LE NUAGE D INCONNAISSANCE & L’EPITRE DE LA DIRECTION INTIME


74 kcse, 89 avec e







Le Nuage d’Inconnaissance

The Cloud of unknowing

&

L’Epître de la direction intime













Dossier assemblé par Dominique Tronc



« Sur le Nuage d'Inconnaissance » par Lilian Silburn

Le « Nuage d'inconnaissance » est d'un auteur anonyme, moine probablement qui vivait en Angleterre vers le milieu du 14e siècle.

Ce court traité est l'un des plus profonds de la mystique chrétienne et pourtant il est à peine connu en France et n'a pas la place qu'il mériterait dans la littérature religieuse.

II s'apparente étroitement par l'esprit et la méthode aux chefs-d'oeuvre de Saint Jean de la Croix qui lui sont postérieurs. Comme eux aussi il s'adresse aux contemplatifs qui cherchent à atteindre les sommets de la vie spirituelle, c'est-à-dire l'union mystique par la voie étroite du dénuement et de l'amour.

Ces contemplatifs ne sont nullement des savants ni des théologiens adonnés à la science et qui aspirent à la claire vision de Dieu puisqu'on ne peut jouir de cette vision en cette vie. Le nuage d'inconnaissance n'est qu'à l'intention des âmes humbles qui aspirent uniquement à suivre la voie de l'amour, cet élan direct du coeur vers Dieu et vers Dieu seul.

Ce nuage d'inconnaissance est un symbole particulièrement bien choisi pour exprimer l'expérience mystique dans tout son dénuement. Ce nuage qui s'interpose entre l'âme et Dieu et obscurcit la connaissance que l'âme pourrait avoir de Dieu rappelle la « divine obscurité » et la connaissance obscure par agnosie d'un saint Denys l'Areopagite et offre encore des points remarquables de similitude avec 'la nuit obscure' de Saint Jean de la Croix.

Ce nuage est l'oubli de notre activité cognitive et le renoncement aux lumières surnaturelles ; car la vie spécifiquement mystique ne consiste pas pour l'auteur de ce petit livre en une claire considération de quelque objet qui se situerait au-dessous de Dieu quelque savant et favorable qu'il soit, comme la méditation sur les perfections divines, les dons de Dieu, les saints ou les béatitudes ; elle ne consiste pas non plus en un mouvement aigu de l'intelligence ni en curiosité d'esprit ou en imagination parce que « tout ce à quoi tu penses cela est au-dessus de toi pendant ce temps et entre toi et ton Dieu » (éd. Guerne, p.32). Par contre plus valable en soi et plus plaisant à Dieu est cet aveugle élan d'amour vers Dieu en lui-même et « un tel et secret empressement en ce nuage d'inconnaissance ». La raison en est que « l'amour peut en cette vie atteindre Dieu mais la science point ».

Il est donc possible selon l'auteur sans vue, ni lumière, ni connaissance, en un élan d'amour que sans cesse Dieu suscite dans notre volonté.

C'est en ceci précisément que consiste l'œuvre dont l'auteur donne une description extraordinaire car c'est la seule fois à ma connaissance qu'un mystique insiste autant sur la brièveté et l'instantanéité de l'œuvre c'est-à-dire de ce très court élan qui mène vers Dieu. Ce n'est pas une prière qui dure et s'alanguit mais un élan dont l'intensité s'accroît sans cesse parce qu'il reprend et se renouvelle. Comme le dit si bien l'auteur du nuage d'inconnaissance : « ce n'est pas un long temps que réclame cette oeuvre pour son réel achèvement. C'est en effet l'opération la plus brève de toutes celles que puisse imaginer l'homme. Jamais elle ne dure plus ni moins qu'un atome lequel atome ... est la plus petite partie du temps » et cet atome est la juste mesure de la volonté. Ce mouvement de la volonté est précisément ce que l'auteur appelle le « pieux et humble aveugle élan d'amour ». À l'aide de la grâce tous les mouvements d'une âme qui serait parfaitement pure convergeraient vers le souverainement désirable et aucun n'irait se perdre vers les créatures .

En ces conditions il nous paraît que les conseils que donne ce moine ne sont pas seulement utiles aux âmes qui ont effectivement renoncé au monde et vivent dans un cloître mais qu'ils sont aussi à la portée de tous ceux qui se sentent portés vers la vie contemplative, car s'il est indubitable que les longues oraisons sont incompatibles avec les multiples occupations de la vie journalière, ce bref élan du coeur et de la volonté qui est apte à se renouveler parce qu'il est amour peut très bien par contre accompagner une vie active dans le siècle. En effet pour que cette oeuvre s'accomplisse nous dit l'auteur « un rien de temps suffit ». « Ce n'est qu'un brusque mouvement et comme inattendu qui s'élance vivement vers Dieu, de même qu'une étincelle de charbon. Et merveilleux est-il de compter les mouvements en une heure se faire dans une âme qui a été disposée à ce travail. Et pourtant il suffit d'un seul mouvement entre tous ceux-là pour qu'elle ait soudain et complètement oublié toute choses créées. Mais sitôt après chaque mouvement, par suite de la corruption de la chair, c'est la chute dans quelque pensée ou action exécutée ou non. Mais qu'importe ? puisque aussitôt après il s'élance de nouveau aussi soudainement qu'il l'avait fait avant. d'elle ; » (p. 29-30).

Cet élan suffit pour unir à Dieu. Mais à certains il convient de « l'avoir comme plié et empaqueté dans un mot » afin de mieux s'y tenir et ce mot doit être bref, « Dieu », « amour » par exemple ; c'est avec ce mot qu'il nous est conseillé de frapper à coups redoublés sur le nuage d'inconnaissance et de rabattre toute manière de pensée « sous le nuage d'oubli » car à côté de ce nuage obscur qui se trouve entre l'âme et Dieu, l'auteur distingue un autre nuage qui serait cette fois-ci non plus au-dessus de l'âme mais au-dessous d'elle ; nous avons là le nuage d'oubli qui s'interpose entre elle et les créatures.

Ainsi le nuage d'inconnaissance est le symbole original dans lequel s'exprime l'expérience vécue du moine en sa double nudité : nudité intérieure totale à l'égard de la connaissance de Dieu, ce « Dieu immense et profond » de St Jean de la Croix qu'aucune vision ou révélation ne peut traduire et dénuement intégral de toute chose, oubli parfait et de soi-même et des autres.

Le travail et l'effort qui reviennent à l'âme sont en effet de fouler aux pieds le souvenir de tout ce qui n'est pas Dieu et de perdre « toute idée et tout sentiment de son être propre». (p.137).

Bien avant St Jean de la Croix, ce moine anonyme du XIV° siècle décrit encore un autre aspect de l'obscurité qui rappelle la nuit obscure du Saint. Il la nomme « l'affliction parfaite qui sert à purifier l'âme » . « Tu dois prendre en dégoût tout ce qui se fait en ton intelligence et en ta volonté, à moins qu'il n'y soit que Dieu seul. Parce que tout ce qui est autre, assurément quoi que ce soit, cela est entre toi et ton Dieu, rien d'étonnant que tu le détestes et haïsses de penser à toi-même quand il te faut toujours avoir sentiment du péché, cet horrible et puant bloc massif de tu ne sais pas quoi, lequel est entre toi et ton Dieu / cette masse pesante qui n'est point autre chose que toi-même ». (p.138).

Cette oeuvre qui paraît si ardue au début deviendra facile parce que par la suite c'est Dieu qui voudra travailler seul mais alors qu'on laisse cette oeuvre agir en nous-même et nous conduire où elle voudra sans nous y mêler par crainte de tout embrouiller. Qu'on devienne aveugle durant ce temps en rejetant tout désir de connaissance qui serait plus un obstacle qu'une aide « qu'il te suffise pour toi de te sentir mû et poussé par cette chose que tu ne sais pas quoi et dont tu ne sais rien sinon que dans ce tien mouvement tu n'as aucune pensée particulière pour aucune chose au-dessous de Dieu et que cet élan nu est directement dirigé vers Dieu ». (p.114)

Comme saint Jean de la Croix l'auteur du Nuage d'Inconnaissance dit nettement que l'oeuvre de Dieu en nous est passive et surnaturelle et que l'initiative de l'âme active et naturelle amènerait à éteindre l'esprit. Mais nous n'en saurons pas plus sur cette oeuvre divine ni sur l'illumination qui perce parfois le nuage d'inconnaisssance ni sur l'embrasement d'amour qui en résulte, l'auteur ne pouvant ni ne voulant en parler car sa tâche se limite à décrire l'oeuvre propre de l'homme qui est attiré et aidé par la grâce.

La façon toute savoureuse, vivante et ingénue dont l'auteur fait part de ses conseils et de ses expériences est admirable par sa simplicité et sa nudité ; le lecteur n'y verra exposées et discutées que des choses essentielles, indispensables et suffisantes qui témoignent précisément de sa grande expérience spirituelle. C'est ce qui fait la valeur de ce court traité et en rend la lecture si attrayante1.



« Le Nuage d’Inconnaissance » traduit par Armel Guerne2



Commence ici un livre de Contemplation nommé LE NUAGE D'INCONNAISSANCE en lequel l'Ame est unie à Dieu



CHAPITRE PREMIER


Car tu sais bien que lorsque tu vivais d'abord dans le degré commun de la vie chrétienne et dans la compagnie de tes frères du monde, c'est très évidemment Son éternel amour - par lequel tu fus fait et créé du néant où tu étais, et racheté au prix de son précieux sang du péché d'Adam où tu étais perdu - qui n'a voulu souffrir que tu fusses si loin de Lui dans ce stade et à ce degré de vie. Et c'est pourquoi Il a très gracieusement suscité ton désir, et par le lien de la ferveur l'a affermi, te conduisant par là et t'amenant à une forme de vie et dans l'état plus spécial de serviteur au nombre de ses serviteurs, en sorte qu'il te fût possible d'apprendre à vivre plus spirituellement et plus spécialement à son service : bien plus que tu ne l'avais fait ou que tu n'eusses pu le faire dans le degré commun de ta vie de devant. Mais encore ?

Encore il apparaît qu'il ne te laissa point, ni ne t'abandonna ainsi légèrement, dans l'amour de Son coeur qu'Il n'a cessé d'avoir pour toi depuis que tu as été si peu que rien.

...

COMMENCE ICI LE CHAPITRE DEUXIÈME

Regarde à présent devant toi et laisse ce qui est en arrière vois ce qui te fait défaut, et non ce que tu as, c'est le plus prompt pour gagner et garder l'humilité. Toute ta vie maintenant consiste et se tient dans le désir, si tu dois avancer sur les degrés de la perfection : ce désir qui ne peut être absolument que créé et formé dans ta volonté par la main de Dieu tout-puissant, mais avec ton accord. Et je te dis une chose : c'est un amant jaloux et qui ne souffre point de partage; Il ne se complaît à agir dans ta volonté s'Il n'y est point seul, uniquement, avec toi. Il ne réclame aucune aide, mais seulement toi-même. C'est Lui qui veut, et tu n'as qu'à Le regarder et Le laisser, Lui seul. Mais à toi de bien garder les fenêtres et la porte, car les mouches et les ennemis y font assaut.

Et si tu as ferme propos de faire ainsi, il n'est besoin pour toi que de Le presser humblement par la prière, et bientôt Il voudra t'aider. Presse-le donc, et fais voir quelles sont tes dispositions. Il est tout prêt et Il n'attend que toi. Mais que feras-tu, et comment vas-tu Le presser?

COMMENCE ICI LE CHAPITRE TROISIÈME

Comment doit être entreprise l'oeuvre que dit ce livre, et de sa précellence sur toutes autres.

LÈVE vers Dieu ton coeur dans un élan d'humilité et d'amour; pense à Lui seul, et non pas à ses biens. Ainsi considère avec répugnance toute pensée autre que de Lui. ...

C'est pourquoi ne te relâche point, mais sois en travail jusqu'à temps que tu t'y sentes porté. Car dans les commencements lorsque tu le fais, tu ne trouves rien qu'une obscurité ; et comme s'il y avait un nuage d'inconnaissance, tu ne sais pas quoi, excepté que tu sens dans ta volonté un élan nu vers Dieu. Cette obscurité et ce nuage sont, quoi que tu fasses, entre toi et ton Dieu, et ils font que tu ne peux ni clairement Le voir par la lumière de l'entendement dans ta raison, ni Le sentir dans ton affection par la douceur de l'amour.

Donc, apprête-toi à demeurer dans cette obscurité tant que tu le pourras, toujours plus soupirant après Celui que tu aimes. Car si jamais ton sentiment vient à Le connaître ou si tu dois Le voir, autant qu'il se peut ici-bas, toujours ce sera dans le nuage de cette obscurité. Et si tu as volonté de t'efforcer activement ainsi que je t'en prie, j'ai toute confiance en Sa miséricorde que tu y parviendras.



COMMENCE ICI LE CHAPITRE QUATRIÈME

...

Ce n'est pas un long temps que réclame cette oeuvre, ainsi que le croient quelques-uns, pour son réel achèvement ; c'est en effet l'opération la plus brève de toutes celles que puisse imaginer l'homme. Jamais elle ne dure plus, ni moins, qu'un atome, lequel atome, d'après la définition des vrais philosophes en la science d'astronomie, est la plus petite partie du temps : si petit qu'à cause de sa 25 petitesse même il est indivisible et quasi incompréhensible. C'est lui, ce temps dont il est écrit : Tout le temps qui t'est donné à toi, à toi il sera demandé comment tu l'as dépensé. Et c'est raison que tu en rendes compte, car il n'est ni plus long ni plus court, mais il a la juste mesure, pas plus, de ce qui est au dedans le principal pouvoir agissant de ton âme : c'est-à-dire ta volonté. Car il peut y avoir et il y a, dans une heure de ta volonté, juste autant de vouloirs et de désirs, ni plus ni moins, qu'il y a d'atomes dans une heure.

...

Néanmoins, toutes les créatures qui ont intelligence, les angéliques comme les humaines, possèdent en elles-mêmes et chacune pour soi, une première puissance opérative principale, laquelle est nommée de connaissance, et une autre puissance opérative principale, laquelle est nommée de l'amour. Desquelles deux facultés, Dieu qui en est le créateur, reste toujours incompréhensible à la première, qui est celle de la connaissance ; et à la seconde, qui est celle de l'amour, Il est tout compréhensible, pleinement et entièrement, quoique diversement pour chacun. De sorte qu'une seule même âme peut, par la vertu de l'amour, comprendre en elle-même Celui qui est en Soi pleinement suffisant - et incomparablement plus encore - pour emplir et combler toutes les âmes et tous les anges jamais créés.

… 

Aussi donc donne ton attention à cette oeuvre, et à sa merveilleuse manière, intérieurement, dans ton âme. Car pourvu qu'elle soit bien conçue, ce n'est qu'un brusque mouvement, et comme inattendu, qui s'élance vivement vers Dieu, de même qu'une étincelle du charbon. Et merveilleux est-il de compter les mouvements qui peuvent, en une heure, se faire dans une âme qui a été disposée à ce travail. Et pourtant il suffit d'un seul mouvement entre tous ceux-là, pour qu'elle ait, soudain et complètement, oublié toutes choses créées. Mais sitôt après chaque mouvement, par suite de la corruption de la chair, c'est la chute de nouveau 30 dans quelque pensée ou quelque action, exécutée ou non. Mais qu'importe ? Puisque sitôt après, il s'élance de nouveau aussi soudainement qu'il l'avait fait avant.

...

Et ici peut-on se faire une brève idée de la manière de cette opération, et clairement discerner qu'elle est loin de toute vision, fausse imagination ou bizarrerie de pensée : car telle, elle serait produite, non par un aussi pieux et humble aveugle élan d'amour, mais par un esprit imaginatif, tout d'orgueil et de curiosité.

… 

Pareil esprit d'orgueil et de curiosité doit toujours être rabaissé et durement foulé aux pieds, si véritablement, cette œuvre, c'est dans la pureté du cœur qu'on la veut concevoir. Car quiconque, pour avoir entendu quelque chose de cette oeuvre, soit par lecture soit par paroles, s'imaginerait qu'on puisse ou doive y parvenir par le travail de l'esprit ; et dès lors s'assiérait et se mettrait à chercher dans sa tête comment elle peut bien être, et, dans cette curiosité, ferait travailler son imagination peut-être bien au rebours de l'ordre naturel, allant s'inventer une sorte et manière d'opérer, laquelle n'est ni corporelle ni spirituelle, - en vérité cet homme, qui que ce soit, est périlleusement dans l'erreur.

...

COMMENCE ICI LE CHAPITRE CINQUIÈME

de même que ce nuage d'inconnaissance est au-dessus de toi entre toi et ton Dieu, c'est exactement de même mettre au-dessous de toi un nuage d'oubli entre toi et toutes les créatures jamais créées. Tu vas penser, peut-être, que tu es tout à fait loin de Dieu parce que ce nuage d'inconnaissance est entre toi et ton Dieu mais très certainement, si la conception en est bonne, tu es bien plus loin de Lui quand tu n'as point un nuage d'oubli entre toi et les créatures qui puissent jamais avoir été ou être faites.

Et je te dis une chose, c'est que tout ce à quoi tu penses, cela est au-dessus de toi pendant ce temps, et entre toi et ton Dieu : et d'autant plus es-tu loin et plus loin de Dieu, que tu as en l'esprit la moindre chose autre que Dieu.

Oui ! et s'il est possible de le dire avec décence et convenance, pour cette oeuvre, cela ne sert que peu ou à rien de penser à la bonté ou à la perfection de Dieu, ou à notre Dame, ou aux saints et anges dans le ciel, ou encore aux béatitudes du ciel c'est-à-dire par une considération spéciale, comme si tu voulais par cette considération nourrir ton propos et lui donner plus de force. Je suis dans 34 l'opinion qu'en aucune manière cela ne t'aiderait dans le cas et dans cette oeuvre. Car encore qu'il soit bon de méditer sur la bonté de Dieu, et de L'aimer et glorifier pour cela, néanmoins il est de beaucoup meilleur de penser à son Être pur, et de L'aimer et glorifier pour Lui-même.

COMMENCE ICI LE CHAPITRE SIXIÈME

Mais maintenant tu m'interroges et me dis « Comment vais-je penser à Lui, et qu'est-Il ? » et à cela je ne puis te répondre que ceci : « Je n'en sais rien. »

Car par ta question tu m'as jeté dans cette même obscurité et dans ce même nuage d'inconnaissance où je voudrais que tu fusses toi-même. Car de toutes les autres créatures et de leurs oeuvres, oui certes, et des oeuvres de Dieu Lui-même, il est possible qu'un homme ait son plein de connaissance par la grâce, - et sur elles, il peut très bien penser; mais sur Dieu Soi-même, personne ne peut penser. C'est pourquoi laisserai-je toutes choses que je puis penser, et choisirai-je pour mon amour la chose que je ne puis penser. Car voici : Il peut bien être aimé, 36 mais pensé non pas. L'amour Le peut atteindre et retenir, mais jamais la pensée.

...

COMMENCE ICI LE CHAPITRE SEPTIÈME

ET si quelque pensée se lève et continuellement se veut pousser de force au-dessus de toi, entre toi et cette obscurité, te questionnant et disant « Que cherches-tu ? Et que voudrais-tu avoir ? » Tu diras, toi, que c'est Dieu que tu souhaites posséder : « C'est Lui que je convoite, Lui que je cherche, et rien autre que Lui »

Et si elle te demande : « Qu'est-ce que Dieu ? » Dis-lui, toi, que c'est Dieu qui t'a fait, et racheté, et qui gracieusement t'a appelé à ce degré.

Et vite tu poses le pied dessus [la question] par un élan d'amour, toute sainte qu'elle te paraisse, et bien 38 qu'elle te semblât vouloir t'aider à Le chercher. Car peut-être bien voulait-elle te mettre en l'esprit divers très admirables et merveilleux aspects de Sa bonté, et affirmer qu'Il est toute douceur et tout amour, toute grâce et toute miséricorde. Et si tu veux l'écouter, elle ne demande pas mieux ; car pour finir, et toujours plus te disputant ainsi, elle te distraira, toi, de l'amour, pour te mettre en l'esprit Sa Passion.

Et là, elle te fera voir la merveilleuse bonté de Dieu, et si tu l'écoutes, elle n'attend que cela. Car bientôt après, elle te montrera ta misérable vie ancienne, et peut-être, à y penser et à la voir, te ramènera-t-elle à l'esprit quelque lieu où tu as demeuré dans ce temps d'avant. De telle sorte que pour finir, et avant que tu t'en sois rendu compte, te voilà rejeté tu ne sais où dans la dissipation.

n'admettant aucune autre pensée que cette seule pensée de Dieu. Et même celle-ci, seulement si tu t'y sens porté : car un élan direct et nu vers Dieu est suffisant assez, sans aucune autre cause que Lui-même.

Et que si cet élan, il te convient l'avoir comme plié et empaqueté dans un mot, afin de plus fermement t'y tenir, alors ce soit un petit mot, et très bref de syllabes : car le plus court il est, mieux il est accordé à l'oeuvre de l'Esprit. Semblable mot est le mot : DIEU, ou encore le mot : AMOUR.

...

Avec ce mot tu frapperas sur ce nuage et cette obscurité au-dessus de toi. Et avec lui tu rabattras toutes manières de pensée sous le nuage de l'oubli.

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COMMENCE ICI LE CHAPITRE DOUZIEME

C’est donc pourquoi, si tu veux te tenir et ne point tomber, n'aie d'arrêt ni de cesse jamais en ton propos : mais toujours et plus, frappe sur ce nuage d'inconnaissance, lequel est entre toi et ton Dieu, avec la lance aiguë de l'impatient amour ; détourne-toi en horreur de penser à quelque objet que ce soit au-dessous de Dieu ; et ne t'en va de là pour chose qui arrive.

Car c'est par cette oeuvre seule et en elle seulement, que tu détruis le fondement et la racine du péché. Jeûne comme jamais, veille plus tard que jamais, lève-toi plus tôt que jamais, comme jamais couche-toi durement, harasse-toi comme jamais, oui ! et même s'il était permis de le faire - ce qui 57 n'est pas - arrache-toi les yeux, coupe-toi la langue, bouche-toi les oreilles et les narines hermétiquement comme jamais, et encore tranche-toi les membres et inflige à ton corps toutes les peines et souffrances imaginables : rien de cela ne t'aidera en rien. Toujours en toi sera le mouvement et l'assaut du péché.

...

COMMENCE ICI LE CHAPITRE TREIZIÈME

Voyons donc en premier la vertu de l'humilité : comment elle est imparfaite quand elle a pour cause, mêlée à Dieu, quelque autre raison, encore qu'Il soit la principale ; et comment elle est parfaite avec Dieu en Lui-même pour seule fin.

L'humilité n'est en elle-même rien d'autre que la vraie connaissance et le sentiment vrai, pour l'homme, de ce qu'il est en soi-même. Car bien assurément, qui peut se voir soi-même en vérité et sentir ce qu'il est, en vérité celui-là sera humble. 60

La seconde [cause d’humilité], c'est le surabondant Amour et la Perfection de Dieu en Soi-même, à la considération desquels toute nature est dans le tremblement ; et tous les grands clercs sont des fous ; et tous les saints et tous les anges sont aveugles.

...

La seconde de ces deux causes est parfaite ; et la raison, c'est qu'elle durera toujours et sans aucune fin. Mais la première ci-dessus, est par contre imparfaite; et pourquoi? c'est que non seulement elle tombe quand prend fin cette vie, mais encore bien souvent peut-il arriver qu'une âme en ce corps mortel, par abondance de grâce en multiplication de son désir - aussi souvent et aussi longtemps que daigne Dieu y opérer ainsi - peut avoir tout soudain et parfaitement perdu et oublié toute idée et tout sentiment de son être, sans plus aucun souci ou de sa sainteté ou de sa misère antérieure.

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COMMENCE ICI LE CHAPITRE QUATORZIÈME

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Et c'est pourquoi saigne et sue tant que tu peux 63 et pourras, afin d'avoir, de toi-même, la connaissance vraie et le sentiment de ce que tu es. Car alors, je pense que peu après tu auras une expérience de Dieu, la connaissance vraie et le sentiment de ce qu'Il est. Non pas tel qu'Il est en Soi-même, puisque cela nul ne le peut, fors Lui-même; ni encore tel que tu Le connaîtras dans la béatitude, ensemble avec le corps et l'âme. Mais tel qu'il est possible de Le connaître d'expérience, avec Sa permission, pour une âme humble et vivant en ce corps mortel.

Et ne pense pas, parce que j'ai posé à cette humilité deux causes, l'une parfaite et imparfaite l'autre, que je veuille par là te voir quitter le travail à propos de l'imparfaite humilité pour te mettre entièrement à vouloir la parfaite. Non point, assurément : car m'est avis que jamais tu ne l'aurais ainsi.

cet amour intime, secrètement pressant en pureté d'esprit l'obscur nuage d'inconnaissance qui est entre toi et ton Dieu, véritablement et parfaitement contient en lui la parfaite vertu d'humilité, sans nulle particulière ou claire considération de quoi que ce soit au-dessous de Dieu. Et encore parce que je voulais que tu connusses laquelle était l'humilité parfaite, et que tu la posasses comme un signe devant l'amour de ton coeur, et que tu fisses ainsi pour toi 64 et pour moi. Enfin, parce que je voulais que, par cette connaissance, tu devinsses plus humble. Car c'est souventes fois que le défaut de connaissance est cause, à mon avis, de beaucoup d'orgueil.

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COMMENCE ICI LE CHAPITRE QUINZIÈME

Et aussi fie-toi fermement à ceci, qu'il y a une humilité parfaite telle que j'ai dit, et qu'il est possible par la grâce d'y parvenir en cette vie. Ce que j'affirme pour la confusion de ceux qui prétendent, dans leur erreur, qu'il n'y a plus parfaite cause d'humilité que celle qui ressort du souvenir de notre misère et des péchés que nous avons commis.

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COMMENCE ICI LE CHAPITRE SEIZIÈME

VOIS-LE bien : nul n'irait penser qu'il y ait de la présomption à oser, fût-on le plus misérable pécheur en cette terre, - mais après s'être convenablement amendé, et après avoir ressenti en soi l'appel de cette vie appelée contemplative dans l'assentiment et de sa conscience et de son directeur spirituel - à oser, prendre sur soi et porter un humble élan d'amour vers son Dieu, pressant secrètement ce nuage d'inconnaissance, lequel est entre l'homme et son Dieu. Lorsque notre Seigneur s'adressant à Marie, et en sa personne à tous les pécheurs, lui dit « Tes péchés sont remis », ce n'est point alors pour 69 le seul souvenir de ses péchés ni pour le grand chagrin qu'elle en avait, ni non plus pour l'humilité qu'elle avait gagnée au regard seulement de sa misère. Mais pourquoi donc alors ? Assurément parce qu'elle avait beaucoup d'amour.

Regarde ! Ici les hommes peuvent voir ce qu'une secrète pression d'amour peut gagner de notre Seigneur, devant toutes les autres oeuvres auxquelles l'homme peut penser.

une plus douloureuse aspiration et plus profonde impatience, oui! et elle languissait beaucoup plus - presque jusqu'à la mort - de son manque d'amour, encore qu'elle fût pleine d'amour. Et de cela tu n'as point à t'étonner, car c'est la condition de l'amant véritable, 70 que toujours plus il aime, et plus il manque et aspire à l'amour.

Et cependant elle savait bien, et elle sentait bien en elle avec une rigoureuse vérité, que sa misère était plus horrible que celle de quiconque, et que ses péchés avaient mis, entre elle et son Dieu qu'elle aimait tant, une division ; et donc aussi que c'étaient eux, pour une grande part, qui étaient cause qu'elle souffrît tant et languît tellement de son manque d'amour. Mais sur cela, quoi donc ? Descendit-elle pour cela des hauteurs de son désir dans les abîmes de sa vie pécheresse ? et se mit-elle à fouiller dans l'horrible et puante fange et le fumier de ses péchés, pour les tirer un à un, chacun avec ses circonstances, afin d'avoir regret et de pleurer sur chacun d'eux ? Non point ! Certainement elle ne le fit pas. Et pourquoi ? Parce que Dieu lui avait donné, par Sa grâce, et fait comprendre au dedans de son âme qu'elle n'en viendrait jamais à bout ainsi.

...

COMMENCE ICI LE CHAPITRE DIX-HUITIÈME

EXACTEMENT ainsi que Marthe alors se plaignit de Marie sa soeur, exactement de même, encore aujourd'hui, tous les actifs se plaignent des contemplatifs. Car qu'il y ait un homme ou une femme en quelque société que ce soit de ce monde, religieuse ou séculière — je n'en excepte aucune — et que cet homme ou femme, qui que ce soit, se sente porté par la grâce et aussi par conseil, à rejeter toute affaire et activité extérieure, et cela pour se mettre à vivre pleinement de la vie contemplative selon ses aptitudes et sa conscience, non sans la permission de son directeur spirituel ; et voici tout aussitôt ses propres frères et soeurs, tous ses plus proches amis et bien d'autres encore, lesquels ne savent rien de sa vie intérieure ni rien non plus du genre de vie qu'il commence et auquel il se met, qui tous élèvent autour de lui grand bruit de plaintes et protestations, tranchant brutalement et affirmant qu'il ne fait rien, faisant ce qu'il fait. Et tout aussitôt les voilà énumérant quantité d'histoires fausses, et nombre de vraies aussi, sur la chute de tels ou tels hommes ou femmes qui s'étaient, eux aussi, donnés à cette vie : jamais un bon récit de ceux qui s'y sont tenus.

...

COMMENCE ICI LE CHAPITRE VINGT ET TROISIÈME

...

Et de même qu'Il répondra de nous en esprit, de même aussi suscitera-t-il autrui, spirituellement, à nous donner les choses nécessaires à cette vie, telles que vêtements, nourriture, et toutes autres..., s'Il voit que nous ne voulons quitter l'oeuvre de Son amour pour nous occuper d'elles. Et cela, je le dis pour la confusion de ceux qui prétendent, dans leur erreur, qu'il n'est pas légitime pour des hommes de se mettre à servir Dieu en la vie contemplative, qu'ils ne se soient assurés préalablement de leur corporel nécessaire.

...

Et c'est pourquoi, toi qui te mets à l'état de contemplatif où et ainsi qu'était Marie, choisis plutôt l'humilité sous l'éminence admirable et l'excellence suprême de Dieu, laquelle est l'humilité parfaite, plutôt que sous ta propre misère, laquelle est l'humilité imparfaite. Ce qui est dire : veille à fixer de préférence ta contemplation particulière sur la suprême éminence de Dieu, bien plutôt que sur ta faiblesse. Car à ceux qui ont l'humilité parfaite, nulle et aucune chose ne fera défaut, corporelle ni spirituelle. Et pourquoi ? C'est qu'ils ont Dieu, en Qui est toute plénitude ; et à celui qui Le possède - oui, comme le dit ce livre - il n'est besoin de rien d'autre en cette vie.

COMMENCE ICI LE CHAPITRE VINGT ET QUATRIÈME

ET ainsi qu'il a été dit de l'humilité, et comment elle est véritablement et parfaitement contenue dans ce petit aveugle empressement d'amour frappant sur ce nuage obscur d'inconnaissance, étant toutes les autres choses rejetées et en oubli, = ainsi faut-il l'entendre et comprendre de toutes les vertus, et particulièrement de la charité.

Car la charité n'est rien d'autre, et ne doit signifier à ton entendement que l'amour de Dieu pour Lui-même par-dessus toutes les créatures, et l'amour du prochain comme de toi-même, pour l'amour de Dieu.

...

Un élan nu, l'ai-je nommé. Et pourquoi ? Parce que dans cette oeuvre, le parfait apprenti ne réclame ni relâchement de peine ni gain de récompense, et, pour le dire en bref, il ne veut que Dieu seul. A tel point qu'il ne se soucie et non plus ne regarde s'il est en peine ou en joie, autrement que pour que soit faite La volonté de Celui qu'il aime.

...

Et pour la seconde et inférieure branche de la charité qui est envers ton prochain, qu'elle soit en cette œuvre véritablement et parfaitement effectuée, on le voit à l'épreuve : puisque, en effet, le parfait ouvrier en cette œuvre n'a de regard particulier pour aucun homme en lui-même, qu'il soit parent ou étranger, ami ou ennemi. ...

COMMENCE ICI LE CHAPITRE VINGT ET CINQUIÈME

JE ne dis pas que l'ouvrier en cette œuvre considérera à part quelque homme que ce soit, ami ou ennemi, parent ou étranger ; … - je dis qu'alors sa volonté 95 ira tout autant en particulier à son ennemi, comme à son ami, à l'étranger comme à son frère. Et même, oui, d'aucunes fois plus à son ennemi qu'à son ami.

En l'oeuvre, toutefois, il n'a point loisir de regarder qui est son ami ou son ennemi, son parent ou un étranger. Pourtant je ne dis point qu'il ne sente parfois - et même souvent, oui - une plus intime affection pour un, deux, ou trois, plutôt qu'à tous autres : car il est légitime qu'ainsi soit, et pour maintes causes, lesquelles veut la charité. Et par ce qu'une plus tendre affection de ce genre, aussi le Christ la ressentit pour Jean et pour Marie, et pour Pierre devant nombre d'autres. Mais ce que je dis, c'est qu'en le temps de l'oeuvre, tous également lui seront intimes ; car alors il n'aura sentiment de cause, que Dieu seul. De sorte que tous seront aimés tout bonnement et simplement comme soi-même, pour Dieu.

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COMMENCE ICI LE CHAPITRE VINGT ET SIXIÈME

Et pour l'autre qui est au-dessus - c'est-à-dire cet élan de l'amour - celui-là est l'oeuvre de Dieu seul. Aussi fais donc ton travail, et je te fais promesse assurément qu'Il ne manquera pas au Sien. ,

En action, donc : montre comment tu te comportes. Ne vois-tu pas combien Il est là, qui t'attend ? Pour ta honte ! Aussi travaille ferme et sur l'heure, et bientôt tu seras relevé de la difficulté et de l'énormité de ton ouvrage. Car bien qu'il soit dans le commencement difficile et ardu, lorsque tu n'as de dévotion, néanmoins par la suite, lorsque tu as la dévotion, tout devient très facile et léger, de ce qui était si dur auparavant. Et tu n'as plus que peu ou pas du tout de travail, parce qu'alors c'est Dieu, tantôt, qui voudra seul œuvrer. Mais pas toujours, ni non plus et ensemble longtemps, mais seulement quand il Lui plaît et comme il Lui plaît; mais alors tu te trouveras joyeux de Le laisser seul faire.

Peut-être alors, parfois, Il enverra un rayon de lumière spirituelle, perçant ce nuage d'inconnaissance qui est entre toi et Lui; et Il te montrera 99 en confidence l'un ou l'autre de Ses secrets, desquels l'homme n'a moyen ni permission de parler. Alors tu sentiras ton affection tout embrasée du feu de Son amour, et bien au delà de ce que je saurais ici, ou pouvoir ou vouloir te dire. Car de cette oeuvre, laquelle revient toute à Dieu seul, je n'ai l'audace et ne me risque à parler de ma balbutiante langue charnelle, - et pour tout dire: le pourrais-je, que je ne le voudrais point.

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COMMENCE ICI LE CHAPITRE TRENTE ET QUATRIÈME

ET si tu me demandes par quelles voies tu parviendras en cette oeuvre, je prie le Tout-Puissant Dieu, dans sa grande grâce et courtoisie, qu'Il te l'enseigne Lui-même. Car en vérité je ne puis que te donner à penser combien incapable je suis de te le dire ; et rien d'étonnant à cela. Puisqu'en effet c'est là l'ouvrage et l'oeuvre de Dieu seul, qu'Il accomplit Soi-même en quelle âme il Lui plaît, sans nul mérite de cette même âme.

Et j'ai confiance que notre Seigneur aussi souvent et aussi particulièrement consent, oui ! et plus particulièrement même et plus souvent, à accomplir cette œuvre en ceux qui furent accoutumés pécheurs, qu'en tels autres qui ne L'ont jamais tant gravement offensé que ceux-là. Ce qu'Il fait pour ce, qu'Il veut être vu tout-miséricordieux et tout-puissant, et pour ce qu'Il veut être vu agissant comme il Lui plaît, où il Lui plaît et quand il Lui plaît.

Et pourtant, Il ne fait don de cette grâce, et non plus n'accomplit cette oeuvre, en quelque âme qui n'en soit capable. Mais sans cette grâce elle-même, il n'est aucune âme capable de posséder cette grâce ; pas une, qu'elle soit d'un pécheur ou d'un non-coupable. Car, pas plus elle n'est donnée pour l'innocence qu'elle n'est retenue ou refusée pour le péché.

Et pour me résumer en bref, laisse cela agir en toi et te conduire où il lui plaît. Laisse cela être l'ouvrier et l'opérateur, pour n'être, toi, que le patient et celui qui subit : tu n'as qu'à regarder et laisser faire. Ne t'en mêle pas, comme si tu voulais y aider, par crainte de tout embrouiller. Pour toi, ne sois rien que le bois, et que cela soit l'ouvrier de ce bois ; ne sois que la maison, et que cela soit l'habitant de cette maison, le cultivateur qui demeure là. Sois et fais-toi aveugle durant ce temps, et rejette tout désir et toute ambition de connaissance, lesquels bien plus te feraient obstacle qu'ils ne peuvent t'aider. Qu'il te suffise assez, pour toi, de te sentir mû et poussé dans ton gré et assentiment par cette chose que tu ne sais pas quoi et dont tu ne sais rien, sinon que dans ce tien mouvement tu n'as aucune pensée particulière pour aucune 115 chose au-dessous de Dieu, et que cet élan nu est directement dirigé vers Dieu.

Et s'il en est ainsi, tu peux avoir ferme confiance que c'est Dieu, et Lui seul, qui meut directement ta volonté et ton désir, pleinement par Soi-même, non par des voies intermédiaires de Son côté ou du tien. Et n'aie crainte ni effroi, car le diable ne peut venir aussi prochement intime. Il ne peut jamais qu'occasionnellement et par des voies lointaines en venir à mouvoir la volonté d'un homme, quelque subtil diable qu'il soit jamais. Et non plus un bon ange ne peut mouvoir ta volonté suffisamment et sans voies ; et, pour le dire en bref, rien ni personne autre que Dieu. Et Dieu seul.

En sorte que tu pourras concevoir un peu par ces mots ici (mais bien plus clairement à l'épreuve et par expérience) que dans cette oeuvre, les hommes n'ont point à user de moyens et de voies, et que non plus ils n'y peuvent parvenir par des moyens et des voies. Il n'est de bonne voie qui ne dépende d'elle, mais elle ne dépend d'aucune; et il n'en est aucune qu'elle-même pour y mener.

COMMENCE ICI LE CHAPITRE TRENTE ET CINQUIÈME

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Vois-le à cette preuve : en ce même cours, la parole de Dieu tant écrite que parlée, est comparée à un miroir. Spirituellement, les yeux de ton âme sont ta raison, et c'est ta conscience qui est ton visage spirituel. Or, tout de même que si ton visage physique porte une macule, les yeux de ton visage ne peuvent voir cette tache ni penser qu'elle existe sans un miroir ou l'enseignement d'un autre que toi-même; tout justement de même aussi en va-t-il spirituellement : sans lecture ou audition de la parole de Dieu, il n'est pas possible à l'entendement humain qu'une âme, laquelle est aveuglée par l'habitude du péché, puisse voir la tache et la souillure dans sa conscience.

Et ainsi poursuivant : lorsque l'homme voit dans le miroir, matériel aussi bien que spirituel, ou lorsqu'il apprend par l'enseignement d'un autre homme l'existence et l'emplacement de la macule sur son propre visage tant physique que spirituel, c'est alors, et alors seulement qu'il court à la fontaine pour se laver.

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COMMENCE ICI LE CHAPITRE TRENTE ET SIXIÈME

MAIS il n'en va pas ainsi de ceux qui sont au continuel travail de l’oeuvre que dit ce livre. Car leurs méditations sont telles que si c'étaient de brusques idées et sentiments aveugles de leur misère propre ou de la bonté de Dieu, sans nulle voie préalable de lecture ou audition de lecture, et sans aucune particulière considération de quoi que ce soit au-dessous de Dieu. Ces soudaines idées et ces aveugles sentiments plutôt étant appris de Dieu que de l'homme.

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COMMENCE ICI LE CHAPITRE TRENTE ET HUITIÈME

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A ce moment est-il que l'âme, après la leçon de saint Paul, « devient capable de comprendre avec tous les saints - non pleinement et absolument, mais en partie et d'une manière qui se trouve en rapport et harmonie avec cette oeuvre - quelle est la largeur et la longueur, la hauteur et la profondeur » de l'éternel Dieu et tout amour, puissance et sagesse.

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Vois à l'exemple : si celui qui est ton ennemi mortel, soudain tu l'entendais au comble de l'effroi crier ce petit mot de « feu » ou « hélas ! » ou « malheur! » alors sans considérer s'il est ou non ton ennemi, mais dans la pure pitié de ton coeur tu serais ému et saisi de compassion par l'angoisse de ce cri et tu te lèverais - oui, oui, serait-ce au beau milieu de la nuit d'hiver! - et tu irais à son secours pour l'aider à éteindre le feu ou pour le conforter et l'apaiser dans sa détresse. Oh, Seigneur! quand un homme peut en grâce devenir si pitoyable et miséricordieux qu'il prenne en compassion son ennemi, nonobstant son inimitié, quelle 126 pitié et quelle miséricorde alors aura Dieu pour un tel cri spirituel de l'âme, fait et conçu dans la hauteur et dans la profondeur, dans la longueur et la largeur de l'esprit, Lui qui a par nature ce que l'homme a par grâce ? ...





COMMENCE ICI LE CHAPITRE QUARANTIÈME

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Et que tu aies sentiment de cette « faute » ou péché comme d'un bloc massif et tu ne sais jamais quoi, mais rien autre que toi-même ...

Et de même façon feras-tu de ce petit mot de « Dieu » : que ton esprit soit tout empli de sa signification spirituelle, et sans aucune considération plus particulière à aucune de Ses oeuvres, corporelle ou spirituelle, si bonne, ou meilleure, ou excellente soit-elle - ni non plus à aucune vertu, que puisse susciter en l'âme humaine quelque grâce que ce soit; et nullement tu ne chercheras à voir si c'est Humilité ou Charité, Patience ou Abstinence Espérance, Foi ou Tempérance, Chasteté ou volontaire Pauvreté. Que fait cela au contemplatif ? Puisqu'en toute vertu il trouve et voit, reconnaît et a sentiment de Dieu ; car en Lui sont toutes choses, tout ensemble par cause et par état. C'est pourquoi les contemplatifs{ pensent que s'ils ont Dieu, ils ont et possèdent tout bien, et par suite ils ne convoitent rien par considération plus particulière, rien que le seul bien : Dieu. Et toi, fais de même aussi loin que tu le pourras par la grâce : et entends Dieu en tout, et en tout Dieu, afin qu'il n'y ait oeuvre en ton esprit et en ta volonté autre que Dieu seul. Mais parce que tant, et tout aussi longtemps que tu vis en cette misérable vie, c'est ton lot de toujours avoir en quelque part le sentiment de cette horrible et puante masse du péché, telle que si elle était unie et fondue avec la substance de ton être, alors et c'est pourquoi tu penseras alternativement et prendras les deux mots : « Faute » et « Dieu », ayant cette connaissance générale que si tu as Dieu, alors tu seras défait du péché ; et si tu peux te défaire du péché, alors tu posséderas Dieu.

COMMENCE ICI LE CHAPITRE QUARANTE ET UNIÈME

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Et c'est pourquoi, pour l'amour de Dieu, garde-toi tant et du mieux que tu pourras de la maladie, afin de n'être pas toi-même, autant qu'il est possible, la cause de ta faiblesse. Car c'est en vérité que je te dis que cette oeuvre réclame une très grande et complète tranquillité et une entière et pure disposition, tant de corps que d'âme.

Donc, pour l'amour de Dieu, mets de la discrétion dans le gouvernement de ton corps comme de ton âme, et tiens-toi en santé autant que tu le peux. ...

COMMENCE ICI LE CHAPITRE QUARANTE ET DEUXIÈME

MAIS peut-être vas-tu me demander comment tu te conduiras et gouverneras avec discrétion en la nourriture, le sommeil, et toutes ces autres choses. A quoi je pense te répondre très brièvement : « Prends ce qui vient. » ...

COMMENCE ICI LE CHAPITRE QUARANTE ET TROISIÈME

REGARDE qu'en ton intelligence et en ta volonté rien n'oeuvre que Dieu seul. Et tâche à abattre toute connaissance et tout sentiment de quoi que ce soit au-dessous de Dieu ; et rejette bien loin toutes choses sous le nuage d'oubli. Et tu dois comprendre que tu n'as pas seulement à oublier en cette oeuvre toutes les autres créatures que toi-même et aussi leurs actions ou les tiennes, mais encore que tu as, en cette oeuvre, à oublier ensemble et toi-même et tes propres actions pour Dieu, non moins que les autres créatures et leurs actions. Car c'est le propre et la condition de qui aime parfaitement, non seulement d'aimer ce qu'il aime plus que soi-même, mais aussi et encore en quelque sorte . de se haïr soi-même pour l'amour de ce qu'il aime.

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COMMENCE ICI LE CHAPITREQUARANTE ET QUATRIÈME

car toujours plus il trouve sa connaissance et son sentiment comme occupés et tout remplis du bloc massif, horrible et puant, de soi-même ; lequel il lui faut toujours détester et haïr et toujours rejeter, s'il veut être parfait disciple ...

Cette désolation et ce désir, il appartient à chaque âme de les avoir et les sentir en elle, que ce soit d'une manière ou d'une autre : selon que daigne Dieu l'apprendre et enseigner à Ses disciples spirituels ...

COMMENCE ICI LE CHAPITRE QUARANTE ET NEUVIÈME

Toutes douceurs, délices et consolations corporelles ou spirituelles, aussi saintes soient-elles, ne lui sont que comme des accidents et ne font rien que dépendre de cette bonne volonté. Accidents, les ai-je dits, car ils peuvent en effet ou survenir ou manquer sans lui ajouter rien ni rien lui retrancher. ...

COMMENCE ICI LE CHAPITRE CINQUANTIÈME

ET par ceci, tu peux voir et comprendre que nous ayons à commander notre entière conduite d'après cet humble élan d'amour en notre volonté. Et à toutes ces autres délices et consolations, pour si agréables et saintes qu'elles soient, nous ne devons montrer, s'il est séant de le dire, qu'une sorte d'indifférence. Qu'elles viennent, et bienvenues sont-elles. Mais ne te penche point trop vers elles, en crainte de faiblesse : car demeurer par trop longtemps en de telles émotions et larmes si suaves, cela t'enlèverait tes forces beaucoup trop.

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COMMENCE ICI LE CHAPITRE CINQUANTE ET UNIÈME

C'EST pourquoi obéis humblement à cet aveugle élan d'amour dedans ton coeur.

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COMMENCE ICI LE CHAPITRE SOIXANTIÈME

MAIS à présent, il se peut bien que tu me demandes comment cela est donc, et comment alors il en va ? Car il te paraît avoir preuve authentique et évidente que le ciel est en-haut : parce que le Christ a fait ascension corporellement en-haut dans les airs, et qu'Il a envoyé selon Sa promesse, d'en-haut corporellement le Saint-Esprit, à la vue de tous Ses disciples ; et telle est notre foi. Et c'est pourquoi tu penses et te demandes, puisque tu as cette vraie et réelle évidence, pourquoi tu ne dirigerais pas corporellement en-haut ton esprit pendant le temps de ta prière.

Et à cela, je veux te répondre autant que je le peux dans ma faiblesse, et je dis : puisque le Christ, étant qu'il était ainsi, devait faire ascension corporellement et par suite envoyer corporellement le Saint Esprit, alors il était plus convenable que ce fût en-haut dans la hauteur plutôt qu'en-bas et de dessous, ou derrière, ou devant, ou d'un côté ou de l'autre. Mais autrement que pour cette convenance, il ne Lui était d'aucune nécessité de s'éloigner en montant plus qu'en descendant ; je veux dire quant à la proximité et promptitude du chemin. Car le ciel spirituel est aussi proche eu-bas qu'en-haut, et aussi proche en-haut qu'en-bas, et autant derrière que devant, et devant que derrière, et d'un côté comme de l'autre. En sorte que quiconque a vrai désir d'être au ciel, il y est alors à l'instant même spirituellement. Car c'est par les désirs et non point par les pas de la marche, que la grand'route et la plus prompte du ciel est courue. Et c'est pourquoi saint Paul a dit, parlant de lui-même et de maints autres ainsi : quoique nos corps soient présentement ici sur la terre, néanmoins pourtant notre vie est au ciel. Il entendait par là leur amour et désir, lequel est spirituellement leur vie. Et très-assurément l'âme est aussi réellement en vérité là où elle aime, qu'elle est en le corps où elle vit et auquel elle donne la vie. Et c'est pourquoi, si nous voulons spirituellement aller au ciel, il ne sert de rien de tirer et tendre notre esprit en-haut pas plus qu'en-bas, ni d'un côté plus que de l'autre.

COMMENCE ICI LE CHAPITRE SOIXANTE ET SEPTIÈME

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Au-dessus de toi, tu es : puisque tu parviens à venir par la grâce au-delà de ce que, par nature, tu peux et pourrais atteindre. C'est-à-dire à être uni à Dieu, en esprit, par l'amour, et par conformité de volonté. Et sous ton Dieu, tu es : puisque, et bien qu'on puisse d'une certaine manière affirmer qu'à ce moment Dieu et toi ne sont pas deux mais un, en esprit — à tel point que toi ou un autre, connaissant d'expérience cette unité par la perfection de l'oeuvre, pourra très assurément, au témoignage de l'Écriture, être appelé un Dieu — néanmoins tu es au-dessous de Dieu. Et pourquoi ? C'est qu'Il est Dieu de nature et sans commencement ; tandis que toi, qui naguère étais en substance néant, et qui, bientôt après que tu fus, par Sa puissance et Son amour, fait quelque chose…

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COMMENCE ICI LE CHAPITRE SOIXANTE ET HUITIÈME

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« Mais où donc, demandes-tu, faut-il que je sois ? Nulle part, à ce qu'il parait ! » Et oui, réellement tu l'as bien dit : car c'est là que je te veux avoir. Parce que nulle part, corporellement : c'est partout, spirituellement. Regarde et veille bien à ce que ton oeuvre spirituelle ne soit nulle part corporellement ; et alors, où que soit la chose sur laquelle en substance tu travailles en ton esprit, sûrement toi, tu seras là en esprit, aussi véritablement et réellement que ton corps est en la place où tu es corporellement. Et bien que tes sens corporels ne puissent trouver là rien qui les alimente, et qu'il leur paraisse que c'est rien et néant ce que tu fais, soit ! fais donc ce rien, et fais-le pour l'amour de Dieu. Et ne t'en va de là, mais travaille activement dans ce rien avec le vigilant désir de vouloir et posséder Dieu que nul homme ne peut connaître. Car je te le dis véritablement, qu'il me vaut mieux d'être en ce nulle part corporellement, luttant et combattant avec cet aveugle rien, plutôt que d'être un seigneur si grand, que je puisse être partout où je le désire, jouant joyeusement et me distrayant de tout ce quelque chose qui est au Seigneur son bien et sa possession.

Laisse ce partout et ce quelque chose, et abandonne-le pour ce nulle part et ce rien. Que t'importe que jamais tes sens ne trouvent raison de ce rien? car bien assurément je ne l'en aime que mieux, puisqu'il est en lui-même d'une si parfaite excellence qu'ils ne peuvent s'en saisir et en tirer parti. Ce rien peut mieux être senti par expérience, plutôt que vu : car il est tout aveugle et tout obscurité à ceux qui n'ont que brièvement jeté les yeux sur lui. Et pourtant, pour parler plus près de la vérité encore, une âme est plus aveugle en lui par l'abondance et l'excès de lumière divine, qu'elle n'est aveugle par la ténèbre ou le manque de lumière corporelle.

Or, quel est-il, celui qui l'appelle un rien ? Assurément, c'est l'homme extérieur, et non pas l'homme intérieur. Notre homme intérieur l'appelle un Tout, car par lui, il apprend à connaître la raison de toutes choses corporelles et spirituelles, sans aucune considération plus particulière à aucune chose que ce soit.

COMMENCE ICI LE CHAPITRE SOIXANTE ET NEUVIÈME

PRODIGIEUSEMENT est métamorphosée l'affection humaine en sentiment spirituel par ce rien quand il est conçu nulle part. ... Parfois il lui semblera, pendant ce travail, regarder là comme en enfer, tellement il lui semblera qu'elle désespère de triompher jamais de cette peine, en la perfection du parfait repos spirituel. ...

COMMENCE ICI LE CHAPITRE SOIXANTE ET DIXIÈME

...

De semblable manière en va-t-il de nos sens spirituels, lorsque nous travaillons à la connaissance de Dieu Lui-même. Car un homme aurait-il comme jamais la compréhension et connaissance de toutes choses spirituellement créées, néanmoins il ne peut jamais, par l'oeuvre de cette intelligence, venir à la connaissance d'une chose spirituelle non-créée, laquelle n'est autre que Dieu. Mais par l'impuissance et cessation de cette intelligence, il le peut : car la chose devant laquelle elle est impuissante n'est pas autre chose que Dieu seul. Et c'est pourquoi saint Denis a dit : « la plus parfaite connaissance de Dieu est celle où Il est connu par inconnaissance. » ...

COMMENCE ICI LE CHAPITRE SOIXANTE ET TREIZIÈME

TROIS hommes ont été les plus importants de ceux qui s'occupèrent de cette Arche de l'Ancien Testament : Moïse, Béséléel et Aaron. Moïse apprit de notre Seigneur sur la montagne comment elle devait être faite. Béséléel la réalisa et la mit à l'intérieur du Voile, selon qu'était l'exemple qui avait été montré sur la montagne. Et Aaron eut à la garder dans le Temple, la voyant et touchant aussi souvent qu'il lui plaisait.

A la ressemblance de ces trois, nous avons trois manières de perfection en cette grâce de la contemplation. Parfois nous y avons perfection seulement par la grâce, et alors nous sommes à l'image de Moïse, lequel, par toute cette ascension et ce pénible travail qu'il avait eu sur la montagne, ne la pouvait voir que rarement : et même cette vue, il ne l'avait que lorsqu'il plaisait à notre Seigneur de la lui montrer, et non qu'il l'eût méritée, et en récompense de son travail. Parfois nous y avons perfection par notre pénétration spirituelle, avec l'assistance et aide de la grâce ; et alors nous sommes à l'image de Béséléel, lequel ne pouvait voir l'Arche devant qu'il ne l'eût faite par son propre travail, assisté de l'exemple qui avait été montré à Moïse sur la montagne. Et parfois nous y avons perfection par l'enseignement d'autres hommes, et alors nous sommes à l'image d'Aaron, lequel avait en sa garde et en son habitude de voir et toucher quand il lui plaisait, cette Arche que Béséléel avait réalisée et confectionnée de ses mains.

Voici donc, ami spirituel ! par cet ouvrage, quelque enfantin et impropre qu'en soit le langage, et encore que je sois une misérable créature tout indigne d'enseigner autrui, je remplis néanmoins l'office de Béséléel : confectionnant et déposant en quelque sorte entre tes mains la manière de cette Arche spirituelle. Mais bien mieux que je ne fais et plus excellemment, tu peux oeuvrer toi-même si tu veux être Aaron : c'est-à-dire en travaillant et opérant continuellement et sans cesse à l'intérieur, et pour toi et pour moi. Fais ainsi, je t'en prie, pour l'amour de Dieu tout-puissant. Et puisque nous avons été tous deux appelés à oeuvrer en cette oeuvre, je te demande pour l'amour de Dieu, de combler en ta part ce qui manque à la mienne.

COMMENCE ICI LE CHAPITRE SOIXANTE ET QUINZIÈME

...fin





« L'épitre de la direction intime » traduite par D.M. Noetinger

TRADUITS PAR D. M. NOETINGER MOINE DE SOLESMES Deuxième édition SOLESMES 1977

CI-COMMENCE L'ÉPITRE DE LA DIRECTION INTIME.

CET ÉCRIT DÉPEND DU " NUAGE " ET SUPPOSE LA PRATIQUE DE CE QU'ENSEIGNE LE " NUAGE ". IL PEUT ÈTRE TRÈS UTILE AUX CONTEMPLATIFS QUI VEULENT ARRIVER A L'AMOUR DIVIN.

PROLOGUE

Ami en Dieu et dans la vie spirituelle, cet écrit voudrait t'apprendre à quelle occupation intérieure tu dois te livrer, d'après ce que je crois savoir de tes dispositions intimes ; je m'adresse donc à toi aujourd'hui, non à tous ceux qui prendront connaissance de ma lettre. Si j'écrivais pour eux tous, je devrais traiter un sujet qui leur convînt à tous en général ; mais puisque c'est pour toi en particulier que je veux écrire, je me bornerai à ce qui me semble le plus avantageux pour toi, le plus en harmonie avec ton état actuel. Si d'autres se trouvent dans les mêmes dispositions et peuvent tirer profit de cet ouvrage, tant mieux ; j'en serai heureux. Il reste cependant que mes réflexions visent tes seuls besoins personnels. C'est donc à toi — et à ceux qui te ressemblent, — que s'adresseront mes avis.

CHAPITRE I

Lorsque tu veux te recueillir, ne réfléchis pas d'avance à ce que tu vas faire. Laisse de côté toutes pensées, les bonnes comme les mauvaises ; et, à moins de t'y sentir porté, ne cherche pas à prier des lèvres. Lorsque alors tu commenceras ta prière, ne te mets pas en peine de sa durée, ne t'occupe pas de ce qu'elle sera ni du nom qu'on lui donnera : oraison, psaume, hymne, antienne ou toute autre prière, prière générale ou particulière, prière mentale, consistant dans l'attention intérieure de la pensée, ou prière vocale et rendue extérieure par les paroles.

Veille seulement à ce qu'il n'y ait dans ton âme qu'une seule opération, un simple regard fixé sur Dieu, sans que vienne s'y mêler aucune pensée particulière sur lui. Ce n'est pas le moment de considérer comment il est en lui-même ou dans ses oeuvres, mais seulement qu'il est ce qu'il est. Oui, qu'il soit tel qu'il est : ne le conçois pas autrement, je t'en prie. Ne cherche rien de plus à son sujet par subtilité d'esprit ; et que ta foi soit l'unique fondement de ta prière.

Ce simple regard vers Dieu, s'appuyant librement sur une foi sincère, sera perçu et compris par toi comme une pensée nue et un sentiment obscur de ton être propre. Ce sera comme si tu disais intérieurement à Dieu : « Ce que je suis, mon bon Seigneur, je vous l'offre, sans m'arrêter à aucune des qualités de votre être, mais en affirmant seulement que vous êtes ce que vous êtes, et rien de plus ! » Que cette humble obscurité soit tout ton objet et toute ta pensée.

Ne fais pas plus de réflexion sur toi-même que sur Dieu afin de devenir un avec lui en esprit, sans dispersion ni distinction. Il est la base de ton être ; car c'est en lui que tu es ce que tu es, non seulement parce qu'il est cause et être, mais aussi parce qu'il est en toi tout à la fois et ta cause et ton être. Donc dans cette oeuvre pense à Dieu comme tu penses à toi-même, et à toi-même comme tu penses à Dieu : qu'il est comme il est, que tu es comme tu es; de sorte que ta pensée ne soit pas dispersée ni divisée, mais rendue une en celui qui est tout.

Encore faut-il maintenir toujours cette différence entre toi et lui, qu'il est l'être dont tu participes et que tu n'es pas le sien. Toutes choses sont en lui par cause et par être, et il est cause et être pour toutes ; mais ce n'est qu'en lui-même qu'il est sa propre cause et son être propre. Rien ne peut être sans lui, et ainsi il ne peut être sans lui-même. Il est être pour toi et pour toutes choses, mais il se distingue de toutes parce qu'il est l'être à la fois de toutes et de lui-même. Et s'il est en toutes, et toutes en lui, c'est que toutes choses ont leur être en lui, comme il est éminemment l'être de toutes.

Ainsi tu lui seras uni dans la grâce, sans séparation, par l'intelligence et la conscience ; à condition de rejeter toutes recherches subtiles sur les qualités de ton être aveugle et du sien ; à condition aussi que ta pensée soit nue et tes impressions purifiées. Alors, dans cette nudité, par la touche de la grâce, tu seras secrètement nourri de lui seul tel qu'il est ; mais ce sera dans l'obscurité et d'une manière partielle seulement, comme il est possible de l'être ici-bas, si bien que ton désir ne cessera de s'exercer et de s'aviver. Alors lève les yeux sans crainte et dis à ton Seigneur, soit en paroles, soit au fond de ton coeur : « Ce que je suis, Seigneur, je vous l'offre ; car vous êtes éminemment ce que je suis. » Et pense purement, simplement, que tu es ce que tu es, sans raffinement ni recherche.

Il n'est pas besoin d'être passé maître pour prier ou penser ainsi, semble-t-il : ce procédé est à la portée du plus ignorant des hommes ou des femmes, et de l'intelligence naturelle la plus vulgaire ici-bas.

Abaisse-toi donc dans la partie la plus basse de ton intelligence (que certains, expérience faite, tiennent pour la pointe la plus élevée) ; et, de la manière la plus simple (que d'aucuns regardent comme la plus sage), considère, non pas ce que tu es, mais seulement que tu es. Penser à ce que tu es, avec tout ce qui est propre à ta nature, suppose beaucoup de science et d'intelligence, exige les recherches approfondies de tes facultés. Ce travail a été fait par toi, je suppose, bien des fois déjà avec le secours de la grâce, si bien que tu sais aujourd'hui ce que tu es, du moins partiellement et autant qu'il t'est profitable pour le moment ; en d'autres termes, tu sais que tu es, par nature, un homme, et, par le péché, un misérable aussi hideux que répugnant. Et peut-être ne penses-tu que trop parfois à toutes les ordures qui sont la suite de ta misère. Honte à elles ! laisse-les de côté, je. t'en prie ; ne les remue pas davantage de crainte de l'odeur. Au contraire, pour penser que tu es, il te suffit de ton ignorance et de ta simplicité, sans grande science, ni naturelle ni acquise.

CHAPITRE II

Ne fais donc autre chose, je t'en prie, sinon de penser simplement que tu es comme tu es, quelque souillé ou misérable que tu sois, peu importe. ...

Dieu est bon et plein de grâce ; prends-le en toute simplicité, comme tu ferais d'un baume, et applique-le sur ton être malade tel que tu es ; autrement dit, avec l'être malade que tu es, va toucher par ton désir le Dieu bon et plein de grâce tel qu'il est. Car son contact est le salut infini, comme le témoigne la femme de l'Évangile, disant : « Si tetigero vel fimbriam vestimenti ejus, salva ero ; si je touche seulement le bord de son vêtement, je serai sauvée » (Cf. Matth., IX, 20-21). A plus forte raison seras-tu guéri de ta maladie par le contact céleste de son être même. Approche-toi donc résolument et use de ce remède ; présente-toi sans crainte tel que tu es à Dieu plein de grâce tel qu'il est, sans te livrer à aucune considération particulière et raffinée au sujet des qualités de ton être et de l'être de Dieu : pureté ou misère, grâce ou nature, Divinité ou humanité, peu importe ; il suffit que tu offres avec joie et dans la spontanéité de l'amour ce regard aveugle sur ton être tel que tu le vois, pour que la grâce l'unisse étroitement à l'être ineffable de Dieu tel qu'il est en lui-même, sans rien de plus.

Il est vrai, tes facultés vagabondes et inquiètes ne trouveront pas d'aliment dans cette manière d'agir ; aussi te presseront-elles, en murmurant, de délaisser cette oeuvre et de faire quelque chose qui satisfasse à leur curiosité, — car elles ne voient rien qui vaille dans ce que tu fais et n'y comprennent rien ; mais je l'en aime d'autant mieux, c'est une preuve qu'elle leur est supérieure. Dès lors pourquoi ne pas la préférer? Certes, rien de ce que je pourrais faire, ou de ce que pourraient accomplir les recherches de mes facultés ou de mes sens, ne peut m'amener si près de Dieu et me conduire si loin du monde que ce sentiment simple et nu de mon être aveugle, et l'offrande que j'en fais.

Peu importe donc que tes facultés ne trouvent aucun aliment dans cette oeuvre et cherchent à t'en détourner ; veille à ne pas l'abandonner à cause d'elles, mais maîtrise leurs divagations, ce sont des folles. C'est revenir en arrière et nourrir tes facultés, que de leur permettre des recherches et réflexions subtiles sur les qualités de ton être : de telles méditations sont, à certains moments, très bonnes et très utiles ; mais comparées à ce sentiment aveugle et à cette offrande de ton être, elles te dissipent et te distraient de l'unité parfaite qui devrait rester entre Dieu et ton âme. Tiens-toi dans la fine pointe de ton esprit qui est la pensée de ton être, et ne retourne en arrière pour rien au monde, quelque bon et saint que paraisse l'objet auquel tes facultés veulent t'entraîner.

CHAPITRE III

CHAPITRE IV

Pour avancer dans la perfection, il ne t'est donc pas nécessaire, à ce moment, de revenir en arrière ni de donner des aliments à tes facultés, en considérant les qualités de ton être pour exciter ton affection, et nourrir celle-ci de douces et amoureuses impressions de Dieu et des choses spirituelles. Tu n'as pas besoin non plus de rassasier ton intelligence de la sagesse spirituelle et de méditations pieuses, pour obtenir la connaissance de Dieu. Si tu veux, — la grâce t'en donnera la force, — te tenir avec soin et sans te lasser dans la fine pointe de ton esprit, et offrir ainsi à Dieu ce sentiment nu et aveugle de ton être, que j'appelle les prémices de tes fruits, tu peux être sûr de voir se réaliser la deuxième partie du texte de Salomon, selon sa promesse ; et tu verras l'inutilité des recherches inquiètes et de l'analyse à laquelle voulaient te pousser tes facultés intellectuelles, sur les qualités de ton être ou même celles de l'être de Dieu.

Sache-le bien en effet : dans cette oeuvre, tu ne dois pas plus considérer les qualités de l'être de Dieu que les tiennes propres. Il n'y a ni nom, ni sentiment, ni considération qui s'accorde plus et mieux avec l'Infinité qui est Dieu, que ce que l'on peut avoir, voir ou sentir dans l'aveugle et amoureuse considération de ce mot : il est. Les expressions : « mon bon Seigneur, mon beau Seigneur, doux, miséricordieux, juste, sage ou tout-puissant, tout intelligent ; » ou encore : « Intelligence, Sagesse, Puissance, Force, Amour, Charité ; » et tous les autres termes, quels qu'ils soient, que tu puisses dire de Dieu : tous sont cachés et renfermés dans ce petit mot : il est. Car avoir toutes ces perfections, pour Dieu, n'est autre chose qu'être /1. Et si tu accumules cent mille expressions de tendresse comme celles-ci : « bon, beau, » et toutes les autres ensemble, tu ne t'écartes pas de ce petit mot : il est; tu ne lui ajoutes rien quand tu les prononces toutes, tu ne lui enlèves rien si tu n'en dis aucune (Cf. Eccli., XLII, 21).

Reste donc aveuglément dans la considération amoureuse de l'être de Dieu, comme dans celle de ton être propre, sans employer curieusement tes facultés à examiner les attributs de Dieu ou les qualités de ton être ; mais, laissant de côté toute recherche intellectuelle, « honore Dieu au moyen de ta substance », offrant tout ce que tu es, tel que tu es, à celui qui est tel qu'il est, et qui, comme tel et sans plus, est non seulement son être propre, mais aussi la raison du tien. Cette offrande de toi-même rendra à Dieu un hommage très élevé et t'unira à lui. Car ce que tu es, tu le tiens de lui et il l'est éminemment. Certes tu as eu un commencement, dans la création de ta substance qui n'a pas toujours existé ; mais pourtant ton être a toujours été en Dieu sans commencement et sera toujours en lui sans fin, comme il est lui-même /1. C'est pourquoi je crie et répète sans cesse : « honore Dieu avec ta substance » pour le commun profit de tous les hommes, et « nourris les pauvres des prémices de tes fruits ».

Alors aussi « tes greniers seront pleins jusqu'à déborder ». En d'autres termes, tes affections seront remplies d'amour et de délectation en Dieu, sur qui tu t'appuies et vers qui seul tu tends. « Et tes pressoirs regorgeront de vin. » Tes sens spirituels, que tu as l'habitude d'exercer et de presser par de laborieuses méditations, par des recherches et par des raisonnements portant sur la connaissance de Dieu et de toi-même, sur ses attributs et tes qualités, laisseront échapper le vin en abondance. Par ce vin, les Saintes Écritures désignent au sens mystique, qui est le vrai, la sagesse spirituelle, dans la véritable contemplation et la perception savoureuse la plus haute de la Divinité.

Et tu te trouveras enrichi de ces dons à l'improviste, par une douce action de la grâce, sans effort ni travail de ta part, par le seul ministère des anges et la vertu de cette oeuvre d'amour aveugle. Car tous les anges y emploient très particulièrement leur science, comme les servantes servent leur maîtresse.

CHAPITRE V

En cette oeuvre, qui demande aussi peu d'effort qu'elle exige d'habileté, se trouve renfermée dans toute sa profondeur la sagesse de la Divinité, qui par la grâce pénètre l'âme, pour se l'attacher et se l'unir dans la prudence et l'art spirituels.

Alors « le pied » de ton amour « ne heurtera pas » (v. 23). Une fois acquise l'expérience de cette oeuvre spirituelle grâce à la persévérance de ton intention, tu ne seras plus arrêté ni ramené en arrière avec autant de facilité qu'au début, par les interrogations inquiètes de tes facultés. — On peut encore l'interpréter ainsi : « le pied » de ton amour « ne trébuchera » ni ne butera sur aucune imagination soulevée par la curiosité de tes facultés. Et pourquoi ? Parce que dans cette oeuvre, comme il a été dit déjà, toute recherche inconsidérée de nos puissances est radicalement déconcertée et laissée de côté, à cause des dangers de l'imagination et des faussetés qu'elle peut suggérer dans cette vie ; tout ce travail ne pourrait que troubler le sentiment nu de ton être aveugle et te faire déchoir de la dignité de cette oeuvre.

Si la pensée d'un objet quelconque se présente à ton intelligence, — j'en excepte celle de ton être nu qui te mènera à Dieu, si tu y concentres toute ton application, — te voilà emporté au loin, réduit à t'appuyer sur les ressources et l'activité de tes facultés; dispersé et séparé, toi et ton souvenir, de toi-même et de Dieu. Evite donc toute dispersion et reste recueilli aussi longtemps que la grâce et ton habileté te le permettront. C'est dans la considération aveugle de ton être nu, ainsi uni à Dieu, que tu dois faire tout ce que tu as à faire : manger et boire, dormir et veiller, marcher et t'asseoir, te coucher et te lever, être debout et t'agenouiller, courir et chevaucher, travailler et te reposer.

Ainsi en toutes tes actions tu maintiendras cette offrande à Dieu comme la plus précieuse que tu puisses lui présenter. Ce sera la partie principale de tes occupations, soit actives soit contemplatives. Car, selon le même texte de Salomon : « Si tu t'endors » (v. 24) dans cette aveugle considération, loin du bruit et des mouvements qu'excitent l'ennemi infernal, le monde trompeur et ta propre fragilité, « tu ne redouteras aucun » péril ni aucune embûche de l'ennemi. Et pourquoi? Parce que dans cette oeuvre il est déconcerté et rendu aveugle ; il reste dans une ignorance pénible et s'égare à force d'étonnement, faute de comprendre ce que tu fais. Peu importe ; pour toi, demeure en repos dans cette union amoureuse entre Dieu et ton âme.

CHAPITRE VI

Mais où trouver une âme si librement fixée dans la foi et y prenant si pleinement son appui, ayant acquis une telle humilité dans l'anéantissement complet d'elle-même? Elle est conduite par la dilection de Notre-Seigneur, et y trouve amoureusement sa nourriture ; elle connaît et goûte pleinement quelle est la Puissance infinie de Dieu, sa Sagesse insondable et sa glorieuse Bonté ; elle sait qu'il est un en tous et que tout est en lui ; enfin elle voit qu'à moins de lui rendre sans réserve tout ce qui est de lui, en lui et par lui, une âme qui aime n'atteint pas l'humilité véritable dans l'anéantissement d'elle-même.

En échange de ce sublime anéantissement dans une vraie humilité, et de cette reconnaissance absolue de tout ce qu'est Dieu dans une charité parfaite, elle obtient de posséder Dieu, dans l'amour duquel elle est comme plongée, grâce à cet abandon plénier et définitif d'elle-même, où elle se tient pour néant et moins encore s'il était possible. Alors la Puissance, la Sagesse et la Bonté de Dieu la secourent, la gardent et la défendent contre tous les ennemis corporels et spirituels, sans qu'elle y apporte ni soin ni travail, sans qu'elle se considère ni réfléchisse sur elle-même.

Laissez de côté vos objections humaines, vous tous, coeurs qui n'êtes humbles qu'à demi ; abstenez-vous de juger selon votre raison ; ne venez pas dire que l'on tente Dieu en abandonnant ainsi complètement, par humilité, la garde de son coeur, lorsqu'on y est poussé par la grâce : votre raison même vous fera reconnaître que c'est par manque de courage que vous reculez devant cet abandon. Tenez-vous satisfaits de votre part : elle suffit au salut dans la vie active qui est vere degré ; mais laissez les âmes contemplatives à leur audace. Ne les jugez pas ; ne vous étonnez pas de leurs paroles et de leurs actes, même lorsqu'ils vous semblent dépasser le niveau de votre raison et le jugement qu'elle prononce.

...

Ne ressens donc nulle confusion à t'humilier de cette sorte devant ton Seigneur, et à t'endormir dans cette aveugle considération de Dieu tel qu'il est, malgré tout le bruit de ce monde mauvais, malgré les tromperies de l'ennemi, malgré la faiblesse de la chair. « Notre-Seigneur est là, » prêt à t'aider, « et il garde ton pied pour que tu ne sois pas pris au piège » (v. 26).

C'est donc à juste titre que cette oeuvre est comparée à un sommeil. Lorsqu'on dort, les sens n'agissent pas, afin que le corps puisse prendre son plein repos et donner soulagement et vigueur à la nature. Ainsi dans le sommeil spirituel dont nous parlons, toutes les recherches capricieuses, suites du dérèglement de nos sens spirituels, et tout ce qui vient de l'imagination, sont liés et annulés. Et Pâme simple peut dormir doucement et se reposer dans l'amoureuse contemplation de Dieu tel qu'il est, pour donner aliment et force au principe spirituel.

Rassemble donc tes facultés dans l'offrande de cet aveugle sentiment de ton être ; et, je te le répète à satiété, veille à ce que ce sentiment soit nu et non enveloppé d'aucune de tes qualités. Sinon, si tu le revêts de considérations sur l'excellence de ton être ou toute autre condition de la créature, tu donnes pâture à tes facultés, tu leur fournis l'occasion et le pouvoir de distraire ton attention et de te dissiper, sans que tu saches comment.

Prends bien garde à ce piège, je t'en prie.

CHAPITRE VII

Mais peut-être tes facultés curieuses ont-elles fait un examen subtil de cette oeuvre à laquelle elles ne peuvent s'exercer? Et tu te demandes de quelle manière elle s'accomplit, et tu la tiens pour suspecte ?

...

C'est pourquoi je t'invite à te disposer à cette grâce de ton Seigneur, et à entendre ses paroles, que j'ai commencé de t'expliquer : « Quiconque veut me suivre doit s'abandonner soi-même. » Comment, je te le demande, peut-on mieux s'abandonner soi-même et abandonner le monde, qu'en dédaignant de penser aux qualités de l'un et de l'autre?

CHAPITRE VIII

Il est une chose, en effet, que tu dois tenir pour certaine : je t'ai dit, il est vrai, de tout oublier, sauf le sentiment aveugle de ton être nu ; toutefois je veux, — et je l'entendais ainsi dès le début, — que tu oublies ce sentiment même, pour obtenir celui de l'être de Dieu. C'est précisément dans cette intention que je t'ai expliqué, au commencement, comment Dieu est à la base de ton être. Mais, à mon avis, l'imperfection de tes impressions spirituelles devait t'empêcher de t'élever aussitôt jusqu'au sentiment spirituel de l'être de Dieu ; aussi, pour que tu puisses le faire par degrés, t'avais-je conseillé de t'appliquer au sentiment nu de ton être propre, jusqu'à l'heure où, en persévérant dans cette oeuvre intérieure, tu pourrais parvenir au sentiment bien plus relevé de Dieu. Car toujours, lorsque tu te livres à cette oeuvre, tu dois avoir pour but et objet de ton désir le sentiment de Dieu.

Si je t'ai ordonné au début d'envelopper et comme de voiler le sentiment de Dieu du sentiment de toi-même, c'est à cause de ton manque d'expérience et de la pesanteur de ton esprit ; mais plus tard, lorsqu'un exercice assidu t'aura fait progresser dans la pratique de la pureté du coeur, il faudra te dénuder, te dépouiller et comme te dévêtir entièrement de tout sentiment de toi-même, pour mériter d'être revêtu, par la grâce, du sentiment de Dieu. Et telle est la véritable condition de celui qui aime parfaitement : il doit sans réserve se dépouiller de lui-même pour ce qu'il aime, et il ne doit admettre ni souffrir d'être revêtu de quoi que ce soit, sinon de ce qu'il aime. Et cette transformation ne doit pas se limiter à un temps ; mais sans fin il doit s'envelopper dans le plein et définitif oubli de lui-même.

Telle est l'oeuvre d'amour que nul ne peut connaître, excepté celui qui en a l'expérience. Telle est la leçon que donne Notre-Seigneur quand il dit : « Celui qui veut m'aimer, doit s'abandonner soi-même ; c'est assez affirmer qu'il lui faut se dépouiller de lui-même s'il veut être vraiment revêtu de moi, qui suis l'ample vêtement de l'amour, de l'amour éternel et sans fin. » Aussi chaque fois qu'en te livrant à cette oeuvre, tu vois et constates en toi le sentiment de ton être, et non celui de Dieu, tu dois t'en affliger pour tout de bon, et aspirer du fond du coeur au sentiment de Dieu ; il faut, de plus en plus et toujours, chercher à te débarrasser de la conscience douloureuse et du laid sentiment de ton être nu, et souhaiter de fuir loin de toi-même comme loin d'un serpent. Mors tu t'abandonnes toi-même et tu te méprises à fond, comme ton Seigneur te l'ordonne.

Tu désireras donc uniquement, non pas de ne pas être, — ce qui serait folie et dépit envers Dieu, — mais de t'oublier et de perdre jusqu'au sentiment de ton être, ce qui est absolument nécessaire pour goûter parfaitement l'amour de Dieu autant qu'il est possible ici-bas. Mais tu verras alors et tu éprouveras ton incapacité complète à réaliser ton intention : si recueilli que tu sois, tu seras toujours suivi et accompagné dans ton exercice par le sentiment de ton être aveugle, sauf à de rares et courts moments où Dieu se fera sentir à toi dans l'abondance de l'amour ; et ce sentiment pèsera sur toi et s'interposera entre toi et ton Dieu, comme jadis les qualités de ton être l'ont fait entre toi et ton être. Alors tu trouveras bien lourd et bien pénible de te porter toi-même. Ta peine ne sera que trop justifiée ; et que Jésus te vienne en aide, car tu en auras besoin.

Toutes les souffrances possibles ne sont rien auprès de celle-là, puisque tu es maintenant une croix pour toi-même. Mais c'est bien l'oeuvre nécessaire et le chemin qui mène à Notre-Seigneur. N'a-t-il pas dit lui-même : « Qu'il porte » d'abord « sa croix », dans la souffrance qu'il trouvera en lui-même; et puis, « qu'il me suive », dans la béatitude et sur la montagne de la perfection, goûtant la douceur de mon amour dans le sentiment ineffable de ma présence.

Ainsi, tu le vois, il t'est bon d'être dans la tristesse et de porter comme une croix le désir de t'oublier, et le fardeau de toi- même avant d'être uni à Dieu dans le sentiment spirituel de son être : ce qui est la charité parfaite.

...

CHAPITRE IX

...

La spiritualité est, à la vérité, une demeure bien étonnante ! Notre-Seigneur n'en est pas seulement le portier, il est aussi la porte : il est le portier par sa Divinité, la porte par son Humanité. Et il dit lui-même dans l'Évangile : /1 « Ego sum ostium; si quis per me intraverit, salvabitur : et sive egredietur, sive ingredietur, pascua inveniet. Qui vero non intrat per ostium, sed ascendii aliunde, Ille fur est et latro; je suis la porte ; si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé : et, qu'il entre ou qu'il sorte, il trouvera de gras pâturages. Quant à celui qui entre, non par la porte, mais par escalade ou à la faveur d'une brèche, il est un voleur et un brigand. » (Joan., x, 9 et 1.) Et, pour appliquer ce texte à notre sujet, il semble te dire : « Moi qui suis tout-puissant par ma Divinité et qui suis, comme portier, libre d'ouvrir à qui je veux, néanmoins je veux qu'il y ait une voie ordinaire et simple, une porte ouverte à tous ceux qui veulent entrer, de sorte que nul ne puisse prétexter l'ignorance du chemin. C'est pourquoi je me suis revêtu de la nature commune à tous les hommes ; j'ai si bien ouvert l'entrée que je suis la porte par mon Humanité ; « et qui accède par moi, sera sauvé. »

...

CHAPITRE X

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Tout ce que je viens de dire est pour confondre la fausse présomption de ceux qui, poussés par l'exubérance de leur savoir et de leur intelligence naturelle, veulent être toujours les agents premiers de leurs actes (Dieu restant passif ou ne faisant que consentir), alors que le contraire seul est exact lorsqu'il s'agit de contemplation. En cette matière, il faut mettre de côté les recherches subtiles de la science et .de la perspicacité naturelle, et laisser Dieu être l'agent principal.

Au contraire, dans les choses de la vie active, le savoir de l'homme et son intelligence doivent collaborer avec Dieu (Dieu ne faisant que consentir spirituellement)…

...

Dans la vie active, le savoir de l'homme et ses facultés naturelles doivent s'exercer pleinement avec le consentement et la grâce de Dieu, auxquels s'ajoutent l'approbation des trois témoins et les ressources de notre habileté ; car toutes les choses de la vie active sont dominées et réglées par la prudence humaine. Mais dans les choses contemplatives, la plus haute sagesse que l'homme puisse avoir ne peut s'élever assez haut : Dieu doit être l'agent principal ; l'homme ne fait que consentir et être passif.

Cette parole de l'Écriture : « sans moi vous ne pouvez rien faire, » je l'interprète donc différemment selon qu'il est question des actifs ou des contemplatifs. Pour les actifs, Dieu consent ou laisse faire, ou fait l'un et l'autre à la fois, suivant que l'acte est licite ou non, qu'il lui plaît ou non. Lorsqu'il s'agit des contemplatifs, il est agent principal et ne leur demande que de le laisser faire et de consentir. De la sorte, il est vrai que dans toutes nos actions, licites ou non, actives ou contemplatives, sans lui nous ne pouvons rien faire. Il est avec nous quand nous péchons, parce qu'il nous laisse faire, bien qu'il ne donne pas son consentement ; et ce sera pour notre réprobation finale, si nous ne nous corrigeons dans l'humilité. Pour les oeuvres de la vie active, dans les choses licites il est avec nous, en laissant faire et consentant : pour notre plus grand reproche si nous reculons, pour notre plus grande récompense si nous avançons. Mais dans ce qui concerne la vie contemplative, il est avec nous comme principal moteur et agent premier : nous, nous ne faisons que consentir et être passifs, pour notre plus grande perfection et pour arriver à l'union spirituelle de notre âme avec lui dans la charité parfaite.

En résumé. les hommes se divisent en trois classes : les pécheurs, les actifs et les contemplatifs : la parole de Notre-Seigneur s'applique aux trois. Sans lui, qui laisse faire les pécheurs et ne consent pas à leurs oeuvres, qui, pour les actifs, laisse faire et consent, et qui, pour les contemplatifs, est principal moteur et agent, nul ne peut rien faire.

...

CHAPITRE XII

...

Bien des tempêtes et des tentations se lèveront peut-être, et tu ne sauras où trouver un refuge, tant la tristesse t'aura envahi. Il te semblera que tout a disparu : grâce ordinaire et grâce spéciale. Ne t'effraie pas trop alors, même s'il te semble qu'il y a lieu de craindre. Reste plutôt dans une confiance amoureuse, si faible soit-elle, en Notre-Seigneur ; car il n'est pas loin. Peut-être va-t-il bientôt jeter les yeux sur toi et te toucher d'un mouvement plus fervent de la même grâce qu'il t'a donnée déjà.. Aussitôt tu te sentiras remis ; et tout te semblera bien, du moins tant que durera cette grâce. Et soudain, avant même que tu comprennes comment, tout s'éloigne à nouveau et tu te retrouves dépouillé de tout sur ton navire, au milieu des coups de vent qui soufflent de partout, sans que tu saches d'où ils viennent.

Pourtant ne te laisse pas déconcerter, car, je te le promets, « le Seigneur viendra et sans tarder » (Habacuc, 11, 3 ; cf. Hebr., x, 37) ; lorsqu'il lui plaira de te consoler, sa puissance te délivrera de toute tristesse, d'une manière plus éminente qu'il ne l'avait jamais fait. Oui ; et s'il s'éloigne souvent, autant de fois il reviendra ; et chaque fois, si tu supportes humblement l'épreuve, il reviendra avec plus d'empire et t'apportera plus de joie. Il n'agit en tout cela que pour te rendre spirituellement aussi souple à sa volonté qu'un gant de peau l'est à la main. Ainsi, qu'il s'agisse de son éloignement ou de son retour, son action intime en toi tend à un but unique : faire en toi son œuvre propre. En te retirant la ferveur dont, bien à tort, tu confonds l'absence avec celle de Dieu, c'est avec beaucoup d'à-propos que Dieu éprouve ta patience ; mais sache-le bien, s'il retire parfois ces douceurs sensibles, ces sentiments de ferveur et ces désirs brûlants, néanmoins il n'ôte pas pour autant sa grâce à ses élus.

Je ne puis croire, en effet, qu'il leur enlève jamais la grâce spéciale dont il les a touchés une fois, sauf s'ils tombent dans le péché mortel. Car toutes les douceurs dont j'ai parlé, ne sont pas la grâce elle-même, mais seulement des indices de la grâce ; aussi peuvent-elles nous être reti- rées pour exercer notre patience et par là nous procurer des avantages spirituels plus considérables que nous ne saurions l'imaginer. La grâce elle-même est si pure, si haute, si spirituelle qu'on ne peut la constater dans la sensibilité : les signes indiqués plus haut peuvent être perçus ; elle, non. Ainsi Notre-Seigneur nous prive parfois de la ferveur sensible à la fois pour augmenter et éprouver notre patience ; parfois aussi il le fait pour d'autres raisons que je n'ai pas à développer ici. — Poursuivons notre sujet.

...

CHAPITRE XIII

Laissant donc cette connaissance de Dieu acquise par la réflexion et l'imagination, si tu veux t'instruire de cette occupation spirituelle qui se borne au sentiment de toi-même et de Dieu, considère l'exemple que le Christ nous a donné dans sa vie.

En effet, s'il n'y avait pas de plus haute perfection ici-bas que de considérer et aimer son Humanité, je suis convaincu qu'il ne serait pas remonté au Ciel avant la fin du monde ; il n'aurait pas privé de sa présence corporelle ceux qui ont pour lui un amour spécial. Mais il y a une perfection plus haute, accessible à l'homme dès cette vie : c'est l'expérience toute spirituelle de l'amour de sa Divinité. Et c'est pourquoi il a dit à ses disciples qui murmuraient de perdre sa présence corporelle, (ce que tu fais d'une certaine manière toi aussi, quand tu regrettes d'avoir à laisser le travail de la méditation et l'exercice inquiet de tes facultés) : « expedit vobis ut abecu n ; il est bon pour vous que je m'en aille » corporellement (Joan., xvi, 7). Et le Docteur dit à ce propos : « Si la vue de l'Humanité n'est pas retirée à nos yeux corporels, l'amour de la Divinité ne s'emparera pas de nos yeux spirituels ». Après lui, je te répète qu'il est bon parfois de laisser les recherches de nos facultés, pour apprendre à goûter intérieurement quelque chose de l'amour spirituel de Dieu.

C'est par la voie que je t'indique que tu parviendras à ce sentiment spirituel, aidé et prévenu de la grâce. Applique-toi de plus en plus et sans relâche à rester dans ce sentiment nu de toi-même, offrant avec une perfection toujours croissante ton être à Dieu, comme la plus pure des oblations. Mais si tu veux éviter toute erreur, veille bien à ce que ce sentiment soit nu. Et s'il est tel, ce sera au début une grande souffrance de t'y maintenir, parce que, je te le redis encore, tes facultés n'y trouveront aucun aliment. Mais cela n'importe, et je ne l'en aime que mieux. Laisse donc tes facultés jeûner, faute de trouver leur satisfaction naturelle dans la connaissance. L'homme, a-t-on dit avec raison /1, désire naturellement savoir. Mais en vérité c'est par la grâce seule qu'il peut goûter un sentiment spirituel de Dieu, quelle que soit sa science et son intelligence. Cherche donc, je t'en prie, plus à goûter qu'à connaître. La science fait souvent tomber dans l'erreur à cause de l'orgueil ; mais il ne peut y avoir d'illusion à goûter dans l'humilité ce sentiment d'amour. « Scientia in-flat, charitas vero œdificat; la science enfle, tandis que la charité édifie » (I Cor., viii, 1), La science exige le travail, l'expérience du sentiment spirituel donne le repos.

Mais ici tu m'arrêteras une dernière fois : « Quel repos y a-t-il donc dans l'oeuvre dont tu me parles? Je n'y trouve au contraire qu'un travail douloureux, sans aucune tranquillité. Ah oui ! lorsque j'essaie de suivre tes indications, ce n'est pas le repos que je rencontre, mais la souffrance, et de tous côtés il me faut lutter. D'une part mes facultés voudraient me ramener à autre chose, et je résiste ; d'autre part je voudrais goûter Dieu et perdre le sentiment de moi-même, et je n'y parviens pas. Partout la lutte et la souffrance : étrange repos en vérité ! »

Je te répondrai que tu n'es pas encore accoutumé à cette oeuvre ; c'est pourquoi elle te fait souffrir davantage. Si tu y étais entraîné, si l'expérience t'en avait montré l'utilité, tu ne voudrais pas la quitter volontairement pour tout le repos corporel et toute la joie du monde. J'avoue qu'on y rencontre une grande souffrance et un grand travail ; pourtant je l'appelle un repos, parce que l'âme n'est pas en guerre contre elle-même et n'a aucun doute sur ce qu'elle doit faire. De plus, elle est, pendant ce temps, garantie de la plupart des erreurs.

Poursuis donc cette oeuvre dans l'humilité et avec un fervent désir : elle commence dans la vie présente ; elle durera sans fin dans la vie éternelle, à laquelle je prie Jésus tout-puissant de mener tous ceux qu'il a rachetés de son sang précieux. Amen.




Table



Table des matières

« Sur le Nuage d'Inconnaissance » par Lilian Silburn 4

« Le Nuage d’Inconnaissance » traduit par Armel Guerne 8

Commence ici un livre de Contemplation nommé LE NUAGE D'INCONNAISSANCE en lequel l'Ame est unie à Dieu 8

CHAPITRE PREMIER 8

COMMENCE ICI LE CHAPITRE DEUXIÈME 8

COMMENCE ICI LE CHAPITRE TROISIÈME 9

COMMENCE ICI LE CHAPITRE QUATRIÈME 10

COMMENCE ICI LE CHAPITRE CINQUIÈME 11

COMMENCE ICI LE CHAPITRE SIXIÈME 12

COMMENCE ICI LE CHAPITRE SEPTIÈME 13

COMMENCE ICI LE CHAPITRE DOUZIEME 14

COMMENCE ICI LE CHAPITRE QUATORZIÈME 15

COMMENCE ICI LE CHAPITRE QUINZIÈME 16

COMMENCE ICI LE CHAPITRE DIX-HUITIÈME 17

COMMENCE ICI LE CHAPITRE VINGT ET TROISIÈME 18

COMMENCE ICI LE CHAPITRE VINGT ET QUATRIÈME 18

COMMENCE ICI LE CHAPITRE VINGT ET CINQUIÈME 19

COMMENCE ICI LE CHAPITRE VINGT ET SIXIÈME 20

COMMENCE ICI LE CHAPITRE TRENTE ET QUATRIÈME 20

COMMENCE ICI LE CHAPITRE TRENTE ET CINQUIÈME 22

COMMENCE ICI LE CHAPITRE TRENTE ET SIXIÈME 23

COMMENCE ICI LE CHAPITRE TRENTE ET HUITIÈME 23

COMMENCE ICI LE CHAPITRE QUARANTIÈME 24

COMMENCE ICI LE CHAPITRE QUARANTE ET UNIÈME 24

COMMENCE ICI LE CHAPITRE QUARANTE ET DEUXIÈME 25

COMMENCE ICI LE CHAPITRE QUARANTE ET TROISIÈME 25

COMMENCE ICI LE CHAPITREQUARANTE ET QUATRIÈME 25

COMMENCE ICI LE CHAPITRE QUARANTE ET NEUVIÈME 26

COMMENCE ICI LE CHAPITRE CINQUANTIÈME 26

COMMENCE ICI LE CHAPITRE CINQUANTE ET UNIÈME 26

COMMENCE ICI LE CHAPITRE SOIXANTIÈME 26

COMMENCE ICI LE CHAPITRE SOIXANTE ET SEPTIÈME 27

COMMENCE ICI LE CHAPITRE SOIXANTE ET HUITIÈME 28

COMMENCE ICI LE CHAPITRE SOIXANTE ET NEUVIÈME 29

COMMENCE ICI LE CHAPITRE SOIXANTE ET DIXIÈME 29

COMMENCE ICI LE CHAPITRE SOIXANTE ET TREIZIÈME 29

COMMENCE ICI LE CHAPITRE SOIXANTE ET QUINZIÈME 30

« L'épitre de la direction intime » traduite par D.M. Noetinger 31

CI-COMMENCE L'ÉPITRE DE LA DIRECTION INTIME. 31

CET ÉCRIT DÉPEND DU " NUAGE " ET SUPPOSE LA PRATIQUE DE CE QU'ENSEIGNE LE " NUAGE ". IL PEUT ÈTRE TRÈS UTILE AUX CONTEMPLATIFS QUI VEULENT ARRIVER A L'AMOUR DIVIN. 31

PROLOGUE 31

CHAPITRE I 31

CHAPITRE II 33

CHAPITRE III 35

CHAPITRE IV 35

CHAPITRE VI 37

CHAPITRE VII 39

CHAPITRE VIII 39

CHAPITRE IX 41

CHAPITRE X 42

CHAPITRE XII 43

CHAPITRE XIII 44

Table 47



Impression hors commerce en ligne par lulu.com, 2017, 2023.

1 Fin du manuscrit de L.S.

2 Le Nuage d’Inconnaissance, Traduction Armel Guerne, Cahiers du Sud, Documents Spirituels 6, 1953.

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