Prague, deux moines Tchèques, s'installa dans une petite maison à Lublin. En 1930, le père Van Oost, supérieur de la petite communauté, envoya douze jeunes religieux polonais à Maredsous, afin d'y recevoir la formation monastique nécessaire. En 1936, ils ouvrirent un internat près de Cracovie. Le cardinal Sapieha, archevêque de Cracovie, leur donna l'antique abbaye de Tyniec devenue propriété de l'évêché. L'inauguration officielle des premiers bâtiments eut lieu le 30 juillet 1939 et la communauté fut érigée en prieuré simple. La guerre de 1939-1945 fut particulièrement éprouvante pour les moines qui subirent un terrible siège en mars-avril 1945. Les moines étaient enfermés avec des soldats allemands, dans l'abbaye assiégée par les troupes soviétiques. Après 1945; la reconstruction partielle fut aussitôt entreprise par l'architecte Z. Kupiec.'L'antique abbaye de Tyniec est, depuis 1959, un prieuré conventuel qui entretient des liens fraternels tout spécialement avec les abbayes bénédictines belges. (Renseignements aimablement communiqués par le R.P. Charles Van Oost.)

Mgr Puzyna Jean (1842-1911) fut suffragant de Lwow en 1886, évêque de Cracovie en 1895, cardinal en 1901. Durant son épiscopat, il acquit les ruines de l'antique abbaye de Tyniec, dont il fit un lieu de repos pour les séminaristes de son diocèse. Le 2 août 1903, au Conclave qui suivit la mort de Léon XIII, le cardinal fut chargé de prononcer, au nom de l'empereur d'Autriche, l'exclusive contre l'élection du cardinal Rampolla. Le cardinal Sarto fut alors élu et prit le nom de Pie X. Il s'empressa d'abolir le droit d'exclusive.

183. Stanislawa Wroblewska, mère Colombe, née à Kuzmincé, en Volhynie, le 16 janvier 1901. Vêture à l'abbaye de Staniatki où elle fit profession le 19 août 1925. Elle fut envoyée à Planiowice par ordre de ses supérieurs, le 11 décembre 1946. Elue prieure ce même jour, elle assura cette charge jusqu'à sa mort le 17 octobre 1953.

L'abbaye bénédictine de Staniatki, région de Cracovie, fut fondée en 1228.

323

On leur loua un champ pour y planter des légumes, ce qui leur fut d'un grand secours, puis elles travaillèrent dans les bureaux municipaux pour gagner un peu d'argent. Mais malgré toutes ces occupations, les moniales n'oublièrent pas leur de voir d'adoratrices du Saint Sacrement.

Mgr Baziak venait souvent au monastère. Le 12 mai 1959, la mère prieure, mère Simplice Pogonowska, élue à la mort de mère Wroblewska, et toute sa communauté, firent une réception chaleureuse à ce bon prélat.

En 1958, les bénédictines du Saint-Sacrement fondèrent une nouvelle maison à Siedlce 184.

Avec trois monastères, on pouvait préparer la Fédération.

Le couvent de Bardo se prêtant mieux à l'installation du noviciat, le visiteur le révérend père Rostworowski 185 demanda au cardinal Wyszynski 186 la permission de transférer le noviciat de Plawniowice à Bardo.

Ayant obtenu cette autorisation, la mère prieure s'y rendit

184. Siège d'un évêché, la ville joua un rôle considérable durant l'insurection polonaise de 1831 et de 1863. La ville fut fondée au XVe siècle. A partir de 1670 elle devint la résidence des princes Czartoryski.

La région de Siedlce est limitée au nord par le gouvernement de Grodno, à l'est par la Volhynie, au sud par celui de Lublin et de Radom, à l'ouest par celui de Varsovie.

Le monastère a été fondé en 1958 par le couvent de Varsovie.

185. Pierre Rostworowski, né le 12 septembre 1910, fit profession au prieuré de Tyniec le 25 janvier 1932, fut ordonné prêtre le 18 juillet 1937. Il fut nommé administrateur apostolique du prieuré de Lublin (Cf. Confédération bénédictine, Catalogue 1960). Il reçut de Rome la charge de « délégué apostolique » près de la fédération polonaise de notre institut en mars 1960.

186. Cardinal Stefan Wyszynski, primat de Pologne, métropolite de Gniezno et Varsovie, décédé le 28 mai 1981, âgé de 80 ans.

Né le 3 août 1901, dans une famille paysanne de la région de Lublin, il fut ordonné prêtre en 1929, puis nommé professeur de morale sociale et aumônier d'action catholique ouvrière. En 1946, il fut sacré évêque de Lublin, puis, deux ans plus tard, nommé archevêque de Gniezno et Varsovie. Arrêté par les Allemands au cours de la dernière guerre mondiale, puis par le régime communiste le 25 septembre 1953, il resta emprisonné jusqu'en 1956 avant d'être exilé dans les Carpates.

En janvier 1951, il conféra l'épiscopat aux cinq vicaires capitulaires responsables des diocèses allemands devenus polonais, pour éviter leur élection par le conseil diocésain sur ordre du gouvernement. En avril, il se rendit à Rome, qui ratifia son acte.

Le 18 juin 1957, Pie XII remit le chapeau de cardinal au primat de Pologne. Il avait été élevé à cette dignité en janvier 1953, mais n'avait pu quitter alors la Pologne, craignant qu'on ne lui interdise le retour à Varsovie.

avec les novices et la plupart des moniales, de sorte que le monastère de Bardo devint plus important que celui de Plawniowice. L'adoration perpétuelle à Bardo fut introduite le 15 septembre 1960, et on ouvrit la chapelle au public.

Les bénédictines de Varsovie nous vinrent en aide, en envoyant de bonnes choristes et diverses spécialistes. De plus, les révérends pères rédemptoristes de Bardo assurèrent les services spirituel et matériel des moniales.

La fédération de Pologne fut confirmée à Rome en 1962. Désormais, l'avenir est entre les mains de Dieu.

Cette histoire de la fondation des bénédictines de l'Adoration perpétuelle à Lwow puis à Plawniowice et à Bardo de Silésie a été écrite sur documents, par le révérend père Wladislas Szoldrski, rédemptoriste de Wroclaw.


Lettre circulaire sur la fondation de Wroclaw Wroclaw, février 1979

Ma révérende et très chère mère, Nos chères mères et soeurs,

Au commencement de notre lettre nous vous demandons de vouloir bien nous excuser de notre interruption de quelques années dans l'envoi de notre chronique. Ce silence a été causé par le déménagement et la reconstruction de notre monastère 187.

187. La ville de Wroclaw est d'origine slave et fut polonaise dès la fin du Xe siècle. Dévastée par les Mongols en 1241, puis colonisée par les Allemands, elle appartint en 1335 à la Bohême (maison de Luxembourg). Ce fut un des grands centres commerciaux d'alors. Propriété des Habsbourg en 1526, Wroclaw fut annexée par la Prusse en 1742 avec la plus grande partie de la Silésie. A la fin de la deuxième guerre mondiale, les Allemands résistèrent farouchement à l'armée Rouge, qui prit la ville le 7 mai 1945 après un siège de 82 jours. A la suite des accords de Postdam (1945), Wroclaw redevint polonaise. La population allemande fut évacuée et la ville repeuplée de Polonais. La ville est chef lieu de Voïvodie, siège d'un évêché et d'une université. Située sur l'Oder dans un ensemble d'îles pittoresques, elle conserve encore malgré sa destruction au cours de la dernière guerre, de nombreux monuments anciens, tel le portail roman du XIII siècle de l'église Sainte-Marie-Madeleine, la cathédrale Saint-Jean-Baptiste (XIV' s.), l'église gothique Sainte Croix et des maisons du XVI' siècle. C'est une région de riches cultures et le centre important d'un bassin houiller.

Selon la lettre circulaire de ce monastère en 1980, nous savons que l'archevêque de Wroclaw à cette date se nommait monseigneur Henri Gulbinowicz et qu'il a béni une nouvelle statue de la sainte Vierge dans le monastère le 15 août 1979. Le 29 juin précédent, monseigneur Adam Dyczkowski, grand ami des jeunes et ancien compagnon de Jean Paul II, lors de ses excursions dans les montagnes, présida une profession.

325

Nous vous remercions, beaucoup pour toutes les lettres que nous recevions chaque année malgré notre silence. Elles soutenaient notre lien spirituel, elles nous permettaient de partager vos joies et vos tristesses. Elles nous unissaient à la vie de nos monastères qui réalisaient le retour à la source — à l'esprit de notre bien-aimée mère fondatrice.

Nous venons de vous parler du déménagement et de la reconstruction de notre monastère. Pour que vous compreniez bien tous nos problèmes, il nous paraît nécessaire de vous présenter un peu d'histoire de notre monastère.

Il a existé à Lwow, Léopol, pendant 237 ans : c'est-à-dire de 1709 à 1946 malgré de si difficiles et dures conditions politiques. En partageant le destin de la nation polonaise il se développait et il augmentait en nombre et en ferveur. Accomplissant fidèlement les devoirs de sa vocation pendant 218 ans, jusqu'à 1928 il instruisit et éduqua des jeunes filles dans l'esprit de l'Église et du patriotisme. Beaucoup de ces jeunes filles sont entrées dans notre Communauté.

Après la deuxième guerre mondiale, les frontières de la Pologne ont été déplacées à l'Ouest et Lwow s'est trouvé hors de notre pays.

Au mois de juin 1946 nos soeurs, les larmes aux yeux et le coeur serré, ont dû quitter les mûrs de leur monastère, comme beaucoup d'autres congrégations.

La Providence de Dieu les a conduites en Silésie, à Plawniowice, où un grand château comtal, très dévasté, leur a été donné. Avec l'aide de Dieu et des hommes elles vainquirent toutes les difficultés, pleines de courage et de force. Elles y devaient rester en attendant de trouver un local qui conviendrait mieux à un monastère de contemplatives. Un peu plus tard on trouva une maison à Bardo-Slaskie. C'était une maison ancienne ayant appartenu à des soeurs qui y avaient tenu un orphelinat, mais elle ne convenait pas non plus aux exigences de notre vocation. C'est pourquoi une dizaine de soeurs seulement sont venues de Plawniowice à Bardo. Elles gagnaient leur vie grâce à un travail dans le jardin et à la réception des pèlerins aux mois d'été. En même temps elles accomplissaient fidèlement et avec ardeur leur devoir monastique.

La mère prieure, la majorité des soeurs et les novices, séjournaient toujours à Plawniowice. Là-bas la vie religieuse était réglée sauf la clôture, qui était impossible, à cause de la nécessité du travail aux champs. Cette situation dura 14 ans.

En 1960 la mère prieure, les soeurs plus jeunes et le noviciat se sont établies à Bardo où on avait l'espoir de créer de meilleures conditions de vie. Les soeurs qui sont restées à Plawniowice pensaient venir à Bardo dans quelque temps. Cependant il fallut attendre cette arrivée encore 15 ans ! Malgré le beau jardin, différentes transformations et des essais d'adaptation de la maison à la vie contemplative et à la clôture, les conditions à Bardo ne permettaient pas le développement de notre communauté.

Les prières à Dieu et les recherches duraient toujours, apparemment sans résultats.

A la fin de l'année 1972, une joyeuse nouvelle a rempli nos coeurs d'une grande reconnaissance pour Dieu. Ce meilleur avenir dont nous avons rêvé, aujourd'hui est la réalité.

Dans la banlieue de Wroclaw, une maison de carmélites, fondation de Cologne 188 en 1935, brûlée pendant la guerre, nous attendait depuis 30 ans.

C'est Dieu qui nous préparait cette maison par le prêtre Jean, qui est venu là-bas en 1964 et a assuré les murs contre un écroulement. Depuis ce temps une petite chapelle dans une chambre, entièrement reconstruite, gardait le plus grand trésor : Jésus eucharistique. Chaque jour les fidèles y venaient pour la messe.

Quelques chambres qui ont été reconstruites, un grand et

188. Le carmel de Breslau fut fondé par celui de Cologne en 1933-1934. Edith Stein entra d'abord au carmel de Cologne, le 14 octobre 1933, après un séjour de trois mois près de sa famille à Breslau (Wroclaw) où elle est née le 12 octobre 1891.

Le carmel de Cologne avait été fondé en 1637. Edith, saur Bénédicte de la Croix, dut fuir la persécution nazie en raison de ses origines israélites et se réfugier au carmel de Echt, en Hollande, en décembre 1938.

Le 2 août 1942, elle fut arrêtée par la Gestapo. En la vigile de saint Laurent, le 9 août 1943, elle disparut, ainsi que sa saur, dans la chambre à gaz du camp d'extermination d'Auschwitz (Cf. Journal officiel de Hollande, 16 février 1950).

327 beau jardin, tout cela c'était un énorme, inappréciable bienfait pour les trois premières soeurs, une d'elles était notre mère Augustine, alors dépositaire. Elles sont venues de Bardo, le 8 décembre, en la fête de l'Immaculée Conception.

Ce grand don de la Providence de Dieu pour notre monastère demanda beaucoup de sacrifices et de renoncements et avant tout un dur travail de quelques années.

La mère prieure, Kinga, avait soin de l'une et de l'autre maison. En ce temps à Bardo nous avons dû diminuer l'adoration pendant la nuit.

Après trois ans, de nouveau à la fête de l'Immaculée Conception (1975) toutes les soeurs de Bardo arrivèrent à Wroclaw. Ce fut possible par la grâce de Dieu et l'aide des hommes, surtout grâce aux grands sacrifices, de nos premières soeurs qui souvent, à cause du manque d'ouvriers, durent faire des travaux pénibles.

Le 8 décembre 1975 la première messe a été célébrée dans la chapelle nouvellement reconstruite. Il y eut beaucoup de joie et de reconnaissance envers Dieu.

L'année suivante, c'est-à-dire en 1976, nous avons reconstruit une nouvelle partie du monastère, qui avait été détruite jusqu'aux fondations. Dans cette partie se trouve aussi notre nouveau choeur. En décembre de la même année les soeurs ont déjà pu revenir de Plawniowice.

Quatre soeurs se sont rendues à Gosciecin 189.

Après 30 ans nous étions de nouveau ensemble. Dieu a exaucé nos désirs.

A partir de Noël, après l'interruption de quatre ans, nous avons recommencé l'adoration la nuit.

Nous voulons souligner que dans ces dures années après la guerre nos soeurs du monastère de Varsovie vinrent toujours à notre aide. Aussi dans cette lettre nous voudrions leur exprimer notre plus grande reconnaissance.

En 1977 beaucoup de travaux ont été faits à l'extérieur et

189. Gosciecin situé non loin d'Opole se trouve dans le diocèse d'Opole. Le monastère est dédié à saint Antoine. Dans la ville, une église dédiée à Saint Brice depuis 1661 est un lieu de pèlerinage.

328 à l'intérieur de la maison : le finissage de l'intérieur du choeur, la construction d'une annexe qui agrandit la réfectoire et la cuisine ; ainsi que des travaux d'amélioration.

L'année 1978 fut encore une année de grands efforts et de soucis divers, mais aussi une année de joies.

Dès le début de l'année nous avons terminé les travaux dans le nouveau réfectoire, ce qui nous a permis d'y prendre notre repas du Jeudi saint. Très difficile à réaliser l'élévation de notre maison, fut heureusement terminée au mois d'août pour la fête de notre mère prieure.

Grâce à Dieu et à nos bienfaiteurs, les principaux travaux de construction sont terminés. Il nous en reste encore bien d'autres en perspective.

Nous espérons être protégées comme toujours par saint Joseph !

Le 3 mars Dieu rappelait à lui notre cher protecteur, monseigneur Joseph Marek 190, âgé de 47 ans ; l'un des quatre évêques de Wroclaw.

Il était très bon et cordial, toujours joyeux, plein de force et aimé de tous, il donnait beaucoup d'espoirs pour l'avenir. Pendant sa dernière maladie, il disait, en parlant de nous : Mes soeurs prient pour moi ». Toute la Pologne partageait notre douleur. Le 18 mars nous eûmes la grande joie et l'honneur d'accueillir notre archevêque, monseigneur Henryk Roman Gulbinowicz 191, qui nous entretint des différents problè-

190. Joseph Marek, né à Szczyek,diocèse de Cracovie, le 10 mars 1930, prêtre le 23 juin 1957, évêque titulaire de Tigillava et auxiliaire de l'archevêque de Wroclaw (ex-Breslau) le 1« novembre 1973, sacré à Wroclaw le 27 décembre par Mgr Karol Wojtyla, archevêque de Cracovie. Il est décédé le 3 mars 1978.

191. Mgr Gulbinowicz, né à Szukiszki le 17 octobre 1928. I1 fut ordonné prêtre le 18 juillet 1960 et reçut la consécration épiscopale le 12 janvier 1970 comme évêque titulaire d'Acci. Il fut promu archevêque de Wroclaw le 3 janvier 1976. C'est lui qui accueillit Jean Paul II à son second pèlerinage en Pologne, lors de son passage à Wroclaw (juin 1983).

329 -mes de l'Église avec des sentiments de foi profonde et une grande simplicité. A la fin il nous donna des chapelets bénis par le Saint-Père Paul VI.

Au mois de juin, notre mère, accompagnée de soeur An-cilla s'est rendue à Niepokalanow pour participer à une rencontre des supérieures de monastères cloîtrés dont le principal thème d'étude était : l'apport des monastères contemplatifs dans l'évangélisation du monde.

Le 8 décembre nous eûmes le jubilé d'or de notre soeur Anne et l'après-midi, notre soeur Myriam, prononçait ses voeux temporaires en présence de notre archevêque. C'est la première jeune professe de notre monastère, définitivement reconstruit à Wroclaw.


X STANISLAS LÉSZCZYNSKI

Demande de reliques Au chateau de Meudon le 12 octobre 1736

La vénération particulière que j'ai toujours eue, mon révérend père, pour le saint fondateur de votre ordre illustre, m'engage à déférer aux pressantes instances que me fait ma cousine, née comtesse Jablonowska, religieuse de l'ordre de saint Benoît de l'Adoration perpétuelle du Saint Sacrement, dans le monastère de Léopol en Russie, pour lui procurer une portion d'un ossement de votre patriarche saint Benoit. Je vous demande cette grâce pour cette religieuse. Je vous serai obligé, et à votre congrégation, du consentement que vous y donnerez, et du don qu'elle fera à la Pologne d'une relique aussi précieuse et aussi authentique. On sait combien la nation polonaise honore les saintes reliques ; ainsi, vous ne devez pas douter du cas qu'elle fera et du culte qu'elle rendra à celle que vous aurez accordée, lorsqu'elle possédera un si digne présent.

Je me recommande aux prières de votre communauté et suis, Votre bien affectionné.

STANISLAS, ROY 192

192. Stanislas Leszczynski naquit le 26 octobre 1682 à Léopol. Sa maison est originaire de Moravie. Le Dictionnaire de Moréri le donne comme le 29ème descendant de Charlemagne.

Son père, Raphaël, 3` du nom, comte de Leckno puis staroste de Fraumstad,

333 ensuite grand enseigne du royaume, occupa successivement les palatinats de Kalisk, de Posnanie, de Lenczyn. Il fut général de la Grande Pologne et grand trésorier de la Couronne.

Il épousa, en 1670, Anne Jablonowska, fille de Stanislas Jablonowski, palatin de Russie et grand général de l'armée de la Grande Pologne, grand enseigne et grand trésorier de la Couronne.

Il n'eut qu'un fils, Stanislas.

Raphaël fut un ami et un fidèle soutien de Jean III Sobieski.

Bogulas Leszczynski, décédé en 1660. Vice-chancelier, il remplissait les fonctions de garde des sceaux, comme le chancelier auquel il succédait de droit Marié à Jeanne Catherine, fille d'Alexandre prince de Radziwill. De ce mariage sont nés : a. Victoire, qui épousa après 1696 Joseph Potocki ; b. Jean, qui mourut jeune ;

c. Raphaël, père du roi Stanislas ; d. Bogislas, chancelier de la reine, puis évêque de Plock.

Le grand père de sa mère, J. Jablonowski, fut aussi le compagnon fidèle de Sobieski.

Raphaël Leszczynski mourut le 13 janvier 1703.

(Cf. Boye, Stanislas Leszczynski et le .ite traité de Vienne, Nancy, 1898, t. III, p. 3-17).

La parenté entre les Wisniowiecki et les Leszczynski se réduit au fait que Jamusz-Antoine Wisniowiecki était marié à Théophile Leszczynska (voir chap. IX, note 126). Celle-ci était cousine germaine de Raphaël Leszczynski (1650-1703), père de Stanislas Leszczynski, roi de Pologne et duc de Lorraine, dont la fille Marie fut mariée à Louis XV, roi de France.

Ce fut Stanislas qui fut député par la Diète pour prononcer le panégyrique de Jean III Sobieski devant la reine Marie-Casimire.

Stanislas épousa en 1698 Catherine Bnin-Opalinska dont il eut : deux fils jumeaux, nés et morts en 1698 ; Anne, née le 25 mai 1699, décédée en la ville de Deux-Ponts le 20 juin 1717, et Marie, née en 1703 et qui devint reine de France par son mariage avec le roi Louis XV, le 14 août 1725.

Stanislas fut élu roi de Pologne le 12 juillet 1704. Après plusieurs années de luttes entre les diverses factions polonaises ou contre Auguste II de Saxe, roi de Pologne durant quelques années, mais très mal accepté de la plupart de ses sujets, Stanislas fut confirmé et le roi et la reine furent sacrés le lei juillet 1705. C'était l'usage en Pologne de sacrer le couple. Stanislas eut encore à lutter contre Auguste II, mais il put enfin reconquérir son pays et fut couronné à Varsovie par l'archevêque de Léopol, Mgr Zielinski, le 4 octobre 1705 . Il ne resta pas longtemps en possession de son trône, sans cesse disputé par une noblesse plus encline à la révolte et à l'union avec les puissances étrangères voisines qu'à l'obéissance au roi et au maintien de la paix. Le 31 octobre 1735, après des années de lutte, il signa la paix de Vienne. Il restait possesseur de ses biens en Pologne, conservait le titre de roi de Pologne et était mis en possession du duché de Lorraine et de Bar qui reviendrait à la France après sa mort.

Il arriva en Lorraine le 3 avril 1737 et établit sa cour au château de Lunéville, qu'il restaura.

Stanislas fut un roi courageux et magnanime, ami des pauvres et des humbles, bon et pieux.

Les fondations faites en vue d'améliorer l'enseignement, de favoriser l'essor des congrégations religieuses actives ou contemplatives, ne se comptent pas. Notre maison de Nancy lui est redevable du paiement de la pension de douze demoiselles de familles nobles, trop pauvres pour assurer l'éducation de leurs filles. Cette pension aida le monastère de Nancy durant plusieurs années. Le roi de France offrit le château de Meudon à Stanislas pour lui permettre de se rapprocher de sa fille.

La reine de Pologne mourut à Lunéville le 19 mars 1747, et le roi Stanislas dé-

334

Nous, frère Claude Dupré 193, supérieur général de la congrégation de Saint-Maur, de l'ordre de Saint-Benoit, à notre cher dans le Christ, le révérend père dom René Junien 194, visiteur de la même congrégation dans la province de Bourgogne,

céda lui aussi à Lunéville le 23 février 1766, son coeur se trouve à l'église Saint-Jacques. Parmi les nombreuses restaurations et constructions faites par Stanislas, il faut mentionner l'église Notre-Dame de Bon-Secours, reconstruite de 1738 à 1741 sur les plans de l'architecte Héri (dont la soeur était moniale au monastère de Nancy). On voit encore le cénotaphe du roi de Pologne mis en place en 1775 et dû-à Claude Vassé, et celui de la reine, oeuvre du sculpteur lorrain Sébastien Adam, mis en place en 1746. Le coeur de la reine de France, Marie, repose dans cette église de Nancy.

Un autre petit monument fut élevé dans cette église à la mémoire de François--Maximilien Ossolinski, qui avait épousé en secondes noces, en 1732, Catherine Dorothée Jablonowska, fille de Jean Stanislas Jablonowski (1669-1731) et de Jeanne Marie de Béthune-Chabris (décédée en 1744). Il était donc par son mariage parent de Jean III Sobieski et de Stanislas Leszczynski et beau-frère de la mère prieure de Lwow, mère Louise Jablonowska.

Ossolinski Joseph-Maximilien (1748-1826), historien, homme de lettres, fondateur de la bibliothèque Ossolinski de Lwow. Cette bibliothèque fut transférée à Wroclaw après la seconde guerre mondiale. Elle renferme environ 335 000 volumes et un nombre considérable d'imprimés et d'éditions précieuses, en particulier 1 500 incunables et des manuscrits polonais du XVIe au XVIII' siècle. (Cf. Oraison funèbre de la princesse Catherine Opalinska, reine de Pologne, grande duchesse de Lithuanie, duchesse de Lorraine et de Bar, prononcée par l'abbé Clément en l'église royale de Notre-Dame de Bon-Secours à Nancy, 19 mai 1747, Paris, 1747.)

(Cf. Le Pays Lorrain, Pierre Boyé, La mère du roi Stanislas, avril 1935 ; La croix du Saint-Esprit du roi Stanislas, décembre 1966 ; A. Beau, La pompe funèbre du roi Stanislas, duc de Lorraine et de Bar, décembre 1966 ; Stéphane Gaber, François Maximilien de Tenczvn-Ossolinski, grand maitre de la maison de Stanislas (16781756), décembre 1977.

193. Dom Claude Dupré, né à Brezolles (arr. de Dreux, Eure-et-Loir), profès de Notre-Dame de Lyre, le 10 août 1686, âgé de 19 ans. Nommé en 1705, administrateur de Saint-Père de Chartres, puis prieur de Saint-Martin de Séez en 1708 et 1711, secrétaire du supérieur général depuis 1713, puis visiteur de Normandie en 1720, de France en 1723, prieur de Fécamp en 1726, de Saint-Germain-des-Prés en 1729, premier assistant du père général en 1733, supérieur général en 1736. Il mourut cette même année 1736, le 30 décembre (Cf. Dom Martine, Histoire de la congrégation de Saint-Maur, publiée par Dom Charvin, T. IX, Ligugé 1943).

194. « Le vingtième jour de mai mil sept cent quarante-cinq, mourut, en ce monastere (abbaye de Saint-Germain-des-Prés), au retour de la diète provinciale, le R.P. Dom René Junien, prieur de l'abbaye de Corbie ; il était profès de Limoges. Il a été enterré dans la chapelle de la Sainte Vierge, du côté de l'épitre, et on a mis une pierre sur sa fosse où est gravé : 20 mai 1745. Dom René était du Dorat, dans le Limousin ; à 26 ans, le 28 septembre 1706, dans l'abbaye Saint-Augustin-de-Limoges, il avait émis ses voeux solennels. Pendant qu'il était visiteur de la province de Bourgogne, il avait montré un zèle très vif pour amener ses confrères à la rétractation de leurs appels et surappels ». (Cf. Abbé J.B. Vanel, Nécrologe des religieux de la congrégation de Saint-Maur décédés à l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, Paris Champion, 1896). Dans la Matricule il figure au numéro 4796.

335

salut. Le très auguste Stanislas, roi de Pologne, tant par l'intermédiaire de plusieurs ministres de sa Cour que de vive voix dans la cordiale audience qu'il nous a accordée et que dans la lettre élégante donnée au château de Meudon le 12 octobre 1736, écrite de sa propre main à notre intention, nous avait signifié franchement et ouvertement que rien ne lui était plus à coeur, rien ne lui était plus cher que si nous secondions les voeux très pieux, de sa cousine germaine du côté paternel, madame la princesse Jablonowska, abbesse de l'illustre monastère de Léopol (Lwow), en Russie, de l'ordre de Saint-Benoît, ainsi que de tout le royaume de Pologne, en vue d'obtenir une partie ou une parcelle du corps sacré du saint père Benoît. Aussi, devant un si ardent et si constant désir, et notre respect exceptionnel envers un roi si puissant et si bon, désireux de le favoriser de toutes nos forces, sur le conseil et avec l'accord des RR. PP. sénieurs (anciens), assistants, nous vous commettons, vous, révérend père dom René Junien, visiteur susnommé, et nous vous donnons autorité à cette fin : à notre place et en notre nom, avec la clé de notre confiance et de notre garde, que nous a confiée le chapitre général, transportez-vous au monastère de Fleury (Saint-Benoît-sur-Loire), de la même congrégation, au diocèse d'Orléans ; là, avec le révérend père dom Jean-Baptiste Sarazin 195, prieur du même monastère, et le révérend père dom Charles de Bacular (sic), prieur de la Bienheureuse Marie de Bonne-Nouvelle d'Orléans 196, en présence des religieux de tout le couvent et d'autres, quels qu'ils soient, que vous aurez voulu convoquer comme témoins à cette intention, observant d'ailleurs les cérémonies convenables, ouvrez la châsse où repose et est conservé le corps très sacré du saint père Benoît ; choisissez et tirez-en une parcelle de ce vénérable corps susdit pour

195. Dom Jean-Baptiste Sarrazin, né à Marcigny, arr. de Charolles (Saône-et-Loire), profès àVendôme le 28 octobre 1699, âgé de vingt ans, prieur dé Saint-Michel-du-Tréport en 1723, de Saint-Josse-sur-Mer en 1726, transféré à Béze par la diète de 1727 où il fut maintenu par le chapitre de 1729, visiteur de Bourgogne en 1733, prieur de Saint-Benoit-sur-Loire en 1736, visiteur de Chezal-Benoit en 1739, de France en 1742, prieur de Corbie en 1745 et 1748, de Saint-Riquier en 1751, de Saint-Eloide Noyon en 1754. Il mourut le 23 novembre 1763 à Saint-Denys. (Cf., Dom Martène, Histoire de la Congrégation de Saint-Maur, publiée par Dom Charvin, T. IX, Ligugé 1943).

196. Notre-Dame de Bonne-Nouvelle fut fondée en 1026. En 1149, elle devint un prieuré dépendant de l'abbaye de Marmoutier (Indre-et-Loire). Les mauristes en prirent possession en 1653.

nous l'apporter ; ensuite on la concédera au très auguste roi de Pologne Stanislas, dans l'intention louable ci-dessus avec le procès-verbal que vous aurez rédigé à ce sujet. En foi de quoi, nous avons ordonné que la présente lettre écrite de notre propre main soit soussignée par notre secrétaire et munie du sceau de notre fonction. Donné à Paris, au monastère de Saint-Germain-des-Prés, le 26 octobre 1736.

Fr. Claude du Pré, Supérieur général,

Par ordre du Rme P. général Fr François Delville197

AUTOGRAPHE AUX ARCH. DÉP. DU LOIRET. H 33 (fonds Archives de l'église paroissiale de Saint-Benoit-sur-Loire).



Le père général écrivit en conséquence au visiteur de Bourgogne de se transporter incessamment au monastère de Saint-Benoît-sur-Loire avec le prieur de Bonne-Nouvelle d'Orléans, et lui envoya la clef de la châsse de Saint-Benoît, pour en tirer une portion digne de la piété d'un si grand roi et de sa cousine la mère prieure de Saint-Léopold. La commission est datée du 26 d'octobre 1736. La père commissaire, aussitôt après l'avoir reçue, se rendit à Saint-Benoît, et prit en passant les prieurs de Ferrières, Loiret 198, de Saint-Pierre-le-Vif, Yonne 199, et de Sainte-Colombe de Sens, Yonne 200, pour as-

197. Dom Jean-François Delville, né à Bapaume (arr. d'Arras, Pas-de-Calais), profès le 15 février 1708 à Saint-Germain-des-Prés, agé de 18 ans, il fut secrétaire du supérieur général Dom Claude Dupré et mourut à Saint-Germain-des-Prés le 3 mai 1747.

198. Dom Jean-Jacques Monier, né à Paris, profès à 19 ans à Vendôme le 9 juin 1701. Décédé le 29 juillet 1758 à Marmoutier. (Cf. Matricula monachorum professorum Congrégationis S. Mauri, éd. Dom Chaussy, Lib. Perrée, Paris, 1959). L'abbaye de Ferrières-en-Gâtinais, dans l'arrondissement de Montargis (Loiret), est dédiée aux Saints Pierre et Paul. Fondée en 515 sous le nom de Bethléem, elle fut rebâtie en 829 par l'abbé Aldric. Dévastée par les Normands, elle fut restaurée au Xe siècle, puis elle subit l'invasion anglaise et le pillage calviniste en 1567. Les mauristes en prirent possession en 1633.

199. Dom Gaspard La Porte, né à Ambronay (Ain), diocèse de Lyon, profès à 18 ans à Vendôme le 7 juin 1717. Décédé le 31 mars 1771 à Ambronay. (Cf. op. cit.)

L'abbaye de Saint-Pierre-le-Vif a été fondée avant 507. Elle devint abbaye de moniales bénédictines en 564, mais fut reprise par les moines en 999. Elle eut beaucoup à souffrir au cours des guerres de Cent Ans et de religion. Détruite neuf fois, elle échut aux mauristes, qui la restaurèrent en 1639.

200. Dom Joseph Pélagie Buhigné, né à Vannes, profès à 20 ans à Saint-Mélaine de

337-sister à la cérémonie avec le prieur de Bonne-Nouvelle d'Orléans et celui de Saint-Benoît 201. Elle se fit solennellement, en présence de toute la communauté, de plusieurs séculiers et d'un habile chirurgien, le 9 de novembre. On ouvrit la châsse avec tout le respect possible, et l'on en tira une partie considérable d'une côte inférieure qu'on fit baiser à tous les assistants. On fit un procès-verbal qui fut signé du père commissaire, des cinq prieurs et de tous les religieux de la communauté. La relique fut enfermée proprement dans un petit coffre scellé du sceau du père visiteur et de celui du monastère. Le père commissaire ne différa point de se rendre à Paris, où il remit la relique entre les mains du père général qui la présenta au roi Stanislas le 27 du même mois, et lui fit un très beau discours. Le roi l'embrassa et donna sa main à baiser aux religieux qui l'accompagnaient en leur disant qu'il se regarderait désormais comme leur confrère. Il les régala et les fit manger avec le grand maréchal de la Couronne.

(Cf. Dom Martène, Histoire de la congrégation de Saint-Maur

Dom Charvin, T. IX, Ligugé, 1943)

L'original de cette lettre du roi Stanislas Leszczynski, se trouve conservé dans la châsse même des reliques du saint à Saint-Benoît-sur-Loire, ainsi que l'autorisation donnée par Dom Claude Dupré (26 octobre 1736), et le procès-verbal de l'extraction d'une partie costae iriferioris, faite le 9 novembre 1736, par Dom René Junien.

Rennes, le 6 avril 1718. Décédé le 20 août 1757 à Saint-Bénigne de Dijon (cf. op. cit.).

L'abbaye de Sainte-Colombe de Sens a été fondée en 620 par Clotaire II, ravagée par les Normands en 887, et fut ruinée par la guerre de Cent Ans. Les mauristes en prirent possession en 1636.

201. L'abbaye de Saint-Pierre-de-Fleury fut fondée le 27 juin 651. Un des premiers abbés de Fleury,saint Mommole,s'émut de savoir les restes de saint Benoît et de sa soeur jumelle Scholastique à l'abandon dans les ruines du Mont-Cassin, détruit par les Lombards depuis 577. I1 prit la route pour l'Italie, recueillit r dans une panière » les précieux ossements et les ramena sur les bords de la Loire. Le monastère de Fleury devint Saint-Benoit-sur-Loire, et connut son apogée avec saint Abbon, esprit universel, martyrisé à La Réole en 1004. Son successeur, Gauzlin, fils naturel d'Hugues Capet, ouvre l'ère des grandes constructions qui, en deux siècles, aboutiront aux admirables édifices que l'on voit encore aujourd'hui. La guerre de Cent Ans mit en péril l'abbaye, qui n'avait plus qu'une vingtaine de moines quand Jeanne d'Arc, après la prise d'Orléans, y vint en pèlerinage avec Charles VII, le 22 juin 1429. En 1590, les bénédictins n'étaient plus que cinq. La Révolution emporta cette prestigieuse communauté. Une première tentative de restauration fut anéantie par les lois sur les congrégations. En 1944 enfin, des moines de La Pierre-Qui-Virevinrent rétablir à Saint-Benoit-sur-Loire la vie monastique régulière.

338


XI RELATIONS DES MONASTÈRES FRANÇAIS AVEC CEUX DE POLOGNE 1782 - 1785

POUR SERVIR DE MODÈLE DU PROJET DE DELIBERATION A PRENDRE PAR LE MONASTÈRE DE L'ADORATION PERPÉTUELLE DU SAINT SACREMENT ÉTABLI A NANCY

Aujourd'hui du mois de l'année 1782, la communauté, assemblée en chapitre pour délibérer sur l'intérêt que les maisons de notre institut en France peuvent ou doivent prendre dans la fondation du monastère de Varsovie, après avoir examiné le mémoire à consulter et la consultation imprimée que nos chères soeurs, la mère Marie Ursule Przebendowska et la mère Marie des Anges, nous ont envoyés, les extraits des actes de fondation et d'érection dudit monastère et autres pièces y jointes, la communauté a reconnu qu'elle avait ignoré jusqu'à les clauses et conditions de la fondation, d'où résultent leurs droits et leurs obligations envers la maison de Varsovie, et a prié la mère prieure de faire nos remerciements à la mère Marie Ursule et à la mère des Anges pour les nouvelles instructions qu'elles ont eu la bonté de nous donner.

Ensuite l'affaire mise en délibération, il a été arrêté à l'unanimité ou à la pluralité des suffrages :

1. que notre communauté se fera toujours un devoir et un honneur de répondre à la confiance que la reine Marie-Casimire épouse du grand Sobieski, a témoignée aux religieuses de notre institut en France, et à l'estime et la confiance dont le roi actuellement régnant Stanislas II Pogniatowski (1732-1798), et la noblesse du royaume de Pologne veulent bien l'honorer ; qu'elle se croit obligée en conscience de remplir les engagements que la mère Mectilde, notre vénérable institutrice, parait

341

avoir contractés dès l'origine de cette fondation et de suivre les exemples de celles de nos mères qui ont commencé la fondation et qui ont passé en Pologne pour la soutenir ; qu'elles se croiraient répréhensibles devant Dieu et devant les hommes si, par notre négligence ou notre lâcheté une si belle fondation, aussi utile au prochain, aussi honorable pour notre institut et pour notre nation, allait rester sans exécution, qu'elle est disposée à faire toutes les démarches qui seront jugées nécessaires pour suppléer à ce qui a été omis en 1688 lors de la fondation, et accélérer et assurer à perpétuité l'exécution pleine et entière des intentions de la reine fondatrice.

En conséquence il a été arrêté qu'on se conformerait à la décision des avocats qui ont signé la susdite consultation, que notre communauté se joindrait à la dite mère Marie Ursule et à la mère des Anges pour solliciter auprès du roi et faire enregistrer au Parlement les lettres patentes nécessaires pour autoriser les délibérations à prendre sur cet objet par les principales maisons de notre institut, et pour charger un avocat au Conseil de présenter un projet des dites lettres patentes, d'en solliciter l'obtention et l'enregistrement, comme aussi de rédiger des modèles de toutes les délibérations à prendre par les maisons de l'institut, les requêtes à présenter soit au roi de France et aux ordinaires des lieux, soit au roi de Pologne ou à M. l'évêque de Posnanie et des procurations qui doivent être envoyées en Pologne, lesquels modèles et projets la communauté s'oblige de souscrire et de leur procurer leurs effets pour assurer à perpétuité l'exécution de la fondation de la reine Marie-Casimire.

Il a été arrêté en outre que copie de la présente délibération sera envoyée à nos dites chères sueurs, les mères Marie Ursule et Marie des Anges pour leur servir en tant que de raison. Faitet arrêté en notre chapitre à Nancy les jours et ans que dessus.

31 janvier 1782

Ce modèle a été envoyé de Paris à la Maison de Nancy avec l'imprimé du mémoire et consultation : encore un autre modèle de projet de délibération tel que celui que nous avons reçu à Rambervillers. Ces modèles paraissent être l'ouvrage des mêmes avocats qui sont les auteurs de l'imprimé.

ARCHIVES DU MONASTÈRE DE RAMBERVILLERS conservées au monastère de Rouen [fonds Geoffroy n° 19, pièce 11, original.

Lettre circulaire du monastère de la rue Cassette aux monastères de l'institut Ce 13 juin 1782

Loué et adoré soit à jamais de très Saint Sacrement.

Ma très révérende, et nos très chères mères,

Nous avons l'honneur de vous envoyer le brevet que nous venons d'obtenir de Sa Majesté, portant permissions pour les maisons de notre institut en France de remplir les engagements énoncés dans la fondation du monastère de notre ordre à Varsovié.

Comme la reine fondatrice a voulu que huit des religieuses du monastère fondé par elle, fussent toujours tirées des monastères de France, sans en désigner aucun en particulier, nous nous sommes crues obligées d'envoyer des copies collationnées de ce brevet à toutes les maisons de l'Adoration perpétuelle de notre institut, afin qu'elles puissent toutes partager le mérite et la gloire de cette bonne oeuvre lorsqu'elles en seront requises et qu'elles en auront la facilité.

Vous verrez, nos révérendes mères, par la lecture du brevet et la lettre du ministre qui l'a fait expédier que le roi daigne s'intéresser au soutien de ce pieux établissement et qu'il l'a trouvé digne de son attention. Sa Majesté a jugé à propos de nous dispenser, par sa royale bonté, des lettres patentes et de leur enregistrement, trop dispendieux ; qu'il vous autorise, avec le consentement de nos seigneurs les évêques respectifs, à accepter la fondation de la reine Casimire Sobieska, à notifier cette acceptation au monastère de Varsovie, et it prendre avec lui les arrangements nécessaires pour la pleine et entière exécution des volontés de la reine fondatrice.

Ces arrangements sont simples. Ils consistent à témoigner à la maison de Varsovie les dispositions où vous êtes de vous conformer aux pieuses intentions de leur fondatrice, et la bonne volonté où vous êtes et le désir que vous avez de lui être utiles ; à stipuler avec elle qu'elle sera tenue de faire passer en France l'argent nécessaire pour rembourser et indemniser pleinement celles de nos Maisons qui se trouveront dans le cas de former des sujets pour elle, ou de lui envoyer quelqu'une de ses professes.

Vous voyez, mes révérendes mères, que les offres que nous vous proposons de faire ne peuvent avoir d'effet que sous deux 343 conditions : la première, que vous aurez le pouvoir, et la facilité de trouver des sujets de bonne volonté, et avec les talents requis ; la seconde, que vous serez assurées d'être parfaitement remboursées de tous vos frais.

Nous ajoutons que l'occasion d'exécuter ces offres, est très éloignée. Pour remplir les places actuellement vacantes, plusieurs de nos Maisons nous offrent des sujets que nous choisirons nous-mêmes, et pour lesquels nous ferons la dépense. A l'égard de l'avenir, les religieuses françaises de Varsovie s'adresseront sans doute (quand une d'entre elles sera décédée) aux maisons les plus nombreuses et plus à portée de trouver des sujets convenables. Il y aura telle de nos maisons qui pendant un siècle n'aura pas l'occasion d'en envoyer un seul à Varsovie. Il serait cependant bien à propos, et bien à désirer dans le moment présent que toutes nos maisons parussent conduites par le même esprit et animées du même zèle pour le soutien d'une aussi bonne oeuvre ; sentiment conforme à l'esprit de nos saintes constitutions, où notre vénérable mère institutrice recommande l'union entre toutes les maisons de son institut, et veut qu'elles s'entraident par de bons offices et devoirs de charité ; qu'elles se secourent même de sujets, s'il en est besoin ; que tous les monastères conservent une sainte union et société, en sorte que l'on ne trouve en toutes les maisons du Saint Sacrement qu'un même esprit, un même coeur, et une même observance.

C'est par ces considérations que nous vous proposons, nos très révérendes mères, de vouloir bien vous joindre aux maisons qui nous ont déjà offert leurs bons services, et vous assembler capitulairement pour prendre une délibération conforme au projet que nous avons l'honneur de vous envoyer.

Nous sommes persuadées que si vous n'écoutez que les sentiments de votre piété et de votre zèle vous n'hésiterez pas un moment à prendre ce parti. Nous nous flattons que son éminence, monseigneur votre archevêque, ne pourra qu'applaudir à cette pieuse démarche. Nous vous supplions, nos très révérendes mères, de ne pas vous laisser intimider par des difficultés imaginaires que des âmes faibles et timides peuvent vous opposer. Si nous n'étions pas aussi assurées des bonnes dispositions des religieuses de Varsovie, de la protection spéciale du roi de Pologne, de la paix que les religieuses françaises trouve- ront en ce monastère, et des grands biens qu'elles pourront y faire, nous n'aurions garde de vous exposer à des regrets et à un repentir.

Nous avons l'honneur d'être avec un respectueux attachement, ma très révérende mère, et nos très chères mères, vos très humbles et très obéissantes servantes

Mère des Anges

Mère de Saint-Jean-Baptiste

ORIGINAL AU MONASTÈRE DE DUMFRIES (Ecosse)

Acte de délibération faite au sujet de notre maison de Varsovie

Ce quinze mai de l'année mil sept cent quatre-vingt-deux ; la communauté des religieuses bénédictines de l'Adoration perpétuelle du très Saint-Sacrement, établie à Rouen, étant assemblée capitulairement en la manière accoutumée, après avoir pris lecture d'un mémoire et d'une consultation qui finit par ces mots : « délibérée à Paris le cinq avril mil sept cent quatre vingt-deux, par nous, anciens avocats au parlement », a conclu que s'il se présentait des sujets qui fussent doués des talents et des qualités nécessaires pour la maison de Varsovie, et qui eussent assez de courage et de vocation pour vouloir renoncer à leur patrie, elle se ferait un plaisir de les former à la vie religieuse jusqu'après leur profession, pour contribuer à la gloire de l'institut par celle de la maison de Pologne lorsqu'elle le désirerait, mais cette conclusion n'a été prise qu'aux conditions suivantes, savoir : premièrement, que les pensions ainsi que tous les autres frais nous seront payés d'avance au risque même que les sujets qui pourront se présenter, d'avoir commencé leur noviciat, ne puissent être reçus à profession, soit par défaut de santé, ou de vocation, ou autres raisons légitimes. Secondement, que si ces mêmes sujets après avoir passé un certain temps dans la maison de Varsovie se trouvent dans le cas d'en sortir, ne pourront plus être reçus dans la nôtre, à moins qu'ils n'y apportent une dot ou une pension, et que la communauté n'y donne son consentement. Troisièmement, que si dans la suite nous nous trouvons dans l'impossibilité de pouvoir former des sujets pour la communauté de Varsovie lors-345qu'elle nous en témoignera le dessein, nous nous réservons la liberté de refuser ou d'en satisfaire. En conséquence la communauté donne pouvoir au porteur de la présente délibération de solliciter auprès de Sa Majesté un brevet et pour donner les permissions nécessaires ; fait et arrêté en chapitre le jour et an que dessus, en foi de quoi au nom et du consentement de la communauté notre révérende mère prieure a signé avec ses discrètes et moi pareillement avec elles.

Soeur Sainte Thérèse (Elisabeth Engrand) prieure Soeur Saint Benoît (Marie-Anne Glier) sous-prieure Soeur de Sainte Marie, discrète (Jacqueline Antoinette Bernard) Soeur Saint Dominique (Blanche Litté de Mont-Roger) discrète Soeur Saint Augustin (Marie Suzanne Lange)' Soeur des Anges, secrétaire du Chapitre (Françoise Thomas)

ANNALES DU MONASTÈRE DE ROUEN

Lettre de Monsieur le comte de Vergennes 202, ministre et secrétaire d'État, ayant le Département des Affaires étrangères, adressée à monsieur le général, comte de Monet chargé des affaires du roi de Pologne. A Versailles, le 31 mai 1782

J'ai pris les ordres du roi, Monsieur, pour accorder aux religieuses du Saint-Sacrement toute permission de remplir les engagements portés dans la fondation du couvent de leur ordre à Varsovie. Sa Majesté a jugé qu'il suffisait d'un brevet par lequel elle donnait aux religieuses la permission de passer successivement en Pologne, de l'aveu de leurs supérieurs. Il ne lui a pas paru convenable de dispenser ces religieuses de prendre des passeports, comme toutes les personnes qui sortent du Royaume. On travaille, Monsieur, à l'expédition de ce brevet. Je n'ai pas besoin de vous dire, Monsieur, que le désir de concourir au succès des vues du roi de Pologne a principalement décidé Sa Majesté à accorder la demande des religieuses du Saint Sacrement. Sa Majesté a d'ailleurs jugé digne de son attention de propager la langue française en Pologne, parmi les jeunes demoiselles, suivant l'intention de la reine Sobieska.

J'ai l'honneur d'être très parfaitement, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur

DE VERGENNES.

ARCHIVES DU MONASTÈRE DE RAMBERVILLERS CONSERVÉES AU MONASTÈRE DE ROUEN

Fonds Geoffroy n° 19 — Pièce 2 — original

202. Charles Gravier, comte de Vergennes, né à Dijon en 1717. Ministre plénipotentiaire à Trèves en 1750, il fut envoyé comme ambassadeur à Constantinople, mais fut disgracié par Choiseul en 1768. Après la chute de celui-ci, le roi nomma Vergennes ambassadeur à Stockholm (1771), où il contribua au coup d'État qui permit à Gustave III de devenir roi de Suède (1772). Rappelé par Louis XV, qui le nomma ministre des Affaires étrangères, il se montra un grand serviteur de l'État. On lui doit entre autres le renouvellement de l'alliance avec les cantons suisses (traité de Soleure, 1777), le traité de Teschen (1779) qui assura pour quelques années la paix en Europe. Il soutint les corans américains et la conclusion de la guerre par le traité de Versailles (1783), il signa enfin un important traité de commerce avec l'Angleterre en 1786. Il mourut à Versailles en 1787.

Jean Antoine, comte de Monet, né à Chambéry (Savoie), fut baptisé dans cette ville le 23 août 1703. Étant allé en Pologne, il y devint le gouverneur des enfants de Czartoryski et y épousa en 1754 Marie-Antoinette de Leyorstedt, veuve de La Fayardie. Appelé en France en 1755 et employé dans la diplomatie, il fut envoyé en Pologne pour remplir une mission près des Czartoryski. Il revint en France en 1764 et fut chargé de diriger la correspondance secrète quand il mourut â la fin de 1793.

Il était général major des armées du roi de Pologne, commandeur — grand — croix de l'ordre de Saint-Michel de Cologne, membre de l'Académie royale de Nancy, de celle de Florence et des Arcades de Rome. (Cf. Louis Targes, Instructions données aux ambassadeurs et aux ministres de France, Pologne, Alcan, 1888).

Second acte de délibération en faveur de la maison de notre institut établie à Varsovie

Ce jourd'hui dix-neuf juin mil sept cent quatre vingt-deux, la communauté, capitulairement assemblée en la manière accoutumée, après avoir pris lecture des Mémoires et consultations imprimés à Paris et signés Bouet, Dare et Pioles, du brevet du roi donné le trente un mai de la présente année, signé Louis, et contresigné Vergennes, et collationné par monsieur de Moseil, écuyer, conseiller secrétaire du roi, maison Couronne de France et de ses finances, portant permission à nos maisons de remplir les engagements énoncés dans la fondation 347du couvent de notre ordre à Varsovie, de la lettre du ministre ci-jointe et de celles de nos révérendes mères Marie Ursule Przebendowska et Marie des Anges, la matière mise en délibération, nous avons arrêté que sous le bon plaisir de monseigneur notre archevêque 203, nous acceptions de nouveau pour nous et notre communauté, à perpétuité, les dispositions énoncées dans l'acte de fondation du dit monastère, en faveur des religieuses françaises, c'est-à-dire que, lorsque la communauté de Varsovie nous témoignera désirer des religieuses françaises pour

203. Dominique de la Rochefoucauld, 92C archevêque de Rouen (1759-1800). Il naquit à Saint-Chély d'Apcher (Lozère), le 26 septembre 1712 et fut baptisé le même jour dans l'église de cette paroisse par le vicaire, M. Munier. Dominique est qualifié dans l'acte. seigneur de Saint-Ilpize et autres places. Il eut pour parrain son frère aîné, Georges-Paulin de la Rochefoucauld, alors âgé de dix ans, et pour marraine sa soeur Marie-Simonette qui avait onze ans. Son père Jean Antoine, fils de Henri Gaston. marquis de Langheac et auteur de la branche des comtes de Saint-Ilpize, avait épousé, le 22 février 1700, Marie-Madeleine de Michel de La Champ. Ils eurent onze enfants, Dominique fut le huitième.

Dominique de la Rochefoucauld entra au séminaire de Saint-Sulpice. Après son ordination, son oncle, Mgr de la Rochefoucauld, archevêque de Bourges, l'appela auprès de lui en qualité de grand vicaire.

Nommé évêque d'Albi en 1747, il fut sacré le 29 juin 1747 dans la chapelle du séminaire Saint-Sulpice à Paris. L'évêque consécrateur fut Mgr Gabriel Florent de Choiseul Beaupré, évêque de Mende, assisté de Mgr Charles de Grimaldi d'Antibes, évêque de Rodez, et de Pierre de Rosset de Fleury, évêque de Chartres.

De 1750 à 1755, il fut député par le clergé de France. Après la mort de son oncle, le roi accorda à Mgr de la Rochefoucauld la commende de la riche abbaye de Cluny, sachant qu'il saurait employer ses revenus dans un but charitable. Appelé à l'illustre siège de Rouen le 5 avril 1759, il fut installé sur le siège de saint Romain le 10 janvier 1760. Pie VI le promut dans le consistoire du 1" juin 1778 au cardinalat, et le roi lui-même, lui remit les insignes de sa nouvelle dignité le 12 juin 1778.

Sa vie d'évêque fut toujours d'une droiture et d'une charité exemplaires qui lui ont valu l'attachement et le respect de ses prêtres et des fidèles des deux diocèses dont il fut le pasteur.

Après le massacre du 2 septembre 1792, quand deux de ses neveux, les évêques de Beauvais et de Saintes, eurent été exécutés, le cardinal s'embarqua à Boulogne. Il resta peu en Angleterre, puis se dirigea en Hollande à Maestricht, puis à Bruxelles. Les armées de la République s'emparèrent de Bruxelles en juillet 1794. Notre cardinal partit alors pour Munster en Westphalie, où il arriva en février 1795. Le cardinal, comme doyen de l'épiscopat français, fut chargé de la direction du clergé qui s'était regroupé autour de lui dans la principauté de Munster, petit État alors indépendant, gouverné par l'évêque, toujours choisi dans la famille impériale. Il décéda à Munster le 23 septembre 1800, âgé de 89 ans. Ce fut le premier cardinal inhumé dans l'ancien choeur de la cathédrale de Munster. Il avait été quarante et un ans archevêque de Rouen. Le cardinal de Bonnechose, désirant faire revenir à Rouen les restes du cardinal de la Rochefoucauld, entreprit des négociations près du gouvernement allemand en 1868. La translation se fit le 19 octobre 1875. Déposé provisoirement dans la crypte de l'église Saint-Godard, il fut solennellement inhumé dans la cathédrale de Rouen le 20 avril 1876.

remplir les places de la fondation qui viendront à vaquer ; s'il se présente des sujets qui ayant les talents et les qualités nécessaires à l'exercice des fonctions pour lesquelles elles sont destinées, et qui ayant la générosité de vouloir se dépatrier, nous nous ferons un honneur et un plaisir de les former à la vie religieuse jusqu'après leur profession pour contribuer, par là, à la gloire de l'institut, par celui de la maison de Pologne, mais nous ne formons cette conclusion qu'aux conditions suivantes : savoir : premièrement, que les pensions, l'envoi des dites religieuses et tous les autres frais nous seront payés d'avance, au risque même que les sujets qui pourraient se présenter et avoir commencé leur noviciat ne puissent être reçus à profession, soit par défaut de santé ou de vocation ou autres raisons légitimes. Secondement : que si ces mêmes sujets, après avoir passé un certain temps dans la maison de Varsovie, se trouvent dans le cas d'en sortir, ils ne pourront plus être reçus dans la nôtre, à moins qu'ils n'y apportent une dot ou une pension et que notre communauté veuille bien consentir à les recevoir.

Troisièmement : que si dans la suite, nous nous trouvons dans l'impossibilité de pouvoir former des sujets pour la communauté de Varsovie lorsqu'elle nous en témoignera le désir, nous nous réservons la liberté de refuser d'y satisfaire.

Pour notifier le présent acte à la communauté de Varsovie, la requérir et sommer de nous faire connaître ses dispositions à l'égard de l'exécution littérale de la fondation de la reine Casimire, nous avons nommé et nommons par ces présentes : la révérende mère Marie Ursule de Przebendowska, religieuse polonaise de Varsovie, et les mères Saint Jean-Baptiste et Marie des Anges religieuses françaises, incorporées à la dite Maison, les seules restant de la fondation française, ou à leur place, le porteur des présentes, auxquelles nous donnons plein pouvoir et procuration à cet effet. Arrêté en notre chapitre, le jour et an que dessus.

Soeur Sainte Thérèse, prieure ; Soeur Saint Benoit, sous-prieure ; Soeur de Sainte

Marie, discrète ;

Soeur Saint Dominique, discrète ; Soeur Saint Augustin, discrète, Soeur des Anges, secrétaire du Chapitre.

ANNALES DU MONASTÈRE DE ROUEN

349

Ce jourd'hui vingt-cinq septembre de l'année mil sept cent quatre-vingt-quatre. La communauté capitulairement assemblée en la manière accoutumée après avoir pris lecture des mémoires présentés par nos révérendes mères Marie Ursule Przebendowska et Marie des Anges pour l'assurance de la fondation à Sa Majesté impériale ; au mois de janvier dernier du brevet du roi du dix-neuf janviermême année signé Louis, en outre signé Vergennes, collationné par M. Robillard conseiller secrétaire du roi Maison Couronne de France ; du bref du pape Pie VI 204 donné à Rome à Saint-Pierre le vingt-huit janvier même année signé : I, cardinal de Conti 205, et de la lettre circulaire des dites mères écrite aux maisons de l'institut du même mois et année pour inviter toutes celles qui les composent de contribuer à rendre stable la fondation française faite par la reine Marie Casimire, femme du Grand Sobieski à Varsovie pour l'éducation de la jeune noblesse polonaise, nous avons consenti d'une commune voix à seconder les intentions de la dite reine et le zèle des mères Marie Ursule Przebendowska et

204. Jean-Ange Braschi, né à Cesena (Romagne) en 1717, cardinal en 1773, élu pape le 15 février 1775, décédé le jeudi 29 août 1799 à Valence (Drôme).

Au début du règne, une certaine accalmie se fit dans les problèmes qui opposèrent bien des nations et surtout les idées philosophiques en vogue, à la papauté. Pie VI fit tous ses efforts pour tenter de conserver la paix en Europe. Son règne fut un véritable calvaire car il s'étendit sur les années qui virent la Révolution française, puis la Révolution italienne. Pape libéral, il fut d'autant plus affecté par les excès des deux Révolutions. Il ne voulut pas rompre avec la France et conserva un chargé d'affaires du Directoire à Rome, mais il accueillit avec sollicitude les prêtres émigrés. Cependant le Directoire fit envahir le territoire pontifical et Bonaparte obligea Pie VI a signer le traité désastreux de 1797. En 1798, le Directoire fit arrêter le pape et le conduisit d'abord à Sienne, puis à la Chartreuse d'Ema, près de Florence (3 juin 1798), ensuite à Grenoble (6 juillet 1799), en lui faisant traverser les Alpes en plein hiver, par Briançon. Il arriva à Valence le 14 juillet 1799, où il fut déclaré prisonnier de guerre de la République. Il mourut dans cette ville, épuisé de souffrance en raison des mauvais traitements que lui firent subir ses gardiens, au matin du 29 août 1799.

Au début de son pontificat, il réforma l'administration pontificale, encouragea l'agriculture et fit assécher les marais Pontins.

(Cf. G. Castelle, Histoire des Papes, éditions Franmounster, Zurich, 1944).

205. Innocent Conti, né à Rome le 8 février 1731, archevêque titulaire de Tyr le 18 décembrell769 et sacré le 26 dans l'église de la Vallicella, à Rome (Oratoriens de saint Philippe Néri), par le cardinal Marc-Antoine Colonna, vicaire de Sa Sainteté. Nonce au Portugal le 3 janvier 1770, cardinal réservé le 23 septembre 1771, déclaré le 19 avril 1773, titulaire de Saint-Sylvestre in Capite et Sainte-Marie in Ara coeli, mort près de Rome, dans sa maison de campagne de Tusculum le 15 novembre 1785. (Renseignements aimablement communiqués par Dom H. Chapeau, archiviste de l'abbaye Saint-Paul de Wisques).

350 Marie des Anges autant qu'il sera en notre pouvoir, dans les mêmes intentions et sentiments pour Léopol où cette fondation a été transportée par ordre de sa Majesté impériale [Joseph II] que nous l'avions fait pour Varsovie dont les dites mères ont l'acte entre leurs mains du dix-neuf juin mil sept cent quatre-vingt-deux consentons à toutes les clauses mentionnées dans le mémoire présenté à l'Empereur. Les dites mères nous ayant assurées que les religieuses françaises qui auront bien voulu quitter leur patrie pour contribuer à cet établissement ne pouvant se faire par défaut de santé ou autre raison pourront revenir dans leur maison de profession aux frais de la dite fondation mais qu'il n'en sera pas ainsi de celles qui auront fait leur noviciat pour aller à cette fondation. Nous arrêtant toujours au premier acte fait pendant le règne de la révérende mère Sainte Thérèse, prieure en ce temps-là, pour Varsovie et arrêté ce jourd'hui vingt-cinq de septembre mil sept cent quatre-vingt-quatre en notre monastère du Saint-Sacrement de Rouen. Ce avons signé :

Soeur Saint-Benoit, prieure, Soeur Saint Augustin sous-prieure Soeur Sainte Marie discrète, Soeur Saint Dominique discrète, Soeur Sainte Thérèse

discrète

ANNALES DU MONASTÈRE DE ROUEN

351

[photo]

Acte de Vêture de Joseph-Benoit Labre (5 novembre 1769). A rch. de l'abbaye Notre-Dame de Sept-Fons (Allier)


Départ de notre chère sœur Saint-Bernard pour Léopol

Notre chère soeur Saint-Bernard ayant recouvert la santé par l'intercession du vénérable Labre 206 dans l'intention decontribuer à soutenir la fondation que feue la reine Marie-Casimire femme du grand Sobieski a faite à Varsovie qui depuis a été transportée à Léopol de Galicie, conquise par Joseph II du nom, empereur d'Allemagne, la communauté ne s'est point opposée au pieux dessein de cette chère soeur, étant libre de revenir si sa santé ou d'autres raisons l'y obligent, aux conditions portées dans l'acte du vingt septembre mil sept cent quatre-vingt-quatre que la maison de Léopol doit fournir aux frais du voyage pris sur la fondation.

Elle est partie le douze septembre mil sept cent quatre vingt-cinq accompagnée de dame Sainte Ursule Przebendowska, religieuse de Varsovie et dame Marie des Anges, religieuse de la maison de la rue Cassette 207 de Paris.

206. Labre Benoît-Joseph, fils de Jean-Baptiste Labre (1717-1791) et de Anne - Barbe Grandsire (1724-1804). Né à Amettes (Pas-de-Calais), le 26 mars 1748, aîné de quinze enfants, et parrain du quinzième. Il fut confié Il fut confié à l'âge de douze ans à un oncle, François-Joseph Labre, prêtre à Erin ; puis, en 1766, à un autre oncle, Jacques Vincent, vicaire à Conteville. Il fit plusieurs essais de vie contemplative, d'abord à la chartreuse de Sainte-Aldegonde à Longuenesse, près de Saint-Omer, en 1767 ; puis il se présenta à la Trappe de Soligny (Orne), mais il n'avait pas l'âge requis. I1 fit un second séjour à la chartreuse de Neuville, enfin fut reçu à Sept-Fons le 30 octobre 1768 et y prit l'habit le 11 novembre 1769. Sa santé l'obligea à quitter l'abbaye le 2 juillet 1770. Son père abbé lui dit : « Dieu vous attend ailleurs ». Il partit en pèlerin vers l'Italie où il pensait trouver un monastère qui l'accueillerait. C'est alors qu'il commença sa vie de pèlerin mendiant, visitant les sanctuaires dans toute l'Europe. Bafoué, insulté par les uns, traité avec vénération par les humbles, torturé de peines intérieures mais fortifié par des grâces extraordinaires, il apporta dans l'Europe frivole et libertine du XVIIIe siècle un appel à la pauvreté et au respect des plus pauvres. Le 16 avril 1783, Benoît s'évanouit sur les marches de l'égliseSainte-Marie-des-Monts.à Rome. Il trépassa chez le boucher Zaccarelli, le lendemain, près de Sainte-Marie-des-Monts. Sa béatification eut lieu en 1860, sa canonisation le 8 décembre 1881(Dict. de Spiritualite').La soeur de Saint-Bernard, guérie par l'intercession de saint Benoît Labre, se nommait Françoise Le Masson.

207. Le premier monastère de notre institut fut fondé par mère Mectilde, rue du Bac, à Paris. La première cérémonie d'exposition du Saint Sacrement eut lieu le 25 mars 1653. C'est ce jour que l'on considère comme celui de la naissance de notre institut. Un an plus tard, la communauté, ayant trouvé une maison plus grande et mieux adaptée, rue Férou, on fit, le 12 mars 1654, la bénédiction de l'église. Ce n'est qu'en 1659 que mère Mectilde et la comtesse de Châteauvieux trouvèrent, rue Cassette, l'emplacement nécessaire pour bâtir le monastère et l'église dans lesquels la communauté pourra se développer et assumer sa mission dans l'Église jusqu'en 1792. Le monastère et l'église furent bénis le 25 mars 1659. Malgré plusieurs tentatives, la communauté n'a pu se reconstituer après la Révolution.

L'entrée de l'église était perpendiculaire à la rue Cassette et le jardin était, d'un côté, mitoyen avec celui des carmes, l'actuel institut catholique. Après 1796, la propriété fut lotie en appartements. La modernisation du quartier a déplacé plusieurs rues anciennes. Des fouilles ont été pratiquées à diverses reprises qui permettent de situer approximativement l'emplacement de l'ancien couvent entre les numéros 12 et 16 de l'actuelle rue Cassette (cf. C. de Bar, Documents historiques, Rouen, 1973).

Ce même jour est partie pour le même sujet madame Nerne de Mamvilleroy dite de Saint-Basile, religieuse de l'abbaye de Beaumont-les-Tours de l'ordre mitigé de Saint-Benoit et dame Angot dite de Sainte-Victoire de l'abbaye d'Arques 208 de l'ordre mitigé de Cîteaux.

Ces deux religieuses n'ont aucun droit de se reconnaître de notre maison n'ayant point fait les voeux de l'institut dans notre communauté où elles n'ont demeuré qu'en qualité de pensionnaires.

En foi de quoi, moi, secrétaire du chapitre ai dressé ce présent acte par l'ordre de notre révérende mère prieure laquelle a signé avec sa communauté et moi pareillement.

Ce cinq octobre mille sept cent quatre-vingt-cinq.

Soeur Saint Benoît, prieure Soeur Saint Augustin, sous prieure Soeur Saint Dominique discrète, Soeur Sainte Thérèse, discrète Soeur Sainte Marie, discrète et secrétaire du chapitre

ANNALES DU MONASTÈRE DE ROUEN.

208. L'abbaye d'Arques se trouve en Seine-Maritime à 7 km de Dieppe. Le château fut construit vers 1040 par le comte Guillaume, oncle maternel de Guillaume le Conquérant. L'église paroissiale est une ancienne possession de l'abbaye bénédictine de Saint-Wandrille. On y voit encore une chaire de bois du XVII' siècle provenant de l'église des Bernardines d'Arques. Le monastère des cisterciennes d'Arques-la-Bataille fut fondé en 1636, sous le vocable Notre-Dame et Saint-Joseph, par les seigneurs de Guiran de Dampierre, et Louise de Guiran en fut la première abbesse. Il fut habité par neuf religieuses venues de l'abbaye de Saint-Aubin près de Gournay. Le couvent fut érigé en abbaye par l'archevêque de Rouen, mais supprimé à la Révolution.

(Cf. Dom Cottineau, Abbayes et Prieurés ; Gallia Christiana, t. X1, p. 327 ; Taillandier, Les Bernardines d'Arques, Paris, 1865. Renseignements aimablement communiqués par Dom Léon Laroche, archiviste de l'abbaye de Notre-Dame de Liteaux).

353

[image omise]

XII LOUISE ADELAIDE DE BOURBON-CONDE VARSOVIE 1802

Les épîtres et arrangements avec la communauté du très Saint-Sacrement de Varsovie, dite les bénédictines de l'A doration perpétuelle, de S.A. Madame la princesse Adélaïde Bourbon-Condé 209, au sujet de sa réception dans ce couvent, après sa sortie de la Trappe, et avant son départ en Angleterre à Bodney-hall. A Nieswierz en Lithuanie, ce 31 mars (calendrler russe) 12 avril (calendrier romain) 1801

209. Louise-Adélaïde, née à Paris à l'hôtel de Condé le 5 octobre 1757 de Louis Joseph de Bourbon, prince de Condé, et de Charlotte Godefride Elisabeth de Rohan, fille du prince de Soubise.

L'enfant connut peu sa mère, décédée le 4 mars 1760. En 1762, elle fut confiée à sa tante, alors abbesse de Beaumont-les-Tours. De 1782 à 1786, elle vécut dans le monde selon son rang.

Après la mort, le 22 mai 1786, de Mme Anne Charlotte de Lorraine-Brionne, la princesse fut nommée par le roi comme abbesse du chapitre noble de Remiremont et fut élue par les chanoinesses le 22 août 1786. Elle dut quitter la France le 17 juillet 1789, avec son père, et se dirigea vers Turin. Ayant connu à Turin la fondation de Dom de Lestrange à La Valsainte (Suisse) pour regrouper les religieuses françaises chassées de leurs monastères, elle s'y rendit, mais ne put être admise en raison de sa santé. En 1790, commença pour elle une longue fuite devant les troupes révolutionnaires. Elle s'arrêta quelque temps à Vienne chez les visitandines. En septembre 1797, cependant, elle put reprendre le chemin de la Suisse et entra à la Trappe. Elle y demeura jusqu'en janvier 1798, puis repartit vers la Russie avec la communauté. Nous la retrouvons en décembre 1799 à Nieswicz. Ayant obtenu l'autorisation de l'empereur de Russie et du roi de Prusse de quitter la Lituanie, elle put entreprendre les démarches nécessaires pour être reçue en notre maison de Varsovie. Elle partit de Lituanie en juin 1801, arriva à Varsovie et, le 20 septembre, elle reçut l'habit monastique sous le nom de soeur Marie Joseph de la Miséricorde. Elle fit profession le 21 septembre 1802. Elle dut quitter Varsovie et s'exiler en Angleterre en mai 1805. Elle put rentrer en France fin août 1814, mais, après avoir reçu du gouvernement l'ancien palais du Temple, elle dut fuir de nouveau en 1815. Elle revint à Paris en juin 1816 et reprit les aménagements nécessaires à la vie de la nouvelle communauté. Le 4 décembre 1819, M. l'abbé d'Astros vint célébrer la messe. Un nouveau monastère de bénédictines de l'Adoration perpétuelle était fondé à Paris. L'archevêque de Paris (Mgr Hyacinthe Louis de Quelen 1821-1839) vint bénir l'église, achevée le 13 août 1823. Madame Louise, première prieure et fondatrice de ce monastère mourut le 10 mars 1824. (Cf. Dom Rabory, La vie de Louise de Bourbon, princesse de Condé, Solesmes, 1888 ; Vie, lettres et œuvres de Louise de Bourbon Condé, 3 t., anonyme, Paris 1843 ; Mgr J. Loth, Notice sur l'ancienne noblesse française, Picard, Paris, s.d.).

356

Quelques affaires, madame, m'appelant à Varsovie, je désirerais pouvoir y passer quelque temps dans une communauté religieuse, ayant depuis longtemps quitté le monde et ne craignant rien tant que de m'y retrouver.

Tout ce que j'ai entendu dire de la vôtre et de l'extrême régularité qui y règne, me détermine à vous demander si vous pouvez m'y donner un logement pour quelques mois, qui puisse servir à deux personnes. Je ne le veux ni magnifique, ni orné d'aucune superfluité quelconque, mais seulement salubre, aéré et ayant les meubles nécessaires, mais les plus simples et les moins recherchés.

Je vous préviens, que je n'ai aucune suite de domestiques, pas même de femme de chambre et que j'ai totalement abandonné tout ce qui peut avoir quelque trait du rang dans lequel la Providence m'avait fait naître. Je suis seule avec une respectable religieuse française 210, bénédictine de la Règle primitive de saint Benoît, et qui, depuis plusieurs années gémit de n'avoir pu trouver aucune communauté, qui au moins la rapprocherait de son saint état, pour lequel seul elle soupire.

La Providence qui nous a unies (de la manière la plus frappante) nous rend inséparables... Elle est pour moi, je ne dirai pas l'amie la plus fidèle, mais la mère la plus tendre et c'est ainsi que je la considère avec de bien justes motifs, (quoiqu'elle soit plus jeune que moi). Je ne vous dissimulerai pas, Madame, qu'elle a beaucoup contribué au choix que je fais de votre maison en ce moment, par le plaisir qu'elle aura de se trouver dans un couvent dont on dit tant de bien. Je vous préviens

210. Marie Barbe Geneviève de la Rozière (ou Delarozière), était née vers 1763. Entrée à l'abbaye de Saint-Paul-lès-Beauvais, elle y émit ses voeux vers 1785. Elle fit partie du premier groupe de religieuses exilées de France, réunies par l'abbé de la Trappe, Dom de Lestrange, en Suisse, à Sembrancher ou Saint-Branchier, près de la Valsainte dans le Bas-Valais. Elle y fut maitresse des novices. Compagne fidèle de mère Louise de Bourbon Condé, elle fut chargée par elle de l'organisation du monastère du Temple en 1816.

Saint-Paul-lès-Beauvais, canton d'Auneuil, arrondissement de Beauvais. L'abbaye, fondée au VII' siècle par Clotaire III, fut placée sous le patronage de Notre-Dame. Restaurée vers 1036 par Drogon, il n'en reste que quelques vestiges. A l'époque de la Révolution, elle fut gouvernée par des abbesses qui y établirent une vie régulière et fervente : mesdames de Sourdis et de Clermont-Tonnerre.

357 qu'elle ne lui sera à charge en aucune manière, puisqu'elle, ainsi que moi, nous vous payerons pension pour le temps que nous y passerons. J'ai demandé les passeports qui me sont nécessaires, je les attends incessamment.

J'espère me rendre chez vous vers la fin de mai. Je vous prie de me faire une réponse prompte et favorable car je tiens beaucoup, Madame, au bonheur de me voir chez vous. Vous pouvez être bien sûre que je n'y attirerai pas les personnes du dehors et que mon séjour n'y altérera nullement ce qui tient à la régularité ; rien n'étant plus contraire à mes goûts, à mon caractère, à mes principes ; et même, les affaires que je puis avoir, ne sont dans le cas de donner aucune sujétion à votre maison.

Je vous prie même, à cet effet, de garder un silence exact sur le contenu de cette lettre, afin de m'éviter, à mon arrivée, des visites que je ne veux point recevoir. Si je ne craignais pas de vous fatiguer par une trop longue lettre, Madame, je vous parlerais de la satisfaction que je me promets de me trouver dans un saint monastère particulièrement consacré à l'adoration du très Saint Sacrement, fondé par une de mes compatriotes, la vénérable mère Catherine de Bar, dont j'ai lu la vie 211 anciennement avec tant de plaisir, d'intérêt et d'édification, et dont je sais que ses respectables filles retracent les vertus avec la plus exacte fidélité. Mais pour le moment, Madame, je me borne, en me recommandant, moi et tout ce qui m'intéresse, à vos ferventes prières, je me borne, dis je, à vous renouveler mes pressantes et sincères instances pour me donner retraite chez vous et à vous assurer de la reconnaissance que j'en aurai, sentiment aussi sincère, que la juste et profonde vénération, que je vous prie, Madame, de me croire pour vous.

Louis Adélaïde dt. Bourbon, princesse de Condé

Vous voudrez bien adresser votre prompte réponse sous mon nom aux bénédictines à Nieswierz en Lithuanie, Pologne russe.

211. Vies de mère Mectilde du Saint-Sacrement éditées antérieurement à 1801.

a.- Père Pierre Helyot, Histoire des ordres monastiques, religieux et militaires (T. 6, Paris, 1718.

b.-Père François Giry, provincial des minimes, Vie des saints, 1719.

c.- Abbé Duquesne, Vie de la vénérable mère Catherine de Bar dite en religion Mectilde du Saint-Sacrement, Nancy, 1775.

Vous voyez, Madame, que je ne vous demande ici qu'un asile momentané ; si par la suite, je prévoyais me fixer à Varsovie, je ferais alors les démarches nécessaires à la cour de Berlin 212 pour obtenir la permission sans que cela vous causât aucun embarras.

Il y a ici un ecclésiastique français qui désire que je le conduise jusqu'à Varsovie et qui espère y trouver asile, au moins pour quelques jours, dans une communauté de religieux ; ne connaissant personne du tout, je vous prie d'avoir la bonté de lui rendre ce bon office, soit par quelques supérieurs de votre connaissance ou autres, comme vous le jugerez à propos. Permettez-moi de vous demander si le confesseur de votre maison parle français, ou s'il y en a quelqu'autre de votre connaissance ? Ceci n'est pas sans intérêt pour moi.

ORIGINAL AUX ARCHIVES DE L'ABBAYE DE LIMON

Au nom de la Très Sainte Trinité, le Père, le Fils et le Saint Esprit [Moi Soeur Marie Joseph de la Miséricorde...]

Moi Soeur Marie Joseph de la Miséricorde, humblement. prosternée aux pieds de mon adorable Sauveur Jésus-Christ, que je crois réellement présent dans la divine Eucharistie, voue et promets de garder toute ma vie stabilité sous clôture, conversion de mes moeurs, chasteté, pauvreté et obéissance selon la Règle de notre glorieux Père saint Benoît, et de maintenir de tout mon possible, le culte et l'adoration perpétuelle du très

212. Lettre de l'empereur Alexandre à Adélaïde de Bourbon-Condé : Saint-Saint-Pétersbourg, ce 30 mars 1801.

Madame ma Cousine,

Partageant à votre égard les sentiments de feu Sa Majesté l'Empereur, mon très-cher et très-honoré père, je suis certainement bien éloigné de vouloir vous gêner en quoi que ce soit. Je consens, par conséquent, de tout mon coeur, au projet de Votre Altesse Sérénissime d'aller s'établir à Varsovie, ne pouvant que respecter les motifs qui l'y portent.

Sa pension lui sera continuée partout où elle voudra fixer sa résidence, et je vous prie, Madame ma Cousine, d'être persuadée qu'il me sera toujours bien agréable de vous être utile. C'est dans cette intention aussi que mon ministre à Berlin est chargé d'obtenir pour Votre Altesse Sérénissime la permission du gouvernement prussien de venir à Varsovie. Je suis, avec une considération bien sincère, Madame ma Cousine, de Votre Altesse Sérénissime, le bien affectionné. Alexandre.

358 Saint Sacrement de l'autel, en qualité de victime immolée à sa gloire, en réparation des impiétés commises contre cet auguste mystère, conformément aux constitutions de notre institut approuvées du Saint Siège. En foi de quoi, j'ai signé ma présente promesse, à la plus grande gloire de Dieu, en l'honneur et sous la protection spéciale de la très Sainte Vierge, de tous les saints et saintes singulièrement de ceux dont les sacrées reliques repo.. sent en ce Monastère, en présence de Mgr Jean Baptiste Albertrandi évêque de Zénopoli213, de notre très révérende mère prieure Marie Ludgarde de la Présentation, et de toute la communauté : le 21 e du mois de septembre de l'an 1802... Sœur Marie Joseph de la miséricorde nommée au monde, Louise Adélaïde de Bourbon.

Ma fille, si vous accomplissez la promesse que vous venez de faire à Dieu, je vous promets de sa part la Vie éternelle. Sainte Marie de la Présentation 214, prieure.

A monseigneur Adam Prazmowski, évêque de Varsovie, et supérieur de la maison

Loué soit le très Saint-Sacrement de l'autel !

Je suis dans la plus grande perplexité, Monseigneur, relativement au sort du couvent du Saint-Sacrement dont, depuis bien longtemps, je n'ai pu me procurer aucune nouvelle, ignorant si après tous les événements il existe encore . Trouvez bon, Monsieur, que je m'adresse à vous pour être instruite de son sort, qui m'intéresse et m'intéressera toujours plus que je ne puis dire. Vous me ferez grand plaisir de le faire savoir à toutes les religieuses qui le composaient, et si elles sont toujours réunies, de les prier de trouver moyen de m'écrire.

213. Jean-Baptiste Albertrandi, né à Varsovie en 1751, mort en 1808. Jésuite et historien, familier du roi de Pologne Stanislas Auguste Poniatowski, qui le chargea d'aller chercher à l'étranger des documents relatifs à l'histoire de la Pologne. Il rapporta d'Italie plus de deux cents volumes. Il publia plusieurs ouvrages historiques à Varsovie en 1768 et de 1805 à 1808. Il fut nommé évêque de Zénopoli.

214. Euphémie, Julienne, soeur Ludgarde de la Présentation Wodzinska, née à Inowroclw, région de Torun, le 16 février 1726. Elle reçut l'habit monastique en 1740 et fit profession le 17 février 1743. Elle fut prieure du monastère de Varsovie du 2 juillet 1768 au 2 juillet 1774, fut réélue le 2 juillet 1789 et garda la charge jusqu'au 2 juillet 1804. Elle mourut le 5 juin 1813.

360

Je n'ignore pas que la difficulté est grande, et moi-même je ne suis pas sûre que cette lettre vous parviendra par la seule voie que l'on m'ait indiquée.

Si donc, vous la recevez, veuillez bien faire tout votre possible pour me répondre...

Je vous en aurai, Monsieur, une obligation aussi sincère que vous me connaissez pour vous et dont je vous renouvelle toutes les assurances avec le plus grand plaisir.

J'ai l'honneur de me nommer, votre très humble et obéissante servante.

Soeur Marie Joseph de la Miséricorde

Bénédictine de l'Adoration perpétuelle du très Saint Sacrement

Princesse de Bourbon

Je pense qu'il vaudra peut-être mieux pour vous que vous adressiez la réponse que vous voudrez me faire, à la mère de la Rosière, à Bodney-Hall near Brandon (Angleterre).

Ces dames pourraient user de la même adresse.

Je voudrais bien aussi savoir si les bermonistes 2' ` existent encore et surtout le R.P. Vannelet.

Bodney-Hall, ce 11 mars 1808.

ARCHIVES CONSERVÉES AU MONASTÈRE DE ROUEN.

215. C'est ainsi qu'on surnommait les R.P. rédemptoristes pendant les dernières années de leur existence à Varsovie.

361

[image omise]

XIII CORRESPONDANCE DES MERES PRIEURES 1858-1932

Varsovie, 4 mai 1858

Très révérende et très respectable mère,

Loué soit le très Saint Sacrement de l'autel.

Unies d'esprit par la Règle et nos constitutions, j'ose même croire de coeur, si vous me permettez, de vous adresser quelques mots, en vous priant au nom de notre communauté, de nous ouvrir une sorte de correspondance spirituelle, touchant la vôtre, qui nous intéresse beaucoup ; sachant que la nôtre y a pris naissance, et croyant que votre respectable communauté est la même qui a envoyé plusieurs de ses membres pour transplanter notre saint institut, qui n'était alors que dans son berceau, dans notre pays, où nous avons le bonheur de le maintenir jusqu'à aujourd'hui dans les mêmes règles que notre très digne mère institutrice à prescrites. Serais-je assez heureuse d'être bien reçue de votre révérence ? Je prends la hardiesse de vous demander : avez-vous le bonheur de jouir des prérogatives de l'institut pour en observer les fêtes et les indulgences accordées tant à notre ordre qu'à l'association de l'adoration du Saint-Sacrement, etc. ?

Il nous serait très utile de savoir si tous les jeudis de l'année sont observés selon les constitutions avec exposition du Saint Sacrement, et quant à l'office du très Saint Sacrement et de la fête et office du Saint Coeur de Marie, comment les observe-t-on chez vous ?

364

J'ose vous demander encore, par quels ecclésiastiques votre église est-elle desservie ? Quant à nous ce sont les pères dominicains qui sont les plus près de nous. Les pères bénédictins, qui ne se trouvent qu'à douze lieues de Varsovie, nous communiquent les rubriques annuelles du bréviaire, que nous suivons toujours. Il nous serait encore fort utile de nous informer si vous avez, ma très révérende mère, le cérémonial imprimé 216 selon le manuscrit qui nous a été transmis par nos premières mères, comme destiné par notre mère institutrice, à ce qu'il paraît dans ses autres ouvrages qui ont été imprimés par ses propres soins, qu'elle avait aussi le dessein de le faire imprimer. Si vous avez l'extrême bonté de nous répondre, nous vous en serons fort reconnaissantes, avec toute la communauté qui est composée de trente soeurs du choeur dont six soeurs converses et puis trois tertiaires et deux postulantes.

J'ose vous demander encore une fois la grâce d'être reçue à l'union spirituelle de notre révérence et de votre respectable communauté, et je me recommande, avec la mienne, à vos saintes prières, avec le plus grand respect de votre révérence, la plus humble servante,

Marie Augustine Golebieska 21

Prieure des dames de l'Adoration perpétuelle du Saint Sacrement

ARCHIVES DU MONASTÈRE DE ROUEN

216. Mère Mectilde avait composé un Cérémonial manuscrit pour son monastère de la rue Cassette, à Paris. Chaque monastère de notre institut possédait un texte semblable, avec les adaptations, pour chaque maison. Nos archives ont conservé plusieurs volumes manuscrits.

Après la Révolution, le monastère d'Arras édita un Cérémonial, qui continue à être utilisé avec toutes les adaptations nécessaires, ainsi que plusieurs ouvrages concernant notre vie monastique et restés manuscrits jusqu'en 1840, pour compléter ce qui n'avait pas été imprimé auparavant.

217. Golebiewska Félicie, soeur Marie Augustine de Saint Michel, née et baptisée à Varsovie le 19 octobre 1800, elle reçut l'habit monastique le 24 décembre 1821, profession le 25 mars 1825. Elle fut élue prieure le 2 juillet 1852, et le resta jusqu'en 1865. Elle décéda au monastère de Varsovie le 2 novembre 1890.

365

Du monastère de Paris à notre maison de Rouen Paris, 21 mai 1858

Loué et adoré soit à jamais le très Saint Sacrement de l'Autel

Ma très révérende mère,

Notre très révérende mère prieure me charge de transmettre à votre révérence un désir du révérend père Collet, de Solesmes 218 et de vous dire à quelle occasion il l'a formé : l'année dernière, ce bon père, sachant que j'avais eu quelques rapports avec un prêtre polonais réfugié, demanda si l'on pourrait faire parvenir quelque chose à nos mères de Léopol et nous envoya une lettre pour la révérende mère prieure ; la réponse qu'il en a reçue l'a tellement intéressé en faveur de cette communauté qu'il a pensé qu'il fallait que les maisons de France s'employassent pour les aider à se conformer de plus en plus aux enseignements de notre digne mère institutrice. Voici ce qu'il mandait en date du 9 avril dernier :

« La lettre de la chère mère prieure de Léopol 219 respire dans sa simplicité un sentiment de foi qui est vraiment tout polonais. L'idée m'est venue, si vous trouviez une nouvelle occasion pour Léopol, d'envoyer à ces bonnes mères la Journée religieuse, le Supplément, etc. etc. Ce serait une oeuvre charitable, un lien de plus entre elles et les monastères de France. On pourrait leur offrir ce témoignage d'affection au nom de toutes vos maisons ».

Dans une lettre du 14 mai le révérend père revient à son idée. Voici ce qu'il dit : « J'ai cru entrevoir dans vos paroles, que votre dessein était de fournir seules, les livres que nous

218. Firmin, Dunstan Collet. Né le 21 juin 1824 à Faye-en-Haye (ancien département de la Meurthe). Il fit profession à l'abbaye de Saint-Pierre de Solesmes le 8 décembre 1848.

Il s'intéressa très tôt à notre institut. Il ne put demeurer à Solesmes et quitta l'abbaye en 1865 pour rejoindre Mgr Gaspard Mermillod, évêque de Genève, qui l'avait demandé comme secrétaire. Il décéda à Genève en 1892.

Il rédiga une vie de mère Mectilde, restée manuscrite. (renseignements aimablement communiqués par le R.P. Dom Soltner, archiviste de l'abbaye de Solesmes).

219. Zaslawska Katarzyna, soeur Marie de Saint-Louis. Née à Zablow, le 23 octobre 1791. Elle reçut l'habit monastique au monastère de Léopol le 15 mars 1807, fit profession le 30 novembre 1815. Elle fut élue prieure le 12 août 1835 et demeura dans sa charge jusqu'à son décès le 9 décembre 1868.

voulons envoyer à Léopol. Ce dessein est très beau, très louable et j'y applaudis de tout mon coeur ; mais ceci est une oeuvre collective, il importe de lui conserver ce caractère ; tout l'institut, autant que possible, doit y concourir. Ainsi donc je souhaiterais que Saint-Nicolas (de Port) 220 donnât le Supplément ; Arras 221 etc. ; Rouen, la Journée religieuse ;

220. Mère Mectilde fit la première fondation de son institut hors de Paris, à Toul, en Lorraine en 1664. Très rapidement la ferveur de la communauté lui attira un nombreux recrutement et, ce n'est que le 14 octobre 1792 que les moniales furent chassées de leur cloître. Ce ne fut qu'en 1806, qu'elles obtinrent l'autorisation de reprendre la vie commune, officiellement, et de recevoir de jeunes pensionnaires. Plusieurs religieuses des couvents de Nancy et de Rambervillers (Vosges) fermés, eux aussi, en 1792. se joignirent à celles de Toul. La maison qu'elles occupaient devenant trop petite, les anciens couvents de Toul, Nancy, Rambervillers étant dévastés, elles achetèrent le couvent des religieuses de la congrégation Notre-Dame (fondée par Alix Le Clerc) à Saint-Nicolas-de-Port, abandonné à la Révolution, mais dont l'église était intacte. La translation de la communauté se fit le 1« octobre 1812. La mère prieure, mère Aimée de Vassimon (profession le 9 avril 1774, prieure de 1793 à 1828), qui avait traversé toute la période révolutionnaire, en maintenant l'unité de sa communauté, malgré un emprisonnement de quelques mois, voyait avec joie tant de souffrances et de travaux trouver enfin leur récompense.

La communauté connut alors une période de très grande fécondité qui lui permit de fonder, en 1854, le monastère de Trèves, transféré en 1875 à Bettembourg (Luxembourg), lors des lois allemandes expulsant les religieux, repris à Trèves en 1883 ; en 1862 celui de Rosheim (Alsace). La mère Stéphanie Petitjean, prieure de 1840 à mai 1876, fut l'artisan de ces fondations et donna une prieure à Trèves, mère Mélanie André de 1863 à 1878. Le 24 mai 1876, la mère François de Sales Mathieu (soeur du Cardinal Mathieu) fut élue prieure de la communauté de Saint-Nicolas-de-Port ; c'est elle qui eut à faire face aux lois de proscription édictées contre les ordres religieux en 1904. La communauté dut se disséminer et la mère prieure accompagnée de deux religieuses se fixa à Nancy, dans l'espoir de pouvoir reconstituer sa communauté. Elle mourut le 17 novembre 1907, douze de ses filles purent l'assister à ses derniers moments. Au moment de la menace de guerre en 1938, les religieuses restantes quittèrent Nancy pour se joindre à notre monastère de Bayeux.

221. En 1814, cinq moniales, deux religieuses converses et une jeune postulante, quittaient le monastère de Rouen, pour fonder une nouvelle maison de notre institut ; la première fondation après la Révolution. Elles s'établirent d'abord dans la petite localité de Savy-en-Artois. Mais l'isolement et le manque de ressources les obligèrent à s'installer à Arras en 1818, où elles furent bien accueillies par l'évêque du diocèse, Mgr de la Tour d'Auvergne et le chanoine Lallart de Lebucquière, chanoine de la cathédrale, fut leur bienfaiteur et mit à leur disposition l'ancien couvent des trinitaires.

Une des dernières religieuses de la rue Cassette, mère Catherine de Jésus, et, la dernière prieure de Châtillon-sur-Loing, se joignirent à elles, et assurèrent la stabilité et le lien avec nos origines, qui firent bientôt de cette maison le monastère le plus prospère de l'institut.

Leur église dédiée au Coeur de Marie, était une imitation très réussie de l'architecture du XVe siècle, due à un architecte de talent, M. Grigny (Cf. Revue de Rouen et de la Normandie, octobre 1847). L'église fut bénie en 1846, par le cardinal de la Tour d'Auvergne et, en 1879, elle fut consacrée par Mgr Lequette. En 1880, le cou-

367

Saint-Omer 222, etc ; Vous auriez la peine d’écrire à ces communautés pour faire els demandes et surtout réclamer des prières. Car il fau considérer ceci comme un mission. » En même temps le révérend père envoyait une lettre pour la révérende mère de Léopol.

vent comptait quatre-vingts religieuses et le pensionnat recevait 150 élèves. Aussi en 1881, la communauté put-elle fonder un monastère à Saint-Omer, lequel en 1885, fonda Osnabruck, puis Bonn en Allemagne. En 1884, Arras accepta une proposition d'agrégation en Ecosse, à Dumfries et en 1892 apporta son aide à la Maison de Milan (Italie).

En exécution d'un voeu fait par la population catholique de la ville de Tourcoing, qui avait été protégée durant la guerre de 1914-1918, (voeu prononcé le 30 juin 1916), l'autorité ecclésiastique fit appel aux moniales d'Arras, réfugiées à Dumfries. Le 24 septembre 1919, trente religieuses professes étaient accueillies par les religieuses de Notre-Darne de Sion à Saint-Omer. Le 24 septembre 1921, elles prirent possession des bâtiments préparés par la ville de Tourcoing à leur intention.

En 1904, les religieuses durent s'expatrier, comme nombre de leurs soeurs. Au cours de la guerre de 1914-1918, le couvent fut d'abord transformé en ambulance, puis presque totalement détruit par les obus.

Nous devons au monastère d'Arras la publication de plusieurs ouvrages contenant des textes de mère Mectilde. En 1840, un Cérémonial, paraissait à Lille, chez L. Lefort.

Le même imprimeur-éditeur avait fait paraître auparavant le Règlement des offices (directoire à l'usage de chacun des emplois du monastère) et la Journée religieuse (qui organise la vie quotidienne du monastère et de chaque moniale).

222. Le monastère d'Arras établit le 14 juillet 1841 avec quatre moniales, une nouvelle maison de notre. institut à Saint-Orner. Dès le mois de septembre 1849 la communauté était assez nombreuse pour élire une prieure, ce fut mère Mectilde du Saint-Sacrement, qui accepta cette charge (Louisa Scott, décédée au monastère d'Arras le 23 décembre 1890). La maison s'affermit et prospéra sous son gouvernement, en sorte que la mère prieure put fonder deux autres monastères à Osnabrück (1855), et Bonn (1858) en Allemagne. Le monastère de Saint-Omer étant devenu trop petit, les religieuses firent l'acquisition d'une vaste propriété dans une banlieue de la ville, à Longuenesse, où elles s'installèrent en juillet 1864. Leur église, dédiée à Notre-Dame des Sept-Douleurs, sous le vocable de Notre-Dame Réconciliatrice, fut bénite en 1865. En 1880, la communauté comptait vingt-deux religieuses de choeur, douze soeurs converses, vingt-cinq pensionnaires. L'éloignement du centre de la ville nuisait au recrutement de la communauté et au pensionnat, aussi acceptèrent-elles d'échanger leur propriété, contre celle des frères des Écoles chrétiennes, qui leur offraient cette transaction. La communauté s'installa donc à Boulogne-sur-Mer et construisit le monastère, qui fut achevé en 1892.

L'avenir semblait assuré. Les lois spoliatrices de 1904 les obligèrent à chercher refuge en Belgique à Ooighem, près de Courtrai. Puis ce fut la guerre de 1914-1918 qui acheva de détruire le monastère. La communauté s'installa donc définitivement à Ooighem. En 1940, les moniales se retrouvèrent au coeur des combats, elles se réfugièrent à Thielt, puis à Lophem, près de Bruges, où les bénédictins de l'abbaye de Saint-André, leur apportèrent une aide fraternelle. En 1946, elles purent relever les ruines de leur monastère d'Ooighem, mais durent construire un nouveau monastère à Rumbeck (Flandre occidentale), en 1961. (Cf. Priez sans cesse, Paris, 1953).

368

Vous voyez donc, ma révérende mère 223, pourquoi notre très révérende mère prieure 224 me fait avoir l'honneur de vous écrire aujourd'hui : c'est pour vous demander des prières pour nos soeurs de Léopol, et pour vous prier de nous envoyer la Journée religieuse : si vous en aviez un exemplaire en feuilles nous vous serions obligées de nous l'envoyer sous bande ; autrement nous prendrions ce que vous nous enverrez. On nous promet une occasion pour Léopol.

Nous espérons, ma très révérende mère, que votre santé est bonne et que votre maison est dans un état prospère ; nous le demandons à Dieu de tout notre coeur. Veuillez prier pour nous, nous vous en supplions instamment.

Agréez, ma très révérende mère, les plus affectueux respects et souvenirs de notre très révérende mère prieure ; permettez que je vous offre l'hommage de mes meilleurs sentiments et que je me dise, en Notre Seigneur et sa très sainte Mère, votre acquise et dévouée servante.

Soeur Marie de l'Assomption

ARCHIVES DU MONASTÈRE DE ROUEN

Varsovie, 8 mars 1860 Bien chère et respectable mère,

Nous avons reçu avec un grand attendrissement votre lettre. Voici plusieurs feuilles contenant l'histoire de la fondation de notre monastère et quelques lettres de notre digne mère institutrice écrites de sa propre main, copiées pour les remettre entre les mains de la révérende mère de l'Assomption 22s.

223. Louise Jeanne Virginie Franquerie, soeur de Saint Placide, fit profession au monastère de Rouen le 5 mai 1837. Elle fut élue prieure en 1844 et le demeura jusqu'en 1882. Elle mourut le 15 avril 1883.

224. Louise Julie Suzanne de Saint-Martin ; soeur de Saint Anastasie, née le 2 thermidor An X (21 juillet 1802), à Saint-Port (près de Melun). Elle a été baptisée le 28 juillet 1823. Fille de Maximilien, Benoit, Bernardin, secrétaire intime de Mgr l'ambassadeur de Russie et de Gertrude Jeanne Gereman. Elle entra au monastère de la rue Tournefort, à Paris, comme grande pensionnaire en 1819, à dix-sept ans. Elle commença son noviciat le 19 mai 1824, reçut l'habit monastique le 26 septembre 1824 et fit profession le 19 novembre 1825. Elle fut élue prieure le 9 juillet 1846, elle le demeure jusqu'à son décès le 15 février 1860.

225. Françoise Adèle, Roze, soeur Marie de l'Assomption. Née à l'Ile Maurice, le 4 Messidor An II (22 juin 1794). Elle fut nommée Dame de seconde classe à la maison impériale Napoléon (Maison d'éducation, dite de la Légion d'honneur), à É-

369

Veuillez, ma bien chère mère, vous en charger et lui témoigner mes respects et l'assurer que j'aurai trois ou quatre lettres à lui envoyer plus tard, si elle le désire, ne pouvant pas les recueillir toutes pour cette fois-ci, ayant une occasion fort propice par Dom Jean Baptiste 226, prieur, profès de la congrégation des bénédictins de France qui, voyageant en Russie, a daigné nous honorer de sa visite plusieurs fois et dire la messe chez nous ; ce qui nous fit une grande satisfaction de pouvoir faire la connaissance d'un de nos vénérables pères et causa un grand regret de ne pouvoir jouir plus longtemps de sa présence.

Veuillez recevoir les assurances de l'amitié la plus tendre, pour nous avoir communiqué les choses qui nous touchent de si près et les pratiques de dévotion, que nous avons tâché de faire les pareilles pour nous unir à vos intentions.

couen, le 27 mai 1809, puis Dame de première classe le 24 avril 1812. Elle entra au monastère de la rue Tournefort à Paris et y fit profession le 16 septembre 1819.

Elle voua un grand amour à notre mère Mectilde et recopia tous les textes de notre fondatrice qu'elle parvint à se procurer, tant au monastère de Paris que dans les autres maisons de notre institut. Elle mourut le 22. mars 1866.

226. Jean-Baptiste, François Pitra, 1812-1889. Né à Champ-Forgueil, diocèse d'Autun, ordonné prêtre le 11 décembre 1836. I1 enseigna brillamment au petit séminaire d'Autun. Entré à l'abbaye de Solesmes le 8 septembre 1841, il y fit profession le 10 février 1843. Nommé supérieur du prieuré établi à Paris en 1848, il se vit confier par l'abbé Jacques-Paul Migne, l'édition des auteurs ecclésiastiques latins et grecs, des douze premiers siècles. Il est regrettable que l'abbé Migne n'ait pas toujours suivi les directives du savant bénédictin. Pour tenter de sauver le prieuré de Paris, accablé de dettes, Dom Pitra fit une tournée de quêtes en France, en Suisse, en Angleterre, en Belgique et en Hollande de 1845 à 1850. 11 profita de ces voyages pour poursuivre ses recherches littéraires et, de très nombreuses découvertes faites par lui à cette époque, permirent de continuer l'édition du Gallia christiana. Ses études et publications attirèrent sur lui l'attention du Vatican. I1 fut appelé à Rome en 1858 pour y étudier les sources du droit oriental. A ce titre, il entreprit un nouveau voyage de recherches en Russie et en Autriche (1859-1860). Le pape Pie IX, le créa cardinal en 1861, l'orientant toujours plus dans l'étude de l'Église orientale. Il publia un très grand nombre d'oeuvres des auteurs grecs anténicéens. Ses études le confirmèrent dans l'espoir d'une réunion possible entre les deux Églises, romaine et orientale.

Le 23 janvier 1869, Pie IX le nomma bibliothécaire de la sainte Église romaine.

En 1879, il reçut en charge le diocèse de Frascati où il fut bien accueilli, mais dut l'abandonner en 1884 pour celui de Porto et Sainte-Rufine auquel est attachée la charge de sous-doyen du Sacré Collège.

Son oeuvre publiée est immense et constitue une inépuisable mine pour ses successeurs. Mais il fut méconnu de son temps et dut très souvent éditer à ses frais, des ouvrages d'une valeur inestimable. Il vécut toujours en moine pauvre et infatigable au travail. Il mourut dans son évêché de Porto le 9 février 1889, au jour anniversaire de sa profession monastique. Ce fut un très humble et très grand serviteur de l'Église (Cf. D.T.C.).

Je ne peux rien dire davantage, pour ce moment où nous allons chanter complies au choeur, car c'est jeudi, que de me dire votre toute dévouée

Soeur Marie Tècle de Jésus Tytzowna 22'

AUTOGRAPHE DU MONASTÈRE DE ROUEN

Varsovie, 12 mars 1860

Bien chère et respectable mère,

Loué et adoré soit à jamais le très Saint Sacrement de l'autel.

... Ayez la bonté de continuer votre correspondance en différents sujets qui nous intéressent mutuellement, j'en profite déjà moi-même en vous adressant cette lettre qui vous sera remise plus tard par le révérend père dom Jean Baptiste Pitra, bénédictin, qui nous visita et nous parla de votre respectable communauté ; il eut la bonté de dire la messe plusieurs fois dans notre église. La première fois à la fête de saint Casimir, Patron de l'église, qui se célèbre avec solennité, et j'eus le plaisir de me présenter en grand habit devant lui, au parloir...

Soeur Marie Tècle de Jésus, économe et sous-maîtresse des novices

AUTOGRAPHE AU MONASTÈRE DE ROUEN

Varsovie ce 13 mars 1860

Loué et adoré soit à jamais le très Saint Sacrement de l'autel

Très respectable mère,

C'est une grande peine pour nous d'apprendre la nouvelle de la maladie de votre révérende mère prieure par l'aimable lettre de votre révérende mère Placide. En quel état cette bonne mère se trouve-t-elle maintenant ? Nous lui nous sommes redevables de nous avoir écrit plusieurs fois et de tant de soins pour nous procurer des bréviaires.

Les archives du monastère de Dom Jean-Baptiste Pitra n'ont pas conservé de traces de son passage à notre monastère de Varsovie.

227. Tytzowna Théophile, mère Marie Técle de Jésus, née à Varsovie le 18 août 1815. Elle reçut l'habit monastique le 17 juillet 1836 et fit profession le 12 novembre 1837. Elle fut économe et sous-maîtresse des novices. Elle décéda au monastère de Varsovie le 24 mai 1865.

Je me plais à vous mander que nous eûmes le plaisir de voir ici chez nous une personne qui vous connaît, et qui nous entretint de votre révérende mère prieure et je ne puis vous exprimer notre satisfaction d'entendre parler une personne de ce qui nous intéresse tant et ce qui nous fît imaginer de vous voir et de vous recevoir en elle. C'était le révérend père dom Jean-Baptiste Odon Pitra qui, retournant de son voyage de Russie par Varsovie daigna venir plusieurs fois chez nous pour dire la messe, je ne saurais assez vous dire quel plaisir c'était, pour moi surtout, de voir ce père de l'ordre que j'estime tant que j'avais toujours désiré au moins d'en entendre parler.

Il eut l'extrême bonté de se charger de quelques feuilles de papier pour vous les remettre, ma très chère mère : ce sont plusieurs lettres de notre très digne mère institutrice, l'histoire de notre fondation et du voyage pénible de nos premières mères de France ; mais il ne sera de retour qu'après cinq ou six semaines. Comme j'espère qu'il ne manquera pas d'aller vous voir pour remplir cette petite commission, j'ose vous prier, ma révérende mère, de m'en avertir et me donner de ses nouvelles et de l'assurer de ma part que j'ai rempli exactement ce qu'il m'a commis envers notre révérende mère prieure pour demander à la communauté des prières à son intention. Pour surcroît, le noviciat fut obligé d'y appliquer la neuvaine que nous faisons au grand saint Joseph, pour qu'il soit le principal protecteur des affaires importantes de la congrégation. Le seul but de son voyage si pénible est le bien de l'Église et de la religion ; cela nous fit concevoir une haute idée de son mérite, tout son entretien roula sur les usages de l'ordre et de notre institut, ce qui montre qu'il exerçait quelque fonction charitable auprès de votre communauté, ce qui attira d'autant plus d'estime et de respect pour lui...

Soeur Marie Thècle de Jésus

Peut-être vous ne trouverez pas mal, que j'ajoute encore la copie d'une

lettre de notre mère institutrice, de sa propre main, à Mlle Potocka dite la

soeur Casimire de l'Immaculée Conception, en date du 10 mai 1696.

AUTOGRAPHE AU MONASTÈRE DE ROUEN

Varsovie, ce 20 juin 1860

Très révérende mère !

Loué et adoré soit à jamais le très Saint Sacrement de l'autel.

C'est avec grande douleur que nous apprîmes la mort de cette bonne révérende mère et ce n'est que la disposition de la volonté divine, qui peut calmer et adoucir la peine tant à vous, aussi bien qu'à nous, qui vous portons tant d'intérêt ; je n'ose plus rouvrir vos plaies, mais je voudrais bien voir votre promesse accomplie, en nous communiquant quelques détails sur la défunte, pour en avoir une plus grande connaissance. Nous n'avions pas encore trouvé de moment favorable de vous congratuler, ma très révérende mère, au sujet de la supériorité dont la bonté de Dieu daigna vous charger22S. Nous comptons aussi sur sa bonté, qu'il daignera vous combler de grâces abondantes, pour y répondre le plus dignement, et en vous aidant de son bras paternel, pour avancer sa gloire et l'adoration du divin mystère de l'autel, surtout en dirigeant les âmes qui vous seront confiées.

Nous adressons des voeux sincères au ciel, afin qu'il répande ses bénédictions sur vous et sur votre sainte communauté. J'ose vous demander à cette occasion en quel temps l'élection doit avoir lieu, après la mort d'une supérieure, arrivée avant le terme du triennat, et si l'on s'y prépare par les quarante heures ? Ayez encore l'extrême bonté, ma très révérende mère, de présenter mes respects à la révérende mère de l'Assomption, de lui remettre la copie ci-jointe des lettres de notre très digne mère institutrice et, je vous prie aussi, de m'apprendre si les premières vous sont parvenues par le révérend père dom Pitra, bénédictin, qui nous visita au mois de mars, passant par notre capitale et il se chargea de vous remettre nos lettres. Faites-nous ce plaisir de nous mander quelque chose de son retour et tout ce qui le touche.

228. Eugénie Maitre, mère Saint Placide. Née le 25 février 1820, rue Saint-Jacques, n° 244, à Paris (XII° arrondissement), fille de Jean-Claude, boulanger et de Marie Josèphe Boissière, baptisée à l'église Saint Jacques du Haut-Pas, le lendemain. Elle entra au monastère de la rue Tournefort, à Paris, le 20 octobre 1841. Elle reçut l'habit monastique le 14 septembre 1842 et fit profession le 17 septembre 1843. Elle fut élue prieure le 2 mars 1860. Elle décéda le 29 décembre 1899.

373

Voilà votre promesse accomplie. Dans ce moment nous venons de recevoir la lettre circulaire de votre chère mère, par l'entremise des révérends pères de la Mission [Lazaristes]. Ah ! je vous en suis bien obligée ; nous en faisons la lecture tour à tour sans pouvoir cesser d'admirer sa vie exemplaire et vertueuse.

Nous tâcherons de réitérer encore notre service, malgré qu'après votre avertissement, nous ayons rempli les suffrages 229 d'obligation des messes, des communions et autres exercices de piété, à l'avantage de cette âme bienheureuse.

Je n'ose plus vous surcharger de mes lettres pour cette fois. J'achève en vous demandant, et à votre sainte communauté, une bonne part dans vos prières et vous assurant que je suis votre très humble servante

Soeur Marie Augustine, prieure

AUTOGRAPHE AU MONASTÈRE DE ROUEN

Varsovie, le 29 d'octobre 1863

Ma très chère révérende mère,

Loué soit le très Saint Sacrement de l'autel.

Je suis bien aise d'avoir l'occasion de vous adresser quelques mots pour vous renouveler les marques de notre liaison cordiale et religieuse et pour vous prier instamment de supplier la Bonté suprême de changer les maux inexprimables dans lesquels nous sommes plongés, tous en général, et qui augmentent de plus en plus. Implorez, très révérende mère, avec votre communauté, Notre Seigneur Jésus-Christ, qu'il daigne envoyer à notre secours son Église triomphante, pour assister son Église militante affligée de toutes parts. Ceci doit nous obliger à réparer pour des profanations continuelles, commises dans nos sanctuaires et sur ses ministres. Je crois que vous pourrez concevoir mieux, par ce peu de mots, ce que je veux vous représenter, que je ne le saurais exprimer...

Soeur Marie Augustine, prieure

AUTOGRAPHE AU MONASTÈRE DE ROUEN

229. Selon l'esprit de nos Constitutions, chacun de nos monastères célèbre toujours des messes et des offices pour chaque religieuse défunte ; du monastère de la défunte, mais aussi pour les autres moniales défuntes de tous les monastères de notre institut.

Varsovie, 1865

... Le bon Dieu nous visita de nouveau par une épreuve inattendue ; notre noviciat et notre pensionnat furent supprimés, ainsi que tous ceux qui existaient en Pologne ; tous nos biens ont passé sous l'administration du ministère des finances.

La modique pension par laquelle on pourvoit à notre subsistance ne suffirait jamais à nos besoins journaliers, si la Providence divine ne nous ménageait d'autres secours. Certes, nous n'avons pas à nous plaindre. Messieurs les employés du gouvernement civil sont pleins de prévenance à notre égard, et nous traitent avec toute l'urbanité possible ; ils nous soutiennent de leur crédit auprès de leurs chefs supérieurs. Pour nous, nous nous estimons infiniment heureuses de ce qu'on nous ait laissé dans notre cher et ancien monastère ; et quant à la suppression de notre pensionnat, elle ne nous laisse que plus de loisirs pour vaquer à notre séraphique vocation de la louange divine et de l'adoration perpétuelle du très Saint Sacrement.

Soeur Marie Madeleine de Jésus, Rakoszewska23o AUTOGRAPHE AU MONASTÈRE DE ROUEN

Varsovie

Varsovie, le 8e de septembre l'an 1871

Très révérendes et bien aimées soeurs,

Loué soit le très Saint Sacrement de l'autel à jamais !

Un jeune prêtre de notre église cathédrale, qui l'année passée à cause des troubles de la guerre, ne pouvait pas faire son voyage proposé à Paris, avait l'intention de regagner cette perte dès le commencement du mois de juillet ; et comme il a une singulière prédilection pour toutes les maisons de notre institut, il se chargea bien volontiers de la lettre, que nous lui confiâmes, nous assurant qu'il visitera votre chapelle pour y

230. Rakoszewska Hélène, soeur Marie-Magdeleine de Jésus. Née à Varsovie, le 30 avril 1829, véture le 24 mars 1855, profession le 1« mars 1857. Elle est décédée au monastère de Varsovie le 16 novembre 1897. Elle fut prieure du 2 juillet 1877 au 2 juillet 1880.

375 dire la sainte messe, et ne manquera pas de vous la remettre personnellement, pour vous demander de vos nouvelles, parce que le long silence que vous gardez, nous est extrêmement pénible.

Mais nous apprenons en ce moment, par la lettre adressée à notre bonne soeur Herminie 231, que vous aviez été presque forcées de quitter votre capitale pendant le siège laissant votre cher monastère à la Providence divine. Il m'est impossible de vous exprimer les sentiments de la plus tendre compassion, dont nos coeurs étaient pénétrés, en relisant les dangers qui vous menaçaient, et dont sa paternelle bonté vous a préservées ; et nous nous imaginons facilement la vive joie et la tendre reconnaissance qui vous animaient toutes au moment de l'heureux retour dans votre bien aimé asile de sûreté.

Nous rendons grâce à Dieu de ce bienfait si précieux et nous faisons des voeux ardents, pour que la paix dont vous jouissez aujourd'hui soit durable.

Étant bien inquiètes de vous tout le temps de la guerre qui ravageait toute la France, nous ne cessâmes de vous adresser plusieurs lettres, qui sans doute se sont perdues par la poste, ou sont parvenues chez vous, pendant le temps de votre exil, qui nous était tout à fait inconnu.

S'il vous est possible, très révérende mère, faites nous savoir tout ce qui vous touche, par écrit ou de vive voix, à ce jeune ecclésiastique qui ne manquera pas de revenir chez vous. Veuillez bien nous regarder toujours comme vos soeurs en Jésus Christ à cause du lien religieux qui nous unit et qui vous

231. Lukianow Herminie, Apolline, soeur Thècle. Née le 18 mars 1833 et baptisée en l'église de la Sainte-Vierge à Varsovie. Elle fut reçue au monastère de la rue Tournefort, à Paris, le 27 novembre 1863, comme postulante de choeur, et reçut l'habit monastique le 21 novembre 1864 sous le nom de soeur Marie de Saint Jude. Des difficultés de caractère la firent refuser par la communauté, lors de son chapitre de profession, le mercredi 11 octobre 1865 ; ceci explique son retour en Pologne et, son attachement resté intact, à la spiritualité de notre institut.

A son retour en Pologne, elle est entrée chez les soeurs de Notre-Dame de la Miséricorde (cf. chap. IX, n. 175).

Elle garda toujours l'esprit de notre institut, mais ne put rentrer au monastère de Varsovie, les lois interdisant aux monastères de vie contemplative tout recrutement. Pour la consolation de la soeur, la mère prieure l'accueillait fraternellement, quand cela lui était possible.

aiment bien cordialement et prennent un vif et tendre intérêt à tout ce qui vous touche ou vous menace de quelque malheur. Le bon Dieu ne laissera pas sans récompense le léger sacrifice des pertes que vous avez faites et, après tout, le détachement du temporel est bien préférable au plaisir que nous pourrions prendre en sa possession.

Voilà que notre bonne soeur Herminie a trouvé place parmi les darnes de la Miséricorde. La vocation de cette dévouée congrégation est véritablement sublime et précieuse aux yeux de Dieu et de celles qui y sont appelées ; ayant pour principal but, de surveiller les femmes de mauvaise vie, ou les jeunes filles qui se sont laissées acheminer sur la voie de perdition mais qui plus tard, étant éclairées de la grâce divine, s'adressent à ces bonnes mères, et sans être forcées, se mettent sous leur protection, pour pleurer leurs égarements et mener une vie pénitente.

Mais notre bonne soeur y est seulement de corps et son esprit toujours au milieu de nous, ou chez vous, très révérendes mères, elle n'en fait pas un secret mais sa bonne supérieure lui pardonne de bon coeur cet innocent attachement, le regardant comme la suite de plusieurs années passées chez vous, et lui permet même de faire son heure d'adoration chaque jour et de réciter l'office du Saint Sacrement que vous lui avez procuré pour sa consolation.

Ces bonnes mères ne sont pas obligées à la clôture, ce qui donne occasion quelquefois à la bonne soeur Herminie de nous visiter ; ces quelques moments passés chez nous, lui sont bien chers ; mais quant à nous, ils nous sont assez pénibles, n'ayant pas la liberté de lui faire partager notre bonheur, en l'associant à l'adoration du Saint Sacrement, ce qui fait toujours son attrait particulier.

Il est temps de finir... Adieu, ma très révérende mère, demeurons unies par la charité du bon Sauveur ; plus tard, dans la terre promise, cette union se consommera en Jésus. En attendant vivons pour Jésus afin de mourir en Jésus i...

Votre très humble servante et soeur en Jésus-Christ

Soeur Marie de Saint Stanislas, Romecka, prieure 232

AUTOGRAPHE AU MONASTÈRE DE ROUEN

377

Varsovie 12 mars 1873

Ma très révérende et chère mère,

Loué soit le très Saint Sacrement de l'autel !

J'ai reçu votre aimable lettre le 26e de décembre et le colis avec les livres le 17e de février. Nous sommes bien reconnaissantes pour votre bonté d'avoir envoyé une telle aumône de livres, nous prierons toutes bien le Bon Dieu pour vous. J'ai partagé les images parmi nos pauvres filles, qui sont bien heureuses de pouvoir avoir des images de si loin, elles demandent très humblement l'assistance de vos saintes prières.

Vous me demandez, ma très révérende mère, si je veux encore des livres ? Si vous aviez la bonté de nous en envoyer encore, par exemple : pour faire la lecture spirituelle pour former des novices, conférences pour la profession religieuse, quelque chose de la mère Benoîte de la Passion de Brem 233 ou de mère Mectilde du Saint Sacrement, ou bien : conférences mystiques du révérend père Epiphane Louys 234, directeur de la mère Benoîte. Vous pourriez les envoyer par trois ou quatre livres, cela coûte moins cher. Un monsieur sera de retour à Varsovie dans cinq semaines, il pourra prendre le plus petit paquet...

Soeur Marie Thécle Lukianow

AUTOGRAPHE AU MONASTÈRE DE ROUEN

232. Rornecka Pélagie, mère Stanislas du Coeur de Marie. Née et baptisée à Varso-vie le 8 avril 1821. Elle reçut l'habit monastique le 8 septembre 1838. Elle fit profession le 30 août 1840. Elle fut élue prieure, le 16 septembre 1865 et le demeura jusqu'au 2 juillet 1877, puis du 2 juillet 1880 jusqu'à sa mort survenue à Varsovie le 29 juin 1906.

233. Élisabeth de Brem, mère Benoite de la Passion, née à Sarrebourg en 1607. Mariée à dix-sept ans à M. Chopine! alors qu'elle désirait vivement se vouer à Dieu dans la vie religieuse, elle devint veuve à vingt ans, et se retira, trois ans plus tard, au couvent des bénédictines, qui venait d'être fondé à Rambervillers (Vosges), par l'abbaye réformée de Verdun. Sa fille, Marguerite Chopinel, fut élevée au monastère.

Mère Benoite était une âme exceptionnelle, d'une vive intelligence et d'une piété profonde. Maîtresse des novices, elle forma mère Mectilde à l'esprit monastique. Le 31 août 1653, elle fut élue prieure. C'est elle qui aura la joie d'unir son monastère à notre institut en avril 1666. Soutenue dans sa charge par Dom Epiphane Louys, elle put relever son monastère, ruiné par la guerre de Trente Ans. Le R.P. Epiphane fit son éloge funèbre, après l'avoir assistée dans ses derniers instants, le 8 octobre 1668. Sa mémoire est restée en grande vénération. Le tombeau de mère Benoîte de la Passion de Brem se voit encore dans l'église de Rambervillers, sous une a Vierge de Pitié », ayant appartenu au monastère. (Cf. C. de Bar, Documents historiques, p. 226 no 13 et Lettres inédites, p. 298, Rouen 1976).

234. Le père Epiphane Louis ou Louys, né à Nancy en 1614, entra au noviciat des

378

Léopol, le 24 décembre 1919.

Loué et adoré à jamais le très Saint Sacrement de l'Autel ! Ma très révérende mère,

Nous attendions avec impatience la fin de cette horrible guerre pour avoir de vos nouvelles, nos bien chères mères. Nous nous adressons à votre maison dans l'espoir que le Bon Jésus vous a peut-être épargnées. Oh ! comme il nous tarde de savoir qu'il en est ainsi ! Veuillez donc, très révérende mère, nous faire part au plus tôt de tout ce qui concerne votre maison et celles de notre institut avec lesquelles vous avez pu conserver quelques relations.

Nous avons subi deux invasions : celle des Russes, qui ont encore assez épargné notre ville et quant à notre monastère, se sont contentés de fermer notre pensionnat. Mais l'année passée nous avons eu l'invasion des Ukrainiens, qui ont assiégé notre ville pendant plus de six mois, mais le Bon Dieu aidant et grâce à l'incomparable héroïsme de nos habitants, surtout de notre jeunesse, garçons et jeunes filles même, nous sommes parvenus enfin, non sans bien des pertes, à les chasser hors du pays. Notre monastère ne fut que très légèrement atteint par les

prémontrés à Sainte-Marie-Majeure à Pont-à-Mousson en 1631 et y fit profession en 1633. Ordonné prêtre en 1638, après avoir été reçu docteur en théologie, il fut envoyé en Normandie pour enseigner la théologie dans l'abbaye d'Ardenne, près de Caen. Il fit trois fois le voyage de Rome, comme procureur général de son ordre. En 1662, il devint prieur de Saint-Paul de Verdun. Il fut élu abbé d'Etival (Vosges), en 1668.

Dès 1664, il entra en relations avec mère Mectilde, à l'occasion de la fondation du monastère de Toul. Il ne cessa plus de donner à notre institut le meilleur de sa pensée et de son coeur, tant près des monastères lorrains qu'au couvent de la rue Cassette. Lorsque le père Epiphane séjournait à Paris, et durant son supérioriat à la résidence de son ordre, au carrefour de la Croix-Rouge, il visita fréquemment les bénédictines de la rue Cassette, leur fit des conférences, qui furent éditées plus tard. Deux volumes parurent en 1674, puis en 1676. Sa correspondance avec les moniales de notre institut n'a pas été retrouvée dans nos archives.

Après la mort de Dom Ignace Philibert, prieur de Saint-Germain-des-Prés, le père Epiphane devint le confesseur de la duchesse d'Orléans, Marguerite de Lorraine. Il donna aussi tous ses soins à une autre congrégation de religieuses, actives, vouées au soin des malades, les soeurs de Saint-Charles de Nancy. C'est grâce à lui et à Mgr Jacques de Fieux, que cet institut prit son essor. Au soir d'une vie toute donnée à Dieu, à la réforme de son ordre et, aux instituts qui se développaient en France et en Lorraine, selon l'esprit du concile de Trente, le père Epiphane mourut, à l'abbaye Saint-Paul de Verdun, le 24 septembre 1682. Son corps repose en son abbaye d'Etival. (Cf. F. Petit, O. Prem. Le R.P. Epiphane Louys, abbé d'Etival, 1948).

379 bombes ennemies, mais nous avons perdu depuis 1914 sept de nos bien chères mères et deux bonnes soeurs converses 235. Parmi nos mères défuntes, la première ce fut notre chère mère Electe, celle qui depuis bien des années écrivait nos lettres françaises pour toutes les maisons de notre institut en France. Pleine de zèle et d'amour pour notre sainte vocation, elle nous édifiait par ses vertus et ses labeurs. Une autre, c'était notre mère sous-prieure, depuis bien des années, fort zélée aussi, très instruite et pleine de l'esprit de Dieu et de notre institut, maîtresse de cérémonies, c'était une vraie colonne de notre maison, surtout pour la vie intérieure et l'amour du très Saint Sacrement. Puis, ce fut notre cellerière, une très bonne soeur, très capable et pleine d'énergie et en même temps aussi fort assidue à l'office divin et aux exercices réguliers.

Des autres quatre, une seulement était d'un âge avancé, les autres auraient pu vivre encore longtemps selon les lois de la nature, mais le Bon Dieu en demanda le sacrifice. Ainsi nous restâmes si peu nombreuses qu'il nous faut bien du courage pour pouvoir accomplir tous nos devoirs réguliers, avec l'éducation de nos élèves. Mais avec la grâce du Bon Dieu, nous tâchons de faire de notre mieux.

Ce qui nous préoccupe beaucoup à présent, c'est les changements du bréviaire. La guerre ne nous ayant pas permis de

235. Wierzbieta Louise, soeur Bénédicte de Jésus-Hostie. Née à Blazow le 28.7.1836. Vêture le 12.12.1863 ; profession le 16.5.1865. Décédée le 28.5.1916. Rchozinska Hélène, soeur Anselme. Née à Mikulinow le 11.7.1873. Vêture le 30.4.1894 ; profession le 29.9.1897. Décédée le 24.5.1916 dans sa 43' année. Neusteinowna Anne, soeur de Sainte-Madeleine. Née à Wisniowczyk le 26.7.1839. Vêture le 13.5.1865 ; profession en qualité de soeur converse le 26.7.1868. Décédée le 31.5.1917.

Artymowna Marie, soeur Rose de Jésus Crucifié. Née à Zolkwie le 15.8.1850. Vêture le 15.8.1872 ; profession-en qualité de soeur converse le 21.11.1875. Décédée le 18 .11.1917.

Lipecka Boleslawa, soeur Scholastique. Née à Radziechowie le 31.1.1863. Vêture le 26.4.1890 ; profession le 17.7.1892. Décédée le 15.7.1918 dans sa 56' année. Kossarekowna Hedwige, soeur du Couronnement de la Vierge. Née à Bryncow Zagornych le 20.10.1876. Vêture le 24.9.1896 ; profession le 10.8.1901. Décédée le 19.5.1919 dans sa 43e année.

Czaykowska Anne, soeur Stéphanie du Saint-Sacrement. Née à Niomirowie le 7.5.1862. Vêture le 26.7.1888 ; profession le 16.11.1890. Décédée le 31.5.1919. Sosnowska Sophie, soeur Gaëtan. Née à Lwow le 15.5.1833. Vêture le 10.4.1869 ; profession le 30.10.1872. Décédée le 16.6.1919.

Czaykowska Hélène, soeur Electe. Née à Kamienec le 2.9.1844. Vêture le 10.11.1877 ; profession le 19.10.1879. Décédée le 6.11.1914.

savoir quelque chose de précis en cette matière, nous avons adopté seulement les quelques changements indiqués par la bulle Divino afflatu (1911) attendant pour le reste que nous puissions avoir des nouvelles des maisons de notre institut pour agir d'accord et pouvoir, tout en adoptant les changements ordonnés par le Saint-Siège, conserver néanmoins ce qui est le privilège de notre institut, c'est-à-dire : l'office du très Saint Sacrement.

Nous vous supplions donc, nos bien chères mères, de vouloir bien nous répondre au plus tôt et nous dire ce que vous avez fait en ce sujet si important et ce que vous en savez pour les autres maisons de notre institut .

Il nous reste encore à vous exprimer nos plus sincères souhaits pour cette nouvelle année qui approche. Nous espérons qu'elle sera meilleure que les quelques dernières et nous prierons bien sincèrement le Saint Enfant Jésus qu'il daigne vous bénir de sa petite main, toute puissante et très miséricordieuse.

Nous recommandons aussi beaucoup à vos saintes prières notre chère patrie, si miraculeusement ressuscitée, mais bien encore éprouvée, puis notre chère maison si appauvrie dans son personnel, avec son minime noviciat, composé de trois jeunes professes du choeur et une postulante converse. Les grandes difficultés du chauffage et du vivre ne contribuent point à améliorer notre situation.

Mais espérons, que si nous conservons l'esprit de notre vocation de victime, toutes les croix que Notre Seigneur daigne nous envoyer porteront des fruits de bénédiction !

Veuillez agréer, nos révérendes et bien chères mères, l'expression de nos sentiments les plus respectueux.

Soeur Marie de Saint Jean de la Croix Kowarzykowna 236, prieure

ARCHIVES CONSERVÉES AU MONASTÈRE DE ROUEN

La très révérende mère prieure "'des bénédictines du Saint-Sacrement, rue Tournefort, Paris.

236. Léopoldine Kowarzykowna. Mère Marie de Saint Jean de la Croix. Née à Zolkwie le 11 octobre 1853. Vêture le 27 octobre 1877 ; profession le 19 octobre 1879. Élue prieure en 1896, elle demeura dans la charge jusqu'en 1923. Elle décéda à Léopol le 15 décembre 1926.

237. Marie Madeleine Désirée Le Fiselier. Mère Marie de Saint-Stanislas Kostka. Née à Villepail (Mayenne), le 31 mars 1859. Sa mère fut de longues années au ser-

381


Annales du monastère de Rouen — année 1922

Depuis longtemps nous ne recevons plus de lettres de Pologne. Notre très révérende mère Sainte Cécile 238 inquiète, leur écrit de nous donner de leurs nouvelles coûte que coûte.

Une lettre arrive enfin, mais quelle tristesse ! Par suite des troubles survenus dans leur malheureux pays à la suite de la guerre, la situation est plus que précaire. Nos chères mères manquent du plus strict nécessaire, leur dénuement est complet. Pas de charbon, ni de bois pour se chauffer, pas de vêtements chauds si nécessaires par le froid qui est intense là-bas, à peine ont elles des aliments pour se soutenir, le plus souvent el-

vice des prêtres de sa paroisse, et sa fille la seconda quelque temps. Elle entra au monastère de la rue Tournefort, à Paris, le 23 juin 1880, et y reçut l'habit monastique le 20 mai 1881. Elle fit profession le 30 mai 1882. En 1897, elle signa le registre des vêtures au titre de sous-prieure. Fut élue prieure en juillet 1899 et demeura dans sa charge jusqu'en 1941, ayant eu à faire face aux expulsions du début du siècle, puis à la première guerre mondiale, et au début de la seconde. Elle décéda après une courte maladie, le 9 octobre 1941.

238. Léontine Biguet, née le 23 septembre 1841 à Hauteville (Pas-de-Calais), dernière enfant d'une famille très chrétienne, qui comptait déjà trois garçons et trois filles. Elle était douée d'une intelligence très vive et pénétrante. Après ses examens, quoique jeune encore, elle fonda avec ses soeurs une école-pensionnat à HersinCoupigny, et bien que la cadette, elle devint directrice de ce pensionnat.

Quelques années plus tard, elle connut notre monastère d'Arras et comprit que Dieu l'y appelait. Malgré le refus formel de sa mère, elle quitta la maison de ses parents, et entra à Arras, le 17 août 1867. Après sa profession monastique, soeur Sainte-Cécile fut nommée directrice du pensionnat. Elle s'y consacra de toute sa générosité, mais avec la douleur d'être le plus souvent éloignée de la vie de la communauté.

En 1893, le monastère de Rouen traversant une période très difficile, demanda de l'aide à la maison d'Arras, qui avait été fondée par celle de Rouen. Mère Sainte-Cécile et une compagne, mère Marguerite-Marie, quittèrent Arras le 10 août 1893, accompagnées de l'aumonier du monastère, Mgr Hervin. Dès le lendemain de son arrivée, Mgr Thomas, archevêque de Rouen, nomma mère Sainte Cécile, prieure pour un an. Elle le restera jusqu'à sa mort le 30 janvier 1933, dans sa 92' année, et la quarantième de son priorat.

Elle restaura entièrement les bâtiments du couvent qui n'avaient pu recevoir l'entretien nécessaire depuis de nombreuses années. Elle connut les époques si difficiles des lois spoliatrices de 1904, qui firent périr tant de communautés ; elle accueillit de nombreux réfugiés, en particulier des Belges, au cours de la première guerre mondiale, sans jamais sacrifier l'essentiel de notre vie monastique. Sous son gouvernement la communauté fervente et unie attira de nombreuses vocations, ce qui lui permit de fonder un monastère à Bréda (Hollande). Les dernières années de sa vie lui offrirent maintes occasions de sacrifices, mais Dieu permit qu'elle restât jusqu'au bout, la mère attentive au progrès spirituel de ses filles. (Archives du monastère de Rouen).

-les n'ont qu'un peu de sel avec leur pain et, pour comble de malheur, la toiture de leur maison est à refaire. Monseigneur voudrait leur faire vendre ce qu'elles ont de plus précieux à la sacristie pour faire les réparations les plus urgentes ; elles ne peuvent se résoudre à faire un pareil sacrifice et à livrer à des mains étrangères des souvenirs qui remontent à la fondation.

La bonne mère Joséphine 239 âgée de 84 ans ne se décide à dévoiler tout ceci que sur les instances que lui en a faites notre très révérende mère et elle termine par ces mots dans lesquels passe le coeur angoissé de la mère : « Secourez mes pauvres enfants ». Il n'en fallait pas tant pour nous émouvoir toutes et pour ouvrir tout grand le coeur de notre bonne mère prieure. Le 23 décembre la communauté envoie 1 000 F par l'intermédiaire du consul de Pologne, ce secours les aidera à en attendre d'autres. Notre très révérende mère a fait connaître leur triste situation aux maisons de l'institut ; quelques-unes nous ont envoyé leur offrande pour la leur faire parvenir ; d'autres leur ont adressé par l'entremise du nonce. Nous quêtons aussi auprès des parents des religieuses et des amis de la communauté.

Le 26 janvier 1923 une lettre de Varsovie nous apprend que nos bonnes mères ont tout reçu, ce qui nous rassure. Les communications sont longues et difficiles, c'est la bonne mère Marie-Joséphine qui écrit, sa lettre est l'écho de son coeur reconnaissant, elle ne trouve pas d'expressions assez vives pour remercier notre très révérende mère : « Je trempe ma plume dans. mes larmes », dit-elle, et de fait l'écriture et le papier le disent assez. Le 29 une autre lettre de Pologne, c'est la mère prieure de Varsovie 240 qui vient à son tour dire sa reconnaissance ; notre offrande les a sauvées. Les mots ne lui suffisent pas non plus, et dans son naïf langage, mêlé d'expressions françaises et polonaises, elle nous nomme les grandes bienfaitrices, elle

239. Daszkiewiczowna - Korybut Alexandra, soeur Joséphine de l'Enfant-Jésus née à Goryce le 10 octobre 1837. Vêture le 17 juin 1862 ; profession le 2 février 1864. Elle décéda à Varsovie le 13 février 1931. Elle fut prieure du 2 juillet 1918 au 1« juillet 1921.

240. Kowalska Victoire, soeur Anne (du patronage) de Saint-Joseph. Née à Kamienec Podelski le 23 décembre 1884. Vêture le 14 mai 1910 ; profession le 26 mars 1916. Elle fut prieure de 1921 à 1927. Elle fut tuée dans l'écrasement de l'église du monastère de Varsovie le 31 août 1944.

382 baise les pieds et les mains de notre mère qu'elle appelle mère incomparable ! Les pauvres mères ont tant souffert ! Leursanté se maintient malgré tout et les deux plus anciennes, mère Sainte Colombe, 94 ans, et mère Marie-Joséphine sont les plus vaillantes. Elles reprennent courage, sentant qu'elles ne sont plus abandonnées. Plusieurs de nos maisons leur ont envoyé des secours. a bien voulu se charger d'un message de notre révérende mère, pour nos bonnes mères de Varsovie si éprouvées, si nécessiteuses ! Leur beau monastère tombe en ruines sans qu'il leur soit possible de le faire réparer ; je ne parle pas des privations inhérentes à une telle pauvreté...

Soeur Marie de l'Assomption Bény 243

AUTOGRAPHE DU MONASTÈRE DE ROUEN

Noël 1924

Ma révérende et chère mère,

... Peut-être savez-vous, ma révérende mère, qu'une joie nous a été accordée par le retour d'une de nos cloches retrouvée dans les décombres de notre cher Arras ; deux autres ont été fondues avec des débris ; elles ont été bénites le 15 juin.

Monseigneur l'évêque d'Arras 241 qui a accompagné Son Éminence le cardinal Dubois 242 dans son voyage en Pologne, a bie nvoulu se charger d’un message de notre révérende mère, pour nos bonnes mères de Varsovie si éprouvées, si nécessiteuses ! Leur beau monastère tombe en ruines sans qu’il leur soit possible de le faire réparer : je ne parle pas des privations inhérentes à une telle pauvreté »…

Soeur Marie de l’Assomption Bény 243

241. En 1924, l'évêque d'Arras était Mgr Eugène Julien, normand, né à Canvilleles-deux-églises, le 16 janvier 1856. Prêtre le 17 juillet 1881, agrégé de l'Université, il fut secrétaire du cardinal Léon-Benoit-Charles Thomas, archevêque de Rouen (1884-1894). Supérieur de Saint-Joseph du Havre (1897), curé de Notre-Dame du Havre en 1911, évêque d'Arras en 1917 sur la recommandation de Mgr Dubois, ami de Benoît XV, il fut sacré à Rouen le 8 mai 1917, par le cardinal Dubois, archevêque de Rouen. Membre de l'Institut de France, il décéda à Arras, le 14 mars 1930. Dans son testament, il demanda à être inhumé dans la chapelle qu'il avait fait bâtir sur la colline de Lorette, au-dessus du cimetière militaire.

Il travailla au relèvement de son diocèse après la guerre de 1914-1918 (240 églises et sa cathédrale avaient été détruites). A l'occasion du jubilé du cardinal James Gibbons (archevêque de Baltimore, t 1921), il accompagna Mgr Baudrillart (Alfred, cardinal, 1859-1942), en mission près des Églises d'Amérique du Nord. Il oeuvra pour le rapprochement de l'Église et de l'État, en France : la paix scolaire, la paix sociale, la paix internationale. Il ne s'est jamais laissé influencer par les doctrines modernistes, mais prit une part active à la diffusion de la doctrine sociale de l'Église et aux conférences des Semaines sociales. (Renseignements aimablement communiqués par Dom A. Chapeau, archiviste de l'abbaye de Wisques).

242. Louis Ernest, cardinal Dubois, né à Saint-Calais (Sarthe) le icr septembre 1856, ordonné prêtre le 20 septembre 1879, évêque de Verdun le 5 avril 1901, archevêque de Bourges le 30 novembre 1909, archevêque de Rouen le 13 mars 1916, fut créé cardinal-prêtre le 4 décembre 1916, archevêque de Paris le 13 septembre 1920. Il décéda le 23 septembre 1929.

Entre 1918 et 1924, la Pologne avait eu deux très grands nonces qui purent l'aider à fortifier la vie intellectuelle et spirituelle du pays, affaibli par des années de domination étrangère et de guerre meurtrière.

Le cardinal Achille Ratti, futur Pie XI, fut nonce à Varsovie du 25 avril 1918 à septembre 1921. François Charles Roux dans son ouvrage Huit ans au Vatican relate combien Pie XI avait gardé une grande estime et admiration pour le peuple polonais. Sa première préoccupation fut d'aider la Pologne à refaire son unité, après tant d'années de domination. Benoit XV lui avait confié comme mission, de rétablir les relations entre le Saint-Siège et la Pologne. Il fit nommer une dizaine d'évêques et encouragea vivement la création de l'université de Lublin, par l'épiscopat de Pologne. En nommant l'ancien préfet de la bibliothèque vaticane, Benoît XV pensa que Mgr Ratti, grand humaniste occidental, serait en mesure de comprendre l'humanisme oriental, et de favoriser leur développement harmonieux. Son action pastorale, lors de la bataille de Varsovie, au printemps de 1918, fut un tris grand appui pour les combattants. Mgr Ratti fut alors le seul membre du corps diplomatique resté à Varsovie. Le 28 octobre 1919, il fut sacré évêque dans la cathédrale de Varsovie. Le cardinal Karol Wojtyla (Jean Paul II) fut professeur à Lublin dès 1953.

Jean Baptiste Montini, dès sa sortie de l'Académie des sciences politiques du Vatican, fut nommé représentant du Saint-Siège, en Pologne, le 6 février 1922. Il eut à poursuivre la préparation d'un Concordat, commencée par Mgr Ratti. Il s'occupa de pourvoir les nouveaux évêchés, et d'étudier les questions religieuses qui se posaient en Lituanie et en Lettonie. Il put aussi connaitre, sur le vif, les dangers de la propagande de l'idéologie communiste. Il fut rappelé à Rome en 1923, ne pouvant su porter le climat de la Pologne, et nommé dans les bureaux de la Sectrétairerie d'État (cf. Paul Lesourd, Qui est le pape Paul VI, éditions de Paris, 1963). Le Concordat de 1925, divisait le pays en cinq provinces : Gniezno-Posnan, Varsovie, Wilno, Lwow, Cracovie avec six archevêchés (Gniezno et Posnan sont des sièges archiépiscopaux distincts) et quinze suffragants. (Cf., C. Bihlmeyer, Histoire de l'tglise, t. IV, Mulhouse, 1967).

243. Aline Bény, née à Wattrelos, Nord, le 4 novembre 1876. Entrée le 29 janvier 1905 à Liesboch (Hollande) où la communauté de Rouen s'était réfugiée pendant les lois d'expulsion de 1904, elle y resta six mois et demi et elle fut envoyée à Rouen pour y prendre l'habit, le 17 août 1905 ; elle y resta et fit profession pour un an (comme il fallait le faire à cette époque), le 18 octobre 1906, et le 18 octobre 1912, ses voeux perpétuels.

Infirmière et jardinière, elle est décédée le 27 mars 1960.

Elle avait une soeur ainée. Religieuse au Bon Pasteur et sa soeur benjamine, entrée à Arras le 19 mars 1902 ; mais comme on manquait de postulante à Rouen, elle y fut envoyée presque aussitôt. Elle mit l'habit sous le nom de soeur M. du Saint Sacrement. Elle est décédée à Vilpinte le 1" juin 1947.

385

Léopol, 1932

Loué soit la très Saint-Sacrement à jamais Ma très vénérée et bien chère mère,

... Pour nous, cette année fut marquée d'une si grande grâce qu'elle restera dans nos annales comme le commencement d'une nouvelle ère. Le ter janvier 1932, monseigneur notre archevêque nous donnait la permission pour l'exposition du très Saint Sacrement chaque jour, depuis la messe conventuelle jusqu'à huit heures du soir, et le 11 juillet, monseigneur notre évêque suffragant venait inaugurer solennellement l'exposition permanente jour et nuit et pour toujours. Ce fut alors le comble de notre bonheur et l'accomplissement de nos plus ardents désirs. Cette grâce nous fut préparée encore en automne de l'année 1931 lors de la visite apostolique du très révérend père abbé des bénédictins de Prague 244 qui, étant venu pour visiter tous les monastères de bénédictines en Pologne, nous visita aussi. Ce très bon père nous laissa le plus doux souvenir de sa toute paternelle bonté, et comme gage de sà protection, il nous laissa un père bénédictin polonais pour nous guider et nous instruire. Ce bon père, un vrai saint, nous donne des conférences sur notre sainte Règle, chaque semaine, et veut bien même nous confesser comme second confesseur, et nous fait beaucoup de bien.

Cette année nous a apporté encore une innovation : notre très révérende mère eut l'idée d'arranger dans notre monastère des retraites pour dames. Notre père abbé fut ravi de cette idée et la compléta en nous conseillant de transformer les salles de notre ancien pensionnat en une maison pour retraites fermées. Dieu aidant, nous parvînmes à arranger la chose, qui n'était pas facile, car deux grandes salles durent être divisées en de petites cabines au moyen de rideaux, ce qui nous donna plusieurs

244. Les abbayes de moniales bénédictines en Pologne furent érigées en congrégation sous le vocable de l'Immaculée Conception, le 21 juin 1932. Leur visiteur nommé par Rome fut le père abbé de l'abbaye d'Emmaüs de Prague, Dom Ernest Vykoukal.

Dom Vikoukal, né le 7 mai 1879, fit profession le 11 novembre 1901, et reçut le sacerdoce le 22 septembre 1906. Élu abbé le 18 septembre 1925, il reçut la bénédiction abbatiale le 27 septembre suivant.

L'abbaye de Prague fut fondée en 1348 par l'empereur Charles IV et restaurée en 1635 par Ferdinand III, enfin relevée en 1880 par l'empereur François Joseph I°" avec l'aide de moines de l'abbaye de Beuron. Cette abbaye n'existe plus.

386 chambrettes. L'ensemble est de bon aspect et plaît beaucoup aux visiteurs. La fin de l'année 1932 a été marquée par la bénédiction de la maison et la première retraite fermée. Monseigneur notre évêque suffragant nous a fait une très belle allocution et commença cette oeuvre. Ce furent des jeunes filles de la Société catholique, de jeunes personnes, qui commencèrent. La retraite fut prêchée par un père jésuite très zélé et les retraitantes furent enchantées.

L'ange de la mort est venu nous visiter une fois cette année. C'était pour nous enlever notre seconde jubilaire de l'année 1929. La première notre soeur Walburge 245, s'en est allée en avril 1931, après de longues souffrances causées par son âge d'octogénaire. La seconde, quelques années plus jeune, notre bien chère mère Gertrude 246 s'endormit paisiblement en Notre Seigneur au mois de mai 1932. C'était un lis de pureté que Jésus s'était cueilli dans sa vingtième année.

Notre noviciat compte plusieurs bonnes enfants, cinq professes de voeux temporaires, une novice de voile blanc, deux postulantes du choeur, deux converses et deux professes tourières. Nous n'avons en ce moment personne à l'infirmerie.

Avant de finir, nous tenons à revenir encore au sujet de notre exposition permanente du très Saint Sacrement. Ce n'est pas pour dire seulement quel bien nous en revient pour nos âmes, mais pour constater que la chose n'est pas si difficile à exécuter comme l'on pourrait le croire, surtout pour les communautés assez nombreuses. Pour la récréation, nous l'avons à midi tous les jours, sauf les jeudis et dimanches, auxquels nous conservons leur caractère de fêtes, et prenons la récréation le soir. Le luminaire coûte cher, c'est vrai, mais les personnes pieuses heureuses d'avoir un sanctuaire pour l'adoration font des offrandes, et Dieu aidant, nous nous tirons d'affaire bien que nos finances soient en bien triste état. Notre Seigneur bénit son oeuvre...

Mère Joseph de l'Incarnation Markiewiczowna Prieure de 1929 au 3 juin 1944

ARCHIVES DU MONASTÈRE DE ROUEN

245. Czengerowna Philomène, soeur Walburge, née à Lwow le 15 avril 1842. Elle reçut l'habit monastique le 18 décembre 1875 et fit profession en qualité de soeur converse le 19 octobre 1879. Elle décéda le 12 avril 1931.

246. Poje Agnès, soeur Gertrude, née à Janow près de Lwow en septembre 1855. Elle reçut l'habit monastique le 16 août 1875 et fit profession le 19 octobre 1879. Elle décéda le 18 mai 1932.

387

XIV L'HOLOCAUSTE DE VARSOVIE 1944

Lettre circulaire du monastère de Varsovie 31 août 1944

Les guerres ont toujours été des temps d'élection en matière d'héroïsme et de tragédie, et Dieu sait combien il y en eut au cours des années 1939-1945. Chaque pays possède son palmarès riche en héros, en martyrs, en victimes et aussi en horreurs. Il est des noms qui ont franchi les frontières des pays et du temps et appartiennent à présent à l'histoire héroïque de l'humanité. Songeons à Edith Stein, au pasteur Bonhdffer, au bienheureux Maximilien Kolbé, le franciscain polonais qui s'offrit de mourir emmuré à Auchswitz à la place d'un codétenu. (canonisé le 10 octobre 1982).

C'est en 1688 que les bénédictines de l'Adoration perpétuelle s'installèrent à Varsovie, grâce au voeu formulé par Marie d'Arquien, épouse du roi Jean III Sobieski, à l'occasion de la levée du siège de Vienne. Le monastère de Varsovie traversa les siècles, connut des périodes de grandeur, mais aussi des jours difficiles, où, dans un élan patriotique, les moniales voulurent apporter leur part aux efforts de leurs compatriotes. Tel fut le cas en 1794 durant l'insurrection suscitée par Kosciuszko 247 au temps où la Pologne était la proie des pays voisins. Les soeurs offrirent l'argenterie de leur sacristie et les plaques de cuivre recouvrant la coupole de l'église.

En 1863 la communauté abrita en cachette des insurgés ; mais après la défaite de l'insurrection, un oukaze vint durement frapper le monastère obligeant à la fermeture du noviciat. Cet état de choses durera près de quarante ans. En 1892 les religieuses durent interrompre la récitation de l'office divin en commun et faire appel à des personnes laïques pour pouvoir maintenir l'adoration. Cependant en 1905 un oukaze de tolérance autorisait à nouveau de recevoir des novices, mais en nombre limité. L'âge de trente ans était exigé pour l'émission des voeux.

Quand la Pologne recouvra son indépendance, en novembre 1918, l'état de la communauté était misérable. Depuis 1905 de rares candidates s'étaient présentées, certes déjà âgées, et au monastère régnait la misère. En 1924, une modique somme lui était allouée en compensation des biens saisis par l'ancien gouvernement tsariste et qui avaient passé au gouvernement polonais.

Un rajeunissement des supérieures s'imposait. En 1927, en accord avec la communauté des bénédictines de Staniatki (près Cracovie) la mère Janina Byszewska appartenant à cette abbaye, fut choisie comme prieure à Varsovie. La nouvelle supérieure prit à coeur sa nouvelle fonction. Elle gouverna fortiter et suaviter. Sous son priorat le monastère des sacramentines connut un nouvel essor. Les vocations se firent nombreuses. A la veille de la guerre 1939 la communauté comprenait 48 religieuses.

247. Thadée Kosciuszko né en 1746, commença à acquérir sa réputation militaire par son rôle pendant la guerre de l'Indépendance américaine où il fut aide de camp de George Washington. Revenu en Pologne, lors du deuxième démembrement (1792), à la tête d'une petite armée, il remporta de beaux succès contre les Russes. Quand le roi Stanislas Auguste eut accepté le second partage, Kosciuszko se retira à Dresde, où en 1794, les chefs patriotes polonais vinrent lui offrir la direction du soulèvement qu'ils préparaient. Il accepta, décréta la levée en masse de la jeunesse, fit appel aux paysans, formant ainsi une armée nationale et remporta, le 4 avril 1794, à Raclawice, une belle victoire qui entraîna l'insurrection générale. Vaincu à Maciejowice au mois d'octobre suivant, il fut laissé pour mort sur le champ de bataille. Emmené en captivité en Russie, rendu à la liberté par Paul I « qui avait admiré sa grandeur d'âme, il partit pour les États-Unis, puis revint s'établir en France en 1798 où il vécut dans la retraite, près de Fontainebleau. Il mourut en 1813 à Soleure (Suisse). Son corps repose aujourd'hui dans la crypte royale du Wavel (cf. La Pologne, Hachette, 1967).

391

De grands travaux de restauration du monastère furent entrepris à l'occasion du 250e anniversaire de son existence travaux qui s'avéraient urgents, tant les bâtiments étaient délabrés, mais dont les frais furent très élevés. Nul ne soupçonnait alors que la lourde somme investie pour ces travaux ne servirait qu'à des bâtiments qui seraient totalement détruits six ans plus tard.

EN ROUTE VERS LE SACRIFICE

C'était une communauté fervente, une maison de prière, de grande charité fraternelle. Très scrupuleusement les sacramentines de Varsovie observaient les prescriptions dictées par la mère Mectilde.

Le 1er septembre 1939 la guerre éclata. A nouveau, la Pologne en sera la première victime. Dès les premiers jours du mois, Varsovie fut soumise à un bombardement intensif. Le 14 durant l'office une bombe tomba sur le toit du monastère, mais heureusement n'explosa pas. Après la capitulation de la ville, les sacramentines durent faire face aux problèmes du ravitaillement. Heureusement la Providence veillait. La confection des hosties sera une source non négligeable de revenus. L'ingéniosité des soeurs et des secours venus de différents organismes permirent de survivre durant ces dures années. Il va sans dire que les soeurs durent décupler leurs énergies pour mener de front prière et travail 248.

Au printemps de 1943 la situation s'aggrava subitement, quand, à quelque 250 mètres du monastère, le ghetto se souleva. C'est au son de la canonade et à la lueur des incendies que les soeurs célébrèrent les offices de la semaine sainte. Les Lamentations chantées au cours de l'Office créaient un climat tragique. Ce ne sont plus les plaintes des exilés à Babylone,

248. Durant la dernière guerre mondiale les études universitaires, notamment, ne pouvaient se poursuivre qu'en clandestinité. C'est ainsi que la faculté de philosophie catholique fut alors confiée à une religieuse du monastère des bénédictines de Varsovie, mère Toma Koperska, docteur en philosophie de l'université de Fribourg. Deux fois par semaine, à travers les grilles du parloir, elle donnait son cours à des étudiants et des étudiantes qui, en fin d'année scolaire, passaient leurs examens. Ce n'est d'ailleurs là qu'un des aspects de l'activité intellectuelle et de l'influence spirituelle de ce monastère. Elle devait se continuer, bienfaisante, jusqu'à la destruction de Varsovie, en août 1944. (cf. Priez sans cesse, Desclée de Brouwer, Paris, 1953).

mais ce sont celles de ces 300 000 Juifs terrés dans ce ghetto réduit à feu et à sang. A ce moment les bénédictines de l'Adoration perpétuelle saisissent toute la réalité de leur vocation de réparatrices. Cette tuerie dura plus de deux mois. Grenades, cris, explosions se faisaient entendre jusque derrière les murs du couvent ; les bruits des arrestations massives dans les rues, les exécutions sur la voie publique, les déportations d'enfants, le sort atroce dans les camps de concentration, tout cela arrivait en vrac aux oreilles de la communauté. Les soeurs priaient de plus en plus. Elles comprenaient que c'était là leur devoir impérieux, irremplaçable.

Le 1er août 1944, Varsovie se soulèva contre l'occupant. Déjà à l'Ouest le front allemand avait craqué, la poussée des Alliés se faisait plus intense. A l'instigation venue de Londres et sans doute de Moscou, la population de la capitale se souleva pour accélérer la défaite allemande. C'était prématuré. L'occupant, au début, est pris de court. Il ne comprend pas immédiatement l'ampleur des événements. Sur la place du Nouveau Marché, en face du monastère, on pavoise aux couleurs nationales. Les insurgés occupent plusieurs points stratégiques. Un peu partout, hommes, femmes et enfants construisent en hâte des barricades. Cependant à l'arrière plan de l'enthousiasme de la population, plane un sentiment d'incertitude et de peur. De fait les cris de joie ne peuvent dissiper le sentiment de tristesse de la communauté. La mère Byszewska avouera à quelques soeurs : « Maintenant voici venir la fin pour nous ! » Les soeurs se groupent autour de l'ostensoir exposé. Durant les premiers jours de l'insurrection la messe se célèbre dans l'église, comme à l'ordinaire, et à 16 h la communauté récite les Matines.

La situation s'aggravant, une délégation d'insurgés pria la mère prieure de lever la clôture. La demande s'imposait, car l'église et les bâtiments claustraux empêchaient la vue sur les deux rives de la Vistule proche du monastère.

Dès le 6 août, la communauté descendit dans les caves. On y apporta le Saint Sacrement, mais il n'est plus question d'exposition. Les soeurs âgées sont installées dans des fauteuils placés devant l'autel situé en dessous de l'église. Quant aux malades, elles se groupent dans une cave en dessous du choeur des moniales, et dans un étroit couloir qui y mène. Le lit de la mère 393 prieure y prend place. Les autres soeurs se logent ici et là soit dans le souterrain sis en dessous de l'église, soit dans des caves avoisinantes, soit aussi dans l'ancien palais Kotowski, englobé dans l'ensemble des bâtiments et qui était réservé au noviciat. Au fur et à mesure de l'accroissement du danger, un nombre considérable de civils vint chercher refuge sous l'église, au rez-de-chaussée donnant sur la place du Nouveau Marché et à l'abri des canons allemands. Quelques prêtres, dont l'aumônier, s'y abritèrent aussi. Est-ce à dire que le monastère leur garantissait une plus grande chance ? Certes les souterrains paraissaient solides, mais sait-on jamais ?

Il va sans dire que, cette masse de gens enfermés dans les sous-sols, ayant abandonné à quelques mètres de là, maison, appartement, tout leur avoir, laissé à la merci de maraudeurs et pilleurs, ajouta encore à l'atmosphère tragique. Les soeurs, quand elles le pouvaient, s'efforçaient de calmer les pleurs des bébés, réconfortant les uns, apportant leur sourire aux autres mais avant tout il s'agissait de donner à manger. La mère Byszewska recommanda que trois fois par jour on distribuât pain, café ou soupe. « Nous recevons tout le monde les bras ouverts. Nous partagerons avec tous, ce que nous pourrons, mais je demande, en cas de malheur de ne pas nous en vouloir ».

Impossible d'effectuer un contrôle de ceux qui entrent et sortent. Des espions se sont glissés. L'un d'eux, dont l'attitude incertaine et louche avait frappé une soeur, fut signalé au poste de commandement le plus proche. De fait, c'était un espion. Il sera exécuté.

Entre-temps, les avions de reconnaissance allemands survolaient de près les bâtiments observant le va-et-vient entre le monastère et les maisons avoisinantes. Peu après le monastère servira de cible à l'artillerie ennemie. Celle-ci ayant renforcé son tir, le danger allait croissant. On improvisa une salle d'opération pour les blessés, mais bientôt ils durent être descendus dans la cave. Pour lors, le spectacle dans le sous-sol devient hallucinant. Ce sont mille personnes qui se pressent là, l'air devient irrespirable. A cela s'ajoutent les blasphèmes, les invocations et supplications, les gémissements des opérés sans narcose. Par surcroît, de temps à autre l'explosion toute proche d'un obus provoque des nuages de poussière et d'obscurité. Un affreux sentiment d'impuissance et de désespoir commence à se manifester dans le personnel de l'hôpital.68

394

Le 13 août, le lanterneau surplombant la coupole de l'église est touché par un obus, la coupole prend feu et s'effondre sur le pavement de l'église, la menaçant par son effondrement. On décida l'évacuation des blessés dans le voisinage du couvent, tandis que la canonade continua jusque tard dans la nuit. Spectacle magnifique et terrifiant à la fois. Tout le poutrage de la coupole est en feu tandis que le revêtement de cuivre est devenu incandescent et brille. Au-dessus de la coupole s'élève la croix métalique, telle une torche en feu. Au matin elle tombera sur la place devant l'église.

La destruction du monastère se continue à un rythme accéléré. On envisagea de trouver refuge ailleurs, mais le danger est partout. Un groupe de soeurs sera recueilli à la rue Freta chez les soeurs de Charité (soeurs de Saint-Vincent-de-Paul). Le 22 août, après avoir cherché vainement un autre abri, ces soeurs retourneront dans les ruines de leur monastère. Le retour sera une sorte d'exploit alpestre : il faudra se hisser sur des montagnes de gravats et de décombres.

Au monastère l'eau se fait rare, médicaments et bandages viennent à manquer. Tour à tour des soeurs seront blessées, soit par l'éboulement d'un pan de mur, soit par des brûlures. On soigne comme on peut, en guise de bandages on utilise du papier de toilette.

Après trois semaines de danger, sans cesse menaçant, les habitants de tout le vieux quartier de Varsovie aspirent à sortir de cet enfer. Voici que les Allemands exigent que toute la population civile se rende, sinon elle sera décimée, mais les bruits courent, et les faits le prouveront, que la grande masse des Varsoviens qui se rendirent fut emprisonnée dans des camps et y resta jusqu'au printemps de 1945. Un très grand nombre mourut de faim et de misère. Quoi qu'il en soit, le 28 août, une délégation des habitants du quartier descendit dans le souterrain, suppliant la mère Byszewska et un prêtre de les accompagner dans leur reddition. On discute et on informe le commandement des insurgés. La réponse est claire : « Si les prêtres et les religieuses se rendent aux Allemands et abandonnent leur poste, ils provoqueront le découragement et l'effondrement des défenseurs de la ville ». Au reçu de cette réponse la prieure a compris : « Apparemment la volonté de Dieu est que nous restions à notre place et y mourions ». Tout comme les carmélites

395

de Compiègne, c'est avec simplicité et dignité et même avec joie que la communauté entendit les paroles de sa mère prieure. A partir de ce moment toutes se préparèrent à cette mort imminente. La journée du 30 se déroule dans le recueillement, mais tournée vers la perspective de l'éternité. Les soeurs ne changeront pas leurs occupations, l'une ou l'autre continuant un ouvrage de crochet.

Durant tout ce mois le dévouement des bénédictines ne chôme pas un instant à l'égard de cette foule de laïcs venus chercher refuge. Si, au début de l'insurrection, la préparation des repas, certes peu recherchés, matin et soir, fut encore possible, quoique ce ne fût pas toujours sans danger, plus d'une fois la fumée d'un fourneau, forcément à l'air libre, provoquait un nouveau tir, finalement on dut se contenter de grignoter un biscuit. Bouillir de l'eau se faisait au risque de perdre la vie. Puis il y avait les doléances et les réclamations de ceux qui se croyaient frustrés, des injustices involontaires dans le partage des vivres. Les dérangements d'intestin ne firent que s'aggraver et en même temps chez plusieurs des symptômes de folie se manifestèrent.

L'HOLOCAUSTE

Oui, la journée du 30 se passa comme les précédentes et, cependant, un fait tout spécial survint. Sur les 47 sacramentines, une soeur étant décédée au cours de ces journées, le plus grand nombre vint tour à tour auprès de la prieure pour lui demander de pouvoir faire l'offrande de leur vie. Cela se fit dans le secret, chacune conservant par devers soi le geste qu'elle avait fait. Si ces religieuses s'offrirent en holocauste, ce ne fut pas sous l'impulsion de la prieure.

Tout au contraire la mère Byszewska se voyait effrayée devant l'ampleur que prenait ce geste d'offrande chez ses filles. Ce n'était pas de sa part pusillanimité : à toutes les soeurs qui le lui demandaient, elle accorda sa bénédiction, convaincue qu'elle agissait selon le dessein de Dieu. Cependant elle la refusa à une de ses filles, la soeur Célestine Wielowiejska 249

Cette dernière reconnut elle même qu'elle ne se sentait pas poussée à formuler cet acte d'offrande, néanmoins elle s'en confessa à sa supérieure et lui demanda l'autorisation : la prieure s'y opposa.

Ce ne fut donc pas poussées par la contrainte, ni sous la pression d'une suggestion collective que ces religieuses posèrent cet acte de donation de leur vie. Ce ne fut pas non plus un mouvement de désespoir ni de folle bravade. Ce ne fut ni la supérieure, ni le confesseur, ni les soeurs elles mêmes qui s'y encouragèrent, chacune le fit sous l'inspiration de la grâce.

Combien de religieuses ont posé l'acte d'offrande ? Une chose est certaine : aucune des rescapées ne le fit, elles l'ont déclaré après coup et la prieure le confirma. Est-ce à dire que celles qui périrent se sont toutes offertes en victimes pour le salut de la patrie ? Ce serait exagéré de le prétendre. Parmi elles il y avait des soeurs très âgées ; il est certain que ce fut le geste du plus grand nombre.

Il ne s'agit cependant pas de tracer une ligne de démarcation entre celles qui s'offrirent en victimes et les autres. Là n'est pas la question. Toutes les sacramentines étaient désireuses de se dévouer pour leur pays, comme toutes également, en vraies bénédictines réparatrices, étaient animées d'un zèle profond. L'une d'elles, le matin du 31, avait revêtu son meilleur habit et son meilleur voile au grand étonnement d'une soeur, elle lui dit simplement : « Quand on va chez son fiancé, il convient de s'habiller comme pour des noces ! »

Le 31 août était un jeudi ensoleillé !

A 14 heures, la soeur Claire Zdrojewska terminait son

249. Wielowieyska, Marie, Mère Marie Célestine du Sacré-Coeur. Née le 6 avril 1902, d'une noble famille polonaise, elle obtint ses diplômes à la Faculté des Sciences politiques. Elle entra ensuite au monastère de Varsovie où elle fit profession le 19 mai 1931. Le 31 août 1944, elle fut providentiellement préservée, ainsi que onze de ses soeurs, lors de l'écrasement de son monastère par les bombardements de l'armée allemande. En 1945, elle fut nommée maitresse des novices et dépositaire et dirigea la reconstruction du monastère. En 1951, elle fut élue prieure de la communauté qui comptait alors 70 moniales. Le grand nombre de religieuses lui permit de fonder un nouveau couvent à Siedlce et de venir en aide à la communauté de Lwow, expulsée (cette partie de la Pologne étant devenue territoire soviétique), et regroupée à Bardo puis à Wroclaw.

Elle mit tous ses soins à préparer la fédération des monastères polonais, approuvée à Rome en 1962. Elle en fut élue la première présidente. En 1967, déjà malade, elle ne put reprendre la charge de prieure. Elle offrit alors sa vie pour l'Église, l'institut et sa communauté. Elle s'éteignit le 12 octobre 1968 après de longs mois de très grandes souffrances supportées avec une admirable sérénité.

397 heure d'adoration et s'était retirée dans la cave sous le ehoeur, Cependant, malgré son grand âge, et la fatigue d'un long agenouillement, elle dit a la mère prieure qu'elle désirait retourner sous l'autel, (c'est à dire dans le souterrain en dessous de l'église) parce que Dieu l'appelait. "Trente moniales, novices et postulantes se trouvaient mêlées à la foule d'un millier de personnes entassées dans cette cave et dans celle du noviciat, les treize autres se tenaient dans l'étroit couloir et la cave sous le chœur. Aux environs de 15 h, alors que les sœurs du couloir avaient récite l'office du très Saint Sacrement suivi des complies et du Salve Regina, un vromhrissement d'avions se fit en tendre, puis le bruit s'éloigna, mais aussitôt un terrible ébranlement secoua la voûte du souterrain sous l'église. Un instant après, celle-ci s'effondrait, écrasant dans ses décombres les trente-quatre hénédictines et le millier de civils ainsi que quatre prêtres. La coupole touchée par une bombe s'était écroulée. Aussitôt un incendie éclata. Des cris, des gémissements. Quelqucs dizaines arrivent à se dégager de dessous les ruines. Tandis que certains cherchent à éviter l'étouffement, d'autres les en empêchent. Vision dantesque ! Un voisin du couvent devant cette catastrophe, s'élance et arrive à sauver neuf personnes.

Dans la cave en-dessous du choeur, l'effroyable fracas ne parvint qu'assourdi ; par contre le sol est fortement secoué et un sifflement strident remplit la cave, puis un violent souffle d'air éteint l'unique bougie, arrache les voiles des soeurs, renversant les objets et un nuage de poussière brûlante envahit les lieux, après quoi une pluie de briques surchauffées tomba au pied du lit de la mère prieure et sur deux sœurs. Elles en furent quittes pour la peur, mais avec de fortes brûlures.

A présent elles entendent les cris, les râles des mourants et de ceux qui n'arrivent pas à se dégager. Quelques mètres à peine les en séparent. La cave n'a pas de fenêtre, pas d'autre issue que celle qui en ce moment est comblée par ce monceau de briques, de poutres et de tiges de fer. Comment sortir de là ? Qui viendra les sauver ? Aucune provision, pas une goutte d'eau ! Sera-ce la mort par la faim et la soif ? Voilà qu'un char d'assaut allemand prend sous son feu le mur saillant de l'église. Heureusement, la voûte sous le choeur, malgré ce nouvel ébranlement, supporte le coup et reste intacte. Coûte que coûte, il faut trouver une issue. Peut-être, en dégageant les briques et gravats obstruant l'unique issue parviendra t on à se glisser sous la chapelle du Saint Sacrement ; mais en essayant de déblayer les décombres, un lourd fragment de l'autel de marbre s'abat. Aucune sœur n'est à même de l'écarter et encore moins de le soulever. Des heures passent en prière silencieuse et en paroles brèves. Vers les onze heures de la nuit elles entendent des bruits de pas au-dessus d'elles et des coups répétés avec un instrument pesant. Aussitôt l'une d'elles s'empare d'un bâton ou mieux d'une barre de fer et en frappe le plafond. C'est le salut !

Au moment du sinistre quelques soeurs se trouvaient sous le palais Kotowski (noviciat) ainsi qu'une famille amie. Là aussi la mort frappa plus d'une personne : certaines littéralement ensevelies sous le poids des décombres. Après des efforts multipliés, une soeur put donner l'éveil à un rescapé cherchant désespérément sa femme et sa fille. Il l'aida à sortir de cette cave. Mais voilà qu'à travers ce chaos de ruines, des individus louches et des voleurs s'étaient glissés en quête de butin. Que faire ? Déjà c'est la nuit. L'incertitude sur le sort de leurs consœurs les incite malgré elles à s'adresser à ces individus et à leur demander leur aide avec promesse d'un copieux régal. C'est alors qu'avec pics et leviers ils arrivèrent à l'emplacement du choeur des moniales et en frappèrent le sol. Enfin le contact put se faire. Il était alors 11 h du soir. Après qu'on eut percé une ouverture, une soeur s'y glissa et retrouva la mère prieure et les autres survivantes. Cependant les « sauveteurs » se glissèrent à leur tour. Pour eux ce fut la grande aubaine !

En plus des paniers du vestiaire et des ornements sacerdotaux, ils trouvèrent des ballots d'étoffe confiés aux soeurs par un commerçant, et en plus une ou deux bouteilles de vin de Blesse. Pour lors ils avaient oublié leur mission : sauver les rescapées de cette cave. Il fallut l'attitude décidée d'une d'entre elles et surtout les paroles tranquilles mais fermes de la prieure : « Faites-nous sortir d'ici et, après, prenez ce que vous trouverez », pour qu'ils se décident à porter secours. On dut hisser une à une les religieuses, chacune ayant avec elle un peu de linge et autres objets de toilette. Puis, à force d'écarter les gravats, les survivantes arrivèrent prés du souterrain en-dessous de l'église. Ce fut une vision atroce : dans la pénombre elles virent un horrible monceau de cadavres agglutinés les uns aux 399 autres, le tout jusqu'à une hauteur d'environ un mètre. Cependant quelques mourants furent encore hissés à l'extérieur, mais ce fut peine perdue et ne fit que prolonger leur agonie de quelques heures. On retrouva le groupe des soeurs mortes. Il n'était pas question de les enterrer en ce moment. Simplement la soeur Célestine Wielowiejska leur enleva du doigt leur anneau de profession. Mais il eût été dangereux de rester plus longtemps dans cette morgue apocalyptique. Les survivantes se groupèrent dans une chambrette restée intacte. On trouva une chaise pour la mère prieure ; les soeurs s'installèrent sur leur baluchon. On put encore sauver une soeur ensevelie sous les décombres du noviciat ainsi qu'une dame. En voyant les soeurs groupées autour d'elle, la mère Byszewska eut cette réflexion spontanée : « Nous avons le nombre suffisant pour recommencer l'Adoration perpétuelle ! » De fait selon les Constitutions, le chiffre de 12 était obligatoire.

De cette horrible catastrophe sortirent vivantes 13 bénédictines et environ vingt civils. Par contre périrent 34 soeurs, 4 prêtres et un millier de civils.

Si le 31 août fut le calvaire de celles qui allèrent mourir, le 1er septembre fut celui des survivantes. Les soldats allemands obligèrent les soeurs et les civils du quartier à abandonner les lieux. Cet arrachement de ces ruines fut, pour les sacramentines, déchirant. Elles y laissaient tout ce qui fut leur vie religieuse et les corps de leurs 34 soeurs. L'une d'elles, tout comme le font les Juifs à Jérusalem, priant devant les restes du Temple, baisa un pan de mur avant de s'éloigner.

La marche dura des heures. Toutes durent marcher quel que fut leur état. Deux soeurs soutenaient la grande malade qu'était la prieure ; d'autres, malgré une forte fièvre ou ayant des brûlures aux pieds, durent se traîner sans souliers, gravir des monceaux de cendres encore chaudes, se frayer un chemin à travers mille obstacles. L'itinéraire fut extrêmement pénible, surtout qu'à certains moments les décombres atteignaient jusqu'au premier étage des maisons, et cela au milieu de meubles brisés, d'éclats de verre. Paysage cauchemardesque : le long de la route, des cadavres gisant là depuis des heures et peut être des jours et dont la puanteur était intolérable.

Une première halte eut lieu le long de la Vistule, puis ce fut l'arrivée à la Citadelle, ancienne forteresse construite par les Russes dans la première moitié du XIXe siècle. La longue colonne s'arrêta. On leur permit de s'asseoir. Des infirmières distribuèrent pain et eau, mais la presse fut telle que les soeurs ne reçurent rien du tout. L'après-midi le convoi s'en alla plus loin. L'état de faiblesse de la mère Byszewska était extrême. Il semblait impossible de lui faire continuer la route. Il y eut bien la tentative de trouver un moyen de locomotion, mais les gardes hitlériennes non seulement l'en empêchèrent, mais frappèrent les deux soeurs qui l'assistaient. D'autres soeurs furent rudoyées et frappées du pied. Les sacramentines ne furent pas les seules victimes des brutalités de la soldatesque.

Après quelques heures de ce chemin de croix et après d'autres étapes, cette masse humaine arriva à la gare de l'Ouest. Il se passa là des scènes déchirantes. Les gardes séparèrent les familles : les hommes d'un côté, les femmes et les enfants d'un autre. Après bien des péripéties les bénédictines ainsi que les femmes arrivèrent à Pruszkow, petite ville à 25 km de Varsovie. Comme dans le train il y avait une masse de jeunes filles destinées à travailler en Allemagne, les soeurs purent s'approcher du machiniste, un Polonais, lui demandant de ralentir aux tournants pour permettre à cette jeunesse de sauter du train. De fait un certain nombre réussirent à s'échapper. Pruszkow n'était encore qu'une étape de plus. Enfin le train les amena à Lowicz 250, à environ 100 km à l'ouest de la capitale. Là, elles furent reçues très cordialement par les soeurs bernardines. Elles y restèrent trois semaines durant lesquelles elles purent se reposer, manger à leur faim et retrouver une atmosphère de sérénité et de paix. Ce fut également un temps où les rescapées de la terrible catastrophe prirent conscience que pour elles s'amorçait un nouveau départ. Elles constituaient le noyau d'une nouvelle communauté. A vrai dire, en face de la réalité du moment, pareille perspective paraissait une gageure. Quelle foi héroïque cela n'exigeait-il pas ? D'autre part,c'eût été inconcevable que les bénédictines de l'Adoration perpétuelle, dans le halo du sacrifice de leurs soeurs, disparaissent à jamais !

250. Lowicz, ancienne capitale du duché archiépiscopal et résidence des primats de Pologne. La ville est située sur la Brzura, affluent de la Vistule. Tout près de Lowicz se trouve l'ancien domaine des Radziwill, famille alliée aux rois de Pologne : Sobieski et Leszczynski. (Cf. Pologne Warsarwa 1975). La ville est située à 80 km de Varsovie.

400

Enfin, le 20 septembre, l'abbaye des bénédictines de Staniatki à 25 km de Cracovie, leur ouvrait ses portes toutes grandes. Les voies de Dieu sont impénétrables ! La mère Byszewska, professe de Staniatki et devenue prieure des bénédictines de l'Adoration perpétuelle à Varsovie, contre toute attente, se retrouvait, pour un temps du moins, dans son monastère de profession. Cependant le séjour à Staniatki fut plus pénible que celui de Lowicz. La mère abbesse, fidèle à la tradition bénédictine avait donné asile à plus de 200 personnes. Tout ce monde logeait dans les bâtiments du monastère, car l'autorité occupante s'était réservé le gymnase, l'école et les bâtiments de l'économat. Tout magnifique qu'était ce geste de charité, il manquait de discrétion, au point que, pour toute nourriture, il fallait se contenter d'une seule tranche de pain par jour et d'une soupe. Néanmoins ce sera à Staniatki qu'auront lieu la cérémonie des voeux perpétuels d'une jeune religieuse et celle de la prise d'habit de trois postulantes.

Au cours des mois passés à Staniatki (20 septembre-2 mars 1945), il y eut jusqu'à cinq tentatives de retour à Varsovie. mais ce ne sera que le 2 mars 1945 que le premier groupe s'en retourna définitivement. Durant quelques mois, jusqu'au 25 juin, la communauté renaissante devra s'éparpiller dans différentes maisons de Varsovie ou abris de fortune. Comme la porterie du monastère et un des parloirs, bien qu'endommagés, étaient utilisables, quelques soeurs purent y loger. Étant sur place, elles eurent la possibilité de sauver des objets et même des aliments enfouis sous les décombres, jusqu'à la machine servant à la confection des hosties, qui fut mise immédiatement en service ! De même on put sauver l'ostensoir offert par la reine de Pologne, Marie-Casimire d'Arquien, épouse du roi Jean III Sobieski. C'était un témoin des premiers jours de la fondation et combien précieux ! Cependant, devant la nécessité urgente de trouver une première somme d'argent, permettant un début de reconstruction du monastère, avec la permission de l'autorité ecclésiastique, l'ostensoir fut vendu. Plus tard viendront s'ajouter des dons particuliers et des subventions de la part du gouvernement polonais, le monastère ayant été considéré comme monument historique.

Dans une première phase il s'agissait de déblayer les ruines. Travail colossal et en même temps extrêmement délicat. Il eût été imprudent d'utiliser sans discernement pioches et excavatrices, car il importait avant tout de remettre en état le système de canalisation d'eau. La situation était d'autant plus compliquée que les plans de la régie des eaux de Varsovie avaient disparu au cours de la tourmente.

A partir du printemps de 1947,1a direction des travaux fut confiée à la soeur Michaela Walicka, architecte diplômée. Qui aurait cru, en avril 1944, que cette jeune postulante entrant au monastère serait appelée à le reconstruire ? Elle avait vécu l'atroce tragédie. Avec zèle et opiniâtreté, elle se consacra à cette tâche exaltante : durant près de 25 ans la soeur s'attellera à la reconstruction du monastère et de l'église. Ce ne fut certes pas sans peine. En 1951, l'église sera ouverte au culte, et, le 19 mai 1973, le cardinal Primat Wyszynski procéda à sa consécration.

Nous connaissons l'adage attribué à Tertullien : « Le sang des martyrs est la semence des chrétiens ». Les soeurs bénédictines de l'Adoration perpétuelle ne furent pas des martyres au sens strict du mot selon la théologie, mais leur acte d'offrande de leur vie, à la veille de la catastrophe, pour le salut de leur patrie, est tout de même le témoignage authentique de leur confiance en Dieu et de leur amour, selon la parole du Christ : « Il n'y a pas de plus grand amour que de livrer sa vie pour ses amis » (Jn 15,18).

« Semence de chrétiens », disons ici : « Semence de vocations ». Ce sera dans le dénuement le plus total que débutera la nouvelle communauté. Pour lors elle était réfugiée dans une villa à Otwock à 15 km à l'est de Varsovie. En juin 1945, la récitation du bréviaire en commun fut réintroduite et, le 15 août de la même année, l'adoration perpétuelle. Le 28 septembre ce fut le retour de toute la communauté à Varsovie. Dès le cours de 1945 les postulantes se présentèrent nombreuses, très nombreuses. Si toutes ne furent pas admises et si d'autres s'arrêtèrent en chemin pour raison de santé, en l'espace de quinze ans, la communauté atteignit le chiffre de 60 religieuses.

Vers les années 1960, un essaim s'établit à Siedlce, à une centaine de kilomètres de la capitale. En ce moment, cette jeune communauté comprend environ 25 soeurs. Si, à Varsovie, dans les années qui suivirent, les entrées furent moins spectaculaires, nous retrouvons en cette année 1978 le chiffre de 60.

DE VARSOVIE, ANNÉE 1978.

Les 32 moniales de Varsovie écrasées sous le bombardement de leur église le 31 août 1944

Barejkowna Katarzyna, soeur Gertrude du Coeur de Jésus. Née à Ponurzycle 23 juin 1896. Vêture le 7 janvier 1920, Profession le 2 octobre 1922.

Borkemowna Ludwika, soeur Antoine du Saint Esprit. Née à Pawlow (voïvodie de Chelm) le 6 juillet 1877. Vêture en 1906, Profession le 8 septembre 1919. Frycowna Jozefa, soeur Aloysia de Sainte Bénédicte. Née à Zielonce le 21 mars 1895. Vèture le 1 er février 1919. Profession le 22 août 1921.

Karczowna Jadwiga, soeur Joachim du Saint Sacrement. Née à Ostrowo le 25 juin 1875. Vêture le 15 mai 1922, Profession le 1" juin 1924.

Karczewska Zofia, soeur Rose du Saint Sacrement. Née le 6 septembre 1904. Vêture le 30 janvier 1926, Profession le 9 janvier 1928 en qualité de soeur converse. Kiljanska Katarzyna, soeur Bénédicte du Coeur de Jésus. Née à Duchnic le 30 avril 1889. Vêture le 2 mai 1914, Profession le 23 septembre 1916

Koperska Apolonia, soeur Thomas de la très Sainte Trinité. Née à Varsovie le 14 avril 1887. Vêture le 6 juillet 1929, Profession le 7 mars 1931.

Kowalska Wiktoria, soeur Anne du patronage de saint Joseph. Née à Kamieniec Podolski le 23 décembre 1884. Vêture le 14 mai 1910, Profession le 26 mars 1916, prieure de 1921 à 1927.

Kuzminska Malgorzata, soeur Catherine de tous les saints. Née à Brzezie le 6 juillet 1918. Vêture en 1941, Profession 1943.

Marczakowna Helena, soeur Bernard de la Sainte Famille. Née à Dziewule le 11 décembre 1894. Vêture le 6 décembre 1924, Profession le 14 octobre 1926. Matuszczakowna Maria, soeur Anselme de l'Immaculée. Née à Krepa le 8 janvier 1909. Vêture le 28 juin 1935. Profession le 23 janvier 1937.

Mietkowska Maria, soeur Cécile du Saint Sacrement. Née à Lublin le 28 novembre 1907. Vêture le 2 juin 1926, Profession le 5 février 1928.

Narukowna Maria, soeur Elisabeth de la Mère de Dieu. Née à Drydze le 10 septembre 1916. Vêture le 29 mai 1936, Profession le 26 octobre 1938.

Oledzka Janina, soeur Joseph de l'Immaculée Conception. Née à Liw (près de Siedlce), le 2 mai 1905. Vêture 4e 17 juillet 1934, Profession le 3 février 1936. Pogonowska Irena, soeur Wladislas des Saintes Plaies de Notre Seigneur. Née à Plew le 5 janvier 1908. Vêture le 12 janvier 1935, Profession le 17 novembre 1936. Polakowska Maria, soeur Flavie de la Croix. Née à Jastrzab (près de Czestochowa) le 2 décembre 1909. Vêture le 6 novembre 1932, Profession le 22 octobre 1934. Przemyska Aniela, soeur Stanislas de la Miséricorde de Dieu. Née à Slupi Starej le 19 mars 1916. Vêture en 1939, Profession 1941.

Puchalanka Genovefa, soeur Hedwige du Saint Sacrement. Née à Varsovie le 3 janvier 1896. Véture le 29 septembre 1929. Profession en 1941.

Rejewska Stefania Wanda, soeur Ignace de l'Agneau de Dieu. Née à Varsovie le 29 décembre 1898. Vêture le 20 avril 1923, Profession le 25 mai 1924.

Rudnicka Karolina, soeur Clémentine du Saint Coeur de Jésus. Née à Emilianow le 5 juin 1886. Vêture le 12 octobre 1919, Profession le 22 août 1921. Schmitzowna Collenbourg Joséfa, soeur Madeleine du patronage de saint Joseph. Née à Bogdanowka (près de Cracovie) le lei août 1870. Vêture le 19 juillet 1916, Profession le 1e` novembre 1917.

Slowacka Zofia, sœur Andrée de la Nativité de Notre Dame. Née à Varsovie le 29 avril 1905. Vêture le 22 mai 1937, Profession le 20 avril 1940.

404

Suminska Bogumila, soeur Colombe du Coeur de Jésus. Née à Rakoniewice (prés de Poznan) le 25 septembre 1910. Vêture en 1941, Profession 1942. Szkilondzowna Kazimiera, soeur Modeste de la Croix. Née à Lesnia le 2 mars 1889. Vêture le 26 avril 1921, Profession le 30 octobre 1922.

Tokarska Janina, soeur Agnès de Jésus. Née à Varsovie le 22 octobre 1892. Vêture le 3 août 1928, Profession le 14 mai 1930.

Tomaszewska Aurelia, soeur Thérèse de Jésus. Née à Dobrzyn-sur-Drweca le 12 septembre 1885, Profession le 23 octobre 1917.

Turakowna Rozalia, soeur Ceslas du patronage de saint Joseph. Née à Janow (prés de Czestochowa) Podlaski le 21 janvier 1899. Vêture le 23 novembre 1921, Profession le 27 juillet 1923.

Trycowna Jozefa, soeur Aloyse de Sainte Bénédicte. Née à Zielona le 21 mars 1895. Vêture le 1" février 1919. Profession le 22 août 1921, en qualité de soeur converse.

Zalazkowna Jozefa, soeur Marguerite du Coeur de Jésus. Née à Varsovie le 2 avril 1899. Vêture le 20 avril 1928, Profession le l er octobre 1930. en qualité de soeur converse.

Zalewska Laurencia, soeur Augustine du Saint Sacrement. Née à Samkorod (Ukraine) le 7 juillet 1919. Vêture en 1941, Profession en 1942.

Zaluska Zofia, soeur Innocente de la Croix. Née à Chruscin le 7 juillet 1882. Vêture le 14 février 1909, Profession le 12 août 1913.

Zdrojewska Marianna, soeur Claire du Saint Sacrement. Née à Glodow le 12 août 1879. Vêture le 1 er mars 1900, Profession le 28 novembre 1909, en qualité de soeur converse.

405

XV SIEDLCE 1978

Lettre circulaire du monastère de Siedlce Siedlce, janvier 1979

Très révérende mère

bien chères mères et soeurs

L'année 1978 vient de se terminer. Cette année qui au commencement allait son train comme si de rien n'était.

Elle est devenue historique et le témoin de choses grandioses. Elle a vu de ses yeux stupéfaits trois papes : la fin du pontificat de notre si aimé et vénéré pape Paul VI qui, comme un bon et courageux serviteur, est entré in gaudium Domini sui, puis un pontificat entier, mais trop court, du charmant Jean Paul Ief qui, après avoir gagné tous les coeurs, disparut du monde en nous laissant orphelins dans une douleur redoublée. Personne de nous ne pouvait alors deviner les mystérieux desseins de Dieu qui sait abaisser et élever, attrister et consoler. Nous, pusillanimes, nous nous demandions alors, toutes désolées : « Est-ce que les cardinaux peuvent encore trouver quelqu'un entre eux qui puisse assumer une responsabilité si lourde ? » Et nous priions plus instamment.

Ainsi vint le jour du 16 octobre, le dernier jour du deuxième conclave. Réunies justement au choeur, pour la messe de 19 h 30, à l'intention de l'élection, tout à coup nous avons en-407tendu de loin un cri : c'était notre soeur Kinga (qui est venue à Rouen), appelée au téléphone par sa propre soeur de Paris, qui venait de lui annoncer que le nouveau pape était déjà élu et, que « c'était notre cardinal polonais Karol Wojtyla ». Notre mère, tout de suite, a fait passer à notre aumônier, un billet avec cette étonnante nouvelle, pour l'annoncer aux fidèles dans la chapelle. Il jeta un coup d'oeil sur ces quelques mots et, ses mains ont commencé à trembler. Puis avec une voix brisée par l'émotion, il prit la parole : « Il y a quelques minutes qu'on a élu le pape... », tout le monde a retenu son haleine, « notre nouveau Saint-Père c'est... », une pause encore une fois..., « le cardinal Polonais de Cracovie, Karol Wojtyla ». Un grand soupir, « Jésus, Marie » a volé au-dessus des têtes comme un murmure du vent. « Qui vient de prendre », continuait-il, « le nom de Jean Paul II »... Te Deum.

L'émotion fut intense et le choc si grand que nous avions du mal à saisir pleinement la portée de l'événement. Vraiment, le vent de l'histoire s'est fait sentir dans l'Église avec une force inattendue. Si désolées que nous fussions jusqu'à ce moment, nous avons perdu la tête de joie, comme d'ailleurs tous les Polonais, catholiques ou athées, sans différence. Mais nous avons compris aussi très vite que cela oblige. Dans le désir donc d'entendre et de voir notre pape, pour être avec lui, et l'aider à chaque moment, nous étions comme « collées » à la radio et télévision, dont le poste nous fut prêté par nos amis, pour ces jours mémorables.

Ainsi nous avons vu et entendu tout.

Le 22 octobre fut chez nous un jour particulièrement solennel. En Pologne, pour la première fois, une messe était présentée sur les écrans de télévision. Toute la nation s'est rassemblée devant les petits écrans et les rues furent complètement vides. Dans une des gares de Varsovie, les postes de télévision attiraient les gens. Dans ces moments, beaucoup de passagers préféraient plutôt manquer le train, que de se priver de voir le pape. Quelques-uns s'agenouillaient pour prendre sa bénédiction et, tout le monde, avait les larmes aux yeux.

Depuis ce jour, chaque dimanche, nous récitons l'Ange-lus de midi, avec le pape, en l'écoutant à la radio vaticane. Nous l'accompagnons aussi en esprit dans toutes ses entreprises et ses voyages...

L'homme est appelé à la victoire sur lui-même

Homélie de Jean Paul II Varsovie 17 juin 1983

... Je le dis aussi en un moment historique précis. En cette année 1983, sur la vaste toile de fond de notre millénaire polonais et en même temps du sixième centenaire de Jasna Góra, ressort comme un reflet lumineux la date historique d'il y a trois cents ans : le secours porté à Vienne, la victoire viennoise ! C'est l'anniversaire qui nous unit tous, Polonais, et aussi nos voisins du sud et de l'ouest, les plus proches et les plus lointains. De même qu'il y a trois cents ans nous unit la menace commune, de même, au bout de trois cents ans, nous unit l'anniversaire du combat et de la victoire.

Ce combat et cette victoire ne creusèrent pas d'abîme entre la nation polonaise et la nation turque. Ils suscitèrent au contraire respect et estime. Nous savons que, lorsque la Pologne, à la fin du XVIIIe siècle, disparut de la carte politique de l'Europe, le gouvernement turc ne reconnut jamais le fait du partage. A la cour ottomane — comme le rapporte la tradition —, lors des réceptions solennelles des représentants des autres États, on demandait avec insistance : « L'envoyé de Lechistan est-il là ? ». La réponse « pas encore » fut donnée pendant longtemps, jusqu'à ce que survint l'an 1918 et que le représentant de la Pologne indépendante se rendit à nouveau dans la capitale de la Turquie. J'ai eu la possibilité de le constater pendant mon séjour dans la capitale de la Turquie, où j'ai rendu visite au Patriarcat de Constantinople.

Il était nécessaire de rappeler ce détail particulier pour apprécier pleinement la valeur du secours apporté à Vienne en 1683 et la victoire du roi Jean III Sobieski.

Le roi informa le Siège apostolique de la victoire, par ces paroles significatives : « Venimus, vidimus, Deus vicit » -- nous sommes venus, nous avons vu, Dieu a vaincu. Ces paroles du souverain chrétien se gravent profondément aussi bien dans le millénaire de notre baptême que dans le jubilé de Jasna Góra de cette année. Jean III, pendant sa campagne viennoise, effectua des pèlerinages à Jasna Góra et aux autres sanctuaires marials.

409

Les paroles du roi ont gravé dans notre « hier » historique la vérité évangélique sur la victoire dont parle également la deuxième lecture de la liturgie d'aujourd'hui. L'homme est appelé à replacer la victoire en Jésus-Christ. C'est là la victoire sur le péché, sur le « vieil homme » qui est profondément enraciné en chacun de nous. « Tous sont devenus pécheurs parce qu'un seul homme a désobéi..., tous deviendront justes parce qu'un seul homme a obéi » (Rm 5, 19). Saint Paul parle d'Adam et du Christ. « Deus vicit » (Dieu a vaincu) : par la puissance de Dieu, qui agit en nous par l'oeuvre de Jésus-Christ au moyen de l'Esprit-Saint, l'homme est appelé à la victoire sur lui-même. A la victoire sur ce qui lie sa libre volonté et la soumet au mal. Une telle victoire signifie vivre dans la vérité, signifie la rectitude de la conscience, l'amour du prochain, la capacité de pardonner, le développement spirituel de notre humanité.

OSSERVATORE ROMANO 28 juin 1983

Le même jour, le Saint Père a fait une brève visite à l'Église des Capucins où est conservée l'urne contenant le coeur du roi Jan Sobieski (1629-1696) héros polonais qui a remporté la bataille de Vienne contre les Turcs en 1683.

ANNEXES

APPENDICE I

Les bénédictines du Saint Sacrement à Varsovie

Abrégé de l'histoire éditée en polonais en 1938 à l'occasion du jubilé de la fondation (1688-1938)

Août, an de grâce 1783. Dans les lueurs splendides du soleil couchant, un pieux cantique sur les lèvres, l'armée polonaise quittait la capitale sous le haut commandement de Sa Majesté le roi, l'invincible Jean Sobieski, car on était venu implorer son secours contre les musulmans qui menaçaient l'Europe 231. Le Saint-Père avait fait appel au grand roi, afin qu'il vienne sauver la chrétienté, et lui, en fidèle fils de l'Église, leva aussitôt son armée pour l'engager dans cette lutte gigantesque contre les infidèles qui se tenaient déjà aux portes

251. Le duc Charles V de Lorraine, officier très doué, fut l'un des compagnons les plus efficaces du roi Jean III, dans cette campagne. Son intelligence, son courage, son opiniâtreté et sa modestie en firent un associé très apprécié. Orphelin de mère à 6 ans, fils du duc Nicolas François, qui vivait à Paris et ne pouvait guère aider son fils, le duc Charles eut une enfance très malheureuse, au point d'être obligé de mendier son pain, lorsqu'il fut chassé de France en 1662. En 1675, Charles V devint duc de Lorraine en titre, à la mort de Charles IV, l'empereur le nomma alors généralissime de ses armées. Sa renommée de grand stratège ne fit que grandir. En 1683-1688 il participa à la conquête de la Hongrie. Grâce à la victoire de Jean III Sobieski, à laquelle Charles V avait grandement contribué, la paix fut signée et les Turcs rejetés d'Europe, Charles V mourut en avril 1690 à Weltz (Cf. R. Cuénot, La revue Lorraine, Nancy, 1983).

413 de Vienne. La Pologne était en émoi. La reine Marie-Casimire ac compagna le roi jusqu'en Silésie, avec leur tout jeune fils, Jacques. En une prière fervente, elle confie ces chers êtres à Dieu, et fait le voeu d'appeler de France les bénédictines du Saint Sacrement et de fonder un couvent à Varsovie, si le roi victorieux et son fils Jacques, revenaient sains et saufs de cette effroyable tourmente.

(Les chapitres III, VI de cet ouvrage relatent l'histoire mouvementée des premières années du monastère).

Mère Casimir Potocka (cf. Lettre de mère Mectilde du 10 mai 1696) étant décédée le 17 novembre 1745, c'est la mère Marie de tous les Saints (Barbe Kczewska252, palatine de Marienbourg) qui lui succéda et la remplaça dignement. Élue prieure le 2 juillet 1745, fervente adoratrice du Saint Sacrement, elle contribua au développement des oeuvres eucharistiques fondées par la prieure précédente, surtout celle de l'archiconfrérie du très Saint Sacrement. Malgré ses nombreux devoirs, elle trouva le temps de préparer et d'éditer un beau manuel à l'usage de l'adoration. Grâce à elle, notre église s'enrichit de belles orgues. Musicienne très douée, elle contribua à relever, par ses compositions, la beauté des cérémonies religieuses. C'est pendant son priorat qu'eut lieu dans notre église la consécration de Dom Laurent Bulcharewicz, premier abbé des pères bénédictins de l'abbaye de Sieciechow 253. Des relations très cordiales et fraternelles nous unissaient à ces bons Pères et les liens se resserrèrent encore lorsque fut établie entre nos deux monastères ce qu'on appelle « l'union intime de la participation spirituelle ». Les mêmes liens nous attachaient aux bénédictins de Plock 254, de Pultusk, et aux bénédictines de Sandomierz 255

L'un des grands soucis de mère Barbe était l'état déplorable des

252. Kczewska Marie Barbe — palatine de Marienbourg — Mère Éléonore de Tous les saints. Née à Lwow le 21.2.1706 ; vêture 1722 ; Profession le 9.1.1724. Décès le 26.5.1756. Fille de Samuel, voïvode de Malborsk et de Marie-Anne Kossowny. Elle fut prieure du 2 juillet 1745 jusqu'à sa mort.

253. Au diocèse de Cracovie. Fondée entre 1150 et 1166, par des moines venus de l'abbaye de Tyniec. L'abbaye de Sieciechow fut fermée en 1819, à l'époque de la domination russe.

254. Saint Adalbert, au diocèse de Gniezno. Fondée par l'abbaye Saint-Jean-l'Évangéliste de Mogilno au XII' siècle, elle faisait partie d'une sorte de fédération dont l'abbaye de Tyniec était le chef. L'abbaye Saint-Adalbert fut fermée en 1781 par l'évêque Michel Poniatowski qui en fit un séminaire diocésain. La communauté parvint, après de longs efforts, à se regrouper, en 1802, à Pulstuk, dans un ancien collège des jésuites. Ce collège avait été fondé en 1566 par Mgr Noskowski.

L'abbaye Saint-Jean l'Evangélistede Mogilno, au bord du lac Mogilenskie, fut fondée vers 1065 par Boleslas le Hardi. Elle fut fermée entre 1810 et 1844. (cf. Dom P. Schmitz, Histoire de l'ordre de saint Benoit, ed. de Maredsous, 1956).

255. Sandomierz, voïvodie de Tarndorgez, est située sur une légère éminence, non loin de la rive gauche de la Vistule, à la bordure est du plateau limoneux de Sando-

414

cloches. Elle déploya toute son énergie pour se procurer la somme nécessaire à leur remplacement. Une vraie fête accueillit la consécration et le baptême des cloches, surtout quand la plus imposante, surnommée Saint Benoît, retentit au sommet de notre clocher. Pendant les douze années suivantes c'est la mère Alexis de Jésus (Thérèse Hedvige Glebocka 256, fille du Palatin de Rawa) qui fut à la tête du monastère. Ame de recueillement et de silence, désireuse de souffrir en union avec son Sauveur adoré, elle fut pour ses filles un exemple de mortification et de patience.

Grâce à la réputation que le pensionnat des bénédictines du Saint-Sacrement avait acquise, le nombre des élèves augmentait chaque année. Bientôt la maison fut trop petite. Le chapitre, convoqué par mère Alexis, décida de l'agrandir. Sa construction dura trente ans. Le roi Stanislas Auguste 257 y contribua de ses dons.

mierz, coupé de petits ravins limitant quatre collines principales. L'abbaye de Sandomierz fut fondée, semble-t-il, au début du Xe siècle. Sa situation géographique, à la bifurcation des grandes routes commerciales : Kiev-Cracovie ; Halicz-PrzemyslCracovie, lui valut, dès le Xlle siècle une croissance rapide. Après le troisième partage de la Pologne, Sandomierz fut attribuée à l'Autriche puis, par le Congrès de Vienne (1814-1815), à la Russie.

Madeleine Morteska, abbesse et réformatrice de l'abbaye de Culm en 1579, put, grâce à un recrutement nombreux et de qualité (plus de cent religieuses en vingt ans), essaimer à : Nieswiez (1591), Lwow (1604), Posen (1608-1609), Jaroslaw (161 1), Sandomir (ou Sandomierz 1614). Par l'abbaye de Nieswiez la réforme s'étendit à la Lituanie et à la Russie d'Europe. La réformatrice rédigea des Constitutions et les publia à Cracovie en 1605. Culm et ses filiales formèrent une congrégation très florissante. Pour assurer la continuité de l'esprit de sa réforme, l'abbesse institua un séminaire pour la formation des clercs destinés à devenir les aumôniers de ses abbayes. L'abbaye de Sandomierz eut beaucoup à souffrir des invasions suédoises en 1656. Elle fut reconstruite au XVIIIe siècle et abrite aujourd'hui un séminaire.

256. Glebocka, Thérèse, Hedwige, mère Alexis de Jésus. Née à Morzyce le 14.10.1692. Vêture le 21.8.1716. Profession le 21.8.1718. Décès le 3.8.1768. Elle était fille d'André, voïvode de Rawa et de N. Olszawska. Elle fut prieure du 2.7.1756 au 2.7.1768.

257. Stanislas, Auguste, Poniatowski fut le dernier roi de Pologne. Né à Wolcyn (Lituanie) en 1732, mort à Saint Pétersbourg en 1798. Il eut une éducation littéraire très soignée, accompagna son père à Paris en 1753. En 1755, il se rendit à Saint-Pétersbourg où il devint le favori de la future impératrice, Catherine II, qui. à la mort d'Auguste III de Saxe en 1763, fit donner à son protégé le trône de Pologne (1764). La guerre civile éclata. Une ligue catholique et nationale se constitua pour défendre le pays de l'anarchie envahissante (confédération de Bar, 29 février 1768). Le roi fut fait prisonnier, mais réussit à s'évader. La guerre dura quatre ans, mais les polonais furent écrasés. Frédéric I1 de Prusse, Marie Thérèse d'Autriche, Catherine II de Russie procédèrent au premier partage de la Pologne (1772). Il ne resta à Stanislas qu'une ombre de pouvoir. Le peuple polonais essaya de secouer le joug étranger et la Grande Diète de 1791 promulga une nouvelle Constitution que Stanislas jura de défendre. Un an après, le roi se parjura sous la pression de conjurés, traitres à leur patrie (confédération de Targowice, 25 août 1792). Le second partage

415

Aussi fit-on sceller une plaque commémorative en souvenir de sa générosité. En 1768, les religieuses élurent mère Ludgarde de la Présentation (Euphémie Julienne Wodzinska). Durant de longues années elle avait rempli avec zèle l'office de sacristine, ne se doutant nullement du fardeau que Dieu allait mettre sur ses frêles épaules. Quand elle apprit le résultat du scrutin, elle en fut stupéfaite. Comme elle avait toujours eu grand soin de tous les objets réservés au culte eucharistique, elle déplorait souvent le mauvais état du tabernacle. C'était celui de la fondation et il avait subi les ravages du temps. Le premier travail de mère Wodzinska fut de donner à Jésus Eucharistie un tabernacle plus digne de Lui. Avec l'assentiment du chapitre, elle vendit tous les objets en argent que les moniales avaient apportés en dot. En ajoutant les dons des bienfaiteurs, elle obtint la somme de vingt-cinq mille cinq cent quatre-vingt-treize zlotys et put acquérir le magnifique tabernacle en marbre de notre maître-autel. Le frère de la mère prieure, Gabriel Wodzinski 258, fut nommé évêque de Tabeste à trente-deux ans, et plus tard il reçut l'évêché de Smolensk. I1 rendit de nombreux services à la patrie en prenant part à la Diète à plusieurs reprises. Lorsqu'il s'établit à Varsovie, il vint habiter dans une maison appartenant à notre monastère. Membre de l'archiconfrérie du très Saint Sacrement, il était l'ami et le protecteur de notre institut, lui prêtant souvent un appui matériel, et aidant sa soeur, mère Ludgarde, de ses sages conseils.

En 1780, ce fut mère Augustine de Saint-Michel (Anne Casimire, princesse Radziwill 259, fille du palatin de Lituanie) qui lui suc-

de la Pologne s'ensuivit (25 septembre 1793). Les patriotes polonais firent appel à Kosciusko (mars 1794). Les insurgés parvinrent à résister aux troupes russes durant 7 mois. Varsovie tomba aux mains du général Souvarov (novembre 1794) malgré une défense héroïque. La Pologne était désormais rayée de la carte de l'Europe (3e partage : 1795). Stanislas se retira à Grodno où il signa son abdication (25 novembre 1795). Il ne survécut que deux ans à la honte d'avoir perdu son pays.

258. Né à Kiernez diocèse de Poznan le 25 mars 1727. Tonsuré le 26 mai 1743 ; ordres mineurs le 11 octobre 1744 ; sous-diacre, diacre et prêtre les 4, 14, 28 mars 1750 ; évêque titulaire de Tebaste ou Theveste et coadjuteur de Georges, Nicolas Hylzen, évêque de Smolensk le 4 avril 1759 ; sacré le dimanche 24 juin suivant dans la cathédrale de Wilna par Alexandre Horain, évêque titulaire de Hirins, auxiliaire à Samogitie, assisté d'Antoine Zolkowski évêque d'Alalia et de Thomas Zienkowski évêque d'Aréopolis, auxiliaire à Wilna. 1l succède à Mgr Hylzen en 1775. Décédé en 1788.

259. Mère Augustine de Saint Michel — Anne, Casimire, princesse Radziwill — fille du Palatin de Lituanie. Née à Zdzieciole le 31 juillet 1726 ; Vêture le 29 juin 1743 ; Profession le 15 octobre 1747. Décès le 21 avril 1789. Prieure du 2 juillet 1780 au 2 juillet 1789. A la fin du priorat de mère Ludgarde Wodzinska, fut élue Catherine, Françoise Leska — mère Bénédicte de Jésus, née à Sarnowie le 8 mars 1716. Vêture le 7 avril 1733 ; Profession le 31 mai 1735. Décès le 16 avril 1796 ; fille de Jean-Antoine et de Anne Trzcinskiej ; Prieure du 2 juillet 1774 au 2 juillet 1780, date de

céda comme prieure. Élève de notre pensionnat, ainsi que ses deux soeurs, elle se distingua dès sa tendre enfance par une piété fervente, et manifesta les signes précoces d'une vocation sérieuse. Ayant obtenu, après d'ardentes prières, l'autorisation de ses parents pour commencer son postulat, elle entra au monastère à l'âge de dix-sept ans. La cérémonie de sa vêture fut honorée par la présence de la reine Marie Josèphe, épouse d'Auguste III 260, avec toute sa cour, de la princesse Constantin Sobieska, des plus illustres familles polonaises et des ambassadeurs étrangers. La reine posa elle-même sur la tête de l'élue de Dieu une magnifique couronne de diamants. La cérémonie fut présidée par le cardinal évêque de Cracovie.

Le Seigneur avait doté mère Marie Augustine de tous les dons de la nature et de la grâce. C'était une âme vraiment humble et cachée, qui aimait le silence et l'oubli. Elle possédait à un très haut degré l'esprit d'oraison, et à mesure qu'elle progressait dans la voie du renoncement et du sacrifice, son union à Dieu se développait et gagnait en profondeur. Sa piété était pleine de ferveur, ardente comme une flamme, mais en même temps solidement fondée sur les vérités de la foi qui réglaient toute sa vie. Pendant dix ans, nous dit la chronique, la communauté jouit de son gouvernement plein de douceur et de sagesse. Avec un rare discernement elle sut mener à bonne fin des affaires difficiles et compliquées.

Le 27 juin 1788 on fêta le premier centenaire de notre fondation. Mère Augustine le fit célébrer très solennellement par une ado-'ration de quarante heures, avec sermons et processions. Le prince Radziwill ouvrit généreusement sa bourse afin de donner plus d'éclat à la cérémonie. Grâce à lui, l'église fut illuminée pendant trois jours, des repas furent servis à des foules de pauvres, aux por-

l'élection de mère Augustine Radziwill.

Charles Stanislas Radziwill (1734-1790) fut l'un des plus riches représentants de l'aristocratie polono-lituanienne. La famille Radziwill est d'origine lituanienne.

260. Auguste III (Frédéric) 1696-1763. Électeur de Saxe et roi de Pologne, fils d'Auguste II, né en 1696, fut à la mort de son père en 1733, élu roi de Pologne par une partie de la nation, et ne fut universellement reconnu qu'en 1736. Il fut en guerre avec Frédéric H, roi de Prusse, qui deux fois lui enleva la Saxe (1746 et 1756). Son duché ne lui fut rendu qu'à la paix d'Hubertsbourg (1763).

Marie-Josèphe de Saxe (1699-1757) épousa en 1719 Auguste III, électeur de Saxe, roi de Pologne. Elle était la fille de Joseph Ief, fils de Léopold I« de Hasbourg, empereur d'Allemagne. Né en 1678, il fut proclamé roi de Hongrie en 1689, roi des Romains en 1690 et devint empereur d'Allemagne en 1705. 11 soutint avec force les intérêts de son frère Charles contre Philippe d'Anjou, petit-fils de Louis XIV, dans la guerre de succession d'Espagne. L'empereur Joseph lef gouverna avec modération et justice. Il mourut en 1711 et eut pour successeur son frère Charles VI.

416

tes du monastère. Le bel orchestre privé du prince exécuta, pendant toute la durée du triduum, des oeuvres religieuses, sur la place, devant l'église.

Cette époque peut être considérée comme l'âge d'or de notre monastère. Le siècle suivant, qui frappa de malheurs notre patrie, ne nous épargna pas non plus. Nous supportâmes de très lourdes épreuves.

Commença alors l'époque la plus douloureuse pour nos coeurs : celle du démembrement de la Pologne. Déjà amputée de plusieurs provinces par deux partages, ruinée par les guerres, elle résistait avec désespoir à la puissance de ses ennemis, les pays voisins, qui s'étaient alliés contre elle. On tenta encore d'ultimes efforts. Le Conseil national fit appel au clergé et aux couvents en leur demandant de faire don à la défense nationale de tous leurs objets d'argent et de métal précieux. Le nonce apostolique, Ferdinand Saluzio 261 et l'archevêque de Gniezno, Michel Poniatowski 262, appuyèrent cette requête de leur autorité. Les bénédictines du Saint-Sacrement donnèrent presque tous leurs précieux vases sacrés. Un peu plus tard, elles offrirent aussi leur grande cloche, le cercueil de la princesse de Bouillon et le toit en cuivre qui recouvrait la coupole de l'église. C'était un pénible sacrifice, mais on se consolait dans l'espoir de voir notre patrie enfin délivrée.

Soudain arriva une nouvelle foudroyante : la défaite de Kosciuszko à Maciejowice. Peu après les armées russes envahirent le faubourg Praga et se vengèrent des pertes qu'elles avaient subies par un horrible carnage. Jusqu'à l'intérieur du monastère, on entendit les cris des femmes et des enfants massacrés. La Vistule était rouge de

261. Ferdinand, Marie, Saluzzo né à Naples le 20 novembre 1744. Docteur de la Sapience le 11 février 1767 ; vice légat à Ferrare, sous-doyen des protonotaires, employé à la Curie. Prêtre le 26 mai 1784 ; archevêque titulaire de Théodosia le 25 juin 1784, sacré le 4 juillet à Rome, Basilique des douze Apôtres, par le cardinal Marcantonio Colonna, assisté de Jérôme Volpi archevêque de Néocésarée, et Orazio Mattei, archevêque de Colosses ; archevêque titulaire de Carthage le 13 juillet 1784, nonce en Pologne le 30 juillet 1784. Retour à Rome le 14 mars 1794. Cardinal le 23 février 1801. Décédé à Rome le 3 novembre 1816.

262. Frère du roi de Pologne, Stanislas-Auguste (1764-1795). Né le 12 octobre 1736. Tonsuré, ordres mineures le 8 mai 1756 ; sous-diacre le 11 mars 1758, diacre le 22 mars 1760, prêtre le 31 mai 1760 ; élu évêque titulaire de Cydonia et coadjuteur de Jérôme Szeptycki, évêque de Plock le 12 juillet 1773. Sacré le 3 octobre dans la cathédrale Saint-Jean de Varsovie par Joseph Garrampi, archevêque de Beryte, nonce en Pologne, assisté de Félix Turski, évêque de Lusk et d'Antoine Orecki, évêque de Chelmno, (nommé le 3 avril 1775 coadjuteur de l'évêque de Cracovie Gaetan Soltyk décédé en 1788, tout en restant à Plock ; administrateur de Cracovie le 27 juillet 1782). Évêque de Plock le 9 août 1783 ; archevêque de Gniezno le 14 février 1785 ; décédé le 12 août 1794.

sang. Les religieuses terrifiées, à genoux au pied du tabernacle, implorèrent la miséricorde de Dieu. Le 8 novembre, Varsovie dut se soumettre, et les armées ennemies entrèrent triomphalement dans la ville. S'ensuivit le troisième et dernier partage en 1795. La Pologne fut rayée de la carte géographique. Immédiatement les Prussiens occupèrent la ville et s'y établirent. Notre maison eut beaucoup à souffrir, en raison du gouvernement prussien, qui était protestant. Il s'ingérait dans les affaires de la communauté, non seulement en ce qui concernait le côté matériel, mais aussi dans la vie intérieure du monastère.

C'est en ces temps de détresse que la princesse Adélaïde de Bourbon-Condé demanda à se réfugier dans nos murs. La communauté accueillit à bras ouverts, cette illustre exilée, que la Révolution française condamnait à une vie errante en pays étranger.

C'est en juin 1801 qu'elle s'installa dans notre couvent, en qualité de dame résidente, avec sa compagne, Rose de la Rosière. Aussitôt qu'elle eut pris connaissance de nos Constitutions, elle éprouva le désir de se consacrer à Dieu dans notre monastère, et sollicita son admission au noviciat. Les moniales acceptèrent avec joie. La cérémonie de sa vêture eut lieu en septembre, avec grand éclat, en présence du roi Louis XVIII, qui séjournait alors à Varsovie sous le nom de comte de Lille, et de toute la famille royale. L'année suivante, c'est sous le nom de soeur Marie-Josèphe de la Miséricorde que la princesse prononça ses voeux perpétuels. L'acte de sa profession, écrit de sa propre main sur parchemin, se trouve dans nos archives. Nous ne retraçons pas ici sa biographie, bien connue dans les maisons de nos mères, par deux livres déjà édités.

Après sa profession, soeur Marie-Josèphe de la Miséricorde fut nommée maîtresse du pensionnat. Mais bientôt, elle contracta une maladie pulmonaire, et la mère prieure se trouva dans l'obligation de la démettre de sa charge. Douée d'une étonnante compréhension de la vie monastique, la jeune professe observait très fidèlement la Règle. Mais l'ingérence du gouvernement prussien dans la vie de la communauté rendait impossible l'observation intégrale des Constitutions, aussi bien pour la clôture que pour les autres prescriptions. La conscience délicate de soeur Marie Josèphe s'en inquiéta. Pour sauvegarder sa paix intérieure, elle eut recours au pape Pie VII 263

263. Louis Barnabé Chiaramonti naquit en 1740 à Césèna (non loin de Ravenne). Il entra à 16 ans à l'abbaye bénédictine de Santa Maria del Monte, près de sa ville natale. Il fut professeur à Parme et à Saint-Calixte à Rome. Évêque de Tivoli, puis d'Imola, il fut créé cardinal par Pie VI en 1785.

A la mort de Pie VI le conclave ne put se réunir à Rome en raison de l'occupation de la ville par les troupes napolitaines. Ce fut donc à Venise que 34 cardinaux

419 pour lui demander de bien vouloir la dispenser de toute charge au monastère. Elle obtint cette permission le 24 septembre 1803. Le coeur très tendre, cette moniale s'attacha profondément à toutes ses soeurs. Celles-ci lui témoignaient une affection réciproque et une réelle sympathie dans les malheurs qui éprouvaient sa patrie.

La professe princière ne vécut pas longtemps dans nos murs. En 1805, avec toute la famille royale, elle quitta précipitamment Varsovie à l'approche de Napoléon. Elle s'établit chez les bénédictines de Bodney Hall 264, en Angleterre, et sous la Restauration fonda à Paris le monastère de Saint-Louis-du-Temple.

purent élire le successeur de Pie VI, le 17 mars 1800. Il prit le nom de Pie VII. Le nouveau pape était doué d'une force d'âme qui savait endurer sans se plaindre et sans plier. Il sympathisa d'abord avec les idées démocratiques, croyant y voir un reflet de l'Évangile. Il eut beaucoup à souffrir de la part des chefs d'Etat et en particulier de Bonaparte. En 1801 il signait un concordat avec la France, mais les exigences de Bonaparte étaient difficilement compatibles avec la liberté de l'Église en France. Il ne put éviter de venir couronner Napoléon à Paris en 1804. Rome fut occupée par les armées de Napoléon le 2 février 1808 et l'État pontifical annexé le 17 mai 1809 par l'Empereur. Pie VII refusant de reconnaitre cette spoliation, Napoléon le fit arrêter le 6 juillet 1809 et emprisonner à Savone. Traité indignement par ses gardes, le Pontife fut transféré à Fontainebleau où l'empereur lui arracha la signature d'un prétendu concordat. Un an plus tard, dans ce même château de Fontainebleau, Napoléon signait son abdication. Rentré à Rome après la chute de Napoléon, le pape réorganisa l'État pontifical, signa des Concordats avec la Bavière (1816), la Russie (1818), la Prusse (1821). Ce pape courageux et saint mourut le 20 août 1823.

264. En 1629, l'archevêque de Sens, Mgr Octave de Bellegarde, demandait à Marie de Beauvilliers, abbesse de la célèbre abbaye de Montmartre, de lui donner quelques religieuses de sa maison pour fonder un prieuré à Montargis. Marie Granger entrée à Montmartre le 17 mars 1617, fit profession le 26 octobre 1620. Ame ardente, le Seigneur la purifia tant par la maladie, que par des peines intérieures. Il permit même certaines calomnies et des jalousies qui la firent beaucoup souffrir. Ayant retrouvé la confiance de son abbesse, elle fut nommée maîtresse des novices. Elle gardera cette charge environ quatre ou cinq ans. C'est d'elle que Marie de Beauvilliers fit choix pour fonder le prieuré de Montargis69. Le 13 mai 1630, elle quitta Montmartre avec six religieuses, dont l'aînée n'avait pas trente ans. Le prieuré fut dédié à Notre-Dame-des-Anges. Sous la sage et vertueuse direction de Marie Granger, le prieuré s'établit solidement dans la pratique fervente des vertus monastiques. La fondatrice avait un culte particulier pour l'Eucharistie. C'est peut être une des raisons de l'amitié fraternelle qui unit le prieuré de Montargis et notre couvent fondé, non loin de là, à Châtillon-sur-Loing, en 1688. A l'époque de la Révolution française, le prieuré qui avait été élevé au rang d'abbaye, était gouverné par Mme de Lévis-Mirepoix, qui dut chercher en 1792, un asile en Angleterre, pour sa communauté. Elles se fixèrent d'abord à Bodney-Hall, dans le comté de Norfolk. L'abbesse sut maintenir, dans l'exil, la régularité et la prospérité de sa maison. Elle mourut en 1810. Après de longues pérégrinations, l'ancien prieuré de Montargis, s'établit à Princethorpe près de Rugby, qu'il a quitté récemment pour se fixer à Ferhnam, près de Faringdon. Malgré ces déménagements successifs, les moniales ont pu conserver une partie de leurs archives datant de l'époque de leur fondation. (cf. Dom Chaussy, Les bénédictines et la Reforme catholique en France au XVIIe siècle, éd. de la Source, Paris, 1975. Dom Rabory, La vie de Louise de Bourbon, princesse de Condé, Solesmes, 1888).

420

La Providence qui veille toujours sur les opprimés, nous envoya en ces années pénibles, des « voisins » qui nous réconfortèrent. Les premiers pères rédemptoristes arrivèrent à Varsovie. Le pire Clément Hofbauer (canonisé en 1909) et le père Hübl s'établirent près de l'église de Saint-Benon qui attenait au mur de notre couvent. La chaire se trouvait juste en face de notre large corridor, d'où on pouvait très bien entendre les sermons toujours remplis d'esprit surnaturel.

Les pères de Saint-Benon étaient très pauvres. Souvent, ils venaient solliciter notre aide, et en retour ils étaient toujours prêts à célébrer des messes chez nous. Bientôt les deux couvents se lièrent d'amitié fraternelle. Au dire de la tradition, saint Clément fut le confesseur de nos soeurs et le conseiller dévoué de la mère prieure, qu'il soutenait dans les épreuves par la parole de Dieu.

Cependant ces religieux, animés d'un zèle admirable, éveillèrent la haine des ennemis de Dieu. On les persécutait de diverses manières. Enfin, les protestants leur portèrent le coup décisif. A la suite de viles diffamations, le monastère des rédemptoristes fut fermé et saint Clément, surnommé « l'apôtre de Varsovie n, expulsé de notre pays avec ses fils spirituels. Ce fut une lourde croix pour la communauté.

Pendant la campagne de Napoléon en Russie, le gouvernement de notre couvent fut exercé par mère Marie de tous les Saints (Cunégonde Zaluska 265, fille du gouverneur de Lituanie). Elle se dévoua avec ardeur à la communauté qui se trouvait à ce moment dans des conditions particulièrement difficiles. Témoin une lettre datant de cette époque et conservée dans nos archives : une religieuse s'adresse à son frère juriste, et le supplie instamment de revendiquer les intérêts dus au monastère. « Les moniales, écrit-elle, meurent littéralement de faim n, et elle, en qualité de cellérière vit dans un souci constant, ne sachant que servir aux soeurs pour leur repas.

La prieure suivante, l'énergique et vaillante mère Thècle de Jésus (Clémentine comtesse Wessel, fille du castellan de Varsovie) avait passé presque toute sa vie au monastère. A l'âge de cinq ans, elle fut placée par son père auprès de sa tante, la princesse Constantin, belle-fille du roi Sobieski, qui était résidente chez nous. Lorsque la demoiselle eut atteint l'âge de seize ans, son ardent désir fut exaucé et elle put échanger son uniforme de pensionnaire contre la robe noire et le voile de postulante. Après un temps de probation

265. Zaluska, Cunégonde, mère Marie de Tous les Saints. Née à Wartkowice, voïvodie de Sieradz au sud-est de Kaliz, le 26 juin 1744. Vêture en 1763, profession le 23.4.1765. Décès le 21.2.1817. Elle était fille d'Alexandre. voïvode de Rawa (Lituanie) et de Thérèse Potkanska. Elle fut prieure du 2 juillet 1810 au 2 juillet 1816.

421 exemplaire, elle reçut l'habit de bénédictine du Saint-Sacrement et servit Dieu fidèlement durant soixante-dix ans. Jusqu'à la fin de ses jours elle garda une grande fraîcheur de sentiments et une humeur juvénile.

Durant les quinze années qui suivirent, c'est mère Anne de la Nativité 266 (Wrobleska Cunégonde), qui fut prieure. Dès son enfance, elle désirait se consacrer à Dieu. Ses parents s'y opposèrent formellement, ayant d'autres projets pour elle. Cependant, sa persévérance inébranlable et sa fidélité à la grâce de sa vocation, triomphèrent de leur résistance. Mère Anne se distinguait par une grande maturité de jugement et une volonté énergique déployée au service de la communauté.

Les temps continuaient à être durs... En novembre 1830 une insurrection éclata contre les Russes et éveilla dans tous les coeurs de grandes espérances, qui, hélas ! furent déçues. Accablée elle-même par les malheurs de notre patrie, la courageuse prieure savait cependant raffermir le courage de ses filles spirituelles. Que pouvaient-elles faire ? Uniquement prier et souffrir en union avec la nation.

Celle qui lui succéda, mère Barbe du Saint-Sacrement (Marie Thérèse Hausner 267), fut profondément chérie de ses soeurs. D'une vertu remarquable, elle se distinguait surtout par sa piété et son amour du prochain. La bonté et la douceur se lisaient sur son visage. Douée d'une rare éloquence, elle savait toucher les coeurs et éclairer les intelligences. Elle trouvait les accents les plus profonds, quand elle parlait de la charité, à l'exemple du disciple bien-aimé de Jésus. Souvent elle répétait : « Aimez-vous les unes les autres, mes soeurs, aimez-vous de tout coeur, je ne me lasserai jamais de vous le recommander, jusqu'à mon dernier soupir. » Pleine de zèle pour la gloire de Dieu et la prospérité du monastère, elle surmonta vaillamment tous les obstacles avec une inébranlable confiance en Notre Seigneur.

Mère Barbe se dévoua avec une vive application à l'archiconfrérie du très Saint Sacrement. A la suite des luttes pour la liberté et des troubles qui bouleversaient le pays, des familles entières durent quitter la Pologne. L'association, privée de la plupart de ses membres, était en train de péricliter. Elle doit aux soins vigilants de mère Barbe d'avoir pu revivre et refleurir. La prieure entoura aussi de sa

266. Wrobleska Cunégonde, mère Anne de la Nativité. Née à Kijowie le 17.1.1776. Vêture en 1791. Profession le 29.4.1798. Décès le 8.3.1846. Elle fut prieure du 2 juillet 1822 au 2 juillet 1837.

267. Hausner Marie, Thérèse, mère Barbe du Saint Sacrement. Née à Varsovie le 8 .12.1774. Vêture en 1793. Profession le 26.5.1795. Décès le 10.8.1846. Elle fut prieure du 2 juillet 1837 jusqu'à sa mort.

sollicitude la Société pour les pauvres cachés, fondée en 1844. L'archiconfrérie, reconnaissante, fit frapper une médaille commémorative à l'occasion du jubilé d'or de sa profession.

Dans la longue liste des prieures, une place d'honneur revient à mère Augustine de Saint-Michel (Féline Golebiowska), qui entra au monastère la veille de Noël 1821. Durant plus de dix ans, elle avait rempli la charge de cellérière, témoignant à toutes les religieuses une grande bonté, et veillant avec délicatesse sur la santé des plus faibles. Il semble que son coeur se dilata encore avec ses nouveaux devoirs. Elle fut une supérieure vraiment bonne et aimante, tendrement vénérée de ses filles. Pleine de sollicitude pour les élèves du pensionnat, elle fit agrandir leur maison, y ajoutant quatre dortoirs, à la plus grande satisfaction de toutes les moniales, dès le début de son priorat. Mais la joie fut de courte durée : une épreuve vint encore frapper notre communauté. Le ler juillet 1855, la foudre tomba sur notre église et fracassa la coupole. Passant près du maître-autel, elle abîma le tableau, endommagea les voûtes de notre choeur et traversa le plafond de presque toutes les cellules. Mère Augustine eut beaucoup de peine à se procurer la somme nécessaire aux réparations les plus urgentes, et malgré tous ses efforts, dut remettre à plus tard la restauration de l'église, qui ne fut achevée que vingt ans après l'accident.

En 1863, on érigea une association d'oblats bénédictins, sur le modèle de celle de Solesmes et de quelques autres abbayes de notre ordre. Plusieurs saints ecclésiastiques et de nombreux laïcs y furent reçus. Les demandes d'admission affluèrent, même de provinces éloignées de la capitale : de la Lituanie, de la Podolie et de l'Ukraine.

Les malheurs survenus en Pologne en cette même année 1863, l'insurrection contre les oppresseurs, conduisirent à la débâcle et remuèrent profondément le coeur des religieuses patriotes. Elles pleuraient sur la généreuse jeunesse polonaise tombée dans les combats contre les Russes, condamnée au gibet, ou bien déportée en masse en Sibérie.

C'est alors que commença pour la communauté, le temps des plus rudes sacrifices. De fréquentes perquisitions et le va-et-vient de la police troublaient à tout moment le calme et la paix du monastère. Et ce ne fut pas tout. Le gouvernement russe ferma le pensionnat, et ensuite le noviciat. Ce fut un coup terrible pour les pauvres bénédictines. Les Russes confisquèrent en même temps les biens de la communauté, la maison et les terrains qui descendaient jusqu'à la Vistule, se saisirent des capitaux provenant des dots des moniales, et, pour les dédommager, fixèrent une pension bien insuffisante à couvrir leurs besoins.

423

Le 2 juillet 1865, les soeurs élurent prieure, la mère Golebiowska, pour la cinquième fois. A cette annonce, le général-gouverneur s'irrita, ajourna le paiement de la pension trimestrielle, et exigea que les noms de trois candidates soient présentés à son approbation. C'était absolument contraire aux Constitutions. Suivant le conseil de monseigneur l'évêque Paul Rzewuski 268, on fit d'autres élections, et l'on choisit cette fois, la mère Stanislas Romecka 269 Cela ne calma pas le courroux du Russe. Il supprima la pension annuelle des religieuses de sorte que la communauté se trouva réduite à la misère la plus noire. Monseigneur Rzewuski, pour avoir pris part aux élections, et pour d'autres raisons encore, fut déporté en Russie, dans le gouvernement d'Astrakan. Et le prélat Antoine Dietrich, présent en qualité de témoin, fut emprisonné dans la citadelle de Varsovie. La mère Augustine, assistait le coeur meurtri, à cette ingérence de l'ennemi dans les affaires du monastère, et songeait avec une profonde douleur à ce qu'il adviendrait de la maison, une fois les dernières soeurs décédées. Était-ce parce qu'elles avaient abrité en cachette des insurgés, que ce terrible oukaze vint les frapper ? La mère prieure était presque toujours à genoux, sanglotant au pied du tabernacle. Elle s'y abima les yeux et en perdit la vue. Dès lors, elle ne quitta pratiquement plus le choeur où elle demeurait plongée dans une oraison continuelle. Cette chère mère vécut jusqu'à quatre-vingt-dix ans, et conserva jusqu'à la fin, toutes ses facultés intellectuelles. Elle s'envola au ciel le jour des morts de l'année 1890.

268. Rzewuski, Mgr, Paul, né à Telaki, au diocèse de Podlachie le 12 janvier 1804 (le diocèse de Podlachie contigu à celui de Varsovie à l'est, a pris le nom de Siedlce en 1925). Ordonné prêtre le 22 juillet 1827. Pendant de nombreuses années il est vicaire à la paroisse Saint-Alexandre de Varsovie, vice-recteur du grand séminaire de Varsovie, professeur de religion dans les écoles publiques, il est nommé chanoine de la métropole Saint-Jean de Varsovie en 1857 et professeur à l'académie catholique romaine de Varsovie de 1857 à 1863. En 1862, il est vicaire général et official du diocèse de Varsovie et nommé évêque titulaire de Cruse et auxiliaire de l'archevêque de Varsovie. Depuis janvier 1862, l'archevêque de Varsovie était Sigismond Felinski. Déporté par les Russes, il put revenir à Cracovie, où il mourut en octobre 1892, avec vraisemblablement l'interdiction de revenir à Varsovie.

269. Romecka, Pélagie, mère Stanislas du Sacré-Coeur de Marie. Née à Varsovie le 8.4.1821. Vêture le 8.9.1838. Profession le 30.8.1840. Décès le 29.6.1906. Elle fut élue prieure le 16.9.1865 en remplacement de mère Golebieska dont la réélection avait été interdite par le gouvernement. Elle fut prieure jusqu'au 2.7.1877. A cette date la communauté élut mère Rakoszewska, qui demeura dans la charge jusqu'au 2.7.1880. La communauté put alors choisir de nouveau mère Romecka qui assuma le priorat jusqu'à sa mort : le 29.6.1906.

Rakoszewska, Hélène, mère Madeleine de Jésus. Née à Varsovie le 30.4.1829. Vêture le 24.3.1855. Profession le 1.3.1857. Décès le 16.11.1897. Elle fut prieure du 2.7.1877 au 2.7.1880.

Durant ces douloureuses épreuves, la Providence ne cessa de veiller sur notre couvent. Comme pour donner aux moniales un moment de répit et de joie, elle leur fit un don inattendu, particulièrement cher à leurs coeurs. Un jour, la soeur tourière vint trouver la très révérende mère en lui disant qu'un étranger demandait à lui parler. La mère Augustine se rendit immédiatement au parloir, où l'inconnu en question défit devant elle un paquet, et en sortit une grande et belle statue de saint Joseph tenant l'Enfant Jésus dans ses bras. « Cette statue est miraculeuse, dit-il, je sais qu'elle sera très honorée dans votre maison, et vous amènera des grâces insignes ». Sur ce, il la salua et se retira sans révéler le nom du donateur. Sa prédiction se réalisa à la lettre. Les religieuses, toutes joyeuses, placèrent la statue sur un petit autel et l'entourèrent d'une vénération toute spéciale. Saint Joseph les en récompensa au centuple, et en « procureur général » de la communauté leur témoigna toujours une sollicitude vraiment paternelle. Chaque mois de mars, la statue fut exposée dans l'église du monastère, et son culte se répandit dans toute la ville. De nombreux ex-voto en sont l'affirmation muette. Tous les ans, le 19 mars, et le jour du patronage de saint Joseph, des foules de fidèles viennent visiter notre église, y déposant lettres et demandes aux pieds du saint gardien du divin Enfant, qui, par son doux sourire, semble acquiescer d'avance à toutes ces prières. Les religieuses n'ont jamais appris la provenance de cette statue miraculeuse. Ce n'est donc qu'à la Providence qu'elles sont redevables de ce trésor inestimable.

Le prélat Stanislas Zwolinski, nommé administrateur du diocèse de Varsovie, obtint du représentant de l'empereur, le comte Berg 270, la ratification des élections et la nomination de la prieure, mère Stanislas du Coeur Sacré de Marie (Romecka). Celle-ci, après maints efforts, réussit à se procurer auprès du gouvernement, une certaine somme d'argent pour la restauration de l'église, de sorte que, pour le jubilé du deux-centième anniversaire de la fondation,

270. Le général Berg, gouverneur de Varsovie au nom de l'empereur de Russie, réprima violemment des révoltes nationales. En 1863, la jeunesse de Varsovie et de très nombreux Polonais s'étaient regroupés, tant à Varsovie que dans les palatinats de Sandomir, Kaliza pour une guerre de partisans. Le général Berg leur résista à la tête d'une armée de 80 000 hommes et écrasa l'insurrection. La lutte continua jusqu'à la fin de 1864. La Russie victorieuse s'acharna sur sa proie. Il fut ordonné aux fonctionnaires de parler le russe. On supprima un grand nombre de couvents et on défendit de construire des églises catholiques. Après avoir tenté d'asservir les évêques, on les fit disparaitre successivement par la persécution et l'exil. Même Mgr Lubenski, qui s'était montré conciliant envers le pouvoir fut arraché, malade, de sa demeure, et mourut sur le chemin de l'exil. (Rohrbacher. Histoire universelle de l'église catholique, T.2, Paris, 1882).

425 l'église était toute belle, comme une mariée parée pour son époux (Ap 21, 2). Mais les sacrifices consentis pour cela furent grands. La somme allouée par l'administration étant insuffisante pour les travaux exigés, l'archiconfrérie du très Saint-Sacrement et de fidèles amies de la maison, vinrent en aide aux moniales, qui ajoutèrent à ces dons généreux toutes leurs économies. On vendit de précieux souvenirs : tableaux, dentelles, vieilles étoffes. De plus, il fallut contracter des dettes, ce qui gâta un peu la joie des courageuses soeurs. Pour rehausser la splendeur du jubilé, on demanda aux autorités ecclésiastiques, la permission de célébrer un triduum, avec l'exposition des Quarante Heures. Le dernier jour, son excellence l'archevêque ChosciakPopiel 2", présida lui-même les vêpres solennelles, assisté des prélats les plus vénérés de la ville. Pour terminer, l'hymne du Te Deum jaillit de milliers de poitrines. En quittant le choeur, les religieuses, profondément émues par la beauté du jubilé, se demandaient, anxieuses, si ce n'était pas le dernier. A cela, il n'y avait pas encore de réponse.

Cette solennité du jubilé fut, pour les pauvres bénédictines plongées dans les ténèbres de la souffrance et de la douleur, causées par les malheurs infligés à la Pologne, ainsi que par la misère à laquelle elles étaient réduites, comme un rayon de soleil, qui, pour un clin d'oeil, perça les sombres nuages. Cette fête raffermit les courages, réchauffa les coeurs endoloris, y versant le baume de l'espoir en un meilleur avenir. Mais il fallut attendre bien des années encore. A l'église, les hymnes se turent, les beaux sermons ne se firent plus entendre. La vie régulière reprit son rythme quotidien : la prière et le travail remplissaient les heures. Les mois après les mois s'écoulaient, les années après les années, et le monastère se dépeuplait peu à peu. Épuisées par les souffrances et les privations, les moniales descendaient, l'une après l'autre, dans le caveau de l'église, et les nouvelles recrues escomptées ne venaient pas, car les tyrans avaient condamné la communauté à la mort. Lorsqu'en 1892, la mère Casimire de Saint-Louis-de-Gonzague (Schultzowna Maria 272) mourut, il ne leur fut plus possible de réciter les Matines et les Laudes la nuit. Mais, dans la journée, les Heures étaient dites régulièrement, et

271. Vincent, Théophile, Popiel (ou Chociak Popiel), né à Czaple Wielkie, diocèse de Cracovie le 29.6.1825, études à Kielce 1847-1849, à Louvain 1849-1852, docteur en théologie à Rome ; prêtre le 5.8.1849. Professeur de théologie au séminaire de Kielce de 1854 à 1862. Recteur de l'académie de Varsovie en mai 1862. Évêque de Plock le 16.3.1863. Sacré à Varsovie le 6 ou le 13.12..1863 par Henri Platers, évêque titulaire de Mosynopolis, assisté de Mgr Myslinski prélat de S.S. et M. Balinski, chanoine. Évêque de Wloclawek le 5.7.1875 ; archevêque de Varsovie le 15.3.1883. Il est décédé le 7.12.1912.

272. Mère Casimire de Saint-Louis-de-Gonzague. Née à Olsztyn le 3.9.1829 (Nord-

Est de la Pologne). Vêture le 4.10.1848 ; Profession le 1.9.1850. Décès le 20.10.1892.

426 l'adoration perpétuelle, grâce aux efforts de ces héroïques épouses du Christ, ne fut jamais interrompue. Néanmoins, la communauté s'éteignait. Les bonnes mères anciennes le voyaient, et les yeux pleins de larmes, suppliaient le Seigneur de ressusciter leur cher couvent.

Cependant, l'horizon s'assombrissait. Les nouvelles de fermeture de monastères, et de déportations des religieuses, étaient de plus en plus fréquentes, et étreignaient de terreur le coeur des bénédictines. Le même sort pouvait leur échoir à tout instant. Et comme ces actes de violence étaient ordinairement accomplis de nuit, les religieuses, en se couchant, s'attendaient chaque soir, à être réveillées par l'alarme de la police russe, leur apportant l'ordre de l'exil. Chacune tenait donc auprès de son lit, les choses indispensables, pour pouvoir faire un baluchon en cas de nécessité et être prête à partir sur-le-champ.

Il arriva un moment où la communauté ne disposa plus du nombre suffisant de moniales pour l'adoration perpétuelle de nuit et de jour. Elles furent donc autorisées par l'Ordinaire à faire appel à quelques personnes pieuses, qui entrèrent en clôture pour prêter leur concours aux adoratrices. On les qualifiait de « victime ». Elles partageaient la vie de prière et de travail des soeurs, observaient la Règle, et émettaient même en secret les voeux de religion, dans l'espoir d'être un jour officiellement admises dans la communauté, et de porter le saint habit. Elles ne dépassaient pas, en général, le nombre de quatre. Plusieurs, lassées par une trop longue attente, quittèrent le monastère. C'est une oblate bénédictine laïque qui vaquait aux affaires extérieures de la maison.

Telles étaient les conditions de vie du monastère au début du XXe siècle. Avec l'avènement de Nicolas II 273 au pouvoir, une lueur d'espoir s'était allumée pour la Pologne. Elle s'éteignit rapidement. C'est en 1905 seulement, que l'empereur promulgua un oukaze de tolérance religieuse, et que les persécutions perdirent quelque peu de leur rigueur. On permit de rouvrir les noviciats. Cette grande nouvelle fut accueillie par nos soeurs avec une joie inexprimable. Le Dieu des miséricordes avait exaucé leurs ferventes prières et leurs

273. Nicolas II (1868-1918), dernier tsar de Russie (1894-1917), Nicolas, Alexandrovitch, influençable à l'excès, vécut dans l'ombre de son père, Alexandre III, jusqu'à son avènement. Dès le début de son règne une rupture s'établit entre le pouvoir et l'opinion qui ne fera que se renforcer. Le tsar se laissa, en effet, dominer toute sa vie par sa femme Alexandra Feodorovna, princesse de Hesse. La révolution de février 1917 entraîna l'abdication de Nicolas II (15 mars). Le tsarisme et trois siècles de Romanov ont pris fin, remplacés par Lénine en novembre 1917. Le tsar et sa famille, gardés à vue à Tsarskoïe Selo, puis emprisonnés à Tobolsk en Sibérie et transférés à Ekaterinbourg, furent massacrés dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918.

427 voeux les plus ardents. Elles étaient si heureuses d'avoir tenu bon pendant ces quarante dernières années, de n'avoir pas perdu confiance, d'avoir espéré contre toute espérance (Rm 4, 18) , lorsque la main brutale du tyran empêchait le recrutement de nouvelles vocations ! Au moment de la réouverture du noviciat, les mères anciennes étaient au nombre de douze. La plus jeune, mère Colombe Iwanowska 274, était âgée de soixante-sept ans. La mère Stanislas Romecka avait rempli la charge de prieure pendant tout le temps de la fermeture du noviciat. Elle avait mérité la confiance des soeurs, grâce à sa haute vertu, sa grande charité, son humilité, sa douceur, et une sagesse toute surnaturelle. Les ecclésiastiques eux-mêmes, venaient lui demander conseil. Les vocations sacerdotales lui tenaient beaucoup à coeur. Elle vint en aide à de nombreux séminaristes, en quêtant, pour leur procurer les fonds nécessaires à la poursuite de leurs études. Le temps du priorat de mère Stanislas Romecka coïncide avec les années les plus difficiles pour la Pologne, et pour notre communauté. Aussi, a-t-elle beaucoup souffert, et vers la fin de sa vie, elle eut encore à endurer bien des tribulations. Ce qui lui fut particulièrement pénible, ce furent les instances des personnes, humainement parlant, fort sages, qui la pressaient de partager entre les différentes églises de la ville, les précieux souvenirs possédés par le monastère, afin qu'ils ne tombassent pas entre les mains ennemies, une fois les dernières religieuses décédées. Mère Stanislas, qui avait une foi inébranlable en la résurrection de sa chère maison, ne suivit pas ces conseils. Le Dieu tout-puissant ne permit pas qu'elle fût déçue. Une année avant sa mort, elle assistait, radieuse, à la réouverture du noviciat. D'une main tremblante de vieillesse et d'émotion, elle revêtit les nouvelles élues de l'habit monastique. Deux mois après, en la fête de saint Pierre et de saint Paul, toute sereine, elle quittait cette terre, âgée de quatre-vingt-cinq ans.

L'édit de tolérance de 1905 n'adoucit pas beaucoup le régime de persécution des congrégations religieuses. Le gouvernement russe entravait le développement normal des communautés catholiques en limitant le nombre des moniales. Dans notre monastère, il le fixa à quatorze. Nos mères recevaient néanmoins plus de sujets qu'il ne leur était permis, les aspirantes consentant à attendre une place vacante, occasionnée par la mort d'une religieuse, pour être officiellement admises dans la communauté et pensionnées par l'État. Elles portaient une robe noire et un bonnet avec un voile blanc, souvent pendant de longues années. Les soeurs n'étaient pas autorisées à

274. Micheline dc Saint Stanislas Kostka. Née à Kamieniec (Podlaskie) le 19.4.1839. Véture en 1863 ; Profession le 1.1.1864. Décès le 6.4.1915. Elle fut prieure du 2 _juillet 1907 jusqu’à sa mort.

émettre leurs voeux avant l'âge de trente ans, et seulement avec l'approbation du gouvernement, dont les délégués assistaient à la cérémonie. Ces fonctionnaires, couverts de décorations, occupaient les fauteuils en face de l'autel, et jetaient à travers les grilles des regards indiscrets et scrutateurs dans notre choeur, pour vérifier le nombre des « nonnes ». L'acte de naissance de chacune des moniales devait être envoyé à Saint-Pétersbourg. Non seulement, le choix de la prieure et de la sous-prieure étaient soumis au gouverneur général, mais les autorités russes s'ingéraient également dans d'autres affaires intérieures de la maison, comme la comptabilité, qui devait être établie en russe et contrôlée.

Cet état de choses se prolongea jusqu'à la guerre. Au mois d'août 1915, les Russes, pressés par les forces de l'armée allemande, quittaient Varsovie, en faisant sauter les ponts sur la Vistule, et en incendiant les bâtiments du gouvernement. Du faubourg Praga, situé sur la rive opposée du fleuve, ils tiraient sur la ville. Les Allemands ripostaient en lançant des projectiles de gros calibre. Cette effroyable canonnade dura trois jours. La Providence divine veillait sur nous, car pas une de nos soeurs ne fut blessée. Les balles pleuvaient, elles entraient par les portes et les fenêtres. On en trouva dans les lits et les armoires, mais elles ne firent aucun dégât sérieux. La seule victime fut un petit canard tué au milieu de la basse-cour. La misère et la famine, que cette terrible guerre engendra, se firent péniblement ressentir au monastère. Les dons des généreux bienfaiteurs ne suffisaient pas à subvenir aux besoins. On fut obligé de vendre les meubles : pianos, lustres, toiles anciennes. Le bois provenant des armoires, commodes et autres meubles servait à entretenir le feu dans les cheminées pendant les mois d'hiver. On brûla aussi des tableaux de moindre valeur et des bréviaires hors d'usage. La nourriture était malsaine et insuffisante. Aussi, les pauvres religieuses mouraient-elles presque de faim. Un jour, la soeur dépensière n'eut rien à servir à dîner, sauf une poignée de pois qu'elle trouva au jardin.

Enfin se leva pour la Pologne, le jour ardemment désiré et attendu depuis tant d'années par tous les coeurs patriotes : le jour de sa résurrection. Une confiance inébranlable en la divine Providence, les prières ferventes, qui, près de cent-cinquante ans ne cessèrent de monter vers le ciel, implorant la libération, le sang abondamment versé pour cette sainte cause, par l'héroïque jeunesse polonaise obtinrent la faveur de Dieu. Le traité de Versailles (28 juin 1919). qui mit fin à la première guerre mondiale, restitua à notre pays. ses droits et son rang parmi les États européens. Un enthousiasme indescriptible s'empara de toute la nation. Il se traduisit par d'émouvantes manifestations patriotiques, et par de solennels offices d'action de grâces. Notre monastère partagea la joie universelle. Avec 429 l'indépendance de la Pologne, notre institut, persécuté depuis si longtemps, recouvrait enfin l'intégrité de ses droits et l'entière liberté de son développement. Des hymnes de gratitude s'élevèrent de tous les coeurs vers le Christ présent dans l'Eucharistie.

Grâce à ces conditions plus favorables, la communauté s'agrandit : neuf jeunes soeurs prirent le saint habit. Cependant, les temps étaient toujours aussi difficiles.

En 1920, l'invasion bolcheviste saccagea le pays, et il y eut une telle baisse du mark polonais que les prix montèrent de façon stupéfiante. La prieure, mère Marie Josèphe de la Nativité (Alesandrine Korybutt-Daszkiewicz) était alors âgée de quatre-vingts ans. D'un dévouement sans bornes et toujours prête à la tâche, cette vaillante supérieure employa toutes ses forces à trouver des moyens de subsistance pour son monastère. Souvent, les soeurs travaillaient des nuits entières pour exécuter les commandes qu'elle avait réussi à se procurer. La mère Marie Josèphe était une fervente adoratrice du très Saint Sacrement. Elle aimait profondément la communauté, les offices au choeur et les traditions conventuelles. Elle survécut bien des années à toutes les mères anciennes, et fut le dernier témoin de la fermeture du noviciat après l'insurrection de 1863. Sa mémoire ne lui faisait jamais défaut, elle était comme un lien entre la nouvelle génération des religieuses et celle du passé, dont elle leur transmettait pieusement les souvenirs. Elle s'endormit dans le Seigneur, le 13 février 1931, à l'âge de quatre-vingt-treize ans, conservant presque jusqu'à la fin son entière lucidité. La messe des funérailles fut célébrée par Son Éminence le cardinal Kakowski 275, qui l'avait toujours beaucoup appréciée, et goûtait sa conversation, si vivante et pleine d'entrain.

En 1921, la mère Marie Anne du Patronage de saint Joseph (Victoire Kowalska) fut élue prieure. Elle appartenait à la jeune génération. La misère au couvent était encore bien grande, et les moniales employaient leurs journées à confectionner du linge de sacristie et des ornements liturgiques.

275. Alexandre Kakowski né à Sembine, diocèse de Plock le 5 février 1862 ; prêtre le 30.5.1885. Professeur au grand séminaire de Plock en 1887 ; supérieur en 1898; chanoine en 1901 ; prélat le 12 janvier 1911 ; recteur de l'académie de Pétrograd en 1910. Archevêque de Varsovie le 7 mai 1912. Sacré le 22.6. à Pétrograd, paroisse Sainte-Catherine, par Stanislas Zitowiecki évêque de Wloclawek, assisté de Jan Ciepiak, évêque d'Evarie et Longin Rarnowiewski, évêque de Mosynopolis ; Cardinal le 15.12.1919 du titre de Saint-Augustin. Décédé le 30.12.1938. Le 28 octobre 1919 il conféra l'épiscopat à Achille Ratti (Pie XI), nonce en Pologne. Dès que la résurrection de la Pologne fut en vue, Rome avait dépêché en 1918, Mgr Ratti, alors simple prélat, pour s'occuper des affaires religieuses du pays.

430

Le révérend père Raymond Thibaut 276, bénédictin de l'abbaye de Maredsous en Belgique, ayant entendu parler des difficultés matérielles du monastère de Varsovie, fit appel à la générosité des lecteurs de la Revue liturgique et monastique, dont il était un des rédacteurs. Aux nombreux dons qui affluaient, et qu'il envoyait avec joie à la communauté, il joignait toujours une lettre pleine d'encouragement. Il manifestait à notre égard une bonté vraiment paternelle. Notre monastère lui doit beaucoup de reconnaissance pour sa grande charité.

Les maisons de notre institut à l'étranger, elles-mêmes si éprouvées par la guerre, vinrent aussi à notre secours. Le souvenir de leur fraternelle charité est resté profondément gravé dans nos coeurs. Les communautés de Caen et de Rouen ont été particulièrement généreuses. Que le Bon Dieu le leur rende au centuple.

Monseigneur Achille Ratti, plus tard Sa Sainteté Pie XI, fut si filialement aimé des coeurs polonais, qu'ils l'appelaient tendrement : « Le pape polonais ». Il honora maintes fois notre couvent de ses courtes visites. Constatant l'extrême indigence des bénédictines, il leur disait avec une sympathie vraiment compatissante : « Comme je vous plains, mes pauvres sacramentines ! » Souvent, n'ayant pas le temps de descendre de voiture pour se rendre au parloir, il ne s'arrêtait qu'à la porte du cloître, pour recommander aux prières des religieuses des cas difficiles, et qui lui tenaient à coeur.

Lors de son départ de Pologne, survenu en un court délai, il ne put faire ses adieux qu'aux personnages les plus éminents de la ville. Mais sur sa liste, il daigna faire inscrire aussi les bénédictines du Saint-Sacrement. Les dernières paroles qu'il nous adressa en polonais furent : « Au revoir, au ciel ».

Notre monastère n'était plus à ce moment-là, qu'un amas de ruines. La mère prieure fit des démarches auprès du gouvernement polonais, afin d'obtenir des ressources pour les réparations les plus urgentes. En tout premier lieu, celle du mur de clôture, qui s'était effondré sur la longueur de six mètres dans le jardin voisin. On quêta à cette intention à l'église, et un peu partout. Vers la fin de 1924, le gouvernement alloua une pension mensuelle, qui nous permit de consolider les fondations des bâtiments. Cette pension était octroyée en dédommagement des biens spoliés par le gouvernement russe en 1865. On restaura le rez-de-chaussée et le premier étage, et on répara la toiture. C'est partir de cette époque, que la communauté se

276. Raymond Thibaut né le 15.10.1877. Profession à l'abbaye de Maredsous (Belgique) le 20.3.1898. Prêtre le 24.8.1902. Décédé le 29 novembre 1962. Secrétaire de Dom Marmion dont il a écrit la vie et édité les oeuvres après la mort de celui-ci.

431 mit à fabriquer les pains d'autel, et grâce à la sollicitude paternelle de Son Eminence l'archevêque, la fabrication se développa, ce qui améliora beaucoup notre situation financière.

A partir du priorat de la très révérende mère Jeanne Byszewska 27, élue prieure le 28 septembre 1927, les travaux de restauration avancèrent rapidement. Le deuxième et le troisième étages terminés, on y logea le noviciat, de plus en plus florissant.

La réfection des bâtiments, la bonne situation financière, et le nombre croissant de postulantes, contribuèrent à vivifier l'esprit monastique et à faciliter la stricte observance de la Règle et des Constitutions. (La mère prieure reçut quinze religieuses à la profession de 1928 à 1938).

Profondément pénétrées du devoir de réparation due à Jésus-Hostie, pour les outrages qu'il subit à chaque instant en son sacrement d'Amour, les moniales désirèrent faire rayonner leur oeuvre en associant des laïques à leurs prières au Dieu de l'Eucharistie. Dans ce but, la très révérende mère obtint de l'autorité ecclésiastique, la permission d'exposer quotidiennement le très Saint Sacrement depuis huit heures du matin jusqu'à cinq heures de l'après-midi.

Avec l'amour de Jésus-Victime, se développa le culte du Saint Sacrifice, et l'esprit liturgique, traditionnel dans notre ordre, prit un nouvel essor. Le nombre des jeunes soeurs fut bientôt suffisant pour que l'on puisse reprendre le chant grégorien, et la récitation nocturne de Matines et de Laudes. Le chant résonna, de plus en plus ample, sous les voûtes du choeur conventuel. Mais l'église délabrée

277. En 1927, en raison d'un accord avec la communauté des bénédictines de Staniatki (près de Cracovie), la mère Janina Byszewska, moniale de cette abbaye, fut choisie comme prieure de Varsovie. Le 21 juin 1932, six monastères de moniales se réunissaient en congrégation, sous le vocable de l'Immaculée Conception. C'étaient les abbayes de Lomza, Lwow, Nieswiez, Przemysl, Staniatki, Wilno. Leur visiteur nommé par Rome fut le père abbé de l'abbaye d'Emmaüs de Prague, Dom Eernest Vykoukal.

Dom Vikoukal, né le 7 mai 1879, fit profession le 11 novembre 1901, et reçut le sacerdoce le 22 septembre 1906. Élu abbé le 18 septembre 1925, il reçut la bénédiction abbatiale le 27 septembre suivant.

L'abbaye de Prague fut fondée en 1348 par l'empereur Charles 1V et restaurée en 1635 par Ferdinand Ill, enfin relevée en 1880 par l'empereur François Joseph lef avec l'aide de moines de l'abbaye de Beuron. Cette abbaye n'existe plus. Ce fut le R.P. Charles Van Oost, profès de l'abbaye Saint-André de Bruges, qui lui succéda en qualité de visiteur. Né le 6 avril 1899, il fit profession le 11 novembre 1918, reçut le sacerdoce le 26 août 1923. Il demeura à l'abbaye de Tyniec de 1928 à 1952, et il en fut supérieur ; il fut ensuite envoyé au prieuré de Lubumbashi (Elisabethville, Zaïre) où il séjourna dix ans. Il est retourné depuis dans son abbaye de profession. Le R.P. Van Oost a beaucoup aidé nos monastères polonais et il reste très attaché à notre institut.

n'était plus un temple digne du Seigneur. Confiantes en la divine providence qui ne déçoit jamais, les religieuses résolurent de restaurer, coûte que coûte, leur église, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, et de remplacer le toit en zinc de la coupole, ancien, abîmé et percé, par un toit neuf en cuivre. Ces travaux ne furent achevés qu'en 1936. Cette fois encore, le Dieu des miséricordes n'abandonna pas ses fidèles servantes, et leur permit de mener à bien l'oeuvre commencée. Le coeur paternel de son excellence l'archevêque Stanislas Gall 278, supérieur vénéré de notre communauté, contribua beaucoup, par des dons généreux et de sages conseils, à la réussite de cette entreprise qui dépassait nos forces. On essaya de conserver intégralement le style de l'église et du choeur conventuel, et de rester fidèles aux intentions des fondateurs royaux. Aussi cette église, qui est un vrai joyau de notre capitale, a-t-elle repris son aspect primitif.

C'est dans ce beau décor que vont se dérouler les cérémonies solennelles du jubilé de 1938.

Qui pourrait dire les sentiments de profonde reconnaissance qui montent du coeur des bénédictines vers Dieu ? Lui, qui a voulu montrer, d'une manière quasi miraculeuse, sa prédilection pour ce sanctuaire, où il est loué, et qui semblait condamné à périr. Une terrible épidémie qui décima la population, le manque de vivres, les persécutions des Russes, les balles de l'ennemi, tous ces fléaux et des tribulations sans nombre, enfin la guerre mondiale de 1914-18 avec toutes ses terreurs et toutes ses misères, tout cela aurait dû largement suffire pour disperser ce petit groupe de femmes, et anéantir une oeuvre si fragile en apparence. Et pourtant, ce petit troupeau résista et surmonta tous les obstacles sans interrompre la tâche qui lui était dévolue : l'adoration perpétuelle du très Saint Sacrement. Il resta inébranlable, car la main de Dieu reposait sur lui (Ps 139, 5) . Combien Dieu est admirable ! Avec quelle tendre sollicitude et quel profond amour, il veille sur ceux et celles qui se confient entièrement en sa divine providence !

Puisse ce récit, en témoignant de la puissance miséricordieuse de Dieu, lui procurer la plus grande gloire, selon la devise de notre illustre et saint Patriarche saint Benoît : ut in omnibus glorificetur Deus (Règle 57-9) .

278. Stanislas Gall, né à Varsovie le 21 avril 1865 ; prêtre le 29 juin 1887. Doyen du chapitre cathédrale, évêque titulaire d'Halicarnasse et auxiliaire de l'archevêque de Varsovie à Lowiez le 29.7.1918. Sacré le 17 novembre suivant dans la cathédrale Saint-Jean-de-Varsovie par Stanislas Kakowski, archevêque, assisté de Casimir Ruszhiewiez, évêque de Nacolia et Adalbert Owezaca évêque d'Ascalon. Aumônier en chef de l'armée polonaise du 5.2.1919 à décembre 1931. Archevêque titulaire de Carpathus, restant auxiliaire de l'archevêque de Varsovie, le 16 février 1933. Il est décédé le 11 septembre 1942.

433

APPENDICE II

Acte à Notre Seigneur Jésus-Christ pour le premier jour de l’année

Jésus mon adorable Sauveur qui avez consacré le premier moment de votre vie à faire la divine volonté de votre Père, portant au milieu de votre coeur une loi de sacrifice en qualité de victime de sa gloire, nous venons humblement prosternées aux pieds du trône de vos divines grandeurs pour adorer le premier instant de votre vie mortelle et l'état d'abaissement dans lequel vous vous êtes réduit pour la gloire de votre divin Père et, pour le salut des hommes.

O très aimable Jésus, en l'honneur et union de vos saintes dispositions, nous vous adorons, nous vous aimons, et nous vous glorifions comme notre Dieu, et notre Sauveur, qui nous avez rachetés au prix de votre sang précieux. Nous vous offrons et consacrons tous les moments de notre vie, vous suppliant de nous faire la grâce de n'en user jamais que pour vous et que tous les désirs, et mouvements de nos coeurs, toutes nos pensées, nos paroles, et nos actions durant cette année et toute notre vie, soient autant d'actes d'amour, d'adoration et de louanges par lesquels nous puissions vous honorer autant qu'il nous sera possible.

Nous vous offrons aussi toute la gloire et les louanges qui vous seront données cette année, et à jamais, par toutes les créatures ; nous adorons vos jugements et les desseins que vous avez sur nous, nous nous soumettons en toutes choses à votre divine volonté, nous acceptons, et embrassons pour l'amour de vous,toutes les peines de corps et d'esprit que nous aurons à souffrir durant cette vie, et particulièrement cette année qui sera peut être la dernière qui nous reste à vivre, nous la regarderons comme telle, et dans cette disposition nous l'emploierons à réparer les années passées. Donnez-nous en la grâce et tous les secours dont nous avons besoin selon les desseins de votre miséricorde sur nous ; bénissez tout notre être et ses opérations, animez-nous de votre Esprit, afin que nous puissions consommer toute notre vie pour vous, comme vous avez consumé la vôtre, pour la gloire de votre divin Père. Ainsi soit-il.

O Vierge très pure, Mère de mon Sauveur et mon Dieu, nous vous honorons et révérons autant qu'il nous est possible, et toutes les saintes dispositions de votre âme, dès le premier instant de votre vie auquel vous avez commencé d'aimer et glorifier Dieu d'une manière très parfaite. O Mère de bonté et de miséricorde, suppléez pour nous envers votre divin Fils, et nous obtenez de lui les grâces nécessaires pour ne vivre uniquement que pour lui en imitant votre pureté, votre humilité et votre esprit de sacrifice, afin qu'en qualité de vos filles, nous puissions être avec vous une même victime immolée, avec Jésus-Christ, à la gloire de Dieu son Père. Ainsi-soit-il.

AUTOGRAPHE, ARCHIVES DU MONASTÈRE DE ROUEN

Extrait du bref du Souverain Pontife Pie VI

Portant approbation et confirmation de la fondation du monastère du Saint Sacrement de Varsovie, de toutes les conditions y stipulées, et notamment de la clause qui ordonne que des quatorze religieuses qui doivent composer cette communauté, il y en aura toujours huit tirées des monastères de France.

435

PAPE PIE VI

Pour servir de Mémoire à la postérité. Nous ne devons pas douter que Dieu ne soit l'auteur des bonnes oeuvres et des pieux désirs : c'est lui qui donne toujours la force de mettre à exécution les nobles desseins qu'il inspire. Nos bien-aimées filles, en Jésus-Christ, Marie Ursule de Przebendowska et Marie des Anges, religieuses professes de l'ordre de Saint-Benoist de l'Adoration perpétuelle du Saint Sacrement, dans le monastère de Varsovie depuis peu, nous ont fait représenter qu'en l'année 1688, Marie Casimire, d'heureuse mémoire, reine de Pologne, a fondé et doté un monastère de leur ordre dans la ville de Varsovie ; qu'elle a chargé les religieuses d'offrir leurs prières, nuit et jour, au très Saint Sacrement, pour la reine fondatrice, le roy son époux, et tous les États du royaume de Pologne, et d'élever la jeune noblesse du royaume dans la piété chrétienne ; qu'à cet effet elle a ordonné, dans l'acte de fondation, que des quatorze religieuses qu'elle fondait, il y en aurait toujours huit qui seraient tirées des monastères du Saint Sacrement, établis en France. En sorte que l'une venant à décéder, une autre, de la même nation, devait venir occuper sa place ; que l'évêque de Varsovie, en érigeant ce monastère, avait réservé l'approbation et confirmation de cette dernière clause à l'autorité du Saint Siège, parce qu'elle excédait le pouvoir de sa juridiction. Qu'on ignore si cette confirmation a été demandée et obtenue dans le temps ; que, pendant la vie de la reine elle a été exécutée à la lettre ; mais que, depuis sa mort, les établissements humains allant toujours en dégénérant, on a si fort négligé l'exécution de cet article de la fondation, que depuis plusieurs années, il n'existe plus que deux religieuses françaises dans la maison de Varsovie ; les dites suppliantes ajoutaient qu'elles et plusieurs autres religieuses désiraient de voir ce monastère rétabli dans son ancien état, qu'elles avaient obtenu de notre très chefs fils en Jésus-Christ, Louis, Roi très chrétien, son consentement afin que les religieuses de son royaume, qui seraient demandées, pussent librement se transporter en Pologne, et que plusieurs monastères de leur ordre, établis en France venaient d'accepter librement et volontairement la dite fondation, avec l'agrément des évêques dans les diocèses desquels ces monastères sont fondés : qu'afin que cette disposition de la fondation, qui concerne les religieuses françaises, soit désormais exécutée avec plus de fidélité et d'exactitude ; elles nous faisaient supplier de vouloir bien approuver et confirmer la dite fondation, pourvoir à ce qu'elles puissent voir leurs demandes accomplies et user d'indulgence à leur égard.

Nous, voulant favoriser un aussi louable dessein et combler de grâces et de faveurs spéciales les deux dites religieuses, et les autres susdites ; après les avoir relevées des censures qu'elles pourraient avoir encourues, afin de jouir de l'effet des présentes, levé, et réparé toutes les nullités qui pourraient s'être glissées dans les dits actes, faisant droit à leur requête, de l'autorité apostolique par la teneur des présentes : nous approuvons et confirmons la dite fondation faite par Marie Casimire, reine de Pologne, avec toutes les conditions et clauses y mentionnées, et notamment l'article qui porte que des quatorze religieuses qui composent cette communauté de Varsovie, il y en aura toujours huit qui seront tirées des monastères établis en France : Nous voulons que la dite fondation ait toute la force et la consistance des établissements faits par l'autorité inviolable du Saint Siège apostolique, suppléant à tous les défauts de droit ou de fait, s'il s'y en trouvait quelqu'un.

De plus, toutes les fois qu'une des places fondées pour les religieuses françaises viendra à vaquer, nous donnons aux religieuses de France qui en seront requises, plein pouvoir et ample faculté de passer en Pologne, à l'effet de remplir la dite fondation.

Et de peur que les dites translations ne soient à charge aux monastères de Paris, et aux autres situés dans le dit Royaume, et ne leur causent quelque dommage ou préjudice, nous ordonnons et déclarons, que les dits transports et voyages doivent être faits entièrement aux frais du monastère de Varsovie. Voulons et ordonnons que les présentes lettres aient leur plein et entier effet et que tous ceux que leur exécution regarde ou regardera, les observent inviolablement : si quelques juges ordinaires ou délégués, même les auditeurs des causes du Palais, les cardinaux de la sainte Église de Rome, les nonces du Saint-Siège apostolique, faisaient quelque chose de contraire aux dispositions des présentes, après leur avoir ôté tout pouvoir de juger et interpréter autrement, nous déclarons, nul et de nul effet, tout ce qu'ils auraient attenté aux préjudices des présentes. Et ce, nonobstant toutes les autres constitutions apostoliques, lois ecclésiastiques, statuts, coutumes, usages des dits monastères de France, privilèges, indults, lettres apostoliques, à ce contraire, auxquels pour cette fois nous dérogeons spécialement et expressément.

Donné à Rome, à Saint-Pierre, sous l'anneau du Pescheur, le vingt-huit janvier de l'an de notre Seigneur 1783, et de notre pontificat le huitième.

Signé cardinal de Conti

ARCHIVES DU MONASTÈRE DE PARIS CONSERVÉES AU MONASTÈRE DE ROUEN - M 2 - original

437

Religieuses françaises parties en Pologne

Beagle Anne Catherine — de saint André Victime de Jésus. Née à Lille le 25.4.1750. Vêture le 3.1.1773 à Caen ; Profession le 19.7.1774 à Caen entre les mains de la révérende mère Marie Françoise de sainte Flavie, prieure. Départ pour la 2e fondation de Lwow le 12.2.1786, puis au ler monastère de Lwow le 13.8.1791. Prieure de 1797 à son décès à Lwow le 9.2.1799. Cette religieuse était aussi parfois nommée Marie Catherine Françoise de saint André. (Archives du monastère de Caen).

Beauvais de Gentilly (de) Radegonde — Radegonde de la Présentation. Née le 19.2.1652. Vêture le 7.11.1667 au monastère de la rue Cassette ; Profession le 3.8.1669 entre les mains de mère Mectilde du Saint-Sacrement de Bar. Elle fut prieure du monastère de Varsovie de 1688 à 1691. Décédée à Paris le 12.11.1737. (cf. Notice nécrologique de cette religieuse, chapitre V).

Beudon Xainte — Marie de la Croix. Née à Paris le 4.8.1658. Vêture le 22.10.1678 à Toul en qualité de saur converse ; Profession le 7.8. 1680 à Toul. Départ pour Varsovie en 1699, rejoignit à Lwow mère Madeleine Dauvergne en 1709. Décédée à Lwow le 24.4.1746. — Fille d'Estienne Beudon, manoeuvre, et de Marie Garlay ou Jarlet, baptisée le 4.8.1658 en l'église Saint-Jacques du Haut-Pas à Paris. Parrain : Pierre Le Gendre, paroisse Saint-Benoît ; marraine : Xainte Chaux, fille de Louis Chaux, sergent royal, paroisse Saint-Cosme. Certificat délivré le 23.1.1680, signé du prêtre vicaire de Saint-Jacques : Chaudon. — Monsieur Chaux, l'interprète dont il est parlé au cours du récit du voyage faisait peut-être partie de la famille de cette religieuse.

Blanc de la Beaume Delphine — Jeanne. Née à Graçay (Cher), au diocèse de Bourges le 1.8.1708. Vêture le 4.12.1726 ; Profession le 5.4.1728. Décédée à Varsovie le 24.4.1789.

Bompard Geneviève — Suzanne de la Passion. Née à Paris en 1666 ; Vêture en 1681 au monastère de la rue Cassette ; Profession en 1682. Maîtresse des novices à Varsovie, après l'élection, comme prieure, de mère Marie de Jésus Petigot, le 2.7.1691, elle fut ensuite prieure de ce monastère le 2.7.1700. Atteinte de la peste au cours de la grave épidémie de 1708, elle offrit sa vie pour la cessation du fléau et décéda à Varsovie le 23.8.1708. Un mausolée fut élevé dans l'église du monastère pour perpétuer le souvenir de son héroïque charité.

Bompard Anne — Marie de saint Bernard. Née à Paris en 1669. Départ de Paris le 25.8.1688. Arrivée à Varsovie le 14.10.1688. Vêture le 2.2.1689 à Varsovie ; Profession le 16.2.1690. Décédée à Varsovie le 26.7.1749.

Boust (des) ou Boutz (de) Louise — de sainte Mectilde. Née à Fontainebleau le 22.10.1695. Arrivée à Lwow le 2.8.1719. Vêture le 7.9.1721 à Lwow ; Profession le 27.12.1722. Décédée le 20.4.1768.

Boutilly ou Boutillier Agnès Françoise — M. du Saint-Esprit. Profession le 10.2.1687 à Saint-Louis-au-Marais entre les mains de la mère prieure, Marie de saint François de Paule. Départ pour Varsovie en 1695. Retour en France en 1698.

Brenot Marie — Scholastique de Jésus. Née à Paris le 24.10.1666. Vêture le 5.1.1687. Départ pour Varsovie septembre 1687, y fait son noviciat ; Profession le 9.1.1689. Elle fut prieure du monastère de Varsovie du 2.7.1721 au 2.7.1730. Décédée à Varsovie le 26.4.1758.

Bresson Louise, Catherine — M. de sainte Cécile. Née à Paris le 3.2.1703. Arrivée à Lwow le 2.8.1719, elle commença son postulat avec ses deux compagnes le 27.11.1719. Vêture le 15.3.1722. Elle ne put faire Profession que le 3.6.1731. Décédée à Lwow le 26.2.1773.

Briot Béatrice — mère de Sainte Marthe. Née à Avancourt le 25.10.1683. Entrée à Lwow le 11.1.1722. Profession en qualité de soeur converse le 7.3.1723. A offert sa vie pour mère Louise de l'Incarnation Guion qui fut guérie. Décédée à Lwow le 19.3.1738.

Cheuret Marie-Marguerite — Mectilde du Saint-Sacrement. Vêture le 26.10.1668, âgée de 17 ans. Profession le 18.10.1669 au monastère de la rue Cassette. Elle vint à Rouen en 1677. Partie de Paris en 1687, elle resta à Varsovie jusqu'au 17.4.1691. Décédée rue Cassette le 6.3.1725.

439

Clausier Anne — Mère de saint Maur. Née à Paris en 1664. Départ de Paris le 25.8.1688. Arrivée à Varsovie le 14.10.1688. Vêture le 2.2.1689. Profession le 16.2.1690. Décédée à Varsovie le 26.1.1737.

Darly Charlotte — Mère de saint Bernard. Née à Paris le 4.3.1670. Vêture le 21.11.1686 à Toul. Profession le 11.7.1688 entre les mains de mère Marie Anne de Sainte Magdeleine, prieure. Arrive à Varsovie en 1699, ensuite à Lwow en 1709. Décédée à Lwow le 6.12.1754 où l'obéissance l'avait envoyée ». — Fille de François Darly, marchand bourgeois de Paris et de Charlotte Gaultier, baptisée le mardi 4.3.1670 entre 6 h et 7 h du soir (née à 7 h 1/2 du matin) paroisse Saint-Merry à Paris. Parrain : Charles Duvaut, agent de change en banque ; marraine : Marie Gaultier, femme de Ivan Le Masson, marchand drapier, bourgeois de Paris. Signé des susdits plus : de Vriselieu (?) avec paraphe. Certifié conforme à l'original, 28.6.1677. Signé Bonnet.

Dauvergne ou d'Auvergne Marie Anne — Mère Anne de sainte Magdelaine. Née à Paris le 4.10.1654. Vêture le 17.4.1678 à Toul. Profession le 8.10.1679. Arrive à Varsovie avec le premier groupe de fondatrices en septembre 1687. Sous-prieure et maîtresse du pensionnat, puis prieure du 2.7.1697 au 2.7.1700.

Elle quitta Varsovie en 1708 en raison de l'épidémie de peste. Fondatrice du monastère de Lwow qu'elle dirigera en qualité de sous prieure du monastère de Varsovie ; elle fut élue 1 re prieure de cette maison en 1720. Elle y décéda le 7.7.1729 — Fille de Jacque d'Auvergne et de Dame Marie de Valiere (cf. acte de Vêture et charte de profession, archives du monastère de Toul).

Delatre Célestine — Julienne de saint Joachim. Née à Paris le 4.3.1819. Vêture le 29.6.1841 ; Profession le 15.10.1843. Décédée à Varsovie le 12.9.1859.

Demas Anne — Mère de Saint Augustin. Née à Grenoble le 10.10.1669. Départ de Paris le 25.8.1688. Arrivée à Varsovie le 14.1 0.1688. Vêture le 2.2.1689 à Varsovie. Profession le 16.2.1690. Décédée à Varsovie le 2.12.1736.

Faguet Catherine — mère Catherine de l'Assomption. Née à Paris le 7.3.1671. Vêture en 1695. Profession le 8.12.1698. Demeure à Lwow de 1736 à 1746.

Feuve Françoise — Françoise de saint Antoine. Née à Varsovie le ler.4.1669. Vêture en 1690 à Varsovie. Profession le 22.7.1691. Décédée en juillet 1732.

Fleurisel (de) Marie-Jeanne — Gertrude de Jésus. Née à Paris le 16.10.1679. Entrée au monastère de la rue Cassette le 24.2.1700. Profession le 16.10.1701. Arrivée à Lwow le 2.8.1719. Élue prieure

de ce monastère à la mort de mère d'Auvergne en 1729, elle demeura dans cette charge jusqu'en 1741. Décédée à Lwow le 1".11.1757.

Fusière (de) Micheline-Elisabeth — Marie de saint Benoît. Départ de Paris le 25.8.1688 ; arrivée à Varsovie le 14.10.1688. Rentrée en France quelques années plus tard.

Giron Marie — de saint Ovide. Comme sa compagne, la soeur Thérèse de Jésus Philippe, elle quitta le monastère pour le service de la reine Marie-Casimire.

Gobard Hélène — Catherine du Saint-Sacrement. Née à Saint-Malo en Bretagne. Vêture en mars 1687 à Saint Louis au Marais. Départ pour Varsovie septembre 1687, y fait son noviciat. Profession le 9.1.1689. Retour à Paris le 17.4.1691. Sous prieure à Saint-Louis au Marais en 1700.

Grandjour Stéphane — de Saint Joseph. Converse. Départ pour Varsovie en septembre 1687. Elle resta à Varsovie jusqu'en 1698 et revint en France avec mère Marie de Jésus Petigot. Très appréciée de la reine Marie Casimire, elle fit partie, à la demande de cette dernière, du petit groupe des religieuses appelées à Rome par la reine en 1702.

Grandville Catherine — de sainte Rosalie. Née à Toul le 22.9.1724. Vêture le 21.9.1744 à Lwow. Profession le 20.2.1746. Décédée à Lwow le 5.1.1761.

Guion Marie — Louise de l'Incarnation. Née à Paris le 23.1.1681. Entrée au monastère de Saint-Louis au Marais le 25.3.1702. Profession le 8.5.1705. Arrivée à Lwow le 2.8.1719. Décédée à Lwow le 26.5.1763.

Le Masson Françoise — Marie de Saint-Bernard. Née paroisse Naint-Nicolas de Rouen. Vêture le 20.4.1777. Profession le 12.5.1778 entre les mains de mère Marie de la Victoire de la Mare, prieure. Départ pour Lwow le 12.9.1785. Décédée à Lwow le 5.12.1795. — Fille de Augustin le Masson et de Marie Anne Baudry.

Le Page de Méligny Barbe — Marie de la Nativité. Née et baptisée à Toul le 2.11.1664. Vêture le 14.8.1683 à Toul. Profession le 26.11.1684. Est à Varsovie en 1699. Décédée à Varsovie le 29.4.1730. — Fille posthume d'Honoré seigneur François Le Page de Magnicourt, seigneur de Méligny le Grand (Meuse), Bouch, Pixerécourt et Malzéville (Meurthe et Moselle), capitaine major du régiment de Turenne et de Dame Marie de Fligny.

Lombard Jeanne — de tous les Saints. Née à Paris le 19.7.1674. Départ pour Varsovie en 1687, étant postulante. Vêture le 10.4.1689. Profession le 23.7.1690. Part pour Lwow en 1709 (peste). Décédée à Lwow le 2.8.1732.

441

Maunoury Elisabeth - Bénédicte ou Benoît de la Passion. Née paroisse Saint-Barthélémy à Paris. Profession le 2.9.1681 à Rouen entre les mains de mère Mectilde du Saint Sacrement de Bar, pour lors prieure de la nouvelle fondation. Départ pour Varsovie en 1687. Revient en France avec le premier groupe de religieuses rentrant à Paris le 17.4.1691. — Fille de Jean Baptiste Maunoury et de Marie Facier.

Molette (Pétaut de) Madeleine - Marie de sainte Gertrude. Calviniste convertie. Vêture le 29.1.1657 au monastère de la rue Cassette ; Profession le 17.8.1659. Elle fut la 6e professe de notre institut. Elle fit partie des premières moniales fondatrices du monastère de Rouen en 1677, mais ne dut pas y rester plus de 2 ans. En 1684, elle est chantre, rue Cassette, et fait partie du Conseil de mère Mec-tilde du Saint-Sacrement en 1687. Départ. pour Varsovie en 1687. Revient le 17.4.1691 en France avec le premier groupe de religieuses (cf. Fondation de Rouen, Rouen, 1977, p. 55 et, sv.).

Morin Catherine - Marie de Saint Philbert du Saint-Sacrement. Née à Verdun le 20.2.1669. Vêture le 14.2.1686 à Toul. Profession le 8.6.1687. Départ pour Varsovie le 7.9.1699, puis Lwow 1709 (peste). Décédée à Lwow le 3.5.1730. Fille de Barthélémy Morin, pelletier, et de Marie Thierry, baptisée le 20.6.1669 en l'église de Saint-Pierre l'Angelé de Verdun. Parrain : Jacques Placide Gilles, fils de Jean Gilles, taillandier, et de Catherine Husson ; marraine : Catherine, fille d'Antoine Thierry, fourbisseur (?), et de Marguerite Chagot. Signé F. Liégeois, curé.

— Selon l'autorisation donnée le 30.4.1699 par l'évêque de Toul, Mgr Thyard de Bissy, à la demande de l'évêque de Varsovie, plusieurs moniales de Toul furent autorisées à rejoindre le monastère de Varsovie. Jeanne Morel, soeur Marie des Anges, avait été nommée en tête de liste. Elle ne put partir et fut remplacée par soeur Marie de Saint Philbert (Copie de l'original aux archives du monastère de Tourcoing).

Noisy Thérèse - Claire du Saint Sacrement. Née à Paris et baptisée le 21.12.1698. Vêture en 1731. Profession le 31.8.1732. Décédée à Varsovie le 12.8.1771.

Parrage de Mainvillers (du) - Thérèse des Anges, Profession au monastère de la rue Cassette. Départ pour Lwow le 12.9.1785. Décédée à Lwow au couvent des Clarisses Stary Saçez, le 29.1.1796.

Paulmier Françoise - Marguerite ou Marie de saint Joseph. Née en Normandie en 1633. Profession en 1683. Elle fut prieure à Varsovie après le retour des religieuses (épidémie de peste), 16.9.1709, jusqu'au 2.7.1718. Décédée à Varsovie le 8.2.1719.

Petigot Marguerite - Marie de Jésus. ' Vêture le 16.10.1669 à Toul. Profession le 23.10.1670. Partit pour Varsovie en septembre 1687. A cette date, elle était maîtresse des novices au monastère de Saint-Louis à Paris et le demeura à Varsovie au début de la fondation. Elle fut élue prieure le 2.7.1691 et le resta jusqu"au 2.8.1697. Elle quitta Varsovie le 12.6.1698. A la demande de la reine Marie- Casimire, elle partit pour Rome en septembre 1702 en vue de la fondation d'un monastère de notre Institut dans cette ville. Ce projet n'ayant pu se réaliser, elle rentra à Paris en septembre 1708. Décédée au monastère de Saint Louis au Marais, le 23.8.1718. — Baptisée en l'église Saint-Léon, qui appartenait alors aux chanoines réguliers de Saint Augustin fondés en 1090 et que venait de réformer saint Pierre Fourier.

Petitot Catherine - Marie Catherine de Jésus. Née à Chaumont (Haute-Marne) le 8.10.1666. Vêture le 1.6.1682 (?) à Toul. Profession le 10.3.1686. Départ pour Varsovie en 1699, puis Lwow 1709 (peste). Décédée à Lwow le 1.5.1740. — Fille de noble Estienne, conseiller du roi et président de l'élection de Chaumont, et de Damoiselle Jeanne Colinet, baptisée ce vendredi 8.10.1666 en l'église collégiale de Saint-Jean-Baptiste de Chaumont (diocèse de Langres). Parrain : Pierre, son frère ; marraine : Elisabeth, sa soeur. Sa soeur Jeanne — Gabrielle de sainte Ursule — avait fait profession le ler.1.1675 au monastère de Toul où elle est décédée le 8.3.1723.

Philippe Suzanne - Thérèse de Jésus. Fut une des deux novices qui quitta le monastère pour s'attacher au service de la reine MarieCasimire. Le récit du voyage à Varsovie laisse entendre qu'elle était accompagnée d'un proche parent, ce qui expliquerait le choix de cette soeur pour faire le « compliment » à la reine.

Elle rentra en France en 1698, quand la reine Marie-Casimire quitta la Pologne.

Ponteubert (Menier de) Madeleine Françoise - Gertrude de Jésus. Née à Paris le 11.1 1.1671. Vêture le 2.2.1689 à Varsovie. Profession le 16.2.1690. (Départ de Paris le 25.8.1688 ; arrivée à Varsovie le 14.10.1688.) Décédée à Varsovie le 5.11.1740.

Puchet Elisabeth - Marie de Saint-Michel. Née à Paris le 2.4.1679. Vêture le 23.4.1721 à Lwow en qualité de soeur converse. Profession le lef.1.1726. Décédée le`.1.1731.

Ranzeville Agathe Françoise - Marie de Sainte Scholastique. Née à Besançon le 3.3.1738. Vêture le 17.2.1799 à Lwow. Profession le 25.3.1800. Décédée à Lwow le 16.1.1808. — Venue à Lwow le 7 dé-443cembre 1798 avec le groupe des trappistines chassées de France par la Révolution et obligées de fuir devant les troupes napoléon1ennes jusqu'en Russie (cf. chap. IX et XII).

Tremblier Jeanne Renée — de Saint Anselme. Née en Anjou à Cha_ vaignes (Maine-et-Loire) le 28.12.1700. Arrivée à Lwow le 2.8.1719 (jeune postulante). Vêture le 7.9.1721 à Lwow. Profession le 6.6.1723. Décédée à Lwow le 16.6.1742.

INDEX

Des noms de personnes et de lieux mentionnés dans les notes.

Le premier chiffre indique la page, le chiffre entre parenthèse renvoie â la note.

Bieganowska (Marie Éléonore), 281

(125) - 286 (130).

Bielska (soeur Saint-Maur), 294 (144). Bielska (soeur de Saint-Jean), 294

367 (144).

Bielski (Boguslaw), 294 (144).

22). Biguet (soeur Sainte-Cécile), 382 (238).

Bilczewski (Mgr J.), 313 (167). 220). Bissy (Thyard de, Mgr), 224 (86). Blanc de la Baume (soeur Jeanne), 439. Blémur (soeur Marie de Saint-Benoit de),

216 (84) - 242 (93).

Bompard (soeur Marie de Saint-Bernard), 439.

Bompard (soeur Suzanne de la Passion), 82 (42) - 439.

Boni Fratres, 79 (39).

Bonnechose (cardinal, de), 348 (203). Borkemowna (soeur Saint-Antoine), 404. Boudon (Henri-Marie), 243 (97). Bouillon (cardinal, de), 41 (3) - 89 (50). Bouillon (Frédéric et Charles-Godefroy,

de), 72 (30) - 89 (50) - 259 (108). Bouillon (Emmanuel de), 89, (50). Bouillon (la princesse Caroline de), 89

(50).

Bourbon-Condé (Louise-Adelaide, mère M. Joseph de la miséricorde), 356 (209).

Boust ou Boutz (soeur de Sainte-Mechtilde), 439.

Boutilly ou Boutillier (soeur du Saint-Esprit), 439.

Boutry (soeur Barbe), 248 (101).

Brem (soeur Benoîte de la Passion), 378 (233).

Brenot (soeur Scholastique), 439. Bresson (soeur de Sainte-Cécile), 439. Brigitte (religieuse de sainte), 69 (27). Briot (soeur Marie de Sainte-Marthe),

439.

Buhigné (dom Joseph, Pélagie), 337 (200).

Byszewska (soeur Jeanne), 92 (56) - 432 (277).

A

Abbaye aux Bois, 242 (90).

d'Arques, 353 (208).

d'Avignon, 250 (102). Beaumont-Les-Tours, 119 (62). Bonne-Nouvelle, Rouen, 54 (14). Bonne-Nouvelle, Orléans, 336 (196). Domfront, 160 (71). Ferrières-en-Gâtinais, 337 (198). de Montivilliers, 160 (71). Montmartre, 242 (93).

Notre-Dame des Anges, Rouen, 52 (10).

Notre-Dame de Grestain, 58 (20). Notre-Dame de Liesse (Paris), 160 (70).

Saint-Amand, 52 (9).

Saint-Benoît-sur-Loire, 338 (201). Saint-Paul-les-Beauvais, 357 (210). Saint-Pierre de Solesmes, 366 (218) 370 (226).

Saint-Pierre-le-Vif, 337 (199). Saint-Wandrille, 58 (20). Sainte-Colombe de Sens, 337 (200). Sainte-Marie de Paris, 370 (226). Selles, 76 (38).

Abbayes : Pologne

Pultusk, 414 (254).

Sainte-Trinité (Przemysl), 267 (111). Saint Adalbert de Plock, 414 (254). Saint Jean de Mogilno, 414 (254). Saint Pierre et Saint Paul de Tyniec, 322 (182).

Sandomierz, 414 (255).

Sieciechow, 414 (253).

Staniatki, 323 (183).

Tous les saints, de Lwow, 269 (116). Bodney Hall, Angleterre, 420 (264). Saint André de Bruges, Belgique, 368 (222).

Sainte Marie de l'Assomption, de Prague, 386 (244).

Acte d'offrande, 73 (32).

Albertrandi Mgr, 360 (213).

Le Clerc (et la congrégation Notre - Dame), 367 (220).

André (Soeur Mélanie), 367 (220). Anet (Prieuré), 41 (3) - 178 (73). Ankiewicz Mgr, 310 (160). Artymowna (Soeur Rose), 380 (235). Auguste II Roi, 296 (148) - 315 (170).

Auguste III Roi, 315 (170) - 417 (260).

Avrillot Barbe (Mme Acarie), Marie de l'Incarnation, 228 (88), sa fille, Marguerite du Saint Sacrement, 228 (88).

B

Bar Catherine (Mère Mectilde du Saint

Sacrement), 101 (60) - 173 (72) - 227

(87) - 242 (93) - 243 (96) - 243 (97) -

352 (207) - 358 (211) - 378 (233). Bardo (monastère), 322 (180). Barejkowna (soeur Gertrude), 404. Barré (père Nicolas), 211 (83). Bartoszewicz (Julian), 94 (58). Baudoin (père), 300 (154).

Baudrillart (cardinal), 384 (241). Baziak (Mgr), 319 (174).

Beagle (soeur Saint-André), 438. Beaumont de Perrefixe (Mgr Hardouin, de), 242 (94).

Beauvais (soeur Radegonde de la Présentation), 38 (1) - 438.

Beauvais (soeur Monique des Anges), 38 (1).

Beauvais (Mme de, et Pierre de, et leurs

enfants), 38 (1) - 242 (89) - 243 (98). Beauvais (Louis de), 243 (98). Beauvilliers (Anne-Marie), 76 (38). Beauvilliers Marie (abbesse), 242 (93). Belavity (père), 82 (41).

Bellefonds (Bernardin de), 52 (10) - 242 (91).

Belz (Palatine de), 296 (146). Bénédictines du Saint Sacrement

Arras, 367 (221) - 368 (222).

Bayeux, 367 (220).

Bettembourg (Pepange), 367 (220). Bonn, 367 (221) - 368 (222). Caen, 160 (71).

Cassette (Paris, rue), 352 (207).

Châtillon-sur-loing, 150 (68). Dreux, 178 (73).

Dumfries, 367 (221).

Milan, 367 (221).

Nancy, 222 (85) - 243 (95) - (220).

Osnabruck, 367 (221) - 368 (2 Breda, 382 (238). Rambervillers, 227 (87) - 367 ( Rosheim, 367 (220).

Rouen, 49 (7).

Rumbeck, 368 (222).

Saint-Louis au Marais (Paris), 41 (3).

Saint-Nicolas de Port, 367 (220). Saint-Orner, 367 (221) - 368 (222). Toul, 41 (3) - 367 (220).

Tourcoing, 368 (222).

Trèves, 367 (220).

Benoît (saint), 184 (77).

Benoit Joseph Labre (saint), 351 (206). Bény (soeur de l'Assomption), 385 (243). Bény (soeur du Saint Sacrement), 385 (243).

Bermonistes (Pères), 361 (215).

Béon de Lamezan (soeur Bénédicte), 160 (70).

Berg (Comte), 425 (270).

Bernardaye (soeur Marguerite de Jésus Maria de la), 178 (73).

Bernières (Jean de), 243 (97).

Berrand (Pierre, abbé), 190 (78) - 227 (87).

Bertot (abbé), 242 (93).

Béthune (abbesse), 119 (62).

Béthune (Maximilien de), 134 (65). Béthune (Catherine de, nièce de l'abbesse), 134 (65).

Béthune (Hippolyte de), 76 (38). Béthune (François - Gaston de), 16 (12) - 70 (28).

Béthune (Louis-Marie-Victor de), 16 (12) - 76 (38).

Béthune (Marie-Catherine de et Stanislas Radziwill-Kleski), 76 (38) - 281 (124).

Béthune (Marie-Catherine de et Stanislas Jablonowski), 76 (38) - 281

(124), 293 (139) - 333 (192).

Beudon (soeur Marie de la Croix), 438. Beuvron (François d'Harcourt, marquis de), 55 (16).

Bidzinska (soeur François Xavier), 87 (46).

C

Capucins (pères), 79 (39).

Carmes (pères) à Dantzig, 68 (26).

à Varsovie, 79 (39).

Carpegna (Gaspard, cardinal), 253

(104).

Casimir (saint), 71 (29).

4t46 447

Casimir (palais), 71 (29).

Cetner (François et ses enfants), 274 (117).

Cetner (Ignace), 274 (117).

Cetner (soeur Marie de Saint-Benoit),

274 (117) - 292 (138).

Cetner (Anne), 274 (117).

Chapelotte, 255 (106).

Charbonnier (soeur Marie de Saint

François de Paule), 183 (75) - (76). Chartrin ou Chartrain (abbé. du), 50 (8). Châteauvieux (comtesse de, et sa fa-

mille). 243 (96).

Châtillon-sur-Loing (terres), 150 (68) 216 (84).

Chelm, 286 (130).

Chelmski (André), 281 (125).

Chelmski (enfants), 286 (130).

Cheuret (soeur Gertrude), 183 (75). Cheuret (soeur Mechtilde), 439. Chodorowska (Anne), 268 (114) - 274

(1 17) - 274 (117).

Chodorowska (Catherine), 291 (137) 292 (138).

Chodorowski (Christophe), 268 (1 14). Chopine] (soeur Marie de Jésus), 101

(60) - 378 (233).

Christlowna (soeur Marie Léonard), 312 (163).

Clausier (soeur Marie de Saint-Maur), 440.

Clément XI (Jean-François Albani), 88 (48).

Clément (Marie, Hofbauer), 90 (52). Colbert (Nicolas, Mgr), 53, (12). Collet (père), 366 (218).

Colonna (cardinal vicaire), 350 (205). Congrégation Notre-Dame de la Miséricorde, 319, (175).

Conti (cardinal, de), 350 (205). Costazza (soeur Gabrielle), 320 (177). Croiset (mère Marie-Louise), 242 (92). Cuiller (soeur Élisabeth), 178 (73). Culte du Sacré-Coeur, 242 (92) - 315

(170).

Czartoryska (Madeleine), 282 (126). Czaykowska (soeur Electe), 380 (235). Czaykowska (soeur Stéphanie), 380 (235).

Czengerowna (soeur Walburge), 387 (245).

Czentwertinska (Hélène), 297 (150). D

Dambska (Louise), 292 (138). Danilowicz (Théophile), 30 (26). Danilowicz (Ursule), 264 (109). Danilowicz (Sophie), 274 (117). Dantzig, 67 (25).

Darly (soeur Marie de Saint-Bernard), 440.

Daszkiewiezowna-Korybut (soeur Joséphine), 383 (239).

Dauvergne ou D'Auvergne (soeur Anne

de Sainte Magdeleine), 440. Delatre (soeur Julienne de Saint-Joa-

chim), 440.

Delville (Dom François), 337 (197). Demas (soeur Marie de Saint-Augustin), 440.

Duchartrin (abbé), 50 (8).

Denhoff (Ursule), (femme de Martin Katski), 287 (131).

Dolski (Jean), 268 (1 14).

Dolska (Anne), 268 (114).

Dolska (Catherine), 282 (126). Drohojowski (André et Stanislas), 278 (118).

Drzewiecki (Félicien), 305 (155). Drzewiecka (Rosalie), 305 (155). Dubois (cardinal), 384 (241) - 384 (242). Dupré (dom Claude), 335 (193). Durand (Madame Kotowska), 86 (45). Dyczkowski (Mgr), 325 (187).

E

Elseneur ou Helsingoer, 64 (24).

F

Fabert (Angélique, de la Meilleraye), 16 (12).

Faguet (soeur Catherine de l'Assomption), 440.

Feuve (soeur Françoise de Saint-Antoine), 440.

Fieux (Étienne de), 53 (12).

Fieux (Jacques de, Mgr), 378 (234). Filland (dom Martin), 54 (14). Fleurisel (soeur Gertrude de Jésus, de),

440.

Fondations de Jean Sobieski, 79 (39). Forbin-Janson (cardinal), 49 (6) - 315 (170).

Franquerie (soeur de Saint-Placide), 369 (223).

Franciscains, 1 14 (61).

François de Paule (saint), 49 (7). Frères de Charité, 79 (39).

Fritz (soeur Saint-Maur), 310 (158). Frycowna (soeur Aloysia), 404.

Fusière (soeur Marie de Saint-Benoît de), 441.

G

Gaétan (saint), 82 (41).

Gall (Stanislas, Mgr), 433 (278). Gameren (Tylman, de), 79 (39). Gerardowna (soeur Saint-Gabriel), 311, (162).

Gibbons (cardinal), 384 (241).

Giron (soeur de Saint-Ovide), 441. Glebocka (Thérèse), 415 (256).

Gliwice, 321 (178).

Glowinski (Mgr), 296 (147).

Gobard (soeur Catherine du Saint Sacrement), 441.

Golebiewska (soeur Marie-Augustine), 365 (217).

Goscieçin, 328 (189).

Grammont (maréchal de), 160 (70). Granjour (soeur Saint-Joseph), 441. Grandville (soeur Sainte-Rosalie), 441. Grimaldi (Mgr, Jérôme, nonce), 288

(132).

Grodno, 74 (34).

Gromaire (soeur Bernardine), 173 (72). Grotusowna (soeur Marie de Sainte-Agnès), 87 (46).

Grotusowna (soeur Sainte-Agnès), 87 (46).

Gualtieri (Philippe-Antoine, cardinal), 247 (99 bis).

Gulbinowicz (Mgr), 329 (191).

Guillaume (soeur Saint-Michel), 227 (87).

Guion (soeur Louise de l'Incarnation), 441.

Guise, 179 (74).

Guise (Duchesse), 211 (83). Innocent XII (Antonio Pignatelli), 88 (47).

Iwanowska (soeur Colombe), 428 (274).

J

Jablonowski (Stanislas), 269 (116) - 281

(124) - 333 (192).

Jablonowski (Stanislas-Jean), 76 (38) -

281 (124) - 293 (139).

Jablonowski (Stanislas-Vincent), 268

(114).

Jablonowska (Catherine), 268 (114) -

281 (124).

Jablonowska (Anne), 281 (124) - 333

(192).

Jablosnowska (mère de Sainte Scholasti-

que), 293 (139) - 333 (192).

Jalowiecki (Mgr), 294 (141).

Janski (Dieudonné), 314 (168).

Jaroslaw, 267 (112).

Jan Casimir, 48 (5).

Jean Eudes (saint), 200 (82).

Jean-Paul II (Karol Wojtyla), 291 (137)

- 319 (174) - 384 (242).

Jeanne de France (et Annonciades), 242

(90).

Jelec (M. et Mme). 281 (125).

Joseph Calasanz (saint), 298 (151).

Jubilé, 80 (40).

Julien (Mgr), 384 (241).

Junien (Dom René), 335 (194).

Justin (saint), 312 (166).

Hedwige (sainte) et (soeurs de sainte), 322 (180).

Helsingoer, 64 (24).

Henriette de France (reine d'Angleterre),

242 (92) - 243 (99).

Héré (architecte), 333 (192).

Holowata (soeur Gérarde), 320 (176). Honfleur, 60 (23).

Howinski (Mgr), 297 (150).

Hyacinthe (saint), 266 (110).

H

Hanska (princesse Sophie), 278 (1 18). Hanus (soeur Anne de la Croix), 199 (81).

Harlay de Champvallon (Mgr), 40 (2). Hausner (mère Barbe du Saint Sacrement), 422 (267).

K

Kadzinska (soeur Thérèse de Jésus), 87 (46).

Kakowski (cardinal), 430 (275). Kalisz, 297 (149).

Kamionka, 283 (128).

Karczowna (soeur Joachim), 404.

448 449

Karezewska (soeur Rose), 404.

Katska-Potocka (Thérèse), 287 (131) 296 (146).

Katski (Martin), père de Thérèse, 287 (131).

Kazanowska (Marie-Anne), 269 (116). Kczewska (Marie), 414 (252). Kiljanska (soeur Bénédicte), 404. Kolb (soeur Scholastique), 310 (158). Komarno, 268 (114).

Koperska (saint Thomas), 392 (248) 404.

Korybut-Wisniowiecki (Michel), 282 (126).

Kosciusko (Tadeusz), 391 (247). Kossarekowna (soeur du Couronnement de la Vierge), 380 (235).

Kotowski (Adam et Mme, Marguerite Durand), 86 (45).

Kowalska (soeur Anne), 383 (240) - 404. Kowarzykowna (soeur Marie de Saint--

Jean de la Croix), 381 (236). Kozminski (Mathias et Adam), 297

(149).

Krynicki (Mgr), 315 (169).

Kuczynska (soeur Saint-Michel), 311 (162).

Kurdwanoswski (Macary), 311 (161). Kuzminska (soeur Catherine), 404. Kusminski (père Honoré), 79 (39).

L

La Chaise (père), 40 (2) - 242 (92). La Châtre-Brillebaut (Françoise de), 72 (30) - 75 (37).

Ladislas IV, 48 (5).

La Grange d'Arquien (Marie-Casimire de), 70 (28).

La Grange d'Arquien (Marie-Louise de),

55 (16) - 70 (28).

a Grange d'Arquien (soeur Saint-Bonaventure de), 70 (28).

a Grange d'Arquien (Marie-Anne de), 70 (28).

La Grange d'Arquien (Jeanne de), 70 (28).

La Grange d'Arquien (Henri, cardinal de), 75 (37).

La Grange d'Arquien (Anne-Louis, comte de Maligny de), 75 (37).

La Grange d'Arquien (Louis, le chevalier de), 75 (37).

Lallart de Le Bucquière, 367 (221).

Lanckoronska (Agnès), 293 (140). Laparre (dom Guillaume), 258 (107). La Porte (dom Gaspard), 337 (199). La Rochefoucauld (cardinal), 348 (203). La Rozière (soeur Marie de Sainte-Rose

de), 357 (210).

La Tour d'Auvergne, 367 (221). Lazaristes, 79 (39).

Le Fiselier (soeur Marie de Saint-Stanislas), 381 (237).

L'Église (soeur Sainte-Scholastique de), 248 (101).

Le Masson (soeur Marie de Saint-Bernard), 351 (206) - 441.

Le Page de Méligny (soeur Marie de la Nativité), 441.

Lesseville (la présidente de, et Mgr de), 50 (8).

Lestrange (dom de), 356 (209). Leszcynska (Marie, reine de France),

281 (124) - 315 (170) - 333 (192). Leszczynska (Théophile), 282 (126) 333 (192).

Leszczynska (Victoire, ép. Potocki), 268

(1 13) - 279 (121) - 333 (192). Leszczynska (Anne), 333 (192). Leszczynski (Raphaël et Stanislas), 222

(85) - 281 (124) - 289 (133) - 296

(148) - 333 (192).

Leszczynski (Wenceslas), 268 (113) -

279 (121) - 333 (192).

Leszczynski (Boguslas, et Bogislas), 333 (192).

Lipecka (soeur Scholastique), 380 (235). Livonie (évêque de), 150 (69). Lombard (soeur de tous les saints), 441. Lorraine (Catherine de), 222 (85). Lorraine (Marguerite de), 222 (85) - 243

(95) - 378 (234).

Lorraine (Charles-Eugène de), 413 (251).

Louise de Gonzague (Reine de Pologne),

48 (5) - 79 (39).

Louys (père Épiphane), 378 (233) - 378 (234).

Lowicz, 401 (250).

Loyseau (soeur Anne du Saint Sacrement), 122 (63) - 222 (85). Loyseau (Charles), 122 (63). Lubaczow, 311 (161).

Lublin, 291 (137).

Lukianow (soeur Thiele), 376 (231). Lunéville, 333 (192).

Lwow, 268 (115).

M

Magdalenki (soeurs de la Miséricorde, ou

soeurs de), 319, (175) - 376 (231). Maitre (soeur Saint-Placide), 373 (228). Maligny (Anne-Louis de la Grange

d'Arquien, comte de), 75 (37). Marczakowna (soeur Bernard de la

Sainte Famille), 404.

Marek (Mgr), 329 (190).

Marguerite-Marie (sainte), 315 (170). Marie Josèphe de Saxe, 417 (260). Marie (la Sainte Vierge), 192 (80) - 200 (82).

Mathieu (soeur Saint-François de Sales

et son frère le cardinal), 367 (220). Matignon (Henri de), 59 (22). Matuszczakowna (soeur Anselme), 404. Maunoury (soeur Benoîte de la Passion),

442.

Maximilien Kolbe (saint), 317 (172). Mecklembourg (famille de), 150 (68) 216 (84).

Médavy (François, Rouxel de, archevêque), 52 (11).

Médavy (Jacques, maréchal), 52 (11). Médavy (Pierre, comte de Grancey), 52 (11).

Mermillod (Mar Gaspard), 366 (218). Miaczynska (Elisabeth), 294 (143). Mielzynska (Sophie), 297 (149). Mierzejewska (Marie de Saint-Placide),

293 (140).

Mierzejewski (Casimir), 293 (140). Mietkowska (soeur Cécile), 404. Minimes (religieux, à Rouen), 211 (83). Missionnaires (Maison des), 79 (39). Molette (Pétaut de, soeur de Sainte-Ger-

trude), 442.

Monet (comte de), 346 (202).

Monier (dom Jean-Jacques), 337 (198). Montigny Laval (soeur de), 222 (85) 243 (97).

Morin (soeur Marie de Saint-Philbert), 442.

Morstin ou Morsztyn (Madame), 253 (103).

Morteska (abbesse de Culm), 414 (255). Moussy (soeur Marie-Michel), 248 (101). Münster (Westphalie), 348 (203).

N

Nancy (Notre-Dame de Bon-Secours),

281 (124) - 333 (192). Narukowna (soeur Élisabeth de la Mère de Dieu), 404.

Nazareth (pères de), 114 (61).

Neusteinowna (soeur de Sainte-Madeleine), 380 (235).

Neuville (Ferdinand de, Mgr), 58 (20). Nicolas Barré (vénérable père), 211 (83). Nicolas II, 427 (273).

Noailles (Louis-Antoine, cardinal), 248 (100).

Noirel (soeur de l'Assomption), 227 (87). Noisy (soeur Claire du Saint-Sacrement), 442.

Noskowski (Mgr), 414 (254).

O

Oledzka (soeur Joseph), 404.

Oledzka (soeur de Sainte-Hedwige), 322 (181).

Opalinska (Sophie), 282 (126).

Opalinska (Catherine), 281 (124) - 333 (192).

Opole, 322 (179).

Orléans (Gaston d'), 243 (95).

Orléans (Philippe d'), 243 (99). Ossolinski (François-Maximilien), 281

(124) - 333 (192).

Ossolinski (Joseph-Maximilien), 333 (192).

P

Pallavicini (Obizzo, Mgr, nonce), 74 (36).

Parrage de Mainvillers (soeur Thérèse des Anges, du), 442.

Passe-port de l'Immaculée Conception, 57 (18).

Paulmier (soeur Marie de Saint-Joseph), 442.

Paul VI (Jean-Baptiste Montini), 384 (242).

Paulucci (Fabrice, cardinal), 247 (99 bis).

Petitgot ou Petigot (soeur Marie de Jésus), 41 (4) - 443.

Petitjean (soeur Stéphanie), 367 (220). Petitot (soeur Marie-Catherine de Jésus), 41 (4) - 443.

Philippe (soeur Thérèse de Jésus), 443. Philippe Ier (duc d'Orléans), 243 (99). Philibert (dom Ignace), 378 (234). Picoté (abbé), 55 (15).

Pie VI (Jean-Ange Brachi), 350 (204). Pie VII (Louis-Barnabé Chiaramonti), 419 (263).

Pie XI (Achille Ratti), 384 (242) - 430 (275).

Pignatelli (Antonio, Mgr), 88 (47). Pitra (dom Jean-Baptiste, cardinal), 370 (226).

Plawniowice, 321 (178).

Podlachie, 274 (117).

Pogonowska (soeur Saint-Wladislas), 404.

Poje (soeur Gertrude), 387 (246). Polakowska (soeur Flavie), 404. Poniatowski (Stanislas-Auguste), 415

(257).

Poniatowski (Michel, Mgr), 418 (262). Ponteubert (Menier de, soeur Gertrude de Jésus), 443.

Ponton-de-mer ou Pont-Aude mer, 58 (19).

Popiel (ou Chociak Popiel, Mgr), 426 (271).

Poplawski (Mgr), 280 (122).

Posen (évêché), 74 (33).

Potocka (soeur Marie-Casimir), 87 (46) 268 (113).

Potocka (soeur Marie de Saint-Jean-Baptiste), 292 (138).

Potocka (Éléonore), 291 (137).

Potocka (Ursule), 296 (146) - 306 (157). Potocka (Victoire), 268 (113) - 333 (192).

Potocki (Jean), 264 (109).

Potocki (Paul), 87 (46) - 280 (123) - 292 (138).

Potocki (Pierre), 291 (137) - 292 (138). Potocki (Joseph), 268 (113) - 279 (121) 333 (192).

Potocki (Alexandre), 268 (113) - 279

(121) - 280 (123).

Potocki (Etienne), 287 (131) - 296 (146). Potocki (Stefan), 264 (109).

Potocki (Félix-Casimir), 269 (115 bis). Potulicka (soeur Saint-Joseph), 312 (164).

Potulicki (Casimire), 312 (164). Poznan, 74 (33).

Providence (soeur de la), 211 (83). Przebendowska (soeur Sophie), 296

(146) - 306 (157).

Przebendowska (Thérèse), 296 (146). Przebendowski (Pierre), 296 (146) - 306 (157).

Przemyska (soeur Stanislas), 404. Przemysl, 83 (43).

Puchalanka (soeur Hedwige), 404. Puchet (soeur Marie de Saint-Michel), 443.

Puzyna (Mgr), 322 (182).

Q

Quelen (Mgr, Hyacinthe, Louis de), 356 (209).

Quillebeuf, 56 (17).

R

Radlinska (soeur Marie de Saint-An-

selme), 305 (155) - 310 (159). Radziejowski (Michel, cardinal), 74

(36).

Radziwill (Alexandre), 333 (192). Radziwill (Jacob), 72 (30).

Radziwill (Thècle - Rose), 282 (126). Radziwill - Kleski (Stanislas), 76 (38). Radziwill (Cécile - Marie), 264 (109). Radziwill (Anne Casimire), 416 (259). Radziwill (Jeanne - Catherine), 333

(192).

Raffetôt (soeur de), 160 (70). Rakoszewska (soeur Marie Madeleine),

375 (230) - 424 (269).

Randolfin (soeur Saint-Benoît), 310 (158).

Ranzeville (soeur Marie de Sainte-Scholastique), 443.

Rasle (soeur Anne Catherine de Jésus),

190 (78) - 227 (87).

Rchozinska (soeur Anselme), 380 (235). Rédemptoristes (saint Alphonse de Li-

guori), 86 (44) - 361 (215). Rejewska (soeur Ignace), 92 (57) - 404. Rejzerowna (soeur Romualde), 317

(171).

Richelieu (Anne Jeanne Baptiste, Mme de Beauvais, marquise de), 38 (1) 242 (89).

ltomecka (soeur Stanislas), 377 (232) 424 (269).

Rostworowski (O.S.B. Pierre), 324 (185).

Rouen (cathédrale), 53 (13).

Rouen (monastère), 49 (7). Roze (soeur de l'Assomption), 369 (225). Rudnicka (soeur Clémentine), 404. Rupniewski (Mgr Stéphan), 286 (129). Ruschitzka (soeur Sainte-Agnès), 311

(162).

Ruschitzka (soeur Sainte-Cécile), 311 (162).

Rzewuski (Michel - Adam - Joseph et toute la famille), 274 (117). Rzewuski (Paul, Mgr), 424 (268).

S

Saint-Casimir (Palais), 71 (29). Sainte-Cécile (église), 255 (103). Saint-Jean-Baptiste (primatiale - Varso-

vie), 73 (31).

Saint-Maur (religieuses de), 211 (83). Saint Martin (soeur de Sainte-Anastasie). 369 (224).

Saluzio (Ferdinand), 418 (261). Sandomir et Sanock, 281 (125). Sanguin (Denis, Mgr), 58 (20).

Sapieha (Maréchal), 76 (38).

Sapieha (Adam - Stéphan, Mgr), 319 (174).

Sarrazin (dom Jean-Baptiste), 336 (195). Saussay (Mgr du), 55 (15). Schmitzowna (soeur Madeleine), 404. Scott (soeur Mecthilde du Saint Sacre-

ment), 368 (222).

Schultozowna (mère Casimire), 426 (272) - 404.

Sedzimirowna (soeur Marie-Gaëtan), 91 (54).

Sedzimirowna (soeur Marie Bénédicte), 91 (54).

Sicault (abbé), 50 (8).

Siedlce (monastère), 324 (184). Sieniawska(Jeanne ép. Stéfan Potocki), 264 (109).

Sieniawski (Adam-Nicolas), 290 (135). Sieniawski (Nicolas-Jérôme), 264 (109). Sierakowska (soeur Marie de Sainte Fla-vie), 294 (143).

Sierakowski (Joseph), 294 (143). Skarbek (Jean, Mgr), 282 (127). Skarbek (Christophe), 282 (127). Skarbek (Sophie, abbesse), 282 (127).

Slowacka (soeur Andrée), 404. Talton (prêtre), 59 (21).

Smolensk, 280 (123). Talon (père de soeur Françoise), 136

Sobieski (Jacques, le père de Jean III), (66).

72 (30). Tarlo (Stanislas), 274 (177).

Sobieski (Jean III), 72 (30). Tarlo (Mgr Michel), 89 (49).

Sobieski (Jacques-Louis, ép. Élisabeth Tarlo (Anne), 274 (117).

de Bavière), 72 (30). Tarlo (Thérèse), 268 (1 13) - 279 (121) -

Sobieski (Alexandre-Benoit), 72 (30). 280 (123).

Sobieski (Constantin-Philippe), 72 (30) - Tarnogrod (Confédération de), 289

89 (50). (133).

453

Sobieski (Stanislas-Casimir), 72 (30). Sobieska (Louise-Adélaïde), 72 (30). Sobieska (Thérèse-Charlotte), 72 (30). Sobieska (Marie, ép. Radziwill), 72 (30). Sobieska (Marie-Léopoldine), 72 (30). Sobieska (Marie-Casimire), 72 (30)

259 (108).

Sobieska (Marie-Charlotte), 72 (30) - 89 (50).

Sobieska (Marie-Clémentine), 72 (30). Sobieska (Marie-Magdelaine), 72 (30). Soeurs de Sainte-Hedwige, 322 (180). Soltykow (Éléonore), 87 (46) - 280 (123)

- 287 (1 31) - 292 (138).

Sosnowska (soeur Saint-Gaëtan), 380 (235).

Souvré (Madeleine, abbesse), 52 (9). Spinela (Mgr, Nonce), 282 (127). Spottl (soeur Sainte-Scholastique), 310

(158).

Stanislas (roi), 333 (192).

Steczkiewicz (Félicité), 299 (153). Stein (Edith), 327 (188).

Suminska (soeur Colombe), 405. Swiderska (soeur Saint-Casimir), 294 (142).

Szaniawski (Fabien et Joseph), 291 (137).

Szaniawski (Jean-Félix, Mgr), 291 (137). Szaniawski (Constantin, Mgr), 291

(137) - 315 (170).

Szeptyckij (Kyr, Mgr), 319 (174). Szembek (Christophe-Antoine, Mgr), 315 (170).

Szembek (soeur Marie-Cécile), 90 (51). Szembek (mère Françoise, visitandine), 315 (170).

Szeptycka (Anne), 294 (144). Szkilondzowna (soeur Modeste), 405. Szoldrski (père Wladislas), 86 (44). Szusterowna (soeur Marie Scholastique),

91 (55).

T

452

Ténèbres, 74 (35).

Thibaut (Raymond - révérend père), 431 (276).

Thomas (cardinal), 382 (238) - 384 (241).

Thyard de Bissy (Mgr), 224 (86). Tiercent (soeur de Sainte-Thérèse), 55 (15).

Tocquigny (soeur Geneviève), 248 (101). Tokarska (soeur Agnès), 405. Tomaszewska (soeur Thérèse), 405. Tremblier (soeur de Saint-Anselme), 443. Trinitaires (religieuses), 279 (119). Trycowna (soeur Aloysia), 405. Turakowna (soeur Ceslas), 405. Twardowski (Mgr), 313 (167) - 31

(174).

Tytzowna (soeur Tècle), 371 (227).

U

Ulinska (Sophie), 295 (145).

V

Van Oost (dom Charles), 432 (277). Varsovie (évêché), 74 (33).

Varsovie (Maison et église Sainte-Croix), 300 (154).

Vassimon (soeur Aimée de), 367 (220). Vergenne (Comte de), 346 (202). Vieuville (Charles et Françoise de la), 243 (96).

Visitation (Dames de la), (à Varsovie), 48 (5).

Visitation (Dames de la) (à Chaillot), 242 (92).

Vykoukal (dom Ernest), 386 (244) - 432 (277).

W

Wéber (Mgr), 312 (166).

Wessel (Marie Joseph de, princesse

Constantin Sobieska), 89 (50). Wessel (soeur Marie Joseph de l'Imma-

culée, de), 89 (50).

Wessel (soeur Tècle de Jésus, de), 89 (50).

Wielopolska (Barbara), 312 (164). Wielopolski, 139 (67).

Wielowieyska (soeur Célestine), 396 (249).

Wierzbieta (soeur Bénédicte), 380 (235), Wilczek (Jean), 299 (153). Wilczekowna (les trois soeurs), 299

(153).

Wisniowiecki (Constantin), 268 (114) - 282 (126).

Wisniowiecki (Jean et Michel), 268

(114) - 282 (126) - 333 (192). Wisniowiecki (Januz-Antoine), 333

(192).

Wisniowiecka (Sophie), 268 (113) - 279 (121).

Wisniowska (Marianne), 305 (155). Witwicki (Mgr), 74 (33) - 150 (69). Wloclawek, 315 (169).

Wodzinska (soeur Lutgarde), 360 (214) 416 (259).

Wodzinski (Gabriel), 416 (258). Wroblewska (soeur Colombe), 323 (183). Wroblewska (soeur Anne de la Nativité),

422 (266).

Wroclaw (Breslau), 325 (187) - 327 (188).

Wyszynski (cardinal), 324 (186). Wyzycki (Mgr), 297 (150).

z

Zalazkowna (soeur Marguerite), 405. Zalewska (soeur Augustine du Saint Sacrement), 405.

Zaluska (soeur Innocente de la Croix), 405.

Zaluska (Cunégonde), 421 (265). Zaslawska (soeur Marie de Saint-Louis), 366 (219).

Zarojewska (soeur Claire du Saint Sacrement), 405.

Zielinski (Mgr Constantin), 279 (120) 333 (192).

Zielinski (Louis), 279 (120).

Zielonczanka (soeur Saint-Placide), 311 (162).

Zolkiev, 298 (152).

Zolkiewski (Stanislas), 298 (152). Zurakowska (soeur Saint-Joseph), 295 (145).

Zurakowski (Michel), 295 (145). Zychowicz (Edmond), 312 (165).

Table des matières

Dom Jean Leclercq, O.S.B., Préface 7

Abbé Joseph Daoust :

Une fondation bénédictine en Pologne au XVII' siècle 20

1. Lettres de Mère Mectilde du Saint-Sacrement

avant la fondation (1687) 37

2. Registre contenant le récit du voyage 45

3. Histoire du monastère de Varsovie 85

4. Lettres (1687-1697) 97

5. Notice nécrologique de la mère Radegonde

de la Présentation de Beauvais (1652-1734) 231

6. Fondation du monastère de Rome (1702) 245

7. Chronique du monastère de Lwow (Léopol, 1709) 261

8. Lettre d'une moniale de Lwow 271

9. Histoire du monastère de Lwow 277

10. Stanislas Leszczinski 331

11. Relations des monastères français

avec ceux de Pologne (1782-1785) 339

12. Louise Adélaïde de Bourbon-Condé (Varsovie 1802) 355

13. Correspondance de Mères Prieures (1858-1932) . . 363

14. Holocauste de Varsovie (1944) 389

15 . Siedlce (1958) 407

16. Appendice 413

17. Index 445

455


AVERTISSEMENT

En publiant les documents qui ont trait à la naissance et au développement du monastère de Varsovie, les moniales bénédictines de Rouen rendent un très grand service à l'histoire de la spiritualité. La doctrine et la pratique de l'Adoration réparatrice répandues par mère Mectilde ne se peuvent comprendre que replacées dans leur siècle et originées dans le courant créé par Bérulle et Condren. Isolée de son milieu nourricier, d' la spiritualité victimale » non seulement apparaîtrait inhumaine à nos contemporains mais, ce qui serait pire, leur présenterait de Dieu une image insoutenable. Ceux qui connaissent l'École française savent que, sous un langage déconcertant marqué plus ou moins par le jansénisme, s'exprime une ardente conviction de l'absolu de l'amour divin. Cela, il fallait le dire ici pour que personne ne se méprenne sur le sens du Nihil obstat.

Nihil obstat Imprimatur

Rouen le 1d mai 1983 M. DEVIS Rouen le 17 mai 1983 Pierre CHOQUET Vic. Général.

ACHEVÉ D'IMPRIMER LE 20 SEPTEMBRE 1984

SUR LES PRESSES DES ÉDITIONS TÉQUI

53150 SAINT-CÉNÉRÉ

N° d'édition : T 53 569

Dépôt légal : septembre 1984



Rouen


Tables


Table générale


Table des matières

Un TOTUM de et sur MECTILDE 3

Présentation 3

Revue par ouvrage 4

Dimensionnements 5

Avertissement 5

Tome second 7

Inédites 7

= Catherine de Bar Mère Mectilde du Saint Sacrement 1614-1698, Lettres inédites, Bénédictines du SS, Rouen, 1976. 7

[TABLE inexistante ! À défaut : I. À la duchesse d’orléans p.17 II annales de Toul p.101 III à ses monastères lorrains p. 119] 7

[v. annotations DT en fin d’ouvrage au crayon avec appréciation « ! » et de même dans les ouvrages précédents] 7

PREFACE 7

LETTRES INÉDITES 121 48

[dernière p. 393 des lettres inédites] 176

Itinéraire spirituel 176

= Véronique Andral, Catherine de Bar Mère Mectilde du Saint-Sacrement 1614-1698, Itinéraire spirituel, 2e éd. 1997. 176

INTRODUCTION 179

LISTE DES MANUSCRITS UTILISES 180

ENFANCE 180

CHEZ LES ANNONCIADES 181

BÉNÉDICTINE À RAMBERVILLERS 184

PREMIÈRE GRANDE ÉTAPE 185

VERS LA MORT MYSTIQUE ET LA RÉSURRECTION. 185

ABRÉGÉ D’UNE RETRAITE DE L’ANNÉE 1640 185

LA NORMANDIE. LE PÈRE CHRYSOSTOME. 187

BERNIÈRES 189

RETRAITE 189

LE PROJET D’ERMITAGE 190

CAEN 191

RELATIONS SPIRITUELLES AVEC BERNIÈRES 193

RAMBERVILLERS 199

RETOUR A PARIS 200

LE CENTRE DU NÉANT 201

LA FONDATION 202

LES SEPT ANS D’ÉPREUVE. 207

RETRAITE 212

DEUXIÈME GRANDE ÉTAPE 216

LES DOUZE ANS ET LE DOUZIÈME DEGRE D’HUMILITÉ 216

TERRASSÉE 216

TOUL 217

RÉPARATION 218

PARIS 219

TÉMOIGNAGE DU FRERE LUC DE BRAY 221

UNION SUBSTANTIELLE 223

ADORATION DE LA JUSTICE DE DIEU 224

TROISIÈME GRANDE ÉTAPE 225

L’ENFER DU PUR AMOUR 225

ÉPREUVES 227

GRÂCE D’ABANDON 228

VISITE CANONIQUE 229

« VICTIME » 229

DÉLAISSEMENT 229

MISÉRICORDE 230

LA VIERGE MARIE 231

DERNIERS LABEURS 231

CONFESSION 232

INVITATION AU PARADIS 233

DÉTRESSE 233

JOIE 234

CONSOMMATION 235

1698 — LA PÂQUE DE MERE MECTILDE 236

ÉPILOGUE 238

NOTES 240

[Chronologie et index omis] 243

Origine des recueils de Conférences [M.-V. Andral, ajout] 243

ORIGINE DES RECUEILS DE CONFERENCES DE MERE MECTILDE SUR L'ANNEE LITURGIQUE. [Mère Marie-Véronique Andral] 243

LE TRAVAIL DE LA MERE N. 244

DIFFERENCES ENTRE LES CONFERENCES. 244

FIDELITE DES COPISTES 245

LES ANNEES LITURGIQUES 245

II L'EXPERIENCE DE MERE MECTILDE. 245

III L’ ENSEIGNEMENT DES CONFERENCES 247

C'EST PAR LA FOI QU'ON ENTRE DANS LE MYSTERE 248

ON NE PEUT MIEUX ENTRER DANS LES MYSTERES QUE PAR CONFORMITE (191) 248

LA VIERGE MARIE 248

TOUS LES MYSTERES DANS LE MYSTERE. L'EUCHARISTIE. 248

LE CORPS MYSTIQUE. L'EGLISE. 249

Entretiens familiers [Sœur Castel] 250

AVANT-PROPOS 250

ENTRETIENS 251

Billet 1685 251

21 septembre 1687 252

Le jour des Saints Anges 1687 252

1689 Je vous exhorte à fuir l’humain ». 252

2 février 1692 253

1692 « Notre bonne Mère ». 253

1692 « Abjection ». 253

13 février 1694 254

15 février 1694 255

16 février 1694 255

20 février 1694 256

24 février 1694 « Dégagement ». 256

25 février 1694 256

26 février 1694 257

7 mars 1694 257

19 mars 1694 257

19 mars 1694 258

20 mars 1694 258

Mars 1694. Après sa maladie « ... Comme en celle (évangile) d’aujourd’hui ». 258

1er avril 1694 259

Avril 1694 260

Avril 1694 260

2 avril 1694. 260

2 avril 1694 261

10 avril 1694, Samedi Saint 261

12 avril 1694. Lundi de Pâques 261

18 avril 1694. Octave de Pâques 262

3 mai 1694 « Une expression de ses états ». 262

Mai 1694 263

21 mai 1694 263

26 juin 1694 263

Août 1694 « Et d’où vient ». 263

Août 1694 264

7 septembre 1694 265

8 novembre 1694 265

2 décembre 1694. Un jeudi 266

8 décembre 1694 « Ne feignez pas ». 266

Date présumée : 1694 266

Sur la confession 267

Date présumée : 1694 267

Date présumée : 1694 « Abject ». 268

Date présumée : 1694 268

Date présumée : 1694 268

Mercredi des Cendres 1695 268

10 avril 1695 269

28 avril 1695 269

30 avril 1695 269

20 mai 1695 271

21 mai 1695 272

23 mai 1695 272

24 mai 1695 « Pour assister au Veni Creator ». 272

25 mai 1695 273

28 mai 1695 273

29 mai 1695 274

29 mai 1695 275

29 mai 1695 275

29 mai 1695 275

31 mai 1695 275

12 juin 1695 (sic) 276

Date présumée : 1695 277

Date présumée : 1695 278

1695 278

Du jour de la Présentation de la très sainte Vierge 1696. 278

12 octobre 1697 279

Octobre 1697 « Captivité ». 279

16 octobre 1697 280

6 novembre 1697 280

Date présumée : 1697 281

Date présumée : 1697 281

Date présumée : 1697 281

Date présumée : 1697 281

Pologne 282

= En Pologne avec les bénédictines de France, Téqui, 1984. 282

PRÉFACE 283

1. DESSEIN DE L'OEUVRE 283

2. FINALITÉ APOSTOLIQUE 283

3. EXIGENCES DE L'ASCÈSE 284

4. EMPREINTE PAULINIENNE 285

5. PROBLÈMES HUMAINS 285

6. FORCE DU GRAND AGE 286

UNE FONDATION BÉNÉDICTINE EN POLOGNE AU XVIIe SIÈCLE 287

LA POLOGNE AU XVIIe SIÈCLE 287

UN HÉROS : JEAN III SOBIESKI 287

UNE PIEUSE INTRIGANTE : LA REINE MARIE-CASIMIRE 289

LES DIPLOMATES FRANÇAIS A VARSOVIE : Le marquis de Béthune et M. de Janson 290

DEUX GRANDES MONIALES FRANÇAISES L'ABBESSE DE BEAUMONT ET MÈRE MECTILDE 291

LE VŒU DE MARIE-CASIMIRE 292

LETTRES DE MÈRE MECTILDE DU SAINT-SACREMENT AVANT LA FONDATION 1687 292

A Madame de Beauvais Juin 1687 292

n°845 293

A la mère Monique des anges de Beauvais Ce 12 juin 1687 293

A la révérende mère Marie de Jésus Petitgot maîtresse des novices au monastère de Saint-Louis au Marais3, à Paris Paris, 1687 294

2820, AUTOGRAPHE, n° 35 295

II REGISTRE CONTENANT LE RÉCIT DU VOYAGE 295

[photos omises] 311

1697-1709 311

III HISTOIRE DU MONASTÈRE DE VARSOVIE 1687-1962 312

IV LETTRES 1687-1697 316

Pour la chère petite communauté des victimes qui se sacrifient pour la gloire du très Saint Sacrement en Pologne / Aux religieuses qui s'en allaient à l'établissement de Pologne quand elles furent arrivées à Rouen pour s'y embarquer ce 23 août 1687 317

N° 1586 317

ce saint jour de la Nativité 8 septembre 1687 317

N° 117 autographe à Varsovie 318

De la mère Anne Loyseau sous prieure, rue Cassette, Paris ce 6 octobre 1687 318

N° 1005 autographe rapporté de Varsovie, conservé au monastère de Rouen. 319

MÉMOIRE 319

MÉMOIRE VÉRITABLE DE TOUT CE QUI S'EST FAIT ET PASSÉ DANS LA NÉGOCIATION ET EMBARQUEMENT DES RELIGIEUSES DE L'ADORATION PERPÉTUELLE DU TRÈS SAINT-SACREMENT QUI SONT ALLÉES DE FRANCE EN POLOGNE 319

De mère Marie de Jésus Petitgot à notre révérende mère Mectilde (sur leur voyage en mer) de Dantzig le 10e d'octobre de l'an 1687 321

A la mère de la Présentation de Beauvais à son arrivée en Pologne Paris, 31 octobre 1687 323

N° 1140 323

Aux religieuses envoyées à Varsovie de Paris, en France, le 23 novembre 1687 323

N° 858, autographe à Varsovie 324

Aux religieuses de Varsovie ce dernier de l'an 1687 324

N° 1661, autographe à Varsovie 325

D'une religieuse du Saint Sacrement, de Pologne à notre révérende mère sur leur arrivée en Pologne de Varsovie, I2e janvier 1688 325

Aux religieuses de Pologne A Paris, le douzième du mois de février 1688 327

N° 1349, autographe à Varsovie 328

A la mère Marie de Jésus Petitgot, prieure 20 février 1688 328

N° 1338. 329

A madame de Béthune 25e de février 1688 329

N° 2789 329

Aux religieuses de Pologne Fini, le 1er mars 1688 329

N° 420, autographe à Varsovie 330

A une religieuse de Varsovie 8 mars 1688 330

N° 1733, autographe à Varsovie 331

A madame de Béthune 16 mars 1688 331

N° 2353 331

A madame de Béthune 24 mars 1688 331

N" 647. 331

A la reine de Pologne ce 10 mai 1688 331

N° 2496, autographe à Varsovie 332

Pour la révérende mère prieure et la chère communauté 13 mai 1688 332

N° 1137 332

A madame de Béthune le 17 mai 1688 333

N° 1573 333

A la mère Magdeleine d'Auvergne 17 mai 1688 333

N° 2330 autographe à Varsovie 333

A madame de Béthune 1er juin 1688 333

N° 2777 333

A la mère Marie de Jésus Petigot, prieure Paris, 3 juin 1688 333

N° 385 334

A la reine de Pologne Paris, 3 juin 1688 334

N° 744 autographe à Varsovie 334

Fragment d'une lettre à la reine de Pologne Juin 1688 335

N° 189 335

Du monastère de Varsovie à la mère sous prieure de la rue Cassette touchant plusieurs choses qui relatent leur translation du château à leur nouvelle maison le 3 juillet 1688 335

A la mère de la Présentation de Beauvais quand elle fut élue prieure, et à la communauté ce 29 juillet 1688 337

N° 257. 337

A madame de Béthune 3e d'août 1688 337

Ne 1734 337

A la reine de Pologne le 4 août 1688 337

N° 1336 autographe à Varsovie 338

A madame de Béthune 6 août 1688 338

N° 3107 338

A madame de Béthune 8 août 1688 339

N° 139 339

A madame de Béthune 20e d'août 1688 339

N° 452 339

A madame de Béthune 23e d'août 1688 339

N° 1834 340

A la reine de Pologne après le 23 août 1688 340

N° 2497 340

A madame de Béthune 25e d'août 1688 340

N° 2788 340

A la reine de Pologne 340

N" 2755, autographe à Varsovie 340

A madame de Béthune 3 septembre 1688 341

N° 2773 341

A la reine de Pologne Octobre 1688 341

N° 140 341

A la reine de Pologne A Paris, 26 de l'an (janvier) 1689 341

N° 1109, autographe à Varsovie. 342

A madame de Béthune ce 28 de l'an (janvier) 1689 342

N° 198 342

A madame de Béthune ce 22 mars 1689 342

N' 1343 342

A madame de Béthune ce 28 mars 1689 342

N° 1282 342

A la mère de la Présentation de Beauvais, prieure Paris, 7 octobre 1689 343

N° 1802. 344

A mère de la Présentation de Beauvais, prieure ce 3 novembre 1689 344

N° 528 344

A la mère de la Présentation de Beauvais, prieure 8 juin 1690 344

N° 1283 345

A la mère de la Présentation de Beauvais, prieure le 1er août 1690 345

N° 2959 346

A la mère de la Présentation de Beauvais, prieure ce 10 août 1690 346

N° 602 346

A la mère de la Présentation de Beauvais, prieure Paris, 1 décembre 1690 347

N° 1832 347

A la mère Gertrude de Sainte Opportune [ Cheuret] 29 mai 1691 347

N° 823 347

A une religieuse [Soeur Françoise de Saint Antoine Feuvej ce 18 octobre 1691 347

N° 1831 348

A la mère Marie de Jésus Petitgot, prieure du 31 janvier 1692 348

N° 1602 348

A la mère Marie de Jésus Petitgot, prieure 26 mai 1694 348

N° 110 349

A la mère Marie de Jésus Petigot, prieure 22 juin 1694 349

N° 2776 349

A la mère Suzanne de la Passion Bompard 26 août 1694 349

N° 179 350

A une religieuse ce 20 octobre 1694 350

N° 1730 350

A la mère Marie de Jésus Petigot, prieure ce 21 octobre 1694 351

N° 1617 351

A la mère Marie de Jésus Petigot, prieure ce 11 mars 1695 351

N° 1215 352

A trois religieuses de Varsovie du 11 mars 1695 352

N° 801 352

A la mère Marie de Jésus Petigot, prieure ce, 4 juillet 1695 352

N° 949 353

Aux religieuses anciennes du monastère de Varsovie ce 4 juillet 1695 353

N° 949 pour la lettre précédente ?? vérifier toutes les références antérieures...] 353

N° 1738 354

Aux religieuses anciennes du monastère de Varsovie 29 juillet 1695 354

N° 2172 355

A la révérende mère Saint-François de Paule, prieure du monastère de Saint-Louis au Marais, à Paris ce lundi 1er août 1695 355

N° 268 autographe, P 1, N° 90. 355

A la révérende mère, la très révérende mère prieure des religieuses du Saint Sacrement rue Neuve Saint Louys au Marais à Paris. / A une religieuse à qui elle avait proposé d'aller en Pologne 3 août 1695 355

N° 1503 356

A toute la communauté du monastère de Varsovie 5 août 1695 356

N° 1300 357

A la révérende mère Marie de Jésus, prieure 5 août 1695 357

N° 466 357

A une religieuse qui désirait d'aller en Pologne et renouer le voyage que cette digne mère avait rompu à cause des guerres, Mère Marie du Saint-Esprit Boutilly ce 14 août 1695 357

N° 656 358

A la communauté du monastère de Varsovie 9 septembre 1695 358

N° 1184 359

A la mère Marie de Jésus Petigot, prieure ce 23 septembre 1695 359

A la mère du Saint Esprit Boutilly à Varsovie ce 23 septembre 1695 360

N° 1593 360

A la mère Marie Casimire Potocka Paris, 10 mai 1696 360

N° 3094 Autographe à Varsovie 360

A une religieuse ce 6 juillet 1696 361

N° 1633 361

Pour notre très chère fille en Jésus, sœur de Saint-Bernard (Anne Bompard) ce 6 juillet 1696 361

N° 2771 autographe à Rouen 361

A la mère Marie de Saint-François de Paule Paris, 16 septembre 1697 361

N° 1178 autographe 361

A la mère Magdeleine d'Auvergne 27 septembre 1697 361

N° 96 autographe à Varsovie. 363

De la reine de Pologne à la mère Marie de Jésus Petigot, de Varsovie 20 juin 1698 363

De la mère Catherine de Jésus Ce 24 octobre 1702 363

V NOTICE NÉCROLOGIQUEDE LAMÈRE RADEGONDE DE LA PRÉSENTATION DE BEAUVAIS 365

VI FONDATION DU MONASTÈRE DE ROME 1702-1708 373

Arch. Nat. L 1076, 2e liasse, n° 15 373

Arch. Nat., L 1076, 2e liasse, n° 14, AUTOGRAPHE 374

Loué soit à jamais le très Saint Sacrement de l'autel de Rome ce 8e d'octobre, 1702 374

Arch. Nat. L. 1076, n° 2 376

Ce 28 novembre 1702 376

Du cardinal de Noailles Conflan le 31 octobre 1707 377

Archives conservées au monastère de Rouen. AUTOGRAPHE 377

CLÉMENT PAPE XI A nos bien aimées filles en Jésus Christ Marie Saint François de Paule, prieure et religieuses de l'adoration perpétuelle du Saint Sacrement 377

Arch. Nat. L 1076 n° 22 378

[MARIE CASIMIRE] A ma très chère mère de l'Assomption, religieuse du Saint Sacrement A Blois, le 26e de juin 1716 378

Archives conservées au monastère de Rouen. Autographe 378

VII CHRONIQUE DU MONASTÈRE DE LWOW 1708-1709 378

VIII LETTRE D'UNE MONIALE DE LWOW 382

Lettre d'une moniale de Lwow à une moniale de Paris, Saint-Louis-au-Marais de Léopol 10 décembre 1714 382

IX HISTOIRE DU MONASTERE DE LWOW 1709-1978 384

I. FONDATION : 1709-1752 384

NOTICE NÉCROLOGIQUE DE LA FONDATRICE DE LWOW 394

II. SOUS L'OCCUPATION (1772-1917). 395

PASSAGE DE RÉFUGIÉS FRANÇAIS A LWOW (1798-1799) 397

III. DANS LA POLOGNE RESSUSCITÉE (1917-1945) 400

IV. A L'OUEST 1946-1961 403

Lettre circulaire sur la fondation de Wroclaw Wroclaw, février 1979 405

X STANISLAS LÉSZCZYNSKI 407

Demande de reliques Au chateau de Meudon le 12 octobre 1736 407

POUR SERVIR DE MODÈLE DU PROJET DE DELIBERATION A PRENDRE PAR LE MONASTÈRE DE L'ADORATION PERPÉTUELLE DU SAINT SACREMENT ÉTABLI A NANCY 410

Lettre circulaire du monastère de la rue Cassette aux monastères de l'institut Ce 13 juin 1782 410

Loué et adoré soit à jamais de très Saint Sacrement. 410

Acte de délibération faite au sujet de notre maison de Varsovie 411

Lettre de Monsieur le comte de Vergennes 202, ministre et secrétaire d'État, ayant le Département des Affaires étrangères, adressée à monsieur le général, comte de Monet chargé des affaires du roi de Pologne. A Versailles, le 31 mai 1782 412

Second acte de délibération en faveur de la maison de notre institut établie à Varsovie 412

Départ de notre chère sœur Saint-Bernard pour Léopol 414

XII LOUISE ADELAIDE DE BOURBON-CONDE VARSOVIE 1802 415

Les épîtres et arrangements avec la communauté du très Saint-Sacrement de Varsovie, dite les bénédictines de l'A doration perpétuelle, de S.A. Madame la princesse Adélaïde Bourbon-Condé 209, au sujet de sa réception dans ce couvent, après sa sortie de la Trappe, et avant son départ en Angleterre à Bodney-hall. A Nieswierz en Lithuanie, ce 31 mars (calendrler russe) 12 avril (calendrier romain) 1801 415

Au nom de la Très Sainte Trinité, le Père, le Fils et le Saint Esprit [Moi Soeur Marie Joseph de la Miséricorde...] 416

A monseigneur Adam Prazmowski, évêque de Varsovie, et supérieur de la maison 417

XIII CORRESPONDANCE DES MERES PRIEURES 1858-1932 417

Varsovie, 4 mai 1858 417

Du monastère de Paris à notre maison de Rouen Paris, 21 mai 1858 418

Varsovie, 8 mars 1860 Bien chère et respectable mère, 420

Varsovie, 12 mars 1860 421

Varsovie ce 13 mars 1860 421

Varsovie, ce 20 juin 1860 422

Varsovie, le 29 d'octobre 1863 422

Varsovie, 1865 422

Varsovie, le 8e de septembre l'an 1871 423

Varsovie 12 mars 1873 424

Léopol, le 24 décembre 1919. 424

Annales du monastère de Rouen — année 1922 426

Noël 1924 427

Léopol, 1932 428

XIV L'HOLOCAUSTE DE VARSOVIE 1944 428

Lettre circulaire du monastère de Varsovie 31 août 1944 428

EN ROUTE VERS LE SACRIFICE 429

L'HOLOCAUSTE 431

Les 32 moniales de Varsovie écrasées sous le bombardement de leur église le 31 août 1944 434

XV SIEDLCE 1978 435

Lettre circulaire du monastère de Siedlce Siedlce, janvier 1979 435

Homélie de Jean Paul II Varsovie 17 juin 1983 435

ANNEXES 436

APPENDICE I 436

Les bénédictines du Saint Sacrement à Varsovie 436

APPENDICE II 446

Acte à Notre Seigneur Jésus-Christ pour le premier jour de l’année 446

Extrait du bref du Souverain Pontife Pie VI 446

PAPE PIE VI 446

Religieuses françaises parties en Pologne 447

INDEX 449

Table des matières 460

Rouen 461

Tables 462

Table générale 462

Fin 470





Table des matières

Un TOTUM de et sur MECTILDE 3

Présentation 3

Tome second 7

Inédites 7

Itinéraire spirituel 176

Origine des recueils de Conférences [M.-V. Andral, ajout] 243

Entretiens familiers [Sœur Castel] 250

Pologne 282

Rouen 461

Tables 462

Fin 470

Fin

1Comme l’ont été des sources traduites au siècle dernier de textes d’orient aujourd’hui redécouverts (bouddhismes, sivaïsme) : le travail d’érudits occidentaux est heureusement repris et poursuivi sur leurs terres d’origine (Inde, Japon, demain Chine).

2 Voir notre volume : Le Amitiés mystiques de Mère Mectilde […], coll. ‘Mectildiana’ dirigée par dom Joël Letelllier, éditeur Parole et Silence, 2017. Consulter le chapitre « Histoire des transmission » rédigé par sœur M.-H. Rozec, l’archiviste de l’Ordre, et plus précisément ‘VII. Le Fichier Central des Ecrits’, 327-328. Ce « FC » est l’outil utile après le présent totum pour aborder l’immense fonds manuscrit.

3Parce qu’ils ont été préservés en favorisant « l’intérieur » à l’usage des nouvelles générations. Guyon et ses proches ne pouvant être facilement édités suite à condamnation du quiétisme s’occupent de préserver un legs. Mectilde demeurée suspecte est sauvée par les sœurs de sa fondation bénédictine. Ailleurs, chez les figures qui n’ont pas été inquiétées, les écrits intérieurs sont une fraction d’écrits religieux qui incluent rapports avec les autorités et gestion de fondations (Jeanne de Chantal). ou bien la majeure partie a été perdue (Marie de l’Incarnation ‘du Canada’).

4 Découverte assez probable car le rassemblement des sources à Rouen est récente ; car la fidélité vis-à-vis de l’auteur est absente avant la fin du XIXe siècle ; car l’avis – discret - de Molette archiviste de l’Église de France est révélateur ; car de nombreux manuscrits tel P Paris seraient restés inexploités dès qu’une autre saisie provenant d’ailleurs était faite ?

5 Mais pas uniquement : ses moniales et leurs suggestions du comment vivre intérieurement. Surtout le fonds protégé depuis trois siècles par un Ordre religieux reconnu est unique pour trouver traces de l’esprit qui anima Madame Guyon et d’autres « adeptes de la quiétude ». Mectilde elle-même fut suspecte et sa canonisation demeura fruit défendu. Qui se ressemble s’assemble et conduit au présent « double ».

6 En effet il ne s’agit pas d’accéder à ce que l’on demande habituellement « en bibliothèque » - quelques ouvrages pour consultation parce qu’on en a entendu parler - mais après conseils et finalement autorisation, découvrir en circulant dans des rayons de livres ou dossiers ce que l’on ne savait exister. La découverte par l’ancien chercheur ès physique devient possible. C’est une archéologie textuelle pour laquelle on développe le « nez » du sourcier. Merci à Solesmes, à la Bibliothèque franciscaine, au Premier couvent du Carmel, et ici à Rouen / Craon.

7 Rencontres autour de Jean de Bernières […], coll. Mectildiana, Parole et Silence, 2013 ; Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde […], coll. Mectildiana, Parole et Silence, 2017.

8 Sœur Véronique Andral, Catherine de Bar, Mère Mectilde du Saint Sacrement, Itinéraire Spirituel, édition privée chez les Bénédictines, 14 rue Bourg-l’Abbé, Rouen, 1990.

9 Dictionnaire de Spiritualité, 10, 885-888. Beauchesne, Paris, 1980.

10 J. Daoust. Catherine de Bar, Mère Mectilde du Saint Sacrement. Téqui. Paris. 1979, pp. 49-86.

11 H. Brémond. Histoire littéraire du sentiment religieux en France. Bloud et Gay. Paris, 1916-1936. Surtout t. 9 (1932). pp. 207-219.

12 p. 107.

13 p. 131.

14 Règle de saint Benoit. 7, 64.67.69.

15 Nous donnons entre crochets les numéros des notes parfois longues et érudites — pour cette raison reportées en fin de volume. [NDE].

16 (239) : numéro correspondant au fichier général alphabétique. Il en est de même pour tous les numéros cités.

17 Nous n’entreprendrons pas ici de juger des faits extraordinaires qui jalonnent la vie de Mère Mectilde. Nous les rapportons dans la mesure où ils nous aident à connaître son monde intérieur et son cheminement spirituel. Nous pouvons seulement remarquer leur relative rareté. Selon l’Évangile, reconnaissons 1'arbre à ses fruits.

18 On peut voir dans sa « Vie », tous les dangers qu’elle avait dû affronter sur ce point.

19 On peut éclairer ce passage par ce texte de Bérulle : « II y a quelques âmes... qui pensent être privées de l’amour de Dieu ; et c’est lorsque souventefois elles en sont plus remplies... Mais elles ne le voient point, elles voient et sentent seulement la privation de l’amour, ce qui est un témoignage qu’elles n’en sont point privées, puisqu’elles ressentent la privation : car la privation de l’amour, j’entends par le péché, ne se ressent point. Si elles n’aimaient pas Dieu, elles ne ressentiraient pas cette privation parce que pour sentir la privation de l’amour, il faut avoir l’amour. Donc l’amour même opère souffrance en elles par la peine qu’elles portent de la privation de l’amour, et plus l’amour est grand en elles, plus elles connaissent l’importance de la privation d’icelui ». (Marseille. 22.66 D Feuilles 71-72) cité par Michel Dupuy « Bérulle, une spiritualité de l’adoration » Desclée 1964.

Mère Mectilde fait ses premiers pas sur cette route... jusqu’à l’enfer du Pur Amour, comme nous le verrons.

20 Voir encore Bérulle : « En la présence de cet Esprit suprême, éminent et dominant, tout esprit créé doit fondre comme un néant, et s’abîmant en la profondité de l’Être divin, doit s’abandonner et se perdre heureusement en Dieu (C.B. 3. 684. II).


21 Ce mot est de saint Augustin : « Quid avarius illo cui Deo sufficere non potuit ? » (Commentaire de la première Lettre de saint Jean. Traité n° 8, paragraphe 6, SC 75 p. 350) est cité par Martre Eckhart dans son « Livre de la consolation divine ». Il sera une source de grâces pour Madame Acarie qui le tenait de sainte Thérèse de Jésus (Bremond Hist. lit. du sentiment religieux T. II pp. 203, 204, 209) et Mère Mectilde le reprendra dans le « Véritable Esprit » en le complétant selon son charisme : « Trop est avare à qui Jésus ne suffit dans la divine Eucharistie » (V. E. p. 36, Ch. II).


22 « Cabinet » : petite pièce retirée où l’on met tous ses trésors (Glossaire des Œuvres complètes de saint François de Sales. Pléiade).


23 Voir dans « L’Homme Intérieur » pp. 427-428 parlant de Bernières, disciple du P. Chrysostôme : « L’esprit d’oraison, l’amour de la vie retirée, pauvre et abjecte, était le caractère de sa principale grâce. L’amour de l’abjection a toujours été le sujet de ses grandes inclinations. Il avait reçu cet esprit abondamment de Notre Seigneur crucifié, par les communications de son saint directeur qui avait établi, comme on l’a remarqué, une société spirituelle que l’on appelait la confrérie ou société de la sainte abjection. L’on peut croire que cette société n’eut pas grand nombre de confrères : il s’en trouva néanmoins qui s’y rangèrent avec une générosité vraiment chrétienne, dans l’union de Jésus abject et méprisé... Or, M. de Bernières fut l’un des premiers et plus ardents confrères de cette société, et comme la pauvreté renferme l’abjection, cette vertu fut aussitôt sa chère vertu ».

Pour cette Société, voir ibid. pp. 258 à 260. Dans ce travail p. 83.



24 Subida del Monte Carmelo, édit. Silverio, livre II, chap. 7 ; t. II pp. 94-95. Traduction : Lucien-Marie de S. Joseph, p 149.


25 cf. Bérulle « Une spiritualité de l’adoration » op. cit. p. 79 : « Les Rhéno-Flamands considèrent en général la volonté comme une des puissances qui procèdent du “fond”. Et la même conception est reprise par la “Perle” où le “fond” est devenu “l’essence” ou encore “l’esprit”. C’est en deçà des trois puissances dans le “fond” ou “l’essence” que Dieu réside et que l’homme peut être uni à Dieu. Pour rentrer dans le fond, il faut anéantir les trois puissances : la mémoire par l’abolition des images, l’intelligence par la nescience, et la volonté par la suppression de tous désirs. Cette manière d’honorer Dieu dans le fond de l’être ne peut être opérée que de Dieu, non de l’homme qui agit par son être, mais non dans son être. Et Dieu seul est celui qui se prépare cette demeure et habitation, pour y reposer comme dans son trône, pour y opérer comme en son fonds et son héritage, pour y imprimer ses qualités, comme en son miroir et son image, l’homme ne peut sinon s’offrir, se livrer et s’abandonner au vouloir et à la puissance de son Dieu et son créateur » (O.P. CXLVIII 2 col. 1191)

Pour qui veut approfondir, voir le livre du Père Y. Raguin s.j. : « La profondeur de Dieu » D.D.B. Christus Essais n° 33, 1973.


26 « Accoiser » = apaiser.


27 Ses dernières paroles seront : « J’adore et me soumets ».


28 [encadré page 83 de l’édition primitive :]

« La Sainte Abjection »

Voir « L’homme intérieur » de Boudon, pp. 256 à 260 « Oh que l’abjection est aimable, écrivait (le P. Chry­sostôme) à un grand serviteur de Dieu, je vois qu’elle est comme l’unique voie de la perfection ».

« Il institua donc une société parmi plusieurs personnes fort spirituelles et très « dégagées de la matière, qu’il appela la Société de la Sainte Abjection... Le saint homme enseignait qu’entre les dispositions de l’Esprit de Jésus Christ, l’une des principales était le pur amour de l’ab­jection et de l’anéantissement, c’est pourquoi il s’écriait : « Si vous aimez bien le tout aimable Jésus, vous devez vous proposer fortement de l’imiter dans ses voies humiliantes, et pour lors vous verrez des merveilles dans la conduite de sa grâce ». C’était cet Esprit de l’adorable Sauveur du monde, dont il était rempli, qui lui communiquait ses dis­positions, lui avait donné la pensée d’établir une société qui fut toute dédiée à honorer ses états humiliants. C’est pourquoi il la consacra à Jésus méprisé et abject, la dédiant aux fidèles amants et imitateurs de sa sainte ab­jection, et désirant que la très humble Vierge fut reconnue de tous les associés pour la grande Directrice. Voici une partie de la protestation qu’il souhaitait que les associés fissent ensuite de la communion vivifiante du précieux Corps de notre bon Sauveur et notre Dieu :

« Je me consacre et me donne sans réserve à l’Esprit et aux dispositions de Jésus mon Seigneur et mon Sauveur, pour entrer dans la communion de tous les différents états et pratiques de mépris et d’abjection de sa vie voyagère, et pour aimer “purement et souffrir patiemment toute ab­jection, tout mépris, rebut, délaissement, toute persécution, injure et calomnie de qui que ce soit sans exception, pro­mettant, ô mon Dieu, d’en remercier votre divine Pro­vidence comme d’une faveur très particulière » (pp. 258-259).

« Il composa un excellent livre à ce sujet divisé en quatre parties. Dans la première, il traite de la société spirituelle de la sainte abjection. Dans la deuxième, des états différents et diverses pratiques de cette vertu. Dans la troisième, il donne des méditations sur les états hu­miliants de Jésus notre bon sauveur. Dans la quatrième, il en donne d’autres en la vue de la divinité » (p. 260).


29 Voir Bérulle (C.B. 2. 423. par.III. 24 mai 1623) : « Il nous faut abandonner à celui à qui nous sommes et sans lequel nous ne pouvons être un moment. Comme il vous semble qu’il vous ruine, il vous semble aussi qu’il vous rejette ; mais il nous tient à soi en nous rejetant, il nous unit à soi en nous séparant, il nous soutient en nous confondant, il nous vivifie en nous anéantissant, et il se donne à nous en nous privant de nous-même et en nous privant, ce nous semble, de soi-même ».

30 Voici une phrase bien abrupte que Bérulle et M. Dupuy peuvent nous aider à comprendre :

[encadré page 88 de l’édition primitive :]

Une spiritualité de l’adoration »

p. 71 : Anéantissement : réintégration en Dieu. Nous sommes sortis de Dieu par la création, nous y retournons par anéantissement, « rentrée en Dieu, divinisation par li­bération de cette limitation qui consiste à être en soi »... néant comme capacité de Dieu.

p. 74 : Ce néant auquel l’âm e tend à se réduire n’est pas Dieu, mais seulement disponibilité à l’égard de Dieu, l’anéantissement même passif, n’est pas l’union à Dieu, mais la « capacité de Dieu ».

p. 92 : La séparation de soi-même se confond ma­nifestement avec l’anéantissement « grâce qui me sépare de moi-même, m’unit et m’incorpore à vous... Grâce d’a­néantissement et d’établissement » (Élévation à Jésus, n° 15). « Ici vous travaillez à vous séparer de l’Etre présent et sensible, pour vous rendre à la vérité et sainteté de l’Etre de Dieu (C.B. 3. 803. IV).

p. 95 : (Bérulle) ne sépare pas l’anéantissement de l’établissement dans le Christ, le néant de la créature de la dignité que lui confère sa vocation nouvelle, la con­tingence du moi de son appel personnel par Dieu.

p. 96 : Si être est désormais être relatif (à Dieu, au Christ) la relation de connaissance qui se substitue au repli sur soi anéantit un être illusoire au profit de l’être réel ».



31 « Hostiam et oblationem pro peccato non tibi placuerunt et dixi : ecce venio... » (Cf. Heb. 10, 5-7 et Ps. 40, 7-9).

32 Saint Paul voulait être « anathème » pour ses frères (Rm. 9, 3).


33 Ne rien préférer à l’amour du Christ. (R.B., 4, 21).


34 cf. p. 130 et suivantes, quelques beaux textes sur ce sujet.


35 « Esse sine Iesu gravis est infernus » Imit, de J.C., L. II, chap. 8, v. 2.


36 Un petit passage de la conférence 19, n° 1591, où elle parle de ces souffrances intérieures à propos de Noël. Carnet rouge p. 131.


37 cf. Paul Renaudin, J.J. Olier, pp. 38 et suivantes, Albin Michel, Paris 1943 et Michel Dupuy, « Se laisser à l’Esprit », Itinéraire spirituel de J.J. Olier, Cerf 1982 :

[encarts pages 129 & 130 de l’édition primitive :]

« Jean-Jacques OLIER »

« Avec tout son siècle, Olier a eu un sentiment très vif du péché originel, de la misère de notre nature déchue et corrompue. La grâce seule peut réparer cette blessure, si nous savons — nous unir au sacrifice réparateur du Christ. L’esprit chrétien “porte à se rendre victime du grand Dieu : il tend à l’anéantissement total de notre être, qui est opéré par mille devoirs de religion qui se terminent tous au sacrifice...” Et encore : “Il ne faut point de roses sur le Calvaire ; il faut être privé de tout, il faut être collé à la croix toute nue, et couché sur les épines.”

Ce profond anéantissement en Jésus-Christ, ce mystère de mort qui devient un mystère de vie, c’est le cœur de la spiritualité de J.-J. Olier. Doctrine austère, à coup sûr ; mais en peut-il être d’autre dans le Chris­tianisme ? La houlette fleurie de François de Sales ne mène-t-elle pas ses brebis choisies vers l’immolation et le sacrifice ? Et le pur amour du doux Fénelon n’est-il pas fondé sur une cruelle mort à soi-même ? Cette austérité, cette grandeur, c’est la tradition de toute notre École française, à la fois ascétique et mystique. Elle dresse la croix devant les âmes, comme Jésus l’a dressée sur le monde. “Il faut être un Jésus-Christ en terre”, dit M. Olier. Le prêtre particulièrement, qui n’a pas seulement à imiter les vertus du Christ, mais à reproduire ici-bas sa fonction essentielle, de prêtre et de victime éternels. N’avoir plus d’autre vie en soi que celle du Christ, par sa grâce, vivre en lui pour qu’il vive en nous, voilà, fon­cièrement, le mysticisme de M. Olier. Et c’est le Pau­linisme le plus pur. » Iam non ego vivo, sed Christus vivit in me ».

« Se laisser à l’Esprit »

p 212 : « Le passage par la mort et la résurrection doit réaliser cette... consommation radicale dont le désir habite depuis longtemps Olier : il lui faut mourir à l’amour propre et vivre enfin dans la charité du Christ, comme il convient à des enfants de Dieu ».

p. 216 : « Cette consommation qu’il désire, tous y sont appelés, puisqu’ils sont baptisés dans la mort du Christ. « C’est en quoi consiste proprement l’état le plus parfait du chrétien quand il (se) voit comme une hostie con­sommée et anéantie devant la Sacrée Majesté » (M. IV, 38).

p. 218 : « Le chrétien est appelé oint comme Notre Sei­gneur qui est consacré, dévoué à Dieu ; et tous les chré­tiens ensemble sont appelés Le Christ (note : ou « le Corps du Christ » et Augustin enarratio II in Ps. 26, 2 ; P.L. 36.200) <ce> qui est à dire : l’oint, un Corps oint à Dieu, consacré et dédié à Dieu.

« Et les clercs en font la promesse publique et pro­fession de vouloir imiter Jésus Christ en qualité d’hostie vouée et consacrée à Dieu, destinée à la mort » (D.E. 1, 188-189).

[...I C’est la condition de l’âme parfaitement res­suscitée en Jésus Christ, de l’âme parfaitement unie au Fils de Dieu que <de> se laisser toute à l’Esprit Saint de Jésus Christ, de s’abandonner toute à lui qui le veut con­sommer en lui et qui le veut entièrement conduire en tous ses mouvements intérieurs, le possédant absolument et le réglant comme l’âme règle et conduit le corps. C’est une grâce admirable que celle d’une âme qui est en cet état ».




38 Ps. 54, 28 et 1 Pi. 5, 7.


39 Cf. Saint Jean de la Croix : Cantique spirituel A, str. 36 (Cant. B, str. 37) ; Cantique des Cantiques, 2, 14 ; Ant. de sainte Gertrude « Casta columba nidif icans in caverna maceriae sacri lateris Iesu Christi... »


40 * Pour ce terme, voir « Benort de Canfeld », Paul Renaudin, Spes, 1955, chap. III, pp. 105-123 : « vie unitive », activité de l’âme sur un mode divin, participation commencée à la vie divine.

« Conformité transformation > déiformité (état très rare) sous la motion du Saint Esprit ». « Tauler appelle état “déiforme” un état stable d’union à Dieu où l’âme est réellement transformée en Dieu » : Cognet, Introduction aux mystiques Rhéno-Flamands p. 145.


41 " Quam videris animam, relictis omnibus, Verbo omnibus votis adhaerere, Verbo vivere, Verbo se regere, de Verbo concipere quod pariat Verbo, quam possit dicere : rnihi vivere est et morí lucrum : puta coniugem, Verboque maritatam ». (Saint Bernard In Cant. Sermo LXXXV. 12).


42 Ce chemin rappelle le. »Songe mystérieux".

43 Ceci paraît être un bon résumé de tout ce que nous venons de voir.


44 Union « substantielle ». Voir « Se laisser à l’Esprit », l’itinéraire spirituel de J.J. Olier, Michel Dupuy, Cerf, Paris, 1982.

p. 292 : « Les dons de Dieu ou Dieu Lui-même (...) (Olier) préfère “être dépouillé de lumières” pour s’attacher à Dieu lui-même. Alors Dieu le nourrit de sa “substance”. »

p. 293 : « Canfeld avait parlé de la volonté divine “essentielle”... Olier préfère ordinairement (le concept) de substance... L’union à Dieu joint la “substance” divine (si on peut ainsi s’exprimer) et la “substance” de l’âme. S’attacher à Dieu, c’est Lui laisser prendre, non seulement les facultés, la volonté et l’intelligence, mais aussi le “fond” de l’être, la substance (...). »

« Par les lumières sensibles, Dieu se proportionne à l’âme, s’offre à l’âme selon la capacité de l’âme. Par cette union essentielle, il proportionne l’âme à lui-même, il l’élève à lui, il l’appelle à l’immensité de son amour : Dieu ne veut point que ses adorateurs se nourrissent d’autre substance que de la sienne en sa pureté, et séparé de tout goût et consolation qui n’est pas lui. Il nous faut entrer dedans Dieu et nous voir élevés par l’Esprit au-dessus de notre chair et des sens, et ne point attirer Dieu à venir dedans nous. Il vaut mieux passer en Dieu et entrer dedans lui (plutôt) qu’il descende dans nous. C’est effet d’amour-propre et non pas d’abandon et de perte dans lui, telles que le sont les âmes qui ont leur âme perdue par la foi dedans Dieu » (L 117, 11 août 1645).



45 On peut rapprocher de ce texte ce passage du Véritable Esprit ch. IV.4 : « Les plus élevées entrent en unité et sont par état avec Jésus Hostie... Elles doivent demeurer simplement en Jésus qu’elles voient en elles. Tout ce qu’elles ont à faire c’est de vivre dans la mort continuelle et se laisser animer de sa vie, non plus par des écoulements de grâce, comme dans les autres états, mais de Lui-même, c’est-à-dire de la même vie dont il vit en Lui-même, l’âme y étant introduite par une miséricorde singulière, elle ne voit plus que Lui et ne fait rien hors de Lui, mais d’une manière toute divine... » (Voir aussi la fin du ch. I [lère éd.] et le ch. XII).


46 Antienne de Benedictus du 22ème dimanche du Temps ordinaire.


47 Place de Paris, à l’actuel emplacement de l’Hôtel de Ville, où avaient lieu les exécutions.

48 Nous donnons ici la version, plus archaïque, du Z 4, p. 308 (ms conservé à Rumbeke), tout en reconnaissant que l’abbé Berrant l’a à peine retouchée, ce qui est très méritoire pour un biographe faisant une citation.


49 Répons « Animam meam » du Vendredi-Saint.


50 Ici finit la citation du texte de Mère Mectilde par l’abbé Berrant.

51 Cf. Saint Jean de la Croix. Livre de la nuit obscure, ch. 6 et 7).


52 « Tetigit me Domine » : est-ce une allusion à Job ? "Manus Domini tetigit me" (Jb 19, 21).


53 Il s’agit du Règlement des Offices.


54 Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus relèvera aussi cette phrase qu’elle a lue dans le petit « Bréviaire du Sacré-Cœur » composé à partir des écrits de Sainte Marguerite-Marie.


55 Rosay en Brie (arrondissement de Meaux).

56 Cette chapelle a vu les vœux des partants en Nouvelle-France dont Marie de l’Incarnation. Toujours là, au milieu d’un bois en surplomb de la ville de Honfleur.

57 Bonne âme : 31 décembre 1687, Guyon ?

58 « Bonne âme »

59  ? erreur !

60  ? erreur Guyon ?

61  ?

62  ? erreur...

63 +

64 +

65 +

66 +

67 Bertot directeur de Mectilde ? Probablement caché dans l’histoire de la fondatrice non canonisée car Berto fut condamné post-mortem comme quiétiste.

68 Àa lire absolument ++

69  ! sur la fondation de Montargis.

707