Madame Guyon XI Années d’épreuves



LES ANNÉES D’ÉPREUVES DE MADAME GUYON



Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi très Chrétien



Documents biographiques rassemblés et présentés chronologiquement



Dominique Tronc






l

Opus « Madame Guyon »

Quinze ouvrages



Madame Guyon Oeuvres mystiques choisies


I Vie par elle-même I & II. – Témoignages de jeunesse

II Explication choisies des Écritures.

III Oeuvres mystiques (Opuscules spirituels choisis).

IV Correspondance I. Madame Guyon dirigée par Bertot puis Directrice de Fénelon.

V Correspondance II. Autres directions - Lettres jusqu’à la fin juillet 1694.

VI Les Justifications. Clés 1 à 44.

VII Les Justifications. Clés 45 à 67 - Pères de l’Église.

VIII Vie par elle-même III. – Prisons – Compléments – pièces de procès.

IX Correspondance III. Du procès d’Issy aux prisons.

X Correspondance IV. Chemins mystiques.

XI Années d’épreuves – Emprisonnements et interrogatoires - Décennie à Blois.

XII Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui re gardent la vie intérieure.


Éléments biographiques, Témoignages, Etudes.

Indexes et Tables.




Introduction

Présentation du contenu de l’ouvrage

Lors de la célèbre « querelle du quiétisme » qui se déroula durant la dernière décennie du Grand Siècle, Mme Guyon (1647-1717) anima le cercle spirituel auquel appartint Fénelon ainsi que les ducs de Chevreuse et de Beauvillier. Le caractère illustre de ces membres d’un cercle dévot assez large, ainsi que l’opposition calculée de Mme de Maintenon, devenue l’épouse du roi - son confesseur Fénelon donnera un avis défavorable à la publication de cette union - exacerbèrent les dures attaques des pouvoirs royal et ecclésiastique représenté par Bossuet étroitement associés. Il fallait en finir par une condamnation nette qui mette un terme à une affaire devenue publique entre les deux prélats les plus illustres de l’Église de France.

Une procédure judiciaire fut engagée contre la forte tête du cercle. L’enquête porta sur l’accusation d’avoir fondé une secte secrète, une « petite Église » selon l’expression malheureuse de lettres saisies - le protestantisme est encore actif - et sur le fait « criminel » de s’être cachée dans Paris avant la saisie policière du 27 décembre 1695 qui ouvre une longue période de prisons. Le choix d’un tel motif invoqué par le pouvoir est expliqué dans la contribution « Justice et raison d'état. Les vicissitudes d'une enquête » qui achève l’Introduction. Madame Arlette Lebigre y situe le cadre où le lieutenant général de police de Paris La Reynie exerça avec compétence et humanité des interrogatoires qui nous sont parvenus et sont ici publiés dans leur majorité pour la première fois.

Jeanne-Marie de la Mothe-Guyon subira trente-huit interrogatoires (à trois reprises, par l’official Chéron, par La Reynie, par d’Argenson), et elle fut enfermée en cinq lieux différents. Fait exceptionnel, neuf interrogatoires par La Reynie ont été très soigneusement enregistrés devant greffier : on souhaitait clore la « querelle » d’une manière analogue à ce qui était advenu dix ans auparavant à Rome où Miguel de Molinos avait été convaincu de faute morale et condamné, puis avait décoré une vaste cérémonie publique avant de disparaître à jamais. Il fallait donc avoir tous les éléments à charge bien en main.

Aux pièces témoignant du bon fonctionnement de la police du Grand Roi1 - parfois à ses hésitations face à une défense opiniâtre - et aux procès verbaux d’interrogatoires que nous venons d’évoquer, s’ajoutent des confrontations avec un confesseur imposé ou avec l’archevêque de Paris qui se déplacera jusque dans la prison - par obéissance totale à la volonté royale - relatées par l’intéressée dans une correspondance, qui se maintint au début de sa « descente en enfer », et dans ses témoignages autobiographiques postérieurs à la sortie de la Bastille, dont se détache le récit de prison.

Pièces d’archives et témoignages constituent un ensemble cohérent que les historiens récents n’ont pas pris en défaut. Leur caractère abrupt annonce déjà des récits de survivants d’internements policiers au XXe siècle. Les interrogatoires de Mme Guyon, même mis en forme par un greffier, fascinent par leur intensité. Ils mettent en évidence la capacité de défense de l’accusée face à la préparation soigneuse des questions qui s’appuyaient sur les réponses de familiers lors d’interrogatoires préparatoires. Des lettres rédigées « à chaud » par la prisonnière témoignent d’une perversité des juges renforcée par l’intrication entre pouvoirs civils et religieux. Plus tard, le récit de prison décrira sans fard l’accablement auquel presque tous succombaient : elle surmonta le sien et vivra par la suite une retraite active.

Si l’on considère la période parisienne qui succède aux années de jeunesse et de voyages et qui couvre les années 1686 à 1703, on note avec surprise que la durée passée dans l’ombre des prisons approche celle vécue en pleine lumière publique. La liste qui termine notre récit (elle précède la contribution « Justice et raison d' État. Les vicissitudes d'une enquête ») ne situe pas moins de cinq périodes d’enfermements successifs, trois sous juridiction religieuse et deux sous juridiction civile, dont la seule célèbre, plus longue que toutes les autres cumulées, dans la Bastille. Les témoignages portent ainsi sur les deux types de contraintes qui s’entremêlent sous l’Ancien Régime.

A cette contribution en vue de mieux connaître les conditions carcérales au Grand Siècle, nous associons un apport biographique qui couvre la seconde partie de la vie de Mme Guyon : cette période demeure en effet méconnue. Nous défrichons ici un terrain vierge en tentant d’établir une chronologie sûre, autour de laquelle les témoignages peuvent prendre place et s’éclairer mutuellement, telles des formes cristallines convenablement exposées autour du fil qui les a vues naître. Car l’immense littérature accumulée depuis trois siècles autour de la célèbre querelle ne comporte que de très rares études directement consacrées à Mme Guyon : et celles-ci s’attachent aux influences exercées par l’animatrice du cercle quiétiste, c’est-à-dire sur ses périodes de liberté2.

Aucune étude n’a été menée sur la période obscure qui couvre la plus grande partie du présent ouvrage. Ce dossier chronologique prend naturellement la suite du célèbre Crépuscule des mystiques de Louis Cognet dont Mme Guyon constituait discrètement le sujet central3. Cette biographie voilée l’abandonna au moment où elle échappe au contrôle de Bossuet en sortant du couvent des Visitandines de Meaux, pour consacrer ses dernières pages à un Fénelon quelque peu oublié dans le corps de l’ouvrage. Les « Nouvelles aventures » de Mme Guyon, titre donné par l’abbé au dernier récit qui lui était consacré dans le Crépuscule, occupait la première moitié de l’année 1695.

On verra comment les aventures tournèrent rapidement au drame.

Les quatre premières sections de notre ouvrage couvrent les années 1686 à 1695. La « vie publique », seule période de liberté, certes la plus longue, fut largement couverte par des témoignages de chroniqueurs contemporains et attira ainsi l’attention des historiens disposant ainsi de nombreuses sources. Aussi nous n’en rappelons que quelques jalons. Les deux brèves détentions qui l’encadrent, en 1688 puis en 1695, retiennent plus particulièrement notre attention, ce qui est conforme à notre souci de cerner avant tout les conditions carcérales : nous nous attachons alors exclusivement au vécu concret de la prisonnière, tandis que le Crépuscule des mystiques traitait des événements publics par la mise en scène du chœur dramatique des acteurs de la querelle.

Dans les quatre sections suivantes, certains des acteurs précédents resurgissent, qu’il s’agisse du grand Bossuet ou de l’obscur confesseur  Pirot. Chronologiquement, ces sections prennent le relais du Crépuscule, couvrant une période continue de détentions qui s’étend sur plus de sept années en trois lieux successifs, de décembre 1695 à mai 1703.

Cette période est nocturne au sens le plus concret : les quarante-deux mètres carrés de la deuxième chambre de la tour du Trésor de la Bastille n’étaient éclairés que par d’étroites embrasures à travers de murs fort épais. Elle l’est aussi au sens figuré : les conditions de vie sont mal connues ; les sources disponibles se limitent aux neuf premiers interrogatoires sur trente-quatre4 vécus par la prisonnière, à de brèves pièces administratives, aux lettres de la prisonnière en début de détention, enfin au récit postérieur couvrant les « années muettes » où Fénelon et ses amis ont même craint sa mort ; confié aux proches après la sortie de la Bastille, son manuscrit du terrible récit de prison ne fut mis en valeur que récemment5.

Les détentions eurent lieu successivement en trois lieux : le donjon de Vincennes, lieu des interrogatoires par La Reynie ; l’étrange « couvent » de Vaugirard ; la prison royale de la Bastille. Les sections qui leur sont consacrées forment le cœur de l’ouvrage.

Enfin une neuvième et dernière section, comme le dernier jour paisible d’une longue semaine de travail (au sens fort), sort du cadre oppressant des enfermements pour évoquer une retraite où, lavée de toute accusation mais non d’obligation à résidence, l’ex-prisonnière reprend sa direction spirituelle auprès de disciples « cis » (français) et « trans » (européens) : longue période qui va de 1703 à la mort en juin 1717, sur laquelle les renseignements sont très rares, car les témoins sont devenus discrets. Nous quittons alors l’enquête policière en rassemblant les rares pièces qui cernent la fin de la vie d’une survivante des prisons.

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La structure qui sous-tend les événements, les témoignages et les pièces de justice, souligne en premier lieu des espaces vécus - souvent à l’étroit - et ponctue en second lieu le déroulement du temps. Ceci constitue deux échelles qui se superposent pour situer les événements. En témoigne la table des matières :

1°. Les titres de premier niveau des neuf chapitres qui suivent l’introduction synthétique précisent généralement des lieux :

1. Paris (21 juillet 1686 - 29 janvier 1688)

2. Internement à la Visitation de la rue Saint-Antoine (29 janvier 1688 – 13 ? septembre 1688).

3. Vie publique (13 ? septembre 1688 – 12 janvier 1695).

4. La Visitation de Meaux sous la férule de Bossuet (13 janvier 1695 – 8 ? juillet 1695).

5. Échapper au Grand Roi ? (8 ? juillet 1695 – 27 décembre 1695)

6. Le donjon de Vincennes et ses interrogatoires (30 décembre 1695 – 16 octobre 1696).

7. Le « couvent » de Vaugirard (16 octobre 1696 – 3 juin 1698)

8. L’isolement à la Bastille (3 juin 1698 – 24 mai 1703).

9. La retraite et l’apostolat à Blois (24 mai 1703 – 9 juin 1717).

Ces neuf chapitres sont de longueurs très inégales. Nous disposons d’une densité documentaire extrêmement variable selon les années. Nous voulons couvrir en détail les périodes « à l’ombre » négligées jusqu’ici, en ne donnant par contre que quelques repères pour les périodes « publiques » bien connues. Il nous a cependant paru souhaitable de mettre au même niveau de chapitres des rappels très courts mais portant parfois sur des périodes longues sans histoire personnelle et les développements larges mais concentrés dans la durée, tels les procès verbaux d’interrogatoires ou les témoignages de l’accusée.

Quelques titres de second niveau servent à distinguer entre des sources au sein des « longues heures » lorsqu’elles sont très chargées d’événements. En effet la distribution est fort inégale entre l’année 1696, la plus chargée, qui couvre près du tiers du volume de ce livre parce qu’elle inclut des interrogatoires soigneusement transcrits, et l’année 1701 fort vide - ses amis craignent qu’elle ne soit morte - qui couvre moins du centième du volume. Terminons sur l’usage des titres : ceux de troisième niveau distinguent souvent entre les sources documentaires. Ceux de quatrième et dernier niveau marquent les sujets traités ou les pièces telles que des lettres d’une même source.

2°. Mais les titres de second niveau marquent le plus souvent la dimension temporelle selon les « heures d’une horloge ». Ils délimitent précisément le déroulement par années, en dix-huit années ou « longues heures », couvrant de 1686 à 1703, puis en trois périodes dont les termes sont : 1706, 1714, 1717.

Une telle « horloge » souligne notre ignorance des événements vécus au cours des dix-huit dernières années (1699-1717), comparée à l’abondance des témoignages sur la période antérieure de « vie publique », des premiers enfermements et interrogatoires. Tout se passe à l’inverse de ce que l’on constate habituellement chez les figures célèbres à propos desquelles les informations s’accumulent exponentiellement en fin de leur parcours de par leur reconnaissance progressive.

L’échec de Mme Guyon est, semble-t-il, total. A sa mort, sa reconnaissance est limitée à quelques disciples intimes. En collaboration avec le pasteur Poiret et son groupe piétiste, ils assureront le sauvetage de l’œuvre. Celle-ci poursuivra une carrière souterraine malgré la condamnation du quiétisme : elle sera en effet appréciée hors des frontières catholiques, en milieu piétiste.

Le rapport est inversé entre mystique et pratique religieuse au profit de l’expérience vécue, seule référence pour affirmer un « intérieur » inaccessible aux autorités religieuses : ce qui n’est pas sans poser de graves problèmes de conscience à l’intéressée. Partagée entre l’intime vécu irrécusable et l’importance qu’elle attache à sa pratique religieuse catholique, elle subit de plein fouet les chantages exercés par refus de la confession et de la communion6.

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La forme du présent volume - dossier de témoignages plutôt que récit biographique rédigé - est bien adaptée à l’intensité des épreuves qui suivent les « aventures » de la vie publique de Mme Guyon. Plutôt qu’une paraphrase des sources, il vaut mieux laisser toute la place à des témoignages bruts mais fort vivants. Nous proposons « un recueil de textes d’époque, rangés dans un ordre aussi rigoureusement chronologique que possible, reliés par une brève narration7 », centré sur les interrogatoires (augmentés de notes par La Reynie traduisant des réactions réfléchies), et sur des affrontements avec les confesseurs imposés. Les pièces sont souvent transcrites ici pour la première fois, accompagnées de témoignages de l’intéressée prélevés dans sa Correspondance8 et dans le Récit autobiographique des prisons9. Car La vie par elle-même telle qu’elle fut éditée au début du XVIIIe siècle, n’est pas utilisable ici. Elle s’arrête en effet à la fin de l’année 1695 qui voit l’arrestation et le début des prisons :

Je ne parlerai point ici de cette longue persécution, qui a fait tant de bruit, par une suite de dix années de prisons de toutes espèces, et d'un exil à peu près aussi long, et qui n'est pas encore fini, par les traverses, les calomnies et toutes sortes de souffrances telles qu'on les peut imaginer. Il y a des faits trop odieux, de la part de diverses personnes, que la charité me fait couvrir, et c'est en ce sens que la charité couvre la multitude des iniquités10, d’autres [ceux] qui ayant été séduits par des personnes mal intentionnées et qui me sont respectables par leur piété et par d'autres raisons, quoiqu'ils aient marqué un zèle trop amer pour des choses dont ils n'avaient pas une véritable connaissance. Je me tais, des uns par respect, et des autres par charité.11.

Constituer une tresse associant archives judiciaires, lettres et récit des prisons, tout en suivant la succession chronologique le plus rigoureusement possible, donne un relief saisissant à l’ « épreuve obscure ». Ce relief nous avait d’ailleurs échappé jusqu’à l’assemblage de ce volume limité aux faits.

L’approche d’une réécriture à fin biographique trahirait la sève intérieure des pièces et en affadirait le sel. Les passages significatifs du point de vue des événements extérieurs ne sont pas sans résonance intérieure chez celle qui les subit, « digressions » dont nous ne rendons pas compte ici : le lecteur se reportera aux textes de Correspondance II Combats et de la Vie qui soulignent une belle disponibilité à la grâce divine.



Années d’épreuves et stratégie inquisitoriale.

Une analyse des sources profondes du conflit et un survol de la chasse faite à la « dame directrice » par les pouvoirs civil et religieux conjoints sous l'autorité nominale du Grand Roi, - en réalité sous celle de Mme de Maintenon son épouse morganatique, - répondent à des questions qui seront soulevées par l’exposé chronologique. Cette recherche des causes profondes de l’épreuve et d’une cohérence dans le déroulement des faits suppose d’avancer quelques hypothèses. Nous n’exercerons cette liberté que dans cette seule section.

La source profonde d’une incompréhension

Nous abordons d’emblée le point délicat souvent occulté qui explique les doutes de critiques jusqu’à nos jours les mieux disposés vis-à-vis d’une femme qu’ils reconnaissent par ailleurs comme innocente et injustement maltraitée. Il s’agit de la transmission de la grâce de cœur à cœur, qu’elle affirme et dont elle souligne les conditions.

Il est possible de ne pas prendre parti en suggérant quelque illusion ou même un déséquilibre mental12. Mais cet évitement revient à placer au second plan ce qui sous-tend toute l’activité de direction de Mme Guyon et surtout ce qui explique un attachement inexplicable de certains « disciples ». Nous nous bornerons donc à donner son point de vue : pour elle, la grâce existe et sa transmission de personne à personne est un fait expérimental.

Elle découvrit que la prière silencieuse possède une efficience indépendante des pratiques religieuses, ce dont les clercs qui en sont plus directement responsables ne sont pas toujours conscients, et ce qu’on ne lui avait pas appris. Les pratiques ne sont qu’incitatrices : elles préparent et appellent à une prière profonde. Mais la grâce se charge parfois de la susciter inopinément en se manifestant directement.

Une telle prière profonde s'accompagna exceptionnellement chez Jeanne-Marie Guyon d’une communication de cœur à cœur. Cela lui arriva très inopinément et non sans contrecoup somatique après une longue évolution intérieure. Elle avait déjà trente-quatre ans lorsqu’une telle découverte sauvage eut lieu à Thonon en 1682 dans ses rapports avec son confesseur, le père La Combe. Elle résulta de la rencontre entre deux âmes avancées dans les voies intérieures.

Une telle communication est extrêmement rare, car elle suppose une pureté parfaite du cœur, l'absence de toute intentionnalité et de retour sur soi, l'action spontanée de la grâce qui passe par le canal d’une personne sans aucun mérite de sa part. Elle est attestée au sein de traditions spirituelles chrétiennes, chez les Pères du désert puis au sein de l’église orthodoxe. Elle est au cœur de traditions soufies et orientales qui ne relèvent pas de la médiation christique. Elle n’est décrite dans le monde catholique qu’exceptionnellement et par allusions. Elle nous paraît aujourd’hui peu croyable.

Ce fait inexpliqué de nature purement expérimentale suggère pourquoi Mme Guyon a exercé une attraction, incompréhensible pour Saint-Simon, sur des personnalités et dans des cercles spirituels variés ; rien ne l’y aidait, ni une sainteté évidente, ni son époque que l’on a pu qualifier d’« anti-mystique ». Résidant un temps à Grenoble à son retour d'Italie, juste avant son retour à Paris, de nombreux laïques et religieux, en particulier des moines et des chartreuses, venaient la voir. Ils distribuèrent son premier texte édité par un laïque ami et enthousiaste, un « moyen court » incitant à l’oraison sans étape intermédiaire. Ce rayonnement constaté l'encouragea à poursuivre une tâche d'apostolat, et cette fois dans la plus grande ville du royaume.

On pratiquait l’art de l'écriture d'une façon beaucoup plus intense que dans les époques précédentes, plus particulièrement dans le milieu noble de la Cour dont c’était l’une des seules occupations admises (avec l’exercice militaire) : aussi Mme Guyon distribuait-elle une large correspondance et des textes courts de direction, en particulier par l’intermédiaire du duc de Chevreuse au début de la période parisienne. Affirmant n’écrire que sous l’inspiration de la grâce, elle évitait toute reprise après coup ou repentir13.

Car les relations entre Mme Guyon et les membres de son cercle, ayant eu l’expérience intime que nous venons d’évoquer, généralement des laïques vivant hors de toute clôture, étaient d’une simplicité toute moderne. Sans précaution, elle livrait et affirmait une autorité soutenue par la communication de cœur à coeur constatée par ses proches. Ceci est particulièrement apparent dans sa correspondance avec Fénelon, où les différences de caractère et de formation intellectuelle, les défauts mêmes propres à chacun sont dépassés par cette expérience ineffable.

Mais l’usage d’un complément écrit portant sur l’intime cordial est risqué. Il génère une grande perplexité chez ceux qui, n'ayant aucune expérience de cet ordre, ne peuvent rationnellement admettre une autorité fondée sur un « sixième sens », même si par ailleurs ils admettent une communication possible par la prière avec Dieu et l’efficacité d’une présentation devant Dieu par autrui, ce qui constitue l’« activité » première des membres d’ordres contemplatifs.

Le sujet délicat de direction intime qui provoquerait une « affection particulière » apparaît en filigrane au cours du huitième interrogatoire par la Reynie, avec l’accusation de secte.



En pratique, tout ceci dégénéra à l’époque en un sujet de conversation à la Cour et d'amusement pour les courtisans, qui par ailleurs admettaient mal la prédominance du parti dévot et sa caricature austère offerte par les pratiques imposées par Mme de Maintenon et partagées par Louis XIV vieillissant.

A cette époque, la liberté de conscience était impensable sauf dans des cercles intellectuels étroits obligés en général à la dissimulation14. Pour la majorité il était obligatoire d’avoir un confesseur, d’obéir à l’Église et aux hommes seuls capables d’une pensée théologique - au sens étroit technique que ce terme prit au XVe siècle. L’idée qu’on puisse être dirigé directement par l’Esprit Saint sans l’intermédiaire des clercs posait problème. Comme on doit tout dire à un confesseur reconnu comme représentant du Christ, et qu’il est impossible de mentir pour une mystique, la seule solution est de convaincre l’interlocuteur, donc de s’exposer.

L’ouverture d’un conflit

A l’opposé de l’attraction sur des proches ou sur des visiteurs, l’influence inexpliquée provoqua donc l'opposition de tous ceux qui se sentaient dépossédés de leurs fonctions d'intermédiaires entre la communauté des hommes et Dieu.

En premier lieu, le général des Chartreux, dom Le Masson, réagit violemment, n’acceptant pas l’influence exercée par le Moyen court dans les chartreuses proches de Grenoble15. Non sans l’excuse d’une naïveté toute monacale, il sera à l'origine de graves accusations reprises à l'époque des interrogatoires16. Puis le demi-frère de Mme Guyon qui appartenait au même ordre des barnabites que le père La Combe, par jalousie envers ce dernier et pour défendre des intérêts familiaux, suscita un premier internement assez court, prodrome de ce qui suivit bien des années plus tard (certains acteurs reprendront alors du service).

Enfin, et plus profondément, la problématique communication intérieure fut probablement la pierre d’achoppement principale pour Bossuet : son incompréhension se manifeste après que sa dirigée ait eu l’imprudence de lui communiquer, sous le sceau du secret, le texte autobiographique où elle décrit son vécu intime, dans l’espoir quelque peu naïf de le « convertir ». Sans expérience mystique personnelle, Bossuet pouvait bien admettre les rêveries de la sœur Cornuau qui reflète l’imaginaire religieux du temps17, car elles sont déconnectées de la vie réelle et ne posent donc pas problème ; mais l’affirmation d’une expérience intérieure peu ordinaire, qui attire son protégé Fénelon, s’oppose à sa volonté, ce qu’il identifie à un refus d’obéissance.

La Combe arrêté dès 1688, Molinos condamné en Italie depuis 1687 : on ne peut qu'être surpris par le long sursis que constitue la période de « vie publique » de Mme Guyon, soit de 1688 à 1695. En fait, Mme de Maintenon, attirée par le rayonnement de sa cadette de dix années, fut influencée au point d’accepter sa présence au sein de l’institution des jeunes filles de Saint-Cyr. Mais tout se détériora. Il est possible que l’aînée ait été frustrée mystiquement ; c’est l’hypothèse exprimée par un texte émanant du cercle guyonnien de Lausanne au siècle suivant. En tout cas elle se mit à redouter les effets de la pratique de l’oraison au sein de la communauté, ou du moins ce qu’on en rapportait malicieusement. Elle reprit alors en main sa fondation (à la fin de sa vie, elle pensera pouvoir la diriger spirituellement). Cette dégradation des rapports entre les deux femmes se précipita après que son confesseur Fénelon eut choisi de demeurer au sein du cercle des disciples proches de la cadette.

L’influence sur les ducs et les duchesses de Chevreuse et de Beauvilliers, comme la conquête de Fénelon, paraissaient très inexplicables à beaucoup, dont Saint-Simon, l’ami des ducs. Certes, sur le plan théorique, une transaction théologique put être mise en place, comme le démontrent l’issue des entretiens d'Issy. Mais les Justifications établies par les textes de la tradition mystique chrétienne, les explications fournies par le subtil Fénelon, qui bientôt allait joindre à l’analyse psychologique l’approche cartésienne d’un « Dieu infini18 », ne suffirent pas à dissiper un malentendu tournant en antagonisme.

Mme Guyon sentit alors qu'elle devenait pour ses amis la cause d'une catastrophe très probable et toute proche, à l'image de celle qui avait eu lieu en Italie près de dix ans auparavant. Elle se crut obligée de se livrer à un examen sur place par Bossuet et proposa, pour sa mise à disposition, d’aller résider au couvent de la Visitation de Meaux, son diocèse. Cette mise à disposition vira vite au cauchemar.

Rien ne pouvait être réglé par voie d'autorité dans un domaine où s'oppose à l'autorité humaine la conscience d'une autorité supérieure divine à laquelle il faut toujours obéir en premier et avec rectitude. Bossuet perdit toute patience devant une femme qui, inexplicablement pour lui, transgressait la loi immémoriale de soumission d’une femme et d’une laïque devant l'autorité religieuse ; fait aggravant : celui-ci n’était pas seulement un confesseur, mais l’un des prélats influents du Royaume19.

Bossuet fut tiraillé entre, d’une part, une honnêteté foncière malgré des faiblesses épisodiques, - à laquelle Mme Guyon fut un temps sensible au point d’alimenter l’espoir déraisonnable de conversion à la vie mystique, - et d’autre part la crainte des puissants. Il savait que le véritable pouvoir était de nature politique et que dans cet ordre la fin justifie les moyens. Mme de Maintenon, maîtresse des jeux, l’exerçait avec art : on vit donc Bossuet perdre son sang-froid au sein du couvent de la Visitation, dans des colères qui trahissaient son impuissance profonde, et plus tard le faible archevêque de Paris, M. de Noailles20, s’abaisser à manier l’arme d’une fausse lettre au sein de la prison de la Bastille, si dévastatrice était la crainte de déplaire à Mme de Maintenon et donc d’être barré sur le chemin des honneurs21.

Mme Guyon, quant à elle, n'était pas prête à un subterfuge quel qu'il soit, et même au comportement souple de l’omission par silence : elle était marquée peut-être par la littérature de l’époque de la Fronde, lue avidement dans sa jeunesse, qui faisait passer les principes avant les accommodements : handicap certain à l’époque resserrée par l’absolutisme de la fin du siècle. La connivence des sœurs de la communauté visitandine rendit la vie du couvent probablement incontrôlable et cet affrontement sans issue se termina par un départ d’abord autorisé à contrecœur, puis bientôt représenté comme une fuite.

Mme Guyon tenta ensuite d'échapper au Grand roi en se terrant, espérant contre toute probabilité se faire oublier. Mais les puissants aiment pousser leur avantage jusqu'au bout, surtout lorsqu’il est sans risque de l’exercer. L’attente d’un Deus ex machina qui prendrait la forme d’un événement imprévu favorable, fut vaine. Le jeu du chat et de la souris couvrit cependant le second semestre 1695. Finalement repérée par la police et saisie les derniers jours de décembre, elle devenait une « matière » à modeler, meneuse dont il fallait obtenir la déconsidération complète pour l’emporter sans discussion dans une querelle du quiétisme aux prolongements théologiques problématiques. Cela avait bien été fait pour Molinos accusé lors de son procès (et lavé aujourd’hui) de toutes les turpitudes. Dans tout procès d'Inquisition, la déviation théologique est censée découler d'une déviation morale et le policier qui n’est pas bon théologien doit exercer son talent ailleurs : elle fut donc attaquée sur le plan des mœurs.

La Combe et le procès des mœurs

Dans le cas présent, on avait saisi des lettres qui semblaient assez bien s'accorder au bruit qui courait d'une relation trop étroite entre Mme Guyon et son confesseur, le père de la Combe, que nous orthographierons dorénavant La Combe. Nous en reproduisons des extraits substantiels au début du chapitre 6, section intitulée « Des lettres compromettantes », juste avant les interrogatoires par La Reynie où elles tiennent un rôle important22. Écrivant surtout en latin ou en italien, celui-ci ne parvint jamais à dominer notre langue : ses lettres décrivant leur lien spirituel dans un style hyperbolique qui s'accorde peut-être avec un lyrisme transalpin mais sûrement pas avec l’esprit clair mais sans humour d’un la Reynie. Fait beaucoup plus grave, il relatait l'éclosion d'un cercle spirituel de quiétistes parallèle au cercle parisien en termes ambigus. Car un cercle mystique s’était développé autour de lui au sein même de la prison royale de Lourdes, avec la participation du confesseur en titre du lieu, le sieur de Lasherous !

Ce qui démontre la force morale de son animateur, qui n’était pas un médiocre23. Loin d'être un personnage naïf et illuminé, il est considéré comme l'inspirateur de Mme Guyon par l’interrogateur habile La Reynie. Il sera invoqué comme un martyr dans des cercles guyonniens au XVIIIe siècle. Ses écrits sont raisonnables - à l’exception de la correspondance saisie où visiblement il accumule les bourdes qui feront le supplice de la prévenue lors de ses interrogatoires.

Que répondre à ses interrogateurs ?

Brutalement résumé, on leur avait expliqué qu’elle dirigeait une secte et qu’elle avait couché avec son confesseur : le médiocre M. de Junca « ne savait rien sinon qu’il me croyait une hérétique outrée et une infâme » (Vie, 4.6). La Reynie24, interrogateur intelligent et droit, fait un résumé plus équilibré du cas : cette femme croit être divinement inspirée, elle écrit des livres et elle dirige des gens, quel orgueil ! alors même que tout ce qu’elle fait est contre le bon sens : quitter sa famille et son bien pour partir sur les routes !

Elle suscite sa pitié ; il ne trouve pas grand chose d’intéressant chez elle mais il obéit au Roi. On trouve beaucoup de logique chez lui ; elle a du mal à y échapper et en désespoir de cause demandera qu’on interroge le confesseur. Elle voyageait avec ce dernier dans des conditions qui pouvaient être équivoques25 et ne pouvaient qu’alimenter les soupçons de relations plus intimes. Plus généralement les expressions de « petite Église » et d’« enfants du Petit Maître » que l’on trouve dans les lettres saisies s’avèreront catastrophiques car, outre celui de l’existence d’une secte, elles suggèrent un communautarisme contraire à la pratique des clercs dans le monde catholique comme à l’autorité royale qui en est le modèle, mais proche des pratiques de certaines assemblées protestantes.

Les septième et huitième interrogatoires par la Reynie sont particulièrement éclairants et importants, car le Roi est le « protecteur de la vraie et seule Église catholique26 », ce qu’elle reconnaît elle-même. Sur l’épître concernant saint Michel, elle ne sait trop que répondre : «  des gens ont fait cela pour se divertir sans aucun dessein27 ».

La chasse

La chasse va être menée en onze étapes qui illustrent de manière exemplaire et parfois presque comique l’alliance entre la justice civile et la hiérarchie religieuse. Cette réunion « du sabre et du goupillon » est par exemple illustrée par l’épisode du transfert en secret ordonné de très haut, de Vincennes à Vaugirard, assuré incognito par le tandem policier et confesseur28. Les deux sources d’autorité civile et religieuse, sous la direction affirmée du Grand Roi, - en pratique de celle de son épouse, - vont se repasser la responsabilité de faire plier une prisonnière récalcitrante et n’y parviendront pas.

On commença par « chauffer » la prévenue par un interrogatoire qui eut lieu le dernier jour de l'année 1695, donc très peu de temps après la saisie. Ce changement de situation brusque, de la liberté, même confinée, à la maison de Popaincourt où s’était réfugiée en dernier lieu Mme Guyon pour échapper à la police royale, à l’internement dans la tour de Vincennes, pouvait en effet induire une faiblesse momentanée chez la prévenue.

On prépara ensuite ses interrogatoires futurs grâce aux réponses données par les personnages assez secondaires arrêtés en même temps qu’elle : le prêtre Cousturier et sa cousine, la demoiselle Pescherard. En même temps, on confirma l’origine des livres et des pièces écrites qui avaient été saisies. Ces prises matérielles se seraient avérées anecdotiques, compte tenu de précautions prises par Mme Guyon et fort regrettées par l’interrogateur La Reynie, s’il n’y avait eu la saisie des lettres malencontreuses de La Combe et Lasherous, dont la dernière arriva à la maison de Popaincourt après les arrestations. Ces lettres seront les éléments principaux qui inspireront l’enquête. Cette première phase de préparation dura presque trois semaines (elle prit place entre le 31 décembre 1695 et le 19 janvier suivant).

Suivit le « coup de massue » délivré sous la forme de cinq interrogatoires concentrés sur treize jours (du deuxième, le 19 janvier, au sixième, le 1er février). Tout tournait autour de l'existence possible d'une secte qui serait à réprimer dans le royaume de France avant qu'il ne soit trop tard, celle d’une « petite Église » quiétiste en phase d’incubation appelée encore « des enfants du petit maître ». La charge d'atteinte aux mœurs était abandonnée pour l’instant par La Reynie, homme droit ; elle sera reprise plus tard par l’archevêque de Paris armé de la célèbre lettre forgée supposée écrite par La Combe. L'accusée se défendit bien et des échos de cette résistance sans faille majeure parviendront à la Cour : « On dit qu'elle se défend avec beaucoup d'esprit et de fermeté », rapporte le chroniqueur Dangeau.

Les enquêteurs étaient maintenant perplexes devant le statu quo, ce que traduit le va-et-vient des pièces à charge entre l'autorité civile, c’est-à-dire La Reynie, dirigée par le ministre Pontchartrain, et l'autorité religieuse, représentée par l'archevêque de Paris Noailles qui mettra bientôt la main à la tâche. Ces deux autorités, entièrement soumises au Roi et à son épouse, collaboreront étroitement. Pour l’instant, en l'absence de nouveaux éléments à introduire dans la procédure, on laissa La Reynie, qui de toute façon était le mieux préparé et le meilleur connaisseur de l'accusée, terminer son travail. Cette période de flottement aura duré exactement deux mois, du 1er février au 1er avril.

Le deuxième assaut fut donné sous la forme de trois interrogatoires menés en quatre jours (du 1er avril au 4 avril). Pour bien comprendre l’impact d’un tel interrogatoire, il faut s’imaginer le lieu et son déroulement. Un étage entier de la tour de Vincennes a été spécialement aménagé pour elle. Mme Guyon est en présence de La Reynie, lieutenant général de police de Paris, ainsi que du greffier chargé d'établir des actes les plus officiels possibles pour leur utilisation éventuelle. Elle doit se confronter activement durant presque une journée avec un homme connu pour sa compétence. Il lui faut répondre à des questions préparées soigneusement si l’on en juge par les traces écrites qui nous sont parvenues : les comptes-rendus des interrogatoires préliminaires de personnages secondaires comportent des soulignements de passages importants de leurs déclarations, parfois des notes sur les questions à poser. L’accusée sortit épuisée de ce second assaut. En témoignent ses deux lettres écrites avec du sang en l’absence d’encre (elles se placent entre le 5 et le 12 avril) : geste de défi ou marque de désespoir ?

En tout cas le résultat ne fut pas atteint, qui consistait à obtenir une preuve, signée, de la culpabilité de l'accusée. On abandonna alors la pression policière pour y substituer une pression plus subtile, exercée cette fois par voie religieuse. Le docteur de la Sorbonne Pirot, lui fut imposé comme confesseur : il avait bien connu l'accusée en exerçant ses talents sur elle des années auparavant lors du premier enfermement à Saint-Antoine, et il va appliquer toute la pression possible, ce dont témoignent sa longue lettre et son mémoire.

L'accusée, acculée, appelle au secours : elle s’adresse au seul ecclésiastique qui méritait confiance. Au-dessus de tout soupçon, M. Tronson, le directeur de Saint-Sulpice qui avait participé aux entretiens d’Issy, avait une réputation de grande honnêteté. Malade et âgé, il intervient pourtant par un échange assez fourni de lettres, puis sous sa direction, une Soumission est préparée au début du mois d’août 1696 par Fénelon (dans sa jeunesse, celui-ci fut dirigé par Tronson au séminaire de Saint-Sulpice). Signée à la fin du mois par Mme Guyon, cette Soumission va-t-elle enfin permettre sa sortie de prison ?

Fausse sortie. Car le soi-disant « couvent » de Vaugirard où elle est secrètement menée, dûment escortée par le policier Desgrez en compagnie du confesseur imposé, s’avère une autre prison, et, circonstance aggravante, une prison inconnue de tous, où tout peut donc arriver. « Monsieur le curé » responsable de la direction locale est tout à la fois le confesseur et de Mme Guyon et des trois religieuses bretonnes affectées à la garde ! Ses insinuations sont infirmées par le récit qu'elle en fera plus tardivement, mais surtout par la correspondance qu'elle put maintenir avec la duchesse de Mortemart. Nous présentons des extraits de lettres qui montrent l'intensité du vécu carcéral. Elle échapperait, peut-être, à un empoisonnement. Va-t-elle disparaître à jamais ?

En fait, le « dossier Guyon » est repris en haut lieu, car l'on ne désespère pas d'arriver à prouver une culpabilité, au moins formellement. De nombreux interrogatoires seront pratiqués ultérieurement par le terrible d'Argenson ; au total elle subira trente-huit interrogatoires, outre des confrontations. Malheureusement, nous ne connaissons aucune pièce officielle sous forme d'enregistrement par un greffier, mais seulement le témoignage du « récit de prison » qu’elle rédigea après sa sortie en 1707 sur la demande de ses proches.

Menaces et usage successif de deux dénonciatrices, ou « moutons », ne mènent à rien sinon à la conversion de la seconde au contact de la prisonnière. Le fonds de l'abîme est atteint et l’accusée est entrée maintenant en dépression. Son récit se situe ici très loin de l’hagiographie, aux confins d’une mort attendue comme une délivrance, décrivant entre autre le suicide tenté par un condamné voisin. Ce texte n’a été publié que récemment, car nous sommes devenus bons lecteurs de tels témoignages extrêmes depuis l’impact des récits d’incarcérés dans les régimes totalitaires.

Enfin un dernier essai de prise en main a lieu en 1700 au moment même où, - parce que ? - l'Assemblée des évêques, dirigée par un Bossuet qui va bientôt disparaître, lève toute accusation morale. Apparemment, on ne tira alors rien de Famille, la fidèle servante au surnom qui avait été un temps ambigu aux yeux du premier inquisiteur. Elle fut confrontée peut-être à Rouxel, un prêtre du diocèse de Besançon où un cercle hétérodoxe - quiétiste ? - venait tout juste d’être démantelé à Dijon29.

Monsieur de Paris eut-il « de très grands remords de me laisser mourir en prison » ? Devenue inoffensive sur le plan de la politique religieuse après la condamnation du quiétisme par le bref papal de 1699, tandis que Mme de Maintenon, l’amie devenue la plus grande ennemie, intervenait dans la politique religieuse royale et plus étroitement la communauté religieuse fondée par ses soins à Saint-Cyr, Mme Guyon quitta la Bastille en 1703, sur un brancard, pour vivre en résidence surveillée chez son fils.

Plus tard elle achètera une maison située tout à côté du château royal de Blois, et elle terminera son travail de « dame directrice » auprès d'un cercle de disciples d’une nouvelle génération, élargi à l'Europe entière et mélangeant protestants et catholiques, particularité très en avance sur son temps. Nous pouvons aujourd’hui tirer bénéfice de la lecture de ses profonds écrits, forgés dans la douleur, restés jusqu’à tout récemment méconnus30.

Cinq périodes de prison et trente-huit interrogatoires.

La « période parisienne » débute le 21 juillet 1686, date de l’arrivée à Paris au cloître Notre-Dame. Une première détention, bref aperçu de celles qui se succéderont six années plus tard, est suivie d’une longue « période publique ». Cette période active court de l’automne 1688 (rencontre avec Fénelon) à la fin de 1694 (« entretiens » d’Issy). Lui succède l’« épreuve obscure » qui s’achève le 24 mars 1703, date de la sortie de la Bastille sur un brancard pour se rendre en résidence surveillée chez un fils près d’Orléans. Les détentions sont ponctuées par trente-huit (ou trente-neuf) interrogatoires auxquels s’ajoutent de nombreuses entrevues orageuses. Cinq détentions d’une durée totale de presque huit années et demi se succèdent dont voici brièvement rappelés les dates et lieux de détention, la durée et le nombre d’interrogatoires, les officiants :

1/ Du 29 janvier 1688 au 13 septembre 1688 à la Visitation Saint-Antoine : sept mois et demi ; quatre interrogatoires (peut-être neuf ou dix 31) par Chéron l’Official, accompagné de Pirot.

2/ Du 13 janvier 1695 au 9 juillet 1695 à la Visitation de Meaux : près de six mois durant lesquels « elle y fut considérée comme prisonnière » (Cm, p. 329). Sept (?) entrevues souvent orageuses avec Bossuet, évêque de Meaux32.

3/ Du 26 décembre 1695 au 6 octobre 1696, un peu moins de dix mois et demi au donjon de Vincennes dont un niveau avait été spécialement aménagé. Neuf ou dix interrogatoires (31.12.1695 au 4.04.1696) sont assurés par La Reynie « de six, sept et huit heures quelquefois » ; leurs soigneux procès verbaux nous sont parvenus. Leur succèdent des entrevues orageuses avec de nouveau Pirot : « Il n’y a rien de plus violent que ce qu’il me fit… »33.

4/ Du 7 octobre 1696 au 3 juin 1698, vingt mois à Vaugirard, dans un « couvent » formé pour l’occasion avec la contribution de trois sœurs bretonnes.

5/ Du 4 juin 1698 au 24 mars 1703 à la Bastille : quatre années et près de neuf mois, dont une longue période d’isolement (en 1700 ses amis la supposent morte) n’auront pas raison de la santé psychique de la prisonnière. Fin 1698, durant « trois mois » ont lieu vingt interrogatoires par le terrible d’Argenson : elle tient bon. Enfin quelques interrogatoires ont lieu en 1700 (« d’Argenson est de retour »).

Le tableau suivant résume la structure du volume en reprenant les deux échelles de lieux et par années sous leurs titres de chapitres (premier niveau) et de sections (deuxième niveau) tels qu’ils figurent dans la table des matières. Les périodes d’enfermements sont soulignées par l’emploi d’italiques.










Chapitres

L’échelle des lieux

Titres de premier niveau



Année



Date de transfert

Sections

L’échelle des années

Titres de second niveau

1.Libre à Paris

1686

1687

21 juillet 1686

Installation, intrigues

Molinos et Lacombe arrêtés

2.La Visitation Saint-Antoine

1688


29 janvier 1688

Le premier internement

3.Période de vie publique

1689

1690

1691

1692

1693

1694

13 septembre 1688

Evénements familiaux

Une retraite paisible

Premières inquiétudes

Bossuet mis en action

St-Cyr interdit, examens

Crise, entretiens d’Issy

4.La Visitation de Meaux

1695

13 janvier 1695

(sous la férule de Bossuet)

5.Echapper au Grand Roi ?


9 juillet 1695

(gîtes parisiens)

6.Le donjon deVincennes

1696

30 décembre 1695

Interrogatoires (La Reynie), pression d’ un confesseur

7.Le « Couvent » de Vaugirard

1697

1698

7 octobre 1696

Le joug de M. le Curé

La fausse lettre

8.La Bastille

1699

1700

1701

1702

4 juin 1698

L’abîme

Le non-lieu

L’année vide

Espoir et délivrance

9.La retraite (Blois)

1703

1704

1705

1706

1707

1708

1709

1710

1711

1712

1713

1714

1715

1716

1717

24 mars 1703

Chez son fils




Années silencieuses à Blois



Un lien avec Fénelon




Dernières années actives

9 juin 1717

Mort paisible à Blois



Tableau résumant la structure chonologique des Années d’épreuves de madame Guyon par ses deux premiers niveaux de titres.



Chapitre 1. Libre à Paris (21 juillet 1686 - 29 janvier 1688)



Le résumé des événements qui concernent presque exclusivement Mme Guyon éclaire les oppositions suivies d’incarcérations à partir de 1695. Certains des faits de cette période, ou les suppositions auxquelles ils pouvaient donner lieu, seront utilisés par les mêmes acteurs lors des interrogatoires futurs, distants de près d’une décennie, ce qui démontre une belle constance chez les opposants ou du moins une très bonne organisation policière. Nous sommes brefs en ce qui concerne les événements « à l’air libre » puisque le Crépuscule des mystiques en rend bien compte en les situant dans leur contexte plus général. Nous sectionnons par années au sein du chapitre, comme annoncé dans l’introduction.

1686 : Installation à Paris et intrigues familiales

21 juillet. J’arrivai à Paris la veille de la Madeleine 1686, justement cinq ans après mon départ.34 Mme Guyon s’installe au Cloître Notre-Dame. Sa conduite édifie le voisinage : 

J’ai questionné plusieurs personnes, qui se souviennent distinctement de l’avoir vue, lorsqu’elle demeurait dans le cloître de Notre-Dame. La peinture qu’on m’a faite de son visage est aussi peu avantageuse que ce qu’on m’a dit de sa vie est édifiant. Elle assistait jour et nuit aux offices de la cathédrale, au plus fort de l’hiver, et aux dépens de sa santé. Elle faisait subsister grand nombre de pauvres par ses aumônes abondantes35.

Elle continue son œuvre d’initiation mystique entreprise avec succès à Grenoble en reprenant, après une absence de cinq années en Savoie et en Piémont, le contact avec ses anciennes relations du cercle auparavant animé par monsieur Bertot36, en particulier avec la duchesse de Béthune-Charost. Celle-ci la secondera toujours, permettant par exemple la rencontre avec Fénelon à Beynes en 1688. L'enquête bien informée que nous venons de citer en note l’atteste : « Mme Guyon était, disait-il [il s'agit de Bertot], sa fille aînée, et la plus avancée, et Mme de Charost était la seconde ; aussi soutient-elle à présent [encore : en 1695, date de l’enquête] ceux qui doutent. Elle paraît à la tête du parti, pendant que Mme Guyon est absente ou cachée ».

Pour l’instant, en 1686, Mme Guyon se heurte au Père de la Mothe, qui paraît s’intéresser à la fortune échue à sa demi-sœur et se montre jaloux du succès des sermons du Père La Combe, du même ordre des barnabites. Il lui tend un piège pour insinuer des attaches criminelles entre elle et ce Père, qu’elle déjoue en refusant d’aller à Montargis accompagnée de ce dernier ; mais circulent des calomnies sur leur voyage de Turin à Paris - le P. de la Mothe était très informé sur ce voyage qu’il avait d’ailleurs lui-même précipité37. On tente aussi de la brouiller avec le tuteur de ses enfants.

C’est dans cette période que se situe l’épisode qui sera repris plus tard par ses opposants et promis à une large publicité : J’allai à la campagne chez madame la duchesse de Charost [...] La plénitude que je sentais et que je savais m’être donnée pour communiquer aux autres, faisait que je ne pouvais parler, [...] cela se répandait sur mes sens. M. me délaça38.

Suivent les manœuvres des époux Gautier, séides du P. de la Mothe, contre le père La Combe, puis des calomnies sur la relation supposée scandaleuse entre ce dernier et Mme Guyon à Marseille, auxquelles s’ajoutent des accusations de molinosisme. Le P. de la Mothe s’associe à l’Official Nicolas Chéron39, et au Provincial. Tout ceci resurgira par l’intermédiaire de ce même Official qui réapparaîtra dix années plus tard lors des interrogatoires de Vincennes. Le P. de la Mothe incite sans succès tantôt le P. La Combe, tantôt Mme Guyon, à s’enfuir ; lui-même et l’Official attaquent M. Bureau, un vieil ami de Mme Guyon, au moyen de fausses lettres. Sa propre famille est prévenue contre elle, mais le tuteur des enfants, M. Huguet, se rendant compte de l’attitude équivoque du demi-frère de Mme Guyon, rencontre l’archevêque de Paris. Enfin Mgr d’Arenthon se serait également manifesté40. On est ici plongé dans un réseau d’intrigues traduisant des jalousies entre clercs et une tentative de prise en main de la jeune veuve qui bénéficiait de l’une des plus riches fortunes de France avant son désistement en faveur de sa famille.





1687 : Condamnation de Molinos et arrestation du P. La Combe

Un orage de caractère plus général s’annonce : le 23 janvier, l’Avocat général Talon reproche vivement au pape Innocent XI son manque de vigueur dans la poursuite des quiétistes et le 27 août est produit le décret du Saint-Office contre Molinos. Les répercussions en France sont fâcheuses : Ils firent entendre à Sa Majesté que le P. La Combe était ami de Molinos, [...] sur le témoignage de l’écrivain [le faussaire Gautier41] et de sa femme, qu’il avait fait des crimes. La Combe est interdit de sortie de son couvent sans qu’on l’avertisse, si bien que sa sortie pour une urgence permet de le faire passer pour rebelle. On lui fit remettre des papiers qui auraient permis sa défense mais on les supprima. Harlay, archevêque de Paris, interdit la prédication au Père qui passe outre (par ignorance ?) et prononce un sermon aux Augustins le 15 septembre. Le 3 octobre, on le vint enlever pour le mettre aux pères de la Doctrine Chrétienne [de Saint-Charles]. Durant ce temps, les ennemis faisaient faussetés sur faussetés [...] pour le mettre à la Bastille [...] Sans le juger, on l’a enfermé dans une forteresse42.

Mme Guyon reçoit une attestation en faveur de La Combe, mais très malade en novembre, elle se la laisse enlever par le P. la Mothe. Après une entrevue organisée avec l’Official, on fit entendre que j’avais déclaré beaucoup de choses [...] Ils se servirent de cela pour exiler tous les gens qui ne leur plaisaient pas [...] On m’apporta une lettre de cachet pour me rendre à la Visitation du Faubourg Saint-Antoine43.

Le 20 novembre, la condamnation de Molinos est confirmée par le Bref Cœlestis Pastor





Chapitre 2. La Visitation de la rue Saint-Antoine (29 janvier 1688 – 13 ? septembre 1688)

1688 : Le premier internement

Mme Guyon connaît son premier internement suite à une tentative avortée de prise en main de la jeune veuve et à des intrigues traduisant des jalousies entre clercs. Molinos condamné offre une occasion inespérée. On la sépare de sa fille que l’on veut marier à un débauché neveu de l’archevêque de Paris Harlay (lui-même de réputation douteuse), et elle fait une première expérience de l’abandon par des amis effrayés. On a recours à la panoplie habituelle des moyens de pression : interrogatoires, faux procès-verbal et lettres contrefaites, calomnies. Elle sera délivrée grâce à sa cousine de la Maisonfort qui obtiendra le soutien de Mme de Maintenon.

Cette première épreuve montre une grande énergie à défendre ses droits ; l’usage de faux se retourne contre leurs auteurs ; elle répond à l’Official, écrit à l’archevêque et au puissant père de la Chaize. Échaudée par son expérience précédente des pièces subtilisées, elle prend copie de toutes celles pouvant servir à sa défense…

Le seul témoignage qui nous est parvenu est celui de l’internée qui rédige juste après sa libération et son accueil par Mme de Miramion  ce qui deviendra une partie de la Vie par elle-même (la première partie de la rédaction est datée du 21 août, puis la conclusion des extraits qui suivent est daté du 20 septembre). Ceci assure une objectivité de l’auteur dictée par les vérifications qui auraient pu être entreprises peu après sa sortie.

La réclusion

[Vie, 3.5.1.] Enfin le 29 Janvier 1688, veille de Saint-François-de-Sales, il me fallut aller à la Visitation. Sitôt que j'y fus, l’on me signifia que l'on ne voulait pas me donner ma fille, ni personne pour me servir ; que je serais prisonnière, enfermée seule dans une chambre. Ce fut mon régal pour me refaire dans l'extrême faiblesse où j'étais, mais je sentis bien la division44 lorsque l'on m'arracha ma fille. Je demandai qu'on la mît dans la même maison et que je ne la verrais pas. Non seulement l’on ne me voulut pas accorder cela, mais de plus l’on eut la dureté de défendre que l'on me dît nulle nouvelle d'elle. […] L’on commença dès le lendemain de ma prison de la faire aller au bal, à la comédie, de lui faire porter des mouches et de lui parler de mariage et l’on se servait de ma détention pour la vouloir marier par force à des gens qui étaient sa perte45 […] Tout ceci a été écrit dans ma prison et dans un temps où je ne savais ce que les choses deviendraient.

[3.] Sitôt que je fus entrée, on me demanda qui était mon confesseur depuis la prison du père La Combe46. Je le nommai : c'est un fort homme de bien, qui m'estime même. Cependant la frayeur avait tellement saisi tous mes amis à cause de mon emprisonnement que ce bon religieux, sans en pénétrer les conséquences, me renonça, disant qu'il ne m'avait jamais confessée, et qu'il ne me confesserait jamais. Cela fit un méchant effet ; et m'ayant surprise, à ce que l'on disait, en mensonge, l’on ne doutait plus de tout le reste. Cela me fit compassion pour ce père, et admirer47 la faiblesse humaine. Je n'en eus pas moins d'estime pour lui ; cependant j'avais bien des gens qui m'avaient vue à son confessionnal et qui pouvaient servir de témoins. Je me contentai de dire : « Un tel m'a renoncé aussi, Dieu soit loué ! » C'était à qui me désavouerait, chacun s'efforçait de dire qu'il ne me connaissait pas et tout le reste disait de moi des maux étranges : c'était à qui inventerait le plus d'histoires.

[4.] Cette fille que j'avais auprès de moi48, fut gagnée par mes ennemis pour me tourmenter, elle écrivait toutes mes paroles et épiait toutes choses. L’on ne me passait pas la moindre chose, qu'elle ne la décousît et défît toute entière. Elle faisait toute son application de tâcher à me surprendre en mes paroles. Elle me traitait d'hérétique, de trompée, de cervelle creuse ; elle me reprochait mes oraisons et cent choses. Si j'étais à l'église, elle faisait de grands soupirs comme si j'eusse été une hypocrite. Lorsque je communiais, elle en faisait encore davantage et elle me disait qu'elle priait Dieu qu'il n'entrât pas en moi. […]

[6.] Un peu après que je fus entrée dans le couvent, j'eus un songe. Je vis tout à coup le ciel ouvert, et comme une pluie de feu d'or, qui me paraissait être comme la fureur de Dieu, qui voulait se satisfaire et se rendre justice à soi-même. Il y avait avec moi une infinité de gens qui prirent tous la fuite afin de l'éviter ; pour moi je fis tout le contraire : je me prosternai à terre et je dis à Notre Seigneur, sans lui dire autrement qu'en la manière qu'il connaît et entend : « C'est moi, mon Dieu, qui suis la victime de votre divine justice, c'est à moi à essuyer tous vos foudres et vos carreaux49 ». […]

[7.] Sitôt après que je fus dans cette maison, M. Charon l'Official, et un docteur de Sorbonne50, vinrent m'interroger. Ils commencèrent par me demander s'il était vrai que j'eusse suivi le père La Combe et qu'il m'eût emmenée de France avec lui51. […] Comme ils virent que tout ce que je disais était à la décharge du père La Combe, ils ne voulurent plus m'interroger sur lui. Ils commencèrent par m'interroger sur mon livre52. Ils ne m'ont jamais interrogée ni sur ma foi, ni sur mon oraison, ni sur mes mœurs.

[8.] […] L’on m'a interrogée d'abord quatre fois. Sitôt que je fus dans la maison, l’on dit à la supérieure que je n'y serais que dix jours, jusqu'à la fin de mes interrogations. Je ne fus pas d'abord surprise de ce que l'on ne me laissait aucun commerce ni au-dehors ni au-dedans, parce que je crus que c'était afin que je ne pusse avoir aucun conseil dans les interrogations.

[9.] La seconde interrogation fut sur le petit livre : si j'avais voulu ôter les prières vocales de l'Église, et surtout le chapelet, lorsque j'avais appris à dire le Pater avec application53, et que j'avais expliqué le Pater, et dit qu'un Pater dit de cette sorte, valait mieux que plusieurs dits sans attention. […]

[10.] La dernière interrogation fut sur une lettre contrefaite, où l'on me faisait écrire que j'avais fait des assemblées dans des maisons que je ne connaissais pas, et tout le reste que j'ai déjà dit54. L’on me lut cette lettre, et sur ce que l'écriture n'était nullement conforme à la mienne, l’on me dit que c'était une copie et que l'on avait l'original, qui était conforme à mon écriture. Je demandai de le voir, mais il n'a jamais paru. […] M. l'Official ne voulut pas même que l'on écrivît ces raisons. Il fit seulement mettre que je disais qu'elle n'était pas de moi.

[11.] Après m'avoir lu cette lettre, il se tourna vers moi et me dit : « Vous voyez bien, Madame, qu'après une lettre comme celle-là, il y avait bien de quoi vous mettre en prison. » Je lui répondis : « Oui, Monsieur, si je l'avais écrite55. » […]

[13.] M. l'Official me vint voir seul, sans être accompagné du docteur qui avait été aux interrogations, et il me dit qu'il ne fallait pas parler de la fausse lettre, que ce n'était rien, après m'avoir dit que c'était pour cela qu'on m'avait emprisonnée. Je lui dis : « Quoi, Monsieur ! Ne s'agit-il que de contrefaire l'écriture d'une personne et de la faire passer pour une personne qui fait des assemblées et qui a des desseins contre l'État ? » Il me dit aussitôt : « Nous en chercherons l'auteur. » Je lui dis : «  Il n'y en a point d'autre que l'écrivain Gautier », que sa femme m'avait dit qui contrefaisait toutes sortes d'écritures. Il vit bien que j'avais trouvé l'endroit. Ensuite il me demanda où étaient les papiers que j'avais écrits sur l'Écriture. Je lui dis que je les donnerais lorsque je serais hors de prison et que je ne voulais pas dire à qui je les avais confiés. Il me dit : « Si nous venons vous les demander, dites la même chose », me faisant bien des offres de service ; cependant, il s'en alla très content, croyant avoir trouvé un moyen de me perdre sans ressource et de satisfaire le père La Mothe dans le désir qu'il avait que l'on ne me fît jamais sortir de prison.

[14.] Il dressa un procès-verbal comme s'il m'eût interrogée juridiquement, quoique ce n'eût été qu'une simple conversation. Le procès-verbal portait qu'ayant été jusqu'alors docile en apparence, j'avais fait rébellion lorsqu'on m'avait demandé mes papiers. Je ne savais rien de tout cela. Je ne laissai pas d'écrire à M. l'Official une lettre très forte sur ce qu'il m'avait dit que ce n'était rien que la lettre qu'on avait contrefaite. J’ai cru en devoir mettre la copie et de celle que j’écrivis à Mgr l’archevêque pour faire tout connaître56.

Lettre pour M. L’Official :

« J’ai fait réflexion, Monsieur, sur ce que vous me dites hier que la fausse lettre n’était rien, je vous assure qu’elle est tout dans cette affaire à cause des circonstances qui l’ont précédée et de celles qui l’accompagnent. Premièrement les gens qui l’ont écrite et ceux qui l’ont fait écrire (car j’ai des preuves également fortes contre les uns et contre les autres) ont pris tout le soin possible de me décrier partout comme une infâme, d’envoyer en cent endroits des libelles diffamatoires contre moi ; c’est prouver la fausseté de leurs libelles que de prouver la fausseté de leur lettre. N’est-ce rien, Monsieur, pour une femme de mon caractère de perdre l’honneur après avoir tâché de le conserver toute sa vie par la privation des divertissements les plus permis et les plus innocents? Songez, Monsieur, que j’ai une famille à laquelle ceci fait un extrême dommage, surtout à ma fille qui doit regarder son honneur et celui de sa mère comme son principal ornement. L’on m’a mise dans la gazette par le soin de ces personnes comme une scélérate, je ne me suis jamais vengée d’eux que par mon silence et par les prières que j’ai faites pour leur conversion… »

Il est bon de couper ici la lettre pour dire qu’ils m’avaient fait mettre dans la gazette, outre bien des faussetés et infamies, que l’on m’avait trouvé des lettres de Molinos57 en quantité dans ma cassette, ce qui était la dernière fausseté, et l’on savait si bien que je ne connaissais pas Molinos que l’on ne m’a jamais interrogée là-dessus.

« Celui qui a été exprès en Savoie pour avoir les mémoires qui vous ont été envoyés, dit à une de ses parentes religieuses les desseins qu’il projetait contre moi, ne sachant pas qu’une des miennes était assistante du parloir, ainsi je savais les desseins avant son arrivée. Ne m’a t-on pas menacée parlant à moi, de ce que l’on a fait58 si je ne voulais pas condescendre à des choses que je ne pouvais faire en conscience ? Jusqu’à me menacer de vous, Monsieur, ce que je n’ai pas appréhendé, étant persuadée de votre équité. Cependant j’ai tu toutes ces choses de peur de leur nuire : je peux dire que j’ai été faite victime de la charité, car j’avais alors des moyens qui me furent offerts de faire connaître toutes ces choses. Je leur pardonne encore de tout mon cœur, et ne veux nullement les perdre. Ils ont ensuite contrefait mon écriture pour faire paraître que je faisais des assemblées, et que j’avais concerté des affaires d’importance, peut-être contre l’État. Ils peuvent tous les jours en contrefaisant mon écriture me faire de nouvelles affaires. Les étranges persécutions que l’on m’a faites depuis plusieurs années par intérêt et jalousie m’ont appris à mes dépens ce que peuvent ces deux passions. Malgré toutes ces choses je veux bien ménager leur honneur après qu’ils m’ont arraché le mien avec la dernière cruauté, jusqu’à faire courir l’infamie jusque dans les royaumes étrangers59, et je désire même à l’exemple de mon maître solliciter leur pardon, mais Monsieur, je vous conjure, au nom de Jésus-Christ crucifié, de trouver un moyen qui répare mon honneur sans les perdre, et qui fasse connaître la vérité en faveur d’une famille désolée. Je sais de bonne part que l’on ajoute foi à leurs médisances, car ils n’ont rien omis pour leur assaisonnement60. C’est à vous, Monsieur, que je m’adresse pour avoir justice, ne la voulant devoir qu’à votre seule équité. Vous avez une extrême intelligence et un discernement si fort au dessus de bien des gens qu’il ne vous sera pas bien difficile de réparer mon honneur sans perdre ceux qui me l’ont ravi. Je ne peux douter que Dieu ne fasse un jour une rigoureuse justice de ces choses. Vous n’en douteriez pas vous-même si vous saviez jusqu’où a été la persécution de ces personnes. Pour vous, Monsieur, soyez persuadé que je conserverai une mémoire éternelle des obligations que je vous aurai si vous me rendez justice : mon cœur est d’une trempe qu’il pardonne aisément les injures, mais il n’oublie jamais les bienfaits. Faites voir en mon endroit que vous êtes le protecteur de la veuve, le père du pupille, le Daniel de l’honneur outragé qui découvre les injustices cachées sous le manteau de l’artifice. Je suis, Monsieur, etc. »

J’écrivis ensuite à M. l’Archevêque61 où je lui fis voir que j’étais accusée, innocente et emprisonnée, qu’il n’y avait point de criminels auxquels on ne donnât un avocat ou quelqu’un pour les défenses, que pour moi mes ennemis avaient tout pouvoir de m’accuser, et moi nul moyen de me défendre, n’ayant nul commerce, enfermée sous la clef dans une chambre, ayant une double prison, le monastère et cette chambre. Je lui écrivis la lettre du monde la plus forte et la plus soumise, mais comme je n’en ai point de copie, je ne la mets pas ici, je mettrai seulement celle que j’écrivis, ne pouvant avoir de réponse62.

Lettre à M. L’archevêque :

« Monseigneur, je me suis adressée à vous comme à mon père et mon pasteur, mais Votre Grandeur m’a traitée en brebis égarée et en fille indigne de sa bonté, puisqu’elle m’en refuse les effets. Cependant, Monseigneur, le père de famille ne reçoit-il pas l’enfant prodigue, et le vrai pasteur ne va-t-il pas chercher la brebis égarée ? D’où viens donc que vous rejetez celle qui, loin de s’égarer, court de toutes ses forces après son pasteur ! Quoi, Monseigneur, Votre Grandeur, qui est si douce et si bienfaisante à tout le monde, ne fera-t-elle essai de la rigueur que pour moi seule? Quel est mon crime que je sois privée de l’avantage de tous les autres criminels? Le roi dont la bonté est aussi grande que sa justice est étendue, veut que l’on appelle63 en son nom pour les criminels condamnés à la mort afin de mieux examiner leurs forfaits, et aujourd’hui l’on ne se contente pas de m’imposer des crimes que je ne fis jamais, de contrefaire mon écriture64 pour me faire écrire des lettres qui me font paraître coupable, après avoir pris soin de me décrier partout par les plus étranges calomnies, mais de plus l’on m’ôte tous les moyens de me justifier et de me défendre, m’ôtant tout commerce avec les personnes qui pourraient travailler à ma justification. Qui empêchera, Monseigneur, ces faussaires par leurs lettres supposées de me faire renoncer à ma religion, mon Dieu et mon roi ? Votre Grandeur sera-t-elle elle-même à couvert de leur malice si on ne les punit pas, et si on les justifie même en condamnant les innocents ? Que si je suis coupable, Monseigneur, je ne demande point de miséricorde, mais plutôt que l’on me punisse. Songez, Monseigneur, que j’ai des enfants, que ce n’est pas moi seule que la calomnie déshonore, mais que ces innocentes victimes en souffrent plus de dommage que moi. Je ne sais par quel endroit j’ai le malheur de déplaire à Votre Grandeur n’ayant point l’honneur d’être connue d’elle, et c’est le sujet de ma disgrâce, car les personnes qui me persécutent aujourd’hui, m’ont peinte aux yeux de Votre Grandeur avec de si mauvaises couleurs que je ne m’étonne pas qu’elle ait du dégoût pour l’original d’une copie si infidèle. Si elle voulait bien m’accorder la faveur que je la pusse entretenir, ou qu’elle me donnât la liberté de faire agir en ma faveur, elle serait bientôt convaincue de mon innocence. Je supplie Votre Grandeur de se souvenir de son équité ordinaire et de s’en servir envers la personne du monde qui est la plus à plaindre et qui est avec le plus profond respect, etc. »

Comme Monseigneur l’archevêque est de lui-même doux, il ne se serait pas porté à me traiter avec tant de rigueur s'il n'avait été sollicité par mes ennemis. Il ne me fit nulle réponse sur tout cela, mais l'Official crut avoir trouvé un moyen de me perdre en disant que j'avais été rebelle et que je ne voulais pas donner mes écrits. Il vint environ trois ou quatre jours avant Pâques avec le docteur de Sorbonne et son procès-verbal, auquel je répondis que j'avais fait une grande différence entre une conversation particulière et une interrogation, que je ne m'étais pas crue obligée de dire une chose que l'on ne me demandait que comme en l'air, et qu'ils étaient entre les mains de ma femme de chambre. Ils me demandèrent si je voulais bien les leur donner pour en faire ce qu'il leur plairait. Je leur dis que oui et que n'ayant écrit que pour faire la volonté de Dieu, j'étais aussi contente d'avoir écrit pour le feu que pour la presse. Ce docteur dit qu'il ne se pouvait rien de plus édifiant. L’on leur remit entre les mains les copies de mes écrits, car pour les originaux, il y avait déjà longtemps qu'ils n'étaient plus en ma disposition. Je ne sais où ceux qui me les ont pris les ont mis, mais j'ai cette ferme foi qu'ils seront tous conservés malgré la tempête65. Pour moi, je n'en avais pas davantage que ceux que je donnai, ni ne savais où il y en avait d'autres. Ainsi je le pus dire avec vérité.

[15.] La supérieure de la maison où je suis prisonnière66 demanda à M. l'Official comment mon affaire allait et si l’on me laisserait bientôt sortir de prison. Il lui échappa de lui dire et peut-être le fit-il à cause du docteur pour se mieux couvrir : «  Ma mère, que pourrait-on faire à une personne qui dit et fait tout ce que l'on veut et en qui on ne trouve rien ? On la fera sortir au premier jour. » Cependant l’on ne me justifiait pas. […]

Des pressions pour marier sa fille

[Vie, 3.6. 5.] Le Jeudi Saint, M. l'Official me vint voir seul et dit qu'il me donnait la liberté du cloître, c'est-à-dire de pouvoir aller et venir dans la maison, mais il ne me voulut donner aucune liberté pour le dehors. Je ne pus même obtenir de parler au tuteur de mes enfants pour des affaires de famille, ni à ma femme de chambre, pas même à mes enfants. Cependant l’on ne laissait pas de pousser continuellement ma fille de consentir à un mariage qui aurait été sa perte, et pour y réussir, l’on l'avait mise entre les mains de la cousine du cavalier à qui l’on la voulait donner67. […]

[6.] Sitôt que le père La Mothe sut que l'on disait du bien de moi dans cette maison, il alla se persuader que l'on ne pouvait dire du bien de moi sans dire du mal de lui, et quoique je ne visse personne, il écrivait et se plaignait même à tout le monde que je le décriais partout, et que la communauté disait bien du mal de lui, de sorte qu'il aigrit de nouveau contre moi l'esprit de Mgr l'archevêque et de l'Official, dont il est le confesseur. Loin de me faire sortir au bout de dix jours, comme l'on disait, l’on me laissa là plusieurs mois sans rien me dire, mais l’on faisait courir de nouvelles calomnies; et après avoir dit que j'étais innocente, l’on me fit plus noire que jamais. Mgr l'archevêque disait que je ne devais rien attendre que de mon repentir. Il fit entendre au Père de la Chaise68 que j'avais des erreurs et que je les avais même rétractées avec larmes, mais qu'il y avait tout lieu de croire que ce n'était que par dissimulation et qu'ainsi il me fallait tenir enfermée. […]

[8.] L’on me vint annoncer tout à coup que le père La Mothe avait obtenu que l'on me mît dans une maison dont il est le maître, et où l'on croyait qu'il me ferait extrêmement souffrir, car il est très dur. Il le croyait si bien qu'il avait donné l'ordre que l'on me tînt une chambre prête pour m'y enfermer. On me rapporta cette nouvelle, qui était de toutes celle que je devais le plus appréhender. […]

Une dame séculière que la providence m'a fait trouver dans cette maison, et qui a pris beaucoup d'affection pour moi et m'a rendu tous les services qu'elle a pu, se résolut, voyant l'injustice que l'on me faisait, de prier un père jésuite de sa connaissance de parler au père de la Chaise. Ce bon père le fit, mais il trouva le père de la Chaise fort prévenu contre moi parce qu'on lui avait fait croire que j'étais dans des erreurs et que j'en avais même rétracté, mais qu'il m'en restait beaucoup, de sorte que cette bonne dame me conseilla d'écrire au père de la Chaise et je lui écrivis cette lettre69 :

« Mon Révérend Père,

« Si mes ennemis n'avaient attaqué que mon honneur et ma liberté, j'aurais préféré le silence à ma justification, ayant habitude de prendre ce parti, mais à présent, mon Révérend Père, que l'on attaque ma foi, disant que j'ai rétracté des erreurs, et étant même soupçonnée d'en avoir encore, j'ai été obligée en demandant la protection de Votre Révérence, de l'informer de la vérité. J'assure Votre Révérence que je n'ai rien fait de tout cela ; et ce qui me surprend est qu'après que M. l'Official m'a avoué lui-même que les mémoires que l'on avait donnés contre moi étaient faux, et que la lettre que l'on avait forgée contre moi était reconnue venir d'un faussaire en suite des preuves incontestables que je lui ai données qu'elle n'était pas de moi, après que ceux que l'on m'a donnés pour examinateurs, qui ne m'ont jamais demandé de rétractation, mais bien de petits éclaircissements dont ils ont paru contents, m'ont déclarée innocente, que je leur ai même mis entre les mains des écrits que je n'avais faits que pour mon édification, les leur soumettant de tout mon coeur, qu'après, dis-je, ces choses, j'ai sujet de croire que Votre Révérence ne soit pas informée de mon innocence. Je ne saurais, mon Révérend Père, dissimuler que pour tout autre article que celui de la foi, il me serait facile de souffrir la calomnie, mais comment pourrais-je garder le silence pour la plus juste douleur qui fût jamais? J'ai toute ma vie fait une profession si ouverte des sentiments les plus orthodoxes, que je me suis même sur cela attiré des ennemis. Si j'osais découvrir mon coeur à Votre Révérence, dans le secret qu’exige une confiance parfaite, il me serait bien facile de lui prouver par des faits incontestables que ce sont des intérêts temporels qui m'ont réduite où je suis ; après avoir refusé des choses que je ne pouvais faire en conscience, on m'a menacée de me faire des affaires. J'ai vu les menaces ; j'en ai senti les effets sans me pouvoir défendre, parce que je suis sans intrigue et sans parti, et qu'il est aisé, mon Révérend Père, d'imposer à une personne destituée de toute protection. Mais comment puis-je espérer que Votre Révérence me croie, n'étant par malheur connue d'elle que par la calomnie? Cependant je n'avance rien que je ne puisse prouver si elle veut bien s'en laisser informer. Ce serait une grâce qui attirerait la reconnaissance éternelle de, etc. »

[10.] Cette lettre fit un effet tout contraire à ce que l'on prétendait. […] J'ai oublié de dire qu'un mois avant ce temps, M. l'Official me vint trouver avec le docteur, et me proposa en présence de la mère supérieure que si je voulais consentir au mariage de ma fille, je sortirais de prison avant huit jours. Je dis que je ne voulais pas acheter ma liberté au prix de sacrifier ma fille, que j'étais contente de rester en prison tant qu'il plairait à Notre Seigneur. Il répondit que le roi ne ferait point de violence, mais qu'il le désirait. Je dis que je savais le roi trop juste et trop équitable pour en user autrement. Cependant peu de jours après l’on fut trouver le père de La Chaise, disant que j'avais dit que le roi voulait que l'on me retînt en prison jusqu'à ce que j'eusse consenti au mariage de ma fille […]

Lettres contrefaites  

[Vie, 3.7.1][…] Trois ou quatre jours après, l'Official et le docteur vinrent dire à la supérieure que l'on eût à m'enfermer sous la clef. Elle leur représenta que la chambre où j'étais était petite, seulement ouverte d'un côté où le soleil donne tout le jour et au mois de juillet ; quelle apparence70 ? que c'était me faire mourir. L’on n'eut aucun égard à cela. La mère demanda pourquoi l'on me renfermait. On lui dit que j'avais fait des choses effroyables depuis un mois dans sa maison, que j'avais eu des emportements étranges dans cette même maison et que j'avais scandalisé les religieuses. La mère eut beau protester du contraire, et assurer de l'édification où toute la communauté était de moi, qu'elle ne pouvait se lasser d'admirer ma patience et ma modération. M. l'Official dit qu'il le savait d'original, et lui soutint que j'avais fait des choses horribles dans sa maison. […]

[2.] L’on m'envoya quérir ensuite et l'on me soutint que j'avais fait des choses horribles dans cette maison depuis un mois. […] Le docteur me dit que je ne devais pas aigrir les affaires ni faire des choses horribles comme l'on disait que j'avais faites. Je lui répondis que Dieu était le témoin de tout. Il me dit que dans ces sortes d'affaires, prendre Dieu à témoin était un crime. Je lui dis que rien au monde n'était capable de m'empêcher de recourir à Dieu. Je me retirai donc et je fus renfermée plus étroitement que la première fois, et parce qu'il n'y avait point encore de clef, on fermait la chambre avec un bâton en travers71.Tous ceux qui passaient par là étaient étonnés.

[3.] Lorsqu'on demandait à l'Official pourquoi il m'avait fait enfermer, il disait qu'il ne le savait pas, qu'il fallait le demander au prélat. Le tuteur72 de mes enfants fut voir Mgr l'archevêque et lui demanda pourquoi l'on m'avait emprisonnée puisqu'il lui avait dit lui-même que j'étais justifiée. Il lui répondit : «Vous savez, Monsieur, vous qui êtes juge, que dix pièces ne condamnent pas, mais qu'il s'en trouve une qui condamne absolument. » Le conseiller lui dit : « Mais Monseigneur, qu'a donc fait ma cousine de nouveau ? - Quoi ! dit-il, vous ne le savez pas ? Elle a fait des choses effroyables depuis un mois. » Lui fort surpris, lui demanda ce que c'était. Il lui dit : « Après avoir dit qu'elle était innocente, elle a écrit depuis un mois, avec larmes et comme par force, une rétractation où elle met qu'elle a été dans l'erreur et dans de méchants sentiments ; qu'elle est coupable des choses dont on l'accuse, et qu'elle maudit le jour et l'heure qu'elle a connu ce père », parlant du père La Combe.

Le conseiller fut dans une étrange surprise, mais il se douta que c'était une supposition73. Il demanda à voir cela et mes interrogations. Mgr l'archevêque lui dit que c'était une chose qui ne se verrait jamais et que c'était l'affaire du roi. Le conseiller pour être plus assuré vint ici voir mon amie, pour savoir si j'avais écrit et signé quelque chose. Mon amie l'assura que l'Official ni le docteur n'étaient pas venus ici depuis quatre mois, c'est-à-dire depuis le Jeudi Saint, [si ce n’est] que lorsqu'ils vinrent proposer le mariage de ma fille, où le conseiller était présent. Ainsi il vit bien que je ne signai rien, que je n'avais rien écrit à Mgr l'archevêque qu’une lettre que sur la prière de la mère, qui ne signifiait rien et dont elle avait la copie qu'elle montra. La voici :

« Monseigneur, si j'ai gardé depuis si longtemps un profond silence, c'est que j'appréhendais de me rendre importune auprès de Votre Grandeur, mais à présent que la nécessité de mes affaires temporelles me demande74 indispensablement, je prie instamment Votre Grandeur de demander ma liberté à Sa Majesté. Ce sera une grâce dont je lui serai infiniment redevable. Je me flatte d'autant plus de l'obtenir que M. l'Official me dit avant Pâques que je ne resterais plus ici que dix jours, quoique ce temps ait été beaucoup multiplié. Je n'en aurai aucun chagrin s'il a servi à vous persuader, Monseigneur, de ma parfaite soumission et du profond respect avec lequel je suis, etc. »

Cette lettre ne disait rien du tout, cependant il assura d'en avoir une effroyable que je lui avais écrite contre le roi et contre l'État. Il ne fut pas difficile à cet écrivain, qui avait écrit la première fausse lettre, d'écrire les autres.

[4.] Ce fut donc ces effroyables lettres contrefaites que l'on fit voir au Père de la Chaise, pour lesquelles l’on me renferma. […]

[6.] Avant que je fusse arrêtée, M. N. envoya quérir une femme, qui est une personne d'honneur, mais qui ne me connaît pas, il lui dit qu'il fallait qu'elle allât aux jésuites déposer contre moi plusieurs choses qu'il lui dit. Elle lui répondit qu'elle ne me connaissait pas. Il lui dit qu'il n'importait pas et qu'il le fallait faire, que son dessein était de me perdre. Cette femme alla consulter là-dessus un vertueux ecclésiastique qui lui dit que c'était un péché et une fausseté. Elle ne le fit pas. Il le proposa encore à un autre, qui s'en excusa ; et un autre religieux, contre qui il y avait des sujets de plainte et plus que contre nul autre, pour s'accréditer, écrivit contre moi. C'était à qui écrirait le plus fortement. J'ai une cousine germaine, que je crois que Notre Seigneur a ménagée pour moi, car j'espère que tôt ou tard il achèvera son œuvre. Cette parente, qui est à Saint-Cyr75, parla pour moi à Mme de Maintenon76, c'est l'unique qui ait parlé pour moi. Mme de Maintenon trouva le roi fort prévenu, le père La Mothe même ayant été lui parler contre moi. Si bien qu'il n'y eut plus rien à faire. L’on me vint dire qu'il n'y avait plus d'espoir, et tous mes amis disaient qu'il n'y avait nulle apparence d'espérer autre chose qu'une prison perpétuelle.

[7.] Je tombai dangereusement malade et le médecin me jugea fort en péril. Cela ne se pouvait autrement, étant enfermée dans un air si chaud qu'il semble une étuve. L’on écrivit à M. l'Official pour me faire donner les soulagements nécessaires, et même les sacrements, et de souffrir que l'on entrât dans ma chambre pour me servir. Il ne fit aucune réponse et sans le supérieur de la maison qui crut que l'on ne pouvait en conscience me laisser mourir sans soulagement, et qui dit à la mère supérieure de m'en donner, je fusse morte sans secours. Car lorsque l'on en parla à Mgr l'archevêque, il dit : « La voilà bien malade d'être renfermée entre quatre murailles après ce qu'elle a fait ! » et quoique le conseiller le lui demandât, il ne voulut rien accorder. J’avais une très violente fièvre continue, une inflammation de gorge, une toux et une décharge continuelle de tête sur la poitrine, qui semblait me devoir étouffer. […]

[Vie, 3.8.2.] Comme ils virent qu'ils ne pouvaient rien tirer de moi, ils firent une lettre exécrable, où ils marquent que je m'accuse de toutes sortes de crimes, que Notre Seigneur m'a fait la grâce d'ignorer, que je reconnais que le Père La Combe m'a abusée […] Un évêque parlant un jour de moi à un des mes amis, qui tâchait de me défendre : «  Comment voulez-vous, dit-il, que nous la croyions innocente, moi qui sais que le père La Mothe, son propre frère, par zèle pour le bien de l’Église et par un esprit de piété, a été obligé de porter des mémoires effroyables contre sa sœur et son religieux77 chez Mgr l’Archevêque ? C'est un homme de bien, qui n'a fait cela que par zèle. » Cet évêque est intime de Mgr l’Archevêque. Un docteur de Sorbonne, qui est tout chez M. de Paris, en dit autant. […] Fait ce 21 d'août 1688, âgée de quarante ans, de ma prison78 […].

Interventions de Mme de la Maisonfort auprès de Mme de Maintenon et délivrance

[9.] […] Dieu ayant permis que le désordre se fût mis dans les affaires de mon oncle, qui est l'unique que j'eusse, il avait une fille chanoinesse qui a de l'esprit et du mérite. Elle avait une petite soeur fort jolie, et comme Mme de Maintenon avait nouvellement établi une maison pour les demoiselles dont les pères s'étaient ruinés au service du roi, la chanoinesse alla présenter sa soeur à Mme de Maintenon qui la trouva fort à son gré79 […]

[Vie, 3.9.1.] Mais d'un autre côté comme Mgr l'archevêque n'en voulait pas avoir le démenti, et que mes ennemis pour se voir hors d'état de me nuire, n'en avaient que plus d'aigreur contre moi, ils se résolurent de faire entendre au roi que je ne pouvais pas sortir qu'ils n'eussent fait quelques formalités - c'était un acte qu'ils voulaient passer afin de faire voir qu'ils n'avaient point tort, et pour se mettre à couvert de toutes les recherches que l'on pouvait faire contre eux dans la suite, et afin de n'avoir point le démenti des faussetés et des mémoires qu'ils s'étaient vantés d'avoir contre moi - et que je leur avais écrit et fait des actes de rétractation. M. l'Official vint le mercredi premier d'octobre 1688, qui, après avoir pris le témoignage de la mère supérieure sur ma conduite dans leur monastère, qu'elle rendit le plus authentique et le plus avantageux du monde, me fit venir où il me dit qu'il fallait signer un acte qu'il avait dressé auparavant et qu’il faisait copier à son secrétaire. […]

[3.] Il fallut passer par là, malgré toutes mes raisons, pour éviter leur violence et me tirer de leurs mains. Je demandai que du moins le docteur qui l'accompagnait, signât sur mes papiers, afin que l'on ne pût point en mettre d'autres à la place : il ne le voulut jamais souffrir ; il les signa lui-même. Mais de quoi cela me servait-il puisqu'ils demeuraient entre ses mains ? Ce fut justement les deux papiers que j’avais vus écrits de la main du faussaire, ce méchant homme écrivain.

Voici la teneur des papiers80 que je leur avais donnés le 8 février 1688, dont, par la miséricorde de Dieu, j’avais gardé le double afin que l’on voie, je veux dire tous ceux entre les mains de qui ces écrits tomberont, la différence qu’il y a de ceux-ci à ceux que l’on m’a supposés. Ils me dirent que si je signais tout ce qu'ils me demandaient, l’on m'ouvrirait infailliblement la porte du monastère, mais que si je le refusais, il n'y avait plus de salut pour moi. […] Mais comme il vit que je ne signerais jamais si l'on mettait le mot d'erreur, il se mit dans une furie effroyable, disant que par sa foi je le signerais, ou que je dirais pourquoi, avec des violences effroyables pour me prouver que j'étais dans l'erreur.

[4.] L’on me dit que la lettre du père Falconi de la Merci81 était défendue à Rome, et que l’on l'avait mise dans les dernières éditions de mon livre comme pour l'appuyer. Je dis que cette lettre n'étant pas de moi, ce n'était pas une preuve que je fusse dans l'erreur. Je voulus faire écrire que je protestais de m'être jamais écartée de la foi, et que je donnerais mille vies pour l'Église ; on ne le voulut jamais. Il me reparla de mes livres quoique je les eusse soumis82, et me demanda si je ne les condamnais pas d'erreur. Je dis que s'il y avait des sentiments qui ne fussent pas tout à fait orthodoxes qui s'y fussent glissés, je les soumettais, comme j'avais toujours fait. Il voulut faire mettre, et le mit malgré moi, que je renonçais à toutes sortes d'erreurs. Je lui dis : « Mais pourquoi mettre cela? » Il dit que si je ne le mettais, il dirait que j'étais hérétique. Enfin il fallut passer par là. Il ajouta que je défendais à tout libraire et imprimeur de vendre et débiter de mes livres ! Je l'arrêtai là et lui dis que si mes livres n'étaient pas bons, qu'ils les défendissent, que j'y consentais, mais que pour moi, n'ayant pas contribué à leur impression, je n'avais rien à y voir. Le docteur, qui vit que l'Official se levait avec une furie étrange, me dit de laisser passer, me faisant entendre qu'il m'était plus avantageux de sortir de leurs mains, et il me dit après qu'il me donnerait, si je voulais, un acte signé de sa main comme il m'avait conseillé de signer. J'allai donc signer et j’en laissai un côté de la feuille afin de pouvoir consulter.

[5.] Comme l'abbesse avait permission de venir et de m'amener qui il lui plairait, je consultai, car l’on était venu me rapporter le papier (que j'avais signé d'un côté) croyant que c'était une méprise. L’on me dit qu'il fallait à quelque prix que ce fût me tirer de leurs mains, pourvu que je ne misse pas avoir été dans l'erreur. Je leur dis que cela n'y était pas, mais bien que si dans mes livres et mes écrits il y avait de l'erreur, je les condamnais de tout mon cœur. Il crut me surprendre, mais mon Dieu ne l'a pas permis, me faisant voir leur fin en tout ce qu'ils me demandaient. Ils voulaient me faire mettre que s'il se trouvait de l'erreur dans mes livres, tant dans ceux qui paraissaient au jour que dans ceux qui n'y paraissaient pas, je les détestais. Je dis que je n'avais aucun livre qui ne parût83. Je savais qu'ils avaient fait courir le bruit que j'avais fait imprimer des livres en Hollande et ils voulaient par cet acte me faire avouer que cela était. […]

[6.] Copie des papiers donnés à M. l'Official, le 8 février 168884.

« Je vous prie instamment, Messieurs, que l'on écrive deux choses : la première, que je ne me suis jamais écartée des sentiments les plus orthodoxes de la sainte Église, que je n'ai jamais eu des sentiments particuliers, que je n'ai jamais entré dans aucun parti, que je suis prête à donner mon sang et ma vie pour les intérêts de l'Église, que j'ai travaillé toute ma vie à me démettre de mes propres sentiments et à soumettre mon esprit et ma volonté. La seconde, que je n'ai jamais prétendu rien écrire qui ne fût conforme aux sentiments de la sainte Église, que si, par mon ignorance, il s'était glissé quelque chose qui ne fût pas conforme à ses sentiments, j'y renonce et le soumets de tout mon coeur à ses décisions, dont je ne veux jamais m'écarter. Que si je réponds aux interrogations que l'on me fait sur le petit livret, c'est par pure obéissance, et non pour le soutenir et défendre, le soumettant de tout mon coeur. Signé et daté le 8 février 1688. »

Je donnai cela avant l'interrogation, et celui qui suit, quelques jours après. Il est sans date. C'était sur ce qu'ils me voulaient persuader que toutes les âmes arrivées à l'union de Dieu tombaient en extase et que cette union ne se faisait que dans l'extase.

« Dieu peut donner à une âme les mêmes grâces qui opèrent dans l'extase quoique pour cela elle ne perde pas l'usage des sens extérieurs comme dans l'extase, qui ne vient que de faiblesse ; mais elle perd tellement toute vue de soi-même dans la jouissance de son divin objet qu'elle oublie tout ce qui la concerne. C'est alors qu'elle ne distingue plus nulle opération de sa part. L'âme semble alors ne faire autre chose que de recevoir ce qui lui est donné avec beaucoup de profusion. Elle aime sans pouvoir rendre raison de son amour et sans pouvoir dire ce qui se passe en elle dans ce moment. Il n'y a que l'expérience qui puisse faire comprendre ce que Dieu opère dans une âme qui lui est fidèle. Elle correspond en recevant de tout son coeur, autant qu'elle en est capable, les opérations de son Dieu, le regardant quelquefois faire avec complaisance et amour ; d'autres fois elle est si fort perdue et cachée en Dieu avec Jésus-Christ, qu'elle ne distingue plus son objet, qui semble l'absorber en lui-même. »

Il est ajouté dans le même papier, qui n'était pas signé :

« J'avoue que je suis fort interdite lorsqu'on m'interroge, par la peur de mentir sans y penser, ou plutôt de me méprendre, que je ne sais presque ce que je dis. Il me paraît que toute interrogation devrait finir, puisque je remets toutes choses et les soumets entièrement ; de plus, n'ayant pas le petit livre par devers moi85, je ne peux dire les endroits qui justifient et expliquent les propositions qui pourraient paraître dures. Comme, par exemple, sur celle des pénitences, je me suis souvenue qu'il y a dans le même chapitre un endroit où il dit que je ne prétends pas approuver les pénitences, puisque la mortification doit aller de pas égal avec l'oraison, et que même Notre Seigneur fait faire à ces personnes des pénitences de toutes sortes, et telles que ceux qui ne se sont pas conduits par là ne penseront pas même de faire. Il peut y avoir quantité de propositions qui à la rigueur sont condamnables, mais qui, après que l'on a vu la suite qui s'explique, paraissent très bonnes. Je ne dis point ceci pour faire valoir celles qui ne seraient pas approuvées, mais pour faire voir qu'il y en a beaucoup qui portent leur explication avec elles. »

[7.] J'ai oublié de dire que, comme l'on vit que les religieuses disaient beaucoup de bien de moi et témoignaient m'estimer, mes ennemis et quelques-uns de leurs amis leur vinrent dire que ce qu'elles avaient de l'estime pour moi faisait un grand tort à leur maison, que l'on disait que je les avais toutes corrompues et faites quiétistes. Ces filles prirent l'alarme de cela : la supérieure défendit aux religieuses de dire du bien de moi, de sorte que lorsqu'on m'eut emprisonnée de nouveau, on jugea que l'on avait reconnu beaucoup de mal de moi, et cela fit que mes amis mêmes en doutaient. Je me vis alors rejetée de tous comme l'excrément (et si abandonnée) que l'on ne me supportait plus qu'avec peine dans la maison, et mon amie même, craignant que l'estime qu'elle avait pour moi ne lui fît tort, se retira peu à peu, et battit froid. Ce fut pour lors, ô mon Dieu, que je pouvais bien dire que vous m'étiez toutes choses. Je voyais ce que c'est que le respect humain qui porte à trahir la vérité connue : car dans le fond elles m'estimaient et pour se mettre en crédit elles donnaient à connaître le contraire. Le père La Mothe allait porter aux jésuites des lettres contrefaites qu'il disait être de moi, qui étaient effroyables, et il disait qu'il était au désespoir d'être obligé de parler contre moi et que c'était par zèle pour la religion qu'il renonçait à l'amitié qu'il me devait, et par là il s'attirait la créance de tout le monde, prévenant les esprits en sa faveur en sorte qu'on l'estimait et le plaignait du mal qu'il faisait. C'est de cette sorte qu'il a gagné le père de la Chaise et presque tous les jésuites.

[…] J'ai oublié encore de dire que lorsque je dis à M. l'Official que je ne voulais pas que l'on mît ce mot d'erreur pour raison, parce que je pensais bien en moi-même que c'était un piège, à cause qu'ils se vantaient qu'ils avaient en main une rétractation, il me dit qu'il faudrait qu'il fût un grand sot pour ne me le pas faire mettre et que Mgr l'archevêque le renverrait bien, me voulant faire comprendre qu'ils voulaient ce mot pour leur justification. A cinq jours de là il vint me faire signer la seconde feuille. Je ne l'aurais pas fait, m'étant fort indifférent de rester comme j'étais pourvu que je fisse votre volonté, ô mon Dieu, mais Mme de Maintenon me fit dire de signer et qu'elle avertirait le roi de leur violence, qu'il fallait me tirer de leurs mains. Je signai donc; après quoi j’eus la liberté du cloître86.

[8.] […] Enfin la veille de l'Exaltation de la Sainte-Croix87, la lettre de cachet me fut apportée. […]

[9.] L'abbesse et le tuteur de mes enfants vinrent me prendre, qui témoignèrent bien de la joie et tous mes amis, il n'y avait que les autres qui en avaient un extrême dépit. Je sortis sans sentir que je sortais et sans pouvoir réfléchir sur ma délivrance. […] Au sortir du couvent l’on me mena chez Mgr l'archevêque par forme, pour le remercier. Je devais bien le faire de ce qu'il m'avait fait souffrir car je ne doute pas que mon Dieu n'en ait été glorifié. Ensuite j'allai voir Mme de Miramion, qui avait bien de la joie d'une chose à laquelle elle n'avait pas peu contribué. J'y trouvai par providence Mme de Mont-Chevreuil, intime amie de Mme de Maintenon, qui témoigna beaucoup de joie de me voir délivrée et m'assura que Mme de Maintenon n'en aurait pas moins ; ce que Mme de Maintenon témoigna elle-même en toute rencontre. Je lui écrivis pour la remercier. Elle me dit que ma lettre lui avait entièrement plu. La voilà88 :

« Si j’avais fait la moindre des choses dont on m’a accusée, je n’aurais jamais été, Madame, implorer votre protection ; ma disgrâce m’aurait paru si juste que je me fusse contentée en me taisant de souffrir ce que je me serais attiré par ma mauvaise conduite, mais, Madame, le témoignage que me rends mon innocence, a relevé mon courage et m’a fait comprendre que la personne la plus persécutée qui fut jamais, trouverait en vous, Madame, un asile que votre grand cœur ne refuse à personne. J’ai tout espéré, Madame, de votre générosité malgré l’extrême décri où la calomnie m’a réduite. J’ai même cru dès le commencement que vous seriez ma libératrice, j’ai cru, j’ai espéré, mon attente n’a point été vaine. Je vous dois tout après Dieu ; cependant, Madame, je me condamne au silence, mes obligations étant d’une nature à m’interdire tout autre parti que celui de demander à Notre Seigneur incessamment qu’il récompense votre charité envers la personne du monde qui est avec le plus profond respect etc. »

[…] Peu de jours après ma sortie, j'allai à Saint-Cyr la saluer ; elle me reçut parfaitement bien et d'une manière singulière. Elle avait témoigné peu de jours auparavant à ma cousine combien ma lettre lui avait plu, et que véritablement Notre Seigneur lui donnait pour moi des sentiments d'estime particuliers. Je retournai voir Mgr l'archevêque : il me pria de ne rien dire de ce qui s'était passé. Cependant le père La Mothe était désespéré de ma sortie et faisait toujours paraître le contraire à ceux qui m'approchaient. Il m'envoyait des personnes pour m'épier et pour me surprendre en paroles. Je ne sais pas encore l'effet que cela aura. M. l'Official pria Mme de Miramion de ne me point recevoir chez elle et il me vint dire de n'y point aller. Cela n'a pas eu grand effet, car cette dame témoigna toujours le dessein qu'elle avait eu de me prendre chez elle, où je suis présentement. Si Dieu le veut, j'écrirai un jour la suite d'une vie qui n'est pas encore finie. Ce 20 septembre 1688.

Mme Guyon sortit donc par ordre royal de son enfermement, autour du 13 septembre, et continua la rédaction de sa Vie chez Mme de Miramion89. Elle eut cette chance (qui manqua à l’obscur La Combe) grâce à l’action conjointe de plusieurs défenseurs : une cousine germaine, Marie-Françoise-Silvine Le Maistre de la Maisonfort, qui jouissait alors de toute la confiance de Mme de Maintenon, ainsi peut-être qu’un confesseur lazariste de celle-ci, puis Mme de Miramion qui avait d’abord montré de la méfiance, enfin une abbesse parente de Mme de Maintenon90.

Les sœurs du premier monastère de Paris rendirent le témoignage suivant91 :

...Plusieurs de vos charités ont su que nous avons eu quelques mois par ordre du Roi dans notre maison Mme Guyon, qui en est sortie par un autre ordre de Sa Majesté, et demeurée entièrement libre ; c'est une personne dont nous avons reçu tant d'édification que nous ne l'oublierons jamais, et dont la vertu nous a souvent fait rentrer en nous-mêmes ; nous la recommandons à vos saintes prières, étant présentement fort incommodée, ce qu'elle porte dans une patience admirable.

S’ouvre alors une période paisible où Mme Guyon reprend son apostolat et rencontre celui qui sera son principal disciple : Quelques jours après ma sortie, je fus à B[eynes] chez Mme de Charost [...] Ayant ouï parler de M. [l’abbé de Fénelon], je fus tout à coup occupée de lui avec une extrême force et douceur [...] Je souffris huit jours entiers, après quoi je me trouvai unie à lui sans obstacles92. Il s’agit de la célèbre rencontre qui provoqua le célèbre raccourci par Saint-Simon : « Dans ces temps-là, obscur encore… Il la vit : leur esprit se plut l’un à l’autre, leur sublime s’amalgama93. »

Chapitre 3. La période de vie publique (13 ? septembre 1688 - 12 janvier 1695)

Nous serons très brefs sur cette longue période bien couverte par les historiens en ce qui concerne la période finale de l’année 1694 dite des « entretiens » d’Issy. On dispose d’une abondante correspondance couvrant les années 1689-1690 avec Fénelon, puis les années 1693-1695, passant le plus souvent par l’intermédiaire du fidèle duc de Chevreuse. C’est la source la plus importante pour étudier les origines et le déroulement de la querelle dans la mesure où Mme Guyon est l’animatrice des « années de combat » au sein du cercle quiétiste94.

1689 : Rétablissement, événements familiaux

Mme Guyon est soignée pendant trois mois dans la communauté fondée par Mme de Miramion. Cette dernière découvre les calomnies du P. la Mothe95.

Le 16 août, Fénelon est nommé précepteur du duc de Bourgogne.

Le 25 août, Armand-Jacques, le fils aîné de Mme Guyon, est blessé à Valcourt et restera infirme.

Le 26 août, sa fille Jeanne-Marie épouse Louis-Nicolas Fouquet, comte de Vaux, frère cadet de la duchesse de Béthune : Ma fille fut mariée chez Mme de Miramion et je fus obligée, à cause de son extrême jeunesse96 d’aller rester quelques temps avec elle. J’y restai deux ans et demi97.

Le 29 novembre, mise à l’index du Moyen court.



1690 : Une retraite paisible

Nous avons très peu de renseignements sur la période paisible couvrant les années 1690 à 1693 où Mme Guyon séjourne souvent à Vaux-le-Vicomte dont on apprécie toujours de nos jours le cadre et le château construit par Nicolas Fouquet. Il constitue une retraite à distance convenable de la Cour puisque situé au sud-est de Paris. Libre, elle peut avoir des contacts directs avec ses proches, ce qui diminue le besoin de correspondre par écrit et nous prive donc de sources écrites.

Depuis ma sortie de Sainte-Marie, j’avais continué d’aller à Saint-Cyr [...] [Mme de Maintenon] me marquait beaucoup de bontés [...] [ce qui dura] pendant trois ou quatre années98.

1691 : Premières inquiétudes

« Premières inquiétudes » de Mme de Maintenon qui, dès l’été 1691, se préoccupe de faire venir à Saint-Cyr des Lazaristes, destinés peut-être à contrebalancer l’influence de Fénelon 99.

Retour de Mme Guyon de sa « campagne », où elle habitait avec le jeune ménage. A Paris, elle loue une petite maison et vit retirée100.

1692 : Bossuet mis en action

8 juillet : une lettre de Mme de Maintenon prend parti contre la « nouvelle spiritualité » de Saint-Cyr101 : « On y ferait des livres sur le pur amour […] Chacun croit être dans l’état qu’il s’imagine ». Peut-être ne s’agit-il encore que d’une précaution prise pour tenir compte de ce qui devient le nouveau sujet d’intérêt chez des courtisans ?

31 août : Bossuet consacre Godet des Marais évêque de Chartres ayant autorité sur Saint-Cyr. Il est mis en action contre le groupe guyonnien, peut-être avec la participation de jansénistes, irrités de voir que l’amitié de Fénelon pour le duc de Chevreuse102 avait contribué à détourner ce dernier de Port-Royal103.

A partir de l’automne, Godet utilise comme informatrices pour son propre compte Mme du Pérou et une autre religieuse, et leur fait espionner le « petit groupe » guyonnien des Dames de Saint-Cyr104.



1693 : St Cyr interdit, examens

Une dévote attachée à M. Boileau105 calomnie Mme Guyon et entraîne ce dernier qui persuade à son tour l’évêque Godet. Mme de Maintenon tint bon quelque temps [...] Elle se rendit [...] aux instances réitérées de Mgr l’évêque de Chartres106.

En mars, rencontres avec M. Boileau (de l’Archevêché) et M. Nicole107 : les conversations portent sur le Moyen Court et Mme Guyon rédige une Courte Apologie qui précise quelques points108. Mme de Maintenon prie Mme Guyon de ne plus venir à St Cyr109.

En août : Quelques personnes de mes amies jugèrent à propos que je visse Mgr l’évêque de Meaux : elle le rencontre chez le duc de Chevreuse en sa présence et lui remet tous ses écrits. Il lut tout avec attention, il fit de grands extraits et se mit en état [...] d’écouter mes explications110. Mme Guyon fait examiner ses écrits par Nicole, Boileau et Bossuet.

Ce même été, saisie des ouvrages de Mme Guyon à Saint-Cyr lors de la visite canonique de Godet, avec « une mise en scène un peu ridicule »111. L’attaque se concentre contre Mme de la Maisonfort. Le petit groupe guyonnien résiste tout l’automne ; en octobre, échange de lettres entre Mme Guyon et Bossuet : ce dernier est choqué par les communications en silence décrites dans la Vie et ne peut comprendre l’oraison passive des mystiques112.



1694 : crise et entretiens d’Issy

Les événements se précipitent pour lesquels, outre le récit de la Vie, nous disposons d’une abondante correspondance qui circule par l’intermédiaire du duc de Chevreuse.

Le 30 janvier, entretien rue Cassette, chez les bénédictines du Saint-Sacrement113, avec Bossuet, qui avait terminé l’examen des écrits de Mme Guyon : Ce n’était plus le même homme. Il avait apporté [...] un mémoire contenant plus de vingt articles, [... il] prétendait qu’il n’y a que quatre ou cinq personnes dans tout le monde qui aient ces manières d’oraison [...mais] il y en a plus de cent mille dans le monde114.

Le 20 février, nouvelle conférence après un échange de lettres qui se poursuit ensuite.

Le 7 juin, Mme Guyon écrit à Mme de Maintenon pour l’autoriser à justifier ses mœurs (des calomnies circulaient). Monsieur Tronson s’informe. Maladie : c’était un poison fort violent qu’on m’avait donné ; puis Mme Guyon prend les eaux à Bourbon l’Archambault115.

On cherche des examinateurs. Le choix se porte sur M. de Meaux, Mgr de Châlons et M. Tronson. Mme Guyon prépare avec Fénelon ses Justifications116. Ils formeront « quinze ou seize gros cahiers » qu’elle fera parvenir à Bossuet avec une lettre datée du 3 octobre. Fénelon lui a déjà fait parvenir, le 28 juillet, la première partie de son travail apologétique ; d’autre part il entreprend la rédaction du Gnostique117.

De fin juillet à septembre ont lieu les premiers entretiens d’Issy, abordant notamment la question du sacrifice conditionnel du salut. Le duc de Chevreuse est écarté des entretiens par Bossuet118. Ce dernier a communiqué la Vie à Tronson et à Noailles.

Le 16 octobre, mandement de l’archevêque de Paris Harlay condamnant le Moyen Court et le Commentaire des Cantiques.

Le 6 décembre, Mme Guyon rencontre enfin ses trois examinateurs d’Issy, au logis parisien de Bossuet.

Chapitre 4. La Visitation de Meaux sous la férule de Bossuet (13 janvier 1695 – 8 ? juillet 1695)

Brève chronologie des événements publics.

Nous plaçons en tête de ce chapitre une chronologie des événements publics qui se produisent pendant les événements vécus sous les ailes de l’aigle de Meaux. Elle est rédigée avec le même souci de brièveté que celui des rappels qui portaient sur les années « libres », de 1689 à 1694.

Pendant que Mme Guyon est soumise aux pressions exercées par Bossuet lors de ses visites au couvent où elle est assignée, - elle tentera bientôt de se faire oublier ou du moins de gagner du temps en échappant le plus longtemps possible à la police royale, espérant peut-être qu’un événement inattendu ne renverse le cours si défavorable des événements - ces derniers suivent leur course inexorable :

Le 12 janvier, Mme Guyon avait été interrogée par M. Tronson à Issy, en présence du duc de Chevreuse. Elle part le lendemain pour Meaux.

Le 4 février, Fénelon est nommé archevêque de Cambrai par Louis XIV. Il est ainsi éloigné de la Cour.

Le 9, le 12 et le 14 février, les examinateurs des conférences d’Issy se réunissent.

Le 10 mars, Bossuet, Tronson, Noailles et Fénelon signent les 34 articles d’Issy. Ils seront publiés dans les instructions pastorales des 16 avril, 25 avril, 21 novembre, assortis d’une condamnation des écrits de Mme Guyon et d’un opuscule du P. La Combe.

Le 16 avril, Mme Guyon les contresigne (elle fait toutefois précéder sa signature d’une formule restrictive).

Le 1er mai, Bossuet ouvre le feu en publiant son Ordonnance « sur les état d’oraison ». Il ne précise pas les textes jugés condamnables. 

Vers le 15 mai, Ordonnance de Noailles, encore évêque de Châlons (il succèdera bientôt à Harlay, l’archevêque de Paris).

Il faudra attendre le 26 novembre pour la première édition « registrée sur le livre de la communauté des libraires » d’une Ordonnance (la quatrième, de l’évêque de Chartres Godet des Marais) prenant enfin la peine de relever 63 extraits des écrits de Mme Guyon jugés condamnables.



Un internement volontaire

Revenons au début de l’année 1695. Le deuxième internement de Mme Guyon, cette fois volontaire, couvrira presque exactement son premier semestre. Nous sommes bien renseignés par une abondante correspondance dont nous tirons l’essentiel de la description de cette assignation à la Visitation de Meaux119.

Cet internement était volontaire car le vrai caractère de Bossuet ne s’était pas encore manifesté. Au début tout semble se dérouler conformément aux espoirs quelque peu naïfs (à moins qu’il ne s’agisse de témoigner sa bonne volonté à un interlocuteur qui agissait souvent en intermédiaire, transmettant les informations) d’une pénitente qui écrivait le 7 janvier au duc de Chevreuse : « Mandez-moi, s’il vous plaît, monsieur, sans retard, les intentions de M. de M[eaux]. Je vous assure que j’ai eu une sensible joie de la charité de ce bon prélat. J’espère que Dieu lui fera connaître le fond de mon cœur ». Elle relatera par la suite ainsi sa disposition au bon vouloir de l’évêque :

[Vie, 3.18.1 ...] M. de Meaux, à qui j'avais offert d'aller passer quelque temps dans une communauté de son diocèse, afin qu'il me connût par lui-même, me proposa les filles de Sainte-Marie de Meaux. Cette offre lui avait plu infiniment, dans la pensée qu'il eut, comme je l'ai appris depuis, qu'il en tirerait de grands avantages temporels. Il les croyait encore plus grands, car il dit à la mère Picard120, supérieure du monastère où j'entrai, que cela lui vaudrait l'archevêché de Paris et un chapeau de cardinal. Je répondis à cette mère, lorsqu'elle me le dit, que Dieu ne permettrait pas qu'il eût ni l'un ni l'autre. Je partis sitôt qu'il me le manda. Ce fut au mois de janvier 1695, dans le plus affreux hiver qu'il y ait eu de longtemps ni devant ni après.[…] Il était dix heures du soir lorsque nous arrivâmes. On ne nous attendait plus et M. de Meaux ayant d'abord appris cela, fut étonné et très satisfait que j'eusse ainsi risqué ma vie pour lui obéir à point nommé. J’en eus une maladie de six semaines de fièvre continue. [3.18.6 …] Il avait de bons moments, qui étaient ensuite détruits par les personnes qui le poussaient contre moi et par son propre intérêt.



Affrontements

Bossuet, soumis à la pression de Mme de Maintenon, va tenter de briser la résistance de celle qu’il tient sous sa juridiction, afin obtenir une soumission dont des termes permettraient une condamnation. La pénitente est très consciente de l’enjeu et résiste, mais sa santé se ressent des scènes subies :

[Vie, 3.19.2.] Je me trouvai si mal après son départ, parce que j'avais un peu parlé et que j'étais extrêmement faible, qu'il fallut me faire revenir avec des eaux cordiales. La supérieure, craignant que s'il revenait le lendemain, cela ne me fit mourir, le pria, par écrit, de me laisser ce jour de repos, mais il ne le voulut pas ; au contraire, il vint ce jour-là même, et me demanda si j'avais signé l'écrit qu'il m'avait laissé, et ouvrant un portefeuille bleu qui fermait à clef, il me dit : « Voilà mon certificat, où est votre soumission ? » Il tenait un papier en disant cela. Je lui montrai ma soumission, qui était sur mon lit, et que je n'avais pas la force de lui donner. Il la prit, je ne doutai point qu'il ne m'allât donner le sien, point du tout, il renferma le tout dans son portefeuille et me dit qu'il ne me donnerait rien, que je n'étais pas au bout, qu'il m'allait bien tourmenter davantage et qu'il voulait bien d'autres signatures, entre autres celle que je ne croyais pas au Verbe Incarné. Jugez de ma surprise. Je restai sans force et sans parole, il s'enfuit. Les religieuses furent épouvantées d'un tour pareil, car rien ne l'obligeait à me promettre un certificat. Je ne lui en avais point demandé. Ce fut alors que je fis des protestations qui sont paraphées d'un notaire de Meaux, l'ayant demandé sous prétexte de testament121. […][4.] Les bonnes filles qui voyaient une partie des violences et des emportements de M. de Meaux, n'en pouvaient revenir ; et la mère Le Picard me disait que ma trop grande douceur le rendait hardi à me maltraiter, parce que son caractère d'esprit était tel qu'il en usait ordinairement de la sorte avec les gens doux, et qu'il pliait avec les gens hauts.

Pendant ce temps on enquête fiévreusement dans le Royaume, en particulier près de Grenoble où Mme Guyon avait exercé en 1685 une influence qui s’était attirée l’opposition du Général des chartreux, dom Le Masson122. Mais d’autres religieux avaient été sensibles à son rayonnement ou simplement témoignent honnêtement lorsque l’on tente dix années plus tard d’obtenir des attestations compromettantes ; lorsque l’intéressée, avertie d’éventuelles charges contre elle portant sur ses mœurs, s’adresse au Père Richebracque, celui-ci lui répond le 14 avril :

Madame, / Est-il possible qu’il faille me chercher dans ma solitude pour fabriquer une calomnie contre vous, et qu’on m’en fasse l’instrument ? Je ne pensai jamais à ce qu’on me fait dire, ni à faire ces plaintes dont on veut que je sois auteur. Je déclare, au contraire, et je l’ai déjà déclaré plusieurs fois, que je n’ai jamais rien entendu de vous que de très chrétien et de très honnête. Je me serais bien gardé de vous voir, madame, si je vous avais crue capable de dire ce que je n’oserais pas écrire et que l’Apôtre défend de nommer […]123.

Le duc de Chevreuse conduit de son côté une contre-enquête et le même Père répond à trois de ses questions, dont l’une, participer à des « assemblées nocturnes » est l’accusation la plus grave possible en une époque qui verra bientôt se dérouler la résistance protestante camisarde :

[…] Je réponds à chaque chef en particulier. Au premier, qu’en 1686 et 1687, j’étais prieur de Saint-Robert, et que ce monastère n’est pas dans Grenoble, mais à trois grands quarts de lieue de ce pays-là. [Saint-Robert-de-Cornillon, commune de Saint-Egrève).] […] Au troisième, qu’il ne m’est jamais revenu qu’il se soit tenu, chez la dame ou en sa présence, des assemblées nocturnes […] Vous voulez, Monseigneur, que j’ajoute s’il ne m’est rien revenu d’ailleurs de mauvais des mœurs de la dame. Je le fais en vous assurant que non. On disait au contraire beaucoup de bien de sa grande retraite, de ses charités, de son édifiante conversation, etc. […]124.

Pendant ce temps, à l’intérieur du couvent, la situation devient très difficile au point d’inciter la prisonnière à prendre toute les précautions possibles : « Elle envoya quérir un notaire qu’elle en chargea de dresser l’acte dans la forme qui convenait, qu’elle adressa depuis à un de ses amis, cacheté de près de vingt cachets, pour être déposé dans le temps chez un notaire de Paris pour servir un jour ce que de raison125. » Cette « protestation en forme de testament » fut rédigée le 15 avril126. Rédigée avec soin, elle est un exemple étonnant du déroulement des tractations entre un évêque et sa dirigée rebelle, ici choc entre deux personnages hors du commun :

Je soussignée, étant au lit, malade, dans le couvent de la Visitation de Sainte-Marie de Meaux, enfermée dans ce monastère, sans commerce aucun au dehors et sans pouvoir avoir de conseil, Monseigneur l’évêque de Meaux, Jacques-Bénigne Bossuet, m’apporta un soir, 14 avril 1695, trente-quatre articles qu’il me dit être des erreurs, pour me faire signer que j’avais eu ces erreurs. Je lui répondis que, par la grâce de Dieu, je n’avais jamais douté des vérités contenues dans lesdits trente-quatre articles127, que j’étais prête à les signer de mon sang, mais qu’en les signant, je voulais mettre que je n’en avais jamais douté. L’on ne voulut jamais me l’accorder. Mais comme, d’un côté, je ne pouvais avancer en conscience que j’eusse jamais douté un instant de ces choses, puisque je n’en ai point douté, et que, de l’autre, il faut obéir à la violence, après les protestations faites audit seigneur évêque de mon amour pour l’Église et parfaite soumission envers elle, et [après] avoir prié instamment ledit seigneur de mettre les choses le plus en général qu’il pourrait, afin que je pusse signer sans mentir, ledit seigneur évêque m’a fait un modèle de ce qu’il voulait absolument que je misse en bas desdits articles, avec une déclaration vraie et sincère que je lui ai faite de mon attachement au Saint-Siège apostolique.

Après lui avoir soumis les deux petits livres du Moyen court et facile de faire oraison, et celui de l’Exposition du Cantique des cantiques de Salomon selon le sens mystique128, qui sont les deux que je reconnaisse avoir faits, après avoir fait une déclaration, comme je la fais encore ici, de n’avoir dit et fait aucune des choses dont on m’accuse, et avoir demandé même à Sa Majesté des commissaires laïques pour examiner mes mœurs, après avoir offert de me mettre en prison pour me faire examiner de toutes manières, ce qui m’ayant été refusé, j’ai demandé de me mettre en une religion129 où l’on pût rendre raison de ma conduite, je m’y suis mise volontairement rien que pour cela, et l’on se sert de ma bonne foi pour me faire signer, après m’avoir ôté tout conseil et tout commerce au dehors. J’ai donc protesté et proteste encore ici n’avoir fait ni dit aucune des choses dont on m’accuse ; que je n’ai garde d’avoir été convaincue par M. le cardinal de Grenoble, en présence du P. de Richebracque, pour lors prieur des bénédictins de Saint-Robert, d’avoir dit des paroles scandaleuses, puisque je jure sur l’Évangile que je ne les ai jamais vus ensemble dans un même lieu.

J’ai donc mis en main dudit seigneur évêque de Meaux une déclaration de ces choses. Et après être convenus ensemble qu’en signant lesdits trente-quatre articles ci-joints avec ce qui suit au bas, il me donnerait une décharge entière de tout ce qui regarde les soupçons sur ma foi, [après] avoir même dressé ledit acte de décharge devant moi et être convenu des termes, m’ayant donné parole qu’en lui donnant lesdits articles et le papier signé comme il l’avait lui-même dressé, il me donnerait une pleine décharge telle que nous en convenions, et que par là cette affaire était finie, il m’a laissé lesdits articles avec l’acte qu’il avait dressé pour l’écrire au bas desdits trente-quatre articles ci-joints et les signer. Il a emporté chez lui le modèle de l’acte qu’il me devait donner pour ma décharge, avec parole de me le rapporter aujourd’hui vendredi 15 avril 1695, et qu’il me le donnerait pour ma décharge lorsque je lui mettrais entre les mains lesdits trente-quatre articles avec l’acte qu’il m’avait dressé au bas, signé. Je l’ai fait transcrire sur son modèle, ensuite je l’ai signé. Et comme il est venu ce soir vendredi 15 avril, je lui ai remis lesdits articles avec l’acte au bas et la déclaration, en lui demandant la décharge qu’il m’avait promise. Il a ouvert un portefeuille fermant à clef, comme pour me la donner, où il a enfermé lesdits articles avec l’acte signé de moi et la déclaration ci-dessus mentionnée, et m’a refusé la décharge, disant qu’il voulait voir avec ses amis ce qu’il me ferait encore signer auparavant.

Je déclare donc le fait comme il est, et la violence dont on en use en mon endroit : privée de conseils et de tout secours, je proteste de nullité de tous ces actes et de ceux qu’on me fera signer dans la suite, attendu que je ne suis pas libre, non que je refuse de donner tel témoignage qu’on voudra de ma foi, car je proteste encore ici n’avoir jamais douté d’aucune chose qui regarde la foi, que j’ai toujours soumis sincèrement mes livres, comme je les soumets, condamnant de tout mon cœur les mauvaises expressions que mon ignorance m’y a fait mettre, n’ayant jamais eu dessein de favoriser les nouvelles erreurs, dont je n’avais jamais ouï parler lorsque j’ai écrit lesdits deux livres. J’ai même fait voir clairement à mondit seigneur évêque de Meaux qu’il n’y avait aucune expression ni proposition dans mes livres qui ne fût dans ceux de plusieurs auteurs canonisés, comme saint François de Sales, sainte Catherine de Gênes, saint Jean de la Croix et bien d’autres. Nonobstant toutes ces choses, m’aveuglant moi-même par soumission, je n’ai pas laissé de renoncer à mon jugement et à ce que je voyais, pour soumettre mon esprit et mon cœur à ce qu’on me disait être dans ces livres, quoique je visse le contraire, et que je susse bien que ce qui est une expérience d’amour et de charité n’est point un dogme de foi, la foi étant un acte différent de la charité. J’ai soumis mon esprit et le soumets encore de tout mon cœur. Mais je déclare en même temps que je ne prétends rien signer qui préjudicie à ma foi, que si on me fait faire quelque chose qui y puisse donner atteinte, c’est la force qui me le fait faire, et le respect profond que j’ai pour l’Église, qui fait que je crains qu’en ne signant pas tout ce qu’on me propose, cela ne donne souvent lieu à des remuements qui scandalisent l’Église, par des personnes qui, entêtées de leurs opinions, veulent l’emporter et ne jamais céder.

Pour moi, je proteste que je sacrifie tout intérêt de repos et d’honneur pour l’intérêt de l’Église, ma mère ; mais je proteste en même temps de la sincérité de ma foi et que je ne m’en suis jamais écartée un moment. Que si la violence me fait signer quelque chose qui donne lieu de croire que j’ai été dans l’erreur, je le désavoue et ne le signe que par violence, aimant mieux laisser juger que ma foi a été moins pure que de troubler la même foi par une résistance trop forte et un attachement à prouver la vérité de cette même foi. Je proteste donc que je n’ai jamais douté ni hésité sur aucun article de la foi, que je désavoue tous les mauvais sens qu’on peut donner à ces deux livres du Moyen et du Cantique, les ayant écrits dans les sens très catholiques que les spirituels approuvés, qui disent les mêmes choses, ont eus. Et de tout ce que contient cet acte, j’en fais mon testament de mort.

Fait à Sainte-Marie de Meaux, ce vendredi 15e avril 1695.

En même temps elle maintient le contact avec ses amis par l’intermédiaire du duc de Chevreuse, ce qui nous vaut des comptes rendus où vibrent encore les menaces de l’évêque auxquelles fait face la dirigée. Elle rapporte ainsi la duplicité de Bossuet :

M. de M[eaux] vient de venir, voulant toujours que je déclare ce que vous savez. Il y a quelque chose de tout dressé que je lui ai demandé à voir et à examiner. Je lui ai donné l’acte de soumission que nous étions convenus. Avant de l’avoir entre les mains et lorsque je le lui ai lu, il a témoigné en être content, mais sitôt que je le lui ai donné, il a dit qu’il voulait que je me déclarasse hérétique reconnue ! Je lui ai parlé avec la plus extrême douceur ; cela n’a servi de rien : il m’a dit qu’il viendrait dans quatre jours avec des témoins, après quoi il me dénoncerait à l’Église, comme il est porté par l’Évangile, afin d’en être retranchée. J’ai dit : « Je n’ai point d’autre témoin que Dieu, qui sait que c’est pour ne point pécher ni parler contre ma conscience que je ne signe pas ces choses, qu’Il me fera la grâce de ne m’écarter jamais du respect et de la soumission que je vous dois, de souffrir tout ce que cela m’attirera, et déclarer toujours que je soumets mes livres et mes expressions, que je ne prétends jamais les soutenir ». Il m’a répondu : « Tout cela ne dit point que vous avez été hérétique, et je veux que vous le disiez et que vous déclariez que nous vous avons atteinte et convaincue d’erreurs réelles, non seulement dans vos termes, mais dans votre foi : c’est pourquoi vous approuvez ce qui est dans nos ordonnances, et vous déclarez véritablement atteinte et convaincue ». Il me doit envoyer tout dressé ce qu’il veut. La Mère lui a parlé assez fortement, il a toujours répondu la même chose et fait d’étranges menaces. Sitôt qu’il m’aura donné ce qu’il veut que je signe, je l’enverrai, mais je prie, pour l’amour de Dieu, qu’on en examine tous les termes et qu’on me marque ceux que je dois retrancher ou mettre130. […]

Sa confidente est la « petite duchesse » de Mortemart en qui elle a toute confiance et que nous retrouverons avant le silence imposé par le transfert à la Bastille. On ressent la tension de l’affrontement dans le feu du dialogue qui résonne encore aux oreilles de celle qui écrit :

[…] Il m’a demandé de signer sa lettre pastorale et d’avouer que j’ai eu des erreurs qui y sont condamnées. J’ai tâché de lui faire voir que ce que je lui avais donné comprenait toute sorte de soumission et que, quoiqu’il m’eût mis dans sa lettre au rang des malfaiteurs, que je tâchais d’honorer cet état de Jésus-Christ sans me plaindre. Il m’a dit : « Mais vous m’avez promis de vous soumettre à ma condamnation ! - Je le fais, Monseigneur, ai-je dit, de tout mon cœur, et je ne prends non plus d’intérêt à ces livres que si je ne les avais pas écrits. Je ne sortirai jamais, s’il plaît à Dieu, du respect ni de la soumission que je vous dois de quelque manière que les choses tournent, mais, Monseigneur, vous m’aviez promis une décharge. - Je vous la donnerai lorsque vous ferez ce que je veux. - Monseigneur, vous me fîtes l’honneur de me dire qu’en vous donnant signé cet acte de soumission que vous m’aviez dicté, que vous me donneriez ma décharge. - Ce sont, dit-il, des paroles qui échappent avant d’avoir mûrement pensé à ce qu’on peut et doit faire. -  Ce n’est pas pour vous faire des plaintes que je vous dis cela, Monseigneur, mais pour vous faire souvenir que vous me la promîtes. Mais pour vous faire voir ma soumission, j’ai écrit au bas de votre lettre pastorale tout ce que j’y ai pu mettre. » Il l’a prise, mais ne la pouvant lire, il me l’a rendue ; je la lui ai lue ; il m’a dit qu’il la trouvait assez bien, puis après l’avoir mise dans sa poche, il m’a dit : « Il ne s’agit pas de cela, tout cela ne dit point que vous êtes formellement hérétique, et je veux que vous le déclariez, et que la lettre est très juste et que vous reconnaissez avoir été dans toutes les erreurs qu’elle condamne. - Monseigneur, je crois que c’est pour m’éprouver que vous dites cela, car je ne me persuaderai jamais qu’un prélat, si plein de piété et d’honneur, voulût se servir de la bonne foi avec laquelle je suis venue me mettre dans son diocèse pour me faire faire des choses que je ne puis faire en conscience. J’ai cru trouver en vous un père, je vous conjure que je ne sois point trompée en mon attente. -  Je suis père de l’Église, m’a-t-il dit. Enfin il n’est point question de paroles. Je viendrai, si vous ne signez ce que je veux, avec des témoins, et après vous avoir admonestée devant eux, je vous déférerai à l’Église, et nous vous retrancherons, comme il est dit dans l’Évangile - Monseigneur, je n’ai que mon Dieu pour témoin, mais donnez-moi ce modèle, je verrai de quoi il s’agit ; et après avoir fait dire des messes, je ferai ce qui ne blessera pas ma conscience. Du reste, Monseigneur, je suis préparée à tout souffrir et j’espère que Dieu me fera la grâce de ne sortir jamais du respect que je vous dois, de tout souffrir en patience et de ne rien faire contre ma conscience ». Il a fait appeler la Mère, et je me suis retirée131. […]

On vient demain avec quatre témoins pour essayer par les dernières violences à faire faire ce que je ne dois ni ne puis. Il n’y a point d’extrémité où l’on ne soit résolu de pousser les choses. […] Il a quatre témoins et je n’en ai point, et les témoins ne veulent rien écrire de ce que je réponds. […] L’on n’a jamais vu de pareilles violences. Il a déclaré aujourd’hui mon nom132 et a fait voir un fiel si amer et des emportements assez grands. Mais Dieu seul voit ces choses133 […]

D’autres succomberaient sous les assauts répétés du prélat et se contrediraient dans des rédactions toujours nouvelles : « En voilà quatre [soumissions] qu’il a à présent, dont je vous ai donné la copie », écrit-elle au duc de Chevreuse134. Elle rapporte de nouveaux dialogues dans la même lettre :

[…] Il dit à la Mère [Le Picart] : « Eh bien, a-t-elle signé ce que je lui ai donné ? ». Elle lui répondit : « Monseigneur, je la vois dans le dessein de faire tout ce qu’elle pourra pour vous contenter, et si elle ne le fait pas entièrement, c’est qu’elle ne le pourra en conscience. » Sur cela il se mit dans de grands emportements, disant qu’il me perdrait et abîmerait, qu’il m’allait confondre par une foule de témoins, me déclarant contumace135, que tous mes amis que j’avais abusés, le lui déclarèrent [déclaraient] de bonne foi et avouèrent [avouaient] que je les avais égarés, et qu’il faut que j’avoue que je suis hérétique et qu’il m’a fait revenir de mon hérésie, sans quoi il me déclarera contumace et jettera sur moi les censures de l’Église ; que je suis un Lucifer en présomption, qu’il a haut de deux pieds de papiers pour me confondre, et qu’il me rendra garant de tous les auteurs que j’ai cités dans mes Justifications. La Mère lui dit : « Mais, Monseigneur, nous y voyons tant d’humilité, tant de droiture. » Sur cela, il se mit dans une fureur qui l’étonna, lui répétant qu’il me perdrait et qu’elle ne se mêlât jamais de lui parler de moi.

[…] Il me demanda ensuite ; j’y allai. Il me dit, fort en colère : « Avez-vous signé ce que je vous ai donné ? » Je lui dis : « Monseigneur, il y a certains termes qui m’empêchent de le pouvoir faire. Si vous agréez de les ôter afin que je ne blessasse pas ma conscience, il n’y a rien que je ne voulusse faire pour vous obéir. » Sur cela il entra dans un fort grand emportement, m’appelant Lucifer, orgueilleuse, pleine de présomption, qui ne veut point avouer d’être coupable d’erreur, mais qu’il me le ferait bien faire, qu’il viendrait disputer avec moi en présence de témoins, et qu’il m’accablerait et me perdrait. Sur cela, je lui répondis avec beaucoup de respect et de douceur : « Monseigneur, je crois que je suis pleine d’orgueil et de présomption, puisque vous me le dites, et je vous prie même de demander à Dieu qu’Il m’humilie, mais mon cœur est droit, et Dieu sait bien que, si je ne craignais pas plus de Lui déplaire qu’aux hommes, je ferais pour me mettre en repos ce que vous me demandez. Mais, Monseigneur, ce que je demande ne consiste qu’à ôter le terme de révoquer ; à part ce terme, je l’ôterai si mes amis me le conseillent. Agréez-vous que je vous donne un modèle comme je le puis signer ? - Eh bien, donnez. - Après je ne le verrai point, mais je le ferai voir à mes amis, si l’on en est content ». Ensuite, sans que je dise rien, il recommence mon orgueil et ma présomption, disant qu’il rendrait publiques les folies de ma vie, que j’étais une cervelle tournée, un cerveau gâté et altéré, puis me parla d’un songe136, et se moquant de moi avec des rires : « Qu’aviez-vous fait dans ce lit avec l’Époux ? Qu’est-ce qui s’y passa ? » Je lui dis : « Monseigneur, c’est un songe que je raconte naïvement. Vous savez que je ne vous ai donné cela que par excès de bonne foi et de confiance, et sous le sceau de la confession. » Enfin, sans me répondre, m’appelant cerveau gâté, qu’il me ferait faire pénitence publique, puisque le scandale de mes livres était public, il s’en alla, emportant mon modèle dans sa poche sans le vouloir voir. « Faites votre devoir, me dit-il, je veux bien m’acquérir le titre de persécuteur, mais je vous le ferai bien faire, sinon je vais vous déclarer contumace et jeter sur vous les censures de l’Église. Je ne fais rien que de concert avec les quatre qui ont signé ». Il l’a dit de même à la Mère, et que mes amis lui ont avoué de bonne foi qu’ils m’ont reconnue pour fourbe. La Mère lui dit : « Mais, Monseigneur, nous l’avons tant observée depuis cinq mois et nous ne l’avons jamais trouvée en deux paroles. - Ne vous mêlez pas de cela, vous n’y entendez rien. » […]

L’expérience du premier emprisonnement est bien assimilée  : « Lucifer » transmet la copie des soumissions et ne manque pas d’y joindre les compte-rendus des algarades du prélat ! Ne pouvant rien en tirer de plus, Bossuet lâchera-t-il la proie ? En tout cas il lâche en finale que Mme de Maintenon est bien le cerveau manipulateur de l’affaire :

Vous apprendrez la dernière injustice de M. de M[eaux] dont mon cœur est pénétré de douleur, tant par la surprise avec laquelle il m’a fait signer, que de ce que je ne puis dire ce que c’est, n’en ayant nulle copie. Par cette signature, il peut me faire dire ce qu’il voudra. Dieu seul peut me tirer de ses mains. Je suis triste jusqu’à la mort, incommodée au-delà de tout. Je lui ai demandé d’aller à Bourbon [ville d’eau] ; il m’a dit qu’il fallait voir ce que Mme de M[aintenon] voulait faire de moi137.

Une libération serait nécessaire à la prisonnière épuisée, pour laquelle « la mort est digne d’envie » :

[…] Il est vrai que les duretés de M. de M[eaux] et ses menaces, qu’on ne peut point exprimer comme elles sont, vont à l’excès. Jusqu’à présent Notre Seigneur m’a donné des réponses : une égalité, une douceur à son égard qui ne me seraient point naturelles. La Mère croit que ma trop grande douceur et honnêteté le rend hardi à me maltraiter parce que son caractère d’esprit est tel qu’il en use toujours de la sorte avec les doux, et qu’il plie avec les gens hauts. Cependant je ne changerai pas de conduite. […] Une religieuse de vingt et un ans est morte en quatre jours, je ne l’ai point quittée qu’après son dernier soupir. Que la mort est digne d’envie, mais il faut supporter patiemment la vie. Adieu138.

[…] Lorsque je vous ai mandé que je me retirerai, c’est parce que j’espérais que M. de M[eaux] finirait, mais l’on prétend qu’il ne veut rien finir. La dernière soumission que je lui ai donnée, il y eut samedi huit jours, a été mise comme les trois autres dans la poche. Il dit à présent qu’il viendra disputer avec moi et qu’il attend qu’il ait cinq heures pour faire sa dispute en présence de témoins, puis qu’il m’excommuniera. J’ai répondu que je n’avais garde de disputer contre lui puisque j’étais soumise à tout, et que c’était des vérités que j’avais toujours crues. Voilà où en sont les choses139. […]

[…] Pour le prélat, il commence à parler contre moi publiquement en des termes très offensants, […] Il s’échauffe tout seul, car lorsqu’il vient, il est toujours plus en colère. Les dernières fois, avant que je lui parle, il se décharge envers la Mère. Peut-être après tant de tempêtes, le repos viendra-t-il. […] Je ne crois pas que je puisse exprimer ce que j’ai souffert depuis que je suis ici : les agonies intérieures auxquelles je n’avais nulle part que de les souffrir, car elles viennent sans occasion - elles diminuent lorsque les choses extérieures les devraient augmenter -, un accablement général du corps, de l’âme, de l’esprit, une faiblesse qui redoublait à proportion de la peine, et une persuasion de n’être pas où Dieu veut, comme dans une terre étrangère où Il ne me veut pas. Je ne sais à quoi bon écrire cela, mais ce qui est écrit est écrit. Il ne paraît rien de tout ceci aux religieuses car, quoique je vive dans une agonie et une contrainte continuelles, Dieu me donne à l’extérieur une sagesse et une conduite bien éloignées de mon naturel, car quand j’aurais tout l’esprit de St B. [Fénelon] et toute l’attention de la sagesse humaine, je ne pourrais pas agir autrement. Je vois bien que c’est Dieu seul, car je n’ai point assez d’esprit naturel, et dans la faiblesse dont je me sens impressionnée au-dedans, je dev[r]ais agir tout autrement. Que Dieu vous soit toutes choses140.

Le procédé de M. de M[eaux] étonne fort la Mère et tout le monde : il a mis les quatre actes de soumission dans sa poche comme les autres, et puis l’on n’en entend plus parler, il menace et c’est tout. […]141.

De cette lutte nous sont parvenues deux soumissions de Mme Guyon et deux attestations de Bossuet142.

Sortie, témoignages des religieuses

Enfin la libération apparaît possible :

M. de M[eaux] sort d’ici. Il a d’abord paru en colère, me disant les mêmes choses. Je lui ai fait la proposition de vous envoyer un blanc[-seing], il l’a rejetée bien loin et ensuite s’est radouci, me disant qu’il fallait finir. Il a ôté le mot révoquer et a ajouté qu’il y avait que : « Je suis et serai toujours soumise à l’Église, que j’y ai toujours été » ; mais du reste n’a rien du tout voulu changer. Il me fait mettre cela au bas de l’autre acte. Il viendra samedi quérir le tout. Il me promet une décharge ensuite, mais il faut encore s’en fier à lui, car il veut tout avoir signé. Il n’a point voulu passer que je n’ai jamais voulu douter des trente-quatre articles. Ce qui me fâche le plus, c’est qu’il a effacé du premier acte beaucoup de choses et en d’autres s’il y en a ; s’il efface ainsi les meilleures choses après qu’elles sont signés, quel ménagement y a-t-il à avoir ? Il viendra samedi matin. Je puis avoir réponse par la poste si vous me la voulez faire, mon tuteur, et me mander ce que je dois faire, car il ne veut écouter nulle proposition. Cependant comme on m’a mandé de ne m’arrêter qu’au mot rétracter, cela fait que j’ai passé de crainte d’être blâmée. Je ne sais que faire. Je suis si pressée que je n’ai point de sens. Réponse s’il vous plaît sans retard143.

Ce mercredi [6 juillet] à 4 heures du soir. M. de Meaux vient de venir quérir la décharge qu’il me donna hier, disant qu’il m’en apportait une autre ; elle est bien différente et, si vous en pesez les mots, vous verrez que l’une me décharge et m’est avantageuse, et l’autre ne l’est pas. Afin que vous ne vous mépreniez pas, la bonne est celle qui a cette marque au bas [double croix][et] ce mot : « Nous ne l’avons trouvée impliquée en aucune manière dans les abominations de Molinos et autres condamnées, etc. »144 […]

Ma bonne et chère c[omtesse], les inégalités de M. de M[eaux] me font craindre qu’il ne se rétracte de la permission qu’il m’a donnée de sortir ; c’est pourquoi, si vous m’aimez, et la p[etite] d[uchesse], venez ici dès le dimanche. C’est un coup de partie pour moi car, s’il n’a pas la décharge qu’il m’a donnée et qu’il veut ravoir, il n’y a sorte de persécutions qu’il ne me fasse pour la lui rendre. Les religieuses sont aussi en peine que moi, elles craignent un contre ordre145 […]

Ces religieuses furent heureusement très proches de la prisonnière comme le montrent l’extrait ironique d’une pièce saisie et citée au neuvième interrogatoire par la Reynie :

Avons représenté à ladite répondante, une autre pièce manuscrite […] commençant par ces mots : « l'amour est la vertu qu'on appelle héroïque », et finissant sur le verso par ces autres mots : « avec vous grand docteur sans vous un pauvre oison » […] - A dit que c'est elle qui a fait toutes les ratures et corrections et que ce fut le jour de la fête de la Supérieure de Sainte-Marie du couvent de Meaux…

Proximité et estime dont témoignent, sur un mode plus sérieux, le certificat et le témoignage que les religieuses signèrent :

+ Nous soussignées, supérieure et religieuses de la Visitation Sainte-Marie de Meaux, certifions que Mme Guyon ayant demeuré dans notre maison par l’ordre et la permission de Monseigneur l’évêque de Meaux, notre illustre prélat et supérieur, l’espace de six mois, elle ne nous a donné aucun sujet de trouble ni de peine, mais bien de grande édification ; n’ayant jamais parlé à aucune personne du dedans et du dehors qu’avec une permission particulière146, n’ayant en outre rien reçu ni écrit que selon que mondit Seigneur lui a permis ; ayant remarqué en toute sa conduite et dans toutes ses paroles une grande régularité, simplicité, sincérité, humilité, mortification, douceur et patience chrétienne, et une vraie dévotion et estime de tout ce qui est de la foi, surtout au mystère de l’Incarnation et de la sainte Enfance de Notre Seigneur Jésus-Christ. / Que si ladite Dame nous voulait faire l’honneur de choisir notre maison pour y vivre le reste de ses jours dans la retraite, notre communauté le tiendrait à faveur et satisfaction. Cette protestation est simple et sincère, sans autre vue ni pensée que de rendre témoignage à la vérité. Fait ce septième juillet mil six cent quatre-vingt-quinze.

Sœur Françoise-Élisabeth Le PICARD, supérieure. / Sœur Madeleine-Aimée GUESTON. Sœur Claude-Marie AMAURY. Sœur Geneviève-Angélique RUFFIN. Sœur Marie-Eugénie de LIGNY.147

Vive + Jésus / Madame. / Vous avez si puissamment gagné les cœurs de cette communauté par vos bontés et les exemples de votre vertu, qu’il nous est impossible de laisser partir Mademoiselle Marc sans la charger de ces faibles témoignages qui ne vous prouveront jamais assez la juste estime dont nous sommes prévenues en votre faveur. La connaissance que nous avons de la générosité et de la tendresse de votre cœur, nous fait espérer que vous nous ferez l’honneur de nous aimer toujours un peu, ne croyant pas, madame, avoir jamais mérité les honnêtetés que chacune a reçues de vous. Il nous est pourtant si avantageux d’être aidées du secours de vos saintes prières, que, malgré notre indignité, nous vous demandons la grâce de vous en souvenir devant le Seigneur148. Si nos vœux sont exaucés, vous aurez une meilleure santé ; et si nous sommes assez heureuses pour vous assurer de vive voix de la continuation de notre parfaite amitié, vous serez persuadée, madame, des respects et du sincère et parfait attachement.

De vos très humbles et obéissantes servantes en Notre Seigneur, les sœurs de la communauté de la Visitation Sainte-Marie. Dieu soit béni. / De notre monastère de Meaux, ce 9 juillet 1695.149

De son côté la Mère Le Picard s’inquiète de la suite et écrit à titre personnel150 :

J’espérais bien être la première, ma très honorée et chère sœur, à vous demander des nouvelles de votre voyage ; mais nonobstant la lassitude d’icelui, je me vois prévenue de votre bon cœur. Que ce que Dieu a lié tient ferme ! Non, rien ne rompra le lien qui nous unit en Son amour. C’est sans compliment, je n’en suis pas capable, mais la vérité pour tous les temps, sans qu’il soit nécessaire de le répéter. Ma très aimée, je suis à vous comme Dieu le veut, pleine de confiance que Sa bonté achèvera ce qu’Il a commencé. Toutes nos chères sœurs continueront, mais redoubleront leurs prières ; n’en doutez jamais, mais souvenez-vous de la parole que vous nous avez donnée de votre souvenir. / Je sors d’une exhortation que M. de Rocmont151 nous vient de faire avec sa ferveur ordinaire. Je vous prie de recevoir le cordial salut de notre chère directrice152. Toutes nos chères sœurs vous assurent de leurs respects. Elles vous écrivent par la chère petite Marc153 qui part demain avec votre bagage. Nous avons cru qu’il valait mieux prendre une voiture à part154. […]

Après cette sortie de la Visitation, le 8 ou peut-être le 13 juillet155, Bossuet lui fera parvenir la lettre suivante par l’intermédiaire de la Mère Le Picard156 :

A Paris, 16 juillet 1695. / Vous pouvez, madame, aller aux eaux. Vous ferez fort bien d’éviter Paris, ou en tout cas de n’y point paraître. Ne faites de bruit nulle part. Donnez-nous une adresse pour vous écrire ce qui sera nécessaire. On dit ici que Mme de Mortemart et Mme de Morstein sont allées vous voir à Meaux. On les a trouvées toutes deux sur ce chemin vendredi que j’arrivai ici ; et je crois même avoir vu leur livrée et leur équipage en passant157. Cela vous fera des affaires, s’il est véritable, et on ne trouvera pas bon que vous ramassiez autour de vous des personnes qu’on croit que vous dirigez. Si vous voulez, hors du monastère, être en sûreté, vous devez agir avec beaucoup de précaution et demeurer partout fort retirée. Donnez-nous une adresse pour vous écrire ce qui sera nécessaire. Je suis très sincèrement, madame, votre très humble serviteur.

J. BÉNIGNE, é[vêque] de Meaux.

Je suis un peu étonné de n’apprendre aucune nouvelle de madame la duchesse de Charost sur ce que vous m’avez promis158.

Plus tard Mme Guyon témoignera sans détour et sans aucune marque d’estime (« il perdait toutes les espérances dont il s’était flatté ») pour le comportement changeant d’un Bossuet soumis à la pression de Mme de Maintenon :

[Vie, 3.19.5.] Enfin après avoir été six mois à Meaux, il me donna de lui-même un certificat et ne me demanda plus d'autre signature. Ce qui est étonnant est que, dans le temps qu'il était le plus emporté contre moi, il me disait que si je voulais venir demeurer dans son diocèse, je lui ferais plaisir, qu'il voulait écrire sur l'intérieur, et que Dieu m'avait donné sur cela des lumières très sûres159. Il avait vu cette Vie, dont il a tant parlé, il ne me témoigna jamais qu'il y eût trouvé à redire ; tout cela n'est arrivé que depuis que j'ai cessé de le voir, où il a vu dans cette Vie (qu'il n'avait plus) ce qu'il n'y avait point vu en la lisant. Peu avant que je sortisse de Meaux, il témoigna à M. de Paris et à Mgr l'archevêque de Sens combien il était content et édifié de moi. Il nous prêcha le jour de la Visitation de la Vierge, qui est une des principales fêtes de ce monastère ; il y dit la messe et souhaita que je communiasse de sa main. Il fit au milieu de la messe un sermon étonnant sur l'intérieur. Il avança des choses cent fois plus fortes que je n’en ai jamais avancé. Il dit qu'il n'était pas maître de lui au milieu de ces redoutables mystères, qu'il était obligé de dire la vérité et de ne la point dissimuler, qu'il fallait que cet aveu de la vérité fût nécessaire, puisque Dieu le lui faisait faire comme malgré lui. La supérieure le fut saluer après son sermon et lui demanda comment il pouvait me tourmenter pensant ce qu'il pensait. Il lui répondit que ce n'était pas lui, que c'était mes ennemis.[…]

[7.] A peine fus-je arrivée, que M. de Meaux se repentit de m'avoir laissé aller de son diocèse. Ce qui le fit changer, comme l'on a su depuis, c'est qu'ayant rendu compte à Mme de Maintenon des termes dans lesquels cette affaire était finie, elle lui témoigna qu'elle était peu contente de l'attestation qu'il m'avait donnée ; que cela ne finissait rien et ferait même un effet contraire à ce que l'on s'était proposé, qui était de détromper les personnes qui étaient prévenues en ma faveur.

Il crut donc qu'en me perdant, il perdait toutes les espérances dont il s'était flatté. Il me récrivit de revenir dans son diocèse, et je reçus en même temps une lettre de la supérieure qu'il était plus résolu que jamais de me tourmenter ; que, quelque désir qu'elle eût de me ravoir, elle était obligée de me faire savoir les sentiments de M. de Meaux conformes à ce que je savais. Ce que je savais, c'est qu'il établissait une haute fortune sur la persécution qu'il me ferait et comme il en voulait à une personne fort au-dessus de moi160 ; il crut qu'en lui échappant, tout lui échappait.





Chapitre 5. Échapper au Grand Roi ? (8 ? juillet 1695 – 27 décembre 1695)

Brève chonologie des événements publics

Nous plaçons en tête de ce chapitre, comme précédemment, une très brève chronologie d’événements publics importants qui eurent lieu pendant que Mme Guyon se cache en divers refuges parisiens.

Le 9 juillet, sacre de Fénelon à Saint-Cyr par Bossuet assisté par les évêques de Châlons et d’Amiens. Il quittera Paris le 31 juillet pour arriver à Cambrai le 4 août.

Le 6 août, mort subite, dans des conditions scabreuses, de l’archevêque de Paris Harlay. Il sera remplacé par l’évêque de Châlons, Noailles.

Le 2 novembre Fénelon part pour Paris. Il s'entretient le 14 avec Mme de Maintenon sur Mme Guyon et avec Noailles, le nouvel archevêque, avant d'aller voir Tronson le 16 novembre ; il est de retour à Cambrai le 11 décembre.

Le 29 décembre Mme Guyon est arrêtée dans une petite maison qu’elle avait acquise à Popincourt. Elle ne sortira de prison que sept années et demi plus tard161.



Échapper au Grand Roi ?

Au début juillet prend fin  le « séjour » à Meaux, où la mise à disposition volontaire de Mme Guyon était devenu un enfermement ponctué des interventions orageuses de Bossuet, maître des lieux. Elle a obtenu de ce dernier le droit de partir, mais cela sera présenté publiquement comme une fuite sans autorisation162.

Sortie des griffes de Bossuet, dans l’incertitude de ce que va décider Mme de Maintenon, que faire ? Peut-on espérer « arrêter le tempête », faut-il se livrer aux ennemis pour protéger ses amis ou bien – solution qui sera retenue – gagner du temps en demeurant invisible, espérant qu’un événement imprévu survienne et améliore le climat ou du moins détourne les attentions royales ? Mme Guyon est épuisée plus psychologiquement que physiquement par le jeu du chat et de la souris. Elle décide de rester cachée espérant un changement d’ici le printemps suivant :

Ce jeudi 21 [juillet] / Je viens de recevoir votre lettre, et une de monsieur de Meaux qui me redemande la décharge qu’il m’a donnée163. Il me demande en même temps une adresse pour m’écrire, comme s’il voulait recommencer une nouvelle procédure et comme un homme qui ne compte pas mon affaire finie. […] Au reste, je ne verrai ni n’entretiendrai commerce avec les petites dames ni avec personne. Soyez en repos de ce côté-là. Je ne suis plus à Paris. […] Je n’irai point à Bourbon, aussi bien mes affaires temporelles sont trop délabrées pour cela. Mme de M[ortemart ?] n’a qu’à y aller. Entre ci et le printemps, les choses pourront changer164. […]

Mais l’hésitation tient au sort promis aux membres du cercle qu’elle animait, car la traque paraît sans issue. Noter le : « Je ne suis plus à Paris » (elle en est en tout cas tout près. Fausse piste ? peut-être Mme Guyon espère t-elle en ce cas qu’elle s’ébruiterait par un Chevreuse aux nombreuses relations). Au mois d’août, elle ne sait que faire et livre son désarroi à la « petite duchesse » de Mortemart, sa confidente :

[…] Si vous croyez qu’en me livrant, j’arrête la tempête, voyez avec L B [Fénelon], car j’irai me mettre à la Bastille si mon t[uteur : Chevreuse] et L B le jugent à propos. J’aime mieux ce dernier parti que d’être tourmentée par M. de M[eaux] comme je l’ai été. Si en me tenant cachée, je ne leur nuis pas, je resterai comme je vous dis. Proposez-leur aussi la Bastille, ou rester cachée en quelque lieu, mais ne leur dites pas où. Ou bien s’ils croient que je fusse en assurance chez mon fils, dites-leur bien tout cela, ensuite répondez-moi. Dans les terres, les gens d’affaires, les curés et tout cela nuit. J’ai encore un parti, c’est d’aller à Lyon incognito, mais je ne sais où trouver des maisons. Sur les chemins, l’on m’arrêterait : il faut passer par une route où je suis connue. Enfin je ne vois d’autre parti que de rester cachée, d’aller chez mon fils ou à Meaux. Réponse ? 165.

Finalement la réponse est venue : « Le tuteur [Chevreuse] me mande de sortir d’ici sans délai et de chercher une maison166. » Elle se justifie auprès de lui, se sentant incapable d’affronter de nouveau le siège épuisant par Bossuet.

Je vous ai mandé, mon tuteur, que je ne pouvais en nulle manière me remettre entre les mains de Monsieur de Meaux, parce qu’il n’a nulle parole et qu’on ne peut faire aucun fond sur un homme sans parole. M. de Châlons sera arch[evêque] de Paris, car je l’ai connu le jour de la Vierge et en ai beaucoup souffert, car je sais qu’il est gouverné par M. Bolo [Boileau], qui l’incitera toujours contre moi. Je n’ai donc qu’à rester en repos, abandonnée à Dieu. Si Eudoxie167 [Mme de Maintenon] me fait violence, Dieu est assez puissant pour me tirer de ses mains […] Je ne puis qu’être renfermée, mais nul ne me conseillera jamais de me mettre entre les mains d’un homme qui a trahi toutes les lois de l’honneur et de la probité, ni entre celles d’un homme poussé par M. Bolo [Boileau]. Ce sont mes sentiments. Ce n’est point le couvent de Sainte-Marie qui me fait peur, mais le prélat168.

Elle envisage l’extrême dans la lettre suivante du 20 ou 21 août : la fuite en Angleterre ! Or le 4 août Guillaume III avait pris Namur défendu par Boufflers et le 15 août Bruxelles était bombardé par Villeroy en représailles des agressions anglaises sur les côtes françaises. On peut juger ici combien, traquée, Mme Guyon perd pied (et tête) ; toutefois elle est prête au pire – ce qui arrivera :

Je suis bien fâchée, mon bon tuteur, de vous causer tant de peine. Je suis prête à me livrer pour ne plus vous causer d’embarras. J’offre trois partis en vous envoyant une lettre pour monsieur de Meaux, c’est-à-dire un brouillon. Si vous l’agréez, je la transcrirai lorsque vous me l’aurez envoyée.

L’un de rester cachée, dans un endroit que vous ignorerez, car enfin vous ne savez point le lieu où j’habite dans ma petite maison, et vous ne devez pas faire difficulté de dire ferme non sur un secret comme celui-là. / Le second parti est que j’aille chez mon fils, mais je n’y puis être cachée et Eud[oxie] m’y fera prendre. / Le troisième parti est : si on avait la charité de me faire avoir un passeport sous un autre nom, j’irais en Angleterre. Ou bien je m’en irai, si l’on le juge à propos et si cela est nécessaire pour le bien public, à la Bastille ; je n’aurai nulle peine à celui-là.

Si monsieur de Meaux avait été homme de parole, je serais volontiers retournée à Meaux au [monastère] Sainte-Marie, [f. 2 r°] mais avec un homme comme celui-là, la place n’est pas tenable169. […]

Finalement elle se cache à Paris et seule sa confidente sera au courant, les autres pensant à une retraite en province. L’idée de demeurer au cœur du royaume plutôt que de s’en éloigner n’était pas mauvaise : il faudra toute la surveillance dont la police de Louis est capable pour la localiser et l’arrêter à la fin du second semestre 1695.

[…] Je vous prie de ne point témoigner à B. [Beauvillier] que je suis encore ici, ni que nous nous écrivions [sic] souvent. C’est afin de lui ôter à lui-même toute piste, et qu’il puisse assurer qu’il ne sait où je suis et que vous ne le savez pas vous-même : je crois cela nécessaire170 et je vous le demande. […] Je suis dans un lieu à ne pouvoir voir M. de Pi[halière] [la Pialière171]. L’étable à vache est presque aussi propre, mais cela ne m’empêcherait pas, s’il pouvait s’empêcher de dire à p[ut] [Dupuy172] et aux autres le lieu où je suis. Si vous croyez que je le doive voir, comme mon inclination m’y porterait assez, mandez-moi où il loge ; je l’enverrai prendre et l’amener ici où je suis ; ma pauvreté ne le scandalisera pas173. […]

Elle induit volontairement en erreur le bon duc de Chevreuse, sachant qu’il est en contact avec tous les membres du cercle quiétiste et qu’une diversion pourrait la protéger :

[…] Je quitte absolument le lieu où je suis, je trouve un petit lieu à la campagne au bon air, mais il faut l’acheter : on me demande 2000 livres comptant, et j’ai un contrat à une fille qui me sert sur l’Hôtel de ville au denier quatorze que j’espère qu’on me fera vendre pour faire cette somme ; sinon le bon put [Dupuy], sur mon billet, me les prêtera. Il n’y a que ce moyen de me les faire tenir, car il faut payer d’abord. Ainsi, nul ne saura que je serai dans ce lieu, je n’y verrai âme vivante et il sera ignoré de tous les Enfants174. […] Je vous envoie le contrat de la petite Marc avec un billet de 600 livres pour put [Dupuy]. Je vous prie qu’il me fasse toucher, le plus tôt qu’il se pourra, 2000 livres pour acheter ce petit lieu qu’on ne veut pas louer. Je vous serai sensiblement obligée. Je croyais vous envoyer le contrat de la petite Marc175, mais je me souviens de l’avoir envoyé à M. Dupuy dans une cassette avec d’autres papiers, par la voie de la petite duchesse. Si M. Dupuis le cherche, il le trouvera, ou bien il faut savoir de la bonne p[etite] d[uchesse] si elle a gardé le coffre. Ce fut M. l’abbé de Charost qui le fit prendre chez M. Thévenier ; ayez la charité de savoir tout cela à Fontainebleau176, je vous en prie, et qu’on m’envoie au plus tôt un billet pour recevoir les 2000 livres. Voilà un billet de deux mille livres pour M. Dupuis ; s’il a le contrat et qu’il me le mande, il brûlera le billet de deux mille livres et je lui enverrai un de six cent livres177. […]

Enfin nous terminons l’année, et toute liberté accordée à Mme Guyon pendant de longues années, en reproduisant la dernière lettre d’importance qu’elle rédigea probablement avec soin, contrairement aux nombreux billets et lettres écrites à la hâte et sans précaution (l’Angleterre !) qui font partie de la même correspondance.

Cet écart à l’approche factuelle d’un dossier d’archives biographiques explicite la source intérieure de la résistance de Jeanne-Marie Guyon. Ce beau testament spirituel est adressé au duc de Chevreuse, l’ami dévoué178.

q[uis] u[t] D[eus]179. au p[etit] M[aître]

Je suis très satisfaite de ce que vous me marquez de votre état intérieur. Plus l’état s’approfondit et plus toutes expressions de ce même état s’évanouissent, en sorte qu’enfin on n’en peut plus rien dire. Il est aisé d’en comprendre la raison ; c’est que plus les grâces deviennent profondes et intimes, plus elles s’éloignent de tout sentiment. C’est ce qui fait que ceux qui mêlent la spiritualité dans ce qui est destiné sensible180, extraordinaire, se trompent beaucoup : tout consiste à notre rien, afin que Dieu soit tout en toutes choses. Tous nos maux viennent de nos usurpations. Le vrai intérieur, par son anéantissement, porte en soi la médecine spirituelle pour un mal si dangereux. Mais lorsqu’on s’approprie les états et la spiritualité, qu’on s’estime être quelque chose dans l’intérieur, on dégénère de ce même intérieur. Ama nesciri181. […] Persécuté, condamné au-dehors, nul soutien au-dedans, abandonné, ce semble, de Dieu et des hommes sans s’en faire néanmoins un état qu’on élève ou qu’on remarque, il me semble que c’est quelque chose qui approche, quoique de loin, de la pureté d’amour. Qu’on croie même les plus intimes, qu’on mérite cela, qu’on se l’est attiré par ses imprudences, que nous le croyons aussi nous-mêmes, c’est le meilleur. […] Dieu nous ôte encore chaque jour mille choses auxquelles nous ne pensions pas. C’est comme un homme extrêmement riche à qui l’on ôte tout d’un coup ses grandes terres, l’on dit : « Cet homme a perdu tout son bien » ; combien néanmoins de réserves dans ses meubles ! Après cela, il vend tout pièce après pièce ; ce qu’il ne savait pas avoir dans son opulence, devient sa richesse dans sa pauvreté. […] Allons donc, non par l’assurance, mais par le chemin nu et douloureux du…182.

Mme Guyon s’est réfugiée près de St-Germain-l’Auxerrois après le Faubourg Saint-Antoine. Le 30 novembre, elle achète une petite maison à Popaincourt. La dernière lettre avant l’arrestation reflète la traque en cours ; l’étau se resserre :

Le gros enfant [La Pialière] vous dira les perquisitions qu’on fait de tous côtés. Envoyez-moi, par lui, quelque argent en or pour subsister du temps sans envoyer chez vous. [...] Adieu, je ne cachetterai pas cette lettre autrement que par la sûreté de l’homme à qui je la donne. 183.

La retraite est enfin repérée ; elle est arrêtée le 27 décembre avec deux proches : après trois jours en séquestre chez Desgrez, […] on me mena à Vincennes.

Cette nouvelle ne restera pas cachée car tout parvient à la Cour :

Vendredi 20 [janvier 1696], à Versailles. - Le roi fit prendre ces jours passés Mme Guyon et la fait mettre à Vincennes, où elle sera sévèrement gardée; et il y a apparence qu'elle y sera longtemps [...] on la cherchait il y a longtemps pour la prendre, et on l'a trouvée dans le faubourg Saint-Antoine, où elle était fort cachée184.







Chapitre 6. Le donjon de Vincennes et ses interrogatoires (30 décembre 1695 – 16 octobre 1696)

La séquence des pièces

Les interrogatoires eurent lieu à Vincennes : nous sont parvenus les neuf premiers comptes rendus sous greffe en ce qui concerne la seule Mme Guyon. S’y s’ajoutent quatre de l’abbé Couturier et deux de Melle Pecherard, proches arrêtés en même temps qu’elle. L’issue était de grande importance : qu’en aurait-il résulté pour Fénelon et pour les autres membres du cercle quiétiste si les espérances de voir « craquer » la Dame Directrice et d’établir ainsi le bien-fondé d’accusations de comportements immoraux, même étayées par des pièces forgées, s’étaient matérialisées par quelque reconnaissance signée de sa main ? La production d’écrits par les prélats aurait été bien moindre et la querelle se serait conclue à un niveau fort médiocre, comparable à celui qui prévalut en Italie autour de la figure de Molinos en 1687, c’est-à-dire par le poids d’une condamnation établie principalement au niveau des mœurs185.

Nous n’aurions pas connu l’affinement mystique élaboré par Fénelon dans les textes de controverses qui couvrent la période des dernières années du siècle précédant le bref de 1699, et dont on reconnaît de nos jours que cet affinement marque le juste aboutissement d’une longue tradition mystique chrétienne186. Les interrogatoires constituent donc le point nodal caché de la querelle du quiétisme et qui assura son prolongement sur près de quatre années.

Nous faisons précéder leurs compte rendus des lettres compromettantes écrites depuis la prison de Lourdes par le Père La Combe et par des membres de la « petite Église » du lieu, qui furent saisies par la police, ainsi que des extraits de l’enquête écrite187 adressée très probablement à Mme de Maintenon. Les lettres saisies, pleines d’expression hyperboliques, seront une charge difficile à contrer. Les bourdes de La Combe et de Lasherous, aumônier de la prison devenu membre du cercle quiétiste local, seront la croix de la prévenue. A bout d’arguments, elle demandera que l’on s’adresse à eux directement pour réduire les doutes assez compréhensibles de la Reynie, homme habile, honnête, mais apparemment dénué d’humour.

L’enquête bien informée permit de préparer soigneusement les questions, ce dont témoigne le « mémoire sur le quiétisme » et le manuscrit des interrogatoires qui comporte de nombreux soulignements semblables à ceux des autres prévenus. Elle révèle l’excellente surveillance exercée sur Mme Guyon et sur toutes ses relations. On note par exemple l’importance du rôle très justement attribué à Monsieur Bertot188 comme étant le principal spirituel « quiétiste » précédant Mme Guyon.

Quelques pièces de police établissent la situation de la prisonnière, puis nous abordons le plat de résistance : la totalité des transcriptions résumées portant sur neuf interrogatoires de la principale cible (on sait qu’ils seront suivis d’autres dont nous n’avons pas de transcriptions) : ils constituent un document fascinant sur la pratique policière, fidèlement traduite par le greffier attaché à cette importante confrontation sur ordre royal. On espérait mettre à mal l’honneur de l’accusée et ainsi précipiter la chute du cercle quiétiste. Tout dépendait donc d’une résistance qu’il fallait briser, ce qui explique le soin avec lequel ces entrevues furent préparées. Les interrogatoires préalables de membres de son entourage permirent l’élaboration des questions posées. Tous ces documents forment le cœur du ms. B.N.F., nouv. acq. fr. 5250 que nous décrivons partiellement ci-dessous en note189.

Les interrogatoires constituent un véritable marathon. A la suite du premier, nous avons précédemment indiqué, dans l’introduction générale à la tactique inquisitoriale, comment les huit suivants constituent deux groupes, concentrés à la fin janvier et au début d’avril. Voici plus précisément, c’est-à-dire individuellement, leurs dates et une brève « signature » de leurs contenus :

- Premier interrogatoire de Mme Guyon, le 31 décembre 1695, renseignant sur les filles à son service : Marie de la Vaux [de Lavau] depuis quinze années et Françoise Marc depuis huit années.

- Interrogatoires de deux proches arrêtés à Popaincourt en même temps que Mme Guyon : l’abbé Couturier les 3, 9, 12, 17 janvier et Mlle Pecherard les 9 et 12 janvier.

Commence le premier assaut en cinq interrogatoires concentrés sur treize jours, fin janvier :

- Deuxième interrogatoire de Mme Guyon, le jeudi 19 janvier 1696, sur la « petite Église », selon l’expression malheureuse de La Combe, et sur le commentaire de l’Apocalypse.

- Troisième, le lundi 23 janvier, sur la sortie de Meaux, sur la citation de La Combe « O illustre persécutée, femme forte... » et sur une lettre de Lashérous, aumônier de la prison de Lourdes (« Je ne rougirai jamais, Mme, en présence de qui que ce soit, de confesser la pureté de votre doctrine... »), ainsi que sur un portrait d’elle destinée à Jeannette, disciple du cercle de Lourdes.

- Quatrième, le jeudi 26 janvier, sur ses envois au P. La Combe de livres (Job, Benoît de Canfeld), sur Gex et Thonon, sur la servante Marie Delavau [de Lavau], sur le séjour à Turin.

- Cinquième, le samedi 28 janvier, portant sur la suite du récit des voyages.

- Sixième, le mercredi 1er février, sur le père jésuite Alleaume « qu’elle connaît depuis environ trois ou quatre années ».

Après une pause d’un mois, survient le deuxième assaut en trois interrogatoires sur quatre jours. Il débute un dimanche :

- Septième interrogatoire, le dimanche 1er avril, portant sur le P. La Combe, sur « l’évangile nouveau », sur saint Michel190.

- Huitième interrogatoire, dès le lendemain, sur la lettre inconsidérée de La Combe en décembre 1695 se félicitant de l’ « augmentation de notre Église... ».

- Enfin neuvième interrogatoire tournant à l’entretien, du mercredi 4 avril, sur les livres que possédait Mme Guyon : Amadis, des pièces de théâtre et des romans de chevalerie.

Rien de substantiel ne nous est parvenu concernant les emprisonnements et interrogatoires subis par La Combe et nous avons donc renoncé à lui consacrer une section particulière malgré son rôle indirect important dans le déroulement du procès191.

Des lettres compromettantes

Les deux lettres du P. La Combe et de l’aumônier de la prison de Lourdes, de Lasherous, saisies à Popincourt, sont datées du 10 octobre et du 11 novembre 1695. Une lettre de Jeannette [Pagère], fidèle de la « petite Église », fut saisie avec elles. Une troisième lettre de La Combe, du 7 décembre, ne fut saisie que plus tardivement : elle parvint au domicile de Mme Guyon après son arrestation. Cette dernière lettre sera évoquée au septième interrogatoire. Nous donnons de ces quatre lettres des extraits révélateurs car leur ambiguïté et leurs bourdes192 furent à la source d’interrogations répétées…

L’appel à la visite cachée, les termes de « petite Église » (par La Combe), de « mère des enfants de la petite Église » (par Lasherous), la reconnaissance d’envois d’argent, l’emploi du surnom de Famille désignant une fille au service de Mme Guyon, forment un ensemble - déjà complet dès la première lettre193 - particulièrement difficile à défendre : la prévenue en sera réduite à renvoyer au premier auteur.

Première lettre du P. La Combe et du Sieur de Lasherous, 10 octobre

Ce 10 octobre. Je n’ai reçu la vôtre du 22e du mois passé que le 8 du présent. Un retardement considérable me faisait craindre que vous ne fussiez plus en état de nous donner de vos chères nouvelles. La divine Providence ne nous en veut pas encore priver. Qu’elle nous serait favorable, si elle nous accordait le bien et le plaisir de vous voir ! Si c’est elle qui vous en a inspiré la pensée, elle saura bien en procurer l’exécution ; c’est à ses soins, par-dessus tout, que j’en abandonne le succès, vous en disant ici naïvement ma pensée ; je tiendrais cette entrevue pour une faveur du ciel si précieuse, si consolante pour moi, qu’après le bonheur de plaire à Dieu et de suivre en tout Sa volonté, il n’en est point que j’estimasse plus en ce monde. Toute la petite Église de ce lieu en serait ravie, la chose ne me paraît point impossible, ni même trop hardie ; en prenant, comme vous feriez sans doute, les meilleures précautions, changeant de nom, marchant avec petit train comme une petite damoiselle, on ne vous soupçonnerait jamais que ce fût la personne que l’on cherche et, quand vous seriez ici, nous arrangerions les choses avec le plus de sûreté qu’il nous serait possible pour n’être pas découverts [...] Vous prendrez le carrosse de Bordeaux, de là vous viendrez à Pau, d’où il n’y a que six lieues jusques ici. Si la saison était propre, le prétexte de prendre les eaux aux fameux bains de Bagnères, qui est à trois lieues d’ici, serait fort plausible. En tout cas en attendant le temps des eaux, vous viendriez faire un tour en cette ville, puis vous retourneriez à Pau ou à Bagnères, et ainsi à diverses reprises, selon que l’on jugerait plus à propos. [...] Si vous venez, écrivez-nous en partant de Paris, en arrivant à Bordeaux et à Pau. Nous prierons Dieu cependant de vous faire suivre courageusement Son dessein, selon qu’il vous sera suggéré par Son esprit et secondé par Sa providence, et nous défendrons à Jeannette de mourir avant qu’elle vous ait vue. Quelle joie n’aurait-elle point de vous embrasser avant que de sortir de ce monde, vous étant si étroitement unie et pénétrant vivement votre état ! Votre billet, quoique si court, l’a extrêmement réjouie. Elle vous est toujours plus acquise, si l’on peut dire qu’elle puisse l’être davantage [...]

J’ai reçu la lettre de change, mais non encore le paquet des livres. Il est vrai que vous m’avez plus fait tenir d’argent depuis environ un an que les autres années ; je le sens fort bien par l’abondance où vous m’avez mis, et je ne puis que me louer infiniment de vos charités. [...] Les amis et amies de ce lieu vous honorent et vous aiment constamment, principalement ceux qui sont comme les colonnes de la petite Église. Si vous veniez, vous ne prendriez qu’une fille et vous lui changeriez son nom. Je ne serais pas fâchée de revoir Famille194. Je salue aussi l’autre de bon cœur. Ô Dieu, faites éclore dans le temps convenable ce qui est caché depuis l’éternité dans Votre dessein ; c’est là, ma très chère, que je vous suis parfaitement acquis.

[Lettre jointe de Lasherous :]

Ô illustre persécutée, femme forte, mère des enfants de la petite Église, servante du petit Maître, [...] Que je m’estimerais heureux, M[adame], d’avoir l’honneur de vous aller prendre à Paris, ou en tel endroit qu’il vous plairait me prescrire pour vous conduire ici ou ailleurs, c’est la grâce que je vous demande. [...] Je finis, M[adame], en vous proposant que je vous honore, vous estime et vous aime en Notre Seigneur Jésus-Christ plus que je ne saurais vous exprimer.195.

Deuxième lettre du P. La Combe et du Sieur de Lasherous, 11 novembre

Ce 11 novembre196.

Je reçois la vôtre du 28 octobre à laquelle je réponds le même jour. Je le fis de même l’autre fois avec diligence et encore par l’ordinaire. Vous avez de trop bonnes raisons de ne pas vous mettre en voyage devant l’hiver, pour que nous y apportions la moindre contradiction. Quelque désir que nous ayons de vous voir, nous préférons votre conservation à la joie que nous causerait un si grand bien, remettant de plus, tous nos souhaits, entre les mains de Dieu. Il y a en ce pays des eaux de toutes sortes pour différents maux. Il y en a pour boire et pour le bain et en trois ou quatre lieux différents ; celles de Bagnères, sont les plus renommées, on y vient de toutes parts et je crois qu’elles vous seraient utiles, si Dieu vous donne le mouvement d’y venir. O quelle satisfaction pour nous tous ! Je ne l’espère presque plus, voyant un délai considérable pendant lequel il peut arriver quelque changement considérable, sinon par notre élargissement, du moins par notre mort. [...] Ce comble semble approcher pour notre chère Jeannette, qui s’use et s’affaiblit de plus en plus. [...] Les autres filles vous saluent avec une estime et un amour très particuliers. L’affection et le zèle de M. de Lasherous sont très grands assurément, il n’épargnerait ni sa bourse ni sa personne pour vous rendre service, mais comme sa présence est trop nécessaire et trop remarquée dans ce lieu, une longue absence causerait une admiration plus propre à éventer le mystère qu’à le bien ménager. [...] Je ne m’étends pas davantage, jusqu’à ce que nous sachions si notre nouvelle adresse réussira. Que nous dites-vous, qu’on vous a empoisonnée197 ? [...] Nous saluons tous cordialement ces bonnes filles qui sont avec vous. Dieu fait aux nôtres de très sensibles miséricordes.

[Lettre jointe de Lasherous :]

La joie de la petite société, M[adame], dans le désir ardent qu’elle avait d’avoir l’honneur de vous voir et de la consolation qu’elle attendait d’un bien si précieux, a été bien courte, mais comme uniquement la volonté de Dieu est tout le bien de la petite Église, elle seule lui suffit pour toute prétention. Je laisse au petit Maître de nous y rendre souples et parfaitement soumis. Je le ferai toujours, M[adame], à votre égard, et s’il est dans le dessein de Dieu, que vous veniez dans ce canton, je me rendrai ponctuellement dans l’endroit où vous me ferez l’honneur de me marquer, n’en déplaise au très R[évérend] et très vénérable P[ère]. Je ne rougirais jamais, m[adame], en présence de qui que ce soit, de confesser la pureté de votre doctrine, disciplines et mœurs, comme je l’ai fait en présence de notre prélat, à son retour de Paris, au sujet de l’illustre et plus qu’aimable Père. Il ne manque point ici des Égyptiens qui cherchent les petits premiers-nés des Israélites, pour les submerger. [...]

Lettre du P. La Combe du 7 décembre, saisie tardivement

Elle fut utilisée dans la série des trois derniers interrogatoires qui furent les plus approfondis - un mois les sépare de celle des six premiers.

Q[uis] U[t] D[eus]. Ce 7 décembre.

Je reçus hier votre lettre où étaient les anneaux. La joie en a été grande dans notre petite Église. Vous pouvez bien croire que j’en ai eu ma bonne part, d’autant plus que le temps me paraissait long depuis la réception de la précédente. Ce me sera toujours non moins un plaisir qu’un devoir, de répondre à vos bontés vraiment excessives envers moi : du moins par le commerce de lettres, autant que la divine Providence m’en fournira les moyens, comme elle a fait jusqu’à présent d’une manière admirable. Il faut qu’on soit bien acharné contre vous, pour ne vous laisser point de repos après qu’on vous a tant tourmentée et que vous avez donné une ample satisfaction à ce qu’on a exigé de vous. […] Songez donc à faire le grand voyage vers le printemps, afin que nous ayons la satisfaction de vous voir et de vous rendre quelques services. Vous ne trouverez pas ailleurs une société qui vous soit plus acquise que la nôtre. Personne ne pourrait aller d’ici pour vous conduire sans que cela fît trop d’éclat. Il faut que vous preniez quelqu’un où vous êtes. Encore craindrais-je que vous n’en fussiez plutôt embarrassée et surchargée que bien servie, comme il vous arriva autrefois. Une femme intelligente et fidèle vous suffirait, avec un garçon sur qui l’on pût s’assurer, tel qu’était Champagne. Dieu veuille vous inspirer ce qui est dans Son dessein, et vous en faciliter l’exécution.

[…à propos de la maladie] Les eaux fort minérales et détersives telles qu’il y en a en ce pays, pourraient y être un fort bon remède. […] Votre vie trop sédentaire, contribue beaucoup à ce mal. L’exercice, le changement d’air, l’agitation du voyage vous seraient utiles. Venez à l’air des montagnes, qui est vif et pénétrant.

Les jansénistes vont remonter198, leurs adversaires seront rabaissés. Peut-être se prépare-t-on déjà à un nouveau combat. Port-Royal ressuscitera. […]

J’ai lu votre Apocalypse199 avec beaucoup de satisfaction, nul autre de vos livres sur l’Écriture m’avait tant plu. Il y a moins à retoucher que dans les autres. Les états intérieurs sont fort bien décrits et tirés, non sans merveille, du texte sacré, où rien ne paraissait moins être compris. Si toute votre explication de l’Écriture était rassemblée en un volume, on pourrait l’appeler la bible des âmes intérieures, et plût au ciel que l’on pût tout ramasser et en faire plusieurs copies, afin qu’un si grand ouvrage ne périsse pas ! Les vérités mystiques ne sont pas expliquées ailleurs avec autant de clarté et d’abondance et ce qui importe le plus, avec autant de rapport aux saintes Écritures. Mais hélas, nous sommes dans un temps, où tout ce que nous penserions entreprendre pour la vérité, est renversé et abîmé. On ne veut de nous qu’inutilité, destruction et perte. N’avez-vous pas pu recouvrer le Pentateuque200 ? Pour moi, dans le grand loisir que j’aurais, je ne puis rien faire, quoique je l’aie essayé souvent. Il m’est impossible de m’appliquer à aucun ouvrage de l’esprit, du moins de coutume, m’ayant fait violence pour m’y appliquer, ce qui me fait traîner une languissante et misérable vie, ne pouvant ni lire ni écrire, ni travailler des mains, qu’avec répugnance et amertume de cœur, et vous savez que notre état ne porte pas de nous faire violence. On tirerait aussitôt de l’eau d’un rocher.

L’ouvrage de M. Nicole201, me fait dire de lui ce qui est dans Job : il a parlé indifféremment de choses qui surpassent excessivement toute sa science. […]

Il s’est fait une augmentation de notre Église, la rencontre de trois religieuses d’un monastère assez proche de ce lieu, étant venues aux eaux, on a eu occasion de leur parler et de voir de quelle manière est faite l’oraison que Dieu enseigne Lui-même aux âmes et l’obstacle qu’y met la méditation méthodique et gênante que les hommes suggèrent, voulant que leur étude soit une bonne règle de prier et de traiter avec Dieu. L’une de ces trois filles a été mise par le Saint-Esprit même dans son oraison. L’autre y étant appelée, combattait son attrait en s’attachant obstinément aux livres, sans goût et sans succès. La troisième, tourmentée de scrupules, n’est pas encore en état d’y être introduite.

Jeannette me grondera de ce que je remplis mon papier sans vous parler d’elle, et que vous en dirai-je ? Que toujours il semble que Dieu nous l’enlève et toujours elle nous est laissée. Qu’elle vous honore et vous aime parfaitement et ses compagnes de même. Elles sont toutes en fête pour leurs anneaux. Songez à m’apporter aussi quelques bijoux. Tous les amis vous saluent tant et tant. O ma très chère, pourrai-je encore vous revoir : si Dieu m’accorde un si grand bien, je chanterais de bon cœur le Nunc dimittis. Nous raconterions à loisir toutes nos aventures qui sont étranges et donc pas vue mais serait cachée à votre cœur. Etc.202.

Lettre de Jeannette du 7 décembre ( ?)

Vive Jésus.

Madame.

Permettez qu’en ce célèbre jour, je donne un peu d’efforts au [illis.] à l’amour qui pénètre mon cœur et le fond de mon âme, en voyant vos vertus, votre ardeur, votre flamme pour le Dieu souverain, de qui le bras puissant vous fera triompher du parti de Satan. Si le ciel est d’airain, s’il vous paraît de bronze, c’est que par un chemin et d’épines et de ronces, Jésus veut éprouver votre fidélité. / […] / Le rapport est si doux entre nos deux esprits, qu’un même sentiment les joint et les unit sans rien m’attribuer de vos voies admirables. Divines unions et grâces ineffables. / J’aperçois entre nous cet aimable rapport qui naturellement vient d’un pareil sort : la Croix ayant été souvent notre partage, nous nous comprenons bien, parlant même langage. Ah, que me reste-t-il donc, que de vous imiter, de marcher sur vos pas sans jamais m’arrêter ! Priez le bon Jésus, qu’Il m’en fasse la grâce et de suivre après vous, Ses vestiges et Sa trace. Etc.203

Mémoire sur le quiétisme

Ce « Mémoire sur le quiétisme adressé à Mme de Maintenon » selon la couverture du manuscrit, pièce 2072 des Archives Saint-Sulpice, contient plus de cinquante noms se partageant à peu près également entre partisans et opposants. Les quiétistes sont présentés comme un « parti » dangereux sur lequel il sera nécessaire d’enquêter en commençant l’encerclement par tout ce que l’on pourra obtenir des indicateurs et indicatrices que doivent être les opposants pour justifier leur bonne foi. Les renseignements sont exacts en particulier dans la reconnaissance des figures principales du courant quiétiste : Bertot, Charost, Guyon… Une importance particulière est accordée à Molinos, à La Combe, mais aussi au Père Vautier204 ainsi qu’à ses pénitentes (huit noms sont cités). Sept communautés où Mme Guyon se rendit sont citées et bien entendu tous ses écrits édités ainsi que ceux de La Combe. Bon travail de recherche policière qu’il convient de reproduire (en omettant des développements de peu d’intérêt contradictoires sur la doctrine) :

Il ne peut s'élever dans l'Église une hérésie plus dangereuse que le quiétisme. [...] Il y a plus de vingt ans que l'on voit à la tête de ce parti M. Bertau [Bertot], directeur de feu Mme de Montmartre205, qui mourut en 1679 ou [16]80 206. [...] Cet homme était fort consulté ; les dévots et les dévotes de la Cour avaient beaucoup de confiance en lui ; ils allaient le voir à Montmartre, et sans même garder toutes les mesures que la bienséance demandait, de jeunes dames de vingt ans partaient pour y aller, à six heures du matin, en tête-à-tête avec de jeunes gens à peu près du même âge. On rendait compte publiquement de son intérieur ; quelquefois l'intérieur par écrit courait la campagne. M. B[ertot] faisait aussi des conférences de spiritualité à Paris dans la maison des Nouvelles Catholiques207, et auxquelles plusieurs dames de qualité assistaient et admiraient ce qu'elles n'entendaient pas. Les sœurs n'y assistaient pas208 ; les supérieurs de cette maison, ne voyant rien d'ouvertement mauvais, ne les empêchèrent pas. Les ouvrages de cet homme, tant imprimés que manuscrits, sont en grand nombre209; je ne sais pas précisément quels ils sont. Madame G[uyon] était, disait-il, sa fille aînée, et la plus avancée, et Mme de Charost était la seconde : aussi soutient-elle à présent ceux qui doutent210. Elle paraît à la tête du parti, pendant que Mme Guyon est absente ou cachée. Quoique j'aie bien du respect pour Mme de Charost, je crois vous devoir avertir qu'il faut y prendre garde.

Tout ce que j'ai entendu dire de Mme Guyon ne me donne pas une idée de sa sainteté telle que ses amis en ont. Il est certain qu'elle dogmatise, et qu'elle conduit plusieurs personnes, en sorte qu'elle s'est établie un tribunal de direction auquel ses amis et amies ont peut-être plus de confiance qu’à celui de leur confesseur. Elle se mêle de prophétiser, elle s'imagine communiquer la grâce, même d'une manière sensible211. Ses amis n'en disconviennent pas [...]

Elle renonce les pénitentes du père Vautier212, et cependant plusieurs ne bougeaient de chez elle et la regardent encore comme une sainte, loin de lui vouloir du mal, comme elle dit ; ce sont même des plus criminelles. J'aurais plus de six témoins sur cet article.

On ne peut rien voir de plus soumis à l'extérieur que cette femme [...]

Je ne sais pas grand-chose du père de La Combe. Sa liaison avec Mme G[uyon] est plus ancienne qu'elle ne dit ; elle a commencé à Montargis, où le Père faisait ses études après son noviciat. Il y a de violents soupçons que c'est lui qui l'attira à Gex où il était, et que l'établissement des Nouvelles Catholiques ne fut que le prétexte du voyage qu'elle y fit. Cette dame le suivit jusqu'à Verceil et revint avec lui en France, après avoir été la fidèle compagne de ses voyages et de ses prétendues persécutions213. Le commerce étroit de ce Père avec cette dame scandalisait beaucoup dans ce pays-là ; il n'a pas moins scandalisé dans celui-ci, on en a fort mal parlé. On pourrait apprendre bien des choses par le procès du père de La Combe. Je ne sais pourquoi ce qui avait été commencé en même temps contre Mme Guyon a été interrompu : ce qui était contre elle est disparu depuis, je ne sais comment ni pourquoi.

Les pratiques du père Vautier étaient abominables [...] aux jésuites de la maison professe et au collège, il y a des amis et partisans de Mme Guyon et du père Vautier. Il faut prendre garde aux cordeliers : il y en a plusieurs, aussi bien qu'aux capucins, auxquels le père de La Combe permettait à ses pénitents et pénitentes de se confesser. Les carmes billettes ne peuvent qu'ils [sic] ne se sentent d'avoir vu le père René de Saint-Albert qui était dans ces mêmes principes et dans cette même doctrine. Il faut faire une exacte recherche aux barnabites, et aux pères de Saint-Antoine. A Villejuie [Villejuif], à Groslai, le quiétisme est assez établi. Il est aussi beaucoup dans la paroisse de Saint-Jacques-de-la-Boucherie. Plusieurs docteurs sont accusés d'être quiétistes.

Mme Guyon allait à Malnou, aux Filles pénitentes de la rue Saint-Denis, aux Filles de Sainte-Claire-du-Marais, aux Filles du Saint-Sacrement du faubourg Saint-Germain, aux Filles de la Visitation du faubourg Saint-Jacques, et à celle de Saint-Denis, à l'Assomption, aux filles de Saint-Thomas, etc. Je crois que, sans juger personne, il faut prudemment examiner si cette doctrine ne s'y serait point établie. Il faudrait user de la même précaution pour Longchamp et pour les Filles de la Croix. [...] Il y a six ou sept ans que monsieur l'abbé de la Pérouze214 trouva beaucoup de ces sortes de gens à Dijon, pendant une mission qu'il y fit : cela m'a été confirmé d'ailleurs. Il y a beaucoup d'apparence que cette doctrine se sera beaucoup répandue à Montargis [...] tout est permis: mensonge, serment, dissimulation, manège, imposture, calomnie, pourvu que l'on garde le secret de la secte. [...]

Toutes ces détestables maximes se trouvent dans les livres de Mme Guyon. L'extrait du Moyen court, de la Règle des Associés, de l'Exposition du Cantique des cantiques, et du manuscrit des Torrents que je prends la liberté de vous envoyer, le prouve plus clairement que je ne le voudrais. [Suit une longue analyse critique diffuse de maximes extraites du Moyen Court, de la Règle des Associés, etc.] [...]

Il me semble qu'il serait bon de commencer par interroger les personnes qui sont bien intentionnées et qui parleront sans peine215. En voici la liste :

Le père Paulin216, pénitent de Nazareth, sait des choses très particulières. Il paraît homme sûr, sincère et éclairé. Je l'ai vu plus d'une fois. J'ai déjà un mémoire écrit de sa main.

Le père provincial des carmes déchaux, appelé François Marie, sait quelques faits particulier, qui convainquent Mme Guyon de mensonge, d'un orgueil insupportable, d'avoir dogmatisé, et d'avoir eu un étroit commerce avec le père Vautier. Il pourra aussi indiquer d'autres personnes qui lui ont parlé en général de la conduite de cette dame et qui, selon toutes les apparences, entreraient dans un plus grand détail, si on les interroge.

Le père François Thomas, vicaire général de la Réforme de Grandmont, autrefois prieur de Louis, diocèse de Chartres, à présent à Thiers. C'est un homme de bien et d'esprit, monsieur de Chartres en fait cas. J'ai vu quelques-unes de ses lettres sur cette matière. J'ai l'extrait, écrit de sa main, de quelques conversations de Mme Guyon auxquelles il était présent. On peut en savoir des nouvelles par Mlle Servin.

Le père de la Mirande, père de l'Oratoire. Je crois qu'il a déjà parlé à monsieur l'archevêque. Il peut parler de la de Bèze ou de Vaux. Quelques personnes qui ont été dans ce malheureux parti se sont adressées à lui.

Monsieur Grillian, prêtre du diocèse de Genève, précepteur au collège du Mans des pères jésuites sait, dit-on, un fait particulier d'un voyage du père de La Combe avec Mme Guyon à Notre-Dame de Bulle. On dit qu'en passant par Évian, ils couchèrent dans la même chambre.

Monsieur Baüin, prêtre, directeur de la maison de saint Joseph, sait des faits atroces de Mme Guyon217.

Je n'ai point parlé à ces trois derniers.

Monsieur de Filtz218, officier chez Monsieur, pour une insulte qu'il fit à Mme Guyon, qu'elle souffrit très patiemment, et plusieurs libertés qu'elle lui permettait. Je ne lui ai pas parlé, mais je sais qu'il est prêt de soutenir tout cela à la sainte. On me l'a dépeint comme un homme de bien, sincère, mais de peu d'esprit. On peut en savoir des nouvelles dans la communauté de monsieur Doien et par monsieur le curé de Saint-Sulpice. Feu monsieur de la Barmondière m'a appris ce que j'en sais.

Mademoiselle Gentil219 sait des choses particulières de Mme Guyon. Elle peut indiquer aussi des gens qui en savent encore plus. Elle peut parler de ce que la dame a fait à ceux qui déposèrent contre elle, il y a six ans. Cette demoiselle a de l'esprit, elle paraît sincère. Mais elle craint et a des intérêts à ménager avec quelques amis de Mme Guyon. Ainsi il faut se servir d'adresse et d'insinuation pour la mettre en train. J'avais préparé des questions orales qui peuvent servir à faire juger ce qu'elle sait et que j'avais entrevu dans une petite conversation que j'eus avec elle. Mais elle manqua deux fois au rendez-vous.

Les sœurs, Marie Moullé et Marie Jubbeline, blanchisseuses, demeurant faubourg saint Jacques, proche le Port-Royal, déposeront contre les quatre filles de la communauté de Mme de Baurin et de quelques autres pénitentes du père Vautier. Le père Genevrai, le père Paulin et le père provincial des carmes déchaux peuvent rendre témoignage de leur conduite. J'ai écrit un grand mémoire de leurs réponses. Mme de Baurin et sa demoiselle, ou femme de chambre, diront ce qui s'est passé dans la communauté et ce qui regarde la Gesvres et ses compagnes.

Mme Servin qui demeure chez monsieur le comte de Ste Meme, rue du Petit Musc, est fort zélée contre le quiétisme : elle dira tout ce qu'elle sait, indiquera plusieurs personnes. Elle m'a donné plusieurs choses par écrit. On pourra savoir par elle des nouvelles du père François Thomas, de mademoiselle Benoît, etc.

Mademoiselle Benoît, autrefois demeurant rue du Roi de Sicile, à présent dans le diocèse d'Amiens. Elle parlera sur la Gandouin. Mademoiselle Servin et elle furent avec le père de Sales, jacobin du couvent de la rue Saint-Jacques, chez Monsieur Robert, grand pénitencier, [qui] lui mirent entre les mains quelques lettres originales et des papiers écrits de la main de la Gandouin. On ne sait ce que ces papiers sont devenus : on n’en serait point en peine si on les croyait entre les mains de monsieur l'archevêque.

Le père de Sales peut donner quelques lumières, ayant retiré quelques personnes du quiétisme dans lequel elles se trouvaient engagées ; il pourra du moins en donner les noms.

Mademoiselle le Brun, qui demeure proche la Fontaine des cordeliers, tout contre une lingère. C'est une veuve fort simple qui s'emploie pour les pauvres de la paroisse de Saint-Sulpice. Monsieur le curé et le père Frassen en peuvent rendre témoignage, elle est du tiers-ordre de saint François. C'est elle qui m'a fait voir un parti des gens qui sont sur ce mémoire. Feu monsieur de la Barmondière me l'a fait connaître, il en faisait cas. Elle sait bien ce qui regarde la communauté de Mme de Baurin, la Gesvre et ses compagnes. Elle pourra dire leur demeure, et celle de Marie Poul[a]in.

Il y a, chez elle, une fille de Villejuie [Villejuif] qui ne manque pas d'esprit, appelée Juliette le Pelé. On pourra savoir par son moyen quelque chose de monsieur Courtin et de ce qui se passait à Villejuie. Barbe Le Roi l'a menée une fois chez Mme Guyon, elle m'a indiqué une Anne Renaud à Villejuie qu'on peut faire parler.

Mme Servant peut faire venir une jeune fille, appelée Thérèse, qui a été en apprentissage dans la communauté de Mme de Baurin sous la sœur Françoise Gesvre. Elle peut dire des nouvelles du commerce que Mme Guyon avait avec elle, et de celui de monsieur Courtin avec les sœurs.

La religieuse de Sainte-Marie qui était toujours avec Mme Guyon, A dit confidemment que ce n'était pas une si grande sainte. On ne doute pas qu'elle ne s'expliquât davantage si elle était interrogée par l'autorité des supérieurs. Il paraît que, dans cette maison, on craint de se commettre : ainsi il faudrait ménager ceci doucement.

On pourra tirer des lumières de la sœur Garnier et de la sœur Ansquelin des Nouvelles Catholiques, si on les ménage adroitement, et qu'on ne les commette point. Elles peuvent parler sur Mme Guyon, sur la sœur Malin et sur Monsieur Bertot. Il se faisait chez elles des conférences de spiritualité auxquelles présidait Monsieur Bertot. Les Nouvelles Catholiques n'y assistaient pas, elles pourront néanmoins en dire quelque chose. Mme la duchesse d'Aumont et Mme la marquise de Villars pourront dire des nouvelles de la spiritualité du sieur Bertaut [Bertot], avec qui Mme Guyon avait une liaison si étroite qu'il disait que c'était sa fille aînée. On sait bien comme on doit traiter avec des personnes de qualité.

Les sœurs de la communauté de Mme de Miramion. Il ne faut pas se fier également à toutes. La sœur Chambor avait quelque liaison avec monsieur Courtin.

Marie le Doux, maîtresse d'école dans la paroisse de Saint-Sulpice, rue du Bac. Elle était autrefois de la communauté des Quinze-Vingts, qu'avait établie monsieur de Gaumont220, prêtre, sous la conduite de Monsieur Bertot. Depuis il donna à ses filles le père de la Combe pour supérieur et voulait que Mme Guyon fût supérieure.

Mme l'Echassier a placé dans la paroisse cette dame le Doux.

Il y a, m'a-t-on dit, à la maison de la Providence, une Mme Leroy qui sait beaucoup de choses.

Aux Filles de la Croix221, et il faut s'informer de mademoiselle Dejose : on saura en même temps des nouvelles du parti, car c'était une des épouses qui ont la fécondité apostolique. Il faut user de ménagement dans cette maison, car je ne crois pas qu'on y parle bien volontiers.

Anne de Bèze qui a épousé le sieur de Vaux. Elle demeure à Versailles chez monsieur Ribier, capitaine d'artillerie. On dit néanmoins qu'elle est revenue à Paris depuis peu. Le père de la Mirande en pourra dire des nouvelles plus précises. Elle était fort avant dans le parti. Elle fait mine de vouloir se convertir. Elle parle volontiers et se charge elle-même. Je ne crois pas qu'on doive beaucoup compter sur la sincérité de sa conversion, il faut cependant cacher la défiance qu'on en a, car on en peut tirer de grandes lumières. On a vérifié quelques faits qu'elle a déposés, qui se sont trouvés véritables. Elle charge beaucoup de gens, mais il faut bien examiner avant de les taxer. Elle a déjà donné une ample déposition, qui a un grand air de sincérité. Cette femme-là a beaucoup d'esprit, à ce que l'on m'a dit.

La Maillard et son mari disent des choses étranges222. On peut les écouter, mais il faut examiner ce témoignage plus que les autres. La femme paraît causeuse, et je suis trompé si l'on ne pourrait pas fournir contre elle quelques reproches légitimes.

Monsieur l'abbé de Lannion aura sans doute déjà parlé et dit tout ce qu'il sait.

Après que l'on aura ouï la déposition de toutes ces personnes, on pourra se rendre maître des autres, qui ne parleront que quand elles y seront forcées223. En voici les noms :

Françoise Gesvre, Marie-Thérèse Rume, demeurant ensemble chez un serrurier rue Saint-André-des-Arts. Marie Anne Rume chez Mme la duchesse de Vesmeüil [f°40 v°]

Laboudrai, maîtresse d'école, vis-à-vis la rue de l'Observance, chez un teinturier.

Cette quatre étaient de la communauté de Mme de Baurin, paroisse saint Benoît. On pourra en savoir des nouvelles par mademoiselle le Brun. La Gesvres était fort bien avec Mme Guyon.

Marie Poul[a]in, qui se nomme à présent Maligni. Elle avait pris autrefois celui de Lelubois. Elle est des principales du parti. Elle servait d'émissaire au père Vautier. Elle a fait semblant de se convertir une fois ou deux et avoua pour lors des choses horribles. Elle change assez souvent de demeure, ainsi que les autres, crainte d'être surprise. On en pourra savoir des nouvelles par la demoiselle le Brun.

Catherine Gandouin, demeurant auprès de l'Estrapade. Elle a beaucoup d'esprit, elle est boiteuse et bossue. Elle a écrit. Mademoiselle Benoît en pourra parler.

Marie des Rousseaux demeure, je crois, avec la Gandouin. Il faudrait tâcher d'avoir d'elle une lettre qu'elle dit avoir de Mme Guyon au Sieur Guiton [Guyfon ?], sorti de Saint-Lazare224. Monsieur l'abbé de Lannion pourrait peut-être servir à cela.

L'Haquevilliers qui s'est mise artificieusement sous la conduite du père Crasset.

Barbe Le Roi demeurant à Villejuie vers le milieu du village, et Julitte le Roi sa nièce ; Catherine Lecœur demeurant aussi à Villejuie, vis-à-vis le petit cimetière.

Monsieur Courtin, prêtre, qui a été dix-sept ans vicaire à Villejuie, et monsieur Martineau, qui l'est à présent, sont fort accusés. On en saura des nouvelles par les personnes que je viens de nommer.

Toutes les personnes que je viens de nommer dans la seconde liste, distribuaient les livres de Mme Guyon. Plusieurs allaient chez elle et y en menaient d'autres.

Il serait à propos de faire parler le père Vautier et de savoir de lui si Mme Guyon l'a toujours regardé comme le chef de la synagogue de Satan225. La grande liaison qui paraît être entre l'un et [f°41r°] l'autre, quoique Mme Guyon la nie, donne lieu de croire qu'il pourrait apprendre bien des choses sur cette dame s'il y était obligé par ses supérieurs.




Capture, enquêtes et premier interrogatoire

La cache et la saisie

Mme Guyon donne le récit de sa saisie et des interrogatoires de Vincennes au début de son Récit des prisons, un texte distinct de la Vie par elle-même publiée par Poiret : elle rédigea ce terrible témoignage peu hagiographique à la demande de quelques intimes ; il ne fut publié que récemment226.

Elle s’explique au début de ce récit sur sa tentative d’échapper à la toute puissante police du royaume, ce qui supposait une singulière confiance en Dieu !

[...] J'allais chercher quelque endroit où je pusse être inconnue à tout le genre humain, et que si Dieu permettait que je succombasse à la violence, je le regarderais comme un effet de sa bonté ou de sa justice, tout m'étant égal dans sa volonté. Quelques-uns m'offrirent des retraites dont je les remerciai, ne voulant embarrasser personne dans une cause qui était devenue si odieuse, et qui aurait pu à eux-mêmes leur attirer des affaires fâcheuses. Je crus, dans les circonstances où je me trouvais, ne pouvoir demeurer en sûreté dans la retraite que je m'étais procurée parce que, ayant eu quelque commerce indispensable avec quelques personnes du dehors depuis mon retour de Meaux, j'avais lieu de craindre qu'on en eût quelque connaissance qui servît à me faite arrêter. J'en fis chercher une autre assez éloignée227, mais [cela] même contribua à ce que je voulais éviter. Une de mes femmes228 étant obligée d'aller souvent à cette maison pour le transport de mes meubles, fut reconnue par un domestique de M. Fouquet229, ce qui donna des indices du quartier que j'avais choisi et mit bientôt Desgrez230, chargé de m'arrêter, en état de savoir le lieu de ma retraite.

Il n'y avait guère que deux mois que j'y étais, lorsqu'une des fêtes de Noël, jour de St Jean 1695231, je vis entrer dans ma chambre un homme que je ne connaissais pas, qui me demanda si je n'étais pas Mme Guyon. J'étais dans mon lit, malade depuis un temps assez considérable ; je lui répondis que oui. Et sur cela il me dit qu'il m'arrêtait de la part du Roi. Je lui répondis sans émotion que j'étais prête d'obéir et d'aller où il lui plairait. Je me levai après qu'il eut appelé ma femme de chambre, et il donna les ordres qu'il jugea nécessaires pour ce qu'il lui restait à faite ; il avait surpris dans la rue l'autre de mes femmes qui était sortie pour quelques besoins, l'avait fouillée, et lui ayant trouvé un passe-partout de ma maison, il s'en était servi pour y entrer lui-même accompagné de vingt ou trente personnes, tous armés, qu'il distribua où il voulut. Après quoi il monta à ma chambre. Cela se fit avec si peu de bruit que ni moi ni mon autre femme n'en entendîmes rien. Desgrez fouilla partout pour voir s'il ne trouverait point quelques papiers, il n'y eut coin ou recoin qu'il n'examinât. Il fouilla ma femme de chambre. Enfin il n'oublia rien pour se bien acquitter de son devoir et des ordres dont il était chargé.

Il me conduisit d'abord chez lui où il me laissa pour aller rendre compte de ce qui s'était passé. J'y couchai une nuit ou deux pendant qu'on délibérait sur le lieu où l'on m'enfermerait. On se détermina enfin à Vincennes où je fus conduite avec mes femmes, avec ordre de ne me laisser parler à qui que ce fût.

Les archives de la Bastille produisent les lettres échangées en haut lieu concernant le sort de la bonne prise. Le roi peut-être, mais certainement Mme de Maintenon, s’occupèrent personnellement du problème. Le roi adressa une lettre à l’archevêque de Paris :

Versailles, ce mercredi matin, 28 ou 29 décembre 1695232.

On gardera Mme Guyon où elle est jusques à demain matin, que je serai bien aise de vous voir à Marly, si vos occupations vous le permettent. Il est bon que je vous parle des lieux que vous proposez dans votre lettre devant que vous vous déterminiez.

A un niveau inférieur, mais encore considérable car Ponchartrain est secrétaire d’Etat à la Maison du Roi233, les consignes sont immédiatement précisées dans une lettre adressée à La Reynie, lieutenant général de police de Paris :

Jeudi après-midi à Marly / Vous savez, monsieur, la capture que des Grés [Desgrez] a faite de Mme Guyon et de quelques autres avec elle. Le roi les envoie à Vincennes pour quelques jours, et jusqu'à ce qu'il ait pris le parti qu'il jugera à propos sur la demeure qu'il leur désignera. Cependant Sa Majesté désire que vous alliez les interroger tous, uniquement sur leurs liaisons et sur leurs correspondances et sur tout ce que vous croirez convenable, hors sur leur doctrine dont le Roi ne veut point que l'on parle ; Des Grés vous remettra entre les mains une cassette de papiers que vous ferez ouvrir, et vous remettra encore deux ou trois autres petits papiers qu'il m'a fait voir. Je suis, monsieur, absolument à vous. / Pontchartrain.234.

Déroulement des interrogatoires selon Mme Guyon

Mme Guyon rend brièvement compte à la fin de la Vie de ses interrogatoires nombreux et longs, ne détaillant que les deux premiers ; le récit des prisons ajoute quelques informations mais se concentre surtout sur l’épreuve solitaire des enfermements :

A quelques jours de là, M. de La Reynie vint pour m'interroger235. Son air austère ne m'effraya point. Je lui répondis avec tranquillité sur toutes les questions qu'il me fit. Il en avait une fort grande liste qui lui avait été fournie avec beaucoup d'art236, où l'on voulait me faire parler sur les personnes avec qui j'avais été le plus en liaison. Je le fis d'une manière simple et naturelle sans compromettre personne. Cet interrogatoire fut très long. Et quoiqu'il me parlât fort honnêtement, je remarquai qu'on l'avait fort prévenu contre moi.

Il revint quelques jours après et me demanda de qui étaient deux lettres qu'il me montra et que Desgrez avait trouvées dans le tiroir d'une petite table qui était dans ma chambre. Je lui répondis qu'elles étaient du Père de La Combe, et que je les avais reçues peu de jours avant d'être arrêtée. Ces deux lettres furent le sujet de plusieurs interrogatoires, car on y prétendit trouver des choses effroyables, et M. de La Reynie, qui y allait tout à la bonne foi, ne sachant rien des ressorts qui faisaient mouvoir cette machine, supposait comme véritables les tours malins et les interprétations que l'on donnait aux expressions des deux lettres.

Il n'y avait pourtant rien que de très édifiant dans ces deux lettres qui ne roulaient que sur la piété. Sur la fin d'une de ces lettres, il m'invitait à aller à des eaux qui étaient près de lui. Ensuite après avoir témoigné la joie qu'il aurait de me voir, il ajoutait qu'il ne serait pas fâché de voir famille237. Ce mot avait paru quelque chose d'affreux et digne du feu238. Il fallut bien des tours et des circonlocutions pour me faite comprendre les idées qu'on s'était formées sur ce mot. Et M. de La Reynie épuisa tout ce que son habileté à surprendre un criminel lui put inspirer pour tirer de moi les connaissances de ce qu'on lui avait fait entendre que ce mot pouvait renfermer. Enfin je commençai à comprendre son intention, car jusque-là ses termes avaient été tellement enveloppés que je ne pouvais m'imaginer à quoi cela aboutirait, et je lui dis : «Monsieur, vous auriez pu vous épargner bien de la peine, et à moi aussi, Si vous aviez bien voulu tout d'un coup me demander l'explication de ce mot, famille, dont il est parlé dans cette lettre : c'est le nom de ma femme de chambre qui est ici. Elle me sert depuis vingt ans et est fort connue du P. de La Combe ». La prévention de M. de La Reynie était si grande que j'eus toutes les peines du monde à le désabuser, mais enfin je lui en donnai tant de preuves qu'il [lui] fallut se rendre, ce qui commença à lui ouvrir les yeux sur le reste des accusations qui n'étaient guère mieux fondées.

Il y avait dans la même lettre qu'une fille nommée Jeannette239 était toujours à l'extrémité, qu'elle avait eu de moi une connaissance très intime selon qu'il m'avait mandé. Sur cela il voulut m'obliger à lui dire ce que c'était que cette connaissance, et ce qu'on m'avait mandé. Je refusai longtemps de répondre d'une manière précise aux questions qu'il me faisait là-dessus, mais enfin, étant poussée à bout, je lui répondis que je ne refusais de parler sur cet article que parce que cela m'était avantageux « Mais on vous y force, reprit-il, et vous l'ordonne ». Alors je lui dis que cette fille avait connu que j'étais bien chère à Dieu, qu'elle avait dit plusieurs choses de cette nature au P. La Combe et que c'était ce qu'il m'avait mandé.

Il y avait encore dans cette lettre une chose qui me parut avoir indisposé M. de La Reynie contre moi dans le cours de ses interrogations, c'était un endroit où il disait : « Les jansénistes sont sur le pinacle ». Cela me fit croire qu'il penchait de ce côté-là qui m'a toujours été fort contraire. Mais je n'ai vu en lui que droiture et probité.

Dans l'autre de ces deux lettres il y avait : « La petite Église vous salue, illustre persécutée240 ». Il n'est pas possible d'exprimer tous les tourments et les peines que j'ai eu à essuyer dans le cours de plusieurs interrogatoires sur cette expression. L'on prétendait que je voulais composer une Église particulière, et qu'il y avait là-dessous des choses abominables et mystérieuses, dont je pouvais seule révéler le secret. Je ne sais si M. de La Reynie le croyait241, mais il n'est rien qu'il ne mît en oeuvre pour tirer de moi quelques connaissances de ce prétendu mystère. J'avais beau lui dire que c'était une expression simple et naturelle pour désigner un petit nombre de personnes unies de sentiment et de charité pour être à Dieu d'une manière [plus] particulière que le commun des autres hommes, ou, comme saint Paul l'exprime dans une de ses Épîtres, d'une même famille, ou d'une même maison, quoiqu'il en fût, ce terme de « petite Église » fut le sujet d'un grand nombre d'interrogatoires dont les questions étaient, si je ne me trompe, fournies à M. de La Reynie par les personnes à qui il importait que je fusse crue coupable. Car, pour lui, il avait trop bon esprit pour être arrêté par de pareilles minuties. Dans les premières visites que je reçus de M. de La Reynie à Vincennes, je lui dis qu'il y avait une voie très sûre de connaître ma vie et que je le suppliais de demander au Roi qu'on en fît l'examen, qu'il serait aisé de la connaître à fond et qu'il lui serait ensuite assez facile de juger du fond des choses qu'il prétendait m'imputer. Il en parla au Roi qui le trouva bon. Et, sur cela, j'entrai avec lui dans un détail de tous les lieux où j'avais été, de toutes les personnes qui m'avaient accompagnée, de celles chez qui j'avais logé et avec qui j'avais eu commerce, les temps, les lieux, les dates, avec de telles circonstances qu'elles renfermaient tous les temps de ma vie. Il me dit, au bout de trois mois de perquisitions, qu'on n'avait rien trouvé contre moi, que je restasse dans ma tranquillité ordinaire. Il ajouta : « Toute justice vous sera rendue ». Il le croyait sans doute de la sorte.

Échanges entre La Reynie et Pontchartrain

La Reynie, qui doit interroger la célèbre quiétiste, prend ses précautions : il répond à la brève lettre du ministre Ponchartrain reproduite précédemment en demandant des instructions précises sur la forme comme sur le fond. On note la ferme volonté royale « d’excepter la doctrine » puisque l’on espère pouvoir tirer plus bas. L’ensemble du texte est assez embrouillé, traduisant peut-être une certaine gêne de son auteur242 :

A Paris, ce 29 de décembre 1695

Monsieur

J'ai reçu ce soir à six heures la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire datée de ce jour, et sur ce que je vois qu’apparemment le Sr Desgres aura besoin de tout le jour de demain pour faire disposer des lieux dans le donjon de Vincennes et pour transférer les prisonniers qui doivent y être mis, suivant l’ordre du Roi, je différerai jusqu’à samedi matin à les interroger. J’ai cru cependant, Monsieur, que je devais profiter du temps que j’ai jusques là, pour vous [f°13v°] supplier très humblement de me faire savoir s’il convient et si je dois interroger en forme Mme Besnar243 et les autres qui sont arrêtés avec elle ou si je dois essayer seulement de tirer des éclaircissements et faire des mémoires de ce que ces prisonniers pourront dire. Ce sont, Monsieur, les justes raisons que sa Majesté doit avoir d’excepter la doctrine et d’ordonner qu’il ne soit rien demandé sur ce point, qui m’engagent à vous demander cette instruction particulière, et il peut être d’autant plus nécessaire que j’ai l’honneur de vous la demander, qu’en interrogeant la dame connue sous le nom de Besnar, elle pourra, sans que je lui parle de doctrine et indépendamment de tout ce que je lui aurai demandé, dire pour réponse tout ce qu'il lui plaira de sa doctrine, l'expliquer et vouloir que tout soit écrit, soit comme préoccupée d'un sentiment extraordinaire, ou parce que cette femme croira que sa justification et sa liberté peuvent dépendre de l'explication de sa doctrine. A quoi elle pourra encore ajouter et attacher d’autres choses et citer qui bon lui semblera, selon qu’elle le jugera [f°14] convenable à son état présent et à toutes les suites qu’elle croira prévoir. C’est, Monsieur, l’inconvénient qui peut arriver en faisant des interrogatoires en forme, que je marque d’autant plus précisément que je crois entendre, parce que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, Monsieur, que ce n’est point une affaire que le Roi veuille en aucun cas qu’elle soit traitée par les voies ordinaires de la justice et qu’on fasse par conséquent aucune procédure sur ce sujet. Si je me trompe, Monsieur, et si je n’entends pas assez quelle est l’intention de sa Majesté à cet égard, ce que je viens d’observer, ne doit servir qu’à dire que le cas des réponses que la dame B peut faire, par un interrogatoire en forme, après serment, et avec le ministère d’un greffier, aura été prévu. Du reste, Monsieur, vous savez bien mieux que moi que lors qu’il s’agit de procédures judiciaires et régulières, les accusés peuvent répondre avec une pleine liberté de dire tout ce qu’ils jugent nécessaire pour leur défense.

Je suis avec tout le respect que je vous dois, Monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur De la Reynie.

Dans la réponse de Ponchartrain par une note additionnelle de sa main en tête de la même lettre, La Reynie est chargé d’une mise « en ordre et en forme judiciaire », c’est-à-dire des procès-verbaux d’interrogatoire et non de simples « éclaircissements » recueillis de façon informelle, car on attend beaucoup d’aveux présumés. On lève aussi l’identité de la prisonnière. On insiste aussi sur une orientation éloignée de tout discours sur la doctrine :

Le Roi veut, Monsieur, que les interrogatoires et les inventaires que vous ferez soient en ordre et en forme judiciaire afin qu'ils soient susceptibles de tels usages que le Roi en voudra faire, ainsi, à votre égard, ce n'est plus Mme Besnard, c'est Mme Guyon, et quelque chose qu’elle nous dise vous la ferez écrire. Mais vous Monsieur par votre prudence vous écarterez autant que vous pourrez tous discours sur la doctrine244.

La Reynie s’exécute. Le premier interrogatoire assuré par ses soins suit de près la prise du 27 décembre, le relais assuré par Desgrez « chez lui […] une nuit ou deux » et l’incarcération de la prévenue et des deux filles à son service :

Ce 1er janvier 1696

[Affaire] Mad. Guyon

Monsieur,

Je vous envoie le premier interrogatoire que je fis hier à Mme Guyon à Vincennes, avant de procéder à l'ouverture de la cassette où ses papiers avaient été mis. Il s'y trouva entre autres 24 cahiers manuscrits, que Mme Guyon dit être le double de ceux qu’elle remit à Mr l’Evêque de Meaux avant d’aller à Meaux245. Les autres papiers paraissent être moins sérieux246, mais je ne laisse pas de les examiner avec application par rapport aux correspondances. Il y a cependant, Monsieur, beaucoup d'apparence que ce ne sont pas les lettres et les papiers du commerce courant, à la réserve des deux lettres que vous avez vues, qui sont datées des mois d'octobre et de novembre dernier et que Mme Guyon avait dans sa poche lorsqu'elle fût arrêtée. J'ai dit par cette raison au Sieur Desgrez, de faire une nouvelle revue dans la maison de Pincourt [Popaincourt] en présence de l'abbé Cousturier, qu'on y garde encore jusqu’à mardi matin et jusqu’à ce qu’on aura pourvu à la sûreté des meubles qui resteront après en avoir tiré ceux dont Mme Guyon dit qu’elle a besoin présentement. Desgrez a trouvé encore quelques lettres, avec deux clefs qui ne sont pas de la maison de Pincourt. Je fais état, Monsieur, après avoir examiné le tout, d’aller après demain mardi interroger les trois personnes qui ont été arrêtées en ce même lieu, pour former ensuite un plan sur les faits, qui serve à faire entendre plus clairement s’il est possible la conduite et les correspondances de Mme Guyon. / Je suis, etc.247

Une enquête bien organisée

La séquence des interrogatoires a été indiquée précédemment avec un très bref aperçu du contenu pour chacun d’entre eux. A son premier interrogatoire qui a lieu le 31 décembre 1695 juste après son arrestation, succèdent ceux des proches saisis dans la maison de Popaincourt. L’abbé Couturier est interrogé les 3, 9, 12 et 17 janvier, et la dame Pecherard les 9 et 12 janvier, c’est-à-dire entre les premières informations demandées à Mme Guyon et son second interrogatoire. Il faut en effet préparer des questions ; en fait elles proviendront surtout des lettres saisies.

Sont donc combinés les renseignements tirés des proches (décevants car sans grande importance ; par ailleurs on n’obtient rien des deux « filles » fidèles au service de leur maîtresse), des deux lettres malheureuses de La Combe (fort compromettantes par l’ambigüité des termes dont en premier lieu « la petite Église… »). On n’a aucun indice d’une communication à Paris de ses interrogatoires de Tarbes. La Combe n’aurait pas été transféré à Paris avant mars 1698.

On peut alors s’attaquer à la principale animatrice du cercle quiétiste ; un répit de trois semaines environ a eu lieu depuis son premier interrogatoire, mais une série rapprochée de cinq interrogatoires, assurée par La Reynie, « de six, sept et huit heures quelquefois248 », les 19, 23, 26 et 28 janvier 1696, enfin le 1er février, est un rude choc pour la prévenue. Ils visent à faire céder la prisonnière par épuisement ; mais elle tient bon - des informations sur cette résistance inattendue parvinrent jusqu’à la Cour, - ce qui explique probablement qu’un mois de réflexion se soit ensuite écoulé avant un deuxième et dernier assaut par le même La Reynie : trois interrogatoires ont lieu les 1, 2 et 4 avril.

Les soigneux procès-verbaux de ces neuf journées d’épreuve nous sont parvenus. La pauvre femme écrira ensuite deux lettres entre le 5 et le 12 avril, avec son sang.

Suit une nouvelle pause d’un mois également avant d’exercer une troisième pression, cette fois par la voie religieuse ; il s’agit de la lettre du 9 juin où le docteur Pirot rejoue ainsi son ancien rôle : « Il n’y a rien de plus violent que ce qu’il me fit… ».

Ce qui suivra sera consigné par des lettres écrites par la prisonnière à sa confidente, la « petite duchesse » de Mortemart, lorsque Mme Guyon aura été transférée au « couvent » très spécial établi à Vaugirard près de la maison du maître policier.

Quant aux interrogatoires ultérieurs à la Bastille, assurés par l’inquiétant maître du lieu d’Argenson249 qui a succédé à la Reynie en janvier 1697, et qui n’avait pas la rectitude de ce dernier, ils n’ont pas laissé d’enregistrements à notre connaissance. On sait seulement les pressions exercées : des menaces directes de passer de la Bastille – prison dure, mais dont les hôtes de marque survivaient – à la Conciergerie où la durée de vie moyenne d’un prisonnier était réduite à quelques mois250.

Premier interrogatoire de Mme Guyon, le 31 décembre 1695

Le premier interrogatoire du 31 décembre 1695 porte logiquement en premier lieu sur les trois maisons simultanément ou successivement habitées, avant d’aborder le sujet des personnes saisies en même temps qu’elle : Marie de Lavau251 et Françoise Marc252, domestiques depuis quinze et huit années, La Pialière253, fidèle disciple et copiste d’un recueil de lettres qui nous est parvenu, enfin l’abbé Couturier254.

Nous en donnons la transcription exacte, comme l’a fait le premier éditeur Griselle255, tandis que pour des interrogatoires suivants publiés pour la première fois, nous adoptons l’orthographe actuelle et retouchons la ponctuation, afin de ne pas lasser le lecteur qui aura eu ici un aperçu sans retouche de la pièce d’archive. Les demandes et commentaires figurent en italiques, les réponses en caractères romains.

Premier / interrogatoire / de la dame / Guyon prisonnière / au château de / Vincennes / 1256.

Interrogatoire fait par nous / Gabriel Nicolas de la Reynie conseiller / ordinaire du Roi en son conseil d’État, / de l’ordre du Roi, à la dame Guyon, / prisonnière, / au château de Vincennes, / auquel interrogatoire, nous avons / procédé ainsi qu’il ensuit,

Du Samedy trente un et dernier jour de décembre mille six cens quatre vingt quinze dans le cabinet du donjon du chasteau de Vincennes.

Interrogée de son nom, sur nom, aage, qualité, et demeure, après serment fait de dire et repondre vérité,

A dit qu'elle s'apelle Jeanne Marie Bouvier, aagée de quarante sept ans ou environ, veuve de messire Jacques Guyon chevalier seigneur duquesnoy [du Quesnoy257], demeurante lors qu'elle a estée arrestée à Popaincourt.

- Combien de temps elle a demeuré dans la maison de Popaincourt ou elle a esté arrestée,

- A dit qu'elle y a demeuré depuis la veille de Saint André, jusqu'au jour de la feste de Saint Jean surlandemain de Noël dernier.

- Sy elle n'auoit pas pris avant ce temps la une autre maison au faux bourg Saint Antoine.

A dit qu'ouy, et qu'elle y a demeuré un mois ou six semaines depuis qu'elle est revenüe de Meaux, mais que ce n’est pas elle qui a loué ladite maison.

- De quelle personne elle a loüé la maison de Popaincourt.

A dit qu'elle ne l'a pas louée, mais qu'ayant sceû qu'elle estoit a vendre, elle repondante a prié le Sieur Abbé Cousturier de la vouloir achepter soûs le nom d'une fille qui ­la sert ; ce qu'il a fait croyant en cela faire un service agréable à Dieu, en 1’aydant a ce cacher, suivant l'intention qu’elle avoit de demeurer cachée, et pour cet effect ledit Sieur abbé Cousturier venoit dans ladite maison comme sy elle eut esté à luy, et travailloit luy-mesme au jardin, croyant que cela pouvoit contribuer à couvrir davantage la retraite d'elle répondante,

- D'où elle sortoit lors qu'elle est venüe demeurer dans la maison du faux bourg Saint Antoine.

A dit qu'a son retour de Meaux [f°128] elle vint dessendre dans la maison de madame la Comtesse de Morstain [Morstein258], et qu'ensuite ­elle vint demeurer dans la maison du fauxbourg Saint Antoine, mais qu'apres y auoir demeuré un mois ou six semaines, elle en sortit pour venir demeurer dans une maison de la ruë Saint Germain l'Auxerois, que ledit sieur Abbé Cousturier prict soing de loüer pour elle et a sa priere ; qu'elle y demeura pendant trois mois ou environ, et qu'elle a payé jusqu'a pre­sent les loyers de ces trois maisons, qu'elle gardoit toutes trois pour se garentir plus seurement des ambuches qu'elle sçauoit qu'on luy dressoit, et pour empescher qu'on ne la put calomnier en decouvrant le veritable lieu de sa retraite,

- Soubs quel nom, et par quelle entremise elle a loué la maison du faux bourg Saint Antoine apellé le pavillon Adam, et pourquoy elle s'est retirée de cette maison,

A dit qu'elle pria la damoiselle Van259, qui est une fille qu'elle connoist il y a quelque temps, de luy chercher une maison ou elle put estre sans y entre connüe, et la damoiselle Van loüa ladite maison en son nom des heritiers Adam et elle re­pondante y a demeuré avec ladite Van six mois ou environ, avant qu'elle repondante ayt esté a Meaux,

- Soubs quel nom elle a esté connüe dans les trois mai­sons ou elle dit qu'elle a demeurée,

A dit que dans la maison du Pavillon du faux bourg Saint Antoine, elle n'a este connuë soûs aucun nom, parce qu'elle n'y a veu personne, et que ça esté la damoiselle Van qui a toujours paru tenir ladite maison soûs le nom de la damoi­selle de Beaulieu, et qu'il y avoit outre ladite damoiselle Van, une bonne femme qui gardoit la maison apellée la dame de La Pierre, soeur des nommées Deniset et Julien dont les femmes sont marchandes lingères et demeurent avec leurs marys, l'un dans le clostre des Jésuistes de la rue Saint An­toine, et l'autre dans une maison qui appartient aux Jésuistes rue Saint Antoine ; que dans la maison de la rue Saint Germain l'Auxerois la dame de Lapierre, sous le nom de la dame Bernard, a paru estre celle qui tenoit ladite maison; et a l'égard de la maison de Popaincourt lors qu'elle a este arrestée et qu'on luy a demandé qui elle estoit, elle repon­dit d'abord [f°129] qu'elle estoit la dame Bernard, mais qu'aussy­tost qu'on luy eut demandé s'y elle n'estoit pas la dame Guyon, elle le reconnût a l'heure mesme.

- Par quels motifs elle repondante a crû nécessaire d'a­voir ainsy diverses demeures en mesmes temps, de demeurer cachée successivement dans lesdites maisons, d'y être sous des noms interposéz, et ce qui l'a obligéé de dissimuler son verittable nom, et de se tenir cachée,

A dit qu'elle n'a jamais eû l'intention d'avoir lessdites trois maisons en mesme temps, pour avoir la commodité et la faci­litée de passer de l'une à l'autre desdites maisons, mais qu’ayant crû connoistre qu'on avoit decouvert qu’elle était dans la maison du Pavillon, elle desira d'aller demeurer dans un autre endroit, et ce fut dans la maison de la rue Saint Germain ou s'estant trouvée incommodée et ayant sceu que la maison de Popaincourt estoit a vendre, elle chargea l’abbé Cousturier de l'achepter, ainsy qu'elle l'a cy devant déclaré,

Luy avons remonstré qu'il sera tousjours difficile de présumer que ce soit les seuls et les veritables motifs qui l’ont obligee de tenir une telle conduitte qui a sy peu de raport à la sagesse dont elle fait profession et à son estat de veuve et de mere de famille et qu'elle doit nécessairement avoir eû d'autres raisons pour vouloir être Inconnuë a Paris et disparoistre a sa propre famille,

A dit qu'elle a esté persécutéé depuis quatorze années sur la mesme matiere, et sur deux miserables livres de sa composition, et quoy qu'elle n'eut pas eû le dessein de les rendre publics260, qu'ils ayent esté impriméz independament d'elle avec aprobation, et quoy qu'elle se soit tousjours soubmise et consenty qu'on en retrancha tout ce que l'on jugeroit a pro­pos, elle n'a pû neantmoins euitter d'estre inquietée sur ce mesme sujet a diverses reprises, luy ayant esté plusieurs fois imputé qu'elle enseignoit a faire l'oraison et a prier Dieu, et pour eviter tous ces embaras, elle avoit pris le party de se cacher tout a fait, qu'elle avoit pensé auparavant, en se reti­rant aupres du sieur Comte de Vaux son gendre, qu'on n'y trouveroit rien a dire et quant elle y a esté on la accusée d'enseigner aux paysans a faire l'oraison, et lors qu'elle a esté dans des maisons relligieuses on a pretendû qu'elle [f°130] ati­roit à elle les relligieuses avec lesquelles elle vivoit, et que pour finir, elle s'estoit resoluë a demeurer entierement cachéé,

- A quelles personnes elle a confié le soing des trois mai­sons ou elle a demeuré en dernier lieu et le secret de la dis­tinction des personnes qui devoient y entrer,

A dit qu'elle n'a point eû besoin de confier le secret de cette distinction à personne parce qu'elle n'y a point esté du tout visitée par gens de sa connoissance ny autres,

- Quels domestiques elle a eu dans les d[ites] trois mai­sons.

Adit qu'elle n'a eû que les nomméz Marie de la Vaux, et Françoise Marc261, que la premiere est a son service depuis quinze annéés, et l'autre depuis huit annéés et outre ce la da­me de la Pierre dont elle a parlé cydessus qui estoit aussy a son service et a ses gages depuis qu'elle s'est cachéé,

- D'où elle a connû l'homme d'espéé avec un justaucorps bleu qui estoit avec elle dans la maison de Popaincourt,

A dit que c'est un gentilhomme de Normandie de la connois­sance du prieur de Royalpré relligieux benedictin, qui ayant parlé plusieurs fois d'elle repondante audit Gentilhomme ap­pellé le sieur Durand de Pialiere, ledit sieur Durand auoit desiré de voir et de connoistre elle répondante, et estant ve­nû auec une recommandation dudit relligieux dans le temps qu'elle desmenageoit la maison de la rue Saint Germain l'Auxerois, ledit sieur Durand la vint trouver et s'offrit en mes­me temps la voyant ambarasséé de son desmenagement de luy aider a faire ce qui estoit nécessaire pour cela, disant qu'il scavoit fort bien travailler, qu'il auoit eû des ouvriers chéz luy, et qu'il scauoit bien demonter ses armoires, et ses cabi­nets, et les remettre en place, cet que ledit Durand fit en ef­fect et trauailla, et fut a diuers jours de la maison de la rüe Saint Germain l'Auxerois et en celle de Popaincourt,

- Combien de temps ledit Durand a demeuré dans la mai­son de Popaincourt.

A dit qu'il n'y a point demeuré du tout, qu'il n'avoit fait estat de sejourner a Paris que pendant huit jours, mais qu'il y a esté plus long temps et qu'il est venu pendant plusieurs jours aux jours et aux heures dont il convenoit avec l'abbé Cousturier, que ledit Durant est homme d'une probité con­nüe dans le pays et qu'il estoit venu a Paris pour attendre les couches de la niepce de sa femme dont il a pris tous les enfans, appellée la dame Heron qui demeure au quartier de la place des Victoires [f°131] et que le mary de ladite Heron est receveur general, à ce qu'elle croit, du domaine de Normandie,

- Sy l'abbé Cousturier ne demeuroit et ne couchoit dans ladite maison de Popaincourt,

- A dit que l'abbé Cousturier avoit sa chambre, et son lit au-dessus de la chambre d'elle repondante,

Sy ledit sieur Durant n'avoit pas aussy une chambre et un lit au dessoubs de celle d'elle repondante, et sy il n’a pas couché plusieurs (fois biffé) nuits dans la maison de Popaincourt,

A dit qu'il n'y a point couché que la seule nuit de Noël et que sy il y a esté quelque autre nuit elle ne s'en souvient pas, et depuis a dit qu'il n'y a esté que cette seule nuit, et qu'avant la nuit de Noël il n'y a jamais couché, que ledit sieur Durand fut cette nuit la a la messe aux religieuses de Paincourt262,

- Sy elle repondante fut entendre la messe le jour de Noël a l'Église des d[ites] relligieuses de Popaincourt,

A dit que non, par ce qu'elle estoit avertie de bonne part qu’on la cherchoit pour l'arrester, et ayant fait consulter et demander sy elle pouvoit par cette raison se dispenser ce jour la d'entendre da messe, il luy fut repondu qu’elle pouvoit s'en dispenser, comme elle fit,

- Quel est le lieu de la demeure ordinaire du sieur Du­rand

A dit qu'elle ne le peut dire plus particulierement, quel­le scait seullement que la terre dudit sieur Durand s'apelle Fontaine, qu'elle est en Normandie, et dans le diocese d’E­vreux,

- Sy l'abbé Cousturier passa aussy la nuit de la veille de Noël dans la maison de Popaincourt,

A dit que non, que sur les huit ou neuf heures du soir il vint s’en excuser et dire qu'il n'y pourroit pas venir. Et a l'instant seroit entré le sieur Desgretz lieutenant de la Compagnie du sieur chevalier du Guet, pour ce mandé, qui a representé une petite cassette longue d'un pied, couver­te de bazanne, fermente a clef, qu'il a dit estre une petite cassette par luy trouuéé dans la maison ou il a arresté la­dite dame Guyon, et dans laqu’elle il a dit auoir enfermé les papiers qu'il a trouué en diuers endroits de la maison de ladite dame, et en auoir remis la clef, avec plusieurs autres entre les mains de ladite dame Guyon, laquelle ayant reconnû ladite cassette, et ayant représenté la clef d'icelle, nous en a­urions fait l'ouverture en presence de ladite repondante et s'estant trouué plusieurs papiers nous en aurions fait deux liasses, La premiere contenant vingt neuf pieces, dont les trois penultiemes sont cottéés vingt six, et [f°132] la deuxiesme compo­séé de vingt quatre cahiers manuscrits que ladite repondan­te a dit estre entierement ecrits de la main de la nomméé Françoise Marc263 qui est à son service et qu'elle a ecrit sous elle repondante dans le temps qu'elle a travaillé a eclairsir, et a justiffier par l'autorité des Pères la doctrine des deux livres qu'elle repondante a composéz, et dont elle a fait men­tion cy dessus, qu'elle a donné une semblable coppie a monsieur l'Evesque de Meaux avant d'aller a Meaux, et que ladite coppie avoit esté veue avant cela par monsieur Tronçon, superieur du seminaire de Saint Sulpice.

Plus ledit sieur Desgretz nous a remis entre les mains en presence de la d. dame Guyon trois autres pieces ma­nuscrites qu'il nous a dit avoir esté trouvéés entre les mains de ladite dame Guyon lorsqu'il l'arresta par ordre du Roy, la premiere dattéé en teste ce dixiesme d'octobre, commen­ceant par ces mots « J'ay receu la vostre du 22e du mois passé » et finissant par ces autres mots « en Nostre Seigneur Jésus Christ plus que je ne scauroit (sic) vous exprimer » la­dite piece paroissant estre ecrite de deux differentes mains, la seconde dattée ce 11me novembre commenceant par ces mots « j'ay receu la vostre du vingt huit octobre » et finissant par ces autres mots « inuiolablement acquis et at­taché auec la grace de mon dieu », ladite piece paroissant ainsy que la premiere ecrite de deux différentes main [sic], la troisiesme commenceant par ces mots « vive Jesus, Ma­dame permettez » et finissant par ces autres mots « et de suivre ses vestiges et sa trasse »,264.

Ce fait touttes les susdites pieces ont esté par nous cottées paraphéés et par ladite répondante et a ledit sieur Desgrez signé la minute,

Lecture faite du present Interrogatoire la repondante a dit ses réponses contenir verité y a perseueré et a signé la minute. Signé Jeanne M. Bouvier et de la Reynie.





Rapports de la Reynie et interrogatoires des proches

La Reynie sur ces interrogatoires

Deux lettres adressées à Pontchartrain récapitulent les renseignements obtenus auprès de Françoise Marc, de l’abbé Couturier et de la demoiselle Pecherard, sa cousine germaine. On note le post-scriptum attaché à la seconde lettre qui suggère une certaine distance prise par la famille vis-à-vis de la compromettante Mme Guyon. Ce qui nous est parvenu sont des brouillons265.

Sur la fidèle Françoise Marc :

Monsieur

J’ai interrogé à Vincennes la nommée Françoise Marc266, fille attachée au service de Mme Guyon depuis huit années, âgée de trente-six ans, née à Rouen, où elle était march[an]de de soie et y tenait boutique. Étant à Dieppe pour quelque emplette, elle y connut par hasard Mme du Ru, à présent Mme Arnou, qui passait en Angleterre auec une autre femme appelée la soeur Rodrigue. Cette fille a l'esprit très fin, elle écrit avec autant de facilité qu'en pourrait avoir le mei­lleur scribe du palais, et c'est de sa main que sont écrits les 24 cahiers composés par Mme Guyon pour justifier la doctrine de ses deux livres267. L'attachement de cette fille à Mme Guyon s'est fait par feu Mr Fouquet l'écuyer268 et c'est par Mme du Ru qu'elle connut Mr Fouquet. Mme du Ru, <qui>269 après un an de séjour, passant à son retour par la ville de Rouen logea seule pendant 15 jours dans la mai­son de Françoise Marc. Mme du Ru mena cette fille à Paris, avec un prêtre frère de sœur Marc. Elle envoyait cette fille aux lieux où elle avait affaire et elle connut Mme Guyon chez Monsieur Fouquet et c’est ce qui a donné lieu à son attachement.

J’ai aussi interrogé l’abbé Couturier, connu sous le nom de l’abbé de Cursy. Il est âgé de quarante-cinq ans. C’est un clerc du diocèse de Paris qui n’a que les premiers ordres sans aucun titre de bénéfice. C’est un homme obscur et de peu de génie.

Des papiers et des fragments de papiers trouvés à trois différentes fois dans la maison de Mme Guyon à [f°17v°] Paincourt m’empêchent de continuer les interrogatoires de Mme Guyon jusqu’à ce que j’aie entièrement examiné tous ces papiers et que je les ai bien considérés pour en faire s’il se peut de justes applications et il n’est pas impossible, Monsieur, qu’on ne voie encore quelque chose de plus que ce qu’on a vu sur cette matière, mais il est nécessaire pour cela d’y procéder avec beaucoup de circonspection, vous connaissez, Monsieur, le fond de l’esprit de Mme Guyon, ce ne peut être qu’avec des moyens et des raisons solides qu’on peut faire état de découvrir ce que cette femme peut de son côté s’être proposé de tenir secret et caché. Je suis etc. 6 de janvier 1696.

Sur les autres figures plus pâles - ou tenant profil bas - saisies à Popaincourt en même temps que Mme Guyon :

Ce 14 janvier 1696

Monsieur

J’ai achevé d’interroger l’abbé Couturier et la demoiselle Pecherard, prisonniers à Vincennes restés à Paincourt après Mme Guyon. Je leur ai fait reconnaître quelques papiers qu’elle avait donnés à l’abbé Couturier et il paraît inutile par rapport à Mme Guyon de retenir plus longtemps ces deux personnes. Il semble même qu’il n’y ait aucune précaution à prendre à leur égard lorsqu’il plaira à sa Majesté de les faire mettre en liberté.

L’abbé Couturier est de Paris. Son père était à feu Mademoiselle. Il est âgé de 45 ans et d’une très faible complexion. Il a été à la Trappe, il y a porté l’habit de religieux pendant un an, après lequel la faiblesse de son tempérament le força de quitter ce lieu. Il y revint encore il y a 14 ans, mais cette seconde tentative n’eut pas plus de succès que la première. Il n’a aucune littérature, c’est un homme obscur sans talent et Mme Guyon ne lui a donné aucun emploi où il fut nécessaire d’avoir de l’esprit. Elle n’a pas laissé de lui faire lire quelques cahiers de sa composition mais il n’y a jamais rien compris et il n’en saurait dire trois mots de suite.

A l’égard de la demoiselle Pecherard, elle est aussi de Paris, cousine germaine de l’abbé Couturier, fille du Sieur Pecherard premier chirurgien de la feu Reine mère du Roi et à la famille duquel sa Majesté eut la bonté de conserver la moitié des appointements après le décès du Sieur Pecherard. Sa fille qui est à Vincennes est âgée [f°19v°] de 54 à 55 ans. Elle et ses sœurs vivent ensemble, elles ont du bien, elles ont une conduite très honnête et elles logent et nourrissent l’abbé Couturier parce qu’il est leur cousin germain. Celle qui est à Vincennes a beaucoup d’esprit et de piété, elle connaît Mme Guyon, mais sans aucun rapport à ses sentiments ni à ses pratiques. Elle est depuis longtemps sous la conduite du père Robine, supérieur des Augustins du grand couvent de Paris, docteur et homme distingué qui n’est et qui ne peut être soupçonné d’approuver la doctrine ni les sentiments qu’on attribue à Mme Guyon. L’abbé Couturier avait mené la demoiselle Pecherard sa cousine à Pincour pour se promener et prendre l’air le jour qu’ils y furent arrêtés en entrant dans la maison de Mme Guyon.

Je suis, etc. 14 de janvier 1696.

J’ai vu ce matin Monsieur le comte de Vaux et Madame sa femme270, ils ont parlé l’un et l’autre avec beaucoup de sagesse sur la disgrâce de Mme Guyon271.

Nous complétons ces résumés de la Reynie par des extraits des six interrogatoires des proches (les deux derniers de l’abbé Couturier sont toutefois complets). Tous adoptèrent le « profil bas » susceptible de les protéger ainsi que leur directrice. Mais ils ne se trouvaient certainement pas dans la maison de Popaincourt par le plus grand des hasards, puisqu’ils connaissaient Mme Guyon depuis « trois ou quatre » ou « quatre à cinq » années.

Premier interrogatoire de Paul Couturier, le 3 janvier (extraits)

[…]

- Depuis quel temps il connaît la Dame Guyon.

A dit qu’il la connaît depuis environ trois ou quatre années.

- Pour quelles affaires il est entré en commerce avec ladite Dame Guyon.

A dit qu’il n’a point eu de commerce avec ladite Dame Guyon que pour l’acquisition d’une maison sise à Paincourt qu’il a fait pour ladite Dame et pour son ordre.

- Si lui répondant n’avait pas une chambre dans ladite maison dans laquelle il avait son lit.

A dit qu’oui.

- D’où il a connu le gentilhomme qui avait aussi une chambre dans ladite maison.

A dit qu’il n’a point connaissance que ledit gentilhomme ait couché dans ladite maison.

- Comment s’appelait ledit gentilhomme.

A dit qu’il ne savait pas mais qu’il l’a entendu nommer par ladite Dame Guyon qui l’appellait monsieur Le Gras272.

- Si ledit gentilhomme n’a pas aidé à faire le déménagement de ladite Dame Guyon lors qu’elle est venue demeurer dans la maison à la maison de Paincourt.

A dit que ledit gentilhomme eu soin d’y faire venir et apporter quelques cartaux273 de vin.

[…]

- Si ledit gentilhomme n’est pas originaire de la province de Normandie et s’il ne portait pas ordinairement un justaucorps bleu lors qu’il venait dans ladite maison.

A dit qu’il ne sait de quelle province il est, qu’il ne l’a vu que dans la maison de Paincourt, et qu’il portait ordinairement un justaucorps bleu.

[…]

_- De quel nom ladite Dame Guyon était appelée dans la maison de Paincourt.

A dit qu’on l’appelait la Dame Bernard.

- Sous quel nom lui répondant a fait l’acquisition de la maison de Paincourt par ordre de ladite Dame.

A dit que le contrat d’acquisition n’en est pas encore passé, que le prix était convenu à trois mille cinq cent cinquante livres, avec le sieur Tiercelat, oncle de la demoiselle Bartelemy, et que l’acquisition devait être faite au nom de Marie de Lavau, l’une des filles qui sont au service de ladite Dame Guyon.

[…]

- S’il n’est pas vrai qu’il a aussi loué une maison par ordre de ladite Dame dans la rue Saint Germain l’Auxerrois.

A dit qu’oui… […]

Deuxième interrogatoire de Paul Couturier, le 9 janvier

[…]

- Quels papiers lui a donné Mme Guyon.

A dit qu’elle lui a donné deux ou trois cahiers qui doivent se trouver dans sa chambre.

- En quel temps elle les lui a donnés.

A dit que c’est depuis que ladite Dame Guyon est revenue de la ville de Meaux.

- Quelle est la matière qui est traitée dans lesdits cahiers, et pour quelle cause ladite Dame lui a donné lesdits cahiers.

A dit que c’était, à ce qu’il croit, des écrits faits par ladite Dame Guyon pour sa justification, et qu’il doit avoir encore quelques autres écrits qui ont rapport à ladite Dame Guyon, mais qu’il ne croit pas venir d’elle.

Avons représenté au dit répondant une boite d’argent où se sont trouvés seize petits cœurs d’or, laquelle boite était sur lui lors qu’il a été arrêté, interpellé de reconnaître le tout,

A dit que ladite boite lui appartient, et qu’à l’égard des seize petits cœurs d’or, il les a ôtés de la main d’une des petites figures de cire de l’Enfant Jésus qui était dans le cabinet de ladite Dame Guyon, craignant que lesdits cœurs ne se perdissent274.

- Si il sait quelle était la raison qui avait fait mettre lesdits seize cœurs d’or au lieu d’où il les a tirés, et si c’était des cœurs donnés ou offerts de la part de ceux qui étaient de la société des enfants du petit maître.

A dit qu’il n’en sait point la raison et qu’il n’a entendu parler qu’à la Dame Guyon de ces termes de Petit maître en disant : « C’est la chambre du petit Maître », ou : « C’est le cabinet de l’enfant Jésus. »

- S’il n’a pas eu le livre des Règles de la Société de l’Enfant Jésus275 composé par ladite Dame Guyon.

A dit qu’il en avait eu un, mais qu’il ne croit pas que ce soit de la composition de ladite Dame Guyon.

[…]276

Troisième interrogatoire de Paul Couturier, le 12 janvier

(Annot. marg.: troisième interrogatoire de Paul Couturier)

Du jeudi douzième janvier […]

Avons représenté au répondant deux cahiers manuscrits cotés aux marges sur la première page de chacun, desdits cahiers, du nombre cinq, et l'autre du nombre six, le premier desdits cahiers cotés sur chacune des pages depuis le nombre 90, jusqu'au nombre 113 ; et l'autre cahier coté sur la première page 114, jusqu'au nombre 145 : interpellé de les reconnaître,

A dit après avoir vu et considéré lesdits deux cahiers qu'on a dû les trouver dans sa chambre rue Thibault aux déz, et que la dame Guyon lui donna lesdits cahiers il peut y avoir environ un mois, et qu'ils sont au même état qu'ils étaient lorsque ladite dame lui a donné, et [319]277 qu'ils sont écrits de la main de l'une des filles qui sont auprès de ladite dame Guyon,

Pour quelle sujets ladite dame Guyon lui donna les dits cahiers manuscrits,

A dit que c'était pour les faire lire à lui répondant, et lui dit qu'elle les avait composés avec plus de 30 autres pour sa Justification,

Avons remontré au répondant qu'à moins que ladite dame Guyon ait eue dessein de rétracter la condamnation de ses livres, à laquelle ladite dame avait souscrit, elle ne peut avoir donné à lui répondant les cahiers que nous lui représentons pour justifier sa doctrine, et les sentiments qu'elle avait expliqués par ses livres et qu'elle avait reconnus juste de rétracter, qu'il doit déclarer sincèrement ce que ladite dame Guyon lui a dit sur ce sujet, si elle persistait dans la doctrine, et dans les sentiments qu'elle avait expliqués dans ses livres, ou si au contraire elle prétendait en demeurer à la rétractation qu'elle en avait fait, et se soumettre à la censure de ses livres,

A dit que ladite dame Guyon en lui donnant les dits cahiers pour les [320] lire, ne s'est pas expliquée à lui, et ne lui a pas dit non plus si elle persévérait dans sa soumission à la censure qui en avait été faite, qu'il n'avait vu ladite dame depuis deux ans entiers, lorsqu'au mois d'octobre dernier elle envoya prier de venir à Paris pour quelque affaire qu'elle avait, et que c'était pour faire l'acquisition de la maison de Paincourt dont le répondant a fait le marché par ordre de ladite dame,

Avons représenté au dit répondant un autre cahier manuscrit contenant seize feuillets ayant pour titre « communications, conversations », commençant sur la première page par ces mots « Profonde science, il y a de deux sortes de communications... », et finissant sur la dernière page par ces mots « profonde science ». Plus un autre cahier aussi manuscrit contenant douze feuillets, dont les six premiers sont écrits. Interpellé de le reconnaître,

A dit, après les avoir tenus et considérés, que tout ce qui est écrit sur lesdits cahiers, est entièrement écrit de sa main, et que c'est la copie des cahiers que ladite dame Guyon lui avait mis entre les mains pour en faire [321] la lecture, mais que ladite dame Guyon ne lui avait point dit d'en retenir des copies,

Avons représenté au dit répondant une autre pièce manuscrite commençant par ces mots « Car un … sait marcher », et finissant par ces autres mots « une personne qui va sur mer ». Interpellé de la reconnaître,

A dit après avoir vu ladite pièce, qu'elle est entièrement écrits de sa main, et que ce sont des passages qu'il a recueillis en divers endroits, et la minute d'une lettre qu'il a écrite à une de ses soeurs qui est religieuse Bernardine, a pour [nom] Royal Deschamps,

Avons aussi représenté au dit répondant une autre pièce en partie imprimée, et partie manuscrite sur du papier timbré, à la marge de laquelle est écrit le nom de Pointeau, signée Dapougny. Interpellé de la reconnaître,

A dit après l'avoir vue et considérée que c'est le traité fait par lui répondant avec le sieur Dapougny pour les droits seigneuriaux de l'achat qu'il devait faire de la maison où il a été assisté à Paincourt suivant l'ordre et la charge que lui en avait donné [322] ladite dame Guyon, et que ladite pièce doit avoir été dans sa chambre avec les autres pièces en dessus représentées,

Avons encore représenté au dit répondant un autre cahier paraphé Ce jour d'huy, coté à la marge « quatre », et sur la première page cotée 62, et sur la dernière 89. Ce dit cahier commençant par ces mots « quoi il désirait... », et finissant par ces autres mots « La certitude, à tous les autres ». Interpellé de la reconnaître,

A dit après avoir vu ladite pièce que c'est l'un des cahiers que le dame Guyon lui donna à lire dans le temps, qu'il a écrit dessus marqué avec les deux autres cahiers que nous venons de lui représenter, lequel cahier lui répondant laissa dans la chambre de la demoiselle Anne Pescherard quelque temps après que ladite dame Guyon les lui eut donnés, et lui répondant laissa ledit cahier à sa cousine pour en faire la lecture,

Avons représenté au dit répondant une autre pièce manuscrite contenant douze feuillets dont huit sont entièrement écrits. Interpellé de la reconnaître, [323]

A dit après avoir vu ladite pièce qu'elle est aussi entièrement écrite de sa main, à la réserve des deux dernières pages, et qu'il ne se peut souvenir de quelles personnes il a eu ladite pièce,

Ce[la] fait lesdites pièces ont été toutes paraphées par nous et par ledit répondant.

Si le prix de ladite maison de Paincourt lui a été mis entre les mains par ladite dame Guyon,

A dit que ladite dame étant encore dans la maison où elle demeurait dans la rue Saint-Germain lui remit deux mille livres que lui répondant porta au sieur de la Balle, notaire, qui devait passer les contrats lorsque la procuration serait venue, et que ledit de la Balle doit avoir encore entre ses mains ladite somme de deux mille livres,

Lecture faite du présent interrogatoire a dit ses réponses contenir vérité, y a persévéré, et a signé.278.

Quatrième interrogatoire de Paul Couturier, le 17 janvier

[324] Interrogatoire fait [...] au sieur abbé Cousturier [...] Du mardi dix-septième janvier [...]

A dit qu'il s'appelle Paul Couturier, âgé de 45 ans, clerc du diocèse de Paris, demeurant avant sa détention rue Thibault au dez ; en la ville de Paris.

Pourquoi étant encore gardé dans la maison de Paincourt, où il avait été arrêté, et pendant le séjour qu'il y a fait, logeant dans la chambre [325] de la dame Guyon, et avant qu'on transportât les meubles et les livres de la dite dame, ainsi qu'elle l'avait désiré, lui répondant a recherché certains livres, parmi les autres livres de la dame Guyon; il les en a séparés, et fait un paquet de ceux qu'il avait mis à part ; et si la dame Guyon lui avait donné ordre de séparer lesdit livres trouvés dans les paquets,

A dit que depuis le départ de ladite dame Guyon, il apprit qu'elle dût être arrêtée dans ladite maison de Paincourt. Lui répondant étant survenu et ayant été aussi arrêté, il fut mis dans la chambre de ladite dame Guyon, où il fut trois ou quatre jours, avant d'être transféré au lieu où il avait. Qu'il vit bien les livres de ladite dame Guyon, qui était dans ladite chambre ; mais qu'il n'en fit aucune séparation ni paquet de livres ; qu'il est bien vrai qu'il vit un paquet enveloppé, et couvert d'une toile cousue, qui était dans une armoire de la chambre, où étaient les livres de ladite dame Guyon ; et qu'ayant ouvert ledit paquet, il y vit quelques livres imprimés, dont quelques-uns étaient, autant qu'il s'en peut souvenir, couverts de papier bleu, avec d’autres, qu’il ne considère pas plus particulièrement. [f°203]

Avons représenté au répondant 28 volumes imprimés et reliés, dont 14 sont couverts de papier bleu ; l'un desdit livres reliés ayant pour titre « Le berger fidèle traduit de l'italien », le second ayant pour titre «Recueil curieux touchant l'éloquence française », le troisième ayant pour titre « Le dialogue du nouveau langage français italianisé », le quatrième ayant pour titre « Poésies chrétiennes et morales ». Le cinquième ayant pour titre « Fables choisies mises en vers par M. de La Fontaine », le sixième ayant pour titre « Amoris divini et humani antipathia », le septième ayant pour titre « Natalis tragediae », le huitième ayant pour titre « Histoire de l'admirable dom Guichot [Quichotte]», le neuvième ayant pour titre «Dona Maria des ayas » traduit de l'espagnol, tome troisième contenant « Où rien n'est impossible à l'amour, La femme est juge et partie, Le songe ou le jardin enchanté, L'esclave volontaire ». Le 10e ayant pour titre « Suite de la seconde partie de Bérenice », le 11e ayant pour titre « Le voyage de l'île d'amour à Lycidas », le 12e sans titre et commençant sur la première page « et noble et illustre personne messire Pierre de Corbinelly », le 13e ayant pour titre « les fables et la vie d'Esope », le 14e ayant pour titre « Peau d'Ane conte », le 15e [f°203v°] qui est l'un desdit livres couverts de papier bleu, ayant pour titre « Recueil nouveau des chansons et airs de cour, pour se divertir agréablement », le 16e ayant pour titre « L'histoire des sept sages de Rome », le 17e ayant pour titre « La terrible et merveilleuse vie de Robert le Diable », le 18e ayant pour titre « Les visions de dom Francisco de Quevedo », le 19e sans titre et ayant en titre de la première page ces mots « Huon de Bordeaux », le 20e ayant pour titre « l'histoire de Richard sans peur », le 21e ayant pour titre « Le thresor des plus belles chansons », le 22e ayant pour titre « Conférence agréable de deux paysans de Saint-Ouen et de Montmorency sur les affaires du temps », le 23e ayant pour titre « L'histoire des aventures heureuses et malheureuses de Fortunatus », le 24e ayant pour titre «L'histoire de Pierre de Provence, de la belle Magdeleine », le 25e ayant pour titre « L'histoire de Jean de Paris », le 26e ayant pour titre « L'aventurier Briseon, histoire facétieuse », le 27e ayant pour titre « Conversations [f°204] sur divers sujets », le 28e et dernier ayant pour titre « Accusation correcte du vrai pénitent », plus plusieurs cahiers imprimés et cousus ensemble, ayant pour titre « Bellérophon tragédie en musique ornée de ballets d'entrées, de machines, et de changements de théâtre », plus une autre pièce, composé de plusieurs cahiers imprimés, cousus, couverts de papier marbre, intitulé « Isis tragédie », plus une autre pièce qui a pour titre « Astrée tragédie, de M. de La Fontaine, représentée par l'Académie Royale de Musique », dans laquelle pièce, à la page 17, sont deux mots écrits à la main, en interligne et un autre mot aussi écrit à la main en interligne sur la 25e page ; plus une autre pièce composée de plusieurs cahiers imprimés qui paraissent aussi avoir été attachés et cousus ensemble, ladite pièce ayant pour titre «Phesiché [Psyché] tragédie représentée par l'Académie Royale de Musique » avec les six premiers feuillets qui ne sont pas cotés et ayant, à plusieurs des pages de ladite pièce, plusieurs interlignes d'écriture à la main, plus une autre pièce composée de plusieurs feuillets aussi imprimés qui paraissent avoir été attachés et cousus ensemble, ladite pièce [f°204v°] ayant pour titre « Acis et Galatée pastorale héroïque en musique », contenant 41 pages, avec les quatre premières et les quatre dernières qui ne sont cotées ; sur plusieurs des pages desdites pièces sont plusieurs interlignes d'écriture à la main, et aux marges de quelques-unes desdites pièces279. Interpellé de les reconnaître :

A dit après avoir vu et considéré toutes lesdits livres et autres pièces, que nous lui représentions, qu'après avoir décousu le paquet par un bout, avec tous lesdits livres et pièces et vu le titre de l'un des livres, couverts de papier bleu, que nous lui représentions, il n'en voulut pas voir davantage, mais ne put se souvenir du titre de celui desdit livres qu'il vit lorsqu'il ouvrit le paquet. Qu'il se souvenait bien néanmoins que ce qu'il put voir des livres qui étaient dans le paquet étaient les mêmes ou semblables à la forme extérieure de ce que nous lui représentions, et que les titres desdit livres qu'il vient de voir. Lui revient en mémoire que ladite dame Guyon [330] ayant fait venir de Champigny après les vendanges dernières, ainsi qu'il l'a ci-devant déclaré pour l'employer à l'acquisition de la maison de Paincourt, que ladite dame lui dit vouloir faire, pour l'une des filles, qui étaient auprès d'elle, et pour la récompenser de ses services. Ladite dame lui donna un petit livre couvert de papier bleu et qui avait pour titre « L'histoire de la belle Hélène », que ladite dame Guyon lui dit de lire ; et lui disant aussi que, prenant ladite pièce dans le sens spirituel, elle était bonne et instructive, mais lui répondant ; après l'avoir lu n'en fit aucun état ; et que ce fut dans la maison de la rue Saint-Germain l'auxerrois, avant que ladite dame alla à celle de Paincourt, qu'elle lui donna ledit livre.

Avons aussi représenté audit répondant une autre pièce imprimée, contenant huit pages aussi trouvée avec les susdits livres et pièces que nous lui avons ci-dessus représentées, ayant pour titre « Ordonnance de monseigneur l'archevêque de Paris, portant condamnation [331] de trois livres : le premier latin ayant pour titre «Orationis mentalis analisis etc. » les deux autres français, l'un intitulé « Moyen court et très facile de faire oraison » ; et l'autre qui porte pour titre « Cantique des cantiques interprétés selon le sens mystique », interpellé de la reconnaître et de déclarer s'il se souvient d'avoir vu la ladite pièce parmi ledit paquet de livres.

A dit qu'il ne se souvient point d'avoir vu ladite pièce avec lesdit livres et autres pièces représentées, ne les ayant vus que de la manière qu'il nous a ci-dessus déclarée.

Ce fait tous les susdits livres et pièces ont été par nous paraphés, et par ledit répondant.

Lecture faite du présent interrogatoire, a dit ses réponses contenir vérité, y a persévéré et signé ; ainsi signé de la Reynie, et Cousturier en la minute.280

Observations notées par La Reynie

Des notes sont prises peu avant ou ce même 17 janvier qui fixent l’impression ressentie par la Reynie, observateur raisonnable mais prévenu281 :

Observations.

J’ai observé avec beaucoup d’attention Mme Guyon la première fois que je l’ai vue et que je l’ai interrogée, son air, ses manières d’agir et de parler. Il m’a paru que cette femme peut avoir été bien faite, mais je ne sais si elle a eu beaucoup de grâce. Il n’y paraît rien de noble ni d’élevé dans ses manières, quoiqu’il y ait quelque chose d’altier, que je remarque sur son visage. Elle se possède assez, ses réponses sont assez justes, mais il ne paraît rien de brillant dans son esprit, il n’y paraît aucun feu, rien de surprenant, on peut même penser par tout ce que j'en ai reconnu cette première fois, que le génie n'en est ni extraordinaire ni élevé. Elle ne s'explique pas seulement en des termes ordinaires et simples, ce qui serait beaucoup estimé, elle manque ce sensible des politesses et elle a quelques expressions qui sont basses.

Elle ne paraît avoir aucun sentiment pour sa famille, c'est-à-dire pour son fils ni pour sa fille.

Son grand attrait est, ce semble, pour tout ce qui est mystérieux, et elle aime à être cachée pour se rechercher.

Elle s'est cachée sans aucune nécessité depuis son retour de Meaux et elle a préféré à la tranquillité d'une vie austère et commune parmi les siens, une autre sorte de vie obscure où elle est sans contraintes, agissant et se reposant comme il lui plaît.

Cela va même jusqu'au culte qu'elle néglige par cette même raison et en disant qu'elle était avertie qu'on [f°275] devait l'arrêter, elle s'est dispensée d'entendre la messe le jour de Noël dernier et il ne paraît pas depuis son retour de Meaux qu'elle ait été plus soigneuse de satisfaire aux préceptes, les autres jours de dimanches et de fête.

C'est un charme pour elle quand on la cherche sans la pouvoir trouver, Mme Guyon qu'on ne trouvait plus depuis qu'elle avait pris les noms de Mlle de Beaulieu et de Mme Bernard. Les trois maisons de sa rente, qu'elle avait en même temps, où elle demeurait inconnue, lui faisaient un grand plaisir

Les deux femmes qu'elle a avec elle l'une depuis 14 années l'autre depuis 8 lui conviennent tout à fait. La première appelée [un blanc] de Lavau, la suit dans ses voyages. L'autre appelée [blanc] Marc a été avec elle aux filles de Sainte-Marie à Meaux. C'est celle qui écrit ce que Mme Guyon compose et elle écrit autant et aussi bien qu'un bon scribe. L'abbé Couturier achetait la maison de Paincourt [un blanc] mille livres sous le nom de [blanc] de Lavau et c'était sans doute à son profit. Il s'est trouvé pour la nommée [blanc] Marc parmi les papiers de la dame Guyon un contrat par la ville de 100 livres de rente aux deniers 14 du [blanc] et que Mme Guyon a semblablement acquis au profit de cette fille.

[Trait de séparation282]

[…]

Ce que l'abbé Couturier a dit aujourd'hui par son interrogatoire du 17 de janvier 1696, à la représentation des mauvais livres, des pièces de théâtre et des autres pièces folles qu'on a trouvées dans la chambre où Mme Guyon tenait ses livres, paraît très considérable par rapport à ce point, en ce qu'il a dit qu'après les vendanges dernières Mme Guyon l'ayant fait venir de Champig[ny] où il était pour faire l'acquisition de la maison de Pincourt pour [blanc] Lavau sa servante, elle lui avait donné le livre [f°276v°] de la belle Hélène, qu'elle lui aurait dit de le lire et que ce livre entendu dans un sens spirituel était bon et instructif. Observer sur cela la qualité des autres livres, l’étude et l’usage qu’elle en a fait.

[…]

Le père de La Combe s’est expliqué d’une manière bien extraordinaire sur l’état de Mme Guyon et si ce qu’elle a répondu sur cela par son interrogatoire du 23 de janvie est sincère, touchant Janette, cela marque une grande illusion, et si ce n’est pas sincère, ce qui a donné lieu de faire cette réponse est encore bien plus mauvais et marque bien plus le venin de la doctrine et les horribles conséquences qui s’en peuvent tirer.

[…]

Premier interrogatoire de la demoiselle Pecherard, du 9 janvier

[…]

Interrogée combien il y a qu’elle connaît la Dame Guyon, et combien il y a qu’elle ne l’a vue.

A dit qu’elle la connaît il y a environ quatre à cinq années, et qu’il y avait environ quinze jours qu’elle avait vue…

[…]

- Ce que ledit abbé Couturier lui a dit de la société des personnes qui vivaient suivant les sentiments de ladite Dame Guyon, et qui en observaient les pratiques.

A dit que ledit abbé Couturier ne lui en avait point parlé, qu’il est bien vrai qu’elle a eu un livre qui a pour titre, suivant qu’elle s’en peut souvenir, Règle de l’enfant Jésus283, qui a été fait par ladite Dame Guyon, et qu’elle l’a acheté dans la rue Saint Jacques à l’enseigne du Scapulaire à ce qu’elle croit, et qu’elle a pareillement acheté deux autres livres de la composition de ladite Dame Guyon, dont l’un a pour titre Moyen court et facile et l’autre est une explication du Cantique des Cantiques284 et qu’elle a eu lesdit livres à cause de la permission qui lui a été accordée par monsieur le cardinal de Vendôme dans le temps de sa légation en France de lire les livres défendus, et même ayant communiqué au père Robine le petit livre des Règles de l’enfant Jésus, il lui marqua quelques endroits dudit livre, où il dit qu’il fallait prendre garde.

- Si elle n’a pas su qu’il y a des règles particulières pour ceux de la Société de ladite Dame Guyon, que l’on qualifie la petite Église, ou la Société des enfants du petit Maître.

A dit qu’en parlant à ladite Dame Guyon, elle a entendu plusieurs fois que ladite Dame Guyon s’est servie de ce terme de mon petit maître, mais que ce n’a point été par aucune Instruction, et que ladite Dame Guyon l’a menée plusieurs fois dans son cabinet où elle lui a montré plusieurs petites figures de cire de l’enfant Jésus, qu’elle disait être ces [sic] petits maîtres.

- Si elle n’a point entendu parler d’un Évangile nouveau composé pour les enfants du petit maître.

A dit que non285.

- Si ladite Dame Guyon ne s’est point servie de l’adresse d’elle répondante pour recevoir et pour écrire des lettres,

A dit que non.

Lecture faite du présent interrogatoire, a dit ses réponses contenir vérité, y a persévéré et a signé286.

Deuxième interrogatoire de la demoiselle Pecherard, du 12 janvier

[…]

Avons représenté à la répondante un cahier coté à la marge « quatre », ledit cahier contenant vingt-sept pages, la première desdites pages cotée 62, et la dernière 89, commençant par ces mots : « Quoi il désirait patiemment… » et finissant par ces autres mots : « …la certitude a tout [sic] les autres. » Interpellée de le reconnaître et de déclarer si c’est le cahier manuscrit dont elle a fait mention dans son précédent interrogatoire,

A dit après l’avoir vu et considéré que ledit cahier a dû être trouvé en l’état où il est dans un bureau qui est dans la chambre où elle demeurait avec sa sœur.

- En quel temps ledit cahier lui a été donné et par qui il lui a été donné,

A dit qu’il lui a été donné un peu avant la fête de Noël dernier par ledit abbé Couturier son cousin et lui dit que c’était la Dame Guyon qui l’avait donné audit abbé Couturier.

- Si ledit abbé Couturier avait eu charge de ladite Dame Guyon de remettre ledit cahier entre les mains d’elle répondante,

A dit que non, et que ledit abbé Couturier lui dit seulement, en lui laissant ledit cahier, que c’était des autorités des saints Pères que ladite Dame Guyon avait tirées de leurs livres pour sa justification287, qu’elle n’en connaît point le caractère et n’a jamais lu ledit cahier.

[Suivent d’autres enquêtes sur des textes qui ne sont pas de Mme Guyon].

1696 : Des interrogatoires répétés

Second interrogatoire de Mme Guyon, le 19 janvier 1696

Les lettres saisies lors de l’arrestation de la prévenue proviennent de son ancien confesseur La Combe, ainsi que de membres de la « petite Église », le cercle spirituel qu’il a réussi à rassembler autour de lui et qui comprend notamment le Sieur de Lasherous, aumônier de la prison de Lourdes. Elles permettent à la Reynie de rentrer dans le vif du sujet. L’expression des « colonnes de la petite Église » fait l’objet d’une vive attention ainsi qu’un projet de voyage à Barèges imprudemment commenté par les correspondants de Lourdes, pour terminer enfin par quelques points accessoires : l’argent et les livres envoyés à La Combe288.

Interrogatoire289 fait par nous Gabriel Nicolas de la Reynie conseiller ordinaire du roi en son Conseil d'État, de l'ordre du roi, à la dame Guyon prisonnière au château de Vincennes, auquel interrogatoire nous avons procédé ainsi qu'il ensuit :

Du jeudi dix-neuvième janvier 1696 dans le cabinet du donjon dudit château de Vincennes.

Interrogé de son nom, surnom, âge, qualité et demeure, après serment fait de dire et répondre vérité.

A dit qu’elle s’appelle Jeanne Marie Bouvier âgée290 de quarante sept ans ou environ veuve de Messire Jacques Guyon chevalier seigneur du Quesnoy demeurant avant sa détention et lors qu’elle a été arrêtée à Paincourt [Popaincourt] les Paris.

Avons représenté à la répondante deux pièces qui sont deux lettres missives paraphées le trente-et-unième décembre dernier, la première datée ce 10me d'octobre commençant par ces mots : « J'ai reçu la vostre du 22 me du mois passé », et finissant par ces mots « en notre Seigneur Jésus Christ plus que je ne saurais vous exprimer », la seconde datée ce onzième de novembre, commençant par ces mots « J’ai reçu la vostre du 28 me octobre » et finissant par ces autres mots « Inviolablement acquise et attachée avec la grâce de mon Dieu »291,

Interpellée de les reconnaître, et de déclarer en quel temps elle a reçues lesdites deux lettres missives,

A dit, après les avoir vues et examinées qu'elle les a reçues quelques jours avant de quitter la maison de la rue Saint-Germain-l'Auxerrois pour aller en celle de Paincourt [Popaincourt] où elle a été arrêtée.

- Par qui lesdites lettres lui ont été écrites.

A dit ce sont deux lettres qui lui ont été écrites par le père de la Combe, et qu’elle les a reçues trois semaines ou environ après la date de chacune desdites lettres.

- Si lesdites deux lettres ne sont pas écrites de deux différentes mains, et si elle connaît la personne qui a écrit les dernières parties de chacune desdites lettres.

A dit qu’elles sont écrites de [f°134] deux différentes mains, que la première partie de chacune desdites lettres est de l'écriture du père de la Combe, et que l'autre partie est écrite de la main d'un ecclésiastique qu'elle n'a jamais vu.

- Si elle ne sait pas que ledit ecclésiastique qui a écrit les dernières parties desdites lettres s'appelle le sieur de Lasherous et qu'il est aumônier du château de Lourdes.

A dit que oui.

Sous quelle adresse elle a reçue lesdites lettres.

A dit qu'elles les a reçues directement du bureau de la poste sous l'adresse la dame Bernard, rue Saint-Germain-l'Auxerrois où elle, répondante, demeurait.

- De quel lieu lesdites lettres lui ont été écrites.

A dit qu’elles lui ont été écrites (du château de Lourdes add.marg.) où le père de la Combe est par ordre du roi.

- Si la lettre datée ce 10e d'octobre n'est pas la réponse à une lettre qu'elle avait écrite le vingt-deux de septembre dernier292, et sur l’avis qu'elle avait donné au dit père de la Combe qu'elle irait au lieu où il est, sous prétexte d'avoir à prendre des eaux du côté de Pau.

A dit que ladite lettre est une réponse à celle qu'elle avait écrite au père de la Combe de la date qu'il est marqué par sa réponse, que sa première pensée avait été en se retirant de se mettre dans un couvent des filles de Sainte-Marie à Bordeaux, qu'après cela lui vint dans l'esprit d'aller prendre les eaux de Barèges293 et ensuite, ayant fait réflexion qu'on pourrait trouver quelque méchante interprétation à donner à ce voyage, elle écrivit au dit père de la Combe que la saison de l'hiver ne lui pouvait permettre de faire ce voyage.

- Ce qu’elle a entendu après les témoignages de la satisfaction que le père de La Combe prétendait avoir en la voyant, par les termes de la même lettre, qui sont au commencement de la première page de la lettre du dixième octobre « toute la petite Église de ce lieu en serait ravie ».

A dit que c'est une manière de parler dont le père de La Combe a accoutumé de se servir, et qu'elle ne connaît point cette petite Église.

- Si elle ne sait pas de quelles personnes cette petite Église est composée.

[f°135] A dit qu'elle ne sait point qu'elle soit composée d'autres per­sonnes que d'une fille appelée Jeannette et de deux autres filles dont elle ne sait pas le nom et n’en a d'autre connaissance que celle que ledit père de La Combe lui en a donné, et le dit sieur de Lasherous, ne les ayant jamais vues.

Avons remontré à la répondante que si le père de La Combe n'avait voulu lui faire connaître que trois personnes seulement, il ne lui aurait pas écrit comme il a fait en ces termes « Toute la petite église de ce lieu en serait ravie » et il n’y aurait pas ajouté non plus ces autres termes « Les amis et amies de ce lieu vous honorent et vous aiment constamment, principalement ceux qui sont comme les colonnes de la petite Église294», et il ne se serait pas expliqué de cette sorte si en effet elle répondante n’avait connu les amis et les amies qu’elle avait en ce même lieu, et que ledit père de La Combe lui a désignés comme « les colonnes de la petite Église ».­

A dit qu’elle ne connaît point plus particulièrement quelles personnes ledit père de La Combe a prétendu désigner par ces termes « les colonnes de la petite Église », que ledit père de La Combe lui a écrit plusieurs fois avec des sentiments d’une grande estime pour celle qui s'appelle du nom de Jeannette, qu’il [qu’elle] ne voyait pas néanmoins, et qui était d'une grande vertu et à laquelle Dieu avait donné une connaissance particulière d'elle répondante.

Lui avons remontré que si elle n’avait d’autre connaissance que celle qu'elle nous dit avoir de la petite église et de ceux qui la composent dans le lieu où le père de La Combe est actuel­lement, le sieur de Lasheroux qui a aussi écrit à elle répondante dans la même lettre du père de la Combe, datée du 10e octobre qui lui est représentée, n'aurait pas qualifié elle répondante comme il a fait du titre entre autres « de mère des Enfants de la petite Église »295 si les enfants de cette petite Église lui avaient été inconnus et si elle n'avait pas su ce que c'était que cette petite Église.

A dit qu'elle ne peut dire autre chose sur cela que ce qu'elle nous vient de déclarer, et que c'est au père de La Combe et au sieur Lasheroux à déclarer et à dire de quelles personnes ils pré­tendent qu'est composée cette petite Église.

[f°136] Avons remontré à la répondante qu'il est difficile de présu­mer que le père de La Combe et le sieur de Lasheroux lui eussent écrit comme ils ont fait sur le sujet de cette petite Église, si elle répondante n'en avait pas été plus particulièrement infor­mée, et ledit père de La Combe ne se serait pas encore expliqué en ces autres termes qui sont sur la fin de la quatrième page de ladite lettre « les amis de confidence de ce lieu en attendent le succès. Nous avons recommandé la chose a Dieu dans nos saints sacrifices, et nous continuerons si le maître de la vie et de la mort n'en dispose autrement et y avons engagé toutes les bonnes âmes de ce lieu, et singulièrement, celle de l'étroite confidence296».

A dit que c'est ledit sieur de Lasheroux qui s'est expliqué en ces termes et que c'est à lui à dire ce qu'il a entendu en les écri­vant, et qu'à son égard d'elle répondante, elle n'entend autre chose par les termes dont s'est servi ledit sieur de Lasheroux que de bonnes âmes qui sont plus particulièrement attachées à Dieu.

- Ce qu'elle a entendu par ces autres termes de ladite lettre « nous défendrons à Jeannette de mourir avant qu'elle vous ait veue. Quelle joye n'aurait-elle point de vous embrasser avant que de sortir de ce monde, vous étant si étroitement unie, et pénétrant si vivement votre état297. »

A dit qu'elle a entendu suivant que le père de La Combe lui a témoigné que c'est une fille, à qui Dieu a donné des vues à l'égard d'elle répondante.

- S'il n'est pas vrai qu'elle répondante a eu commerce par lettre avec ladite Jeannette.

A dit que ladite Jeannette lui écrivit il y a environ cinq ou six années, et lui marqua que Dieu lui avait donné une connaissance particulière d'elle répondante298 - elle lui fit réponse en ce même temps-là par un billet assez court, qu'elle se recomman­dait à ses souffrances et à ses prières et qu'elles demeureraient unies en Dieu.

Avons remontré à la répondante qu'il paraît par ces autres termes de ladite lettre du père de la Combe qu'elle a encore écrit depuis peu à ladite Jeannette : « votre billet quoique si court l’a extrêmement réjouie. Elle vous est toujours plus acquise si l'on peut dire qu'on puisse l’être davantage299. »

[f°137] A dit qu'il peut bien être qu'elle a écrit un billet séparé en écrivant au père de la Combe, où elle a écrit dans la même lettre quelques lignes pour ladite Jeannette pour lui marquer qu'elle était toujours unie à elle, et ne le peut dire plus particulièrement.

- Pour quelle cause elle a jugé nécessaire en partant de Meaux de dire qu'elle avait besoin d'aller aux eaux quoique en effet elle n'eût pas l'intention d'en prendre, ainsi qu'il paraît par lesdites lettres représentées.

A dit qu’elle croyait en avoir besoin et que c'était son intention d'y aller.

Lui avons remontré que si elle avait cru avoir besoin d'aller prendre les eaux, et si en effet le voyage qu'elle prétendait faire du côté des Pyrénées avait été pour y prendre des eaux, elle n’aurait pas fait tous les projets qu'il paraît qu'elle a concertés avec le père de la Combe et le sieur de Lasherous, pour être inconnue en changeant de nom et en pratiquant tout ce qui paraît qu'on lui proposait de faire pour demeurer cachée dans le lieu où le père de la Combe a été envoyé.

A dit que son dessein était d'aller aux eaux de Bourbon300, mais que, ayant laissé passer la saison sur l’avis qu’il lui fut donné qu'il y avait ordre d'observer quand elle passerait sur la route de Bourbon, il lui vint en pensée, ainsi qu'elle l’a ci-dessus déclaré, d'aller prendre les eaux du côté des Pyrénées301.

- Quelle nécessité elle a cru avoir de disparaître et de se cacher sans aucune participation de sa famille et de ses propres enfants.

A dit qu'elle avait été cachée pendant plus d’une année et demie avant d'aller à Meaux et que sa conduite avait été approuvée en cela même, et qu’étant toujours accusée de dogmatiser dans l’Église de Dieu, elle avait cru que le meilleur parti qu'elle pouvait prendre était celui de demeurer cachée et inconnue.

Avons remontré à la répondante que supposé que ce parti eût été juste et raisonnable, elle devait au moins éviter d'aller au lieu où elle savait que le père de la Combe était par ordre du roi, et que le dessein de vivre inconnue et cachée dans ce même lieu ne pouvait jamais être approuvé.

[f°138] A dit qu'elle n'a jamais eu ce dessein, mais seulement d'y passer quinze jours et de se retirer après cela.

Avons remontré à la répondante que les deux lettres que nous lui représentons, font connaître qu'elle, aussi bien que le père de la Combe, avaient fait un autre projet.

A dit qu’elle nous a déclaré la vérité et qu'après la première pensée qui lui était venue, elle l’avait presque aussitôt rejetée et improuvée, qu'il paraît même qu'elle n'a pas eu dessein de l'exécuter, ayant fait depuis l'acquisition de la petite maison de Paincourt [Popaincourt] où elle a été arrêtée, pour y rester inconnue et cachée.

Ayant remontré à la répondante qu'il paraît que l'acquisition qu'elle faisait de ladite maison de Paincourt était pour en gratifier l'une des filles qui étaient auprès d'elle, et que d'ailleurs la maison de Paincourt lui pouvait servir à la tenir cachée jusqu'au temps qu’elle eût voulu faire le voyage proposé du côté des Pyrénées.

A dit qu’elle faisait état de prendre une contre-lettre de la fille sous le nom de laquelle l'acquisition de la maison devait être faite, et à l'égard du voyage des Pyrénées, elle avait changé de dessein ainsi qu'elle nous l’a dit, et pour preuve qu'elle n'avait aucune intention de faire le voyage des Pyrénées, le sieur de Piailliere [La Pialière] gentilhomme de Normandie dont il a été fait mention par son premier interrogatoire, peut dire qu'elle, répondante, l'avait prié de chercher en Normandie un couvent où elle pût être et demeurer inconnue.

Avons remontré à la répondante que suivant ce que le père de la Combe lui a écrit par sa lettre du 10e octobre, elle lui avait envoyé une lettre de change. Interpellée de déclarer de quelle somme était ladite lettre de change.

A dit que ladite lettre de change était de cinquante livres seulement, et qu'elle lui en a envoyé de temps en temps, et pour ses besoins seulement, et qu’elle lui a fait tenir plus d’argent cette année, ainsi qu'il est marqué par ladite lettre que les années précédentes, parce qu'il avait besoin de linge et d’être habillé.

- Quel était le paquet de livres qu'elle, répondante, avait envoyés au père de la Combe, et dont il fait mention dans ladite lettre,

A dit que c'était un livre que M. Nicole avait fait contre le livre du Moyen court et facile302, et une Explication manuscrite de l'Apocalypse qu'elle, répondante, avait faite il y avait près de dix ans et qu'elle lui envoyait ce manuscrit afin qu'il le corrigeât, ou qu’il en fît ce qu'il voudrait, elle, répondante, n’en voulant plus garder aucun.

- Si c'est au sujet du manuscrit et Explication de l'Apocalypse que le dit père de la Combe lui a écrit par sa dite lettre du 10e d'octobre dernier : « Votre Explication de l'Apocalypse me paraît très belle, très solide, et très utile. Je ne m'étends pas davantage jusqu'à ce que je sache si notre nouvelle adresse réussira »,

A dit que c'est du manuscrit qu'elle avait envoyé audit père de la Combe qu’il lui a écrit en ces termes.

Avons remontré à la répondante qu'en envoyant comme elle a fait le manuscrit de l’Explication de l'Apocalypse de sa composition d'elle, répondante, au père de La Combe pour le corriger et le revoir, elle ne s’est pas tenue dans les termes qu'elle avait promis de se tenir après ses déclarations, et la soumission qu'elle avait témoigné vouloir rendre à ceux qui avaient examiné sa doctrine et ses livres.

A dit qu'elle avait envoyé ledit manuscrit au père de La Combe pour l'examiner, pour le corriger, même le brûler s'il le jugeait à propos et pour en faire tout ce qu'il voudrait.

Avons remontré à elle, répondante, qu’en se rapportant au père de la Combe de faire dudit manuscrit ce qu’il jugerait à propos, c'était se soumettre au père de la Combe et non à ceux qui ont eu autorité et droit de juger de sa doctrine et de lui prescrire des règles pour sa conduite.

A dit que ne voulant garder aucun des manuscrits qu'elle avait eus en son pouvoir, elle avait envoyé ce manuscrit au père de La Combe ainsi qu'elle nous l’a déclaré ci-dessus.

Ce fait, avons paraphé lesdites deux lettres missives représentées et les avons fait parapher par ladite répondante.

Lecture faite du présent interrogatoire, A dit ses réponses contenir des vérités et y a persévéré et a signé la minute.

Signé Jeanne M. Bouvier et de La Reynie.

Résumé, suggestions et notes de La Reynie

Une lettre de La Reynie à Pontchartrain303 résume les renseignements obtenus sur Mme Guyon, sur le P. de la Combe, etc., à l’issue des interrogatoires de ses proches et de deux interrogatoires de la prévenue. Elle porte sur le projet de voyage de Mme Guyon et sur la « petite Église » que La Combe a constituée car « il y a certainement un nombre de personnes que le père de La Combe a séduites », dont le prêtre aumônier de la prison Lasherous304 qui y a « titre et crédit ». Il suggère aussi quelques mesures à « faire du côté de Lourdes », car tout progrès de cette « secte » n’est pas à exclure – ni peut-être une fuite hors du royaume ; et il faut préparer la suite de l’enquête.

Ce 22 janvier 1696.

Monsieur,

Par deux lettres que Mme Guyon a reconnues et que le père de la Combe lui a écrites aux mois d'octobre et de novembre derniers, peu de temps avant qu'elle ait été arrêtée, et par les éclaircissements qu'elle a commencé de donner, il paraît qu'elle a conservé et entretenu un commerce particulier de lettres avec le père de la Combe, même dans les temps qu'elle rendait raison de sa doctrine, de ses écrits et de sa conduite, et qu'elle donnait par écrit et autrement des assurances de sa soumission.

Mme Guyon depuis son retour du couvent des filles de Sainte-Marie de Meaux, avait fait état de disparaître, de passer ensuite inconnue et de se retirer dans le lieu même où le père de la Combe est actuellement par ordre du roi.

La route lui avait été marquée par le père de la Combe, aussi bien que ce qu'elle ferait, étant sur les lieux, pour se dire et passer pour être parente du père de la Combe du côté de la mère qui était de Franche-Comté avec ce qu'il faudrait qu'elle fît du reste pour n’être connue que de ceux de la petite Église de Lourdes et de ceux qui sont de l'étroite confidence305.

Il paraît, Monsieur, par ces mêmes lettres, que ce voyage a été remis jusqu'après l'hiver. Mme Guyon dit sur cela qu'après avoir fait quelque réflexion sur le dessein de ce voyage, elle l’avait abandonné, et que lorsqu'elle y avait pensé, c'était uniquement pour voir le père de la Combe et pour passer quinze jours seulement dans le lieu où il est. Cependant, Monsieur, il n'est pas impossible que le projet de ce voyage qui paraît avoir été médité et fortement désiré, n’ait toujours subsisté et [f°21v°] qu'il n'ait été remis à un autre temps plus convenable par des raisons particulières. Le crédit et la liberté que le père de la Combe s'est acquis cependant dans le château de Lourdes, pourraient bien aussi le faire soupçonner, aussi bien que Mme Guyon, d'avoir pensé à quelque moyen de sortir du Royaume306.

La ville et le château de Lourdes sont situés dans le Comté de Bigorre du côté de Béarn, à huit lieues de Pau et à sept lieues de Tarbes. C'est dans cette ville et dans le château de Lourdes, où le père de La Combe est actuellement par ordre du roi, et qu'il y a certainement un nombre de personnes que le père de La Combe a séduites, qui font ensemble, selon qu'il l’a écrit, une petite Église dans ce lieu et qu’il dit être de l'étroite confidence, et il en désigne même les personnes qui sont les plus considérables, en les appelant les colonnes de la petite Église. Mme Guyon est aussi qualifiée du titre de mère de la petite Église, et il y a sur les lieux une femme, entre autres, connue à Lourdes sous le nom de Jeannette, qui a été inspirée, instruite ou dressée sur le modèle de Mme Guyon, qui, s'il peut être permis de le dire, paraît être une sainte de la petite Église. Mme Guyon ne fait même aucune difficulté de dire que Dieu a donné réciproquement à Jeannette et à elle de grandes connaissances l'une de l'autre, sans qu’elles se soient jamais vues. Le sieur de La Sherous, prêtre et aumônier du château de Lourdes, est tellement persuadé des opinions du père de la Combe et attaché de telle sorte à lui et à Mme Guyon, que lui et le père de la Combe écrivent la même chose, que leurs lettres à Mme Guyon sont en partie écrites de la main du père de la Combe, et en partie de la main du sieur de La Sherous, et ce prêtre qui est aussi de la petite Église [f°22] et de ce qu'on appelle de l'étroite confidence, en sait autant que le père de la Combe et il écrit comme lui du secret de la secte, et il assure Mme Guyon qu’il soutiendra partout sa doctrine et qu'il n’en rougira jamais.

Tout cela supposé, il semble, Monsieur, qu'il y ait dès cette heure quelque chose à faire du côté de Lourdes pour remédier au mal qui peut être déjà fait et pour en empêcher le progrès.

Il serait bon apparemment de saisir les papiers du père de La Combe et ceux du sieur de Lasherous et d'en faire autant à l'égard de Jeannette, et on trouvera entre les mains du père de La Combe le manuscrit de l'Explication de l'Apocalypse fait par Mme Guyon, qu'elle lui a envoyé pour le revoir depuis qu'elle est revenue de Meaux. Mais tout ce qu'il plaira au roi d'ordonner sur ce sujet, doit être, s'il est possible, exécuté et ménagé sur les lieux par quelque personne sage et habile, d'autant plus qu’à l'égard du château de Lourdes, le sieur de La Sherous n’y est pas seulement avec un titre et du crédit, mais encore parce que sa parenté paraît être considérable à Lourdes. D'un autre côté on croit que le Gouverneur ou Commandant du château est aussi tellement prévenu et rempli du père de la Combe, qu'on peut douter à cet égard qu'il soit autant exact qu'il pourrait être désiré307.

Il est échappé au père de La Combe dans ses deux dernières lettres, d’y marquer des sentiments et d’y employer des expressions assez fortes pour faire juger non seulement qu'il persiste dans la doctrine condamnée, mais encore qu'il est dans des pratiques extraordinaires qu'il serait peut-être dangereux de dissimuler après les avoir découvertes, et dont le père de La Combe pourrait être aussi justement obligé de rendre raison à ceux qui auront droit de les examiner ; [f°22v°] et si Sa Majesté jugeait cependant qu'il fût à propos d'ôter le père de La Combe du lieu où il est, peut-être serait-il bon de l'approcher à quelque distance de Paris, tant par cette considération que pour être plus sûrement et plus exactement gardé. J'ai, Monsieur, encore beaucoup de choses à éclaircir sur son sujet avec Mme Guyon et sur d'autres articles, et je serais nécessairement obligé d'y employer plus de temps que je n'avais pensé. Mme Guyon a eu, à ce qu'elle a dit, quelques accès de fièvre et elle a pris ces trois derniers jours pour faire des remèdes, mais je la dois revoir demain. Je suis, etc.308

Le même La Reynie donne, dans des pièces diverses rassemblées en fin du recueil manuscrit, le résumé d’une autre lettre envoyée au même ministre ; suivent des notes diverses qu’il sépare par des traits et dont nous donnons quelques extraits lorsqu’elles présentent un intérêt factuel309 :

Voilà la lettre que j'ai écrit le 22 janvier [sic] à M. de Pontchart[rain] :

Par l'interrogatoire du 26 janvier il paraît : 1° Que non seulement elle a écrit du couvent de Meaux au père de La Combe, mais qu'elle lui a aussi envoyé la copie des 34 articles que M. de Meaux lui a donnés et qu'elle a souscrits, mais aussi la copie de la soumission qu'elle a souscrite.

2° Que le projet de la conversion des calvinistes de Genève est, en le supposant véritable et indépendant de tout autre motif, est contre le bon sens. Qu'une jeune femme veuve belle et riche qui a trois enfants à élever quitte sa famille et ses parents et s'en va avec un de ses enfants, une jeune fille de cinq ans pour aller convertir de Genève, s'attache au père de La Combe jeune religieux et le suit partout avec peu de décence et de circonspection, rôde de lieu en lieu hors du royaume pendant plusieurs années et ne revient en France que lorsque le père de La Combe trouve moyen d'y rester avec elle.

Cette conduite toute romanesque et peu édifiante en tout ne saurait donner aucune haute idée de l’esprit et de la sagesse de cette femme et les fruits qu’un tel arbre produit ne doivent pas <être> naturellement exquis et il y a grand sujet de se défier que le moine qui est très habile ait gâté la tête de cette femme, que pour la faire estimer il ne l’ait instruite de la nouvelle doctrine qu’elle s’attribue et qu’avec son secours elle fasse des livres, qu’elle fasse des Explications de l’Apocalypse, du Cantique des cantiques, les Torrens, etc. En vérité il y a de quoi [f°277v°] s’étonner que des personnes éclairées aient pu se laisser surprendre par une femme dont les talents sont médiocres et l’apprêt de peu d’étendue presque vulgaire.

[…]

Comme elle a envoyé au père de La Combe à Lourdes depuis la condamnation de ses livres et depuis sa soumission, le manuscrit de l'Apocalypse pour le revoir et pour le corriger ; elle a d’un autre côté donné au père Alleaume, jésuite du collège de Louis le Grand, le livre du Cantique des cantiques pour le revoir aussi et pour le corriger310. / Les corrections qu'il a envoyées à Mme Guyon sont écrites de sa main et font connaître que les fautes qu'il qualifie fautes de langage ne sont d'aucun auteur français et qu’elles peuvent être plus justement attribuées à un piémontais savoyard tel que le père de La Combe, qu’à une parisienne ou bien à une femme de Montargis. / L'aventure du père Alleaume par rapport à Mme Guyon ne peut être avantageux à cette dame. Cela mérite d'être examiné de plus près, et d'être montré s'il y a lieu, afin [f°278] de discréditer les manières extraordinaires qui sont écartées de la voie marquée par les Écritures, dans le sens que l'Église l’entend et de désabuser de ces pratiques, ceux qui les croient de bonne foi, bonnes et plus dévotes.

Le demi-frère de Mme Guyon, Dominique La Mothe, qui vivra jusqu’en 1701, est peut-être la « personne digne de toutes créances », l’informateur qui vient en complément de ce que l’on pouvait connaître par la Vie dont un manuscrit fut confié à Bossuet :

[f°280] J'ai appris aujourd'hui d'une personne digne de toutes créances par sa probité, par sa vertu et par son bon esprit, dont je me dispense d'écrire le nom, qui connaît Mme Guyon à fond et qui en connaît de longue main les dispositions et la conduite, que le mari de Mme Guyon était (bien biffé) [avait ?] à ce qu'elle croit bien des intérêts dans l'entreprise du canal de Briare et du côté de Montargis311.

Mme Guyon était très belle et elle est restée veuve à l’âge de 27 ans ou environ, sa conduite du côté de l’honnêteté a été dès ce temps-là si bonne et si sage qu’on n’y a jamais trouvé rien à dire312. / Elle était d’ailleurs dans l’exercice des oeuvres de piété et de charité, elle s’appliquait à servir les pauvres à Montargis et à toutes sortes de bonnes œuvres. / Mme Guyon avait aussi beaucoup de zèle pour la conversion des hérétiques et elle s’y appliqua particulièrement et à instruire elle-même ceux qu’elle trouvait disposés à l’écouter.

Elle prit une fille à Montargis aussi très belle et très bien faite, qui avait dessein d'être religieuse, mais qui n'avait aucun bien de fortune. Elle prit aussi avec elle deux ou trois sœurs de la maison des Nouvelles Catholiques de Paris [f°280v°] et fut avec elles par Lyon au pays de Gex. […]

[la suite rapporte ce que l’on peut trouver dans la Vie]

La Reynie établit une liste de points à élucider :

Mme Guyon et le père de La Combe obligés de sortir du diocèse de Verceil, de Thonon et de Grenoble

Mme Guyon le père de La Combe arrêtés

Mme Guyon mise dans des maisons religieuses par ordre du roi

quand et en quel lieu

comment sortis

[…]

[Trait]

L'esprit de Mme Guyon est insinuant, elle se possède beaucoup, elle veut toujours s'insinuer et elle s'est insinuée en effet, elle a été négligée et elle a fait beaucoup de progrès, on la célèbre et cela encore affermira davantage les personnes qui lui sont attachées […]

[Trait]

Je sais par un autre bon endroit bien sûr que Mme Guyon croit être la femme forte, la femme de l'Apocalypse et qu’elle doit vivre dans le désert et la bête en est blessée par conséquent ; elle croit avoir la puissance de faire mourir qui bon lui semblera, elle a été jusqu’à ce point d’extravagance de le dire sérieusement depuis six mois à une personne de créance qui me l’a dit.

[Trait]

Mme Guyon se soumet à tout, elle condamne tout ce qu’on veut sans peine mais elle ne change point de sentiment et elle agit en cela sur des principes qui lui sont particuliers [f°281v°] et qui rendent aussi ses élucubrations ou déclarations beaucoup moins coupables et on doit par cette raison agir avec elle avec précaution et ne s’y confier que de bonne sorte.

[Trait]

J'ai aussi appris par un homme de qualité, homme grave par son âge, que M. l'évêque de Marseille lui avait dit au sujet de Mme Guyon qu'étant à Marseille on lui donna avis qu'une femme avec deux filles et deux ecclésiastiques, logés quelques jours dans une maison de Marseille, y mangèrent de la viande les vendredis et samedis de même que les autres jours sans qu’il parût qu'ils fussent malades ou incommodés, sur quoi M. de Marseille les ayant fait observer et eux s'en étant aperçus, ils s'étaient retirés. M. de Marseille avait su que c'était Mme Guyon313.

Interroger en quel temps ce voyage

Les personnes qui l'accompagnèrent

[Trait suivi de blanc : fin du f°]

Les dernières pièces sont des transcriptions de lettres, qui ont dû servir d’informations à la Reynie, dont celle de M. d’Aranthon314 du 8 février 1695, citée par Fénelon dans sa Réponse à la Relation sur le quiétisme [de Bossuet] :

M. / […] On vous a fait une injustice, si on vous a imputé d'être venu dans ce pays pour y prendre des armes contre la dame que vous me nommez. C'est à quoi nous n'avons songé ni vous ni moi. Dieu le sait et les hommes le reconnaîtront un jour. Je ne vous ai jamais ouï parler d'elle qu'avec beaucoup d'estime et de respect, et ma mémoire ni ma conscience ne me reproche pas d'en avoir jamais parlé autrement. Si elle a eu quelques chagrins à Paris, elle ne les doit imputer qu'aux liaisons qu'elle a eues au père de La Combe, avant même que j'eusse le bien de la connaître. Et l'on ajoute qu'elle s'est fait des affaires par des communications et des [f°282v°] conférences qu'elle a eues dans Paris avec quelques personnes, du parti du quiétisme outré. Quelque éloignement que je lui ai toujours témoigné d’avoir pour cette doctrine et pour les livres du Père de la Combe, j’ai toujours parlé de la piété et des mœurs de cette dame avec éloge. Voilà en peu de mots, les véritables sentiments où j’ai toujours été à son égard, et qui vous doivent faire connaître dans quelles dispositions je suis pour tout ce qui peut vous intéresser, etc.315



Troisième interrogatoire de Mme Guyon, le 23 janvier 1696

La Reynie revient sur les deux lettres en provenance de Lourdes, pour en savoir plus sur les intermédiaires entre Paris et Lourdes. Il reprend les questions sur la secte présumée de la « petite Église » à partir des phrases malheureuses écrites par La Combe et par de Lasherous. Enfin le surnom de famille donné à Marie de Lavau lui pose toujours problème.

[f°140] Interrogatoire fait par nous Gabriel Nicolas de la Reynie conseiller ordinaire du roi en son conseil d'État de l'ordre du roi à la dame Guyon, prisonnière au château de Vincennes, auquel interrogatoire nous avons procédé ainsi qu'il s'ensuit,

Du lundi 23e jour de janvier 1696 dans le cabinet du donjon du château de Vincennes,

Interrogé de son nom, surnom, âge, qualité et demeure, a prêté serment fait de dire et répondre vérité,

A dit qu'elle s'appelle Jeanne Marie Bouvier âgée de 47 ans, veuve de messire Jacques Guyon chevalier seigneur du Quesnoy, demeurant avant sa détention à Paincourt les Paris,

Avons remis entre les mains de la répondante deux pièces par elle paraphées et lues ce 31 décembre dernier et 19e du présent mois datées du 10 octobre et 11 novembre, qui sont deux lettres et missives qu'elle a reconnues par son dernier interrogatoire lui avoir été écrites du château de Lourdes par le père de la Combe, et par Le Sieur Lashérous prêtre aumônier dudit château. Interpellée de déclarer quelle est la nouvelle adresse sous laquelle elle a reçu les deux dernières lettres, et dont celle qui est datée du 10 octobre,

A dit que ç'a été par la voie du bureau de la poste sous l'adresse de Mme Bernard,

Quelle était l'adresse dont elle se servait auparavant,

A dit qu'elle était sous le nom de demoiselle de Beaulieu au pavillon Adam au faubourg Saint-Antoine,

Si elle a toujours adressé toutes les lettres qu'elle a écrit[es], et ce qu'elle a envoyé au père de La Combe depuis qu'il est au château de Lourdes, à monsieur de Normande chez monsieur de Colomer banquier, rue de Peyré à Toulouse, pour faire tenir à monsieur de Lasherous de Cobotte,

A dit qu'elle n'a adressé que les seules lettres de change et un paquet de livres dont elle nous a parlé par son dernier interrogatoire au sieur de Normande chez le sieur Colomer banquier, et qu'à l'égard des lettres et missives elle les a [f°141] toujours adressées à Tarbes à monsieur Cossiève, prêtre prébandier de l'Église Saint-Jean de Tarbes, et que ce sont les adresses qui lui ont été envoyées de ce lieu même,

Avons représenté à la répondante deux pièces paraphées et cotées 20 et 25. Interpellée de les reconnaître, et de déclarer de quelle main elles sont écrites,

A dit après les avoir tenues que ce sont les adresses qui lui ont été envoyées, dont elle vient de faire mention pour mettre sur les lettres qu'elle répondante écrivait au père de la Combe, que la pièce cotée 25 est écrite de la main de la nommée Marc qui est à son service. Et à l'égard de la pièce cotée vingtième elle est écrite de la main d'un gentilhomme appelé M. Dupuis [Dupuy] qui faisait toutes les affaires d'elle répondante, et qui recevait même sa pension avant qu'elle fut à Meaux. Et elle étant à Meaux, elle reçut une lettre par la voie de monsieur l'évêque de Meaux, par laquelle le dit sieur Dupuis lui donna avis qu'il lui avait été fait défense de se mêler à l'avenir de ses affaires, qu'il ne s'en mêlerait plus ; et en effet depuis ce temps le dit sieur Dupuis ne s'en est plus mêlé,

Ce qu'elle répondante a envoyée au père de La Combe depuis qu'il est à Lourdes :

A dit qu'autant qu'elle s'en peut souvenir, elle a envoyé en divers temps, et à plusieurs fois, savoir le dictionnaire de Moreri en trois volumes. Une autre fois des oignons de fleurs et de plantes à cause que le dit père de La Combe avait soin du jardin du château de Lourdes ; qu'elle lui a envoyé un surplis ; deux bréviaires en quatre parties chacun ; le mandement de monsieur l'archevêque de Paris316 contre les livres compris dans le même mandement au nombre desquels est Le Moyen court et facile,

Si elle répondante a communiqué au père de La Combe les cahiers qu'elle a dit avoir remis entre les mains de monsieur l'évêque de Meaux avant de les lui remettre,

A dit que non, et qu’il lui aurait été impossible de faire, n'ayant eu que cinq semaines de temps pour les faire, et que le père de La Combe ne les a tenus ni avant ni après qu'ils ont été faits,

S'il n'est pas vrai qu'elle a informé le père de La Combe étant à Meaux de [f°142] tout ce qui se passait à son égard et qu'elle lui a aussi fait savoir ce qu'elle avait souffert,

A dit qu'elle ne lui a point écrit qu'elle dût aller à Meaux, et qu'elle n’était par elle-même avertie du temps qu'elle serait obligée d'y aller, qu'étant dans le couvent de Sainte-Marie à Meaux depuis le treizième317 janvier 1695 jusqu'au treizième juillet en suivant elle n'a écrit ni reçu aucune lettre que par les mains de la supérieure du couvent suivant l'ordre qu'elle en avait reçu de M. de Meaux. Qu'il est vrai qu'étant tombée malade dans le dit couvent et se sentant assez mal, elle écrivit une lettre au père de La Combe qu'elle remit ouverte entre les mains de la supérieure, du moins à une religieuse qui avait soin de cacheter les lettres,

Si lors qu'elle fit sortir du couvent la nommée Marc pour l'envoyer à Paris, elle ne lui donna pas des lettres qu'elle avait écrites pour diriger des personnes et entre autre pour le père de la Combe, le tout indépendamment de la supérieure du couvent,

A dit que les religieuses, et non elle répondante firent sortir du couvent ladite Marc pour faire leurs provisions et qu'elle répondante ne se souvient pas si elle écrivit ou non par ladite Marc, ni si elle écrivit par elle au père de la Combe. Et quant à ce qu'elle a souscrit dressé par M. l'évêque de Meaux, elle répondante n'en a pu donner avis audit père de la Combe que depuis sa sortie. Cela n'ayant été fait que deux jours devant sa sortie du dit couvent, mais qu'elle peut bien en avoir informé le père de La Combe par les lettres qu'elle a écrite depuis sa sortie au père de la Combe, mais qu'elle ne peut se souvenir si elle a envoyé ou non la copie de l'écrit de ce qu'elle avait souscrit et remis entre les mains de monsieur l'évêque de Meaux,

Si elle a fait connaître par cet lettre au père de la Combe, qu'elle persistait dans le sentiment qu'elle avait avant d'en avoir souffert la condamnation,

A dit que non.

A quoi donc elle répondante applique ces termes de la réponse qui lui a été faite par le dit père de la Combe, et qui sont à la fin de la troisième page de ladite lettre : « Ô illustre persécutée, femme forte, mère des enfants de la petite Église, servante du petit maître qui suivez la lumière dont je vous éclaire et le consultez dans toute entreprise318 ». Et sur quoi elle répondante est qualifiée [f°143] de persécutée, pourquoi femme forte, si elle répondante a fait connaître au père de La Combe qu'elle eût changé de sentiment et qu'elle se fut soumise,

A dit que ce n'est pas le père de La Combe qui lui a écrit en ces termes, mais bien le Sieur de Lasherous, auquel elle répondante n'avait point écrit, et quand elle est qualifiée du titre de persécutée, c'est que tout le monde sait bien qu'elle a été calomniée depuis plus de quatorze années, quoiqu'elle ait toujours demandé qu'on examinât sa conduite,

Pourquoi elle répondante est qualifiée de mère de la petite Église,

A dit qu'elle n'en sait pas la raison319, et qu'il la faut demander à ceux qui l'ont écrit et qu'ils ne l'ont qualifiée de ce titre que cette fois-là qu'elle sache,

Ce que signifient ces autres termes de servante du petit maître,

A dit que c'est à cause qu'elle a toujours eue une dévotion particulière à l'Enfant Jésus, et qu'elle avait accoutumée de l'appeler son petit maître,

Qu'elle est cette doctrine dont il est fait mention sur la fin de la troisième page de la lettre représentée datée du onzième de novembre en ces termes, « Je ne rougirai jamais Madame en présence de qui que ce soit, de confesser la pureté de votre doctrine, discipline et moeurs, comme je l'ai fait en présence de notre prélat à son retour de Paris au sujet de l'illustre et plus qu'aimable père »,

A dit que c'est le sieur de Lasherous qui a écrit en ces termes, et qu'elle croit bien qu'il juge d'elle répondante (qu'il ne connaît pas) par le sentiment du père de la Combe, lequel pour marquer sa soumission à l'Église, n'a voulu écrire quoi que ce soit pour soutenir son livre depuis que ledit livre a été condamné, quoiqu'il eût été approuvé par l'Inquisition de Verceil, sur l'ordre qu'elle en avait reçu de la Sacrée Congrégation,

Avons remontré à la répondante qu'il paraît tout à fait extraordinaire de voir dans une lettre écrite en partie par le père de La Combe et en partie par le dit Sieur de Lasherous, que deux prêtres attribuent à elle répondante une doctrine et une discipline particulière ; à elle remontré qu'elle doit expliquer ce que c'est, et sur quoi elle est qualifiée de mère des enfants de la petite Église, et qu'il n'est pas moins extraordinaire de voir que ces deux prêtres aux termes [f°144] de leur lettre professent la doctrine d'une femme, qui n'a et qui ne peut avoir aucun droit ni caractère d'enseigner aucune doctrine et discipline particulière,

A dit qu'elle ne peut entendre autre chose par ces termes de ladite lettre si ce n'est que ceux qui l'ont écrit (croient qu'elle n'a pas de mauvais sentiment) que sa foi est orthodoxe, qu'elle n'a aucun sentiment relâché, et qu'il n'y a aucune corruption dans ses moeurs, que si ils ont entendu autre chose, c'est à eux à qui il le faut demander,

Si ce n'est par ce suivant cette même doctrine particulière que le père de La Combe lui a écrit par la lettre représentée du 10e octobre « voyez donc devant Dieu ce que le coeur vous dira là-dessus » et ce qui est écrit ensuite, au sujet de Jeannette : « elle se sentit inspirée de vous demander un anneau d'or pour elle, et d'argent pour les deux confidentes. »

A dit qu'elle n'a pas de part à cela, et qu'il n'y a point de bonne pensée si elle ne nous est donnée d'en haut,

Si ce n'est pas, suivant cette même doctrine et discipline qui lui sont attribuées, et sur son propre état, que ledit père de La Combe lui a écrit par la même lettre du 10me octobre en ces termes : « Si je vous écrit quelque chose touchant votre état, ce n'est pas pour vous rassurer, l'homme est très incapable de donner des assurances à une âme à qui Dieu lui ôte tout etc., et qu'il veut dans une affreuse apparence, et même conviction de perte, et de désespoir, une ruine, et destruction entière », n'est pas compatible avec la sécurité. Je vous en dis seulement ma pensée sans la faire valoir, et sans prétendre qu'elle sert à autre chose,

A dit que le père de La Combe lui a écrit que la nommée Jeannette320 avait de si hautes connaissances, et tenait321 sur elle répondante qu'elle n'a pu se persuader qu'elles ne fussent bien fondées, Dieu lui faisant sentir tout le contraire, et se souvient qu'elle répondante a entendu dans le temps qu'elle a reçu ladite lettre, que le père de La Combe ne prétendait pas la rassurer parce qu'il n'y a que Dieu qui le puisse faire,

Quel est le véritable sujet qui l'oblige d'être en correspondance avec des ecclésiastiques capables de lui écrire en ces termes, et d'avoir d'aussi étranges [f°145] sentiments de son état,

A dit que ce qui a donné lieu à écrire dans ces termes qui touchent son état tient toujours de ce que ladite Jeannette avait fait entendre au père de la Combe, par le sieur de Lasherous, sur le sujet d'elle répondante ; et sur ce qu'elle avait écrit audit père de la Combe, qu'elle ne se pouvait appuyer sur ce que ladite Jeannette avait dit sur son sujet, « que Dieu la regardait comme une personne qu'il aimait et qui lui était chère », puisqu'elle « ne trouvait rien en elle-même »322 sur quoi elle pût appuyer, étant lors dans un état de délaissement.

Ce qu'elle a entendu par cet autre terme de ladite lettre du père de La Combe (après lui avoir demandé les trois bagues pour Jeannette dont j'ai fait mention) : « pour moi vous me donnerez ce que le cœur vous dira, je voudrais avoir le portrait que je vous rendis à Passy323 et je vous prie de ne me le pas refuser. Venez vous-même s'il se peut, et nous aurons tout en votre personne324 »,

A dit qu'une fille dévote qui est morte à présent ayant fait le portrait d'elle répondante en pastel, ladite fille remit ledit portrait au père de la Combe, et elle répondante ayant su que ladite fille l'avait donné au père de la Combe, elle fut quinze jours après ou environ demander ledit portrait au père de La Combe qui le lui rendit à Passy,

Si ce n'était pas la demoiselle Desgrée qui travaillait souvent chez elle répondante qui avait fait ledit portrait,

A dit qu'oui et que ladite Desgrée325 avait même fait une copie dudit portrait, ne sait ce que l'original est devenu, mais croit en avoir brûlé la copie,

Ce qu'elle avait écrit audit père de La Combe qui a donné lieu de lui écrire de sa part en ces termes « que nous dites-vous qu'on vous a empoisonnée, est-il possible que la matière soit allée jusqu'à un tel excès, mais comment votre corps si délicat, si faible, a-t-il pu résister à la violence du poison, avez-vous su par quelle main ce crime a été commis, pauvre victime » et le reste, et si elle répondante a été effectivement empoisonnée, et en quelque temps,

A dit qu'il y a six ans que cet accident lui arriva326 mais qu'elle [f°146] n'en avait point écrit jusque-là au père de la Combe, et qu'elle lui en écrivit seulement afin de consulter si les eaux des Pyrénées seraient propres à la soulager, par rapport à l'accident qui lui était arrivé, dont elle a soupçonné un laquais qui était entré à son service, et qui disparut aussitôt après, sans qu'elle l'ait revu de puis, et sans qu'elle ait cherché ni entendu quel pouvait être le motif de ce laquais, ou de ceux qui s'étaient servis de lui, et quand elle l'aurait connu, elle n'en aurait jamais parlé,

Ce qu'elle a entendu par ces autres termes de la lettre datée le onzième novembre qui sont à la fin de la troisième page de ladite lettre, « il ne manque pas ici des Égyptiens qui recherchent les petits des premiers nés des Israélites pour les submerger. »

A dit qu'elle n'a pas entendu ce que le dit sieur de Lasherous a voulu dire, et que c'est à lui qu'il en faut demander l'explication,

Ce qu'elle a aussi entendu par ces autres termes qui sont écrits sur la fin de la troisième page de la lettre datée du dixième octobre : « Ô Dieu, faites éclore dans le temps convenable ce qui est caché depuis l'éternité dans votre dessein327 »,

A dit qu'elle a compris que le père de La Combe entendait par ces termes que Dieu fera connaître un jour l'innocence d'elle répondante, et que le père de La Combe a toujours cette pensée dans l'esprit,

Qui sont les deux personnes dont il est écrit au même endroit : « Je ne serais pas fâché de voir famille328, je salue aussi l'autre de bon coeur » :

A dit que ce sont les deux filles qui sont à son service, et que celle qui est désignée par le nom de famille est celle qui est actuellement auprès d'elle répondante, à laquelle on donna le nom de Sainte famille dans le couvent des ursulines de Thonon en Savoie,

De quel intérêt avait le père de La Combe de savoir le nom de celui qui avait été nommé évêque de Genève qu'il a demandé par la même lettre à elle répondante,

A dit que le père de La Combe est du diocèse de Genève et qu'il y a fait des missions pendant [f°147] plusieurs années,

Ce fait les deux pièces ci-dessus représentées ont été paraphées de nous et de la répondante,

Lecture faite du présent interrogatoire et dit ses réponses contenir vérité, y a persévéré et a signé ainsi signé J. M. Bouvier et de la Reynie en la minute.





Quatrième interrogatoire de Mme Guyon, le 26 janvier 1696

Le long exposé par la répondante du voyage à Gex au service des Nouvelles Catholiques concorde avec le récit de la Vie qu’elle savait être entre les mains de Bossuet. Le récit du séjour italien fournit d’intéressantes indications complémentaires.

Le jeudi 26e janvier 1696 dans le donjon dudit château de Vincennes,

Interrogée de son nom, surnom, âge qualité et demeure après serment fait de dire et répondre vérité,

A dit qu'elle s'appelle Jeanne Marie Bouvier veuve de messire Jacques Guion chevalier seigneur du Quesnoy âgée de 47 ans demeurant avant sa détention à Paincourt les Paris,

Avons remontré à la répondante qu'elle a dit entre autres choses par son dernier interrogatoire que depuis quatorze années elle a été continuellement calomniée sans expliquer autrement quel en a été le sujet ou le prétexte, ce que pour un plus grand éclaircissement des faits sur lesquels elle est interrogée, elle peut dire présentement ce qui a donné lieu à ces calomnies, et faire connaître aussi particulièrement le sujet de tous les voyages qu'elle a faits depuis qu'elle s'est retirée de Montargis, qui était le lieu d'établissement et de sa demeure ordinaire,

A dit avant de répondre à ce que nous lui demandons présentement, qu'elle s'est souvenue depuis son dernier interrogatoire, sur le sujet de ce que nous lui avons demandé, qu'elle avait envoyé au père de la Combe, qu'outre ce qu'elle a déclaré, elle lui a envoyé il y a déjà plusieurs années des cahiers de philosophie et de théologie que ledit père de La Combe lui avait laissés entre les mains, et qu'elle lui envoya outre cela un livre de Job329, et un autre livre du père Benoît de Canfeld capucin, de la Volonté de Dieu330 ; qu'elle s'en [est] aussi souvenue que pendant le temps qu'elle a été dans le couvent des filles de Sainte-Marie de Meaux, la nommée Marc331 sa domestique, est sortie deux fois du couvent, quoiqu'elle ait dit par son précédent interrogatoire que ladite Marc n'était sortie qu'une fois, ne s'étant pas souvenue dans ce temps-là comme elle a fait depuis, que ladite Marc est sortie encore une autre fois ; s'est pareillement souvenue que lorsqu'elle fut malade dans ledit couvent elle envoya aussi au père de La Combe les 34 articles qui lui furent présentés par M. l'évêque de Meaux, et au bout desquels elle a écrit et signé sa [f°149] soumission, de laquelle soumission, elle envoya aussi copie en même temps au père de la Combe, auquel elle écrivit, et par la réponse que le père de La Combe lui fit, il marqua à elle répondante, qu'il signerait les 34 articles de tout son cœur si on les lui présentait332, et la copie des dix articles et soumission qu'elle envoya étaient écrits de la main de ladite Marc333 ; et répondant à ce que nous lui demandions, elle dit qu'elle ne se plaint de personne, et qu'elle n'a pas su même bien précisément quels étaient les prétextes des calomnies qu'on faisait contre elle.

Quant aux voyages qu'elle a faits, elle nous les a déclarés aussi bien que les motifs qui l'ont obligée de les faire, et que ce fut en l'année 1683, après que Dieu lui eût fait la grâce de s'employer à la conversion de plusieurs protestants de la ville de Montargis, que Dieu lui inspira aussi la pensée de s'employer à la conversion des calvinistes de Genève, et pendant qu'elle en avait l'esprit rempli, elle communiqua cette pensée à plusieurs personnes de piété qui était dispersées en plusieurs endroits du royaume, et qui étaient dans une haute estime de piété et de science, qui indépendamment les unes des autres approuvèrent toutes le dessein qu'elle avait de passer à Genève, et que le père Chaupignon334, religieux jacobin qui était en ce même temps-là en la ville de Chartres fut inspiré en disant la messe de venir trouver elle répondante, à une petite maison où elle était retirée proche Montargis pour lui communiquer une autre pensée que ledit père Chaupignon avait pour lui-même, et y étant venu il communiqua à elle répondante, le désir qu'il avait de se retirer à la Trappe ou de passer au Japon pour la conversion des idolâtres, et sur cela elle dit audit père Chaupignon que ce n'était pas pour cela que Dieu l'avait envoyé vers elle, mais bien au contraire afin qu'il lui donne un conseil touchant son dessein de passer à Genève. Et après que ledit père Chaupignon eut prié pendant trois jours et célébré la sainte messe pour demander à Dieu la grâce de faire connaître ce qu'elle répondante devait faire, il lui dit qu'il ne voyait rien de mieux à faire que d'en parler à M. l'évêque de Genève335, et que si M. de Genève approuvait ce dessein on pouvait assurer qu'il était dans l'ordre de Dieu, et dans ce même temps deux religieux barnabites étant arrivés dans la même maison de campagne d'elle répondante, ils lui apprirent que [f°150] M. l'évêque de Genève était à Paris.

Et elle l'ayant dit au père Chaupignon, il voulut bien se rendre à Paris pour conférer avec M. l'évêque de Genève, et ayant même expliqué l'état d'elle répondante, M. l'évêque de Genève lui répondit suivant que le père Chaupignon rapporta à elle répondant qu'il fallait que la dame de laquelle il lui voulait eût un grand amour de Dieu ou qu'elle fût folle336 ; que M. l'évêque de Genève ajouta à cela qu'il méditait depuis longtemps de faire un établissement de Nouvelles Catholiques dans son diocèse, après quoi elle répondante se rendit à Paris, vit diverses fois M. l'évêque de Genève, et considérant que si elle était une fois à Genève, ayant du bien pour y faire quelques dépenses, même par la distribution de remèdes dont elle avait une connaissance particulière, ce dont elle avait fait beaucoup d'expérience en les appliquant à divers pauvres dont elle avait pris soin337, elle pourrait faire des progrès et convertir des hérétiques ;

Elle338 se disposa pour exécuter son dessein qu'elle communiqua à la sœur Garnier, supérieure de la maison des Nouvelles Catholiques de Paris qui s'offrit d'aller avec elle répondante339, mais la sœur supérieure ne lui ayant pas voulu permettre, la sœur Garnier lui donna trois sœurs de la maison, du nombre desquelles était une jeune fille parfaitement belle, bien faite et très sage, qu'elle répondante a fait depuis religieuse au couvent de Puyberlay en Poitou, et avec les trois sœurs et deux autres filles qu'elle répondante avait, et sa propre fille qui est à présent la dame comtesse de Vaux, et qui était alors âgée de cinq ans quelques mois, fut à Lyon par la diligence, de là prit le carrosse jusqu'à Chambéry, et de Chambéry fut à Annecy, où elle trouva M. l'évêque de Genève qui lui fit entendre que le projet qu'elle avait fait de s'établir dans Genève était alors impraticable, mais que dans peu les dispositions pourraient changer, et persuada elle répondante d'aller à Gex ;

Et M. l'évêque de Genève s'étant rendu à Gex quelques jours après, elle répondante lui fit connaître son état intérieur, et le pria de la vouloir conduire, mais M. de Genève lui ayant dit sur cela qu'il croyait bien qu'elle était dans une bonne voie, sans pouvoir néanmoins se charger de sa conduite, mais qui lui donnerait un homme qui serait capable de le faire et auquel [f°151] elle pourrait se confier comme à lui-même, qui était le père de La Combe340 qu'elle répondante n'avait vu depuis dix ans, que ledit père de La Combe passant à Montargis pour aller à Boulogne [Bologne] en Italie, lui rendit une lettre du père de la Motte aussi barnabite341 ; que dans ce temps-là, et pendant le séjour qu'elle fit à Gex, un ecclésiastique du pays ayant fait des visites qu'elle répondante croyait trop fréquentes à la jeune sœur des Nouvelles Catholiques qu'elle avait amenée342, elle répondante en avertit ledit ecclésiastique qui n'en fut pas content, et parce que dans le lieu particulier où elle répondante avait commencé de faire quelque sorte d'établissement à Gex, il y logeait, et elle faisait recevoir tous les pauvres enfants qui se trouvaient bien souvent affligés de différentes maladies, elle répondante jugea nécessaire de mettre sa fille en quelque autre endroit, où elle fut plus convenablement à son âge et pour son éducation ;

Et ayant désiré de la mettre dans un couvent des ursulines de Thonon343, elle se disposa à la mener elle-même, mais l'ecclésiastique auquel elle avait parlé, ne lui ayant voulu faire trouver aucun équipage, elle répondante fut obligée de s'adresser au père de la Combe, qui lui fit trouver des chevaux, et parce qu'elle ne connaissait ni les chemins ni le pays, le père de La Combe s'offrit de l'accompagner à ce voyage, ce qu'il fit, et ce voyage fut fait avec quatre344 ou cinq chevaux sur l’un desquels un homme du pays prit devant lui la fille d'elle répondante, et elle répondante monta un autre cheval, le père de La Combe sur un autre et une fille sur le quatrième, elle répondante ayant toujours un grand laquais qui était à son service auprès d'elle, parce qu'elle ne sait pas aller à cheval ; qu'étant arrivée à Thonon, elle entra au même moment avec sa fille au couvent des ursulines où elle demeura dix ou douze jours, jusqu'à ce que sa fille se fut accoutumée avec les religieuses du couvent, après quoi elle s'en revint à Gex, d'où le père de La Combe l'accompagna sur le lac jusqu'à la ville de Genève345, où M. le Résident du roi lui ayant fait donner des chevaux, elle se rendit à Gex avec un autre ecclésiastique du pays.

Pendant six ou sept mois de séjour qu'elle fit au dit lieu de Gex, après avoir fait une dépense considérable pour l'établissement [f°152] nouveau qu'elle y faisait, elle fut sollicitée et pressée par l'ecclésiastique dont elle a fait mention ci-dessus, et qui n'était pas content d'elle répondante d'employer à fonder la maison des nouvelles catholiques à Gex le peu de bien qu'elle s'était réservée après avoir fait une donation de tout le reste à ses enfants pendant le séjour qu'elle fit à Gex en l'année 1682, à ce qu'elle croit ; elle fit difficulté d'en suivre la proposition, et ledit ecclésiastique ayant obligé M. l'évêque de Genève de la presser de son côté sur le même sujet346, et elle lui ayant fait entendre les raisons qu'elle pouvait avoir pour ne le pas faire, sitôt M. l'évêque de Genève approuva d'abord ses raisons, et depuis ledit ecclésiastique ayant encore fait changer de sentiment M. de Genève, elle répondante fut obligée de se retirer à Thonon dans le couvent des ursulines, où elle demeura environ trois années347 ;

Et dès le lendemain qu'elle répondante fut arrivée, le père de la Combe, après avoir dit la messe aux ursulines, partit pour aller prêcher le carême à Oste [val d’Aoste], d'où il passa ensuite à Rome pour les affaires de sa congrégation, où il demeura encore près d'un an, et lorsque le père de La Combe revint au dit lieu de Thonon dont il était supérieur, la sœur d'elle répondante, qui était religieuse ursuline348 du couvent de Montargis, arriva au dit lieu avec une permission de M. l'archevêque de Sens, et une lettre pour elle répondante par laquelle il l'invitait de revenir dans son diocèse, que cependant M. de Genève ayant dit au père de La Combe de porter elle répondante à donner le bien qu'elle avait réservé à la maison des Nouvelles Catholiques de Gex, et le père de La Combe s'étant excusé de l'exiger d'elle répondante, M. l'évêque de Genève lui en veut mauvais gré, et le349 menaça de l'interdire ;

Mais les persécutions de l'ecclésiastique de Gex pendant tout ce temps-là n'ayant pas cessé de la part dudit ecclésiastique de Gex nonobstant l'offre qu'elle répondante faisait de donner mille livres tournois de rente à ladite maison de Gex pendant qu'elle serait dans le pays, qu'elle a donné pendant les trois années qu'elle a demeuré à Thonon, madame de Savoie en fut enfin avertie et cette princesse ayant d'ailleurs quelque mécontentement de M. l'évêque de Genève de ce qu'il avait écrit contre elle [f°153] à M. le duc de Savoie avant son mariage, madame de Savoie envoya à elle répondante une lettre de cachet qui fut expédiée par M. le marquis de Saint-Thomas secrétaire d'état, avec ordre à elle répondante de se rendre à Turin, et au père de La Combe de l'y accompagner, ce qu'il fit350, et afin qu'en exécutant cet ordre le voyage fût fait avec toute convenance possible, elle répondante désira qu'un autre religieux du même ordre du père de La Combe les accompagnât jusqu'à Turin. Le père Alexis Fau... âgé lors d'environ quarante ou quarant-cinq ans, vint à Turin avec elle répondante, sa fille et la servante qui est actuellement auprès d'elle appelée Marie de Lavau, et connue en divers endroits sous le nom de famille ;

Que pendant huit ou neuf mois qu'elle demeura à Turin, elle fut toujours chez la marquise de Pruné sœur de M. le marquis de Saint-Thomas351, que le père de La Combe s'en retourna après cela à Verceil, et madame Royale352 ayant désiré de l'entendre prêcher en français, il y vint prêcher l'Avent à Turin, d'où M. l'évêque de Verceil353 le rappela le quatrième dimanche de l'Avent ; que pendant le séjour qu'elle répondante fit à Turin, le fils de la dame de Pruné étant revenu des études dans la maison de sa mère, elle répondante eut quelque peine, à cause de sa fille, ne croyant pas convenable qu'elle y demeurât davantage à cause du retour du fils de la maison qui était un jeune homme, et ayant proposé sa difficulté à ladite dame de Pruné, qui avait d'ailleurs quelque pensée de faire un jour le mariage de son fils avec la fille de la répondante, elle lui donna conseil de la mettre à Monfleury en Dauphiné. D'un autre côté M. l'évêque de Verceil ayant eu la pensée d'établir une congrégation, à peu près comme celle de Mme de Miramion, ladite dame de Pruné ayant représenté à elle répondante que dans la suite M. l'évêque de Verceil penserait aussi à faire le mariage de sa fille avec l'un de ses neveux, si elle la mettait dans le couvent des filles de Sainte-Marie de Turin, où M. de Verceil avait une soeur religieuse, elle répondante prit la résolution de la mener, comme elle fit, à Monfleury.

Cependant M. de Verceil ayant eu avis de sa résolution lui écrivit plusieurs fois, et lui envoya le père de La Combe à Grenoble pour la persuader [f°154] d'aller à Verceil pour faire l'établissement de la congrégation dont elle a ci-devant parlé354, mais s'en étant excusée, et six mois après elle répondante, voulant revenir chez ladite dame marquise de Pruné355 à Turin, suivant qu'elle lui avait promis, elle partit pour cet effet de Grenoble ; et la montagne étant dans ce temps trop difficile à passer, elle fut conseillée de s'embarquer sur le Rhône, et le sieur Lyons promoteur de M. de Grenoble avec un autre ecclésiastique de la connaissance du dit sieur Lyons s'offrirent de l'accompagner jusqu'à Marseille, où le sieur Lyons qui est du pays avait quelque consultation à faire pour sa santé. Et en partant de Grenoble le sieur comte de Tache l'ayant chargé d'un paquet pour le sieur chevalier de Moreüil, et dans ce paquet s'y étant trouvé un livre du Moyen court et facile..., lors de l'ouverture du paquet par l'aumônier de Galeve dudit sieur chevalier de Moreüil, qui était bien de septante deux disciples de Saint-Ciran356, le prétexte de ce livre attira un grand nombre de personnes à la maison où la répondante était logée, pour lui faire insulte, ce qui l'obligea de voir M. de Marseille et de se retirer après cela, pour continuer son chemin à Verceil où elle demeura pendant six mois.

Et ayant résolu de repasser en France, à cause du mauvais air de ce lieu, elle en partit après six mois de séjour, et M. l'évêque de Verceil lui donna un carrosse, un ecclésiastique et un gentilhomme pour l'accompagner, et parce qu'en ce même temps le général des barnabites vint à décéder, et que le père Aupois qui était premier assistant, avec l'autorité du général, avait destiné le père de La Combe pour être de la maison et famille de Paris, le dit père Aupois ordonna au dit père de La Combe d'accompagner elle répondante, comme il fit, premièrement jusqu'à Grenoble, où elle répondante prit sa fille à Monfleury, et partirent de Grenoble avec le père de La Combe par les voitures publiques jusqu'à Lyon où elle répondante remit sa fille avec sa gouvernante entre les mains du père de la Mothe pour la mettre au couvent de Malnoüe jusqu'à ce qu'elle répondante fût arrivée à Paris ; qu'elle partit de Lyon avec le père de La Combe dans une voiture publique, et furent à Dijon chez la dame Languet, où elle demeura [f°155] pendant quelque temps.

Pendant lequel le dit père de La Combe allait et venait à un lieu proche de Dijon, où l'on voulait faire un établissement d'une maison de leur ordre, et après avoir demeuré en ce lieu environ 15 jours, elle répondante revint à Paris par la voiture publique avec la fille qui l'avait toujours suivie, le père de La Combe était dans la même voiture357, mais elle répondante pria le beau-père du sieur marquis de Montpipault de vouloir bien accompagner elle répondante jusqu'à Paris358.

Lecture faite du présent interrogatoire a dit ces réponses contenir vérité a persévérée et a signé ainsi signé J. M. Bouvier et de la Reynie en la minute.359.

Lettre d’envoi

Ce quatrième interrogatoire, important par son long historique, fut envoyé accompagné de la lettre qui suit. On observe une certaine discrétion de La Reynie360. Plus tard, lorsque la capacité de résistance de l’accusée deviendra évidente, il sera relayé par d’Argenson, interrogateur plus musclé opérant au sein de la Bastille :

M. / Je vous envoie l'interrogatoire de Mme Guyon du 26 de ce mois, où elle a fait l'histoire de ses voyages avec le père de La Combe et expliqué les motifs qui l'ont engagée à les faire. L'honnêteté à l'égard de cette dame et la décence ne m'ont pas permis de l'interroger au-delà et j'ai recueilli simplement ce qu'elle a bien voulu dire sur ces points. Cependant tout adouci et accomodé que puissent être361, il semble qu’il n’en résulte rien qui convienne aux grandes idées qu’on s’est fait de l’esprit et de la conduite de cette femme.

Je repris hier la suite de cette histoire par un autre interrogatoire que je vous enverrai incessamment M. et vous y verrez encore quelques nouvelles circonstances des voyages, vous y trouverez aussi l'histoire des livres, de la composition prétendue de Mme Guyon, qui n’augmentera pas apparemment l’estime que plusieurs personnes en ont fait jusqu’ici. Comme il n’y a rien cependant qui empêche d’entrer dans une plus grande discussion des faits sur cet article, il sera aussi sans doute beaucoup plus étendu que l’autre.

Je dois même M. vous rendre compte par avance, que Mme Guyon depuis la condamnation de ses [f°25v°] livres et depuis sa soumission, a non seulement envoyé au père de La Combe à Lourdes le manuscrit de l'explication de l'Apocalypse, pour le revoir et pour le corriger, mais elle a aussi donné, de plus, au père Alleaume, jésuite, les livres imprimés du Cantique des cantiques, qu'elle dit avoir composés pour les revoir et pour les corriger. Ce même interrogatoire que je vous enverrai monsieur après celui du 26, vous fera connaître d’autres circonstances du commerce que Mme Guyon a eu avec le père Alleaume. J’ai cru que je devais vous envoyer la copie des remarques et des corrections écrites de la main du père Alleaume, qu’il a faites sur le livre des Cantiques qui vous feront connaître les fautes d’expresssion et de langage et qu’il a corrigé […illis.] qui sont au-delà de la Loire et qu’elles ne peuvent être de Paris ni de Montargis.

Je vous envoie aussi M. une lettre écrite à Mme Guyon peu de jours avant qu'elle ait été arrêtée, et comme elle contient une espèce de confession : je n'en ai fait aucun usage pour cette raison et par les autres considérations qui s'entendent par la lettre même. Je l'ai montré à Mme Guyon avec quatre petites tresses de cheveux blonds qui étaient dans cette lettre362. Elle a dit à l'égard des cheveux que ce sont des cheveux qu'elle a coupés à l'une des femmes qu'elle avait auprès d'elle, que c'était pour s'en servir à coiffer les figures de cire de l'enfant Jésus qu'elle a chez elle et cela peut être vrai. Du reste M. elle n'est dit qu'elle ne nommerait jamais celui qui lui a écrit cette lettre, qu'elle m'assurait qu'elle n'en a fait jamais reçu aucune autre, qu'elle ne [f°26] l'avait jamais vu et qu'elle ne lui avait aussi écrit qu'une seule fois, pour lui faire réponse, et pour finir tout commerce. Mais sur ce que je lui ai dit simplement que le dernier article de la lettre faisait facilement connaître celui qui l’avait écrite, elle a répliqué vivement pour empêcher qu’on ne l’attribuât mal à propos à quelqu’un, elle voulut bien dire que celui qui l’avait écrite était très proche parent de la personne dont il est fait mention à la fin de la lettre. Sa Majesté jugera s’il y a quelque autre usage à faire de cette lettre. Je suis etc. 363. / [à] M. de Pontchartrain/ 29 de janvier 1696.



Cinquième interrogatoire de Mme Guyon, le 28 janvier 1696

La Reynie l’interroge sur ses voyages « hors du royaume », puis sur les contributions des correcteurs de ses ouvrages, dont le père Alleaume364 et le père La Combe, enfin sur divers capucins rencontrés près de Grenoble. On note l’intérêt particulier pour les années de voyage en Savoie et en Italie : les années parisiennes sont bien connues (par Mme de Maintenon, l’Official Pirot, etc.) et ne semblent pas permettre une mise en cause de la répondante sur le plan moral. Par contre le général des chartreux dom Le Masson qui s’opposa violemment à la « Dame Directrice » fut à l’origine d’insinuations sur les moeurs365.

[f°156] Cinquième interrogatoire de la dame Guyon366.

Interrogatoire faits par nous Gabriel Nicolas de la Reynie conseiller ordinaire du roi en son conseil d'état de l'ordre du roi, à la dame Guyon prisonnière au château de Vincennes, auquel interrogatoire nous avons procédé ainsi qu'il ensuit,

Du samedi 28e janvier 1696 dans le donjon dudit château de Vincennes,

Interrogée de son nom, surnom, âge qualité et demeure, après serment fait de dire et répondre vérité,

A dit qu'elle s'appelle Jeanne Marie Bouvier veuve de messire Jacques Guyon chevalier seigneur du Quesnoy, âgée de 47 ans demeurant avant sa détention à Paincourt les Paris,

Avons remontré à la répondante qu'après avoir expliqué elle-même par son interrogatoire du 26e de ce mois les voyages qu'elle a faits depuis l'année 1681 ; et les motifs qui l'ont portée à sortir de son pays à l'âge de trente-deux ans, de quitter ses parents, son bien, deux de ses propres enfants, et de sortir après cela du Royaume avec la plus jeune de ses enfants, sa fille âgée en ce temps-là de cinq ans seulement, il est encore à désirer qu'elle fasse plus clairement connaître la véritable cause qui l’a obligée de passer plusieurs années de suite en Savoie et en Piémont et qu'elle explique aussi davantage s'il est possible le motif de son retour en France dans le temps précisément que le père de La Combe a obtenu de son supérieur la permission d'y venir et pourquoi aussi le père de La Combe a fait encore ce dernier voyage avec elle répondante, et l'a toujours367 accompagnée depuis Verceil jusqu'à Paris,

A dit qu'elle a toujours espéré que son dessein pour la ville de Genève pourrait avoir quelque succès, qu'elle a fait plusieurs tentatives pour cela pendant son séjour en Savoie et en Piémont, et qu'étant une fois entre autres à Genève, elle y fut maltraitée et battue dans l'Église de Saint-Pierre, parce qu'elle avait reçu dans la maison de Gex la fille d'un ministre, et la sœur d'un seigneur de la ville ; que depuis ce temps-là un ecclésiastique de Grenoble ayant eu dessein [f°157] d'établir un hôpital aux portes de Genève et de donner pour cet effet une somme considérable, elle répondante voulut concourir à ce même dessein, mais s'y étant trouvé de grandes difficultés ce dessein resta sans aucune exécution368 ; qu'elle répondante a demeuré cinq années à Gex, en Savoie et Piedmont, et que le père de La Combe n'a jamais demeuré trois mois de suite dans les lieux où elle a été, à la réserve de Verceil où elle a été369 pendant quatre ou cinq mois,

Si elle répondante a passé en quelques autres lieux d'Italie,

A dit qu'étant à Marseille, ainsi qu'elle l'a déclaré par son précédent interrogatoire, elle fut à Nice, et n'ayant pu passer la montagne à cause de la neige, elle s'embarqua dans une chaloupe pour aller jusqu'à Savone370 et la tempête les ayant portés à Gênes, elle y fut pendant deux jours seulement, et que de Gênes elle se rendit à Verceil et n'a point fait d'autre voyage ; qu'à l'égard de son retour en France, sa mauvaise santé371 causée par le mauvais air de Verceil, l'obligea de quitter ce pays-là, par le conseil même de M. l'évêque de Verceil ; et à l'égard du père de la Combe, il en était parti environ à un mois avant, mais le père Arpoie qui tenait la place du général de la congrégation lui ordonna de venir prendre elle répondante à Turin ou en deçà de la montagne et de l'accompagner jusqu'à Paris372 ;

En quelle année elle répondante revint en France et arriva à Paris,

A dit que ce fut en l'année 1686, et qu'elle arriva à Paris la veille de la fête de la Madeleine

En quel temps et en quel lieu le père de La Combe fut arrêté par ordre du roi,

A dit que ce fut en la maison des barnabites à Paris, croit que ce fut quatre ou cinq mois après qu'il y fût arrivé373 et que ce fut le troisième d'octobre veille de Saint-François, ne peut néanmoins se souvenir précisément s'il fut arrêté dans la même année qu'il vînt à Paris ou l'année suivante

A quelle personne elle a communiqué son livre de « Cantique des Cantiques de Salomon interprété selon le génie mystique » pour le revoir sur l'impression [f°158] qui en avait été fait,

A dit qu'elle répondante ayant donné son manuscrit à un ecclésiastique pour le copier, il en retint une copie indépendamment d'elle répondante et du père de la Combe, qui était lors à Verceil374, et elle répondante à Grenoble, que ledit ecclésiastique portant un an après sa copie qu'il fit imprimer à Lyon par le nommé Briaçon, et elle répondante en ayant eu avis aussi bien que le père de la Combe, il écrivit trois différentes lettres au dit Briaçon pour le prier de ne pas imprimer, et le dit père de la Combe, voyant qu'il ne pouvait empêcher cette impression, écrivit au dit Briaçon de suspendre la continuation de l'impression des feuilles dudit livre jusqu'à ce qu'il y eut fait une préface que le père de La Combe fit ensuite, et qui est celle qui est au commencement dudit livre375, que sans cela elle répondante se serait contentée d'y mettre le texte qui se voit encore au dit livre ; qu'elle répondante le composa pendant son séjour de Grenoble, sur ce que, en lisant l'Écriture, il lui vint plusieurs pensées qu'elle écrivit rapidement en telle sorte que ledit livre fut composé et écrit dans l'espace d'un jour et demi après avoir demandé la permission au père de La Combe d'écrire sur ce sujet les pensées qu'elle avait ; et le père de La Combe étant venu ensuite à Grenoble de la part de M. l'évêque de Verceil, elle répondante lui montra ledit manuscrit en lui disant le peu de temps qu'elle y avait employé, et le père de La Combe ayant vu l'étendue du dit manuscrit lui dit sans l'examiner autrement que cela n'était bon que jeter au feu, et elle, pour obéir le jeta sur-le-champ dans le feu, mais le père de La Combe l'en retira aussitôt376,

Avons représenté à la répondante une pièce remise en notre main avec d'autres papiers et livres suivant l'ordre du roi par M. François Desgrez, et qu'il a dit avoir été par lui trouvés parmi les livres qui étaient dans l'appartement qu'elle répondante occupait en la maison de Paincourt, lors que ses meubles ont été transportés suivant l'intention d'elle répondante, ladite pièce commençant par ces mots « voici le peu que j'ai trouvé » et finissant sur la troisième page par [f°159] ces autres mots : « peut commencer à rentrer et à sortir ». Interpellée de la reconnaître, et de déclarer si les observations qui sont dans ladite pièce lui ont pas été renvoyées sur son livre imprimé du Cantique des Cantiques, en quel temps elle les a reçues, et par qui lesdites observations ont été faites,

A dit que depuis environ trois mois avant qu'elle ait été arrêtée, et que depuis son retour de Meaux, elle donna au père Aleaume jésuite ledit livre, le pria s'il l'avait, ne peut dire lequel des deux, de vouloir bien le revoir pour en corriger les fautes de diction, parce qu'elle répondante n'écrit pas correctement ; que ce fut au pavillon Adam au faubourg Saint-Antoine, où le dit père Aleaume vint deux fois dire la messe dans ladite maison, qu'elle lui fit cette prière et que la pièce que nous lui représentons contient les observations que ledit père Aleaume fit sur ledit livre, et qu'il lui envoya, ne peut dire non plus si ledit père Aleaume porta lui-même, ou s'il envoya lesdites observations à elle répondante, ne l'ayant vu depuis son retour de Meaux, que trois fois seulement, et qu'elle l'a vu pareillement pendant les trois journées qu'elle fut chez Mme de Morstin [Morstein],377

Avons remontré à la répondante que les observations qui ont été faites sur le livre des Cantiques qui ne touchent que la diction seulement, et qui sont qualifiées de fautes de langage, font connaître clairement que l'auteur qui a fait ces fautes de langage n'est pas originaire des provinces qui sont en deçà de la rivière de Loire, que cet auteur n'est pas correct dans la langue française, et par conséquent que ce n'est pas elle qui a composé ce livre,

A dit que l'ecclésiastique qui a fait imprimer ledit livre à Lyon, y a fait des fautes contre la langue française et qu'elle répondante y en a fait aussi de la même qualité378,

Si ledit père de La Combe n'a eu aucune part à la composition dudit livre,

A dit qu'elle l'a composé, et ne sait pas si le père de La Combe lorsqu'il a fait la préface dudit livre y a fait quelques corrections, qu'elle se souvient bien qu’il lui fit changer une [f°160] phrase qu'elle avait renversée, qu'il est vrai aussi qu'elle répondante ayant écrit le texte en français qu'elle avait prise dans une ancienne Bible imprimée à Louvain, le père de La Combe en corrigea les textes après l'avoir vérifié sur d'autres interprétations379,

Et qu'après cela le père de La Combe écrivit aussi le texte latin qui est au dit livre du Cantique afin qu'on pût voir que la traduction française du texte était conforme à la version latine

Si le père de La Combe n'a pas aussi travaillé à la composition dudit livre de l'Explication de l'Apocalypse dont elle a envoyé en dernier lieu le manuscrit au dit père de la Combe,

A dit que non, et qu'elle ne lui a jamais communiqué jusqu'à ce qu'elle lui en a envoyé le manuscrit depuis être sortie de Meaux, et qu'elle a composé avec la même rapidité qu'elle avait fait le livre des Cantiques380.

Si le père de La Combe n'a eu aucune part à la composition du livre qui a pour titre Moyen court et facile381,

A dit que non, mais qu'il est bien vrai que ledit père de La Combe étant à Paris, et ayant lu ledit livre, il y fit diverses corrections qu'il écrivit de sa main sur le livre même, et qu'il le porta ensuite au sieur Coursier Théologal de Paris ; qu'elle composa ledit livre382 étant à Grenoble et qu'un conseiller de ce parlement appelé M. Girault en ayant trouvé le manuscrit sur la table d'elle répondante, il le prit, et après l'avoir communiqué à une autre personne de piété, le fit imprimer sans la participation d'elle répondante, qui néanmoins à la prière dudit sieur Girault le divisa par article, et y fit la préface qui se voit au dit livre,

Si ledit père de La Combe n'a pas aussi travaillé, et eu part à la composition du manuscrit des Torrents,

A dit que c'est le premier livre manuscrit qu'elle ait fait, et que ce fut aux ursulines de Thonon qu'elle le composa, et elle répondante en ce temps-là n'avait pas vu quatre fois le père de la Combe, mais étant à Verceil elle remit ledit manuscrit des Torrents au père de La Combe qui ne lui a pas rendu depuis383.

[f°161] Si les observations contenues dans la pièce que nous lui avons représentée, sur le livre des Cantiques, ne sont pas entièrement écrites de la main du dit père Aleaume384,

A dit que oui.

Avons représenté à la répondante une autre pièce aussi à nous remise ainsi que la précédente par ledit Desgrez, sans date ni sans signature, ayant pour souscription ces mots : « à Madame de Guyon à Paris », commençant par ces mots « Dieu nous donne sa paix » et finissant par ces autres mots « des nouvelles de notre cher père ». Interpellé de la reconnaître et de déclarer par qui ladite lettre lui a été écrite,

A dit que la dite lettre lui a été écrite par le frère Joseph385, religieux capucin du couvent de Grenoble, et qu'elle l'a reçue par le sieur abbé Sautreau,

De quel couvent est le père Antoine dont il est fait mention au commencement de ladite lettre, et par lequel, elle répondante avait écrit au dit frère Joseph,

A dit qu'aux termes de la lettre même, le dit père Antoine était de famille à Grenoble, et la ville de Romans à cinq lieux de Grenoble de laquelle ledit père Antoine était, et qu'elle ne l'a jamais vu qu'une fois à Grenoble386,

Pourquoi celui qui lui a écrit prend la qualité de l'un des enfants d'elle répondante387 qu'il appelle sa mère,

A dit que le frère Joseph qui est déjà âgé, qui est homme de bonne famille, qui a même étudié et qui a voulu par humilité rester simple frère dans son ordre, dans lequel néanmoins ayant eu quelque peine qu'il communiqua à elle répondante, Dieu permit qu'elle ne lui fut pas inutile, et qu'à cause de cela le dit frère Joseph se disait être son enfant, et l'appelait sa mère,

Ce que c'était que le père Antoine lui avait promis de lui envoyer, et qu'il ne lui avait pas envoyé par la crainte que ce qu’il lui avait promis ne fut surpris en chemin,

A dit que ledit père Antoine lui ayant dit qu'une femme de grande piété était décédée, laquelle avait laissé de parfaitement beaux écrits, et elle répondante ayant prié de lui faire voir, ledit père Antoine devait les lui envoyer et il ne l'a pas fait, [f°162]

Quelles sont les soeurs dont le frère Joseph lui a fait des compliments par la dite lettre ?

A dit que ce sont des filles qui ont soin à Grenoble du temporel des capucines,

Si elle connaît la personne qui est désignée par la dite lettre sous le nom de Pierrette,

A dit que oui, et que c'est une pauvre fille très simple que les autres filles qui ont soin du temporel des capucines ont retirée à cause de sa simplicité, et qu'elle vit comme une sainte,

Ce qu'elle a entendu par les termes de cette lettre au sujet de la soeur Pierrette : « elle est toute dans son rien388 »,

A dit que c'est un langage des personnes qui aiment la vie spirituelle,

Ce qu'elle répondante a entendu par ces autres termes de la lettre représentée qui sont écrits au sujet de ladite Pierrette : « elle est souvent visitée par l'ennemi qui la bat très bien, et qui la jette par terre sans pitié, elle est toujours plus absorbée dans ses prières »,

A dit que du temps qu'elle était à Grenoble, elle a su par la dite Pierrette même, les maux que le démon lui faisait, qu'elle l'a vue une fois entre autres ayant deux dents cassées dans la bouche et la joue fort enflée, et qu'il y avait plusieurs personnes dans Grenoble qui le savaient aussi bien qu'elle répondante,

Si lors qu'elle répondante était à Grenoble elle a pareillement su ou vu elle-même suivant ce qui est écrit dans la dite lettre, qu'aussitôt que la dite Pierrette est à l'Église, elle est extatique, sans mouvement et sans connaissance,

A dit qu'elle ne l'a point vue en cet état, et n'a point su de nouvelles de ladite Pierrette que par le frère Joseph, qui lui en a écrit deux ou trois fois,

Si ce n'est parler du père de La Combe que ledit frère Joseph lui a écrit en ces termes qui finissent la dite lettre : « ne nous donnerez vous jamais des nouvelles de notre389 cher père »,

A dit qu'oui.

Avons aussi représenté à la répondante deux autres pièces à nous remises entre les mains par ledit Desgrez, l'une commençant par ces mots « à M. de Normande », et l'autre commençant aussi par ces mots « Ecoutez le son de l'horloge ». Interpellée de les reconnaître et de déclarer de quelles mains elles sont écrites,

A dit après les avoir vues que [f°163] celle qui commence à « M. de Normande », est écrite de la main de la nommée Marc qui est à son service, et qu'elle ne connaît pas l'écriture de l'autre, qu'elle a trouvé dans un livre.

Si depuis l'année 1686 qu'elle répondante est de retour à Paris, elle y a toujours demeuré, et en quels lieux,

A dite qu'elle a fait un voyage à Bourbon il y a environ cinq ans, qu'elle a été une fois à Montargis où elle fut cinq jours seulement dans le couvent des bénédictines d'où elle sortit point390, et où elle ne vit personne, qu'elle a été au couvent des filles de Sainte-Marie par ordre du roi, pendant huit mois et demi, il y a environ neuf ans et que ce fut quatre mois où environ après que le père de La Combe eût été391 arrêté,

Ce fait lesdites pièces représentées ont été paraphées par nous et par la répondante,

Lecture faite du présent interrogatoire a dit ses réponses contenir vérité, y a persévéré et a signé ainsi signé J. M. Bouvier et de la Reynie en la minute.



Sixième interrogatoire de Mme Guyon, le 1er février 1696

Ce dernier interrogatoire épuise le sujet : retour sur le père Alleaume - il n'est pas un personnage négligeable - et sur ses révisions. La défense de fond des écrits et de la doctrine est solide, mais elle a contrevenu à la censure en faisant relire ses écrits.

[f°164] 6e interrogatoire de Mme Guyon 6392.

Interrogatoire fait par nous Gabriel Nicolas de la Reynie Conseiller ordinaire du roi en son conseil d'État, de l'ordre du roi, à la dame Guyon prisonnière au château de Vincennes, auquel interrogatoire nous avons procédé ainsi qu'il ensuit,

Du mercredi premier jour de février 1696 dans le donjon du château de Vincennes,

Interrogée de son nom, surnom âge qualité et demeure, après serment fait de dire et répondre vérité,

A dit qu'elle s'appelle Jeanne Marie Bouvier âgée de 47 ans, veuve de messire Jacques Guyon, chevalier seigneur du Quesnoy, demeurant avant sa détention à Paincourt les Paris,

Depuis quand elle connaît le père Aleaume qu'elle nous a dit avoir fait à sa prière les corrections du livre de l'exposition mystique du Cantique des Cantiques qu'elle répondante nous a aussi dit être de sa composition,

A dit qu'elle le connaît depuis environ trois ou quatre années393, et l’a connu par hasard étant venu dans une maison où elle était, et quelque temps après ledit père Aleaume lui apporta un livre qu'il avait traduit de l’espagnol en français et qui avait pour titre Les douleurs ignominieuses de Notre Seigneur Jésus-Christ394,

Quels autres ouvrages d'elle répondante le père Aleaume a revu et corrigé ?

A dit qu'elle ne croit point que le père Aleaume en ait revu et corrigé aucun autre à la réserve du Pentateuque395, et ne peut dire s'il y a fait quelques corrections396,

À quel dessein elle a donné au père Aleaume le livre du Cantique déjà imprimé et débité397 depuis un temps considérable. Est-ce n'a pas été à dessein de le faire réimprimer à nouveau après qu'il aurait été revu et corrigé,

A dit qu'elle n’a prié le dit père Aleaume de revoir et corriger ledit livre que parce qu’il lui reprochait souvent qu'elle y avait fait des fautes de langage et qu'il y avait aussi quelques phrases renversées, et parce que le dit père Aleaume écrit exactement,

Avons remontré à la répondante que par la circonstance du temps auquel [f°165] elle a prié le père Aleaume de revoir et de corriger ledit livre, et par cette correction qu'il y a faite, il paraît clairement qu'elle n'a pris le soin depuis qu’elle est sortie du couvent des filles de Sainte-Marie de Meaux, que pour donner au public une nouvelle impression de ce livre398,

A dit qu'autant qu'elle peut s'en souvenir que ç'a été avant d'aller à Meaux qu’elle a prié le dit père Aleaume de revoir et de corriger ledit livre par la raison qu'elle a dit ci-dessus,

Avons remontré à la répondante qu'avant d'aller à Meaux ledit livre avait déjà été censuré par M. l'archevêque de Paris. Et quand il serait vrai qu'elle aurait prié ledit père Alleaume de voir et de corriger ledit livre avant d'aller à Meaux, elle aurait toujours fait une faute considérable de faire revoir et corriger ledit livre depuis la censure, et qu'elle n'aurait pu en ce temps-là même le faire revoir et corriger que pour donner une nouvelle impression,

A dit qu'autant qu'elle s'en peut souvenir elle fit cette prière au père Aleaume quelques jours avant la censure de M. l'archevêque de Paris399, et que d'ailleurs le père Aleaume n'y a fait que des corrections de langage et à quelques phrases mal disposées, et n'a pas touché à la doctrine,

Avons remontré à la répondante que les corrections du dit livre faites par le père Aleaume ne sont pas seulement des défauts de langage, et des phrases renversées, mais qu'il y a aussi corrigé d'autres fautes, même des fautes d'impression, ainsi qu'il paraît par le mémoire dudit père Aleaume que nous avons présentement remis entre les mains d'elle répondante, ce que ledit père Aleaume n'aurait pas fait si elle ne l'avait pas expressément chargé de les corriger exactement et si elle n'avait pas eu dessein d'en faire une nouvelle édition, car sans cela le père Aleaume n'aurait pas écrit comme il a fait au commencement du mémoire des corrections : « voici le peu que j'ai trouvé à redire dans l'exposition mystique du Cantique des Cantiques. Vous verrez que puis400 que j'ai marqué [f°166] jusqu'aux fautes d'impression et de langage, si j'en ai oublié de plus considérable c'est manque de lumière »,

A dit qu'elle n'a rien à dire de plus sur ce sujet que ce qu'elle a dit,

Avons remontré à la répondante que la correction faite par exemple en la page quatrième de la préface du dit livre, suivant le mémoire sur cet endroit, et sur cette parole : « ne sont qu'un coeur, qu'un esprit, et qu'un être » et que ce que le père Aleaume a ajouté de lui : « que l’époux et l'épouse ne soit qu'un être, cela me paraît trop fort » qu'outre cette correction il y a d'autres endroits corrigés suivant ce mémoire qu'elle répondante peut voir. Et qu'il n'est pas nécessaire de répéter, qui méritait bien aussi d'être corrigés, et le père Aleaume en faisant ces corrections n'aurait pas écrit comme il a fait ce qu'il fallait mettre aux endroits corrigés, et substituer en la place des mots qui en devaient être retranchés si elle répondante n'avait pas eu dessein de faire réimprimer le dit livre après ses corrections suivant ce qui se pratique lorsque les livres sont réimprimés et donnés de nouveau au public

A dit qu'elle n'a rien à dire du tout, qu'elle n'a pas eu cette intention, et à l'égard de la préface du dit livre, du Cantique des Cantiques imprimé, la préface en a été faite par le père de La Combe ainsi qu'elle répondante l'a déclaré par ses précédents interrogatoires,

Avons remontré à la répondante qu'il paraît qu'elle n'a pu faire revoir et corriger ledit livre du Cantique des Cantiques pour aucun autre dessein que celui de le faire réimprimer, soit qu'elle ait fait faire revoir et corriger dans le temps des conférences qu'elle a eues avant d'aller dans le couvent de Meaux, ou qu'il ait été revu depuis la censure de M. l'archevêque de Paris, ou même depuis son retour de Meaux, et si elle répondante avait voulu en demeurer au terme de la Soumission401 qu'elle nous a dit avoir signée, et de ce qu'elle avait promis402, ledit livre étant déjà censuré ou en état de l'être, et elle en ayant depuis souscrit la censure, elle aurait entièrement abandonné le livre, tel qu'il était imprimé, et censuré avec toutes les fautes qui avaient donné lieu à la [f°167] censure, sans se mettre en aucun soin de le faire revoir et corriger,

A dit que les fautes de langage et d'impression n'ont donné aucun lieu à la censure, et qu'elle se souvient présentement que ces corrections ont été faites avant la première censure du dit livre, parce que le père Aleaume depuis avoir remis les corrections qui sont écrites dans la pièce que nous lui représentons, lui porta peu de jours après la censure de feu M. l'archevêque de Paris,

Si elle répondante a devant elle quelque exemplaire corrigé du livre du Cantique des Cantiques, sur les corrections du père Aleaume,

A dit que non, et qu'elle n'a pas même lu les observations et corrections du père Aleaume, parce que lesdites corrections lui étaient inutiles, sa manière d'écrire étant libre, et qu'elle répondante est incapable de pouvoir se servir de telles corrections, et de s'y assujettir, et tous ceux qui la connaissent savent qu'elle en est incapable403,

Pourquoi elle répondante depuis sa sortie des filles de Sainte-Marie de Meaux a envoyé au père de La Combe le manuscrit qu'elle a dit avoir composé de l'Explication de l'Apocalypse pour le revoir et pour le corriger et donné d'un autre côté au père Aleaume le livre imprimé du Cantique des Cantiques aussi pour le revoir et pour le corriger, et pour quelle raison elle a agi ainsi, et chargé le père de La Combe de revoir le livre de l'Apocalypse, et le père Aleaume de revoir le livre des Cantiques,

A dit qu'elle n'a rien à dire sur ce sujet, et qu'elle a dit tout ce qu'elle avait à dire par ses précédentes réponses.

Ce qu'est devenu le manuscrit sur le Pentateuque qu'elle nous a dit avoir communiqué au père Aleaume,

A dit que ledit manuscrit a été remis entre les mains du sieur Tronçon [Tronson] lorsque les livres et les écrits d'elle répondante ont été examinés, ne sait ce qu'il est devenu,

Si le père Aleaume a eu la liberté de la voir pendant qu'elle demeurait cachée dans la maison de la rue Saint-Germain l'Auxerrois sous le nom de [f°168] Mme Bénard,

A dit que non, et qu'il était déjà exilé dans le temps404 qu'elle demeurait,

Si elle répondante sortait pour aller à la messe la paroisse, les jours de dimanches et fêtes dans le temps qu'elle était en la maison de la rue Saint-Germain,

A dit que non, et qu'elle entendait la messe ces jours-là405, lorsqu'on la disait dans la chapelle des orfèvres de la maison où elle était logée, parce que ces jours-là, la messe était chantée, et qu'on entendait du lieu où elle était logée, tout ce qui était chanté dans la dite chapelle,

Comment et par qui elle répondante avait fait savoir au père406 Aleaume qu'elle était au pavillon Adam, au faubourg Saint-Antoine sous le nom de la demoiselle de Beaulieu,

A dit que ce fut par la demoiselle Van, qui demeurait dans ladite maison sous le nom de la demoiselle de Beaulieu et que ce fut par elle qu'elle écrivit un billet au dit père Aleaume pour le prier de la venir voir,

Pourquoi elle répondante, après avoir obligé l'abbé Couturier de revenir de la campagne au mois d'octobre dernier elle lui donna quelques cahiers de sa composition et pour quel usage,

A dit qu'elle lui donna quelques cahiers manuscrits qu'elle avait composés pour la justification de ses ouvrages, et qu'elle était bien aise qu'il les lût parce qu'elle y avait recueilli ce que les saints Pères ont écrit sur cette matière.

Avons remontré à la répondante qu'en cela même, elle a contrevenu à la promesse qu'elle avait faite en sortant du couvent de Sainte-Marie de Meaux,

A dit qu'elle était bien aise que l'abbé Couturier vît les sentiments des Pères de l'Église sur cette matière,

Avons remontré à la répondante qu'elle nous a ci-devant déclaré que ce qu'elle avait recueilli des Pères avait été par elle écrit et mis en cahiers pour justifier la doctrine de ses livres, et ayant donné comme elle a fait depuis son retour407 de Meaux ce qu'elle avait fait auparavant, pour [f°169] justifier sa doctrine, et ses livres, ça n'a pu être par aucun autre motif, que pour justifier cette même doctrine et ses livres, et qu'en les justifiant de cette sorte, elle a agi en cela contre ce qu'elle avait consenti et souscrit, mais aussi elle a témoigné par cette conduite qu'elle persistait dans la même doctrine et dans les mêmes sentiments, parce qu'autrement elle n'aurait pas pris le soin qu'elle s'est donnée de les justifier par ces cahiers à l'abbé Couturier,

A dit qu'elle n'a prétendu justifier ses écrits et sa doctrine qu'autant que sa doctrine sera conforme à celle des saints canonisés par l'Église, qu'elle n'a fait que rapporter leurs paroles dans ses écrits, et si elle s'en est éloignée, elle a mérité justement d'être conjurée, mais si elle n'y a rien changé et si elle a rapporté seulement la doctrine des saints, ça n'a point été pour justifier sa doctrine particulière, qui lui a été seulement défendu de dogmatiser dans l'Église, et qu'elle ne l'a point fait ; aussi, que ce qu'elle a écrit pour justifier ses livres a été écrit par elle répondante sur l'ordre que M. l'évêque de Meaux lui en avait donné, même de le faire avec le plus d'étendue qu'elle pourrait,

Avons remontré à la répondante qu'après la censure de ses livres et sa soumission il ne s'agissait plus de se justifier, et que de vouloir justifier après cela, c'était les soutenir et en les soutenant pour ainsi dire dogmatiser, et vouloir persuader à l'abbé Couturier que ses livres n'étaient pas justement conjurés,

A dit qu'elle n'a eu d'autres sentiments en faisant voir les cahiers au dit abbé Couturier que de lui faire connaître quelle était la doctrine des saints408, sans aucun dessein particulier de justifier et de soutenir ses livres,

Avons représenté à la répondante trois cahiers manuscrits paraphés le douzième janvier dernier, l'un desdits cahiers coté sur la première page 62 et sur la dernière 89, le second coté sur la première page 90 et sur la dernière 113, et le troisième coté sur la première page [f°170] 114, et sur la dernière 145. Interpellée de les reconnaître et de déclarer s'ils ne sont pas écrits de la main de la nommée Françoise Marc, et les mêmes qu'elle répondante a donnés à lire à l'abbé Couturier depuis qu'elle est de retour de la ville de Meaux,

A dit après les avoir vus et considérés que les trois cahiers sont de sa composition, qu'ils sont écrits de la main de la nommée Françoise Marc et les mêmes qu'elle a donnés pour les lire à l'abbé Couturier, après être revenue de la ville de Meaux409,

En quel temps elle a travaillé et composé le livre de la vie et de l'intérieur du chrétien, conforme à la vie et à l'intérieur de Jésus-Christ, tiré de la Sainte Écriture tant de l'ancien que du nouveau Testament,

A dit qu'elle n'a point composé ni travaillé à faire aucun livre qui ait eu ce titre, qu'il est bien vrai qu'avant d'être au couvent des filles de Sainte-Marie de la rue Saint-Antoine de Paris, elle se mit en devoir de recueillir tous les passages de l'Écriture qui lui paraissaient les plus beaux et les plus touchants sur la même matière, mais ayant trouvé ce travail trop pénible, et n'étant pas capable d'écrire avec application, elle en abandonna le dessein, après avoir commencé de recueillir quelques passages de l'Écriture dans un certain ordre qu'elle s'était proposée de leur mettre410,

Avons représenté à la répondante trois cahiers de grand papier, à nous remis par M. François Desgrez de l'ordre du roi, le premier coté, cahiers a: c: timbré sur le premier feuillet abandon, et sur le verso dudit premier feuillet, s'est trouvé un quart de feuille manuscrite, attaché et légèrement collé. Au dit premier feuillet, commençant par ce mot « J'avoue » et à ladite pièce après avoir été détachée ce sont trouvés au droit de ladite pièce ces mots « La vie et l'intérieur du chrétien, conforme à la vie et à l'intérieur de Jésus-Christ tiré de la Sainte Écriture, tant de l'ancien que du nouveau testament » et au-dessous sont écrits « mon père a fait réponse à M. de Cahade qu’il fera ce qui lui pl : [plaît] » Le deuxième cahier timbré sur la première feuille « cinquième [f°171] cahier prédicateurs ». Et le troisième cahier coté « huitième cahier pouvoir et souveraineté » ... Interpellée de les reconnaître et de déclarer si tout ce qui est écrit dans lesdits Cahiers est de son écriture et entièrement écrite sa main, et si ladite pièce attachée au premier feuillet du premier cahier représenté qui paraît être une préface, et ce qui est au dos de ladite préface est aussi écrit de sa main,

A dit après avoir vu lesdits cahiers avec ladite préface que le tout est entièrement écrit de sa main, que ce sont les cahiers dont elle a fait mention ci-dessus qui ont dû être trouvés dans la maison de Paincourt, que la préface est aussi de sa composition, et n'ayant pu continuer par la raison411 qu'elle nous a déjà dit qu'elle ne peut s'appliquer, elle abandonna le dessein de ce livre, qu'elle se souvient cependant que tout ce qui est écrit sur les trois cahiers a été par elle écrit et recueilli en deux ou trois jours de temps,

Ce fait lesdites deux pièces ont été par nous paraphées et par la répondante,

Lecture faite du présent interrogatoire a dit ses réponses contenir vérité, y a persévéré et a signé, J. M. Bouvier et de la Reynie412.





Lettres pathétiques

La répondante a tenu le choc. Elle tente de remédier à l’accusation de fuite dans la première lettre tandis que la seconde témoigne de l’épuisement nerveux lors du sixième interrogatoire.

Monsieur413,

Je prends la liberté de vous supplier instamment d’avoir la bonté d’attacher à l’interrogatoire que vous me fîtes dernièrement, la déclaration que je vous fais que, lorsque je commençais à me retirer, j’écrivis à Mme de Maintenon que je ne me retirais et ne cachais ma demeure que pour me délivrer de la calomnie et des impositions qu’on me faisait, que je serais toujours prête de reparaître lorsque Sa Majesté le désirerait. Je demandais même des commissions pour m’examiner si l’on me croyait coupable en quelque chose, et M. Desgrez414 sait que je lui dis d’abord que si j’avais cru que Sa Majesté eût souhaité que je me fusse rendue en quelque endroit, que je lui eusse épargné la peine de me prendre.

Il y a deux ans que je voulus me retirer dans un couvent du diocèse de Sens. J’avais même envoyé toutes mes hardes, mais Mgr l’archevêque de Sens dit qu’on l’avait prié de ne me pas recevoir, et je fus obligée de faire revenir mes hardes. Pour le changement de noms, Mgr de Meaux lui-même l’a trouvé si fort essentiel qu’il m’ordonna d’en changer lorsque je fus dans son diocèse, pour éviter, disait-il, qu’on ne le tourmentât par les continuelles choses qu’on disait contre moi, et dès qu’on sût que j’étais à Meaux sous un autre nom, il n’y a sortes de choses qu’on n’écrivît aux religieuses contre moi. Ces sortes de tourments m’ont rendu ma prison [f°260v°] agréable, puisqu’elle me met à couvert de nouvelles suppositions. Ce sont les seuls motifs qui m’ont obligée de me retirer. On ne peut m’imputer d’autres sentiments, puisque j’ai déclaré le motif de ma retraite. [aucune signature ni formule, fin de page blanche]

Monsieur415,

J’espérais toujours que vous me feriez l’honneur de revenir, et que je pourrais moi-même vous demander très humblement pardon des extravagances que je fis la dernière fois que vous me fîtes cette grâce. Si j’avais pu espérer, après le [f°261 v°] refus qui m’a déjà été fait, qu’on m’eût donné de quoi écrire, je n’aurais pas différé deux jours à vous témoigner, monsieur, l’extrême chagrin que j’aurais de vous avoir déplu. Vous connaissez trop la faiblesse de notre sexe, pour vous offenser, monsieur, des larmes d’une femme, et quand ces mêmes larmes auraient eu le malheur de vous déplaire, vous êtes trop généreux pour ne me les pas pardonner. Si j’ai dit quelque chose qui ait fait le même effet, ce que j’ignore, je peux vous assurer que ma langue n’a point été d’accord avec mon cœur, mais ma main est de concert avec lui pour vous [f°262 r°] témoigner mon chagrin sur tout cela et combien je vous honore. Ce n’est point la qualité de mon juge que vous portez, monsieur, qui fait ma peine de vous avoir déplu, c’est vous-même, monsieur, c’est votre propre mérite, et je consens de tout mon cœur que, séparant la qualité de juge d’avec celles qui vous sont propres, vous receviez, monsieur, mes excuses personnelles, et que comme juge, vous me traitiez à toute rigueur et ne me pardonniez point, pourvu que vous soyez persuadé de ma parfaite estime et du respect avec lequel je suis, monsieur, votre très humble et très obéissante servante De la Motte-Guion.

[f°262 v°] Je ne sais, monsieur, si vous pourrez lire ceci, mais comme je n’ai ni plume ni encre, je me suis servi de ce que j’ai pu.

Pendant ce temps les amis sont eux-mêmes menacés et s’inquiètent pour elle ; le duc de Beauvillier écrit à Tronson, le 29 février416 :

[...] Je pourrai avoir mon tour, mais au scandale près, je vous dirai ingénument que j’en serais ce me semble bientôt consolé. Si même (après une aventure pareille à celle de M. de Cambrai) vous estimiez qu’il fût d’ordre de Dieu que je n’attendisse point à être chassé et que je quittasse de mon pur mouvement, je ne me sentirais pas de répugnance à le faire [...]

Quoi ! Dans un temps où Mr de la Reynie vient pendant [f°160v°] six semaines entières d’interroger Mme Guyon sur nous tous, quand on la laisse prisonnière et que ses réponses sont cachées avec soin, Mr de Cambrai, un an après Mrs de Paris et de Meaux, s’aviserait tout d’un coup de faire une censure de livres inconnus dans son diocèse, ne serait-ce pas donner bien à croire qu’il est complice de tout ce qu’on impute à cette pauvre femme et que par politique et crainte d’être renvoyé chez lui, il s’est [f°161] pressé d’abjurer ?

Vous savez, monsieur, tout ce que je vous ai dit de ma conduite sur Mme Guyon, j’ai laissé passer toutes choses, encore aujourd’hui je garde un profond silence [...].

Un répit accordé par des enquêteurs perplexes

Heureusement un mois de répit va s’écouler avant la reprise des interrogatoires. Devant la résistance de l’accusée, il faut en effet réfléchir à une tactique qui serait mieux adaptée. Nous avons un échange de lettres mettant en jeu les pouvoirs civil et religieux au service du Roi, représentés par le triangle formé par Pontchartrain, La Reynie, l’Archevêque de Paris Noailles417 :

29 janvier 1696. / J'ai lu au roi M. vos dernières lettres et vos deux derniers interrogatoires de Mme Guyon ; comme Sa Majesté n'a jamais eu dessein que cela eût une longue suite de procédures judiciaires et que celle que vous avez faite jusqu'ici, quoique absolument nécessaire, et juste et sage, comme tous ceux que vous faites, ne conduit à rien, Sa Majesté m'ordonne de vous dire, qu'après avoir achevé des interrogatoires auxquels vous me marquez que vous travaillez, vous cessiez toute procédure et que vous remettrez entre les mains de monsieur l'archevêque de Paris la cassette de Mme Guyon avec tous ses papiers et même les deux lettres du père de La Combe qui ont été le sujet de vos deux derniers interrogatoires. Je suis tout à vous monsieur. Pontchartrain.

Cet ordre est suivi le 6 février d’un contre-ordre concernant le dépôt de la cassette, qui montre l’hésitation sur la marche à suivre :

J'ai lu au roi, M., le dernier interrogatoire de Mme Guyon que vous m'avez envoyé et les différents mémoires et lettres qui y étaient joints sur lesquels il y a constamment bien de différentes réflexions à faire ; Sa Majesté m'ordonne de vous dire qu'elle attend le quatrième interrogatoire que vous m'avez mandé que vous avez commencé, et de vous répéter qu'après cet acte judiciaire elle ne veut plus qu'il en soit fait d'autre, à moins que par ce qu'il contiendra et par les papiers qui étaient dans la cassette de Mme Guyon, le roi ne juge à propos de les continuer, et pour en mieux juger Sa Majesté m'ordonne de vous dire qu'au lieu de remettre cette cassette et ces papiers entre les mains de monseigneur l'archevêque comme je vous l’avais mandé, vous ayez à me les envoyer avec un bref inventaire ou mémoire non raisonné de leur qualité sur lequel les gens puissent en rendre compte à Sa Majesté en attendant qu'il en fasse faire la discussion à fond. Je suis tout à vous monsieur. Pontchartrain. Six février 1696.

La Reynie répond dès le lendemain par un long rapport. Il se couvre en exposant de façon détaillée les contenus de la série des six premiers interrogatoires :

Ce 7 février 1696. / Monsieur,

J'ai entendu l'attention du roi dès les premiers ordres que vous m'avez fait l'honneur de me donner à l'égard de Mme Guyon, et qu'il s'agissait seulement de l'interroger et non d'instruire aucun procès en forme.

J'ai travaillé sur ce plan monsieur, et le roi ayant fait mettre à Vincennes Mme Guyon après la censure de ses livres et de sa doctrine, il m'a paru que Sa Majesté estimait qu'il pourrait être utile de voir si par l'établissement des faits qui touchent en particulier la conduite de Mme Guyon, il y avait lieu par cet endroit, de donner à juger en comparant la conduite, par les faits, au livre que Mme Guyon a dit avoir composé, à ses pratiques et à ces voies extraordinaires, en quelle estime le tout devrait être, et il ne serait peut-être pas indifférent d'entendre quelle est la racine et la tige qui a porté de tels fruits. Il semble même qu’en la faisant bien connaître par la vérité des faits, Sa Majesté donnerait peut-être aux pasteurs de l'Église, un secours considérable et un moyen presque assuré aux personnes faibles d'avoir de plus justes idées de tout ce qu'elles ont admiré jusqu'ici sans connaître les véritables caractères d'une femme dont la conduite dès les premiers pas qu'elle fait, a toujours été contre le bon sens, et dont l'esprit blessé et enflammé par le désir de paraître une femme divinement inspirée, emprunte d'où elle [pdf p.41] peut, tout ce qui lui peut servir à donner cette opinion.

Je n'ai pu M., à cause de quelque indisposition, satisfaire plus tôt à l'ordre que vous m'avez donné. J'ai fait depuis un mois et jusqu'ici, six interrogatoires à Mme Guyon, un interrogatoire à la nommée Marc, une de ses femmes, deux interrogatoires à la demoiselle Pescherard, et quatre interrogatoires à l'abbé Couturier, et en tout jusqu'au nombre de treize. J'ai outre cela examiné avec soin et avec application pendant ce temps-là, tous les papiers et tous les fragments, échappés et oubliés parmi des livres et dans des recoins de la maison de Paincourt. La dernière lettre que je vous ai envoyée M., s'est trouvée dans cette sorte d'endroits.

Les papiers de la cassette de Mme Guyon ne sont d'aucune conséquence, mais je ne laisserai pas de vous les envoyer avec tous les interrogatoires demain, suivant l'ordre que vous m'en avez donné par votre lettre du jour d'hier six février du mois.

Le premier interrogatoire de Mme Guyon a eu pour objet d'établir depuis son retour de Meaux, la connaissance des lieux où elle s'était cachée et les noms qu'elle y avait pris.

Le second, a eu pour fin, de connaître de qui étaient les deux lettres trouvées dans les mains de Mme Guyon, lorsqu'elle fut arrêtée, sans signature et le véritable temps de leur date. [42]

Après avoir su que le père de La Combe et le sieur de Lasherous, prêtre, avaient écrits ces deux lettres, j'ai demandé par le troisième interrogatoire, les explications de la petite Église, des enfants du petit maître, du commerce continuel avec le père de La Combe et du dessein de Mme Guyon, concerté avec le père de La Combe, de passer à Lourdes et vivre cachée et inconnue en ce pays-là.

Par le quatrième Mme Guyon a déclaré elle-même les voyages qu'elle a faits et les motifs qui l'ont emportée à les faire. De quelque manière qu'elle ait accommodé le tout, il paraît ce semble peu de ménagement en tout ce qu'elle a fait, pour suivre le père de La Combe, jusqu'à ce qu'il soit revenu en France.

Le cinquième interrogatoire contient l'histoire de quelques livres de Mme Guyon, où l'on peut ce semble raisonnablement voir la main du père de La Combe, qui par les raisons qu'il a eues, peut avoir jugé à propos de les attribuer à Mme Guyon.

Par le sixième interrogatoire il paraît que depuis la censure des livres de Mme Guyon, depuis la soumission qu'elle a signée et depuis sa sortie du couvent Sainte-Marie de Meaux, elle a continué le même commerce avec le père de La Combe, qu'elle lui a envoyé le livre de l'explication de l'Apocalypse, qu'elle dit être de sa façon, pour le revoir et pour le corriger, qu'elle a donné d'un autre côté au père Alleaume, le livre du cantique des cantiques, aussi pour le ravoir [43] et pour le corriger. Elle a dans le même temps donné ses cahiers à l'abbé Couturier, pour justifier sa doctrine condamnée, et quand par induction naturelle que j'en ai tirée et lorsque Mme Guyon en a vu l'explication et la conséquence, elle n'a fait aucune difficulté de varier. / Je vous envoie M., ces deux derniers interrogatoires.

Il ne sera pas nécessaire que vous preniez la peine de lire les sept s'interrogatoires de Françoise Marc, de l'abbé Couturier et de la damoiselle Pescherard, quoiqu'ils soient très utiles pour l'établissement de certaines circonstances.

Je m'étais proposé si j'eusse resté en l'état de faire un dernier interrogatoire à Mme Guyon, et je l'eusse fait aujourd'hui sans l'ordre que je reçus hier. Voici M., ce que j'avais cru important et que j'avais réservé pour la conclusion de ses interrogatoires.

Premièrement, ce qui restait à demander sur la petite Église. / Deuxièmement. Un évangile nouveau, manuscrit, pour les enfants du petit maître, qui sont ceux de la petite Église, et une épître imitée de Saint-Paul, pour les mêmes. Il y a un titre différent et particulier à l'épître en latin. Ces deux pièces ont été trouvées dans la maison de Paincourt, et Mme Guyon pourrait dire de quelle main elles sont écrites.

Je m'avisai il y a quelques jours, de demander au maître de la maison où [44] Mme Guyon avait demeuré sous le nom de Mme Bernard, à la rue Saint-Germain de l'auxerrois, s'il n'avait reçu depuis peu aucune lettre pour Mme Bernard, et il s'en est trouvé une du père de La Combe daté du 7 décembre, que je faisais aussi état de la représenter et que je vous envoie. Elle est importante par tout ce qu'elle contient, par l'applaudissement qu'il donne à cette femme sur l'Explication de l'Apocalypse et surtout de l'Écriture. Il y est aussi fait mention de la petite Église et de l'augmentation qui s'y est faite depuis peu, de trois religieuses d'un monastère assez proche de Lourdes.

J'avais aussi trouvé quelques mots dans deux pièces cotées 15 et 22, qui sont la suite l'une de l'autre, Mme Guyon a marqué peu de jours avant d'être arrêtée, qu'elle faisait état de passer en Hollande, et elle peut en avoir eu d'autant plus le dessein qu'elle était à ce qu'elle a dit avoir été avertie qu'on l'observait sur les chemins, et que pour passer plus sûrement aux Pyrénées selon son génie, elle pouvait passer comme elle l'a fait autrefois, à Gênes, pour aller de Grenoble à Verceil, trouver le père de La Combe, sur quelques difficultés qu'elle avait cru trouver à passer par la route ordinaire.

Je vous envoie cette pièce Monsieur, aussi en originale comme les autres. Elle est écrite de la main de Mme Guyon et de sa façon. Elle croit avoir quelque facilité à écrire en vers, mais vous en jugerez ; et j'avais fait état après avoir parlé du voyage d'Hollande [45] de vous envoyer cette même pièce trouvée et paraphée à l'ouverture de la cassette, croyant que les huit vers, adressée à une jeune veuve, qui sont écrits sur la page cotée 22, et que toutes les autres puérilités qui sont dans ces quatre feuillets, étaient aussi propres que toutes autres choses à diminuer le trop grand attachement.

L'abbé Couturier ayant dit par ses interrogatoires que dans le temps que Mme Guyon lui avait donné ses cahiers pour justifier sa doctrine, elle lui avait aussi donné le roman de la belle Hélène, et qu'elle lui avait dit de le lire et que si ce roman était tourné dans un sens spirituel il pouvait être instructif. Ce mot m'a fait recueillir et ramasser les comédies sur lesquelles Mme Guyon a écrit et d'où elle a tiré des vers et des pensées, qu'elle a transportées par exemple de Céladon et d'un berger au Sauveur, etc., de la déesse à la Sagesse, etc. Les autres livres dont je vous envoie l'inventaire, sont tellement remplis de folie qu'aucune personne raisonnable ne prend le temps à les lire, non plus que la belle Hélène. Je faisais état de les représenter et de demander à Mme Guyon à quel usage elle s'en pouvait servir.

J'ai eu l'honneur de voir monseigneur l'archevêque il y a quelques jours, je l'ai entretenu en général de ce qui avait été fait jusqu'à ce temps-là, en lui disant que Sa Majesté avait ordonné que je lui remisse la cassette [46] et tous les papiers de Mme Guyon, mais je vous l'enverrai demain avec un inventaire sommaire du tout, suivant votre ordre. Je puis cependant vous assurer M., qu'il n'y a quoi que ce soit qui mérite aucune attention, à la réserve de ce dont j'ai déjà eu l'honneur de vous rendre compte, et il n'y a quoi que ce soit, directement ou indirectement, qui indique personne de la Cour, ni d'ailleurs. Ce sont des chansons, des cantiques et en un mot des papiers inutiles. Je suis, etc.

Ce 8 février 1696

M. / J’ai remis tous les papiers de Mme Guyon dans sa cassette et sous une enveloppe cachetée, je vous envoie le tout avec la clé de la cassette et un inventaire sommaire de tous les papiers. Je suis.

Enfin, à la fin du mois, la (non-)décision est prise : laisser La Reynie achever son enquête. Les documents sont toujours chez l’Archevêque mais vont être restitués à La Reynie – avant de mettre en batterie le pouvoir religieux, ce qui constituera l’étape suivante, par l’intermédiaire du docteur Pirot. Plus tard l’Archevêque sera obligé d’intervenir en personne…

27 février 1696.

Le roi, M., après avoir bien pesé de nouveau tout ce que vous me mandiez de Mme Guyon par vos dernières lettres, m'ordonne de vous dire que son intention est que vous continuiez le peu de procédures que vous nous proposiez de faire encore, pour achever de les tirer par quelques nouveaux interrogatoires l'éclaircissement que vous aviez commencé de prendre par les premiers. Et pour cela les papiers et mémoires, en partie de ce que vous m'en aviez envoyé, vous est nécessaire. Vous les retirerez s'il vous plaît de monseigneur l'archevêque à qui je les ai remis par ordre du roi et à qui j'écris aujourd'hui pour vous les remettre, toutes fois et quantes que vous en aurez besoin. Je suis M. parfaitement à vous. / Pontchartrain.

On reprend donc - après deux mois d’interruption - les interrogatoires qui se limiteront à trois (ou quatre si l’on prend en compte un éventuel dixième interrogatoire rapporté par l’accusée et qui aurait pris un ton plus supportable, mais peut-être s’agit-il du neuvième) :



Septième interrogatoire de Mme Guyon, le 1er avril 1696

L’épreuve se poursuit par une série de trois interrogatoires sur quatre jours. Les questions du septième interrogatoire portent sur la lettre du père La Combe datée du 7 décembre et arrivée tardivement au logis où eut lieu la saisie : elle n’avait donc pas été encore utilisée. On la questionne de nouveau sur « la prétendue petite Église » vue comme une secte depuis le début, puis sur deux épîtres saisies, l’une en français traduisant l’autre en latin ; elles ne sont pas de sa main. A-t-elle vraiment « composé un Évangile nouveau, pour la secte de ceux qui ont pris le titre d'Enfants du petit maître » ? La séance se termine sur le sieur de Lasherous.

[f°172] Interrogatoire418 fait par nous, Gabriel Nicolas de La Reynie, conseiller ordinaire du roi en son conseil d'état, à Mme Guyon, prisonnière au donjon du château de Vincennes, de l'ordre de sa majesté, auquel interrogatoire nous avons procédé selon et ainsi qu'il ensuit.

Du dimanche 1er avril 1696, dans le donjon dudit château de Vincennes.

Interrogée de son nom, surnom, âge, qualité et demeure, après serment fait de dire et répondre vérité.

A dit qu'elle s'appelle Jeanne Marie Bouvier, âgé de 47 ans, veuve de M. Jacques Guyon, Chevalier Seigneur du Quesnoy, demeurant avant sa détention à Paincourt les Paris.

Avons représenté à la répondante, une lettre missive datée ce sept de décembre, sans signature ni souscription, commençant par ces mots : « je reçus hier votre lettre », et finissant sur la quatrième page par ces autres mots « cachée à votre coeur », ladite lettre portée du bureau de la poste à la maison du nommé Bidault, rue Saint-Germain, où elle était adressée à Mme Bernard, remise par ledit Bidault, au sieur abbé Couturier. Interpellé de la reconnaître et de déclarer si ce n'est pas la réponse du père de la Combe, à la dernière lettre qu'elle répondante lui a écrite avant d'être arrêtée.

A dit avant que de répondre sur la lettre que nous lui représentons, qu'elle ne peut se dispenser de nous dire qu'elle s'est souvenue depuis ses derniers interrogatoires, qu'il y avait un an et demi, ou deux ans, que le père Aleaume lui avait donné les observations et corrections qu'il avait faites sur le livre du Cantique des Cantiques, que nous lui avons ci-devant représenté. Et quant à la lettre que nous lui représentons à cette heure, elle répondante reconnaît que c'est la réponse à la lettre qu'elle répondante avait écrite au père de la Combe, en lui envoyant les bagues et anneaux qu’il lui avait demandés.

Avons remontré à la répondante qu'il paraît par cet réponse du père de la Combe, qu'elle a continué d'être en commerce de lettres avec lui, jusques au temps qu'elle a été arrêtée, et qu'elle faisait encore état au temps de la dernière lettre d'elle répondante, de se rendre au printemps au lieu où le père de La Combe est actuellement, et que c'est par cette même raison que le père de La Combe lui a écrit par la lettre représentée en ces termes : « Songez à faire le grand voyage » et par là qu'elle avait demandé au père de La Combe quelque personne du pays pour la conduire, il lui a fait réponse que personne ne pouvait aller du lieu où il est pour se rendre auprès d’elle, sans que cela fît trop d’éclat, ainsi qu’il lui avait marqué par d'autres lettres ci-devant représentées.

A dit qu'elle a toujours eu commerce de lettres avec le père de la Combe, qu'elle l’aurait continué si elle était restée libre, et qu'il ne lui a jamais été défendu ; quant au dessein du voyage, ce que le père de La Combe lui marque par sa dernière lettre, est toujours en conséquence de la première lettre qu'elle répondante lui avait écrite sur ce sujet et quoiqu'elle répondante eut entièrement changé de volonté à cet égard, elle a cru qu'il suffisait de faire savoir au printemps le changement de son dessein.

S'il n'est pas vrai que pour se disposer à ce [f°173] voyage, qu'elle répondante a acquis cents livres de rentes sur l’hôtel de ville au denier quatorze au nom et au profit de la nommée Marc, l'une de ses femmes, et qu'elle a fait aussi l'acquisition de la maison de Paincourt, sous le nom de la nommée Lavau, qui est pareillement à son service, et pour les récompenser en les quittant419, pour aller vivre cachée auprès du père de la Combe, suivant le dessein qu’elle en avait fait, et qu'elle avait aussi concerté avec le père de La Combe au terme de ses lettres ci-devant représentées et de celles que nous lui représentons encore à présent, par laquelle le père de La Combe lui écrit en ces termes : « Il faut que vous preniez quelqu'un où vous êtes encore, craindrais-je que vous n'en fussiez embarrassée et surchargée comme il vous arriva autrefois420 ». C'est-à-dire dans le temps qu'elle répondante suivait le père de La Combe au pays de Gex en Dauphiné, en Savoie et en Piémont ; à quoi le père de La Combe a ajouté par la même lettre ces autres termes : « Une femme intelligente et fidèle, vous suffirait, avec un garçon sur qui l’on pût s’assurer, tel qu'était Champagne. »

A dit qu'elle répondante ayant demandé au père de la Combe le sieur de Larousse prêtre pour la conduire et pour n'être pas exposée à l'inconvénient qui arrive quand on voit une femme seule avec d'autres femmes par pays et en voyage, le père de La Combe lui a marqué par ses lettres et non seulement cet autre inconvénient d'une personne du pays et l'éclat que pourrait faire son absence, mais encore qu'il craignait qu'elle n'en fût chargée, ainsi qu'elle avait été d'un autre ecclésiastique, qui l’avait accompagnée et pour le retour duquel de Verceil en Dauphiné il lui fallut faire une dépense considérable et qu'au surplus, elle répondante n'a point suivi le père de La Combe ainsi que nous le disons. Quant aux deux acquisitions qui ont été faites au nom des deux femmes qui sont à son service, le contrat de constitution de cents livres de rentes au profit de la dame Marc, lui a été mis entre les mains par la dame Marc, pour le garder, et que le prix de l'acquisition est promesse de 1400 livres que la dame Marc a touchée du tuteur du second fils d'elle répondante, et qu’à l’égard de l'acquisition de la maison de Paincourt sous le nom de la nommée De Lavau, elle répondante a toujours prétendu qu'elle lui en donnerait une déclaration.

Quel est cette petite Église qui a reçue une grande joie à la réception de la dernière lettre d'elle répondante, suivant la réponse du père de La Combe que nous lui représentons.

À dit qu'elle a déjà répondu sur cet article et qu'elle n'en n'a point d'autre connaissance plus particulière, et que ceux qui composent cette Église doivent être des gens qui aiment Dieu, et qu'elle répondante ne connaît point.

Avons remontré à la répondante qu'elle doit s'expliquer plus clairement et plus sincèrement qu'elle n’a fait jusqu'ici, touchant la prétendue petite Église, dont il est fait mention, non seulement dans la lettre représentée, mais encore dans les deux autres lettres précédentes du père de la Combe, qu'elle répondante a reçues depuis sa sortie des filles de Sainte-Marie de Meaux, parce qu'il paraît que cette petite Église, est une Église de secte particulière, et le Roi (qui est protecteur de la vraie et seule Église catholique), a droit et intérêt de savoir quel est cette petite Église dans son Royaume, et quelle est la secte qui l’a établie et qui la reconnaît.

Et dit qu'elle ne croit point qu’en s'unissant [f°174] ensemble pour servir et aimer Dieu plus parfaitement, cela doive être appelé du nom de secte, ni même d’Église, qu'elle ne s'est point servie de ces termes de petite Église, et que c'est au père de La Combe a expliquer ce qu'il a entendu par ces termes de petite Église, qu'à son égard d'elle répondante, elle a toujours compris, comme les pécheurs se recherchent les uns les autres, les gens de bien se cherchaient de même, et que la société où ils étaient pour servir Dieu, n'était ni secte ni Église différente, et elle répondante abhorre toutes les sectes, et aimerait mieux perdre la vie que de se séparer de l'Église catholique.

Avons représenté à la répondante un feuillet de papier écrit des deux côtés, ayant pour titre à l’un des côtés ces mots : « Épître aux Enfants du petit Maître421 » et finissant du même côté par ces autres mots « que voulez-vous d’avantage. » La dite pièce trouvée dans la maison de Paincourt avec d'autres papiers et les livres qu'elle répondante y avait. Interpellée de reconnaître la dite pièce et de déclarer de quelle main ladite pièce est écrite, ce que c'est que cette Épître pour les enfants du petit maître, aussi bien que l'Évangile nouveau422 qui est écrit au-dessous de ladite Épître.

A dit, après avoir vu ladite pièces, qu’elle en connaît l'écriture, et que la dite pièce lui a été envoyée par une religieuse, mais qu’elle n’en peut dire ni le nom ni le couvent d’où elle est, parce qu'elle ne croit pas que la charité lui permette de nommer les personnes qui ont eu communication avec elle, ou qui lui ont découvert l'état de leur conscience, et qu’à l’égard de l'Épître et de l'Évangile, elle ne sait ce que c'est, mais qui lui paraît que ce sont tous textes de l'Écriture qui composent lesdites deux pièces.

Avons représenté à la dite répondante une autre pièce manuscrite d’un côté seulement, ayant pour titre ces mots : « Epistola sancti Michaelis arcangeli ad michelinos » et finissant par ces autres mots « manet in aeternum »423. Ladite pièce trouvée en ladite maison. Interpellée de la reconnaître et déclarer de quelle main elle est écrite et à quel usage cette pièce lui a été donnée.

A dit après avoir vu ladite pièce, qu'elle en reconnaît l'écriture, et qu’elle est écrite d'une autre main que la précédente, mais qu'elle ne nommera pas non plus la personne qui l’a écrite et qu'elle fut écrite sur la table d'elle répondante au sujet de la dévotion à l'archange saint Michel, et sur ce qu'elle remarquait qu'il n’y avait que de petits enfants qui allassent en pèlerinage pour la dévotion de saint Michel.

Avons remontré à elle répondante qu'il paraît que l'Épître en français aux Enfants du petit maître, qui lui a été ci-dessus représentée est la traduction de l'Épître qui est en langue latine, écrite sur la pièce que nous lui représentons et étant de différentes personnes et en diverses mains, il paraît que ladite Épître aussi bien que l'Évangile sont à l’usage de ceux qui se disent les Enfants du petit maître.

A dit qu'elle ne peut dire comment cela été fait, mais qu'elle voudrait bien que tout le monde aimât et servît Dieu dans la simplicité suivant qu'il est porté dans lesdites pièces que nous lui représentons et dans la simplicité des petits enfants, et qu’elle ne croit pas qu'il y ait en cela aucun mal.

Si elle croit qu'il soit de la piété chrétienne et qu'il puisse être promis être quelque édification pour l'Église et pour la Religion de supposer une Épître de l'archange saint Michel, de la faire lire [f°175] aux simples et de la leur distribuer comme on donne à lire les Épîtres canoniques, dont il paraît qu'on a en celle-ci imité le style et rejeté l'esprit.

A dit qu'elle ne trouve dans ladite pièce qu'un esprit de simplicité et que des gens ont fait cela pour se divertir sans aucun dessein.

Si elle croit qu'il soit aussi de quelque utilité à l’Église et à la Religion, ou de quelque édification, d'avoir avec la même imitation, composé un Évangile nouveau, pour la secte de ceux qui ont pris le titre d'Enfants du petit maître.

A dit qu'il n’y a dans ladite pièce que des paroles de l'Écriture, ne sait d’où cela vient, ni si c'est la même personne qui a fait l'Épître et l’Évangile, mais qu'elle peut dire qu'il n'y a pas eu de mauvaise intention.

Si elle ne sait pas qu'on ne peut sans impiété composer et supposer un Évangile nouveau et lui donner le même titre sous lequel l’Église donne aux fidèles la vraie Écriture et la parole de Notre Seigneur.

A dit que ce que nous appelons un Évangile nouveau, est un bout de papier dans lequel on a ramassé plusieurs passages de la Sainte Écriture, qui regardent la petitesse et la simplicité, et que cela n'est pas un Évangile nouveau, puisqu'il y a rien dans ladite pièce, qui ne soit tiré de la Sainte Écriture, mais qu'elle n'y a point de part ; et depuis a dit que puisqu'elle ne peut nommer les personnes qui ont part aux dites pièces, elle veut bien s'en charger, comme si elle les avait faites, et en porter la peine.

S'il n'est pas vrai que les conseils et que les préceptes qui se trouvent dans cette prétendue Épître et dans cet Évangile nouveau, sont entièrement conformes à la doctrine des livres et des écrits d'elle répondante, et qu’elle a si souvent expliquée.

A dit qu'il peut y avoir des termes en ces deux pièces représentées, qu'elle n'a pas assez examinées, mais qu’à l’égard du fond et de l'amour de la petitesse, il est conforme à ses sentiments.

S'il n'est pas vrai que les deux pièces représentées ont été faites pour servir de règle à ceux qui se disent être Enfants du petit maître et si le père La Combe de concert avec elle répondante, n'a pas composé lesdites deux pièces.

A dit que le père de La Combe n'en a jamais eu aucune connaissance et que l'épître latine fut écrite en présence d'elle répondante, et lui paraît être une saillie d'esprit, d'un jeune homme, ne sait pas néanmoins s’il avait médité auparavant ladite Épître ; quant à l'Évangile elle répondante ne sait qui l’a composé.

Avons remontré à la répondante, que le soin qu'elle a pris de distribuer un grand nombre d'estampes de l'image de l'archange saint Michel, marque qu'elle a quelque dévotion particulière à ce saint archange, et qu'il est vraisemblable que par cette raison ce soit elle qui ait composé ou faite composer l'Épître latine représentée, pour ceux qui sont appelés Michelins, et qu'il paraît aussi par rapport à l'Évangile pour les Enfants du petit maître, qu'elle a réduit tous ses exercices et tout son culte extérieur à cette sorte de pratique et à tenir chez elle diverses figures de cire de l'Enfant Jésus dont on a trouvé la principale chargée d'un grand nombre de petits coeurs d’or et la niche remplie de tous les meubles d'orfèvrerie qu'elle a pu imaginer, qu'il semble que c'est à quoi elle a réduit les exercices de la religion, s'étant entièrement abstenue de ceux d'obligation pendant tout le temps (que sans aucune nécessité) [f°176] elle a bien voulu se tenir cachée.

A dit qu’à la vérité elle a une dévotion particulière à saint Michel, qu'elle en a distribué plusieurs estampes, mais que ce n'est point par rapport à cette dévotion que l'Épître représentée a été faite, qu’à l’égard de l'Évangile qui a pour titre « Évangile des Enfants du petit maître », ce n'est pas non plus par rapport au culte qu’il a été fait ; qu'il est vrai qu’elle a deux figures de cire de l'enfant Jésus auprès de l'une desquelles il y avait un grand coeur d’or, qui était la figure du cœur de Notre Seigneur, avec la plaie, dans lequel étaient plusieurs autres petits coeurs aussi d’or, qu'elle avait tout offert au petit Jésus, que l’un de ces petits coeurs étaient le sien propre, ceux de ses Enfants, et de plusieurs autres personnes de ses amis, qu'elle voulait remplir le grand coeur d'autres petits coeurs d’or, et quand on lui a rendu le grand coeur, sans les autres petits coeurs, elle a prié l'enfant Jésus qu'il en prit autant de chair, comme on lui en avait pris d'or, et que cette dévotion lui a été inspirée à sainte Marie de Meaux, et que c'est la supérieure de la maison de Meaux, qui a pris soin, à la prière d'elle répondante, de lui faire avoir ledit grand coeur d’or, et quant à son culte, elle nous a dit par ses précédents interrogatoires, les raisons qui l’avaient empêchée de satisfaire à toutes ses obligations.

S'il n'est pas vrai que la petite Église dont le père La Combe lui a toujours écrit, est composée seulement de ceux qui se disent les Enfants du petit maître.

A dit qu’elle ne le sait pas.

Avons remontré à elle répondante, qu'elle ne peut dire comme elle fait, que cette petite Église, et que la secte des Enfants du petit maître lui soit inconnue, puisqu'on y professe non seulement sa doctrine, mais aussi parce qu'elle répondante est appelée mère des enfants de la petite Église, et que ceux mêmes qui conduisent la dite prétendue petit Église à Lourdes, le père de la Combe, et le prêtre de Lasherous qui est avec lui, ont écrit conjointement deux lettres missives à elle répondante ci-devant représentées des 10 octobre et 11 novembre derniers, par lesquelles et au sujet de la petite Église, le prêtre de Lasherous a écrit entre autres choses avec le père de La Combe touchant la doctrine d’elle répondante précisément en ces termes : « Je ne rougirai jamais, madame, en présence de qui que ce soit, de confesser la pureté de votre doctrine, discipline et mœurs, comme je l'ai fait en présence de notre prélat, de son retour de Paris, au sujet de l'illustre et plus qu’aimable père424 » quoique au temps que ces lettres ont été écrites, la doctrine d'elle répondante aussi bien que celle des livres du père de La Combe fussent déjà juridiquement condamnées.

A dit que la doctrine du père de La Combe n’a pu être tenue pour censurée que dans le diocèse où elle l’a été en effet et que sa doctrine n'a point été condamnée, qu'au contraire elle a été approuvée par l'Inquisition de Verceil, par la Sacrée Congrégation des Rites, et qu'enfin elle n'a point été condamnée dans le diocèse où le père La Combe est actuellement. Qu'à son égard d'elle, on n'a rien trouvé dans ses écrits contre la foi, et qu’elle en a une bonne décharge425, et que si il y a quelques termes qu'elle ait employés mal à propos et sur lesquels elle se soit trompée, c'est un effet de son ignorance, et les désavoue et les déteste de tout son cœur426 ; qu'elle est bien assurée qu'il ne se trouvera aucune erreur dans aucun de ses écrits et qu'elle n'a point eu aussi à faire aucune [f°177] rétractation, et qu'ainsi le père de La Combe427 et le sieur Delasherous ont écrit en toute assurance, qu'ils ne rougiraient jamais de confesser la pureté de sa doctrine, de sa discipline et de ses moeurs, et qu'ils sont bien persuadés que sa foi est conforme à celle de l'Église, que sa discipline est bonne et qu'il n'y a rien à dire dans ses mœurs ; et à l'égard de ce qu'elle est qualifiée Mère de la petite Église, n’a autre chose à dire que ce qu'elle a dit ci-devant sur cela, par ses précédents interrogatoires. Et qu'elle ne sait autre chose.

Avons remontré à la répondante que si elle n'avait pas eu une plus grande connaissance de la prétendue petite Église, le père de La Combe ne lui en aurait pas écrit comme il a fait par toutes ses lettres, et d’ailleurs par ce qui lui a été écrit touchant sa doctrine, il est évident qu'elle répondante a une doctrine et une discipline particulière, confessée au moins à Lourdes, par deux prêtres, et qu'il y a aussi d'autres personnes dans le même lieu qui suivent la même doctrine, qui sont de l’étroite confidence et qui composent la secte de la prétendue petite Église dont il s'agit et surtout le père de La Combe et le sieur de Lasherous, n'auraient pas assuré elle répondante de l'affection particulière de ceux qui composent la petite Église, principalement de ceux qui sont comme les colonnes de la petite Église, s'il n’y avait point de secte ni de petite Église et qu'après de telles explications, une dénégation constante d'elle répondante sur un fait d'ailleurs prouvé est une espèce de conviction.

A dit quant à ce que le père de La Combe et le sieur de Lasherous ont écrit de la doctrine et de la discipline d'elle répondante, ils n'ont entendu autre chose non plus qu'elle répondante, sinon que la doctrine et la discipline étaient bonnes et orthodoxes et que ces termes n'excluent point l'uniformité de la doctrine et qu'elle ne soit conforme à celle de l'Église. Qu'elle n'a jamais connu de secte particulière et que si le père de La Combe était capable d’en suivre quelqu’une, elle aurait autant d'éloignement qu'elle a d’estime pour lui, qu'il faut demander au père de La Combe et au sieur de Lasherous ce que signifient ces termes « des personnes de l’étroite confidence428 » et ceux qui sont comme les « colonnes  de la petite Église », qu'elle répondante n'a entendu autre chose si ce n'est que les personnes désignées comme « les colonnes de la petite Église » étaient plus affermies que d'autres dans la piété et que celles de « l’étroite confidence » étaient celles auxquelles on aurait pu se confier [blanc laissé dans le ms.] Qu'elle répondante aurait été dans le lieu si elle avait fait le voyage.

Avons remontré à la répondante qu’il est vrai que les termes avec lesquels le sieur de Lasherous s'est expliqué, n'excluent point absolument, ainsi qu'elle le dit, la conformité de la doctrine d'elle répondante à celle de l'Église catholique, mais si le sieur de Lasherous n’avait eu qu'à faire entendre qu'elle répondante suivait entièrement la doctrine de l'Église, il se serait contenté de le dire ainsi et ne lui aurait pas attribué une doctrine et une discipline particulières en l’assurant qu'il ne rougirait jamais de la soutenir.

A dit que le sieur de Lasherous dit également par sa lettre qu'il ne rougirait jamais de soutenir sa doctrine, sa discipline et ses moeurs, et que si l’on prenait ce qu'il a écrit dans le sens que nous l'entendons, il s'en suivrait que le sieur de Lasherous avait entendu qu'elle avait aussi des moeurs particulières, ce qu'il n'a point prétendu apparemment, ni voulu dire que sa doctrine ni sa discipline fussent particulières non plus que les moeurs.

Avons remontré la répondante que cette réponse paraît être une pure évasion, et que le véritable sens des termes dont s’est servi le sieur de Lasherous, est qu'il soutiendra la doctrine et la discipline d'elle répondante, et qu'il assurera toujours qu'elle est de bonnes moeurs, et qu'il n'y connaît rien qui ne soit parfaitement louable.

A dit que si la doctrine d'elle répondante n’avait pas été conforme à celle de l'Église, le sieur de Lasherous n’aurait point écrit qu'il la soutiendrait partout, parce qu'il n'y a point de bonne doctrine hors celle de l'Église catholique, et que si ces termes sont susceptibles de quelque autre sens, il faut en demander l'explication au sieur de Lasherous.

Ce fait lesdites pièce représentées ont été par nous paraphées et par la dite répondante.

Lecture faite du présent interrogatoire.

A dit les réponses contenir vérité, y a persévéré et a signé la minute, signé de la Reynie.



Huitième interrogatoire de Mme Guyon, le 2 avril 1696

Les questions reprennent la lettre citée précédemment et portent sur « la secte » de Lourdes qui suivrait une doctrine hétérodoxe, sur « les trois religieuses qui ont augmenté l’église », sur les communications intérieures… La Reynie situe exactement le problème lorsqu’il est écrit : « Avons remontré à la répondante, qu'il ne s'agit pas de savoir quelle est la doctrine ni de l'examiner, mais qu'il s'agit seulement de déclarer si elle ne sait pas qu'il y a une secte et une Église particulière à Lourdes, qui suit la doctrine d'elle répondante et du père la Combe… ».

[f°179] Interrogatoire fait par nous, Gabriel Nicolas de La Reynie, conseiller ordinaire du roi en son conseil d'état, à Mme Guyon, prisonnière au donjon du château de Vincennes, de l'ordre de sa majesté, auquel interrogatoire nous avons procédé selon et ainsi qu'il ensuit.

Du lundi deuxième avril 1696, dans le donjon dudit château de Vincennes.

Interrogée de son nom, surnom, âge, qualité et demeure, après serment fait de dire et répondre vérité.

A dit qu'elle s'appelle Jeanne Marie Bouvier, âgé de 47 ans, veuve de M. Jacques Guyon, Chevalier Seigneur du Quesnoy, demeurant avant sa détention à Paincourt les Paris.


Avons remis entre les mains de la répondante la lettre missive du père de la Combe, datée du 7 décembre, qui lui fut le jour d'hier représentée ; et à elle remontré, qu’il n'est pas seulement prouvé par les lettres du père de La Combe et du prêtre de Lasherous qu'il y a une secte à Lourdes, appelée de l'étroite confidence et des Enfants du petit maître, mais qu'il est aussi prouvé que cette secte fait profession de suivre la doctrine et les sentiments d’elle répondante, et que c'est cette secte qui fait la prétendue petite Église. Qu'il est aussi évident que cette secte et cette Église suivent une doctrine particulière et d'autres sentiments que ceux de l'Église catholique ; car si elle n'avait aucune doctrine particulière et si ceux qui composent cette Église suivaient en tout les sentiments de l'Église catholique, le père de La Combe n’aurait pas encore écrit à elle répondante en ces termes par la dernière lettre du 7 décembre : « Il s'est fait une augmentation de notre Église, par la rencontre de trois religieuses d'un monastère assez proche de ce lieu, étant venues aux eaux, on a eu occasion de leur parler et de voir de quelle manière est fait l'oraison que Dieu lui-même enseigne aux âmes, et l'obstacle qu’y met la méditation méthodique et gênante que les hommes suggèrent, voulant que leur étude soit une bonne règle de prier et de traiter avec Dieu. L'une de ces trois filles, a été mise par le Saint Esprit même dans son oraison, l'autre y étant appelée, combattait son attrait en s'attachant obstinément aux livres, sans goût et sans succès. La troisième, combattue de scrupules, n'est pas encore en état d’y être introduite.429 »

A dit qu'elle ne connaît point d'autre oraison que celle de remise en Dieu et de simple regard, dont parle saint François de Sales et grand nombre de saints, que si le père de La Combe a entendu autre chose par sa lettre, qu'elle répondante n'a point reçue, c'est à lui à qui il en faut demander la raison. Qu'elle ne veut pas entrer dans cette discussion et ne connaît point les trois religieuses dont il fait mention dans ladite lettre, et qu'elle déteste tout de nouveau toute secte séparée de la Religion Catholique, en quelque endroit qu'elle puisse être.

Avons remontré à la répondante, qu'il ne s'agit pas de savoir quelle est la doctrine ni de l'examiner, mais qu'il s'agit seulement de déclarer si elle ne sait pas qu'il y a une secte et une Église particulière à Lourdes430, qui suit la doctrine d'elle répondante et du père la Combe, ainsi qu'il paraît qu'elle en a connaissance par toutes les lettres du père de La Combe et particulièrement par la dernière que nous lui représentons, par [f°180] laquelle le père de La Combe marque précisément en ces mots : « Il s'est fait une augmentation de notre Église » et si elle répondante n'était pas de cette Église, le père de La Combe ne l’aurait pas qualifiée comme il a fait, notre Église.

A dit que le père de La Combe ne lui a jamais écrit de la petite Église, que dans les trois dernières lettres qu’il lui a écrites, et que nous lui avons représentées, et qu'elle ne peut dire sur ce sujet que ce qu'elle nous a déjà dit plusieurs fois.

Avons remontré à la répondante, que nous ne pouvons nous dispenser de lui représenter encore qu'elle répondante ayant supprimé toutes les autres lettres du père de la Combe, il semble qu'il lui est aisé de dire comme elle dit présentement que le père de La Combe n'a écrit de la petite Église que par les trois dernières lettres qui ont été conservées.

A dit qu'elle n'a point supprimé les autres lettres du père de la Combe, et qu'on n'a qu'à l'interroger lui-même sur ce sujet, et qu'elle n'a aucune idée ni souvenir qu’il lui ait écrit dans les autres lettres de la petite Église ; et n’a jamais pu entendre par là sinon que c'était un nombre de personnes qui faisaient profession d'une vie intérieure dans l'Église, et d'une piété plus solide.

Si les autres lettres sont entre les mains d'elle répondante.

Et dit que non.

Si elle nous veut déclarer entre les mains de qui elle les a mises.

A dit qu'elles sont entre les mains d'une personne de qualité, à laquelle elle les a envoyées, lorsqu'elle les a reçues431.

Avons remontré à la répondante, que les termes de la dernière lettre du père de la Combe, non plus que ceux des deux autres qui lui ont été représentées, ne sont point équivoques, et qu'il ne lui aurait point écrit comme il a fait, si elle répondante n'avait pas été en état d'entendre ce qu’il lui écrivait au sujet de la petite Église, et il a fallu nécessairement qu’elle ait su qu'il y avait une Église, pour entendre l’augmentation qui s'y était faite en dernier lieu par les trois religieuses qui l'ont augmentée.

A dit qu'elle n'a jamais entendu autre chose que l'union de vertu de sainteté de plusieurs personnes qui se sont unies pour la pratique.

Avons remontré à la répondante, que les trois religieuses qui ont augmenté l'Église dont le père de La Combe lui a écrit, étaient, suivant sa lettre, d'un monastère assez proche de Lourdes. Ce monastère, ou cette communauté de filles religieuses, avait un pasteur et des supérieurs orthodoxes, sous la conduite desquels elles observaient les règles de l’Église et celles de leur institut ; elles faisaient oraison et elles priaient ainsi qu'il leur avait été enseigné de prier, jusqu'à ce que le père de La Combe a eu occasion de leur parler, et jusqu'à ce qu'en leur enseignant à faire oraison il a fait abandonner, premièrement à l'une de ces trois religieuses, la manière de prier et de faire l'oraison qu'elles avaient apprise dans l'Église catholique sous la conduite de son pasteur et de ses supérieures légitimes ; c'est de cet religieuse la première persuadée, que le père de La Combe a écrit que son Église avait été d'abord augmentée, et pour le compte qu'il a voulu rendre à elle répondant, il lui a écrit les dispositions des deux autres religieuses, même de ce qui manquait encore à l'une des deux pour être introduite dans cette Église ; par où il est manifeste que cette Église du père de la Combe, et de laquelle il a écrit si souvent, [f°181] a une doctrine particulière et une manière de prier différente de celle de l'Église catholique, et il paraît qu'elle répondante, ne reconnaît pas la vérité, lors qu'elle persiste à dire qu'elle ne sait ce que c'est que cette Église, quoique cette même Église la reconnaisse pour mère, et qu'elle fasse profession d'exprimer sa doctrine.

Et dit qu'elle a dit la vérité, et qu’elle demande que le père de la Combe, qui est un homme de doctrine, soit entendu sur ce sujet et qu'il rende raison de ce qu'il a écrit. Elle répondante ne voulant pas s'engager dans cette discussion et qu'elle ne peut dire autre chose que ce qu’elle a dit.

Avons remontré à la répondante, qu'elle devait d'autant moins persister dans cette dénégation, qu'il paraît par les trois dernières réponses du père de la Combe, et par ce qu'elle a bien voulu reconnaître elle-même, que les sentiments du père de La Combe et ceux d'elle répondante, sont entièrement conformes ; que leur doctrine qui est celle des Enfants du petit maître, sont non seulement semblables, mais encore concertées entre eux ; que les livres imprimés, que les manuscrits qu'elle répondant a dit avoir faits, sont ouvrages communs d'elle et du père de la Combe, et que depuis qu'elle et le père de La Combe ont été séparés, ils n’ont cessé d’ …432 réciproquement et sur toute leur conduite, le conseil l’un de l’autre.

A dit que le dit père de la Combe, lui ayant été donné par un évêque pour son directeur, et qu’elle-même l'ayant depuis choisi pour cela, elle n'aurait jamais cessé de lui obéir et de suivre sa conduite, si elle avait été à portée de le pouvoir faire ; qu'elle lui obéirait encore si elle pouvait lui demander ses avis et ses conseils, à moins qu'il ne lui fût défendu, ou que l’on lui fit voir quelques erreurs dans la doctrine du père de La Combe et dans ce dernier cas d’hérésie, elle le détesterait de tout son coeur, et qu'il y a peu d'apparence qu'une petite femme ignorante comme elle433, se soit mêlée de donner des conseils au père de la Combe, que ce n'est que par humilité et confiance qu'il lui a écrit ce qui se trouve dans les lettres.

Avons remontré à la répondante, qu’on ne saurait douter de la vérité de ces faits, quand on ne ferait attention qu'au seul fait du manuscrit de l'explication de l'Apocalypse, qu'elle répondante a reconnu avoir envoyé au père de La Combe et que ce qu'il lui a écrit à ce sujet, par ses deux dernières lettres des 11 novembre et 7 décembre derniers, elle répondante avait montré à messieurs les évêques qui ont examiné sa doctrine et ses écrits, le manuscrit de l'explication de l'Apocalypse, et après l'avoir vu ils lui avaient défendu de le faire imprimer, même d'en faire voir le manuscrit ; cependant elle n'a pas laissé depuis434 de l'envoyer au père de la Combe, qui lui a fait réponse par sa lettre du onzième de novembre, contre le sentiment de ceux qui avaient le droit et l'autorité d'en juger et auxquels elle s’était soumise ; ces termes qui sont dans la lettre du père de La Combe : « Votre explication de l'Apocalypse me paraît très belle, très solide et très utile. Je ne m’étends pas davantage, jusqu'à ce que nous sachions si notre adresse nouvelle réussira », et depuis le même père de La Combe lui a écrit par son autre lettre du 7 décembre dernier : « J'ai vu votre Apocalypse avec beaucoup de satisfaction, nul autre de vos livres sur l'Écriture ne m'avait tant plu, il y a moins à retoucher que dans les autres, les états intérieurs sont fort bien décrits et tirés, non sans merveille, du texte sacré où rien ne paraît être moins compris. »

A dit que M. l’évêque de Meaux, auquel elle a donné un des deux manuscrits qu'elle [f°182] avait de L'Explication de l'Apocalypse, ne lui a point défendu de le faire voir, et de lui a point dit non plus qu'il y eut rien mauvais, et quand elle a envoyé le manuscrit qui lui restait de cette Explication, ç'a été pour s’en défaire, bien aise néanmoins de le remettre entre les mains d'un homme de doctrine et savant, afin qu'il y corrigeât les fautes qu'elle y pourrait avoir faites par ignorance.

Avons remontré à la répondante qu'il n'est point extraordinaire que le père de La Combe ait voulu après cela, aussi bien que les autres sectateurs d'elle répondante, la reconnaître en qualité de mère de leur petite Église et professer sa doctrine, puisque le même père de la Combe, n'a fait aucune difficulté de lui écrire au mois de décembre 1695, au sujet de la doctrine d'elle répondante : « Si toute votre explication de l'Écriture était assemblée en un volume, on pourrait l’appeler la Bible des âmes intérieures, et plût au ciel qu’on pût tout ramasser et en faire plusieurs copies, afin qu'un si grand ouvrage ne se perdît pas. Les vérités mystiques ne sont point expliquées ailleurs avec autant de clarté et d'abondance, et ce qui importe le plus, avec autant de rapport aux saintes Écritures435 ». L'on ne doit point être surpris que le père de La Combe se soit ainsi expliqué en dernier lieu au sujet de l'explication de l'Apocalypse, puisque plusieurs années auparavant et dans un temps où la conduite du père de La Combe à l'égard d'elle répondante ne paraît pas avoir été accompagnée de toute la précaution et de toute la prudence qui pouvait être à désirer, il n'a fait aucune difficulté de mettre dans la préface qu'il a faite au livre de l'Explication du Cantique des Cantiques, qu'elle répondante a dit avoir composé, et qui a été juridiquement censuré et condamné par les grands évêques qui l'ont examiné, de dire entre autres choses d'elle répondante, dans cette préface de son livre, que « ce livre nous avait été donné par l'organe d'une personne de piété, laquelle paraissait avoir été choisie comme une autre Sulamite, pour nous donner l'éclaircissement du Cantique des Cantiques436 ». Que c'est sur ces mêmes sentiments que la secte et la petite Église, se sont formées, cette Église dans laquelle on professe la doctrine d'elle répondante, et de laquelle elle est qualifiée la mère. Mais c'est aussi ce qui doit porter elle répondante à reconnaître sincèrement la vérité, et de déclarer ce qu'elle sait à cet égard, pour ne se point exposer à la confusion de s'être efforcée en vain de couvrir par ses dénégations et par quelque ambiguïté dans ses réponses, ce que la vérité et la lumière ne peuvent manquer de découvrir.

A dit qu'elle ne loue point le père de la Combe de tout ce qu'il peut avoir écrit d’avantageux au sujet d'elle répondante, et que s'il y a quelque chose de bon dans ses livres et dans ses écrits, c'est Dieu uniquement qui lui a donné, et s'il s'y trouve quelque chose de mauvais, elle répondante reconnaît qu'il vient entièrement de sa part, et prie Dieu qu'Il veuille bien le retrancher, ayant même prié ceux qui les ont lus, de le vouloir faire ; qu'elle n'a pas de doctrine particulière, et que ce que le père de La Combe a trouvé à louer dans ses écrits, lui a paru conforme à la doctrine de l'Église, laquelle est composée de deux parties (comme tout chrétien) d'intérieur et d'extérieur, et qu'à proportion qu'un chrétien est intérieur, il est plus parfait, d'autant que c'est l’intérieur qui fait agir l'extérieur, et que nos actions extérieures sont d'autant plus parfaites qu'elles procèdent d'un principe plus pur, en nous unissant à Dieu, qui nous a appris qu'il ne fallait pas honorer des lèvres seulement, mais aussi [f°183] en esprit et en vérité.

Si c’est d'elle-même, ou si c'est sur le témoignage du père de la Combe, ou de quelque autre, qu’elle a dit en plusieurs lieux et à diverses personnes, qu'elle avait la grâce et la vocation de l'apostolat.

A dit que, quoique qu'elle se reconnaisse très orgueilleuse, il ne lui est point arrivé néanmoins de dire rien de semblable d’elle-même en aucun lieu ni a aucune personne ; qu'il est bien vrai qu'elle a fait et composé un petit écrit de l'état apostolique et des qualités que doivent avoir les personnes qui n'ont point de caractère ecclésiastique, et qui veulent aider aux autres à faire leur salut, que ces personnes doivent avoir des qualités éminentes, une grâce et une vocation particulière, ne se point chercher, ni même s'ingérer à cela, et qu'il fallait attendre que437 la providence en fournît les sujets et les occasions.

Si elle n'a pas dit aussi qu'elle se prétendait tellement remplie de grâce, qu'elle était comme forcée d'écrire et de la répandre par ses écrits, et qu’elle a dit aussi d'elle-même qu'elle était la femme forte et autres choses de pareille nature.

A dit qu'elle a écrit dans ses Justifications, ce qui regarde les communications intérieures ; qu'elle en a écrit en d'autres endroits, mais qu’elle n’en a jamais parlé à personne et n'a jamais dit ni pensé les autres choses mentionnées en cet article de son interrogatoire.

Lecture faite du présent interrogatoire.

A dit ses réponses contenir vérité, y a persévéré et a signé la minute. Signé J. M. Bouvier [et] de la Reynie438.



Neuvième interrogatoire de Mme Guyon, le 4 avril 1696

Le neuvième et dernier interrogatoire par La Reynie marque une détente. On évoque l’histoire de la belle Hélène439, de Grisélidis440, d’Amadis441. Don Quichotte, Molière, La Fontaine témoignent d’un goût sûr. Mais, pour La Reynie, toutes ces œuvres d’un caractère facile ne sont pas compatibles avec la vie dévote ! Il ridiculise ces lectures par rapport au rôle prétendu de « mère de la petite Église » ; aucun humour chez lui ? mais il est vrai qu’elle met en avant sa dévotion, ce qui lui donne l’occasion de se moquer.

La pièce représentée à Meaux comportant l’ironique « avec vous grand docteur, sans vous un pauvre oison » ne dut guère plaire à Bossuet, lecteur (avec Mme de Maintenon) des interrogatoires. Avec : « Je m'en vas en Hollande, je change de patrie », on touche au délit d’État !  

[f°184] Interrogatoire fait par nous, Gabriel Nicolas de La Reynie, conseiller ordinaire du roi en son conseil d'état, à Mme Guyon, prisonnière au donjon du château de Vincennes, de l'ordre de sa majesté, auquel interrogatoire nous avons procédé selon et ainsi qu'il ensuit.

Du mercredi quatrième avril 1696, dans le donjon dudit château de Vincennes.

Interrogée de son nom, surnom, âge, qualité et demeure, après serment fait de dire et répondre vérité.

A dit qu'elle s'appelle Jeanne Marie Bouvier, âgé de 47 ans, veuve de M. Jacques Guyon, Chevalier Seigneur du Quesnoy, demeurant avant sa détention à Paincourt les Paris.

A quel dessein et dans quelle vue, après être sortie des filles de Sainte-Marie de Meaux, en donnant à l'abbé Couturier les cahiers qu'elle avait écrits pour soutenir la doctrine des livres d'elle répondante, dont elle venait de souscrire la condamnation, elle a aussi donné dans le même temps, à l'abbé Couturier, l'histoire et roman de la belle Hélène et pourquoi elle lui dit de dire ce livre.

A dit qu'elle ne sait ce que c'est que l'histoire et le roman de la belle Hélène ; qu'elle donna bien en ce temps-là les trois cahiers d'un plus grand nombre d'autres cahiers, que nous lui avons représentés, et qu'elle avait faits pour la justification de ses livres.

Si elle ne dit pas à l'abbé Couturier, en lui donnant ce livre de la belle Hélène, que ce livre étant pris dans le sens spirituel, il était bon et instructif.

A dit qu'elle ne lui a point parlé ainsi de l'histoire de la belle Hélène, mais qu'elle lui a bien parlé d'un autre livre, qui est celui de Grislidi [Grisélidis], dont elle a fait acheter des douzaines, parce qu'elle l'aime beaucoup, mais qu'elle a dit à l'abbé Couturier et à d'autres, qu'elle ne souhaiterait point d'avoir d'autre disposition et qu'elle a désiré que sa volonté fût aussi souple à l'égard de Dieu que l'était Grislidi à son mari, qui est le prince de Saluce.

Ce qu'elle a cherché et ce qu'elle a cru trouver dans cette sorte de livres.

A dit qu'elle n'en a de cette qualité, que le seul livre de Grislidi et un tome des Amadis et qu'ayant entendu chanter les chansons de l'opéra d'Amadis aux jeunes dames qui voyaient elle répondante, elle crut qu'il était bon de leur donner de meilleures choses à chanter et pour cet effet elle dit à l'une de ses filles de lui acheter l'opéra d'Amadis en musique. Mais au lieu de l'opéra, la fille fut chez plusieurs libraires, demander les Amadis, en ayant trouvé un volume, ladite fille l'acheta et le porta à elle répondante, qui a fait depuis un opéra spirituel, qu'elle donna à feu M. le comte de Morstein442, lors qu'il lui rendit visite aux filles de Sainte-Marie en passant par Meaux.

Comment elle concilie ce qu'elle a fait à cet égard, avec ses écrits mystiques, et à quoi pouvait servir à l'abbé Couturier et pour son instruction, la lecture en même temps de la belle Hélène, ou de Grislidi, et des cahiers d'elle répondante.

A dit que le livre de Grislidi l'a toujours mise dans la confusion, par la grande soumission où elle a trouvé cette femme à l'égard de son mari et que toutes les personnes à qui elle a donné à lire ledit livre, en ont fait ce jugement, et qu'elle [f°185] a dit au dit abbé Couturier de le lire dans le même dessein, étant très instructif.

Si elle a prétendu par cette lecture donner plus d'étendue à son esprit.

A dit qu'elle n'a point eu cette pensée.

Si elle n'a pas écrit et composé en vers.

A dit qu’oui, et qu'elle aime extrêmement la poésie, qu'elle a composé un petit livre d'emblèmes qui est manuscrit, où il y a des images à chaque feuille443, et qu'elle a aussi composé l'opéra dont elle vient de parler, et quelques autres pièces.

Si elle a appris les règles qu'il faut savoir pour composer et pour écrire en vers français.

Et dit que non, et que c'est par cette raison qu'elle y fait beaucoup de fautes, mais qu'elle écrit avec autant de facilité en vers, qu'en prose et qu'elle faisait quarante et quarante-cinq de ces emblèmes en une seule matinée.

Avons remontré à la répondante, qu'elle a dit par son interrogatoire du 28e de janvier, que si le père de La Combe n'eût pas fait la préface qui est au livre du Cantique des Cantiques, imprimé à Lyon, elle se serait contentée d'y mettre les vers qui s'y voient encore imprimés, et qui sont adressés au saint enfant Jésus. Interpellée de déclarer si c'est elle répondante qui les a composés.

A dit qu'elle les a composés, et que le père La Combe les a corrigés, parce que le père La Combe sait les règles de la composition en vers, et n’en peut faire néanmoins facilement, et elle répondante qui n'en sait pas les règles, a beaucoup de facilité à composer en vers.

A quel usage elle s'est servie des comédies, tragédies, pastorales et autres pièces de théâtre manuscrites et imprimées, qui se sont trouvées chez elle avec ses papiers et ses autres livres.

A dit qu'à l'égard d'une pièce manuscrite de cette qualité, elle lui fut envoyée par des religieuses pour la tourner en spirituel, et que s'il y a d'autres livres de vers, à la réserve des opéras que l'on a achetés pour elle répondante, ils doivent être à Madame la comtesse de Vaux, sa fille, et qu'elle les avaient même mis à part pour les lui rendre.

Pour quel dessein elle répondante s'est appliquée à faire des notes de sa main sur ces sortes de pièces, et entre autre sur un exemplaire imprimé trouvé chez elle, de la tragédie de Psyché444 représentée par l'Académie de musique en 1678. Pourquoi elle en a corrigé, changé plusieurs vers et à quel usage elle en a laissé d'autres, sans y faire aucun changement.

Et dit qu'elle en a fait et composé un opéra pour celui-là et sur d'autres semblables pièces. Elle en a composé jusqu'au nombre de dix-neuf opéras spirituels, mais qu'une bonne femme qui gardait sa maison, ayant trouvé ces papiers où il y avait des ratures et des corrections, elle les avait pris pour papiers inutiles et s'en était servie pour allumer son feu.

Si c'est pour la même fin qu'elle a pareillement noté un autre imprimé aussi trouvé chez elle, de la pastorale d'Acis et Galatée, aussi représentée par l'Académie de musique en 1686. Et si c'est pour la même raison qu'elle répondante avait commencé de faire des notes et des changements sur un autre exemplaire, pareillement trouvé chez elle, de la tragédie d'Astrée, représentée par l'Académie de musique.

[f°186] A dit qu’oui, et qu'elle avait travaillé sur la pastorale d'Acis et Galatée pour une personne de qualité qui en savait les airs.

Si c'était pour le même dessein, qu'elle a voulu avoir deux ou trois exemplaires des tragédies d'Isis et Bellérophon, qui ont aussi été trouvés dans sa maison.

A dit qu'en ayant composé jusqu'à dix-neuf, elle peut bien avoir les deux derniers pour les mêmes raisons, et par les mêmes voies qu'elle a eu les précédentes.

Avons représenté à elle répondante les susdites pièces qui ont pour titre Psyché, Acis et Galatée, Astrée et Bellérophon. Interpellée de les reconnaître et de déclarer si c'est elle répondante qui a écrit et fait les notes, corrections, changements et autres marques qui sont sur lesdites pièces.

A dit après avoir vu lesdites pièces, qu'elles ont dû être trouvées dans la maison où elle était logée, et que c'était elle répondante qui a fait et écrit les notes, corrections et changements qui s'y trouvent.

Si c'est pour la même fin qu'elle a pris soin d'avoir en manuscrit d'autres pièces de théâtre qui sont en plusieurs cahiers, aussi trouvés avec ses papiers et ses livres dans la maison de Paincourt, savoir les comédies intitulées Pourceaugnac, le Bourgeois gentilhomme, l'ombre de Molière, le Malade imaginaire, l'Amour médecin, Georges Dandin, et lui avons représenté lesdits manuscrits, l’avons interpellée de déclarer de quelle main lesdites pièces sont écrites.

A dit après avoir vu lesdites pièces, qu'elle en reconnaît l'écriture, que ce sont des religieuses qui lui ont envoyé lesdites pièces que nous lui représentons, pour composer des comédies spirituelles, pour faire représenter par leurs pensionnaires, mais qu'elle ne les a jamais lues, et ne sait pas ce qu'elles contiennent.

Si elle répondante n'a pas cherché dans ces sortes de pièces et choisi les endroits les plus enflammés de l'amour profane, pour s'en servir en exprimant sur les autres matières sur lesquelles elle répondante a écrit, ou si elle a prétendu faire aimer la piété chrétienne, par les expressions qu'elle a cherchées et qu’elle a cru trouver dans des pièces de théâtre.

A dit que les écrits et les livres qu'elle a faits sont composés depuis neuf ou dix années, et qu'il n'y a que deux ans qu'elle a travaillé sur ces sortes de pièces et qu'elle n'en n'avait jamais vu avant ce temps-là, qu'elle sache, du moins n'a jamais été à aucunes comédies, ni à aucun opéra.

A quel usage elle a eu encore et gardé dans sa maison et parmi ses autres livres, ceux qui ont pour titre Nouvelles espagnoles, quatre petites historiettes, Rien n’est impossible à l’amour, la femme juge et partie, le Jardin enchanté et L'esclave volontaire, L'île d'amour, Les fables choisies de M. de la Fontaine, le Pastor fido en italien et en français, ou le berger fidèle, et lesquels livres représentés à la répondante, nous l’avons interpellée de déclarer si elle ne reconnaît pas lesquels livres.

A dit, après les avoir vus, que celui qui a pour titre Les fables choisies, était à la dame de Vaux, lorsqu’elle était fille, la Nouvelle espagnole qu'elle a prise à la dame de Vaux, que le Pastor fido était à son fils aîné, et qu'il était resté chez elle, qu'à l’égard du petit livre du voyage de L'île d'amour, il fut trouvé dans la maison de Paincourt en défaisant une grande armoire qui n'appartenait [f°187] pas à elle répondante.

Si c'est pour le même dessein qu'elle répondante aussi voulut avoir les autres livres trouvés au lieu des amours [sic] qui ont pour titres Les Visions de Quevedo, l'Histoire de Don Quichotte, L’aventurier Buscon445, La vie de l’espiègle, la deuxième partie du roman de Bérénice, Huon de Bordeaux, Les aventures de Fortunatus, Jean de Paris, Pierre de Provence, Robert le diable, Richard sans peur, Pierrot de Saint-Ouen446, et le conte de Peau d’Ane447, lesquels livres nous lui avons représentés. Interpellée de les reconnaître.

A dit, après les avoir vus, qu'à l’égard du livre de Don Quichotte, il y a longtemps qu'elle a ce livre, et qu’il lui fut envoyé pendant une grande maladie, et qu'elle se le fit lire pour la divertir, et que pendant qu'elle était à Meaux au couvent de Sainte-Marie, elle fit venir deux exemplaires du conte de Peau d’Ane, dont elle en donna un à l'infirmerie et l'autre lui est resté. Qu'elle fit venir en même temps un exemplaire de Grislidi de l'Edition nouvelle, et qui a été fait en vers, mais qui n'approche pas de la beauté de l'original, et quant aux autres livres que nous lui représentons, ils doivent être aux filles qui la servent, et ne les reconnaît point.

Avons remontré à la répondante, que la lecture de Don Quichotte et des autres livres de pareille qualité, paraît peu convenable à celle qui a été choisie selon le père La Combe comme une autre Sulamite pour expliquer le Cantique des Cantiques, pour expliquer l'Apocalypse, et pour composer la bible des âmes intérieures, et à celle qui par sa doctrine est reconnue la mère de la petite Église, des Enfants du petit maître et qu’aucun écrivain ni aucun auteur de livres de piété ne s’est appliqué à de semblables lectures et n'a été aussi trouvé avec un tel assortiment de livres.

A dit que l’épuisement d’esprit où elle était, causé par une grande perte de sang, fit juger qu'elle avait besoin en ce temps-là, de diminuer la trop grande application de l'esprit.

Avons représenté à la répondante une pièce manuscrite à elle, déjà représentée le premier jour du présent mois, sur laquelle est l’Épître et l’Évangile pour les Enfants du petit maître, qui consiste en un feuillet, et sur le verso duquel sont écrits pour titre ces mots : « sur l'air de Joconde », et ensuite des vers manuscrits qui paraissent avoir été écrits de deux mains différentes. Interpellée de déclarer si ces vers sont aussi de sa composition.

A dit, après avoir revue ladite pièce, qu'elle n'a jamais lu les vers qui y sont écrits, mais qu’ils sont écrits de la même main de celle qui a écrit les trois cahiers des comédies, que nous lui avons ci-dessus représentés.

Si ce n'est pas un cantique qui a été aussi composé pour les Enfants du petit maître, sur les mêmes principes de l'Évangile et de l’Épître, écrits de l'autre côté de ladite pièce.

A dit qu'elle ne sait ce que c'est.

Si c’est à elle répondante que s'adressent ces autres vers qui sont sur ladite pièce, qui commencent par ces mots « Petit papa » où il est fait mention du discret et du général, et qu'ils l’aiment et espèrent de le voir un jour en personne.

A dit qu'elle ne sait ce que c'est et qu’elle croit avoir vu autrefois de cette écriture.

Avons représenté à ladite répondante, une autre pièce manuscrite trouvée pareillement au nombre des papiers d’elle répondante dans la maison [f°188] de Paincourt, qui consiste aussi en un feuillet de papier commençant par ces mots : « l'amour est la vertu qu'on appelle héroïque », et finissant sur le verso par ces autres mots : « avec vous grand docteur sans vous un pauvre oison ». Interpellée de la reconnaître et de déclarer si ladite pièce est entièrement écrite de sa main et si c’est elle répondante qui a fait en la composant, toutes les ratures et corrections qui s'y trouvent.

A dit que c'est elle qui a fait toutes les ratures et corrections et que ce fut le jour de la fête de la Supérieure de Sainte-Marie du couvent de Meaux, qu'elle répondante composa ladite pièce pour des bouts rimés qui lui furent donnés, lorsqu’elle était dans le couvent de Sainte-Marie.

A elle remontré qu'il paraît par cette même pièce qu'elle a peu de disposition à composer en vers, qu’elle y est peu versée et néanmoins de quelque manière qu'elle compose et qu'elle écrive, c'est toujours sur les mêmes principes de sa doctrine et de l'Évangile de la prétendue petit Église.

A dit que n'ayant rien autre chose dans le coeur que Dieu et son amour, elle ne peut parler ni écrire autre chose.

Avons représenté à la répondante une autre pièce qui consiste encore en un feuillet de papier écrit des deux côtés, commençant par ces mots : « doux habitants de ces bois », et finissant sur le verso par ces autres mots : « au parfait dépouillement », la dite pièces aussi trouvée dans la maison de Paincourt, avec les autres papiers d’elle répondante. Interpellée de la reconnaître.

A dit, après avoir vu ladite pièce, qu'elle a composé une partie des vers qui sont sur ladite pièce, et qu’elle a marqué d’une croix en notre présence, pour les distinguer des autres qui ont été faits par la religieuse dont elle a parlé ci-devant, et qui a écrit les comédies manuscrites et les autres pièces représentées, et parce que l'on disait qu'elle répondante dogmatisait et qu'elle écrivait par cette raison, la religieuse écrivit les vers que nous lui représentons croyant que ce n'était pas lui écrire en envoyant des vers à elle répondante avec ce qu'elle répondante avait fait les vers et les autres notes.

S'il n'est pas vrai que ladite pièce a été composée au sujet du dessein qu'elle avait de s'absenter.

A dit que non, et qu'il y a plus de deux ans et demi que ladite pièce est faite sur l’un des opéras que nous lui avons représentés.

Avons représenté à la répondante deux autres pièces cotées 15 et 22, qui ne font qu'une seule et même pièce, à l'égard de la composition. Lesdites pièces tirées de la liasse des papiers d’elle répondante, ci-devant par elle paraphées, sur lesquelles sont plusieurs ratures et corrections, qui paraissent être entièrement écrites de la main d’elle répondante, ayant au commencement une ligne écrite sur laquelle a été passée un trait de plume. Ladite pièce finissant par ces autres mots « et moi la même misère ». Interpellée de la reconnaître et de déclarer si ladite pièce n'est pas de sa composition et entièrement écrit de sa main.

A dit, après avoir vu ladite pièce, qu'elle l’a composée, qu'elle est entièrement écrite de sa main, et que c'est elle qui y a fait les ratures et les corrections qui s'y trouvent.

Ce qu'elle a entendu parce qu'elle a écrit à la fin de ladite pièce cotée 22 et par ces mots : « Je m'en vas en Hollande, je change de patrie »,

A dit qu'elle n'a jamais eu ce dessein d'aller en Hollande, et quand elle l’a écrit, elle cherchait [f°189] quelque rime, et qu’elle ne peut dire autre chose.

Avons remontré à la répondante, que par diverses circonstances qu’elle a marquées dans cette pièce, il paraît qu'elle l’a composée et écrite peu de jours avant qu'elle ait été arrêtée. Interpellée de déclarer le motif qui l’avait déterminée à sortir du Royaume.

A dit qu'elle a composé ladite pièce, à la vérité peu de temps avant qu'elle ait été arrêtée, et que c'était dans le dessein qu'elle avait de changer de maison et d’aller dans celle de Paincourt, dans laquelle elle ne voulait être connue de personne.

S'il n'est pas vrai qu'elle avait changé le dessein qu'elle avait fait d'aller à Lourdes, sur l’avis qu'elle nous a dit et devant qui lui avait été donné, qu'on devait l'arrêter sur les chemins si elle y passait.

A dit que cet avis n'a rien fait à l'égard du projet du voyage de Lourdes, mais qu'il a empêché seulement d'aller à Bourbon.

Si elle répondante n’a parlé à personne du dessein de sortir du Royaume et de passer en Hollande.

A dit que non, et qu'elle n'en n'a jamais eu la pensée.

Si elles répondante n’a rien témoigné au sieur de Piaillière448.

A dit que non.

Pourquoi elle a dit à l’abbé Couturier, que le sieur de Piallière s'appelait le Gros, au lieu de lui dire son véritable nom.

A dit qu'elle ne lui a jamais dit qu'il s'appelle le Gros.

Si elle n'a pas dit à d'autres personnes, que le sieur de Piaillière s'appelait Durand.

A dit que c'est parce que le sieur de Piaillière s'appelle en son nom de famille Durand.

Quelles affaires particulières elle répondante avait avec le sieur de Piaillière, et s’il ne la devait pas accompagner pendant une partie de la route qu'elle répondante devait prendre pour aller en Hollande.

A dit qu'elle n'avait point d'affaire avec le sieur de Piallière, qu'il est vrai qu’il lui a offert de la mener en sa maison449, pour y demeurer avec la dame de sa femme, mais qu'elle n'a pas voulu quitter.

Avons remontré à la répondante que si elle n'avait point d'autres affaires plus importantes et qui eussent besoin de quelque précaution, il paraîtra toujours extraordinaire qu'une dame comme elle, retirée et cachée dans une maison écartée à l'extrémité de l'un des faubourgs de Paris, aie sans aucune raison apparente, retenu ledit sieur de Piaillière à conférer dans cette même maison, où il n'y avait avec elle, que les deux filles qui la servent, même la nuit de Noël ; que l'air et l'extérieur dudit sieur de Piaillière n'aurait pu édifier ceux qui en auraient eu connaissance. Elle doit expliquer par cette considération, la vraie raison qu'elle a eu de tenir une telle conduite à l'égard du dit sieur de Piaillière.

A dit que si elle avait cru qu’on eût pu seulement soupçonner qu'il y eut une femme dans cette maison, elle répondante n’aurait pas souffert pour tout ce qui est au monde, que ledit sieur de Piaillière y fût venu si souvent et il eût couché ; qu'il n'a couché qu'une fois dans la maison de Paincourt, qui fut la nuit du jour de Noël, au lendemain jour de Saint-Étienne qu'elle répondante le retint pour mettre à couvert les orangers et quelques autres arbustes, qui étaient encore dans le jardin, que pendant que ledit sieur de Piaillière a été à Paris, il y a fait divers voyage à Versailles et ailleurs où il était quelquefois huit ou dix jours, que ledit sieur de Piaillière, quand il la venait voir, faisait [f°190] le plus gros travail de la maison, et celui que l’abbé Couturier ne pouvait faire, que d'ailleurs c'est un très homme de bien et un très honnête homme, qui est marié et qui a une des plus belles femmes de France, et qu'il était tous les jours sur le point de partir, et ne séjournait à Paris qu'en attendant que sa nièce fut accouchée pour en emmener l'enfant.

Par qui, après avoir transcrit la pièce cotée 15 et 22, elle l’a envoyée.

A dit qu'elle croit en avoir donné une copie au dit sieur de Piaillière, après l'avoir transcrite et mise au net, mais qu'elle ne l'a envoyée à personne.

Si elle a cru que ce qu'elle a écrit puisse être en des termes un peu trop libres, pour l'âge des personnes pour lesquelles cet écrit a été fait, fut convenable aux manières sérieuses et aux termes graves dont toutes les personnes qui font profession d'une piété solide, ont accoutumé de se servir.

A dit que ce qu'elle a écrit dans ladite pièce, a été pour se divertir, et que c'est par rapport à la petitesse, qu'elle a composé ladite pièce.

Quelle idée elle a prétendu donner ou quels sentiments de piété elle a prétendu inspirer aux personnes qui l’honorent de leur confiance, par ces méchants vers, entre autres, qui sont dans la pièce que nous lui représentons :

« Je me saurais qu'en dire

Je voudrais qu'on m’eut démembré

et qu'un cruel martyre

assurât sa fidélité

envers mon petit maître

s'il n'est petit en vérité.

C'est un grand vilain traître

mon bon est un joli garçon.

toutefois un peu sage

mon maître malgré sa raison

le fait au badinage. »

A dit qu'elle a composé ladite pièce pour se divertir, qu'il n'y a rien de mauvais, au contraire qu'ils sont faits à bonne fin.

Si elle a cru aussi qu'il fut convenable d’écrire pour la consolation d'une jeune personne véritablement affligée, après avoir en quatre vers, parlé de cette même personne avec peu de circonspection, d'ajouter les quatre autres vers pour le conseil qu'il fallait donner à cette dame :

« Qu'elles prennent des cordiaux

d'amour et d'espérance

elle trouvera dans ces maux

une prompte allégeance. »

A dit qu'elle, qui a travaillé depuis longtemps à ôter tout ce qu'il y avait de mauvais dans les chansons, et à les tourner en spirituel, n'aurait jamais cru qu'on eût pu donner une mauvaise interprétation à la pièce que nous lui représentons, ayant écrit de Dieu par toute ladite pièce, ne croyant pas qu'il fût nécessaire de répéter le mot de Dieu en cet endroit-là.

Avons remontré à la répondante, que tout ce qu'elle a écrit dans cette même pièce et dans les autres que nous lui avons représentées, a bien plus de rapport à la qualité de mère de la prétendue petite Église du père de la Combe, et des Enfants du petit maître, qu’aux écrits sérieux et solides des auteurs mystiques, reçus et approuvés par l'Église catholique.

A dit qu'il y a temps de se réjouir et temps de pleurer, et quand elle trouve occasion de se réjouir avec le bon Dieu, elle le fait de tout son coeur, n’ayant jamais dessein d'offenser personne.

[f°191] Ce fait toutes les susdites pièces représentées ont été paraphées par nous et par la répondante.

Lecture faite du présent interrogatoire.

Et dit ses réponses contenir vérité, y a persévéré et signé les minutes, signé : De la Reynie.



Témoignage de la répondante et dixième interrogatoire

On trouve pour le neuvième interrogatoire et/ou pour un dixième entretien un témoignage de l’accusée :

Enfin, après neuf ou dix interrogatoires de six, sept et huit heures quelquefois, il jeta les lettres et les papiers sur la table avec une sorte d'indignation et dit à son greffier en ma présence : « Voilà assez tourmenté une personne pour si peu de chose », comme fâché de m'avoir fait tant de peine. Il pria à Vincennes que l'on eût bien de la considération pour moi, et fit connaître que je sortirais bientôt.450.

[Vie, 4.1] […] Il fit un dixième interrogatoire où il me demanda permission de rire : il s'agissait d'un livre bleu intitulé Grislidy [Grisélidis] qu'on avait trouvé chez moi. Je lui en dis toutes les beautés, et pour conclusion, il me dit que pour en juger il l'achèterait le soir même. Après cet interrogatoire, il me dit fort honnêtement que je n'avais rien à craindre, que tout me serait rendu et que je serais bientôt libre451.

Même si la liberté manquait, cette dure période lui parut bonne en comparaison de ce qu’elle coonut par la suite : elle vivait en état de paix intérieure, à condition, dit-elle, de se laisse guider par la lumière intérieure.

Je dirai que dans tout le temps que je fus à Vincennes et que M. de La Reynie m'interrogea, je restai dans une très grande paix, très contente de passer toute ma vie en prison. Il y avait si peu de jour dans le lieu où l'on m'avait mise, que je voyais à peine. Encore fallait-il me mettre proche de l'endroit où venait la lumière, pour faite les plus gros ouvrages.

[Vie, 3.20.5]452 Je faisais des cantiques que la fille qui me servait apprenait par coeur à mesure que je les faisais, afin de [11] les pouvoir retenir, et nous chantions vos louanges, ô mon Dieu.453. […]

[Vie, 3.20.6] Cette paix fut altérée pour quelques moments par une infidélité que je fis. Ce fut de préméditer un jour des réponses que je devais faire à un interrogatoire que je devais prêter454 le lendemain. J'y répondis tout de travers, et Dieu, si fidèle à mon égard et qui m'avait fait répondre à des choses difficiles et embrouillées avec beaucoup de facilité et de présence d'esprit, sut bien me punir de ma prévoyance. Il permit que je pusse à peine répondre à des choses très faciles et que je restai presque sans savoir que dire. Une infidélité, dis-je, que je fis altéra ma paix pour quelques jours, mais elle revint bientôt et je crois, mon Seigneur, que vous ne permîtes cette faute455 que pour faire voir l'inutilité de nos arrangements en de pareilles rencontres, et la sûreté de s'en fier à vous. Ceux qui se fondent encore sur le raisonnement humain, diront qu'il faut prévoir, ranger, que c'est tenter Dieu que d'agir autrement et attendre des miracles. Je laisse les autres penser ce qu'ils veulent. Pour moi, je ne trouve de sûreté qu'en m'abandonnant au Seigneur. Toute l'Écriture est pleine de témoignages qui demandent cet abandon. [12] Remettez votre inquiétude entre les mains du Seigneur et il agira lui-même456. Abandonnez-vous à sa conduite et il conduira lui-même vos pas457. Dieu n'a pas prétendu nous tendre des pièges en nous disant cela et en nous enseignant à ne point préméditer nos réponses.

Le témoignage que M. de La Reynie rendit à mon innocence ne servit qu'à aigrir les gens qui me poussaient [provoquaient]. Non seulement on ne m'élargit point, mais on ne souffrit plus que M. de La Reynie, ni même Desgrez me vinssent voir. Car autant ce dernier avait-il eu de prévention contre moi, autant en avait-il pris d’estime sur le rapport de M. de La Reynie, au lieu duquel on m'envoya M. Pirot. Desgrez, ayant appris qu'on ne voulait plus qu'il me vît parce qu'on se défiait de lui, les assura qu'il m'était fort contraire et parut croire tout ce qu'ils disaient. Il revint donc et me dit que M. de La Reynie lui avait dit : « Tirons-nous de là ; on veut que je fasse cette dame coupable, et je la trouve très innocente. Je ne veux point servir d'instrument à sa perte ». Effectivement on lui donna quelque autre emploi et je ne le vis plus depuis. Celui qui lui [13] succéda dans la suite agit bien différemment458.





Deux lettres écrites avec du sang (entre le 5 et le 12 avril 1696)

Ces deux lettres sont adressées à la Reynie et - que le recours à une encre inhabituelle soit un acte de désespoir ou qu’il ne soit qu’un défi - traduisent l’angoisse de la répondante qui pense avoir « répondu tout de travers » par suite de préméditation, c’est-à-dire, pour elle, d’infidélité à Dieu.

Je vous supplie…

Je vous supplie très instamment, monsieur, de recevoir la déclaration que je vous fais, écrite et signée de mon sang, étant pressée de le répandre tout entier pour soutenir ma foi. Je déclare donc en présence de Dieu, des anges et de toute l’Église, qu’ayant fait réflexion que la réponse que j’avais faite sur l’interrogation de la dernière lettre du père de la Combe pouvait être équivoque, faute de présence d’esprit pour remarquer qu’on pouvait y donner un double sens, je suis obligée, comme il est question de ma foi, de protester que lorsque j’ai dit que je ne connaissais pas d’autre oraison que celle de simple remise et de simple regard, j’entendais que je ne connaissais pas qu’il fût parlé, dans cette lettre, d’autre oraison que de celle-là, car pour mon regard, je reconnais et pratique toutes les oraisons approuvées par la sainte Église, ma mère, selon la mesure de la grâce et l’attrait d’un chacun, conformément aux trente-quatre articles que j’ai signés et pour lesquels je suis pressée de répandre tout mon sang. Ce que je dis est si vrai que je n’ai même jamais écrit ni parlé de ces deux sortes d’oraisons. Lorsque je pense quelque chose, je crois que les autres l’entendent de même, sans prévoir le tort qu’on peut donner. Vous êtes trop équitable, monsieur, pour me refuser la justice que je vous demande, qui est de faire attacher ceci à mon interrogatoire, ou d’envoyer M. votre greffier pour recevoir cette déclaration. Sur toute autre matière que ma foi, je ne m’en mettrais pas en peine. Je suis, monsieur, avec beaucoup de respect, votre très humble et très obéissante servante, D. M. Bouvier 459.

Ce 5e avril 1696.

Je déclare de plus, que lorsque je me sers du terme d’oraison, c’est toujours de la mentale que je veux parler et non de la vocale, me servant pour cette dernière du terme de prière.

[f°264v°] Vous vous souviendrez, s’il vous plaît, monsieur, de la circonstance où je vous dis cela. Vous me vouliez faire expliquer quelle sorte d’oraison le père La Combe enseignait à ces religieuses. Après vous avoir fait remarquer qu’il parlait un peu plus haut des deux sortes d’oraisons qui étaient apparemment celles-là, vous, monsieur, continuant à me presser là-dessus, j’eus l’honneur de vous dire que c’était à lui à s’expliquer, que pour moi je ne connaissais point d’autre oraison que les deux ci-dessus marquées, voulant dire que je ne connaissais pas qu’il parlât d’autre oraison. Si la mémoire ne vous fournit pas cette circonstance, monsieur, votre greffier pourra s’en ressouvenir. Dieu m’est témoin que je dis la vérité.

Je prends la liberté…

[f°267] Je prends la liberté de vous représenter encore, monsieur, qu’il ne s’agissait pas en cet endroit de déclarer ma foi, mais de répondre positivement à un fait. Comme je n’étais occupée que de la demande présente, je ne songeais jamais au sens qu’on y pouvait donner. Si l’on veut savoir la vérité telle qu’elle est, je l’ai déclarée et signée de mon sang. Si l’on a voulu me surprendre, ce que je ne crois pas, j’ai été véritablement surprise. Je ne me soucie pas de ce qui m’en peut arriver pourvu qu’on reçoive la protestation que je fais sur les saints Évangiles, que je reconnais, approuve et pratique les oraisons approuvées par la Ste Église, selon qu’elle est comprise dans les trente-quatre articles que j’ai signés, et rejette tout ce qui ne serait pas approuvé de l’Église. D. M. Bouvier de la Motte.460.

Degrez écrit sur la prisonnière, entre autres rapports d’activité, à la Reynie :

[f°269] Ce 12 avril 1696. 

Je fus hier à Vincennes faire travailler Brederode […] / La dame Guyon est dans de grandes inquiétudes de savoir si vous avez vu ce qu’elle a écrit de son sang au derrière de l’image de saint Michel461, je lui dis que je n’en savais rien et que depuis que je m’étais donné l’honneur de vous la remettre que je ne vous avais point vu, elle me pria fort de vous donner le petit mémoire ci [f°269v°] joint ; Je le pris pour la contenter mais elle croit avoir fait merveille d’avoir écrit de son sang sa foi. / Je fais de mon mieux pour l’affaire de la rue de Seine […] Desgrez. [f°270v°, adresse avec cachet :] Monsieur/ monsieur de la Reynie.

Derniers échanges avec La Reynie

L’intervention de La Reynie se termine par épuisement de « la matière » autant que de l’accusée462.

Ce 5 avril 1696.

[f°39] M. / J'ai achevé d'interroger Mme Guyon sur un effet sur lequel Sa Majesté a jugé à propos qu'elle fût encore interrogée par trois nouveaux interrogatoires qu'elle a prêtés. Toute la matière que je pouvais traiter a été épuisée. On travaille à les expédier et j'espère qu'ils seront en état de vous être envoyés par l'ordinaire de dimanche au soir ou de lundi matin. […]463.

[f°41] M. / Je vous envoie les trois derniers interrogatoires de Mme Guyon qu'elle a prêtés le premier, le deux et le quatre de ce mois sur les faits sur lesquels il restait touchant la petite Église, l'Évangile pour les enfants du petit maître, sur la dernière lettre du père de la Combe, sur les comédies et autres pièces de théâtre, et sur certains livres et romans trouvés dans la maison de Paincour. Il est à désirer M., après la peine que vous avez déjà pris de lire les précédents interrogatoires de Mme Guyon que vous puissiez encore employer quelques demi-heures de temps à l'étude de ces trois derniers interrogatoires parce qu'on ne saurait autrement entendre ce qui est résulté, étant impossible464 d'en faire aucun extrait ni réduction. Vous y verrez, M., Mme Guyon a pris la précaution de mettre en sûreté des lettres du père de la Combe, d’où il est aisé de juger qu’elle n'a pas manqué de prendre le même soin à l'égard des autres lettres de commerce et des papiers dont elle n'a pas voulu qu'on pût avoir connaissance, et par ce moyen, il est resté pour interroger Mme Guyon sur les faits [f°41v°] du commerce et des pratiques de secte particulière, que des seuls papiers qu'elle a jugés indifférents ou quelques fragments qui ont échappé aux soins qu'elle a pris sur les avis récents qu'elle a reçus, qu'elle devait être arrêtée. Et ce sont les deux lettres du père de La Combe que Mme Guyon venait de recevoir lorsqu'elle fut arrêtée et la troisième lettre du même père de La Combe reçue depuis l'arrestation de Mme Guyon qui ont, avec les fragments échappés, fourni toute la matière des interrogatoires, car de tout ce grand nombre de personnes qui ont paru s'élever contre cette femme et qui ont dit avoir une parfaite connaissance de faits graves et très importants, sur la matière dont il s'agissait, aucune ne s'est expliquée ou n'a consenti qu'il fût fait le moindre usage de ce qu'elles ont dit sous la condition du secret. Je suis etc. / 9 avril 1696.

Le 14 avril 1696.

[f°43] M. / J'ai remis aujourd'hui entre les mains de M. l’archevêque, quelques papiers que j'en avais retirés et qu'il est nécessaire de représenter comme ils ont été en dernier lieu, à Mme Guyon. Je lui ai remis en même temps les comédies et autres, lesquelles dont vous avez déjà vu les titres par le mémoire qui en a été fait ci-devant. […]465 / 17 d'avril 1696.

Les pressions du confesseur

L’enquête par La Reynie est terminée et la prévenue est livrée à elle-même. Deux mois plus tard, le 9 juin, jour où Pirot adresse sa lettre (reproduite après « le récit de la prisonnière »), Fénelon, Chevreuse et Beauvillier rencontrent M. Tronson pour parler de Mme Guyon. Fénelon compose un projet de soumission. On échange des visites à Issy.

On va donc passer maintenant du pouvoir séculier au pouvoir régulier, à l’inverse de la pratique habituelle ! Mais telle est l’intention du Roi - ou plutôt de Mme de Maintenon. Et ce transfert est logique puisque La Reynie n’a pu prouver qu’il y avait un problème d’ordre public. Il passe donc la main aux clercs, seuls compétents en matière de doctrine :

A Paris ce 18 d'avril 1696. / Je vous supplie M. de permettre à M. l’abbé Pyrot [Pirot] de voir Mme Guyon, avec toute la liberté qu'il désirera avoir pour cela dans le donjon de Vincennes. Je sais que c'est l'ordre et l'intention du roi. Je suis M. votre très humble et très obéissant serviteur / De la Reynie466.

Le récit de la prisonnière

Mme Guyon rend compte des pressions exercées par son confesseur (imposé) Pirot, dans le récit de prison467. Lui succède La Chétardie, ce qui nous vaut un joli portrait de curé hypocrite468. L’affrontement tourne autour d’une lettre à signer. Enfin on prépare un couvent-prison.

Quelques temps après l'on m'envoya M. Pirot qui me parla avec bien de l'aigreur et de l'emportement469. Il voulut repasser tout de nouveau les interrogatoires qui m'avaient été faits à Sainte-Marie par M. l'Official en sa présence, il y avait huit ou neuf ans470. Et comme ils étaient fort à mon avantage par l'assistance de mon divin Maître, il voulait par des changements les rendre très mauvais. Après m'avoir tourmentée à me rendre malade, car il n'y a rien de plus violent que ce qu'il me fit, il voulut que je lui dise tous les maux imaginables du Père La Combe. Il n'avait jamais pu lui pardonner un mot que ce Père lui avait dit autrefois en présence de M. l'Official : « Vous êtes docteur en Israël, et vous ne savez pas ces choses471 ! » Je lui répondis que je n'avais que du bien à [en] dire, et que je ne me serais pas confessée à lui si longtemps si j'y avais reconnu la moindre chose. Il s'aigrit là-dessus à un point [tel] qu'il ne garda plus de mesure. Je n'ai jamais connu un homme plus aigre et plus tyrannique. Il voulut que je lui donnasse une déclaration comme [quoi] je ne me dirigerais plus par le Père et que je n'aurais aucun commerce avec lui. Je la donnai à peu près en ces termes, que quoique [14]472 j'eusse reconnu le P. La Combe pour un saint homme, je consentais à ne jamais me diriger par lui puisque M. l'archevêque ne le jugeait pas à propos, et à n'avoir à l'avenir aucun commerce avec lui, préférant l'obéissance à tout le reste.

A quelque temps de là, il revint et me dit qu'il était mécontent de ce que j'avais mis dans cette déclaration que c'était par obéissance que je n'aurais plus de commerce avec le Père ; et qu'on voulait que je mette : parce que c'était un homme dangereux, hérétique et dont le commerce était très mauvais, et enfin un homme dont il fallait effacer le souvenir avec horreur. Je lui répondis : « Monsieur, le Père est un saint et un homme d'une vie irréprochable, en qui je n'ai jamais vu que du bien. Ce serait parler contre ma conscience et faire un grand péché ». Il me dit alors : « On veut cela de vous, sans quoi on ne vous recevra jamais à la participation des sacrements ». Je lui dis là-dessus : « A Dieu ne plaise de me procurer jamais les sacrements par un crime ; et quoique je désire extrêmement de recevoir Notre Seigneur que j'aime uniquement, j'aime mieux en être privée toute ma vie que de l'acheter par un crime aussi noir que serait un témoignage [15] rendu contre ma conscience ».

Il me fit entendre ensuite, avec une douceur affectée, que je ne devais pas m'exposer par ma résistance aux suites fâcheuses qu'elle était capable de me causer, mais, pour couper court à ses instances, je lui dis : «Monsieur, quoique je souffre ici tout ce qu'on y peut souffrir tant à cause des douleurs continuelles dont j'y suis accablée depuis si longtemps que par les mauvais traitements que l'on prend à tâche de m’y faire endurer, je vous déclare que j'aime mieux y rester toute ma vie que d'en sortir par une pareille voie, et que rien au monde n’est capable de m'ébranler». Il est vrai que les tourments que cet homme me faisait par ses ruses et par ses artifices, me faisaient tomber malade toutes les fois qu'il venait, mais on s'en mettait peu en peine. Enfin je tombai à l'extrémité. Il me prenait des défaillances continuelles avec une grande fièvre.

Le commandant473, tout dévoué aux personnes qui me persécutaient, était sans cesse occupé à me tendre des pièges, et [à] me surprendre en paroles dans la vue de leur en faire sa cour. Il me traitait avec la [16] dernière dureté, me refusant certains petits soulagements qu'on accordait là aux empoisonneurs et aux plus criminels. C'était faire fortune que de m'opprimer. […]

Vers la fin du temps que je passai à Vincennes, l'on me proposa de voir le curé de Saint Sulpice. Il y avait peu qu'il était à Paris où il remplissait une place considérable474. Je ne le connaissais point, mais je crus qu’ayant [18] des liaisons avec un des hommes que j'estimais le plus, qui était M. Tronson, je trouverais en lui ce que je n'aurais pu trouver en l'autre. J'eus cependant quelque répugnance à la première proposition que l'on m'en fit, mais comme on me le proposa de manière à me faite entendre que l'on voulait la chose, il me fallut souffrir ce que je ne pouvais empêcher.

Il me vint donc voir, et se jetant à genoux sitôt qu'il fut entré dans ma chambre, il y fut un quart d'heure en prières sans me dire un seul mot. Ce début et cette affectation me firent une certaine impression de crainte qui ne s'est que trop vérifiée dans la suite. Il me dit qu'il venait de la part de M. Tronson qui prenait bien de l'intérêt à tout ce qui me regardait, qu'il était intime ami de M. le Curé et son parent, qu'il voulait me rendre service, qu'il ne savait pas pourquoi on m'avait envoyé M. Pirot qui était un homme très dur, qu'il avait examiné le Moyen Court, qu'il l'avait trouvé très bon, qu'il en avait dit son sentiment à M. Pirot. Toutes ces raisons et une simplicité apparente qu'il affectait, des marques extérieures [19] de piété me gagnèrent et m'engagèrent à lui répondre avec beaucoup de franchise. Mais, mon Dieu qui connaissez le fond des coeurs, vous savez combien ses paroles étaient différentes de ses actions ! Sa première visite se passa de la sorte. Je songeai plusieurs choses qui auraient dû me donner de la défiance de lui si je m'y fusse arrêtée. Et je crois que c'étaient des avertissements du Seigneur plutôt que des songes. Son rire avait quelque chose de forcé, et ce qu'il dit à ma femme de chambre commença à m'ouvrir les yeux.

Comme il connut qu'elle avait pour moi beaucoup d'attachement, il essaya de la tirer d'auprès de moi, lui promit de lui faire avoir une bien meilleure condition, et il parut touché de l'ennui qu'elle devait avoir en un lieu comme celui-là. « Moi, Monsieur, quitter Madame ? Il n'y a point de condition dans Paris que je veuille, Madame m'est plus que tout cela ! » Je ne sais si dans ce que je rapporte des autres je me sers des mêmes termes [mais] c'est le même sens. Je la grondai de sa réponse lorsqu'elle me l'eut dite, et je lui dis qu'il n'en demeurerait pas là ; et que s'il retournait à la charge, elle lui devait dire qu'il [20] n'y avait pas d'apparence qu'elle me quittât dans ce lieu où j'étais ; que, lorsque j'en serais sortie et en état de me passer d'elle, elle ferait réflexion sur la bonté qu'il lui marquait, mais qu'il serait contre l'honneur de m'abandonner à présent. Il parut content de cette dernière réponse qu'elle lui fit lorsqu'il lui en reparla, et ne douta pas qu'il n'en vînt à bout.

A quelque temps de là il me proposa des signatures, qui était ce que je craignais le plus à cause des surprises que l'on pouvait m'y faire. Il ne manquait point, lorsqu'il me venait voir, de se mettre à genoux dans ma chambre. Les affectations doivent être suspectes, et j'en ai une grande expérience. Il me dit qu'il m'apporterait quelque chose que je devais signer dans quelques jours ; que c'étaient des professions de foi, des soumissions. Je lui dis : « Monsieur, comme je ne puis signer sans savoir ce que je signe, qu’on ne m’a tourmentée jusqu’à présent que pour des termes peu exacts et que je ne sais point la valeur des termes, je vous prie de montrer à M. Tronson ce qu’on veut me faire signer, qu’il le dresse, qu’il le signe, je signerai aveuglément ce qui me viendra de sa main. » Cette proposition parut [21] l'interdire, il me dit d'y bien penser. […]

Il revint deux jours après et me dit : « Vous avez tort d’avoir demandé M. Tronson475 et de ne vouloir signer que ce qu’il vous proposera. Il vous traitera avec plus de rigueur que je n’aurais fait, et vous en auriez eu meilleur marché ». Je lui répondis que puisque je l'avais dit, je demeurerais là-dessus ferme.[…]

Enfin, voyant que je ne changerais pas de sentiment, il se chargea d'une [22] lettre que j'écrivis à M. Tronson476, dans laquelle je lui exposais la peine que me faisaient toutes ces signatures qu'on ne cessait de me demander ; que, ne connaissant point la valeur des termes, je craignais d'en employer dont on pût inférer que j'avais des sentiments contraires à la foi ; et que je le suppliais de me dresser lui-même une soumission qui pût satisfaire M. de Paris et me mettre à couvert des impressions qu'on s'efforcerait de donner au public contre moi.

M. Tronson m'en envoya une toute dressée, écrite de sa main, et me manda qu'il lui paraissait que je la pouvais signer en toute assurance ; qu'elle ne contenait rien qui pût blesser le moins du monde la saine doctrine, ni les vérités solides des voies intérieures ; qu'on se contenterait de la condamnation de mes livres dont les expressions pouvaient être mal prises, m'excusant au surplus et me justifiant sur la valeur des termes contraires à mes intentions. C'était en effet ce que je demandais.

M. le curé, en me rapportant cette réponse de M. Tronson, me mit entre les mains cette soumission. Elle contenait en substance que je ne m'étais jamais écartée des sentiments de l'Église catholique, ma mère, [23] pour laquelle j'avais toujours eu, avais, et aurais, avec la grâce de Dieu, toute ma vie, tout l'attachement possible ; que si mon ignorance m'avait fait servir de termes moins exacts, mes sentiments avaient toujours été droits, etc. Car enfin, quelque persécution qu'on m'ait faite, tout a toujours roulé sur les termes. Je signai le papier tel qu'on me l'apporta477.

M. le curé se mit alors à genoux avec ses façons ordinaires, et me dit qu'il était plus édifié de moi que s'il m'avait vu faire des miracles. Il me dit ensuite que j'aurais dans peu ma liberté. C'était la chose du monde qui m'était la plus indifférente. […]

Le lendemain de tout cela, M. le curé qui, la veille, avait été si satisfait de ma soumission, me vint voir avec un air sévère et de maître d'école. Il me dit qu'on était persuadé que tout ce que j'avais signé n'était qu'hypocrisie ; qu'on n'en avait pas plus d'estime pour moi et qu'on n'en était pas plus content. Je lui dis que je ne pouvais qu'y faire, qu'il n'y avait donc qu'à me laisser là en repos. Je me flattais d'y finir mes jours. […]

Comme je n'avais pas ouï la messe le jour de Pâques ni depuis que j'étais là, on se servit de l'envie que j'aurais de m'acquitter de ce devoir et de recevoir mes sacrements, pour me tourmenter de nouveau. On fit bénir [25] une chapelle proche de ma tour. Ensuite on me vint dire que je n'approcherais point des sacrements que je n'eusse signé, que je n'aurais point d'autre directeur que M. de Paris et qu'il aurait soin de mon âme. Bien loin d'avoir en cela de la répugnance, j'en eus beaucoup de joie, et je me flattai que M. de Paris, me connaissant à fond par lui-même, prendrait pour moi des sentiments plus équitables que ceux qu'on lui avait inspirés. Mais il n'en alla pas ainsi, car jamais, depuis ce temps-là, il ne s'est informé, du moins à moi, si j'avais une âme raisonnable et chrétienne ; au contraire, il m'a traitée comme si mon âme, ainsi que celle de la bête, eût dû périr avec mon corps. Que je servisse et aimasse Dieu, c'était ce dont on se mettait peu en peine pourvu qu'on me noircît aux yeux des hommes.

A quelque temps de là, M. le curé revint, qui ne faisait plus ses prières ; mais avec un air plein de colère, [il] me dit que M. de Paris n'était pas content de ce que j'avais signé après M. Tronson, qu'il était offensé ; qu'il fallait signer une autre soumission sans quoi on ne me donnerait pas [26] les sacrements. Je demandai quel défaut il y avait dans celle de M. Tronson. Il me répondit que c'était parce qu'elle était signée de lui, et qu'on ne voulait que la même, [mais] que je l'écrivisse de ma main et que je la signasse. Je dis que cela ne serait pas difficile, qu'en me rapportant celle de M. Tronson, je la transcrirais, et la signerais. On revint à quelques temps de là et on m'en apporta une toute dressée, qu'on dit être transcrite sur celle de M. Tronson. Je ne voulus point la signer que je ne visse la sienne, mais on ne voulut jamais me la montrer. […]

Enfin je demandai au moins de la lire. On me la lut sans me la donner. Mais comme j'appréhendais des surprises et qu'on ne voulait pas que je la lusse, je ne voulus pas aussi la signer. On m'en apporta à quelque temps de là une autre, ou la même, que je lus. Je n'y trouvai rien qui ne dît à peu près comme les autres, du moins autant que j'en pus juger dans mon ignorance et la peine que je sentais. On me tenait l'épée dans les reins tous les jours. On me demandait des lettres pour M. de Paris qu'on m'apportait toutes dressées, qu'il fallait copier, et cela pour avoir occasion de me tourmenter.

C'est une chose qui doit surprendre tout le monde que M. de Meaux me traitant toujours d'ignorante et de femme qui ne savait rien du tout, on m'a traitée avec plus de rigueur que le plus habile théologien qui aurait fait des erreurs volontaires dans les [28] points les plus essentiels de notre foi. […]

J'ai dit bien des [29] fois à M. le curé : « Monsieur, si j’y pense mal, que l’on me redresse, si je fais mal l’oraison, qu’on me dise comment on veut que je la fasse, car je n’ai ni attache ni volonté ». Il me répondit que mon oraison était bonne et qu'il n'y avait rien à y changer. Je lui répondis : « Mais si elle est bonne, pourquoi me tourmenter ? » Point de réponse. […]

Pour revenir à mon discours, enfin, après bien des peines, M. le curé me vint confesser. On dit la messe et il me communia. Je communiai ensuite les dimanches et les fêtes. On aurait bien voulu me laisser à Vincennes, et j'eusse bien voulu y demeurer aussi, mais on n'osait pas m'y laisser à cause que M. de La Reynie avait connu la vérité. M. le curé s'avisa d'un stratagème pour m'en tirer, mais de manière qu'ils seraient toujours les maîtres de ma destinée, et qu'ils disposeraient de ma personne selon qu'il conviendrait aux intérêts des uns et des autres.

Pour cela, il fit venir une fille de la Basse-Bretagne où elle était dans une sorte de communauté qui jusque-là n'avait pu obtenir d'établissement dans Paris, quoiqu'elle l'eût longtemps sollicité. Il crut ne pouvoir trouver de conjoncture plus favorable pour les y attirer que de proposer de me mettre avec les filles dont il devait être le supérieur. [31] C'est une espèce de Congrégation de St Augustin. Elles sont une, deux ou trois soeurs dans chaque maison. L'on fit en un moment une communauté de ces filles à Vaugirard. On y mit une soeur, avec une paysanne qu'on prit pour lui servir de servante. Ce fut dans cette communauté bâtie à la hâte, où l'on me mit en me faisant sortir de Vincennes478. Mais on avait pris devant toutes les précautions pour s'assurer d'elle et de son dévouement, soit pour me maltraiter, soit pour faire tous les personnages qui conviendraient à leurs desseins.

M. le curé me vint dire d’un air gracieux qu’il m’allait ramener chez moi, je laissai tout dire et tout faire. Il m’avait proposé avant d’être mise à l’hôpital général ! Dieu sait qu’aimant les pauvres et l’humiliation, je n’en eusse point eu de peine ; mais ils n’osèrent à cause de ma famille ; il parla de m’envoyer à Bourges. Je dis que j’aimais mieux Vincennes. Son dessein, comme la suite le fit voir, était de me faire enlever en chemin, et de dire que mes amis [32] m’avaient fait enlever, car on voulait les envelopper dans ma perte. Enfin il me vint jurer qu’il m’allait ramener chez moi, et qu’avant on me mènerait chez M. Tronson ; il dit cela afin que je ne m’étonnasse pas de me voir hors de Paris.

Lettre et mémoire du confesseur Pirot

Cette très longue lettre479 dont nous donnons quelques extraits fut adressé à Mme Guyon - et communiquée à Mme de Maintenon 480.

En Sorbonne, le 9 juin 1696.

A Mme Guyon.

Vous ne devez pas être surprise, madame, si jusqu’à cette heure je n’ai pas voulu entrer en matière avec vous pour vous entendre en confession, comme vous témoignâtes le souhaiter dès la première visite que j’eus l’honneur de vous rendre où vous êtes. Ce fut le mercredi saint, vous en ayant rendu deux depuis : le Vendredi saint et le vendredi de la semaine de Pâques. Vous voulûtes d’abord commencer par vous mettre à genoux comme pour vous confesser, et je vous témoignai qu’il fallait qu’avant que de parler de sacrement avec vous, j’eusse l’honneur de vous entretenir en conversation sur ce qui était connu dans le monde de votre affaire pour reconnaître votre disposition présente à cet égard, et juger par là si vous étiez en état qu’on pût à coup sûr vous recevoir aux sacrements. Je vous proposai, dans ces trois visites, le préalable qui me paraissait nécessaire avant que d’en venir à la confession qu’il ne convenait pas de faire de votre part, ni de recevoir de la mienne, que vous ne fussiez résolue de faire ce que je croyais pour vous, après tout ce qui s’est passé à votre sujet, d’une obligation indispensable. [...] Comme vous avez eu le malheur de prendre, sur le sujet [49v°] de l’oraison, de fausses idées, [...] vous ne pouvez, madame, être admise à la participation des sacrements que vous ne rétractiez vos erreurs qu’ils ont condamnées : c’est l’obligation de tous ceux dont les ouvrages ont été condamnés par l’Église de les rétracter ; c’est la première démarche qu’ils doivent faire pour demeurer dans la communion de l’Église, quand ils n’en sont pas sortis. Vous faites profession de vous y être toujours conservée, vous regardez l’Église comme votre mère, vous protestez, dites-vous, dans une déclaration que vous avez vous-même écrite à Vincennes entre la première et ma seconde visite, « de croire tout ce qu’elle croit, de condamner tout ce qu’elle condamne sans exception », vous dites que ce sont « les sentiments dans lesquels vous avez toujours vécu et dans lesquels vous voulez vivre et mourir, étant prête, avec la grâce de Dieu de répandre votre sang pour la vérité qu’elle enseigne » ; vous ajoutez dans ce [50] même papier que « vous vous soumettez de tout votre cœur à la condamnation que monseigneur l’archevêque de Paris a faite de vos livres lorsqu’il était encore évêque de Chalons ». C’est tout ce que porte l’acte que vous me montrâtes le jour du Vendredi saint, tout écrit de votre main à la faveur d’une plume et d’une sorte d’encre que votre industrie vous fournît, daté de la veille, le jeudi saint 19 avril à Vincennes. C’est, comme vous vous exprimez, fait dans la tour de Vincennes, le 19 avril 1696. Si ce papier qui demeura entre vos mains, et que je ne doute pas que vous ne voulussiez bien signer, était bien sincère et que vous y donnassiez sans équivoque et sans aucune réserve à la condamnation que vous y dites que vous faites de vos livres, toute l’interprétation qu’on y devrait donner naturellement, et aussi étendue que portent ces termes dans l’usage qu’on en fait ordinairement, et la signification qu’on a coutume de leur attacher, je ne demanderais rien de plus, et cela, bien entendu, renfermerait tout ce qu’on pourrait désirer de vous. Mais permettez-moi, madame, de vous dire que ce que je sais de votre affaire m’empêche d’être content de ce papier et me fait exiger de vous une plus ample explication.

[...] on doit à votre égard prendre plus de sûreté pour compter sur la promesse que vous ferez et exiger de vous des paroles plus positives et plus précises. [...] je lis dans votre septième interrogatoire « qu’on n’a rien trouvé dans vos écrits contre la foi et que vous en avez une bonne décharge. Que s’il y a quelques termes que vous ayez employés mal à propos et sur lesquels vous soyez trompée, c’est un effet de votre ignorance, que vous les détestez, et les désavouez de tout votre coeur, que vous êtes bien assurée qu’il ne se trouvera aucune erreur dans aucun de vos écrits, et que vous n’avez point eu aussi à faire aucune rétractation481. » Pouvez-vous accorder cela avec la soumission aux ordonnances des évêques ? [...] vous devez rétracter vos livres et vos autres écrits qui ne sont pas imprimés, au moins celui que vous appelez les Torrents ; il est entre les mains de bien du monde, la doctrine en est aussi mauvaise, il y a même des manières de parler qui sont plus outrées et qui portent plus un caractère pernicieux.

Vous devez donner une parole bien formelle sur cela, qui porte dans un acte que vous écrirez de votre main, que vous rétractez la doctrine contenue dans vos livres de la manière qu’elle est condamnée par messeigneurs les évêques, feu monseigneur l’archevêque, monseigneur l’archevêque étant encore évêque de Chalons et M. de Meaux.

[...] La troisième condition que je crois qu’on vous doit proposer, c’est de n’entrer dans la direction de personne pour la conduite dans la voie de l’oraison, et c’est, madame, une suite de votre rétractation, puisque vous y reconnaîtrez, si vous la faites [53] sérieusement et dans une pleine persuasion, que vous avez été dans l’égarement sur cette matière, et que vous y êtes tombée dans l’erreur. [...] rompre tout commerce avec le père La Combe et de le regarder comme un guide aveugle et qui ne pourrait être que très dangereux pour vous : vous l’avez dû regarder ainsi, au moment que vous l’avez vu, condamné comme vous par les Ordonnances, ne se pas [53v°] rétracter, et demeurer toujours dans ses premiers sentiments. Vous savez que sa doctrine est la vôtre, vous avez tout deux les mêmes principes, il vous a proposée dans la préface qu’il a faite sur votre Explication du Cantique et dont vous le reconnaissez auteur dans vos interrogatoires, comme la Sulamite qui possède l’esprit de l’époux, et qui en peut découvrir le sens le plus caché et les mystères les plus inconnus. Il s’est fait de vous l’idée la plus noble et la plus élevée qu’on se puisse faire d’une dame chrétienne, il l’a inspirée à ceux qui ont eu pour lui quelque crédulité, et il ne faut pour le reconnaître que voir les trois lettres qu’il vous a écrites : dans les deux premières, un aumônier du château de Lourdes vous écrit avec lui, il met sa lettre après celle de ce père dans le même papier482, il vous traite d’illustre persécutée, de femme forte, de mère des enfants de la « petite Église ». [...] Il dit que le recueil de ce que vous avez fait sur l’Écriture sainte, si on le pouvait tout ramasser, pourrait être appelé la « Bible des âmes intérieures »483. Tout cela serait capable de vous donner de la vanité si vous étiez assez faible pour en pouvoir prendre ; mais si fort qu’on se sente sur cela, il faut toujours se défier de ce qui va à entretenir l’orgueil, qui nous est naturel. [...] Enfin je ne sais comme vous pouvez vous accommoder de ces termes, que je veux bien encore vous représenter : pour moi, dit-il, au milieu de cette troisième lettre qu’il vous écrit, « dans le grand loisir que j’aurais, je ne puis rien faire, quoique je l’ai essayé souvent, il m’est impossible de m’appliquer à aucun ouvrage de l’esprit, du moins de continuer, m’étant fait violence pour m’y appliquer, ce qui me fait traîner une languissante et misérable vie, ne pouvant ni lire ni écrire, ni travailler des mains, qu’avec répugnance et amertume de coeur ; et vous savez que notre état ne porte pas de nous faire violence, on tirerait aussitôt de l’eau d’un rocher484 ». Est-ce là votre état, madame ? Il serait à plaindre, et je n’en connais guère de semblable dans le pur christianisme : Jésus-Christ veut qu’on s’y fasse violence. Vous n’avez pas oublié que j’eus l’honneur de vous témoigner sur cela ma peine dans ma troisième visite, et pour m’en donner l’explication, vous me fîtes entendre que c’est que ce père faisait sept ou huit heures d’oraison par jour ; mais pour faire tant d’oraison, est-on hors d’état de s’appliquer ni aux ouvrages d’esprit, ni au travail des mains ? [...] Vous ne vous êtes pas sans doute souvenue de cet engagement dans votre septième interrogatoire, quand vous y dites « que la doctrine de ce Père n’a point été condamnée, qu’au contraire elle a été approuvée par l’Inquisition de Verceil et par la Congrégation des Rites ». [...] Mais il paraît bien, par l’apologie que vous faites de cette Analyse, que vous continuez à être attachée à l’auteur, et c’est ce que vous marquez encore bien plus expressément dans votre huitième interrogatoire, où vous dites que ce père vous ayant été donné par un évêque (c’est M. de Genève) pour votre directeur, et vous-même l’ayant depuis choisi pour cela (cette clause est bien ajoutée, et elle était nécessaire puisque M. de Genève vous marqua bientôt qu’il ne vous convenait pas, il fallait votre choix pour y suppléer), « vous n’auriez jamais cessé de lui obéir et de suivre sa conduite, si vous aviez été à portée de le pouvoir faire, que vous lui obéiriez encore, si vous pouviez lui demander ses avis, à moins qu’il ne vous fût défendu ». [...] La cinquième obligation où je crois que vous êtes avant toutes choses, c’est d’édifier autant le public que vous l’avez mal édifié ou qu’on l’a mal édifié à votre occasion ; vous savez que ces termes de « petite Église » dont vous êtes appelés la « mère », de « colonnes de la petite Église », « d’augmentation de la petite Église », ne peuvent qu’offenser et vous n’avez pas pu vous-même soutenir cela dans vos interrogatoires, vous n’y avez pu donner un bon sens, et vous en avez renvoyé l’explication au père, que vous dites, dans votre second interrogatoire, avoir accoutumé de se servir de cette manière de parler, dont vous ne vous servez pas vous-même. C’est ce que vous marquez encore dans votre septième interrogatoire. Vous avez souvent dit dans vos interrogatoires que vous abhorriez les sectes, et rien n’est plus digne d’une dame chrétienne [...] ce qu’on a trouvé de misérables livres chez vous a fort déplu à tout le public, et rien ne convenait moins à une dame d’oraison. Vous n’y reconnaissez pour être à vous que Grisélidis, Peau d’Ane et Don Quichotte, mais (pour ne rien dire de la Belle Hélène que l’abbé Couturier dit que vous lui avez donné en lui disant que « prenant cette pièce dans le sens spirituel, elle était bonne et instructive ») quand vous n’auriez pris plaisir qu’à ces livres de Peau d’Ane, Don Quichotte et autres semblables, cela même n’était pas aussi sérieux que devait être votre lecture familière ; vos dix-neuf opéras spirituels, et les comédies de Molière marquent un amusement d’oisiveté, et n’étaient pas une occupation digne de vous, madame485.

Je ne crois pas que votre Vie faite par vous-même soit connue de beaucoup de monde, mais je sais que d’autres que M. de Meaux l’ont vue, et le degré où vous vous y élevez vous-même, la familiarité que vous vous y donnez avec Dieu, la comparaison que vous faites de vous-même avec la femme de l’Apocalypse, qui s’enfuit dans le désert environnée du soleil, la lune sous ses pieds, et couronnée d’étoiles, mais surtout les deux lits, (vous entendez, madame, ce que je dis de votre songe, nous en avons parlé), ne peuvent que choquer les âmes pieuses486. Il faut sur tout cela, madame, quelque réparation, et comme il y a en cela bien des faits, comme notoires, il faut qu’elle soit publique. C’est la prudence qui doit régler cela en vous ménageant autant que la charité et l’édification de l’Église le pourront permettre, [57] mais n’omettant rien que ce qu’elles demanderont ; il faut un acte de votre part qui convainque le public de votre soumission parfaite, cela ne peut être trop humble. Mais il faut commencer par changer de cœur, il ne faut pas se presser avec précipitation pour recevoir les sacrements. On tremble quand on lit dans vos Torrents, que vous faites aller vos âmes du premier ordre à la communion comme à table tout naturellement, et se confesser comme feraient des enfants des lèvres sans douleur ni repentir. [...] je suis avec respect,

Madame,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

Pirot.

Je n’ai pas voulu, madame, rien toucher dans ma lettre de ce que vous me dites dans les visites que j’ai eues l’honneur de vous rendre, de l’Ordonnance de monseigneur l’évêque de Chartres, vous vous en souviendrez aisément487 : vous me témoignâtes sur cela tant d’indignation que par deux fois vous m’assurâtes que vous ne pourriez jamais vous résoudre à vous y soumettre, et qu’il n’y a point de feux, de roues, de chevalets, que vous ne souffrissiez plutôt que de le faire. C’est ce que vous me dites dans la première visite, en me montrant le feu allumé dans votre chambre, et que vous me répétâtes dans la troisième d’un air dont l’idée me fait encore peur. [...] quand saint Augustin et quelques autres évêques d’Afrique reçurent la rétractation que fit un nommé Leporius488 des erreurs qui l’avaient fait condamner par les évêques de France, il en donna avis aux prélats français, et voulut qu’ils ratifiassent l’absolution que les Africains avaient donnée à ce Français ; la lettre de ce père sur ce sujet est la 219e dans l’impression nouvelle, elle est très belle et mériterait bien que vous eussiez la curiosité de la lire489 ; il serait aisé, madame, de la satisfaire, vous seriez édifiée en la lisant. [...] je pris la liberté de vous dire dans Vincennes que ce qui me paraissait le plus terrible dans l’état où je vous voyais : c’était que vous ne sentiez pas assez ce mal, puisque peut-être ne vous reprochiez-vous pas une faute vénielle dans toute votre affaire ; vous ne me répondîtes rien ; et cela me donna lieu de vous faire encore depuis ce même reproche, et vous ne me répondîtes pas plus. Cette confiance, madame, permettez-moi de dire, me paraît présomptueuse, et je vous avoue qu’elle m’épouvanta. [...] Pirot.

Par ailleurs Pirot rédigea un mémoire :

Mémoire490 : Ce qui a donné lieu au livre de Monseigneur de Cambrai et ce qui s'est fait à ce sujet jusqu'au 25 août 1697.

Les deux livres que fit Mme Guyon sur l'oraison, dont l'un porte pour titre Moyen court et très facile de faire oraison, etc., et l'autre qui est une explication mystique du Cantique des cantiques, parurent remplis de tant de maximes extraordinaires sur cette matière, et d'un esprit si fort tourné au quiétisme, condamné par la Bulle solennelle d'Innocent XI contre Molinos, qu'on crut être obligé d'en donner avis aux puissances pour prendre sur cela des ordres du roi.

Feu Monseigneur l’Archevêque de Paris, en parla à Sa Majesté. Et, comme cette dame était dirigés par le père la Combe, barnabite, avec qui elle avait été cinq ou six ans en Savoie, quoique chargée de la tutelle de trois enfants, deux fils et une fille mariée depuis quelques années à monsieur Fouquet, comte de Vaux, qu'elle mena avec elle, laissant le soin de l'éducation de deux [f°1v] garçons à quelques personnes de sa famille, et que ce directeur avait lui-même fait un livre latin sur ce même sujet intitulé Orationis mentalis Analysis, imprimé à Verceil, et passait pour avoir aidé sa dévote dans la composition des siens, le roi le fit arrêter et le fit mettre d'abord aux pères de la Doctrine chrétienne à Saint-Charles, où, par commission de monsieur l'archevêque, il fut interrogé par monsieur Chéron, Official, neuf ou dix fois, monsieur Pirot, docteur de Sorbonne, présent. De plus, après un séjour de cinq ou six semaines à Saint-Charles, il fut transféré à la Bastille, où l'interrogatoire continua cinq ou six séances491. Après quoi, comme il marqua un attachement invincible à la doctrine de son livre, sur lequel il avait été interrogé, le roi le fit conduire à Oléron ; de là, il l'a fait aller ailleurs, enfin il l'a fait passer au château de Lourdes, d'où il a écrit les dernières lettres à Mme Guyon.

Cette dame fut mise aux filles de Sainte-Marie de la rue Saint-Antoine dans le temps que le père la Combe était [enfermé] aux pères de la Doctrine. Elle y fut interrogée à la grille neuf ou dix séances par monsieur Chéron, monsieur Pirot présent. On l'interrogea sur sa conduite, sur ses voyages de Savoie, de Piémont, de Provence, de Dauphiné et autres, et sur la doctrine et ses livres, particulièrement du Moyen court. Et comme elle protesta qu'elle n'était [f°2] point attachée à ce qu'elle avait écrit et qu'au moment qu'on lui déclarait qu'il n'était pas bon, elle renonçait, prête à le brûler elle-même, signant cette soumission, le roi la fit mettre quelque temps chez Mme de Miramion, où elle avait liberté de faire quelques visites. Mademoiselle sa fille lui fut remise entre les mains chez Mme de Miramion, ayant été à la Visitation du faubourg Saint-Jacques pendant que sa mère était à celle de la rue Saint-Antoine. Elle la maria au fils aîné de feu Monsieur Fouquet, et elle, ayant eu une entière liberté, alla demeurer en son particulier. [...]492.

[f° 3v][...] Comme on la vit de mauvaise foi, se vantant de la déclaration que lui avait donnée monsieur de Meaux, sans qu'elle en dise les clauses, le roi donna des ordres pour la faire chercher. On y réussit et on la trouva au mois de décembre 1695 au faubourg Saint-Antoine. Elle y fut arrêtée par Desgrez et conduite au bois de Vincennes. Deux filles qu'elle avait avec, y furent aussi menées, [...]

[f° 5r][...] Monseigneur l'archevêque crut que monsieur Pirot, ayant connaissance de l'interrogatoire de Mme Guyon fait à la grille de Sainte-Marie où il avait été toujours présent par l'ordre de son prédécesseur, serait plus en état de l'entretenir qu'un autre. Il le chargea de la voir et de lui donner toute la consolation qu'il pourrait. Il lui rendit visite à Vincennes, le mercredi saint 18 avril. Il fut avec elle tout l'après-dîner pendant cinq heures, lui parlant toujours d'elle. [...] il ne put rien obtenir d'elle. Il y retourna le vendredi saint après dîner, et passa avec elle tout autant de temps, sans rien avancer de plus [...].

Monsieur l'archevêque représenta, quelque temps avant la Pentecôte, au roi la bienséance qu'il y aurait qu'on donnât quelquefois aux prisonniers de Vincennes la consolation d'entendre la messe, et Sa Majesté, sur sa remontrance, ayant ordonné qu'on mît en état une des trois chapelles, où on disait autrefois la messe dans le donjon, pour la faire bénir, monsieur l'archevêque donna la commission de cette bénédiction à monsieur Pirot. Il prit pour cela la veille de la Pentecôte, 9 juin, et comme il voyait une occasion de parler encore à la dame, il fit une grande lettre pour lui porter et lui lire lui-même dans sa visite, et où il lui ramassait tout ce qu'il lui avait dit dans ses trois entretiens qu'elle devait faire devant que de parler de sacrements. Et pour l'y préparer, il la porta avec lui le samedi, veille de la Pentecôte. Il bénit la chapelle où on l'avait fait elle-même [f°6v] descendre pour assister à la cérémonie et entendre la messe ; ensuite qu'il dit après cette bénédiction, la messe dite, il s'approcha d'elle et lui fit un compliment, lui marquant qu'il aurait l'honneur de la voir tout l'après-dîner. Il dîna chez monsieur de Bernaville, commandant dans le château sous monsieur de Bellefond, et l'après-dînée, il rentra dans le donjon, monta à la chambre de la dame et lui rendit visite, aussi longue que les trois autres. Il lui dit qu'il apportait une lettre qu'il la priait de vouloir entendre avec attention pour y penser sérieusement après, et se persuader elle-même de ses obligations avant toutes choses, dans le dessein qu'elle avait de se confesser. Il la lui lut entière, et ce ne fut pas sans beaucoup d'interruptions pour répondre à ses griefs sur ce qui lui répugnait en cette lettre, mais il n'en échappa pas une syllabe. Elle fut toute lue en quatre ou cinq heures, en essuyant les plaintes qu'elle faisait de temps en temps. Ce fut la dernière visite qu'il lui rendit.

Monsieur l'archevêque y envoya depuis monsieur le [f°8r] curé de Saint-Sulpice, qui y eut plus de succès : il lui fit signer un écrit et l'admit aux sacrements. Quelque temps après, le roi changea sa prison en une retraite en une maison d'une petite communauté de deux ou trois filles appliquées à la charité, tout à l'entrée, dit-on, de Vaugirard, dont Monsieur Du Bois de La Roche est supérieur. Elle y fut conduite par Desgrez et y a toujours été depuis, avec les deux filles qui étaient avec elle prisonnières à Vincennes. Elle n'a commerce qu'avec ses deux servantes et est fort observée. [...]

Soins policiers à Vincennes

Deux pièces témoignent du soin apporté à la bonne conservation de la prisonnière à Vincennes493 :

M. de Pontchartrain à M. de  Bernaville :

Versailles, 20 juin 1696. / Le Roi veut que M. Guyart, médecin, aille voir Mme Guyon dans sa maladie ; faites entendre, s'il vous plaît, à cette dame, que c'est l'intention de S[a] M[ajesté], et qu'elle ne doit faire aucune difficulté de se servir de lui ; au surplus, je vous recommande de lui donner tout le secours dont elle aura besoin. [...]

M. de Pontchartrain à l'Archevêque de Paris :

23 juillet 1696. / Le Roi donnera ordre pour faire à Mme Guyon les accommodements qu'elle demande dans sa chambre. A l'égard du payement de ses dettes et du soin de sa pension, cela ne convient point à madame la duchesse de Mortemart494; il faudra en charger quelque autre.

Le secours de Monsieur Tronson et la soumission

Le 3 août, elle adresse à Tronson un appel au secours, qui sera suivi d’un échange épistolaire conséquent formant l’essentiel de la correspondance du deuxième semestre 1696495. Tronson est le troisième supérieur du séminaire de Saint-Sulpice, fondé par le mystique Olier en vue de mieux former les prêtres du royaume. Cet ancien directeur de Fénelon, qui a participé aux entretiens d’Issy, est de tendance ascétique, donc peu porté à comprendre la spiritualité mystique d’abandon. Estimé par les deux partis, attaché à Fénelon qu’il forma, honnête, il sut toutefois conserver une voie médiane et demeura le seul recours de Mme Guyon aux moments critiques précédant la Bastille.

On peut suivre par sa correspondance du 8 avril 1694 au 5 juillet 1699 son éloignement progressif de la « dame directrice » : c’est ainsi qu’il la nomme dans sa correspondance avec des tiers, traduisant un agacement d’homme d’Église auquel elle fait concurrence par sa direction proprement mystique. La position de Tronson varie selon l’interlocuteur, mais, à sa décharge, la santé de cet ecclésiastique, qui devait mourir en 1700, était chancelante496. Commençons par l’appel au secours :

Je prends la liberté, monsieur, de vous conjurer, par les entrailles de Jésus-Christ mon Sauveur, d’examiner vous-même ce que je dois faire pour contenter Mgr l’archevêque de Paris : je voudrais le satisfaire au péril de ma vie, et de l’autre on me demande des choses que je crois ne pouvoir faire en conscience. [...] Que votre charité ne me rejette point. Ceci se passera entre vous, monsieur, et M. le curé de Saint-Sulpice497. Je vous conjure, monsieur, de consulter le Bon Dieu, et si j’osais, je vous prierais de consulter une personne que vous connaissez498. Je me remets de tout entre vos mains, et j’attends un mot de réponse. J’en passerai par où vous croirez que j’en dois passer, [f°182] et cela, avec toute la sincérité de mon cœur. J’espère que Dieu vous fera connaître mon cœur, et le profond respect avec lequel je suis, Votre très humble et très obéissante servante de lamotte guyon / ce 3me août.

J’ajoute de nouveau, monsieur, que je signerai de bonne foi et sincèrement tout ce qu’en conscience vous croyez que je dois signer. Dieu, qui voit le fond des cœurs, peut vous manifester le mien, vous assurant que je me soumettrai d’esprit et de cœur à tout ce que vous croirez que je me dois soumettre.

De lamotte guyon

Tronson répondra le 10 ( ?) août : « Je vous plains, et je compatis à vos peines autant que je le dois. [...] Votre très humble et très obéissant serviteur, L. Tronson. » La prisonnière demande entre temps de quoi écrire, ce qu’atteste la lettre du 8 août de M. de Pontchartrain à M. de Bernaville, le directeur intraitable de Vincennes :

Marly, 8 août 1696. / Mme Guyon a demandé à Desgrez du papier pour m'écrire ; vous pouvez lui en donner pour cet usage seulement, et convenir avec elle qu'elle vous rendra autant de feuilles de papier que vous lui en aurez données, et que vous me les adresserez cachetées.

Ce détail de la vie prisonnière suggère les conditions sévères qui régnaient à Vincennes. Mais le récit fait en 1710 dans trois lettres écrites du monastère de Saint Florent de Saumur par un bénédictin qui y fut prisonnier, Dom Thierry de Viaixnes, est probablement exagéré et partage la hantise du temps vis-à-vis des empoisonnements (dont Mme Guyon n’est pas exempte) :

Soyez seulement persuadé, mon révérend Père, que la prison de Vincennes est sans comparaison plus terrible dans toutes ses circonstances, que ne sont les affreuses prisons de l’Inquisition [...] il n’y a rien qu’on emploie, les faux actes, les calomnies, les interrogatoires falsifiés ou supposés [...] même quelquefois d’autres prisonniers gagnés et corrompus ». Dans le cas d’un prisonnier dont la constance est à l’épreuve des supplices, et qui garde raison, « on attente à sa vie par le fer, le feu et particulièrement le poison […] moyen dont on se sert pour faire succomber infailliblement les prisonniers de Vincennes [...] C’est un usage qu’on a tiré d’Italie [...] Il consiste dans l’infection de tous les aliments qu’on donne aux prisonniers sans exception et même du linge [...] de tout ce qui est à leur usage, et cela particulièrement par le sel végétal, le soufre, l’ail, le pavot et autres drogues qu’on emploie pour faire perdre la mémoire aux prisonniers [ !], [...] pour les faire parler pendant qu’ils dorment la nuit [...] Ces ingrédients bien ménagés empêchent quantité de maux et surtout la fièvre, ils entretiennent nets et sans vermines, mais ils attaquent le cerveau d’une manière inexprimable. On en augmente et diminue les doses selon les différentes situations où on veut mettre le prisonnier499.

Le projet établi au début du mois par Fénelon d’un acte de soumission prend forme. Tronson qui le présente écrit : « Ce 27 août 1696. / Je crois, madame, que M. le curé de Saint-Sulpice vous portera au premier jour l’acte de soumission que Mgr l’archevêque exige de vous…». Suit le jour suivant le texte de la soumission à signer, texte très important où elle cède enfin sur tout ce qu’on lui reproche car elle promet de ne plus écrire de livres, de ne plus diriger personne, de ne plus voir La Combe500 :

Acte de soumission signé par Mme Guyon le 28 août 1696.

Comme je ne respire, Dieu merci, que soumission aveugle et docilité pour l’Église, et que je suis inviolablement attachée à la foi catholique, je ne puis déclarer trop fortement combien je déteste du fond de mon cœur toutes les erreurs condamnées dans les XXXIV Propositions arrêtées et signées par Mgrs les archévêques de Paris et de Cambrai, par Mgr l’évêque de Meaux, et par M. Tronson.

Je condamne même, sans aucune restriction, mes livres, que Mgr de Paris et de Meaux ont condamnés, parce qu’ils les ont jugés, et qu’ils sont contraires à la saine doctrine qu’ils avaient établie dans les XXXIV Propositions ; et je rejette avec toutes ces erreurs, jusqu’aux expressions que mon ignorance m’a fait employer, dans un temps où je n’avais point encore ouï parler de l’abus pernicieux qu’on pouvait faire de ces termes.

Je souscris aveca une pleine soumission à l’interprétation que Mgr de Paris et de Meaux leur donnent en les condamnant, parce que j’ignore la force de ces termesb, que ces prélats en sont parfaitement instruits, et que c’est à eux à décider de ce qui est conforme, non seulement à la doctrine, mais même au langagec de l’Église, et du sens le plus naturel de chaque expression.

Au reste, quoique je sois très éloignée de vouloir m’excuser, et qu’au contraire je veuille porter tonte la confusion des condamnations qu’on jugera nécessaires pour assurer la pureté de la foi, je dois néanmoins devant Dieu et devant les hommes ce témoignage à la vérité, que je n’ai jamais prétendu insinuer, par aucune de ces expressions, aucune des erreurs qu’elles contiennent ; jed n’ai jamais compris que personne se fût mis ces mauvais sens dans l’esprit ; et si on m’en eût avertie, j’aurais mieuxe aimé mourir que de m’exposer à donner aucun ombrage là-dessus, et il n’y a aucune explication que je n’eusse donnée pour prévenir avec une extrême horreur le mauvais effet de ces sens pernicieux. Mais enfin, puisque je ne saurais faire que ce qui est arrivé ne soit arrivé, je condamne du moins, avec une soumission sans réserve, mes livres avec toutes les expressions mauvaises, dangereuses et suspectes qu’ils contiennent, et je voudrais pouvoir les supprimer entièrement. Je les condamne pour satisfaire à ma conscience, et pour me conformer d’esprit et de cœur à la condamnationf que Mgr l’archevêque de Paris, qui est mon pasteur, et Mgr de Meaux en ont justement faiteg. Je voudrais pouvoir signer de mon sang cette déclaration, pour mieux témoigner à la face de toute l’Église ma soumission pour mes supérieurs, mon attachement inébranlable à la foi catholique, et mon zèle sincère pour détruire à jamais, si je le pouvais, toutes les illusions dans lesquelles mes livres pourraienth faire tomber les âmesi.

Davantage, pour marquer toujours de plus en plus la sincérité de mes dispositions, je déclare que j’abhorre tout ce qui s’appelle conventicule, secte, nouveauté, parti ; que j’ai toujours été, et que je veux toujours être inviolablement unie à l’Église catholique, apostolique et romaine, et que je n’en reconnais point d’autre sur la terre ; que je déteste, comme j’ai toujours fait, la doctrine, la morale et la fausse spiritualité de ceux à qui on a donné le nom de quiétistes ; que la seule idée des abominations dont on les accuse me fait horreur; et que je condamne de tout mon cœur, et sans exception ni restriction, toutes les expressions, propositions, maximes, auteurs, livres que l’on a condamnés à Rome, et que Messeigneurs les prélats ont condamnés en France, comme contenant, tendant à insinuer une théologie mystique si pleine d’illusions et si abominable ; que je suis très éloignée de vouloir m’ériger en chef de parti, ni de dogmatiser en public ou en secret, de vive voix ou par écrit, ni de rien innover dans la doctrine chrétienne ou dans les exercices de piété, comme dans l’oraison, et les autres pratiques et maximes de la vie intérieure. Et pour ne donner plus aucun lieu à des soupçons injurieux à l’amour de la doctrine orthodoxe que Dieu a mis dans mon cœur, je proteste et promets de ne plus composer aucun livre, écrit ni traité de dévotion, ni de me mêler en aucune façon de la conduite et direction spirituelle de personne, de peur que, ne me défiant pas assez de moi-même, je ne vinsse à m’égarer ou à faire égarer les autres.

Et je promets encore de ne me plus diriger ni conduire par le P. la Combe, mon ancien directeur, puisque Mgr l’archevêque de Paris ne le juge pas à propos, qu’il a condamné le livre de ce Père, intitulé L’Analyse de l’oraison mentale, et que l’on m’a dit que ce même livre a été condamné à Rome. Ainsi j’assure que je n’aurai plus aucun commerce de lettres ni autrement avec lui.

Enfin je proteste qu’à l’avenir je me soumettrai humblement à la conduite et aux règles que Mgr l’archevêque de Paris voudra bien me prescrire pour ma direction et conduite, tant extérieure qu’intérieure, et que je ne m’écarterai jamais de ce qu’il croira que Dieu demandera de moi ; bien repentante et bien fâchée d’avoir, par mes livres et écrits, donné occasion aux bruits et aux scandales qui se sont élevés dans le monde à leur sujet, et bien résolue à l’avenir de pratiquer cet ordre établi par l’Apôtre : Que la femme apprenne en silence. Ainsi Dieu me soit en aide, et ses saints Évangiles.

C’est la déclaration sincère que je fais aujourd’hui, 28 août 1696, et que je signe de tout mon cœur, dans la seule vue de Dieu et par un pur principe de conscience, et à laquelle je prie Mgr l’archevêque d’ajouter une foi entière.

[Mme Guyon, avant de signer cette déclaration, voulut consulter M. Tronson, supérieur de Saint-Sulpice, qui écrivit ces mots au bas de la déclaration :]

Puisque Mme Guyon veut bien s’en rapporter à mon sentiment, je crois devant Dieu, après avoir bien examiné cette affaire, que non seulement elle peut, mais même qu’elle doit souscrire, sans rien changer, à la déclaration ci-dessus que Mgr l’archevêque de Paris exige d’elle, et s’y soumettre d’esprit et de cœur.

Signé, L. TRONSON.

[En conséquence, cette dame ajouta les paroles suivantes à sa déclaration :]

Ce jourd’hui, 28 août 1696, j’ai signé de tout mon cœur la déclaration ci-dessus pour obéir à Mgr l’archevêque, et me soumettre à tout ce qu’il croit que Dieu demande de moi ; et je l’ai fait sincèrement, par un pur principe de conscience, sans limitation ni restriction. Que si j’ai quelquefois été embarrassée à souscrire ce qu’on a demandé de moi, ce n’a jamais été par un attachement à mon sens, mais par un doute que je le pusse faire en conscience. Mais puisqu’on m’assure que je le puis et le dois en conscience, il est juste que je soumette mon esprit à celui de mes supérieurs. En foi de quoi j’ai signé en la présence de Dieu.

J. M. BOUVIER DE LA MOTTE-GUYON.

Le même jour, M. Tronson reçoit la duchesse de Charost, puis les jours suivants il reçoit à leur tour le P. Le Valois, M. de la Chétardie avant et après sa visite à Mme Guyon à Vincennes, et finalement Fénelon. Parallèlement il rend des comptes à l’archevêque de Paris, Noailles, et louvoie. Ce dernier obtient enfin de Mme Guyon sa soumission. L’échange avec Tronson se poursuit : le 28 août 1696 : « Monsieur / J’ai fait aveuglément ce que vous m’avez conseillé de faire [...] Votre très humble et très obéissante servante de la motte. » ; le 31 août 1696 : «  J’ai eu une extrême joie de voir votre parfaite soumission, et plus j’y pense devant Dieu, plus je suis convaincu qu’elle ne peut que lui être agréable et d’un grand exemple dans l’Église… » ; le 1er septembre 1696 : « Monsieur / Quand je n’aurais pas signé avec soumission la déclaration que Mgr l’archevêque a cru devoir exiger de moi, comme je l’ai fait mardi dernier, l’assurance que vous me donnez que j’y étais obligée, me la ferait encore signer une fois. Ainsi, monsieur, je confirme et ratifie de nouveau ce que j’ai fait par votre conseil, et parce que vous m’avez fait voir que j’y étais obligée en conscience, et que vous l’approuvez. Je vous prie même de servir de caution à ma bonne foi… »

L’échange se poursuivra à la sortie de Vincennes, dont nous donnerons des exemples attachés au récit des prisons écrit par l’internée à Vaugirard.



Requêtes auprès de l’Archevêque et sortie

Le 20 septembre Mme Guyon écrit à l’archevêque de Paris Noailles501 :

Monseigneur / Je ne puis vous dire la consolation que j’ai reçue d’apprendre que vous étiez satisfait et édifié de ma soumission. Je vous assure qu’elle a été sincère, puisque mon cœur a parlé par ma bouche et par ma plume, et qu’elle a été libre, puisque je l’ai faite par principe de conscience, étant prête de la refaire encore une fois, et que je persévèrerai le reste de mes jours dans la disposition de vous obéir. Notre Seigneur, que j’ai reçu aujourd’hui dans la sainte Eucharistie, où Jésus-Christ nous donne de si grandes marques d’obéissance, en sera le sceau et le gage certain.

Au reste, Monseigneur, si votre bonté voulait bien me procurer un séjour plus convenable, ainsi que M. le curé de Saint-Sulpice m’a témoigné de votre part que vous y songiez502, je vous assure que je serai très fidèle à observer les ordres que vous me prescrirez, espérant vous prouver de plus en plus, par mon obéissance, le profond respect avec lequel je suis / Monseigneur / Votre très humble et très obéissante servante De la Motte Guyon / Ce 20 septembre 1696.

Le 24 septembre, Mme de Maintenon écrit à Noailles : J’ai vu notre ami [Fénelon]. Nous avons bien disputé, mais fort doucement [...] Rien ne l’entame sur son amie.

Le 7 octobre, Noailles ordonne le transfert de Mme Guyon dans une maison de Vaugirard voisine de la maison de La Reynie503 et dépendant de la communauté des sœurs de St-Thomas-de-Villeneuve : M. le Curé m’avait proposé avant d’être mise à l’Hôpital Général, [...] mais ils n’osèrent à cause de ma famille [...].

Enfin le 9 octobre 1696 elle signe une déclaration avant de quitter Vincennes :

Je supplie très humblement monseigneur l’archevêque d’être persuadé de ma parfaite obéissance à ses ordres, et de la sincérité de mes paroles à tenir ce que je lui ai déjà promis par mes déclarations et par mes lettres, et que je lui promets encore de nouveau aujourd’hui. Je l’assure que, dans l’adoucissement qu’il me fait la grâce de me procurer, je serai fidèlement attachée à la conduite et direction de M. le curé de Saint-Sulpice, tant pour l’extérieur que pour l’intérieur ; que je n’aurai aucun commerce de conversations, de visites, ni de lettres, sous main ou autrement, avec personne sans exception, que de son avis et participation [...] C’est ce que je lui promets et lui jure devant Dieu, et que je signe de tout mon cœur aujourd’hui ce neuvième octobre 1696. Signé de la Mothe Guyon.504.

Côté pratique, le transfert se fait sans problème et de manière secrète le 16 octobre, dans une parfaite harmonie des deux pouvoirs, plaisante alliance du sabre et du goupillon :

Le 16 octobre 1696. Le sieur Desgrez a été averti par M. le curé de Saint-Sulpice à qui il a donné un billet pour monseigneur l'archevêque de se rendre ce matin même à sept heures à l'archevêché pour y recevoir par les mains de monseigneur l'archevêque les ordres du roi pour transférer Mme Guyon du donjon de Vincennes au lieu qui lui serait marqué par monseigneur l'archevêque.

M. le curé de Saint-Sulpice a dit à Desgrez d'aller prendre Mme Guyon, après avoir reçu les ordres de sa Majesté des mains de monseigneur l'archevêque, et de la mener de Vincennes avec les deux servantes de Mme Guyon depuis chez lui. Et qu'après le dîner M. de Saint-Sulpice ferait trouver un autre carrosse à la place de Saint-Eustache dont Desgrez se servirait pour conduire Mme Guion avec ses deux femmes, et le fait accompagner au lieu où le cocher du carrosse aurait ordre de les mener et où M. le curé de Saint-Sulpice se trouverait.

Cela a été exécuté et le carrosse a mené Mme Guion avec ses deux femmes et Desgrez à Vaugirard dans une maison qui est contiguë à celle que j'ai dans ce même village et dont les jardins sont séparés par un petit mur de clôture. Cette maison a été acquise deux ou trois mille livres depuis deux ans ou dix-huit mois à ce qu'on dit par deux ou trois religieuses qui sont venues dans cette maison. Je ne les connais point et je ne sais d'où elles viennent ni à quel titre elles sont dans cette maison.

M. le curé de Saint-Sulpice est arrivé dans cette même maison peu de temps après que Mme Guion y est rentrée, et le sieur Desgrez s'est retiré, après qu’il lui a été bien marqué par M. le curé de Saint-Sulpice combien il était important qu'on ne sût pas le lieu où Mme Guion avait été mise après être sortie de Vincennes. 505.



Chapitre 7. Le « Couvent » de Vaugirard (16 octobre 1696 - 3 juin 1698)

Le « récit des prisons » et des lettres

Pour cette période, nous possédons deux sources : le récit des prisons rédigé en 1707, soit une décennie après les événements relatés, et les lettres écrites « à chaud » entre 1696 et 1698 adressées à Monsieur Tronson et surtout à la petite duchesse de Mortemart, confidente en qui Mme Guyon avait toute confiance. Ces lettres sont très nombreuses, car Mme Guyon communiqua avec l’extérieur grâce à l’appui de tiers (des humbles qui demeurent sans identité connue) jusqu’à son incarcération à la Bastille, sujet du prochain chapitre.

Quand le récit des prisons traite assez longuement d’une brève période et est assez structuré chronologiquement pour constituer un fil directeur, il constitue le texte maître, tandis que les notes qui lui sont attachées présentent en un contrepoint vivant des extraits de lettres illustrant la réaction immédiate face à l’épreuve. Le texte maître est ainsi fait - par deux fois - d’une paire de chapitres empruntés au récit des prisons : « 4.2 Vaugirard & 4.3 Preuves absentes » puis « 4.4 Lettre du confesseur & 4.5 Fausse lettre ».

Mais deux fois, ou le fil directeur s’effiloche, ou les témoignages épistolaires « à chaud » sont trop vivants pour être correctement rendus dans des notes. Ils sont alors repris comme texte principal en les reliant brièvement, constituant ainsi les anneaux d’une chaîne : « Lettres de l’année 1697 » puis « Dernières lettres » avant le silence de la Bastille.

Les sources seront imbriquées selon la séquence suivante : deux chapitres du récit de prison, lettres à la duchesse de Mortemart de l’année 1697, deux chapitres du récit de prison, dernières lettres506. L’alternance permet de bien représenter l’abondance des témoignages - plus de cent lettres furent adressées à la duchesse de Mortemart - tout en évitant la monotonie.

Dans ce chapitre 7, le lecteur aura souvent la sensation d’avoir déjà lu tel passage, lorsque la Vie et les Lettres font double emploi. Il était en effet difficile d’éliminer des doublons, veillant à l’intégralité documentaire. Heureusement leurs qualités sont complémentaires, car au récit chonologique suivi de la Vie, mais rédigée après coup, s’ajoute la qualité des reportages assuré par des Lettres rédigées « à chaud ».

4.2  Vaugirard

Le 16 octobre 1696, Desgrez me vint prendre à Vincennes pour me mener à Vaugirard. Sitôt que je le vis, je me doutai qu'on m'avait trompée, car lorsque l'on veut renvoyer chez soi, on vous met simplement en liberté, et l'on ne se sert pas du ministère de ces gens-là. Je lui dis que je voyais bien qu'on m'avait trompée et qu'on m'allait conduire en quelque endroit où l'on serait maître de me faire tant de suppositions507 que l'on voudrait. Je demandai avec instance de rester à Vincennes, mais on ne le voulut pas. Je ne pus m'empêcher de répandre quelques larmes, et M. de Bernaville508 me dit qu'il était bien étonnant que n'ayant pas pleuré en arrivant, je pleurasse en sortant ! Je lui dis qu'en ces lieux [33] l'on était témoin de ma conduite, mais que dans un lieu sans témoins il serait aisé d'en imposer au public. Ce fut pour cette raison qu'on ne voulut pas me mettre dans un couvent509 : il y a trop de témoins, et tous ne se veulent pas damner par des suppositions telles que celles qu'on voulait me faire. C'était pour cela, me disait-on, qu'on ne m'y mettrait jamais, et parce que je les gagnais tous en sorte qu'ils ne disaient que du bien de moi. On me mena donc à Vaugirard510.

Quand je vis qu'il n'y avait qu'une fille511, je compris bien mieux leur intention512. Je le dis à M. le curé qui m'assura sur sa part de paradis que je me trompais et qu'avant qu'il fût trois mois, on me mènerait chez moi. Cependant on n'oublia rien de tout ce qui pouvait engager cette fille à bien faire son devoir. On lui promit de la faire Supérieure générale de sa congrégation quoiqu'elle n'y eût jamais eu d'emploi, et que les autres n'eussent jamais pu vivre avec elle. Mais pourvu qu'on pût dire ou faire quelque chose contre moi, on ne manquait pas de récompense. M le Curé, qui se faisait donner une pension, lui en mit l'argent entre les mains avec défense de me donner un sol, mais bien [34] de me donner [selon] mes besoins et de les écrire. On commença par me faire acheter du gibier dont je ne mange point et beaucoup de choses, afin qu'on vît sur le mémoire que je faisais bonne chère et [qu'on pût] se servir de cela, comme on fit dans la suite, pour me décrier et me faire passer pour une personne sensuelle. Lorsque je priais qu'on m'achetât de la viande de boucherie que j'aime fort, on n'en pouvait avoir, et on me faisait acheter tant de poulets que, n'en pouvant manger, je les laissais devenir poules, dont il leur est resté une grande quantité, aussi bien que de poulets. J'achetais tout fort cher513.

On me mit dans une chambre percée à jour et prête à tomber. Pendant que j'y étais, il fallut reprendre les fondements [en] sous-oeuvre car, pour épargner les piliers, tout était soutenu d'un méchant bâton514. Je pensai me rompre une jambe au travers du plancher. Je ne disais mot, quoique je me visse à tout coup prête à être ensevelie sous les ruines de ce bâtiment. Je me tenais dans le jardin tant que je pouvais, on m'en fit un crime, comme je [35] dirai dans la suite.

Lorsque je fus en cette maison, on laissa d'abord les portes ouvertes et l'on fit courir le bruit que mes amis me voulaient faire enlever. Je vis d’abord la malignité de cette conduite, et je compris facilement que l'on avait quelque dessein de me faire enlever et de jeter cela sur mes amis ou ma famille : on m'aurait assurément mise dans un [lieu]515 où l'on n'aurait jamais su ce que je serais devenue. Je dis à la fille qui me gardait que, si on me venait enlever, je crierais si fort que tout le monde en serait averti ; que ce ne serait jamais ni de la part de mes amis ni de celle de mes enfants, mais qu'on voulait m'enlever pour faire pièce à d'autres.

J'écrivis à M. Tronson, homme d'une droiture admirable et qui jugeait des autres par lui-même516. [Il] me manda qu'il avait vu M. de Paris et N. [La Chétardie ?] 517 et qu'après les avoir entretenus du sujet que je croyais avoir de me méfier, il pouvait m'assurer que l'on n'avait aucun dessein particulier sur moi qui eût le moindre rapport à ce que j'appréhendais, et que l'on n'avait à mon égard que des pensées de modération et de paix. Il le pensait ainsi.

Mais sitôt que M. le curé vit qu'il avait manqué son coup, on me renferma [36] sous la clef, on fit boucher une fenêtre sur la cour du jardinier, on fit boucher dans le jardin jusqu'au moindre trou qui était au haut des murailles et on les fit hausser. Dès ce moment on ne garda plus de mesures avec moi518. J'avais encore une petite galerie qui allait à de petits lieux. On en condamna la porte. Je n'avais plus rien que ma chambre et un passage pour y entrer, dont la cheminée étant abattue, il fallait, quelque chaleur qu'il fît, que je fisse la cuisine dans ma chambre. Cette chambre, dont le plancher519 était très bas, exposée tout le jour au soleil et [dont] on avait encore bouché une petite fenêtre qui donnait de l'air, était une chambre inhabitable. J'étais donc au frais dans le jardin quoiqu'[il fit] très chaud. Je cherchais les lieux ombragés.

On m'accusa de faire passer des hommes sur les murailles par le jardin de M. de La Reynie520. Le jardinier eut beau assurer que la porte de leur maison était toujours fermée, qu'il n'y entrait personne et qu'il n'avait jamais vu personne sur leurs murailles, ils voulaient le dire quoiqu'ils sussent bien le contraire.

Cette fille qui me gardait, comme j'ai dit, avait été prévenue de manière si étrange contre moi qu'elle me regardait comme [37] un Diable. Toutes les honnêtetés que je lui faisais ne faisaient que l'offenser. Elle croyait que c'était en vue de la gagner. Comme elle s'ennuyait dans cette maison où elle était seule, et qu'elle me regardait comme la cause de l'assiduité qu'on y exigeait d'elle, elle me brusquait à tous moments, disant qu'elle n'avait que faire d'être gênée pour l'amour de moi, [ajoutant] des grossièretés très pénibles à entendre.

M. de Paris lui témoigna beaucoup de satisfaction de la manière dont elle se conduisait à mon égard, et lui dit qu'elle avait plus de courage et de lumières que toutes les religieuses qui m'avaient gardée auparavant, pour ne se pas laisser tromper et gagner.

Souvent elle venait m'insulter, me dire des injures, me mettre le poing contre le menton, afin que je me misse en colère. Elle me traitait comme la dernière des infâmes, afin de pouvoir déposer que je lui eusse dit ou fait quelque chose dont on pût me faire un crime. Mais Dieu m'assista infiniment, car je suis prompte et vive, et la patience, par la grâce de Dieu, ne me manqua jamais.

Une nuit, il fit un vent effroyable qui rompit et renversa les arbres [38] dans tous les jardins. Il se trouva un abricotier rompu dans le leur. Elle dit que c'était moi qui l'avait rompu. Elle envoya quérir des hommes pour servir de témoins que j'avais rompu cet arbre. […]

Comme je n'avais qu'une cheminée, un jour de jeûne, elle fit monter dedans des maçons vers le temps du dîner. Les ouvriers dirent qu'il fallait éteindre le feu. Elle vint pour le faire éteindre devant moi, croyant que je m'y opposerais et qu'il m'échapperait quelque discours qui marquerait mon impatience, afin de le déposer. Je ne dis mot et j'allai dans le jardin, contente de ne pas dîner. […] Mais n'ayant pu me mettre en colère, elle s'avisa de dire qu'il était encore meilleur pour elle de m'accuser d'avoir voulu mettre le feu à la maison. Tous les jours c'étaient de nouvelles accusations.

M. le curé me disait les choses du monde les plus offensantes hors la confession, jusqu'à me faire entendre qu'il doutait si je n'étais pas sorcière521. Mais, lorsqu'il me confessait, il me disait qu'il me trouvait très innocente, qu'il regardait tout cela comme une épreuve de Dieu. Hors de là il était toujours en fureur contre moi. […]

Il m'envoya une fois le Mercure Galant. Je ne savais à quoi aboutirait cela. Je n'en voulus plus. Il m'ôta la communion à cause de ma désobéissance. Il me demanda si je voulais un oiseau bleu que ma fille m'avait envoyé, qui était chez lui. Je crus effectivement que c'était un oiseau et, comme je les aime, je le priai de me l'envoyer. C'était un petit livre de contes de fées522. Cela fut mis avec le reste au nombre de mes crimes. Il disait que je jetais des lettres par-dessus les murailles.

Je faisais des songes affreux sur lui ; tantôt je le voyais vomir sur moi une matière noire, d'autres fois il me semblait que Notre Seigneur lui faisait ôter ses habits et le revêtait d'un autre, sale.

La version de M. le curé selon La Reynie

Les deux pouvoirs civil et religieux s’efforcent de conserver d’excellents rapports et La Reynie résume ainsi les informations obtenues auprès du confesseur :

Le 26 octobre 1696, M. le curé de Saint-Sulpice ayant pris la peine de venir chez moi sur le midi, m'a dit que M. l'archevêque ayant été quelques jours en retraite au mont Valérien, avant de commencer sa visite l'avait chargé de me dire de sa part ce qui s'était passé en dernier lieu à l'égard de Mme Guion, à quoi il a bien voulu ajouter que M. l'archevêque lui avait ordonné de me dire de sa part, que sans la conjoncture de sa visite, il m'aurait fait l'honneur de m'en informer lui-même et j'ai reçu toutes ces honnêtetés avec le respect qui est dû à monseigneur l'archevêque et répondu qu'après avoir essayé de m'acquitter de ce que je devais faire pour l'exécution des ordres du roi et que depuis que monseigneur l'archevêque avait commencé d'examiner cette affaire et de penser aux précautions qu'il pourrait être convenable de prendre à l'égard de Mme Guion, j'avais fait tout ce que j'avais pu pour éviter les occasions d'en entendre parler et qu'à mon égard je m'étais tout abstenu d'en parler. Enfin après tout ce qu'il a plu à M. de Saint-Sulpice de dire touchant la grande part que le bras séculier avait eue en cette affaire, il m'a dit que Mme Guyon ayant témoigné que M. l'abbé Pirot la traitait avec beaucoup de rigueur et qu'elle ne [f°61v°] comprenait pas même ce qu'il lui disait, monseigneur l'archevêque l'avait chargé de voir Mme Guyon à Vincennes ; qu'après s'y être rendu et M. de Bernaville commandant du château ayant dit à Mme Guyon qu'il demandait à lui parler de la part de monseigneur l'archevêque, elle avait fait de grandes plaintes de monseigneur l'archevêque et refusé au commencement de le recevoir, qu'elle ne le connaissait pas cependant et qu'elle le prenait pour être M. Baudrand curé de Saint-Sulpice son prédécesseur.

M. le curé lui ayant fait savoir qui il était et elle s’étant adoucie après plusieurs reproches faits de la conduite et de la prétendue rigueur de M. l'archevêque à son égard et assurée par M. le curé de Saint-Sulpice que M. Tronson approuvait et était d'avis qu'elles se conformât à tout ce que M. l'archevêque avait jugé nécessaire qu'elle fît pour la faire sortir de Vincennes, après y avoir signé encore une rétractation de ses livres et les avoir condamnés par l'esprit et non sans emportement, M. l'archevêque l'avait fait transférer à Vaugirard dans une maison particulière où une demoiselle de la Roche est retirée après avoir tenté un établissement nouveau de filles pour servir les malades. Cette demoiselle de la Roche est retirée dans cette maison avec une autre fille, sous la conduite de M. le curé de Saint-Sulpice.

M. le curé de Saint-Sulpice m'a dit en même [f°62] temps il avait été surpris de voir que Mme Guion qui fait profession de mener haute piété, tombât aussi fréquemment dans les comportements où elle se laissait aller à la moindre occasion, que ces meubles n'étant pas aussitôt arrivés qu'elle le prétendait à la maison de Vaugirard, elle avait renouvelé ses plaintes contre M. l'archevêque, etc.

Qu'elle avait écrit à lui-même Curé un billet très fort sur le même ton en l’avertissant que Dieu lui enverra toutes sortes de disgrâces s'il fait ou donne lieu qu'il arrive quelque mal à la servante de Dieu, que Mme Guyon lui a écrit encore un second billet par lequel elle l'avertissait que s'il la traitait avec rigueur, il lui en arriverait à lui-même beaucoup de mal et qu'elle prierait Dieu avec cela de ne lui pas pardonner ; à quoi M. le curé de Saint-Sulpice a ajouté que Mme Guyon n'était à cet égard en aucune façon quiétiste, qu'il ne connaissait pas cette sorte de dévotion et que cette dame était d'une humeur difficile, qu'elle voulait fort bonne chère, et que rien ne lui manquât pour cela, qu'elle lisait toutes les gazettes et [mot illis.], ou employait beaucoup de temps à des bagatelles dont elle se divertissait et qu'il avait de la peine à concilier toutes ces dispositions avec cette haute contemplation dont elle veut qu'on croit qu'elle est occupée.523.





1697 : le joug de M. le Curé

Les années 1697 et 1698 voient de grands efforts déployés pour trouver la preuve d’une liaison charnelle avec La Combe. On forgera la fausse lettre de ce dernier qui sera présentée à Mme Guyon dans une entrevue mémorable. En attendant on rend la vie de Mme Guyon insupportable par le confesseur imposé et les religieuses-gardiennes. Peut-être a t-on même voulu en finir avec cette prisonnière encombrante.

Il me vint dire524 une fois que si M. de Cambrai n'avait point fait de livre, j'eusse eu ma liberté525. D'autres fois il disait que le livre était contre moi. Je ne lui ai jamais ouï dire un mot de vrai, ni deux fois de la même manière, toujours embrouillée ; parlant souvent entre ses dents comme un homme qui menace et qui ne veut pas dire nettement ce dont il s'agit. Tantôt il voulait savoir entre les mains de qui j'avais mis la décharge de M. de Meaux pour tâcher de la ravoir526, tantôt il me faisait entendre qu'on [41] n'avait aucun égard à ma soumission.

Dans le commencement que je le vis, je lui donnais une lettre pour M. Tronson, pleine de confiance. Il me jura, foi de prêtre, qu'il la lui donnerait sans que personne [ne] la vît. Il la porta à M. de Paris qui en fut en colère contre moi, puis en me parlant il se coupa, et enfin me fit connaître qu'il la lui avait montrée.

Plus je me confiais en lui dans les commencements, plus mon coeur était serré, et je croyais que cette confiance me nuisait. Ce qui regardait mes défauts et mes misères, je le disais volontiers avec simplicité. Je disais quelquefois : «  O mon Dieu, si vous voulez me rendre un nouveau spectacle aux hommes et aux anges, que votre sainte volonté soit faite ! Tout ce que je vous demande est que vous sauviez ceux qui sont à vous, et de ne pas permettre qu'ils s'en séparent. […] Vers le mois de mars de l’année 1697, j'eus une impression que le Roi mourrait et ne passerait pas le mois de septembre. Je le dis à M. le curé avec ma simplicité ordinaire, et je le priai de le dire à une ou deux personnes de mes amis, à qui je croyais important de le faire savoir. Quelques jours après, il me passa dans l'esprit que Dieu avait peut-être permis cette impression pour me décrier dans l'esprit du Curé. Je n'en eus point de peine, et je me trouvai disposée à porter l'humiliation et toute la confusion qu'il ne manquerait pas de me faire essuyer dans la prévention où il était contre moi, s'il arrivait que je me fusse trompée. Dieu [43] sait combien cette fidélité coûte encore aux personnes encore vivantes en elles-mêmes, et quelles agonies la nature en souffre avant que de parvenir à une certaine mort sur le succès, [mort] que Dieu demande des âmes qu'il veut entièrement à lui. S'il m'arrivait [aujourd'hui] de semblables choses et que j'eusse un pareil mouvement, je le dirais de même. Mais le Curé était bien éloigné de comprendre cette simplicité. Lorsque je faisais quelques efforts pour lui marquer de la confiance, je sentais qu'il n'entrait point dans ce que je lui disais, que le plus souvent il ne m'entendait pas, faute d'intelligence. Et mon coeur n'y avait aucune correspondance. […]

Il y avait des moments où M. le curé semblait avoir quelque compassion de mon état. Il me parlait avec quelque douceur, mais, soit inconstance ou faiblesse pour les personnes qui s'intéressaient à ma perte, cela ne durait pas longtemps. Il me faisait mille propositions, toutes plus pénibles les unes que les autres, assurait les choses avec des serments horribles. Après, c'était tout le contraire. Ce qui m'affligeait quelquefois à l'excès, c'était d'être obligée de me confesser à un homme qui vous opprime [45] et se déclare le plus cruel de vos ennemis. Tantôt on me traitait de scandaleuse, d'hypocrite et de sorcière, tantôt j'avais fait des crimes en Bretagne, où je n'avais jamais été, ce que néanmoins on me soutenait en face. Il m'exhortait à déclarer mes sortilèges. Les railleries piquantes qu'il me faisait sur les personnes qui me touchaient m'affligeaient plus que tout le reste. Il affectait de me confesser sans me laisser communier pour faire entendre qu'il agissait avec connaissance de cause. Ce m'était quelquefois une peine intolérable d'être obligée de me confesser à lui. Et je trouvais que c'était une espèce d'impiété que de m'y obliger sans rien croire de ce que je lui disais. J'avoue que cela a été une des choses qui m'a été le plus sensible.

Il envoya un jour un homme à lui avec les parents de l'une des deux filles qui me servaient, dans l'intention de me l'enlever, mais elle fit de si grands cris qu'ils n'osèrent l’exécuter [leur dessein] en plein jour. Cette soeur qui me gardait était du complot et l'avait séparée adroitement de sa compagne, de peur qu’elle ne fût à son secours. Il la sollicita, [46] depuis de me quitter, mais la pauvre fille en était bien éloignée.

Quelques jours après, cette soeur vint dans ma chambre pour en faire condamner la seule fenêtre où je pouvais avoir de l'air. Je me trouvais réduite à une seule chambre, où il fallait faire la cuisine, laver la vaisselle et le reste. La fille qui s'y trouva, car j'étais descendue au jardin, lui dit qu'elle ne souffrirait pas qu'on me fit étouffer dans ma chambre, et que, ne m'y trouvant pas, elle ne pouvait permettre qu'on la condamnât [cette fenêtre]. Elle [la soeur] vint avec une fureur de lionne me trouver au jardin. Je me levai pour la saluer. Elle me dit ce qui venait de lui arriver. Je lui répondis, avec le plus d'honnêteté que je pus, que lorsque M. le curé serait venu, je ferais aveuglément tout ce qu'il ordonnerait, et que c'était ce qui m'avait été prescrit. Elle s'écria comme une harengère527, tenant une main sur sa tête et me portant l'autre sur le menton, qu'elle me connaissait bien, qu'elle savait qui j'étais et ce que je savais faire ; qu'elle était bien instruite et que je ne la croyais pas si savante qu'elle était. Tout cela joint à [47] des gestes pleins de menaces et de violences. Je lui dis avec douceur que j'étais connue de personnes d'honneur. « Comment, reprit-elle, vous dites que je ne suis pas personne d’honneur ? » Et cela avec un emportement effroyable. Je lui répondis sans hausser la voix : « Je dis, Mademoiselle, que je suis connue de personnes d’honneur et je rendrait compte à M. le curé de votre procédé - Je ne vous le conseille pas, me dit-elle, vous vous en trouveriez fort mal, et je sais ce que je ferai. » Ce fut un vacarme qui dura très longtemps, et où elle me dit les choses les plus offensantes pour me piquer et m'obliger à lui dire quelque chose de même nature, mais mon Dieu ne le permit pas. Il faut avoir éprouvé à la continue ces sortes de traitements pour concevoir combien ils irritent la nature et la font souffrir, quand on ne lui permet pas une parole pour se soulager. […] Je ne parlai point à M. le curé de ce qui s'était passé et l'abandonnai tout à Dieu, mais ayant su depuis qu'un des ouvriers présent à cette scène avait dit qu'il fallait qu'il y eut des coureuses528 enfermées dans cette maison, je fis prier M. le curé de me venir voir, et je lui dis qu'en vérité c'était bien assez d'être enfermée comme j'étais, sans être obligée d'entendre des injures atroces et d’essuyer des traitements de cette nature ; que, si j'étais coupable, on me fit mon procès, mais qu'il était odieux de m'exposer à de telles infamies.

Il parut en être fâché et sortit pour aller lui faire une réprimande, à ce qu'il me dit, et lui défendre d'en user ainsi à l'avenir. Il revint et me fit de grands reproches de ce que je n'avais pas de confiance en lui, qu'on l'avait assuré qu'une personne de considération de mes amis m'était venue voir, qu'on avait fort trouvé à redire de ce que M. de Paris m'avait [49] fait sortir de Vincennes, que tous mes amis m'avaient abandonnée et que, n'ayant plus de protecteurs, je devais m'attendre à tout ce qu'il y avait de pis. Je lui répondis qu'il savait mieux que personne que je ne pouvais voir celle qu'il me disait en l'état et gardée à vue comme je l'étais, que pour Vincennes j'étais prête d'y retourner si on le souhaitait, que je n'y étais pas plus renfermée que dans le lieu où je me trouvais, que j'y serais au moins à couvert de ces visites supposées dont il me parlait, et que je ne demandais nulle grâce, étant résolue de tout souffrir pour Dieu.

A quelque extrémité qu'il pût aller, il se radoucit ensuite, et me dit qu'il voulait me rendre service […] Il joua toutes sortes de personnages et enfin m'engagea de lui écrire [50] une belle lettre de remerciements, ce que je fis. […]

On condamna encore une porte, et, pour la fenêtre qui avait causé tant de bruit, on se contenta d'y mettre des treillis de bois. Ainsi l'on m'enfermait à mes dépens, et c'était de mon argent que l'on payait les chaînes et les murailles qui me captivaient [tenaient captive].

A quelques temps de là, M. le curé me vint voir pour me défendre de communier de la part de M. de Paris. Et prenant un air fort sérieux, il me dit que la Maillard529 l'était venue voir [51] et lui avait dit des choses avec des circonstances si fortes qu'il n'y avait pas moyen de ne la pas croire. Il ajouta que j'étais responsable devant Dieu de tous les troubles de l'Église, que j'avais perverti tels et tels, et que je devais avoir de grands remords de conscience ; puis il m'exhorta à rentrer en moi-même, à me convertir et à ne me pas damner.

Je lui dis : « Mais, Monsieur, après avoir tout quitté comme j'ai fait, et m'être donnée à Dieu [...] » Il m'interrompit sans vouloir me laisser achever, me disant qu'il avait connu des sorcières qui avaient fait de plus grandes choses pour le Diable que des saints n'avaient fait pour Dieu, que cependant elles s'étaient converties et étaient bien mortes, qu'il m'exhortait à profiter de la charité qu'il avait pour moi, qu'il me tendait les mains et que je profitasse du temps ; qu'il savait à n'en point douter que le P. de La Combe était un second Louis Goffridy530 qui fut brûlé à Marseille531, et que, si je l'excusais, il me croirait de même ; enfin, qu'on me faisait bien de la grâce de me souffrir dans le lieu où j'étais. Je lui répondis que si on trouvait qu'il me fallût une autre prison, j'étais prête d'y aller.

Sur ce [52] que je lui dis que la Maillard était une mauvaise femme etc., il me répondit que les larrons s'entre accusaient bien et ne laissaient pas d'être crus.

A la plupart des visites qu'il me faisait, il me tenait des discours de cette nature, et vous me faisiez la grâce, ô mon Dieu, de tout souffrir pour votre amour. Lorsque je prenais quelquefois la parole pour lui dire la vérité ou l'éclaircir, quoique je le fisse le plus doucement qu'il me fut possible, il me disait que j'étais une emportée ; que si j'avais de la vertu, je ne répondrais rien […] Dans une visite qu'il me fit à quelque temps de là, il me dit que la raison pourquoi on m'ôtait la communion, c'est que cela me justifierait trop de me voir communier, et ferait juger qu'on n'avait pas raison de me traiter comme l'on faisait. [53] Il me dit encore que des gens d'honneur lui avaient dit que je prêchais par-dessus les murailles. […] A quelque temps de là, il revint et me tourmenta avec excès pour me faire avouer des faussetés et me dit que j'étais dans l'illusion, et qu'une personne dans l'illusion est capable de tout. Je lui répondis que, pour l'illusion, j'y pouvais être de bonne foi, mais qu'il me fallait faire connaître en quoi je me trompais et que c'était tout ce que je souhaitais ; qu'il pouvait se souvenir que je lui avais dit que je tâcherais de faire l'oraison comme on me l'ordonnerait, mais qu'on ne m'avait rien prescrit sur cela ; qu'ainsi je demeurerais dans ma bonne foi jusqu'à ce qu'on me dît autrement ; que pour des choses de fait, ni la prison, ni la question, ni la mort ne me feraient pas avouer des faussetés, mais que je ne lui dirais plus rien pour me justifier532. Il me dit ensuite les choses les plus dures. Ce qui me faisait souvent [54] une grande peine, c'était le tourment qu'il faisait à mes filles pour leur faire avouer les choses les plus fausses. Si elles disaient : « Cela n'est pas », elles étaient des emportées. Si elles ne disaient mot, elles étaient convaincues. Il avait pris pour l'une d'elles une aversion effroyable. Et quand elle voulait excuser quelque chose sur moi qui n'avait ni vérité ni même de vraisemblance, il lui disait que cela même faisait voir qu'elle avait une méchante âme, qu'il jugeait d'elle toutes sortes de maux. Et là-dessus [il] lui refusait l'absolution533.

Je songeai [rêvai] dans ce temps-là que je voulais passer par une porte si étroite qu'il n'était presque pas possible de le faire. N. [Fénelon ?] me disait d'y passer, et je faisais des efforts qui paraissaient m'aller l’écraser. Il me tendit la main, je passai avec bien de la peine. Je crus en passant en avoir fait tomber la porte sur lui, et je restai fort effrayée. Mais avec une main il la replaça et je me trouvai avec lui dans une Église fort spacieuse, et pleine d'un très grand monde. […]

Je rêvai une autre fois que ma soeur, la religieuse qui était morte, me disait : « Fuyez ! Quand vous n’habiteriez que des cavernes et des carrières, vivant de pain demandé par aumône, vous seriez plus heureuse. » Mon coeur était préparé à tout ce qu'il plairait à Dieu d'ordonner, trop heureuse de donner sang pour sang, vie pour vie.

4.3 Les preuves absentes

A quelques temps de là, M. le curé, m'étant venu voir, il me dit que M. de Paris avait des preuves incontestables des crimes que j'avais commis, et qu'ainsi il ne voyait pas qu'on me rendît jamais ma liberté.

Je lui répondis que je ne la demandais pas et ne l'avais jamais demandée, mais que je trouvais fort étrange qu'après avoir été dix mois à Vincennes entre les mains de M. de La Reynie, homme si éclairé et si prévenu d'abord contre moi, après tant [56] d'interrogatoires, on me parlât encore de ces prétendus crimes ; […] que M. de La Reynie avait pris un détail de tous les lieux où j'avais été, de toutes les personnes qui m'avaient accompagnée, de celles chez qui j'avais logé et avec qui j'avais eu commerce ; et qu'enfin, après trois mois de perquisitions, M. de La Reynie me dit que je n'avais qu'à demeurer dans ma tranquillité ordinaire et qu'on n'avait rien trouvé contre moi ; que « tout me serait rendu », car c'étaient ses termes.

M. le Curé me répondit froidement que l'on avait pris le dessein de me mettre à Vincennes. «  Mais, Monsieur, lui dis-je, pourquoi ne me mettre pas plutôt à la Conciergerie entre les mains du Parlement ? Si je suis coupable, je ne demande pas de grâce ; [57] mais qu’on punisse aussi les calomniateurs. Il est aisé de supposer des crimes à une personne à qui on ôte tout moyen de se défendre, mais, dans une justice réglée comme celle du Parlement, les témoins dont on est si sûr parleront-ils peut-être autrement, et la vérité du moins sera connue. - Vous êtes toujours entre les mains de la justice, me répondit-il, car c’est M. Desgrez qui vous a amenée ici et vous êtes en sa charge. Et comme les crimes que vous avez faits ne peuvent vous faire juger à mort, il est plus sûr de vous renfermer ».

Je lui dis que je consentirais à être renfermée si on ne formait pas de nouvelles calomnies pour en fournir le prétexte ; mais que je devais à Dieu, à la piété, à ma famille, et à moi-même de demander le Parlement où tout serait éclairci. Il me répondit qu'il le dirait à M. de Paris, que sans l'affaire de M. de Cambrai534, je serais déjà en liberté. Je lui répondis que cette affaire, qui m'était entièrement étrangère, ne me rendait ni plus coupable, ni plus innocente ; et que, si M. de Paris avait des preuves des crimes incontestables contre moi, comme il le disait, ces prétendus crimes ne changeraient [58] point de nature, selon que se tournerait l'affaire de M. de Cambrai dont il me parlait.

Il m'exhorta ensuite à les lui avouer, disant que Dieu m'avait fait bien des grâces de m'avoir tirée de l'occasion de les continuer. Puis il dit que je n'avais pas de confiance en lui, et qu'enfin il trouvait juste qu'on me remît entre les mains de la justice, mais que tout était bien prouvé, et que M. de Paris n'en doutait pas.

Il m'arriva dans ces temps-là une aventure assez bizarre. […] 535

Plus de trois semaines après avoir bu le peu [de vin] que j'ai dit, j'avais encore la langue, la gorge, le palais et la poitrine tout écorchés. J'en pensais mourir un jour, et je souffris des douleurs d'entrailles très grandes536. Enfin, à force de boire de l'eau, le grand feu se passa et je me retrouvai dans mon état ordinaire. Cette fille paraissait affligée de ce que j'en étais revenue.

Il me prenait quelquefois un si grand saisissement de me voir en telles mains que j'étais prête à en suffoquer, mais je n'en étais pas moins abandonnée à Dieu537. Je souffrais tout sans rien dire. Souvent je ne faisais pas semblant de voir les choses. On nommait ma patience « folie  ». Si je témoignais craindre qu'on me supposât quelque chose, comme j'en avais eu dès le commencement [62] tant d'impression, on regardait cela comme les derniers emportements. Ainsi le moindre mot était regardé comme un crime ; le silence et la patience en étaient un autre.

M. le curé me dit, un jour, un mot qui me parut effroyable dans un homme de son caractère, qui était qu'on ne me mettait pas en justice parce qu'il n'y avait pas de quoi me faire mourir. Puis en se ravisant, il ajouta : « Mais il est vrai qu’on peut toujours vous faire une punition proportionnée. » Il m'avait juré sur sa part de paradis que je ne serais là que trois mois et qu'on ne m'y ferait point de suppositions. Mon témoin et mon juge est au ciel. On peut imposer aux hommes, mais qui peut se dérober aux yeux de Dieu ?

Une chose qui me faisait beaucoup de peine était de savoir si, après tant de choses arrivées de la part de M. le curé, je devais encore me confesser à lui. Et je ne croyais pas le devoir. Il me paraissait qu'il y avait quelque chose d'indigne d'aller à confesse à un homme qui me supposait chaque jour des crimes, et duquel je n'entendais jamais [63] dire un mot de vérité.

Je perdis presque la vue dans ce temps-là, et comme je ne pouvais presque plus lire et presque plus travailler, je perdis la seule récréation que je pouvais avoir. Je filais quelquefois mais fort gros, cet ouvrage pouvant encore compatir [s’accorder] avec mes yeux. Pour récompenser la fille qui m'avait tant tourmentée, on la fit [Supérieure] générale de son Ordre, et l'on en mit une autre en sa place. On la prévint beaucoup contre moi, à ce que je pus remarquer dans les commencements, mais c'était une bonne personne qui avait de la crainte de Dieu, et un peu scrupuleuse. Elle fit entendre à une de mes filles que si l'on croyait qu'elle eût la moindre estime pour moi et que j'en fusse contente, on ne la laisserait pas trois jours. Peu après, elle lui dit qu'elle serait obligée par l’obéissance de faire des choses qui me déplaisaient, et ne voulut pas dire ce que c'était. Mais je connus dans la suite que c'était pour m'ôter mes filles.

M. le curé étant venu le jour de l'Assomption pour nous confesser, Famille y fut la première. M. le curé lui dit qu'il fallait qu'elle s'en allât et qu'on voulait mettre d'autres filles auprès de moi, qu'il [64] la ferait rendre à ses parents. Elle lui répondit qu'elle n'en avait point, et fut si saisie qu'elle ne put lui dire autre chose. Elle me vint trouver plus morte que vive pour me le dire538.

Je fus ensuite à confesse, et il me dit qu'on me permettrait la communion le lendemain. Avant de s'en aller, il me parla des sujets qu'on avait de me maltraiter, et me dit en m'insultant : « Hé bien ! votre patience est-elle à bout ? », voulant me faire entendre que je n'avais qu'à me préparer à bien d'autres choses que ce que j'avais éprouvé. […]

Je songeais [rêvais] encore dans ce temps-là des choses qui me firent une impression de vérité très forte. Il me semblait que je voyais M. Pirot, qu'il me faisait fort froid. Je lui dis que j'étais fort fâchée qu'on m'eût rendu de mauvais offices auprès de lui, que quoique j'eusse toujours remarqué qu'il faisait ses efforts pour me faire rester à Vincennes, néanmoins je ne m'étais pas plainte de lui, et que j'avais témoigné à N. [La Chétardie] la première fois qu'on me l'envoya, que ma peine était que lui, M. Pirot, croirait que je ne serais pas contente de lui. Il ne me nia pas d'avoir fait son plan de me faire rester à Vincennes, mais dit que néanmoins j'étais mieux entre ses mains qu'en celles de N. [La Chétardie]. […] A mesure que je lui parlais, il me semblait que son habit de prêtre se changeait en de gros haillons de linge sale. Quelqu'un me dit : « Fuyez, car vous êtes dans les plus mauvaises mains où vous pussiez jamais être ! »

A quelques temps de là, cette soeur que l'on m'avait envoyée à la place de la première, et qui était une assez bonne personne, me vint dire, tout éplorée, qu'elle s'en allait, qu'elle n'avait fait que par obéissance les choses qu'on lui avait ordonnées, qu'elle avait de l'honneur et de la conscience, que je le verrais, et que si elle avait voulu trahir l'une et l'autre, elle ne s'en irait pas. Je lui dis que le plus fort étant fait et qu'étant accoutumée à elle, je la priais de rester. Elle me répondit que je ne savais pas tout, qu'il s'en fallait bien que le plus fort ne fut fait, et qu'elle voyait des choses [67] bien terribles ; que, pour elle, elle n'espérait point de fortune, qu'elle ne voulait pas blesser sa conscience. Tout cela avec l'embarras d'une personne qui avait fait quelque mauvaise démarche dont elle n'avait pas prévu la suite, et tourmentée de scrupules. Enfin elle me dit qu'elle s'en allait pour laisser passer l'orage, qu'il en arriverait des choses bien fâcheuses, mais qu'elle n'y avait point de part, et m'exhorta fort à la patience, en m'avouant qu'on lui avait fait signer des choses qu'elle ignorait mais qu'elle savait être à mon désavantage.

Je compris par ce discours qu'on avait dessein de me pousser à toutes sortes d'extrémités et qu'on emploierait, pour en venir à bout, tout ce que l'artifice peut inventer lorsqu'on manque de preuves et de raisons. Je voyais bien pourquoi l'on faisait jouer tant de ressorts, et pourquoi l'on employait tant de machines pour me faire paraître coupable et me donner dans le public comme une personne capable des plus grands crimes. Mais je ne pouvais m'imaginer qu'on pût pousser la noirceur et l'injustice jusqu'à autoriser des calomnies visiblement fausses, et cela par des actes non seulement reconnus faux, mais inventés et suggérés par des gens d'un tel [68] caractère. J'avoue que je n'aurais pu croire que la malice des hommes eût pu aller à un tel excès, si des mots que M. le curé me disait par-ci par-là, comme malgré lui, ne m'eussent fait juger qu'il n'y a rien qu'on ne doive craindre lorsqu'un grand intérêt ou une forte passion nous pousse. […]

La veille de tous les saints, M. le curé, étant venu me confesser, me dit qu'il y avait une personne fort élevée en dignité, qui avait donné un certificat par lequel j'étais convaincue de choses horribles dont il était témoin539. Je lui dis qu'il fallait donc qu'il me fût venu voir ou que j'eusse été chez lui, et que cela ne pouvait être dans la situation où j'étais ; que si l'on voulait me dire de quoi il s'agissait, il ne me serait pas bien difficile d'en faire connaître la fausseté. Il me dit encore qu'il s'agissait aussi de ma foi, et que tout ce que j'avais signé n'était point sincère. Je lui demandai quelles preuves [70] il en avait et quel autre que lui pouvait être instruit de mes sentiments, n'ayant vu que lui seul depuis que j'étais sortie de Vincennes.

Il avait fait entendre à ces filles, quelque temps auparavant, que j'étais une hérétique, et que c'était par une vraie excommunication qu'on m'avait retranché la communion, leur défendant, s'il me prenait quelque mal subit comme apoplexie ou autre de cette nature, de me faire venir un prêtre ; et qu'il valait mieux me laisser mourir sans sacrement, parce qu'on avait découvert depuis peu des choses horribles contre moi. Lorsqu'il me parlait, il me faisait entendre qu'il s'agissait de crimes anciens. Lorsqu'il parlait aux autres, c'en était de nouveaux. On ne laissa dans cette maison cette soeur dont je viens de parler que deux mois. On ne la trouva pas propre à l'usage que l'on en voulait faire, et l'on en fit venir une autre du diocèse de Chartres qui me regardait comme un démon.

M. le curé m'apporta une Instruction pastorale de M. de Paris540 à laquelle il me fit entendre que je devais souscrire. Comme [71] l'ouvrage était long, je lui demandai quelque temps pour le lire. Il ne me fut pas difficile de voir quelle était son intention par la souscription qu'il me demandait. Elle était pleine de tours et d'interprétations si contraires aux sentiments que j'avais eus toute ma vie, que j'aurais souscrit à la mort la plus horrible plutôt qu'à une imputation si contraire à la pureté de ma foi. Je lui fis connaître d'une manière si ferme que je ne souscrirais jamais à une telle chose, qu'il s'en désista, et me dit que j'écrivisse du moins une lettre à M. de Paris qui lui avait ordonné de me faire lire cette lettre pastorale où j'avais tant de part. Je lui dis que je le ferais volontiers, et je la lui envoyai quelques jours après en ces termes :

« Monseigneur, j'ai lu, avec tout le respect et la soumission possibles, la lettre pastorale que Votre Grandeur m'a fait donner par M. le curé. Il y a deux choses, Monseigneur : [la première :] ce que mon ignorance, mes méprises, mon peu de lumière, et le peu de connaissances de la valeur des termes [72] et de leur conséquences m'a fait mettre dans mes livres, ne pénétrant pas le mauvais tour qu'on pouvait leur donner ; et c'est, Monseigneur, ce que je soumets, ainsi que j'ai déjà fait et dont j'ai déjà donné tous les témoignages possibles, comme véritablement catholique, non seulement à l'Église et au Souverain Pontife, mais aussi à vous, Monseigneur, avec toute la sincérité et l'humilité dont un coeur tout chrétien est capable, ne voulant avoir aucun sentiment particulier, et n'en ayant point d'autres que ceux de toute l'Église.

L'autre article, Monseigneur, regarde le sentiment que Votre Grandeur m'impute. Je veux croire que mon ignorance et mes mauvaises expressions ont donné lieu à Votre Grandeur de tirer des conséquences si éloignées des sentiments que j'ai toujours eus par la grâce de Dieu. Je dois néanmoins représenter à Votre Grandeur avec un très profond respect, et lui protester même en la présence de Notre Seigneur-Jésus-Christ qui sait que je ne mens point, que je n'ai jamais eu de pareils sentiments, que je ne les ai point, [73] et que je ne les aurai jamais, s'il plaît à Dieu ; que j'en ai même une extrême horreur, ainsi que je l'ai toujours protesté à Votre Grandeur et à tous ceux qui m'ont demandé raison de ma foi, ayant toujours été prête de répandre mon sang pour toutes les vérités qu'enseigne l'Église catholique, apostolique et romaine.

Je suis bien malheureuse, si, après avoir déclaré tant de fois mes sentiments, que personne ne peut savoir que moi-même, sur les matières qu'on m'impute, néanmoins que j'ai toujours assuré n'avoir point, je le suis encore beaucoup d'avoir, malgré ma bonne volonté, la droiture de mes intentions, le désir sincère d'être à Dieu, et de faire toutes choses pour sa gloire, d'avoir, dis-je, écrit en des termes qui m'ont fait attribuer des sentiments si contraires à ceux que j'ai toujours eus.

Pour ce qui regarde mon oraison, j'ai tâché de la faire du mieux que j'ai pu pour contenter Dieu, mais comme ce n'est pas à moi de juger laquelle est la meilleure et la plus utile, j'ai offert plusieurs [74] fois à M. le curé qui me confesse par votre ordre, de la faire comme il jugerait à propos. Je vous renouvelle cette offre, Monseigneur, à vous-même, assurant Votre Grandeur que je suis et serai toujours prête de la faire comme elle l'ordonnera, selon mon pouvoir, soumettant toute mon âme, et mes faibles lumières, et les plus tendres sentiments de mon coeur, à l'obéissance. J'aimerais mieux ne jamais faire d'oraison que de la faire contre ce que l'on m'ordonnerait. Je crois qu'une oraison de propre volonté ne plairait guère à Dieu, et comme je ne désire autre chose que de lui plaire et de faire sa sainte volonté, je suis indifférente pour le choix des moyens. Je les soumettrai toujours de grand coeur à V[otre] G[randeur). Je le fais, Monseigneur, et par devoir et par inclination, étant avec autant de respect que de soumission, etc.  Décembre 1697. »

M. le curé, après avoir lu ma lettre, me manda qu'elle était bien. Il n'est pas aisé d'ajuster cette idée avec les traitements que j'en recevais. [75] Tantôt il assurait qu'il travaillait à me faire aller chez mon fils, et puis il assurait d'un autre côté les sœurs que je mourrais chez elles. Une d'elles m'en fit la confidence. Tant de mauvais traitements et les harassements continuels m'attristaient pour des moments à l'excès, mais je n'en faisais rien paraître. […]

Je fus un temps assez considérable sans revoir M. le curé, ce que je ne savais à quoi attribuer. Il vint enfin et me fit beaucoup d'honnêtetés. Il me dit que M. de Paris avait été très content de ma lettre et m'assurait de sa considération. L’expérience m'avait appris plus d'une fois que, lorsqu'il filait doux, c'était le temps où j'en avais le plus à craindre et qu’il tramait le plus de choses. Il ordonna qu'on me laissât communier les dimanches et toutes les fêtes, après m'avoir laissée trois mois sans me le permettre. Ces hauts et bas m'étaient fort suspects et j'attendais en paix ce que la Providence [76] en ordonnerait.

On me fit voir dans ces temps-là un livre qui me déchirait d'une manière étrange541. Il était composé par un religieux de mérite [Le Masson], ami d'un prélat qui m'avait fort considérée [d’Aranthon], et qui depuis avait changé de sentiments par des raisons que j'ai dites plus haut. […]

Mais sans entrer dans une réfutation des choses qu'il rapporte, la vérité est que le Père La Combe n'a point demeuré avec moi à Grenoble. Il y vint deux fois en vingt-quatre heures de la part de Mgr l'évêque de Verceil pour me proposer de l'aller voir. J'ai été peu de temps à Lyon, environ douze jours chez Mme Belof, femme de mérite, connue de toute la ville pour sa vertu et sa piété, qui demeurait chez [77] M. Thomé, son père, où je ne voyais presque personne. Et je ne me suis jamais habillée en public. On peut imposer, sur de pareilles choses, aux gens qui ne m'ont point connue dans tous les temps et qui ne m'ont jamais vue.

Tout le reste de l'histoire de ce bon religieux n'est pas plus vrai puisqu'on ne m'a jamais fait sortir de nul diocèse [et] que M. de Grenoble lui-même me pria de m'établir à Grenoble. […] J'ai parlé plus haut de tout cela542.

Lorsqu'on me mit à Sainte-Marie, l'on dit à M. l'Official que j'étais toujours [78] débraillée, qu'on me voyait jusqu'au creux de l'estomac. Lorsqu'il me vit vêtue comme je suis toujours et comme je l'ai toujours été dès ma jeunesse, il demeura si surpris qu'il ne put s'empêcher de me le dire, et il le dit aussi à la Mère Eugénie543. […]

J'omets beaucoup de choses très fortes pour abréger, n'écrivant même ceci, à cause de ma faiblesse, qu'à tant de reprises, que quelquefois je n'écris par jour qu'une demi page, et n'écris que la vérité pure, avec bien de la répugnance. Et loin d'excéder je diminue beaucoup544. Je crois que sans le procès que l'on avait à Rome, on ne m'aurait pas tant tourmentée : comme il me le fut dit dans la suite, après que toutes ses affaires furent finies, plus on me rendait odieuse, plus on me chargeait d'opprobres et de toutes sortes d'infamies, et plus on croyait ou, pour parler plus juste, plus on se flattait d'éblouir le public sur le procédé hautain et violent avec lequel on poussait cette affaire qui avait été portée à Rome dès le commencement. Et l'on prétendait faire retomber sur M. de Cambrai une partie de l'indignation que l'on avait prise contre moi, à cause qu'il avait paru m'estimer et qu'on le croyait de mes amis. [80]

Une grosse paysanne qui servait de servante à cette soeur qui me gardait, n'ayant aucun intérêt à me persécuter, était épouvantée de voir tout ce que l'on me faisait545, et ne put s'empêcher de le dire à son confesseur qui prit sur cela beaucoup d'estime pour moi. Et j'en reçus, depuis, tous les services qu'il put. Comme il venait beaucoup de pauvres dans cette maison, je leur faisais donner quelques aumônes par cette soeur qui, dans la dépense qu'elle écrivait, mettait tant546 par charité. M. de Saint-Sulpice l'ayant su, lui défendit de les mettre sur le mémoire de la dépense, et dit qu'il ne fallait pas qu'il parût que je fisse aucun bien. Cela fut rejeté sur d'autres dépenses, et je consentis que les aumônes que je faisais passassent pour être de ces soeurs, mais bien des gens ne le croyaient pas. Il venait des blessés pour être pansés chez elles. Elles ne s'y entendaient guère. Elles me priaient de le faire, et je les guérissais.



Lettres de l’année 1697 à la petite duchesse de Mortemart

Parallèlement au récit des prisons, nous sont parvenues les lettres à la « petite duchesse » de Mortemart547, qui fut la confidente de Mme Guyon dans la dernière période où une communication avec l’extérieur restait possible grâce à des porteurs dévoués. Nous avons ainsi des témoignages écrits à chaud, sous le choc d’affrontements tout récents et sous l’étreinte d’une angoisse née de l’ignorance de ce que réservait le plus proche avenir, d’où leur intensité. Des 107 lettres qui nous sont parvenues, nous livrons quelques extraits présentant une forte teneur évocatrice selon une séquence suggérée par les courts extraits qui épaulaient le récit de la Vie pour l’année 1697.

On exerce sur Mme Guyon des méthodes brutales et on aurait tenté de l’empoisonner : Je perdis presque la vue dans ce temps-là548. La servante de la sœur qui la garde, « épouvantée de voir tout ce que l’on me faisait, [...] ne put s’empêcher de le dire à son confesseur » : celui-ci lui rend service autant qu’il le peut549.

Lettres de janvier à mars

Le petit « couvent » est un lieu de bonne garde ; des lectures marquent l’influence du jansénisme ; l’ami et correcteur littéraire jésuite Alleaume, surnommé « Dom », est en difficulté, tout comme les fidèles servantes Marc et « Famille » (Marie de Lavau) :

Je crois vous devoir dire que le curé [La Chétardie] n’a pas voulu me venir voir, quelque instance que je lui en ai faite. Il vint en passant trois jours après qu’il amena le notaire, il y fut un quart d’heure et n’est pas venu depuis. Ne lui en témoignez plus rien, laissons faire Dieu. On a augmenté ma garde et [l’on m’a] resserrée de plus près depuis ce temps. [...] On ne lit ici que la Fréquente communion, les Essais de morale, le Testament de Mons550. [...] Qu’est devenu Dom [Alleaume], n’en savez-vous rien ? Je voulus dire quelques mots d’une sœur d’ici que N. [le curé] n’aimait pas ; sitôt que je lui eus témoigné qu’elle était brusque et que je n’en étais pas contente, il lui donna les preuves d’une considération extraordinaire ; il en fit autant à Bernaville à Vin[cennes], et il est à présent son meilleur ami. Je crois que Dieu, loin de vouloir que je lui parle en confiance sur tout cela, désire de moi un profond silence [...] Les coups des hommes poliront ce qui est de défectueux en moi, afin que je puisse être présentée à Celui pour lequel je meurs tous les jours, jusqu’à ce que la Vie vienne consumer cette mort. [...] Mandez-moi où sont les deux personnes551 persécutées à mon occasion et si l’on n’a point fait de peine à d’autres. J’embrasse tout de la charité de J[ésus]-C[hrist].552

Les nouvelles manquent cruellement, car le temps s’étire lentement dans ce lieu où on lui aurait fait des propositions jansénistes mais les rapports entre quiétistes et jansénistes n’ont jamais été bons553. Le lieu est peu propice à quelque confiance faite à un confesseur pour lequel compte seulement l’ascèse athlétique visible, suivant le modèle développé par M. de la Trappe. Questions et propositions alternent avec le chantage opéré par la menace d’être enfermée dans un hospice où beaucoup mouraient :

Je désire tout à fait d’avoir des nouvelles du B[on] [Beauvillier] que j’aime plus que jamais, je voudrais aussi en avoir de M. de p. : n’est-il pas toujours fidèle554 ? Qui est-ce qui a tout quitté ? J’espère de la bonté de Dieu que vous ne ferez pas de même. Bon courage, et allons tête baissée car Dieu nous appelle. Il y a si peu de personnes qui L’aiment alors sans réserve. Donnons-Lui le plaisir de ne rien ménager avec Lui dans un temps où la fidélité est aussi rare qu’elle coûte cher ! C’est le temps d’épreuve où Dieu veut sonder ceux qui sont à Lui sans mélange. L’on est présentement ici toujours appliqué à me faire des propositions et des questions toutes jansénistes. Une petite confiance faite à N. [le curé] sur ce point m’a réussi comme les autres ! Je vous avoue que quoique je fasse de mon mieux pour lui marquer le contraire, mon cœur en a du rebut malgré moi. Je ne lui marque point de confiance qu’elle ne me soit reprochée intérieurement et que je ne m’en trouve mal intérieurement. On m’a fait entendre que sûrement N. [La Chétardie] me voulait enfermer à la Miséricorde555 ; le tas de gens dont cette maison est remplie me répugne beaucoup [me fait horreur]. J’abandonne tout au p[etit] m[aître]. L’on m’a dit ici que j’incommode, qu’on est géhenné556 à cause de moi, qu’on ne peut sortir, qu’il faut toujours qu’on me garde. Je ne réponds que par d’extrêmes honnêtetés à tout cela et j’ajoute que tout m’est agréable dans la volonté de Dieu. On traite ici les jésuites avec un mépris outré. A propos, savez-vous la communauté nouvelle de l’Estrapade557 que N. dit avoir plus à cœur que toutes ses autres affaires. C’est mademoiselle de la Croix qui la commence. On dit qu’on y est plus austère qu’à la Trappe. On n’entend parler que de cela. [...]. Je leur laisse faire tout ce qu’il leur plaît. Je ne puis tomber que debout, car mon Maître fera toujours Sa volonté malgré la malice des hommes. Oh ! Ferai-je faire mes amitiés au tut[eur][Chevreuse] ? Faites comme il vous plaira, soyez ma gouvernante, aimez-moi autant que je vous aime.558

Isolée, elle ne sait pas qu’elle n’est pourtant pas oubliée de ses amis puisque le 12 février La Chétardie rencontre, à son retour de Vaugirard, le duc de Chevreuse à la porte d'Issy : « Ils ont parlé ensemble plus « d'une heure, après quoi... le duc a été avec M.N.C.P. [Monsieur Notre Cher Père : M. Tronson] » de 5 heures jusqu'au souper559 ». Mais le 12 février, Mme de Maintenon écrit à Noailles : « Du moins Beauvillier devra condamner Mme Guyon sans restriction », ce qu’il fera, suivant en cela le conseil tactique de Tronson560.

L’Explication des maximes des saints qui vient de paraître561  enrage le parti opposé et tout particulièrement son représentant local. Mme Guyon inquiète rédige une « espèce de testament » tandis que l’affrontement prend la figure du rêve. La technique de transfert du courrier est mise en place, probablement entre porteurs dans une église. Enfin elle dit un mot de ses interrogatoires à Vincennes dont le Père La Combe lui a causé les pires « tourments » et dont elle craint une suite, compte tenu de son opposition (qu’elle partageait) au jansénisme :

Je vous conjure, au nom du p[etit] M[aître], de m’envoyer le livre de S. B. [Fénelon] en question : je vous promets que personne du monde ne le saura jamais. Ne me refusez pas. N. [le curé : La Chétardie] ne me le donnera pas, assurément. Je fus indignée de la manière dont il me parla de N. [Fénelon] : il me dit qu’il l’avait vu un petit prêtre plus gueux que lui, et tout d’un coup devenir ce qu’il est devenu, qu’il a cherché l’honneur, qu’il n’a eu que de l’ambition, et que l’humiliation lui est venue. [...] Voilà mon espèce de testament ; il faut l’ajouter au codicille que je fis à Meaux. P. [Put : Dupuy] a tout - c’est un bon enfant -, P[ut], le t[uteur : Chevreuse] et vous pouvez ouvrir celui-ci et le recacheter. Je crois être obligée de mettre toutes ces choses pour l’avenir, afin que la vérité soit connue. Il fut écrit à Vin[cennes].

Vous m’avez réjouie de me dire que les jésuites soutiennent le livre. N.[le curé] est tout janséniste dans l’âme562, et croyez qu’il est vrai. Je rêvais, étant à Vin[cennes], que j’étais avec N. [Fénelon], que j’aime uniquement, comme vous savez, et qu’il me montrait N. [le curé] sous la figure d’un chien, et moi je ne voyais qu’un singe. Nous eûmes dispute là-dessus et, après bien du temps, enfin il vit aussi bien que moi que ce qu’il avait cru un chien était un singe. [...] Enfin il [le curé] me fit entendre que ce qui était de bon dans le livre de M. de C[ambrai] avait été volé dans les manuscrits que M. de M[eaux] lui avait prêtés. J’en fus si mal satisfaite que je ne vous le peux exprimer.

Si vous voulez m’écrire plus au long, tenez vos lettres prêtes, écrivez par jour ce que vous voudrez, et j’enverrai tous les premiers dimanches des mois, et de cette manière sans y aller fréquemment, vous saurez les choses [...]

J’ai déchargé tout le monde. Toutes mes interrogations ont roulé sur deux lettres du P[ère] d[e] L[a] C[ombe], où il me mettait : « La petite Église-Dieu vous salue ». Il n’est sorte de tourments qu’on ne m’ait fait là-dessus. Mais ce qui incite à me tourmenter, c’est qu’il y avait : « Les jansénistes sont à présent sur le pinacle, etc. » / Ayez bon courage, c’est peu d’être fidèle à Dieu dans la prospérité si l’on ne l’est dans l’adversité. Ce n’est donc pas sans raison que j’aime si fort le tuteur, puisqu’il est comme il doit et si bien. [...]563.

Après quelques conseils sur l’oraison, elle donne des nouvelles d’une santé atteinte mais aussi d’un nouveau confesseur imposé. Enfin elle livre un rêve qu’elle juge peut-être messager :

[...] Faites tous les jours un peu d’oraison pour vous soutenir, et n’y manquez jamais. Je suis très convaincue que cela est de nécessité absolue, quand vous y seriez comme une bûche. Montrez toujours votre fidélité en cela. Lisez quelque chose, ou des écrits ou d’autre chose sur la voie, qui puisse vous renouveler ; l’esprit abattu a besoin de ces petits secours. La fièvre ne m’a pas quittée depuis le dimanche gras. Non seulement on ne se met pas en peine de me faire rompre carême, mais je jeûne à feu et à sang. J’ai un mal d’yeux et de gorge avec la toux. La fièvre me redouble tous les jours avec un violent mal de tête. Tout ce qu’on recommande est que, même à la mort, on ne me fasse venir aucun prêtre. Je vous embrasse de tout mon cœur.

Depuis ceci écrit, on a changé ici de curé ; celui qui l’était était un docteur fort honnête homme, nommé M. Le Clerc ; celui qu’on y a fait mettre, à cause que l’autre est un peu vieux, s’appelle M. Huon. L’on a pris prétexte des infirmités du premier. Le dernier a demeuré aux Missions Étrangères : informez-vous ce que c’est, car on croit qu’on me le veut donner pour confesseur. C’est un homme dévoué à M. de P[aris]. Je ne crois pas qu’il soit pis que celui que j’ai. Je laisse tout à Dieu. J’ai appris que ce nouveau curé a demeuré à Saint-Eustache. Il est sans doute connu de l’aum[ônier][l’abbé de Charost] ; vous pourriez savoir de lui ce que c’est, comme une nouvelle que vous avez apprise. Le supérieur de ces filles qui me gardent s’appelle M. l’abbé Bosquin ; il est maître du Collège des Quatre Nations564 et [du] grand pénitencier. Je vous prie de m’informer de tout cela. N’oubliez pas les ceintures de prêtre. La fièvre m’a quittée d’hier. Je vous embrasse.

J’ai songé cette nuit qu’ayant trouvé l[a] bonne c[omtesse de Morstein565], j’ai voulu lui parler, elle m’a évitée, je l’ai poursuivie et, avec d’extrêmes instances, je l’ai obligée de m’écouter. [...] Ce songe me porte à vous prier de tâcher de la joindre en quelque lieu que vous [170] puissiez, sans égard à votre rang ni à un petit dépit naturel. Entrez en éclaircissement avec elle avec charité, [...] qu’elle se souvienne que je lui ai dit qu’il n’y aurait point d’invention dont on ne se servirait pour la détacher de moi. Jugez ce que j’aurais dit d’elle à ces gens-là !566

Le père Alleaume, suspecté de quiétisme, est exilé de Paris ; y est-il revenu ? Échange de nouvelles où le combat littéraire des prélats lui coûte cher. L’échange de lettres se fait dans une église par le transfert d’une bourse cousue. Elle est une démone aux yeux des pénitentes de son demi-frère Dominique. L’Explication des maximes des saints n’est pas très apprécié compte tenu de la sécheresse adoptée dans sa forme : classement au sein des articles par rubriques « vrai », « faux ». Oui, il faut tout abandonner à Dieu567 :

Ce que vous m’avez mandé de Dom [Alleaume] m’a donné autant de douleur que ce que vous me mandez du succès du livre me donne de joie : c’est une marque que Dieu l’agrée, puisqu’Il le couronne par une si forte tribulation. [...]

Tout est-il en paix à présent dans la famille du p[etit] m[aître] ? Je le souhaite et que personne ne prenne le change. Ayez bon courage, je vous en conjure, et ne vous laissez pas abattre. Il faut que le fléau sépare la paille du bon grain. Dom est-il revenu à Paris ? Le G.E. [Gros Enfant : La Pialière] est-il ferme, et tout va-t-il selon le Seigneur ? Je crains fort le respect humain pour certaines gens que vous connaissez, surtout la mère de l’aum[ônier][Mme de Charost]. [...]

Voilà mes petites litanies que je fis avec les chansons. Si je reste ici, je pourrai vous donner de temps en temps de mes nouvelles. Si j’en sors, je ne le pourrai, à moins de quelque nouvelle providence. J’eusse bien voulu que vous eussiez été informée des choses qui m’ont été faites, dans mon séjour de Vin[cennes], par ceux du dehors et du dedans, qui vous étonneraient sans doute. [...]

Il est vrai que je n’ai pas été trompée au succès du livre et que je crus bien, lorsque N. m’en parla, qu’il serait mal reçu parce que le temps n’est pas propre pour cela. Je pensai même que M. de M[eaux] ne différerait l’impression du sien que pour voir quel cours aurait celui-ci et pour en tirer avantage. Mais tout cela ne me fit pas en avoir de peine, quoique je comprisse bien qu’il m’en coûterait quelques années ou mois de captivité. Je pensai que Dieu pourrait avoir en cela ou des desseins d’éclaircir la matière, parce que la nécessité obligerait peut-être à prouver par les autorités mêmes ce qu’on ne dit que par citation, ou bien des desseins de destruction, et tout est également bien, pourvu qu’Il Se glorifie Lui-même en nous.

L’aveuglement sur cette matière est si étrange que l’éclaircir, c’est aveugler. Les yeux malades se persuadent que la lumière est douloureuse et propre à aveugler davantage, quoique son caractère soit tout différent de cela. [...]

Je crains, en vous envoyant cet homme de temps en temps, que votre domestique ne soupçonne quelque chose. Avez-vous dit que vous avez mis une lettre dans la bourse ? Je le dirai si vous l’avez dit, sinon je ne le dirai pas, car il m’a envoyé le paquet tout cousu : cela est bien commode et bon à lui. Je crois qu’il voudrait peut-être bien mieux faire, mais qu’il n’en est pas le maître. Pour les filles d’ici, leurs supérieurs, leur générale, leurs protecteurs, tous sont intimes ou pénitents du P. de l[a] M[othe]. On ne peut les traiter plus honnêtement que je fais, elles ne laissent pas de me regarder comme un démon. [...] Je voudrais, avec mes peines, avoir celles de N. Comment prend-t-il cela ? Est-ce avec peine ou hauteur, ou avec petitesse et sans découragement ? Je prie Dieu qu’Il soit sa force et la nôtre. [...] S’il commence comme Job, il pourra achever comme lui. Est-ce malice ou accident qui a mis le feu chez lui ?

Depuis ceci écrit, N. [le curé] m’est venu voir, qui m’a dit le contenu du livre. Je vous avoue que j’en suis affligée, car il ne peut servir aux bonnes âmes n’étant pas selon leurs expériences, et il nuit beaucoup à l’auteur et à la vie intérieure. Mais Dieu l’a permis. Je crains qu’il ne l’ait fait par quelque politique et que Dieu ne l’ait pas béni. Mais quoi qu’il en soit, il faut faire usage de tout. M. d[e] M[eaux] est dans un déchaînement affreux, qui dit qu’il le va pousser à toute extrémité, se promettant de le faire condamner à Rome. Il faut tout abandonner à Dieu. […]568

Ses relations avec son confesseur sont une torture :

[...] Les outrages de N [La Chétardie] me sont plus sensibles, car il veut une confession et m’exhorte à déclarer mes crimes et mes sortilèges. En vérité, si j’étais ce qu’il dit, je me tirerais de ses mains. Les railleries piquantes qu’il fait sur ceux qui me touchent, m’affligent plus que tout. Il dit qu’il s’était tenu suspendu jusqu’à présent. Je vous avoue que je trouve une espèce d’impiété à vouloir me confesser sans me croire ; ou qu’il me croie ou qu’il cesse de me confesser. Je ne crois pas que j’eusse jamais pu tomber en de plus mauvaises mains. C’est un homme plein de cautèle569, auquel les plus fameux J[ansénistes] vont. Il me veut persuader que M. B[oileau] est de mes amis, un homme plein de charité, il confesse ses pénitentes et entre autres, Mad[ame] d’A. On voulait qu’elle me vît, on avait quelque dessein en cela ; je ne sais si on le fera. Enfin, je suis à présent plus criminelle qu’on ne peut dire, et on a eu grand tort de me tirer de Vincennes. On fait tous les jours cent suppositions. Si tout tombait sur moi, à la bonne heure ! Les artifices et les intrigues des J[ansénistes] est [sic] horrible. Je ne sais si je puis avec honneur et en conscience continuer d’aller à confesse à N. [le curé] : il affecte de me confesser, sans me laisser communier, pour donner à connaître qu’il agit avec connaissance de cause. Mandez-moi, je vous prie, comme tout se passe, et priez le bon Dieu pour moi : qu’Il ne retire pas Sa force, ou bien, s’Il veut que je sois faible, que Sa volonté soit faite. […] …puis-je en conscience me confesser à lui ? Consultez le b[on : Beauvillier] et me répondez : vous ne me répondez point sur ces choses570.

Lettres d’avril à juin

La communauté nouvelle a un étrange comportement :

[...] Vous saurez que les deux hospitalières571 sont venues, contre l’ordinaire, me voir bien des fois de suite, me mettant toujours sur les questions les plus outrées du janséni[sme], [...] Ensuite cette supérieure envoya quérir Manon572, c’était le jour de Pâques, disant qu’elle s’allait plaindre et que l’on faisait venir ici des personnes573 afin de leur parler, qu’elle était sûre que c’était sa sœur, qu’elle lui ressemblait, etc., faisant des grandes plaintes avec des menaces et des emportements fort grands, qu’elle n’avait que faire d’être géhennée à cause de nous. Manon lui répondit fort honnêtement, puis elle me vint dire toutes les menaces qu’on lui faisait. [...] ce n’est pas comme dans un couvent où il y a toujours des personnes droites, mais deux filles de rien gagnées et qui font gloire de s’établir en me maltraitant.

N. vint jeudi, il me parla avec beaucoup d’éloges du livre de monsieur de Meaux, qu’on me le ferait voir, et avec beaucoup de mépris de celui de M. de C[ambrai]. Je lui dis que je croyais que le dernier était bon, par le soin qu’on avait de me le cacher, cela en riant. [...] C’est une chose étrange que je me meurs toutes les nuits, et le jour je vais médiocrement bien. [...]574.

« Elle fit un vacarme du démon » :

Je vous écris encore cette lettre, ne sachant pas si, après les violences qu’on exerce sur moi, je le pourrai encore faire. Ce sont des traitements si indignes qu’on ne traiterait pas de même la dernière coureuse575. Cette créature fut hier dans ma chambre pour en faire condamner la seule fenêtre dont je peux avoir de l’air. On m’a réduite à une seule chambre où il faut faire la cuisine, laver la vaisselle. Je l’ai laissé tout faire sans dire un mot. La fille qui était dans la chambre, car j’étais descendue dans le jardin, lui dit qu’elle ne souffrirait pas qu’on me fît étouffer dans ma chambre, que je n’y étais pas et qu’elle ne pourrait permettre qu’on la condamnât.

Elle [la créature] vint avec une fureur de lionne me trouver au jardin. Je me levai pour la calmer, elle me dit : « J’étais allée faire condamner votre fenêtre, et une bête s’y est opposée, mais l’on verra ». Je lui répondis fort doucement et en lui faisant honnêteté que, lorsque N. [le curé] serait venu, je ferais aveuglément ce qu’il me dirait, et que c’était l’ordre que l’on m’avait donné de lui obéir dans le moment. Criant comme une harengère, tenant une main sur son côté et l’autre qu’elle avançait contre moi en me menaçant, elle me dit : « Je vous connais bien, je sais bien qui vous êtes et ce que vous savez faire ». Remuant toujours la main levée contre moi : « Je suis bien instruite, vous ne me croyez pas aussi savante que je suis ». Je lui dis, toujours du même ton d’honnêteté, et levée devant elle, que j’étais connue de personnes d’honneur. Elle se mit à crier, avec une servante à elle qu’elle avait amenée : « Vous dites que je ne suis pas fille d’honneur ! ». Je lui dis, sans hausser la voix : « Je dis, mademoiselle, que je suis connue de personnes d’honneur ». Elle se mit à crier plus fort qu’elle me connaissait bien, que je ne croyais pas qu’elle fût si savante sur tout ce que j’avais fait. Je lui dis : « Mademoiselle, je dirai tout cela à N. - Je ne vous conseille pas de lui dire, me répondit-elle ; si vous le lui dites, vous vous en trouverez mal et je sais ce que je ferai ». Je lui dis : « Mademoiselle, vous ferez ce qu’il vous plaira. » Elle fit un vacarme de démon. Et lorsqu’elle voit qu’on ne lui répond rien, elle crie qu’on se veut faire passer pour des saintes, pour obliger de lui dire quelque chose.

Elle envoya quérir un homme pour condamner non seulement la fenêtre, mais la porte. Je lui envoyai dire qu’elle pourrait faire condamner toutes les portes, que cela m’était indifférent, que pour la fenêtre, il fallait attendre que N. fût venu. « Non, non, dit-elle, on a refusé et [ce] qui est dit est dit ; on verra une géhenne ici ; on n’avait que faire d’y venir ; j’ai de bons ordres ». Manon lui dit : « Si vous avez quelques ordres, montrez-les, mademoiselle, et on les suivra ». « Non, non, je ne les veux pas montrer. » [...]

Cela ne se fait pas sans dessein : on veut m’ôter d’ici et m’enfermer en quelque lieu inconnu, ou m’obliger à me plaindre ou à me fâcher ou à demander quelque chose. Mais j’espère que Celui pour lequel je souffre me donnera la patience. [...] Il y a apparence que vous n’entendrez plus parler de moi, mais en quelque lieu qu’on m’enferme, nous n’en serons pas moins unies en Jésus-Christ. [...]

Je ne garde pas vos lettres [un] demi-quart d’heure ; on ne m’en trouvera point. Si N. vous dit qu’on m’accuse de bien des choses dans cette maison et qu’il ne s’en veut plus mêler, dites-lui qu’il ne croie pas sans venir soi-même en savoir la vérité, et cela comme de vous. Elle dit encore à Manon : « Puisque vous n’exécutez pas mes ordres, je ne vous en donnerai plus, mais vous verrez », avec une hauteur horrible. Mais comme j’avais défendu de lui répondre, elle ne dit rien. [...]576.

« Que je me devais attendre à tout » :

Depuis ma lettre écrite, j’ajoute que la fille fit tant de bruit en disant des injures et prenant des témoins pour les dire, sans qu’on dise autre chose, sinon que Dieu serait notre juge, menaçant de tout ce qu’il y a de pire, qu’un homme dit : « Il faut que ce soit des coureuses qu’elles tiennent là enfermées ».

Je crus être obligée d’envoyer prier N. [le curé] de venir. Il vint, je lui dis qu’en vérité, c’était bien assez d’être renfermée sans entendre des injures atroces. Je lui contai le fait et lui dis que si j’étais coupable, qu’on me fît mon procès, mais que d’entendre des infamies de cette nature qu’en vérité cela était odieux. Il fit semblant d’être fâché, puis sortit pour leur aller défendre de me plus injurier, à ce qu’il dit. Il revint et me dit que je n’avais nulle confiance en lui. Je lui répondis qu’on m’avait si fort menacée que, si je me plaignais à lui, que je m’en trouverais mal, qu’il m’était aisé de voir qu’on avait commencé l’effet de la menace.

Il me dit ensuite : « M. l’arch[evêque] de Reims a juré sur les Évangiles que N. [Fénelon] vous était venu voir ici ». Je lui dis qu’on le connaissait bien mal de juger cela de lui, et par-dessus cela il ne l’avait pu faire. Ensuite il dit qu’il était chassé de la Cour et bien d’autres577, me fit entendre que, n’ayant plus de protecteurs, que je me devais attendre à tout, qu’on avait fort trouvé à redire que M. l’arch[evêque] de P[aris] m’eût fait sortir de Vincennes, qu’on disait ouvertement que j’étais bien là. Je lui dis que j’étais prête à y retourner si l’on le souhaitait, que je n’étais pas plus renfermée qu’ici, et que j’y étais à couvert des suppositions de ces prétendues visites ;[...]

Il fit bien des personnages. Je lui écrivis une belle lettre de remerciement. Ensuite il fit condamner ma porte et voulut en faire autant de la fenêtre, mais lui [f°180v°] ayant fait voir qu’il fallait étouffer si l’on m’ôtait l’air, on l’a condamnée avec des treillis de fer. Dieu qui n’abandonne pas tout à fait, a fait trouver un trou par lequel ces bonnes gens qu’on envoie vers nous, ont témoigné qu’ils nous serviraient jusqu’à la mort. Ils sont pleins d’affection et sans nous, ils auraient quitté la maison, car ils sont bons jardiniers et ils font cela en tournée. Il y a ici un des prêtres qui dit me connaître et avoir une extrême affection de me servir : c’est un homme intérieur ; il les encourage, quoiqu’ils n’en aient pas besoin. Dans le tintamarre qu’ils ont fait, il m’a écrit pour me témoigner son zèle et combien il est touché d’un pareil procédé. La rage de cette fille vient de ce qu’une autre, qui a demeuré ici avec elle au commencement, et contre laquelle elle a une haine et jalousie horribles, paraît être affectionnée pour moi et en dire du bien en toute rencontre. Cela l’a aigrie contre moi. [...] C’est de mon argent qu’on paye les chaînes dont on me captive, et les murailles pour m’enfermer578.

Les bonnes paroles du confesseur. Faut-il brûler La Combe ?

N. [le curé] sort d’ici, jeudi 18 ; il m’est venu défendre de communier de la part de N.579 Je lui ai dit que c’était ma seule force. Il n’est entré en nulle raison sur cela, et ensuite, prenant son sérieux, il m’a dit que la Maillard580 l’était venue voir, qui lui avait dit les choses avec des circonstances si fortes, assurant qu’elle soutiendrait tout en face, de manière qu’on ne peut pas ne la point croire. Ensuite il m’a dit que j’étais responsable devant Dieu de tout le trouble de l’Église, que je devais avoir de grands remords de conscience d’avoir perverti tous les meilleurs, surtout N. [Fénelon]. Je lui ai dit que la souffrance les sanctifierait, qu’il deviendrait un saint Jean Chrysostome. Il s’est mis fort en colère et m’a demandé si Luther et Calvin étaient des saint Jean Chrysostome. Ensuite il m’a exhortée sérieusement à rentrer en moi-même et à me convertir, à ne me pas damner. Je lui ai dit : « Mais, monsieur, après avoir tout quitté et m’être donnée à Dieu comme je l’ai fait ! ». Il m’a interrompue sans me vouloir laisser parler, disant qu’il avait connu des sorcières qui avaient fait de plus grandes choses et qui passaient pour des saintes, que cependant elles s’étaient converties et étaient bien mortes ; qu’il m’exhortait à profiter de la charité qu’il avait pour moi à ne me pas perdre, que pour le diable on faisait encore plus de choses que pour Dieu, et qu’il me conseillait d’y faire réflexion, qu’il me tendait les mains, qu’on devait profiter du temps, qu’il savait de bonne part, et à n’en pouvoir douter, que le P[ère] l[a] C[ombe] était un second Louis Goffredi, qui fut brûlé à Marseille581, et m’a toujours soutenu la même chose, me faisant entendre que si je l’excusais, il me croirait de même ; enfin, qu’on me faisait encore bien de la grâce de me laisser ici. J’ai dis que si N. trouvait qu’il me fallût une autre prison, j’étais prête d’y aller. [...] J’ai peur qu’on ne fasse quelque nouvelle procédure : ils sont assurés de leurs faux témoins.582

« …que je pourrais mourir subitement » :

N. [le curé] sort d’ici, qui, après m’avoir fait les exhortations ordinaires de me convertir et rentrer en moi-même, que je pourrais mourir subitement, que je ne me damnasse pas ; il m’a enfin fait entendre que le tut[eur][Chevreuse] avait reçu une lettre d’une personne du premier rang dans l’Église, qui n’est pas M. de Grenoble583, qui mandait des choses abominables et si bien circonstanciées qu’il jurait avec les serments les plus forts, mais qu’il avait promis au tut[eur][Chevreuse], sans le nommer, qu’il garderait un secret inviolable. Je lui ai fait les dernières instances pour savoir ce dont il s’agit, il n’a jamais voulu me le dire. Enfin, il m’a promis de lui en demander la permission. Il dit que le tut[eur] lui avait avoué que jusqu’à présent il m’avait cru bonne, mais qu’il ne savait plus que croire, que tout ce qu’il pouvait était de suspendre son jugement et que je lui avais fait bien de fausses prophéties. Je lui ai dit que je ne me piquais pas d’être prophétesse, mais que pour des crimes, je n’en avouerais aucun. [...] Dieu a donc permis que nos meilleurs amis, aussi bien que les autres, aient enfin cru, avec d’apparentes raisons, les calomnies ! La volonté de Dieu soit faite. Nous n’avons que le temps pour souffrir, mais je vous assure que je ne les ai jamais voulu tromper ; Dieu le sait. Si je suis trompée, que Sa sainte volonté soit faite. On ne cessera jamais de faire des calomnies et, quand une fois la porte est ouverte, c’est à qui ira faire la sienne. J’ai la dernière douleur de ce que N. m’a dit que les meilleurs allaient être chassés de la Cour584. Je souhaite qu’ils me chargent si cela leur est utile : ils le peuvent faire à présent, sans blesser leur conscience, puisqu’ils me croient mauvaise, ou du moins puisqu’ils le peuvent croire sur de belles apparences. Il me semble qu’il est bon pour moi, si Dieu en est glorifié, que je sois livrée pour tout le monde.585.

Elle est heureusement rassurée sur la fidélité des amis par une lettre de la petite duchesse, puis rapporte ce que lui confie la supérieure du « couvent » peut-être prise de remords :

Je ne suis pas surprise de ce que vous me mandez. Dès que je fus ici et que je vis la disposition des choses, je compris qu’on ne m’y mettait que pour me faire des suppositions. J’en écrivis sur ce pied à M. Tronson. Cela ne me sortit point de l’esprit. Leur premier dessein fut de me faire enlever, et de faire ensuite courir le bruit que c’était moi qui me faisais enlever. Je n’entendais parler que de cavaliers qui venaient, disaient-ils, pour m’enlever de la part de mes amis, et qu’ils viendraient en plus grand nombre. Je dis que je savais que, ni de ma famille ni de mes amis, on ne me viendrait enlever, que si je l’étais, je crierais si fort qu’on saurait de quelle part. Depuis ce temps, ils ont changé de batterie[s]. [...]

La fille qu’on a fait supérieure générale586, apparemment pour signer des faussetés contre moi, me dit en partant : « Si l’on dit que j’aie dit quelque chose contre vous, dites que je vous le soutienne, que j’ai menti. » Ensuite elle me dit : « Ils prennent des mesures qu’ils croient très sûres, pour que vous ne sortiez jamais de leurs mains » [...].

N’aurait-on point surpris l[a] bonne c[omtesse] pour lui faire aussi signer quelque chose sans qu’elle le sût ? Comment la gouvernez-vous ? Enfin si Dieu permet que mes amis croient toutes les faussetés qu’on fait dire à des gens apostés, la volonté de Dieu soit faite. L’éternité les détrompera, et cela leur fera plus de tort qu’à moi. C’est le dernier coup de Bar[aquin]587.

Malgré son agoisse et doute sur Fénelon, elle a confiance dans le travail de la grâce :

Je vous avoue que je suis bien fâchée des mouvements que N. [Fénelon] se donne ; il aurait mieux fait de tout prévenir à R[ome], mais Dieu saura bien lui ôter ces appuis. [...] / Vous ne sauriez croire combien je suis touchée de l’état de N. [Fénelon], mais Dieu le veut pour Lui. Il me semble que je vois l’effet de mon songe il y a huit ans : une femme l’a arrêté, l’abandon de cette femme le fera aller. C’est par la perte de tout qu’on trouve tout. Je bénis Dieu de l’abandon du b [Beauvillier] ; Dieu assurément prendra soin de lui, Sa main ne sera pas abrégée588. [...] Je crois que Dieu mettra N. [Fénelon] hors d’état de trouver de refuge autre part qu’en Dieu : c’est l’unique appui d’un homme de son caractère. Tout autre appui est un roseau cassé qui perce la main de celui qui s’y appuie. […] Je n’ai rien à vous mander sur N. [Fénelon] [...] Dieu lui-même, en lui ôtant tous les appuis, le fera tomber dans Son ordre et fera Son œuvre en lui et par lui, lorsqu’Il l’aura détruit. Bon courage, adieu. [...]589.

On ne s’attaque pas qu’à elle…

[…] Ce qui me fait plus de peine, c’est le tourment qu’il fait à mes filles pour faire avouer des faussetés. Si elles disent : « Cela n’est pas », ce sont des emportées ; si elles ne disent mot, elles sont convaincues. Je crois qu’il leur fera tourner la cervelle. Manon en est si changée qu’elle n’est pas reconnaissable, je crains qu’elle ne tombe tout à fait malade [...]

Les fréquentes visites que ma fille rend à N. [le curé] ne me sont d’aucune utilité, bien au contraire ; il faut qu’elle lui ait communiqué une partie de l’aversion qu’il a pour Manon, car il est incroyable comme il la traite. Il m’accuse devant elle de mille choses qui non seulement sont fausses, mais même qui n’ont rien de vraisemblable ; si elle tâche de faire voir que cela ne peut être, il lui dit que ce qu’elle dit pour m’excuser lui fait voir qu’elle a une méchante âme, et qu’il juge d’elle toute sorte de maux et sur cela, lui refuse l’absolution. [...]

[...] On est venu condamner la seule vue qui restait. C’est tous les jours de nouvelles suppositions, et on a dessein, voyant que je ne donne aucun sujet, de me maltraiter. Le jardinier dit qu’il sait des choses que, si on les savait, que non seulement elle, mais toute la société serait chassée. [...] Mandez-moi qui on a exilé, parce que le bon prêtre, confesseur du jardinier, lui a dit qu’on avait exilé un de ses amis particuliers, que les lettres de cachet volent, que cela est horrible. J’aime bien les trois bons amis, surtout N. et celui qui le sert si bien. Je vous embrasse mille fois. [...]590

Retour sur Fénelon associé à La Combe. Indices sur les porteurs du courrier :

Quand je vous ai demandé de l’argent, je l’ai cru nécessaire, car vous comprenez bien que, quelque affection qu’aient ces bonnes gens, étant très pauvres, chargés d’enfants et d’une mère âgée, le peu que je leur donne les encourage. Je n’ai dépensé le louis d’or qu’à les récompenser. Nous tenons l’argent cousu sur nous, en sorte qu’on ne le peut jamais découvrir. [...]

Vous ne sauriez croire combien je suis touchée de l’état de N. [Fénelon]. [f° 189] J’ai toujours cru que le livre591 serait condamné par le crédit des gens, mais Dieu voulant l’auteur pour Lui et détaché de tout, Il ne l’épargnera pas. C’est la conduite ordinaire de Dieu de joindre les épreuves intérieures aux extérieures ; c’est ce qui rend les commencements bien glissants et qui affermit dans la suite. Ce que le P[ère] l[a] C[ombe] a souffert, pendant plusieurs années de sa prison, des peines intérieures, passe ce qui s’en peut dire. La moindre petite chose qu’on fait pour se tirer d’affaire, ne réussit pas, au contraire gâte tout, redouble les peines intérieures, affaiblit et déroute tout. Je voudrais de tout mon cœur porter ses peines avec les miennes. [...]

Depuis avoir écrit jusques ici, j’ai eu une peine très grande. Il me semble qu’on ne manquera jamais de suivre l’homme chez nous, ce qui me fait beaucoup de peine. Je ne me suis même pu résoudre à l’envoyer ; ainsi il faut, je crois, hasarder de se confier à Desg.592 plutôt que s’exposer que l’homme soit suivi. […]593.

Au milieu des épreuves, elle continue à conseiller, ici Fénelon dans la controverse publique : « Je crois qu’il faut faire tous les efforts possibles pour aller soi-même à R[ome], envoyer, si l’on ne peut obtenir d’y aller, les éclaircissements et la traduction, mander qu’on est résolu d’y aller, si l’on en peut obtenir la permission594 ». Bien sûr il ne l’obtiendra pas ; le fidèle Chanterac à Rome ne suffira pas à contrecarrer les manœuvres de l’abbé Bossuet et surtout le poids de la politique royale595. Suit une belle lettre, importante parce qu’elle résume son attitude dans l’adversité :

Les persécutions affligent la nature, mais elles nourrissent l’amour. Il faut à présent exercer l’abandon qu’on n’a eu qu’en spéculation. Il vaut mieux tout perdre que de trahir la vérité, et si on la trahissait pour se raccommoder, loin de se raccommoder, on se ruinerait. [...] Souffrons avec Jésus-Christ, mais ne trahissons jamais la vérité. Plutôt tout perdre. La vérité nous fera tout retrouver en Dieu. [...] M. de M[eaux] parle contre ce qu’il croit et connaît, et Dieu saura bien l’en punir un jour. Le livre sera condamné par les examinateurs, cela est sûr. L’Église seule, et non quatre têtes prévenues et politiques596, doit faire la règle, et il ne faut pas plier sur cela ; mais la chose étant faite, point de faiblesse. Mourons, s’il faut mourir. [...] Je prie Dieu qu’Il soutienne tout et qu’Il m’accepte pour victime pour tous.

Je songeais [rêvais], il y a quelque temps, que je voulais passer par une porte si étroite qu’il m’était presque impossible597 ; N. me disait d’y passer, et je faisais des efforts qui me paraissaient m’aller écraser ; il me tendit la main, je passais avec bien de la peine ; je crus, en passant, avoir fait tomber la porte sur lui, je restais fort effrayée, mais, avec une main, il la replaça, et je me trouvais avec lui dans une Église fort spacieuse et pleine d’un très grand monde ; comme je fus dehors, je trouvais que tout le monde mangeait des feuilles de chêne vertes, et chacun m’en offrait ; je n’en voulais point, disant que je me nourrissais de viandes plus solides ; on me reprocha mon mauvais goût, disant que c’était ce qu’il y avait de plus à la mode et que tout le monde les trouvait excellentes. Il n’est que trop vrai qu’on se repaît de feuilles et qu’on rejette le pain vivant et vivifiant ! [...]

Vous avez dit à l’homme d’aller chez vous lorsqu’il était à Paris. Je vous prie de lui dire de n’y point aller, et je l’enverrai seulement les premiers lundis des mois, à huit heures, aux Jacobins. J’ai une furieuse défiance de votre domestique. Si vous croyez même qu’il y ait du danger aux Jac[obins], il vaudrait mieux se priver d’avoir des nouvelles. Votre pensée sur cela, je vous prie, mais que l’homme n’aille point chez vous.

Je ne puis m’empêcher de me sacrifier sans cesse à Dieu afin que tout tombe sur moi seule. J’ai une extrême peine que N. [Fénelon] se soit soumis à des gens qui n’ont nul droit sur lui, et à gens prévenus. Il est certain que, dans le système de l’intérieur, il y a le droit et le fait ; le droit est ce qui regarde certains dogmes et certaines expressions, ou de vouloir établir en règle générale ce qui n’est qu’une conduite particulière de Dieu, et c’est ce qu’on peut régler par la doctrine et l’autorité ; il y a le fait, qui est l’expérience d’une infinité d’âmes qui ne se sont jamais vues et qui n’ont jamais ouï parler de ces choses. Qu’un médecin veuille persuader à un malade qu’il ne souffre pas une certaine douleur dont il est fort travaillé, parce que lui, médecin, et d’autres ne la sentent pas, le malade qui sent toujours la même douleur, n’en est pas plus persuadé ; tout ce dont il reste persuadé, après bien des raisonnements, est : ou que le médecin ne l’entend pas, ou qu’il ne sait pas expliquer son mal en des termes qui se puissent faire entendre. Il en est de même des expériences de l’intérieur. Je captive et soumets mon esprit pour croire que ce que je souffre ou expérimente n’est ni un tel bien ni un tel mal, et c’est ce qui est du domaine de la raison et de la foi ; mais je ne suis pas maître de mes douleurs, ni ne puis me persuader ni par la raison ni par la foi, que je ne les sens pas, car je les sens véritablement. Tout ce que je puis faire donc, est de croire que je m’en exprime mal, qu’elles ne sont pas d’un tel ordre de certaines maladies, que je donne à ces [f°192v°] douleurs des noms qu’elles ne doivent pas avoir ; mais de me convaincre que je ne les sens pas, cela est impossible : elles se font trop sentir. Je n’en sais ni la cause ni les définitions, mais je sais que je les endure. On me dit à cela que tels et tels les ont contrefaites, que d’autres se sont imaginées d’en avoir, etc., qu’enfin peu d’âmes ont ces douleurs, et que par conséquent je ne les ai pas. Je crois tout cela, mais je n’en puis croire la conclusion qui est que je ne les sens pas, parce que ce qu’on sent et souffre tombe sous l’expérience, demeure réel et ne peut être la matière de ma foi. Je croirai que des gens l’imaginent, [que] d’autres contrefont, d’autres exagèrent leurs maux, d’autres abusent ; je croirai encore que la tendresse que j’ai pour moi me fait exagérer mes maux, me leur fait donner un nom qu’ils n’ont pas ; mais je ne croirai point, lorsque je les sens avec tant de violence, qu’ils soient imaginaires en moi, puisque je les souffre.

Je ne dirai donc pas, si vous voulez, que tels et tels sont intérieurs, je ne dirai pas que je le sois moi-même, mais je sais bien que j’ai fait un chemin où j’ai trouvé bons ces passages. Je ne dispute ni du nom des villes que j’ai trouvées en mon chemin, ni de leur situation, ni même de leur structure, mais il est certain que j’y ai passé. J’ai éprouvé telles et telles douleurs, telles et telles syncopes, je ne dispute ni de leur nom ni de leur origine, mais je sais que je les ai souffertes et n’en puis douter. Il me semble qu’on ne peut pas se dispenser, pour savoir la vérité, de soutenir la vérité de l’expérience intérieure, qui est réelle. Pour les noms, les termes, les dogmes qu’ils veulent introduire, plions et soumettons, mais dans le fait de l’expérience de bon de saintes âmes, peut-on dire, avec vérité ni même avec honneur le contraire ? Et quand nous serions assez lâches pour le faire, l’expérience de tant de saintes âmes qui ont précédé, qui sont à présent et qui viendront après nous, ne rendrait-elle pas témoignage contre nous ? Tout passe, la force, les préjugés, etc., mais la vérité demeure. Il me paraît de conséquence de séparer ici le dogme, je ne sais si je dis bien, du fait de l’expérience598.

Tous les cheveux me sont tombés599 ; ils ne tombent pas, me dira-t-on, en un tel temps, pour telle ou telle raisons ? Je ne sais ni les raisons ni les choses, cependant il est de fait qu’ils me sont tombés, que je n’en ai plus et que j’en avais. Je vous écris simplement ce qui me paraît d’une extrême conséquence à séparer.

Je crois que je ne vous écrirai plus, car je ne puis me résoudre à vous envelopper dans mes disgrâces ; il me suffit de souffrir. Plût à Dieu que je payasse pour tous ! [...] J’enverrai, si je le puis et s’il n’y a rien de nouveau, le premier lundi du mois aux Jacobins, mais plus chez vous.600.

L’angoisse et une incertitude portant sur le comportement d’un Fénelon trop diplomate601 transparaissent dans des extraits de lettres :

J’ai au cœur que les choses seront encore plus extrêmes, car Dieu semble ne pas épargner. Peut-être est-ce une terreur panique, qui vient des continuelles malices qu’on a essayées. Je prie Dieu qu’il éclaire et console602.

J’ai vu, il y a environ six semaines, me promenant le matin, ayant levé les yeux au ciel, une grande croix d’un nuage, le mieux formé que j’ai vu, qui dura un demi-quart d’heure, ce qui me fit une grande impression. Quelques temps après, je vis un glaive assez lumineux. Depuis ce temps, je fais des songes les plus affreux [...] Je ne vous saurais exprimer la douleur où je suis de la faiblesse de N. [Fénelon], non pour ce qui me regarde, Dieu m’en est témoin, et que je préférerais la mort la plus cruelle à le voir trahir la vérité. […] Dieu saura se susciter d’autres défenseurs, s’Il le veut. Je suis sûre qu’il s’attirera même le mépris de ceux qui lui font faire ces choses603.

Vous ne sauriez croire combien je suis affligée de tout ce que vous me mandez de N. Il n’a garde qu’il ne soit troublé. J’espère que Dieu Se servira de cela pour l’éloigner d’un lieu qui lui est si funeste puisqu’il y tient si fort604.

Le confesseur pervers renforce l’angoisse quitte à propager une fausseté et à charger Fénelon pour la convaincre que ses amis l’ont abandonnée, ce qui entraîne un dur affrontement. Elle craint son transfert et donne ses derniers conseils. Dans les mauvaises conditions de l’emprisonnement les effets d’une ancienne variole se font sentir sur la vue.

N. [le curé] sort d’ici. Je ne l’avais point vu depuis trois jours devant la Pentecôte. Je crois devoir vous dire toute notre conversation. Il m’a dit d’abord que N. [Fénelon] faisait un livre pour se rétracter et qu’il m’y condamnait formellement, moi personnellement et mes deux livres605. Je lui ai dit que s’il les croyait condamnables et moi aussi, qu’il faisait bien, et que je n’avais pas assez d’amour-propre pour m’en offenser, que pourvu que l’intérêt de Dieu et de l’Église fût conservé, que cela me suffisait. Il m’a répondu que ce second livre le rendrait encore plus méprisable que le premier606, et ne satisferait personne, parce qu’on était fort persuadé qu’il ne condamnait pas mon livre dans son cœur et qu’il ne le faisait que par politique, par respect humain et pour ne pas perdre la fortune. Il m’a dit : « Enfin tout tombe sur la pauvre madame, en me nommant. Vous voyez que vous n’avez plus d’amis. » Je lui ai répondu : « Trop est avare à qui Dieu ne suffit607. » Il m’a dit ensuite [qu’]il [Fénelon] avait écrit à R[ome] une lettre fort mal conçue, et priait le pape d’examiner son livre. Je lui ai dit : « Apparemment, monsieur, qu’il attend la décision du Saint-Siège pour s’y conformer avant d’imprimer. » Il m’a répondu en faisant des éclats de rire : «  C’est là le ridicule, qu’il ait écrit à R[ome] sans en attendre la décision : il se hâte de prévenir la condamnation et le coup qui le va achever. » Je lui ai répondu : «  Je ne suis qu’une femme, mais si j’étais à sa place, j’aurais assurément attendu la décision du pape tranquillement, et m’y serais ensuite conformée avec une entière soumission. » Il m’a répondu que je disais le plus expédient, qui l’eût tiré d’affaire et lui aurait attiré l’estime de tout le monde ; cette soumission eut confondu les jansénistes. Et puis entre les dents, un mot comme si c’était ce qu’il craignait. J’ai dit : « Monsieur, on peut se tromper, et il faut une soumission entière au chef de l’Église, mais aussi il faut de la fermeté et du courage pour ne rien faire par respect humain. » Il m’a dit : « Le pauvre homme est faible, tout le monde lui tourne le dos, il ne peut supporter cela. »

Je crois qu’on a dessein de me transférer plus loin, et que ce sera dans le diocèse de Chartres. Je suis à Dieu, Il fera de moi ce qu’il Lui plaira. Je perds les yeux, j’écris sans quasi les ouvrir, et bientôt peut-être ne le pourrai-je plus. N’y aurait-il pas moyen que N. se corrigeât et qu’il ne fît rien imprimer qu’il n’eût eu la réponse de R[ome], et ensuite faire imprimer conformément au sentiment du pape ? Il me paraît que c’est l’unique parti ; dites-le au tut[eur][Chevreuse], faites vos efforts pour le lui faire prendre, je vous en conjure. Il m’a encore dit que le dernier livre n’aurait guère l’Esprit de Dieu, que c’était bien le trouble et le respect humain qui en seraient l’auteur. Il a fait ce qu’il a pu à confesse pour porter la petite Marc à me quitter. Certaines choses que j’ai ouïes me font croire qu’ils m’en veulent donner de leur main608. Je ne m’étonne pas de ce que Jésus-Christ a choisi de pauvres pécheurs pour prêcher et soutenir sa doctrine, car s’Il avait pris de grands seigneurs et des gens riches, la peur de perdre leur fortune leur aurait inspiré des ménagements qui les eussent rendus indignes et incapables de soutenir une doctrine si combattue. Si l’on me veut mettre à Poissy, diocèse de Chartres, ainsi que j’ai lieu de le croire, je demanderai qu’on me remette entre les mains de M. de Sens, mon pasteur légitime, qui fera de moi ce qui lui plaira, ayant droit de le faire, mais je ne répondrai jamais à M. de Chartres. Si vous pouviez m’envoyer des lunettes, j’essaierai de m’en servir, car je perds la vue609.

La lettre suivante indique des précautions à prendre et parle du livre de Bossuet :

Vous ne sauriez croire la joie que vous me donnez de me mander qu’on tiendra ferme et que la chose ira à R[ome]. [...]

Je suis effrayée de la proposition que vous me faites d’envoyer aux Cord[eliers]. Les sœurs d’ici ont leur maison auprès, dans la rue de Grenelle, elles y vont toujours à la messe ; elles connaissent toutes la jardi[nière]. Ce serait tout perdre ; choisissez tantôt un lieu tantôt un autre, mais jamais celui-là. J’ai conçu que le directeur était le c[uré] de V[ersailles]610, il ne faut pas s’y fier assurément. [...]

L’ecclésia[stique] m’a fait voir aujourd’hui le livre de M. de M[eaux]611 ; sa préface est fort belle, et son livre affreux et d’une malignité outrée, plein de faits faux, de faux exposés et de fausses conséquences. Adieu. Je n’ai pas si mal aux yeux aujourd’hui. Si vous m’envoyez la toile, envoyez-moi du café, à présent qu’il est à bon marché : je suis bien aise d’en avoir au cas qu’on me transfère. On dit que ma cousine612 est à Sainte-Marie de M[eaux] ; cela m’afflige, car elle sera bien tourmentée. Rien n’est plus aisé que de réfuter le livre, si je l’avais à moi : il est faux dans ses principes, plus faux dans ses exposés et très faux dans ses conséquences. Je voudrais écrire trois lignes à p. pour une chose de conséquence, cela se peut-il ?613

« L’Intérieur n’est pas une chimère ».

Je suis dans un étonnement de voir le peu de vérité qu’il y a dans le livre de M. de M[eaux], que je ne puis vous l’exprimer. Rien n’est plus aisé à réfuter que ce livre614. Je rêve assez souvent au tut[eur][Chevreuse], et cette nuit, comme je le voyais assez extraordinaire, je lui ai demandé ce qu’il avait ; il m’a avoué qu’il avait de grands doutes sur moi615 ; je lui ai fait le signe de la croix sur le cœur, et je lui ai dit : «  Je prie Dieu de faire sentir la vérité à votre cœur. »

Je suis bien plus indignée de ce que M. de M[eaux] écrit contre M. de C[ambrai] que de tout ce qu’il met contre moi, car quelque soin qu’il prenne de détruire l’intérieur et de donner un sens forcé et détourné aux passages des saints, il leur reste encore assez de force pour établir, auprès des personnes de bonne foi et sans prétention, ce qu’il veut détruire. Je me mets peu en peine de ce qu’on peut penser de moi, pourvu que la vérité soit connue. Quand je serais aussi trompée et aussi méchante qu’on le veut faire croire, il est certain et établi, par ceux-mêmes qui le veulent détruire, que l’Intérieur n’est pas une chimère, qu’il est réel dans les saints ; que tels et tels l’ayant outré ou en ayant abusé, cela ne fait rien au fait véritable de l’Intérieur en lui-même, et pourvu qu’on reconnaisse que Dieu conduit certaines âmes par cette voie, qu’il y a un vrai abandon et une sainte indifférence, cela me suffit. Que je sois anathème pour mes frères616 après cela, qu’on juge de moi ce qu’on voudra, cela ne fait rien à l’affaire. [...] Je vous embrasse de tout mon cœur. On m’a envoyé du vin : ainsi je pense qu’on s’est déterminé à me laisser ici, après avoir fait courir le bruit que je n’y suis plus617.

Lettres de juillet à septembre

Le siège par le confesseur continue, dur dialogue.

[…] Il [le curé] m’a dit que M. de P[aris]618 avait contre moi des preuves incontestables de crimes, et qu’ainsi il ne croyait nulle apparence qu’on me donnât jamais ma liberté. Je lui ai répondu que je ne demandais pas ma liberté et que je ne l’avais jamais demandée, mais que je trouvais fort étrange qu’après avoir été dix mois dans les mains de M. de la Reynie, qui est si éclairé et qui d’ailleurs n’était pas prévenu en ma faveur après tant d’informations, on me parlât encore de ces prétendus crimes ; que j’avais toujours demandé qu’on examinât ma vie, que non contente de l’avoir demandé par écrit à Mme de M[aintenon] et de l’avoir fait demander par d’autres, sitôt que je vis M. de la Reynie à Vincennes, que c’était la première chose que je lui demandais, et que l’ayant prié de demander au r[oi] de ma part qu’on examinât ma vie, il le lui demanda, que le r[oi] lui dit que ma demande était juste. Ensuite M. de la Reynie prit un détail de tous les lieux où j’avais été, de toutes les personnes qui m’avaient accompagnée, de celles chez qui j’avais logé et avec qui j’avais eu commerce ; et après trois mois de perquisitions, il me dit que je n’avais qu’à demeurer dans ma tranquillité et qu’on n’avait rien trouvé contre moi, que tout me serait rendu. Ce sont ses termes.

Il m’a dit qu’on avait pris le dessein de me remettre à Vincennes. Je lui ai dit que je demandais d’être mise à la Conciergerie afin que le Parlement connût de mon affaire, qu’il me fît punir si j’étais coupable, et qu’on punisse aussi les calomniateurs. Il m’a dit : «  Mais vous êtes toujours entre les mains de la justice, car c’est M. Desgrez qui vous a amenée ici et vous êtes en sa charge ; et comme les crimes que vous avez faits ne peuvent vous faire juger à mort, il est plus sûr de vous renfermer. » Je lui ai répondu que je consentirais à être renfermée si on ne formait pas de nouvelles calomnies pour en servir de prétexte, mais que je devais à Dieu, à la vérité, à la piété, à ma famille et à moi-même de demander cela : qu’on fît examiner la vérité au Parlement. Il m’a dit qu’il le dirait à M. l’arch[evêque], que sans le livre de M. de C[ambrai], je serais hors d’affaire. Je lui ai dit que le livre de M. de C[ambrai] ne me rendait ni plus coupable ni plus innocente, que si les faux témoins me faisaient mourir, je m’estimerais heureuse, mais que mon affaire n’avait nul rapport à ce livre. Il m’a exhortée ensuite à lui avouer mes crimes, disant que Dieu m’avait fait bien des grâces de m’avoir tirée de l’occasion de les continuer, que je n’avais point de confiance en lui. Je lui ai dit que je n’avais aucun crime à avouer, que j’avais eu plus de confiance en lui qu’on en a ordinairement pour une personne venant de la main de ceux qui sont prévenus contre nous, etc. Il s’en est allé, disant qu’il trouvait juste qu’on me remît entre les mains de la justice, que tout était bien prouvé et que M. l’arc[hevêque] n’en doutait pas. Comment accorder cela avec ce que vous me mandez, sinon qu’on veut persuader aux amis les crimes imaginaires619, et les leur insinuer en leur donnant des marques d’amitié ? Dieu sur tout. Je lui ai dit que lorsque ma fille serait revenue, que [3] je ferais présenter une requête pour être mise entre les mains du Parlement620.

Une tentative d’empoisonnement par l’intermédiaire d’un vin récemment acheté ? Nous avons précédemment omis presque entièrement le texte du récit de prison (section « 4.3 Les preuves absentes ») lorsque Mme Guyon aborde l’« aventure assez bizarre » à laquelle nous avons attaché une note soulignant combien les vins étaient frelatés à l’époque. Mêm si l’on peut donc mettre en doute l’hypothèse maligne, le témoignage à chaud montre l’oppression exercée au sein du « couvent ».

[…] Lorsque j’ai voulu en boire, j’ai trouvé qu’il me brûle la bouche, la gorge et les entrailles avec des douleurs que je croyais mourir. Sitôt qu’on y met un peu d’eau, il n’a plus le goût de vin et n’en brûle pas moins. J’ai prié qu’on envoyât quérir un homme qui passe pour le plus honnête homme du village, pour voir si c’était qu’il fallût y faire quelque chose, ou s’il n’était pas en boîte621. Sitôt qu’il en eut goûté, il fut effrayé, disant que ce ne pouvait être qu’un fripon qui eût envoyé ce vin, que pour lui il n’en voudrait pas boire un demi-setier et qu’il ne le goûtait pas sans terreur, qu’il y avait des choses dedans qu’il savait bien, et qu’il brûlerait les entrailles à qui le boirait ; et tout cela devant la fille qui me garde, qui était au désespoir de l’avoir fait venir. Il reste dans la bouche, après l’avoir bu, le même effet que les biscuits de Vincennes où l’eau forte paraissait dessus, et les taches et l’odeur. Je ne les fis que mâcher et cracher, et j’en fus incommodée ; Manon, qui en mangea gros comme une noisette, le fut bien davantage.

Ce que je puis juger de cela, c’est que, me voyant fort mauvaise, ils croient faire service à Dieu de me faire mourir. Il y a un cabaretier qui le prendra à deux tiers de perte pour mettre sur un râpé622 et qui m’en donne en échange du naturel. Voyez quelle aventure, dont, par providence, il y a des témoins dignes de foi. Je n’en témoignerai jamais rien. J’ai prié la demoiselle de ne point dire à N. qu’on l’eût changé. Le cabaretier ne le mettra que peu à peu sur son râpé, le mêlant avec des [...]. On avait pris la précaution d’en faire goûter d’autre très bon à M. le L.623, afin que, si l’on disait quelque chose, on puisse dire qu’il en avait goûté. C’est du vin blanc où l’on a mêlé du gros rouge tiré à clair. Dieu, par Sa bonté, a dissipé le conseil624. Cet homme dit qu’on n’en peut boire sans avoir les entrailles brûlées, qu’il est plein de chaux et d’autres choses qu’il ne dit pas. Il s’est trouvé mal sitôt qu’il en a eu goûté, et a dit que c’était un voleur qui vendait de pareil vin. Il a fort pressé pour savoir d’où il venait, mais je n’ai jamais voulu lui dire. Que dites-vous de cela ? Que Dieu fasse de moi ce qu’il Lui plaira, mais je ne l’éviterai pas tôt ou tard. Que Sa volonté s’accomplisse ! Ils croient que c’est un grand service à Dieu de se défaire de moi.

Depuis ceci écrit, l’homme qui avait voulu acheter le vin s’étant trouvé fort mal d’en avoir goûté, a envoyé un homme qui goûte tous les vins du pays pour le goûter encore. Dès qu’il l’a mis sur sa main et qu’il l’a odoré, il n’en a point voulu goûter et a dit que c’était du vin empoisonné. On l’a prié d’accommoder le fût qui ne vaut rien. Il a dit que, quand on lui donnerait autant d’argent qu’il en pourrait tenir dans la cave, il n’en boirait pas et n’y toucherait pas ; qu’il y aurait de quoi le faire pendre d’accommoder de tel vin, et qu’il était impossible d’en boire sans mourir, qu’il fallait déclarer qui l’avait vendu pour faire pendre les gens. La fille qui me garde est demeurée bien étourdie, car comme le vin a été mis à clair dans le vaisseau [récipient], on a vu que c’est un dessein formé. Je brûle toute, j’ai les entrailles en feu, la gorge écorchée, je ne cesse de boire de l’eau sans désaltérer. Envoyez-moi de la thériaque625 par la jardinière626.

Suite de l’affaire du vin : « ils veulent me l’ôter des mains ».

N.627 ne veut pas prendre le vin, mais quelques bouteilles pour dire qu’il est bon. Je n’ai garde d’en boire, je n’en ai bu qu’à trois repas, j’en ai pensé mourir.

[...] R[ome], R[ome] : c’est l’ordre hiérarchique que Dieu a établi dans l’Église. Si on y est condamné, c’est à un fils sincère de se soumettre à son père, et c’est l’ordre de Dieu628. [...]

Le N. [curé] régala ici il y a deux jours ses amis, il y fut tout le jour sans venir. Sur le soir, comme il se mettait à table, il envoya quérir la fille qui me garde, et lui dit qu’on envoyât du vin pour régaler ses amis parce qu’il était excellent. On y fut dans le moment ; il n’en voulut point disant qu’il n’était plus temps ; comme il a sa maison vis-à-vis celle-ci, on [203r°] ne fit que traverser la rue. La conclusion fut qu’il fallait que je le busse et que, si je ne le trouvais pas assez fort, que j’y misse moins d’eau, mais qu’il me le fallait faire boire. Elle n’osa lui rien répliquer, mais comme elle a vu ce qu’on m’a dit, elle me dit : «  Madame, quoique ce soit d’excellent vin, comme il vous fait mal à vous, vous n’en devez point boire, mais si vous voulez donner la feuillette pour deux pistoles, on la prendra pour mêler avec quantité d’autre vin. » Je lui dis que pour tirer vingt francs de cinquante écus, ce n’était pas la peine, et que puisqu’il était si excellent, qu’il n’y avait qu’à le garder, qu’on trouverait peut-être marchand dans la suite. Je crois le devoir garder, car c’est toujours une épine au pied. S’il n’y était plus, il n’y aurait tyrannie qu’il ne fît. La fille craint de le faire goûter et dit n’avoir permission de le laisser goûter à personne. Comment vendre ce qu’on ne veut pas laisser goûter ? La chose est demeurée comme cela. Je lui ai dit que cette perte est une bagatelle, car je fais semblant que je veux le croire bon.

N’y aurait-il pas moyen de savoir ce que le P[ère] L[a] C[ombe] est devenu ? Adieu.

Depuis ma lettre écrite, il est venu une cabaretière de leurs amis pour acheter le vin. Il lui a paru d’abord ce qu’il était, mais elle n’a pas voulu le dire ; elle a néanmoins dit que ceux qui avaient vendu cela étaient des fripons, qu’il était plein de chaux, d’eau de vie, de fiente de pigeons et d’autre chose qu’elle ne disait pas ; qu’elle en donnerait dix écus, non pour le faire boire à ses connaissances, mais pour le donner à de gros ivrognes qui ne font que passer. Je l’eusse donné, mais je ne l’ai pu. Mon cœur m’a frappé que, dès qu’il serait enlevé, N. [le curé] me ferait tous les mauvais traitements possibles, et j’ai dit que je le laisserais pour faire du vinaigre, que j’achetais davantage. La demoiselle a été bien aise, car [203v°] elle craint que ceux qui le boiront ne s’aperçoivent de ce qu’il est. La cabaretière en voulait faire goûter au commis, mais la demoiselle n’a pas voulu. Je vous prie de consulter quelqu’un comme le tut[eur][Chevreuse] et de savoir s’il n’est pas de conséquence de le garder. J’ai encore, depuis trois semaines que je n’en bois plus, le palais écorché et plein de vessies qui me pèlent, et la langue. J’en ferai ce que vous me manderez. La chose me paraît de grande conséquence. C’est du vin du pays qu’on a accommodé comme cela, et afin que les commis n’en goûtassent pas, elles ont dit que c’était du vin de leur cave qu’elles menaient dans leur maison de Vaugirard, jurant qu’il n’était ni vendu ni commencé à vendre. Réponse là-dessus, s’il vous plaît. La femme, en s’en allant, a dit à la demoiselle qui me garde qu’une personne ne pouvait boire de ce vin huit jours sans mourir.

Depuis ceci écrit, on a dit qu’on voulait faire prendre le vin pour le changer pour un faible vin qui ne vaut pas grand chose, car ils veulent l’ôter de mes mains. J’ai cru devoir laisser faire sans rien dire tout ce qu’on voudrait, et ainsi on prend le mien sur le pied de trente francs. J’ai fait tout ce qu’on a voulu, abandonnant la suite à la Providence629.

L’affaire du vin, suite. Contre les jansénistes.

[...] Ce qui n’est pas soutenable dans le livre se doit changer, et la paix de l’Église est préférable à tout, mais je croyais qu’on la trouverait mieux à R[ome]. Il n’y faut pas porter l’affaire, si l’on n’y veut pas aller soi-même : ce serait tout perdre. [...] J’aimerais autant travailler à gagner bar[aquin] que les j[ansénistes]. C’est s’allier avec les ennemis de la vérité. Mais laissons tout faire, Dieu est tout-puissant pour la défendre par Lui-même. [...] Je garde le silence sur le vin empoisonné, il est perdu en pure perte. J’ai pensé mourir d’en avoir bu un jour, j’en suis encore très incommodée. J’ai bu une si grande quantité d’eau que rien plus. J’ai encore la langue, la gorge, le palais et la poitrine tout écorchés. J’ai souffert des douleurs d’entrailles très grandes mais, à force de boire de l’eau, j’ai éteint le grand feu. Il est incroyable la dureté que cette fille exerce sur moi ; il semble qu’elle ait regret à ce que la chose est découverte et que je ne suis pas [204v°] morte. Ne pourriez-vous savoir où est allé N. On me cache son voyage avec grand soin. Je crois qu’on me veut faire bien de la peine par le vin. J’ai pensé que, lorsqu’on verra que je ne suis pas morte, qu’il a été goûté, on dira que je l’ai empoisonné moi-même. Si l’on allait par voie de justice, je prouverais aisément que je n’ai pas pu le faire, n’ayant rien que ce qu’ils me donnent. Ils examinent tout ce qu’on m’envoie, décousant tout, et ainsi cela est impossible. Mais Dieu sur tout. C’était ce qu’il voulait peut-être m’imputer, car jamais chose n’a été si grossière. Quand ils en auraient mis dix fois moins, la longue[ur] aurait toujours fait ce que la violence eût fait en peu de jours, et cela eût moins paru. Je ne sais ce que Dieu veut faire.

Il y avait, dans la gazette d’Hollande et celle de Hambourg, que nos amis allaient être chassés de la cour. Les j[ansénistes] ont coutume de faire savoir au public ce qu’ils veulent par des lettres qu’ils font courir, et leur esprit inquiet ne laisse en repos que ceux qui leur appartiennent. Je ne puis vous mander autre chose, adieu. Quoi qu’il m’arrive, soyons toujours unies ; vous êtes quasi seule qui me soyez restée. Dieu vous aidera. Il m’a pris le matin une affliction d’être dans de si cruelles mains qui m’a pensé suffoquer, mais je n’en étais pas moins abandonnée, ce me semble. [...]

Je trouve que le vin m’a bien attaqué la tête630.

Une prisonnière difficile à garder. Elle veille à mettre les correspondances à l’abri. Il n’y a toutefois pas de quoi la faire mourir :

Je crois comme vous qu’il faut interrompre le commerce pour quelque temps. Je n’enverrai plus que le second jour d’août et ce sera aux Th[éatins]631 en cas que j’y sois encore. J’ai toujours bien cru qu’on ne m’avait mise ici, et entre les mains d’une fille gagnée et à eux, que pour me faire des suppositions632. [...] / Ils auraient dit dernièrement que le jard[inier] avait fait entrer des hommes par chez lui, et comme je témoignais m’offenser de cela, on dit que c’était mon fils, ce qui était très faux, car depuis que je suis ici, je n’ai parlé qu’à N. [le curé]. On prit le prétexte pour me renfermer. Si l’on veut faire ensuite des suppositions ? N. m’a dit lui-même que des gens dignes de foi l’avaient assuré qu’on m’avait vue sur les murailles parler de l’oraison et dogmatiser, moi qui ne puis seulement monter une marche sans être aidée. Ils ont dit que l’herbe était foulée au droit de la muraille derrière la haie, ils y menèrent des hommes, apparemment pour servir de témoins. Je n’y ai jamais vu qu’un gros chat qui y passe continuellement. [...]

Voilà des lettres, avec la copie de ce qu’on dit que j’ai signé à Vincen[nes], qu’on ne m’a donnée que du temps après que j’ai eu signé, sans me permettre de lire ni confronter rien. Enfin vous voyez les lettres de M. Tronson, et comme je fus obligée d’écrire, dès le commencement, par l’extrême impression que j’avais qu’on ne m’avait mise ici que pour m’en imposer, au cas qu’on me mette en justice, comme on le prétend, dès qu’on aura amassé, dit-on, tout ce qu’on cherche. Le N. [curé] me dit un mot qui me parut effroyable dans la bouche d’un p[rêtre], qui était qu’on ne me mettait pas en justice parce qu’il n’y aurait pas de quoi me faire mourir. Puis, en se ravisant, il ajouta : « Mais il est vrai qu’on peut toujours vous faire une punition proportionnée, etc. » Il m’avait juré sur sa part de paradis que je ne serais ici que trois mois, qu’on ne m’y ferait point de suppositions. Sa part de paradis est bien perdue, si Dieu a égard à un serment si fol et si faux ! Le tut[eur][Chevreuse] a bien des lettres qui pourraient me servir, et il faudrait retirer des mains de M. Tronson les lettres qu’on lui a confiées. Mme de No[ailles] en a aussi, qu’elle a tirées par adresse.

[...] Après que [f° 206v°] N. a fait son coup, il est allé en campagne, il espère, que je crois, ne me plus trouver633. J’oubliais de vous dire qu’il m’a dit : « Le vin n’est pas bon au goût, mais ne laissez pas d’en boire, il est stomachal. » !634.

Très cachée à tous. Dernier épisode du feuilleton sur le vin :

On bouche et ferme tout. On veut faire croire que je ne suis plus ici et faire de moi ce qu’on voudra. Ils sont sûrs de cette fille ici à laquelle ils feront dire et faire ce qu’il leur plaira. Je conserve un grand silence sur tout ce qu’on fait, ne faisant pas semblant de l’apercevoir, et je suis fort en paix parce que j’appartiens à Dieu et qu’il est trop juste qu’il fasse de sa victime ce qu’il Lui plaît, et quoique je sois dans de si étranges mains, je suis dans les Siennes. J’ai perdu bien de la récréation en perdant presque les yeux, car je ne puis travailler. Je file assez gros et sans trop regarder, car ma vue est si faible que je ne peux lire du tout. Je suis bien aise qu’on retourne dans son diocèse635. C’est lundi la Madeleine, souvenez-vous-en636 […]

Un des hommes qui a goûté le vin, a été trouver l’ecclésiast[ique] dont je vous envoie encore une lettre, pour lui dire qu’il était obligé en conscience de l’avertir qu’on avait apporté ici du vin que quiconque en boirait, mourrait ; qu’il y mît ordre. Il l’a mandé de vive voix par la jard[inière]. Voyez ce qu’il mande. La prospérité de M. de M[eaux] m’effraye, loin que je lui porte envie. […]637.

Le 1er août, Fénelon reçoit l’ordre du roi de se retirer dans son diocèse.

Bien loin que l’exil638 m’ait fait de la peine, j’en ai eu une joie que je ne puis vous exprimer. Vous savez que je vous avais mandé que, dès que le parti serait pris d’aller à son diocèse, qu’il serait en paix et remis à sa place. Comme il n’avait pas le courage de le faire, Dieu l’a fait de Son autorité : Il n’a permis l’état terrible, où vous l’avez vu avant cela, que pour mieux faire connaître la différence et confirmer la parole que j’avais donnée de Sa part qu’il serait en paix. Prions tous incessamment et disons tous la prière d’Esther et de Mardochée pour lui, afin que Dieu inspire le chef de Son Église, car c’est tout ce que nous devons souhaiter. / Ne vous étonnez pas de votre faiblesse : il faut que nous sentions tous ce que nous sommes, et que nous ne voulions pas être fortes lorsqu’Il nous laisse dans notre faiblesse. Bon courage, ma très ch[ère]. [...]639

Doute sur Fénelon. La prudence du confesseur cesse avec la disparition du vin.

Je vous assure que j’ai bien de la peine de la faiblesse et de la mollesse de N. [Fénelon], mais il en sera puni par tout ce qu’il fait. Il a affaire à des gens qui ne sont forts que lorsqu’il craint, et qui craignent lorsqu’on est résolu. Cela vous fait bien voir que la véritable force est en Dieu. Ce n’est point être humble que de ramper [...] / Pour récompenser la fille qui me gardait du mauvais traitement qu’elle m’a fait, on la fait générale de sa société640. Il en vient une autre de Loudun. Je ne sais ce que ce sera, mais elle ne peut faire pis. Je suis malade. J’attends de vos nouvelles. [...]

Depuis ceci écrit, cette fille a fait entendre à Manon qu’elle serait obligée, par obéissance, de faire des choses qui me déplairaient ; elle ne veut pas dire ce que c’est, mais je crois que c’est pour ôter mes filles. Ils en font encore venir une. Je crois qu’ils comptent de me laisser seule en pension chez elles. Je vois bien que je dois m’attendre à d’étranges choses. Dieu sur tout. N. sort d’ici. Il ne m’a pas grondée.641

N. [le curé] vint la veille de la Vierge et comme le vin n’est plus ici, il commença à nous faire sentir sa cruauté. Il ne parle qu’à confesse. Il dit à Manon, qui y fut la première, qu’il fallait qu’elle s’en allât et qu’on voulait mettre d’autres filles auprès de moi, et qu’il la ferait rendre à ses parents ; elle dit qu’elle n’avait point de parents. Cela la saisit si fort qu’elle ne put dire autre chose ; elle revint près de moi plus morte que vive. Il ne dit rien à la petite Marc, parce qu’il compte, à cause de la faiblesse de son esprit, d’en faire ce qu’il voudra. [...]642

Cauchemars d’angoisse. Le jardinier ami.

[...] J’ai songé cette nuit des choses qui m’ont fait une impression de vérité très forte. [...] A mesure que je lui parlais, il me semblait que son habit de prêtre se changeait en de gros haillons de linge sale. On m’a dit : « Fuyez, car vous êtes dans les plus mauvaises mains que vous puissiez jamais être ». / Je me suis éveillée là-dessus. J’avais songé auparavant que ma sœur, la religieuse qui est morte643, me disait : « Fuyez, et vivez plutôt dans des cavernes de pain sec que d’être en de telles mains. Vous ignorez les maux qu’il vous prépare ».

Depuis ma lettre écrite, N. [le curé] a parlé au jard[inier] et lui a fait de grandes caresses, lui demandant s’il n’avait point porté de lettres de ma part ; il lui a dit que non. Il lui a dit : «  Si l’on vous en donne, apportez-la moi, je vous donnerai un écu. Cela ne vous fera point d’affaire, car je la lirai, la cachetterai, vous la reporterez et vous m’apporterez la réponse dont je vous donnerai trente sous ; et je la lirai et je la recachetterai de même ». Le jard[inier] lui a dit qu’il ne portait point de lettres et n’était pas un fripon. Cela [f° 212 v°] n’a pas laissé de me faire de la peine, quoique je croie bien que s’ils n’étaient pas fidèles, ils ne diraient pas ces choses. Dieu sur tout.644

Une religieuse compatissante ! Vade retro. Vexations.

[...] Cette fille ici est une bonne fille qui a de l’intérieur, scrupuleuse, mais on ne l’y laissera guère. N.645 et d’autres filles de leur société viennent l’intimider, la prévenir comme si j’étais un monstre. Mais, jusqu’à présent, elle ne cesse pas d’avoir pour moi de l’amitié. Non que je voulusse mettre son amitié à l’épreuve en quoi que ce soit ; au contraire, je suis plus précautionnée avec elle. Je sais de bonne part que N. [le curé] a des gens apostés à notre porte ; ainsi, soit que vous y soyez ou n’y soyez pas, il ne faut pas qu’on aille chez nous ; cela est de conséquence tout à fait, car il n’y aurait mauvais traitement qu’on ne prît prétexte de faire, et l’on mettrait dehors les bonnes gens. [...]

Depuis ceci écrit, j’ai appris bien des nouvelles. La fille qui disait n’avoir rien voulu signer contre moi, a signé un certificat faux comme [quoi] j’ai passé par une brèche qu’elle ne savait pas et que j’ai été courir à Paris. Pour cette fausseté, elle a été faite généralissime de sa société, et sur ce même certificat qu’on a fait voir au r[oi], il y a un ordre nouveau, signé, de me transférer, je ne sais si c’est à Angers ou à Chartres, je ne l’ai pu savoir. [...]

Depuis ceci écrit, N. [le curé] est venu voir la fille qui me garde, sans me voir. Il lui a défendu de laisser jamais communier dans la chapelle, parce qu’il ne veut point absolument qu’on y communie, que je suis646 un diable incarné ! […]647.

Il y eut, durant les grands vents, un abricotier qui ne tenait à la muraille qu’avec de la paille, le vent l’abattit ; ils disent à présent que c’est nous qui l’avons rompu et le montrent, et sur cela on fait une muraille pour nous empêcher d’aller au jardin. Je laisse tout faire sans dire une parole. Elles tourmentent sans cesse pour faire parler, viennent regarder au nez pour remarquer la contenance, se cachent derrière des arbres pour écouter ce qu’on dit et harcèlent continuellement ; cela est pénible, mais j’espère que Dieu soutiendra jusqu’au bout ce qui est Sien. [...]648.

Des pressions affectent aussi les religieuses gardiennes.

[...]La fille qui me garde vient de me dire, tout éplorée, qu’elle s’en allait, qu’elle n’avait fait tout ce qu’elle avait fait que parce qu’on lui avait ordonné absolument, qu’elle avait de l’honneur et de la conscience, que je le verrais, que si elle avait voulu trahir l’un et l’autre, elle ne s’en irait pas. Je lui ai dit que le plus fort était fait, qu’on était accoutumé à elle, que je la priais de ne s’en pas aller. Elle a dit que je ne savais pas tout, et qu’il s’en fallait bien que le plus fort ne fût fait, et qu’elle voyait des choses bien terribles ; que pour elle, elle n’espérait point de fortune, qu’elle ne voulait pas blesser sa conscience. Qu’est-ce que cela veut dire, si ce n’est qu’on la sollicite à rendre un faux témoignage pour avoir lieu de m’ôter d’ici et me renfermer, après m’avoir ôté mes filles ? Je vis tout ce qu’il y a de plus noir, hier, dans les yeux de N. [le curé]. Dieu sur tout.

Depuis ceci écrit, la fille qui me garde m’a encore abordée, elle m’a paru très embarrassée, comme une fille qui a fait quelque mauvais coup, qui en voit les suites plus grandes qu’elle ne pensait. Elle fut hier à l’archevêché, apparemment qu’on tira d’elle plus qu’elle ne voulait. Elle m’a dit qu’elle s’en allait pour laisser passer l’orage, et enfin qu’il m’allait arriver des choses bien terribles, qu’elle n’y avait point de part. Elle m’a fait entendre qu’on m’allait ôter mes filles, m’a fort exhortée à la patience. J’ai toujours répondu qu’on pouvait m’ôter celles-là, mais que je n’en recevrai point de leurs mains, que je savais bien que ce n’était pas l’intention du r[oi] qu’on fît de telles violences, mais que j’abandonnais tout à Dieu, qu’il ne m’arriverait que ce qu’Il voudrait. Elle m’a fait entendre qu’on m’accusait d’étranges choses, mais qu’il fallait des preuves649.

Des écrits circulent. Mais la prudence s’impose tandis que le curé enrage.

J’ai trouvé la lettre pastorale admirable650. Je laisse à part ce qui peut me regarder. Plût à Dieu que, par la condamnation même que mes meilleurs amis feraient de moi, l’intérieur fût connu pour ce qu’il doit être, suivi et embrassé ! Il y a des passages admirables pour le pur amour, et je voudrais de tout mon cœur que cette lettre fût vue à Rome. […]651 Renvoyez-moi les Fondements de la Vie Spirituelle652 sans retardement. La fille qui me garde les a vus, elle me demande à les voir. Je ne sais que dire.653.

J’ai envoyé jeudi aux Th[éatins], et on n’y était pas. Je ne sais que faire, car il n’est point à propos qu’on aille chez vous. Voyez donc si vous voulez que je n’envoie plus du tout, car l’hiver, N. [la porteuse des lettres] ne pourra aller là, et il n’y a pas moyen d’envoyer chez vous : je crois que N. [le curé] y fait épier. Si elle ne trouve personne dimanche et jeudi, je n’y enverrai plus.

La rage de N. [le curé] contre moi passe ce qui s’en peut dire, jusqu’à faire entendre que c’est une vraie excommunication, que je suis hérétique, retranchée de l’Église. Il défend que s’il me prend quelque mal subit, comme apoplexie et le reste, de faire venir de prêtre, et qu’il vaut mieux me laisser mourir sans sacrements. Ils croient que personne ne saura ce qu’ils font654.

Lettres d’octobre à décembre

N’oubliez pas sainte Catherine de Gênes, je vous en prie, et de m’envoyer avec, par la femme, un livre couvert en parchemin, qui sont les œuvres de saint Denis [Denys], qui sont parmi mes livres, et les Secrets sentiers de l’amour divin655.

Nuit :

Je ne me porte pas trop mal. Je suis restée boiteuse. Je songeais, il y a deux ou trois nuits, que saint Pierre me parlait avec tant de bonté ; je souhaite qu’il inspire cet esprit à son successeur656 et qu’il lui fasse voir clair au travers de l’horrible nuit de la malice. Je vous embrasse. Envoyez-moi les livres que je vous ai demandés657.

Pleine campagne de libelles :

Ce bon ecclési[astique] m’a mandé que N. [Bossuet] avait fait un mandement latin contre M. de C[ambrai], mais qu’ayant vu la lettre pastorale, il s’est mis en retraite pour y répondre658. Il m’a envoyé une lettre de M. de C[ambrai] à un de ses amis659, que j’ai trouvée très belle, et une en réponse, que j’ai trouvée d’un tour diabolique. On a promis à monsieur de Meaux qu’il serait cardinal. On ne fait point de doute que le livre de M. de C[ambrai] ne soit condamné à R[ome] à cause de la forte cabale. Pour moi, je suis persuadée que le Saint Père sera de quelque ménagement, voyant la docilité de l’auteur et le venin de la cabale660. Les trois Eusèbes661 font tous leurs efforts contre Athanase [Fénelon], mais s’il souffre à présent, s’il est même condamné par l’artifice de ses ennemis, sa mémoire sera en bénédiction au ciel et sur la terre. [...]662

L’attention aux autres. Nouvelles de La Combe.

[...] Je vous recommande ces bonnes gens cet hiver. Votre charité ne peut être mieux employée : elle est grosse, et trois enfants, son mari ne fait rien l’hiver, et je sais de bonne part qu’il a refusé deux conditions fort bonnes, ne voulant pas me quitter. Le P[ère] l[a] C[ombe] est resté où il était, il a souffert de grands besoins, présentement que je ne le puis assister ; c’est ce qu’on m’a fait savoir. C’est ce bon prêtre qui sait qu’il souffre beaucoup, je ne sais par qui. Mais ces nouvelles sont très sûres. Ne témoignez point que vous le connaissez. M[adame] Van.663 m’a écrit par N. [le curé] une lettre très adroite où, sans qu’on puisse rien voir, elle me fait savoir la misère du P[ère] l[a]C[ombe], et me mande que, malgré sa pauvreté, elle lui a fait tenir quelque chose, mais bien peu. Cela m’afflige de ne pouvoir l’aider. Il faut tout abandonner à Dieu. C’est le temps des martyrs du Saint-Esprit. [...] / Bien des amitiés au tut[eur]. Dieu sait combien il m’est cher en Lui.664

Sentiment fort de sa mission. Lectures.

Vous savez, ma très ch[ère], que tous les égarements et écarts commencent toujours par le dégoût qu’on a de moi, et dès que je sais cela, je crains qu’on ne quitte bientôt Dieu.

[...]Défiez-vous de N. [le curé] : il est plus à craindre lorsqu’il affecte plus de douceur. Le bon ecclési[astique] m’a mandé qu’il était venu de C[ambrai] un des amis de M. de C[ambrai], qui lui avait dit qu’il officiait tous les dimanches, que le reste du temps, il était à travailler à la campagne. Renvoyez-moi saint Denis665, je vous prie. Voilà une lettre de ce bon prêtre. Je vous prie d’en tirer ce qu’il faut que vous sachiez pour le dire, et brûlez la lettre. C’est un très bon ecclési[astique], qui s’adonne fort à l’intérieur. Il m’a envoyé une lettre latine de M. de M[eaux] pour le cardinal Spada666, qui est abominable, intitulée Summa doctrinae667 : faites-le acheter. J’ai ici un livre très fort, intitulé Les fondements de la vie spirituelle668, approuvé [f°222v°] de lui. Si le tut[eur][Chevreuse] juge qu’il soit utile, mandez-le moi, je vous l’enverrai. Je vous envoie toujours le livre, s’il peut servir à M. de C[ambrai] et qu’on le veuille envoyer à R[ome], le voilà, sinon vous me le renverrez au premier voyage.669.

Tout le monde est à présent contre M. de C[ambrai]. [...]

Rodriguez est un très bon livre670, Alvarez671, Suarez672 ; l’Imitation de Jésus-Christ est intérieure sans suspicion ; les Soliloques de St Augustin ont un caractère propre à remuer le cœur. Il faut espérer que Dieu règnera après tout ceci, car le dragon frappe de la queue et a déjà entrainé la troisième partie des étoiles673. C’est à présent qu’il faut aimer Dieu purement, non en parole, mais en œuvres. Si nous L’aimons, nous laisserons tout intérêt propre pour le seul intérêt de Dieu seul, et lorsque nous n’aurons que l’intérêt de Dieu, nous soutiendrons Sa querelle avec fermeté et sans retour sur nous-mêmes. C’est à présent que nous devons mourir véritablement à nous-mêmes, afin que Dieu vive et règne. J’espère que, si l’on travaille avec désintéressement et cette vue de Dieu, que Dieu prendra la cause en main, qui est la Sienne. On appelle monsieur de Meaux et M. de P[aris] [les] saint Augustin et saint Jean Chrysostome de ce siècle : ils sont les persécutés, les outragés et trahis ; c’est eux qui défendent la vérité ; on leur est infiniment obligé d’avoir découvert nos fourberies et malices et le reste !674.

Retour sur La Combe pour lequel elle se fait beaucoup de souci et qu’elle estime, car des écrits de lui sont « admirables » - même si sa correspondance s’était révélée de grand inconvénient lors des interrogatoires à Vincennes :

[...] Il serait bien aisé d’aider le pauvre P[ère] L[a] C[ombe] : comme on sait son adresse, il n’y a qu’à lui écrire d’une écriture inconnue et lui mander d’envoyer une adresse sûre pour lui faire tenir quelque chose, lui donner à lui une adresse, afin qu’il pût écrire. M[adame] Van.675 ferait cela à merveille, sans lui dire ni lui laisser pénétrer que je vous écris. Il n’y aurait qu’à la faire avertir par M. l’ab[bé] Cout[urier], et qu’il lui proposât qu’il voudrait faire une charité ample, et que comme elle a demeuré avec N. [La Combe], il pense qu’elle sait son adresse et pourrait lui faire tenir quelque chose. / Il m’est venu dans l’esprit que le tut[eur][Chevreuse] pourrait peut-être vous fournir une adresse sûre afin que le P[ère] L[a] C[ombe] pût écrire. Il a des écrits admirables et très doctes sur la matière en question. Si on lui demandait cela, il se ferait un plaisir de l’envoyer dans la conjoncture présente, ce qui serait d’une utilité plus grande qu’on ne pense ; ceci n’est pas à négliger. Il a soutenu une thèse, comme j’étais en ce pays-là, sur le pur amour, qui fut combattue là et approuvée à Rome. Il faisait voir que la béatitude était l’objet de l’espérance, et non de la charité qui ne voyait que Dieu seul, heureux pour lui-même et le reste676. Si on veut écrire, il faut mettre le dessus de la lettre à M. de la her. de cob., aum[ônier] du ch[âteau] de L[ourdes], à L[ourdes], et puis une enveloppe à N.677 J’ai cru qu’il aurait peine à se confier à une écriture inconnue, c’est pourquoi j’ai fait écrire le billet. [...]678

Incompréhension familiale ?

Ma fille m’est venue voir ; je fis fort l’étonnée. N. [le curé] y fut toujours présent, et elle-même évitait de me parler. Elle est si prévenue pour lui679 et pour N. Il faut tout abandonner à Dieu. [...]680

Contacts et directives !

N. est venu, qui m’a apporté la lettre pastorale de M. de P[aris]. J’ai vu qu’il voulait me proposer d’y souscrire, mais enfin on s’est contenté que j’écrivisse à M. Lare. une lettre de mon style. Voyez avec mon b[on][Beauvillier] si celle-là est comme il faut : je la renverrai quérir lundi sans faute, la devant envoyer ce jour-là même. Que le tu[teur][Chevreuse] ait la bonté d’y corriger ce qui n’y est pas bien. Il est de conséquence qu’on voie et examine cette lettre ; ne perdez pas un moment à la faire voir au B[on]. Ne faudrait-il pas entrer en quelque détail, comme de dire que je n’entre en aucun détail, l’ayant fait tant de fois ; ou ne lui mettrait-on pas : « Je vous l’ai dit tant de fois, monsieur, telle et telle chose » sur les endroits plus forts de sa lettre ? Enfin, je vous conjure de me mander sans manquer, jeudi, ce que je dois faire. Envoyez-moi la lettre corrigée, ou une autre, telle qu’on la jugera à propos. Ne perdez pas un moment à cela, s’il vous plaît.681

Aide locale.

Je crois que le bon ecclési[astique] se soutiendra, car il a pour moi une affection et une créance qui l’étonne lui-même. Il me rend tous les services qu’il peut. Lorsqu’il ne reste à la maison que la s[oeur] servante, il me vient C[onfesser ?] et il craint même pour lui ; il a de l’honneur, un bon cœur, et envie de devenir intérieur. Il ne laisse pas d’estimer les jansénistes. [...]682.

L’oppression trop forte induit des soupçons exagérés.

[...] Ma fille sera sans doute l’instrument dont ils se serviront pour tâcher de me persuader, mais Dieu est toute ma force, et j’espère qu’Il triomphera. Grâce à Lui je ne m’ennuie pas de souffrir, et je suis disposée à tout. Les cachots et la mort même me seront douces. On a cherché de faux témoins, on a voulu me perdre par mille endroits ; ils n’ont pu y réussir. Ils cherchent un refus qui ne peut manquer, pour avoir un prétexte d’agir ; mais ma vie est à Dieu et j’espère qu’Il me fera la grâce de ne la racheter pas par aucune indignité. [...]

Je vous dirai pour nouvelles que, depuis dix jours, j’ai pensé mourir, que je souffre des maux dans le corps que je ne puis exprimer, et cela pour avoir pris du vin d’Alicante qui a passé par les mains de N. [le curé]. Il m’a aussi envoyé du tabac, qu’on ne lui demandait pas. J’en voulus essayer ; il m’a pensé faire tourner la tête pour un peu. Mes filles en ont essayé, elles ont pensé mourir. Tout passe par là, et on est réduit à recevoir sans cesse sa mort. Dieu soit béni de tout : je Lui suis sacrifiée. On a déjà déclaré que si je mourais, on ne me laissera pas ouvrir683. Il m’assure qu’il travaille à me faire aller chez mon fils ; il assure d’un autre côté ces filles que je mourrai chez elles ; on m’en a fait confidence. Dieu est le maître de tout.684.

Enfin nous terminons par une lettre d’appel au secours adressée à Noailles, l’archevêque de Paris.

Monseigneur, j’ai lu, avec tout le respect et la soumission possibles, la lettre pastorale que Votre Grandeur m’a fait donner par M. le curé de Saint-Sulpice. Il y a deux choses, Monseigneur : [d’abord] ce que mon ignorance, mes méprises, mon peu de lumière, et le peu de connaissances de la valeur des termes et de leur conséquences m’a fait mettre dans mes livres, ne pénétrant pas le mauvais tour qu’on pouvait leur donner. Et c’est, Monseigneur, ce que je soumets, ainsi que j’ai déjà fait et dont j’ai déjà donné tous les témoignages possibles, comme véritablement catholique, non seulement à l’Église et au souverain pontife, mais aussi à vous, Monseigneur, avec toute la sincérité et l’humilité dont un cœur tout chrétien est capable, ne voulant avoir aucun sentiment particulier et n’en ayant point d’autres que ceux de toute l’Église.

L’autre article, Monseigneur, regarde le sentiment que Votre Grandeur m’impute. Je veux croire que mon ignorance et mes mauvaises expressions ont donné lieu à Votre Grandeur de tirer des conséquences si éloignées des sentiments que j’ai toujours eus par la grâce de Dieu. Je dois néanmoins représenter à Votre Grandeur, avec un très profond respect, et lui protester même en la présence de N[otre] S[eigneur] J[ésus]-C[hrist] qui sait que je ne mens point, que je n’ai jamais eu de pareils sentiments, que je ne les ai point, et que je ne les aurai jamais, s’il plaît à Dieu [...]

Pour ce qui regarde mon oraison, j’ai tâché de la faire du mieux que j’ai pu pour contenter Dieu, mais comme ce n’est pas à moi de juger laquelle est la meilleure et la plus utile, j’ai offert plusieurs fois à M. le curé de Saint-Sulpice qui me confesse par votre ordre, de la faire comme il jugerait à propos. Je vous renouvelle cette offre, Monseigneur, à vous-même, assurant Votre Grandeur que je suis et serai toujours prête de la faire comme elle l’ordonnera, selon mon pouvoir, soumettant toute mon âme, et mes faibles lumières, et les plus tendres sentiments de mon cœur, à l’obéissance. J’aimerais mieux ne jamais faire d’oraison que de la faire contre ce que l’on m’ordonnerait. Je crois qu’une oraison de propre volonté ne plairait guère à Dieu, et comme je ne désire autre chose que de Lui plaire et de faire Sa sainte volonté, je suis indifférente pour le choix des moyens. Je les soumettrai toujours de grand cœur à Votre Grandeur. Je le fais, Monseigneur, et par devoir et par inclination, étant avec autant de respect que de soumission, etc...685




1698 : L’Explication des maximes des saints et la lettre forgée attribuée à La Combe

Le 27 janvier, paraît l’Explication des Maximes des saints sur la vie intérieure... de Fénelon686 ; Bossuet répondra le 25 février par l’Instruction sur les états d’oraison, suivie le 26 juin de sa Relation sur le quiétisme. Fénelon répliquera plus tard par sa Réponse du 26 juillet 1698.

Vie, 4.4 : La lettre de M. le Curé

Après avoir été environ vingt mois687 dans cette maison, où je souffrais tout ce que l'on peut s'imaginer, je reçus une grande lettre de M. le curé que je trouvai moyen d'envoyer à une [81] personne de confiance pour me la garder688, car, quoiqu'elle fût écrite avec beaucoup de fiel et d'amertume, on sera peut-être surpris que tous les crimes anciens et nouveaux dont on me parlait à tout moment, et dont les preuves, disait-on, étaient si claires et si certaines, dont on entretenait le public avec tant d'art et tant de soin, que ces crimes, dis-je, n'aboutissent enfin qu'à lire les gazettes de toutes sortes, des contes de fées qu'on qualifiait de romans, à manger des pois verts, boire du vin d'Alicante, avoir un petit chien et un perroquet, et autres choses de cette nature qu'on verra dans cette lettre, que je veux mettre ici pour ne rien diminuer de toutes les choses qu'on a voulu m'imputer.

Ce qu'on aura peine à s'imaginer, mais qu'on aura encore plus de peine à comprendre, c'est que, dans cette même lettre, il m'assure qu'il me rend la justice de me croire bien éloignée de ces malheureuses maximes que l'on attribue aux quiétistes, et qui ont été pourtant le fondement de tant de persécutions qu'il m'a fallu souffrir pendant [82] quinze ou seize années et dont on a pris lieu de me décrier comme la dernière des créatures.

Voici la lettre689 :

« Madame,

Voici une lettre qui va vous surprendre, mais je ne puis plus vous dissimuler la peine que votre conduite me cause. Les justes sujets que je crois en avoir se sont tellement multipliés et me paraissent si considérables, qu'il n'y a pas moyen de les soutenir davantage sans m'en expliquer avec vous. Le zèle que je dois avoir pour votre salut, l'obligation que j'ai de répondre à la confiance que Mgr l'Arch[evêque] m'a marquée en vous confiant à mes soins, l'intérêt de l'Église, et plusieurs autres importantes raisons m'engagent à vous ouvrir mon coeur, puisque vous ne m'ouvrez pas le vôtre, et à vous dire la vérité que je croirais trahir, si je me taisais plus longtemps. Celui qui voit les plus secrètes intentions m'est témoin que je n'en viens là que pour satisfaire à ma conscience qui me presse, et ne m'attirer aucun reproche de ce juste Juge qui fait rendre un compte exact des lumières et des mouvements qu'il donne [83] pour la direction des âmes dont on est chargé. Je me suis même retiré de vous plus qu'à l'ordinaire depuis quelques mois, ne pouvant me résoudre à vous administrer les sacrements dans l'état d'aveuglement et de fausse paix où vous me paraissiez être. Voici donc, Madame, ce qui me donne beaucoup d'inquiétude à votre égard, et ce qui ne vous en doit pas moins causer, et sur quoi je vous exhorte de faire devant Dieu une tranquille et sérieuse réflexion, comme sur la chose du monde qui vous importe le plus et sur laquelle il nous est de la dernière conséquence de ne nous pas tromper, vous protestant encore une fois que la seule charité et le pur désir de vous être utile m'ouvrent la bouche, et ne me l'ouvrent tel que je suis, qu'après bien des prières et des demandes réitérées à Dieu de ne pas permettre que je vous trouble mal à propos, ni que je vous dise rien que dans son Esprit. Je me flatte que je serai peut-être exaucé, parce que je me rends témoignage à moi-même qu'aucune personne du monde, qu'aucune vue humaine ne me [84] fait agir en cette occasion690.

Premièrement, Madame, comment la vraie et solide piété s'accorde-t-elle avec l'esprit de présomption et d'estime de soi-même ? Vous m'avez dit entre autres choses, et cela en conversation et en paroles précises, que dès votre jeunesse, quoique vous fussiez très belle, vous aviez toujours vécu dans l'innocence ; que vous aviez gagné des âmes à Dieu, surtout de jeunes dames de qualité de la Cour, ce qui vous avait attiré l'indignation de bien des gens ; que vos livres avaient converti plusieurs personnes ; que vous étiez une servante de Dieu, que vous étiez chère à Dieu, qu'on maltraitait Dieu en votre personne.

Vous me l'avez même écrit, comme je pense. Et si je ne vous avais reprise de ces dangereuses complaisances par ordre même de Mgr l'Arch[evêque] qui me l'enjoignait, je crains bien que vous n'en eussiez ajouté d'autres. Qu'au reste, on vous avait plus durement traitée, en vous faisant souffrir ce que vous aviez enduré, qu'en vous coupant la tête, parce que, du moins, vous seriez morte martyre [85] et, si je ne me trompe, vous ajoutâtes : « de la vérité  ».

Vous avez souffert, devant moi, à Vincennes, que votre femme de chambre vous dise hautement et arrogamment plus d'une fois que je voyais en vous la plus sainte personne qui fût sur la terre, et qu'il fallait non que Mgr l'arch[evêque] eût compassion de vos souffrances, mais qu'on eût compassion de lui, puisqu'il persécutait une si grande sainte que vous sans raison. Il est vrai que vous lui dîtes en riant de se retirer.

Que dirai-je des mouvements de colère et d'indignation, pour ne pas dire emportements, qui ont été si grands et si fréquents en vous depuis que j'ai eu l'honneur de vous connaître, qu'en vérité on aurait peine à les croire. Et je puis dire n'en avoir guère vus de plus vifs dans les gens du monde les plus prompts et les plus passionnés ! Combien de fois a-t-il fallu que je me sois tu, que j’aie dissimulé, que j’aie supprimé des choses pour ne pas vous irriter ! Vous m'avez dit, dans un de ces mouvements, que vous vouliez présenter requête au Roi afin qu'on vous fît votre procès, [86] et qu'il parût si vous étiez coupable ou non, mais que vous ne prétendiez pas être jugée par les prêtres ni les gens d'Église, à cause qu'ils n'avaient pas la probité ni la bonne foi qu'on voit dans les laïques, que vous récusiez aussi des commissaires, et qu'il vous fallait le Parlement. Vous m'écrivîtes une fois deux lettres dans un transport visible de passion ; vous les montrâtes, à ce que j'ai su depuis, aux bonnes sœurs chez qui vous êtes, lesquelles vous conseillèrent de les supprimer, mais inutilement. Il fallut suivre votre humeur préférablement à ce bon avis. Vous mettiez dans une de ces lettres, entre autres choses, que si je ne faisais ce que vous demandiez de moi, vous prieriez Dieu qu'il me fît sentir que vous étiez à Lui, que je maltraitais Dieu en vous, et qu'il ne me le pardonnât pas. Qui jamais a fait de semblables prières à Dieu ? Et, quand une pénitente parle-t-elle ainsi à son confesseur, le moyen qu’il lui soit utile ?

Quand on voulut condamner une fenêtre et une porte sur le derrière de [87] votre appartement, ce que vous-même deviez souhaiter, quel feu, quelle indignation ne marquâtes-vous pas ? Vous vous y opposâtes avec tant de force, vous et vos femmes de chambre, qu'il fallut pour lors en demeurer là, et céder jusqu'à ce que votre émotion fut cessée ; on attendit que vous redevinssiez calme et capable d'entendre raison. Sur ce que les bonnes soeurs qui vous ont en garde, ne voulaient pas souffrir que vous regardassiez par la fenêtre de leur appartement qui donne sur la rue, où pour lors il y avait beaucoup de monde, vous et vos filles, comment les traitâtes-vous ? Laissons la parole injurieuse que vous leur dites, quoiqu'elles vous assurassent qu'elles n'en usaient de la sorte que parce que vos supérieurs l'ordonnaient ainsi. Mais ce qui choque encore davantage, c'est que vous ajoutâtes avoir été dans un couvent où, quoique l'évêque du lieu eût défendu aux religieuses de vous accorder certaines choses, elles ne laissaient pas de vous les permettre, et vous de les prendre, malgré les défenses. En vérité, Madame, sont-ce là discours et des maximes [88] d'une âme qui, s'érigeant en maîtresse de la vie spirituelle, entreprend d'enseigner aux autres un Moyen court et facile d'arriver en peu de temps à la plus haute perfection ?

Quel serait après cela votre aveuglement, Madame, si vous ne vous deveniez pas suspecte à vous-même, et si vous pensiez encore à être une prophétesse ? Vous le savez, Madame, et la chose est trop importante et trop propre à vous ouvrir les yeux pour l'omettre ici, quelque peine qu'elle vous fasse : au mois d'août de l’année 1696, vous me dites positivement, dans deux visites que je vous rendis à huit jours l'une de l'autre, et cela à Vincennes, où vous n'aviez aucune voie humaine pour apprendre ce qui se passait dans le monde, vous m'assurâtes, dis-je, que vous aviez eu deux espèces de visions ou révélations - appelez cela comme il vous plaira - dans lesquelles vous aviez connu que nous étions à la veille de voir de grandes révolutions, que le Roi devait mourir bientôt, qu'il fallait en diligence en avertir Mme de Maintenon, [89]Monsieur de Beauvillier691,Monsieur l'archevêque de Cambrai ; qu'il n'y avait pas un moment à perdre, qu'il s'agissait du salut de l'âme du Roi. Vous voulûtes l'écrire à Monsieur de Cambrai. Vous me chargeâtes de la lettre pour lui rendre au plus tôt. Vous voulûtes que je le déclarasse de vive voix, ce secret important, à une personne de considération. Vous m'assurâtes que, quand vous aviez ainsi ces sortes de révélations coup sur coup et à deux reprises, c'était une marque de certitude. Cependant, Madame, tout cela [était] illusion. Le mois de septembre s'écoula. Le Roi, grâce au ciel, se porta bien et il fallut rougir de honte.

Et quand ensuite je voulus me servir de cette belle prédiction si affirmée, si pressante, si bien écrite, pour vous porter à la défiance de vos lumières et de votre propre esprit, combien parûtes-vous confuse et déconcertée ! Vous vous imaginâtes néanmoins pouvoir encore trouver quelque réponse dans un avenir incertain et, à tout hasard, vous me dites que le mois de septembre de l'année 1697 n'était pas passé. [90] Quelle pitié ! Or il l'est à présent il y a déjà longtemps, et il n'y a rien à vous répondre que cette parole menaçante de l'Écriture aux faux prophètes. Car même ce n'est pas la seule prophétie fausse que vous avez faite, comme vos meilleurs amis en conviennent, [et] qui n'arrive pas. On peut s’assurer que ce n’est pas le Seigneur qui a parlé par lui, et que c’est la dépravation de son cœur arrogant qui la séduit, c’est pourquoi vous ne craindrez point toutes les vaines prédictions.692

Mais Madame, que dire de l'histoire de votre Vie que vous avez écrite, remplie de tant de visions chimériques que vous ne sauriez vous-même en soutenir la lecture ni vos plus grands amis, sans confusion, ni qui que ce soit sans indignation ? Vous avez encore osé composer plusieurs Commentaires sur l'Écriture pleins d'erreurs très certainement. Vous êtes toujours prête à les condamner avec la même facilité que vous avez eue à les composer, du moins l'assurez-vous ainsi. N'avez-vous point sans cesse [91] maintenu qu'on ne peut rien trouver de mauvais dans vos ouvrages que quelques termes ou expressions dont votre jugement a pu vous dérober le sens et la force, mais, au reste, que vous avez trouvé votre doctrine dans les livres des plus grands saints de l'Église, et que vous êtes prête à vous justifier ; que vous n'aviez aucune rétractation à faire que dans les mots et qu'il ne fallait pas vous parler d'autres choses ? Ce sont vos propres termes, écrits le jour même que vous les avez proférés dans bien de l'émotion.

J’avoue qu'après cela vous avez souscrit à un désaveu assez formel de vos erreurs, mais de bonne foi, Madame, êtes-vous convaincue dans le fond d'en avoir écrites ? Les détestez-vous véritablement ? Avez-vous du regret d'avoir répandu des maximes dangereuses, d'avoir nui à bien des personnes qui vous ont crue trop facilement, d'être cause en grande partie de la division affligeante qui trouble à présent l'Église ? Point du tout, vous n'en donnez aucune marque. Et vous avez [92] plusieurs fois témoigné dans une grande tranquillité, que vous n'aviez aucun scrupule de rien, et que vous étiez telle que vous étiez auparavant. Tout ce qui s'est passé est réputé auprès de vous comme non avenu. Vous êtes toujours une sainte persécutée comme le crient à tout propos vos deux femmes de chambre, et il n'y a rien à censurer dans votre conduite ni à réformer dans vos livres que des termes dont la signification vous était inconnue.

Mais, Madame, qui croira même qu'une personne comme vous, qui parle si bien la langue naturelle, qui se prétend si savante dans la théologie mystique, ait ignoré ce que veulent dire des mots français de dévotion ? Est-ce excuser vos erreurs que de les couvrir du voile d'une belle et si grossière ignorance ? Si vous êtes si ignorante que cela, comme vous l'assurez, pourquoi vous mêlez-vous de dogmatiser, d'enseigner, de publier des doctrines nouvelles dans l'Église, et que vous voyez y causer tant de scandales ? Que ne vous taisez-vous [93] selon l'ordre établi par l'apôtre693, afin d'apprendre la doctrine orthodoxe dont vous n'étiez pas assez instruite pour en parler correctement, surtout en maîtresse, comme vous n'avez que trop fait.

Aussi bien, Madame, où puiseriez-vous cette sublime théologie que nous ont enseignée les saints les plus éclairés, et dans les ouvrages desquels vous vous vantez de trouver votre doctrine ? Qui ne serait surpris d'apprendre que, depuis près de deux ans, vous ne m'ayez demandé aucun livre de dévotion ? Qui croirait qu'une âme, laquelle se prétend élevée à une haute perfection, unie à Dieu par un amour si pur, favorisée du don de la contemplation et de vues prophétiques, ait lu pendant plus d'un an les nouvelles du grand monde, les Gazettes de France, des Flandres, de Hollande, les journaux des Savants694, le Mercure Galant, les fables d'Ésope en vers, des romans pleins d'intrigues amoureuses, dont le seul titre rebuterait non seulement les personnes pieuses, mais les personnes médiocrement sages et modestes ? [94] Comment n'avez-vous point eu scrupule, Madame, de garder si longtemps les livres et nouvelles, de les envoyer chercher régulièrement, de vous en remplir l'imagination, et de les lire avec tant d'avidité que le temps du carême et la veille même du dimanche des Rameaux n'ont pu y mettre un frein ? On a souffert les excès en vous parce qu'on voulait voir jusqu'où irait votre dissipation, pour ensuite vous obliger à rentrer en vous-même, et vous faire sentir que vous êtes autre que vous ne croyez.

Que dirait-on encore, Madame, si l'on savait votre vie si peu mortifiée et si sujette à la satisfaction des sens qu'il n'y aurait pas apparence de permettre le fréquent usage des sacrements à quiconque vivrait de la sorte ? Combien avons-nous eu de peine à vous trouver d'assez bon vin dans tout Paris ! Celui qui coûtait jusqu'à vingt sols la pinte n'était pas assez excellent, votre estomac en souffrait, disiez-vous ; il a fallu en acheter [95] à quarante et cinquante écus le demi-muid, en prendre souvent au cabaret et en quantité notable. Qui ne serait un peu étonné d'apprendre que vous vous servez de liqueurs à la mode, du vin d'Alicante, du vin d'Espagne même ? Que vous prenez du tabac en belle quantité, que la dernière boîte que l'on vous envoya coûta neuf francs ? Qui penserait qu'une personne si morte aux goûts terrestres prît soin d'élever et de chercher la meilleure volaille, de manger la meilleure viande de boucherie, le meilleur poisson, d'avoir [l'une] des premières des fruits nouveaux, les asperges, les pois verts, les artichauts ; de passer les journées entières au jardin durant l'été, et d'y faire bouillir son pot et cuire son souper, au hasard, comme on l'appréhendait, d'y mettre le feu dans le petit bois de la maison que vous habitez ; de vous amuser à des linottes et à des tourterelles, à des chiens et à des perroquets, et à d'autres semblables niaiseries ; d'avoir trouvé l'invention, [96] dans l'état où vous êtes, de mettre - de faire mettre - de l'argent à une loterie de Paris, où vous avez déguisé votre nom sous celui de «La malheureuse», et d'[y] avoir gagné quelques tableaux si peu honnêtes qu'il a fallu les changer en d'autres choses, comme vous m'avez dit le vouloir ordonner. Je ne descends à ce détail, Madame, que par force et malgré moi, et rien ne m'y oblige que le désir de vous faire comprendre que vous n'êtes pas telle que vous le pensez et que vous avez [donné] à penser à d'autres.

Et encore que ces bagatelles-là ne soient pas criminelles, qu'une partie de ces divertissements puissent être permis, surtout à une dame de votre condition, de votre bien, de votre âge, que votre santé en exige quelques-uns, néanmoins, Madame, quand on se les accorde, il ne faut plus se mettre sur le pied d'une personne extraordinaire, se flatter d'une perfection sublime. On doit descendre de cette [97] prétendue élévation, se mettre au rang des simples fidèles qui marchent dans la voie commune et qui se renferment dans l'observation des préceptes, et ne plus s'ériger en maîtresse de la vie spirituelle laquelle a trouvé un moyen court et facile de monter à la sainteté la plus éminente. Et c'est où vous disiez être, Madame. Car de vouloir soupçonner que vous soyez dans l’erreur naissante de ceux qui tiennent qu’en donnant une fois son esprit à Dieu, on peut ensuite blesser la vraie piété, satisfaire sa sensualité, à Dieu ne plaise, Madame, que j’aie cette pensée de vous.

Mais je sais bien que ceux qu'on honore comme saints au milieu même de leurs infirmités et parmi des persécutions très dures, menaient encore une vie pénitente et mortifiée, qu'ils étaient sans cesse en oraison, qu'ils donnaient de rares exemples de patience et d'humilité, qu'ils se [98] seraient crus perdus si, dans ces temps surtout d'épreuves et de tribulation, ils s'étaient laissés aller à des relâchements qu'on ne souffrirait pas à qui que ce fût dans une communauté tant soit peu régulière, et qui sans doute ont surpris et mal édifié ceux de dedans et de dehors, la maison où vous êtes retirée ne pouvant accorder une semblable vie avec la haute perfection dont vous prétendez faire profession. Car vous jugez bien, Madame, que tout ceci n'a pu être secret et qu'il a fallu nécessairement que diverses personnes qui servent à vos besoins en aient eu connaissance, et que les choses aient passé par leurs mains et devant leurs yeux. Et ne vous plaignez pas, Madame, que j'en dis peut-être trop. Faites-vous justice, et rendez-vous témoignage à vous-même que je supprime bien des articles importants que je veux vous épargner.

En effet, c'est avec raison que je m'arrête ici, [99] car je sais l'extrême peine que la lecture de cette lettre vous causera, mais je sais aussi l'obligation indispensable que j'ai de vous l’écrire. Le médecin qui épargne les remèdes salutaires à son malade parce qu'ils sont amers ou douloureux, est cruel, et celui qui les lui donne est charitable. Vous savez, Madame, combien de fois je vous ai dit que la Providence avait permis que vous vinssiez dans la solitude où vous êtes, pour songer sérieusement à votre conscience et pour y remédier efficacement ; que votre salut était attaché au bon usage de cette retraite si douce et si commode qui vous était procurée heureusement ; qu'on vous offrait toutes sortes de secours pour cela ; que vous en rendriez un compte très exact à Dieu, et comme d'un temps le plus heureux de votre vie ; que j'en déchargeais ma conscience en vous le disant et que je ne pouvais pas faire davantage.

Tous les moyens, toutes les avances, ont-elles eu beaucoup [100] de succès ? Vous le savez, Madame. Mais en vérité je me crois tout à fait inutile à votre bien si vous n'en voulez pas faire davantage d'usage, et si vous comptez en demeurer là. Je vous exhorte, Madame, de vous reconnaître, de vous humilier, de confesser la vérité, d’entrer dans de vrais sentiments de pénitence, d’avouer de bonne foi vos erreurs, de gémir du scandale et de la division que vous avez en grande partie causés dans l'Église. Sans cela, Madame, je serais un guide aveugle et je répondrais à Dieu de l'assoupissement léthargique où je vous crois plongée. Je demanderais permission à Monseigneur l'arch[evêque] de trouver bon que je me retire et de vous donner un homme plus éclairé que moi, et qui ait plus d'ascendant sur votre esprit, pour qui vous ayez plus de considération, que vous soupçonniez moins d'agir par politique et par respect humain.

Car, Madame, à qui voulez-vous que s'adressent [101] ces paroles que vous avez écrites, il y a plus d'un an, en gros caractères, sur la porte d'une petite grotte de votre jardin, si ce n'est à moi ? Les voici, ces paroles : « Le lâche suit la fortune et le malheureux est digne de respect », Sénèque. Après cela, comment un directeur pourrait-il vous être utile ? Comment auriez-vous confiance en lui ? D'ailleurs, comment s'abstenir de croire que vous vous regardez toujours comme une innocente persécutée et que vous souffrez pour la justice, et par conséquent que vous n'êtes repentante de rien, quand on lit encore les autres paroles que vous avez écrites en lettres capitales vis-à-vis des précédentes, par lesquelles vous avez voulu sans doute vous désigner : «Comme ils m'ont persécuté ils vous persécuteront, et croiront rendre service à Dieu en vous persécutant ? » Jésus-Christ695.

Telle est l'idée que vous avez de vous, et l'esprit de componction dont vous êtes animée. Il est donc à propos, Madame, que, ne vous étant plus bon à rien, je me retire sous le bon plaisir de Monseigneur l'arch[evêque] sans cesser néanmoins [102] d'être selon Dieu dans une vraie charité, Madame, votre très humble et très obéissant serviteur, J. de La Ch[étardie], curé de St S[ulpice]. »

Les reproches dont cette lettre est pleine et les tours malins qu'on y emploie, ne m'apprirent rien de nouveau sur l'indisposition où M. le curé était contre moi, et celle qu’il avait inspirée à M. de Paris. Il y avait longtemps que je savais à quoi m'en tenir. Les maladies continuelles où j'étais, l'ennui d'une captivité si dure des pauvres filles qui me servaient avec une affection très grande, mais qui avaient besoin de quelque petite récréation dans de certains moments où la nature se trouvait à bout, pouvaient autoriser bien des choses, ou les excuser, si l'on entrait dans quelque détail des choses que cette lettre me reprochait. Mais je laisse tout cela comme étranger aux motifs de plusieurs années de prison et de plus de quatre vingt interrogatoires, de huit et dix heures la plupart, qu'il me fallut essuyer.

Je dirai seulement en passant que ça avait été [103] M. le curé lui-même qui m'avait pressée plusieurs fois de lire les gazettes, et qui s'était fâché lorsque je ne l'avais pas voulu. Les romans étaient des contes de fées qu'il m'avait apportés lui-même de la part de ma fille, et que mes femmes s'amusaient quelquefois à lire pour se divertir à des heures perdues. De plus je lisais l'histoire de l'Église de Josèphe, et j'avais plus de cinquante livres de dévotion dont nous lisions presque continuellement : la Bible, le Nouveau Testament, les Vies des saints, etc. Nous jeûnions tous les vendredis et samedis de l'année, le carême entier, douze jours des avents. Mais quand un coeur est indisposé à un certain point, les mêmes choses qui pourraient édifier, deviennent un sujet de scandale, et l'oeil imprimé d'une couleur ne voit dans tous les objets que cette même couleur.

Cette lettre me fut rendue par cette soeur qui me gardait. On lui avait ordonné de m'observer en la lisant pour voir si je m'affligerais fort, ou si je me mettrais en colère. Je ne dis pas un mot à cette fille [104] et je l’entretins avec la même gaieté. Elle se mit à pleurer et je la consolai, en l'assurant que je ne lui savais pas mauvais gré de ce qu'elle s'en était chargée.

Elle me dit qu'elle avait subi un terrible interrogatoire de M. le curé sur moi, qu'il lui avait demandé si je ne lui avais jamais parlé de Dieu, à quoi elle avait répondu que non. « Avouez donc que c’est une impie, lui dit-il. - Monsieur, lui répondit-elle, comme je suis frileuse et qu’elle avait un bon feu, j’y ai été quelquefois me chauffer. On lisait la vie des saints dans la chambre et nous avons quelquefois parlé de quelques circonstances de ces vies - Mais elle parlait donc de Dieu, disait-il. - Oui, Monsieur, répondit cette fille - C'est tout ce que je voulais : elle dogmatise et c'est tout ce que je voulais ». [Quoi] que cette sœur pût dire, [soulignant] que c'était en forme de conversation, il fallut signer cela.

On interrogea aussi la paysanne [105] qui répondit grossièrement696 qu'elle ne connaissait rien que de bon. Il lui dit qu'elle n'était qu'une bête. Et elle lui dit qu'elle n'avait pas assez d'esprit pour y voir du mal. Il la chassa de chez lui avec injures. Elle le dit à son confesseur qui lui commanda de me le dire.

On en avait usé de même manière avec la première qui m'avait tant tourmentée et qui était si fort à leur dévotion. On lui fit signer beaucoup de choses sans les lui lire, moitié menaces, moitié promesses. Elle ne l'eut pas plutôt fait qu'on la mena chez M. de Paris qui la fit Supérieure Générale de sa Congrégation. Je crois l'avoir déjà dit, car je rapporte les choses, non comme elles se sont toujours succédées, mais à mesure qu'elles me viennent à la mémoire. Cette fille n'avait pourtant pas si fort marché sur sa conscience qu'elle n'eût des remords terribles. Elle me vint un jour trouver en pleurant et me dit qu'on lui avait fait signer beaucoup de choses contre moi sans les lui lire et que, s'il [106] m'en arrivait quelque malheur et qu'on me produisît sa signature, je demandasse à lui être confrontée, et qu'elle dirait qu'on l'avait forcée à signer.

Mais on ne m'a jamais parlé de toutes ces choses dans les interrogatoires que l'on m'a faits depuis, non plus que de tout le reste. On ne voulait qu'imposer au public sans m'en donner connaissance de peur que je ne me justifiasse. Peut-être voulait-on se procurer pour les temps à venir une justification d'une conduite si violente et si odieuse qu'on leur pourrait reprocher un jour, Dieu le sait.

La paysanne me dit un jour qu’étant allée chez M. le Curé de la part de cette sœur, il l’avait fait rester dans sa chambre, la croyant si bête qu’il ne se défiait pas qu’elle pût rien comprendre à ce qui s’y passait : il était un écrivain697, le même faussaire dont il a été tant parlé dans la suite de ma vie. Et cette fille remarqua fort bien qu’on faisait contrefaire une écriture. M. le Curé lui disait [107] : « cette lettre n’est pas bien formée ; il ne forme pas ces L. comme vous » ; elle le dit encore à son confesseur qui lui ordonna de me le dire.



Vie, 4.5 : La fausse lettre de La Combe

Quelques jours après cette grande lettre, M. de Paris me vint voir en grand apparat698. Il entra dans ma chambre avec M. le curé, qui était au désespoir de ce que j'y avais paru si insensible. Il s'assit et fit asseoir M. le curé auprès de lui. Et comme je m'étais mise à une place qui était à contre-jour, il me fit mettre au grand jour parce qu'il me voulait voir en face.

Il se contraignit d'abord pour me parler avec douceur et me dit : « Je suis venu pour vous remettre bien avec M. le curé qui se plaint fort de vous, et qui ne veut plus vous confesser ». Je lui répondis : « Monseigneur, je ne crois pas lui avoir donné sujet de se plaindre de moi et je m'y suis confessée par obéissance ».

C'était tout dire. Car je suis persuadée, sans me flatter, [108] qu'une autre que moi ne s'y serait pas confessée après avoir connu que cet homme ne travaillait qu'à ma perte. Mais, comme il était revêtu du caractère699, je croyais me confesser à mon cher Maître en m'y confessant. Et j'ai toujours éprouvé qu'il me parlait si diversement au confessionnal de ce qu'il faisait ailleurs, que cela me confirmait la promesse de Jésus-Christ, lequel permet souvent à un mauvais prêtre de le consacrer, qu’il confesse lui-même dans un méchant et lui fait dire ce qui lui plaît. Je ne juge point de celui-ci. Je ne dis que des faits d'histoire que je jurerais sur l'Évangile.

Pour revenir à ce que je disais, M. de Paris me dit : « Mais s'il ne vous confesse pas, personne ne voudra vous confesser ! - Monseigneur, lui dis-je, les jésuites me confesseraient si j'étais libre ». Cela le mit dans une fort mauvaise humeur.

Il voulut m’obliger à faire une déclaration publique que j'avais commis quantité de désordres honteux avec le P. La Combe [109] et me fit des menaces terribles si je ne déclarais pas que j'avais imposé aux gens de bien, que je les avais trompés, et que j'étais dans le désordre lorsque j'avais fait mes écrits. Enfin il me témoigna une colère que je n'aurais jamais attendue d'un homme qui m'avait autrefois paru si modéré. Il m'assura qu'il me perdrait si je ne faisais ce qu'il souhaitait.

Je lui dis que je savais tout son crédit, car il faut remarquer que M. le Curé avait pris grand soin de m’informer de sa faveur en m'apprenant le mariage de Monsieur son neveu avec la nièce de Mme de Maintenon700, que le roi lui avait donné la chemise, ce qui ne se faisait qu'aux Princes, qu'il lui avait donné beaucoup en faveur de ce mariage, en un mot tout ce qui pouvait me donner une grande idée de la considération que cela lui donnait dans le public. Mais Dieu sait le cas que je fais des fortunes de la terre. Je lui répondis donc qu'il pouvait [110] me perdre s'il le voulait, et qu'il ne m'arriverait que ce qu'il plairait à Dieu. Il me dit là-dessus : « J’aimerais mieux vous entendre dire : « Je suis au désespoir », que de vous entendre parler de la volonté [de] Dieu. - Mais Madame, me dit M. le curé, avouez, Madame, que lorsque vous avez écrit vos livres, vous étiez dans le désordre ! - Je mentirais au Saint-Esprit, lui répondis-je, si j’avouais une pareille fausseté. - Nous savons ce qu'a dit la Maillard », reprit M. de Paris. (C'est cette gantière dont il a été déjà parlé du temps que je fus mise aux Filles Ste Marie). - Monsieur, pouvez-vous faire fond sur une malheureuse qui a sauté les murailles de son cloître, où elle était religieuse, pour mener une vie débordée dont on a des attestations ainsi que de ses vols ; qui enfin s’est mariée ; et le reste de son affreuse histoire ? - Il me dit : Elle ira droit en paradis et vous en enfer. Nous avons la puissance de lier [111] et de délier. - Mais, Monsieur, lui répliquai-je, que voulez-vous que je fasse ? Je ne demande qu'à vous contenter et je suis prête à tout pourvu que je ne blesse point ma conscience ». Il me répondit qu'il voulait que j'avouasse que j'avais été toute ma vie dans le désordre ; que si je faisais cela, il me protègerait et dirait à tout le monde que j'étais convertie. Je lui fis voir l'impossibilité où j'étais d'avouer une pareille fausseté, et sur cela il tira de sa poche une lettre qu'il me dit être du P. de La Combe701.

Il me la lut et me dit ensuite : « Vous voyez que le Père avoue avoir eu des libertés avec vous qui pouvaient aller jusqu'au péché ». Je n'eus ni confusion ni étonnement de cette lettre. M'étant approchée pour la considérer, je m'aperçus qu'il m'en cachait l'adresse avec soin et même l'écriture m'en parut contrefaite quoique assez ressemblante. Je lui répondis que, si le Père avait écrit cette lettre, [112] il fallait qu'il fût devenu fou ou que la force des tourments la lui eût fait écrire. Il me dit : « La lettre est de lui - Si elle est de lui, dis-je, Monsieur, il n'y a qu'à me le confronter.702 C'est le moyen de découvrir la vérité ».

M. le curé prit la parole et fit entendre qu'on ne prendrait pas cette voie parce que le Père La Combe ne faisait que me canoniser, qu'on ne voulait pas mettre cette affaire en justice, mais qu'il amènerait des témoins qui feraient voir que l'on m'avait convaincue.

M. de Paris appuyant son discours, je lui dis que, cela étant ainsi, je ne lui dirais mot. Il reprit qu'on me ferait bien parler. « Non, lui dis-je, on pourra me faire endurer ce que l'on voudra, mais rien ne sera capable de me faire parler quand je ne le voudrai pas ».703

Il me dit que c'était lui qui m'avait fait sortir de Vincennes. Je lui répondis que j'avais pleuré en le quittant, parce que je savais bien qu'on ne m'ôtait de ce lieu que pour me mettre dans un autre où l'on pourrait me supposer [113] des crimes. Il me dit qu'il savait bien que j'avais pleuré en le quittant, que c'étaient mes amis qui l'avaient prié de se charger de moi et que sans cela on m'aurait envoyée bien loin. A quoi je répondis qu'on m'aurait fait un fort grand plaisir.

Alors il me dit qu'il était bien las de moi. Je lui dis : « Monsieur, vous pourriez vous en délivrer si vous vouliez, et, si ce n’était le profond respect que j’ai pour vous, je vous dirais que j’ai mon pasteur à qui vous pourriez me remettre ». Il parut embarrassé et il me dit qu'il ne savait que faire, et que, M. le curé ne voulant plus me confesser, il ne se trouverait personne qui se voulût charger de moi. Et s'approchant, il me dit tout bas : « On vous perdra ». Je lui dis tout haut : « Vous avez tout pouvoir Monsieur, je suis entre vos mains. Vous avez tout crédit, je n'ai plus que la vie à perdre. - On ne veut pas vous ôter la vie, me dit-il, vous croiriez être martyre et vos amis le croiraient aussi ; il faut les détromper704 ».

Ensuite il m'attesta par le Dieu vivant, comme au jour du jugement, [114] de dire si je n'avais jamais eu la moindre et légère liberté avec le P. La Combe. Je lui dis, avec ma franchise et ingénuité qui ne peut mentir, que lorsqu'il arrivait de quelque voyage, après bien du temps qu'on ne l'avait vu, il m'embrassait me pressant la tête entre ses mains, qu'il le faisait avec une extrême simplicité et moi aussi. Sur cela, il me demanda si je m'en étais confessée. Je lui répondis que non et que, n'y croyant pas de mal, la pensée même ne m'en était pas venue ; qu'il ne me saluait pas moi seulement, mais toutes les personnes qui étaient présentes et de sa connaissance. « Avouez donc, dit M. le curé, que vous avez vécu dans le désordre - Je ne dirai jamais un pareil mensonge, Monsieur, lui répondis-je, et ce que je vous dis n'a rien de commun avec le désordre et en est bien éloigné. » Si ce ne sont pas les mêmes paroles, c'en est au moins la substance.

Comme je parlais [avec] beaucoup de respect à Monsieur de Paris, il me disait : « Eh! Mon Dieu, Madame, pas tant [115] de respect et plus d'humilité et d'obéissance !» Il y eut un autre endroit où se laissant aller à l'excès de sa peine, il me dit : « Je suis votre arch[evêque]. J'ai le pouvoir de vous damner, oui, je vous damne ! ». Je lui répondis en souriant : « Monsieur, j'espère que Dieu aura plus d’indulgence, et qu'il ne ratifiera pas cette sentence ». Il me dit encore que mes filles endureraient le martyre pour moi et que c'était ainsi que je séduisais ceux qui m'avaient connue. Dans un autre endroit, en me demandant de signer que j'avais commis des crimes et d'énormes péchés, il m'allèguerait705 l'humilité de saint François qui le disait de lui. Lorsque je disais que je n'en avais point fait, l'on m'accusait d'orgueil et d'endurcissement, et si je l'eusse avoué dans le sens de saint François, l'on m'aurait donnée au public comme reconnaissant avoir commis ces infamies.

Il me demanda encore si j'étais sûre que la grâce fût en moi. Je dis à cela que nul ne sait s'il est digne d'amour ou de haine. [116] Il me reprocha l'histoire de ma Vie et voulait me faire écrire que l'envie de me faire estimer m'avait portée à écrire tous les mensonges dont elle est pleine.

Il me reprocha que je faisais prendre la meilleure viande, et examina sur le livre de la sœur ce qu'on achetait pour ma nourriture : la volaille, le vin, rien ne fut oublié. A la vérité tout y était mis avec emphase, et je me souviens d'un grand article où il y avait pour poules, pigeons et chapons, trente six sols. Le vin, qu'on avait pris pour le quinquina dont je faisais un usage presque continuel à cause de la fièvre qui me reprenait toujours, fut exagéré comme si je buvais avec excès. Mais à tout cela je n'ouvrais pas la bouche.

Enfin après bien des menaces des suites fâcheuses à quoi je me devais attendre, M. de Paris s'en alla et M. le Curé, restant, me dit : « Voilà la copie de la lettre du P. La Combe. Lisez-la avec attention, écrivez-moi, à moi, [117] et je vous servirai. » Je ne lui répondis rien, et M. de Paris l'envoya quérir pour le ramener. Voici la copie de cette lettre :

« C'est devant Dieu, Madame, que je reconnais sincèrement qu'il y a eu de l'illusion, de l'erreur et du péché dans certaines choses qui sont arrivées avec trop de liberté entre nous, et que je rejette et déteste toute maxime et toute conduite qui s'écarte des commandements de Dieu et de ceux de l'Église, désavouant hautement tout ce que j'ai pu faire ou dire contre ces sacrées et inviolables lois, et vous exhortant en Notre Seigneur d'en faire de même, afin que vous et moi réparions autant qu'il est en nous le mal que peut avoir causé notre mauvais exemple, ou tout ce que nous avons écrit qui peut donner la moindre atteinte à la règle des moeurs que professe la Sainte Église catholique, à l'autorité de laquelle doit être soumise, sous le jugement des prélats, toute doctrine de spiritualité de quelque degré que [118] l'on prétende qu'elle soit. Encore une fois je vous conjure dans l'amour de Jésus-Christ que nous ayons recours à l'unique remède de la pénitence, et que par une vie vraiment repentante et régulière en tout point, nous effacions les fâcheuses impressions causées dans l'Église par nos fausses démarches. Confessons, vous et moi, humblement, nos péchés à la face du ciel et de la terre, ne rougissons que de les avoir commis et non de les avouer. Ce que je vous déclare ici vient de ma pleine franchise et liberté. Et je prie Dieu de vous inspirer les mêmes sentiments qu'il me semble recevoir de sa grâce et que je me tiens obligé d'avoir.» Fait le 27 avril 1698. Signé Dom François de La Combe, Religieux Barnabite. »

Cette lettre m'ayant été lue par M. de Paris, je demandai à la voir. Il me fit grande difficulté. Enfin, la tenant toujours sans [119] vouloir me la mettre entre les mains, je vis l'écriture, un instant, qui me parut assez bien contrefaite. Je crus que c'était un coup de portée706 de ne pas faire semblant de m'en apercevoir dans la pensée qu'ils me confronteraient au P. La Combe lorsque je serais en prison, et qu'il me serait pour lors plus avantageux d'en faire connaître la fausseté. Ce qui me porta à dire simplement que si la lettre était de lui, il fallait qu'il fût devenu fou depuis seize ans que je ne l'avais vu, ou que la question qu'il n'avait pu porter707 lui eût fait dire une pareille chose.

Mais après qu'ils furent partis et que j'eus lu la copie que M. le curé m'avait laissée, je ne doutais point que la lettre ne fût véritablement contrefaite et que cette copie même n'en fût l'original, parce qu'on y avait corrigé un v différent de ceux du P. La Combe ; et corrigé d'une main que je reconnus, pour servir de modèle à l'écrivain, [120] lequel en contrefaisant le corps de l'écriture s'était négligé sur les v qu'il n'avait pas faits semblables à ceux du Père.

De dire tout ce qui me passa dans l'esprit au sortir de cette conversation, c'est ce qu'il ne m'est pas possible. Il est certain que le respect que je croyais devoir à un homme de ce caractère m'empêcha de lui donner un démenti en face, en lui faisant connaître que je voyais l'imposture dans toute son étendue et l'indignité du piège qui m'était tendu. Mais je ne pus me résoudre à lui donner une telle confusion, outre qu'en lui laissant supposer que je croyais la lettre véritable, je les rendais par là plus hardis de la produire au public, ce qui m'aurait donné lieu d'en faire connaître la fausseté à tout le monde, et de faire juger de la pièce par l'échantillon.

Car quoi de plus naturel, pour justifier tant de violences et pour ne laisser aux gens qui m'estimaient [121] encore aucun lieu de le faire, que de me faire mon procès sur de telles pièces et avec des témoignages si capables de les détromper ? Le public si prévenu en aurait saisi les moindres apparences, et mes amis, qu'on avait si fort au coeur, disait-on, de faire revenir de leurs préjugés, n'auraient rien eu à répliquer, et auraient dû être les premiers à me jeter la pierre, comme les ayant trompés sous un faux voile de piété : tout était fini. Et l'on n'aurait jamais pu donner assez de louanges à ceux qui auraient rendu un si grand service à l'Église : voilà ce que la droiture leur devait inspirer.

Mais, ce qui paraîtra peut-être incroyable, c'est qu'après avoir répandu cette prétendue lettre du P. La Combe dans tout Paris, et de là dans les provinces, comme une conviction des erreurs du quiétisme et en même temps comme une justification de la conduite que l'on tenait à mon égard en m'envoyant à la Bastille, il n'a jamais été question ni de cette lettre, ni des affaires du P. La Combe, dans tant d'interrogatoires qu'il m'a fallu souffrir. [122] Ce qui est encore une preuve bien certaine qu'on ne cherchait qu'à imposer au public et encore plus à Rome en confondant les affaires de M. de Cambrai avec les miennes, pour le rendre odieux à cette Cour, et justifier l'éclat qu'on avait fait par des vues que ne faisant rien à ce qui me regarde, je passe sous silence.

Une preuve encore que le P. La Combe n'avait pu écrire cette lettre, c'est que, dans cette conversation, l'on me fit entendre qu'il me canonisait. Quel rapport y a t-il à [entre] une louange si excessive, et une lettre qui suppose des crimes ! Elle n'est même pas de son style, et il est aisé d'y voir une affectation dans les termes propre à l'effet pour lequel elle était composée.

De plus le P. La Combe n'avait pu m'écrire une pareille lettre sans être le plus scélérat de tous les hommes, lui qui m'a confessée si longtemps et qui a connu jusqu'aux derniers replis de mon coeur. Mais je suis bien éloignée d'une telle pensée, l'ayant toujours estimé et regardé comme un des plus grands serviteurs que Dieu ait sur la terre. Si Dieu ne permet [123] pas que son innocence soit reconnue pendant sa vie, l'on verra avec étonnement, dans l'éternité, le poids immense de gloire réservé à ses souffrances.

Je trouvai encore le moyen d'envoyer cette copie à la même personne et la priai instamment de me la garder, car il sera toujours aisé de voir par cette copie la fausseté de l'original. Et j'ai su depuis qu'elle l'avait encore.

Ma première pensée fut de m'aller mettre à la Conciergerie et de présenter ma plainte au Parlement, attendu qu'il s'agissait de crimes. Mais, outre que je ne pouvais me tirer de cette maison qu'en impliquant autrui dans mes affaires, il me parut qu'en y étant par une lettre de cachet, je leur donnerais par cette démarche une prise sur moi dont on ne manquerait pas de me faire une nouvelle accusation, mieux fondée que les autres. Je demeurai donc en paix, en attendant ce qu'il plairait à Dieu d'en ordonner, mais comptant sur les plus grandes violences.

Je sus par cette bonne paysanne que M. de Cambrai [124] demandait sans cesse quelle mine je faisais, ce que je disais, mais Dieu ne permit pas qu'on remarquât le moindre changement ni le moindre chagrin sur mon visage ni dans mes discours. Je remarquais bien que les filles m'observaient avec attention et même paraissaient inquiètes, mais j'agissais à l'ordinaire, leur faisant les mêmes honnêtetés et gardant un profond silence. On me fit proposer adroitement de fuir pour éviter les mauvais traitements à quoi j'allais être exposée. Mais le piège était grossier, j'étais bien éloignée de le faire, car c'était donner gain de cause à mes ennemis.

Desgrez se trouvant malade, je restai trois semaines dans cette situation. Enfin, se trouvant guéri au bout de ce temps-là, il vint et me dit qu'on l'avait fort pressé de venir, et le sujet qui l'en avait empêché. Il ajouta qu'on m'accusait d'avoir commis mille crimes dans cette maison. Cette bonne paysanne se trouvant là dans ce moment, je lui demandai devant [125] lui ce que j'avais fait. « Hélas, Madame, répondit-elle, rien que du bien, et aucun mal. » Je dis à Desgrez : « Vous savez ce que je vous dis en venant : qu'on ne m'amenait ici que pour me faire des suppositions ? Le voilà bien vérifié ». Il me dit tout bas et presque la larme à l'oeil : « Que vous me faites de pitié. » Il avait ordre de ne laisser aucun papier sans l'apporter708. M. le Curé croyait par là reprendre ses lettres, mais il ne se trouva rien. En m'envoyant quelque chose, un jour, que je l'avais prié de me faire acheter - c'étaient des livres - il se trouva dedans des imprimés exécrables. Je n'y eusse jamais pris garde si, en voulant dévider un écheveau, je n'eusse aperçu au papier quelque chose d'affreux. Je brûlai tous ces papiers. S'il fit donner cet ordre à dessein, ou si c'est par hasard, Dieu le sait, mais il eut la bonté de m'assister en cela comme en tout le reste.

Il faut que je dise la disposition de mon coeur et tous les sacrifices que Dieu me fit faire dans cette maison de Vaugirard. [126] Premièrement j'y étais, malgré les bourrasques, dans une très grande tranquillité, attendant de moment à autre l'ordre de la Providence à qui je suis dévouée sans réserve. Mon coeur était dans un continuel sacrifice sans sacrifice, contente d'être la victime de la Providence.

Un jour, je ne pensais à rien, il fallut me mettre à genoux et me prosterner même, avec une certitude qu'on m'ôterait mes filles afin de me tourmenter davantage et de les tourmenter elles-mêmes pour les obliger à dire quelque chose contre moi. Je le leur dis. Elles pleurèrent amèrement et me prièrent de demander à Dieu que cela ne fût pas. Loin de le demander, j'en fis le sacrifice, ne pouvant que vouloir la volonté de Dieu.

Une autre fois, j'eus un pressentiment qu'on m'ôterait la communion. Il fallut m'y sacrifier, et consentir à ne communier qu'à la volonté de Dieu. Tout cela arriva.

Après que Desgrez eut fouillé partout, il me dit [127] qu'il fallait aller seule en prison sans mes filles. Je ne fis aucune résistance et ne donnais nulles marques de chagrin. Elles se désespéraient quand elles se virent arrachées de moi. Je leur dis qu'il ne fallait tenir à rien et que Dieu leur serait toute chose. Je partis de la sorte après les avoir vues faire mettre avec violence dans deux carrosses séparés afin qu'elles ne sussent l'une et l'autre où on les menait. Elles ont toujours été séparées, et ce qu'on leur a fait souffrir pour [les faire] parler contre leur maîtresse passe l'imagination, sans que Dieu ait permis que tant de tourments leur aient fait trahir la vérité. Il y en a encore une dans la peine depuis dix ans pour avoir dit l'histoire du vin empoisonné devant le juge. [L’]autre, dont l'esprit était plus faible, le perdit par l'excès et la longueur de tant de souffrances, sans que dans sa folie on pût jamais tirer un mot d'elle contre moi. On la mit depuis en liberté et on la rendit à ses parents. [128] Les bons traitements qu'on lui a faits et le soin que sa famille en a pris, l'ont entièrement rétablie, et elle y vit présentement paisible et servant Dieu de tout son coeur.

On me mena donc seule à la Bastille.

J'ai oublié de dire que, comme j'avais la fièvre double tierce, je prenais presque continuellement du quinquina. On allait quérir du vin au cabaret. De sorte que, quoiqu'en un autre temps il n'en fallût qu'une chopine par jour pour moi, tout le vin qu'il fallait pour le quinquina, joint à l'autre, [cela] en faisait beaucoup en peu de temps. On écrivit tout ce vin sur le mémoire, et montrant cet endroit à M. de Paris il semblait que j'en busse environ deux pintes par jour, parce que l’on n'avait pas mis que c'était pour du quinquina, de sorte qu'il me reprocha que je me gorgeais de vin et de viande. J'avais encore de si grands maux d'estomac que je ne pouvais manger. Je lui répondis que [129] j'étais sûre que s'il me voyait manger, il trouverait plutôt que je mangeais trop peu que par excès. Il demanda si j'avais jeûné tout le carême. On lui dit que oui. Il fit sur cela une certaine mine dédaigneuse. Il est certain que je n'étais guère en état de le faire, vomissant presque tout ce que je mangeais. Cependant je jeûnai tout le carême avec des douleurs inexplicables. Il fallait quelquefois se lever la nuit pour me donner un peu de vin d'Alicante : je croyais aller mourir.

Après qu'on eut enlevé le vin, cette sœur dont j'ai parlé venait pour m'en parler, et d'autres de la communauté de Paris, afin que je dise quelque chose qu'elles pussent déposer contre moi parce que, le vin n'étant plus, les preuves manquaient. Mais je ne répondais rien. M. le Curé eut même la hardiesse de dire dans sa lettre et dans ses mémoires que, ne m'étant pas contentée du meilleur vin de Paris à cent écus le muid, [130] j'en envoyais encore prendre au cabaret. Ce vin était si pernicieux qu'en ayant emporté une bouteille à la Bastille pour me justifier, et pour être un témoignage de ce qui s'était passé à Vaugirard, une demoiselle, en balayant une araignée, fit tomber cette bouteille et la cassa. L'odeur seule fit qu'elle se trouva mal, et elle fut du temps à en revenir et mourut peu après.

Je ne peux dire par le menu tout ce qu’on me fit dans cette maison ; tout ce que je peux dire, c’est que j’aurais regardé comme délice d’aller à la Bastille, si on m’y avait laissé mes filles, ou du moins une, parce que je croyais que je n’aurais à répondre qu’à M. de la Reynie, qui étant un homme droit et plein d’honneur, ne laissait craindre aucune surprise. Et comme je leur ai dit à eux-mêmes, je ne crains rien de la vérité, mais des suppositions et du mensonge.





Dernières lettres à la petite duchesse

Cette fin de correspondance débordant sur l’année 1698 confirment l’ambiance déjà évoquée précédemment. Les lettres des 3 et 16 mai sont les plus intéressantes. Nous n’avons pas voulu démembrer celle du 16 mai dont nous avons indiqué des parallèles en notes avec le récit que l’on vient de lire.

Lettres de janvier à mars

[...] J’ai été mal ces jours-ci, et la nuit encore. Le prêtre dont N. [le curé] s’était servi pour le vin, est mort en langueur. Pour moi, je me trouve bien attaquée : j’ai eu dedans de violentes douleurs, et presque continuelles. Je ne sais rien du tout, car l’ecclési[astique] ne me mande plus rien, sinon qu’une personne d’un mérite très distingué a écrit une lettre contre le pur amour qui sera imprimée mardi : ce sont ses termes. Je suis témoin que vingt et trente verres de vin ne font pas peur à l’homme dont vous me parlez. [...]709.

Je suis charmée des lettres de N. [Fénelon]. Rien n’est plus fort, plus net, plus décisif. Il y a une certaine honnêteté qui ne diminue rien de la force, et une manière délicate de démêler les choses. J’admire comme Dieu, voulant éclaircir et approfondir l’intérieur, a permis qu’on ait combattu le livre. S’il ne l’avait pas été, aurait-on été obligé d’écrire et de développer tant de belles choses ? Lorsque N[otre]-S[eigneur] me fit connaître qu’il serait ma bouche710, il ne m’a pas trompée. [...]

J’ai eu beaucoup de peine de quatre fois de suite que la jardinière a été chez nous. Grosse comme elle est, elle est très reconnaissable : tous nos gens la connaissent, Des G.711 même, qui lui a parlé plusieurs fois de sa sœur. Il vaudrait mieux écrire moins souvent à cause que ma. de ma.712, qui est fort délicate et infirme, ne peut aller si souvent aux Th[éatins]. Si vous voulez, je n’y enverrai que tous les mois ou les quinze jours ; et si vous avez quelquefois des choses pressées, vous le feriez dire à la femme, mais il faudrait lui donner un jour et une heure à laquelle on ne manquât pas. Je crains encore plus pour vous que pour moi. Si vous vouliez vous fier à Des G., puisqu’elle le sait, je crois qu’elle garderait le secret, et on irait au loin tantôt à une Église tantôt à l’autre. Enfin je vous laisse libre, pourvu qu’on n’aille plus ni chez nous ni aux Jac[obins]. Je suis bien aise que vous ayez rompu carême. Je vous embrasse de tout mon cœur et vous aime tendrement en J[ésus]-C[hrist].

J’avais écrit cette lettre, prête à vous l’envoyer, lorsque Des G. est venue, qui m’a bien surprise ; elle vous dira toutes choses. Elle a eu une grande joie de me voir. Elle m’a fait pitié, la voyant presque toute nue ; si vous aviez la charité de lui faire donner quelque vieil habit de votre garde-robe, je vous en serais obligée et je le tiendrais fait comme à moi-même.

$713

On ne peut avoir plus de chagrin que j’en ai de vous en avoir causé ...714 Je suis très fâchée de tout ce qui se fait contre N. [Fénelon]. Pour l[e] P[ère] L[a] C[ombe] je ne crains pas la confrontation et j’abandonne tout à Dieu : Il sait bien ce qu’Il veut faire de moi. Je ne comprends pas quels papiers un homme peut avoir sur lesquels on lui puisse faire son procès715. J’ai peine à croire tant de choses, mais j’abandonne tout à Dieu. Ne craignez pas de me faire peine en laissant le commerce716 ; je n’en aurai point du tout. Faites, selon votre prudence, ce que vous jugerez le plus propre. Nous nous verrons en Dieu : c’est où je ne vous oublierai jamais, quoi qu’il arrive. Je vous ai beaucoup d’obligation d’avoir gardé Des G., mais pour peu qu’elle vous soit à charge ou que [vous][f°196] jugiez à propos de vous en défaire, faites-le sans scrupule. Je ne crains rien pour moi d’elle ; je ne crains seulement qu’elle ne dise les personnes que j’ai vues, je ne le crois pas pourtant. Croyez que je périrais mille fois avant que de mettre personne en jeu. Je n’ai jamais parlé de rien à Des G. ; je ne parle jamais à mes filles de ce qui regarde mes amis. Vous vous souviendrez, s’il vous plaît, que vous m’aviez mandé que vous enverriez Des G. la première fois aux Th[éatins]. Sans cela, je n’aurais pas pris la liberté de m’adresser à elle.717

Le 20 mars, Bossuet transmet des lettres du P. La Combe à Rome.

Dernières lettres d’avril et de mai

Le 26 avril, transfert du P. La Combe de Lourdes à Vincennes.

Les choses que vous me mandez m’ont mise dans un étonnement que je ne puis exprimer. Serait-il possible que l[e] P[ère] L[a] C[ombe] fût devenu assez méchant pour faire des choses comme celle-là, et, quand il serait assez mauvais, serait-il assez fou pour les faire sans précautions, en sorte qu’il pût être surpris718 ? Et qu’est-ce que cela a de particulier avec moi ? Il est certain que N. [le curé] a été trois mois à faire le mauvais, mais d’où vient qu’il est radouci tout d’un coup, et qu’après m’avoir ôté la communion si longtemps, il a ordonné que je communiasse toutes les fêtes et dimanches ? [...] / Je suis charmée de ce dernier ouvrage, aussi bien que du premier. Je voudrais savoir combien il y a de temps que le l[e] P[ère] d[e] L[a] C[ombe] est à Tarbes719.

Le P[ère] d[e] L[a] C[ombe] n’a point demeuré avec moi à Grenoble. Il y vint deux fois vingt-quatre heures de la part de M. de Verceil720 qui me demandait. J’ai été peu de temps à Lyon : environ douze [f°201] jours chez Mme Blef, chez M. Thomé721. Je ne voyais presque personne et ne me suis jamais habillée en public. L’homme que j’y vis le plus était M. Guygou722, qui est à Paris, et un saint ; il sait si j’ai jamais rien fait d’approchant. Tout le reste de l’histoire du P[ère] général des ch[artreux]723 n’est pas plus vrai, puisqu’on ne m’a jamais fait sortir de nul diocèse, que M. de Grenoble724 lui-même me pria de m’établir à Grenoble. Je n’ai jamais vu à Lyon de fille de cinquante ans, ni d’un autre âge, et n’en connais aucune. M. de Genève725 me conta lui-même ce que l[e] P[ère] d[e] L[a] C[ombe] lui avait dit de la part de Dieu, deux ou trois ans avant que je fusse dans son diocèse et, en me le contant, il me dit : « Je sentais qu’il me disait vrai et qu’il me disait des choses que Dieu seul et moi savions. » C’est lui qui me le donna pour directeur, etc.

J’ai toujours bien cru qu’il y avait du plus ou du moins dans l’affaire du P[ère] d[e] L[a] C[ombe] : on l’enferme en lui prenant ses papiers pour lui imposer au loin tout ce qu’on veut, afin qu’il ne puisse se défendre, et mon cœur me disait toujours que cela était faux. J’ai eu des songes si positifs qui m’ont confirmé les sentiments que Dieu me mettait au cœur, que je ne puis douter de son innocence. [...]

Je sais de bonne part qu’on a assuré les filles avec lesquelles je demeure, que, lorsque je mourrai, l’on confisquera ce que j’ai en leur faveur. Le projet est tel qu’on n’appellera ni prêtre ni personne, si l’on n’avait pas le temps de faire venir N. [le curé] ; s’il vient, il prétend déclarer que j’aurais avoué quantité de choses. On fera tout fermer de la part de M. d[e] P[aris], sous prétexte d’examiner si je n’aurais point fait quelques nouveaux écrits : s’il y en a ou si l’on y en trouve, je passerai pour relapse, et sur ce pied tout sera confisqué. Elles ont dit : « Mais si elle a fait quelque testament ? – S’il est ici, a-t-on répondu, il sera supprimé. S’il est fait avant ces affaires-ci, il ne peut être valable, parce qu’il faut le renouveler tous les ans. »726

Des bruits circulent portant sur des lettres scandaleuses.

[…] Je ne puis croire que la lettre soit du P[ère] d[e] L[a] C[ombe]727, ni que les choses soient comme on les dit. Il se peut faire qu’il ait embrassé cette femme, et que le mari l’ait trouvé ; et à cela, qui n’est rien devant Dieu, on aura ajouté les derniers crimes, car si cet homme l’avait surpris, il aurait été se plaindre comme vous dites ; mais le P[ère] L[a] C[ombe] qui se serait vu surpris, n’aurait pas manqué, dans le temps qu’il aurait été faire ses plaintes, de brûler tous ses papiers. Il est aisé sur de faibles apparences, d’imposer des crimes à un homme enfermé, auquel on ne donne nul moyen de se défendre. Soyez sûre que cette lettre n’est pas de lui ; n’étant pas de lui, c’est un argument de son innocence. On ne fait pas courir de telles lettres lorsque les crimes sont assurés : on se contente de leur vérification, qui les rend incontestables. De plus, vous vous souviendrez qu’on a su qu’il y avait un papier de Saint Clément728 : si on sait celui-là, on n’ignore pas les autres, on y aura ajouté ce qu’on aura voulu. On ne les fait venir, tout cachetés pour les faire ouvrir au père de la Chaise729, qu’afin de le surprendre, de le détacher de M. de C[ambrai]. Puis on dira qu’on supprime les choses par charité.

C’est un tour qu’on me fit comme j’étais à Sainte-Marie de la rue Saint-Antoine : l’Official porta des papiers au Père de la Chaise, entre autres un aveu de moi de choses très fausses dont le père de la Chaise n’est jamais revenu ; monsieur Py[rot] n’aura pas oublié comme cela se fait et aura pu l’inspirer aux autres730. La voie qu’ils prennent de faire ouvrir cela devant le Père de la Chaise, plutôt que devant M. d[e] P[aris], m’est un juste sujet de les soupçonner, après ce qui a été fait à moi-même. On lui fit voir une lettre qu’on disait être de moi, où j’avouais avec douleur des crimes. Le bon Père l’a toujours cru et, lorsqu’on lui parlait de moi, il disait : « Ces crimes ont été avoués et vérifiés ». De plus, faites réflexion qu’un homme, assez mal pour avoir besoin de garde, n’est guère en effet de faire des crimes. Il y a plus d’apparence qu’on ne lui a donné cette garde qu’après avoir suborné le mari : cela est aisé, on aura fait dire ce qu’on aura voulu. De plus, faites réflexion qui est-ce, et comment on a tiré cette lettre des mains du Père qui s’avoue coupable. Les criminels écrivent-ils de pareilles lettres ? On n’aurait pas transporté le Père à Tarbes731, si l’on n’était pas sûr de N. Pensez à tous les tours qu’on m’a faits, à ceux qui ont été faits à M. de C[ambrai]. Pour moi, il me paraît là mille choses qui ont l’air d’une pièce jouée. Je vous assure que si cela était vrai, on lui ferait son procès en forme. C’est un ressort joué dans cette saison. Je sais que la femme du gouverneur732 est d’un intérêt [200] sordide, qui va au-delà de tout ce qu’on peut dire : elle n’est fille que d’un paysan. De plus, c’est justement en ce temps-ci que cela arrive ; c’est au père de la Chaise qu’on s’adresse pour le gagner. Il y a du plus et du moins à cela, assurément. 733.

Le 14 mai, visite de M. de Paris qui lui montre la (fausse) lettre attribuée au P. La Combe et la menace en présence de M. le Curé734.

J’ai bien de la peine à croire que la nouvelle de M. de V. soit bien vraie ; il en a dit de si fausses, etc.735 Il est vrai qu’il est aisé de suborner des témoins et de jeter des papiers dans la chambre d’un prisonnier. On me peut faire la même chose dans la fureur dont on est agité. Car à moins que la longue prison, jointe à la nécessité, ne lui ait tourné la cervelle, je ne le crois pas capable de rien faire mal à propos736. Je ne suis nullement en peine de l’écrit de Saint Clément737, parce que c’est moi qui le lui ai envoyé738. Je ne l’ai point eu de l’auteur, mais d’un copiste, lequel l’avait eu d’un autre à l’insu de l’auteur. Ne pourriez-vous rien apprendre par quelque autre endroit ? Je vous prie, ne vous alarmez pas si Dieu veut qu’il paye pour tous et succombe à la calomnie739. Lorsque je fus à Vinc[ennes], c’était des choses horribles, cependant rien du tout. Je suis contente que vous ne vous fiiez pas à Des G.740 Laissons les choses comme elles sont, mais ayez bon courage, et ne vous laissez pas abattre par l’adversité ni la crainte. [...]741.

Enfin la grande lettre adressée à la duchesse de Beauvillier, qui peut-être a le bras long de par la confiance que le roi accorde à son mari, rend compte de la séance avec l’archevêque et de la présentation de la fausse lettre (on note l’accord avec le récit de prison peut-être rédigé avec cette pièce en main) :

A Vaugirard, le 16 mai 1698.

Je prends la liberté de vous écrire, dans l’extrémité où je suis réduite, pour vous dire une chose qui m’effraie à un point qui m’étonne. M. l’archevêque est venu m’apporter une lettre du P. la Combe, à ce qu’il disait, que je connus bien d’abord n’être pas de lui ; et quand elle aurait été de lui, elle ne pouvait être pour moi, puisque je ne lui ai donné aucun sujet de l’écrire. Que s’il l’avait écrite, il ne pouvait me l’avoir écrite, à moi qui ai vécu avec lui comme j’y ai vécu. En sorte qu’à moins d’être le plus scélérat des hommes, il ne pouvait me l’avoir écrite. L’adresse même n’était pas pour moi : ils la cachèrent avec grand soin. Je vis tout cela, mais le respect que j’ai pour un archevêque m’empêcha de lui donner un démenti. Je lui dis : « Cette lettre n’est pas de son écriture. » Il me dit qu’elle était de lui. Je n’eus ni confusion ni étonnement de cette lettre, parce que je découvris l’artifice, et que je la croyais fausse à n’en pas douter. Le respect que j’ai conservé pour un homme qui m’a confessée, et pour lequel j’avais tant d’estime, m’empêcha de dire que, si la lettre était de lui, c’était un fripon. Le mot est dur à dire d’un homme de qui l’on n’a pas connu de mal, et qu’on a estimé comme un saint. Je lui dis donc que, s’il [85] l’avait écrite, il fallait qu’il fût fou, ou que la force et les tourments lui eussent fait écrire une lettre comme celle-là. Il m’attesta devant Dieu, comme au jour du Jugement, de dire si je n’avais jamais eu la moindre et légère liberté avec le P. la Combe, de lui dire la vérité devant Dieu, comme si j’étais devant Lui et à Son dernier jugement. Je lui dis avec ma franchise et ingénuité qui ne peut mentir la vérité, qui était qu’il était vrai que, lorsqu’il arrivait de la campagne, après bien du temps et des mois qu’on ne l’avait vu, il m’embrassait, me prenant la tête avec ses mains. Il le faisait avec une extrême simplicité, et moi aussi. Il me demanda si je m’en étais confessée. Je lui dis que je n’y avais point cru de mal, et que, si j’en avais fait scrupule, je m’en serais confessée. Lorsqu’il arrivait, il ne me saluait pas seule, mais tous ceux qui étaient avec moi. Vous direz que je pouvais m’empêcher de dire cela ; mais il n’y avait aucun mal, du moins qui me parût. Car, si je l’avais cru, je ne l’eusse jamais fait. M. Duhamel le faisait continuellement : des gens de quatre-vingts ans et des plus austères le disent. Enfin si j’ai dit une sottise en le disant, je ne saurais qu’y faire ; mais j’ai mieux aimé manquer par ingénuité que de m’exposer à mentir : vous savez que ce m’est une chose impossible. D’ailleurs, quand la conscience ne reproche rien, on dit des simplicités que les gens qui sont méchants savent éviter, parce qu’ils ont fait du mal.

J’avais plus de peine à dire les raisons que j’avais pour convaincre cette lettre de fausseté : premièrement, le respect d’un archevêque, auquel je ne voulais pas donner un démenti en face ; secondement, [86] la précaution pour ne leur pas dire à eux, qui sont juges et parties, que cette lettre était fausse. Elle l’était dans toutes ses circonstances : premièrement, elle n’était ni de son style, ni de son propre caractère [écriture] ; ni pour moi, mais pour un autre. Quoique la lettre fût pour un autre, je ne laissai pas de la trouver extrême, et je n’y comprenais rien, car je n’ai rien vu faire de mal en ma vie au P. la Combe. Je suis ici en un lieu où je ne puis rien apprendre, mais la lettre est fausse à mon égard dans toutes ses circonstances : premièrement, il n’a pas pu me l’écrire sans être le plus scélérat de tous les hommes et le plus grand fripon, ce que je ne puis croire. De plus, la fausseté du caractère me frappa d’abord ; je le connus bien, et je le lui dis. Mais il me dit avec finesse : « La lettre est de lui ». Je lui répondis : « Si cette lettre est de lui, il est fou742, ou il faut que la violence des tourments la lui ait fait écrire ». C’est tout ce que je pouvais dire à un archevêque que je ne puis démentir en face sans rougir moi-même. Je n’avais garde de lui dire mes justifications, car il en aurait profité. Je ne voulus pas même me trop justifier, de peur qu’ils ne cherchassent quelque malice. Mais je dis seulement qu’on me le confrontât. J’ai toujours reconnu que mon innocence a fait mon crime : en me justifiant moins, et ne disant mot. Ils espéreront peut-être faire avouer quelque fausseté ; ils voudront confronter, et c’est ce que je souhaite, car ils n’agissent qu’en faisant des libelles. Et au moins, une accusation en forme s’approfondit, et ce n’est que par là, en ces temps brouillés, qu’on peut connaître la vérité.

Gardez bien ce papier : c’est l’original de la lettre qu’il a [87] fait écrire. Il y a un v à la douzième ligne, au commencement, qui en fait voir la fausseté. Gardez bien cette copie, ou plutôt cet original, car il pourra servir un jour. Gardez bien la lettre que j’écris aussi, car si on me renferme, comme on m’en a menacée, au moins cette lettre tout entière vous certifiera de la fausseté des accusations, car j’ai bien peur qu’ils n’en viennent pas par voie de confrontation avec le père : ils ne veulent rien faire en justice. Le curé doit amener ici des témoins pour dire qu’on m’a convaincue. Pourquoi, si cela est, n’aller pas en justice ? Qu’un curé, qui me confesse, m’amène des témoins en lieu où je suis enfermée par son ordre, entre les mains de filles dont ils font la fortune pour leurs calomnies !

Je lui dis743, à M. l’archevêque, que je ne leur dirais mot. Il dit qu’on me ferait bien parler ; mais je lui dis qu’on pourrait me faire endurer ce qu’on voudrait, mais que rien ne serait capable de me faire parler quand je ne le voudrais pas. Il me dit qu’il m’avait fait sortir de Vincennes. Je lui répondis que j’avais pleuré en sortant de Vincennes, parce que je savais bien qu’on ne m’ôtait de ce lieu que pour me mettre en un autre où l’on pourrait me supposer des crimes. Il dit qu’il savait bien que j’avais pleuré au sortir de Vincennes : il me dit que c’était mes amis qui l’avaient prié de se charger de moi, et qu’on m’aurait envoyée bien loin. Je lui dis qu’on m’aurait fait grand plaisir. Alors il me dit qu’il était bien las de moi. Je lui dis : « Monseigneur, vous pourriez vous en délivrer, si vous vouliez ; et, si ce n’était le profond respect que j’ai pour vous, je vous dirais que j’ai mon pasteur à qui vous pouvez me remettre ». Cela [88] l’interdit : il me dit qu’il ne savait que faire, que M. le curé ne voulant plus me confesser, il ne se trouvait personne qui le voulût faire. Je lui dis que je n’avais donné aucun sujet de cela à M. le curé, mais que, parmi tous les jésuites de son diocèse, il s’en trouverait peut-être quelqu’un qui voulût me confesser. Il dit d’abord : « Qui voulez-vous ? », pour voir si j’en connaissais. Je lui dis qu’il n’importait lequel. Sur cela, il fut dit aux filles qui me gardent que M. le curé se mêlerait toujours de moi.

Gardez, je vous prie, la lettre que je vous écris, et cet original de la fausse lettre qu’on attribue au P. la Combe744 pour moi, qui ne fut jamais pour moi, puisqu’il n’a pu me l’écrire, ne lui en ayant donné aucun sujet, et ayant tant de lettres de lui qui prouvent le contraire. La même bouche peut-elle souffler le froid et le chaud ? Ils se plaignent, d’un autre côté, qu’il me canonise. Comment peut-il me canoniser, et m’écrire cette lettre ? Vous voyez que tout cela est faux ; et elle est d’autant plus fausse qu’elle ne peut être vraie. Il me dit assez bas : « On vous perdra ». Je répondis fort haut : « Vous avez tout pouvoir, Monseigneur; vous avez tout crédit : je suis entre vos mains, qu’on fasse tout ce qu’on voudra ; je n’ai plus que la vie à perdre. - On ne veut pas vous ôter la vie ; vous vous croiriez martyre, et vos amis le croiraient aussi : il faut les détromper. - Écrivez que vous les avez séduits, dit le curé, et avouez que vous étiez dans le désordre, lorsque vous faisiez tant d’écrits. ». Je me tournai vers le curé, et lui dis : « Je mentirais au Saint-Esprit ». Il dit, devant ou après : « Je ne dis mot, car je garde ce que j’ai à dire devant les juges ». [89] Si on m’y met, peut-être qu’on écrira ce que je dis ; mais on ne fera ni l’un ni l’autre.

Je vous prie d’avoir bon courage, ne vous abattez pas ; il n’est pas possible, après de si grandes noirceurs, que Dieu ne prenne notre cause en main. Je l’espère d’autant plus que les choses paraissent désespérées, envenimées, et pleines de malice. Oui, je l’espère, et l’attends de Dieu. Priez et faites prier : c’en est le temps. Je vous écris en présence de Celui qui sait que je ne mens point, et ce que j’écris est véritable. Peut-être ne pourrai-je vous faire savoir le reste de ce qui se passera. Cette lettre sera peut-être la dernière que je vous écrirai de ma vie, mais tenez ceci aussi vrai que si je l’écrivais au lit de la mort. Surtout ne perdez pas cet original de lettre écrite de la main de M. le curé ; cette pièce nous est très importante. Si l’on ne voulait que ma perte, je la supporterais avec joie ; mais comme on ne me veut perdre que pour perdre des saints, j’ai cru être obligée en conscience de vous faire savoir ceci.745

Dernière lettre avant la libération en mai 1703 soit exactement cinq années plus tard :

[...] J’ai la fièvre double tierce, avec de violentes douleurs. Je dois vous dire que ces filles me font signer toutes leurs dépenses et ne reconnaissent recevoir rien, de sorte qu’il paraîtrait que je leur devrai ce qu’elles dépensent. Je ne sais ce qu’il faudrait faire pour empêcher cela. Les missions dont je vous ai parlé sont dans les pays infidèles ; N.746 ne le ferait que lorsqu’il le pourrait sans s’incommoder. S’il ne l’agrée pas, faites-le moi savoir. N. m’a dit que M. de P[aris] écrivait, sans dire quoi. Je serais bien fâchée si le mariage de M[adame] de M[orstein] était rompu, et je prie Dieu qu’Il ne le permette pas, si c’est pour Sa gloire.

Le tut[eur][Chevreuse] a des lettres de M. de M[eaux] sur mes écrits qui renverseraient bien ce qu’il écrit, s’il en voulait faire usage, comme je l’y crois obligé en cette occasion. Je ne sais qui a l’attestation des religieuses de Sainte-Marie ; je crois que c’est Mme de B[eauvilliers]. Il faut tout rassembler si cela est utile pour tirer d’affaire N.747 Il serait aisé d’avoir un certificat de la manière dont j’ai vécu à Montargis. Ils ont des lettres de tous les lieux où j’ai été qui me justifient : elles sont entre les mains du compagnon748. Je vous assure que vous m’êtes bien chère et que je vous aime de tout mon cœur. Il faut espérer contre l’espérance même, et la foi nous sera imputée à justice. J’ai eu de la peine de ce cachet : est-il à nous ? Le supérieur de ces filles s’appelle M. l’abbé Bosquin ; il est grand pénitencier et maître du Collège des Quatre Nations. N. ne sera-t-il pas en soupçon de ce que vous ne m’écrivez plus par lui ?

Cette fille qui en a tant tourmenté est revenue. Elle fait encore hausser les murailles du jardin, et elle fait comme si mes affaires étaient devenues bien mauvaises. On a découvert tant de choses. Enfin je laisse tout au Seigneur. Je voudrais bien qu’on changeât d’église pour un mois, seulement afin de dépayser. J’ai une tristesse au cœur sans en savoir la cause, que je ne puis dire. J’oubliais de vous dire que M. Hugu[et]749 m’a écrit ; il se plaint que je lui ai ôté le maniement de mes affaires. Je lui ai fait réponse que je n’en avais pas été la maîtresse, que, dès Vincennes, on m’avait ordonné de prendre un homme d’affaires, ce que j’ai fait. 750.

Elle est à ce moment conduite à la Bastille et, comme cela avait été déjà le cas lors de la saisie par la police, ce transfert sera connu presque immédiatement à la Cour, le lieu où se concentrent toutes les informations :

Vendredi 6 [juin 1698] - J'appris que depuis peu de jours751 on avait mis à la Bastille Mme Guyon ; on croit qu'elle y demeurera toute sa vie. On lui laisse deux femmes pour la servir.

Elle aurait été interrogée de nouveau par la Reynie sans que nous en soient parvenues des traces ? Dangeau se fait l’écho d’un La Combe plus fragile et moins talentueux que la prévenue :

Samedi 28 [juin 1698], à Marly. - On ne parle ici que du dernier livre de M. de Meaux contre M. de Cambray, où toute la doctrine de Mme Guyon est étalée ; cette dame est toujours à la Bastille, où M. de la Reynie, par ordre du roi, l'a déjà interrogée plusieurs fois. On parle de lui confronter le P. de la Combe, qui dans son interrogatoire n'a pas été si réservé qu'elle. On dit qu'elle se défend avec beaucoup d'esprit et de fermeté.




Chapitre 8. La Bastille (4 ou 5 juin 1698 - 24 mai 1703)

Reprise en haut lieu du dossier Guyon

En haut lieu, on reprend l’affaire Guyon qui n’est toujours pas conclue. Il s’agit de mettre de l’ordre dans les documents, de tenir compte des enseignements du passé, – d’où le mémorandum de La Reynie, – enfin de préparer « l’avenir » de la prisonnière… Nous disposons de pièces de police752 :

12 mai / Le roi m'ordonne de savoir de vous M. si vous avez encore tous les papiers de Mme Guyon et tous ceux de M. Davant, ou à qui vous les avez remis, et de vous dire, si vous les avez encore, que vous ayez à les rassembler et à les mettre à part pour en faire ensuite ce que Sa Majesté jugera à propos que vous en fassiez ; car le mot de papier, il ne s'agit pas tant des pièces de procédure que vous avez faite, que des livres, mémoires, traductions, en un mot tous ouvrages de ces deux illustres personnages. J'attends votre réponse au plus tôt M. et je suis très parfaitement à vous. Pontchartrain.

Lettre du ministre à laquelle répond la Reynie :

Ce 16 mai 1698.

Après avoir reçu le 13 de ce mois, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 12, j'ai vérifié M., sur les ordres précédents que vous m'avez donnés à l'égard de Mme Guyon et de François Davant, que dès le 8 de février 1696, je vous avais renvoyé tous les papiers que j'avais de Mme Guyon, et que vous les aviez remis ensuite à monsieur l'archevêque.

Le roi ayant jugé après cela qu'il était à propos d'achever d'interroger Mme Guyon, vous m'en donnâtes l'ordre M., le 27 février, et je fus pour cet effet reprendre chez monsieur l'archevêque, les pièces dont j'avais besoin, et toute la matière dont il m'était permis de demander raison à Mme Guyon, étant entièrement épuisée par trois nouveaux interrogatoires ; outre les six premiers, je remis à M. l'archevêque ce qui me restait de Mme Guyon, suivant le compte que je vous en rendis par ma lettre du 14 avril 1696, et tout doit être encore entre ses mains.

Pour vous donner cependant M., quelque idée de ces papiers et pour vous faire connaître à peu près en quoi ils consistent, je reprends succinctement dans ce mémoire, ce que j'en ai écrit dans le temps, et je commence par la remarque que je fis dans ma dépêche du 9 avril 1696, sur ce que Mme Guyon, [84] avait avoué par l'un de ses interrogatoires, qu'elle avait mis en main sûre toutes les lettres du Père de La Combe, après avoir reçu plusieurs avis qu'on la devrait arrêter ; à quoi j'ai cru devoir ajouter qu'il était vraisemblable qu'elle en eût usé de même à l'égard de tous ceux qu'elle avait voulu tenir secrets, ne s'étant trouvés dans la maison où elle fut arrêtée, que des livres imprimés, quelques écrits qu'elle avait jugés indifférents, et des fragments qui étaient par hasard échappés à sa précaution.

On doit néanmoins trouver parmi les papiers que j'ai remis à M. l'archevêque, trois lettres sans signature, [ce] qui semblait être dès ce temps-là, d'une très grande conséquence par rapport au fait dont il s'agissait. Ce sont trois lettres du père de La Combe, Mme Guyon venait de recevoir deux, lorsqu'elle fut arrêtée et j'ai trouvé depuis la troisième, à l'adresse dont elle se servait.

Il y avait aussi des fragments d'un évangile nouveau, pour les enfants du petit maître, beaucoup de chansons et beaucoup de méchantes poésies de la composition de Mme Guyon, où elle n'avait pas gardé, du moins en quelques-unes, toute la décence et toute la circonspection qui pouvait être à désirer ; divers pièces de théâtre, dont quelques-unes sont transcrites de la main de Mme Guyon, plusieurs autres imprimées et commentées par elle-même, pour en faire des opéras spirituels, [85] à ce qu'elle a dit, avec plusieurs livres qu'une personne sérieuse ne saurait lire, ni même les garder, avec quelque bienséance.

Quant aux interrogatoires de Mme Guyon, il y en a neuf M., sans y comprendre ceux de l'abbé Couturier, ceux de la demoiselle Pescherard, et de la nommée Marc. J'ai travaillé en y procédant ainsi que je l'ai marqué par ma dépêche du 7 février 1696, sur le plan qu'il plut à Sa Majesté de me donner, après que Mme Guyon fut arrêtée ; afin qu'en faisant voir par des faits quelle avait été sa conduite, et en la comparant avec la doctrine de ses livres et avec ses prétendues voies extraordinaires, on pût encore juger par cet endroit et par la connaissance particulière, de la racine qui avait produit tous ces beaux fruits, en quelle estime ils devaient être.

Dans le récit que Mme Guyon a fait elle-même de ses voyages, de sa sortie et de son séjour hors du Royaume avec le père de La Combe, et de son retour en France avec lui après plus de huit années d'absence, il n'y a rien qui ne soit contre le bon sens et il paraît que cette femme a eu beaucoup moins de pudeur qu'il ne convenait à son sexe et à une jeune veuve.

Il paraît aussi que le père de La Combe presque aussi jeune qu'elle, homme d'esprit et qui a su la gouverner et l'instruire des opinions [86] qui lui convenaient, ayant fait prendre l'essor à cette femme, et après une étude assidue auprès de son docteur, elle a commencé à écrire et à faire des livres, et son esprit s'étant insensiblement porté après cela à désirer qu'on la crût divinement inspirée, elle a encore beaucoup lu et beaucoup travaillé, pour donner cette opinion d'elle-même.

Cependant M., les trois lettres du père de La Combe auraient pu la confondre et l'obliger à confesser tout le ministère, le concert avec ce moine et l'illusion et la fausseté de leur doctrine, si dans ses interrogatoires, elle ne s'en était rapportée à lui, en disant lors qu'elle se sentait pressée, que c'était au père de La Combe à qui il fallait demander l'explication de sa lettre, lui demander quelle était la petite Église, pourquoi il l'appelait mère de la petite Église, quelles personnes il prétendait désigner sous le titre de Colonnes de cette église et tout le reste que Mme Guyon évita par cette évasion et par le refus qu'elle fit de s'expliquer. Il n'y eut que les endroits de ces lettres qui flattaient sa vision et l'opinion qu'elle voulait toujours qu'on eût de ces prétendues révélations, qui l'obligèrent de parler et qui lui firent dire au sujet d'une autre femme qui était à Lourdes, que le père de La Combe avait aussi instruite et dressée sur le modèle de Mme Guyon, et l'une des saintes de [87] la petite Église, aussi extraordinairement inspirée, que Dieu avait donné réciproquement à cette femme et à elle, de grandes connaissances l'une de l'autre, sans s'être jamais vues. Ce fut M., à cause de ces lettres, et après y avoir fait beaucoup de réflexions, que j'eus honneur de vous écrire le 22 de janvier 1696, qu'il paraissait important de faire quelques diligences du côté de Lourdes, par quelque personne intelligente et assurée, et qu'il pourrait être aussi nécessaire de transférer et d'approcher de Paris, le père de La Combe.

Les autres choses M., qui résultent des interrogatoires de Mme Guyon, font connaître qu'elle a toujours persisté dans les mêmes opinions qu'elle avait avant d'avoir signé les Déclarations données à M. l'évêque de Meaux, qu'elle a eu des correspondances intimes avec plusieurs personnes de l'un et de l'autre sexe, laïques et réguliers, qui la reconnaissaient pour leur mère, et qu'elle conduisait suivant ses voies ; qu'elle était elle-même peu sérieusement occupée, moins encore appliquée au culte extérieur et aux devoirs de la religion, et qu'elle s'était cachée, afin de passer plus facilement dès que la saison le pourrait permettre, seule et inconnue, auprès du père de La Combe.

[des folios 88 à 97 la Reynie s’occupe longuement de Davant qu’il compare à Mme Guyon, le présentant comme un mystique doux, assez simple, ayant composé 27 volumes...]

[Cette lettre est suivie d’annotations de la Reynie à son usage personnel séparées par des traits horizontaux de séparation] :

[nouveau f°74]

[Add. marg. : Mme Guyon etc. 1698]

Le 16 de mai 1698, j'ai fait réponse à M. de Pontchartrain sur ce qu'il m'a écrit touchant Mme Guyon et Davant et je lui en ait rendu compte par le mémoire du même jour que je lui ai envoyé avec ma lettre. M. de Pontchartrain m'a écrit le – [sic] que le roi en avait voulu entendre toute la lecture.

Trait

Le [blanc] la lettre de Mr l’archevêque de Paris à Mr l’archevêque de Cambrai a parue imprimée.

Trait

Le mardi trois de juin étant à Versailles pour la petite et la grande direction, j'ai appris que dès le soir précédent, il y avait eu ordre déclaré à Messieurs l'abbé de Langeron, de Beaumont et à deux autres qui étaient auprès de messeigneurs les enfants de France, de se retirer.

Trait

Le mercredi 4 5753 Mme Guyon a été transférée de la maison où elle était à Vaugirard, à la Bastille, par le sieur Desgrez et les deux filles qui la servaient à Vincennes et j'ai su que la porte de la maison où elle était a été rompue, par l'ordre de l'ouvrier du sieur Desgrez.

Trait

On m'a dit en même temps que Mme Guyon avait fait de grandes exclamations sur les prétendues persécutions qui lui furent faites et que monsieur l'archevêque l'avait vue deux fois, qu'il voulait faire avouer qu'elle avait eu un commerce criminel avec le père de La Combe, qu'il lui avait montré une lettre du père de La Combe, et qu'elle demandait qu'on le lui confrontât.

[f°74v°] J'ai su aussi en même temps que Mme Guyon avait dès l'année dernière fait de malheureuses prédictions à l'égard du Roi et qu'elle les avait dites à M. le curé de Saint-Sulpice comme prophéties et révélations qu'elle prétendait devoir être accomplies au mois de septembre dernier. Et quoi qu'on ne dût pas attendre le temps de ce prétendu accomplissement, pour juger de l'illusion et de la fausseté, grâces à Dieu, le temps en montre encore la folie et le peu de cas qu'on doit faire de tels discours. Ils ne sont pas cependant indifférents sur cette matière. Et quand on n'en punira pas les auteurs selon toute la rigueur des lois, il faut néanmoins qu'ils soient tellement réprimés qu'on ne puisse tirer à conséquence ces mauvais exemples. Et qu’on ne souffre point à les entendre.

Trait

Les deux filles qui étaient avec Mme Guyon et qu'elle a dressées depuis plusieurs années, ont été conduites dans le donjon de Vincennes en même temps.

Trait.

[puis sur un nouveau f°76 :]

[Add. marg. : 20 de mai 1698 / tiret / Le père de la Combe / tiret/ mad. Guyon]

Si le roi juge qu'il soit à propos, nonobstant mon mémoire du 10 de mai 1698, envoyé à M. de Pontchartrain en réponse de sa lettre du 12, de demander quelque explication au père de La Combe, il faut se souvenir des corrections du père Alleaume jésuite faites et données par lui-même à Mme Guyon sur son livre du Cantiques des cantiques pour faire connaître au père de La Combe la part qu'il a eue à la composition de ce livre que Mme Guyon prétend avoir composé elle-même avec rapidité et d'inspiration, par les phrases mêmes remarquées par le père Alleaume, qui sont du pays du père de La Combe et non de celui de Mme Guyon, né à Montargis, etc. Voir les chapitres du livre du général des Chartreux qui a écrit la vie de M. d'Arenthon évêque de Genève, où il est fait mention de Mme Guyon et du père de La Combe.

§

[f°77 vide. f°78 :]

A Paris le vingt-quatrième de mai 98.

Monsieur

J'ai reçu tout ce que vous m'avez envoyé hier et aujourd'hui du sieur Davant, je ne sais pourquoi on vous a mandé de m’envoyer les papiers de Mme Guyon, car j'ai dit il y a longtemps que vous me les avez tous remis. Je suis toujours avec tous les sentiments que vous méritez / Monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur/ Louis Ant[oine] arch[evêque] de Paris

§

[f°79 vide. f°80 :]

à Versailles ce 24e mai 1698

J'ai dit à M. de Maurepas M. la visite que j'ai eu l'honneur de vous faire et tout le plaisir que m'a donné la lecture du petit mémoire que vous voulûtes bien me faire lire. Cela n'a servi qu'à l'en rendre encore plus curieux de manière, monsieur, qu'il me charge de vous prier justement de le lui envoyer. Je vous promets en honneur qu'il le dira seulement et qu'aussitôt je vous le renverrai sans qu'on en copie seulement une ligne. Le laquais qui vous porte cette lettre revient ce soir, il sera lu avant 10 heures, s'il arrive avant comme il en a ordre j'aurai assez de temps pour en faire le paquet et vous l'envoyer ce soir par la [103 – f°80v°] poste en sorte que vous le recevrez demain matin. Je suis avec respect M. votre très simple et très obéissant serviteur / Desgranges

[f°81v° : l’envoi de cette lettre cachetée : Monsieur / Monsieur de la Reynie]

§

[f°82 :]

à Versailles le 25 mai 1698

Je ne reçus qu'hier à 11 heures du soir monsieur le cahier que je me donne l'honneur de vous renvoyer, ainsi je n'ai pu le faire mettre à la poste hier comme je vous l'avais promis. Il a été trouvé plus beau que je n'avais pu dire et M. de Maurepas vous en remerciera à la première occasion. Je suis avec respect monsieur votre très humble et très obéissant serviteur/ Desgranges

§

[f°84 : En marge souligné : quiétisme]

[En marge : rapport au sentiment de Mme Guyon qui communique la grâce dont elle est remplie, en se tenant en silence auprès d'elle. Et plus bas en marge : qualifications des livres et écrits de Mr de Cambrai par un homme d’esprit]

La [blanc] de juillet 1698 après la grande direct[ion ?]à Versailles, étant à la promenade du côté de la ménagerie de Mme la duchesse, avec M. l'évêque de Meaux, M. de Breteuil conseil d'État et finance et monsieur l'abbé Fleuri [Fleury], nous avons rencontré les chevaliers Destrez et de Janson avec M. l'abbé Despreaux (?) qui revenaient du lieu où nous allions et s'étant arrêtés, descendus de carrosse où ils étaient, ils ont bien voulu encore y revenir. En chemin faisant, M. le cardinal de ... [points de suspension du ms.] a dit que ses dernières nouvelles de Rome portaient qu'on y découvrait qu'on y arrêtait tous les jours des quiétistes et que quelques-uns d'eux avaient dit qu'ils se communiquaient réciproquement dans leurs sectes la grâce en appliquant l'un à l'autre la région du coeur et à nu. / M. le C. a montré aussi une lettre qu'il a dit avoir reçue par le dernier ordre de M. l'abbé ... [ms.] qui est homme d'esprit et connu pour tel, qui lui écrivant des livres de monsieur l'archevêque de Cambrai et de ses écrits les qualifie ainsi : un quiétismo soprafino, un fanatismo extravagante e un pedantismo cicanoso.

§

[f°85 vide. f°86 reprise de la main de la Reynie :]

[add. marg. : M. de Guyon / le père de la Combe]

Ce 23 de juillet 1698 Mr de Marellere754 a dit au bureau comme une histoire dont il ne faisait aucun secret ni mystère, qu'une dame de distinction lui avait raconté que monsieur du Coudray qu'elle dit être officier de guerre considérable, étant à Casal en fonction, un homme vêtu de gris avec une femme communément habillée ayant demandé à loger dans Casal pendant quelques jours ; et qu'il les avait fait loger, qu'ils passaient pour mari et femme mais que après quelques jours, un capucin l'ayant averti que ce n'était pas ce qu'il pensait et lui ayant dit que la femme était Mme Guyon et que le prétendu mari était le père de la Combe, il les avait fait partir de Casal

Trait

S'il était avisé de savoir qui est ce monsieur du Coudray, il ne serait peut-être pas inutile d'éclairer le fait, sans commettre personne ni prendre aucun pied sur ceux qui ont fait ce récit

§

[f°87 vide. f°88 :]

[En partie gauche du feuillet, laissé vide comme les suivants en vue de corrections et d’annotations : 7bre 1698 / Mémoire sur le rapport que la Doctrine de Mme Guyon et celle de M. De Fénelon archevêque de Cambrai ont paru avoir l'un et l'autre à M. de la Reynie, qui déclare de sa propre main en être l'auteur, et qui marqua à la fin de cet écrit dans quel temps il l'a composé.]

Les faits qui sont rapportés dans l'écrit qui a pour titre "Relation sur le quiétisme" sont si précis, les conséquences qui en sont tirées, sont si justes et les raisonnements qui sont appuyés sur ces mêmes faits et sur leurs conséquences paraissent tellement fort et si solides, qu'il semble en lisant la réponse qu'on y a fait, que ce dernier écrit n'est qu'un simple jeu d'esprit et de parole, où l'auteur s'est proposé seulement de prouver qu'on peut toujours écrire en quelques cas qu'on se trouve, et qu'on doit toujours contredire bien ou mal, les faits les plus évidents, quand on a pris une fois le parti de les contester.

Cela supposé et que les faits, les conséquences et les raisonnements de la relation du quiétisme, subsistent toujours également, même après la réponse qu'on y a fait, on pourrait ce semble proposer comme une difficulté préalable à examiner, s'il convient et s'il est nécessaire ou non, de répliquer à cette dernière réponse ; et que cette difficulté qui mérite [108 - f°88v°] d'être bien considérée : un homme qui ignore entièrement les matières qui sont traitées dans les écrits dont il s'agit et qui n'a presque tout autre connaissance des faits, que celle que la lecture de ces mêmes écrits lui en a donnée, ne peut raisonnablement proposer aucun avis.

Il semblerait cependant, si la réponse à l'écrit du quiétisme n'avait changé ni détruit aucun des faits posés et justifiés par les preuves écrites qui sont rapportés dans la relation du quiétisme, qu'il ne serait pas nécessaire de les retoucher nouveaux pour les confirmer par d'autres raisonnements, ou par d'autres et nouvelles preuves aussi écrites, à moins que ces preuves nouvelles ne fussent entièrement conformes en tout, ou plus fortes que les premières ; pouvant être à craindre sans ces conditions que dans une réplique, la répétition de ce qui a été déjà avancé et bien prouvé une fois, n'affaiblit en quelque sorte la force et l'effet de la preuve déjà bien établie.

En considérant au contraire [109 – f°89] la merveilleuse facilité…

[Nous omettons la suite de ce long essai surtout théorique opposé à Fénelon folios 110 à 181 [f°89 se concluant ainsi f°125 :] « …tiret - J'ai commencé de travailler à faire ce mémoire le mois de septembre 1698, après le départ du roi pour le voyage de Compiègne et je l’ai fini dans le même mois de septembre.»]

Lettres policières afférentes au transfert à la Bastille.

Une incarcération à la Bastille n’avait rien de déshonorant puisqu’on n’y était enfermé que par lettre de cachet. Celle-ci était, en général, libellée comme suit : « Monsieur le Gouverneur, envoyant en mon château de la Bastille le sieur X... mon intention est que vous ayez à l’y recevoir et retenir en toute sûreté, jusqu’à nouvel ordre de moi... ». Suivaient la signature du roi et le contreseing du ministre. Ces lettres ou billets sont ici écrits par le ministre Pontchartrain755.

A M. Le Peletier :

Versailles, 31 mai 1698. / J'envoie à M. l'archevêque de Paris un ordre pour faire conduire à la Bastille Mme Guyon, avec une des filles qui la servaient et une autre fille à Vincennes; il faut les mener toutes séparément, prendre les papiers et cassette de Mme Guyon, si M. l'archevêque vous dit de le faire, et suivre en toute cette affaire ce qu'il vous prescrira.

A M. du Junca :

31 mai 1698. / Mme Guyon et une fille qui la sert doivent être conduites à la Bastille ; il faut mettre Mme Guyon dans une bonne chambre, la bien traiter, et lui donner une ou deux femmes à son choix pour la servir ; vous saurez de M. l'archevêque de Paris quelles femmes vous mettrez auprès d'elle, et recevrez celles qu'il pourra donner ; sinon vous en choisirez, s'il vous dit de le faire, et observerez en cela la conduite qu'il vous marquera. Il ne faut point que Mme Guyon et les femmes qui la servent aient aucune communication avec cette servante756 qui sera menée en même temps qu'elle, et vous devez la mettre dans une chambre séparée, et faire en sorte que Mme Guyon ne sache point qu'elle soit à la Bastille.

A M. de Bernaville :

31 mai 1698. / Le Roi a donné ordre pour faire conduire à Vincennes une femme de Mme Guyon ; il faut qu'elle n’ait aucune communication au-dedans ni au-dehors, et surtout bien observer que le P. de la Combe ne sache pas qu'elle soit à Vincennes et qu'il n'en entende parler en aucune manière.

Aussi, le 4 juin a lieu le transfert à la Bastille, décrit dans le journal de M. du Junca757 :

Du mercredi, 4 juin, à dix heures du matin. M. Desgrez a mené ici une prisonnière, Mme Guyon, sans aucune fille avec elle, l'ayant amenée d'une communauté des environs de Paris, laquelle j'ai reçue et mise seule dans la deuxième chambre de la tour du Trésor, M. Desgrez lui ayant fait porter deux charretées de meubles. Du dimanche au soir huit, j'ai donné une femme de chambre à Mme Guyon, par l'approbation de M. l'archevêque de Paris, en ayant reçu l'ordre de la Cour.



Suite du récit des prisons.

Nous abordons la plus longue période d’emprisonnement qui commence le 4 juin 1698 et se terminera presque exactement cinq années plus tard, le 24 mai 1703. Elle a lieu dans la plus célèbre prison de l’Ancien Régime. Les documents qui nous sont parvenus sont maigres : le récit de la prisonnière et quelques traces policières. Le nadir se situe au tournant du siècle : en l’année 1700 ses amis ignorent si elle est vivante.

Seule à la Bastille

Je fus donc mise seule à la Bastille dans une chambre nue758. J'y arrivai la veille de la petite fête de Dieu759. Je m'assis [131 d'abord à terre. M. de Loncas [du Junca] me prêta une chaise et un lit de camp, jusqu'à ce que mes meubles fussent venus. Cela dura quatre ou cinq jours, après quoi je fus meublée. J'étais seule avec un contentement inexplicable. Mais cela ne dura pas, car on me donna une demoiselle qui, étant de condition et sans biens, espérait faire fortune, comme on lui avait promis, si elle pouvait trouver quelque chose contre moi. Je sentis la peine d'être gardée à vue, non que je craignisse, mais c'est que je perdais ces heureux moments où, étant seule avec mon cher Maître, rien ne me distrayait de lui, et je ne vois pas de bonheur pareil à celui d'être seule.

Comme parmi mes meubles qui étaient à Vaugirard on m'apporta beaucoup de livres, comme l'Écriture Sainte et d'autres bons livres, on alla dire à la Cour qu'on m'avait apporté une charretée de livres, on avait dit que c'étaient des livres [132] très mauvais, et l'on ordonna qu'on en fit un inventaire. M. du Junca les fit emporter, et ayant pris un écrivain on fit l'inventaire. L’on fut surpris de voir qu'il n'y avait que de bons livres. Il s'y en trouva un de petits emblèmes de l'amour divin760. On mit sur le mémoire : « Emblèmes d'amour ». Je dis à M. du Junca : « Achevez donc ce qu'il y a après. » Il avait de la peine à le faire. On porta le mémoire à M. de Paris qui, ne voyant rien moins que ce que l'on avait [fait] entendre à la Cour, n'y envoya pas le mémoire, se contentant de la persuasion où elle était que j'avais des livres abominables.

J’eus beaucoup à souffrir d'abord tant de la dureté que l'on affectait d'avoir pour moi, qu'à cause de l'humidité du lieu où il y avait longtemps que l'on n'avait fait du feu, ce qui me causa une très grande maladie et très douloureuse. Je ne pouvais m'aider dans mon lit. [133] Il me prit comme une défaillance qui dura près de vingt-quatre heures. On croyait que j'allais mourir. Je revins un peu, et je dis à M. du Junca qui était là avec le porte-clefs, que je le priais de dire à M. de Paris que j'étais innocente des choses dont on m'accusait et que je le protestais en mourant. Le porte-clefs qui était un très honnête homme, dit : «  Je le crois bien, pauvre dame.  » Je ne parlais encore de longtemps après, mais j'entendais fort bien M. du Junca lui dire : « Si vous parlez de ceci, vous n'aurez point d'autre bourreau que moi ». Dans le moment que je pus parler, je demandai à me confesser. Le P. Martinot [Martineau] vint pour la première fois.

Je ne le connaissais pas. Je me confessai avec assez de peine. Lorsque j'eus commencé à le faire, il fut quérir le médecin qui était en bas. Je fus surprise de voir qu'il n'achevait pas d'entendre ma confession. Il revint avec le médecin. Il lui [134] demanda si j'allais mourir tout à l'heure. Le médecin lui répondit que non, à moins qu'il ne survînt quelques nouveaux accidents. Alors le P. Martineau me dit : «  Je n'ai de pouvoir de vous confesser qu'en cas que vous alliez mourir tout à l'heure.  » Je lui dis que, s'il me prenait quelques nouvelles syncopes, je ne serais plus en état de me confesser et qu'ainsi je mourrais sans confession. Il en avait ouï la plus grande partie. Il s'en retourna sans vouloir m'entendre, disant qu'on lui avait défendu de me confesser, et que si je mourais, comme cela ne dépendait ni de lui ni de moi, que je fusse en repos. Je ne sais si ce sont ses termes, mais c'est le sens. Et les mêmes discours m'ont été réitérés plusieurs fois. J'étais véritablement fort en repos, n'ayant rien qui me fit peine de ce côté-là et ayant mis mon sort entre les mains de Dieu.

J'avais toujours cette femme qui épiait mes paroles et toutes choses, [135] croyant faire fortune par là. Une de mes femmes m'envoya, par Desgrez, un bonnet piqué qu'elle avait fait. Cette femme le décousit. Il y avait un billet écrit de son sang, n'ayant pas d'encre, et elle me mandait, dans un petit morceau que j'y trouvai encore, qu'elle serait toujours à moi malgré ce qu'on lui pouvait faire. Elle le prit encore et donna le tout à M. du Junca.

Sitôt que je pus me tenir debout761 dans une chaise, M. d’Argenson 762 vint m'interroger. Il était si prévenu et avait tant de fureur que je n'avais jamais rien vu de pareil. Car il faut remarquer que, ayant vu que M. de La Reynie m'avait rendu justice, on lui avait donné un autre emploi et l'on avait fait tomber le sien à celui-ci, qui était lié de toutes manières aux personnes qui me persécutaient. J'avais résolu [136] de ne rien répondre. Comme il vit en effet [que] je ne lui répondais rien, il se mit dans une furieuse colère et me dit qu'il avait ordre du roi de me faire répondre. Je crus qu'il valait mieux obéir, je répondis. Je crus que du moins, malgré ses préventions, il mettrait les choses comme je les disais. J'avais vu tant de probité et de bonne foi dans M. de La Reynie que je croyais les autres de même.

On commença, quoique je fusse très faible, un interrogatoire de huit heures sur ce que j'avais fait depuis l’âge de quinze ans jusqu'alors, qui j'avais vu, et qui m'avait servie. Ces trois articles furent le sujet de plus de vingt interrogatoires, chacun de plusieurs heures. J’avoue que je manquai d'esprit dans cette occasion, Dieu le permettant sans doute de la sorte pour me faire beaucoup souffrir. Car rien ne m'a jamais tant fait souffrir que ces interrogatoires [137] où, sûre de dire la vérité, je la disais, mais je craignais de ne la pas dire assez exactement faute de mémoire. Les tours malins que l'on donnait à tout et aux réponses les plus justes, ne les rendant jamais ni dans les termes, ni dans le sens, sont des choses qui ne se peuvent exprimer. Je n'avais qu'à dire qu'ayant été interrogée par M. de La Reynie, je n'avais plus rien à répondre sur toutes ces choses, que si j'avais fait quelque chose depuis Vincennes, il n'y avait qu'à le faire voir, mais je m'avisais de cela trop tard. D'ailleurs, comme on se flatte toujours et qu'on ne croit pas la malice aussi grande qu'elle est, je me persuadais qu'on voulait s'informer à charge et à décharge, comme je le demandai d'abord, et j'étais sûre qu'une information de cette nature aurait fait paraître mon innocence à toute la terre. Mais on [138] était bien éloigné de cela.

Comme il y avait eu de fausses lettres où mon écriture était si bien contrefaite que j'aurais eu bien de la peine à la reconnaître moi-même si, outre la différence du style, on ne m'avait pas fait écrire des lieux où je n'avais jamais été et à des gens que je n'avais jamais connus, pour ne point tomber dans cette méprise, on voulut s'assurer des lieux qu'il763 avait désignés. [Je dis] que je n'avais point changé les filles qui étaient auprès de moi, que pour les autres, ç'avait été selon l'occurrence, et que les laquais ayant toujours été mis en métiers, je ne pouvais m'en souvenir. Quelque chose d'approchant.

On en vint où l'on voulait, qui était mon veuvage. Je répondis la vérité article par article, et [au sujet] de mon voyage à Gex, de même que celui que je fis avec le Père La Combe, où j'avais pris un ancien religieux pour nous accompagner. [139] On ne voulait rien mettre de cela. On faisait toujours en sorte qu'il semblait que j'étais seule avec lui. [Dans] un [voyage] que je fis de Thonon à Genève où il n'y a que trois lieues, nous étions cinq ou six. Il ne le voulut jamais mettre de la sorte et fit écrire : « Elle a été avec lui à Genève. » Quelque chose que je pusse dire, on passait outre. On me montra un ordre du roi - faux ou vrai ? - de ne garder aucune forme de justice avec moi.

Il mit une fois, de lui-même, parlant de quelque chose qui s'était passé chez M. Fouquet, que je n'y demeurais pas encore alors. Je lui dis que je n'y avais jamais demeuré et qu'il ne fallait pas mettre cela. Il me dit : « J'ai à vous interroger demain là-dessus et je le mettrai. » Comme je ne pénétrais pas alors toute sa malignité, je le crus et signai. Le lendemain je lui dis donc de remettre que jamais je n'avais demeuré chez M. Fouquet. [140] Il n'en voulut rien faire.

Il faut savoir qu'il y avait chez M. Fouquet une des parentes de Madame sa femme qui avait été mariée à un homme qui avait deux femmes, ce qui fit grand bruit. Il fut mis en prison. Elle se blessa, et comme elle accoucha avant terme à cause d'une grande chute et qu'on plaidait, ayant affaire à un homme rusé et malin, il fallut garder l'enfant six semaines, jusqu'aux neuf mois. On le fit baptiser à St Germain et l'enfant mourut dès que le terme fut arrivé. Ils savaient cette histoire du curé. Comme on profitait de toutes ces histoires, et qu'on en grossissait les mémoires pour Rome et ceux de la Cour, ils avaient fait rouler cette affaire sur moi sans que je le susse, et, pour y donner couleur, ils avaient mis que je ne demeurais pas encore chez M. Fouquet, afin qu'il parût que j'y avais demeuré ensuite, et justement dans le temps [141] de cet accouchement. Il m'arriva plusieurs autres choses de cette nature qui marquaient la malice et la mauvaise foi de M. d’Argenson.

Il me demanda ensuite combien j'avais vu de fois M. de Cambrai. Je lui dis : « Je n'ai jamais été chez lui. Il est venu chez moi par ordre de M. de Meaux - comme il était vrai - et jamais seul.» Lorsqu'il y vint de la part de M. de Meaux, c'était pour quelque affaire de St Cyr. Il mit que M. de Cambrai était venu trois fois chez moi, et ne voulut jamais mettre : par ordre de M. de Meaux, se fâchant même que je prononçasse son nom, comme si je l'avais profané. Lorsqu'il s'agissait de M. de Cambrai, il se mettait en fureur. Je lui dis : « Monsieur, un juge ne doit point être si partial et montrer tant de colère contre les personnes qu'il interroge ou contre ceux qu'il veut mêler dans l'interrogatoire, et tant de dévouement pour leur parti. » Il devint tout en feu, et ensuite il ne fit plus [142] le lion mais le renard.

Quelquefois il se mettait en colère contre les réponses que je lui faisais et disait qu'on me donnait des avis. On regardait partout pour voir si cela pouvait être. On mit un treillis de fil d'archal au haut de la cheminée, afin, disaient-ils, qu'on ne jetât point d'avis par là. Je lui dis, comme il était vrai, qu'on ne m'avait point donné d'avis, que j'étais gardée à vue de tous côtés et que ma tour était très haute. Il me dit : « C’est donc un ange qui vous dicte les réponses ! » Il disait cela avec tant de colère et de mépris, que des personnes équitables qui l'auraient vu, l'auraient regardé comme un homme incapable d'être juge dans une affaire où il témoignait tant de passion. Ce fut sur ce pied de prévention et de colère qu'il tourna toutes mes réponses, sans entendre que très peu comme je les disais.

Un jour, comme il s'en allait, le greffier ramassant des papiers [143] pour les remettre dans le sac, me dit tout bas : « Pauvre dame, que vous me faites pitié! » Il s'aperçut que j'étais restée près du greffier. Je parlai haut d'une chose indifférente. Il lui jeta un regard épouvantable et ne [le] quitta point qu'il ne fût sorti. Depuis ce temps-là le greffier n'osait me regarder.

J'avoue que si j'eusse pu deviner le traitement que me fit M. d’Argenson, si différent de celui de M. de La Reynie, je ne lui eusse jamais répondu. Mais la peur de faire tort à d'autres en ne répondant pas, me fit rompre un silence que j'étais résolue de garder. Je souffrais d'une oppression si étrange, faite par un juge malicieux et rusé qui avait par écrit ses matières prêtes, et qui donnait à mes réponses un tour violent, tâchant de glisser son venin ; moi, sans défense et sans conseil, observée de toutes parts, maltraitée en toutes manières, [et] qu'on tâchait d'intimider [144] de toutes façons.

Après qu'il eut mis que je ne demeurais pas alors chez M. Fouquet, M. du Junca me vint parler du curé de St Germain comme d'un homme qui était son ami et qui savait bien de mes nouvelles. Comme M. Fouquet et sa parente m'avaient confié toutes choses, je compris alors pourquoi M. d’Argenson avait fait mettre cela dans mes réponses, et j'en vis toute la malignité. Ensuite le gouverneur et M. du Junca me faisaient des mines très sévères et effrayantes, mais tout cela ne m'épouvantait pas. Le meilleur rempart est l'innocence et la confiance.

Le « mouton »

Après cet interrogatoire si long qu'il dura près de trois mois, et qu'on [n'] en a jamais tant fait aux plus grands criminels, on prit deux ans, apparemment pour s'informer partout. On demandait à cette femme que j'avais auprès de moi, si je ne parlais pas contre la religion, [145] si je ne faisais pas de crimes. Elle leur dit que j'étais bien éloignée de cela, que j'étais pleine de douceur et de patience, que je priais Dieu et lisais de bons livres, et que je la consolais ; car elle était dans un désespoir horrible dont je dirai la cause.

C'était une femme de condition, mais très pauvre, chargée de trois enfants. Elle trouvait un bourgeois de Paris, très riche, qui la voulait épouser, et qui aurait donné son bien à ses enfants et à elle, si elle n'en avait point. On lui avait fait croire qu'elle devait demeurer auprès d'une dame dans un couvent, qu'elle verrait qui il lui plairait, que ce n'était que pour trois mois et qu'elle sortirait même pour ses affaires. Cependant on la pressa de venir à la Bastille pour parler à M. du Junca.

Lorsqu'elle y fut venue, on la fit monter dans une chambre, et on l'enferma avec moi. Elle y fut quelques jours sans s'affliger, croyant qu'elle sortirait pour mettre ordre à ses affaires. Mais lorsqu'elle vit qu'on ne voulait pas la laisser sortir, ni parler [146] à personne, elle entra dans des désespoirs effroyables. Elle s'en prenait à moi et me disait ce que la fureur lui inspirait. Je l'assurai que j'avais des filles qu'on m'avait ôtées de force764, et qui se seraient regardées comme très heureuses si elles avaient pu passer leur vie avec moi dans la prison, qu'on me la donnait de force, de même qu'on l'y retenait. Elle s'apaisait un peu. On lui promit même une très grande fortune, si elle pouvait dire quelque chose contre moi765.

Quoiqu'elle fût Thiange du côté de sa mère, et d'une aussi bonne maison du côté de son père, cousine ou plutôt nièce à la mode de Bretagne de Madame la Maréchale de La Motte, elle avait été élevée avec si peu de religion qu'elle n'en connaissait pas les premiers principes que les enfants apprennent dans leur bas âge, ne connaissant Dieu qu'à peine. Tout lui paraissait permis. Elle n'était point capable d'être touchée d'aucun sentiment de Dieu. Et comme ce que je pouvais dire pour la consoler, dans les [147] commencements, lui était suspect à cause des mauvaises impressions qu'on lui avait données contre moi, elle croyait qu'une femme peut faire un mariage de conscience avec un homme déjà marié, qu'il suffisait de se promettre la foi l'un et l'autre pour être légitimement mariés, quoique l'homme eût une autre femme. J'eus toute la peine du monde à la désabuser là-dessus.

Elle croyait qu'il lui était permis de me prendre tout. Elle coupait mes draps et s'emparait de tout ce que j’avais à cause que j'étais là766. Outre mes peines, une grande maladie que j'eus ensuite des tourments de M. d'Argenson, j'étais tout le jour occupée à l'empêcher de se désespérer. Je n'osais paraître triste ni même recueillie devant elle. On aurait cru que ma tristesse était une preuve de mon crime, et le recueillement en eut été un autre très affreux. On m'observait donc en toutes manières. J'assure que ce n'était pas un petit tourment.

Cependant cette femme était quelquefois [148] touchée des bontés que j'avais pour elle et de ma douceur ; mais comme on la menait une ou deux fois la semaine, pendant plusieurs heures, en quelque lieu où on l'interrogeait avec toutes sortes de promesses, où on lui disait que j'étais une hypocrite et une hérétique, lorsqu'elle revenait de [ces] conversations, de la chambre au-dessous de la mienne, elle me regardait avec étonnement et horreur. Quand elle avait été quelques jours sans leur parler, elle prenait de l'estime pour moi, mais les désespoirs ne finissaient pas pour cela. Enfin elle tomba malade de chagrin. C'était une fièvre continue très violente et une inflammation de poitrine. Elle me parut d'abord très mal. Je priai M. du Junca de la faire confesser. Il ne le voulut point. Elle en avait cependant un extrême besoin car je la voyais frappée à mort. J'en pris plus de soin qu'une servante n'en prend de sa maîtresse. Étant seule avec elle, je fus sept nuits sans me (149) déshabiller ni me coucher. Il fallait souvent vider ses bassins. Je faisais tout de grand cœur, mais sans force. Je lui parlai de Dieu tant que je pus.

Une nuit je la trouvai très mal, je lui fis faire des actes de contrition. Elle promit à Dieu avec larmes de ne plus retomber en ses péchés si elle revenait. Elle s'imaginait que, sitôt que je n'étais plus auprès d'elle, le Diable entrait et se tenait près de son lit, de sorte qu'elle m'appelait avec un effroi horrible. J'y allais avec de l'eau bénite. Sitôt que je paraissais, elle disait : « Il disparaît ». Comme je vis l'état où elle était, je priai M. du Junca avec la dernière instance de la faire confesser. Il me dit d'un air affreux... (la réponse manque)767. La nuit, elle fut très mal. Je fis ce que je pus pour l'exhorter. Sur le matin, n'en pouvant plus, je me mis sur mon lit. Elle m'appela : « Madame, venez vite! » Je n'eus que le temps de descendre du lit et de prendre des mules. Elle me dit : (150) « Il n'est plus temps ; je suis à lui, cela est fait, je suis damnée. » Je fis ce que je pus pour la consoler.

Les soins que j'avais d'elle, ce que je lui disais, la dureté des autres à ne point vouloir la laisser se confesser, ne voyant point de médecin ni chirurgien qui vînt la saigner, elle eut une grande estime pour moi, et dit : « Puisque je suis damnée, il ne faut pas que je sois dans votre chambre. » Comme je fis dire qu'elle était très mal, le chirurgien vint avec M. du Junca. Elle dit : « Qu'on m'ôte d'ici : je suis damnée. » Ils croyaient avoir trouvé la pie au nid, et qu'elle voulait dire qu'on l'ôtât de ma chambre parce que je la faisais damner. C'était le contraire qu'elle disait, que, puisqu'elle était damnée, il ne fallait pas qu'elle restât dans ma chambre.

On prit des témoins de ce qu'elle disait. On fit venir le médecin à qui elle dit la même chose. On crut tirer d'elle beaucoup de choses contre moi. On la vint (151) enlever sur le soir, et on y fit aller l’aumônier de la Bastille. Elle avait demandé le curé ou le vicaire de St Côme, mais on ne le voulut pas faire venir. L’on espérait que l'aumônier en tirerait bien des choses contre moi et que le témoignage d'un mourant pourrait être d'un grand poids. Mais le transport lui prit, elle leur dit du bien de moi, ne voulut point se confesser à l'aumônier et demanda toujours son confesseur. Comme elle m'avait [confié], la nuit, une partie de ses péchés, j'étais très affligée de la voir mourir sans confession, en l'état où elle était. Mais comme ils lui refusèrent son confesseur, elle acheva d'entrer dans un délire absolu. Quoique son mal fût une inflammation de poitrine où l'on ne saigne jamais du pied, l'envie qu'ils avaient de tirer quelque chose d'elle contre moi fit que, ne ménageant rien et ne songeant qu'à me faire du mal, on la saigna (152) deux fois du pied coup sur coup, ce qui la fit mourir sans lui ôter son transport.

Comme ils voulaient se servir contre moi, de façon ou d'autre de ce qu'ils prétendaient tirer de cette femme, la chose leur ayant manqué, ils dirent au P. Martineau qui venait me voir de loin à loin, dans la vue qu'il me le dirait, qu'il y avait de fortes dépositions de cette femme contre moi. Le Père qui le crut à la bonne foi et qui ne pénétrait rien au-delà, me le fit entendre, la première fois que je le vis. Je ne lui parus point étonnée, comme en effet je ne le fus point. Car n'étant plus en état d'inventer, je ne craignais rien de la vérité, mais tout du mensonge. Le Père me dit que le témoignage d'une personne mourante était bien fort.

M. d'Argenson vint encore avec un air plus sévère qu'à l'ordinaire. Il me dit que cette femme disait bien des choses contre moi, faisant (153) entendre qu'elle était encore en vie et en état de m'être confrontée. Comme je suis trop franche, je lui répondis qu'elle était morte. Il me répondit : « Comment le savez-vous ? » Je lui dis que je n'en doutais pas, quoiqu'on ne me l'eût pas dit. Comme il crut qu'on me l'avait dit, il se servit de ce qu'elle pouvait avoir déclaré, disait-il, en mourant. Je lui dis qu'elle était sortie de ma chambre le transport au cerveau. Lorsqu'il vit que je ne prenais pas le change, il rengaina cet interrogatoire et chercha autre chose à m'interroger sur cette femme, et mes réponses auraient été écrites, mais Dieu ne le permit pas.

Un grand vide

Il semblait que Dieu se mît du parti des hommes en ce temps-là, car j'étais fort exercée au-dedans et au-dehors. Tout était contre moi : je voyais tous les hommes unis pour me tourmenter et me surprendre, (154) tout l'artifice et la subtilité d'esprit de gens qui en ont beaucoup et qui s'étudiaient à cela ; moi, seule et sans secours, sentant la main de Dieu appesantie sur moi, qui semblait m'abandonner à moi-même et à ma propre obscurité : un délaissement entier au-dedans, sans pouvoir m'aider de mon esprit naturel dont toute la vivacité était amortie depuis si longtemps que je cessais d'en faire usage pour me laisser conduire à un Esprit supérieur, ayant travaillé toute ma vie à soumettre mon esprit à Jésus-Christ, et ma raison à sa conduite ; mais, dans tout ce temps, je ne pouvais m'aider ni de ma raison ni d'aucun soutien intérieur, car j'étais comme ceux qui n'ont jamais éprouvé cette admirable conduite de la bonté de Dieu et qui n'ont point d'esprit naturel. Lorsque je priais, je n'avais que des réponses de mort. Il me vint dans ce temps le passage de David : « Lorsqu'ils me persécutaient, j'affligeais (155) mon âme par le jeûne »768. Je fis, aussi longtemps que ma santé me le permit, des jeûnes très rigoureux et des pénitences austères, mais cela me paraissait comme de la paille brûlée. Et un moment de la conduite de Dieu est mille fois d'un plus grand secours.

On me donna une autre fille qui était filleule de M. du Junca. Il lui fit comprendre même qu'il l'épouserait afin d'en tirer plus que de l'autre. Et [il] lui donnait les plus forts témoignages de passion. Comme elle n'avait que dix-neuf ans et qu'il était persuadé qu'il n'y a rien qu'on ne fasse faire à ceux dont on est aimé, il crut avoir trouvé un moyen sûr de réussir dans ses desseins et de se faire un mérite auprès des personnes qui me persécutaient. Je crois qu'il aurait eu de la considération pour moi sans cette grande envie qu'il avait de leur plaire. Il ne me le celait pas et me disait que, devant sa fortune à Messieurs de Noailles, il n'y avait rien qu'il ne fît pour eux ; qu'ils lui avaient promis qu'il serait gouverneur de la Bastille, qu'on n'avait pu se dispenser d'y mettre M. de Saint-Mars, (156) mais qu'il allait mourir, et qu'ainsi il ne reculait que pour mieux sauter. J'eus au cœur qu'il ne serait jamais gouverneur de la Bastille et, sans m'expliquer, je lui dis que souvent les plus vieux survivaient aux plus jeunes. Cependant on envoyait toujours à Rome de nouvelles informations qu'on faisait contre moi, et, pourvu que l'on pût par artifice donner quelque couleur à la calomnie, c'était assez.

D'un côté, le P. Martineau me disait les choses les plus outrées, comme si j'avais été la dernière des misérables, même des injures. Mais je voyais qu'il se faisait violence et qu'étant naturellement honnête, il ne faisait que suivre les instructions qu'on lui donnait. Deux ou trois [jours ?] après m'avoir dit toutes les duretés incroyables que je recevais avec autant de douceur et de tranquillité que s'il m'avait dit les choses du monde les plus obligeantes, il me dit qu'il ne m'outrageait pas volontairement, mais qu'il était obligé d'obéir. D'un autre côté, M. du Junca, qui ne savait rien sinon qu'il me croyait une hérétique outrée (157) et une infâme, me disait toutes les duretés imaginables. Il ne pouvait accorder tant de tranquillité et de gaieté parmi tant de traverses. Il attribuait tout à mal à cause qu'on le prévenait. Ils étaient tous au désespoir de ce que je ne leur donnais point de prise par des emportements ou par quelque parole sur laquelle on pût compter pour me tourmenter de nouveau. Mais quoique mon naturel soit prompt, Dieu ne le permit pas.





1699 : L’abîme

Le 12 mars, le Bref Cum Alias condamne en termes nuancés l’Explication des Maximes des Saints de Fénelon.

Traces policières

Il n’y a plus de correspondance possible : en 1700, les amis les plus proches ne savent pas si Mme Guyon est vivante. Nous n’avons que le récit des prisons pour témoigner de la descente aux enfers et trois notes de M. de Pontchartrain à M. de Saint-Mars769.

Versailles, 3 août 1699. / A l'égard du prie-Dieu que Mme Guyon veut faire faire, parlez-en à M. l'archevêque, et s'il le trouve à propos, on le fera. Pour Mme de Vaux770, il est inutile qu'elle la voie de près ni de loin.

23 septembre 1699 771. / Quant à Mme Guyon, ne lui donnez pour confesseur que celui que M. l'archevêque vous dira.

Versailles, 30 décembre 1699. / Le Roi a accordé 900 liv. de gratification à la fille qui sert Mme Guyon ; mais l'intention de S[a] M[ajesté] n'est point de retenir cette fille de force : elle pourra sortir quand il lui plaira. A l'égard de la somme de 412 liv. pour votre prisonnier772, je vous en ferai rembourser.

Suite du récit par la prisonnière

Dieu ne le permit pas.

Lorsque le procès à Rome fut perdu, ils en triomphaient tous, et ce fut alors que pendant plusieurs jours on ne cessa, et le P. Martineau aussi, de me faire insulte. Je demeurai toujours la même. On vint me demander ce que je croyais que M. de Cambrai ferait après cela. Je répondis : « Il se soumettra, il est trop droit pour faire autrement. » Ils croyaient sans doute que je dirais qu'on lui avait fait injustice, et qu'ayant témoigné plus de force à le soutenir que moi-même, je témoignerais un extrême chagrin et de l'emportement. Mais ils virent sur cela la même égalité que sur tout le reste. Ils demandaient à cette petite demoiselle qu'ils avaient mise auprès de moi [158] si je n'étais pas bien triste : elle répondit que non. Lorsqu'ils eurent fait tous les manèges, Monsieur du Junca vint de la part de M. de Paris me dire qu'on était quelquefois obligé par des raisons de faire des choses qu'on ne voudrait pas, et que je devrais écrire à M. de Paris une lettre d'excuses et le prier de me venir voir, et que je sortirais. Je crois qu'il parlait de bonne foi et que je serais peut-être sortie dès ce temps-là, si j'eusse fait quelques démarches. Mais j'étais si accoutumée à me voir tendre des pièges que je ne doutais pas que ce n'en fut un, et qu'on voulait me faire signer la condamnation de M. de Cambrai. Je répondis à cela que je n'avais rien à demander à M. de Paris et encore moins à lui dire, et qu'ainsi il serait fort inutile qu'il se donnât la peine de venir, que je ne désirais point sortir, que je me trouvais bien dans ma solitude. On ne m'en parla plus. J’étais bien résolue, si l'on avait voulu me faire signer cette condamnation, de dire que ce n'était pas [159] aux femmes à condamner les Évêques, que je me soumettais à la décision du Pape, comme il s'y était soumis.

On croira peut-être qu'après tant d'interrogations, et m'avoir présenté une lettre falsifiée du P. La Combe, et avoir fait tant de bruit dans le monde, on m'aura représenté773 les lettres et interrogée sur cela. Je l'attendais, et le désirais même. Mais on ne m'en parla point du tout. Cependant on fit courir le bruit qu'on me l'avait confronté. Je l'eusse bien désiré, mais comment me confronter un homme qui ne disait que du bien de moi et qui ne pensa jamais à m'écrire les lettres qu'on lui imputait. On ne trouva pas d'autre moyen de le mettre en jeu que de m'interroger de toute ma vie, où j'avais été, qui j'avais vu, qui m'avait confessée, et choses de cette nature. Mais on ne m'en parla jamais autrement dans les interrogatoires : « Qui est-ce qui vous a accompagnée en un tel endroit ? » Je dis que c'était lui, avec un autre prêtre âgé, et que nous étions six. [160] On ne voulut mettre que lui et moi, et l'on dit qu'on aurait occasion d'en parler, et qu'on mettrait ce que je voudrais.

Sitôt que l'affaire eut été jugée à Rome, on cessa de m'interroger, mais on ne me confessa pas davantage. On me sollicitait fortement à dire que je [ne] voulais pas du P. Martineau. On me faisait entendre que c'était contre l'intention de M. de Paris qu'il ne me confessait pas et que, si je demandais l'aumônier, il me confesserait et communierait d'abord. Le P. Martineau, de son côté, m'assurait qu'on le lui avait défendu. Il est incroyable les promesses et les menaces que l'on employa pour me faire prendre [pour confesseur] l'aumônier de la Bastille, un Provençal inconnu, après avoir toujours dit que, puisque M. de Paris m'avait donné le P. Martineau, que je ne connaissais pas auparavant, il pouvait lui donner la permission de me confesser ; que je ne savais point qui était l'aumônier ; que [161] j'avais déjà éprouvé ce que c'était que l'envie d'avoir des bénéfices, et qu'il serait aisé de faire croire que j'aurais avoué à cet homme bien des choses auxquelles je ne pensais jamais ; qu'un homme d'une Compagnie célèbre avait son honneur et celui de sa Compagnie à ménager, et que je le croyais incapable d'inventer ; qu'ainsi j'irais à lui et point à d'autres, et qu'il pouvait aussi bien me confesser qu'un autre. D'ailleurs il n'avait point de bénéfice à attendre. Lorsque dans la suite il eût été déclaré confesseur des princes, l'on vint me trouver et on me dit que cela valait bien un bénéfice, qu'apparemment je le quitterais à présent. On me représenta tout le mal qu'il pourrait me faire.

Ce qui est surprenant, c'est que le P. Martineau, de son côté, me traitait durement. Cependant je ne voulus jamais le quitter, et je persévérai jusqu'au bout. Si j'avais été seule dans cette affaire, [162] mon Dieu sait bien que je n'aurais pas pris tant de précautions et que j'aurais fait ce qu'on aurait voulu ; mais lorsque je pensais que je me devais à Dieu, à la piété outragée, le Diable faisant tous ses efforts et faisant accuser les personnes d'oraison afin de les décrier, que je me devais à mes amis, et à ma famille qui était mon moindre souci, je ne voulus jamais qu'on pût dire que j'eusse avoué quelque fausseté.

Je crois qu'il ne sera pas mal à propos de faire ici une petite digression. Dès le commencement du monde, le Diable a toujours fait le singe de Dieu. Il l'a fait dans tous les temps. Et lorsque saint Pierre faisait de si grands miracles, Simon le Magicien s'efforçait de l'imiter et le surpassait même. Dans la suite, saint Clément d'Alexandrie fait voir que comme il y avait de vrais gnostiques, hommes admirables, il y en avait de faux qui faisaient des abominations. Dans le temps de sainte Thérèse, vraiment illuminée de Dieu, il s'éleva en Espagne des misérables [163] illuminés du Démon et non de Dieu774. Dans ce siècle où il y a des personnes simples, vraiment intérieures et d'oraison, il s'est élevé de misérables créatures, sous la conduite d'un certain père V[autier], et ailleurs d'une autre manière, afin que leurs abominations, étant découvertes, décriassent les voies du Seigneur et fissent persécuter ceux qui leur étaient les plus opposés. J'ai écrit plusieurs lettres avant que d'être mise en prison et devant qu'on me tourmentât, qui feraient voir combien je les ai poursuivis, et mis de gens en garde contre elles. J'ai des témoins vivants de cela, et comme j'ai fait avertir de tous côtés qu'on s'en défiât, j'ai cru cette digression utile.

Un nouveau « mouton »

Pour revenir à la Bastille, j'avais donc auprès de moi la filleule de M. du Junca avec la promesse qu'il lui avait faite de l'épouser. Il crut tirer d'elle contre moi tout ce qu'il voudrait. On lui avait fait de moi un portrait si affreux qu'elle tremblait de venir. Elle craignait, [164] m'a-t-elle dit, que je n'allasse l'étrangler la nuit. Il lui promit qu'elle n'y serait qu'autant qu'elle s'y trouverait bien. Il l'assura néanmoins que j'étais douce et que je ne lui ferais pas de mal.

Elle vint, habillée d'une manière toute coquette, soit dans sa coiffure, soit à montrer sa gorge. Elle était fort jolie. Elle avait été élevée avec assez de crainte de Dieu. Je ne lui parlai point d'abord de cacher sa gorge ni d'ôter ses fontanges775. Je la laissai libre. Quelque prévenue qu'elle fut contre moi, elle n'y fut pas huit jours qu'elle prit pour moi une amitié à toute épreuve, et une confiance proportionnée. Elle voyait que je priais Dieu souvent.

Comme elle avait été longtemps en religion776 et qu'elle savait qu'on y faisait oraison, elle me demanda comment il fallait la faire. Je lui donnai quelques endroits de la Passion à méditer. Elle en profita si bien que, d'elle-même, elle vînt à cacher sa gorge soigneusement et à se [165] coiffer modestement. Elle avait une si extrême frayeur de la mort que, lorsqu'elle me lisait quelque chose elle passait le mot de «  mort  » sans le lire, et me priait de n'en point parler. Dans les premiers jours, prévenue de ce qu'on lui avait dit, elle me tirait les cheveux en me peignant, me faisant tourner la tête par des coups de poings. Mais ensuite, quoiqu'elle fût d'une extrême promptitude, s'il avait fallu donner son sang pour moi, elle l'aurait fait. Je crois que la patience que Dieu me donna pour souffrir tout ce qu'elle me faisait, ne contribua pas peu à sa conversion.

Après avoir été un peu de temps avec moi, elle souffrait que je lui parlasse de la mort. Je voyais qu'elle se mortifiait en tout. Quand elle s'était accommodé quelque chose qui lui siérait bien pour le mettre le dimanche à la messe, après s'être à moitié accommodée, elle avait mouvement de mettre [166] quelque chose de plus négligé, et le suivait. Je la voyais se défaire, elle m'avouait après que c'était cela : autant elle avait appréhendé la prison et la mort, autant elle était ravie d'y être. Elle eut mouvement de demander à Dieu de mourir auprès de moi et de ne plus retourner dans le monde. Elle le demandait malgré les répugnances de la nature qui étaient si extrêmes qu'elle s'en trouvait mal. A mesure qu'elle se surmontait de la sorte, la facilité de faire oraison lui était donnée, et son oraison devenait plus simple, avec une facilité de se recueillir.

Après qu'elle eut cassé une certaine bouteille de ce vin de Vaugirard dont j'ai parlé, elle tomba malade, elle me disait une fois comme M. de ...777 avait voulu d'elle des choses horribles, et la résistance qu'elle lui avait faite. Il écoutait à la porte. Il entra d'abord fort interdit. Je vis bien qu'il avait tout ouï, et j'en [167] eus de la peine. Il témoigna depuis tant d'aversion pour elle que, si elle y eût consenti, il l'aurait fait sortir dès lors. Il amena un apothicaire qui lui était dévoué, et, homme sans religion, il voulut, malgré moi, lui donner un bol lui-même, qu'il disait n'être que de la casse778, et que cela l'empêcherait de devenir malade. Depuis qu'elle l'eut pris, il n'y eut plus d'espérance pour sa vie. Sa fièvre qui était tierce et légère, devint continue, son visage changea, et il assurait lui-même qu'elle ne reviendrait jamais.

Elle, de son côté, demandait à Dieu malgré elle de mourir de cette maladie. On la voulut faire sortir pour prendre l'air. Après qu'elle s'y fut opposée, elle ne sortit qu'à condition de revenir auprès de moi. Ils le lui promirent, sachant bien qu'elle n’en reviendrait pas. Elle me disait : « Si je croyais mourir je ne sortirais pas, afin de mourir auprès de vous. » Ils étaient au désespoir de ce que le dessein qu'ils avaient eu de la faire entrer dans leurs vues et dans leurs intérêts leur eût si mal réussi. Son extrême jeunesse leur avait fait [168] croire qu'elle succomberait à tant de promesses de fortune qu'ils lui mettaient continuellement devant les yeux, que par là elle dirait contre moi tout ce qu'ils voudraient ; mais lorsqu'ils virent le contraire et combien elle était ferme à soutenir mes intérêts, ils ne songèrent plus qu'à me l'ôter. Je lui rendis pendant quatre mois, jour et nuit, tous les services imaginables. Enfin on l'ôta pendant qu'elle était auprès de moi.

On se servait de sa confession pour lui inspirer contre moi de mauvais sentiments. Mais ce qu'elle voyait était si contraire à ce qu'on lui disait, qu'elle soutenait la vérité avec un courage qui n'était pas d'une personne de son âge. On lui disait de prendre garde que je ne la corrompisse, et comme elle sentait les miséricordes que Dieu lui avait faites depuis qu'elle était avec moi, elle pleurait amèrement l'entêtement de ces personnes. Elle comptait demeurer auprès de moi tant que j'aurais vécu, mais après qu'elle y eut resté trois ans dans une même chambre, il fallut qu'elle s'en allât. Elle mourut quinze jours après, étant devenue étique.

Je ne voulus plus personne auprès de moi. Je restai seule [169] un an et demi. J'eus un an la fièvre, sans en rien dire. Je779 fus plus d'un an seule, car la petite demoiselle dont j'ai parlé étant morte, je priai qu'on ne m'en donnât plus, et je pris prétexte qu'elles mouraient. Je passais ainsi les jours et presque les nuits sans dormir, car je ne me couchais qu'après minuit et me levais de grand matin. Il me vint un mal aux yeux, [de sorte] que je ne pouvais ni lire ni travailler, et quoique je fusse très délaissée au-dedans, je me contentais sans contentement de la volonté de Dieu.

Sitôt que cette fille dont je viens de parler fut morte, on me le vint dire. J'ai cru devoir faire connaître les miséricordes de Dieu sur cette pauvre enfant. Dieu l'a enlevée du monde à vingt et un ans, afin qu'elle ne s'y corrompît pas dans la suite, car, comme on ne voulait plus qu'elle fût auprès de moi, elle y eut retourné.

1700

L’année du non-lieu de l’Assemblée du clergé

« M. d’Argenson [...] revint au bout de deux ans ». Les derniers interrogatoires ont lieu au moment de l’Assemblée du Clergé de juillet 1700 présidée par Bossuet. La déclaration officielle marque le terme de l’affaire du quiétisme en levant les accusations portant sur les mœurs de Mme Guyon, mais elle ne sortira de la Bastille que trois années plus tard.

Le suicide d’un prisonnier

Pour revenir à ce qui me regarde, M. d’Argenson, après avoir été deux ans sans m'interroger et m'avoir interrogée si longtemps, comme je l'ai dit, revint au bout de ce temps-là.

Il y avait, au-dessus de ma chambre, un prisonnier qu'on y avait amené. Il y avait apparence que cet homme était coupable, car il marchait jour et nuit sans cesse, sans se reposer un moment, et courait comme un forcené. Un jour de saint Barthélémy que nous nous habillions pour la messe, nous l'entendîmes tomber, et ensuite nous n'ouïmes plus rien. Après la messe on nous apporta à dîner. Je dis à cette jeune demoiselle : « Allez écouter à la porte quand on apportera à dîner là-haut, car je crains que cet homme-là ne se soit défait lui-même. » Effectivement quand on ouvrit la porte, ils firent un cri : « Allez quérir un chirurgien [170] et M. du Junca ! » Cet homme était noyé dans son sang. Il s'était ouvert le ventre. On le pansa avec tant de soin qu'il guérit au bout de huit à dix mois. On le lui recousit, et l'on prétend que c'est une des plus belles cures que l'on ait faites. S'il avait fait cela le soir, on l'aurait trouvé mort.

Il arrive souvent de semblables choses en ces lieux-là, et je n'en suis pas surprise. Il n'y a que l'amour de Dieu, l'abandon à sa volonté, la conformité à Jésus-Christ souffrant, jointe à l'innocence, qui fasse vivre en paix dans un tel lieu, sans quoi les duretés qu'on y éprouve sans consolations jettent dans le désespoir. On ne vous fait savoir, en ce lieu, que ce qui peut vous affliger, et rien de ce qui peut vous faire plaisir. Vous ne voyez que des visages affreux qui ne vous traitent qu'avec les dernières duretés. Vous êtes sans défense lorsqu'on vous accuse. On fait entendre au-dehors ce qu'on veut. Dans les autres prisons, vous avez du conseil, si l'on vous accuse ; vous avez des avocats pour vous défendre, des juges qui, en examinant la vérité, s'éclairent les uns les autres. Mais là vous n'avez personne. Vous n'avez qu'un juge, qui est le plus souvent juge et partie, comme il m'est arrivé, qui vous interroge comme il lui plaît, qui écrit ce qu'il veut de vos réponses, [171] qui est dispensé de toutes les règles de la justice, et l'on n'a plus personne, après, qui le redresse. On tâche de vous persuader que vous êtes coupable, on vous fait croire qu'il y a bien des choses contre vous. Et de pauvres personnes qui ne savent ce que c'est que la confiance en Dieu, ni l'abandon à sa volonté, et qui d'ailleurs se sentent coupables, se désespèrent.

D’Argenson est de retour

Pour revenir à M. d'Ar[genson], il revint au bout de deux ans, non plus avec cet air de fureur, mais sous la peau d'une brebis, afin de me faire tomber plus aisément dans le piège qu'il m'avait tendu. On n'a jamais fait tant d'honnêtetés et tant d'offres de services qu'il m'en fit. Cependant, comme l'on n'avait jusqu'alors rien trouvé contre moi, ils crurent avoir trouvé de quoi justifier toutes leurs violences passées par l'homme qui s'était ouvert le ventre au-dessus de ma chambre. C'était un prêtre. Je n'ai jamais su pour quelle raison il était là780. Tout ce que j'en sais c'est qu'il a dit m'avoir vue aux Ursulines de Thonon et que, si on voulait lui sauver la vie, il dirait contre moi tout ce qu'on voudrait. Il fallait qu'il fût en état de paraître. On lui fit son interrogatoire tel qu'on voulut, et il le signa.

Il déposa d'abord que comme j'étais fort malade, le P. La Combe m'apporta le bon Dieu, et qu'il resta sans revenir à la maison plus de trois heures. Cela pouvait être vrai [172] car il dit la messe aux religieuses et les confessa.

Il est à remarquer que jusqu'alors, dans une si grande multitude d'interrogatoires que l'on m'avait faits, on ne m'avait encore accusée de rien, et c'était seulement pour savoir ce que j'avais dit, vu, fait depuis l'âge de quinze ans, et où j'avais été. M. de la Reynie ne m'avait interrogée que sur des lettres, comme je l'ai dit ; les ecclésiastiques ne l'avaient fait que sur mes livres. Mais alors ce [furent] des accusations en forme. J'en dirai ce [dont] [je me] souviendrai.

On m'interrogea sur un cahier de l'écriture du P. La Combe que le prêtre disait avoir vu, et qu’il y avait lu cet endroit : « O heureux péché qui nous a causé de si grands avantages. » Et quelques mots encore dont je ne me souviens plus. Je dis que je n'avais aucune idée de cela, mais qu'en tout cas, c'étaient quelques écrits de piété où il avait mis ce que chante l'Église : « O felix culpa ». Il ne voulut jamais mettre ma réponse et dit que cela signifiait autre chose. Il mit simplement que je ne m'en souvenais pas, sans mettre « O felix culpa » qui était le sens de ces paroles.

Ensuite il me dit que le prêtre m'accusait de lui avoir écrit bien des lettres où il y avait des choses qui n'étaient pas bien. Je répondis [que]  je ne me souvenais pas de l'avoir vu, [173] je me souvenais encore moins de lui avoir écrit, et que s'il avait de mes lettres, il n'avait qu'à les produire ; que je ne renoncerais781 jamais mon écriture. On mit ma réponse.

On me dit encore que cet homme avait déposé - car on lisait les dépositions telles qu'on les avait écrites, que j'étais une voleuse, une impie, une blasphématrice, une impudique, une personne si cruelle que je disais que « je hacherais ma fille menu comme chair à pâté - ce sont ses termes - si je croyais que Dieu le voulût, ou si je me l'étais mis dans la tête. » On ne me spécifia aucune action particulière qui eût rapport à pas un782 de ces crimes, mais seulement ce que je viens de dire.

Cette accusation me donna une [si] sensible joie dans mon fonds que je ne la puis exprimer, me voyant comme vous, mon cher Maître, au rang des malfaiteurs. J'avais beau champ783 pour faire voir que, quand on quitte le bien que j'ai quitté, ce n'est pas pour prendre le bien d'autrui, qu'il n'y avait point de lieux où j'eusse demeuré dont les Églises ne portassent des marques de ma piété, que je n'avais en toute ma vie fait aucun serment, ce que chacun sait. [174] Pour la cruauté, jamais personne n'en fut plus éloignée, car je ne puis voir tuer un poulet. D'ailleurs M. de Paris, avec un air moqueur, m'avait dit à Vaugirard que je n'avais pas été cruelle aux hommes, quoiqu'il soit certain que c'est un chapitre sur lequel Dieu m'a fait des grâces que je n'ai pas méritées, comme on l'a pu voir dans le récit de ma Vie. Il y avait encore que j'étais une fourbe et une menteuse. A tout cela je ne répondis autre chose sinon qu'il fallait faire voir quand et comment j'avais fait ces crimes.

Ensuite il dit qu'il m'avait vue en un autre endroit chez un curé jouer aux Echets784, je dis que je n'en avais jamais su le jeu. On dit que c'était aux jonchets785. On me disait un lieu pour un autre, parce que cet endroit se nommait d'une autre façon. Je dis que je n'avais pas été en ce lieu, que je m'étais arrêtée dans un autre endroit en revenant de Bourbon, mais que le curé n'y était pas, et que ce n'était pas le lieu que l'on nommait.

On dit que, ce prêtre étant venu là pour m'y voir, j'avais fait comme ne le connaissant pas, que je l'avais reçu fort mal ; et ensuite l'on me faisait [175] lui avoir dit des choses d'une confidence si étonnante que, quand j'aurais eu de pareils sentiments, ce qui ne fut jamais, je n'en aurais pas [fait] de telles à mes meilleurs amis. On me lui fit parler contre l'État, contre M. de M. à qui j'avais alors mille obligations, contre mes meilleurs amis. La conversation qu'on me faisait avoir eue avec lui, fut la matière de plusieurs interrogatoires. Je me défendis autant que je pus selon les choses que l'on me demandait, faisant voir le peu d'apparence que j'eusse parlé de la sorte des personnes pour lesquelles j'avais alors et conserverai toute ma vie un respect infini.

Ma trop grande franchise me fit faire une grande faute, car je tenais M. d’Argenson par un endroit sans réplique. Comme il avait fait faire lui-même à cet homme ses dépositions, et qu'il écrivait de mes réponses ce qu'il lui plaisait, il me disait à moi-même sans pudeur : «Ah! Que je suis content de cet interrogatoire, il n'y a plus de refuge ni de faux-fuyant ! », enfin je ne sais quels termes qui me faisaient comprendre que je ne m'en relèverais jamais. J'avais assez des preuves de sa prévention maligne, pour lui devoir laisser [176] tout faire sans rien dire. Mais sur ce qu'il me dit, après tant d'interrogatoires, qu'il avait encore pourtant à m'interroger le lendemain sur cette prétendue conversation [qui] me chargeait, - et qui m’avait causé des peines que Dieu seul sait, car quoique je fusse résolue par la grâce de Dieu à tout événement, Dieu le permettant de la sorte, je souffris trente cinq ou quarante jours que dura cet interrogatoire des déchirements d'entrailles que je ne puis exprimer, et je fus, à la réserve de deux ou trois fois qu’on me fit prendre un peu de vin, tout ce temps-là sans manger et dormir, sans qu'il me fût possible de faire autrement, Dieu me soutenant, [tout] en appesantissant sa main sur moi, pour me faire vivre sans aliments. Je dis donc à M. d’Argenson que j'étais fort surprise qu'un homme qui disait que je l'avais reçu si froidement que j'avais fait semblant de ne le pas connaître, se pusse vanter que je lui eusse fait des confidences si étranges, et [dit] des choses que je ne pensai jamais. Car je proteste devant Dieu que c'était un galimatias de doctrines si étonnant qu'après me l’avoir fait lire plusieurs fois, il me fut impossible [177] de rien comprendre, et encore moins d'en retenir le moindre sens. Je lui dis donc simplement, croyant qu'il l'écrirait, qu'il n'y avait pas d'apparence que j'eusse fait de pareilles confidences à un homme qui se plaignait de mon incivilité et de ma froideur ; d'ailleurs, que sa déposition portait qu'il ne m'avait parlé qu’une heure, que cependant deux jours ne suffiraient pas pour fournir à tant de choses sur des sujets et des matières de la nature dont étaient celles qu'on me faisait lui dire. Et lui adressant la parole, j'ajoutai : « Comment, Monsieur, une conversation d'une heure, telle que celle dont il parle dans sa déposition, peut-elle s’accorder avec tout ce qu'on veut que je lui ai dit et tant de choses que vous me dites sur (lesquelles) vous avez encore à m'interroger ? »

Il vit d'abord sa bévue, mais il ne voulut jamais écrire ce que je disais, m'assurant que le lendemain, à la fin de son interrogatoire, il mettrait ma réflexion. Je compris qu'elle me serait encore plus avantageuse, quand on aurait ajouté huit heures à cette conversation prétendue. Le greffier dit : « J'avais déjà fait la remarque que fait Madame, mais je ne dois rien dire. » Il y avait [178] encore un grand papier pour finir l'interrogatoire commencé, mais profitant de ma simplicité il feignit une affaire chez lui, fit signer l'interrogatoire, remporta ses papiers, et ne vint point le lendemain comme il avait dit. Je vis bien ma faute et la malignité de mon juge, mais que faire sinon souffrir ce qu'on ne peut empêcher.

Je crois que ce qui porta à faire ce dernier interrogatoire où l'on voulait à quelque prix que ce fût me faire paraître criminelle, c'est que dans l'Assemblée du clergé de l'année 1700 que présidait M. l'archevêque de Sens, on avait déclaré, en condamnant le petit livre du Moyen Court et le Cantique des cantiques, qu'il n'avait jamais été question de mœurs à mon égard, que j'avais toujours témoigné une grande horreur pour toute sorte de dérèglements, ainsi qu'on l'a pu voir dans le procès-verbal de cette assemblée, fait et dressé sous les yeux de M. de Meaux, le plus zélé de mes persécuteurs786. Il y a de l'apparence que cette déclaration leur donna de l'inquiétude, et qu'elle les engagea à supposer le [179] malheureux prêtre dont je n'ouïs plus parler depuis lors qu’on me le confronta.

Le fond de l’abîme

Après ce dernier interrogatoire mes peines redoublèrent. Je ne voyais que des visages affreux. On me traitait en criminelle. On me vint prendre quelques lettres de mes enfants qu'on m'avait laissées. J'en avais brûlé quelques-unes. On me menaçait de me les bien faire retrouver. Le P. Martineau redoublait ses injures et ses duretés par l'ordre qu'il en avait reçu. On ne m'envoyait quérir que rarement, par un porte-clefs, pour la messe, ou par un de même étoffe. M. du Junca ne venait plus, ce qui me consola, car, comme je l'ai dit, la main de Dieu était plus appesantie au-dedans que celle des hommes au-dehors. Ce fut alors que, voyant qu'il n'y avait point de forme de justice observée, qu'on faisait dire à un malheureux tout ce qu'on voulait, je crus que les choses n'étant fondées que sur le mensonge, on me ferait peut-être mourir. Cette pensée me donna tant de joie que je mangeai et dormis. Et lorsque je voulais me divertir, je songeais au plaisir que j'aurais de me voir sur un [180] échafaud. Je pensais que peut-être ne voudrait-on pas faire l'injustice entière, et qu'on enverrait ma grâce sur l'échafaud, et que, pour l'empêcher, je dirais au bourreau, dès que j'y serais montée, de faire son office, et que la grâce ne venant qu'après le coup donné, j'aurais le plaisir de mourir pour mon cher Maître.

J'ai bien de l'obligation à cette jeune demoiselle qui était auprès de moi, car quoiqu'elle vît que je ne mangeais pas et que je lui disais ces choses, elle témoigna toujours que j'étais gaie et contente. Il est vrai que, lorsque je voyais quelqu'un, Dieu me donnait un visage gai et content. Ils auraient voulu me voir au désespoir et me voir un chagrin mortel, mais ils ne voyaient rien de tout cela, car, quoique je souffrisse beaucoup, je n'étais point chagrine, c'était une souffrance toute intérieure qui me consumait.

M. d’Argenson encore

Enfin après bien du temps passé, M. d’Argenson revint ; il ne fut plus question de sa conversation, on n'en voulut plus reparler. C'étaient de nouvelles choses. Cet homme avait dit que j'étais logée avec le P. La Combe dans un lieu où j'avais été. Je fis voir que je logeais à une [181] extrémité de la ville, chez un trésorier de France, et lui chez une demoiselle à l'autre extrémité. Il dit qu'il l'avait vu chez Mme Languet, veuve du Procureur général. Cela était vrai, il dit qu'il m'avait vue lui donner un bouillon. Je dis que je le faisais bien aux pauvres, que j'étais restée à le garder ce jour-là, je dis que oui, mais que Mme Languet, M[ademois]elle sa fille et la D[emois]elle y étaient aussi, que nous y accommodâmes un petit Jésus de cire cassé, que j'avais voulu lui donner de l'argent pour aller à Rome afin de solliciter un évêché in partibus pour le Père , et que je lui promettais de lui faire tous les ans trois mille livres de pension pour soutenir sa dignité. Je dis que je n'avais garde de promettre ce que je n'avais pas, car, n'ayant que deux mille huit cent livres de revenu, je ne pouvais donner mille écus, surtout étant obligée de vivre moi-même, n'ayant que faiblement ce qu'il me fallait pout cela.

Enfin après bien des discours puérils, il me dit qu'il m'amènerait l'homme pour me le confronter, que je n'allasse pas le méconnaître. Je dis que si je le connaissais, [182] je le dirais. Il m'exhorta fort à ne me mettre pas en colère contre lui, et je compris après qu'il craignait que je ne l'intimidasse. A quelques jours de là on m'amena cet homme. Il faut remarquer qu'on faisait courir le bruit à Paris qu'on me confrontait le P. La Combe, et on ne m'a jamais fait mention qu'il eût dit ou écrit quelque chose contre moi. On ne me le nommait que par incident.

On m'amena l'homme que j'eus peine à reconnaître pour un homme dont j'avais déjà désapprouvé la conduite peu réglée. Sans doute que cela lui avait été rapporté, mais comme je dis, j'en doute encore. Lorsque je le vis, je lui dis : « Comment, Monsieur, vous m'accusez d'être une voleuse, etc.? » Il dit qu'il ne l'avait pas dit. Je dis à M. d’Argenson de faire écrire qu'il se dédisait. Je dis que j'en appelais au Parlement, que je demandais que l'affaire y fût portée en l'état [où] elle était, et que je protestais de nullité contre tout ce qui se faisait. Jamais je n'ai vu fureur pareille à celle de M. d’Argenson. Il me menaça du roi. Je lui répondis que le roi ne trouverait pas mauvais que je défendisse mon innocence devant cette Cour souveraine, et qu'il était trop équitable pour cela. On commença donc [183] à lire toutes ses dépositions en sa présence. Il lut toujours dans un livre sans rien écouter, mais lorsque ce fut à l'endroit du cahier dont j'ai parlé, le prêtre dit : « Monsieur, c'était : O felix culpa qu'il y avait. » Comme je gardais le silence, ne voulant plus répondre depuis ma protestation, je ne relevai rien là-dessus, mais M. d’Argenson le regardant d'un air de fureur lui dit : « Vous êtes une bête », et ne voulut point écrire ce mot : « O felix culpa ». Lorsqu'il me demandait mes réponses, je protestais toujours de nullité, et que j'en appelais au Parlement. L’homme ne disait rien du tout. Et cependant on écrivit qu'il persistait à soutenir son dire. On me demanda si je voulais des témoins. Je dis que je dirais au Parlement mes causes de récusation et protestais toujours de nullité. Cela fini, ce prêtre signa en tremblant et pâle comme la mort. Je signai de bon coeur malgré les menaces qu'on me faisait. J'attendais de moment à autre une nouvelle scène. Car M. d'Argenson me dit : « Vous êtes lasse d'être dans une prison honorable. Vous voulez goûter de la Conciergerie, vous en goûterez.  »

Quelquefois, en descendant, on me montrait une porte, et [184] l'on me disait que c'était là qu'on donnait la question. D'autres fois on me montrait un cachot, je disais que je le trouvais fort joli, et que j'y demeurerais bien. On disait que l'eau y venait. Je leur disais : « Il n'y a qu'à faire un plancher vers la voûte et y mettre mon lit, une chaise, et une montée pour m'apporter à manger. J'y serai fort bien. » Ils me voyaient toujours égale malgré tant de menaces. Ils se lassèrent de me faire des visages affreux et me laissèrent en repos. M. d’Argenson ne parut plus quoique je crusse qu'il pourrait bien revenir.

Mais [l'appel au] Parlement fut un coup de foudre ; je tombai malade. Je le fus plus d'un an. Je dissimulai ma fièvre plus de huit mois. J'étais si contente d'être seule, que je n'aurais pas changé de fortune pour être reine. Je me suis vue des moments où je croyais aller mourir ainsi seule.

Un soir entre autres que j'étais dans mon cabinet, je sentis que ma vie me quittait. Je tâchai de gagner mon lit pour mourir dedans. Ce cabinet était un retranchement que j'avais fait avec des rideaux, qui me servait de retraite dans une des croisées de ma chambre. Mais je ne [185] mourus pas, Dieu me réservant à d'autres croix. J'étais ravie de mourir ainsi seule, puisqu'on ne me confessait pas, et je me faisais un sensible plaisir de mourir seule avec mon cher Maître, dans l'abandon de toutes choses. J'avais787 toujours caché mon mal, si l'extrême maigreur, jointe à l'impuissance de me soutenir sur mes jambes, ne l'eût découvert.

On envoya quérir le médecin qui était un très honnête homme, qui me donna quelques remèdes, mais inutiles. L’apothicaire me donna un opiat empoisonné. J'ai su, depuis ma sortie, de quelle part cela venait. Je m'en défiais. Je le montrai au médecin qui me dit à l'oreille de n'en point prendre, que c'était du poison. Ce chirurgien en mit sur sa langue qui enfla d'abord. L’apothicaire, en ayant eu vent, sous prétexte de me venir voir, prit le pot sur ma table, et, le cachant sous son manteau, s'en alla et l'emporta.

Si l'on fait en lisant ceci quelque attention aux croix par lesquelles il a plu à Dieu de me faire passer, qu'on fasse aussi réflexion sur les soins de sa Providence à me délivrer de tant de dangers presque [186] inévitables.

Avant le dernier interrogatoire, je fis deux songes : le premier, que le P. La Combe me parut attaché à une croix comme je l'avais songé plus de vingt ans auparavant. Mais au lieu qu'alors il me paraissait tout brillant et éclatant, il me paraissait pour lors meurtri et livide, la tête enveloppée d'un linge. Il me semble qu'il me dit : « Je suis mort », et qu'il m'encourageait. Je lui demandai comment il se trouvait : « Les souffrances de cette vie ne sont pas dignes d'être comparées à la gloire qui nous est préparée. » Et il ajouta avec force : « Pour une légère souffrance, on a un poids d'une gloire immense. » Je me réveillai.

Je rêvais ensuite que je me trouvais engagée dans un chemin qui insensiblement me conduisait dans une charbonnière embrasée en ais788, couverte de terre. J'avais fait bien du chemin dessus. Et j'en voyais un plus grand où les flammes paraissaient en quelques endroits. Cette longueur m'obligea à descendre. Et je trouvais en bas une rivière, de sorte que je ne descendais du feu que pour entrer dans l'eau, et ne voyant aucune issue. Il vint une dame vénérable qui me donna la main [187] et me fit entrer dans l'Église Notre-Dame. Je me souvins789 de ce passage : « Ils ont passé par le feu et par l'eau ».790

La peine que j'avais était une femme qui venait faire ma chambre. Elle avait quelquefois aidé à l'office chez Mme de B.791, où elle avait fait un vol. Elle me prenait tout ce que j'avais. Elle avait fait faire des clefs sur les miennes. Quelque chose que je fisse, je ne pouvais l'empêcher. Je n'osai lui rien dire, car elle était soutenue de l'aumônier. J'en dis un jour quelque chose à cet aumônier qui me dit que chacun avait ses vices, que j'avais les miens et que c'était le sien, que lorsqu'elle voulait me prendre quelque chose, je lui donnasse les dix, les vingt écus pour l'empêcher. Tout mon revenu n'y aurait pas suffi. Je ne doutais pas que ce ne fût une espionne [188] que j'avais. Il me fallut laisser tout prendre sans rien dire. D'un autre côté on ne souffrit plus que le gouverneur me vînt voir, parce qu'il paraissait avoir de la considération pour moi. Ils étaient tous surpris de ma douceur et de la patience que Dieu me donnait, et lorsque je revenais de la messe dans ma chambre, je remontais avec allégresse.

Le neveu du gouverneur me disait en me ramenant que j'étais bien différente des autres qui se désespéraient en remontant dans leurs chambres. Je lui répondis que j'y trouvais ce que j'aimais, et que les autres ne l’y trouvaient peut-être pas. Il n'était pas riche, cependant il assistait les prisonniers de tout ce qu'il pouvait et en avait compassion. Je lui dis un jour que Dieu lui donnerait une meilleure fortune assurément. Il me témoigna que ne la pouvant avoir qu'aux dépens de la vie du fils du gouverneur, il n'en souhaitait point. Ce fils est mort depuis et il est naturellement son héritier. M. du Junca me disait, pour s'excuser des peines qu'il me faisait, qu'il devait sa fortune à M. de Noailles dont son père avait été domestique, qu'il serait gouverneur de la Bastille après la mort de M. de Saint-Mars, [189] qu'il sentait déjà le sapin. Je lui dis que les jeunes gens mouraient souvent avant les plus vieux. Je ne pouvais m'ôter de l'esprit qu'il mourrait devant le gouverneur. Il est mort en effet devant lui. De quoi lui a servi le désir de fortune et tant de ménagement aux dépens de la charité et de la justice ?

Pièces policières de l’année 1700

Le ministre Pontchartrain écrit à M. de Saint-Mars, gouverneur de la Bastille, d’interdire à la pieuse femme de faire ses Pâques :

Versailles, 12 avril 1700. / Vous pouvez faire faire les Pâques à tous ceux de vos prisonniers de la Bastille qui voudront les faire, et vous servir pour cela, autant que vous le pourrez, de votre chapelain, de la fidélité duquel vous êtes sûr. J'en excepte pourtant Mme Guyon, que vous conduirez à l'ordinaire par les ordres de M. l'archevêque, et les deux prémontrés, auxquels vous ne donnerez point de confesseur que vous n'ayez su de M. d'Argenson si vous pouvez le faire. Que si quelques-uns refusent votre chapelain, mandez-le-moi, afin que je choisisse un autre confesseur792.

Le même écrit deux fois à d’Argenson :

Fontainebleau, 15 octobre 1700. / M. le cardinal de Noailles ayant dit au Roi que le prêtre de Franche-Comté793 qui était venu à Paris pour l'affaire du quiétisme, le voyant partir pour Rome, était dans la volonté de s'en retourner chez lui, S. M. m'a ordonné de vous écrire d'engager cet ecclésiastique à rester à Paris, et de vous dire de suivre l'affaire qui a été commencée avec lui, de le confronter à Mme Guyon pour acquérir la preuve des choses, et enfin d'agir en cela de la même manière que si le cardinal de Noailles était à Paris794. Mandez-moi ce que vous ferez.

20 octobre 1700. / Il faut que vous fassiez donner à ce prêtre du diocèse de Besançon795, qui est à Paris pour l'affaire du quiétisme, les secours dont il peut avoir besoin pour les choses les plus nécessaires ; j'aurai soin de vous en faire rembourser796.

Puis de nouveau à Saint-Mars :

Versailles, 22 décembre 1700. / J'ai lu au Roi votre lettre : S[a] M[ajesté] est très persuadée que vous prendrez toutes les précautions nécessaires pour empêcher que Mme Guyon et sa femme de chambre ne sachent pas qu'elles sont prisonnières dans le même lieu797.

Enfin à M. de Bernaville :

Versailles, 23 décembre 1700. / Famille, que le Roi veut faire transférer à la Bastille, a été mise à Vincennes en vertu d'un ordre du 31 mai 1698, dont je vous envoie copie ; c'est une fille qui servait Mme Guyon, et l'on avait des raisons pour cacher son nom, ce qui fait qu'on ne l'avait pas mis dans l'ordre ; vous vous souviendrez bien à présent qui elle est, et vous ne manquerez pas de la remettre à celui qui vous rendra ce billet798.

Ces lettres ou billets sont les traces qui nous sont parvenues d’une dernière tentative de déstabilisation par l’extérieur (par le prêtre Rouxel) et/ou par les intimes (par « Famille » précédemment au service de Mme Guyon).



1701 : l’année vide

L’année est particulièrement vide de témoignages. On relève dans le journal de M. du Junca :

Du vendredi 24 décembre, M. le gouverneur ayant reçu les ordres, etc., que M. d'Argenson a envoyés pour une plus grande sûreté du secret à M. le gouverneur, qui a bien voulu se charger d'envoyer quérir et transférer une demoiselle, fille, détenue au château de Vincennes, pour la mener ici à la Bastille ; laquelle demoiselle, nommée Famille, ci-devant femme de chambre de Mme Guyon, qu'on a fait venir ici pour la confronter avec des personnes ; laquelle, après que les interrogations et confrontations qu'on lui fera seront finies, on la renverra au château de Vincennes comme l'ordre du Roi le porte, avec les mêmes officiers qui l'ont été quérir, M. de Rosarges, aide major de la Bastille, et Rue, caporal et porte-clefs. Et dans la ville M. Sesan les attendra pour changer de carrosse, l'ayant menée les yeux bouchés jusque dans sa chambre ; arrivée à sept heures du soir du même jour, vendredi 24 décembre, ayant été mise et renfermée seule dans la première chambre de la tour de la chapelle, que M. le gouverneur a reçue à la première porte d'entrée et conduite dans la chambre destinée.

Du jeudi 31 de mars (1701)799, sur les huit heures du soir, M. le gouverneur, suivant les ordres du Roi, a ordonné à M. de Rosarges, un de ses officiers, d'aller ramener au château de Vincennes la demoiselle Famille, femme de chambre de Mme Guyon, laquelle il a été lui-même la prendre à Vincennes le 24 du mois de décembre 1700, pour la transférer ici au château de la Bastille, l'ayant menée et remise avec Rue, porte-clefs, dans le château de Vincennes, entre les mains de M. Bernaville, commandant, et ayant tout le soin des prisonniers800.





1702 : l’espoir

Délivrance ?

Après sept ou huit mois de maladie, on me proposa de demander à voir mes enfants801. Je répondis que je n'avais rien à demander ; que si je demandais quelque chose, c'était de me confesser ; que puisqu'on me le refusait, je ne demandais rien. On s'adressa à mes enfants pour leur faire demander de me voir, il ne leur fut pas difficile d'obtenir ce qu'on désirait leur accorder avant qu'ils [ne] le demandassent. Ils vinrent. Et je perdis dès ce moment la douceur de ma vie par les tourments qu'ils me causèrent. Sitôt que l'aîné fut arrivé, ils se querellaient sans cesse devant moi, et me faisaient beaucoup souffrir.

Je n'avais ni pensée ni désir de sortir [de prison]. Je m'étais imaginée y rester toute ma vie. La pensée d'y rester seule me faisait grand plaisir. Je me sentais tous les jours affaiblir et j'attendais la fin de ma vie avec délectation.

M. de Paris eut de très grands remords de me laisser mourir en prison, il s'en ouvrit à ses amis, ainsi que je l'ai appris depuis, par une [190] voie très sûre802. Il disait, une fois, qu'il n'y avait que des ouï-dire, qu'il n'avait connu aucun mal en moi. Monsieur de Saint-Sulpice le fortifiait contre moi, et tâchait de lui ôter ses scrupules, mais ils étaient tels qu'il n'en pouvait dormir.

Il fit dire à mes enfants qu'ils demandassent ma liberté, et qu'il appuierait les démarches qu'ils feraient pour cela, qu'il ne pouvait la demander lui-même pour des raisons. Il est aisé de comprendre qu'un homme de ce rang, et de ce caractère ne se dédit pas facilement quand on a poussé les choses à certaines extrémités. Et pour moi, je me faisais cette justice que sa réputation étant plus nécessaire à l'Église que la mienne, il n'était pas obligé de se détruire. Il pouvait seulement dire qu'il avait été surpris par l'apparence des choses que l'on m'avait imputées, mais que, les ayant approfondies et ne les ayant pas trouvées vraies, il me fallait laisser en liberté.

Il est certain qu'on me laissait aller chez mon fils803 sans condition lorsque ma sortie eut été accordée. Dès qu'il fut arrivé, il me dit qu'il ne me recevrait chez lui qu'à des conditions qu'il voulait qu'on lui donnât par écrit. Il les fit donner comme il voulut, avec une extrême rigueur804. Cette conduite [191] si bizarre me fit prendre la résolution de demeurer là, et je dis que je ne voulais pas sortir. Monsieur de Saint-Mars qui trouvait ce procédé infâme, m'offrit un autre appartement où je verrais qui il me plairait. Le P. Martineau me conseilla de sortir. M. Huguet805 et les autres [de même]. Ils me disaient que j'étais là toujours sous leurs pattes pour, selon leurs caprices, me supposer de nouvelles choses. Mais ce qui me détermina plus que tout le reste, ce fut la croyance que, ma conduite me justifiant dans la suite, mes amis le seraient aussi de la bonté qu'ils ont eue pour moi, car comme mon cher Maître disait pour ses disciples : « Je me sanctifie moi-même pour eux. »806 Aussi pouvais-je dire pour mes amis : «  Je me justifie pour eux. » Car écrivant ceci où la mort paraît à chaque instant finir ma destinée, et ne prétendant plus rien sur la terre que vous, ô mon Seigneur, que vous seul, ma principale raison a été la gloire de Dieu, et que l'on ne fît pas le tort à l'oraison que d'imputer des crimes à ceux qui la pratiquent sincèrement.

Quelque répugnance que j'eusse d'aller chez mon fils, je cédai aux instances que l'on me fit. Mais quoique avant ma sortie de la Bastille il eût des procédés qui me [192] fissent craindre d'être exposée à son humeur bouillante et violente, j'avoue que je n'imaginais jamais que j'en recevrais les traitements que j'ai essuyés dans tout le temps que j'ai demeuré chez lui. Dieu qui m'a toujours conduite par la croix, a permis que j'y en aie trouvés d'une nature toute particulière. J'allais cependant au-devant de tout ce qui pouvait lui faire quelque plaisir, à lui et à sa femme : petits présents, amitiés, précautions de toute sorte. Mais rien n'était capable de les gagner. Vous seul savez, ô mon Dieu, la nature des souffrances de toutes sortes que j'ai essuyées pendant le cours de trois ou quatre années que j’y ai demeuré.

Mais comme vous ne vouliez pas que je fisse aucune démarche par moi-même pour me tirer de la croix en me séparant d'avec eux, vous permîtes qu'ils fussent eux-mêmes les instruments de ma retraite et du repos que j'y ai trouvé, quoique je ne leur fusse nullement à charge du côté de l'intérêt.

Ma présence venant à les gêner beaucoup, [pour] des raisons que je passe sous silence, ils écrivirent une lettre à M. de Pontchartrain capable de me faire remettre à la Bastille807 si, pour s'informer de la vérité des faits qu'elle contenait, ce ministre ne l'eût renvoyée à M. l'évêque de Blois808, ce prélat, instruit non seulement des violences de mon fils [193] et des mauvais traitements que j'essuyais continuellement, car il ne prenait nul soin de s'en cacher, mais des motifs qui l'avaient engagé à une démarche de cette nature qui trouvera peu d'exemples. M. de Blois écrivit à la Cour d'une manière très honnête à mon sujet, changea les impressions qu'une telle lettre avait causées, et proposa de lui-même de me faire changer de demeure, ce qui fut agréé. On lui dressa l'ordre à lui-même pour cela, et il voulut bien se donner la peine de venir chez mon fils pour en concerter l'exécution. Quoiqu’il fût fort aise dans le fond de cette séparation, la manière dont elle s'était traitée lui déplut, et il fit entendre à M. de Blois qu'ayant été chargé de ma conduite à la sortie de la Bastille, il s'était obligé de m'y reconduire, ou d'y aller lui-même, et montra une lettre qu'il dit être de M. d’Argenson qui le chargeait de moi. Quelque instance que put lui faire M. de Blois pour obéir à l'ordre dont il était le porteur, jamais il ne voulut s'y rendre. M. de B[lois] me promit de récrire à M. de P[ontchartrain] pour lever cette difficulté qu'on n'avait pas prévue.

En effet, peu de jours après, il reçut un nouvel ordre à mon fils de me laisser aller à une maison que j'avais louée de concert avec le Prélat, dans une petite ville, environ à demi lieue de chez lui jusqu'à nouvel ordre. M. de Blois garda la lettre [194] de cachet, de laquelle il me fit écrire qu'il me l'avait communiquée et que j'y obéirais avec respect. Ce prélat me témoigna bien de la bonté dans cette occasion, et je lui dis809 le repos que j'ai goûté dans cette solitude. Cependant, comme ma vie est consacrée à la croix, sitôt que l'esprit commença à respirer après tant de traverses, le corps se trouva accablé par toutes sortes d'infirmités. Et j'y ai eu des maladies presque continuelles qui me mettaient souvent à la mort, l'air m'y étant extrêmement contraire.

J'y demeurai trois ans de cette manière, mais le propriétaire ne voulant plus m'en continuer le bail, M. de Blois fit agréer que j'irais demeurer à la ville où je suis présentement, et où je ne doute pas que mon cher Maître ne m'ait gardé, sur la fin de mes jours, des croix plus vives et plus fortes, quoique moins éclatantes.



1703 : La délivrance !

Pièces policières de levée d’écrou

Trois pièces témoignent de la libération de Mme Guyon810. Le ministre Pontchartrain envoie un court billet à Saint-Mars, qui laisse espérer une libération prochaine :

Versailles, 31 janvier 1703. / Le Roi trouve bon que dorénavant Mme Guyon voie ses enfants : ainsi vous pouvez leur permettre l'entrée de la Bastille lorsqu'ils le désireront.

Le même prévient d’autre part M. de Bouville et l’évêque de Blois qu’ils aient à veiller bientôt sur une mise en liberté surveillée. Heureusement M. de Bertier est ami de Fénelon :

21 mars 1703. / La maladie de Mme Guyon ayant déterminé le Roi à la faire sortir de la Bastille pour six mois, S[a] M[ajesté] l'a fait remettre entre les mains de son fils, qui a fait sa soumission de la représenter toutes fois et quantes, et d'empêcher qu'elle n'ait communication avec qui que ce soit, de vive voix ni par écrit. Comme il se propose de la mener dans sa terre, qui est à trois lieues de Blois811, S[a] M[ajesté] m'a ordonné de vous en donner avis, afin que vous preniez la peine de faire examiner avec soin et attention la conduite qu'elle tiendra, et si le fils exécutera ponctuellement les conditions qui lui sont prescrites : vous m'en informerez au moins une fois tous les mois, pour en rendre compte à S[a] M[ajesté].

Enfin le journal de M. du Junca en date du 24 mai812 relate :

Du samedi 24 du mois de mai, suivant l'ordre, etc., pour mettre Mme Guyon dans une entière liberté, étant parue aujourd'hui à quatre heures de l'après-midi, en litière, pour aller pour six mois chez M. Guyon, son fils, dans ses terres, près de Blois, pour prendre l'air et se remettre. L'ordre du Roi étant que M. Guyon, son fils, s'en chargera pour demeurer chez lui les six mois, en observant, par M. le gouverneur, de lui faire faire, à M. Guyon, soumission de la représenter toutes fois et quantes qu'il en sera requis, et de répondre en son propre et privé nom qu'elle n'aura aucune communication, de vive voix ni par écrit, avec qui que ce soit. Mme Guyon et M. son fils ayant signé cette soumission, ils sont partis.


Chapitre 9. La retraite (24 mars 1703- 9 juin 1717)

1703 à 1706 : Résidence surveillée chez son fils

Mme Guyon réside chez son fils aîné Armand-Jacques, seigneur de Briare et de Champoulet au château de Saint-Dizier proche de Blois. Une série de pièces témoigne d’une surveillance suivie par Pontchartrain813. Le ministre écrit à Berthier, l’évêque de Blois :

Versailles, 19 septembre 1703. / Le Roi a permis à Mme Guyon de rester encore pendant six mois avec sa famille, aux mêmes conditions portées par le premier ordre. S[a] M[ajesté] m'ordonne de vous écrire de continuer à l'observer et d'avoir une exacte attention sur sa conduite, afin que vous puissiez m'informer le plus souvent que vous pourrez de tout ce qui se passera chez elle.

Marly, 25 juillet 1706814. / Je vous envoie la copie d'une lettre que j'ai reçue de la belle-fille de Mme Guyon, qui paraît fort embarrassée d'elle ; le roi désire qu'après que vous aurez examiné les faits contenus dans cette lettre, vous preniez la peine de me faire savoir votre avis, pour en rendre compte à S[a] M[ajesté].

Le même sollicite l’avis du cardinal de Noailles :

Versailles, 12 août 1706. / Mme Guyon la jeune m'écrivit, il y a quelque temps, pour obtenir que Mme Guyon, sa belle-mère, pût être envoyée dans un autre lieu que la terre où elle est depuis trois ans. J'envoyai, par ordre du Roi, la lettre à M. l'évêque de Blois qui y a fait la réponse que vous verrez. S[a] M[ajesté] est bien aise, avant que de se déterminer sur rien, d'avoir sur le tout l'avis de V[otre] Em[inence]. Ne conviendrait-il pas autant de faire demeurer Mme Guyon à Blois ?

En 1706 Mme Guyon quitte le château de Saint-Dizier : « Vers le milieu de 1706 elle voulut s’établir dans un autre domaine, Courbouzon, mais Pontchartrain refusa, parce que ç’aurait été sortir du diocèse de Blois. Vers le 15 septembre, elle alla demeurer dans la maison de Forges, près Suèvres815. » Suèvres est situé à treize kilomètres au nord-est de Blois, tout près de Dizier. En témoignent deux billets à l’évêque Berthier :

Versailles, 15 septembre 1706. / Je vous adresse l'ordre du Roi pour envoyer Mme Guyon dans la maison des Forges, près Sueure ; le Roi est bien aise que vous soyez de plus en plus à portée d'observer sa conduite. Je vous prie de me mander comment elle aura cette maison, si c'est à loyer ou si quelque ami lui prête.

6 octobre 1706. / J'ai rendu compte au Roi de ce que vous m'avez écrit sur la situation présente de Mme Guyon ; S[a] M[ajesté] m'a ordonné de vous dire de continuer sur elle votre attention, et de m'en mander de temps en temps des nouvelles.

A la fin de l’année, elle eut l’autorisation d’acheter une maison à Blois816.



1707 à 1717 : Décennie silencieuse à Blois

Les témoignages principaux sur cette période proviennent de manuscrits dont les auteurs sont inconnus : ils sont conservés à Lausanne et proviennent du fond attaché au groupe de disciples protestants de Morges, localité voisine. Nous en avons édité une partie en cinquième partie de la Vie en présentant ses principales figures817. Les membres des cercles guyonniens suisses apportent des informations complémentaires à celles connus par la Vie qui demeure néanmoins leur source principale.

Témoignages de tiers

5.2 Le « Supplément à la Vie »

On la sortit enfin de la Bastille, et elle fut envoyée en exil dans sa patrie. Elle se rendit d’abord dans un château qui appartenait à ses enfants, d’où on lui permit de se transporter à Blois qui était dans le voisinage ; c’est dans cette [36] ville qu’elle a passé les douze dernières années de sa vie818. Nous souhaiterions avoir plus de détails sur ces dernières années, mais elle n’en a rien écrit elle-même. Elle en rend raison : dans ces derniers temps, dit-elle, je ne puis que peu ou point parler de mes dispositions etc. On peut lire l’article tout entier dans le chapitre même819. […]

Il paraît d’abord que ses liaisons continuèrent avec Fénelon soit par écrit820, soit par les correspondances intérieures entre des âmes de ce degré qui communiquent de loin comme de près, qui se sentent, qui s’aperçoivent d’une manière inconnue à ceux qui n’en ont pas l’expérience. […]

Il paraît aussi que l’intimité qui était entre Mme Guyon et M. de Cambrai, reflua sur son neveu le Marquis de Fénelon. […]

Après avoir parlé du Marquis de Fénelon, nous passons à cette fille nommée Mademoiselle Cathoz qui, lui étant donnée par sa soeur pour la servir, eut dans la suite l’honneur d’être associée à ses souffrances apostoliques. Elle était entrée à son service en [39] 1682 comme il paraît par sa Vie tome 2 chapitre 9, paragraphe 8, et on voit par le chapitre 16 du même volume, combien Mme Guyon eut à souffrir pour elle et les résistances que sa propriété lui opposa821. Cette demoiselle Cathoz fut un des enfants chéris de Mme Guyon et parvint à un degré éminent de consommation en Dieu. Emprisonnée comme sa Maîtresse et transportée comme elle de prison en prison, séparée d’elle, interrogée par des gens qui ne cherchaient qu’à la perdre par des questions captieuses, elle eut à essuyer les traitements les plus atroces. On voit par deux de ses lettres qui se trouvent à la fin du troisième volume de la Vie, la description que cette sainte fille fait de son état. Elle sortit de prison avec sa maîtresse et la suivit à Blois, où elle la servit jusqu’à sa mort. Il y a apparence qu’elle lui survécut, voilà tout ce que nous en avons pu recueillir.

Pour venir maintenant à la maison de Mme Guyon à Blois, elle consistait en une femme de chambre, deux servantes et un valet. Elle y [40] recevait de temps en temps la visite de l’évêque822, de même que celle de son fils aîné, qui enveloppé dans la disgrâce de sa mère823, s’était établi dans une campagne à peu de distance de cette ville. Elle avait dans sa maison une chapelle où on faisait le service divin tous les jours, cette chapelle étant attenante à sa chambre, elle pouvait toujours y assister, puisque dans ses continuelles maladies, elle était à même de l’entendre même depuis son lit, et elle recevait ordinairement le Saint-Sacrement tous les jours de neuf à dix heures824 […]

Plusieurs Anglais et Écossais protestants firent connaissance avec elle durant son exil à Blois. Ils avaient aussi vu M. de Cambrai et M. Poiret. Ils se rendirent chez elle et mangeaient à sa table, ils étaient quelquefois jusqu’à sept. Milord Forbe, l’un d’entre eux, qui y a séjourné sept ans jusqu’à sa mort, a rapporté plusieurs particularités de ce séjour. Par exemple, ils ne payaient pas de pension, dit-il, et la dépense était si considérable qu’ils ne pouvaient comprendre comment Mme Guyon dont le revenu annuel825 ne montait pas au delà de cent louis d’or, pouvait y faire face. Ils ne doutaient pas qu’il ne se fît un miracle en cette [42] occasion, comme elle raconte dans sa Vie qu’il s’en était fait du vivant de son mari sur ses aumônes826. Elle vivait avec ces Anglais comme une mère avec ses enfants. On sait que cette nation est accoutumée à ne connaître ni gêne ni contrainte, mais à se livrer à ses mouvements et à ses saillies. Souvent ils se disputaient, se brouillaient ; dans ces occasions elle les ramenait par sa douceur et les engageait à céder ; elle ne leur interdisait aucun amusement permis, et quand ils s’en occupaient en sa présence, et lui en demandait son avis, elle leur répondait : « Oui, mes enfants, comme vous voulez ». Alors ils s’amusaient de leurs jeux, et cette grande sainte restait pendant ce temps-là abîmée et perdue en Dieu. Bientôt ces jeux leur devenaient insipides, et ils se sentaient si attirés au-dedans, que, laissant tout, ils demeuraient intérieurement recueillis en la présence de Dieu auprès d’elle827.

Quand on lui apportait le Saint Sacrement, ils se tenaient rassemblés dans son appartement, et à l’arrivée du prêtre, cachés derrière le rideau du lit, qu’on avait soin de fermer, pour qu’ils ne fussent pas vus parce qu’ils étaient protestants, ils s’agenouillaient [43] et étaient dans un délectable et profond recueillement, chacun selon le degré de son avancement, souvent aussi dans des souffrances assorties à leur état. Que de miracles ne se sont pas passés dans ces moments, qui ne seront connus que dans l’éternité ! Ils étaient en quelque sorte les prémisses du protestantisme pour la doctrine intérieure828. C’est en leur faveur que Mme Guyon composa plusieurs cantiques accommodés à leur état d’alors. Milord Forbes a même dit à des personnes respectables, de qui on le tient, que si on chantait dans ces temps-là quelque nouvel air, et qu’on lui demandât un cantique sur cet air, elle en dictait un sur-le-champ toujours assorti à l’état de ceux pour qui il était. C’est pour eux que fut composé ce poème héroïque829, et singulièrement la prophétie qui y est renfermée830. C’est dans les mêmes vues qu’elle fit le Discours sixième renfermé à la tête du cinquième volume des lettres, dans la nouvelle édition qu’on en a donnée sous le titre de Londres et qui a pour titre L’intérieur rebuté et recherché831. On voit par ces traits et nombre d’autres pareils, qu’elle ne rejetait point les protestants, n’exigeait point d’eux de changer de religion [44], mais d’entrer dans les voies intérieures. On sait qu’elle n’approuva pas le changement de Ramsay832, et que Milord Forbes ayant eu des tentations de se faire catholique et d’entrer dans un cloître, elle l’en empêcha, et lui prédit qu’il se marierait. Ce qui arriva en effet car il épousa une demoiselle de Londres, fort riche. On raconte que le premier enfant qu’il en eut, fut porté sur les fonds de baptême par une demoiselle d’Eschweiler au nom de Mme Guyon, qui, quoique morte, fut envisagée comme présente au baptême. Cette demoiselle d’Eschweiler fut ensuite l’épouse de M. de Fleischbein, grand intérieur, enfant chéri et distingué de Mme Guyon, et un des plus grands saints qu’il y ait eu dans ce siècle833.

Pour revenir à Milord Forbes, il resta chez elle jusqu’à sa mort, mais il n’eut pas la consolation d’assister à ses derniers moments ; il était allé voir des personnes intérieures ; car dit un manuscrit authentique834, il y en avait une multitude qui reconnaissaient Mme Guyon pour leur mère spirituelle. Plusieurs venaient quelquefois à Blois la visiter, et c’était là où les Anglais avaient fait connaissance avec elle. On sait qu’il y avait des [45] cloîtres entiers remplis de personnes qui faisaient oraison, même des villages dont les habitants pour la plupart vivaient dans une continuelle présence de Dieu. Milord Forbes rapporte qu’il connaissait un couvent près de Blois, où toutes les religieuses étaient dans les mêmes principes, et quelques-unes parmi elles fort avancées. Il s’y rendit et après quelques discours il leur dit : « Mes chers enfants, que faites-vous ensemble et comment passez-vous votre temps ? » A quoi la principale et la plus avancée d’entre elles répondit : « Milord, nous servons le Bon Dieu et nous nous crucifions l’une l’autre835 ». Ce fut donc dans un de ses voyages que sa sainte mère mourut. Il regretta beaucoup de n’avoir pas pu baiser ses pieds avant son décès.

Outre ces Anglais dont je viens de parler, Mme Guyon avait encore beaucoup d’autres enfants spirituels. On parle d’un abbé Gautier à Paris qu’un conseiller du Comte de Berlebourg836 nommé Falttman y trouva encore en 1735, vivant avec un M. de Colombier. Cet abbé avait connu Mme Guyon, et lui en parla en ces [46] termes: « Celui qui pourrait comprendre l’état d’anéantissement de Jésus-Christ dans le Saint-Sacrement, comprendrait aussi l’anéantissement de Mme Guyon et sa sainteté. » Cet abbé Gautier était fort avancé et beaucoup plus que M. de Colombier. Elle avait encore plusieurs disciples en divers lieux.

M. l’abbé de Wattenville, Bernois, se rendit à Blois pour la voir en 1717 mais il la trouva morte. On a quelques lettres qui lui furent adressées (tome quatrième des lettres). Cet abbé est mort l’an 1746. On dit qu’il était fort avancé. On compte encore dans le même pays un M. Monod de Morges837 à qui est adressé la lettre 106 du quatrième volume, une demoiselle de Venoge à qui elle répondit sur une question (lettre 151 tome IV), une [lettre] à un M. de Traytorrens838 dont on sait peu de choses ; en Allemagne, M. le baron de Metternich, avec qui elle soutint un commerce de lettres assez considérable, comme on le voit dans l’indice qui est à la fin du cinquième volume et plusieurs autres.

Mais il ne faut pas passer sous silence le célèbre [47] Poiret. Il avait composé plusieurs ouvrages sur la doctrine intérieure, mais dès qu’il connut ceux de Mme Guyon, il sentit la différence infinie qu’il y avait entre les siens et ceux de cet aigle mystique. Il y renvoya tout le monde, il fit même réimprimer à son insu le Moyen court en 1689. Un des amis de Mme Guyon lui en ayant montré un exemplaire à Blois, dans son exil, avec les lettres initiales « P.P. » qu’il mettait ordinairement à la tête de ses livres, tout de suite, elle s’écria : « Voilà l’homme qui publiera tous mes ouvrages », et en effet c’est lui qui en a procuré l’édition complète en Hollande sous le nom de Cologne. Elle n’en avait jamais ouï parler auparavant. Dès lors ils firent connaissance. On voit, à la fin du cinquième volume des Lettres, une liste où il est parlé de la correspondance qu’ils eurent ensemble839. On sait qu’elle en faisait un cas tout particulier. Il avait formé en Hollande une maison patriarcale, et était fort avancé840. Il passait après Fénelon pour une des premières âmes intérieures.

[48] On sait aussi qu’il y avait à Paris une duchesse de Grammont, qu’on a envisagée comme une âme consommée ; mais elle vivait d’une manière cachée.

Il s’était aussi formé un grand peuple en Italie, dans le royaume de Naples et de Sicile en particulier, après la mort de Mme Guyon, qu’on persécuta injustement sous le nom de quiétistes, dont les uns furent mis à mort, d’autres emprisonnés, mais la vengeance divine armée, pour punir le sang innocent, envoya peu de temps après un terrible tremblement de terre, qui fit de grands dégâts en Sicile et ensevelit à Palerme sous les ruines des bâtiments plus de deux mille personnes, cela arriva environ l’an 1724.

Pour revenir à Mme Guyon, sa vie à Blois était simple et sans ostentation841 […]

Nous savons de la dernière année de sa vie qu’elle fut atteinte d’une fâcheuse maladie qui dura trois mois. Dès qu’on s’aperçut du danger, on le fit savoir à Mme la comtesse de Vaux, sa fille, qui se rendit auprès d’elle depuis Paris avec un très habile médecin ; les remèdes qu’il lui administra parurent la soulager pendant son séjour auprès d’elle ; mais le mal redoubla deux jours après le départ du médecin et devint alarmant par une inflammation de gorge et de poitrine, qui lui causait des douleurs excessives, surtout quand il fallait lui donner quelque nourriture. Une lettre contenue à la tête de la Vie renferme quelques circonstances que nous ne rappellerons pas ici842. Sa fille, qui était venue de [52] Paris, ne la quitta pas jusqu’à son décès843 et lui témoigna la plus grande tendresse. La comtesse de Vaux retourna ensuite à Paris, où, devenue veuve au bout de quelques années, elle épousa en deuxièmes noces le duc de Sully. Voilà tout ce que nous avons pu recueillir sur les circonstances des douze dernières années de la vie de Mme Guyon, et que nous avons tirées d’un manuscrit authentique844 qui nous a été envoyé par un de ses enfants de grâce, qui le tenait lui-même de source.

5.3  « Histoire des dernières années »

L’Histoire des dernières années [...] (manuscrit de Lausanne, TP 1154) est la traduction très partielle d’un recueil rédigé par Fleischbein845 qui donne quelques informations complémentaires concernant les opinions de Mme Guyon dans ses dernières années :

Page 254 : Mad. Guyon à ce qu’a conté Mylord Forbes à feu ma femme846, a dit du frère Laurent [de la Résurrection] qu’il avait été dans la consommation de la vie intérieure, qu’elle en avait fait grand cas et qu’elle savait de lui que les Carmes avaient fait des traitements inouïs au [frère] saint Jean de la Croix, qu’on ne l’apprendrait jamais, mais que [89] les souffrances qu’ils lui avaient causées surpassaient tout ce qu’on en pouvait dire.

L’abbé Gautier et M. de Colombier dont j’ai déjà parlé, étaient l’un et l’autre enfants spirituels de Mme Guyon. L’abbé Gautier était bien plus avancé que M. de Colombier. Ils vivaient ensemble à Paris, quand M. de Marçais et M. de Vatteville y furent l’année 1717. L’abbé Gautier en parlant à M. de Vatteville de l’état élevé de Mme Guyon dit, que celui qui pourrait comprendre l’état d’anéantissement de Christ dans le Saint Sacrement, comprendrait aussi l’état d’anéantissement de Mme Guyon et sa sainteté.

Mylord Forbes aussi conta à feu ma femme que Mme Guyon avait fait très grand cas de feu M. Poiret, mais que cependant, ayant entendu louer la petitesse et l’esprit d’enfance de feu M. Poiret, elle dit à celui qui en faisait cet éloge, qu’il verrait encore bien autre chose en Mgr l’Archevêque de Fénelon au cas qu’il apprît à le connaître.

On demanda à Mme Guyon quelle était la cause qu’on trouvait si peu de saints parmi les protestants pendant [90] qu’il y en avait un si grand nombre parmi les catholiques. C’est, répondit-elle, parce que parmi les Protestants il n’y a point de subordination et que chacun s’y conduit selon son propre esprit.

Dans une lettre847 que feu M. Poiret a écrit à M. Traitorend [Traitorrens], il juge que si celui-ci avait été présent à la mort de Mme Guyon, il n’aurait pu en profiter beaucoup, parce qu’elle n’avait guère été en état de parler. […]

M. Poiret ajoute, que peut-être même lui Traitorend eût été choqué de trouver dans la maison de Mme Guyon si peu de mortification et de rigueur extérieure et moins encore que chez lui, Poiret, dans la société de Ranberg848, mais que telle avait été la volonté de Dieu. Mme Guyon avait bien des fois dans sa vie pratiqué les austérités extérieures dans un très haut degré, mais elle était alors dans un état apostolique, et il n’y a pas plus de comparaison à faire des mortifications et austérités extérieures à ses grandes souffrances apostoliques que d’un brin de paille à une montagne d’or, tant les souffrances apostoliques étaient d’un grand poids et d’un prix infini. M. Traitorend ne savait point encore alors ce qu’était la vie intérieure, mais ensuite il en a eu l’expérience et a subi aussi beaucoup de grandes [92] souffrances. Il avait eu quasi un démêlé avec M. Poiret pour avoir critiqué témérairement la liberté innocente des enfants de Dieu dont M. Poiret et sa société usaient.

P[age] 258 : Mme Guyon pendant les dernières douze années de sa vie qu’elle passa à Blois, entretenait des abeilles et en faisait recueillir le miel dont elle régalait ses amis. [...]

M. de Marçais m’a conté qu’une demoiselle en Suisse qui était intérieure, et dont j’ai oublié le nom, avait écrit en France pour s’informer si Mme Guyon n’avait point [93] laissé de successeur dans l’état apostolique qui assistât d’autres personnes intérieures. Sur quoi après avoir écrit en bien des endroits, elle avait enfin reçu avis qu’il existait effectivement une personne pareille, savoir la duchesse de Grammont ; mais qu’elle se tenait fort cachée quant à son extérieur, à cause du grand nombre d’ennemis qui persécutaient la vie intérieure. Que par cette raison, elle n’était connue que de personnes pareillement adonnées à la vie intérieure. Les lettres furent écrites quelques années après l’année 1720849. [...]



Extraits de lettres de l’abbé de la Bletterie

Nous donnons enfin trois brefs passages qui témoignent directement sur Mme Guyon, extraits des longues lettres850 à un ami au sujet de la relation du quiétisme. Ces dernières furent rédigées en réponse à la  Relation du Quiétisme de Phelippeaux :

[...] Vous savez, monsieur, que j'ai demeuré dans une ville peu éloignée de Blois. J'ai eu occasion de m'entretenir avec des personnes très dignes de foi qui ont connu Mme Guyon pendant les dix dernières années de sa vie. Ils m'ont souvent parlé de sa patience et de sa résignation dans des infirmités continuelles, de son amour pour les pauvres, de la simplicité de sa foi, de son éloignement pour toute voie extraordinaire. Elle avait pleinement renoncé aux vaines spéculations. Jamais on ne lui a entendu dire la moindre parole d'aigreur contre ceux qui l'avaient persécutée. Au contraire, elle les excusait en disant : «Ils ont cru bien faire. Dieu m'a voulu humilier : je ne le suis pas assez ; que Son nom soit béni.» Ce langage ne venait pas de l'impuissance de se justifier, puisqu'elle avait offert dans le temps de soutenir toutes sortes de confrontations.

Je ne sais, monsieur, si les personnes qui s'intéressent à sa mémoire  donneront une apologie. Je trouve, dans la vie de monsieur de Cambrai, que messieurs les ducs de Beauvillier et de Chevreuse, de concert avec monsieur de Fénelon, avaient dressé un Mémoire en leur nom pour la justifier, mais que, dans la crainte de les compromettre, Mme Guyon ne voulut point consentir qu'on en fît usage. [...]851



Dernières correspondances

Les témoignages et les lettres qui nous sont parvenus de la décennie qui suivit la sortie de la Bastille sont très rares. Par contre la correspondance qui nous est parvenue redevient abondante pour les trois dernières années : celles-ci semblent avoir été particulièrement actives, comme si la vieille dame de Blois, remise de prison, sentait l’urgence de préparer une nouvelle génération à prendre la relève. Car la génération des « anciens », ses contemporains, dont les ducs de Chevreuse et Fénelon, disparaît. Outre le jeune militaire marquis de Fénelon, certains s’entretiennent par écrit avec elle car ils ne peuvent aisément lui rendre visite, étant protestants : l’éditeur Poiret et ceux qui l’entourent, Metternich diplomate prussien852, des Écossais ou des Suisses ; enfin des billets qui circulent au sein du cercle de Blois sont précieusement recueillis par les visiteurs. Ils sont sept, dont des Écossais, lors de la maladie terminale.

Parmi les « disciples » jeunes, le marquis de Fénelon, neveu de l’archevêque, est le plus présent853. Il est le destinataire dont nous avons le plus de traces écrites, parce qu’il prit soin de transcrire les lettres reçues et quelques pièces dans un « cahier de lettres », dont des billets de direction. Par contre la correspondance avec l’archevêque très difficile sinon par intermédiaire très sûr devait être rare.

Un dialogue avec Fénelon en 1710

Le lien avec Fénelon résista à la séparation et au silence obligé des prisons. Seule la correspondance des années 1688-1690 nous est parvenue854 tandis que nous n’avons que quelques lettres pour les vingt années suivantes. Celle de 1710 est le précieux vestige représentatif de la méthode éprouvée où Fénelon laisse la place prête pour les réponses de sa correspondante, procédure concertée et probablement usuelle entre eux. Cette lettre établit la grande importance que Fénelon attacha toujours aux avis de Mme Guyon, comme il le recommande d’ailleurs à la même époque au duc de Chevreuse, car elle est toujours la directrice mystique d’un réseau qui réunit les anciens membres du cercle quiétiste parisien.

Les soucis de Fénelon portent sur l’état malheureux du royaume, particulièrement sensible à Cambrai dont la campagne environnante est dévastée par la guerre, où l’archevêque va s’illustrer par ses tentatives de médiation et par les secours qu’il organise. Il porte sur l’état intérieur des proches qui appartiennent aux deux cercles spirituels - celui de « notre père » Fénelon et celui de « notre mère » Mme Guyon - comme sur une succession dont il se préoccupe à juste titre puisque, de santé fragile, il mourra moins de cinq années plus tard. Les deux correspondants sont fort opposés au jansénisme (la « troisième génération » sera de tendance procédurière) peu propice à la vie mystique – et ils y voient un symptôme d’une décadence religieuse qui s’accentue en ce début du siècle des Lumières.

Extraits de la lettre de Fénelon avec les réponses de Mme Guyon, mai (?) 1710 :

[Le f. dénoté 2, r° en haut sur toute la longueur porte un ajout du marquis de Fénelon : « Écrit de la propre main de M. l’Archevêque de Cambray que l’on a avec les réponses en marge de Mme Guion »855.]

[f. 2r° colonne gauche, Fénelon, question no. 1 :] Si la guerre dure nous allons être ruinés sans ressource. Les armées seront sur nos terres. D’ailleurs le moindre mauvais événement enlèvera toute cette frontière à la France. / Il faut attendre en paix la volonté du petit Maître et Le laisser Se jouer de nous856.

[f. 2r° colonne droite, Mme Guyon, réponse no. 1 :] J’ai fait réponse sur le mémoire qu’il fallait suivre votre sentiment sur les gens et les places. Peut-être Dieu aidera-t-Il ce bon prince : Dieu peut tout. Je vous avoue que je suis fort affligée que le R[oi] tournât ses armes contre lui, mais, pour tout le reste, on peut le faire si on est sûr de la paix à ses conditions. Mais croyez-vous que les ennemis la donnent de bonne foi et qu’après avoir détrôné le fils, ils ne tâchent pas de détrôner le père857 ? […]

[f. 2r° colonne gauche, Fénelon, question no. 2 :] Vous avez paru avoir quelque pensée que vous ne vivrez pas longtemps. Cette pensée subsiste-t-elle encore ? En quel état est votre santé ? N’avez-vous besoin d’aucun secours pour des commodités dans votre indisposition ? Je serais ravi de vous envoyer tout ce que vous voudriez bien souffrir que je vous envoyasse.

[f. 2r° colonne droite, Mme Guyon, réponse no. 2 :] Il est vrai que la pensée que je mourrais bientôt m’a resté quelque temps dans l’esprit, mais cela m’a été enlevé tout à coup. Tout est dans l’équilibre pour vivre ou mourir. Je vous ai écrit une lettre qu’il y a du temps que put [Dupuy] m’a mandé vous avoir envoyée par gens sûrs : vous ne m’en dites rien. C’était l’état de mon âme que je vous exposais, elle commençait benedic me pater.

[f. 2r° colonne gauche, Fénelon, question no. 3 :] La p[etite] D[uchesse] ne m’écrit presque plus; pour moi je lui écris moitié vérité dite avec beaucoup de douceur et de ménagement, moitié raisonnant sur les nouvelles générales, et amitiés pour ne lui montrer point trop de changement, mais je vois bien que [f. 2v° col. g.] son cœur demeure malade parce qu’elle croit que tous nos bonnes gens ont changé et ont tort à son égard. Elle est piquée à l’égard du P. abbé [de Langeron] et de Dupuy qui ont secoué son joug.

[f. 2r° colonne droite, Mme Guyon, réponse no. 3 :] Il est certain que la petite d[uchesse] est fort peinée du changement universel et qu’elle ne prend point le change, que toute amitié qui ne sera point accompagnée de confiance et de dépendance ne la contentera pas. C’est une crise. J’espère que cela passera et qu’elle rentrera dans la place où elle doit être. Il est plus sûr d’obéir que de commander.

[…]

[f.2v° col. g., Fénelon, question no. 5 :] L’abbé de Chanterac, homme savant, expérimenté, pour toutes les matières ecclésiastiques, et d’un très bon conseil pour le gouvernement d’un diocèse, (c’est lui qui a été à Rome pour moi, et qui s’y est acquis une grande vénération) est accablé d’incommodités et, à soixante-douze ans, il voudrait fort nous quitter pour [f.3r° col. g.] aller chercher dans notre pays de Gascogne un climat plus doux dans sa vieillesse caduque858. Je n’ai que lui pour conseil éclairé dans les matières difficiles de droit canon. Je ne saurais compter sur les gens du pays. Lui ferais-je toujours violence pour le retenir, ou bien m’abandonnerais-je à la Providence pour m’en passer?

[f.2v° col. d.., Guyon, réponse no. 5 :] Je serais très fâchée que l’abbé de Ch[anterac] vous quitte. Croit-il se mieux porter ailleurs et peut-il mieux faire que de consacrer le reste de sa vie pour l’Église ? Que ne donnerais-je pas pour cette sainte Mère si déchirée, si combattue, qui porte dans Ses entrailles un millier d’Esaü pour un Jacob ? Si vous pouvez le retenir, tâchez de le faire avec votre douceur ordinaire. […]

[f.3r° col. d., Fénelon, question suivante :] J’ai ici M. l’abbé de Laval859, homme de grande condition, plein d’honneur et de probité, sensible à l’amitié jusqu’à une délicatesse épineuse, assez savant, et véritablement désabusé du jansénisme dont il avait été fort prévenu. Son naturel est haut, sec, négatif, roide, âpre, critique et dédaigneux. Il ne se fait point aimer. Il sent son naturel et voudrait faire mieux, mais l’humeur le tourmente. Il a le cœur serré et ne peut l’ouvrir. Voilà bien des défauts pour l’épiscopat. Mais en comparaison de tant d’autres qui ne valent rien, voilà d’excellentes qualités. Le puis-je proposer comme un bon sujet en cas que le père confesseur du roi trouvât quelque ouverture pour le faire évêque ?

[f.3r° col. g. après une demi-colonne blanche, face à « J’ai ici... », aborde un sujet plus général :] Ce qui fait qu’il y a si peu de gens qui réussissent, c’est qu’on ne connaît point la petitesse, la hauteur et le partage de ceux qui se disent honnêtes gens : il faut porter les défauts, et c’est ce qu’on trouve partout. On regarde l’humilité chrétienne comme une chose honteuse. Les gens même qui en parlent et qui l’affectent en sont infiniment éloignés. Elle ne consiste pas dans les discours, mais dans une simplicité petite et naïve qui n’a rien de lâche et de pusillanime, qui est au-dessus et au-dessous de tout. Vous ne trouverez cela que dans les gens qui aiment Dieu réellement, car tant qu’on s’aime soi-même pour peu que ce soit, on n’est point parfait dans l’amour, et on veut quelque chose et être compté être bon à quelque chose. Que Dieu a peu de cœurs dont Il puisse disposer absolument. Il faut prendre les moins mauvais, et [f.3v° col. d.] je crois que vous le pouvez proposer pour être é[vêque]860. […]

[…]

[f.1v°, col. g., Fénelon : ] Je ne suis point intéressé, mais il y a une certaine libéralité d’abandon qui n’est pas assez journalière et unie en moi. Je ne veux rien réserver ni pour moi ni pour les miens. Je suis ravi quand je donne beaucoup aux pauvres. Je me réduirais avec joie à une vie très petite et très simple : elle me débarrasserait. Je ne crains point de me trouver pour ma personne dans une pauvreté sans secours, si la guerre, qui est à la veille de me ruiner cette campagne, me fait tous les maux qu’il est presque certain qu’elle me fasse.

[f.1v°, col. d., Guyon : ] Je continuerais de faire comme vous avez fait, retranchant le superflu de la table, car je crois qu’il faut éviter la magnificence trop forte comme la lésine. Je suis très persuadée que, pensant comme vous pensez, vous seriez content d’une fortune médiocre, mais Dieu vous ayant mis sur le chandelier pour éclairer, il faut y rester jusqu’à ce qu’on vous en ôte. Je crois qu’Il vous a donné exprès du revenu afin de vous faire connaître et de vous rendre utile. Je le prie d’achever en vous son œuvre. Vous savez que rien au monde ne m’est aussi cher que vous : croissez, multipliez, remplissez la terre. […]

§

[Rupture et changement de taille des écritures de Fénelon et de Mme Guyon. Annotation en tête du f. 2r°. L’ordre des folios est : 2, 3, 1, 4. On a assemblé l’un dans l’autre deux feuillets qui devaient être juxtaposés ou même disjoints car appartenant peut-être à deux lettres différentes.]

[f.4r°, col. g., Fénelon :] Je quitterais, même en pleine paix, mon revenu, qui est grand, pour me retirer dans une solitude où je n’aurais que le nécessaire avec du repos et de la liberté.  Je ne serais en peine que pour mon neveu, qui a besoin de mon secours. Mais je crains les grosses dépenses que je fais par l’abord continuel que nous avons sur cette frontière, et par la facilité avec laquelle nous faisons les honneurs à tous, allants et venants. D’un côté, j’aime à faire honneur à l’Église par une dépense noble et bienfaisante. [f.4v°, col. g.] D’un autre côté je me reproche de n’être pas dans une certaine frugalité apostolique. Il y a en tout cela quelque chose de mélangé et de vertueux humainement. Cela n’est pas assez simple. Qu’en dites-vous ? / D[ieu] seul sait ce qu’Il fait en moi pour m’unir à vous.

[f.4r°, col. d., Guyon : ] J’entre dans toutes vos raisons sur le mémoire qu’on ne m’a jamais exposé de la sorte, mais par le seul revers il n’y a pas à hésiter et le scrupule ne vaut rien en cette occasion. Mille fois à vous dans notre petit Maître. [Le reste de la colonne en blanc.][…]861.

Contre les « Inspirés », lettre à l’abbé de Wattenville, le 8 juin 1715.

Lettre de Mme Guyon contre le prophétisme des Inspirés, jeunes émigrés « martyrs » camisards, qui s’illustrèrent tout particulièrement en Angleterre et en Écosse. Plus généralement contre toute forme extraordinaire avec laquelle la vie mystique est trop souvent associée, voire confondue. Quelques confidences personnelles. « Dieu est également partout ». Des précautions prises quant au courrier. Visite d’amis de Poiret, probablement des Écossais, car le premier éditeur de Mme Guyon, pasteur âgé vivant près d’Amsterdam, et ses proches protestants ne pouvaient prendre le risque de se déplacer :

J’ai reçu, mon cher frère en Jésus-Christ862, votre lettre du 28e de mai qui m’a fait un grand plaisir, non seulement par la continuation de vos bonnes dispositions, mais par le nombre de personnes de votre connaissance qui cherchent Dieu. Je ne désire qu’une chose au monde, qui est le règne de Dieu dans les cœurs, puisque c’est la fin pour laquelle nous avons été créés. Je vous prie de vous unir tous avec moi pour demander à Dieu ce règne. Il y a dans le Pater : que Votre règne arrive, et l’amour propre a fait ajouter par quelques-uns : que Votre règne nous arrive. Ce n’est point la demande que Jésus-Christ nous a ordonné de faire. Pourvu qu’Il règne dans le cœur, Il fera de nous ce qu’il Lui plaira. Ô combien devons-nous souhaiter cet empire de Jésus-Christ sur toutes les âmes, qu’Il a bien voulu racheter de Son sang ! Commençons par par Lui donner un plein pouvoir sur nous-mêmes, afin de pouvoir obtenir qu’Il règne dans les autres cœurs. Je vous assure que je ne vous oublierai point devant le Seigneur, vous et tous vos amis : nous ne devons être qu’un en Lui. Ce que Dieu n’accorderait pas à chacun de nous en particulier, Il l’accordera à cette union des cœurs pour Lui demander la même chose. Il me semble que nous devons mourir à tout intérêt propre pour n’avoir que Son seul intérêt en recommandation. Heureux celui qui s’oublie de tout intérêt propre pour ne penser qu’au seul intérêt de Dieu seul.

Pour ce que vous me demandez sur les « Inspirés », j’en ai déjà beaucoup écrit à d’autres qui me demandaient ma pensée sur cela. Je crois qu’il peut y avoir entre eux un grand nombre de bonnes personnes droites et sincères qui ne voudraient pas tromper, mais qui ne laissent pas d’être trompées. Il y a en cela une espèce d’obsession, car Dieu Se communique dans la paix et dans le silence du cœur et non point par des ardentes agitations. Lorsque Elie fut averti par un ange qu’il verrait le passage du Seigneur dans la montagne d’Horeb863, il se mit dans une caverne et se tenait à l’entrée ; il vint un grand tremblement, mais Dieu, dit l’Écriture, n’était point dans le tremblement ; il vint ensuite un vent impétueux et Dieu n’y était pas encore ; mais il vint enfin un petit zéphyr doux et paisible, et la même Écriture nous assure que c’est où Dieu était. Il y a beaucoup de ces personnes en Angleterre, mais ces agitations-là sont presque cessées et quelques-unes ont reconnu de bonne foi la tromperie. Je crois que tout cela est une tentation du démon pour retirer les âmes de cet intérieur paisible et tranquille et de cette foi ténébreuse que Dieu a choisie, comme dit l’Écriture, pour Sa cachette864.

L’esprit de l’homme est toujours porté à l’extraordinaire et donne facilement là-dedans, au lieu de suivre l’humble et petit Jésus dans Sa retraite, dans Son humiliation et dans les souffrances, dans Sa vie cachée et toute commune. Il a passé trente ans sur la terre sans être connu, quoiqu’Il vînt pour sauver tous les hommes. Il n’est rien dit de Lui pendant ce temps, sinon qu’Il était soumis : Et erat subditus illis865. Lorsqu’Il a fait des miracles, Il l’a fait pour confirmer la nouvelle doctrine toute céleste qu’Il voulait établir. Cependant Son extérieur et Sa manière de vivre était toute commune. C’est pourquoi il faut bien se donner de garde de prendre le change. Demeurons cachés et inconnus comme Lui. Le vrai amour de Dieu voudrait non seulement être caché aux yeux des hommes, mais même à ses propres yeux. L’apôtre, voulant faire une véritable peinture de l’intérieur, dit qu’il est paix et joie au Saint Esprit866. Ainsi vous voyez bien que toutes ces agitations empêchent le parfait repos de l’âme en Dieu. Il y a beaucoup de personnes de tous côtés qui désirent le règne de Dieu, mais quelques-unes des plus considérables et des plus avancées sont mortes depuis peu : ils sont allés à Celui qu’ils ont cherché, qu’ils ont trouvé et qu’ils ont aimé.

Pour ce qui me regarde, j’ai eu de grands biens que j’ai crus incompatibles avec l’état que Dieu voulait de moi. Je m’en suis défaite et je me suis réservé peu de chose, mais de ce peu la Providence m’en a encore ôté. Cependant je vis très contente, le pur nécessaire suffit pour mon âge : j’ai soixante-six ans passés867 ; le mois qui vient, il y aura trente-neuf ans que je suis veuve. Pour ma santé je suis fort infirme et tous les hivers en danger de mort, mais Dieu ne me juge point encore digne de paraître devant Lui. J’ai été bien des années en prison. Je suis à cette heure en exil, mais il n’y a point d’exil pour un chrétien : tous lieux sont sa patrie. Si Dieu vous inspire de nous venir voir, vous pourrez le faire librement, car je ne suis point surveillée que les amis ne me voient quelquefois. Vous serez le bienvenu, mais que la curiosité ni l’envie de voir simplement ne vous le fasse point faire : Dieu est également partout. Il n’y a point de personnes intérieures dans le lieu où je suis, si ce n’est deux bons étrangers que j’aime fort et que je regarde comme mes enfants. J’ai des enfants naturels868, mais ils sont trop du monde pour convenir avec moi. Voilà tout ce que vous désirez de savoir.

Je vous prie de saluer de ma part tous vos bons amis : je prie Dieu qu’Il leur soit toutes choses et à vous aussi. Donnez-vous bien de garde d’affranchir vos lettres : cela les ferait perdre. Ne vous inquiétez pas pour la dame à qui vous les adressez, car c’est une bonne servante de Dieu. Il n’est pas nécessaire que vous lui écriviez, mais seulement sous une enveloppe adressée à elle votre lettre marquée de ces deux lettres N M sans nommer sexe ni lieu. Cette dame se fait un grand plaisir de recevoir toutes les lettres qui viennent des personnes comme vous, et elle me prie de vous saluer de sa part. Ce 8e de juin.

Les deux étrangers qui sont ici vous saluent cordialement et se recommandent à vos bonnes prières et à celles de tous vos amis. Ils sont les intimes amis de M. P[oiret] dont vous avez parlé dans votre première lettre, et que j’estime et aime beaucoup en Jésus-Christ. Je ne crois point ce jeune enfant qui prêche, sinon qu’il a beaucoup d’esprit869 : il n’y a rien en tout cela qu’un génie et des talents purement naturels.

J’ai appris tous les ans à la Pentecôte de faire à tous mes amis en Jésus-Christ des billets composés des dons et des fruits du Saint-Esprit. J’y ajoute les vers qui me viennent au cœur et ensuite, après avoir invoqué le Saint-Esprit, j’en tire un pour chacun au sort. Voilà celui qui vous est échu :

Don de sapience, fruit de charité :

De Sapience, ô Verbe Esprit Saint, Tout amour,

Éclairez et brûlez nos cœurs en ce grand jour.

Fénelon fut impliqué dans les tensions entre évêques influencés par le jansénisme et Rome. Lui-même intervint vigoureusement contre les jansénistes. Mme Guyon suivait les nouvelles grâce à la navette assurée entre Cambrai et Blois par le marquis ; l’ex-condamnée fut toujours fermement obéissante envers Rome, comme Fénelon. Dans cette lettre, elle a en ce moment des visiteurs et la maison va recevoir des disciples écossais, mais venez, dit-elle au marquis, « je fais de vous comme des choux de mon jardin » :

Les « choux de son jardin », lettre au marquis de Fénelon.

Ce 20, [pour] le boiteux.

Mon cher e[nfant], ne vous confessez pointde tout ce que vous me mandez : il n’y a point de péché, nous parlerons sur cela, il y avait même de la bonne volonté et un zèle mal réglé. Apportez-moi un Télémaque.

Il faut que ces bons évêques aient perdu l’esprit pour demander un concile national870. Peut-on mettre en compromis une bulle reçue universellement dans toute l’Église871 ?[…]

J’ai pensé mourir de défaillance de nature ces jours-ci. Je suis un peu mieux aujourd’hui. Je suis fâchée du double état où est la sœur de Penta [l’abbé de Beaumont, un proche de Fénelon] : il y a peu espérer pour l’âme ; si elle faisait usage de son état, tout irait le mieux du monde. Je suis ravie que vous m’ameniez la petite mad872. Et vous serez dans la maison du petit Maître tant que vous le voudrez et pourrez. Si les bons Écossais viennent, vous pourrez découcher et descendre dans le bas, car je fais de vous comme des choux de mon jardin. À Dieu sans amen, mon enfant le boiteux. 873

« Plus je vois de gens sages, plus j’ai envie d’être folle », 6 août 1716.

Laisser les disputes s’évaporer :

Pour le cher boiteux. / […] / Plus je vois de gens sages, plus j’ai envie d’être folle. Ainsi mon enfant, il me paraît que la sagesse n’était point de votre ressort. Je vous prie de laisser là tout ce qui regarde les disputes du temps. Ne vous en occupez plus, car à la fin votre esprit s’accoutumerait à une plénitude perpétuelle, et je ne vois pas que cela serve de beaucoup car chacun est entêté de son sentiment : tout ce que l’on fait ne sert qu’à les roidir davantage. On m’a assuré que les choses allaient changer de face. Il faut attendre le Seigneur. Nous sommes impatients parce que nous sommes mortels et que notre vie est de courte durée, mais Dieu est patient parce qu’Il est éternel. […]874.

« Moi qui suis petite avec vous... »

Extraits d’une assez longue lettre adressée au cercle des disciples où semblent régner des dissensions :

Vous êtes tous égaux en Jésus-Christ : il n’y a point de différence entre vous que le plus ou moins de charité y met. […] Au reste, je vous donne à tous un père875 : il est expédient [utile, opportun] qu’il croisse et que je diminue, mais soyez certains qu’il ne vous sera utile qu’autant que, sans vous arrêter à son esprit, à ses talents, à ce qu’il a de fort et de grand, vous ne vous arrêterez qu’à la petitesse, à la docilité que le Seigneur lui a données. […]

Encore un coup, mes chers enfants, ne vous appuyez ni sur la science ni sur l’esprit : si vous cherchez votre sûreté en ces choses, vous ne la trouverez que dans la petitesse de votre docilité. Dieu est et sera le conducteur invisible tant que vous n’aurez point tous, tant que vous êtes, d’autre appui que le néant. Quittez donc ce qui est de l’homme sage et entrez dans la simple enfance de mon petit Maître qui, étant la Sagesse incréée, s’est fait enfant : Il ne vous communiquera la véritable sagesse qu’autant que vous serez enfants. […] 876.

« Sortir de vous-même et vous écouler en Dieu », 1717.

Mon cher frère. Il y a longtemps que j’ai au cœur de vous écrire pour vous dire que, si le bon Dieu me retire de ce monde et qu’il vienne à vous ôter les soutiens que vous avez encore, voyant devant vous votre marche, vous ne vous en étonniez pas et que vous soyez fidèle et courageux. Combattez les combats du Seigneur. J’ai reçu votre lettre. Il n’est point question de rentrer en soi : cela était bon autrefois. Ce que vous avez à faire est de sortir de vous-même et de vous écouler en Dieu. Vous ne trouverez de vrai repos que là. Quand vous pourrez venir, je vous prendrai avec joie, si je suis en vie. 1717.877.

Ici se termine ce dossier sur la seconde partie de la vie de Mme Guyon878.

Mais n’oublions pas le Père La Combe, malheureux compagnon des prisons - beaucoup plus longues, incluant certainement des horreurs cachées : son mental n’y put résister, nous détaille le terrible d’Argenson. Nous reproduisons en annexe (« Rapport de M. d'Argenson sur le père La Combe ») le seul témoignage qui nous est parvenu sur ses dernières pérégrinations.

Annexes





Fénelon et les raisons d’une rupture

Nous nous sommes attachés à la vie cachée de Mme Guyon, laissant de côté « l’affaire du Quiétisme », ne rappelant ici ou là que tel événement ou telle titre d’œuvre. Fénelon est la figure de proue du côté quiétiste à tel point que la querelle a été souvent étudiée comme l’affrontement entre deux prélats, en oubliant Mme Guyon. Il est utile de rappeler les raisons de la rupture entre Mme Guyon et Fénelon d’une part, Mme de Maintenon et les prélats qu’elle dirige d’autre part, alors que Mme de Maintenon a délivrée Mme Guyon en 1689 et qu’elle avait Fénelon pour confesseur… Que s’est-il produit trois ou quatre années plus tard ? 

Parmi les très nombreuses études sur Fénelon879 l’approche claire et profonde de Louis Cognet portant sur les événements de la période parisienne est convaincante880. Nous la résumons :

Fénelon, qui ne trouve plus un secours suffisant dans la piété qui lui avait été enseignée à Saint-Sulpice, rencontre Mme Guyon au début d'octobre 1688 au château de Beynes chez la duchesse de Béthune-Charost, qui avait connu la jeune femme dès 1666 à Montargis. Mme Guyon, lucide et sage, comprend que la sécheresse de Fénelon est liée à son tempérament. Elle lui fait accepter son état par une attitude de total abandon et oubli ; elle le conduit sur les sentiers de la foi pure et nue, réalisée dans « l’esprit d'enfance ».

Madame de Maintenon se prit d'un goût vif pour Fénelon, devenu son confesseur, et pour Madame Guyon, qu'elle avait fait libérer en 1688. Pendant deux ans la spiritualité de Madame Guyon et Fénelon règne à Saint-Cyr. Des jeunes dames commettent « en travaux pratiques » quelques incartades sans grande importance mais qui font jaser. La femme du roi se sait épiée par l'archevêque de Paris Harlay, son vieil ennemi. Elle prend peur. Elle se heurte à une opposition décidée lorsqu'à partir de l'été 1692 elle entreprend de transformer les dames de Saint-Cyr en religieuses à voeux solennels. Comprenant que son autorité est mise en échec dans sa propre fondation, elle se retourne contre Mme Guyon puis contre Fénelon et excite contre eux l'évêque de Chartres Godet des Marais, sa créature, dont par ailleurs Saint-Cyr dépend. En mars 1693 Mme Guyon reçoit l'ordre de ne plus venir à Saint-Cyr, et se trouve de ce chef mise dans une position très fausse qui peut donner lieu à toutes les suspicions.

Ses amis cherchent donc pour elle la caution d'une autorité morale et théologique. Sur le conseil de Fénelon, qui avait alors en Bossuet, dont il a été longtemps le protégé, la plus grande confiance, on fait intervenir le prélat. Il accepte et rend à la fin d'août 1693 un premier jugement favorable à Mme Guyon. Peu après, Mme de Maintenon, qui cherche elle aussi des autorités morales, demande son intervention en un sens diamétralement opposé. L'évêque de Meaux, ne sachant résister à une pression aussi puissante, donne le 30 janvier 1694 un second verdict extrêmement sévère.

Fénelon est déçu aussi bien que Mme Guyon qui se retire à la campagne. Comme des bruits calomnieux continuent à courir sur son compte, peut-être encouragés par la femme du Roi, elle demande en juin 1694 à être officiellement examinée sur sa foi et ses moeurs. On choisit pour examinateurs Bossuet, Tronson et Noailles. Fénelon entreprend courageusement de défendre Madame Guyon en même temps que lui-même. Mme de Maintenon avait déjà trouvé un moyen sûr de se débarrasser honorablement de ce dernier : en février 1695 elle l'avait fait nommer archevêque de Cambrai881. Ses amis qui espéraient pour lui le siège de Paris furent déçus mais du moins cette élévation permet à Fénelon de prendre part au débat qui clôture la série des conférences dites d’Issy et qui aboutit, après de laborieuses tractations, à la rédaction de 34 articles.

Chacun interprète ces articles d'après ses idées et dès le 16 août 1695 Bossuet s'en sert pour condamner Mme Guyon par une Ordonnance et instruction pastorale sur les états d'oraison ; Noailles s'y joint le 25 avril. Mme de Maintenon, qui eût désiré que Fénelon en fit autant dans son diocèse de Cambra, se heurte à son refus formel qui lui est signifié par une très dure lettre en date du 7 mars 1696. C’est la guerre. Les deux prélats échangent libelles et contre-libelles.

Puis le combat se déplace à Rome ; Innocent XII fait de grands efforts pour empêcher la condamnation de Fénelon et ne cède qu'aux menaces réitérées venues de Louis XIV : s'ensuivit le bref Cum alias du 12 mars 1699. Désormais Fénelon est confiné dans son diocèse de Cambrai. Il ne cessera pas de voir en Mme Guyon une sainte persécutée. Il avait trouvé en elle l'expérience du dialogue avec Dieu réalisée, mais en même temps elle lui fit comprendre que l'union avec Dieu se réalise à une profondeur qui n'est plus l'objet d'une connaissance sous forme psychologique : elle lui avait ouvert le domaine du mysticisme.





La Bastille

La Bastille « avait environ 66 mètres de long sur 30 mètres de large [...] Ses huit tours avaient un peu moins de 24 mètres de haut, leur diamètre extérieur était d’environ 11,3 m, leur épaisseur de 2 m »882, ce qui donne une chambre intérieure circulaire de 7,3 m de diamètre soit 42 mètres carrés, mal éclairée à cause de l’épaisseur des murs. Mme Guyon fut incarcérée dans la « deuxième chambre de la tour du Trésor883 », assez proche et de l’entrée et de l’accès à un jardin (put-elle s’y rendre ?).

La littérature est considérable sur ce symbole de l’arbitraire royal et les descriptions sont parfois exagérées - surtout en milieu protestant - par l’opposition vis-à-vis d’un pouvoir royal papiste. C’est même le cas dans l’ouvrage précis de 1777 du philanthrope anglais John Howard884 par ailleurs admiratif d’autres prisons françaises (peut-être pour exercer une pression at home) :

Ce château […] est composé de huit tours très fortes, environné d’un fossé large de cent vingt pieds. […] Au sommet de ces tours est une plate-forme entourée de terrasses, sur lesquelles on permet quelquefois aux prisonniers de se promener, suivis des gardes. Sur cette plate-forme sont treize canons qui se font entendre dans les jours de réjouissance… Les cachots de la tour de la liberté [ !] s’étendent sous la cuisine et les offices. Dans le mur même qui la soutient sont cinq niches ou petits cabinets, dans lesquels les prionniers entrent l’un après l’autre pour entendre la messe, et où ils ne peuvent ni voir, ni être vus. […] Une des sentinelles […] sonne une cloche à toutes les heures pendant le jour, comme durant la nuit…

Voici ce qui tenait lieu de chauffage (et de consolation ?) aux prisonniers, notamment pendant le terrible hiver de 1709 :

[G. Gerberon] a repris une partie de ses forces qu’il conserve par le secours de deux ou trois bouteilles de vin qu’il boit tous les jours.885

Une description typique, publiée en 1847, centrée sur le sort de Mme Guyon et illustrée d’un plan bien expliqué de la place, est fournie par le notable auteur américain Upham886.



Le procès des mœurs

Le procès qui fut fait à Mme Guyon comporte deux volets, l’un lié au quiétisme en tant qu’une spiritualité condamnée en 1687, l’autre portant sur ses mœurs. Nous traitons ici ce second volet887.

Il est nécessaire de revenir en arrière, aux années « étrangères » passées en Savoie et en Piémont. A l’automne 1683, elle se rend de Thonon à Turin qu’elle quittera le 2 avril 1684 pour Grenoble. Elle reprend dans cette ville française un apostolat :

Je ne fis aucune visite, mais je fus surprise lorsque, peu de jours après mon arrivée, il vint me voir plusieurs personnes qui faisaient profession d'être à Dieu d'une manière singulière. / Je m'aperçus aussitôt d'un don de Dieu qui m'avait été communiqué, sans que je le comprisse, du discernement des esprits et de donner à chacun ce qui lui était propre. […] Je voyais clair dans le fond l'état des âmes de celles qui me parlaient, et cela avec tant de facilité, que celles qui venaient me voir étaient dans l’étonnement et se disaient les unes aux autres que je leur donnais à chacune ce qu’elles avaient besoin […], elles s'envoyaient (à moi) les unes les autres. Cela vint à tel excès que, pour l'ordinaire, depuis six heures du matin jusqu’à huit heures du soir, j'étais occupée […]. Il leur était donné une facilité surprenante pour l'oraison… 888.

Cet apostolat s’étend à des religieux capucins et / ou bénédictins889 :

un frère qui s'entend très bien aux malades étant venu à la quête, et ayant su que j'étais mal, entra. Notre Seigneur […] permit que nous entrâmes dans une conversation qui réveilla en lui l'amour qu'il avait pour Dieu, et qui était, à ce qu'il dit, étouffé par ses grandes occupations. Je lui fis comprendre qu'il n'y avait aucune occupation qui pût l'empêcher ni d'aimer Dieu, ni de s'occuper de lui.890.

Ce bon frère fit en sorte que son supérieur me vint voir pour me remercier des charités, disait-il, que je leur faisais. Notre Seigneur permit qu'il trouva quelque chose dans ma conversation qui lui agréa. Enfin il fut achevé d'être gagné, et ce fut lui qui, étant fait visiteur à quelque temps de là, débita une si grande quantité de ces livres [il s’agit du Moyen court] qu'ils firent acheter à leurs frais…891.

Elle fait allusion à l’ordre dont nous savons par l’intervention de leur Général qu’il s’agit des chartreux :

Notre Seigneur me donna un très grand nombre d'enfants et trois religieux fameux d'un ordre dont j'ai été et suis encore fort persécutée. Ceux-là me sont très intimes, surtout un. Il me fit servir à un grand nombre de religieuses et de filles vertueuses…892.

Elle rédige des Explications de l’Écriture sainte incluant une interprétation du Cantique des cantiques. Le 7 mars 1685, est publié le Moyen court, à l’initiative de M. Giraud, conseiller au Parlement. D’assez nombreuses réimpressions feront de cet ouvrage unsuccès de librairie tandis que le rayonnement de l’auteur atteint de nombreux chartreux et des chartreuses qu’elle visite.

La grande Chartreuse n’est guère distante « de la ville de Grenoble, d’où l’on apporte tous les jours des denrées, la charge de deux mulets, car il faut beaucoup de vivres aux religieux, qui sont au nombre de plus de soixante… » 893. Mme Guyon rencontra dom Le Masson, peut-être pour solliciter sa permission de prendre contact avec des chartreuses. Ce dernier nous déclare :

Je n'avais pu me dispenser, six ou sept ans auparavant, de parler à la dame, qui était venue de Grenoble, monter dans un endroit de nos rochers, où elle pouvait me parler. Ceux qui m'accompagnaient peuvent être des fidèles témoins de ce que je leur dis après être sorti de la conversation de cette dame, des sentiments que j'avais conçus de ces entretiens spirituels, qui m'étaient venus tout d'abord [sic] fort suspects. 894.

Le rayonnement de l’apostolat d’une simple laïque apparaît assez dérangeant et l’évêque de Grenoble, Etienne Le Camus895, fait prier Mme Guyon de quitter son diocèse :

La dame me demanda la permission de continuer ses conférences, et je la lui refusai, et je lui fis dire qu’il lui serait avantageux de se retirer du diocèse [de Grenoble]. De là, elle s’en alla dans des monastères de chartreuses, où elle se fit des disciples. / Elle était toujours accompagnée d’une jeune fille qu’elle avait gagnée… [suit un récit que nous allons reproduire ci-dessous] / Ce général [dom Le Masson], homme très savant et très sage, a été obligé de sortir de sa solitude, pour aller réparer les désordres que cette dame avait faits dans quatre couvents de chartreuses, où elle avait fait la prophétesse comme partout ailleurs.896.

Mme Guyon visita de fait probablement le monastère de Premol, distant de trois lieues de Grenoble, qui comptait une trentaine de religieuses897 :

Elle vit en ce pays-là les chartreuses de Ple…. [sic ; pour Prémol], à qui elle donna un commentaire sur le Cantique des cantiques et leur apprit beaucoup de choses de spiritualité, dont le père général des chartreux ne fut pas content : ce qui l’a même engagé depuis à faire d'autres commentaires sur le même cantique […] elle cessa, à cause de cela, de voir les chartreuses…898.

Ses livres et sa doctrine pénétrèrent également à Mélan et à Salettes899. Cette irruption dans la vie des chartreuses irrita le Général, dont son biographe nous dit :

À peine averti, nous le voyons recourir aux grands moyens : il va se rendre lui-même sur les lieux. / Pour comprendre ce que cette démarche a de tout à fait insolite, il faut se rappeler que l'observance des « limites de chartreuse » est pour le général [...] une tradition sacro-sainte, et à laquelle on ne cite que très peu de dérogations dans toute histoire de l'ordre. Néanmoins Dom le Masson n'hésite pas à recourir à Rome pour demander les dispenses nécessaires. Le 4 avril 1690, il obtient d'Alexandre VIII un bref l'autorisant à visiter en personne les trois couvents [...] Dom Innocent agit avec vigueur. Il fait brûler sous ses yeux tous les livres qui, de près ou de loin, touchent au quiétisme ; puis il rassemble les moniales en séance capitulaire, et, après avoir réfuté les doctrines guyonniennes, il expose les principes du véritable amour de Dieu d'après saint François de Sales : la première preuve en est l'obéissance à la loi de Dieu et aux Statuts de l'ordre. [...] La visite avait porté d'excellents fruits. « Les moniales furent subjuguées par la science et la vertu du révérend père » nous dit l'historien du monastère de Mélan [...] « J'ai de la joie, écrit de son côté le général à la prieure de ce monastère, d'apprendre que vous avez remis les esprits à la paix » [...] Vous savez, ajoute-t-il, qu'il y avait bien du déchet... 900.

L’irritation de Le Masson envers « cette femme que saint Jean appelle Jézabel dans son Apocalypse901 » l’emporte :

Je connais de quoi est capable Mme de Guyon et de nom et de doctrine, d'œuvre et même de visage, car elle a voulu me voir, et je lui ai parlé sur le bord de notre désert. [...] Mme de Maintenon a fait un bien qui est encore plus grand qu'elle ne pense en faisant écarter et resserrer cette femme... 902.

L’alarme, qui n’avait visiblement pas été dissipée par leur rencontre, provoqua finalement la rédaction par Le Masson d’une Déclaration […] à la postérité 903 :

Voici l’origine de ma descente chez les moniales […] J'ai reconnu depuis par expérience locale la grandeur du mal qui surpasse beaucoup tout ce que je pensais, et la nécessité du remède [...] sans recourir à Rome, où il faudrait décliner son nom, révéler la turpitude, etc.

La « turpitude » ne semble pas avoir été très considérable. En 1702 :

Dom Charles le Coulteux montre que nul reproche ne fut tenu contre les communautés de Prémol et de Salettes ; il précise ce qu'on put constater à Mélan : « Choses de peu d'importance », selon lui, « dont les communautés de filles ne sont jamais exemptes ». Notre documentation ne nous permet guère de concilier ces jugements contrastants [entre Le Masson et Le Coulteux]…904.

Revenons à Mme Guyon, en route pour la seconde fois vers le Piémont, cette fois-ci par mer, car nous sommes à peine sortis de l’hiver 1685. A Marseille, elle est appréciée par le célèbre mystique aveugle Malaval. Après un voyage difficile sur mer, par suite de tempête, et sur terre, par suite du mauvais accueil des Génois bombardés peu de temps auparavant 905, et d’une rencontre de voleurs, elle arrive à Gênes le 18 avril et à Verceil [Vercelli, à 70 kilomètres de Milan] le 20 avril. Elle est bien accueillie par l’évêque V. A. Ripa906, qui fut en relation avec le remarquable cardinal quiétiste Petrucci, puis par son amie, la marquise de Prunai, proche de la Cour de Turin. Elle écrit toutefois le 3 juin 1685 à J. d’Arenthon, évêque de Genève, mais il lui refusera de s’installer dans son diocèse907. Enfin, après un séjour de près d’un an en Piémont 908, Mme Guyon et le P. la Combe, nommé à Paris, retournent au printemps 1686 en France, et passent une seconde fois par Grenoble :

Tous ceux que Dieu m'avait donnés la première fois que je fus à Grenoble, me vinrent voir durant ma maladie, et témoignèrent une extrême joie de me revoir. Ils me montrèrent les lettres et les rétractations de cette pauvre fille passionnée [Cateau-Barbe] 909, et je ne vis pas que personne fut resté impressionné de ses contes. Monsieur de Grenoble me témoigna plus de bonté que jamais, m'assura n'en avoir jamais rien cru, et m'offrit de rester dans son diocèse. L’on me fit encore de nouvelles instances pour me porter à rester à l'hôpital général…910.

Ils remontent enfin vers Paris. Ils sont à Lyon le 25 mai, puis à Dijon où ils rencontrent Claude Quillot, ce qui provoquera plus tard des ennuis911. Le 16 juillet, Molinos est arrêté à Rome. J’arrivai à Paris la veille de la Madeleine 1686 [22 juillet], justement cinq ans après mon départ.

Le dossier des accusations portant sur la vie privée de Mme Guyon deviendra incontournable puis laissera longtemps planer des doutes, parce que l’autorité du Général des chartreux, dont on nous dit qu’il était crédule, leur avait donné du poids. Les calomnies ont été réfutées grâce aux travaux érudits de L. Cognet et surtout de J. Orcibal, enfin de M.-L. Gondal.

Dom Innocent Le Masson avait écrit à M. Tronson912, le 8 novembre 1694 :

Permettez-moi de vous témoigner la consolation que j’ai eue en voyant l’Ordonnance de Mgr votre archevêque, qui condamne et défend les livres d’une dame directrice dont la doctrine métaphysique a fait bien du tort à plusieurs bonnes âmes, et sa conduite encore plus à quelques-unes. J’ai trouvé son Cantique 913 entre les mains de nos filles chartreuses, qui leur aurait mis dans l’esprit de dangereuses rêveries si je ne leur avais retiré des mains ; et même je leur en ai dressé un autre  914, afin de leur arracher de l’esprit ce que celui de la dame y avait déjà imprimé. Je me donne l’honneur de vous l’envoyer…

Il s’agissait là d’une « compétition portant sur l’autorité spirituelle » : le Général avait de bonnes raisons pour ne pas accepter l’intervention d’une laïque chez ses dirigées quand bien même Mme Guyon se défendait d’avoir recherché extérieurement ou intérieurement une telle autorité.

Mais Dom Innocent ne s’arrête pas là. Dans une lettre915 écrite trois jours plus tard, le 11 novembre 1694, où il informe l’abbé de La Pérouse916 de l’envoi de son propre Cantique en réponse à celui de la Dame, il insinue des « choses terribles » 917. Car tout procès d’Inquisition requiert que deux volets soient remplis, l’un portant sur la doctrine et l’autre portant sur les mœurs918.

J’ai écrit à M. Tronson une lettre de congratulation […] J’ai même donné charge à un des officiers de la Chartreuse de Paris de lui porter un de mes Cantiques, où il verra que je ne l’ai fait que pour détruire les dangereuses et méchantes rêveries de la Dame. […] C’est à moi-même, monsieur, que la patiente [il s’agit de Cateau-Barbe, fille qui fut un temps au service de Mme Guyon] l’A dit, flens et gemens [pleurant et gémissant]. Elle me l’a dit comme un enfant à son père, pour tirer de lui instruction et consolation. C’est un sujet d’affliction qui lui reste au cœur d’avoir suivi, etc. [sic] ; et un des sujets de ses plus intimes actions de grâces à Dieu, c’est d’avoir été préservée du danger, qui lui paraît comme un abîme où elle devait périr, sans un secours spécial de la miséricorde de Dieu. C’était comme un pauvre agneau innocent qu’on menait, etc. [sic]. Il y a des circonstances singulières que le papier ne peut souffrir ; mais je prie M. T[ronson] d’user de sa prudence en ceci : car si cette dame adroite [Mme Guyon] en avait la moindre ouverture, elle se douterait bien que c’est la patiente qui me l’a révélé, et elle envelopperait une fille angélique dans ses affaires. C’est un grand service pour le public que d’arrêter le cours du dommage que cette illuminée fera partout, si on la laisse faire... 919.

On ne perçoit pas très clairement la nature exacte du lien suggéré. En tout cas Tronson aura connaissance de ces insinuations, comme l’indique sa lettre  à l’abbé de la Pérouse du 29 janvier 1695, rendant compte de la défense de Mme Guyon à l’époque des entretiens d’Issy :

elle donne des explications si catholiques aux difficultés qu’on lui propose, qu’il ne sera pas aisé de condamner la personne touchant la doctrine, à moins qu’on ne voie du dérèglement dans les mœurs. Le fait contenu dans le billet du Père général est terrible ; mais comme on ne peut nommer personne, il ne fera pas sur les esprits toute l’impression qu’il serait à désirer […] le détail que je vous ai écrit était pris de sa Vie […] je vous prie même d’effacer dans les lettres que je vous ai écrites, que ces choses sont tirées de sa Vie 920.

Ce qu’il répète dans le post-scriptum à sa lettre adressée à Le Masson le 8 juillet 1695 :

Je n’ai pu me servir efficacement du billet que vous savez et que M. l’abbé de la Pérouse m’avait envoyé, parce que le secret [d’obligation] m’empêchant de nommer personne, ni de dire le lieu d’où il était envoyé, il n’a eu aucun effet. 921.

Le cardinal Le Camus, évêque de Grenoble, reprendra l’accusation dans une lettre adressée à l’évêque de Chartres en 1697. Cette lettre qui circula à Paris au moment des interrogatoires au donjon de Vincennes922 a déjà été citée à propos de l’activité « missionnaire » de Mme Guyon. Nous reproduisons maintenant les accusations :

[…] Elle était toujours accompagnée d’une jeune fille qu’elle avait gagnée, et qu’elle faisait coucher avec elle 923 : cette fille est très bien faite et pleine d’esprit. Elle l’a menée à Turin, à Gênes, à MarseiIle et ailleurs, et ses parents s’étant venus plaindre à moi de l’enlèvement de leur fille, j’écrivis qu’on la renvoyât, et cela fut exécuté. Par cette fille, on a découvert d’affreux mystères. On s’est convaincu que Mme Guyon a deux manières de s’expliquer. Aux uns, elle ne débite que des maximes d’une piété solide ; mais aux autres, elle dit tout ce qu’il y a de plus pernicieux dans son livre des Torrents, ainsi qu’elle en a usé à l’égard de Cateau-Barbe ; c’est le nom de cette fille dont l’esprit et l’agrément lui plaisaient.

Repassant par Grenoble, elle me fit tant solliciter924, que je ne pus lui refuser une lettre de recommandation […]

Si le bénédictin [Dom Richebracque] ne s’était pas rétracté, c’eût été une nouvelle preuve contre cette dame : mais ce père se trouva engagé à se dédire par une personne de grande qualité dont il faut taire le nom 925. Mais il y avait déjà de quoi se convaincre assez des erreurs et de la conduite de cette femme, qu’on voyait courir de province en province avec son directeur […]

Le général des chartreux a écrit une très grande lettre à M. N. [Tronson], sur tout ce qu’il a découvert de la conduite de cette dame et de Cateau-Barbe. Ce général, homme très savant et très sage 926

Terminons sur les suites des insinuations concernant la perturbatrice. L’enquête menée par Chevreuse conduisit à des témoignages donnant un tout autre son de cloche. S’en détache celui du bénédictin, Dom Richebracque, qui répond point par point, en prenant la défense de l’accusée, en particulier, sur la question de ses mœurs 927 :

le bruit s'apaisa bientôt, parce, disait-on, que la fille [Cateau-Barbe] s'était rétractée, ayant, par les remords de sa con­science, reconnu que le seul dépit de n'avoir pas fait le voyage [en Piémont] l'avait fait parler si mal à propos. On di­sait aussi que cette fille avait eu quelque temps l'es­prit égaré. Vous voulez, monseigneur, que j'ajoute s'il ne m'est rien revenu d'ailleurs de mauvais des mœurs de la dame. Je le fais, en vous assurant que non. On di­sait au contraire beaucoup de bien de sa grande re­traite, de ses charités, de son édifiante conversa­tion, etc. Un M. Giraud [l’éditeur du Moyen court], entre les autres, conseiller, et si j'ose le dire d'un si saint homme, mon ami, homme d'une probité reconnue, et que l'on m'a mandé être mort depuis quelques mois en odeur de sainteté, ne pouvait s'en taire, et prenait généreusement son parti, quand la prudence ou la charité l'exigeaient de lui. 

On dispose également d’attestations remarquables des religieuses et de la supérieure du couvent de Meaux où Mme Guyon fut emprisonnée, de réfutations d’accusations diverses, etc.928.

En conclusion, les deux insinuations les plus directes portant sur les mœurs les plus intimes, d’une part issue d’une dénonciation de Cateau-Barbe, reprise par Dom Le Masson, d’autre part venant des témoins de rapports paraissant trop intimes avec le P. la Combe, renforcés par une fausse lettre attribuée au P. La Combe et présentée à Mme Guyon à Vincennes, ne purent être confirmées malgré des pressions intenses. Mme de Maintenon eut communication des interrogatoires préparés soigneusement, une enquête avait été préalablement conduite sur toutes les relations de l’accusée929. Mme Guyon fut finalement lavée sur le chapitre des mœurs : « Et quand l’Assemblée du Clergé donna le 26 juillet 1700 à Bossuet l’occasion de présenter une relation de toute l’affaire, il dut reconnaître […] que pour les abominations qu’on regardait comme les suites de ces principes [quiétistes], il n’en fut jamais question, et cette personne en témoignait de l’horreur. » 930.

L’abbé Cognet, en 1967, met en cause l’évêque de Grenoble : « l'attitude prise par Le Camus demeure mystérieuse et, pour l'apprécier, il faut tenir compte des sympathies ouvertement jansénistes et de l'évidente duplicité du personnage, qui plus tard cherchera à se donner la gloire un peu facile d'avoir été l'un des premiers à détecter le quiétisme en France931. » Deux études de Jean Orcibal confirment la réhabilitation 932. Mme Gondal constate qu’« à mesure que les documents sortent du silence où ils ont été enfouis, la contre-accusation menée par l’accusée s’avère exacte 933. »



Lettre du cardinal Le Camus à l’évêque de Chartres

M. l’évêque de Genève avait mis Mme Guyon chez les Nouvelles Catholiques de Gex, espérant qu’elle leur ferait du bien dans leurs affaires temporelles. Mais ayant appris qu’elle et son père La Combe dogmatisaient, il les obligea de quitter son diocèse. Ils vinrent à Grenoble, où ils ne furent pas plus tôt arrivés que le P. La Combe employa tous mes amis pour obtenir la permission de confesser, de diriger et de faire des conférences ; mais cela lui fut absolument refusé. En ce temps-là, j’allai faire ma visite, qui dura quatre mois934. Mme Guyon profita de mon absence ; elle y dogmatisa, et elle fit des conférences de jour et de nuit, où bien des gens de piété se trouvaient ; et surtout les novices des capucins, à qui elle faisait des aumônes, y assistaient, conduits par un frère quêteur. Par son éloquence naturelle et par le talent qu’elle a de parler de la piété d’une manière à gagner les cœurs, elle avait effectivement fait beaucoup de progrès, elle s’était attiré beaucoup de gens de distinction, des ecclésiastiques, des religieux, des conseillers du Parlement, et elle fit même imprimer sa méthode d’oraison. A mon retour, ce progrès me surprit, et je m’appliquai à y remédier. La dame me demanda la permission de continuer ses conférences, et je la lui refusai, et je lui fis dire qu’il lui serait avantageux de se retirer du diocèse. De là, elle s’en alla dans des monastères de chartreuses, où elle se fit des disciples.

Elle était toujours accompagnée d’une jeune fille qu’elle avait gagnée, et qu’elle faisait coucher avec elle : cette fille est très bien faite et pleine d’esprit. Elle l’a menée à Turin, à Gênes, à MarseiIle et ailleurs, et ses parents s’étant venus plaindre à moi de l’enlèvement de leur fille, j’écrivis qu’on la renvoyât, et cela fut exécuté. Par cette fille, on a découvert d’affreux mystères. On s’est convaincu que Mme Guyon a deux manières de s’expliquer. Aux uns, elle ne débite que des maximes d’une piété solide ; mais aux autres, elle dit tout ce qu’il y a de plus pernicieux dans son livre des Torrents, ainsi qu’elle en a usé à l’égard de Cateau Barbe ; c’est le nom de cette fille dont l’esprit et l’agrément lui plaisaient.

Repassant par Grenoble, elle me fit tant solliciter935, que je ne pus lui refuser une lettre de recommandation qu’elle me demandait pour M. le Lieutenant civil, sous prétexte d’un procès par-devant ce magistrat. Il n’y avait rien que de commun dans cette lettre : je disais seulement que c’était une dame qui faisait profession de piété936; mais j’ai su depuis qu’elle n’avait aucun procès, et qu’elle n’avait pas rendu la lettre à M. le Lieutenant civil ; mais elle prit grand soin de la montrer, croyant que cela pourrait lui donner quelque réputation et quelque appui...

Si le bénédictin937 ne s’était pas rétracté, c’eût été une nouvelle preuve contre cette dame : mais ce père se trouva engagé à se dédire par une personne de grande qualité dont il faut taire le nom938. Mais il y avait déjà de quoi se convaincre assez des erreurs et de la conduite de cette femme, qu’on voyait courir de province en province avec son directeur, au lieu de s’appliquer à sa famille et à ses devoirs. L’Inquisition de Verceil voulait faire des informations contre elle et le P. de La Combe, mais Son Altesse royale [le duc de Savoie] les fit sortir de ses états, sans beaucoup de cérémonie.

Le général des chartreux a écrit une très grande lettre à M. N. [Tronson], sur tout ce qu’il a découvert de la conduite de cette dame et de Cateau Barbe. Ce général, homme très savant et très sage, a été obligé de sortir de sa solitude, pour aller réparer les désordres que cette dame avait faits dans quatre couvents de chartreuses, où elle avait fait la prophétesse comme partout ailleurs939.

Lettre du P. La Combe à l’évêque de Tarbes

Cette lettre940 parvint aux agents de Bossuet à Rome le 20 mars 1698. L’effet dut être ravageur tout comme celui de la lettre forgée attribuée au même.

9 janvier 1698.

A Monseigneur l’illustrissime et révérendissime Évêque de Tarbes.

[...] Pour ce qui regarde mes mœurs, j’avoue à ma confusion que j’ai très mal fait que de m’ingérer à donner ici quelques avis spirituels dans le peu d’occasions que j’en ai eues, quoiqu’à peu de personnes, mais aussi à quelques-unes de l’autre sexe. Ce malheur m’était déjà arrivé lorsque vous m’en fîtes, Monseigneur, une très juste et très sage défense. J’en demande très humblement pardon à votre Grandeur, comme encore d’y avoir depuis donné quelque atteinte. J’accepte de tout mon cœur telle punition qu’il lui plaira de m’imposer pour ce chef, aussi bien que pour mes autres transgressions, si celle d’une très étroite réclusion, où je suis rentré après une prison d’onze ans, ne paraît pas suffisante.

J’ai dit que de bonnes et saintes âmes étaient quelquefois livrées par un secret jugement de Dieu à l’esprit de blasphème, ce qui a scandalisé quelques personnes ; cependant plusieurs graves auteurs l’ont écrit, entre autres saint Jean Climaque941. On convient que ces horribles paroles sont formées par le démon, qui remue les organes de la personne qui les souffre malgré elle. Je n’ai jamais conseillé de consentir à cet état, ni d’y entrer, ni pris aucune part à cette terrible épreuve, de laquelle même je me défendis lorsqu’elle me fut intérieurement proposée, il y a quinze ou seize ans, aimant mieux être sacrifié à toute autre peine qu’à la moindre ombre d’un mépris de la divine Majesté. Ayant ici connu deux personnes livrées à cette affreuse humiliation, je les ai consolées et aidées sans y participer.

J’ai dit que de bonnes et saintes âmes sont quelquefois livrées à des peines d’impureté soit à un esprit942, ou à un état qui leur en fait souffrir de cruels effets, sans que l’on puisse pénétrer comment cela se fait. Je ne l’ai pas avancé de mon chef, j’ai trouvé en divers pays des directeurs qui disent l’avoir reconnu ; mais je n’en ai jamais donné de sûreté, ni aucune certitude, comme l’ont fait quelques-uns et principalement Molinos. Au contraire, je disais que ces terribles épreuves, supposé qu’il y eût du dessein de Dieu, devaient faire perdre toute assurance et toute confiance en la propre justice. Je n’ai jamais prétendu non plus en faire une règle générale ou un moyen nécessaire. Bien loin de là, j’ai toujours cru que le cas était très rare [...]

Je ne sais si l’on peut me convaincre d’avoir donné dans aucune des erreurs de Molinos, que celle dont j’ai parlé. Pour moi, je ne l’ai pas reconnu, et pour ce qui est de celle-là, je la rejette et déteste véritablement, aussi bien que toutes les autres, reconnaissant enfin clairement l’abus de ces pernicieuses conséquences, grâce à Jésus-Christ.

[...] Je suis tombé dans des misères et des excès de la nature de ceux dont j’ai parlé ci-dessus. Je l’avoue avec repentance et avec larmes ; mais à même temps que je confesse mon iniquité contre moi-même, je me crois obligé d’ajouter que je mentirais, si je disais que c’eût été à dessein de séduire personne ou seulement de me satisfaire, absit943, ou par les mêmes principes qu’on le fait dans le désordre du monde. On peut voir dans mes écrits : je dépeins naïvement mon intérieur, n’écrivant que pour moi-même l’estime, l’amour, l’attachement et la souveraine préférence que Dieu m’a donnée pour Sa volonté et pour Ses lois. Me voir après cela livrer et précipiter par entraînement de folie et de fureur à des choses qu’elle défend, sans perdre le désir de lui être conforme en tout, et n’y être tombé qu’après les consentements réitérés qu’il a exigés de moi plusieurs fois pour tous ses plus étranges desseins sur moi, m’en faisant en même temps prévoir et accepter les plus terribles suites, c’est ce que je n’ai jamais pu comprendre moi-même, bien loin que je présume de le faire comprendre et approuver aux autres.

Mon Dieu, sous les yeux de qui j’ai écrit ceci, sait combien de prières je lui ai adressées et combien de larmes j’ai versées en sa présence pour le conjurer de me délivrer d’une telle misère, ou bien de me la changer contre toutes les autres peines, et de me couvrir de tous opprobres plutôt que de permettre que je me séduisisse moi-même, que j’en trompasse d’autres par des endroits si glissants et si dangereux. [...]

Après ce que je viens d’exposer, j’accepte par avance et promets de suivre en tous points ce que l’on m’ordonnera touchant les dogmes et les mœurs, suppliant en même temps que, sans épargner ma personne selon que l’on me trouvera coupable, on veuille épargner le nom et la réputation du corps dont je suis membre944 et duquel j’ai été la croix et l’opprobre depuis si longtemps, comme aussi les personnes qui pourraient être intéressées dans ma cause, promettant, avec l’assistance de mon Dieu, d’user à l’avenir de tant de retenue et de précaution, que l’on n’aura plus aucun sujet de se plaindre de moi.

J’ai cru que votre Grandeur ne désagréerait pas la liberté que j’ai prise de lui faire cette très humble remontrance et sincère protestation, et abandonnant le tout à sa bonté pastorale et à son équité, je la supplie de souffrir que je me jette à ses pieds pour lui demander sa sainte bénédiction.

Signé dom François La Combe. À Lourdes, le 9e [janvier] de l’an 1698.





Rapport de M. d'Argenson sur le père La Combe.

Le P. de la Combe, barnabite, âgé de soixante-douze ans, est entré à l'hôpital de Charenton le 29 juin 1712, par lettre de cachet expédiée par Mgr le C[omte] de Pontchartrain, du 18 du même mois.

Il a été transféré du château de Vincennes en cette maison. La détention de Mme Guyon a été la principale cause de son malheur945. Sa raison avait paru alternativement altérée et rétablie, ce qui avait fait soupçonner, avec assez d'apparence, qu'il y avait dans sa folie plus d'affectation que de vérité. Cependant, lorsqu'il a été tiré de Vincennes, il y avait plus d'un an que l'alternative de son extravagance continuait sans interruption ; d'ailleurs il ne mangeait presque point, et il se fâchait quand on lui présentait d'autres aliments que des légumes, des fruits et du poisson, dont il n'usait que fort rarement ; il excommuniait, il damnait tous ceux qui l'approchaient, il parlait sans ordre et sans suite, quoique d'ailleurs sa santé parût très bonne. Ainsi, ses désordres passés ou présents n'ayant pas permis de le rendre libre, ni de l'exposer aux yeux du public pour l'honneur de son institut [barnabite], ni pour l'intérêt de la religion qu'il a scandalisée en tant de manières, le roi a bien voulu qu'il passât dans cet hôpital, où il paraît encore plus extravagant qu’à Vincennes. Il dit que les prêtres l'ont diffamé, que ceux qui approchent de lui ont dessein de le séduire, que sainte Marie Égyptienne était une garce, que saint François de Paule était un corrupteur de femmes et saint François d'Assise un sorcier, que Mme Guyon est une véritable sainte, mais que la plupart des autres saints sont damnés, qu'il dit toutes ces choses de la part de Dieu, et que c'est le Saint-Esprit qui les lui a révélées.

En 1713. Sa folie est toujours la même et paraît se tourner en imbécillité : il dit pourtant encore que tous les prêtres sont des femmes, et il ajoute que Constantinople n'est qu’à trois lieues d'ici. Ainsi l'on n'a pu faire aucun usage de la décision qu'il plut à M. de Pontchartrain, qui fut qu'il fallait tâcher de le convertir, le dérangement de son esprit le rendant incapable de repentir et de correction.

Il est mort à Charenton, sans se reconnaître ni vouloir se confesser, et lorsque le prêtre s'approchait de lui, il le repoussait avec de grands cris, en disant que c'était une femme. En l'année 1715. 946.

Sources

La liste suivante reprend les sigles utilisés et les références associées des sources que nous avons le plus fréquemment utilisées (références et sigles donnés précédemment en note lors de leur premier appel) :

Sources manuscrites :

A.S.-S. : Archives de Saint-Sulpice (elles conservent la plus grande partie des sources guyoniennes et féneloniennes).

Ms. 5250 : B.N.F., nouv. acq. fr. 5250. - Dossier des papiers de La Reynie. Nous avons revu tous les textes provenant de cette source manuscrite (dont certains furent publiés par Griselle DH).

Lm2 : ms. de Lausanne, deuxième main (source utilisée dans Vie 5.).

Ouvrages fréquemment cités :

CF : Fénelon, Correspondance, établie par Jean Orcibal ; puis Jean Orcibal, Jacques Le Brun & Irénée Noye, Klincksieck, 1972 sq. ; puis Droz. - Le tome II contient les lettres 1 à 300, le tome III contient les notes correspondantes aux lettres précédentes ; les tomes suivants adoptent la même alternance entre texte édité et apparat. – Nous reprenons par ailleurs souvent des informations établies dans les notes d’Orcibal [O].

CG I, CG II, CG III : Mme Guyon, Correspondance : Tome I Directions spirituelles, Tome II Combats, Tome III Chemins mystiques, Edition critique établie par D. Tronc, Paris, Honoré Champion, collection « Correspondances », 2001-2005. – Edition thématique de la Correspondance active et passive ainsi que de pièces d’intérêt biographique.

Cm : L. Cognet, Crépuscule des mystiques, Bossuet Fénelon, Desclée, 1958. - Plus de la moitié de cet ouvrage traite directement de Mme Guyon, ce que n’indique pas le titre de l’ouvrage.

Griselle DH : Documents d'Histoire, Recueil trimestriel, Première année, 1910, « Sections IV Quiétisme », pp. 98-120, 291-298, 447-457 (édition d’une partie des interrogatoires dont les deux premiers de Mme Guyon) & Griselle RF : Revue Fénelon, 1910-1911, pp. 58-66 (éd. de la liste des dossiers du ms. nouv. acq. fr. 5250).

Guyon, Œuvres mystiques : Mme Guyon, Oeuvres mystiques, Paris, Honoré Champion, coll. « Sources Classiques », 2008.

UL : Urbain & Levesque, Correspondance de Bossuet, Paris, 1909-1925, 15 vol.

Vie : Mme Guyon, La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, Edition critique avec introduction et notes par D. Tronc, Etude littéraire par A. Villard, Paris, Honoré Champion, coll. « Sources Classiques », 2001. - Divisé en cinq sections : Vie, 1 à 3 : ms. d’Oxford avec variantes du ms. de Saint-Brieuc et de l’éd. de 1720 de la Vie par elle-même ; Vie, 4 : ms. de Chantilly-Lyon du « récit de prisons » ; Vie 5 : ms. de Lausanne de témoignages provenant d’un cercle guyonnien.






Table

Table des matières

1

Introduction 3

Présentation du contenu de l’ouvrage 3

Années d’épreuves et stratégie inquisitoriale. 11

La source profonde d’une incompréhension 11

L’ouverture d’un conflit 14

La Combe et le procès des mœurs 17

Que répondre à ses interrogateurs ? 18

La chasse 19

Cinq périodes de prison et trente-huit interrogatoires. 23

Chapitre 1. Libre à Paris (21 juillet 1686 - 29 janvier 1688) 29

1686 : Installation à Paris et intrigues familiales 29

1687 : Condamnation de Molinos et arrestation du P. La Combe 33

Chapitre 2. La Visitation de la rue Saint-Antoine (29 janvier 1688 – 13 ? septembre 1688) 35

1688 : Le premier internement 35

La réclusion 35

Des pressions pour marier sa fille 44

Lettres contrefaites   47

Interventions de Mme de la Maisonfort auprès de Mme de Maintenon et délivrance 50

Chapitre 3. La période de vie publique (13 ? septembre 1688 - 12 janvier 1695) 59

1689 : Rétablissement, événements familiaux 59

1690 : Une retraite paisible 61

1691 : Premières inquiétudes 61

1692 : Bossuet mis en action 61

1693 : St Cyr interdit, examens 63

1694 : crise et entretiens d’Issy 65

Chapitre 4. La Visitation de Meaux sous la férule de Bossuet (13 janvier 1695 – 8 ? juillet 1695) 67

Brève chronologie des événements publics. 67

Un internement volontaire 69

Affrontements 71

Sortie, témoignages des religieuses 82

Chapitre 5. Échapper au Grand Roi ? (8 ? juillet 1695 – 27 décembre 1695) 89

Brève chonologie des événements publics 89

Échapper au Grand Roi ? 91

Chapitre 6. Le donjon de Vincennes et ses interrogatoires (30 décembre 1695 – 16 octobre 1696) 99

La séquence des pièces 99

Des lettres compromettantes 104

Première lettre du P. La Combe et du Sieur de Lasherous, 10 octobre 105

Deuxième lettre du P. La Combe et du Sieur de Lasherous, 11 novembre 106

Lettre du P. La Combe du 7 décembre, saisie tardivement 108

Lettre de Jeannette du 7 décembre ( ?) 110

Mémoire sur le quiétisme 111

Capture, enquêtes et premier interrogatoire 121

La cache et la saisie 121

Déroulement des interrogatoires selon Mme Guyon 124

Échanges entre La Reynie et Pontchartrain 128

Une enquête bien organisée 131

Premier interrogatoire de Mme Guyon, le 31 décembre 1695 133

Rapports de la Reynie et interrogatoires des proches 143

La Reynie sur ces interrogatoires 143

Premier interrogatoire de Paul Couturier, le 3 janvier (extraits) 146

Deuxième interrogatoire de Paul Couturier, le 9 janvier 147

Troisième interrogatoire de Paul Couturier, le 12 janvier 148

Quatrième interrogatoire de Paul Couturier, le 17 janvier 151

Observations notées par La Reynie 156

Premier interrogatoire de la demoiselle Pecherard, du 9 janvier 158

Deuxième interrogatoire de la demoiselle Pecherard, du 12 janvier 160

1696 : Des interrogatoires répétés 161

Second interrogatoire de Mme Guyon, le 19 janvier 1696 161

Résumé, suggestions et notes de La Reynie 170

Troisième interrogatoire de Mme Guyon, le 23 janvier 1696 179

Quatrième interrogatoire de Mme Guyon, le 26 janvier 1696 189

Lettre d’envoi 198

Cinquième interrogatoire de Mme Guyon, le 28 janvier 1696 201

Sixième interrogatoire de Mme Guyon, le 1er février 1696 211

Lettres pathétiques 221

Un répit accordé par des enquêteurs perplexes 223

Septième interrogatoire de Mme Guyon, le 1er avril 1696 229

Huitième interrogatoire de Mme Guyon, le 2 avril 1696 241

Neuvième interrogatoire de Mme Guyon, le 4 avril 1696 249

Témoignage de la répondante et dixième interrogatoire 261

Deux lettres écrites avec du sang (entre le 5 et le 12 avril 1696) 265

Je vous supplie… 265

Je prends la liberté… 266

Derniers échanges avec La Reynie 267

Les pressions du confesseur 270

Le récit de la prisonnière 270

Lettre et mémoire du confesseur Pirot 278

Soins policiers à Vincennes 287

Le secours de Monsieur Tronson et la soumission 288

Requêtes auprès de l’Archevêque et sortie 296

Chapitre 7. Le « Couvent » de Vaugirard (16 octobre 1696 - 3 juin 1698) 300

Le « récit des prisons » et des lettres 300

4.2  Vaugirard 301

La version de M. le curé selon La Reynie 308

1697 : le joug de M. le Curé 312

4.3 Les preuves absentes 319

Lettres de l’année 1697 à la petite duchesse de Mortemart 330

Lettres de janvier à mars 330

Lettres d’avril à juin 339

Lettres de juillet à septembre 356

Lettres d’octobre à décembre 368

1698 : L’Explication des maximes des saints et la lettre forgée attribuée à La Combe 378

Vie, 4.4 : La lettre de M. le Curé 378

Vie, 4.5 : La fausse lettre de La Combe 390

Dernières lettres à la petite duchesse 402

Lettres de janvier à mars 402

Dernières lettres d’avril et de mai 404

Chapitre 8. La Bastille (4 ou 5 juin 1698 - 24 mai 1703) 416

Reprise en haut lieu du dossier Guyon 416

Lettres policières afférentes au transfert à la Bastille. 424

Suite du récit des prisons. 427

Seule à la Bastille 427

Le « mouton » 432

Un grand vide 436

1699 : L’abîme 439

Traces policières 439

Suite du récit par la prisonnière 439

Un nouveau « mouton » 442

1700 445

L’année du non-lieu de l’Assemblée du clergé 445

Le suicide d’un prisonnier 445

D’Argenson est de retour 446

Le fond de l’abîme 450

M. d’Argenson encore 451

Pièces policières de l’année 1700 455

1701 : l’année vide 458

1702 : l’espoir 460

Délivrance ? 460

1703 : La délivrance ! 464

Pièces policières de levée d’écrou 464

Chapitre 9. La retraite (24 mars 1703- 9 juin 1717) 466

1703 à 1706 : Résidence surveillée chez son fils 466

1707 à 1717 : Décennie silencieuse à Blois 468

Témoignages de tiers 468

5.2 Le « Supplément à la Vie » 468

5.3  « Histoire des dernières années » 475

Extraits de lettres de l’abbé de la Bletterie 478

Dernières correspondances 480

Un dialogue avec Fénelon en 1710 481

Contre les « Inspirés », lettre à l’abbé de Wattenville, le 8 juin 1715. 486

Les « choux de son jardin », lettre au marquis de Fénelon. 490

« Plus je vois de gens sages, plus j’ai envie d’être folle », 6 août 1716. 491

« Moi qui suis petite avec vous... » 492

« Sortir de vous-même et vous écouler en Dieu », 1717. 492

Annexes 494

Fénelon et les raisons d’une rupture 496

La Bastille 500

Le procès des mœurs 502

Lettre du cardinal Le Camus à l’évêque de Chartres 516

Lettre du P. La Combe à l’évêque de Tarbes 518

Rapport de M. d'Argenson sur le père La Combe. 522

Sources 524

Table 526

Fin 531



Fin

4e de Couverture


Lors de la « querelle du quiétisme », Mme Guyon (1647-1717) fut la figure centrale qui animait le cercle spirituel auquel appartint Fénelon. Ce dernier résista aux pressions de Bossuet mis en action par Mme de Maintenon. Parallèlement, une procédure judiciaire fut alors engagée contre la forte tête du cercle. Fait exceptionnel, nous sont parvenus neuf interrogatoires conduits par La Reynie, lieutenant général de police de Paris de grande expérience. Ils furent soigneusement enregistrés devant greffier, dans l’espoir déçu d’y prouver la culpabilité de la prévenue - ce qui eut entraîné la perte immédiate des quiétistes.

Aux pièces témoignant du bon fonctionnement de la police du Grand Roi - parfois de ses hésitations face à une défense opiniâtre - et aux procès verbaux des interrogatoires, s’ajoutent des confrontations avec un confesseur imposé et avec l’archevêque de Paris. Ce dernier se déplacera jusqu’en prison par obéissance totale à la volonté royale. Ils sont relatées par Mme Guyon dans ses témoignages autobiographiques ainsi que dans une correspondance qui se maintint au début de sa « descente en enfer ». Le caractère dur des pièces d’archives et de témoignages de l’intéressée, que les érudits récents n’ont pas prise en défaut, est comparable aux récits abrupts de survivants d’internements policiers plus récents.

Cette contribution sur les conditions carcérales au Grand Siècle constitue aussi l’étude biographique manquante couvrant la seconde partie de la vie de Mme Guyon (1686 à 1717). Elle défriche un terrain vierge en tentant d’établir une chronologie sûre autour de laquelle les témoignages s’éclairent mutuellement. Les années d’épreuves de Mme Guyon  auront comporté trente-huit interrogatoires en cinq lieux différents.



Dominique Tronc a assuré les éditions critiques de nombreuses œuvres de Mme Guyon. Il étudie les filiations spirituelles au XVIIe siècle. Arlette Lebigre est spécialiste de la justice sous l’Ancien Régime.


Prospectus


Une procédure judiciaire fut engagée contre Mme Guyon (1647-1717), la forte tête du cercle spirituel mis en cause lors de la « querelle du quiétisme ». Les interrogatoires conduits par La Reynie, lieutenant général de police de Paris de grande expérience, furent soigneusement enregistrés devant greffier, dans l’espoir déçu d’y prouver la culpabilité de la prévenue. A ces procès verbaux s’ajoutent des confrontations avec un confesseur imposé et avec l’archevêque de Paris. Ce dernier se déplacera jusqu’en prison par obéissance totale à la volonté royale. Elles sont relatées par l’accusée dans ses témoignages autobiographiques ainsi que dans une correspondance qui se maintint au début de sa « descente en enfer ». Cette contribution sur les conditions carcérales au Grand Siècle constitue aussi l’étude biographique manquante couvrant la seconde partie de la vie de Mme Guyon. Elle défriche un terrain vierge en tentant d’établir une chronologie sûre autour de laquelle les témoignages s’éclairent mutuellement. Les années d’épreuves de Mme Guyon  auront comporté trente-huit interrogatoires en cinq lieux différents.


1 V. Histoire et dictionnaire de la police du Moyen Age à nos jours, Laffont, coll. « Bouquins », Paris, 2005.

2 J. Bruno, La vie de Mme Guyon, La Tour Saint-Jacques, 1962 ; F. Mallet-Joris, Jeanne Guyon, Paris, Flammarion, 1978 ; M.-L. Gondal, Mme Guyon (1648-1717), un nouveau visage, Paris, Beauchesne, 1989 ; Jean Orcibal, « Le Cardinal Le Camus témoin au procès de Mme Guyon » (1974), p. 799-818, & « Mme Guyon devant ses juges » (1975), p. 819-834, dans Etudes d’Histoire et de Littérature Religieuse, Paris, Klincksieck, 1997 ; nos contributions dans les éditions de la Vie par elle-même et de la Correspondance, Paris, Honoré Champion, 2001-2005.

3 L. Cognet, Crépuscule des mystiques, Bossuet Fénelon, Desclée, 1958. Dorénavant cité Cm. - Plus de la moitié de cet ouvrage traite directement de Mme Guyon, ce que n’indiquait pas le titre de l’ouvrage.

4 Auquels s’ajoutent quatre confrontations vécues antérieurement, conduites par l’official Chéron.

5 M.-L. Gondal, « L’autobiographie de Mme Guyon (1648-1717) : La découverte et l’apport de deux nouveaux manuscrits », XVIIe Siècle, juillet-septembre 1989, no. 164, p. 307-323 ; Récit de captivité, Grenoble, Millon, 1992.

6 On touche ici à la raison profonde de sa recherche intense de la Tradition dans les deux Testaments et chez les auteurs mystiques. Loin d’être « une pauvre femme sans culture », grâce à un effort amorcé dès son enfance par une demi-sœur aînée religieuse (« il n’y avait guère de prédicateurs qui composât mieux des sermons qu’elle », Vie 1.3), puis mené sur la longue durée de façon autodidacte, elle unira une connaissance exceptionnelle de la Bible (son commentaire immense par la taille n’est en rien négligeable, grâce à des interprétations allégoriques inspirées par son vécu mystique : il sera repris dans le monde protestant piétiste) à celle des auteurs mystiques (son recueil des Justifications reste la meilleure des anthologies thématiques portant sur près de 70 auteurs).

7 J. et B. Massin, Ludwig van Beethoven, Fayard, 1967. Citation de l’avant-propos (non paginé) de leur dossier biographique constitué par assemblage de textes d’époque.

8 Mme Guyon, Correspondance : Tome I Directions spirituelles, Tome II Combats, Tome III Chemins mystiques, Honoré Champion, 2001-2005. Dorénavant cité CG I, CG II, CG III. S’ajoutent quelques lettres qui ne nous sont connues que par la Vie par elle-même.

9 Edité en quatrième partie ajoutée aux trois parties traditionnelles de l’autobiographie guyonnienne dans : Mme Guyon, La vie par elle-même et autres écrits biographiques, Honoré Champion, 2001, p.881 sv. Dorénavant citée : Vie.

10 I Pierre 4, 8.

11 Début de l’avant-dernier chapitre de la troisième partie de la Vie par elle-même (le chapitre de conclusion met en avant le but tout intérieur poursuivi en décrivant un état mystique simple et invariable). (Vie 3.20.1). En fait il s’agit également de respecter l’engagement au secret exigé de tout interné à la Bastille.

12 L. Kolakowski dans sa première période marxiste (époque où il rédige en Pologne son magistral Chrétiens sans église, 1965, trad. fr. 1969) représente la tradition rationnelle. De très nombreux critiques ont des approches sous-tendues par les écoles psychanalytiques, dont récemment M.-F. Bruneau (Women mystics confront the modern world, 1998), J. Le Brun (Le pur amour de Platon à Lacan, 2002 ; La jouissance et le trouble, 2004), etc.

13 On n’observe aucun passage biffé ni ajout au sein de ses autographes qui courent d’une seule traite et sont souvent formatés par l’espace papier disponible.

14 René Pintard, Le libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle, Paris, 1943, Genève, 2000.

15 Ce qui se traduit par un premier « autodafé » des exemplaires du Moyen Court en 1690, à Prémol près de Grenoble, précédant celui opéré plus tard à Saint-Cyr en 1695.

16 Lettre à Tronson du 11 mai 1696, etc. Voir “Le procès des mœurs”, analyse détaillée donnée en annexe.

17« Je n’étais donc, comme je vous dis, ni endormie ni éveillée, lorsqu’il me parut que le désir que j’ai d’être au plus tôt une véritable épouse du céleste Epoux, échauffa si fort mon cœur que je devins toute en feu […] Le doux murmure de ces ruisseaux et le bruit confus d’une grande quantité de zéphirs, rendait ce séjour le plus agréable du monde […] je fus menée dans une épaisse forêt […] on y découvrait de loin une montagne enchantée, qui paraissait être celle des aromates du Cantique… Mon âme […] osa d’abord, pour première faveur, demander le saint baiser : et loin d’être rebutée, l’Epoux le lui accorda […] j’arrivai presque au haut de cette montagne […] l’Epoux se reposait pendant le midi ; car je l’y trouvai comme endormi : ce fut là où, tombant de fatigue et embrasée d’un amour violent… » (Correspondance de Bossuet par Levesque, lettre 1122bis de Mme Cornuau à Bossuet, oct. 1694).

18 L. Devillairs, Fénelon, une philosophie de l’infini, Cerf, 2007.

19 Le siège de Meaux, assez voisin et de Paris et de la Cour, était considéré comme une étape vers une ascension plus haute.

20 Louis-Antoine de Noailles (1651-1729), second fils du duc de Noailles, fut évêque de Cahors puis transféré à Châlons (il est signataire le 10 mars 1695 des « 34 articles d’Issy » avec Bossuet, Fénelon, Tronson). Il prit possession du siège de Paris, après la mort de Harlay, l’été suivant. L’épisode de la fausse lettre où l’archevêque se rend à la Bastille ( !), se situe en 1698. Il fut créé cardinal en 1700.

21 En ce qui concerne Bossuet s’ajoute peut-être l’effet de l’appartenance à un milieu assez modeste : il accomplit une ascension sociale par le mérite et dans un effort qu’il ne peut « jouer » en prenant des risques. Fénelon, de grande famille noble sinon riche, se sent libre vis-à-vis de ceux qu’il perçoit comme des pairs.

22 On trouvera en annexe la lettre de La Combe adressée à l’évêque de Tarbes.

23 Avant qu’une dépression ne l’envahisse, contre laquelle luttait déjà sa correspondante ; quand on connaît le traitement administré à la dame relativement protégée par sa célébrité et par son origine, par un passé proche où elle faisait partie des petits dîners de Mme de Maintenon, on imagine facilement, parmi des causes probables de dépression ou peut-être de folie, le traitement extrême administré à un prêtre obscur pratiquement abandonné par son ordre.

24 Sur la Reynie, que nous avons déjà cité trois fois et que nous allons retrouver constamment, ainsi que sur le fonctionnement de la police qui avait été réformée par Louis XIV récemment, voir en fin de volume un rappel dans l’annexe : « La Reynie et la police d’un grand roi ».

25 Au vu des détails rapportés par elle-même et très certainement commentés voire « améliorés » par le demi-frère ennemi Dominique de la Mothe, fort bien informé puisqu’il appartenait au même ordre des barnabites que le confesseur La Combe : « J'étais dans ce couvent, et je n'avais vu le Père La Combe que ce que j'ai marqué. Cependant on ne laissait pas de faire courir le bruit que je courais avec lui, qu'il m'avait promenée en carrosse dans Genève, que le carrosse avait versé et cent folies malicieuses. […]. Le Père La Mothe débita de plus que j'avais été en croupe à cheval derrière le Père La Combe, ce qui était d'autant plus faux que je n'ai jamais été de cette manière. » (Vie, 2.7.3).

26 Au début du septième interrogatoire : « …il paraît que cette petite Église, est une Église de secte particulière, et le Roi (qui est protecteur de la vraie et seule Église catholique), a droit et intérêt de savoir quel est cette petite Église dans son Royaume, et quelle est la secte qui l’a établie et qui la reconnaît… ».

27 « Si elle croit qu'il soit de la piété chrétienne et qu'il puisse être promis être quelque édification pour l'Église et pour la Religion de supposer une Épître de l'archange Saint-Michel, de la faire lire aux simples et de la leur distribuer comme on donne à lire les Épîtres canoniques, dont il paraît qu'on a en celle-ci imité le style et rejeté l'esprit. - A dit qu'elle ne trouve dans ladite pièce qu'un esprit de simplicité et que des gens ont fait cela pour se divertir sans aucun dessein. » (Septième interrogatoire).

28 « Le 16 octobre 1696. Le sieur Desgrez a été averti par M. le curé de Saint-Sulpice à qui il a donné un billet pour monseigneur l'archevêque de se rendre ce matin même à sept heures à l'archevêché pour y recevoir par les mains de monseigneur l'archevêque les ordres du roi pour transférer Mme Guyon du donjon de Vincennes au lieu qui lui serait marqué par monseigneur l'archevêque… » (début d’une pièce reproduite ci-dessous).

29 v. Histoire du Quillotisme ou de ce qui s’est passé à Dijon au sujet du quiétisme…, 1701 (réf. complète du long titre et extrait : v. l’annexe « procès des moeurs »).

30 Une place importante aux écrits de la maturité est accordée aux côtés du Moyen court, des Torrents, etc., les œuvres connues de relative jeunesse, dans : Mme Guyon, Œuvres mystiques, Champion, 2008.

31 « Cette dame fut mise aux filles de Sainte-Marie de la rue Saint-Antoine dans le temps que le père la Combe était [enfermé] aux pères de la Doctrine. Elle y fut interrogée à la grille neuf ou dix séances par monsieur Chéron, monsieur Pirot présent. On l'interrogea sur sa conduite, sur ses voyages de Savoie, de Piémont, de Provence, de Dauphiné et autres, et sur la doctrine et ses livres… » (Mémoire de Pirot, 1696, reproduit dans ce volume). – Au cas où Pirot aurait exagéré son zèle en considérant toute comparution à la grille comme interrogatoire distinct, nous retenons le chiffre de quatre, décrits par l’intéressée dans sa Vie. Le même Mémoire nous informe sur 14 à 16 interrogatoires de La Combe, le confesseur lié à Mme Guyon, avant même son placement en prison d’état à Oléron. Tous les acteurs sont donc très bien informés lors de la reprise par La Reynie en 1696. Pirot reprend alors du service comme confesseur imposé.

32 Vie, 3.18.9 (Pâques & Annonciation), 3.19.1-2 (deux visites consécutives « à quelques jours de là ») & 3 (« à quelque temps de là »), fin juin et début juillet. Pièces (CG II) : Soumission « A » du 15 avril, « B » du 1er juillet, Attestation « C » ou « D » début juillet.

33 « Il lui rendit visite à Vincennes, le mercredi saint 18 avril. Il fut avec elle tout l'après-dîner pendant cinq heures, lui parlant toujours d'elle. [...] il ne put rien obtenir d'elle. Il y retourna le vendredi saint après dîner, et passa avec elle tout autant de temps, sans rien avancer de plus. » (Mémoire de Pirot, 1696, parlant de lui-même à la troisième personne).

34 En italiques sont donnés des extraits tirés de la Vie par elle-même lorsqu’ils sont courts et se fondent dans le récit.

35 CG III, pièce 644, p. 811, « Seconde lettre sur la relation du Quiétisme » de l’abbé de la Bletterie, 1733. – Mme Guyon restait marquée par la variole qui fit mourir un de ses fils.

36 « Il y a plus de vingt ans que l'on voit à la tête de ce parti M. Bertau [Bertot], directeur de feu Mme de Montmartre [Françoise-Renée de Lorraine, 1629-1682]. […] Cet homme était fort consulté ; les dévots et les dévotes de la Cour avaient beaucoup de confiance en lui… » (Enquête adressée à Mme de Maintenon, qui sera reproduite partiellement dans le présent volume). – Sur Bertot, figure mystique clé de la filiation dite quiétiste ou école cordiale, voir notre étude qui ouvre le choix de ses textes de direction dans : Jacques Bertot Directeur mystique, Éditions du Carmel, 2005, 11-62 & 549-564.

37 Vie, 2.25.1 : « Ce bon Père [le vicaire général des barnabites Arpaud], qui croyait que le père La Mothe agissait de bonne foi, […] envoya un ordre au père La Combe de s’en aller à Paris et de m’accompagner tout le long du voyage. »

38Vie, 3.1.9, p. 663-664 (add. du ms. de Saint-Brieuc). Ce fait fut repris avec malice par Bossuet dans sa Relation. Voir Cm, 178.

39 L’Official est un juge ecclésiastique délégué par l’évêque pour exercer en son nom la juridiction contentieuse. Nicolas Chéron était « assez connu dans le monde par le dérèglement de ses mœurs » et « fut, avec Coquelin, élu promoteur à l’Assemblée de 1682 ; la complaisance qu’il y montra lui valut l’abbaye de La Valasse […] Il recevait en outre du clergé une pension de quatre mille livres sous prétexte de préparer un recueil des édits et arrêts concernant le spirituel et le temporel, travail dont il n’avait pas fait une page lorsqu’il mourut. » (Urbain & Levesque, Corrrespondance de Bossuet, 15 vol., Paris, 1909-1925, tome III, p. 380. Désormais référencé : UL). Et le théologal Pierre Courcier, « dont les compromissions avec le parti janséniste sont bien connues », jouera bientôt un rôle important. (Cm, 112).

40Cm, 108 sq. ; Vie 3.1.10-15 et 3.2. – Jean d’Arenthon d’Alex, évêque de Genève, en relation avec Mme Guyon avant même le voyage à Gex de celle-ci en 1681, « se trouvait alors à Paris dénué de ressources, mais avec l’espoir de rentrer bientôt dans la cité de Calvin : la fortune considérable de Mme Guyon y aurait permis un établissement… » (J.Orcibal, Etudes d’histoire…, 1997, p. 800.).

41 Couple connu du père La Mothe (Vie, 3.3.9), actif ensuite (Vie, 3.5.13).

42Vie, 3.3.1-5. – Le pauvre barnabite âgé alors de quarante-sept ans passera de prison en prison : la Bastille, l’île d’Oléron, l’île de Ré, la citadelle d’Amiens ; à quarante-neuf ans il est à Lourdes. Il sera transféré à Vincennes, âgé de cinquante-huit ans, à l’époque de la préparation des interrogatoires de sa dirigée ; il mourra le 29 juin 1715 à Charenton, atteint de folie ou bien sénile, on ne sait, à l’âge de soixante-quinze ans. Nous donnons en annexe la seule pièce qui témoigne de cette triste fin (« Rapport de d’Argenson… »).

43Vie, 3.4. - Une lettre de cachet était libellée comme suit : « Monsieur le Gouverneur, envoyant en mon château de la Bastille le sieur X... mon intention est que vous ayez à l’y recevoir et retenir en toute sûreté, jusqu’à nouvel ordre de moi... ». Suivaient la signature du roi et le contreseing du ministre. Il n’y avait pas besoin de « raison » autre que la volonté royale mais elle seule avait ce privilège.

44 Au sens du latin divisio : partage, séparation.

45 Il s’agit d’un projet de mariage avec le marquis de Champvallon, neveu réputé débauché de l’archevêque de Paris. Mme Guyon s’est défaite de toute fortune propre depuis son séjour savoyard …mais non pas sa fille !

46 Le P. La Combe avait été son confesseur au moins depuis le séjour à Thonon en 1682 et le commanditaire de la première rédaction de la Vie qui nous est parvenue grâce à la copie manuscrite de Saint-Brieuc. Il était emprisonné depuis le 3 octobre de l’année précédente.

47 Admirer : m’étonner de. – On ne sait pas le nom du courageux confesseur ! Il pourrait s’agir du P. Paulin d’Aumale qui par ailleurs avait eu en dépôt les écrits de Bertot. Il appartenait en effet au Tiers Ordre franciscain régulier, et en fut même Provincial. Le P. Paulin déposera prudemment contre elle dans sa déclaration du 7 juillet 1694 (CG II, pièce 478). Il est l’auteur de traités spirituels restés manuscrits, dont l’un traite de l’oraison de pure foi, jugée avantageuse en comparaison de la méditation (Bibl. franciscaine de la rue Boissonade, Paulin d’Aumale, ms. 1, 2.73, p. 113 sq.).

48 La religieuse préposée à sa garde.

49 flèches. – Rêve d’angoisse et de conformité mystique où la pluie de feu rappelle celle de l’Apocalypse si bien illustrée par Dürer.

50 Il s’agit de Edme Pirot (1631-1713). Il se manifestera de nouveau en 1696, tout comme l’Official. On fit ainsi appel à de « vieilles connaissances » de la prisonnière pour la mieux cerner. Le P. Léonard considérait Pirot comme « l'esprit le plus éclairé de la Sorbonne », mais il ajoutait : « il fait aveuglément tout ce que veulent les gens qui l'emploient », de sorte qu'il donnait l'impression « d'une espèce de girouette pour la doctrine » (B. Neveu, Le Nain de Tillemont, La Haye, 1966, p. 308). Bossuet réussit à lui faire condamner l'Histoire critique du Nouveau Testament de R. Simon et les Maximes des Saints qu'il avait d'abord approuvées (UL, tome II, p. 65, n. 4 ; Fénelon, Correspondance, Lettre 7B, n. 2 d’Orcibal) – Pirot, entre autres tâches, assista la marquise de Brinvilliers sur l’échafaud et obtint de cette empoisonneuse, courageuse face au supplice, une entière confession de ses fautes.

51 Lors du séjour en 1684 à la Cour du royaume de Savoie-Piémont à Turin et auprès de l’évêque Ripa à Verceil (Vercelli). Les informations provenaient du demi-frère Dominique La Mothe, barnabite comme La Combe.

52 Le Moyen court publié à Grenoble en 1685, puis à Lyon, Paris, Rouen, donc un petit succès de librairie.

53 Moyen court, Chap. III, “Pour ceux qui ne savent pas lire” : “Qu'ils disent donc ainsi leur Pater en français, comprenant un peu ce qu'ils disent, et pensant que Dieu qui est au-dedans d'eux veut bien être leur Père […] Sentant une inclination à la paix et au silence, il ne faut pas poursuivre, mais demeurer ainsi tant que cet état dure. ”

54 Vie 3.3.2, récit des intrigues qui cherchaient à compromettre le P. La Combe et à la perdre. – Première lettre contrefaite très antérieure à la célèbre lettre de La Combe présentée à la Bastille, peut-être l’œuvre du faussaire Gautier.

55 Entraînement fort utile pour la future lettre forgée de La Combe qui lui sera présentée en 1698 à Vaugirard par l’archevêque de Paris. Elle ne répondra pas aussi clairement à un archevêque : « Il est certain que le respect que je croyais devoir à un homme de ce caractère m'empêcha de lui donner un démenti en face, en lui faisant connaître que je voyais l'imposture dans toute son étendue et l'indignité du piège qui m'était tendu… ». (v. ci-dessous « Vie, 4.5 : La fausse lettre de La Combe. »).

56 Nous reproduisons ici intégralement ces lettres, qui figurent dans la Vie suivant l’apport du cinquième fascicule du ms. de Saint-Brieuc. On les a reprises, comme faisant partie de la correspondance, en CG I, pièces 74 à 78, parfois d’une autres source (Papiers du P. Léonard, Archives Nationales, L 22, no 15), en incluant les variantes.

57 Molinos était en prison à Rome depuis 1685, auteur du livre de la Guia et non de lettres. Il pourrait s’agir ici d’une confusion avec une célèbre lettre du mercédaire espagnol Falconi (1596-1638), Lettre d’un serviteur de Dieu contenant une brève instruction pour tendre fermement à la perfection chrétienne, reproduite aux pages 443 à 522 des Opuscules spirituels de Mme Guyon de l’édition Poiret de 1720 (Olms, 1978).

58 De ce que l’on ferait ?

59 Le royaume de Savoie-Piémont dont la capitale était Turin.

60  Assaisonner, au figuré : donner du piquant, de l’agrément.

61 Harlay de Champvallon (François II), 1625 – 1695. Louis XIV lui donna l’archevêché de Paris en 1671. Brillant orateur, courtisan impénitent.

62 Puisque je n’ai pas reçu de réponse.

63 Que l’on recoure à un tribunal supérieur.

64 Noter l’affirmation grave confirmant la contrefaçon ; l’embarras des accusateurs acculés les rend dangereux.

65 Ce qui s’est vérifié récemment par le ms. découvert à Saint-Brieuc, une première rédaction de la Vie, écrite « pour faire la volonté de Dieu », représenté par le confesseur. Mais sa connaissance pouvait être à l’origine de lourdes conséquences compte tenu de la franchise, extrême pour l’époque, du ms.

66 La Mère Louise-Eugénie, connue pour sa rigueur. – Noter l’usage du terme « prisonnière ». - Noter la forme au présent signalant une rédaction contemporaine des événements relatés, donc potentiellement vérifiables, ce qui encourage à une grande conformité aux faits. Selon Cm on a par ailleurs toujours vérifié les versions avancées par Mme Guyon sinon la précision de ses datations.

67 Le neveu dissipé de l’archevêque.

68 François de la Chaize d’Aix, dit le P. La Chaise (1624-1709), le célèbre jésuite confesseur du roi.

69 Lettre reproduite suivant le ms. d’Oxford.

70 Forme elliptique dont le sens possible est peut-être celui-ci : « Quelle importance ? Aucun souci de leur part à ce sujet ! ».

71 avec un bâton à travers, comme l’on met les chiens au chenil. (variante du ms. de Saint-Brieuc, 5.142).

72 Denis Huguet, conseiller au Parlement et cousin de son mari, auquel elle avait confié le soin de gérer les biens de ses enfants, se réservant pour elle et pour sa fille quinze mille livres de rente, lorsqu’elle partit en 1681 avec cette dernière chez les Nouvelles Catholiques de Gex.

73 une affirmation fausse.

74 m’ordonne.

75 Marie-Françoise-Silvine de La Maisonfort.

76 Françoise d’Aubigné de Maintenon (1635–1719) convainquit le roi de soutenir la création d’une maison d’éducation modèle où l’on recevrait « deux cent cinquante jeunes filles de la noblesse pauvre, de huit à vingt ans » confiées « à une communauté de séculières qu’elle animerait ». Elle souhaita ainsi éviter à d’autres la misère qu’elle avait connue dans sa jeunesse.

77 Le Père La Combe.

78 Nous donnerons ci-après d’assez nombreux extraits de la Vie. Il est donc bon d’évaluer leur crédit et pour cela de connaître les dates des rédactions successives : (1) Première version courte perdue. (2) Version datée de mai 1682 puis (3) de novembre 1682 : c’est le ms. de Saint-Brieuc. (4) Suites en prison datée du 21 août 1688, (5) en liberté datée du 20 septembre 1688, (6) de la fin 1688, (7) rédigée à la Bastille en 1698, (8) terminée en décembre 1709 ; (9) enfin révision au moment où la décision de publier ce ms. d’Oxford. On voit que les rédactions successives suivent d’assez près les événements et, par comparaison des deux sources, que l’on peut leur accorder une assez bonne confiance, la révision finale n’ayant porté que sur des omissions (d’événements très personnels de « jeunesse » propres au ms. de Saint-Brieuc) et des déplacements de paragraphes opérés par le très cartésien éditeur Poiret (corrigés dans notre édition critique qui suit l’ordre – ou le désordre – initial du ms. d’Oxford).

79 Marie-Françoise-Silvine de La Maisonfort, dont l’intervention fut décisive. Sa biographie montre les pressions subies dans un environnement cagot lorsque tout crédit est épuisé. Sa famille étant très pauvre et son père remarié, elle vint à Paris. Madame de Brinon, directrice de Saint-Cyr, la retint comme « maîtresse séculière rétribuée. » Dès l'été 1684, elle suscitait l'enthousiasme de Mme de Maintenon qui la chargeait de remplacer la supérieure, ne tarissait pas d'éloges à son sujet et se plaignait de ne pas entendre assez parler d'elle. A Versailles elle était « connue même très particulièrement du Roi qui la voyait tous les jours chez Mme de Maintenon et lui faisait l'honneur de lui parler ». Elle prononça en 1694 ses voeux solennels mais fut chassée le 10 mai 1697 de Saint-Cyr. Pourtant M. de Meaux avouait le 24 septembre 1701 « qu'elle en était fort bien revenue et que la véritable raison de son exil de Saint-Cyr fut qu'elle se rendait insupportable à toutes les religieuses et à Mme de Maintenon même, par sa critique continuelle des petites pratiques de la religion qu'elle ne pouvait souffrir. C'était là en effet le fond de son génie ». Sur sa demande, elle passa chez les visitandines de Meaux, mais en raison de la même aversion pour « leurs petitesses », elle fut transférée le 23 octobre 1701 chez les ursulines de Meaux puis, en 1707, chez les bernardines d'Argenteuil. A la mort de Bossuet, Mme de La Maisonfort reprit sa correspondance avec Fénelon, elle restât aussi « en commerce » avec sa cousine Mme Guyon… » (Correspondance de Fénelon, Lettre 151, note 1 d’Orcibal).

80 Donnés en Vie 3.9.6 et reproduits ici au § [6.].

81 Mercédaire, 1596 – 1638, cet auteur spirituel demeure dans la grande tradition espagnole mystique. Sa Lettre fut éditée à la suite du Moyen Court, puis reproduite dans l’édition de 1720.

82 Proposés à l’examen.

83 Aucun autre livre que ceux édités en France avec permissions.

84 Reprise en CG I, pièce 73.

85 Le Moyen court. – Sur les pénitences voir : Chapitre XV. De la confession et de l’examen de Conscience. Exemples de passages qui peuvent poser problème lorsqu’ils sont isolés de son contexte : « …ils ne voient pas qu'ils perdent la véritable contrition qui est cet amour infus, infiniment plus grand que ce qu'ils pourraient faire par eux-mêmes. Ils ont un acte éminent qui comprend les autres, avec plus de perfection : quoiqu’ils n’aient pas ceux-ci comme distincts et multipliés. Qu’ils ne se mettent pas en peine de faire autre chose, lorsque Dieu agit plus excellemment en eux et avec eux… » ; « …Elle [l’âme] s'étonnera aussi qu'elle oubliera ses défauts et qu'elle aura peine à s'en souvenir. Il ne faut point qu'elle s'en fasse de peine, pour deux raisons. La première parce que cet oubli est une marque de la purification de la faute et que c'est le meilleur en ce degré d'oublier tout ce qui nous concerne, pour ne nous souvenir que de Dieu… »

86 Le Jeudi Saint 15 avril.

87 Le 14 septembre, lettre de cachet levant l’emprisonnement.

88 Suivant le ms. de Saint-Brieuc.

89 Marie de Miramion (1629-1696), une des plus grandes organisatrices de la charité en France.  En 1678 elle devient supérieure des Filles de la Providence et Louis XIV lui demanda de s’occuper des aumônes royales. Forte personnalité, ouverte d’esprit et généreuse, « femme d’un grand sens, et d’une grande douceur » selon Saint-Simon, elle était amie de M. Bureau, le proche de Mme Guyon mis en cause trois ans plus tôt, ce qui peut avoir contribué au secours qu’elle apporte à Mme Guyon.

90 Voir Cm, chap. III, §1 « le premier emprisonnement de Mme Guyon » ; le placet informant le roi de la charité de Mme Guyon est rapporté ainsi : « Sa Majesté fut informée [par l’abbesse] que cette Dame avait sacrifié par charité une somme considérable en faveur d’une Demoiselle qui se trouvait en péril dans le monde… » ; v. Phelipeaux, Relation, t. I, p. 33 : « M. Jasseau, Prêtre de la Mission, et confesseur de Mme de Maintenon, écrivit à la Maisonfort qu'elle devait travailler à secourir sa parente…».

91 Circulaire du 25 mai 1689, B.N., Ld173 2, t.104, cité par UL, t. VIII, Corrections et additions, p.501. - CGII, cit . reproduite à la fin de la pièce 493.

92 Vie, 3.9.10 sur les circonstances de l’entrevue et de sa suite - Sur l’estime du cercle pour François de Fénelon, v. Cm, p. 119 à 124 ; pour une analyse fine de la sécheresse fénelonienne et de la sagesse de Mme Guyon, ibid., p. 126 à 128.

93 Saint-Simon, Mémoires, Boislisle, t. second, 340. - Il reconnaît la dépendance de Fénelon : « Peu à peu il s’était approprié quelques brebis distinguées du petit troupeau que Mme Guyon s’était fait, et qu’il ne conduisait pourtant que sous la direction de cette prophétesse. » (ibid., 344).  

94 CG I « Directions spirituelles » pour Fénelon, CG II « Années de combats » pour Chevreuse. La correspondance avec la « petite duchesse » de Mortemart (la première citée du « petit troupeau » par le bien informé Saint-Simon) couvre septembre 1695 à mai 1698 (il faut alors protéger Chevreuse).

95 Vie, 3.11.1-2.

96 La mariée avait à peine treize ans.

97 Vie, 3.11.3.

98 Vie, 3.11.5.

99 Cm, p. 146.

100 Vie, 3.11.5, contradictoire avec le « J’y restai deux ans et demi » que l’on situe comme un séjour avec sa fille encore très jeune à Vaux-le-Vicomte. Peut-être s’agit-il simplement d’un pied-à-terre - bien situé puisque à mi-chemin entre Vaux (sud-est de Paris) et Versailles (ouest de Paris). Il est possible que la belle-mère ait été rapidement assez encombrante. Ce pied-à-terre permet aussi sa propre liberté pour recevoir discrètement des visiteurs. Il s’agit peut-être du « Passy » cité dans le troisième interrogatoire par la Reynie, f°145.

101 Maintenon, Lettres, éd. Langlois, Paris, 1935, t. IV, p. 63. 

102 Charles-Honoré d’Albert, duc de Luynes, duc de Chevreuse (1656-1712). Ce disciple très proche de Mme Guyon avait été élève des « Petites Ecoles » de Port-Royal. Gendre de Colbert, beau-frère et ami du duc de Beauvillier, conseiller particulier respecté par Louis XIV, il fut ministre d’État après 1704. Saint-Simon lui élève le remarquable « tombeau » suivant : « …la disgrâce de l’orage du quiétisme qui fut au moment de le renverser, la perte de ses enfants, celle de ce parfait dauphin, nul événement ne put l’émouvoir ni le tirer de ses occupations et de sa situation ordinaire avec un coeur bon et tendre toutefois. Il offrait tout à Dieu, qu’il ne perdait jamais de vue; et dans cette même vue, il dirigeait sa vie et toute la suite de ses actions. Jusque avec ses valets il était doux, modeste, poli ; en liberté dans un intérieur d’amis et de famille intime, il était gai et d’excellente compagnie, sans rien de contraint pour lui ni pour les autres, dont il aimait l’amusement et le plaisir; mais si particulier par le mépris intime du monde… » (Saint-Simon, éd. Cherel, livre 10 chap. 12).

103 Cm, p. 132 à 134 sur toute cette période où Mme de Maintenon travaille à éliminer doucement Mme Guyon et Fénelon.

104 Cm, p. 134.

105 Il s'agit du « Boileau de l'hôtel de Luynes » ou « de l’Archevêché », Jean-Jacques Beaulaigue d’Agen, qui subit la trouble influence d’une sœur, Rose, violemment hostile à Mme Guyon. Boileau fut lié au groupe janséniste ; il demeura avec Gaston de Noailles et lorsque ce dernier devint archevêque, il le chargea souvent de la rédaction de ses mandements (voir l’importante note 4 d’Orcibal à la lettre 101 du tome III de la Correspondance de Fénelon).

106 Vie, 3.12.10.

107 Vie, 3.11.6-8.

108 Cm, p. 162-163.

109 Vie, 3.12. ; dès le mois de mars selon Cm, p. 155 : « Fénelon, dans une lettre du 2 mai 1693 à Mme de la Maisonfort, approuva cette mesure, qu’il estimait prudente… ».

110 Vie, 3.13.1-4.

111 Cm, p. 170. – La scène fait l’objet d’une séquence vivante du film « Saint-Cyr » (2000, réalisation Patricia Mazuy, prix Jean Vigo), dont l’ensemble rend fort justement une atmosphère ascétique mortifère tout à fait éloignée de celle, assez joyeuse et ne dédaignant pas les plaisanteries simplettes, qui régnait au sein du cercle quiétiste (dont témoigne par exemple la lettre de Mme Guyon d’octobre 1694 : « Mon bon abbé, faites–moi voir un cachet où il y ait un saint Michel qui marche sur le dragon […] le Tuteur [Chevreuse] tient la corne du milieu et lui couvre les yeux le mieux qu’il peut…, etc. ». - Dévotion inquiète et piété mortifère suintent des cinq volumes de la correspondance de Mme de Maintenon (éd. Langlois, 1935).

112 Cm, p. 179 : « On saisit bien […] l’opposition entre l’ontologisme de Bossuet et le psychologisme [nous préférerions : la description expérimentale] de Mme Guyon… ».

113Leur supérieure et fondatrice, la « Mère du Saint-Sacrement », Mère Mechtilde ou Catherine de Bar (-1698), fut une correspondante de Jean de Bernières et fait partie du « réseau mystique » auquel se rattachent M. Bertot et Mme Guyon. De nombreuses et belles lettres de cette figure mystique ont été éditées assez récemment ; pas moins de 994 études qui lui sont consacrées sont répertoriées dans Bibliographia Mechtildiana, Benediktinerinnen, Köln, 2001.

114 Vie, 3.13.5-11 ; 3.14.3-13.

115 Vie, 3.11.9 (Var. Poiret) ; Cm, p. 225, note 2, situe cet événement vers mai-juin 1694. Sur la ville d’eau, voir la note qui la décrit brièvement à l’occasion du second interrogatoire par la Reynie.

116 Les Justifications seront publiées par la suite par Poiret en trois volumes (avec des modifications par rapport au ms. de la B.N.F. affectant surtout l’ordre des matières).

117 Texte fondamental pour comprendre la spiritualité de Fénelon et de Mme Guyon, édité en 1930 par Dudon, et par nos soins en 2005 (François de Fénelon, Le Gnostique de saint Clément d’Alexandrie / La Tradition secrète des mystiques, Arfuyen).

118 Vie, 3.15 à 3.17. On doit à Cognet l’étude détaillée de toute la période, dont des lumières apportées aux manœuvres souterraines de Mme de Maintenon, v. Cm, Chapitres IV à VI.

119 CG II, pièces 263 à 304.

120 Françoise-Elisabeth Le Picart (1621-1705), née le 2 mai 1621, confiée en 1631 aux visitandines de la rue Saint-Antoine qui fondèrent la maison de Meaux, où elle prit l’habit à l’âge de quinze ans. Envoyée à Dammartin en 1643, elle suivit sa communauté transférée, pendant les guerrres civiles, à Paris puis à Senlis. Elle en était supérieure lorsqu’elle se réunit à celle de Meaux en 1653. Bossuet l’avait en haute estime. Elle mourut le 28 novembre 1705, six mois après avoir été réélue supérieure. (UL, note à la lettre 1273). 

121 CG II, pièce 485 citée ci-après : « Je soussignée, étant au lit, malade […] Et de tout ce que contient cet acte, j’en fais mon testament de mort ».

122 Détails dans notre annexe sur le procès des mœurs placée en fin de volume.

123 CG II, Lettre 275. Selon une interprétation assez commune de l’Épître aux Éphésiens, 5, 3, saint Paul ne permettrait pas même aux chrétiens de nommer les actes contraires à la chasteté.

124 CG II, Lettre 278 de dom Richebraque au duc de Chevreuse du 23 avril.

125 Lettre de Dupuy au marquis de Fénelon, du 4 mars 1733 (en réponse à une demande de ce dernier qui rédige à cette époque un récit de la querelle (rééd. CG II 19-34).

126 CG II, Pièce 485. A compléter par l’extrait donné p. 773 : « Il existe une autre déclaration de Mme Guyon, du 6 du même mois […] : « ... Je n'en puis écrire davantage à cause de l'état où je suis, mais, si je meurs, je proteste ne m'être jamais écartée un moment de la foi de la Sainte Église, ma mère, pour laquelle je suis prête de mourir, et que je suis prête à jurer sur le saint Évangile, en mourant, que les lettres qui courent de M. de Grenoble ne peuvent être vraies, puisque je ne l'ai jamais vu avec le prieur de Saint-Robert, et je jure devant Dieu que je ne leur ai jamais parlé ensemble, et que je ne les ai jamais vus dans un même lieu. »

127 Signés dans les premiers jours de mars. Fénelon, Œuvres I, Gallimard, 1983, p. 1534-1538.

128 Parus respectivement en 1685 à Grenoble et en 1688 à Lyon.

129 Le couvent de la Visitation.

130 CG II, Lettre 276 au duc de Chevreuse, mi-avril.

131 CG II, Lettre 279 à la duchesse de Mortemart, début mai.

132 Bossuet cite Mme Guyon dans ses écrits sur les entretiens d’Issy.

133 CG II, Lettre 280 à la même.

134 CG II, Lettre 285.

135 Prévenu qui ne comparaît pas devant un tribunal.

136 Vie, 2.16.7. : « Notre Seigneur me fit connaître en songe qu'il m'appelait pour aider au prochain. De tous les songes mystérieux que j'ai eus, il n'y en a eu aucun qui m'ait fait plus d'impression que celui-là et dont l'onction de la grâce ait duré plus longtemps. Il me sembla qu'étant avec une autre personne de mes amies, nous montions une grande montagne au bas de laquelle il y avait une mer orageuse et remplie d'écueils, qu’il fallait avoir traversée avant de venir à la montagne / [ajout ms. de Saint-Brieuc :] qui était toute couverte de cyprès. Lorsque nous l'eûmes montée nous trouvâmes à son sommet une autre montagne // environnée de haies et qui avait une porte fermant à clef. Nous y frappâmes, mais ma compagne redescendit, ou demeura à la porte, car elle n'entra point avec moi. Le Maître me vint ouvrir la porte, qui fut refermée à l'instant. Le Maître n'était autre que l'Époux, qui m'ayant pris par la main, me mena dans le bois, qui était de cèdres. Cette montagne s'appelait le mont Liban. Il y avait dans ce bois une chambre où l'Époux me mena et dans cette chambre deux lits. Je lui demandai pour qui étaient ces deux lits, il me répondit : « Il y en a un pour ma Mère et l'autre pour vous, mon Epouse. » Il y avait dans cette chambre des animaux farouches de leur nature et opposés, qui vivaient ensemble d'une manière admirable : le chat se jouait avec l'oiseau et il y avait des faisans qui me venaient caresser; le loup et l'agneau vivaient ensemble. » (Vie, 2.16.7). – Des rêves mystiques comparables sont rapportés par Marie des Vallées, la simple paysanne conseillère de Renty, Bernières et Jean Eudes, au début du siècle. Elle est vénérée par Bertot et par Guyon. Et bien longtemps auparavant on trouve ce topos rendu par ex. ainsi dans la Vie de la bienheureuse Lidwine ( ?-1433) : « …Dans cette chambre est un lit superbe … tout parsemé de fleurs … Auprès de cette chambre nuptiale est un jardin délicieux … il la prenait par la main... » (J. Delumeau, Une histoire du Paradis, tome 3, 2000, p. 81.).

137 CG II, Lettre 286 au duc de Chevreuse, juin.

138 CG II, Lettre 288 à la « petite duchesse » de Mortemart, juin.

139 CG II, Lettre 290 à la même, juin.

140 CG II, Lettre 294 au duc de Chevreuse, le 23 juin.

141 CG II, Lettre 295 à la comtesse de Morstein ( ?), le 25 juin.

142 Soumission A du 15 avril, B du premier juillet (suivra une troisième soumission, le 28 août de l’année suivante, dans un autre contexte). Attestations A et B de Bossuet, datées du même 1er juillet (« M. de Meaux vient de venir quérir la décharge qu’il me donna hier, disant qu’il m’en apportait une autre… », Lettre citée du 6 juillet). V. CG II, pièces 486, 490 à 492, 495 ; CG II, annexe, notice « Soumissions et atttestations vues par Levesque » traduisant l’hésitation d’un honnête bossuétiste.

143 CG II, Lettre 296 à la comtesse de Morstein, le 28 juin.

144 CG II, Lettre 301 au duc de Chevreuse, le 6 juillet.

145 CG II, Lettre 303 à la comtesse de Morstein.

146 de Bossuet ?

147 CG II, Lettre 493 de la Mère Le Picard et de religieuses de la Visitation de Meaux, le 7 juillet.

148 Témoignage de religieuses vis-à-vis d’une simple femme laïque suggérant une communion en silence vécue ensemble. On sait aussi que des manuscrits seront plus tard transportés à la Visitation de Nancy d’où proviendra « L’abandon à la providence divine » éditée par Caussade.

149 CG II, Lettre 306  de la Mère Le Picard et de religieuses de la Visitation de Meaux, le 9 juillet.

150 CG II, Lettre 305 de la Mère Le Picard, [annoncée dans CG II] le 9 (?) juillet. Peut-être plus tardivement, autour du13 juillet.

151 François Hébert de Rocmont, fils de Denis Hébert, lieutenant particulier à Meaux, et de Marguerite Musnier. Il était prêtre, mais ne semble avoir occupé aucun poste ni avoir été titulaire d’aucun bénéfice. Il fit d’importantes libéralités à l’Hôtel-Dieu et à l’hôpital général de Meaux.

152 La maîtresse des novices, qui était alors sœur Marie-Eugénie de Ligny. Elle succéda à la Mère Le Picart dans la supériorité de la Visitation de Meaux.

153 Françoise Marc, âgée d’environ trente-cinq ans, était depuis six on sept ans au service de Mme Guyon.

154 Au lieu de la voiture publique. Par précaution ?

155 Le 8 juillet date souvent retenue jusqu’à maintenant. Le 13, si l’on en croit la déclaration lors du troisième interrogatoire par la Reynie, f°141 : « …étant dans le couvent de Sainte-Marie à Meaux depuis le 13e janvier 1695 jusqu'au treizième juillet en suivant… »

156 CG II, Lettre 309 du 16 juillet. - « Je vous prie [de] me dire comme vous comprenez la lettre et ce que vous ferez ensuite. Brûlez ma lettre et je brûlerai la vôtre, et croyez que rien ne me fera douter de votre cœur, mais cette lettre me fait bien craindre de ne vous revoir de longtemps. » (Lettre d’accompagnement de la Mère Le Picart datée du 18 juillet).

157 Probablement le 8 juillet. Phelipeaux dit nettement : « Il partit pour Versailles le 11 juillet de la même année et, le même jour, nous rencontrâmes sur le chemin de Paris la duchesse de Mortemart et la comtesse de Guiche, qui allaient à Meaux. » Bossuet croyait avoir des mesures à prendre avec la Cour : « Je partis le lendemain, pour Paris, où l’on devait aviser à la conduite qu’on tiendrait dorénavant avec elle. » (Bossuet, Relation).

158 Bossuet fait allusion au certificat qu'il lui avait donné et qu'il lui avait ensuite réclamé.

159 Peut-être Bossuet avait-il ressenti quelque attirance spirituelle soit dans ses premières rencontres soit au cours de sa lecture de la Vie ?

160 Fénelon bien sûr.

161 Les dés sont jetés en ce qui concerne Mme Guyon, dont le sort est à partir de maintenant découplé des événements extérieurs : nous ne présenterons donc plus de brèves chronologies aux chapitres suivants. On sait que se poursuivra une grande bataille de libelles et d’écrits subtantiels, par lesquels ferraillent les deux principaux prélats de France, par ailleurs représentés à Rome par les abbés de Bossuet et de Chantérac. La pression politique décidera de la condamnation (bref « Cum Alias », 1699). Ce sujet a largement été traité, en particulier par Jean Orcibal. Puis tout se calmera grâce à la soumission immédiate de Fénelon. Bossuet restera insatisfait d’une victoire nette mais qui laisse Fénelon dans une position honorée. En 1703 Bossuet rendra cependant justice quant aux mœurs de Mme Guyon avant de mourir l’année suivante.

162 Cette version sera à l’origine de complexes discussions érudites portant sur la date et le contenu exact de lettres et sur la date même de son départ de Meaux. Nous avons signalé la notice « Soumissions et attestations vues par Levesque », CG II, 911-915, résumé de textes plus long de la Correspondance de Bossuet (UL) .

163 Lettre du 16 juillet précédemment citée : « Vous pouvez, madame, aller aux eaux… ».

164 CG II, Lettre 312 au même, le 21 juillet.

165 CG II, Lettre 316 à la « petite duchesse » de Mortemart, août.

166 CG II, Lettre 326 à la même, écrite peu après le 16 août.

167 Eudoxie était la femme de l’empereur Arcadius : ambitieuse et intrigante, elle eut une grande influence dans le gouvernement de l’empire. Elle fut blâmée par saint Jean Chrysostome et contribua à son exil.

168 CG II, Lettre 329 au duc de Chevreuse, 18 août.

169 CG II, Lettre 331 au même du 20 ou 21 août.

170 Le duc risquant de perdre ses hautes fonctions à la Cour. Gouverneur du duc de Bourgogne (16 août 1689), ministre d’État (24 juillet 1691), Paul de Beauvillier faillit effectivement tout perdre mais l’appréciation du roi pour son honnêteté le fit devenir par la suite ministre des finances ; il se distingua lors de famines où le pire fut évité à la fin du règne.

171 Gentilhomme normand de l’entourage de Mme Guyon. On le retrouvera lors des interrogatoires comme « l'homme d'espée avec un justaucorps bleu qui estoit avec elle dans la maison de Popaincourt ». Il sera auprès d’elle en 1707 à Blois. Nous lui devons une précieuse copie de lettres.

172 Isaac du Puy ou Dupuy surnommé « put[eus] » est un fidèle qui sera la « mémoire » respectée du cercle des disciples : il informera en 1733 le marquis neveu de Fénelon. Il avait été nommé le 1er septembre 1689 gentilhomme de la manche du duc de Bourgogne, qu’il devait accompagner partout avant d’être chassé de la Cour en juin 1698. Nous lui devons l’autre précieuse copie de lettres (CG II, 873).

173 CG II, Lettre 345 à la petite duchesse, octobre 1695.

174 Les « Enfants du petit Maître » membres du cercle quiétiste.

175 L’achat devant se faire au nom de cette fidèle fille à son service, permet à la fois de ne pas dévoiler Mme Guyon et d’assurer à cette fidèle un bien en cas de prise de sa maîtresse. Mais Françoise Marc sera elle-même emprisonnée. Nous la retrouverons lors des interrogatoires.

176 Fontainebleau, pas très éloigné de Vaux-le-Vicomte (dix-huit kilomètres à vol d’oiseau), serait-il lieu de résidence de ce M. Thévenier ? L’enquête de la pièce 504, CG II, ne nous renseigne pas sur ce dernier.

177 CG II, Lettre au duc de Chevreuse du 7 octobre 1695.

178 CG II, Lettre 358 au même, du 15 novembre 1695.

179 Devise guyonnienne : Quis ut Deus : qui est comme Dieu ?

180 Lecture difficile avec reprise en début du mot sensible : destiné de sensible ? (destiné à être une aide par le canal de la sensibilité ?).

181 Imitation, Livre I, Chap 2 § 3 : Si vis utiliter aliquid scire et discere, ama nesciri et pro nihilo reputari : Voulez-vous apprendre et savoir quelque chose qui vous serve ? Aimez à vivre inconnu et à n’être compté pour rien. (trad. Lamennais).

182 Fin du folio qui nous est parvenu. A.S.-S., pièce 7412 autographe, très difficile à lire, sans adresse ; en tête, de la main du duc : « Reçu le 15 novembre 1695 ».

183 CG II, Lettre 362 à la petite duchesse.

184 Journal du marquis de Dangeau, t. 5, 1855.

185 Molinos fut longtemps considéré comme moralement fautif et par voie de conséquence sa Guide fut négligée. L’approche au niveau des mœurs s’explique dautant plus que les propositions touchant à la doctrine et retenues dans le bref de condamnation de 1687 ne s’y retrouvent pas (Pacho, Dict. Spir. 12.2789/805, & J.-I. Tellechea Idigoras, éditeur de la Guia espiritual, 1976).

186 Les travaux de Bremond, Gouhier, Goré, Le Brun, etc., explorent et complètent le massif enfoui dans les trois premiers volumes de l’édition de référence des Œuvres de Fénelon (Gaume, 1850-1852).

187 CG II, pièce 504, « mémoire sur le quiétisme ».

188 Jacques Bertot (1620-1681), confesseur du couvent des bénédictines de Caen fondé par la sœur de M. de Bernières, puis confesseur du couvent de Montmartre à Paris. Son rayonnement déborda sur un cercle laïc qui fut animé ensuite par Mme Guyon. Nous avons précédemment signalé le volume publié aux éditions du Carmel contenant un choix de ses œuvres.

189La liste descriptive des pièces figurant dans ce ms. 5250 est donné par Griselle dans la Revue Fénelon [Griselle RF] pages 58 à 66 : il reproduit exactement la première pièce du dossier qui est une table des matières de l’ensemble.

Au f°84, la 30e pièce (que nous n’aurons pas l’occasion de citer) contient un intéressant témoignage sur la communication silencieuse : « ...Quelques-uns [des quiétistes italiens] avaient dit qu’ils se communiquaient réciproquement, dans leur secte, la grâce, en appliquant l’un à l’autre la région du cœur et à nu. » [accompagné d’une annotation marginale, probablement en vue de préparer les interrogatoires : « Rapport au sentiment de Mme Guyon qui communique la grâce dont elle est remplie, en se tenant en silence auprès d’elle. »] On touche ici au cœur du problème posé par les affirmations de cette dernière, même s’il n’est que rarement évoqué, par suite de son caractère assez incroyable, dans l’immense littérature née de la querelle. Nous avons pris le risque d’ouvrir le volume sur ce point incontournable qui demeure à la base d’une gêne (car il faut prendre parti pour ou contre une telle possibilité), même chez des sympathisants.

Suit un long mémoire de La Reynie juqu’au f°126 (nous avons cité la lettre du 22 janvier 1696). Au f°130 commencent les comptes rendus des neuf interrogatoires qui eurent lieu à Vincennes.

Suivent ensuite des interrogatoires concernant l’abbé Couturier et la dame Pescherard.

La cinquième liasse contient au f°214 un petit paquet de cheveux (tresses de cheveux, dont il est fait mention dans la lettre à M. de Pontchartrain le 29 de janvier 1696) et 12 pièces : au f°216, une liste d’écrits avec quelques extraits de lettres, des papiers de la 2e cassette sans serrure qui a été trouvée sous le lit, enfin une liste de livres dont le Don Quichotte, Molière…

Les sections « Quiétisme » des Documents d'Histoire, dir. E. Griselle, vol. I, 1910, contiennent des transcriptions très partielles de ce ms. 5250 : premier interrogatoire de Mme Guyon, p. 101-108 ; interrogatoires de Françoise Marc, p. 108-109 ; de l'abbé Couturier et de sa cousine Pecherard, p. 109-110 ; de l'abbé Couturier, p. 111-116 ; de Mlle Pecherard, p. 116-120. Apologie de Mme Guyon annotée par Bossuet (il s'agit de Justifications), p. 298-304. Interrogatoire de François Davant, un excentrique, p. 304-310 ; deuxième interrogatoire de Pecherard, p. 457-460. Lettre résumant les renseignements obtenus sur Mme Guyon, sur le P. de la Combe, etc., p. 460-462. Deuxième interrogatoire de la Dame Guyon, p. 462-468. – Ce travail de transcription fut malheureusement interrompu bien avant son terme.

190 Figure appréciée par Mme Guyon qui fondera « l’ordre » des Michelins, adeptes de saint Michel, l’ange du pur amour ; s’opposant aux Christofflets, adeptes de saint Christophe, ils se laissent agréablement transporter par la grâce... Un des manuscrits du fond de Lausanne (TP 1136 C/1 ou 5139) reproduit la règle de cette « fondation » assez ridicule à nos yeux (surtout depuis Bibendum), mais faite dans un esprit bon enfant : « Il y a deux Ordres dans les enfants de l’Enfant Jésus […] ceux qui le veulent porter sont appelés les Christofflets. Mais ceux qui sont si petits qu’ils ne peuvent marcher et que porte mon Maître seront appelés les Petits Michelins […] joyeux, allègres, faibles, enfantins, n’attendant ni n’espérant rien d’eux, ne voulant rien pour eux, non par courage et soutien mais en vérité par faiblesse et impuissance. […] Le propre caractère des Michelins sera le pur amour […] Leur devise : quis ut Deus (qui est comme Dieu?) / Les Michelins seront sous la main de mon maître comme une girouette agitée du vent et comme un guenillon dans la gueule d’un chien [vue qui inspira le mystique Henri Suso]. / Il faut être girouette pour se laisser mouvoir à tout le vent du St Esprit. […] »

191 Le travail sur les sources provenant de son ordre barnabite resterait à faire ? Elles inclueraient une correspondance en italien ; de nombreuses et longues lettres en français ont par contre été éditées (CG I et II). La Combe demeure vénéré dans les cercles guyonniens au XVIIIe siècle.

192 Ce terme fort convient à l’incroyable manque de précaution prise en une époque fort policée pour des lettres écrites de prison, même si le canal de transmission paraissait sûr à leurs auteurs. Il le fut, mais tel n’était pas le cas de la situation d’une destinataire recherchée par toute la police du royaume ; cette recherche ou du moins son écho n’avait cependant apparemment pas atteint les Pyrénées. Le style emphatique utilisé, en partie imputable aux italianismes de La Combe, est également fort douteux, tout particulièrement aux yeux d’un enquêteur froid, peu habitué aux excès de fidèles confondant quelque peu la grâce avec son porteur, et tout dévoué à la recherche de sectes attentant à la sécurité de l’État (même s’il ne prend pas au sérieux la secte de la répondante).

193 S’ajouteront : « la petite société », les « Égyptiens qui cherchent les petits premiers-nés des Israélites, pour les submerger » (Lasherous, lettre suivante), la critique des jansénistes et tout particulièrement de Nicole (troisième lettre), la redoutable « augmentation de notre église » par la rencontre de trois religieuses…

194 Ecrit sans majuscule dans l’original ! Ce surnom d’une fille au service de Mme Guyon, Marie de Lavau, occasionnera des difficultés lors des interrogatoires qui ne seront levées que tardivement lorsque la nature de surnom sera enfin explicitée.

195 CG II, 348.

196 CG II, 356.

197 CG II, 346 : Lettre à Chevreuse du 4 octobre 1695 : « …Il semble que Dieu ait étendu le règne de l’ennemi. J’ai pensé mourir. Je suis mieux, quoique avec un rhumatisme et la fièvre. J’ai souffert des maux inexplicables depuis quinze jours. » Mais les lettres suivantes du même mois font seulement allusion à une fièvre et à des rhumatismes. L’épisode du vin empoisonné est postérieur (v. son récit dans la lettre 413 à la « petite duchesse » de juillet 1697). Il pourrait par contre s’agir d’une première tentative d’empoisonnement, que l’on peut supposer connue avec beaucoup de retard à Lourdes, rapportée en Vie, 3.11.9, variante Poiret, que Cognet, Crépuscule, p. 225, note 2, situe vers mai-juin 1694. Il y aura enfin, à la Bastille, la proposition d’un opiat empoisonné, rapporté en Vie, 4.7 (« Je le montrai au médecin qui me dit à l’oreille de n’en point prendre »). Certaines des craintes de Mme Guyon étaient peut-être infondées, compte tenu de la fréquence des empoisonnements naturels.

198 Une épine de plus pour les interrogatoires de Mme Guyon : « M. de la Reynie ne me fut contraire que lorsqu’il eut vu cet endroit : « Les jansénistes sont sur le pinacle, ils ne gardent plus de mesure avec moi », (CG II, lettre 389 à la petite duchesse de mars 1697).

199 Le Nouveau Testament … avec des explications…, tome VIII, 1713.

200 Les livres de l’Ancien Testament avec des explications… , tomes I et II, 1714.

201 Réfutation des principales erreurs des quiétistes…, Paris, 1695.

202 CG II, 361, Lettre dont la fin bizarre dût rendre la Reynie perplexe. Elle est regroupée avec la suivante de Jeannette Pagère dans la copie qui nous en a été faite, B.N.F. ms. 5250.

203 CG II, 361 du 7 décembre 1695 – La partie longue issue de La Combe qui précède cette lettre issue de Jeannette ne fut pas saisie (la copie qui nous est parvenue regroupe probablement les deux lettres).

204 Le Père Vautier, jésuite de la maison professe de Saint-Louis à Paris, interdit de confesser, arrêté, conduit à Orléans, ne figure pas dans l’annuaire de Sommervogel. Nous avons relevé dans le ms. BNF fr. 23 499, f° 49v° : « le père Vautier jésuite qui se mêla des affaires de Canada a été arrêtées depuis peu par ses confrères et mis in pace. On lui avait défendu quelques mois auparavant de confesser… » et au f°339 v° : « Le père Vautier jésuite est in pace. On lui reproche les conseils en pratique qui suivent naturellement la doctrine de Molinos dont on peut dire que Molinos est l'origine. » Ses dévotes, suspectées de quiétisme, dénonceront Mme Guyon. (v. DS, art. « Quiétisme », col. 2810). - Les jésuites furent favorables à Fénelon et l’un d’entre eux, le P. Alleaume, fut compromis par l’affaire quiétiste.

205 Françoise-Renée de Lorraine (1629 – 1682) qui fera éditer un ouvrage de Bertot, Complément aux retraites.

206 En 1681.

207 Fénelon sera directeur des Nouvelles Catholiques et Mme Guyon ira à Gex dans l’une de leurs maisons.

208 y assistaient ? (compte tenu de la phrase suivante sur la permission des supérieurs) ou bien par manque d’intérêt supposé de sœurs que l’on protège ainsi ?

209En fait peu nombreux : Retraites (par des dirigés) et Complément aux retraites (leur correction) ; il faudra attendre la publication du Directeur mistique en 1726 par l’équipe de Poiret pour connaître la partie admirable de l’œuvre (opuscules et correspondance).

210 Attestation sur le rôle important de la duchesse de Charost ; c’est chez cette dernière qu’eut lieu la rencontre entre Mme Guyon et Fénelon.

211 Transmission attestée dans la Vie, (2.13, 2.17-20, 2.22, 3.8.5, 3.10), dans les lettres à Fénelon, etc., et probablement connue du rapporteur par l’intermédiaire de Bossuet, l’autre destinataire du compte-rendu des interrogatoires à venir.

212« l’une des bêtes noires des jansénistes », Cm, p.160. Ce groupe est peu apprécié par Mme Guyon : « Le P[ère] de Valois l’a assurée que des filles du père Vautier, qui se disent converties, disent de moi des maux [mots] affreux. Elles font sans doute semblant d’être converties ou, si elles le sont, leur père leur aura fait croire que je suis dans leurs sentiments. » (Lettre au duc de Chevreuse. 25 octobre 1693).

213 Ces précisions peuvent provenir de la Vie, première partie – et /ou de Dominique La Mothe.

214 François–Bertrand de la Pérouse, doyen de la collégiale de Chambéry, élève et ami de M. Tronson, en relation avec dom Le Masson.

215 Les personnes opposées à Mme Guyon. Bonne technique d’approche policière.

216 Le Père Paulin d’Aumale du Tiers Ordre Régulier franciscain eut en dépôt les écrits de Jacques Bertot. Il avait un temps apprécié les Torrents de Mme Guyon. Voir sa lettre du 7 juillet 1694, relatant ses rencontres avec Mme Guyon de façon prudente (CG II, pièce 478).

217 De tels témoignages sur des faits « atroces » ne purent condamner Mme Guyon qui restera toujours enfermée sans jugement. Sa libération suivit (tardivement, en 1703) la décharge des infamies qu’on lui imputait, faite par Bossuet à l’assemblée des évêques de 1700.

218 « Ce qui me paraît de plus plaisant est que des gens de bon sens, des prélats, donnent là-dedans et me croient sorcière. Defit [de Filtz] en rapporte deux preuves : l’une que je fis cesser ses tentations, l’autre que je lui parus belle tout à coup. » (Lettre au duc de Chevreuse, 4 janvier 1694). Du coup, le personnage devint entreprenant !

219 “…la Gentil, qui a eu accès chez Mme de Maintenon par le moyen de Mme de Monchevreuil, dont elle fait les commissions, à ce qu'on dit. C'est une fille fort intrigante.” (CG II, pièce 476, Justification).

220 M. de Gaumont, « homme d'une pureté admirable », (Vie, 3.2.4).

221 Les premières religieuses de la fondation, par Mme de Villeneuve, des Filles de la Croix étaient liées à Pierre Guérin, v. DS, 6.1107-1108.

222 La Maillard et son mari faussaire, sont des accusateurs anciens - et fidèles - de Mme Guyon.

223 Habileté policière.

224 Prêtre que Mme Guyon tenta d’aider : « Ce G[uyfon] que je n'avais vue, me vint trouver et me pria de ne le pas perdre ; il me jura qu'il ne verrait jamais cette fille […] Je lui dis qu'afin de changer efficacement, se connaissant faible, il devait quitter Saint-Cloud, où il y avait un frère de cette fille, qui lui était un prétexte à la voir. » (Lettre à Chevreuse du 2 juillet 1693).

225 Voir la Lettre à Chevreuse du 2 juillet 1693 et la Justification de 1695 (?).

226 Récits de captivité, édités par M.-L. Gondal, Grenoble, 1992 ; notre édition : Vie, 4.1.

227 Les différentes retraites de Mme Guyon furent la maison de la comtesse de Morstein, la maison du faubourg St-Antoine, la maison de la rue Saint-Germain l’Auxerrois, la maison de Popincourt où elle fut arrêtée (premier interrogatoire par La Reynie).

228 Les domestiques de Mme Guyon furent peu nombreux mais très fidèles ; nous connaissons : (1) Marie de Lavau, ou Devaux, « Manon autrement (appelée) Famille », v. Vie 3.18.8, provoque un quiproquo et les soupçons de La Reynie : « d’un esprit fin, elle servait de copiste à sa maîtresse » ; elle vint à Thonon en 1682 avec la sœur de Mme Guyon ; (2) Il s’agit ici de Françoise Marc, née à Rouen, âgée d'environ trente-cinq ans, qui était depuis six on sept ans soit depuis 1689 environ au service de Mme Guyon ; (3) Champagne, valet ; (4) « da­me de La Pierre » citée lors du premier interrogatoire ; […].

229 Gilles Fouquet, ami de Mme Guyon, oncle de son gendre, v. Vie 3.12.1.

230 François Desgrez, lieutenant du guet, qui arrêta la Brinvilliers, fut aussi chargé de surprendre Mme Guyon. On sait peu de chose de lui : il était « honnête homme, humain, et ne faisait que le mal dont ses ordres et son emploi ne le pouvaient exempter » selon les Mémoires de Daniel de Cosnac. Il décéda en 1705 nous apprend Levesque. [UL], vol. V, p. 487, et vol. VIII, p. 28.

231 27 décembre.

232 CG II, pièce 505 : Le roi à M. de Noailles, archevêque de Paris, décembre 1695 - Ravaisson note qu’elle est « chez Desgrez. Elle fut reçue à Vincennes sous le nom de Mme Besnard, et sa femme de chambre sous celui de sœur Manon ; la seconde femme entra le lendemain à Vincennes et fut appelée sœur Marthe. »

233 L’ancêtre de notre ministre de l'Intérieur. Il y eut deux Pontchartrain comme nous l’écrit madame Lebigre : « J’ai enfin résolu l’énigme des deux Pontchartain, père et fils. En 1696, Louis (le père) n’est pas encore chancelier de France. Il ne le sera qu’en 1699. Au moment de l’affaire Guyon, il est secrétaire d’Etat à la maison du Roi. Son fils Jérôme, désigné en 1693 pour lui succéder plus tard (on appelle ça la “survivance”) n’est donc pas mêlé à cette affaire. » L’agaçement que l’on percevra chez La Reynie dans ses rapports avec Pontchartrain n’est donc pas celui d’un homme âgé dépendant d’un supérieur jeune et réputé cassant (Jérôme), mais à une situation peu claire qui fait l’objet d’attentions multiples.

234 CG II, pièce 506, Lettre de Pontchartrain à La Reynie, 29 décembre1695. – Fr. nouv. Acq 5250, f° 11 [21]. En bas à droite du f° : « 29 décembre 1695 » de la main de la Reynie.

235 Ses neuf interrogatoires eurent lieu entre le 31 décembre 1695 et le 4 avril 1696.

236 A partir de l’enquête publiée précédemment ?

237 Extrait de la lettre compromettante écrite par le père de La Combe le 10 octobre 1695 : « …Les amis et amies de ce lieu vous honorent et vous aiment constamment, principalement ceux qui sont comme les colonnes de la petite Église. Si vous veniez, vous ne prendriez qu’une fille et vous lui changeriez son nom. Je ne serais pas fâché de revoir famille, je salue aussi l’autre de bon cœur [Mme Guyon avait deux filles à son service]… ». Nos italiques. - Ce qui est plus compromettant que la piété !

238 Supposait-on quelque enfant naturel issu du couple Guyon-La Combe ?!

239 Jeannette Pagère, dont la connaissance est toute mystique. On retrouve un parallèle exact (en italique dans ce qui suit) à ce texte de la Vie dans une lettre à la petite duchesse (CG II, lettre 389 de mars 1697), ce qui indique que Mme Guyon disposait de lettres pour sa rédaction : « Je crois vous devoir dire le contenu des lettres du P[ère] L[a] C[ombe]. Il y avait qu’une fille, nommée Jeannette, était toujours à l’extrémité, qu’elle avait eu de moi une connaissance si intime, selon ce qu’ils m’avaient mandé ; sur cela, on veut m’obliger à dire ce que c’est que cette connaissance et ce qu’on m’avait mandé. Je refusai constamment de le dire, mais M. de la Reynie me poussant à bout, je lui dis que je ne refusais de le dire que parce qu’il m’était avantageux ; il me dit : « Mais on vous y force, et on vous l’ordonne » ; alors je lui dis qu’elle avait connu que j’étais bien chère à Dieu. Quoique je ne dise que par force et la moindre des choses qu’elle disait, M. Pyrot [Pirot] m’en fit un crime de Lucifer, et encore d’un songe rapporté dans ma Vie, de la chambre de l’Époux trouvée sur la montagne… »

240 La petite Église est très présente dans la correspondance catastrophique provenant de La Combe, italien de tempérament décidément trop lyrique. Dans CG II qui comporte de nombreuses lettres non saisies, outre les quatre reproduites précédemment, nous relevons : "La petite Église d'ici vous salue", conclusion de la lettre 284 du 25 mai 1695 ; "Je doutai néanmoins si vous n'étiez point morte. Toute la petite Église de ce lieu s'en réjouit " (314 du 29 juillet) ; "Toute la petite Église de ce lieu se soutient" (330 du 20 août) ; "Notre petite Église va toujours son train" (337 du 5 septembre) ; et l’expression est quatre fois présente dans la lettre 348 du 10 octobre, première de celles reproduites plus haut. Une telle correspondance tombée dans les mains d’enquêteurs peu au fait d’élans mystiques constituait un vrai problème et, même expliquées, de telles lettres pouvaient être objectivement considérées comme pièces à charge.

La petite Église provoquera la remarque habilement distillée par Mme de Maintenon à Noailles, l’archevêque de Paris, (CG II, pièce 501 du premier semestre 1696) : « Je dis à Marly à Mme la duchesse de Chevreuse que la cabale de cette femme [Guyon] était traitée de petite Église ; elle n'en fut nullement choquée, [...] Elle revint après dîner me dire que Mme Guyon n'entendait peut-être pas les choses comme nous les prenions. Je vous avoue, Monseigneur, que cet entêtement me dégoûte fort de ces dames. »

241 Certes non. Dans son rapport au roi du 7 février 1696 (reproduit plus bas), la Reynie déclare que Mme Guyon est « une femme dont la conduite [...] a toujours été contre le bon sens…”, etc.

242 5250, f°13-14, autogr. - CG II, 506 (p. 830, suite à la lettre de Pontchartrain).

243 Pseudonyme utilisé pour cacher l’identité de la célèbre Mme Guyon, bientôt abandonné.

244 5250, f°13, autographe en tête de la réponse de la Reynie (“J’ai reçu ce soir à six heures”) à sa lettre précédente (“Vous savez monsieur la capture…”).

245 Remise attestée dans des lettres : « Je ne puis en façon quelconque consentir à rien faire imprimer : ce serait le moyen de me faire d’étranges affaires. Je souhaiterais fort qu’on donnât de suite les écrits ; mais si monsieur de Meaux veut les Prophètes, il les lui faut envoyer avec Job. Monsieur de Meaux n’a point le Pentateuque. Lorsque vous serez de retour, je vous prie de l’envoyer par un exprès à Meaux. » (Lettre au duc de Chevreuse du 17 octobre 1693). « Je vous prie instamment d’envoyer dans un même paquet les Juges, Job et les Prophètes, mais n’envoyez pas sitôt L’Apocalypse ; faites-lui voir auparavant ceux-là et L’Évangile de saint Matthieu. Cela est nécessaire, mais faites-le, s’il vous plait, de manière qu’il paraisse tout naturel. Comme il lit fort vite, il ne faut pas tarder à envoyer les trois que je vous marque. » (Lettre au même du 18 octobre). – Il s’agit donc d’une partie de ses Explications qui seront par la suite éditées par Poiret en 20 volumes (la moitié des écrits imprimés).

246 Don Quichotte, Molière, etc., mais aussi quelques vers irrévérencieux envers l’évêque de Meaux qui seront évoqués au neuvième interrogatoire.

247 5250, f°15 [25]. Copie.

248 Vie, 1.4. Reproduit ci-après, sous-section « Témoignage de la répondante et dixième interrogatoire ».

249 René de Voyer d'Argenson (1652-1721) avait succédé à La Reynie en janvier 1697 dans la fonction de lieutenant-général de police : « Mardi 22 [janvier 1697], à Versailles. - M. de la Reinie vend sa charge de lieutenant de police de Paris 50,000 écus ; c'est M. d'Argenson, le maître des requêtes, qui l'achète, et le roi lui donne un brevet de retenue de 100,000 francs. » (Journal de Dangeau). Saint-Simon dit de lui : « Avec une figure effrayante qui retraçait celle des trois juges des enfers, il s'égayait de tout avec supériorité d'esprit. (Il avait) un discernement exquis pour appesantir et alléger sa main, penchant toujours aux partis les plus doux, avec l'art de faire trembler les plus innocents devant lui. » – G. Dethan, dans Paris au temps de Louis XIV 1660-1715, Hachette, 1990, p. 130 à 136, le décrit favorablement comme une « curieuse et attachante figure ». La gravure en pleine page 132 confirmerait au physique ce portrait de juge des enfers ! Mais son action fut efficace et il apparaît comme un bon administrateur, sensible à la misère du peuple, modéré dans l"application de l’édit de Nantes comme dans la recherche des livres défendus, ce qui lui vaut la réprimande de Pontchartrain : « Vous n’avez pas encore fait une grande découverte d’en avoir saisi douze exemplaires [des Nouvelles lettres sur le Quiétisme de Fénelon] pendant qu’on les distribue par milliers. »

250 Si l’on peut croire Hillairet, l’auteur du Dictionnaire historique des rues de Paris, Les Editions de Minuit, 1963, 2 vol.

251 Marie de Lavau : Le rapport de M. d'Argenson du 12 janvier 1707 la décrit ainsi : « Marie de Lavau, mise à la Salpêtrière le 24 mars 1706. / 12 janvier 1707. Elle est âgée de cinquante ans, originaire de Montargis, entrée par lettre de cachet. / Elle a été huit ans à Vincennes, par entêtement pour Mme Guyon, mais elle en paraît assez revenue, elle remplit même tous ses devoirs avec édification, et toutes les sœurs qui la gouvernent, ou qui la voient, en sont contentes ; son grand désir serait d'aller finir ses jours avec quelques-unes de ses parentes qui sont en province, mais M. le cardinal de Noailles la connaissant mieux que personne, et ayant suivi cette affaire avec beaucoup de zèle et d'attention, il semble que son avis en doit décider. » / [Apostille de Ponchartrain :] Écrire à M. le cardinal de Noailles. (CG II, Pièce 535).

252 Françoise Marc : née à Rouen, âgée d'environ trente-cinq ans, elle était depuis six ou sept ans au service de Mme Guyon, lorsque celle-ci se rend au couvent de Meaux ; elle est appelée « la chère petite Marc » par la mère Le Picard, v. Vie 3.18.11. Elle témoignera ainsi sur sa maîtresse : « Oui, elle m’a obtenu cette grâce d’aimer, et Dieu S’est servi d’elle pour imprimer Son amour sur mon cœur, pour m’arracher de moi-même, me faisant marcher par la mort et le renoncement à toutes mes inclinations naturelles, et avec assiduité, ayant une patience et une charité continuelle pour moi, dont la reconnaissance durera éternellement. » (CG II, Lettre 469 de Melle Marc à son frère).

253 Futur copiste du ms. d’Oxford de la Vie comme d’un cahier de lettres, M. Durand de la Pialière, gentilhomme normand qu’on rencontre plusieurs fois dans l’entourage de Mme Guyon.

254 Sur l’abbé Couturier on ne sait rien de plus que ce que nous en rapporte La Reynie : « Il est âgé de 45 ans et d'une très faible complexion. Il a été religieux à la Trappe [...] la faiblesse de son tempérament le força de quitter ce lieu, il y revint encore il y a 14 ans, mais cette seconde tentative n'eut pas plus de succès que la première. Il n'a aucune littérature, c'est un homme obscur […] »

255 Documents d'Histoire, dir. E. Griselle, vol. I, 1910, p. 101-108. – Reprise très partielle en CG II, pièce 507.

256 Sur plusieurs lignes au coin en haut à gauche, 5250, f°127 [pdf p.183]. Nous omettons les sauts de ligne « / » après le premier paragraphe de titre.

257 Les titres ou noms tels qu’ils apparaissent habituellement seront ajoutés entre crochets. - On ajoute aussi des tirets avant les débuts de question, ainsi que des majuscules (Saint antoine en Saint Antoine…).

258 Comtesse de Morstein, (ou Morstin, orthographe d’époque) : Marie-Thérèse d'Albert, fille du duc de Chevreuse, nièce de Mme de Mortemart (on la retrouve souvent avec cette dernière, la « petite duchesse » très proche de Mme Guyon), et aussi de Mmes de Luines et d'Albert, religieuses de Jouarre. Son époux, Michel Adalbert, comte de Morstein et de Châteauvillain, ayant été tué au siège de Namur, le 18 juillet 1695, elle se remaria, en 1698, avec le comte de Sassenage. Mme Guyon s’en soucie dans de nombreuses lettres. (10 avril et 22 septembre 1693, mai 1698…)

259Cette madame Van serait celle qui faisait partie du groupe quiétiste de Seurre (près Dijon) ? « A la fin de 1694, Mme Guyon se servait contre la Maillard et les filles du P. Vautier des témoignages de Mme Van et de la sœur Prudence. […] la police venait d'établir qu'il s'agissait de deux membres du groupe quiétiste bourguignon, beaucoup plus compromis qu'elle‑même. Mme Van avait subi neuf interrogatoires de la part de La Reynie. D'après le pamphlet de Mauparty, c'était une « demoiselle assez bien faite » chez qui les curés quiétistes, Quillot et Robert, logèrent à Paris en 1691. Robert la ramena à Seurre où elle resta un an. Sa famille l'aurait rappelée à Paris, mais, au bout de deux ans, elle serait retournée à Seurre où son intimité avec Robert n'aurait pas été moins grande qu'avant. Elle aurait jugé prudent de quitter Seurre en février 1696 après avoir appris l'incarcération de Mme Guyon : c'est l'année suivante que commença en Bourgogne le procès du curé Robert qui devait être condamné au feu […] » (CF, t. V, note d’Orcibal, p. 128).


260 Le Moyen court imprimé à Grenoble en mars 1685, rencontra un succès certain : les capucins en auraient pris quinze cents exemplaires et il pénétra chez les chartreuses, ce qui provoqua une mémorable intervention de leur Général, dom Le Masson : il jugea son autorité mise en cause et les fit saisir (ceci se reproduisit à Saint-Cyr). Les rééditions accompagnées d’approbations chaleureuses furent nombreuses, en particulier à Paris et à Rouen, les deux premières villes du royaume. Le Cantique des cantiques, interprété selon le sens mistique et la vraie représentation des états intérieurs, Lyon, A. Briasson, 1685.

261 francoise marc.

262 Il s'agit apparemment des Annonciades de Popaincourt, 1639-1782.

263 Ces cahiers sont donc une copie des Justifications annotée par Bossuet. La « semblable copie » donnée à Bossuet est actuellement l’exemplaire de la B.N.F. de la belle écriture d’un copiste professionnel.

264 Des extraits des lettres de La Combe et Lasherous ont été données partiellement précédemment (première saisie et seconde saisie datée du 11 novembre), CG II, 348 & 356, ainsi qu’un extrait de celle de La Combe (non encore saisie !) datée du 7 décembre, enfin le texte de celle de Jeannette (troisième lettre saisie), ces deux dernières lettres regroupées par le copiste, CG II, 361. 

265 Ms.5250, f° 17 [26-27]. – Les très nombreuses ratures et corrections sont fidèlement transcrites par Griselle DH au prix d’une grande difficulté de lecture. Ici nous ne donnons que le texte corrigé – probablement la forme vue par Pontchartrain.

266 Sur les proches, v. les indications données plus haut en notes à leur première apparition.

267 Copie des Justifications (1694).

268 Un frère du surintendant, ami proche de Mme Guyon et appartenant au même cercle mystique (voir Vie 3.12 et 3.15 sur sa mort).

269 Biffage oublié.

270 Jeanne-Marie (21 mars 1676 – 31 octobre 1736), fille portant le prénom de sa mère. Elle avait épousé, le 25 août 1691, Louis-Nicolas Fouquet, comte de Vaux, dont elle sera veuve en 1705 (elle épousera ensuite en 1719 Maximilien Henri de Bethune, duc de Sully). Sans descendance (seule descendance par l’intermédiaire du fils Armand-Jacques qui recueillera sa mère à sa sortie de la Bastille).

271 Ms.5250, f° 19 [28-29].

272 Monsieur de la Pialière était surnommé « le gros ».

273 Quartaut, petite pièce de vin qui contient le quart d’un tonneau (Furetière).

274 La Reynie est à l’affût de signes caractérisant une « petite Eglise » sectaire.

275 Règle des associez à l’enfance de Jésus, modèle de perfection pour tous les estats, tirée de la sainte Écriture et des Pères…, Lyon, A. Briasson, 1685, In-12, 144 pages ; 1690, 2e éd., Ibid. – Reproduite dans les Opuscules spirituels, 1720, 358-404. – Absolument inoffensif ; insiste sur l’oraison « que tous sont capables de faire ».

276 Folios 193 à 196 (premier interrogatoire) & Fol. 196 à 198 v° (second interrogatoire).

277 Les chiffres entre crochets correspondent (ici et dans la suite des interrogatoires et des lettres et des notes par la Reynie) à la pagination du fichier informatique NAF 5250.pdf, fourni par la B.N.F. La relation avec les folios pourra être retrouvée assez rapidement en partant de la correspondance suivante : numéro de folio (pagination pdf)[écart pagination-numéro] : 39(49)[10], 92(115)[23], 138(205)[67], 190(301)[111], 255(417)[162], total de 462 pages pour 284 folios. La mauvaise qualité du fichier informatique (anciens clichés trop contrastés) - vendu au prix fort - ne permet pas une lecture certaine et certains numéros de folios sont hors champ ! Nous avons donc dû reprendre en partie l’ensemble de nos saisies sur le manuscrit lui-même. Nous donnons souvent les deux références ; la seconde entre crochets est celle du fichier informatique.

278 Ms.5250, f° 318-323.

279 Sur cette bibliothèque comportant des chefs-d’œuvre tels que des œuvres de La Fontaine ou le Don Quichotte, des titres de littérature médiévale et des titres de littérature populaire, correspondant à tous besoins, principalement de détente compte tenu des conditions que l’on sait, et non seulement ceux de Mme Guyon mais des filles à son service, voir J. Le Brun, Le pur amour de Platon à Lacan, chapitre « La passion de Grisélidis », 89-105, où Mme Guyon est réduite à ses lectures interprétées psychanalytiquement. Voir aussi les très utiles notes et références bibliographiques, 363-368.

280 Ms.5250, f° 324-331. – Nous plaçons ici des citations relevées aux f° suivants du ms. qui ne concernent pas directement Mme Guyon (elles sont donc ci-dessous reportées en note) mais qui présentent un intérêt pour mieux cerner le contenu d’un éventuel « enseignement quiétiste » :

1°. Les « Papiers trouvés dans la chambre de l'abbé Couturier dans une armoire », contiennent une description notable : « Ces cahiers sont écrits du même caractère que les déclarations aux professions de foi qui sont dans les papiers de Mme Guyon. / Ces manuscrits paraissent être destinés pour composer un livre, dont la matière est l'élévation de l'âme envers Dieu par les opérations de son amour. / L'ouvrage est divisé par Cantiques et par moyens différents fondés sur plusieurs propositions, et à la fin de chaque espèce de chapitre, il y a un discours concernant la conformité entre les propositions précédentes et celles qui suivent. / Il y a en marges diverses citations d'auteurs avec les pages des livres d'où elles sont tirées, les principaux de ces auteurs sont saint Denis, sainte Thérèse, l'Imitation de Jésus-Christ, saint Thomas, saint Jean de la Croix, Henri Suso et les vies de quelques religieuses. / Ces divisions du livre par Cantiques pourraient faire croire que c'est le livre des Cantiques composé par Mme Guyon et condamné par l'ordonnance de M. l'évêque de Meaux. [333]

« Autre petit livre manuscrit qui paraît écrit de la main du Sieur Couturier. / C'est une copie imparfaite des cahiers ou manuscrits ci-dessus. / Apparemment que Mme Guyon lui avait prêté ces cahiers pour les copier.

« Autre petit feuillet, sur lequel il y a plusieurs grands avantages sur l'anéantissement sans rien excepter. / Cet écrit finit : Laissons-nous donc conduire à cet esprit du Verbe, qui ubi vult spirat, infiniment différent du nôtre dont parle l'Écriture, Spiritus promptus, caro autem infirma, l'un nous anéantit et détruit notre propriété, et l'autre la nourrit et la fait vivre.

« Il y a ensuite une copie de lettres écrites, où celui qui écrit, qui paraît être Couturier, parle du voyage d'une femme qui fut très incommodée pendant sa route, et qu'elle n'aurait pu soutenir si elle n'avait été abandonnée à la providence, et que cette perte en Dieu est d'un grand secours et rend facile l'impossible.

« Sentence marquée au bas tirée de saint Augustin, sur le recueillement de l'âme en soi.

« Traité daté du 19 septembre 1694. L'abbé Couturier qu'on qualifie abbé de Cursy et le fermier du domaine pour les droits de la d[ame] … d'une maison sise à Paincourt qu'il voulait acheter pour la nommée Marie de Lavau. »

 2°. Les « Papiers et autres choses trouvés dans les poches de l'abbé Couturier » provoqueront de ce dernier l’explication suivante : « Il dit qu'ayant allé pour voir Mme Guyon proche de Pincourt pour lui rendre raison au sujet d'une maison qu'elle voulait acheter pour se loger à l'insu de sa famille, il trouva que le sieur Desgrez avec ordre de l'arrêter et qu'on l'a aussi retenu et sa cousine. Que Mme Guyon avait pris le nom de Mme Bernard afin que sa famille en eut moins de connaissance, que l'acquisition de cette maison se devait faire sous le nom d'une des filles qui la servaient, que M. de la Balle notaire avec toutes les pièces nécessaires pour dresser le contrat.

« Petit papier qui fait connaître que la maison qu'on voulait acheter est situé rue Pélican, ou rue de Grenelle. L'on y voit les tenants et aboutissants de cette maison, l'une et l'autre tenant par le fonds au cabaret du soleil d'or qui appartient au sieur Couturier. »

Quelques notes secondaires achèvent cet ensemble, couvrant les f° 332-335. Ensuite commencent les interrogatoires de la demoiselle Pescherard.

281 Ms.5250, f° 445-448.

282 Dans ce choix, l’omission d’une note de la Reynie est indiquée par des points de suspension.

283 La Règle des associez à l’enfance de Jésus.

284 Moyen court et très facile pour l’oraison que tous peuvent pratiquer très aisément…, Grenoble, J. Petit, 1685. Le Cantique des cantiques, interprété selon le sens mistique et la vraie représentation des états intérieurs, Lyon, A. Briasson, 1688.

285 Ce qui est étonnant puisque un tel évangile a été saisi (nous le citons à l’occasion de l’interrogatoire de sa maîtresse, plus bas).

286 Fol. 209 à 211 v°.

287 Les Justifications assemblées l’été 1694.

288 Le contact ne fut jamais rompu entre Mme Guyon et La Combe pendant les premières années d’enfermement de ce dernier : elle lui envoyait régulièrement secours et argent.

289 CG II – 509 (très partiellement). – f°133 sv. [195 sv.] - Documents d'Histoire, dir. E. Griselle, vol. I, 1910, p. 462-468.

290 « Aagéé ». Nous adoptons l’orthographe actuelle et modifions éventuellement la ponctuation.

291 Il s’agit des lettres dont nous avons donné de larges extraits, sous-section : « Première lettre du P. La Combe et du Sieur de Lasherous, 10 octobre », commençant par : « Ce 10 octobre. Je n'ai reçu la vôtre du 22e du mois passé que le 8 du présent » et, sous-section : « Deuxième lettre du P. La Combe et du Sieur de Lasherous, 11 novembre », commençant par : « Ce 11 novembre . Je reçois la vôtre du 28 octobre à laquelle je réponds le même jour. » La troisième lettre, arrivée après la saisie de Mme Guyon, n’est pas encore connue de La Reynie.

292 Lettre inconnue. Mme Guyon écrivait à la « petite duchesse en septembre : « Mandez-moi ce qu’il y avait dans le paquet de lettres qui a été perdu. Ce ne sont point les industries humaines qui me sauveront, mais la volonté de Dieu. Je suis sûre qu’on ne dit tout cela à M. de Ch[evreuse] que parce qu’on croit qu’il me le peut faire savoir. Je crains de la friponnerie sur le paquet, et ce n’est pas sans sujet que je le crains. » (CG II, 340.)

293 « bareige », ville d’eau déjà courue à l’époque. Le marquis de Fénelon, « le boiteux » apprécié de Mme Guyon, s’y rendra en en 1714 pour soigner une blessure reçue en 1711, accompagné de « Panta », l’abbé Pantaléon de Beaumont neveu de Fénelon. Ils s’arrêteront à Blois visiter la vieille dame.

294 Dernier paragraphe de la partie écrite par La Combe dans la lettre du 10 octobre reproduite précédemment. « Les colonnes de la petite Église » reviennent sept fois dans les interrogatoires.

295 Ce que nous donnons en guillemets est souligné dans le procès-verbal.

296 singulièrement, celle de l'étroite confidence soulignés.

297 Avant-dernier paragraphe de la partie écrite par La Combe dans la lettre du 10 octobre.

298 A défaut de la lettre ancienne de Jeannette et de sa réponse, nous avons ce que rapporte La Combe sur elle et les autres membres du cercle de Lourdes : « La chère sœur Septa [Jeannette ?] souffre des maux de corps inconcevables avec un profond et sec délaissement intérieur. Elle est fidèle à l'abandon. Elle vous salue et embrasse de tout son cœur. Sur ce que je lui fais part de quelques-unes de vos nouvelles, elle en estime et goûte encore plus votre état » (CG II, Lettre 128 de La Combe du 16 novembre 1693). « Les enfants de Dieu dans ce lieu-ci sont constants dans leurs voies. Tous ceux qui ont ouï parler de vous vous honorent et vous aiment. Le principal ami [probablement l’aumônier de la prison Lasherous] ne se lasse point de me continuer ses charités et ses libéralités. Le jeune ecclésiastique comprend toujours mieux les voies de Dieu. Jeannette ne vit presque plus que de l'esprit, son corps étant consumé par des maux si longs et si cruels. Elle vous aime et vous est unie au-delà de ce qu'ou peut en exprimer, vous goûtant et vous estimant d'autant plus que plus on vous décrie et vous déchire. Elle vous salue et embrasse en Notre Seigneur, avec toute la cordialité dont elle est capable. Nous n'attendons que l'heure que Dieu nous l'enlève. Elle a une compagne et confidente, entre autres qui est d'une simplicité et candeur admirable. Pour moi, je vous suis acquis plus que jamais. (CG II, Lettre 283 du 12 mai 1695).

299 Fin de l’avant dernier paragraphe de la partie écrite par La Combe dans la lettre du 10 octobre.

300 Bourbon-l’Archambault, petite ville d’eau située près de Moulins, très fréquentée au XVIIe siècle, pratiquée par Mme Guyon fréquemment : « L’eau de ses bains ou puits est claire, limpide et si chaude qu’on n’y peut tenir la main. [...] Au-dessus du couvent des capucins est une belle promenade, qui consiste en trois allées, l’une au-dessus de l’autre, pratiquées dans un terrain ...[donné] aux capucins à condition d’en tenir la porte ouverte pour la commodité publique. » (Expilly, Dictionnaire). Mme Guyon s’y promenait probablement. Les traitements concernent la rhumatologie (polyarthrite, arthroses) et la gynécologie (infections chroniques).

301 Mme Guyon ne nie pas son accord sur le projet d’aller visiter La Combe et son cercle spirituel : et pourquoi n’en aurait-elle pas eu le droit ? Mais cela ne put avoir lieu puisque l’on voulait l’incarcérer - sans raison établie. La signature du Roi au bas d’une lettre de cachet n’en requiert pas non plus : aussi les interrogatoires doivent en établir une, si possible plus compromettante que de s’être cachée. Toutefois clandestinité est présomption d'illégalité, raison déjà suffisante pour faire courir le bruit d’une “fuite” de la Visitation de Meaux.

302 Réfutation des principales erreurs des Quiétistes contenues dans les livres censurez par l'Ordonnance de Mgr l'Archevêque de Paris, du 16. Octobre 1694, Paris, Desprez, 1695. - L’Ordonnance citait de nombreux passages du Moyen court. Voir notre édition de ce dernier texte avec relevé des passages cités dans : Guyon, Œuvres mystiques.

303 CG II, 508. (B.N.F., nouv. acq. fr. 5250, f°21-23). La lettre évoque les « deux dernières lettres » de La Combe (la troisième n’est pas encore arrivée au domicile où fut opéré la saisie) et La Reynie doit revoir « demain » Mme Guyon qui « a pris ces trois derniers jours pour faire des remèdes » - ce qui a bien lieu : le troisième interrogatoire du 23 janvier succèdera au second du 19 janvier.

304 La Combe a réussi à attirer la sympathie et, au-delà, à former un cercle spirituel dans les conditions les plus difficiles.

305 « petite Église » et « étroite confidence » largement évoqués (et soulignés) dans les comptes rendus.

306 Aurait-elle l’intention de passer de l’autre côté des Pyrénées comme elle savait passer les Alpes ? Lourdes est proche de l’ennemi espagnol…

307 Secte dangereuse, bien représentée par le capable La Combe, si elle peut embrigader aumônier et commandant d’une prison du Roi !

308 Ms.5250, f° 21-22 [30-33], copie. En marge, du même copiste, à fin de reconnaissance rapide : « Mme Guyon / père de la Combe / De la Sherous / Jeannette. – Les deux premiers interrogatoires sont envoyés en même temps à Pontchartrain : « Ce 26 janvier 1696. Monsieur / Je vous envoie les deux interrogatoires de Mme Guyon, qu’elle a prêtée sur les deux lettres du p. de la Combe, et je joins à ces interrogatoires, des copies de ces deux lettres écrites par le père de La Combe à Mme Guyon […illis.] important de voir ces quatre pièces parce que la lettre que j’ai eu l’honneur de vous écrire sur ce sujet ne peut vous avoir donné qu’une idée très imparfaite de ce que ces quatre pièces contiennent. / J’ai interrogé aujourd’hui Mme Guyon sur un autre sujet et après-demain samedi je continuerai de l’interroger. Je suis etc. » (f° 23 [34]).

309 Ms.5250, f°277 et suivants.

310 Gilles Alleaume, (v. plus bas en note sa notice), l’un des deux jésuites chargés, en même temps que La Bruyère, de l’éducation du duc de Bourbon, petit-fils du grand Condé, avait toute compétence pour une telle révision. – On ne sait rien sur « l’aventure » qui lui est prêtée un peu plus bas : faut-il lire à sa place : La Combe ?

311 Exact : origine de la grande fortune Guyon.

312 Information positive que l’on n’attend pas du demi-frère Dominique. Lecture de la Vie ?

313 « Ils surent que j'avais été à Marseille, ils crurent qu'ils avaient trouvé un bon moyen pour fonder une calomnie. Ils contrefirent une lettre d'une personne de Marseille, je crois même avoir ouï dire de Mgr l'évêque de Marseille, adressant à Mgr l'archevêque de Paris ou à son official, où ils mettaient que j'avais couché à Marseille dans une même chambre avec le père La Combe ; qu'il y avait mangé de la viande le carême et fait des choses très scandaleuses. L’on porta cette lettre, l’on débita cette calomnie partout, et après l'avoir bien débitée, le père La Mothe et le Provincial [des barnabites], qui avaient concerté cela ensemble, se résolurent de me le dire. » Vie 3.1.12. – Ces événements se passent bien auparavant, précédant le premier internement de 1688 : le demi-frère Dominique de la Mothe et le Provincial des barnabites s’associent alors pour perdre La Combe. Ils utilisent les services des époux Gautier pour établir la fausse lettre. Ils seront en accord avec l’Official Nicolas Chéron. Ils réapparaissent maintenant au moins comme informateurs. Mme Guyon put prouver qu’elle ne fut jamais à Marseille en même temps que La Combe.

314 Jean d’Aranthon d’Alex (1620-1695), évêque de Genève, attira Mme Guyon pour aider à établir une communauté de Nouvelles Catholiques à Gex.

315 CG II Lettre 269.

316 L’archevêque de Paris, Harlay, mécontent d’avoir été mis à l’écart des premières conversations d’Issy, prend les devants dès le 16 octobre 1694. Le mandement censure trois livres : l’Analysis orationis Mentalis du P. La Combe, le Moyen court et Le Cantique. Il condamne « l'idée chimérique... de faire parvenir les âmes à la perfection... jusqu'à rendre ridiculement la contemplation commune à tout le monde même aux enfants de quatre ans », ce qui « donne atteinte à des vérités essentielles de la Religion ... Par l’extinction de la liberté dans les contemplatifs, en qui elle ne reconnaît qu’un consentement passif aux mouvements que Dieu produit en eux... Par la persuasion illusoire qu’elle établit d’un affranchissement de toute règle et de tout moyen, de tout exercice de piété, etc. et d’un bonheur qu’elle suppose dans l’oubli des péchés... Par l’assurance imaginaire qu’elle insinue qu’on possède Dieu dès cette vie en lui-même et sans aucun milieu, qu’on l’y connaît sans espèces même intellectuelles...» Enfin il achève par ce qui apparaît comme le plus condamnable : « les auteurs y déclarent ... une fécondité qui met par état dans la vie apostolique ». La censure publiée est « lue dans toutes les communautés » le dimanche 24 octobre.

317 “qu’étant […] treizième” souligné.

318 « servante […] entreprise » souligné.

319 Faiblesse et renvoi sur « ceux qui l’ont écrit » ? Peut-être l’impossibilité d’expliquer à La Reynie (« pour lui, Mme Guyon est une illuminée, rien de plus ») une maternité mystique par ailleurs souvent développée dans ses écrits ; elle sera plus tard appelée « notre mère » par les disciples (avec « notre père » Fénelon).

320 orthographe variable ici en “Jannette”, parfois en “Jeannette » (que nous retenons).

321 Mot de lecture incertaine.

322 « Que Dieu […] en elle-même » souligné.

323 On voit mal comment La Combe aurait pu rendre ce portrait “à Passy” - s’il s’agit du pied-à-terre parisien acquis lors des « années tranquilles » où Mme Guyon réside surtout à Vaux auprès de sa fille mariée très jeune. Il peut s’agir plus probablement d’une rencontre antérieure au 3 octobre 1687, date de son emprisonnement.

324 « pour moi […] personne »  souligné.

325 Il s’agit peut-être de la soeur de famille (Marie de Lavau).

326 Nous n’avons pas de témoignage direct sur cet événement mais sur un plus récent : « C'était un poison fort violent qu'on m'avait donné. On avait gagné un laquais pour cela. […] Lorsque je fus à Bourbon, l'eau que je vomissais brûlait comme de l'esprit de vin. Comme je ne m'occupe guère de moi, je ne pensais pas qu'on m'eût empoisonnée si les médecins de Bourbon ayant fait jeter au feu l'eau que j'avais vomie, ne m'en eussent assurée. » (Vie, 3.11.9, variante Poiret, p. 778 de notre éd.). Mme Guyon prendra les eaux à Bourbon l’Archambault à partir de juin. La lettre CG II - 224, adressée peu de temps après à Chevreuse les 3 ou le 4 mars 1694 commence par : « Je ne puis plus écrire : l’on m’a mal soignée. »

327 « O Dieu […] dessein » souligné.

328 Témoignage de la répondante : « Il n’y avait rien que de très édifiant dans les lettres du P[ère] L[a] C[ombe] : il m’invitait à aller aux eaux qui sont près de lui ; ensuite, après avoir témoigné la joie qu’il aurait de me voir, il ajoutait qu’il ne serait pas fâché de voir Famille ; ce mot leur avait paru un mystère exécrable et digne du feu, mais lorsqu’ils surent, par les preuves que je leur en donnai, que c’était le nom de ma femme de chambre, ils furent étonnés. Et c’est cela seul qui avait fait dire que c’était des lettres effroyables. Toutes les peines qu’on m’a faites n’ont roulé que sur ce mot : «  La petite Église d’ici vous salue, illustre persécutée ». J’avais plus de peine de la peine que vous pouviez avoir que de ce que je souffrais. » (CG II, lettre 389 de mars 1697).

329 Publié par la suite : Les livres de l'Ancien Testament avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, divisés en douze tomes comme il se voit à la fin de la Preface. Vincenti. A Cologne [Amsterdam] chez Jean de la Pierre, 12 tomes, 1715 , dont : Le livre de Job avec... Tome VII... 1714. « Préface sur Job » p. 3-7. Job p. 8-288. Table p. 289-307. Errata p. 308.

330 Reigle de perfection contenant un abrégé de toute la vie psirituelle réduite à ce seul poinct de la Volonté de Dieu... composée par le P. Benoist Anglois, de Canfeld en Essex, Prédicateur Capucin, Chastellain, Paris, 1610 (suivi de nombreuses rééd.). – Ouvrage majeur de grande influence sur les mystiques du siècle.

331 Marie de Lavau, encore surnommée « famille », cause du malentendu gênant.

332 « il marqua […] présentait » souligné.

333 La main de Marc dut être bien fatiguée : nous connaissons les justifications, soumissions et protestations suivantes : CG II, pièce 476 Justification 1694 (?) ; 479 à Bossuet (Soumission), octobre 1694 ; 483 Réponses aux examinateurs, 6 décembre 1694 ; 485 Protestation en forme de testament, 15 avril 1695 ; 486 Soumission "A", 15 avril ; 487 Déclaration, 15 avril ; 490 Soumission "B", 1er juillet 1695 ; 494 Protestation, 1695 (?) ; 495 Soumission, 28 août 1696…

334 « le père Chaupignon » souligné. Inconnu pour nous.

335 Mgr Jean d'Arenthon d’Alex, né en 1620 au château d'Alex, était depuis 1660 évêque de Genève, mais siégeait à Annecy. Dans la région de Gex, peuplé de calvinistes, il fit détruire leurs temples. Il mourut en 1695. 

336 « un grand amour […] folle » souligné.

337 « même par la distribution […] soin » souligné.

338 Nous introduisons quelques paragraphes dans cette très longue déposition continue…

339 « qu’elle communiqua […] répondante » souligné.

340 Vie, 2.3.6.

341 « qui était le père de la Combe […] barnabite » souligné.

342 Vie, 2.5.4.

343 « dans un couvent des ursulines de Tonon [Thonon] » souligné.

344 « répondante fut obligée […] quatre » souligné. Tout ceci est explicité dans la Vie.

345 « le père de la Combe […] Genève » souligné.

346 «  ledit ecclésiastique […] sujet » souligné. Voir Vie, 2.6.

347 Plutôt deux années : de septembre 1681à l’été 1683, où elle va vivre quelques mois très heureux dans une petite maison près du lac avec sa fille, avant de partir à Turin (premier de deux séjours en Italie, totalisant largement une année).

348 « le père de la Combe […] ursuline » souligné. La Reynie repère les passages importants en particulier ceux où se retrouvent le « couple » Guyon-La Combe.

349 « que cependant monsieur de Genève […] et le «  souligné

350 « Madame de Savoie […] fit » souligné pour les membres de phrase importants.

351 Sur toute cette période complexe résumée ici sans respiration du texte (hors nos paragraphes), que l’on ne peut annoter sans grossir démesurément les notes, on se reportera à la Vie, 2e partie, aux études d’Orcibal et à nos éditions. Un témoignage suffira : CG II, Lettre 233 de la marquise de Prunay en réponse à Fénelon, du 6 novembre 1694 : “A mi ritorno qui in Cortemiglia… [en note (de l'écriture de Dupuy) : " lettre de Mad. la marquise de Prunay, sœur je croy de M. le m[arquis] de saint Thomas, premier ministre de S.A.R. Mgr le duc de Savoye au sujet de Mme G[uyon]. "] : À mon retour ici à Cortemiglia, et pour satisfaire à vos ordres, j'ai pris, dans un entretien particulier avec ma mère, des renseignements sur les qualités de Mme Guyon. Elle m'a dit qu'elle n'en pouvait donner que de favorables, et que, pendant tout le temps qu'ont duré ses relations avec ladite Dame, elle l'a connue pour une personne d'une grande vertu, charitable, humble, sans aucun fiel, pénétrée d'un saint mépris pour le monde, pieuse et exemplaire […]

352 Marie-Jeanne-Baptiste, 1644-1724, fille du duc de Nemours, seconde épouse et veuve de Charles-Emmanuel II de Savoie, mère du duc Victor-Amédée II, duc de Savoie à l’époque de Mme Guyon.

353 « désiré […] l’évêque de Verceil » souligné. – Il s’agit de Vittorio Augustin Ripa, (1679 – 1691), qui avait pleine confiance dans le P. La Combe, son confesseur, le chargeant d’enseigner les cas de conscience aux prêtres du diocèse. La Combe fit imprimer son Orationis mentalis analysis et Mme Guyon son Explication de l’Apocalypse, tous deux avec l’approbation de Mgr Ripa, qui lui-même publiait l’édition présumée de l’Orazione del cuore facilitata. Ripa avait séjourné à Jesi, où Petrucci était évêque avant de devenir cardinal respecté : on trouve ainsi un lien entre quiétistes italiens et français sous la forme de cette collaboration trilingue.

354 « d’aller à Verceil […] parlé » souligné.

355 Marquise de Prunai, Vie, 2.25.3, « Il ne se peut rien de plus cordial que ce qui se passa entre nous avec bien de l’ouverture.»

356 « …Cet homme de qualité lui envoya un petit livre d’oraison intitulé Moyen court et imprimé à Grenoble. Ce chevalier [« de Malte très dévot »], si homme de bien, avait un aumônier fort opposé à l'intérieur. Il prit ce livre, il le condamna d'abord, et alla soulever une partie de la ville, entre autres soixante et douze personnes, qui se disent ouvertement les soixante et douze disciples de M. de Saint-Cyran [jansénistes]… » Vie, 2.23.3. – « et dans ce paquet […] Moyen court », « Chevalier […] Ciran » soulignés.

357 « et parce qu’en ce même temps le Général […] voiture », « qu’elle partit de Lyon […] voiture, deux long passages soulignés.

358 « Je revins à Grenoble prendre ma fille pour m'en retourner à Paris. Le père Lacombe qui avait reçu un ordre du père vicaire général de m'accompagner jusqu'à Paris et qui était allé en Savoie un mois avant que je partisse de Verceil, me vint joindre à Grenoble. Nous prîmes la voiture publique. Je fus accompagnée pendant tout le voyage d'un vieux gentilhomme de Mâcon, père de madame la m[arquise] de Montpipeau [seigneurie dans l’Orléanais] », CG II, pièce 476, Justification 1694 (?).

359 Ms.5250, f°224-253.

360 Respect de la personne assez exceptionnel pour l’époque. Dans d’autres affaires plus sombres, La Reynie n’eut jamais recours à la torture (sauf celle, systématique, imposée après condamnation à mort).

361 Lecture incertaine de ce brouillon très largement raturé.

362 Tresses conservées attachés au f° 349 ! La lettre accompagnant ces cheveux serait la lettre CG II, 348, du père Lacombe et de Lasherous, du 10 octobre ; elle est copiée à proximité, au f° 352.

363 Ms. 5250, f°25-26 [35-37], brouillon autographe de la Reynie avec de très nombreuses ratures.

364 Gilles Alleaume, né à Saint-Malo en 1641, entra au noviciat le 19 septembre 1658 et fut l’un des deux jésuites chargés, en même temps que La Bruyère, de l’éducation du duc de Bourbon, petit-fils du grand Condé. Il enseigna les humanités et la rhétorique, et traduisit l’ouvrage Souffrances de Notre Seigneur Jésus-Christ..., du P. Thomas de Jésus, portugais, de l’ordre des Ermites de Saint-Augustin. Suspect de quiétisme, il fut exilé de Paris en 1695. Il mourut à Paris en 1706.

365 V. les études d’Orcibal sur la période des voyages ; D. Tronc, « Quiétude et vie mystique : Mme Guyon et les Chartreux », Transversalités, n°91, juillet-septembre 2004, 121-149, partiellement repris dans l’annexe sur les mœurs en fin du présent ouvrage – Mme Guyon avait eu trop d’influence sur les femmes chartreuses de Premol, etc. : une saisie du Moyen court fut organisé lors d’une sortie (événement très exceptionnel) de dom Le Masson hors de la Grande Chartreuse.

366 Coin haut gauche.

367 « qu’elle explique […] l’a toujours » souligné.

368 Episodes genevois qui ne figurent pas dans la Vie.

369 « qu’en Savoye […] elle a été » souligné. L’attention se porte toujours sur les rapports avec La Combe.

370 Vie, 2.23-24.

371 « et que de Gênes […] santé » souligné.

372 « et à l’égard du père de la Combe […] Paris » souligné bien évidemment.

373 « croit que ce fut quatre ou cinq mois après qu'il y fût arrivé » souligné.

374 « il en retint […] Verceil » souligné.

375 Le Cantique des cantiques, interprété selon le sens mistique et la vraie représentation des états intérieurs, Lyon, A. Briasson, 1685. Préface « Apparemment d’un Ami de l’Auteur » reproduite dans l’édition Poiret, Les livres de l’Ancien Testament…, tome X, 1714, p. 114-126, où l’auteur est crédité de la description des « secrètes démarches des Ames en Dieu (118) », où « un ouvrage tout divin … demande un cœur qui se donne parfaitement à Lui sans plus se reprendre… » (préface reprise dans la réédition, Grenoble, Millon, 1992, 193-201, sans attribution d’auteur !).

376 « et le dit Père de la Combe, voyant […] pensées » long passage souligné.

377 « a dit […] Morstin », quatre parties de ce paragraphe relatif au père Alleaume soulignées.

378 Partie soulignée. - Mme Guyon a vécu plusieurs années en Savoie et une année en Piémont.

379 Tout le paragraphe souligné. - La version catholique de Louvain eut de nombreuses variations (Lyon,1603, etc. Nous n’en avons pas retrouvé une s’approchant plus particulièrement du texte des versets commentés par Mme Guyon ; pour les explications du nouveau Testament l’édition Poiret reprend la version corrigée par Amelote …en la modifiant parfois considérablement).

380 Vie, 2.21.9 : « J’écrivis le Cantique des Cantiques en un jour et demi… ».

381 « Père de la Combe » et « Moyen court et facile » soulignés.

382 « ledit père de la Combe […] livre » souligné.

383 Paragraphe souligné.

384 « entièrement écrites de la main du père Alleaume » souligné.

385 « frère Joseph » et plus bas « est le père Antoine » soulignés.

386 Pièce écrite, frère Joseph capucin (et plus bas : les filles qui ont soin du temporel des capucines ; sœur Pierrette), abbé Sautreau, père Antoine, …ne sont pas autrement connus. Allusions sans noms propres en Vie, 2.17, « il venait du monde de tous côtés », 2.18.4, sur de « pauvres filles » qui « se donnaient à Dieu de tout leur cœur »,2.18.6, sur le frère quêteur, 2.20, où ce dernier lui dit « vous êtes ma véritable mère », 2.21, où elle guérit ce « bon frère quêteur » devenu son copiste…

387 « qualité de l'un des enfants d'elle répondante » souligné.

388 « elle est toute dans son rien » et la réponse « dit que […] spirituelle » soulignés.

389 « ne nous donnerez vous jamais des nouvelles » souligné.

390 Couvent où elle allait de bon matin dans sa jeunesse et pendant son mariage, vécus à Montargis, demander conseil à la mère Geneviève Granger, belle figure mystique (description par la mère de Blémur reprise par Bremond).

391 « a été au couvent des filles […] été » souligné.

392 Coin gauche haut.

393 « elle le connaît depuis environ trois ou quatre années » souligné.

394 Titre souligné (traduction d’une œuvre du P. Thomas de Jésus, portugais).

395 Début des Explications et réflexions sur l’Ancien Testament par Mme Guyon (celles relatives au Pentateuque couvrent les deux premiers tomes de l’édition Poiret de 1716).

396 Paragraphe souligné.

397 « inséré et débité » souligné. Suivent de nombreux soulignements que nous n’indiquons plus lorsqu’ils sont courts, relatifs à la collaboration d’Alleaume.

398 Il faudra attendre 1716, au sein des Explications… Nos sondages n’ont pas indiqué de modifications de quelque importance entre Lyon, Briançon,1686, et Cologne [Amsterdam], Poiret, 1716.

399 L’archevêque de Paris, Harlay, mécontent d’avoir été mis à l’écart des premières conversations d’Issy, prend les devants dès le 16 octobre 1694. Il censure trois livres : l’Analysis orationis Mentalis du P. Lacombe, le Moyen court et Le Cantique. Son texte est court. La censure publiée est « lue dans toutes les communautés » le dimanche 24 octobre. (Ce n’est qu’après les « entretiens d’Issy », la rédaction finale du compromis en 34 articles et le départ de Mme Guyon pour Meaux, que Bossuet, maintenant sûr de lui, ouvre le feu : son Ordonnance « sur les états d’oraison »  datée du 16 avril est publiée le 1er mai. Enfin deux autres ordonnances suivront, par Noailles et par Godet des Marais : ce dernier seul s’est donne la peine de citer des passages tirés des œuvres censurées…).

400 « Voici […] puis » souligné. – Comme précédemment nous omettons ensuite de courts soulignements sur le même sujet.

401 CG II, pièce 490, Soumission « B », 1er juillet 1695. « …Je me soumets et conforme aux condamnations y portées desdits livres [Moyen court, Cantique]… ».

402 Elle n’a rien promis dans une Soumission qui s’apparente plutôt à une défense : « …Je n’ai dit ni fait aucune des choses qu’on m’impute… »

403 Traduit de l’exaspération. Elle a déjà dit « qu’elle n’a rien à dire du tout » ; elle va réitérer : « A dit Qu’elle n’a rien à dire sur ce sujet… ». – « Qu’elle n’a rien à dire » souligné. – On omet les soulignements courts suivants, portant toujours sur l’affaire Alleaume.

404 « et qu’il était déjà exilé dans le temps » souligné. - Le père jésuite Alleaume fut exilé de Paris la même année 1695.

405 « dit que non, et quelle entendait la messe ces jours-là » souligné.

406 « fait savoir au père » souligné. Nous omettons de très nombreux courts soulignements qui suivent.

407 « nous a cy-devant […] retour » souligné : on quitte l’affaire Alleaume pour aborder les Justifications préparées l’été 1694 avec Fénelon, dont les nombreux cahiers furent communiqués à l’automne à Bossuet, avant les articles d’Issy, les soumissions, etc. Elle en garda sûrement copie partielle. On note que les écrits des pères de l’Eglise furent assemblés par Fénelon tandis que Mme Guyon constitua la masse imposante des écrits des mystiques plus récents, voire « modernes » : Les Justifications de Mme J.-M. B. de La Mothe-Guion, écrites par elle-même… avec un examen de la IXe et Xe conférence de Cassien, touchant l’état fixe d’oraison continuelle, par feu M. de Fénelon, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre, 1720, 3 vol.

408 Les trois derniers paragraphes (donc depuis « A dit qu'elle n'a prétendu justifier… ») sont presque entièrement soulignés !

409 Souligné depuis la fin du précédent paragraphe « répondante a donnez à lire… ».

410 Aucune œuvre sous ce titre et de cette composition ne nous est parvenue.

411 « ladite préface […] raison » début et fin soulignés.

412 « J M Bouvier et de la Reynie » d’une écriture informe.

413 CG II – 363 – Lettre à La Reynie, avant le 14 février, B.N.F., nouv. acq. fr. 5250, autographe, f°260. 

414 Qui a découvert et arrêté Mme Guyon.

415 CG II – 364. – Lettre à La Reynie. B.N.F. encre de bougie, f°261-262. Le feuillet suivant, f°263, reproduit cette même lettre : « Monsieur, j’espérais toujours... » avec l’addition marginale : « copie de la lettre que Mme Guion m’a adressée par le Sr Desgrez le 14 février 1696 du donjon de Vincennes, avec de l’encre qu’elle a composée, et dont l’écriture déjà peu apparente disparaîtra entièrement dans quelques temps et ne sera plus lisible ». En fait, cette lettre pathétique est demeurée lisible trois siècles plus tard. Nous ne savons pas ce qui a pu offenser M. de la Reynie. – La lettre de Beauvillier à Tronson est donnée à sa suite.

416 A.S.-S., Fénelon, Correspondance, XI2, f°159, autographe.

417 Ms.5250, pièces des f° 27 [38 : p. 38 du fichier informatique pdf], [39, 40 à 46 (le long rapport de La Reynie), 47, 48].

418 Seul le greffier a changé (changement en une main élégante …et lisible). – Nous omettrons les très nombreux soulignements courts qui ne font que résumer le texte. (premiers soulignements : « je reçus hier votre lettre », « cachée à votre cœur », « nommée Bidault », « adressée à Mme »…)

419 Souci « social » qui n’est pas toujours assumé à l’époque.

420 Toute la citation soulignée ; et de même pour la suivante.

421 « Épitre aux petit maître / Mes très chers frères, rapportez tout ce qui vous arrive à la gloire de votre petit maître, réjouissez-vous je vous le dis derechef, réjouissez-vous, soyez simple, enfants joyeux, glorifiant Dieu dans votre faiblesse, ne prévoyant rien, ne désirant rien, préférant la charité à la foi et à l’espérance, car la foi passe, l’espérance passe, mais la charité qui est Dieu, demeure éternellement. / Tiret / Evangile pour les enfants du petit maître. / En ce temps Jésus s’en alla sur une montagne avec ses fidèles et il leur dit, bienheureux les faibles car ils seront remplis de la force de Dieu. / Bienheureux les simples, parce qu’ils sont à moi. / Bienheureux les enfants, parce que le royaume des cieux leur appartient / Bienheureux ceux qui sont anéantis, Celui qui est habitera en eux, n’ayez aucun soin de vous, mais abandonnez-vous à Dieu sans réserve. / C’est lui qui vous a faits et non pas vous. / Enfants des hommes réjouissez-vous, que votre sort est heureux, mon Père et moi seront un avec vous, que voulez-vous davantage. » (Ms. 5250, f°257) .

Plusieurs épîtres circulèrent, telle celle reproduite en CG II, pièce 262 : « Aux enfants du petit Maître. Début 1695 (?) / Mes chers enfants, / Je vous souhaite une bonne année : elle sera toujours bonne, si nous nous renouvelons dans la charité. […] Je leur envoie la bénédiction du petit Maître, je les porte dans mon cœur. ». Toute cette littérature au caractère bon enfant est adaptée aux nombreux humbles membres d’un cercle qui ne comprenait pas seulement des figures faisant partie de « l’élite » de la Cour, comme Chevreuse, Beauvillier, Fénelon.

422 L’ Evangile pour les enfants du petit maître qui vient d’être cité à la suite de l’épitre.

Epitres, évangiles, etc., font partie d’une production pieuse et simple à vocation enseignante, dont témoigne par exemple le Catéchisme spirituel de la mère Bon, la « petite religieuse fort contrefaite » qui apparut en rêve à Mme Guyon, et notable spirituelle ursuline (1636-1680). Ce Catéchisme spirituel (A.S.-S, ms 2056, f° 660-859) suit immédiatement deux copies des Torrents de Mme Guyon et a peut-être circulé dans les cercles quiétistes : « Ce que c’est qu’adhérer simplement à Dieu ? Adhérer simplement à Dieu, c’est se soumettre à sa volonté, sans raisonnement, par la connaissance qu’il en donne […] L’inaction ou anéantissement pour l’ordre de Dieu étant la grande porte, c’est ce moyen très parfait lequel donne lieu aux vertus les plus solides parce qu’elles sont toutes spirituelles et épurées de l’amour propre… », etc.

La Reynie avait sous la main deux autres textes qu’il ne semble pas avoir utilisé, comportant d'ailleurs des passages incompréhensibles (par suite d’une copie défectueuse ?) mais intéressants pour montrer l’esprit qui habitait la recluse à Popaincourt ou ses proches :

(Ms. 5250, f°259 :) « Jérusalem. Le Seigneur fera de nous ce qu’il lui plaira, nous sommes prêt de nous en réciproquement consentant et de le mutuellement satisfaire, dégagés de tout et attachés à rien, nous serons par ce moyen morts et vivants d’une mort et d’une vie cachée en Jésus-Christ, en la divinité. / La prudence et la charité nous obligent aujourd’hui à une vie cachée et recluse, pour rendre la gloire éternelle et divine en silence et à petit bruit ; au commencement de notre vocation, nous éclations en public, et nous faisons aujourd’hui tout au contraire, mais nous n’avançons pas moins les affaires de notre divin Maître. / Tiret / Divine Marie, dépositaire du secret éternel, faites jouer les machines qui sont en votre disposition, pour clarifier la nouvelle alliance. / Pour notre égard nous n’avons qu’à nous y soumettre et à nous y résigner en restant dans une sainte indifférence, et une parfaite désappropriation, nous en sommes aussi dans un tel dépouillement, qu’il ne s’en peut pas voir de semblable. C’est aussi vous qui le formez Vierge sainte ou pour mieux dire le saint Esprit concentré dans votre cœur. / Continuez de nous désapproprier de toutes choses s’il vous plaît Seigneur avec un plus abstrait dégagement, à dessein que nous ne fassions rien qu’avec une souveraine perfection [f°259v°] cela n’empêche pas que nous ne vous priions avec des clameurs qui ne peuvent s’exprimer, de clarifier le renouvellement intérieur et la nouvelle alliance, afin de mettre l’agneau sur le trône et Jérusalem en assomption. »

423 Epistola sancti michaelis archangeli ad michelinos / Fratres carissimi quid quid eveniet ad gloriam dominiculi nostri redundabit ideo gaudete iterum dico gaudete, estate simplices, infantuli, hilares, nihil providentes, nihil cupientes, fidei ac spei charitatem anteponentes, praeterit enim fides praeterit spes, charitas autem quae Deus est manet in aeternum. (Ms. 5250, f°258).

424 Citation soulignée, déjà utilisée lors du troisième interrrogatoire.

425 CG II, 491. Attestation de M. de Meaux, pièce « C », 1er juillet 1695, & 492, pièce «  D ».

426 Cf. CG II, 485. Protestation en forme de Testament, 15 avril 1695 : « …condamnant de tout mon cœur les mauvaises expressions que mon ignorance m’y a fait mettre… ».

427 « Qu’elle est bien assurée […] La Combe » souligné (suit de nombreux brefs soulignements portés sous toutes les lignes du même paragraphe). Plus bas sont soulignés les deux premiers passages où il est question de la petite Eglise (répétée cinq fois pour le seul paragraphe suivant « Avons remontré… »).

428 « des personnes de l’estroite confidence » souligné.

429 Toute la citation soulignée (ainsi que le début du paragraphe suivant).

430 « Si elle ne sait pas qu’il y a une secte et une Eglise particulière à Lourdes » souligné (ainsi que la citation de la Combe qui suit).

431 Le duc de Chevreuse ? Nous sont parvenues les lettres CG II, n° 4, 9, 10, 26, 128, 129, 240, 270, 271, 282, 283, 284, 299, 308, 330, 336, 337, 348 outre les trois connues de La Reynie, 351, 356, 361. Ce qui fait une belle masse de textes compte tenu de l’inhabituelle longueur de lettres difficilement transmises. Les trois dernières sont effectivement les plus compromettantes : moral et jugement de La Combe, enfermé depuis huit ans, sont atteints.

432 Mot illisible : d’écrire ? sens de prendre.

433 « peu d’apparence qu'une petite femme ignorante comme elle » souligné.

434 « Elle répondante avait montré […] depuis » souligné. De même pour les citations de La Combe qui suivent.

435 Lettre du 7 décembre, troisième paragraphe avant la fin du texte. Souligné.

436 Citation soulignée de cette Préface trop lyrique.

437 « qu’il est bien vrai […] que » souligné. – Il s’agit probablement de la lettre à Bossuet reprise dans les Discours chrétiens… édités en 1716, vol II, Discours 65 : « Etat apostolique. Appel à enseigner » commençant par : « Ordinairement les personnes peu avancées veulent se mêler de conduire les autres avant que Dieu les appelle à cet emploi… »

438 J. M Bouvier ajouté en marge postérieurement et de la main différente incertaine habituelle.

439 La Belle Hélène, roman populaire ; voir le commentaire de J. Le Brun, Le pur amour de Platon à Lacan, p. 89, et sa note 3, p. 364.

440 Grisélidis, héroïne du Décaméron; voir J. Le Brun, op.cit., qui souligne l’impossibilité pour la Reynie de lier littérature romanesque et spiritualité, p. 90 ; l’histoire de l’héroïne exaltant l’amour plus fort que la mort (Pétrarque en fait « la figure du fidèle poursuivie par l’amour dévorant de la divinité », p. 98), fut publiée dans la Bibliothèque bleue, La patience de Grisélidis, et lue sous cette forme par Mme Guyon, p. 99. 

441 Amadis, tardif mais le plus célèbre des romans de chevalerie. Cette série d’aventures très populaires fut adaptée en français par Herberay des Essarts entre 1540 et 1548 et parodiée par Rabelais. Elle est très lue encore au XVIIe siècle.

442 Michel Adalbert de Morstain, tué au siège de Namur le 18 juillet 1695 ; Mme Guyon se soucie de sa veuve dans de nombreuses lettres.

443 L’âme amante de son Dieu, représentée dans les emblèmes de Hermannus Hugo sur ses “Pieux désirs”, et dans ceux d’Othon Vaenius sur l’amour divin, avec des figures nouvelles accompagnées de vers…, éd. Pierre Poiret, Cologne [Amsterdam], Jean de La Pierre, 1717. – L’opéra cité à la suite a disparu, papier inutile jeté au feu ! (v. ci-dessous).

444 Psyché, opéra de Thomas Corneille et de Fontenelle, avec musique de Lully.

445 Classiques espagnols. Quevedo (1580-1645) auteur des Songes où nobles, roturiers, marchands sont malmenés avec verve, et du Buscon (« le filou »).

446 titres de la « Bibliothèque Bleue ».

447 de Perrault, 1694.

448 Durand de la Pialière, v. la note attachée au début du premier interrogatoire.

449 En Normandie.

450 Récit de prison : Vie 4.1 Vincennes.

451 Malgré l’impertinence de vers cités plus haut dûment enregistrée par le greffier ? Les interrogatoires furent lus, car transcrits en deux copies, dont celle destinée à Mme de Maintenon se retrouve aujourd’hui dans les papiers de Bossuet, notre source (B.N. ms. 5250).

452 Les deux paragraphes 3.20.5 et 3.20. 6 sont repris dans le récit des prisons, ils ont donc été placés dans le chapitre 4.1 de notre édition de la Vie (qui comporte cinq sections, les trois premières correspondant à la Vie éditée par Poiret, la quatrième au Récit de prison paginé entre crochets, la cinquième à des compléments biographiques).

453 Cantique I donné à la fin de la Vie : « Grand Dieu, pour ton plaisir / Je suis dans une cage  / Ecoute mon ramage / C’est là mon seul désir … »

454 Auquel je devais me prêter.

455 Voir la Lettre autographe, reproduite ci-après.

456 Psaume 36, 5.

457 Réminiscence de Luc 21, 14-15.

458 D’Argenson. - Aucun texte ne nous est malheureusement parvenu qui conforterait cette déclaration.

459 CG II – 365. B.N.F., nouv. acq. fr. 5250, f°264. Lettre autographe. L’encre est du sang de Mme Guyon sur une feuille de livre détachée, avec au verso une gravure religieuse représentant Jésus travaillant dans l’atelier de Joseph, avec au fond la figure de la Vierge. Le feuillet suivant [f°265] reproduit cette même lettre : « Je vous supplie... » avec l’annotation : « le 7e d’avril 1696 le Sr Desgrez m’a remis à son retour de Vincennes, l’écrit ci-joint que Mad. Guyon lui a donné pour me le remettre entre les mains, roulé dans un autre papier, que Mad. Guyon marque par l’écrit même être écrit et signé de son sang. Copie. »

460 CG II – 366. B.N.F., nouv. acq. fr. 5250. Lettre autographe, sang, un petit feuillet recto seul. Le feuillet suivant [f°268] reproduit cette même lettre : « Je prends la liberté… » avec en tête l’annotation : « Copie d’un mémoire écrit encore avec du sang, que Mad. Guyon a donnée au Sr Desgrez pour me remettre entre les mains le 12 d’avril 1696. ».

461 Il ne s’agit pas de saint Michel mais de Jésus travaillant dans l’atelier de Joseph.

462 Ms.5250, f°39, 40 vide, 41, 42 vide, 43 – Nombreuses ratures (parfois inextricables avec des additions interlignes également raturées) souvent d’extension égale aux textes préservés par La Reynie. Ce sont les brouillons des lettres envoyées.

463 Le paragraphe suivant aborde un tout autre sujet : la sûreté du guet, dont la Reynie était responsable.

464 « parce qu’on […] impossible » en annot. marg. Précède un très long passage raturé (sans un intérêt particulier qui suggérerait de le rétablir).

465 Le paragraphe suivant aborde un autre sujet : les créanciers de M. l'abbé Bizot.

466 Ms.5250, f°47 [pdf 54].

467 Vie 4.1, p. 890 sv.

468 Sur Pirot, vieille connaissance, v. chapitre 2, note dans la section « La réclusion ». Sur la Chétardie, le « curé de Saint Sulpice » Joachim Trotti, v. la note ci-dessous.

469 En témoigne la longue lettre écrite en Sorbonne, le 9 juin 1696 : « Vous ne devez pas être surprise, Madame… », reproduite ci-dessous.

470 En 1688 lors du premier enfermement à la Visitation Sainte-Marie.

471 Allusion blessante à la remarque de Jésus à Nicodème, Jean, 3.10.

472 Nous maintenons la pagination du ms. du récit de prison pour faciliter la correspondance avec notre édition de la Vie dont les chapitres de sa quatrième partie (« les prisons ») sont fort longs.

473 M. de Bernaville.

474 Joachim Trotti, né le 23 novembre 1636 au château de La Chétardie, « entra en 1663 dans la compagnie de Saint-Sulpice. Directeur aux séminaires du Puy (1665) et de Bourges (1680), il obtint en 1684 le prieuré de Saint-Côme-lès-Tours qu'il échangea en février 1696 avec la cure de Saint-Sulpice que la maladie forçait M. Baudrand à abandonner. Il refusa en 1702 l'évêché de Poitiers, mais remplaça en 1709 Godet-Desmarais comme directeur de Mme de Maintenon. Il mourut le 29 juillet 1714. Ses liens de famille avec Fénelon ne l'empêchaient pas de porter sur celui-ci des jugements fort sévères ». (CF, lettre 344A, note 7 d’Orcibal).

475 L’appel au secours, suivi d’une correspondance suivie avec Tronson, assez peu favorable mais impartial, fera l’objet d’une section.

476 « …Je vous prie de me dire et dresser ce que je dois signer. Je m'en rapporte à vous, Monsieur, et je prie Notre Seigneur de vous inspirer, et d'avoir égard à la vérité de mon innocence, aux personnes qui m'ont fait l'honneur de me voir, et à ma famille. Je ne vous représente point ce que je souffre ; Dieu seul le sait, c'est assez ; mais je me remets entièrement entre vos mains. Que votre charité ne me rejette point. Ceci se passera entre vous, Monsieur, et M. le curé de Saint-Sulpice. Je vous conjure, Monsieur, de consulter le bon Dieu ; et si j'osais, je vous prierais de consulter une personne que vous connaissez [Fénelon]. Je me remets de tout entre vos mains, et j'attends un mot de réponse. J'en passerai par où vous croirez que j'en dois passer, et cela avec toute la sincérité de mon cœur. J'espère que Dieu vous fera connaître mon cœur, et le profond respect avec lequel je suis, etc. / J'ajoute de nouveau, Monsieur, que je signerai de bonne foi et sincèrement tout ce qu'en conscience vous croyez que je dois signer. Dieu, qui voit le fond des coeurs, peut vous manifester le mien, vous assurant que je me soumettrai d'esprit et de coeur à tout ce que vous croirez que je me dois soumettre. » (CG II, 368, lettre à M. Tronson du 3 août 1696).

477 Le 28 août 1696.

478 « Il s'agit de la congrégation dite de Saint Thomas de Villeneuve. D'après les archives de cette congrégation, la religieuse qui eut la garde de Mme Guyon était Mme Sauvaget de Villemereuc (et non, comme on le dit souvent, Mlle du Bois de la Roche qui semble avoir été la propriétaire de la maison). Aux dires de Mme Guyon, Mère Sauvaget, devenue supérieure générale, fut remplacée par une autre soeur, dont le nom n'est pas communiqué. » (M.-L. Gondal, Mme Guyon, Récits de captivité…, note 40).

479 Ms. 5250, f°49-59 [pdf 56-76] ; CG II, 367 (la pièce complète couvre les pages 518 à 532 de CG II !) : copie avec signature autographe : « Pirot » Elle est précédée par l’annotation suivante par La Reynie : « Copie de la lettre de M. l'abbé Pyrot, écrite à Mme Guion et qu'il lui a lue pendant qu'elle était à Vincennes, afin que tout ce qu'il avait dit à cette Dame pendant plusieurs conférences au même lieu, fût ensemble et que la lecture, qui en serait faite, suppléa à ce qu'il pouvait avoir manqué dans les conférences, ou si cela se peut dire en cette occasion, certaine honnêteté ne permet pas toujours d'user de certaines expressions fortes, surtout à l'égard d'une femme, et M. Pirot ayant cru qu'il était cependant important à celle-ci qu'elle entendît tout ce qu'elle devait entendre touchant son état est les sentiments particuliers qu'elle a, dans toute l'étendue et avec des termes clairs et sincères, il a pris le parti pour cela d'écrire et de lire cette lettre à Mme Guyon, qu'il m'a bien voulu copier quelque temps après et me faire la grâce de me donner cette copie, que je lui ai demandée ».

480 signature autographe « Pirot » sur la copie parallèle figurant dans les papiers Bossuet de la B.N.F., f°101 ss., précédée de : « Pirot à Mad de Guyon / à Mme de Maintenon ».

481 Septième interrogatoire du dimanche 1er avril 1696. Pirot reprend avec exactitude les divers passages des comptes-rendus d’interrogatoire qu’il cite. Dans le passage présent, qui vient en fin d’interrogatoire, Mme Guyon cherche avant tout à défendre La Combe ainsi que l’aumônier de la prison Lasherous.

482 Lettre écrite par le père de La Combe et par le Sr Delasherous du 10 octobre 1695 et contribution de l’aumônier : « La joie de la petite société, madame, dans le désir ardent qu’elle avait d’avoir l’honneur de vous voir… ». Tout ceci est compromettant, puisqu’il s’agit du projet de voyage de Mme Guyon pour animer la « petite Église » de Lourdes.

483Lettre du 7 décembre : « Si toute votre explication de l’Écriture était rassemblée en un volume, on pourrait l’appeler la bible des âmes intérieures, et plût au ciel que l’on pût tout ramasser et en faire plusieurs copies… »

484 Lettre du 7 décembre, fidèlement citée.

485 Sur les lectures de Mme Guyon, sujet assez secondaire abordé au neuvième et dernier interrogatoire, v. Le Brun, Le pur amour de Platon à Lacan, Seuil, 2002.

486 « …vous me montrâtes à moi-même sous la figure de cette femme de l'Apocalypse - qui dit figure ne dit pas la réalité… », Vie, 2.14.2 ; v. aussi lettre 145 à Chevreuse du 11 janvier 1694 - Rêve mystique et symbolique du Mont Liban et des deux lits, Vie, 2.16.7 : « Il y avait dans cette chambre des animaux farouches de leur nature et opposés qui vivaient ensemble d’une manière admirable : le chat se jouait avec l’oiseau […] Je m’éveillai là-dessus si pénétrée de ce songe que l’onction m’en demeura plusieurs jours. »

487 L’Ordonnance et Instruction pastorale de Monseigneur l’évêque de Chartres, Pour la condamnation des livres intitulez Analysis Orationis mentalis etc. Regle des Associez […] Moien court […] Le Cantique […] Les Torrens ; le mandement contre Mme Guyon par Godet des Marais est daté du 21 novembre 1695. 

488 Moine à Marseille, prédécesseur de Nestorius, avait des difficultés à admettre que Dieu était né et mort.

489 Saint Augustin, Œuvres complètes, Paris, Vivès, 1873, tome 6, p. 178 sv., « Lettre CCXIX. Saint Augustin et quelques autres évêques d’Afrique prient Proculus et Cylinnius, évêques dans les Gaules, de recevoir le moine Leporius repentant… »

490 CG II, 515 (pièce complète). Nous reproduisons le début décrivant les rencontres de Mme Guyon. Il comporte l’annotation suivante de Levesque : « Ce mémoire est de Monsieur Pirot. Il en est vraisemblablement question dans la lettre de Fénelon à l'abbé de Chanterac du 12 juillet 1697 ». - Pirot n’apporte guère de complément au récit de la Vie et aux interrogatoires, hormis ses propres interventions. - La pièce issue des Papiers du P. Léonard, L 22, n° 11, f° 2 : « Récit […] Par Monsieur l’Abbé Pirot […] Histoire de Mme Guyon » reprend le même témoignage, avec des variantes mineures.

491 Total de 14 à 16 interrogatoires pour La Combe. Et plus bas pour Mme Guyon : 9 ou 10 comparutions à la grille du monastère où elle est enfermée.

492 Suit le récit des entretiens d'Issy, n’apportant pas d’information nouvelle.


493 CG II, pièces 511 & 512.

494 « Mme de Mortemart était la plus zélée des amies de Mme Guyon et de Fénelon ; dans la suite elle passa tous les ans plusieurs mois à Cambrai, malgré la disgrâce dont Fénelon restait accablé » (Ravaisson).

495 CG II, lettres 368 à 373, du 3 août (appel au secours), des 10 et 27 (réponses) et 28 et 31 (demande et réponse) août 1696, du 1er septembre (demande) ; [puis après la sortie de Vincennes :] lettre 376 du 20 octobre (demande) ; 379 et 380 des 27 novembre (réponse) et 29 novembre (demande) ; 382 du 13 décembre 1696 (réponse). A ces dix lettres s’ajoutent deux lettres “officielles” (374 à l’archevêque et 376 à La Chétardie), enfin trois lettres personnelles (à la petite duchesse). Sans oublier le projet de soumission du 9 août devenue soumission le 28.

496 Déjà les entretiens s’étaient tenus en 1694 à Issy pour épargner sa santé (cette Solitude - encore aujourd’hui un lieu de résidence pour les sulpiciens - était aussi un terrain neutre). - Louis Tronson (1622-1700), prêtre en 1647, acquit une charge d'aumônier ordinaire du Roi en 1654. Entré à Saint-Sulpice en 1656, il devint supérieur de la Solitude, puis premier directeur l’année suivante. Supérieur général de la congrégation en 1676, il s'établit à Issy en 1687. Il travailla toute sa vie à former des prêtres pieux et réguliers. Dans cette vue, il a composé des Examens particuliers. Ses Œuvres ont été imprimées par Migne, Paris, 1857, 2 vol. in-4 ; sa Correspondance a été partiellement publiée par M. L. Bertrand, 1904, 3 vol. in-8. La correspondance Tronson du ms. 34 des A.S.-S. témoigne de l’éloignement progressif de cette figure-clé vis-à-vis de la “dame directrice”.

497 La Chétardie (depuis le 13 février 1696).

498 Fénelon qui établira un projet de nouvel Acte de soumission, « dressé par M. Tronson » et signé le 28 août.

499 Philippe Lenain, Dom Gabriel Gerberon…, Septentrion, 1997, p. 167 note 1192.

500 CG II, pièce 495. Le projet dressé par Fénelon, daté du 9 août, qui fut remis à M. de Noailles par le duc de Beauvillier, ce jour ou le lendemain (Fénelon 1828, t. 7, lettre 119, annexe, p. 259.) fait l’objet de variantes et d’ajouts  : / a) Je souscris même avec / b) force des termes / c) ce qui est conforme ou contraire au langage Omission. / d) erreurs qu’on a jugé qu’elles signifient ; je / e) compris que personne les crût. Si on me les avait expliquées, j’aurais mieux Contraction. / f) livres avec toutes les expressions dont ils sont remplis. Je le fais pour me conformer de tout mon cœur à la condamnation Omission./ g) ont faite. Omission. / h) lesquelles ces expressions pourraient / i) âmes. Ainsi Dieu me soit en aide, et Ses saints Évangiles.


501 CG II, lettre 374.

502 « Mme de Maintenon écrivait à M. de Noailles, l’archevêque de Paris, le 16 août : « M. de Pontchartrain lut hier au soir au roi une grande lettre de Mme Guyon, qui demande à se retirer auprès de Blois, dans une terre qui est, je crois, à son gendre. J’ai le cœur bien serré de l’entêtement de nos amis ». Et dans une lettre du 25 septembre, elle lui disait : « En envoyant à M. de Meaux, il y  a deux jours, un paquet d’une dame de Saint-Louis, je lui mandai qu’on pensait à mettre Mme Guyon auprès de M. le curé de Saint-Sulpice. Nous n’aurons pas là-dessus son approbation… » (CG II, 502, n° 25 & 27, repris de Mme de Maintenon, Lettres, éd. Langlois, Paris, 1935 ; Bossuet, mauvais politique, s’opposait toujours à ce qu’on remis Mme Guyon en « liberté »).

503 Il s’agit sans doute d’une maison de campagne, car La Reynie habitait dans le quartier des Halles et était paroissien de Saint Eustache.

504 CG II, 514. Déclaration signée avant de sortir de Vincennes. 9 octobre 1696. - Par ailleurs, « Mme de Maintenon écrivait à M. de Noailles le 7 octobre : « J’ai vu M. de Meaux, toujours bien vif sur l’affaire, mais bien plein d’envie de ne pas s’éloigner de vous [...] Le roi m’a conté ce qui s’est passé entre vous par rapport à Mme Guyon. Vous avez trouvé en lui quelque répugnance à la laisser sortir. Il vous croit trop bon, et je n’ai nulle part à ces impressions-là. Je ne lui avais pas dit un mot de votre dessein, et je veux demeurer ferme dans celui de ne suivre que vos mouvements en pareilles occasions. J’ai vu notre ami [Fénelon]. Nous avons bien disputé, mais fort doucement. Je voudrais être aussi fidèle à mes devoirs qu’il l’est à son amie : il ne la perd pas de vue, et rien ne l’entame sur elle » (CG II, pièce 514, note ; Correspondance de Fénelon, 1828, t. 7, Corr. sur l’affaire du Quiétisme, lettre 137, note). 

505 Ms. 5250, f°61.

506 Les éléments de la séquence sont marqués à deux niveaux de titres : ceux des chapitres sont de 4e niveau, tandis que ceux des blocs de lettres sont de 3e niveau. Se superpose « l’horloge » par années bénéficiant de l’important 2e niveau... Ce qui brouille un peu la structure imbriquée (v. la table des matières), et demande l’explication qui vient d’être donnée.

507 Fausses allégations.

508 Commandant du château de Vincennes.

509 Il s’agit cependant d’un « couvent » mais très particulier : il ne comporte que trois sœurs, une pensionnaire-prisonnière, un confesseur imposé, pas de témoins.

510 « Les raisons de ce transfert ne sont pas très claires, en effet. Cf. les lettres de Mme de Maintenon à Noailles, des 25 septembre et 7 octobre. Mme Guyon y voit un stratagème soit pour la cacher en un lieu secret, soit pour la provoquer à fuir et discréditer ses amis. Le fait est que la tension grandissait entre Bossuet et Fénelon, et les rumeurs allaient bon train à la cour. » (note de M.-L. Gondal). – Vaugirard est le « faux couvent » qui vient d’être formé avec le concours de trois sœurs bretonnes.

511 Des trois sœurs bretonnes, la prisonnière ne voit qu’une gardienne à la fois : la seconde sera remplacée lorsqu’elle deviendra peu sûre : v. ci-dessous chapitre 4.3, [67].

512 CG II, lettre 376 à La Chétardie, du 20 octobre 1696 : [...] M’ôter les sacrements, ne tenir aucune parole ! Je ne doute point qu’on ne m’ait mise ici pour exercer quelque violence contre moi, et puis faire croire ce qu’on voudra. […] Vous me réduisez, monsieur, à regretter le lieu dont je suis sortie, par la crainte où je suis de quelque surprise et de quelque violence. L’on me dérobe sans doute à la connaissance de tout le monde pour me supposer des crimes dans la suite. [...] Je prie Dieu qu’Il vous fasse sentir que je suis à Lui, et que c’est Lui en moi que vous maltraitez. Si vous n’envoyez pas la lettre à M. Tronson, je prie Dieu qu’Il ne vous le pardonne pas.

[Ajout, avec d’une autre main « note de M. de la Chétardie »]  : La cause de tout ce grand trouble en Mme Guyon vient de ce que l’on différa, pendant sept ou huit jours, à lui faire conduire ses hardes et meubles de Vincennes à Vaugirard, et de ce qu’on n’eut pas le temps de l’aller confesser. Les pluies continuelles et diverses affaires, jointes à la distance des lieux, causèrent ce retardement et son trouble. 

513 CG II, lettre 377 à la petite duchesse, novembre 1696 : Mon cœur me rend un bon témoignage de vous, et je vous aime de tout mon cœur. Bon courage ! Je ne demanderais pas mieux que d’avoir confiance en [le] curé de Saint-Sulpice, et les premières fois, dès que je sus qui il était, j’en eus une entière. Mais que je m’en trouvai mal, et que ce que je lui dis me fut nuisible ! Je le crois homme de bien, mais tellement prévenu contre moi, si fort dans les intérêts de ceux qui me tourmentent, qu’il n’y a rien à faire. Il me dit toujours que j’ai enveloppé dans mes livres des sens cachés ; il m’a dit à moi-même des choses si fortes en confession de ce qu’il pense de moi, et m’a toujours traitée sur ce pied, étant six semaines sans vouloir que je communie et continuant toujours de même. Il a prévenu la fille qui me garde ici d’une si étrange manière qu’elle me regarde comme un diable. Toutes les honnêtetés que je lui fais l’offensent parce qu’elle croit que c’est pour la gagner. De plus [le] curé ne me parle que d’une manière embrouillée, voulant tantôt savoir entre les mains de qui j’ai mis ma décharge pour la ravoir. Il voit souvent M. de M[eaux] chez l’abbé de Lannion. Je ne lui ai jamais ouï dire un mot de vrai, ni deux fois de la même manière. Je lui donnai au commençement une lettre pour M. Tronson, pleine de confiance, il me jura foi de prêtre qu’il la lui donnerait sans que qui que ce soit la vît ; il la porta à M. de Paris, qui en fut en colère contre moi, et puis en me parlant il se coupa, et enfin il me fit connaître que M. de P[aris] l’avait vue. Plus je me confie, plus mon cœur est serré. Je fais pourtant au-dehors, dans le peu que je le vois, ce que je puis pour lui marquer de la confiance, mais il me demande par exemple de lui écrire tout ce que M. de M[eaux] m’a fait et de le signer, et quelque chose au-dedans m’empêche et me dit que c’est une surprise.

Je suis ici où l’on me fait faire des dépenses excessives en choses qui ne me regardent point [...] J’ai un testament que je voudrais vous envoyer ; je n’ose le risquer. Payez bien cette bonne femme, je n’ai rien du tout pour lui donner. L’autre ne peut plus rien faire ; on l’a ôtée parce qu’on a cru qu’elle me servait avec affection. [...] M. Py[rot] m’a fait des choses qu’on aurait peine à croire, mais Dieu voit tout. Si vous vouliez me mander ce qu’est devenu Dom [Alleaume] et le P[ère] L[a] C[ombe], ou plutôt, si vous l’agréez, Famille irait chez vous le soir et reviendrait.

514 Installation précipitée du « couvent » dans un galetas ? « Petite maison » dans la lettre écrite à Tronson, note ci-dessous.

515 Il fut en effet question de la mettre dans un hôpital ou même dans un hospice.

516 CG II, lettre 375 du 20 octobre 1696. « […] On m’avait fait espérer que j’aurais l’honneur de vous voir au sortir de Vincennes, mais je ne vois nulle apparence que cela soit. Les procédés violents et irréguliers qu’on a tenus jusqu’à présent à mon égard, me donnent lieu de craindre d’autres violences. Je suis à Vaugirard, dans une petite maison où l’on m’a mise par l’ordre de monseigneur l’archevêque. On a trop de soin de me cacher à toute la terre pour ne soupçonner pas qu’on ait quelque mauvais dessein contre moi. Je n’aurais nul chagrin d’y vivre inconnue, si l’on ne me témoignait pas qu’on craint que je ne m’enfuie et si l’on ne m’avait pas fait signer que je ne fuirais pas, ni ne me ferais pas enlever. […] Que peut-on inférer de là, si ce n’est qu’on veut me tirer d’ici, me mettre en quelque lieu encore plus inconnu, entre les mains de ceux qui croient avoir raison de me persécuter (quoique Dieu voie bien qu’ils ne l’ont pas), et ensuite faire courir le bruit que je me serai évadée ?

Je crois devoir à Dieu, à la piété, à mes amis, à ma famille et à moi-même, de faire entre vos mains, monsieur, cette protestation que, si l’on m’enlève d’ici, ce sera de la part de mes persécuteurs et non de mes amis ; que si l’on me trouve de manque, que c’est eux qui m’auront ôtée et non pas moi qui aurai fui. […]

Lorsque je me suis tenue cachée après ma sortie de Meaux, je l’ai fait par le commandement exprès de m[onsieu]r de Meaux, qui me l’avait ordonné, et de vive voix et par écrit. […] Je me suis donc cachée pour obéir à monsieur de Meaux, et pour ne donner point de lieu à une [f°238v°] injustice qu’on regardait comme une justice. L’on me cache à présent, et j’ai lieu de croire, après ce qui s’est passé et les défiances qu’on marque avoir si ouvertement, joint aux autres mauvais traitements que j’ai soufferts, qu’on a dessein de me faire enlever et faire ensuite courir le bruit que je me suis évadée […]. Je suis, monsieur, votre très humble et très obéissante servante de la Motte Guyon, ce 17me octobre 1696. »

517 CG II, lettre 379 de Tronson du 27 novembre 1696 : « Je ne doute pas, madame, que vous n’ayez été surprise de ne point recevoir de réponse à la dernière lettre que vous avez eu la bonté de m’écrire. Je puis vous dire que ce n’est pas manque ni d’une bonne volonté, ni d’un désir sincère de vous soulager dans votre peine ; mais j’ai cru que, pour y mieux réussir, je devais attendre que j’eusse parlé à Mgr l’archevêque [M. de Noailles, qui avait pris possession de ce siège le 10 novembre précédent], pour vous confirmer ce que M. le curé de Saint-Sulpice [La Chétardie] aura pu vous dire du peu de sujet que vous aviez de craindre. Comme il me fit hier l’honneur de venir ici, je puis vous dire, après avoir eu le bien de l’entretenir assez longtemps, qu’il n’a aucun dessein particulier sur vous qui ait aucun rapport à ce que vous appréhendez, qu’il n’a que des pensées de modération et de paix, et qu’il regarde surtout votre retraite comme un moyen nécessaire pour dissiper les soupçons passés [f°152v°] et ceux que l’on pourrait former encore contre vous dans le monde et qui pourraient même intéresser vos amis. Ainsi, madame, je crois que vous avez tout sujet de demeurer en paix dans votre solitude […] Je suis en Lui, madame, votre très obéissant serviteur, L. Tronson. / Mon incommodité, qui me continue, madame, m’oblige de vous écrire d’une autre main que la mienne. » [Cette confiance en la Chétardie est réitérée dans une lettre du 13 décembre].

518 Lettre à Tronson: “Quand je n’aurais pas, monsieur, un aussi grand éloignement de tout commerce au dehors, et une aussi forte inclination que celle que j’ai pour la solitude, il me suffirait que Mgr l’archevêque l’exigeât de moi et que vous me la conseillassiez, monsieur, pour me la rendre très agréable. Je n’ai donc aucun penchant d’en sortir, et je me trouverais heureuse d’y passer ma vie, inconnue à toute la terre, si la défiance continuelle où M. de Saint-Sulpice [La Chétardie] est de moi ne la détrempait d’une extrême amertume. Il me semble que je compterais cette défiance pour peu de chose, si je n’étais pas obligée d’aller à confesse à lui ; mais j’ai peine à concevoir comment il peut me confesser, ne me croyant pas, et comment je puis aller à confesse à lui, en sachant qu’il ne me croit pas. [...] Je vous assure, monsieur, que je ne vois jamais M. de Saint-Sulpice, que la paix de mon esprit n’en soit altérée, mon cœur serré et plein d’une amère douleur. [...] Il faut, monsieur, que j’aie une confiance aussi parfaite que celle que j’ai en vous pour vous ouvrir mon cœur [...] de la Motte Guyon / Ce 29 novembre 1696. »

519 Ici le plafond.

520 Noter la proximité de l’interrogateur responsable de la prisonnière aux yeux du ministre Pontchartrain.

521 Lettre à la petite duchesse de décembre 1696 : « N. [La Chétardie] me marque une si horrible défiance de moi, et il bouche si fort toutes les avenues à s’ouvrir, quoiqu’il me semble que j’agis toujours simplement. Il m’avait proposé de signer certains articles, il ne me les a plus proposés, quoique je lui eusse dit que je les signerais. [...] L’on me disait à Vin[cennes] : « Demandez », je ne pouvais, et lorsque je l’ai fait par déférence et contre mon cœur, cela m’a toujours attiré des affaires, car si je n’avais point demandé à me confesser, on n’aurait eu nul prétexte de m’envoyer M Py[rot]. [...] Les hommes parlent selon leurs vues, mais Dieu voit le fond du cœur. Le P[ère] de la M[othe] est celui qui gouverne les personnes entre les mains de qui je suis ; je n’en ai pas de peine, tout m’est bon. »

522 Le Mercure Galant avait publié, en 1691, « Grisélidis » et « Peau d'Ane ». Perrault publia ses contes en 1694.

523 Ms.5250, f° 61-62 [78-80].

524 Nous reprenons la suite du récit de la Vie (4.2 Vaugirard), que nous avons coupée par insertion de la version Pirot. Le récit d’origine est en effet continu : « … le revêtait d'un autre, sale. Il me vint dire… »

525 L’Explication des maximes des saints, publié le 29 janvier 1697.

526 Il s’agit du certificat d'orthodoxie de Mme Guyon donné par Bossuet à Meaux, le 2 juillet 1695, première attestation brève et précise que Bossuet tenta de récupérer sans succès dès le lendemain (Voir Cognet, Cm, pp. 340-341) : « Nous, évêque de Meaux, certifions à qui il appartiendra qu’au moyen des déclarations et soumissions de Mme Guyon, que nous avons par devers nous, souscrites de sa main, et des défenses par elle acceptées avec soumission d’écrire, enseigner, dogmatiser dans l’Église, ou de répandre ses livres imprimés ou manuscrits, ou de conduire les âmes dans les voies de l’oraison ou autrement ; ensemble du bon témoignage qu’on nous en a rendu depuis six mois qu’elle est dans notre diocèse et dans le monastère de Sainte-Marie, nous sommes demeurés satisfaits de sa conduite, et lui avons continué la participation des saints sacrements dans laquelle nous l’avons trouvée ; déclarons en outre que nous ne l’avons trouvée impliquée en aucune sorte dans les abominations de Molinos ou autres condamnées ailleurs, ni n’avons entendu la comprendre dans la mention qui en a été par nous faite dans notre Ordonnance du 16 avril 1695. Donné à Meaux le 1er juillet 1695. / J. Bénigne, E. de Meaux. » (Texte donné dans Vie 3.19.8 et identique à ses autres sources : v. CG II, pièce 492 « D » ; il existe aussi une attestation parallèle « C », d’où désaccords entre érudits, v. la notice « Soumissions et attestations vues par Levesque », CG II, pp. 911-915).

527 « Criant comme une harengère, tenant une main sur son côté, et l’autre qu’elle avançait contre moi en me menaçant, elle me dit : «  Je vous connais bien, je sais bien qui vous êtes et ce que vous savez faire… » Je lui dis : «  Mademoiselle, je dirai tout cela à N. - Je ne vous conseille pas de lui dire, me répondis t-elle, si vous le lui dites, vous vous en trouverez mal et je sais ce que je ferai. » Lettre à la petite duchesse, avril 1697.

528 Filles de mauvaise vie.

529 Accusatrice de Mme Guyon, v. Vie 3.12.9. La Maillard et son mari faussaire, sont des accusateurs anciens - et fidèles - de Mme Guyon.

530 Louis Goffridy, ecclésiastique qui fut brûlé, à Aix, le 30 avril 1611.

531 « Il m’a interrompu sans me vouloir laisser parler, disant qu’il avait connu des sorcières qui avaient fait de plus grandes choses et qui passaient pour des saintes; que cependant elles s’étaient converties et étaient bien mortes; qu’il m’exhortait à profiter de la charité qu’il avait pour moi, à ne me pas perdre ; que pour le diable, on faisait encore plus de choses que pour Dieu et qu’il me conseillais d’y faire réflexion ; qu’il me tendait les mains, qu’on devais profiter du temps, qu’il savait de bonne part et à n’en pouvoir douter que le Père La Combe était un second Louis Goffredi (sic) qui fut brûlé à Marseille. » Lettre à la petite duchesse, 18 avril 1697. Ce parallèle étroit montre que Mme Guyon s’appuie très probablement sur sa correspondance lorsqu’elle rédige ce récit en 1709. Un autre exemple sera donné ci-dessous avec la lettre du 16 mai 1698 à la duchesse de Beauvillier. Les intimes ont gardé une correspondance soigneusement copiée dans les « cahiers de lettres » de Dupuy, La Pialière (le gentilhomme normand des interrogatoires), enfin le marquis de Fénelon : ce sont les sources de CG I & CG II à défaut d’originaux autographes.

532 Sur l’accusation d’illusion à laquelle s’oppose la vérité fondée sur l’expérience intérieure, elle écrit au même moment : « Je ne dirai donc pas si vous voulez, que tel et tel sont intérieurs, je ne dirai pas que je le sois moi-même, mais je sais bien que j’ai fait un chemin où j’ai trouvé bons ces passages. Je ne dispute ni du nom des villes que j’ai trouvées en mon chemin, ni de leur situation, ni même de leur structure, mais il est certain que j’y ai passé. Lettre à la petite duchesse, juin 1697, citée plus bas en plein texte.

533 « Ce qui me fait plus de peine c’est le tourment qu’il fait à mes filles pour faire avouer des faussetés. Si elles disent : « cela n’est pas », ce sont des emportées, si elles ne disent mot, elles sont convaincues. Je crois qu’il leur fera (mot illis.) la cervelle. Manon en est si changée qu’elle n’est pas reconnaissable…» Lettre à la petite duchesse, mai 1697.

534 « Il s’agit de l’affaire des Maximes des Saints. La Relation sur le quiétisme, de Bossuet, avait été distribuée le 26 juin et faisait grand bruit. - Mme Guyon est sensible au comportement tout d’abord hésitant de Fénelon [diplomate, il épuise toutes les possibilités ouvrant sur une éventuelle transaction tandis que ses lettres courageuses et sévères demeurent cachées] et évoque les peines extrêmes du Père La Combe dans une lettre à la petite duchesse de mai 1697 : « Vous ne sauriez croire combien je suis touchée de l’état de N. [Fénelon]. J’ai toujours cru que le livre serait condamné par le crédit des gens, mais Dieu voulant l’auteur pour lui et détaché de tout, il ne l’épargnera pas. C’est la conduite ordinaire de Dieu de joindre les épreuves intérieures aux extérieures ; c’est ce qui rend les commencements bien glissants et qui affermit dans la suite. Ce que le Père La Combe a souffert pendant plusieurs années de sa prison des peines intérieures, passe ce qui s’en peut dire. La moindre petite chose qu’on fait pour se tirer d’affaire, ne réussit pas, au contraire gâte tout, redouble les peines intérieures, affaiblit et déroute tout. Je voudrais de tout mon cœur porter ses peines avec les miennes. » A la même, en décembre 1697, à propos de Fénelon : « Dieu ne lui a jamais manqué. Qu’il ne lui manque pas, il s’en trouvera bien, et cet état bien porté lui causera des biens infinis. Il faut un courage sans courage, et se renoncer soi-même véritablement. S’il croit, en quittant tout, trouver son repos, il n’en trouvera aucun. […] Qu’il entre tout de bon dans la carrière comme soldat du Seigneur tout-puissant ; que l’aridité des déserts ne le décourage point…».

535 Ici prend place le récit de l’épisode d’un vin frelaté - empoisonné comme semble le penser Mme Guyon ? Mais les vins frelatés, sans intention d’empoisonner sont extrêmement courant à l’époque (cf. le Traité de la Police de N. Delamare) . Il l’est encore au début du XIXe siècle, par cent moyens, comme le souligne au début du XIXe siècle l’excellent et long article du Nouveau Dictionnaire d’Histoire naturelle, 1819, t. 36, p. 29 sv., section « Vins mélangés… » : « les anciens faisaient subir à leurs vins des préparations sans nombre… » ; la section « Vins frelatés ou sophistiqués » cite en premier lieu « la litarge … poison très subtil … qui peut occasionner des accidents graves… », puis l’alcali fixe moins dangereux. - Mme Guyon partageait probablement une hantise de son époque : l’histoire de la Brinvillier et de ses nobles clients était dans toutes les mémoires.

536 « … cet homme dit qu’on n’en peut boire sans avoir les entrailles brûlées, qu’il est plein de chaux et d’autres choses qu’il ne dit pas […] j’ai les entrailles en feu, la gorge écorchée, je ne cesse de boire de l’eau sans [me] désaltérer. » (CG II, Lettre 413 à la petite duchesse, juillet 1697). « Je garde le silence sur le vin empoisonné […] J’ai souffert des douleurs d’entrailles très grandes, mais à force de boire de l’eau j’ai éteint le grand feu. Il est incroyable la dureté que cette fille exerce sur moi […] J’ai pensé que lorsqu’on verra que je ne suis pas morte, qu’il a été goûté, on dira que je l’ai empoisonné moi-même. […]  J’ai perdu bien de la récréation en perdant presque les yeux, car je ne puis travailler. Je file assez gros et sans trop regarder, car ma vue est si faible que je ne peux lire du tout. » (CG II, Lettre 415 à la même, juillet 1697). – Nous reprendrons plus au long ces lettres dans la section « Lettres de l’année 1697 à la petite duchesse de Mortemart ». Nous avons ici presque omis ce qui concerne « l’affaire du vin » dans le récit de prison comme dans cette note.

537 « Les persécutions affligent la nature mais elles nourrissent l’amour. Il faut à présent exercer l’abandon qu’on n’a eu qu’en spéculation. Il vaut mieux tout perdre que de trahir la vérité et si on la trahissait pour se raccommoder, loin de se raccommoder, on se ruinerait. » CG II, Lettre 404 à la petite duchesse, juin 1697.

538 « …comme le vin n’est plus ici, il commença à nous faire sentir sa cruauté. Il ne parle qu’à confesse. Il dit à Manon qui y fut la première qu’il fallait qu’elle s’en allât et qu’on voulait mettre d’autres filles auprès de moi et qu’il la ferait rendre à ses parents; elle dit qu’elle n’avait point de parents. Cela la saisit si fort qu’elle ne put dire autre chose : elle revint près de moi plus morte que vive. Il ne dit rien à la petite Marc, parce qu’il compte à cause de la faiblesse de son esprit d’en faire ce qu’il voudra. Après je fus à confesse. […] il me dit en m’insultant : «  Votre patience est-elle à bout ? » voulant faire entendre que je n’avais qu’à me préparer à bien d’autres choses. […] Je vois par cet homme-ci la rage des autres. » CG II, Lettre 425 à la petite duchesse, peu après le 15 août 1697.

539 « Par cette fille, on a découvert d'affreux mystères. On s'est convaincu que Mme Guyon a deux manières de s'expliquer. Aux uns, elle ne débite que des maximes d'une piété solide ; mais, aux autres, elle dit tout ce qu'il y a de plus pernicieux dans son Livre des Torrents… CG II, Lettre 383 du Cardinal Le Camus à l’Evêque de Chartres, 1697 - Sur l’attitude ondoyante de ce dignitaire, v. J. Orcibal, Etudes d’Histoire et de Littérature Religieuses, « Le Cardinal Le Camus, témoin au procès de Mme Guyon ».

540 Instruction pastorale sur la perfection chrétienne et sur la vie intérieure, 1696 ; voir dans Guyon, Œuvres, « Moyen court, Présentation, les Ordonnances ». Elles sont depuis octobre 1694 à l’origine du flot d’écrits anti-quiétistes. Noailles, l’évêque de Châlons qui participa aux entretiens d’Issy avant de succéder à Harlay comme archevêque de Paris, publia auparavant chez l’imprimeur Seneuze à Châlons, en seize pages denses, son Ordonnance « Contre les erreurs du quiétisme, portant condamnation de quatre livres » (l’Analysis de La Combe, le Moyen court, la Règle des Associés, le Cantique). Noailles s’opposait aux conceptions quiétistes de l’indifférence, de l’abandon, du repos, de l’anéantissement ; il fait l’effort de les définir, puis il reproduit les 34 Articles d’Issy. Datée du 12 avril 1695, jour où Mme Guyon subissait la visite tempétueuse de Bossuet au couvent de Meaux, l’Ordonnance aurait été publiée vers le 15 mai.

541 Vie de Messire Jean d’Arenthon d’Alex, Evêque et prince de Genève… par Dom Innocent Le Masson, 1697, Lyon. Il sera complété par l’Eclaicissements sur la vie de Messire Jean d’Arenthon d’Alex, Evêque et prince de Genève, avec de nouvelles preuves incontestables de la vérité de son zèle contre le Jansénisme et le Quiétisme, 1699, Chambéry.

542 Vie 2.3.5-6.

543 Supérieure de la Visitation Sainte-Marie.

544 « Je sais de bonne part qu'on a assuré les filles avec lesquelles je demeure, que lorsque je mourrai, l'on confisquera ce que j'ai en leur faveur. Le projet est tel qu'on n'appellera ni prêtre ni personne, si l'on n'avait pas le temps de faire venir N. S'il vient, il prétend déclarer que j'aurais avoué quantité de choses. On fera tout fermer de la part de M. d[e] P[aris] sous prétexte d'examiner si je n'aurai point fait quelques nouveaux écrits. S'il y en a ou si l'on y en trouve, je passerai pour relapse, et sur ce pied tout sera confisqué ; elles ont dit : «  Mais si elle a fait quelque testament ? - S'il est ici, a-t-on répondu, il sera supprimé. S'il est fait avant ces affaires-ci il ne peut être valable, parce qu'il faut le renouveler tous les ans. » CG II, Lettre 461 à la petite duchesse, avril 1698.

545 « La rage de N. [le curé] contre moi passe ce qui s’en peut dire, jusqu’à faire entendre que c’est une vraie excommunication, que je suis hérétique, retranchée de l’Église. Il défend que s’il me prend quelque mal subit comme apoplexie et le reste, de faire venir de prêtre, et qu’il vaut mieux me laisser mourir sans sacrements. Ils croient que personne ne saura ce qu’ils font. » CG II, Lettre 402 à la petite duchesse, mai 1697.

546 Le montant correspondant.

547 Fille du ministre Colbert, sœur cadette de Mme de Chevreuse et de la duchesse de Beauvilliers, Marie-Anne, épousa en 1679 Louis de Rochechouart qui mourut jeune de la tuberculose en 1688. « En 1689 et en 1690, on voit souvent le nom de sa veuve dans les listes des invitées du Roi et du Dauphin », mais Saint-Simon notait, en 1694, « qu'elle s'était jetée à Paris dans la dévotion la plus solitaire ». La duchesse de Mortemart vécut ensuite en liaison étroite avec les ducs de Beauvillier et de Chevreuse. Plus tard elle fit de fréquentes retraites au couvent de la Visitation de Saint-Denis, où l’une de ses filles avait fait profession, et elle y occupa même assez longtemps une cellule. Elle y mourut le 13 février 1750.

548 Vie, 4.3, ms. de Chantilly [C] p. 58-61, 63.

549 Vie, 4.3, C 80.

550Œuvres jansénistes : De la fréquente communion d’Arnauld, 1643 ; le Nouveau Testament de Mons, 1667 ; Les Essais de morale, contenus en divers traités [...], 1671, 1675, 1678 de Nicole.

551 Les deux « filles », Famille et Marc ? Voir CG II, lettre 378.

552 CG II, lettre 384 de janvier 1697.

553 Il faudrait ouvrir un dossier pour couvrir cette dispute entre deux minorités victimes de l’absolutisme louis-quatorzien (le phénomène est courant entre des minorités opprimées). Le legs du passé est lourd : « tumultes » de Caen à la fin de vie de monsieur de Bernières (« pré-quiétiste » de grande influence sur Mme Guyon par l’intermédiaire de Bertot), différents avec des jésuites (les Provinciales !) dont elle apprécie des membres (tel que le P. Alleaume) et avec des sulpiciens (affaire Liancourt et Picoté) qui furent les formateurs de Fénelon.

Du côté de Mme Guyon, tout commence par une fascination, peut-être par un amour (réprimé) de la jeune veuve pour un janséniste (Vie 3.21), suivi d’une cabale organisée contre elle. Puis le Moyen court est présenté à un Nicole très courtois mais probablement imperméable au rôle de la grâce dans l’oraison, au-delà de toute prière intentionnelle. Les difficultés avec l’abbé Boileau proche du cercle janséniste et d’autres traverses renforcent la prévention de la mystique vis-à-vis des « amis de la vérité », ce dont témoigne des extraits révélateurs au fil de la correspondance : « Cette fille est d’un emportement et d’une déraison outrée et par dessus entêtée de jansénisme » (avril 1697), « L’ecclési[astique] me paraît très entêté du jansénisme et je ne puis m’empêcher de m’en défier » (janvier 1698), « il y a avec cela des gens pour le jansénisme » (lettre au marquis de Fénelon), etc.

Parmi les membres du cercle quiétiste, Chevreuse est un transfuge car, élevé aux « petites écoles », il s’écarta de Port-Royal, peut-être à cause de son père dont les penchants « mondains » furent assez durement traités. Mais surtout Fénelon est le prélat qui s’opposera si nettement aux jansénistes de 1704 à sa mort, comme en témoignent ses quatre ordonnances et bien d’autres écrits de controverse : ils remplissent presque trois tomes de l’édition de référence de 1852, de la fin du t. 3 à la fin du t. 5 (soit l’équivalent en masse des textes relatifs au quiétisme, t. 1 à 3). Leur lecture déçoit un esprit moderne : l’archevêque se garde bien de présenter un argumentaire autre que celui d’une infaillibilité résultant de la « promesse » de Jésus-Christ  faite à l’Eglise (catholique), puisque cela reviendrait à placer sa raison personnelle en juge d’une autorité collective. Cette infaillibilité assure que toute distinction entre l’Augustinus et cinq brèves propositions condamnées censées le résumer n’a pas lieu d’être : toute erreur, même de « grammaire », est exclue dans une vision où l’assemblée des hommes d’église représentant le corps mystique catholique a le privilège de l’aide (nécessaire) de la grâce divine. L’autorité l’emporte ainsi sur la raison dans une vision fort traditionnelle. L’importance de la Tradition se retrouve d'ailleurs dans tout le siècle, chez Pascal même.

Plus profondément, Mme Guyon, traditionnelle quant au reste (ce qui provoqua bien des angoisses lorsqu’elle était confrontée aux pressions de religieux), se méfie d’une ascèse qui renforce souvent la volonté propre (cette méfiance oppose aussi bien nos quiétistes à monsieur de la Trappe), l’incompréhension des méditants vis-à-vis de l’oraison passive devant la grâce.

554 M. de la Pialière  (grâce à qui nous est parvenu un « cahier de lettres » de Mme Guyon).

555 Sur la paroisse de Saint-Médard se trouvait l'hôpital de la Miséricorde, fondé en 1624 par Antoine Séguier, Président du Parlement de Paris, pour de pauvres orphelines.

556 Torturé (au sens figuré)

557 Probablement de la rue de l’Estrapade (car l’austérité ne va pas jusqu’au recours à ce moyen).

558 CG II, lettre 385 du mois de février.

559 Journal de M. Bourbon cité par Orcibal, dans sa chronologie de la CF.

560 Tronson, A.S.-S. ms. Correspondance, vol. 34, pièce 326, 16 avril 1697, annotation marginale.

561 Explication des maximes des saints sur la vie intérieure, achevé d’imprimer le 25 janvier 1697. Voir la note attachée au début de l’année 1698. Livre majeur : « où l’auteur voulait y exposer « un système » simple, clair, suivi, complet, susceptible de disssiper toutes les « illusions », celles des quiétistes et celles de leurs adversaires…

562 Ce qui surprend chez « le curé de Saint-Sulpice ». Sous forme cachée : « dans l’âme ».

563 CG II, lettre 386 de mars.

564 Le collège Mazarin ou collège des Quatre-Nations, ouvert en 1688, fréquenté par la noblesse pauvre, supprimé en 1793, actuellement siège de l’Institut et de la Mazarine (voir Conti (quai de-) dans Hillairet, Dictionnaire historique des rues de Paris, Les Editions de Minuuit, 1963).

565 Marie-Thérèse d'Albert, fille du duc de Chevreuse, nièce de Mme de Mortemart, dont le mari fut tué au siège de Namur. Figure déjà rencontrée, v. sa notice.

566 CG II, lettre 387 de mars.

567 Cependant elle reviendra bientôt sur cette première opinion dans la lettre 389 du même mois : « J’ai lu le livre avec respect et satisfaction, j’y trouve peu de choses à redire. On se pouvait peut-être passer de mettre quelque chapitre des épreuves, mais aussi peut-être cela était-il nécessaire. Je trouve en quelques petits endroits le faux trop poussé, et qu’il peut causer bien de la peine à quelques âmes timorées. Je trouve encore qu’il est trop concis en bien des endroits qui auraient besoin de plus d’explication. Tout en gros, je le crois très bon et que les crieries viennent de l’ennemi de la vérité. »

568 CG II, lettre 388 de mars.

569 prudence rusée.

570 CG II, lettre 390 de mars.

571 Sœurs hospitalières de la communauté des sœurs de Saint-Thomas-de-Villeneuve.

572 Manon, appelée Famille : Marie de Lavau, très fidèle fille au service de Mme Guyon

573 Pression sur Manon accusée de laisser entrer des étrangers dont sa sœur.

574 CG II, lettre 391 d’avril.

575 fille de mauvaise vie.

576 CG II, lettre 392 d’avril.

577 Lorsque Fénelon fut envoyé à Cambrai, on chassa des emplois de la Cour d’autres personnes moins considérables, dont Dupuy.

578 CG II, lettre 393 d’avril.

579 Peut-être l’archevêque de Paris.

580 La Maillard, autrement Grangée ou Des Granges, auteur d’une fausse déposition des années auparavant (Vie 3.12.9). Elle avait déposé « que je lui ai donné une boule de cire pleine de cheveux, que sitôt qu’elle l’eût, elle sentit des douleurs horribles » (lettre à Chevreuse, 2 ou 3 janvier 1693).

581 Louis Goffridy, ecclésiastique qui fut brûlé à Aix, le 30 avril 1611.

582 CG II, lettre 395 du 18 avril.

583 Il s’agit donc de dom Le Masson rapportant l’histoire de Cateau Barbe et non du cardinal Le Camus. V. sur cette affaire : Orcibal, Etudes[...], « Le cardinal Le Camus[...] ».

584 Fénelon a été nommé par Louis XIV à Cambrai le 4 février 1695 (non à cause du quiétisme, le Roi ayant jusque-là ignoré le problème ; au printemps 1697 aucune mesure n’avait été prise mais une campagne y préparait ; voir C.F., t. V, p.263 sv.). Il doit s’agir ici de Beauvillier dont on attendait la disgrâce – qui ne vint pas. Bien au contraire, Louis XIV lui conservera toute sa confiance puisqu’il sera chargé des finances. Il aura dû quand même désavouer Mme Guyon.

585 CG II, lettre 397 de mai.

586 La religieuse qui eut la garde de Mme Guyon était Mme Sauvaget de Villemereuc, de la congrégation dite de Saint-Thomas-de-Villeneuve. « [M. le curé] fit venir une fille de la Basse-Bretagne où elle était dans une sorte de communauté qui jusque-là n’avait pu obtenir d’établissement dans Paris, quoiqu’elle l’eut longtemps sollicité […] L’on fit en un moment une communauté de ces filles à Vaugirard. On y mit une sœur, avec une paysanne qu’on prit pour lui servir de servante. Ce fut dans cette communauté bâtie à la hâte, où l’on me mit en me faisant sortir de Vincennes » (Vie 4.1, p. 900 de notre édition).

587 CG II, lettre 399 de mai. – Baraquin : le diable.

588 Isaïe, 59, 1 : La main du Seigneur n’est point raccourcie [...] (Sacy). Souvent cité par Mme Guyon.

589 CG II, lettre 400 de mai.

590 CG II, lettre 401 de mai.

591 L’Explication des maximes des saints.

592 Il ne s’agit évidemment pas du policier Desgrez mais de la sœur de Famille moins sûre que cette dernière (mais qui savait dessiner : nous l’avons rencontré lorsque La Combe demande un portrait).

593 CG II, lettre 402 de mai.

594 CG II, lettre 403 de mai.

595 Sur le recours à Rome (pour échapper à la toute-puissance de l’église gallicane dirigée par Bossuet et sous l’influence de Mme de Maintenon) et sur son déroulement compliqué où se mêlent pressions politiques (une lettre de Louis XIV, relayée par l’ambassadeur de France, semble avoir été déterminante pour emporter l’accord contraint du pape) et considérations théologiques (objets de nombreuses réunions des prélats italiens hésitants), voir les études magistrales d’Orcibal : Fénelon et la Cour romaine, 1940 ; Louis XIV contre Innocent XI, 1949 ; Le procès des « Maximes des saints devant le Saint-Office, 1968. Finalement le bref « Cum alias » marque la défaite de Fénelon (qui se soumet aussitôt, ce qui lui vaudra une « lettre de consolation » d’un pape qui l’estimait).

596 Ce quarteron reste indéterminé.

597 Ce passage est repris dans le récit de prison, établi donc avec l’aide de lettres. Début cité plus haut, sous le titre « 4.2 Vaugirard ».

598Affirmation capitale sur le primat de l’expérience.

599 Au figuré. Comparaison familière et concrète entre expérience et raisons qu’on y oppose.

600 CG II, lettre 404 de juin.

601 Le 12 janvier 1697, Godet-Desmarais avait écrit à Tronson pour l’inviter à « désabuser » l’archevêque et ses amis « de l’estime qu’ils ont pour Mme Guyon ».  (Orcibal, CF, chronologie). – Les craintes sur les faiblesses possibles des proches sont avivées par des informations incertaines qui circulent à la Cour. Par exemple, une année plus tard, le journal de Dangeau comporte l’entrée suivante : « Lundi 7 [juillet 1698], à Versailles. [...] le roi [...] alla voir M. de Chevreuse et M. de Beauvillier, et ils se sont séparés fort contents les uns des autres, convenant tous des extravagances de Mme Guyon, qu'ils n'ont apprises que par le livre de M. de Meaux. » (la fin de la phrase peut toutefois être interprétée comme une restriction permettant de ne pas désavouer directement Mme Guyon sans pour cela s’opposer au roi ; on sait combien Beauvillier risqua de perdre ses hautes fonctions et que sur le conseil de Tronson il manoeuvra, point trop honorablement).

602 CG II, lettre 406 de juin.

603 CG II, lettre 407 de juin. Fénelon essaya tout la diplomatie publique possible pour limiter les dégâts tout en étant ferme sur le fond par exemple dans sa correspondance privée – que Mme Guyon ne pouvait connaître.

604 CG II, lettre 408 de juin . - Fénelon a encore des illusions sur Mme de Maintenon dont il avait été le confesseur, et parait attaché à la Cour : il va et vient entre Paris et Cambrai.

605 Le Moyen court et le Cantique des cantiques, interprété selon le sens mistique.

606 Au premier livre de Fénelon, l’Explication des maximes des saints, publié le 29 janvier, ne succèdera aucun « second » livre en 1697, mais de nombreux - et courts - opuscules (v. Fénelon, Œuvres I, 1983, « Chronologie », XXXIII et suiv.). Il faut attendre la fin août 1698 pour que la Relation sur le quiétisme de Bossuet, écrit qui se veut historique et « présente Mme Guyon comme folle et inquiétante » (Ibid., « Notice » par J. Le Brun, p. 1608), provoque la nécessaire et substantielle Réponse de Monseigneur l’archevêque de Cambrai à l’écrit de Monseigneur de Meaux intitulé relation sur le quiétisme (Ibid., p. 1097-1199 ; éditeur J. Le Brun).

607 Célèbre devise de madame Acarie.

608 Passer aux actes.

609 CG II, lettre 409 de juin.

610 Le curé de Versailles Hébert ; l’alliance d’une activité de directeur des religieuses à celle de confesseur de Mme Guyon que l’on tente ainsi de maîtriser n’est guère étonnante : la congrégation n’a t-elle pas été constituée « pour » Mme Guyon ?

611 On pense plutôt à l’Instruction sur les états d’oraison, achevé d’imprimer le 30 mars 1697.

612 Mme de la Maisonfort, qui fut chassée de Saint-Cyr, pour quiétisme, le 10 mai 1697.

613 CG II, lettre 410 de juin.

614 Ce qui confirme qu’il s’agit de l’Instruction sur les états d’oraison, achevé d’imprimer le 30 mars 1697. Il est moins aisé de démentir des insinuations « historiques » que de réfuter une théorie de l’oraison en s’appuyant sur l’autorité de certains pères de l’Église ou des mystiques reconnus, comme cela avait été fait dans les Justifications de 1695.

615 Le duc de Chevreuse fit en effet une enquête assez complète sur Mme Guyon, parallèlement à celle de M. Tronson, en 1695. V. le récit de l’enquête à propos de Cateau Barbe. Il s’enquit auprès de Richebracque, sous la pression de Bossuet, v. Orcibal, Etudes…, « Le cardinal Le Camus », p. 812.

616 Paul, Romains, 9, 3 : Car je désirais d’être moi-même anathème (& séparé) de Jésus-Christ pour mes frères, avec qui je suis uni par le sang. (Amelote).

617 CG II, lettre 411 de juin.

618 L’archevêque de Paris, M. de Noailles.

619 pour leur faire perdre confiance en elle.

620 CG II, lettre 412 de juillet.

621 Boîte : vin en boîte, vin bon à boire : « Ce vin est trop vert, il ne sera dans sa boite que dans trois mois » Furetière.

622 Râpé : substantivé en parlant d’un vin fabriqué en faisant passer un vin faible dans un tonneau dont on a rempli un tiers de raisin nouveau. Par extension, vin éclairci avec des copeaux ; également restes mélangés servis dans les cabarets. Rey. – Il est étrange que Mme Guyon accepte de se débarrasser ainsi d’un poison supposé : il peut s’agir d’une manœuvre visant à faire apparaître au grand jour la tentative et à mettre les conjurés dans l’embarras ! Voir la suite du feuilleton, lettre suivante.

623 M. le Lieutenant (de police) ?

624 Fait échec à un groupe malveillant : « Le Seigneur dissipe les desseins des nations ; il rend vaines les pensées des peuples, et il renverse les conseils des princes. » (Ps. 32, 10, Sacy).

625 Médecine que l’on regardait comme un spécifique contre toute espèce de venin [...] La thériaque est stomachique et calmante. Littré.

626 CG II, lettre 413 de juillet.

627 Le curé ?

628 A la racine de l’obéissance de Mme Guyon : une soumission non à des hommes mais à l’ordre surnaturel qui a établi son Église par l’intermédiaire de Pierre. – Fénelon adoptera aussi cette attitude « irrationnelle ».

629 CG II, lettre 414 de juillet.

630 CG II, lettre 415 de juillet.

631 Théatins : un ordre disparu aujourd’hui ; les cahiers de lettres manquants de la correspondance avec Fénelon appartinrent aux théatins qui disposaient d’un fond de livres quiétistes probablement hérités de Mme de Mortemart.

632 Supposition : le mot s’emploie en droit (1636) pour parler de la production d’une pièce fausse donnée pour authentique. (Dict. Rey).

633 D’après Mme Guyon, le curé espère sa mort.

634 CG II, lettre 416 de juillet.

635 Fénelon quitta Paris le 3 août pour arriver à Cambrai le 9.

636 Les événements importants coïncident souvent avec l’anniversaire de sainte Madeleine, 22 juillet : plaie amoureuse en 1668 (Vie, 1.10.5), contrat de vœux dressé par la mère Granger en 1672 et renouvelé chaque année (Vie, 1.19.10), celle de la mort de son mari en 1676 (Vie, 1.22.7), fin de la nuit mystique en 1680 (Vie, 1.28.1), arrivée à Gex l’année suivante (Vie, 2.1.10), veille de son retour à Paris en 1686 (Vie, 3.1.3).

637 CG II, lettre 417 de juillet.

638Eloignement de la Cour. Lorsque Fénelon arrive à Cambrai, Mme Guyon ignore que c’est par un ordre du Roi.

639 CG II, lettre 421 de juillet.

640 Elle succède donc à Mme Sauvaget de Villemereuc, comme supérieure de la congrégation dite de saint Thomas de Villeneuve.

641 CG II, lettre 424 de juillet.

642 CG II, lettre 425 que nous avions supposé de juillet, en fait d’août (la « veille de la Vierge » doit être le 14 août).

643 Marie-Cécile (1624-1664), l’ursuline appréciée par la jeune Jeanne-Marie.

644 CG II, lettre 426 d’août.

645 Probablement la sœur précédente qui est devenue supérieure.

646 Style indirect libre. Sens : [Parce] que je suis [...]

647 CG II, lettre 427 d’août.

648 CG II, lettre 429 de septembre.

649 CG II, lettre 430 de septembre.

650 15 septembre 1697 : Instruction pastorale de Mgr l’archevêque duc de Cambrai sur le livre intitulé Explication des maximes des saints (Fénelon, Œuvres complètes (Gosselin), 1851-1852, t. II, p. 286-328).

651 Suit une appréciation critique de M. de la Trappe.

652 [Surin], Les Fondements de la Vie spirituelle tirés du livre de l’Imitation [[...]], composé par I.D.F.S.P. [Jean de Sainte-Foi, prêtre], Paris, 1669.

653 CG II, lettre 432 de septembre.

654 CG II, lettre 435 du 28 septembre.

655 CG II, lettre 436 d’octobre. - Les secrets sentiers de l’amour divin esquels est cachée la vraie sapience céleste et le royaume de Dieu en nos âmes, « composés par le P. Constantin de Barbanson prédicateur capucin et gardien du convent de Cologne, édités en 1623 chez Jean Kinckius libraire à Cologne », admirable ouvrage mystique.

656 Innocent XII.

657 CG II, lettre 437 d’octobre.

658 S’agit-il de la Summa doctrinae qui paraît en octobre 1697 ? Non, car Mme Guyon découvrira ce texte « abominable » par la suite. S’agit-il du traité latin intitulé Mystici in tuto sur l’oraison passive, auquel Fénelon répondit par une Lettre de la fin octobre 1698 ? Du traité latin intitulé Schola in tuto sur la charité, auquel Fénelon répondit par une autre Lettre ce même mois d’octobre 1698 ? Pour suivre la séquence des questions de Bossuet et des réponses de Fénelon sur toute cette période, v. Fénelon, Œuvres I, 1983, chronologie en tête de volume.

659 Lettre de Fénelon à un de ses amis du 3 août 1697.

660 Ce qui effectivement se produira, le pape Innocent XII adoucissant la condamnation de l’Explication des maximes des saints par une réponse sensible au mandement de Fénelon acceptant le bref Cum alias.

661 Les trois évêques Noailles, Bossuet et Godet des Marais, auteurs de la Déclaration du 6 août 1697 (publiée en septembre) contre l’Explication des maximes [...]

662 CG II, lettre 438 d’octobre.

663 Intermédiaire entre La Combe et Mme Guyon. La Combe fait allusion dans ses lettres à un tel « relais ».

664 CG II, lettre 439 d’octobre.

665 L’œuvre de notre pseudo-Denys.

666 Fabrice Spada (1643-1717), secrétaire d’État et membre de la Congrégation du Saint-Office, lors de l’examen du livre des Maximes.

667 Texte d’octobre 1697.

668 Déjà cité par Mme Guyon dans une lettre de fin septembre, œuvre de Surin sous pseudonyme : Les Fondements de la Vie spirituelle tirés du livre de l’Imitation [[...]], composé par I.D.F.S.P. [Jean de Sainte-Foi, prêtre], Paris, 1669.

669 CG II, lettre 440 de novembre.

670 Alphonse Rodriguez, jésuite (1538-1616), auteur de l’Ejercicio de perfeccion y virtudes cristianas. « L’ouvrage est, après la Bible et l’Imitation, l’un des plus lus par les chrétiens de ces trois derniers siècles [...] » (DS, art. Rodriguez).

671 Baltazar Alvarez, jésuite (1533-1580), l’un des principaux directeurs de sainte Thérèse : « J’avais un confesseur qui me mortifiait beaucoup et qui, même parfois, à force de me tourmenter, me jetait dans le chagrin et la désolation. Et cependant, à mon avis, c’est lui qui a été le plus utile à mon âme. » (Livre de la Vie, chap. 26).

672 François Suarez, jésuite (1548-1617), théologien spirituel. – On voit encore ici que Mme Guyon apprécie les jésuites, morts et vivants !

673 Apocalypse, 12, 4 : « Il entraînait avec sa queue la troisième partie des étoiles du ciel [...] » (Sacy) ; et Daniel, 8, 10 : « Il éleva sa grande corne jusqu’aux armées du ciel, et il fit tomber les plus forts et ceux qui étaient comme des étoiles, et il les foula aux pieds. » (Sacy).

674 CG II, lettre 441 de novembre.

675 Melle Van citée lettre 400, inconnue par ailleurs. – Mme Guyon ne semble pas réaliser la surveillance très certainement renforcée à l’égard de La Combe et de sa « petite Église ». Pour raison d’interrogatoires, il n’est d’ailleurs vraisemblablement plus à Lourdes à ce moment.

676 Le P. La Combe n’a publié que deux petits volumes : Lettre d’un serviteur de Dieu [...] que l’on retrouve dans les Opuscules spirituels de 1720, et Orationis mentalis analysis, Verceil, 1686. Autres éditions ou traductions : v. Dict.Spir., 9.35-42, art. « La Combe » par Orcibal.

677 Adressée à l’intermédiaire, Mme Van probablement.

678 CG II, lettre 442 de décembre.

679 En faveur du curé ? ! Probablement en faveur de celui de Versailles, François Hébert (1651-1728) qui se déclara contre Mme Guyon (car mesdames de Mortemart et de Guiche l’avaient abandonné pour un autre directeur).

680 CG II, lettre 443 de décembre.

681 CG II, lettre 444 de décembre.

682 CG II, lettre 445 de décembre.

683 Plus qu’un autopsie (rarissime sinon inexistante), il peut s’agir de la pratique consistant à donner le cœur du défunt, voire ses entrailles, à une communauté. - Depuis l’affaire des poisons, qui ira bien au-delà du procès Brinvilliers, de 1679 à 1682, on aurait pris de mesures pour limiter l’usage de « poudre de succession ».

684 CG II, lettre 449 de décembre.

685 CG II, lettre 450 de décembre 1697.

686 Explication des maximes des saints sur la vie intérieure, achevé d’imprimer le 25 janvier 1697. – Livre majeur : « où l’auteur voulait y exposer « un système » simple, clair, suivi, complet, susceptible de disssiper toutes les « illusions », celles des quiétistes et celles de leurs adversaires […] Fénelon ne place pas ses analyses sur le terrain du dogme, de la théologie, mais sur le terrain de la psychologie […] C’est l’expérience des âmes (et les écrits des Pères et des mystiques en sont des témoignages) qui est la règle, le critère de validité des principes : alors que Bossuet pratique une méthode déductive, tirant les conséquences de ses principes théologiques… » (J. Le Brun, Fénelon Œuvres I, notice, p. 1540). - C’est aussi le handicap d’un ouvrage qui s’adapte difficilement à l’analyse logique malgré le rangement de propositions en « vrai » et « faux »; la recherche de clarté rend la lecture malaisée d’un texte par ailleurs monotone et distribué en pas moins de 45 articles. Le choix de la profondeur exclut tout élan oratoire capable d’atteindre un public large. En témoigne ainsi Saint-Simon : « Ce livre choqua fort tout le monde : les ignorants, parce qu’ils n’y entendaient rien ; les autres, par la difficulté à le comprendre, à le suivre, et à se faire à un langage barbare et inconnu ; les prélats opposés à l’auteur, par le ton de maître sur le vrai et le faux des maximes… » (Mémoires, Boislisle, t. quatrième, 70).

687 Cette remarque situe l'épisode de la lettre vers le mois de mai 1698.

688 Le duc de Chevreuse.

689 Bel exemple de l’usage des sacrements pour venir à bout d’une dévote.

690 Tout commence en douceur mais on va maintenant rentrer dans le vif du sujet ! Ce chef-d’œuvre cauteleux valait-il la peine d’être reproduit intégralement ? nous l’avons pensé…

691 Le duc de Beauvillier v. Index des noms.

692 D’après Dt 18, 22

693 « Que la femme apprenne en silence » (I Cor 2, 11).

694 Allusion probable au Journal des Savants.

695 Jn 15, 20

696 Sans complication.

697 Spécialiste de l’écriture.

698 Nous avons le récit, parallèle au récit que l’on va lire, de cette confrontation extraordinaire avec l’archevêque dans la lettre à la duchesse de Beauvillier du 16 mai (reproduite dans la section qui suit).

699 Marque sacrée.

700 Adrien-Maurice de Noailles, comte d'Ayen, neveu de l'archevêque de Paris, épousa Françoise d'Aubigné, nièce de Mme de Maintenon. 

701 Le texte de ce faux, (pièce 7246 des A.S.-S., CG II, lettre 34), est donné ci-dessous pp. [117-118].

702 V. le contenu du dialogue, rapporté deux fois de suite sous le coup de l’émotion et de manière semblable, dans la lettre à la duchesse de Beauvillier du 16 mai 1698 : « Je lui dis donc que, s’il [85] l’avait écrite, il fallait qu’il fût fou » et : « Je lui répondis : « Si cette lettre est de lui, il est fou… ».

Toutefois Mme Guyon, malgré son estime toujours grande pour La Combe, est moins sûre de sa capacité à supporter des tournents et n’exclut pas quelque comportement obligé : « J'ai toujours connu beaucoup de bien dans le Père La Combe, mais je ne réponds pas depuis douze à treize ans que je ne l'ai vu [le Père fut arrêté le 3 octobre 1687]. Je ne puis croire ce qu'on lui impute, et à moins que cela ne soit plus clair que le soleil, je n'en croirai jamais rien, sachant les ruses et les artifices dont on se sert et jusqu'où va la malice. Ne m'accuse-t-on pas ici de faire des choses que je ne pourrrais exécuter, quand je serais assez malheureuse pour le vouloir ? A ceux qui me voient ici, on dit que c'est des crimes du temps passé, à ceux qui savent ma vie passée, ce sont des crimes d'à présent. Dieu sur tout. » CG II, 463.

703 Passage parallèle dans la lettre du 16 mai (que l’on trouvera reproduite ci-dessous) : « Il dit qu’on me ferait bien parler ; mais je lui dis qu’on pourrait me faire endurer ce qu’on voudrait, mais que rien ne serait capable de me faire parler quand je ne le voudrais pas. Il me dit qu’il m’avait fait sortir de Vincennes. Je lui répondis que j’avais pleuré en sortant de Vincennes, parce que je savais bien qu’on ne m’ôtait de ce lieu que pour me mettre en un autre où l’on pourrait me supposer des crimes. Il dit qu’il savait bien que j’avais pleuré au sortir de Vincennes : il me dit que c’était mes amis qui l’avaient prié de se charger de moi, et qu’on m’aurait envoyée bien loin. Je lui dis qu’on m’aurait fait grand plaisir. Alors il me dit qu’il était bien las de moi. Je lui dis : « Monseigneur, vous pourriez vous en délivrer, si vous vouliez ; et, si ce n’était le profond respect que j’ai pour vous, je vous dirais que j’ai mon pasteur à qui vous pouvez me remettre ». Cela [88] l’interdit : il me dit qu’il ne savait que faire, que M. le curé ne voulant plus me confesser, il ne se trouvait personne qui le voulût faire. »

704 On retrouve le même dialogue (depuis « Alors il me dit… ») dans la grande lettre adressée à la duchesse de Beauvillier le 16 mai 1698, que nous reproduirons ci-dessous, ce qui montre que la rédactrice en disposait : cette grande lettre se poursuit d’ailleurs par : « Gardez, je vous prie, la lettre que je vous écris… »

705 Il m’alléguait.

706 De grande portée.

707 Supporter (porter sa croix).

708 Il s'agit donc d'une nouvelle saisie des papiers de Mme Guyon.

709 CG II, lettre 453 à la petite duchesse, janvier.

710 En rêve.

711 Des G : la sœur de Famille (fille au service de Mme Guyon), selon la lettre suivante.

712 Inconnue.

713 Ici débute la lettre suivante : les deux lettres furent probablement envoyées en même temps, d’où le signe « $ » utilisé par le copiste Dupuy pour indiquer leur séparation, sans pour cela attribuer une date à chacune, comme c’est son habitude à la fin de la lettre.

714 points de suspension du ms.

715 Aussi faudra-t-il forger une lettre d’auto-accusation au niveau des mœurs.

716 En arrêtant l’échange de lettres.

717 CG II, lettre 456, mars.

718 Il s’agit peut-être d’un écho déformé sur la fondation d’une « petite Église », expression utilisée par la Combe pour parler de son cercle spirituel, qui aurait été prise au sens littéral. Plus probablement s’agit-il d’une lettre supposée écrite par La Combe à l’évêque de Tarbes, que l’on donne en annexe, car c’est le seul exemple de rétractation par le pauvre barnabite qui nous soit parvenu (« Lettre du P. La Combe à l’évêque de Tarbes »), en dehors bien évidemment de la lettre forgée présentée par l’archevêque. C’est une lettre bizarre que nous citons en annexe.

719 CG II, lettre 460, avril ( ?). - La Combe était auparavant dans la forteresse de Lourdes. De Tarbes il fut amené à Paris.

720 L’évêque Ripa, du diocèse de Verceil (aujourd’hui Vercelli) près de Turin, chez qui résida Mme Guyon.

721 Mme Belof, sœur de M. Thomé. V. lettres du 22 septembre 1693 à Chevreuse et du 9 novembre 1694 de l’archevêque de Vienne.

722 Ou Guyfon ? Mais « M. Guifon » est cité dans le brouillon du texte définitif de la déclaration remis aux trois examinateurs, aux côtés des filles du P. Vautier, de la Gentil, etc., en tant qu’opposant.

723 Dom Le Masson.

724 Le Camus.

725 Aranthon d’Alex.

726 CG II, lettre 461, avril.

727 On songe à la fausse lettre de La Combe du 27 avril 1698 qui va bientôt être présentée à Mme Guyon : « C’est devant Dieu, Madame, que je reconnais sincèrement qu’il y a eu de l’illusion, de l’erreur et du péché dans certaines choses qui sont arrivées avec trop de liberté entre nous… » ? Il s’agit ici d’une lettre assez bizarre adressée à l’évêque M. de Tarbes (CG II, lettre 451, qui contient : « Je suis tombé dans des misères et des excès de la nature… », mais rien sur un mari trompé !). En tout cas des bruits plus ou moins précis circulent sur ces pièces et Mme Guyon est mise au courant.

728 L’écrit de Fénelon sur Clément d’Alexandrie.

729 Le puissant confesseur jésuite de Louis XIV.

730 L’Official et M. Pirot formaient équipe lors de la première période de prison.

731 La lettre à M. de Tarbes obtenue après transport du Père, donc très probablement sous forte contrainte. Par ailleurs on n’est pas sûr du contenu (la lettre n’est pas autographe).

732 De la forteresse de Lourdes.

733 CG II, lettre 462 du 3 mai.

734 Vie, 4.5 (cité plus haut).

735 « etc. » : pour éviter d’avoir à en dire plus.

736 Il s’agit du père La Combe ; noter le doute sur sa capacité de résistance.

737 Fénelon, Le Gnostique de saint Clément d’Alexandrie.

738 La copie des A.S.-S., ms. 2043, qui servit de source à Dudon lorsque ce dernier la publia en 1930, suit des lettres et la « Doctrine enseignée par le père François de la Combe ». Elle a pour page de titre, d’une écriture ancienne : « 6e carton / Le Gnostique de Clément d'Alexandrie / Mss. original du P. La Combe [faux] ». Il s’agit bien de la copie par Famille, envoyée par Mme Guyon ; l’écriture de la « fille » de Mme Guyon ressemble un peu à celle de la Combe.

739 Il s’agit de La Combe.

740 « Des G. » (déjà rencontrée dans les lettres de mars 1698) : la sœur de « Famille ».

741 CG II, lettre 464, mai.

742 Répétition avec de légères modifications de ce qui a été dit une page plus haut : « Je lui dis donc que, s’il [85] l’avait écrite, il fallait qu’il fût fou [...] »

743« Je lui dis [...] » débute très probablement le « papier joint » à cette lettre à la duchesse de Beauvillier reproduite ici d’après la seule source de 1828. On en retrouve le texte dans le récit de prison qui suit la Vie par elle-même proprement dite, v. notre édition, 4.5, « La fausse lettre », début, p. 938-943, avec des variantes significatives et plus d’intensité combative.

744 Lettre du 27 avril 1698 commençant par : « C’est devant Dieu, Madame, que je reconnais sincèrement qu’il y a eu de l’illusion, de l’erreur et du péché [...] », reproduite à la suite, Vie, 4.5, p. 943.

745 CG II, lettre 467, le 16 mai.

746 Fénelon ? Dans une lettre précédente du mois de mai 1698 cette fondation est précisée : « Il m'est venu plusieurs fois dans l'esprit que N. promit, pour toute cette affaire, à Dieu de fonder, lorsque ses affaires lui permettraient, deux missionnaires jés[uites] dans la Chine ou ailleurs. »

747Le P. La Combe ?

748Le compagnon : inconnu rencontré dans la lettre précédente n° 443 de décembre 1697 : « Je suis en peine de la santé du compagnon du tut[eur][Chevreuse]. »

749 Huguet (1635 - 1715), tuteur honoraire des enfants de Mme Guyon pendant ses voyages. Il la défendit auprès de l’archevêque de Paris.

750 CG II, lettre 468, mai 1698.

751 La veille ou l’avant-veille ! – Citation du Journal du marquis de Dangeau, t. 6, 1856, de même que la suivante.

752 Ms.5250, f°64 sq. [pdf 82, 83 à 97 (mémorandum Guyon et Davant ; nous reprenons Guyon seule), 98, 99, 100, 101, 102, 104, 105, 106, 107 à 181 (inclut un long “essai théorique” opposé à Fénelon : nous reprenons le début seul)] ; la suite du ms. f°126 sq. [pdf 182 sq.] comprend les minutes des interrogatoires de Mme Guyon.

753 Les deux chiffres se suivent ; le 4 selon le journal de du Junca, cité plus bas.

754 Nom de lecture incertaine.

755 CG II, pièces 517 à 519.

756 L’attachement des « servantes » de Mme Guyon à leur maîtresse leur coûta de grandes souffrances. Il s’agit de Françoise Marc et de Marie de Lavau, « Manon » autrement appelée Famille.

757 CG II, pièce 520.

758 On trouvera dans l’annexe « La Bastille » une brève description de la célèbre prison, des conditions et du lieu où Mme Guyon fut enfermée.

759 Le 4 juin 1698.

760 Mme Guyon écrira des poèmes qui seront édités sous le titre : L’âme amante de son Dieu représentée dans les emblèmes de Hermannus Hugo et dans ceux d’Othon Vaenius sur l’amour divin.

761 En équilibre.

762 Celui dont Saint-Simon dit : « Avec une figure effrayante qui retraçait celle des trois juges des enfers, il s'égayait de tout avec supériorité d'esprit… ». V. sur lui notre note précédant le premier interrogatoire, sous-section : « Une enquête bien organisée ».

763 D’Argenson.

764 Pontchartrain à M. de Saint-Mars, 3 avril 1699 : « Pour Mme de Vaux [Marie de Lavau, ou Devaux, « Manon autrement [appelée] Famille »], il est inutile qu’elle la voie de près ni de loin. » Ravaisson, IX p.90.

765 Du même au même, le 30 décembre 1699 : « Le roi a accordé 900 livres de gratification à la fille qui sert Mme Guyon ; l’intention de S.M. n’est point de retenir cette fille de force, elle pourra sortir quand il lui plaira. » Cité plus bas.

766 En prison.

767 Indication portée entre parenthèses dans la copie.

768 Ps 35, 13.

769 M. de Saint-Mars était le gouverneur âgé de la Bastille, dont le redoutable M. du Junca espérait prendre la suite.

770 La fille de Mme Guyon, mariée au comte de Vaux.

771 M. de Saint-Mars était alors le gouverneur âgé de la Bastille, dont le redoutable M. du Junca espérait prendre la suite.

772 C’est-à-dire pour « l’homme au masque de fer » (Ravaisson).

773 C'est-à-dire présenté à nouveau.

774 Allusion à certains alumbrados.

775 Coiffure à la manière de Melle de Fontanges.

776 Comme elle est jeune, on doit sans doute comprendre : « pensionnaire dans une maison religieuse. »

777 Points de suspension dans le texte.

778 Casse : purgatif, mot utilisé par Molière.

779 La suite de ce paragraphe constitue une addition placée par le copiste à la page [187] du manuscrit (à la suite de : « ils ont passé par le feu et par l"eau »).

780 Pontchartrain à M. d’Argenson, 15 octobre 1700 : « M. le Cardinal de Noailles ayant dit au roi que le prêtre de Franche-Comté [Rouxel ?] qui était venu à Paris pour l’affaire du quiétisme, le voyant partir pour Rome [le pape était mort et les cardinaux venaient de partir pour entrer en conclave], était dans la volonté de s’en retourner chez lui, S. M. m’a ordonné de vous écrire […] de le confronter à Mme Guyon pour acquérir la preuve des choses… » (lettre reproduite plus bas).

781 Désavouerais.

782 Quelque.

783 C'est-à-dire « le champ libre ».

784 Echets pour échecs ? (v. Glossaire).

785 Jeu de patience traditionnel qui se joue avec des bâtonnets.

786 « En date du 20 juillet 1700 : « pour les abominations qu'on regardait comme les suites de ces principes, il n'en fut jamais question, et cette personne (Mme Guyon) en témoignait de l'horreur.» Il semble que l'on ait pensé, malgré cela, que le procès n'était pas fini puisque le procès-verbal de cette assemblée mentionne la confrontation (les 15 et 20 octobre 1700) de Mme Guyon avec « un prêtre accusé de quiétisme », sans en dire d'ailleurs le résultat ! Il semble, en revanche, que personne n'ait estimé nécessaire de redresser le tort public fait à Mme Guyon...» (M.-L. Gondal, Mme Guyon, Récits de captivité…, note 12).

787 J’aurais.

788 Ais : planche de bois.

789 D’après le Ps 66, 12.

790 Ici le copiste avait placé deux ajouts de Mme Guyon, comme le signale Mme Gondal.

791 Mme de Bernaville (?), épouse du commandant de la Bastille.

792 CG II, pièce 522.

793 Après le second séjour à Grenoble (avril-mai 1686), Mme Guyon connut le chanoine Bernard à Châlon-sur-Saône, qui la recommanda au curé de Dijon Claude Quillot. Par ailleurs le prêtre Rouxel cherchera « à obtenir l’indulgence pour lui-même en fournissant des chefs d’accusation contre Mme Guyon » (v. Orcibal, Etudes [...], Le cardinal Le Camus, p. 805 et p. 804). On peut donc hésiter entre plusieurs candidats possibles ; Rouxel paraît en fait être seul mis en cause : il était natif de Franche-Comté puis fut attaché sept ans à Besançon.

794 Le pape était mort, et les cardinaux français venaient de partir pour entrer au conclave (Ravaisson).

795 Rouxel.

796 CG II, pièce 525.

797 CG II, pièce 526.

798 CG II, pièce 527.

799Date d’entrée d’après le journal de M. de Junca : « Famille » (Marie de Lavau) fut donc incarcérée à la Bastille du 24 décembre 1700 au 31 mars 1701, soit 3 mois, entre deux périodes d’emprisonnements à Vincennes, d’une durée de huit ans.

800 CG II, pièce 528.

801 Début de Vie 4.8. - Pontchartrain à M. de Saint-Mars, 31 janvier 1703 : « Le roi trouve bon que dorénavant Mme Guyon voie ses enfants… » 

On trouvera des tableaux de la famille et des proches dans Vie, annexe, pp.1045-1049 (une impression en retrait est introduite par erreur p. 1047 (« 2 Armand-Claude » est le 2e fils mort de la variole de Mme Guyon… « 5 Jeanne-Marie » est fille de mdame Guyon et porte le même prénom).

Sur cinq naissances trois enfants atteindront l’âge adulte : Armand-Jacques (1665-1720/21, blessé à Valcourt, logera sa mère à Suèvres près de Blois en 1703, est à l’origine des familles Guyon de Montlivault et de Guercheville), Jean-Baptiste-Denys (1674-1752, resta célibataire, grand bibliophile), Jeanne-Marie (1676-1736, ressemblait à sa mère : l’on n’est pas sûr de l’attribution d’un portrait souvent reproduit comme celui de Mme Guyon ; mariée au comte de Vaux mort en 1705, elle épousera ensuite le duc de Sully ; sans enfant).

802 L’évêque de Blois, Mgr Bertier, fut en relation directe avec le Cardinal de Noailles, au sujet de Mme Guyon.

803 Au château de Dizier, paroisse de Suèvres, au bailliage d'Orléans (maintenant canton de Mer, Loir-et-Cher).

804 Cf. les lettres de Pontchartrain du 31 janvier, 21 mars et 19 septembre 1703 données ci-dessous.

805 Denis Huguet, rencontré précédemment, assez favorable à Mme Guyon lorsqu’il s’est rendu compte des mensonges de Dominique la Mothe.

806 Jn 17,19.

807 Pontchartrain au Cardinal de Noailles, le 12 août 1706, billet reproduit ci-dessous.

808 Lettre du 15 septembre 1706 à M. de Blois, Mgr Bertier ami de Fénelon, billet reproduit ci-dessous.

809 ou : dois.

810 CG II, pièces 533 à 535.

811 L’évêque de Blois était David-Nicolas de Berthier, d'une famille de robe de Toulouse, par ailleurs ami de Fénelon. Il mourut le 20 août 1710.

812 Mai ou plus probablement mars – mois retenu par les historiens.

813 CG II, pièces 532 à 534.

814 Noter la date de 1706 

815 Note 6 d’Orcibal attachée à la lettre 1373A de mai ( ?) 1710 échangée avec Fénelon.

816 Voir CG III, fig. 2 et note attachée au document 644. Il s’agirait de l’actuelle « Capitainerie du château de Montmorency » très proche du château royal…

817 On trouvera également une description des sources, du milieu suisse illustré à la fin du XVIIIe siècle par le pasteur Dutoit à Lausanne et du milieu allemand illustré par le baron de Fleischbein au château de Pyrmont. La précision concernant certains détails de l’environnement de Blois et propres à la vie antérieure de Mme Guyon montre que les sources s’appuient sur un témoin direct, soit un Ecossais soit Pétronille d’Eischweiler, épouse de Fleischbein, qui visita Blois. Un recueil de Fleischbein donne quelques informations complémentaires concernant les opinions de Mme Guyon dans ses dernières années. L’étude des milieux de disciples guyonniens, suggéré déjà par Baruzi, reste à faire.

818 Dix années et demi : du début 1707 (selon Orcibal) à juin 1717.

819 Vie 3.21.

820 Dont témoigne l’unique Lettre de 1710 qui nous soit parvenue (extraits ci-dessous).

821 Vie 2.9.6 [et non 8] & 2.16.1-4. Il s’agit de Françoise Marc, compagne de Marie de Lavau (Famille), auteur des lettres VI et VII, Vie, éd. 2001, p.1030 sv. Elle accompagne déjà Mme Guyon à Meaux.

822 Mgr Bertier, ami de Fénelon.

823 Ce qui explique les rapports délicats entre Mme Guyon et la famille de ce dernier.

824 Précision biffée : et s’écriait à son approche « on m’apporte mon divin petit Maître ! 

825 Vie 2.5

826 Vie 1.30.5

827 Intéressante description d’une « plongée » dans l’intériorité, auprès d’elle, qui s’effectue spontanément, sans nulle suggestion orale ou rappel de sa part. – Les disputes précèdent le soulèvement écossais Jacobite.

828 Indice de composition par un protestant. Amusant témoignage du respect des uns et des autres et de tous vis-à-vis des règles de leurs églises : les catholiques ne peuvent assister à une messe avec des protestants et ces derniers ne peuvent assister à une messe « papiste » !

829 Cantiques, Tome 4, Sect. 4, poème 19 : ce long cantique intitulé « Routes du divin amour pour conduire l’âme à l’union divine. Désirs pour l’extension du règne de l’amour » couvre les pages 176 à 180 de l’édition Poiret.

830 « Elle dicta en se promenant dans sa chambre à un autre anglais le 5ième poème héroïque contenu dans le tome 4 sans méditer du tout et sous les yeux de Milord Forbes » (Lm2) ; v. Dutoit pages 144 à 146, poème intitulé « Sûreté de la voie de l’amour et de la foi. » Nous n’y retrouvons pas de prophétie.

831 Lettres, éd. Dutoit, Londres, 1768, Discours VI p. 56 à 59 : « O mes chers samaritains … c"est à vous que l"Esprit Intérieur s’adresse… »

832 Sa conversion au catholicisme : « Ayant lu quelques ouvrages de M. de Cambrai …il commença à avoir des doutes …le jeune lord vint à Cambrai …le père du jeune seigneur, irrité de son changement de religion, ne voulut plus entendre parler de lui » rapportent les Nouvelles Littéraires. (A. Cherel, Un aventurier religieux au XVIII° sièle : André-Michel Ramsay, Paris, 1926).

833 Le comte Friedrich von Fleischbein (1700-1774) eut une influence sur Dutoit : des extraits de sa correspondance montrent comment il s’oppose avec vigueur mais fort raisonnablement aux tentations théosophiques de ce dernier - qui lui obéit comme à un directeur. Fleischbein lui rend justice et le soutient par la suite auprès de ses disciples. Il reçut l’influence de Mme Guyon par la jeune Pétronille d’Eschweiler (née vers 1690) comme le rapporte le manuscrit, mais aussi celle de Ch. H. de Marsay. En son château de Pyrmont, il dirigeait un « culte de silence et d’abandon en la présence de Dieu, recueillement auquel toute la maisonnée devait se joindre. Nous en avons quelques échos, par un récit critique de J.Ch. Edelmann et surtout par l’expérience d’enfance de Karl-Philipp Moritz.

834 Noter l’allusion à des manuscrits antérieurs.

835 Estime ascétique peu compatible avec l’enseignement guyonnien (qui se mélangera au piétisme rigide du milieu où ce texte prend naissance ; il est vécu au château de Pyrmont, et décrit dans Anton Reiser de Karl Philipp Moritz).

836 On éditera à Berlebourg Le Directeur Mistique ou Extrait des oeuvres Spirituelles de Monsr. Bertot. Ami intime de feu Mr Bernières et directeur de Mad. Guyon, tiré des quatre volumes de ces mêmes oeuvres de M. Bertot imprimé à Cologne 1726. A Berlebourg, imprimé par Christoffle Michel Regelein, 1742, 488 pages.

837 Près de Lausanne.

838 Nicolas Samuel de Treytorrens est en relation épistolaire fréquente avec Poiret ainsi qu’avec Wettstein, son éditeur, suisse comme lui-même.

839 L’Indice donné p. 629 des Lettres Tome 5 éditées par Dutoit. – Toutes ces lettres à Poiret et aux destinataires cités précédemment sont éditées dans CG I.

840 M. Chevallier, Pierre Poiret…, chap. IV et V. – La « maison patriarcale » regoupait à Rijnsburg le couple van Ewijk, les frères Homfeld (en relation épistolaire avec Mme Guyon) ; l’éditeur Wettstein habitait à quelques kilomètres.

841 « On rapporte qu’elle prenait plaisir à nourrir les abeilles, dont elle distribuait le miel à ses amis » (var. Lm2)

842 Ce texte suit la préface de Poiret à la Vie. « D’une lettre sur quelques circonstances de la mort de Mad[ame] Guyon … elle expira dans une grande paix et dans un silence profond…»

843 Testament du 17 décembre 1714 devant P. Belin notaire à Blois dont 2 ex. confiés au duc de Charost et à Dupuy, pièce 10/2325 Archives diocésaines de Blois.

844 Deuxième et dernière allusion à un manuscrit antérieur. La précision des faits suppose des sources perdues provenant de l’entourage immédiat.

845 Selon la déclaration du traducteur et la référence : « …à feu ma femme », Pétronille d’Eischweiler qui était présente à Blois.

846 Pétronille d’Eschweiller, qui séjourna à Blois avant d’épouser le comte.

847 En note : J’ai envoyé il y a déjà bien des années une copie de cette lettre aux chers amis de Suisse. (il s’agit du groupe de Dutoit à Lausanne)

848 Il s’agit de Rijnsburg où vivait la communauté de Poiret.

849 Le texte continue : « Outre ce que je viens de traduire mot pour mot, Mr de Fleischbein s’attache dans ce recueil à examiner ... les mensonges ... de la Baumelle… ».

850Jean‑Philippe‑René de La Bletterie, professeur d'éloquence au collège royal de Paris, et membre de l'Académie des Belles‑Lettres, naquit à Rennes en 1696.

851 CG III, pièce 644. Extrait de la première lettre. - Outre les renseignements donnés par la lettre de l’abbé de Beaumont de 1732 qui détaille une abondante correspondance (v. Correspondance de Fénelon, 1828, tome VII, page 60-76) ainsi que les deux lettres de Dupuy de 1733 qui précisent des points historiques (reproduites dans notre premier volume de la Correspondance), ce mémoire contribua à l’histoire de la querelle rédigée par le marquis de Fénelon. Cette dernière histoire, donnée en préface aux Œuvres spirituelles de Fénelon, est de fait centrée sur Mme Guyon : nous l'avons reproduite au début de CG II.

852 distinct du célèbre Metternich du XIXe siècle !

853 Mme Guyon eut du mal avec ce mousquetaire, arrivé à elle à l’âge de vingt-trois ans après avoir été blessé, et qui avait des difficultés à s’unifier dans la vie intérieure, mais elle développa une tendresse particulière pour son « cher boiteux ». Né le 25 juillet 1688, petit-fils du frère aîné de Fénelon, il était le second d’une famille de quatorze enfants. Militaire, il reçut une grave blessure le 31 août 1711 au siège de Landrecies, lors de l’enlèvement du camp ennemi à Hordain. Mal soigné, il subit une opération au début de février 1713 et commença peu après une correspondance suivie avec Mme Guyon. Inspecteur général de l’infanterie en 1718, brigadier en 1719, son mariage avec la fille de Louis Le Pelletier avait fait de lui un parent du comte de Morville, secrétaire d’État aux Affaires étrangères : celui-ci le désigna en 1724 pour l’ambassade de Hollande. Il y resta jusqu’en 1728, où il fut nommé plénipotentiaire au Congrès de Soissons, puis retourna en Hollande de 1730 à 1744. Il servit comme lieutenant général dans l’armée du maréchal de Noailles, puis dans celle de Maurice de Saxe. Il était en passe d’obtenir le bâton de maréchal quand il fut blessé très grièvement à la bataille de Raucoux, près de Liège, et mourut quelques jours après, le 11 octobre 1746. Il tient une place toute particulière pour avoir été le légataire universel de Fénelon et l’éditeur de certaines de ses œuvres. Nous disposons d’une série de 70 lettres, dont 69 qui lui sont adressées par Mme Guyon (CG I).

854 CG I, « La direction de Fénelon… », pp. 215 à 585. - La dépendance que manifeste Fénelon vis-à-vis de son initiatrice est fondée sur l’expérience intraduisible mais très directe de communication de cœur à cœur qu’il ne peut rejeter, malgré son aversion - qu’il reconnaît - pour certains traits féminins. Mme Guyon ne les désavoue pas : elle se sent d’ailleurs libre vis-à-vis de ses limites, sachant qu’elle n’est rien  par elle-même, mais toute efficiente par grâce. Cela n’empêche aucunement des agacements, probablement de Fénelon pour les bavardages de sa dame directrice, et des doutes de cette dernière pour les hésitations attribuées au diplomate Fénelon, attestés dans des lettres adressées depuis le couvent de Vaugirard à la petite duchesse.


855 CG I, lettre 295 - Coll. Rothschild A[utographes], XVII, t. V, 296 : « 4 ff. in-4°, non chiffrés (les 2e et 3e ff., insérés par erreur entre le 1er et le 4e, sont à lire en premier lieu) » [O]. L’ordre des folios est en effet : 2, 3, 1, 4, car le folio 1 fait référence au sommeil de l’abbé indiqué au folio 2.

Le ms. se présente selon deux colonnes sur des folios qui furent pliés en quatre, Fénelon laissant la place prête pour les réponses de sa correspondante. La procédure fut d’ailleurs utilisée par Fénelon dans ses rapports avec d’autres, v. par ex. la pièce 1099 des A.S.-S.

L’édition de la Correspondance Fénelon (Orcibal), tome XIV, Genève, 1992, fournit le contenu de ce dialogue décomposé en deux « lettres » numérotées respectivement 1373 pour les questions posées par Fénelon et 1373A pour les réponses apportées par Mme Guyon. Ce procédé est simple, mais obscurcit totalement le sens, le lecteur étant mis en face de succession de paragraphes successifs sans liens entre eux puisque les questions sont diverses, et de plus séparant les questions des réponses.

856 [O] renvoie au mémoire mentionné au début des lettres à Chevreuse des 3 et 4 mai 1710 « résumé » par ces lignes.

857 « Les Hollandais demandaient à Louis XIV de tourner ses armes contre son petit-fils roi d’Espagne. Villars déclara, en partant commander la dernière des armées du Roi, que « l’État se trouvant exposé au hasard d’une journée », il avait cru devoir, comme un bon sujet, « presser S.M. de faire la paix à des conditions dures, même en déclarant la guerre au roi d’Espagne ». Cette condition exorbitante fut refusée par Louis ; heureusement Villars fut victorieux… » [O].

858 « Pendant sa mission à Rome, Chantérac avait déjà les jambes malades […] Une aggravation de sa maladie l’avait empêché de signer « à cause du tremblement continuel de ses mains » le second testament qu’il avait passé à Cambrai le 20 juillet 1709 en faveur du séminaire et des pauvres. [...] il mourut à Périgueux le 20 août 1715… » - ce qui évoque une maladie de Parkinson.

859 Né en 1668, neveu du premier évêque de Québec, il fut proposé par Fénelon et devint en 1709 archidiacre et Official : la note d’Orcibal à la lettre 1373À constitue une biographie.

860 « Encouragé par Mme Guyon, Fénelon travailla à procurer un « petit évêché », comme Lombez, à l’abbé de Laval [...] La nomination de celui-ci à Ypres le 16 février 1713 parut un grand coup [...] mais il mourut dès le 24 août 1713. » [O].

861 CG I, Lettre 295 du 4 mai ( ?).

862 CG I, lettre 464. Le destinataire est un prêtre Bernois.

863 III Rois, 19, 11-12.

864 II Paralipomènes, 6, 1 : « Alors Salomon dit : Le Seigneur avait promis qu’il habiterait dans une nuée. » (Sacy). ; Ps. 17, 12 : « Et il est monté sur les chérubins, et il s’est envolé ; il a volé sur les ailes des vents. » (Sacy).

865 Luc, 2, 51 : « Il s'en retourna néanmoins avec eux à Nazareth : et il leur était soumis, et sa mère conservait toutes ces choses en son cœur. » (Amelote).

866 Rom., 14, 17 : « Car le Royaume de Dieu ne consiste pas dans le boire et dans le manger, mais dans la justice, dans la paix et dans la joie du saint Esprit. » (Amelote).

867 Ajout moderne au ms. : « C’est sans doute une faute du copiste. Il doit y avoir 67 ans passés […] la présente lettre étant du 8 juin 1715. »

868 A changé de sens. Il s’agit bien entendu de ses trois enfants. Il semble que l’entente ait été imparfaite entre les enfants et leur mère vécue comme encombrante, ce qui n’est guère étonnant au vu de ce que dut éprouver la famille d’une condamnée.

869 Il s’agit du prophétisme de camisards exilés, accompagné de transes, qui était le fait même d’enfants ; certains voyagèrent à Londres, à Edimbourg en 1709, et en d’autres lieux ; sur ces manifestations et sur l’intérêt que leur portèrent Ramsay et Lord Forbes de Pitsligo, v. (l’admirable mais rare) livre d’Henderson, Mystic of the North-East, « The french prophets in Scotland », p. 191-199.

870 Le Roi adopta une idée que Fénelon avait suggérée […] celle d’un Concile national où seraient jugés les opposants. Comme il était prévisible que Rome accepterait difficilement cette solution, Louis XIV y envoya en décembre 1714 un négociateur, Amelot […] en juin-juillet 1715 Louis XIV manifestait son intention de convoquer lui-même le concile, le pape finit par céder au début d’août. […] » L. Cognet, Le jansénisme, 1968, p. 103. Il semble qu’il ne puisse s’agir de l’Appel du 5 mars 1717 à un concile général.

871 Bulle Unigenitus du 8 septembre 1713 condamnant cent-une propositions extraites des Réflexions morales de Quesnel et tendant à en faire une sorte de somme de ce que l’on considérait comme la doctrine janséniste. Pour un résumé de l’attitude de Fénelon (et donc de Mme Guyon) précédant cette condamnation, v. Cognet, op. cit., p. 94 ss.

872 Lecture incertaine. Il ne s’agit pas d’une « petite madame » mais d’un surnom.

873 CG I, lettre 370 de 1716 ( ?).

874 CG I, lettre 380 adressée au marquis de Fénelon.

875 Fénelon ?

876 CG III, Lettre 641. La pièce a peut-être été retouchée, insistant sur un style paulinien.

877 CG I, lettre 435 adressée au baron de Metternich.

878 Ce « dossier biographique » relatif aux épreuves d’une vie peut être complété par celles, mouvementées, des restes : 1°, le Mémoire des principales sépultures faictes dans l'église des pères cordeliers de la ville de Blois... relate : « Ce jourd'hui dixième du mois de juin de l'année mil sept cent dix sept a été inhumée dans notre église dans la cave qui est sous la chapelle de saint François dont l'ouverture est dans le cloître au-dessus de la porterie, Dame Jeanne Marie Bouvier de la Mothe […] ; 2°, le plomb du cercueil fut récupéré à la Révolution et les ossements dispersés ; 3°, le crâne aboutit entre les mains d’un conservateur à Orléans qui pouvait ainsi montrer à ses visiteurs ce « reste d’une dévote célèbre » (sur ce point Jean Bruno renvoie à Desnoyers, « Notice sur la tête de Mme Guyon… », 2 nov. 1888, Orléans Sterlimon, 1889) ; 4°, il revint au début du XIXe siècle dans la chapelle de famille où il jouit d’un repos mérité dans la chapelle appartenant à la famille Guyon (branche de Guercheville), située à droite en entrant dans le cimetière de Suèvres, à treize kilomètres au nord-est de Blois, tout près de Dizier.

879 Nouvel état présent des travaux sur Fénelon, CRIN 36, 2000, Groningue. - V. les notices de J. Le Brun dans Fénelon, Œuvres I, Pléiade, Gallimard, 1983.

880 Dictionnaire de Spiritualité, art. « Fénelon », 5.151-170, 1962. - V. le développement dans Cm.

881 Le « moyen sûr » et l’origine de la nomination sont probables, mais non prouvés.

882 Hillairet, Dictionnaire Historique des rues de Paris, Les Editions de minuit, 2 vol., 1963.

883 Journal de M. du Junca cité dans la section : « Lettres policières afférentes au transfert à la Bastille ».

884 John Howard, 1777, trad. française : L’état des prisons, des hopitaux et des maisons de force en Europe au XVIIIe siècle, 1994 ; pages 123-125 pour la description imagée reproduite d’un pamphet de 1774 d’où est extraite notre citation.

885 Philippe Lenain, Dom Gabriel Gerberon…, Septentrion, 1997, p. 168, note 1185.

886 T. C. Upham, Life and religious opinions and experience of Madame de la Mothe Guyon, vol. II, chapter XVIII, 318 sv.

887 D. Tronc, “Quiétude et vie mystique : Mme Guyon et les chartreux », Transversalités, n° 91, juillet-septembre 2004.

888 Vie, 2.17.7.

889 Le Récit que le premier président de la Cour des aides fit au duc de Chevreuse de la lettre du cardinal Le Camus son frère, pièce 80 de la Correspondance de Fénelon, tome septième, Paris, 1828, signale des visites « au [couvent du] Verbe incarné, où plusieurs personnes de piété se trouvaient, même des novices de capucins. » - Voir aussi les témoignages en sa faveur de Dom Richebracque, bénédictin.

890 Vie, 2.18.6.

891 Vie, 2.20.5.

892 Vie 2.20.8.

893 M. Carlat, « Du désert de Bonnefoy à celui de la Grande Chartreuse, itinéraire d’un voyageur en 1672 : Alfred Jouvin, de Rochefort », revue Analecta cartusiana , n°7, 57-67, p. 62.

894 Eclaicissements sur la vie de Messire Jean d’Arenthon d’Alex, Evêque et prince de Genève, avec de nouvelles preuves incontestables de la vérité de son zèle contre le Jansénisme et le Quiétisme [par Dom Innocent Le Masson], à Chambéry, Par Jean Gorrin Imprimeur et marchand libraire de S.A.R. deçà les Monts. MDCIC (1699), p.11-12.

895 A ne pas confondre avec le célèbre Jean-Pierre Camus (1584-1652), écrivain spirituel abondant, disciple estimable de François de Sales.

896 CG II, lettre 383 adressée à l’évêque de Chartres en 1697. Cette lettre circula à Paris au moment des interrogatoires au donjon de Vincennes. Voir : Phelipeaux, Relation, t. I, p 21 : « Il est bon de rapporter une lettre de M. le cardinal le Camus [...] qui nous fut envoyée à Rome en l'année 1698 » .

897 Voir A. Cayrol-Gerin, « La Chartreuse de Prémol », revue Analecta Cartusiana, n° 1, 1989, 9-23. Elle souligne que « les thèses quiétistes, ardemment propagées par Mme Guyon à Grenoble dans les années 1685-1686, filtrèrent jusqu’à Prémol, où elles furent longuement examinées, sinon adoptées […] Le R. P. [Le Masson] alla jusqu’à sortir de la Grande Chartreuse sans autorisation papale et exécuter un véritable autodafé à Prémol… » (p.17). Elle avance le chiffre de 35 religieuses résidentes en 1698.

898 Récit que le premier président de la Cour des aides fit au duc de Chevreuse…,, op. cit., p. 168. La suite affirme que Dom Richebracque « assura M. le cardinal que Mme Guyon lui avait soutenu la XLIIe proposition de Molinos » - ce qui indignera le bon bénédictin, qui prendra parti pour Mme Guyon.

899 J. Martin, Le Louis XIV des Chartreux Dom Innocent Le Masson, 51e général de l'ordre (1627-1703), préface de Jean Guitton, Téqui, 1974, p. 42.

900 J. Martin, op.cit., p. 43-45.

901 Lettre à Tronson du 11 mai 1696, Correspondance de M. Louis Tronson…, Bertrand, 1904, tome troisième, livre cinquième, page 511.

902 J. Martin, op. cit., App. C. « Lettres inédites... », Lettre à Mme de Vancy, dame de Saint-Louis, aux ursulines de Saint-Germain-en-Laye, p. 200.

903 « Pièce manuscrite assez curieuse » reproduite intégralement par Martin, op. cit., p. 48-49.

904 J. Martin, op. cit., p. 49, note 34.

905 Bombardement par les français commandés par Duquesne, du 17 au 23 mai 1684.

906 Vittorio Augustin Ripa, évêque (1679 – 1691), qui avait pleine confiance dans le P. La Combe, « son confesseur, le chargeant d’enseigner les cas de conscience aux prêtres du diocèse ».

907 Lettre reproduite par Le Masson, Eclaicissements…, op. cit. - CG I, lettre 70 : « Je ne pourrais être que de corps partout ailleurs qu’à Genève… »

908 Qui conduira à la parution à Verceil, en 1686, de trois ouvrages spirituels : « La Combe fit imprimer son Orationis mentalis analysis et Mme Guyon son Explication de l’Apocalypse, tous deux avec l’approbation de Mgr Ripa, qui lui-même publiait l’édition présumée de l’Orazione del cuore facilitata da Mons. Ripa. [...] Il y a renversement des plans par rapport au schéma traditionnel ; ici c’est la mystique qui ouvre la voie à l’ascèse et provoque la conversion profonde du cœur. » Dict. Spir., tome 13, col. 682 à 684. – Tout est ici résumé en quelques mots : ce renversement dans la hiérarchie des valeurs oppose fatalement les mystiques à de nombreux membres d’organisations religieuses, malgré la bonne volonté manifestée de part et d’autre.

909 v. sur Cateau-Barbe : Vie 3.18.4 (et lettres de Le Camus et Richebracque en notes, p. 850 de notre édition).

910 Vie, 2.25.7. Mme Guyon fut active dans des hôpitaux et appréciée pour ce fait par Mme de Miramion.

911 On a le récit des événements dans l’ample Histoire du Quillotisme ou de ce qui s’est passé à Dijon au sujet du quiétisme avec une réponse à l’apologie en forme de Requête produite au Procès criminel par Claude Quillot Prêtre habitué de l’Église de Saint Pierre de Dijon, ci-devant déclaré atteint et convaincu de quiétisme…, A Zell, 1703, 434 pages denses : « …le feu du Ciel consuma une grande partie de l’Église de S. Etienne qui est la plus ancienne et comme la Mère de toutes les autres églises de Dijon. Bien des gens ont cru que cet accident était un présage du ravage que le Quiétisme devait faire dans cette Ville, où l’on venait à peine d’étouffer l’affaire des Sorciers [italiques de l’original]… » (p.8). - Les Informations furent faites contre Robert en 1697, la procédure criminelle fut commencée en 1699 et continuée en 1700. (p.89). - « Quillot était convaincu d’avoir enseigné le Quiétisme […] d’avoir méprisé les prières vocales […] d’Inceste spirituelle [sic] avec la pénitente Bertrande Soullié […] elle ne donna des marques d’égarement que longtemps après… » et il fut condamné « à la mort et au feu » (p. 67). En fuite, il fut brûlé par contumace. - Philippe Robert, curé de Seurre, à l’origine de cette « nouvelle secte », était accusé de libertinage, etc.

912 CG II, lettre 237.

913 Le Cantique… de Mme Guyon, v. « III. Mystique. Sources ».

914 Sujets de méditations sur le Cantique des cantiques, avec son explication selon le sentiment des Pères de l’Église, à l’usage des religieuses chartreuses, La Correrie [imprimerie de la Grande Chartreuse], 1691 et 1692.

915 A.S.-S., Fénelon, Correspondance, XI1, f°74, lettre qui suit celle, plus anodine, adressée à Tronson, dont nous venons de donner un extrait. Adressée par Dom Innocent à l’abbé de La Pérouse, cette seconde lettre compromettait gravement Mme Guyon ; v. sur tout ceci, l’étude exhaustive de Jean Orcibal soulignant la crédulité de Dom Masson, Etudes d’Histoire et de Littérature religieuses, Klincksieck, 1997, « Le cardinal Le Camus », p. 810 sv., « Mme Guyon devant ses juges », p. 819 sv. - L. Bertrand (Correspondance de Tronson, 1904) donne en note, p. 467, cette lettre – Extrait dans CG II, lettre 238.

916 Informateur qui apparaît également actif dans l’affaire Quillot.

917 V. Orcibal, Etudes…, op.cit., p. 830, sur les « choses terribles », et le déroulement, près de quinze ans plus tard, en 1698, des opérations de police à l’encontre de Mme Guyon. Aux yeux de Bremond (dans son Apologie de Fénelon, p. 6), comme aux yeux d’Orcibal (Etudes…, p. 824), de cette accusation découleront les plus graves ennuis pendant son emprisonnement. Bremond et Orcibal retiendront contre Dom Innocent sa crédulité ; v. également Orcibal, Etudes…, p. 810, pour la conclusion d’une histoire - autre que celle impliquant Cateau-Barbe - mettant en cause une demoiselle qui avait un commerce caché avec un prêtre.

918 V. Melquiades Andres, La teologia española en el siglo XVI, B.A.C., 1976 ; v. Tellechea Idigoras, introduction à la Guià de Molinos ; v. le procès de ce dernier, actuellement réhabilité.

919 Puis suit, dans la même source des A.S.-S, Fénelon, Correspondance, XI1, au f° 92, l’original (non publié par L. Bertrand) d’une lettre de La Pérouse à Tronson qui informe ce dernier que « Mgr de Genève ne veut pas éclaircir les faits » : « Chambéry, le 12 décembre 1694. / Je viens, mon cher père, de recevoir la réponse de M. de Genève et elle suppose qu’il ne lui conviendrait pas d’éclaircir les faits que la Dame suppose pour se justifier, mais que lui peut faire voir ce qu’il a pensé de la doctrine par la lettre circulaire qu’il publia il y a sept ans […] ».

920 Lettre XXIV dans Bertrand, Correspondance de Tronson, 1904, tome troisième, livre cinquième, p. 480. – La Vie avait été confiée sous le sceau du secret à Bossuet.

921 Lettre XXXII dans Bertrand, tome troisième, livre cinquième, p. 490. Nous ne pouvons accroître trop le volume de cette annexe. Citons seulement la lettre de Tronson à Le Masson, entre le 15 juin et le 22 juillet 1698: « Il (l’Archevêque de Paris) est assez persuadé de leur mauvaise doctrine et de la corruption de leurs mœurs […] il serait à souhaiter […] que l‘on pût avoir quelque preuve juridique qui appuyât ce que l‘on dit du Directeur [la Combe] et de la Directrice [Mme Guyon]. Peut-être que le mystère caché qui vous me proposez de lui montrer par mon entremise pourrait servir à faire cette découverte. [Post-Scriptum :]  J’ai montré votre lettre et le mémoire qu’à Monseigneur l’Archevêque de Paris parce que c’est lui qui est principalement chargé de cette affaire, ayant le Père et la Dame entre ses mains… »( A.S.-S., ms. 34, « Correspondance Tronson »).

922 CG II, lettre 383.

923 L’interprétation charnelle saphique ne s’impose pas compte tenu des habitudes du temps, mais elle est suggérée.

924 CG I, lettre 71 du 28 janvier 1688 : « Je ne saurai refuser à la vertu et à la piété de Mme de la Mothe-Guyon la recommandation… ». V. aussi la lettre 72 l’accompagnant : « Madame, Je souhaiterais d’avoir plus souvent que je n’ai des occasions de vous faire connaître combien vos intérêts temporels et spirituels me sont chers… »

925 Le duc de Chevreuse, qui n’exerçait aucune pression, cherchant à se renseigner sans éveiller d’opposition. Et Richebracque ne se dédit nulle part.

926 « A propos d’une controverse que le général des chartreux soutint contre l’abbé de Rancé, l’abbé Goujet écrit au contraire : « Jamais homme ne fut plus crédule que ce bon général, et plus facile à adopter tout ce qu’on lui disait au désavantage de ceux qu’il croyait avoir raison de ne point aimer. Sa Vie de M. d’Arenthon d’Alex, en particulier, est pleine de pareils traits. (Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques du XVIIIe siècle, Paris, 1736, 3 vol. in-8, t. I, p. 462). » (Note d’Urbain-Levesque, fervent bossuétiste). - On connait l’opinion tranchée de Bremond  exprimée dans son Apologie de Fénelon (1910), p. 6 : « ...il (Dom Innocent] est le grand, l'unique témoin contre cette femme […] Le venimeux Phelipeaux n'a pas d'autre autorité que Dom Innocent. Cette autorité est nulle. La Cour d'assises la plus prévenue congédierait un pareil témoin. Sur la vertu de Dom Innocent on ne peut avoir aucun doute. M. Tronson l'estimait et c'est tout dire ; mais « c'était un homme crédule qui, dans sa solitude recueillait aussi avidement les calomnies qu'il les débite pesamment dans ses livres (La Bletterie). » Du reste, rien de plus décevant que ces terribles livres. Ils nous annoncent les pires horreurs et, en fin de compte, ils ne disent rien. » - Nous avons fait la même expérience.

927 CG II, lettre 489 du 23 avril 1695 au duc de Chevreuse. Dom Richebracque avait été prieur de Saint-Robert de Cornillon près de Grenoble.

928 CG II, lettre n° 97 de Melle Matton sur la Grangée ; n° 275, même tome, du R.P. Richebracque à Mme Guyon, du 14 Avril 1695. « Est-il possible qu’il faille me chercher dans ma solitude pour fabriquer une calomnie contre vous, et qu’on m’en fasse l’instrument ? » ; lettre collective n° 493, même tome, de la Mère Le Picard et de religieuses de la Visitation de Meaux du 7 juillet 1695 : « Que si ladite Dame nous voulait faire l’honneur de choisir notre maison pour y vivre le reste de ses jours dans la retraite, notre communauté le tiendrait à faveur… » ; etc. (certaines sont citées plus haut , « Chapitre 4 : La Visitation de Meaux… »)

929 CG II, pièce 504.

930 Orcibal, Etudes…, op.cit., p. 831, sur la retraite finale de Bossuet, citant ici le Procès-Verbal de l’Assemblée…, p. 239.

931 Dict. Spir., 6, art. « Guyon », col. 1315.

932 « Le Cardinal Le Camus, témoin au procès de Mme Guyon » et « Mme Guyon devant ses juges », reproduits dans Jean Orcibal, Etudes… op.cit., p. 799-817 et p. 819-834.

933 M.-L. Gondal, Mme Guyon, un nouveau visage, 1989, p. 168. Voir l’ensemble de son chapitre VII, « Le combat de la vérité ».

934 « Mais Mme Guyon arriva à Grenoble dans l’hiver de 1684 et en partit au printemps de 1685 ; on ne voit donc pas comment l’évêque aurait pu faire à cette époque, et dans un pays de montagnes, une tournée pastorale de quatre mois. » (UL).

935 Mme Guyon repassa par Grenoble en 1686, et la lettre de recommandation est du 28 janvier 1687.

936 « Dans sa lettre à son frère le Lieutenant civil, Le Camus disait positivement : « Je ne saurais refuser à la vertu et à la piété de Mme de La Motte la recommandation, etc. » Ces paroles font voir qu’à l’origine, Le Camus était moins opposé à Mme Guyon qu’il ne le fut plus tard. » (UL).

937 Dom Richebracque.

938 Le duc de Chevreuse.

939 CG II, lettre 383 (voir aussi notice « Affaire Cateau Barbe », 899-900). Editions : Phelipeaux, Relation, t. I, p 21 : « Il est bon de rapporter une lettre de M. le cardinal le Camus [...] qui nous fut envoyée à Rome en l'année 1698 » - UL, VII, «Témoignages », B4, 490.

940 CG II, Lettre 451. Source : A.S.-S ms. 2179 pièce 7590 (il ne s’agit pas de l’écriture de La Combe mais de celle, très soignée, d’un copiste, ce qui laisse planer un doute sur les conditions d’obtention ; le style en est celui d’une déclaration mûrie ou obligée plutôt que celui d’une lettre ; il ne ressemble en rien au style « lyrique » très particulier habituel à La Combe) et copie p. 7592. Editions : UL, Appendice II, 480-488 ; Phélippeaux, Relation, t. II, 48.

941 Voir J. Climaque, L’Echelle Sainte, Degré XXIII.

942 Sens : « [...] soit dans (un état) d’esprit, ou en un état qui [...] »

943 absit : Dieu m’en garde !

944 L’ordre barnabite. Ce qui précède et suit (« la croix et l’opprobre ») font douter de la liberté extérieure et / ou intérieure qui accompagnait cette lettre-déposition.

945 Ici l’éditeur Ravaisson place une note savoureuse : « Les principaux acteurs de cette triste comédie quittèrent la scène de ce monde presque en même temps : Fénelon était mort dès 1712 [en fait en janvier 1715], et Mme Guyon, vieille et infirme, traîna jusqu'en 1717. Certes nous n'avons pas cherché à atténuer la gravité de leurs erreurs, mais il est impossible de ne pas estimer que le châtiment fut excessif, surtout à l'égard du P. de la Combe, ce pauvre moine qui resta vingt-huit années en prison pour avoir appliqué dans toute leur rigueur les pieuses rêveries de sainte Thérèse et de saint François de Sales. »

946 CG II, pièce 536. 

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